N° 80 – JUIN-JUILLET-AOÛT 2022

AC TU
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FERMETURES DE COMPTES
BANCAIRES DE MOSQUÉES

H ORIZO N S
POUR UNE NOUVELLE MÉTHODE
PRÉSIDENTIELLE

R E L I GIO N
LA RÉVOLUTION DU HAJJ EN MARCHE

C U LTURE
L’HISTOIRE DE L’ÉMIR ABDELKADER
LE COMEBACK SURPRISE DE DIAM’S

SANIA HALIFA
« Je dis aux jeunes de ma génération
que tout est possible ! »
FOCUS SPÉCIAL CINÉMA FRANÇAIS
 SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022

SOMMAIRE ÉDITO
ACTU L’arroseur arrosé !
4  lerte sur les fermetures inexpliquées de
A
comptes bancaires de mosquées
Quelle date pour l’Aïd al-Adha 1443/2022 ? D ans ce numéro estival, nous abordons
deux sujets d’importance qui n’ont
strictement rien à voir l’un et l’autre :
Un guide pratique destinée aux associations l’audiovisuel et le pèlerinage à La
exerçant le culte musulman Mecque. Deux secteurs si éloignés,

© sofiiashunkina
si différents, mais confrontés à la

6 HORIZONS
même problématique, celle de la
transformation numérique de nos sociétés.
Nouvelle méthode présidentielle : entre la
technocratie et le populisme, il existe une 3e
Par le passé, la filière du pèlerinage était
voie, celle de l’intelligence collective structurée par des intermédiaires. Dans
l’organisation du hajj, les voyagistes
FOCUS SPÉCIAL CINÉMA FRANÇAIS captaient jusque-là la valeur, non sans
défaillances pour certains sur la qualité

8 Le cinéma français secoué par et les engagements dus aux pèlerins.

les plateformes, le pluralisme gagnant Saphirnews.com fut dès 2004 le premier
site d’information à alerter sur ces
dysfonctionnements. Des organisations
10 La culture, un atout diplomatique
«Diversité», le terme tendance devenu
se sont alors créées, œuvrant à éduquer les
pèlerins sur leurs droits et les voyagistes
un piège à cons sur leurs devoirs. Depuis peu, l’Arabie
Saoudite a lancé sa plateforme numérique

© RosannaCassano via Twenty20

11 L’école, le lieu des accidents heureux
pour se lier directement aux pèlerins,
suscitant de terribles inquiétudes chez les

12 L’Adrénaline, un film immersif sur voyagistes, exclus de fait de la chaine de

le cross-bitume et plus encore valeur. Ils n’ont pas manqué de se plaindre
au nom des intérêts du pèlerin. Le plus
comique, c’est que les griefs formulés
sont les mêmes que ceux exprimés par

14 RELIGION
les pèlerins à leur encontre en 2004.
La révolution du hajj en marche
Dans le milieu du cinéma, le schéma est
identique. Les plateformes de streaming,
devenus aussi producteurs, ont accès
TÊTE D’AFFICHE directement au public et sont en mesure

18  ania Khalifa : « Je dis aux jeunes de ma

S de se passer des exploitants de cinéma.
© Faïd Hadji

génération que tout est possible ! » Maintenant en position de faiblesse,

ces derniers larmoient à leur tour sur le
danger de la suprématie des « affreuses »
CULTURE
20 L’émir Abdelkader à l’honneur plateformes avec, pour risque principal
selon eux, de porter atteinte à la diversité
Le comeback surprise de Diam’s du cinéma alors qu’eux-mêmes bloquaient
Les enseignements spirituels tirés de la pandémie la production de certains films pour éviter
les publics ne consommant ni sodas ni

22 DE VOUS À NOUS
pop-corn, dixit « les têtes à capuche ». Les
séries type Lupin de Netflix et Oussekine de
Détruire ou changer Disney+ nous démontrent l’inverse. Ceux
qui ont largement profité des situations
de rente auraient pu investir en créant des
Salamnews est édité par Saphir Média SARL
Adresse : 3, place des Pianos – 93200 Saint-Denis.
N° ISSN : 1969-2838. écosystèmes vertueux. Finalement, dans le
Dépôt légal : Juin 2022. business comme dans la foi, il y a divers
Directeur de la publication : Mohammed Colin.
Conception graphique : Pierre-André Magnier.
Rédactrice en chef : Hanan Ben Rhouma.
Imprimé en France.
degrés d’élévation. Il faut croire que celui
Journalistes : Antoine Martin, Lionel Lemonier et qui domine chez les intermédiaires, c’est
Ont participé à ce numéro : Lalla Chams En Nour
Lina Farelli.
Contact rédaction : redaction@salamnews.fr
Photo de couverture : © Faïd Hadji celui de la « foi du commerçant ». L’étage
le plus bas. n Mohammed Colin
 SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022

4 ACTU Pour plus d’actu, www.saphirnews.com,

quotidien d’actualité en ligne

FINANCE
AGENDA
Alerte sur les fermetures EXPOSITIONS
inexpliquées de comptes Algérie mon amour

© sofiiashunkina
bancaires de mosquées L’Institut du monde
arabe (IMA) met en
lumière une collection
CULTE. Le Conseil des mosquées du Rhône d’art moderne et
(CMR) dénonce « l’apartheid bancaire qui vise Cette situation « entrave la bonne insertion contemporain d’Algérie
et des diasporas
les institutions musulmanes de France et leurs d’acteurs indépendants, constructifs et respectueux unique dans le monde
bienfaiteurs » ces dernières années. « Des dizaines des valeurs de la République » et « crée une véritable occidental afin de
de mosquées en pleine construction (ou extension) incompréhension des responsables d’associations témoigner de la fraternité
et de la solidarité qui
ont subi la fermeture de leurs comptes bancaires », cultuelles musulmanes », ce qui « nécessite d’engager ont lié les artistes et les
mettant à mal les projets. « Des fermetures massives de un dialogue renforcé avec la profession afin de mettre intellectuels algériens
et français durant
comptes bancaires de particuliers ayant participé à la enfin en place les canaux d’échange appropriés entre les années les plus
construction de mosquées ont été observées récemment les structures du culte musulman concernées et les difficiles de leur histoire
dans les filiales de certaines banques, sans justification établissements bancaires auprès desquels elles ont commune.
aucune », dénonce aussi l’instance. « On ne peut pas ouvert un compte », poursuit Gérald Darmanin. w Du 18 mars au 31
juillet 2022
continuer à mettre les Français musulmans au ban de Des participants du groupe de travail du FORIF 1, rue des Fossés-Saint-
la société et, en même temps, les taxer de séparatisme », dédié au droit et à la gestion des associations Bernard - Paris 5e
imarabe.org
fait-on savoir. sont décidés à s’atteler à ce « sujet de fond », en
Devant cette situation, Gérald Darmanin a envoyé collaboration étroite avec le Bureau central des Silsila, le voyage des
le 8 juin un courrier au ministre de l’Economie et cultes du ministère de l’Intérieur, affirme une regards
des Finances, Bruno Le Maire. Dans cette lettre experte du secteur bancaire qui participe au FORIF. L’exposition « Silsila »,
la chaîne en arabe,
révélée par Saphirnews, le ministre de l’Intérieur « Il faut engager un travail de pédagogie pour présentée par l’Institut
alerte sur le comportement « problématique » de bien qu’on comprenne les règles du jeu qui ne sont des cultures d’islam,
certains établissements bancaires, d’autant que « la aujourd’hui pas claires. » Un guide à destination des interroge tout en
nuances les notions
fermeture d’un compte nuit à la traçabilité des fonds associations musulmanes désireuses de respecter les de transmission et de
et complexifie les actes d’investigations qui pourraient règles de conformité bancaire pourrait ainsi voir le représentation à travers
les œuvres d’artistes
être menés par Tracfin et, le cas échéant, par un autre jour, avec la Fédération bancaire française (FBF) si vivant en France et dont
service de renseignement ou par l’Autorité judiciaire ». elle le souhaite. H.B.R l’histoire personnelle ou
familiale s’inscrit dans
RELIGION un parcours migratoire.
Elle s’accompagne
Quelle date pour l’Aïd al-Adha 1443/2022 d’une programmation
pluridisciplinaire qui met
en France et dans le monde ? les femmes à l’honneur.
w Du 31 mars au 31
juillet 2022
ISLAM. L’Aïd al-Adha, aussi appelée Aïd el-Kébir, mois de Dhul-Qida, pour un début de Dhul-Hijjah 56, rue Stephenson
est l’une des deux grandes fêtes musulmanes qui a qui pourrait intervenir le 29 ou le 30 juin, ce qui Paris 18e
lieu en pleine période du hajj dont l’organisation implique alors une fixation de l’Aïd el-Kébir pour institut-cultures-islam.org
est actuellement chamboulée en France. A quelle le vendredi 8 ou le samedi 9 juillet. Si le premier FESTIVAL
date sera-t-elle célébrée cette année 1443/2022 ? jour de Dhul-Hijjah est annoncé pour le 30 juin Nuits des étoiles
L’Aïd al-Adha (ou Aïd el-Kébir), littéralement en Arabie Saoudite, l’Aïd al-Adha devrait dans ce Profitez de la beauté du
appelée la fête du sacrifice ou la grande fête en cas être fixé au samedi 9 juillet dans nombre de ciel estival au travers
des manifestations
arabe, est célébrée le dixième jour de Dhul-Hijjah, pays musulmans. La décision finale dépendra des proposées aux quatre
le dernier mois du calendrier hégirien. Cette fête, conclusions des observations oculaires du nouveau coins de France, mais
aussi depuis chez vous,
qui dure jusqu’à trois jours, est habituellement croissant lunaire. en famille ou entre amis,
fixée au lendemain du rassemblement des pèlerins Des partisans du calendrier musulman unifié grâce à un programme
sur le mont Arafat à La Mecque, pendant le grand fondé sur les calculs en avance annoncent d’ores de veillées aux étoiles
spécialement concocté
pèlerinage. et déjà une date de l’Aïd al-Adha pour le samedi 9 pour tous, avec ou sans
Le grand pèlerinage est amené à se tenir du 7 au juillet. C’est le cas de la Turquie. Des fédérations instrument !
12 juillet. Les dates devraient être précisées par les musulmanes en France se chargeront d’annoncer w Du 5 au 7 août 2022
www.afastronomie.fr
autorités saoudiennes le 27 juin, au 28e jour du la date fin juin.  Lina Farelli
www.salamnews.fr

> Pour prendre connaissance du contenu du guide, rendez-vous sur Saphirnews.com

ACTU 5
Un guide pratique destinée aux associations exerçant le
culte musulman pour se conformer à la loi séparatisme
Le guide pratique relatif à l’application de la loi confortant le respect des principes de la
République (CRPR), aussi dite « loi séparatisme », est paru en avril. Il est destiné à aider les
associations exerçant le culte musulman à comprendre et à se conformer à la nouvelle
législation.
Avant même sa réunion inaugurale en que les avantages fiscaux liés aux associa- Guide pratique relatif à
février dernier, le Forum de l’islam de l’application de la loi
tions cultuelles étaient des nouveautés, ce CRPR à destination des
France (FORIF) avait déjà constitué qui n’est pas le cas. Il était vraiment néces- associations exerçant le
quatre groupes de travail pour faire saire de clarifier la situation ». culte musulman
avancer la réflexion sur des sujets prio- Edition
avril 2022
ritaires. L’un d’entre eux dédié au droit Des fiches pédagogiques utiles
et à la gestion des associations du culte
La première fiche rappelle les différences
musulman s’était alors penché sur les
entre les régimes juridiques associatifs.
modalités pratiques de l’application de
La deuxième et la troisième expliquent
la loi CRPR. Avec l’appui du Bureau
respectivement ce que sont une
central des cultes (BCC) du ministère
association cultuelle loi 1905 et une
de l’Intérieur, le travail des participants
association mixte dite 1907. Ces fiches,
a d’ores et déjà été concrétisé et est
plus fournies que la première, passent
disponible sous la forme d’un guide
non seulement en revue les nouvelles
pour aider les structures musulmanes à
règles dues à la loi CRPR, mais aussi
se conformer à la loi.
les financements, les ressources et les
Source d’interrogation et d’inquié-
avantages financiers et fiscaux des asso- automne en tenant compte des critiques
tude pour tous les acteurs associatifs
ciations. Le contrat d’engagement répu- concernant l’accessibilité et la clarté des
gérant le culte musulman, la loi CRPR
blicain fait l’objet d’une présentation explications. Elle sera aussi enrichie avec
« constitue la réforme la plus importante
spécifique sur la troisième fiche. l’expérience des associations qui auront
des droits des cultes depuis 1905 », peut-
La quatrième se présente sous la forme commencé à modifier leurs statuts et leur
on lire dans la préface de ce guide qui
d’un tableau comparatif et récapitula- organisation pour se conformer à la loi. »
se présente sous la forme de sept fiches
tif des différences entre les deux types La première recommandation que le
pédagogiques. Sa publication entend
d’association. Dans la cinquième, groupe de travail adresse aux commu-
« informer et rendre accessible à tous les
les responsables d’association trou- nautés musulmanes est de s’organiser en
évolutions (légales) au regard des spécifi-
veront toutes les possibilités de se s’appuyant sur deux associations : une
cités du culte musulman » et « permettre
conformer à la nouvelle loi, tandis que la cultuelle, obéissant à la loi 1905, pour
aux associations locales et aux porteurs
sixième présente les mesures transitoires gérer le lieu de culte et les activités reli-
de projet de les appréhender de manière
permettant aux associations d’appli- gieuses ; l’autre plus classique, fondée
sereine pour adapter leurs pratiques dans
quer la loi tout en se préparant aux sur la loi 1901, pour gérer les activités
les meilleures conditions ».
nouvelles obligations légales, avec un culturelles, artistiques ou sportives.
« Après le vote de la loi CRPR, il
rappel des dates limites. Enfin, la dernière « Nous leur recommandons également de
régnait une grande confusion parmi les
fiche fait la liste des sanctions pénales procéder par ordre, poursuit l’avocate.
responsables d’associations musulmanes »,
renforcées par la loi CRPR et des Lire le guide attentivement, puis réaliser
rappelle Fatima Bouali-Chaouki, une
dispositions de police des cultes prévues un audit de leur association en distin-
avocate très active dans l’élaboration
par la loi du 9 décembre 1905. guant les activités exercées, la situation des
du guide au sein du FORIF. Pour celle
qui est aussi intervenante sur les ques- actifs possédés, le bilan comptable, etc. Et
Une deuxième édition à l’automne enfin, réfléchir à l’avenir en adoptant une
tions juridiques auprès de l’institut de
formation Hozes, « la majorité des « Nous avons déjà distribué ce guide aux vision prospective : quels sont les projets en
responsables d’associations loi 1901 organisations représentées dans le FORIF, cours et quelles sont les réformes nécessaires
estimaient que la nouvelle loi ne concer- ajoute Me Fatima Bouali-Chaouki. à adopter. C’est la meilleure façon d’éviter
nait pas leur structure. D’autres pensaient Nous publierons une deuxième édition cet les erreurs. »  Par Lionel Lemonier

6 HORIZONS
Nouvelle méthode présidentielle : entre
le populisme, il existe une 3e voie, celle
Une nouvelle fois, les habitants des quartiers populaires ainsi que ceux des zones
périurbaines sont les grands oubliés de la démocratie représentative à bout de souffle.
Au premier tour de la présidentielle, ils ont voté en masse Union populaire pour les uns,
extrême droite de l’autre. Une nouvelle méthode s’impose et pourrait s’articuler avec le
Conseil national de la refondation (CNR).
Les « anywhere », ces Français qui
aiment et, surtout, ont la possibilité
de voyager à travers le monde, à la
vie plus aisée et plus douce, et les
« somewehere », attachés ou enchainés à
leurs territoires et à leurs barres HLM,
à la vie plus âpre mue par un sentiment
de stagnation, voire de déclassement
social, représentent les nouveaux
avatars des deux camps qui ont souvent
mis sous tension l’histoire de France.
Leurs voix sont étouffées par deux
autres camps qui saturent tout l’espace
politique médiatique pour l’un, et
l’espace décisionnel pour l’autre. L’un
regroupe tout ce qui s’apparente au
populisme, l’autre à la technocratie.
Ironie du moment, c’est que chacun
des deux camps regroupe ses
propres souverainistes, europhiles et
mondialistes. Sans que les solutions
concrètes et réalistes aux vies difficiles
des habitants des quartiers et du
périurbain, dits les « somewhere », ne
soient apportées. Ils réclament chacun
une certaine forme de protection de
l’État, une mobilité émancipatrice mais
surtout de la dignité.
Nous tournons en rond et, pendant ce
temps, les extrêmes fracturent de toutes
parts la nation. Il est donc urgent de
mettre en œuvre une méthode qui
favorise la circulation et le mélange des
habitants, des idées, des imaginaires de ce
pays. Après tout, n’est-ce pas la vocation
de notre République, au travers de ses
valeurs « Liberté, Egalite, Fraternité »
auxquelles nous devons ajouter Laïcité.
Cette méthode de gouvernement doit
absolument tenir compte des mutations
anthropologiques irréversibles de notre
monde, causées notamment par la
révolution numérique. Notre jeune
président, plus libre par ce second
mandat, doit associer au pouvoir la
société civile et la diversité non pas
par de simples effets d’affichage mais
par des mécanismes qui prennent en
compte la multitude. A minima en
tenir compte et mesurer en temps réel
ses attentes par des outils novateurs.
L’avènement de la multitude
La multitude, ce sont en France des
millions de citoyens qui ont dans leur
poche jusqu’à 100 000 fois la puissance
de calcul que celle embarquée dans
Apollo 11 conjuguée à un esprit surélevé
par l’éducation de masse. La pluralité
des parcours de vie, des subjectivités
qui habitent ce pays, construisent des
relations de pair à pair où la confiance
est distribuée horizontalement, d’où
la méfiance à l’égard des institutions
qui sont ontologiquement verticales.
Ces données doivent être prises en
considération pour émanciper une
démocratie aujourd’hui corsetée par
les institutions de la Ve République.
Il nous semble toutefois illusoire
de changer de République si les
responsables politiques ne modifient
pas leurs modes de pensée et d’agir.
En effet, il faut avant tout se rendre
compte que, paradoxalement, notre
monde s’est réduit à deux dimensions.
SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022
ʻʻ Cette méthode de
gouvernement doit
absolument tenir
compte des mutations
anthropologiques
irréversibles de notre
monde, causées notamment
par la révolution
numérique. »
Dans ce monde plat où les reliefs ont
disparu, chaque chose est devenue
égale à l’autre. Ainsi, une information
produite par l’AFP ou Reuters aura
la même autorité, sinon moindre,
qu’une information fantaisiste diffusée
par un obscur compte Twitter.
C’est l’environnement idéal pour
la diffusion d’infox dont certaines
peuvent facilement être diffusées par
les services d’intelligence de pays
autoritaires dans le but de déstabiliser
nos démocraties. Sans parler des
dispositifs psychosociologiques
liés au complotisme, aux biais de
confirmation et, de façon générale, aux
récits politiques qui épousent les états
d’âme du moment, contribuant ainsi
à la banalité du mal au sens d’Hannah
Arendt.
De même, dans ce monde réduit à
une feuille A4, il est temps d’acter
la mort des partis politiques comme
lieu d’émergence d’élites politiques au
service de la démocratie représentative.
 Mohammed Colin est le co-fondateur du quotidien d'actualité Saphirnews.com
et du magazine Salamnews.
la technocratie et
de l’intelligence collective
Sans parler des nombreux artistes,
écrivains utilisés afin d’essayer
d’interfacer le monde politique avec la
multitude qui leur échappe. On pense
aux Youtubeurs Mc Fly et Carlito
durant les années Macron, mais aussi
à Faudel ou Doc Gynéco, carrément
sacrifiés sous l’ère Sarkozy.
La technostructure vacille. Sombre-
t-elle aussi dans la victimisation
incriminant le rejet des élites. Pour
agir sur le réel, elle use comme elle
peut d’outils démocratiques totalement
obsolètes tout en continuant d’utiliser
des mots dépassés pour décrire les
enjeux sociétaux. Les Français et, de
manière générale, la multitude ne sont
plus « des veaux ». Jusqu’à présent, seuls
les GAFAM et les BATX ont su tirer
avantage de la multitude.
L’intelligence collective au service
de notre République
Désormais, c’est au tour de nos
démocraties. Les institutions devront
reconquérir leur pouvoir symbolique en
proposant d’autres rapports comme la
demande de permission, en proposant
des choses à faire et en interagissant
avec les sollicitations des citoyens. Sans
oublier de régénérer leur Deep State
en lien toujours avec la multitude.
Sans nécessairement passer à la
VIe République, il est donc temps,
comme l’a annoncé Emmanuel
Macron le soir de sa réélection,
de « changer de méthode ».
Face à ce monde en pleine mutation,
il est nécessaire d’adopter la complexité
d’Edgar Morin comme méthode de
gouvernance.
Dans ce monde plat, il est devenu
indispensable d’élever des méta-niveaux
tout en concevant des dispositifs sur un
tempo rythmé sur du « en même temps »
mais qui, de surcroît, embrassent les
aspects contradictoires d’un même
ʻʻ
phénomène au lieu de les repousser.
Le président devra
choisir la méthode de
gouvernance qui scelle une
alliance avec la multitude,
une alliance émancipatrice
qui saura libérer le Mozart
qui sommeille en chacun de
nous.
Citons un exemple concret où
l’articulation de la transcendance à
l’immanence du pouvoir a pu stimuler
une forme d’intelligence collective qui
a été décisive dans le processus en cours
de résolution d’un dossier compliqué.
Le dialogue entre l’État et l’islam,
sujet réputé comme l’un des plus
difficiles de ces 40 dernières années,
a mis à l’épreuve de nombreuses
administrations successives. Après
l’échec du CFCM, l’État a enfin
compris qu’il était préférable de confier
ce sujet très sensible à des musulmans
identifiés par le biais du Bureau central
des cultes (BCC) et de ses préfets au
lieu d’imposer un représentant unique
et centralisé. Il s’est contenté de suivre
le design de l’infrastructure logicielle
nommé FORIF afin de mettre en
réseau ces ressources. Libre ensuite
à ces acteurs musulmans de définir
les contours et le contenu de leur
7
© SAPHIR MEDIA
institution indépendamment de l’État,
loi de séparation des Églises et de l’État
oblige.
La multitude, les citoyens peuvent
ainsi redonner des supers pouvoirs à
un président souvent considéré par les
souverainistes comme un roi nu. Et
inversement, le président peut redonner
des superpouvoirs aux citoyens selon le
fameux principe de rétroaction théorisé
par Edgar Morin et que nous pourrions
appliquer dans l’exercice du pouvoir.
Ainsi, la rétroaction n’a pas seulement
pour but de corriger l’action
présidentielle ou gouvernementale d’un
côté et l’expérience des administrés
de l’autre, mais elle offre également
des processus génératifs, c’est-à-dire
qu’elle libère et renforce les capacités
de chacun. Une formule comme
Make.org par exemple nous fait passer
d’une communauté de destin à une
communauté de dessein ou, autrement
dit du « vivre ensemble », c’est-à-dire
de simples consommateurs juxtaposés
les uns à côté des autres, au « faire
ensemble » dans lequel nous produisons
ensemble notre futur par le biais de
larges consultations populaires avant de
bâtir des actions collectives légitimées
par la multitude.
Le président devra donc choisir la
méthode de gouvernance qui scelle
une alliance avec la multitude, selon
l’approche des théories de la complexité
développées par Edgar Morin. Cette
alliance émancipatrice saura ainsi
libérer le Mozart qui sommeille en
chacun de nous.
Par Mohammed Colin

8 FOCUS
Le cinéma français secoué par
les plateformes, le pluralisme
gagnant
L’industrie cinématographique est bouculée ces dernières années par l’arrivée tonitruante
L
des plateformes de streaming vidéo, plus encore depuis la crise de la Covid-19. Une révolution
est en marche, obligeant les acteurs historiques à se réinventer, au risque de disparaître.
Le cinéma, parmi les médias de masse,
est l’un des supports les plus puissants.
pour façonner nos imaginaires Outre
le moment d’évasion, il a cette capacité
rare de nous faire basculer du côté le
plus obscur de notre personnalité au plus
lumineux. Entre ces deux extrémités, nous
vivons par procuration les 1001 nuances
de la palette émotionnelle.
Sous les strass et les paillettes, derrière
cette fabrique d’images et d’émotions, il
y a toute une industrie. Elle diffère selon
que l’on soit à Hollywood, Bollywood,
Nollywood ou Saint-Denis. Les coûts
très lourds de production ont souvent
imposé depuis l’invention des Frères
Lumières un certain conservatisme
dans la réalisation pour sécuriser les
investissements.
Cependant, les grandes ruptures
SPÉCIAL
technologiques, la diminution des
coûts matériels, procurent à chaque
fois de nouvelles formes d’agilité
qui aboutissent à des innovations
artistiques.
D’une révolution à une autre
Quand arrive la Nouvelle Vague dans les
années 1950, le cinéma est alors dominé
par les scénarios littéraires souvent tirés
de romans classiques et joués par des
comédiens issus du théâtre. La rencontre
de jeunes passionnés, l’introduction de
nouvelles caméras plus légères que leur
ainés, la prise directe de son, permettent
la création de nouveaux récits qui vont
capter l’esprit des Trente Glorieuses
qui se libère des conventions sociétales
jugées trop bourgeoises. La jeunesse,
le bruit, la vitesse, la rue, les rapports
femmes-hommes vont surgir dans les
SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022
CINÉMA FRANÇAIS
© RosannaCassano via Twenty20
salles obscures, de quoi dérouter les
mandarins du cinéma de l’époque. Plus
qu’un courant, c’est un état d’esprit
générationnel qui a émergé autour de
critiques de cinéma se prenant à être
réalisateurs. On pense à ces figures
tutélaires issues des Cahiers du cinéma
que furent François Truffaut, Jean-Luc
Godard, Eric Rohmer. D’autres comme
Agnès Varda ou Alain Resnais, sans
être issus de la critique, en partageaient
tout autant les valeurs. Ces nouveaux
films ont été incarnés par de nouveaux
comédiens. Jean-Paul Belmondo en est
le plus emblématique. Les films de la
Nouvelle Vague, en plus d’être raccord
avec le public de masse de l’époque,
étaient moins coûteux à produire. Ils
se sont donc imposés en France et la
French touch a su faire des émules dans
le monde.
www.salamnews.fr
100 C’est le budget, en milliards d’euros, de la culture en France en 2019, un secteur employant
670 000 personnes et représentant 2,3 % du PIB.
Le pas de côté, l’esprit digital les banlieusards dont les exploitants les salles obscures et les plateformes.
par excellence veulent éviter. C’est toute la jeunesse Car en France, mis a part les comédies
Des décennies plus tard, nous voilà en
1999, à l’orée du deuxième millinénaire
lorsque sort l’un des films américains
les plus rentables de toute l’histoire
du cinéma : Le Projet Blair Witch
avec 60 000 dollars investis pour des
recettes totales estimées à près de 250
000 millions de dollars. La viralité
d’Internet, avant même la naissance
des réseaux sociaux, sera utilisée dans
la promotion du film. Avec un budget
aussi ridicule, la promotion classique du
film était inenvisageable. Alors Internet
fut audacieusement intégré comme
matériau à part entière du scénario.
Les contraintes sont alors transformées
en atouts décisifs, préfigurant les bases
essentielles de l’économie numérique
des vingt années qui vont suivre la sortie
de ce film.
Les distributeurs et exploitants de salles
de cinéma en France ont une emprise
considérable dans les choix et les
processus de création. En effet, beaucoup
refusent les films liés aux quartiers et
aux cultures urbaines pour ne pas se
retrouver envahis de publics « têtes à
capuches » qui, selon les exploitants, ne
consomment pas ni sodas ni pop-corn
et, en plus, foutent le désordre dans
les salles. Les films attirant les cheveux
bleus (expression élégante pour désigner
les personnes aux cheveux blancs mais
bleuis par la lumière des écrans) y
sont préférés car ils sont forcément en
possession d’un pouvoir d’achat plus
conséquent. On se souvient très bien
des déprogrammations en 2009 de
Banlieue 13 produit et réalisé par Luc
Besson. Si on ne déprogramme pas,
la tactique est alors de diffuser le film
en VO. On esquive sournoisement le
public jugé difficile sans tomber sous
le coup de la loi qui sanctionne les
discriminations. Mais il n’y a pas que
adolescente qui n’est pas très bien vue.
Là aussi, les déprogrammations des
films d’horreur Paranormal Activity ou
Annabelle illustrent bien ces inquiétudes
incitant à refouler les jeunes publics non
accompagnés d’adultes afin d’éviter des
scènes d’hystérie et de désordre lors des
projections.
Du coup, ce sont d’innombrables projets
artistiques qui se trouvent littéralement
censurés. C’est un gros coup de massue
donné à la liberté de création qui passe
inaperçu auprès du grand public mais
qui suscite d’énormes frustrations
auprès des créateurs indépendants.
Vers une meilleure intégration
de la pluralité culturelle
L’arrivée des plateformes de streaming
Netflix puis HBO Max, Apple TV, Prime
Video, Disney+, change totalement la
donne. Les contenus étant visionnés
à domicile ou sur écrans mobiles, les
exploitants sont éjectés d’une filière
en pleine reconfiguration. Seules les
attentes du public comptent désormais.
Toute une savante ingénierie à base
d’algorithmes est déployée pour aider
à la décision afin de trouver les futurs
succès audiovisuels. Évidemment, cette
réorganisation occasionne des travers.
Mais ici, nous décidons d’aborder les
opportunités que la transformation
numérique des industries audiovisuelles
procure à la bonne intégration de la
diversité culturelle. Alors que les débats
sur les écrans monochromes lancés à
partir des années 2000 ne trouvaient
pas de solutions satisfaisantes, les
plateformes, dès leur arrivée sur le
marché français, font exploser les
couleurs sur les écrans dont ils prennent
la maîtrise. Mais plus qu’une question
primaire de mélanine, c’est la diversité
des subjectivités et de récits proposés
aux abonnés qui font la rupture entre
9
potaches sur les quartiers avec des
gens estampillés « issus de la diversité »,
la production française reste très frileuse
sur des scénarios en prise avec la réalité
sociale directe ou même l’histoire
politique récente. Les Misérables de Ladj
Ly dont l’un des thèmes est le rapport
des jeunes à la police enregistre plus de
deux millions d’entrées au box-office.
Multiprimé, nommé 11 fois aux Césars,
une fois aux Oscars... mais avant toute
cette reconnaissance, il essuie un refus
à l’aide du Centre national du cinéma
(CNC) consacrée à l’avance sur recettes.
Soulignons que c’est souvent grâce
à cette aide qu’un réalisateur est en
mesure de monter son premier film.
Face aux premiers bruits du succès,
l’établissement public dont la mission
principale est de soutenir la production
du cinéma français s’est alors empressé
de dégager deux lignes budgétaires pour
soutenir le film a posteriori à hauteur de
110 000 euros. Cette fois-ci, c’est un
visage meurtri de la France incarné par
l’affaire Malik Oussekine que seule une
plateforme étrangère, en l’occurrence
Disney+, estime intéressant de produire
et de réaliser. Pour le moment.
Ce recours aux talents estampillés
« diversité » pour la production,
l’écriture et la distribution de rôles
obéit à l’opportunisme commercial
pour être en phase avec les abonnés
issus du monde entier et aux goûts très
éclectiques. Il suffit de voir sur Netflix
la magnifique mini-série Unorthodox qui
raconte avec délicatesse l’histoire vraie
d’une jeune fille juive aux prises d’une
culture religieuse très conservatrice qui
va reconquérir sa propre autonomie
de penser et d’agir. Un récit universel
auquel des abonnés de communautés
religieuses extrêmement différentes
peuvent se reconnaître. 
Par Mohammed Colin

10 FOCUS
La culture, un atout diplomatique
C’est bien connu, la culture est un agent puissant du soft power d’une nation dans son
environnement international.
Notre pays, depuis la construction des
châteaux de la Loire, du mécénat des
artistes italiens sous François Ier face au
puissant et rival Charles Quint, manie
l’outil culturel avec brio. Des siècles
auparavant, l’illustre Charlemagne avait
déjà su sceller une alliance avec le grand
calife Haroun Al-Rachid par un échange
de cadeaux somptueux qui permit de
protéger les monastères et les pèlerins
chrétiens sur la route de Jérusalem.
Après les tumultes de la Révolution et
de l’épopée napoléonienne, le célèbre
ministre des Affaires extérieures Talleyrand
formulera une curieuse doléance :
« Sire, j’ai plus besoin de cuisiniers que de
diplomates ! »
Cependant, il est vrai que depuis le 20e
siècle, la superpuissance américaine, avec
Hollywood, a su prendre le leadership
dans ce domaine. Pour s’en convaincre,
«Diversité», le terme tendance
devenu un piège à cons
Succédant à l’expression « Black , Blanc Beur » après la première victoire de la Coupe
du monde de foot en 1998, le terme « diversité » s’est imposé à toutes les sauces après
les émeutes urbaines de 2005, surtout dans les médias et les politiques de la ville.
« Diversité » fut le terme très en vogue
dans la politique de la ville des années
2000. Nadir Ioulain, réalisateur de
Jungle Jihad, réfute catégoriquement ce
terme. Il le trouve « totalement absurde »
pour la simple raison que la diversité
en réalité recouvrent « les 67 millions
de Français ». Il lui préfère le vocable
« pluralité » qu’il estime plus opérant dans
le milieu du cinéma qu’il juge lui aussi
« trop fermé ». Car si « diversité » est un
mot souvent fait pour désigner les Noirs
et les Arabes de quartier, il estime que
c’est du saupoudrage. On fabrique à partir
de ce terme piégé des dispositifs « bonne
conscience » qui donnent trois francs six sous
SPÉCIAL CINÉMA FRANÇAIS
il suffit de constater que, dans la balance
commerciale, l’exportation américaine des
biens culturels pèse bien plus lourd que
l’exportation d’armement. Car l’American
way of life reste le meilleur VRP de l’Oncle
Sam. Mais la French touch n’a pas encore
dit son dernier mot. Le nouveau soft
power à la française dont les décideurs
nationaux semblent donner l’impression
de ne pas en prendre la juste mesure réside
justement dans sa diversité d’habitants en
totale résonnance avec le monde. Isabelle
Giordano est l’une des rares personnalités
françaises à percevoir cette force incroyable
de notre pays et ne manque pas de
souligner dans Les Echos « l’urgence d’une
union des industries culturelles françaises et
d’une meilleure valorisation des talents à
l’export, dans un paysage mondial totalement
redessiné par la révolution numérique ».
En route vers la nation créative ! 
pour des auteurs « issus de quelque chose »
sans corriger finalement les problèmes
d’accès équitable aux ressources
financières. A part Les Misérables de
Ladj Ly et quelques autres exceptions, la
plupart des films estampillés « diversité »
sont basés sur des scénarios absurdes,
des téléfilms burlesques sans finesse.
« Pas de films qui éduquent » et surtout
pas suffisamment de longs métrages qui
sortent en salles et assez longtemps pour
être en capacité de créer un marché. Pour
Nadir Ioulain, « les dés sont pipés de bout
en bout ». Mais les règles changent fort
heureusement. 
SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022
Par Antoine Martin
Chronologie des médias
Cette mécanique organise selon un ordre
et des délais bien précis l’exploitation
des œuvres cinématographiques, offrant
ainsi un circuit vertueux pour protéger la
rentabilité des exploitants de salles de
cinéma et la filière audiovisuelle. Mais
les plateformes de streaming telles que
Netflix, Apple TV, Prime Video, qui sont
aussi producteurs de contenus, ont un
accès direct aux téléspectateurs qui
rend obsolète la chronologie des médias.
Ce dispositif est la pomme de discorde
entre l’ancien et le nouveau monde.
Disney+, qui conteste cette chronologie,
a annoncé qu’il proposera en France
son prochain blockbuster Strange World
prévu pour les fêtes de Noël directement
sur sa plateforme. Ce manque à gagner
pour les salles de cinéma et le CNC que
provoquera cette décision est un moyen
d’installer un rapport de force pour que
les contraintes des nouveaux acteurs de
l’économie numérique soient prises en
compte.
Le CNC
Le Centre national du cinéma est une
institution créée au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale avec cette
belle mission de soutenir notre cinéma
national. C’est aussi dans cet objectif
que notre pays défend l’exception
culturelle et subventionne ainsi des
œuvres artistiques. Les produits
culturels ne peuvent se confondre et être
traités comme de simples marchandises
en les livrant à la libre concurrence.
Cependant, l’exécution du dispositif
génère des effets délétères. Il masque
par exemple un entre-soi qui exclut
de la production cinématographique
la pluralité des habitants et des
territoires jugés périphériques comme
le souligne Fils et filles de… d’Aurore
Gorius et Anne-Noémie Dorion (La
Découverte). Les quotas attribués à
la catégorie fourre-tout « diversité »,
retenant le plus souvent que des projets
fantasmagoriques sur les quartiers, ne
font en réalité qu’office de burqa posée
sur la fumisterie et le conservatisme
artistique d’une aristocratie culturelle
qui pense avoir un regard légitime sur
les phénomènes de société qui leur
échappe pourtant.
www.salamnews.fr

8 Il existe six grandes écoles publiques formant au cinéma et à l’audiovisuel en France. S’ajoutent
deux grandes écoles privées reconnues délivrant un diplôme visé par l’État dont l’une est à Trappes. 11

L’école, le lieu des accidents heureux

L’école est l’institution sur laquelle notre République fonde beaucoup d’espoirs pour animer notre
système méritocratique. Lorsque les ascenseurs sociaux sont en panne, il reste toujours possible
de compter sur quelques enseignants pour faire grimper les marches d’escaliers.

Il y a près de 60 ans déjà que Bourdieu structurant sur le territoire. C’est le

et Passeron, à travers leur ouvrage
devenu un classique de sociologie
Les Héritiers, ont déconstruit le mythe de
l’ascension sociale égalitaire par l’école
républicaine. L’école, par le capital
culturel acquis au sein des familles,
cas d’implantations de filières d’études
audiovisuelles dans les établissements
du secondaire.
Le lycée Suger de Saint-Denis par
exemple propose depuis l’année 2000
un BTS Métiers de l’audiovisuel. Cette

© micromonkey via Adob Stock

reproduisait au contraire puissamment
les positions sociales acquises. Fort
heureusement, face à ce déterminisme
sociologique, il y a toujours des grains
de sable qui enrayent quelque peu
la machine. Ces petits cailloux sont
souvent incarnés par des professeurs
emplis de passions et totalement
investis dans la transmission des
savoirs. C’est souvent le dévouement de
professeurs qui réveille des potentialités
chez des élèves. L’écrivaine Faiza Guène,
co-autrice de la série Oussekine produite
par Disney, dit être entrée dans la
littérature par « un heureux accident ».
Cet imprévu, elle le tient de son
professeur de français qui met en place
sur son temps libre des sessions de
lecture et d’écriture. C’est dans ce cadre
qu’il proposera le manuscrit à sa sœur,
alors éditrice chez Hachette Littératures,
qui aboutira à la sortie en 2004 de Kiffe
kiffe demain.
Saint-Denis et le 9-3, terre native
du cinéma
Ainsi, dans de nombreuses
établissements, des enseignants mûs
par une démarche volontariste animent
des espaces d’accès à la culture, que ce
soit au théâtre, au cinéma ou même à
l’astronomie. Certains, plus téméraires,
vont même jusqu’à installer de nouvelles
filières qui vont avoir un impact
ouverture de formation s’inscrit dans
une dynamique institutionnelle de faire
de la Seine-Saint-Denis un pôle mondial
consacré à l’industrie de l’image dont la
Cité du cinéma créée par Luc Besson
(reprise en février dernier par l’homme
d’affaires franco-tunisien Tarak Ben
Ammar) a longtemps constitué l’un des
fers de lance. Il suffit de penser à Los
Angeles, ses universités, Hollywood,
pour comprendre que le développement
d’un cinéma exportable a besoin d’un
écosystème.
Le bassin drouais fait pour le 7e art
A Dreux, c’est la même démarche
volontariste qui anime Thierry Méranger
à créer en 2002 la spécialité et l’option
Cinéma au lycée public Rotrou.
Celui qui dirige le festival du film
Regards d’Ailleurs relève avec beaucoup
de justesse qu’« avec la discipline
audiovisuelle, il y a pour le jeune public
un accès plus égalitaire comparé aux autres
formes de culture comme la musique, qui
nécessite par exemple de payer des heures
de piano. D’autant plus que les moyens
techniques de production se sont largement
démocratisés puisqu’il est désormais possible
de tourner un court métrage ne serait-ce
qu’avec un smartphone ». Il souligne
aussi que l’éducation à l’image offre de
véritables anticorps contre les dérives
liées au radicalisme religieux. En tout,
ce sont 120 élèves par an qui suivent cet
enseignement. Sa démarche a vite été
appuyée par la municipalité. Son action
est aussi soutenue par le Ciclic, l’agence
régionale du Centre-Val de Loire pour
le livre, l’image et la culture numérique,
présidée par Julie Gayet. En revanche,
il déplore qu’après deux décennies, il
n’a pas été possible de mettre sur pied
un établissement supérieur du cinéma à
Dreux. Du coup, tous les étudiants qui
veulent poursuivre des études publiques
sur cette voie sont obligés de migrer vers
d’autres régions. Il regrette le manque
de soutien du rectorat qui ne semble pas
voir la richesse qu’offre le bassin drouais
pour le 7e art. Un patrimoine historique
et urbain riche et diversifié avec, pour
décor, une sociologie elle aussi très
diverse en plein cœur de la Beauce,
à la lisière de trois grandes régions, le
Centre-Val de Loire, la Normandie et
l’Ile-de-France, s’offrant à l’imaginaire
infini pour des trames narratives qui
resteront encore invisibles. 
Par Mohammed Colin
 SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022

12 FOCUS SPÉCIAL CINÉMA FRANÇAIS

L’Adrénaline, un film immersif sur le cross

Avec « L’Adrenaline », Nadir Ioulain est l’auteur d’un long-métrage immersif qui nous plonge
grâce à la réalité virtuelle dans la (dangereuse) passion des rodéos urbains dans les quartiers
populaires. Une production originale qu’il a choisi de faire découvrir aux jeunes de Trappes au
mois d’avril.

Sans carton d’invitation, nous

débarquons pour voir L’Adrénaline par
un coup de tête après avoir raccroché sur
un tout autre sujet avec Nadir Ioulain,
auteur de Français de souche et de Jungle
Jihad. Il faut dire que les images qu’il
publie sur ses réseaux sociaux sont
intrigantes. Nous décidons de voir par
nos propres yeux.
Pas de faux-semblant, Nadir Ioulain est
un réalisateur que Salamnews apprécie
beaucoup. Car c’est notre Spike Lee
national. Un vrai passionné dans ce
qu’il fait. Ce passionné travaille souvent

© Nadir Ioulain
avec des moyens très spartiates mais
sans jamais sacrifier à la qualité. Une
vraie graine de bitume.

Un bruit de moto qui nous

hypnotise
Une fois le casque Quest installé sur la
tête, c’est parti. « Brouuuh, brouuuh,
brouuuh ! » Nous ouvrons les yeux et
nous nous retrouvons dans la même
situation quand Alice chute dans le
terrier du lapin blanc. Pas de pilule
bleue, ni de pilule rouge mais vraiment
désorienté par une musique entrainante
qui nous plonge dans une sorte de
docufiction.
A notre grande surprise, nous sommes
hypnotisés par ce bruit de moto. Effet
stupéfiant Madeleine Proust. « Brouuh,
brouuuh, brouuuh ! » Flashback 30 ans
en arrière où nous entendons ce même
bruit au collège Pierre et Marie Curie, à
Dreux. « Brouuuh, brouuuh, brouuuh ! »
Jacques Pradel, pas l’animateur télé de
Perdu de vu mais le prof de maths qui
explique tant bien que mal le concept
des droites parallèles à des gamins
distraits par le « Brouuuh, brouuuh,
brouuuh ! » de leur pote qui sèche le
cours et s’éclate comme un ouf faisant
du wheeling sous les fenêtres des profs.
Clairement, nous avons complétement
oublié le casque de réalité immersive.
Le film convoque nos propres souvenirs
tout en mobilisant divers imaginaires.
Nous sentons l’adrénaline monter.
Nous goûtons à la « kiffance » de ces
gamins.
Quand les routes de la fiction et du
récit d’apprentissage se croisent
En visionnant l’œuvre de 45 mn, nous
n’oublions toutefois pas les nombreux
morts dans les cités de pilotes improvisés
mais surtout les enfants innocents
fauchés par les roues de ces grosses
cylindrées. Réalité immersive s’articule
aussi avec situation complexe. On ne
peut que comprendre le ras-le-bol des
forces de l’ordre que le réalisateur met
en scène à travers les personnages des
policiers pris au jeu du chat et de la
souris.
A la manière d’Emile Zola, Nadir
Ioulain délivre une forme de naturalisme
de la situation. On voit s’affronter
une rationalité contre une autre. Une
intelligence émotionnelle contre une
autre. L’échange du maire avec le jeune
biker qui s’effectue dans le quartier dans
un cadre de bienveillance dépourvu de
toute forme de condescendance ouvre
le champ des possibles. Sans parler
de cette fascinante scène qui nous fait
littéralement fondre de tendresse devant
cette petite fille qui se regarde dans
le miroir de l’armoire de sa chambre
imitant ces grands gaillards de cité en
www.salamnews.fr
-bitume et bien plus encore
train de faire du « Brouuuh, brouuuh,
brouuuh ! »
Nadir Ioulain, avec talent, nous amène
au carrefour où se croisent les routes de
la fiction, du documentaire et du récit
d’apprentissage. Cette éducatrice qui
sermonne les bikers et leur explique
l’école du caméléon enseignée par
le guide Amadou Hampâté Bâ.
L’intrépidité de la jeunesse, la vitesse
et la précipitation qu’elle entraîne peut
engendrer des dégâts irrémédiables si
elle n’est pas tempérée par la cinétique
tranquille du caméléon, semble nous
indiquer le film.
Du décor aussi fait de béton qui
s’enchaine avec des plans de friches à
l’abandon où la nature sauvage reprend
ses droits. Cette jeune végétation
méprise au fond tous ces urbanistes
engraissés par les diverses opérations
de rénovation urbaine durant des
décennies de politique de la ville.
Quand nous sortons de la tente blanche,
nous rencontrons deux des comédiens.
Nadir leur lance d’un air taquin : « Eh
les gars, c’est le CEO de Saphirnews. »
Réponse en cœur : « Nooooonnnn,
Saphirnews est venu jusqu’ici ! » Dans
notre tête, il y a inflammation des
synapses : « Merde, on s’est embourgeoisés
à ce point ? Ils vont finir par nous insulter
de gauche tajine, ces cons. » Sauf que
nous serions Cendrillon en train de
manger les olives du tajine juste avant
les 12 coups de minuit.
Puis nous vient à l’esprit une série
assez gore diffusée sur Netflix intitulée
La Plateforme. L’histoire a pour
contexte une verticalité carcérale
sur une centaine d’étages. Plus nous
descendons, plus c’est la misère. Peut-
13
être que oui, nous sommes à des étages
différents mais rien à voir avec l’étage
supérieur de la Fondation de l’islam de
France (FIF) et ses 600 000 euros de
budget annuel. Comprenons aussi que
ça fait « mesquine » pour une fondation
culturelle. Toujours une question
d’étage ! Et dans La Plateforme, on
peut dégringoler encore plus bas ou
aller plus haut. Cependant, la réalité est
souvent plus crade que la fiction. Mais
soyons optimistes ! Heureusement que
la révolution numérique en marche
apporte aux habitants des quartiers
populaires les moyens de s’émanciper
des conditions matérielles misérabilistes.
A condition de tomber sur des guides
bienveillants qui nous accompagnent
vers la connaissance et surtout vers
les circuits financiers véritablement
opérants. Nadir, bravo l’artiste ! 
Par Mohammed Colin
 SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022

14 RELIGION Hajj Le grand pèlerinage est prévu du 7 juilllet au 12 juillet 2022 ;

l’Aïd al-Adha le 9 juillet 2022.

Hajj 2022 : une organisation en plein

Sale temps pour les agences de voyages spécialisées dans l’organisation du pèlerinage
en France et en Occident. Avec la bénédiction du ministère saoudien du Hajj, une nouvelle
plateforme visant à se lier directement aux pèlerins a été mise en service moins d’un mois
avant le grand pèlerinage, au grand dam des voyagistes qui voient leur avenir s’assombrir.
Quant aux candidats au hajj, ils sont placés de fait devant l’inconnu.

Ces toutes dernières années, la menace de

mettre la clé sous la porte se faisait lourde
sur les agences de voyages spécialisées
dans le pèlerinage en France. Au sortir
de deux années d’interruption de travail
en raison de la pandémie de la Covid-19,
cette situation se confirme plus que jamais
en 2022.

© Ayman.zaid via Twenty20

Les voyagistes n’ont en effet jamais obtenu
l’agrément qui leur permet, comme
chaque année, d’organiser les séjours hajj
en bonne et due forme alors même que la
France métropolitaine s’était vue accorder
en mai un quota de 9 268 pèlerins sur
le million de musulmans autorisés à se
rendre à La Mecque cette saison. Pire
encore, les autorités saoudiennes ont
tout bonnement décidé de les évincer
de l’organisation en mettant en place
une plateforme. Le problème n’est pas
propre à la France puisque Motawif est
qui s’inscrit dans le cadre du plan Vision pas se trouver engagées. Le hajj, c’est toute
désormais la plateforme « exclusive » par
2030 visant à diversifier l’économie une organisation qui ne se fait pas d’un
laquelle les musulmans vivant en Europe,
saoudienne. C’est un schéma similaire claquement de doigts ou qu’on balaie comme
aux Amériques et en Australie – 56 pays
que souhaite appliquer le royaume pour ça ! », tempête Mahfoudh Beldi, directeur
au total – et souhaitant accomplir le
le hajj, sans l’être complètement du fait de Star Travel International, l’une des
cinquième pilier de l’islam devront passer.
des spécificités et des contraintes tant plus vieilles structures spécialisées dans le
rituelles qu’organisationnelles de ce pilier pèlerinage à Paris.
L’annulation contrainte et forcée
de l’islam par rapport à la omra.
de la saison
La Coordination des organisateurs
Jusque-là, dans les pays non musulmans Après la mise en service tardive de agréés Hajj de France (CHF) n’a pas
où la gestion du hajj est privative, les Motawif le 10 juin, et sans aucun espoir manqué de réagir pour s’offusquer de
agences étaient appelées à s’occuper de de voir les Saoudiens réviser leur position, l’initiative saoudienne, relevant plusieurs
l’organisation du grand pèlerinage. Elles les agences occidentales ont donc été « défaillances potentielles » qui résultent
étaient même chargées de celle du petit contraintes d’annuler les inscriptions d’une démarche « troublante ».
pèlerinage jusqu’en 2019, année de la aux séjours de leurs pèlerins. « Les choses L’association relève notamment « l’absence
mise en place du visa touristique qui a ont été faites dans l’opacité totale et sur de garantie des prestations en cas de
ouvert la possibilité aux musulmans de le tard. Mais il fallait quand même nous défaillance de la société privée saoudienne
réaliser une omra à la carte sans passer en informer dans des délais raisonnables et l’inexistence de voies de recours en
par les agences. Un changement notable pour éviter aux agences de voyages de ne France ». En outre, elle s’inquiète de la
www.salamnews.fr
chambardement
possible « absence d’accompagnement
et d’encadrement dans les lieux saints »,
rappelant « le rôle très important » joué
par les guides et les accompagnateurs «
dans la sécurisation des déplacements des
pèlerins » pendant leur parcours. Enfin,
elle pointe « le manque de prise en charge
au quotidien ». Les pèlerins « vont se
retrouver sans l’assistance régulière assurée
par les personnels des agences de voyage
habituellement installés avec les pèlerins
dans les mêmes lieux d’hébergement 24h/24,
pour leur porter assistance depuis leur
arrivée en Arabie Saoudite et jusqu’à leur
retour en France ». Selon la CHF, ils seront
« livrés à eux-mêmes en cas de problème
de santé, de rapatriement d’urgence ou de
perte de documents d’argent ou tout autre
imprévu ».
Motawif assure la vente directe de
prestations liées au hajj aux pèlerins, sans
possibilité donc pour eux de se rabattre
sur les agences en guise de solution
intermédiaire. Les musulmans, dont un
certain nombre ne sont pas avares en
critiques lorsqu’il s’agissait de parler des
prix « exorbitants » affichés par les agences,
en auront-ils au moins pour leur argent ?
Plusieurs forfaits de base étaient proposés
par le portail aux intéressés, qui devaient
s’inscrire avant le 13 juin. A la finale,
ils s’affichaient au prix fort compris
entre 7 800 et 11 000 € par personne
en France. Mais devant l’inconnu, et les
questionnements encore nombreux liés
notamment aux modalités de paiement et
aux garanties, de nombreux candidats ont
préféré encore reporter le hajj.
Des remboursements en danger ?
Dans son malheur, Star Travel a
néanmoins une « chance » que d’autres
agences n’ont pas. Ses responsables n’ont
en effet pas donné d’acomptes en vue
de préparer l’arrivée des pèlerins à La
Mecque ; ils ont préservé les fonds qu’ils
Pour plus d’actu, www.saphirnews.com,
quotidien d’actualité en ligne
ont pu rendre sans problème à leurs
clients. « Tant que je n’avais pas la certitude
de bosser, j’ai préféré ne pas m’engager et
attendre une annonce officielle pour avancer
les fonds des pèlerins », affirme Mahfoudh
Beldi. « Malheureusement, ce n’est pas le cas
pour d’autres confrères pour qui les pertes
seront conséquentes sur les plans financier et
moral. »
Est-ce leur faute ? « Le ministère du
Hajj a toujours eu l’habitude, cette année
encore, de nous envoyer des messages nous
demandant de ne pas nous engager jusqu’au
moment de l’accréditation. Ça, c’est une
vérité. Mais les agences ont pris l’habitude
de l’annonce tardive de la saison, elles
savent qu’il ne devrait pas y avoir de souci
(pour obtenir l’agrément) et elles avancent
traditionnellement l’argent pour commencer
à payer les réservations des pèlerins. Cela
demande effectivement de l’anticipation
par ce que l’organisation du pèlerinage
ne s’improvise pas à la dernière minute »,
explique-t-il. Dans bien des cas, il s’agit
aussi d’avoir les meilleurs prix pour ne
pas rogner sur les marges ou de ne pas
proposer des packages plus chers encore à
leurs clients. A ses yeux, le tort est donc à
chercher du côté des Saoudiens, qui n’ont
pas préparé les esprits au changement,
brutal, et qui ont laissé faire les choses
« comme d’habitude ». Mais au bout du
compte, « ce sont les pèlerins qui trinquent »,
concède Kamel S., un professionnel du
secteur en France.
Pour les voyagistes ayant donné des
acomptes, il sera très compliqué, si ce
n’est impossible, de se faire rembourser
par les prestataires. Elles restent tenues, ne
serait-ce que moralement, de rembourser
leurs clients. Chacun va devoir se
débrouiller à sa manière. Mais après deux
saisons blanches du fait de la Covid-19,
de nombreuses agences sont dans
« des situations de quasi faillites », selon
Kamel S. « Peu d’agences ont diversifié
15
leurs activités pour se maintenir, c’est
catastrophique », confirme Mahfoudh
Beldi.
La mort annoncée de tout un
secteur
STI a pu se maintenir à ce jour grâce aux
aides octroyées par l’Etat aux entreprises
pendant la crise sanitaire, ce qui a rendu
la situation « supportable ». « Mais on
comptait sur cette saison pour respirer un
peu et redresser la situation économique de
l’entreprise. Maintenant, on est en grande
difficulté » à tel point que l’agence envisage
une fermeture prochaine. « On ne peut pas
tenir plus de trois ans sans dégager aucune
marge pour couvrir nos charges. Sauf s’il
y a une décision courageuse de l’Arabie
Saoudite de nous renouveler nos agréments
après l’échec probable de la gestion du hajj
cette année. »
Car le vice-président du CHF prédit
l’échec de la plateforme et espère
ainsi voir les voyagistes être remis
sur le circuit pour la saison 2023. «
Les personnes aujourd’hui ont encore
l’habitude de partir avec des agences
agréées », avec un encadrement spécifique
adapté à leurs besoins et une présence
physique quotidienne, estime-t-il.
« On ne peut ni orienter, ni encourager,
ni conseiller des pèlerins de s’engager sur la
plateforme. Moi, je suis d’avis de les alerter
pour qu’ils soient prudents et méfiants. »
Quitte à reporter le hajj aux prochaines
années pour partir dans des conditions
favorables plutôt que de « partir dans
l’inconnu ». Les retours des pèlerins qui
auront tenté l’aventure Motawif sauront
donner une première mesure du niveau
de confiance à engager ou non en la
démarche saoudienne et des efforts que
le gardien des Lieux saints devra engager
pour satisfaire au mieux les musulmans. 
Par Hanan Ben Rhouma
 SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022

RELIGION
16

Hajj 2022 : la hausse explosive des prix

met le monde musulman en émoi
Si l’organisation du hajj dans les pays à majorité musulmane est préservée, ce sont les tarifs du
séjour à La Mecque, au plus haut après la crise sanitaire de la Covid-19, qui sont au cœur de
tous les débats.
L’Arabie Saoudite a enfin ouvert ses
frontières aux pèlerins étrangers, eux
qui étaient interdits d’entrée dans
le royaume pour accomplir le hajj
en 2020 et en 2021. Néanmoins, le
grand pèlerinage est limité. Alors qu’ils
étaient plus de 2,5 millions à faire les
circumambulations (tawaf) autour de la
Kaaba, ils ne sont désormais plus qu’un
million à y être autorisés dont 850 000
provenant des frontières extérieures
saoudiennes dès lors qu’ils disposent
d’un schéma vaccinal complet. En Le top 10 des pays (hors Arabie Saoudite) aux quotas de
les prix qui ont déjà explosé pour la pèlerins les plus élevés en 2022. © Saphirnews.com
outre, les personnes de plus de 65 ans,
saison 1443/2022 pour l’ensemble des
qui constituent le gros du bataillon de pas le cas des Tunisiens pour qui le tarif
musulmans de la planète. En cause,
pèlerins, ont été empêchées de s’inscrire a été annoncé à 26 000 dinars, soit 8
la flambée du prix du kérosène qui
cette saison. 200 euros. Le tout sans compter l’argent
impacte le transport aérien, celui des
Si les autorités ont justifié la limitation de poche pour les dépenses personnelles.
hébergements après des rénovations
du nombre et de l’âge au nom de la Une véritable fortune dans ces pays.
entamées dans le secteur de l’hôtellerie ou
prudence à afficher contre toute reprise
encore l’envolée des taxes saoudiennes.
épidémique, c’est ailleurs qu’il faut voir Une flambée générale qui ne cessera
A cela s’ajoute, pour nombre de pays
la raison. Les autorités se sont en effet pas à l’avenir
en voie de développement, la crise
targuées d’avoir accueilli 4,2 millions de
économique, qui engendre notamment Tandis que les prix très élevés obligent
musulmans, tous âges confondus, pour
une forte dépréciation des monnaies des musulmans à reporter leur voyage,
la omra durant les 20 premiers jours
locales et aggrave l’inflation. Au point pour Kamel S., « la règle sur le hajj, c’est
du Ramadan en avril. Pour Kamel S.,
que des pays ont décidé de ne pas que les prix montent, mais ne redescendent
un fin connaisseur du secteur qui s’est
organiser le hajj cette année comme jamais. Si une personne n’a pas les moyens
récemment rendu dans les Lieux saints,
le Gabon ou le Sri Lanka. Certains de le faire cette année, il sera difficile de les
« la quasi-totalité des contrôles sanitaires
Etats, malgré les difficultés, ont choisi avoir l’année prochaine ». Le hajj devient
sont levés à La Mecque. En réalité, ils
d’augmenter les subventions aux assurément un produit touristique haut
ont entamé de gros chantiers dans divers
pèlerins pour soulager des portefeuilles, de gamme.
sites du hajj et ils ont pris du retard. C’est
mais cela n’a pas toujours suffi. Le hajj est le voyage d’une vie et c’est
surtout pour des raisons logistiques qu’ils
Moults candidats au pèlerinage qui peu de le dire. Au-delà des dimensions
ont limité les quotas ».
ont vu leur pouvoir d’achat prendre un religieuse et spirituelle inhérentes à ce
sacré coup n’ont pas eu d’autre choix rite, son coût a et va toujours alimenter
Les musulmans face à l’envolée record
que celui de se désister pour des raisons les débats intracommunautaires.
des prix
économiques, certains après avoir Rappelons tout de même que ce pilier
Les quotas attribués aux pays ont chuté attendu parfois des années pour être de l’islam est obligatoire pour les
en moyenne de 45 % par rapport à tirés au sort… Le Maroc a fixé le prix à musulmans à condition qu’ils aient les
2019. Qui dit limitation du nombre 63 800 dirhams, soit plus de 6 000 €. Si moyens physiques ET financiers de
dit augmentation de la demande face à les Algériens et les Sénégalais déboursent l’accomplir. Ouf, Dieu merci ! 
l’offre, contribuant ainsi à faire monter une somme à peu près similaire, ce n’est Par Hanan Ben Rhouma
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 SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022

18 Tête d’affiche SANIA HALIFA

« Je dis aux jeunes de

ma génération que
tout est possible ! »
Son physique particulier ne passe pas inaperçu, mais c’est
aussi son charisme que ceux qui la rencontrent retiennent
d’elle du haut de ses 17 ans. Découverte par le réalisateur
Nadir Ioulain où sa vitalité inonde à 360° l’écran dans le film
L’Adrénaline, Sania Halifa décroche le rôle principal dans le

© Faïd Hadji
long métrage Hawa produit par Prime Video. Repérée par une
célèbre marque de luxe, elle incarne cette nouvelle génération
d’actrices sûres d’elles et prêtes à accueillir le succès.

Quelles raisons voyez-vous au regard
positif posé sur vous ?
Sania Halifa : C’est certainement dû à
l’éducation de mes parents. Ils m’ont toujours
élevé dans le « je m’en foutisme » du regard des
autres. (rires) Cette attitude m’a clairement
aidé. C’est d’ailleurs avec cette approche que
j’aborde mon expérience cinématographique
surtout que, dans le cinéma, le regard est
central. De plus, je n’ai jamais vu en France
d’acteurs albinos. Du coup, quand Nadir
(Ioulain) m’a proposé cette toute première
expérience, je me suis dit « pourquoi pas ».
Comment s’est faite la rencontre avec ce
réalisateur ?
Par sa femme ! Car elle fut ma prof d’anglais
quand j’étais en 5e. J’avais 12 ans. Un jour, elle
me dit : « Je te vois bien dans un magazine en train
de raconter ta vie. » C’est une parole incroyable
qui m’a fait énormément de bien. Elle me disait
souvent qu’elle avait confiance en mon avenir, en
ajoutant que j’allais accomplir de grandes choses.
Mais comme j’étais gamine, je me disais au fond
de moi : « Mais qu’est-ce qu’elle raconte ? » Moi,
je me voyais plutôt vétérinaire mais pas du tout
à faire la Une d’un quelconque magazine ou de
m’engager dans quelque chose qui soit visuel
ou même artistique. Alors oui, cette prédiction
m’a donné un supplément de confiance en moi
mais sans franchement trop y croire. Cinq ans
plus tard, elle me contacte en m’expliquant que
son mari est réalisateur et qu’elle me voit bien
dans un rôle. Je me suis donc lancée et ça m’a
énormément plu !
Entretenez-vous des liens avec vos origines
insulaires de l’océan Indien ? BIO EXPRESS
Oui ! Je suis d’origine comorienne et malgache Né en 2005 de parents
par mes parents. Je me sens beaucoup attachée métis dans Le Chesnay,
à la culture malgache car mes parents m’ont Sania Halifa fait sa vie
beaucoup parlé en malagasy. En général, je passe dans les Yvelines dont elle
mes vacances à Madagascar. Mais j’ai visité les affirme son attachement.
Comores pour la première fois cette année. Mes Elle garde une affection
particulière pour la ville de
deux grands-mères sont Malgaches et mes deux Saint-Quentin où vivait son
grands-pères sont Comoriens et, sur le plan des grand-père maternel appelé
coutumes, je me sens plus proche des Comores « le doyen ». Sa maison
du fait de la religion musulmane, surtout que j’ai était le lieu de rendez-
fait le dernier Ramadan là-bas. vous obligatoire de toute
la famille. Elle estime avoir
vécu une enfance « paisible »
Comment avez-vous vécu l’expérience ?
même si elle signale en
Wahouuu ! J’ai vécu une ambiance incroyable. riant qu’elle n’est pas encore
Ca m’a mis dans un délire ! Le matin, tu es sortie de cette phase-là. Elle
réveillée par l’adhan du fajr. Quand le soir arrive, souligne aussi ne pas avoir
tu sais que tu coupes ton jeûne car là aussi, tu eu de soucis particuliers en
entends l’adhan. Même durant la journée, tu rapport avec son albinisme.
Après L’Adrénaline en juin
captes une certaine spiritualité que je n’avais
2021, elle obtient le rôle
pas encore découverte dans mes expériences principal dans Hawa, réalisé
antérieures. Quand arrive l’Aïd, ce sont toutes par Maïmouna Doucouré.
les îles des Comores qui célèbrent la fête. C’est On y suit les pas d’une ado
tout simplement trop bien ! qui, face à la maladie de sa
grand-mère avec laquelle
Que vous inspire le thème centré sur la elle vit, craint de se voir
placée dans un foyer par les
bikelife avec L’Adrénaline ? Avez-vous été services sociaux. Elle élabore
confronté à ce phénomène ? alors un plan pour tenter de
Personnellement, j’ai grandi dans un se faire adopter par une des
premier temps à Guyancourt (Yvelines). J’y femmes les plus puissantes
ai passé ma petite enfance jusqu’à mes 7 ans du monde… De nombreux
avant de m’installer à Plaisir. Là, je vis dans projets cinématographiques
arrosent cette belle graine
un quartier pavillonnaire. Ici, il n’est pas faite pour le 7e art.
question de moto.
www.salamnews.fr
« Le cinéma est encore pour moi trop abstrait pour m’y projeter alors que
l’école reste une valeur sûre. »
C’est calme, n’est-ce pas ? (rires)
C’est très très calme ! (rires) Mais
dans ma ville, il y a aussi un quartier qui
s’appelle le Valibout. Là-bas, je sais que
la moto est très pratiquée. J’ai d’ailleurs
perdu un ami à cause de la moto. Je sais
que cette pratique amuse les gens et je ne
crois pas qu’ils arrêteront parce que c’est
l’un des seuls moyens qu’ils ont pour se
divertir en soi. C’est triste, je le reconnais.
Mais d’un autre côté, je les comprends.
Parce que la moto, c’est aussi l’adrénaline
! Ça crée des sen-sa-tions et c’est ce qui
est recherché. Pourtant, c’est une chose à
laquelle nous devons faire attention. J’ai
17 ans et je sais que les jeunes de mon
âge ne pensent pas à la mort lorsqu’ils
montent sur une moto. Du coup, le film
de Nadir Ioulain m’a beaucoup sensibilisé.
Et vous, quelle est votre adrénaline,
votre « kiffance » ?
Je ne l’ai pas encore trouvé ! Mais je
crois bien c’est sur la route du cinéma.
Franchement, ça m’a énormément plu
! Ça m’a trop fait kiffer en vrai ! Ma
première expérience cinématographique
et en VR en plus ! Certes, on voit une
image sur l’écran mais quand on découvre
l’envers du décor, c’est tout simplement
incroyable. Oui, je pense bien que ce soit
le cinéma. Mais après, je me dis que j’ai
encore le temps de la trouver.
Comment vivez-vous les évènements ?
Franchement, je le vis le plus banalement
possible. Je passe mon bac, je rentre
toujours chez moi avant 21h. Malgré tout
ce qui se passe dans ma vie professionnelle,
ma vie personnelle n’a pas changé. En
fait, à part ma famille, je ne parle pas
de mes projets professionnels dans mon
entourage amical, il y a seulement trois ou
quatre amis au courant. Je ne souhaite pas
ébruiter les choses. Je crains que le regard
de mes amis envers moi change. En soi,
ce n’est même pas la crainte de perdre les
gens mais c’est que, pour l’instant, je suis
bien dans ma vie.
Vous voulez garder votre zone de confort !
C’est exactement ça ! Personnelle
et professionnelle. Mais ça se passe
superbement bien pour le moment.
Et à ceux à qui j’en ai parlé, c’est parce
que je savais que ce sont des gens super
bienveillants envers moi. Et franchement,
ils s’en foutent un peu !
Du haut de vos 17 ans, comment
qualifieriez-vous votre parcours ? Avez-
vous rencontré des facilités particulières,
des contraintes ?
Je n’ai pas subi de discriminations,
j’ai eu une enfance facile contrairement
à d’autres personnes atteintes d’albinisme
que j’ai pu rencontrer et à qui ça leur
arrive de se cacher dans les WC des écoles
pour se soustraire du regard des autres. Les
quelques difficultés que j’ai eues, c’est du
fait de tout autre chose, des choses plus
classiques : d’être femme, d’une famille
noire…
Comment ressortez-vous de ces 50 jours
de tournage pour Hawa ?
Avec une soif encore plus grande de
cinéma !
L’appétit vient en mangeant !
Oui, là j’ai gouté et c’était trop bon !
Je remercie vraiment Nadir de m’avoir
initié au cinéma. Après le tournage de
L’Adrénaline, j’ai été approchée plusieurs
fois par des gens différents pour tourner
dans un nouveau long métrage. A chaque
fois, j’ai refusé. Puis quand je me suis
décidée et que je me suis mise à fond, j’ai
pris conscience que c’est trop bien !
Avez-vous un message à donner aux
lectrices et lecteurs de votre génération ?
Franchement, il y a quelques mois, je
ne me serais jamais entendue dire cela
mais je leur dis : tout est possible ! Pour
autant, je ne négligerai jamais les études.
Le cinéma, c’est bien, mais je ne sais pas
ce qui se passera dans quelques années ou
même dans quelques mois. Malgré tout, le
cinéma est encore pour moi trop abstrait
pour m’y projeter alors que l’école reste
une valeur sûre. Avec de longues études,
on va forcément loin. 
Propos recueillis par Mohammed Colin
19
ABCédaire
A AMOUR
comme
C’est important d’aimer les choses,
d’être aimé, de s’aimer, d’aimer ce qu’on
fait, d’aimer ce qu’on a été, d’aimer ce
qu’on veut être.
B BRILLER
comme
Dans la vie, nous avons tous une lumière
à exploiter. Cette lumière est plus ou
moins vive et c’est à nous de la raviver par
notre intelligence, par nos compétences,
par ce qu’on sait faire et aussi par ce
qu’on souhaite faire. Et c’est encore plus
important de rallumer cette lumière pour
ceux à qui elle est éteinte.
F FEMME
comme
Parce qu’être une femme, c’est trop dure.
Car sans femme, il n’y a rien. Il n’y a pas
de monde !
H HUMOUR
comme
Car j’aime trop rigoler. Selon moi, c’est
même trop important de savoir rigoler,
y compris l’autodérision car ça permet
vraiment de dédramatiser les choses.
C’est aussi un beau moyen de soigner et
de goûter à la joie de vivre.
N NAMIBIE
comme
Ma destination de rêve. Je suis émerveillée
par les images que j’ai vues de leur désert,
on dirait des dessins. Mais comme je suis
une petite peureuse et que j’ai appris
qu’ils avaient des mythes chelous avec les
albinos, alors je suis frustrée !
P PAIX
comme
La paix intérieure comme extérieure. La
paix autour de soi. C’est quelque chose à
acquérir même si c’est parfois compliqué.
Avoir la paix partout dans le monde, c’est
peut-être utopique. Mais la paix autour
de soi, c’est déjà un bel objectif. Savoir
pardonner aux gens, savoir se pardonner
soi-même, c’est très important pour se
sentir bien.
 SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022

20 CULTURE
Au MuCem, le rendez-vous pris avec l’histoire de l’émir Abdelkader
Depuis le mois d’avril, l’émir Abdelkader (1808-1883) est au cœur d’une exposition retraçant son épopée
au Musée des civilisations de l’Europe et la Méditerranée (MuCEM).

EXPO. A Marseille, le MuCEM L’exposition, qui offre un regard complet

met à l’honneur l’émir Abdelkader
auprès du grand public du 5 avril
au 22 août. Quelque 260 œuvres
issues de collections publiques et
privées françaises et méditerranéennes
viennent retracer les multiples vies
d’un homme que rien ne destinait
à devenir un grand chef militaire,
aussi surnommé « le meilleur ennemi
de la France ». « Émir de la résistance,
saint combattant, fondateur de l’État
algérien, précurseur de la codification
du droit humanitaire moderne, guerrier,
homme d’État, apôtre… Les épithètes
– souvent impressionnantes, mais aussi
contradictoires – affluent lorsqu’il s’agit
d’évoquer l’émir Abd el-Kader, dont nous
avons tous entendu parler. Mais connaît-on
assez Abd el-Kader ibn Muhyî ed-Dîn ? »,
s’interroge le MuCEM.
sur une figure historique d’importance
tant pour l’Algérie que pour la France,
« déroule le fil chronologique de sa vie
et explore certains aspects saillants de sa
personnalité et de son action. Par-delà les
éloges et les critiques, la fascination qu’il
continue d’exercer invite à une meilleure
connaissance de son expérience d’homme ;
Photo de l’émir Abdelkader tiré du MuCEM © FR ANOM.
une expérience riche d’enseignements pour Aix-en-Provence (139 APOM/2) - DR
les générations actuelles et futures ».
rangs Ahmed Bouyerdene, chercheur
L’exposition est mise en place l’année en histoire et spécialiste de la vie et de
du 60e anniversaire de la fin de la l’œuvre de l’émir, et Christian Delorme,
guerre d’Algérie. L’initiative permet au prêtre du diocèse de Lyon et acteur du
MuCEM de revenir sur les 130 ans de dialogue interreligieux. A vos agendas ! 
colonisation en Algérie, selon Camille
Par Lina Farelli
Faucourt, commissaire d’exposition
avec Florence Hudowicz. Elles ont Musée des civilisations de l’Europe
et la Méditerranée (MuCEM)
été épaulées dans leur travail par un
1 esplanade du J4 – 13002 Marseille
conseil scientifique comptant dans ses www.mucem.org

Abdelkader, un personnage aussi historique que romanesque

En parallèle du coup de projecteur sur la vie de l’émir algérien au
MuCEM, deux ouvrages parus cette année 2022 lui sont consacrés.
LIVRES. L’émir Abdelkader inspire de lithographies, fait la part belle aux de Frédéric Magnan, nous met sur les
Ahmed Bouyerdene. Avec Abdelkader,
fragments d’un portrait (Al-Bouraq),
c’est un beau livre que l’auteur consacre
à un personnage qui appartient à
l’Histoire. Un ouvrage du genre de
ceux que l’on aime détenir dans une
bibliothèque familiale et que l’on prend
en main de temps à autre pour le plaisir
de le feuilleter. Un livre qui peut se
parcourir de la première à la dernière
des 250 pages en respectant la logique
de présentation, mais qui peut aussi se
prêter à une lecture plus hasardeuse,
en picorant de ci de là parmi les textes
rassemblés par l’historien.
L’ouvrage, richement illustré de photos
d’époque, de tableaux, de dessins et
témoignages directs ou indirects. De
nombreuses personnes ayant rencontré
l’émir l’ont en effet évoqué dans leur
correspondance ou leurs mémoires.
Le résultat est un portrait subtil, par
couches successives, d’un personnage
que la France connait davantage pour
les défaites qu’il lui a fait subir (avant
de s’incliner), que pour sa spiritualité,
sa philosophie soufie et sa dévotion.
Autant d’aspects qui gagnent à être
connus.
Pour les lecteurs férus de romans
historiques, ils pourront se tourner vers
La plume de Taïr. Une vie d’Abd el-Kader
par Rimbaud (Un chat la nuit éditions).
Aussi signé d’Ahmed Bouyerdene,
Par Lionel Lemonier
l’ouvrage, accompagné d’illustrations
traces du célèbre poète français qui,
du grenier de la ferme familiale dans
les Ardennes à la plaine de Ghriss
en Algérie, part à la découverte de
l’émir. En 1869, alors qu’Arthur
Rimbaud a 15 ans, le collégien obtient
le 1er prix du concours de latin de
l’académie des Ardennes sur le thème
« Jugurtha » : « À travers la figure du héros
numide vaincu par Rome, Arthur rend un
hommage explicite au chef algérien Abd
el-Kader qui, une trentaine d’années plus
tôt, lutta héroïquement contre l’invasion
de son pays par la France. Entre rêve et
réalité, (…) des paysages, des personnages
se croisent, des émotions se mêlent pour
composer une fable sur la fraternité. » 
www.salamnews.fr
Le comeback surprise de Diam’s sur petit et grand écran
Mélanie Georgiades, connue sous l’alias Diam’s, fait un retour inattendu sur le devant
de la scène avec un documentaire qui raconte « (sa) vérité ».
CINEMA. Après des années d’absence
sous le feu des projecteurs, Diam’s revient
à la lumière pour le plus grand bonheur
de ses fans, toujours nombreux. Mais
ce n’est pas avec la musique qu’elle fait
son retour mais avec un documentaire
au nom très évocateur : Salam, « paix »
en arabe, en référence à la sérénité
retrouvée de Mélanie Georgiades après
des années de tourmente subie pendant
ses années showbiz.
L’annonce a été faite fin avril par la
plateforme de streaming BrutX, avant
la tenue du Festival de Cannes où
Salam a été diffusé en avant-première.
Mélanie « nous entraîne sur les traces de
Diam’s et révèle dans ce récit intime et
pudique les secrets de son histoire », fait
part BrutX, qui présente Salam comme
Les enseignements spirituels que les spiritualités tirent de la pandémie
Un livre témoigne de l’apport essentiel des religions face aux épreuves
de la maladie et de la mort.
MEDITATION. Dès mars 2020, la communauté,
spécialiste des crises sanitaires Laëtitia
Atlani-Duault, propose aux principaux
responsables religieux français de créer
un espace de réflexion informel sur la
pandémie. « Comme l’écrit Paul Ricœur,
face à l’infortune, "comment peut-on
affirmer ensemble, sans contradiction,
les trois propositions suivantes : Dieu est
tout-puissant ; Dieu est absolument bon ;
pourtant le mal existe ?" », explique
l’anthropologue dans son introduction
au livre Les spiritualités en temps de
pandémie (Albin Michel).
Ce livre à voix multiples est l’écho
d’échanges nourris des participants
– évêques catholiques et orthodoxes,
pasteurs protestants, rabbins,
personnalités musulmanes et moines
bouddhistes – auxquels se sont joints
des « intellectuels ancrés dans chaque
un documentaire « bouleversant »
où l’ex-rappeuse à succès raconte à
cœur ouvert sa descente aux enfers
et ses problèmes psychiatriques. Le
film, réalisé par l’artiste avec Houda
Benyamina et Anne Cissé, entend
soulever « la problématique de la santé
mentale chez une grande artiste française
et le choix délicat de changer de vie ».
Mélanie Diam’s, qui s’était déjà livrée
dans une autobiographie actant « sa
renaissance » qu’elle doit notamment à
l’islam, s’en est expliquée. « Pendant des
années, (…) des demandes nombreuses
de biopics, de séries n’ont cessé d’affluer.
J’avais comme le sentiment que l’on me
demandait de donner les clefs de ma
vie pour que d’autres puissent en faire
un film. Un spectacle », confie-t-elle.
indépendamment du
fait qu’ils occupent – ou non – une
position dans une institution religieuse ».
Résultat, on y trouve des réflexions
pêle-mêle sans forcément de liens les
unes avec les autres, si ce n’est le point
de départ des 14 auteurs : la pandémie,
le confinement, la mort qui rode et peut
en quelques jours enlever un proche
pour toujours.
Pour le moine zen Olivier Wang-Genh,
« à l’heure où les vertus de l’hygiène
physique ne font plus débat, où nous
commençons à comprendre que "l’hygiène
émotionnelle et mentale" est tout aussi
importante, nous découvrons peut-être
qu’une "hygiène spirituelle" est elle aussi
vitale, surtout lorsque nos conditions de
vie sont confrontées aux changements et
à l’interdépendance de tous les êtres en ce
monde ».
CULTURE 21
© BrutX/Black Dynamite
« Salam m’a offert les moyens de raconter,
avec ma vision, mon émotion et mes mots
ce que j’appelle Ma vérité. Il y a certes
l’histoire de Diam’s derrière la femme
que je suis aujourd’hui, mais c’est aussi
un récit humain, et une quête qui peut
faire l’écho à l’histoire de tant de gens qui
se demandent comment trouver la paix
intérieure alors qu’ils se sont perdus dans
le labyrinthe de la vie. » Salam promet
de recevoir un bel accueil du public à sa
sortie sur BrutX et en salles les 1er et 2
juillet.  Par Lina Farelli
Par Lionel Lemonier
L’absence d’un chapitre conclusif à ce
livre original n’est pas étonnante, aucune
conclusion globale n’étant possible
après des réflexions qui se croisent
sans toujours se rejoindre. Le lecteur
peut picorer au gré de sa curiosité pour
aller lire le texte d’une personnalité
qu’il apprécie. On ne saurait trop lui
recommander cependant de prendre
le temps de découvrir le point de vue
de ceux qui lui sont étrangers. Afin de
ne pas passer à côté de la possibilité d’y
trouver des réponses complémentaires.

22 DE VOUS À NOUS
Par Lalla Chams En Nour, psychanalyste
Détruire ou changer
« J’AI VOULU LE REPARER MAIS SES VIEUX DEMONS
NOUS TRAQUENT. Mon époux a un passé lourd dont le
comportement aujourd’hui en est impacté. Abandonné par ses
parents à l’âge de 4 ans, il a été livré à lui-même à 16 ans dans
la rue. A 29 ans, il a perdu en l’espace de deux ans sa petite
sœur, son jeune frère et son père à qui il avait pardonné. Je
l’ai rencontré dans la foulée. Sa vie était un savant mélange de
déséquilibre financier, de bazar administratif et de débauche
relationnelle. Malgré tout, j’ai aimé cet homme. Mais je n’ai
pas réussi à lui apporter la sérénité. Je sais qu’il a rencontré
de multiples femmes pour des ébats sexuels. Il les a fait venir
chez nous, en mon absence. Je suis brisée. Il me supplie de
lui pardonner, je ne pense pas en avoir la force. Je ne veux
pas en parler à ma famille. Je ne veux pas le salir davantage,
c’est le père de mes enfants. Mais je suis perdue. Pourriez-vous
m’apporter des pistes de réflexion sur des étapes à franchir pour
aller mieux avant d’entamer toute réflexion sur l’avenir ou pas
de ce mariage ? » Fahima
Lalla Chams En Nour. Rude coup de la vie, je vous
l’accorde. Vous dites avoir entrepris de le « sauver ». Sans
doute est-ce dans votre caractère, ou à cause de circonstances
de votre enfance, vous avez courageusement accepté d’épouser
cet homme cabossé par la vie. Mais peut-être avez-vous fait
preuve de naïveté : on ne change pas l’autre s’il n’est pas
engagé dans un désir de changement. Le boulot, dans ce
domaine, c’est chacun pour soi. Chacun doit apprendre à se
connaître, à repérer ses failles, ses faiblesses et ses forces aussi.
Une fois mariée, vous dites que vous n’avez pas cherché à voir,
ni à comprendre. Pourquoi ? Il y a un manque de respect
certain dans son attitude. Vous devez discuter ensemble,
pourquoi pas consulter un thérapeute de couple qui pourrait
vous aider à établir de nouvelles bases entre vous. Vous avez
bien raison de ne pas vouloir en parler à la famille : à vous
deux de résoudre cette épreuve. 
SALAMNEWS N° 80 / JUIN-JUILLET-AOÛT 2022
Vous traversez un moment difficile ? Vos réactions et celles
des autres vous surprennent ? Vous avez l’impression
d’être dans une impasse ? Quelle décision prendre ?…
Posez vos questions à devousanous@salamnews.fr
« AMATEUR DE FILMS PORNOS, JE VEUX
VRAIMENT CHANGER. Ma femme m’a surpris en train
de regarder des films pornos plusieurs fois. N’ayant pas vu
les conséquences de mes actes, je n’écoutais rien de ce qu’elle
me disait, que ce soit sur la religion ou sur mon poids car
j’ai beaucoup grossi, entre autres choses. Du coup, j’ai cassé
notre couple. Je lui ai dit que ce n’était pas vrai, mais elle
m’a montré les preuves. Je lui ai demandé pardon mais là,
j’ai vu que c’était parti trop loin et je ne voyais pas que je
faisais souffrir elle et mes filles. Maintenant, je veux être le
meilleur mari qui soit mais elle ne veut pas pour l’instant.
Je lui ai dit qu’il n’y a que les actes qui vont peut-être la faire
changer d’avis et que je vais arriver à changer. Du coup,
je voulais savoir si je dois patienter car j’ai peur qu’elle ne
change d’avis. » Bacary
Lalla Chams En Nour. Voilà une bonne résolution.
Seulement avez-vous la moindre idée de la manière dont
on peut changer ? Se reprendre en main, faire le point sur le
sens de sa vie ? Peut-être pourriez-vous approfondir la remise
en cause que vous avez entamée. Comprendre pourquoi cela
a été si difficile pour vous de prendre vos responsabilités, de
mûrir sur le plan sexuel, de mûrir tout court pour assurer votre
responsabilité d’époux et de père. Cela dit, il me semble que
remettre le couple en cause à cause du porno, cela paraît un peu
léger. N’y-a-t-il pas d’autres comportements que votre femme
a pu vous reprocher ? Vous avez grossi, dites-vous. Compensez-
vous quelque chose ? Avez-vous des frustrations sexuelles ?
Avez-vous tendance à vous laisser aller, à ne pas vous respecter
? Réfléchissez avant de passer aux actes miraculeux sensés
rabibocher votre couple, donnez-vous des challenges, par étape.
Vous pourrez ainsi vous reprendre en main. Je suis sûre que si
vous réussissez, votre femme saura patienter. Elle doit pouvoir
compter sur vous. 
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