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RESUME
Xiaobo tient à faire voir par la suite que les sociétés sont en butte à un
processus de bipolarisation. Cette bipolarisation de la société, selon l’auteur, peut se
comprendre sur un angle doublement dépréciatif et appréciatif. Car, il existe, d’une part, la
dépréciation des valeurs officielles et, d’autre part, l’appréciation des valeurs de la société.
Par ainsi, le pouvoir vient appartenir au gouvernement et la moralité à la société. Au vu de
l’auteur, l’usage des termes, comme <<société civile>>, d’<<expression de la société>>, de
<<discussions politiques non officielles>>, de <<résistance de la société>>, de
<<désobéissance civile>> et de <<non-violence de la société>>, dans les prises de parole
publiques emmène les intellectuels à revendiquer leur appartenance aux positions non
officielles, comme s’il suffisait d’être non officiel pour être à la fois public, populaire,
anticonformiste, non gouvernemental et impartial, pertinent et vertueux.
Après, l’auteur procède à une différence statutaire entre les intellectuels, les
experts et les masses populaires. Selon lui, par leur savoir spécialisé et leur position
valorisée dans la société résultant de leur attention particulière pour la chose publique, les
intellectuels se distinguent des experts. En vertu de cette classification, il convient de voir
que les intellectuels n’appartiennent à aucun groupe d’intérêts privé, restent fidèles au
savoir et à la pensée, puis acceptent leur devoir envers la société, ainsi que la morale
universelle. D’autre part, par leurs connaissances et leur facilité de parole, les intellectuels
diffèrent des masses. C’est ainsi, pour Xiaobo, l’intellectuel doit posséder une conscience
sociale. Et avec cette conscience sociale, il peut, à travers sa parole, influencer l’opinion
publique, les idées populaires et les politiques gouvernementales. Et c’est dans ce sens qu’il
a affirmé que la parole de l’intellectuel n’est pas un murmure de boudoir ou une mondanité
de banquet. Ou encore, toute pensée n’a pas uniquement le pouvoir de transformer les
concepts, mais aussi de transformer l’histoire elle-même. Il en résulte donc l’idée que
lorsque le discours de l’intellectuel sort de son domaine de spécialisation propre pour
entrer dans la sphère publique, il doit s’appuyer sur une conscience sociale indépendante,
un fonds de connaissances riches et variées et une vision rationnelle, claire et pertinente. Il
en résulte également l’idée que l’intellectuel doit dire la vérité à la société et avant tout au
pouvoir en place.
Pour asseoir son postulat, Xiaobo forge une analogie. Si donc ne pas
mentir et ne pas voler sont des exigences morales minimales, alors légitimer le mensonge
par crainte de voir ses intérêts menacés revient à dire qu’une personne qui pille et vole
sous la crainte de la faim et du froid, n’a pas enfreint l’exigence commune de ne ni piller ni
voler. Car, s’il en est ainsi, les actions contraires à la morale entreprises ici par suite des
difficultés ne relèveraient pas d’une violation de cette même morale comportementale et
on serait exposé à un relativisme moral radical, compris comme une variation des normes
de morale publique en fonction des impératifs de la situation ou en fonction des
convictions et des perceptions des acteurs qui y participent. Deviendrait, par conséquent,
superflue toute distinction entre moralité et immoralité ou entre agissements moraux et
ceux immoraux. Ici, Xiaobo s’en prend non seulement à l’attitude chinoise, selon laquelle
en situation de contrainte, il est possible de mentir si l’on ne nuit pas à autrui, mais aussi à
l’apologie publique du mensonge et la prétention d’en faire une exigence élémentaire ayant
un quelconque fondement moral, idée développée par Qian.
Dans son texte, Xiaobo laisse aussi comprendre que le devoir de véracité
semble ne concerner que les discours publics. Car, s’attaquant aux trois exigences de la
prise de parole des gens proposées par le professeur Qian, Il en vient à interdire la défense
publique du mensonge et le recours au mensonge lors de la prise de parole. Ce qui nous
conduit à croire que l’interdiction du mensonge par Xiaobo n’est postulée qu’à l’endroit des
discours publics. Or, le devoir de véracité, en tant que condition humaine universelle, est à
appliquer dans toutes les sphères de la société. En effet, chez Kant, le mensonge est
envisagé sur un angle doublement éthique et juridique. Dans les Leçons d’éthiques, la
Fondation de la Métaphysique des Mœurs et la Doctrine de la vertu, Kant aborde le mensonge
comme une faute morale. En tant que faute morale, il est condamnable en ce qu’il constitue
la plus grave violation du devoir de l’homme envers lui-même, étant la sincérité. Le
mensonge est ainsi vu comme le renoncement de l’homme à sa personnalité et à sa qualité
d’homme véritable. D’autre part, dans D’un prétendu droit de mentir par humanité, Kant
tient à montrer que tolérer un droit de mentir rendrait la société impossible et
condamnerait à jamais l’humanité à l’état de nature (CF, Amadou Sadjo Barry,
L’interdiction du mensonge chez Kant, Université de Montréal, Janvier 2010). Dans ce
double angle, la vérité est une vérité due, si ce n’est pas à autrui, à l’humanité en général. Et
le mensonge porte éthiquement et juridiquement préjudice à autrui ou à l’humanité. D’un
coté, le mensonge discrédite l’humanité et, de l’autre coté, il disqualifie la source du droit.
Dans cet ordre d’idée, le devoir de véracité ne doit pas concerner que les discours publics.
Car, même si par le mensonge on ne nuirait ni à la société, ni au pouvoir en place, ni aux
discours publics, on porterait quand même atteinte à l’humanité en général. En ce sens, il
ne faut jamais mentir, ou encore il faut dire absolument la vérité. Par conséquent, même
dans la sphère privée des gens, il est recommandé de ne pas mentir. Mais, si comme l’a si
bien dit Kant tolérer un droit de mentir rendrait la société impossible, ne peut-on pas dire,
au contraire, ne pas tolérer le mensonge dans la société la rendrait impossible ? Disons
mieux, si tant est que ce soit vrai, comme l’a souligné Alexandre Koyré, que le mensonge est
le propre de l’homme, pourquoi interdire le mensonge ?
LA CRITIQUE DE L’INTERDICTION ABSOLUE DU MENSONGE
D’autre part, Edward Bernays, dans son texte Propaganda, montre que la
démocratie moderne donne lieu à une seule forme de gouvernement <<La Propagande>>.
Selon lui, on est en butte à un processus de manipulation de la mentalité des masses, où on
impose les modes, les produits, même le profil idéal d’un président aux masses. Par ce qu’il
appelle <<la fabrique du consentement>>, on arrive à forger le gout et le choix des masses
et à leur imposer un mode de vie. Cette fabrique du consentement crée ce qu’on pourrait
appeler en termes d’Herbert Marcuse l’<<homme unidimensionnel>>. Tout ceci montre
que l’on vit dans un monde où tout est falsifié ou dans un monde qu’on nous présente autre
qu’il n’est. Alors, dans ce monde falsifié et falsificateur, comment pouvons-nous exercer
notre devoir de véracité ? Autrement dit, comment dire la vérité à un monde qui n’est pas
lui-même véridique ? Ou encore, à quoi bon d’être véridique dans un monde faux ? Ou
enfin, à quoi bon de ne pas mentir pour ne pas porter atteinte à cette humanité fausse et
falsifiée, une humanité qui porte préjudice à elle-même ? En tout cas, en dépit de tout, il ne
peut en aucune façon être exigé au niveau de la métaphysique du droit le droit de mentir.
Sinon, le commandement moral serait contradictoire à lui-même. Et l’humanité envers
laquelle devons-nous avoir le devoir de véracité, tant s’en faut, n’est pas cette humanité
physique (falsifiée et falsificatrice), mais l’humanité métaphysique.
CONCLUSION
Alexandre Koyre, Reflexions sur le mensonge, Ed. Allia, Paris, 1996, 1998, 2004
http://fr.wikipedia.org/wiki/Restriction_mentale
Le 09 Septembre 2015