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Veinstein Gilles. Les usages du Livre saint dans l’islam et le christianisme. Présentation. In: Revue de l'histoire des religions,
tome 218, n°1, 2001. Les usages du Livre saint dans l'islam et le christianisme. pp. 5-12;
doi : https://doi.org/10.3406/rhr.2001.5160
https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_2001_num_218_1_5160
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solide et particulièrement stimulante. Il en ressort notamment
que . la Bible n'est pas un livre , mais une bibliothèque, un
ensemble d'écrits de natures et d'objets. différents, élaboré
entrais, langues; (hébreu,, araméen,\ grec),, sur une , période de
quelque douze siècles, la . liste des composantes et leur ordre
de succession n'ayant été fixés qu'après coup et de façon
tardive. Le canon varie d'ailleurs, de façon plus ou moins
importante, selon qu'il s'agit du judaïsme ou des différentes
confessions chrétiennes. Le Coran est au contraire. un livre unique,
élaboré en une seule : langue, l'arabe. Il est lié à la mission
d'un seul Prophète, Mahomet, qui en a eu la révélation
pendant vingt-trois ans de sa . vie. Mais il y a » plus : la Bible est
tout entière inspirée par Dieu (en ce sens, elle est bien le Livre
saint, la sola scriptura de Luther, les -, « Saintes Écritures »),
mais Dieu ne s'y exprime pas directement. Le Coran au
contraire est la Parole même de Dieu descendue du ciel, ou plus
exactement, selon les termes de Chodkiewicz, la transcription,
sans défaut en un codex (mushaf) de la Parole incréée. « C'est
ô GILLES VEINSTEIN
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Bible,- bien que quelques clercs médiévaux aient pu être
crédités de cet exploit, difficilement imaginable...). Dans ces
récitations qui se font toujours en arabe (quand bien même la
doctrine hanéfie l'autorise dans d'autres langues), la forme prime
le sens/ II ; y a en f fait * plusieurs : niveaux s d'approche du » texte
coranique, l'exégèse (le tafsir) y - ayant bien entendu sa place,
mais une : appropriation purement ■ formelle n'est pas moins
légitime. D'ailleurs, ce qui est vrai à l'égard de l'oreille ne l'est
pas moins à celui des yeux : la simple contemplation du texte
coranique, telle qu'elle est rendue possible par les inscriptions,
calligraphiques des monuments, par. ces Corans* géants.
attribués à Othman, ou par^ de simples stèles funéraires,, n'a pas
besoin; de, s'accompagner, de lecture proprement dite, de
déchiffrement (impossible non * seulement pour l'illettré mais
souvent pour un lettré ordinaire, compte tenu de la
complication, de cette calligraphie ornementale, embrouillée comme; à
plaisir et parfois logée en des lieux inaccessibles ou presque au
regard) pour exercer un impact sur l'observateur; manifester
une présence mystérieuse à travers lesquels la parole divine est
de toute : façon actualisée. La * légitimité = de l'approche
purement: formelle rend= toute , traduction ■ . moins . nécessaire; en
même temps que l'imbrication absolue de la forme et du sens
la rend, à proprement parler, impossible. On ne traduit pas le
Coran. On peut seulement espérer donner, comme l'annonce
l'édition d'une de ces traductions, le « sens de ses versets ». La
traduction ' n'est donc jamais qu'un - commentaire. Le : cas de
l'Inde^ montre biem que le mouvement de- traduction;
d'impression, . de diffusion des , traductions ; du . Coran , auquel
on assiste dans ce pays au xixe siècle, rompt avec la tradition -
pour participer d'un réformisme musulman qui, précisément,
prend, ses modèles dans le protestantisme du colonisateur bri-
PRÉSENTATION 11
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néanmoins restent le plus souvent accompagnées par celui-ci,
des traductions littérales qui sont destinées seulement à
éclairer l'original.
Matérialisation de la parole de Dieu, le Coran est un objet
sacré, qu'on ' ne peut toucher qu'en état de * pureté • rituelle
(LVI, 79), qu'on ne peut emporter en terre infidèle où il
risquerait d'être profané6. Par voie de conséquence, toute
écriture en alphabet arabe appelle le respect. Sans doute ce
caractère sacré existe également pour la Bible; sur laquelle, par
exemple, on prête serment. Il s'étend même à de simples
ouvrages de piété complémentaires, comme les > légendiers .
catalans, tenus pour si précieux qu'on les attachait - avec des
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