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Institut des Vaisseaux et du Sang, Centre de Recherche cardiovasculaire Inserm Lariboisière, Inserm U689, AP-HP Hôpital
Lariboisière, 8, rue Guy Patin, 75010 Paris
<gerard.tobelem@lrb.aphp.fr>
L
es maladies cardiovasculaires ischémiques représentent un problème
majeur de santé publique dans les pays développés. Malgré les
progrès réalisés dans la prévention des facteurs de risque (tabac,
hypercholestérolémie, hypertension artérielle, diabète...) et la prise
en charge des complications thrombotiques, ces pathologies restent au premier
plan de la morbidité et de la mortalité (140 000 décès/an en France). Les lésions
vasculaires athéromateuses sont parfois si avancées que les traitements médi-
caux ne parviennent pas à prévenir l’accident ischémique aigu. Malgré une large
panoplie de traitements (chirurgie cardiaque et vasculaire, pontage, pose de
stent), de nombreux malades ayant fait un infarctus du myocarde vont dévelop-
doi: 10.1684/stv.2007.0165
Aspiration
de la moelle
Administration
de la thérapie cellulaire
1 Homing/Migration
(CXCR4/SDF-1) 2 Adhésion
(sélectines, intégrines)
Mobilisation
des cellules
progénitrices
(VEGF, SDF-1)
4 Sécrétion de
3 Incorporation/Invasion
Moelle osseuse facteurs paracrines
et différenciation
(VEGF, SDF-1, HGF…)
Territoire ischémique
Signaux d’activation
(hypoxie, inflammation)
Figure 1. Les mécanismes impliqués dans le recrutement des cellules progénitrices sur le site ischémique. L’ischémie tissulaire
permet la sécrétion de facteurs chimio-attractants (SDF-1, VEGF...) nécessaires au recrutement des cellules progénitrices. L’arrêt des
cellules au niveau de l’endothélium ischémique est régulé par de nombreuses molécules d’adhésion (sélectines, intégrines). Après leur
recrutement, les cellules progénitrices pourront exercer leur action pro-angiogénique en s’incorporant dans les néovaisseaux (vasculo-
genèse post-natale) ou en sécrétant des facteurs capables de stimuler l’angiogenèse et/ou le remodelage vasculaire. Dans le cas d’une
thérapie cellulaire utilisant les cellules souches de la moelle, les cellules sont sélectionnées puis administrées chez le patient.
la néovascularisation locale, avec un effet fonctionnel parti- marrow mononuclear cells) ont été isolées puis injectées
culier sous forme d’augmentation du flux vasculaire. Notre par voie intramusculaire (40 injections) au niveau du mus-
équipe a contribué à cette validation de la preuve du concept cle jumeau ischémié. Cette procédure a été réalisée sur
chez l’animal [9-11]. De plus, la majorité des études rap- deux groupes de patients :
portent l’incorporation des cellules préalablement mar- – le groupe A (25 patients) dans lequel les patients présen-
quées au site de néovascularisation, suggérant la participa- tent une ischémie unilatérale : les patients ont reçu une
tion directe des cellules administrées au niveau des injection de BM-MNC dans le membre ischémique alors
structures vasculaires préexistantes. que du sérum physiologique a été injecté dans le membre
controlatéral.
– le groupe B (22 patients) dans lequel les patients présen-
La thérapie cellulaire de l’ischémie
tent une ischémie bilatérale : une randomisation a attribué
des membres inférieurs l’injection de BM-MNC dans un membre et de cellules
À partir des résultats très prometteurs de la thérapie cellu- mononucléées du sang périphérique (PB-MNC, peripheral
laire pro-angiogénique obtenus sur des modèles animaux blood mononuclear cells, utilisées comme contrôle) dans
d’ischémie de la patte, une équipe japonaise a réalisé une l’autre.
étude pilote de phase I/II chez des patients présentant une Dans les deux groupes, après 4 et 24 semaines suivant
ischémie des membres inférieurs [12]. Sous anesthésie l’injection des cellules, une amélioration significative de
générale, 500 mL de moelle osseuse ont été prélevés. Les tous les critères cliniques (augmentation de l’index de
cellules mononucléées de la moelle (BM-MNC, bone pression distale à la cheville, de la pression transcutanée en
BMC : cellules de la moelle osseuse ; CPC : progéniteurs circulants du sang périphérique ; LVEF : Fraction d’éjection ventriculaire gauche.
l’inverse, dans un essai plus large publié par V. Shächinger bolique ainsi qu’une amélioration de la fraction d’éjection
(étude REPAIR-AMI), 204 patients atteints d’un infarctus globale [31]. Par ailleurs, de petits foyers de cellules mus-
aigu ont reçu soit un placebo, soit des cellules de la moelle culaires squelettiques ont été identifiés sur une pièce histo-
par injection intracoronaire 3 à 7 jours après une thérapie de logique d’un patient décédé 17 mois après l’injection de
reperfusion. Quatre mois après l’injection, le groupe ayant myoblastes [32]. Ces résultats encourageants et promet-
reçu la thérapie cellulaire présente une fraction d’éjection teurs ont justifié la mise en place d’un essai clinique de
ventriculaire plus élevée que le groupe placebo (augmenta- phase II (essai MAGIC), en aveugle, randomisé, multicen-
tion 2,5 %). De plus, un an après, l’administration des trique international regroupant environ 300 patients.
cellules de moelle est associée à une réduction du taux de Utilisation des cellules souches médullaires. De nom-
mortalité liée à la récidive d’un infarctus [29]. breux essais cliniques de phase I sont en cours et visent à
évaluer la faisabilité et la tolérance d’injection de types
Les essais pratiqués dans la phase chronique cellulaires issus de la moelle osseuse. Chez des patients
de l’infarctus (tableau II) ayant fait un infarctus du myocarde, l’injection locale (par
Concernant la phase chronique de l’infarctus, seules les voie transépicardique) des cellules CD133+ de la moelle
myoblastes et les cellules souches hématopoïétiques sont osseuse permet une amélioration de la reperfusion cardia-
cliniquement disponibles. A ce jour, une dizaine d’essais de que dans la zone infarcie [33]. Par ailleurs, chez 8 patients
phase I/II sont publiés. ayant présenté un ou plusieurs infarctus, l’administration
Utilisation des myoblastes. En janvier 2001, l’équipe de intramyocardique de cellules mononucléées de la moelle
P. Ménasché révèle une première mondiale. Un patient permet une réduction des épisodes angineux, ainsi qu’une
atteint d’une insuffisance cardiaque grave consécutive à un amélioration des paramètres cinétiques myocardiques, trois
infarctus du myocarde a reçu, au cours d’un pontage coro- mois après la thérapie cellulaire [34]. De plus, S. Fuchs a
naire, l’injection de myoblastes (cellules souches adultes décrit l’injection de cellules médullaires filtrées chez dix
prélevées dans le muscle squelettique qui ont la capacité de patients présentant une ischémie myocardique chronique
se diviser et de se différencier en fibres musculaires) dans la sans indication chirurgicale. Trois mois après l’administra-
partie nécrosée du muscle cardiaque. Cinq mois après la tion des cellules, une amélioration de la symptomatologie
greffe, la fonction ventriculaire est significativement amé- fonctionnelle a été observée chez huit d’entre eux [35].
liorée [30]. Par la suite, 10 patients ont reçu une injection Récemment, dans l’étude TOPCARE-CHD, 75 patients
autologue de myoblastes directement dans la zone nécro- présentant un infarctus d’au moins trois mois ont reçu par
sée. Les résultats démontrent une reprise de l’activité méta- voie intracoronaire, soit des cellules mononucléées de la
BMC : cellules de la moelle osseuse ; CPC : progéniteurs circulants du sang périphérique ; LVEF : fraction d’éjection ventriculaire gauche.
moelle, soit des cellules progénitrices issues du sang péri- tions restent encore non résolues : Quel type cellulaire
phérique, soit un placebo. Trois mois après l’injection des utiliser ? Quelle est la meilleure voie d’administration ?
cellules, le groupe ayant reçu les cellules de la moelle Quand faut-il injecter les cellules ? Quel est le nombre
présente une fraction d’éjection globale supérieure au optimal de cellules à administrer ? Faut-il répéter les injec-
groupe traité avec les cellules du sang périphérique ou avec tions ? A quelle fréquence. Existe-t-il une toxicité à moyen
le placebo [36]. Cette amélioration de la fonction cardiaque et à long terme ?
est en relation avec une augmentation de la contractilité Pour tenter de répondre à ces questions, il est donc indis-
locale au niveau du point d’injection. pensable de procéder à une optimisation du protocole de
thérapie cellulaire au cours des phases d’isolement et/ou
d’expansion des progéniteurs.
La thérapie cellulaire
soulève de nombreuses questions
Les stratégies pour améliorer la thérapie
L’ensemble de ces études permet de conclure à un effet cellulaire dans les pathologies ischémiques
positif de la thérapie cellulaire. La plupart soulignent la
faisabilité et l’absence de toxicité majeure. Néanmoins, ces Le nombre réduit de cellules progénitrices disponibles (no-
études portent sur de petits effectifs et ne sont pas toujours tamment chez le sujet âgé) et le faible taux d’incorporation
randomisées. Par ailleurs, cette stratégie présente plusieurs des cellules constituent des éléments limitants de la théra-
avantages par rapport à la thérapie génique. Tout d’abord, pie cellulaire. Par conséquent, de nouvelles stratégies vi-
les cellules sont injectées de façon autologue, prévenant sant à améliorer l’efficacité de la thérapie cellulaire sont
ainsi tout risque de rejet. Elle élimine également le risque actuellement en cours d’évaluation (figure 2).
théorique de pathologies induites par la thérapie génique, La première consiste à prétraiter les cellules avec des peti-
liées soit directement à l’action du facteur de croissance tes molécules (inhibiteur de la p38, activateur de l’expres-
codé par le plasmide injecté, soit à une insertion du plas- sion de la NO synthase endothéliale, stimulation avec la
mide dans le génome. Cependant, la stimulation de l’angio- sphingosine-1-phosphate) avant leur injection afin d’amé-
genèse par l’administration de cellules médullaires ou liorer leurs fonctions biologiques (survie, capacité de recru-
d’EPC peut induire d’effets secondaires comme l’activa- tement, adhésion...) [39]. Notre équipe a mis au point une
tion du développement tumoral, l’accélération de l’athéros- procédure originale et innovante d’optimalisation d’acti-
clérose ou d’une rétinopathie (notamment chez le vité pro-angiogénique des EPC dérivés du sang de cordon
diabétique). humain. À cette fin, nous avons ciblé le système Eph
Cette stratégie constitue donc un espoir thérapeutique pour récepteurs/éphrine ligands, système connu pour jouer un
de nombreux patients. Cependant, de nombreuses ques- rôle dans le développement du système vasculaire. Nous
Conclusion
avons montré que l’activation du récepteur EphB4 par la
protéine recombinante ephrinB2-Fc permet d’augmenter La thérapie cellulaire apparaît comme une thérapeutique
de 50 % l’activité pro-angiogénique des EPC dans un mo- prometteuse, susceptible d’améliorer le pronostic des mala-
dèle murin d’ischémie des membres inférieurs. Nos résul- des atteints de pathologies cardiovasculaires ischémiques.
tats in vitro indiquent que l’augmentation de l’activité Le développement préclinique de la thérapie cellulaire est
pro-angiogénique est régulée par un processus d’adhésion particulièrement rapide parce que plusieurs sources de cel-
dépendant du couple E/P-sélectine et PSGL-1 [40]. lules progénitrices adultes peuvent être utilisées : myoblas-
La deuxième stratégie consiste en une association de la tes provenant de muscles squelettiques, cellules souches
thérapie cellulaire avec une thérapie génique. Dans un hématopoïétiques de la moelle osseuse, cellules souches
modèle d’infarctus du myocarde, la combinaison de l’admi- mésenchymateuses, cellules souches embryonnaires (ES),
nistration de cellules humaines CD34+ associée à une théra- etc.
pie génique au moyen d’un plasmide codant pour le Les résultats des premiers essais cliniques sont encoura-
VEGF-2 (VEGF-C), permet d’améliorer la fonction cardia- geants mais devront être confirmés sur des cohortes de
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