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La responsabilité civile du médecin au regard de la prescription de
médicaments
Catherine DELFORGE1 2 Conjointement aux firmes pharmaceutiques productri-
ces de ces produits particuliers de consommation2, le méde-

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SOMMAIRE cin, en sa qualité de prescripteur, et le pharmacien, en sa
qualité de “vendeur”, assument une responsabilité dans
Prenant appui sur des sources législatives, doctrinales et l’accès des consommateurs aux médicaments puisque c’est
jurisprudentielles récentes, la présente contribution rap- à eux que revient légalement le monopole de décider si une
pelle les devoirs qui s’imposent à la légitimité – principale- substance soumise à prescription peut être délivrée. Une
ment sur le plan civil – de l’acte médical en général et de décision rendue par la cour d’appel d’Anvers3 le 18 juin
l’acte de prescription en particulier. Quatre exigences 2001 est exemplaire de cette réalité. Un médecin avait pres-
cumulatives fixent en effet les obligations s’imposant au crit à une de ses patientes deux médicaments – du Sporanox
médecin: l’existence d’un but curatif, l’obligation de don- (traitement dermatologique) et du Triludan (antihistamini-
ner des soins conformes aux données actuelles de la que) – dont l’interaction, ainsi que le dosage “anormal”,
science, l’obligation de donner des soins “consciencieux et provoquèrent un trouble du rythme cardiaque entraînant le
attentifs” et l’obligation d’informer le patient afin de décès de celle-ci. Le médecin prétendit ne pas être cons-
recueillir son consentement libre et éclairé. Une place par- cient des effets néfastes d’une telle combinaison médica-
ticulière est ici accordée à l’obligation d’information et à menteuse alors que, pourtant, la littérature scientifique de
l’exigence d’un consentement éclairé, désormais formelle- l’époque contre-indiquait déjà leur prise simultanée. Le col-
ment consacrées par les articles 7 et 8 de la récente loi du lège d’experts mandaté par le tribunal conclut dès lors à
22 août 2002 relative aux droits du patient. l’existence d’une faute professionnelle. Considérant le lien
de causalité également établi, la cour confirma la décision
SAMENVATTING intervenue au premier degré de juridiction ayant mis à
charge du médecin la réparation de l’entièreté du préjudice.
Steunend op recente bronnen uit de wetgeving, de rechtsleer Quant au pharmacien qui avait délivré à la patiente le Spo-
en de rechtspraak brengt deze bijdrage een overzicht van de ranox, ainsi que d’autres médicaments (Gunoterazol,
plichten waaraan het medisch handelen over het algemeen Mycolog et Diflucan), mais non le Triludan dont l’échan-
en het voorschrijven door de arts in het bijzonder moeten tillon avait été directement remis par le médecin traitant, il
beantwoorden om – hoofdzakelijk burgerrechtelijk – recht- fut affranchi de toute responsabilité en raison de l’absence
matig te zijn. Vier vereisten, die tegelijk bepalen inderdaad de causalité certaine entre sa faute, pourtant reconnue, et le
de verplichtingen waarnaar de arts zich moet schikken: het dommage.
bestaan van een helend oogmerk, de verplichting om zorgen
te verstrekken die overeenstemmen met de huidige stand 3 Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel
van de wetenschap, de verplichting om 'gewetensvolle en établi et confirmé par une doctrine abondante. Elle rappelle
toegewijde' zorgen te verstrekken en de verplichting om de au premier titre, certes au regard d’une situation particulière
patiënt in te lichten teneinde zijn vrije en weloverwogen dramatique, les principes qui gouvernent la responsabilité
instemming te bekomen. Een bijzondere plaats wordt hier du médecin dans son acte de prescription et de traitement.
ingeruimd voor de verplichting tot voorlichting en voor de Nous nous proposons dès lors, dans les lignes qui suivent,
vereiste van een weloverwogen instemming, die voortaan de reprendre ces principes et de pointer les évolutions juris-
uitdrukkelijk zijn ingevoerd door de artikels 7 en 8 van de prudentielles intervenues ces dernières années, tant en
recente wet van 22 augustus 2002 betreffende de rechten France qu’en Belgique, et dont certaines font désormais
van de patiënt. l’objet d’une consécration légale4 (section 1). La seconde
partie de notre étude consistera quant à elle en une brève
1 Probablement de manière moins perceptible que lors analyse de la responsabilité supportée par le pharmacien
d’une intervention pratiquée directement sur la personne du dans le cadre de son monopole de délivrance (section 2).
patient, la prescription de médicaments s’inscrit à la croisée
des différentes exigences imposées par le droit afin
d’asseoir la légitimité de l’acte médical. Faisant suite à 2. On se souviendra des tristes affaires de la Thalidomide, du Stalinon,
l’établissement d’un diagnostic, c’est elle qui cristallise la du Distilbène (D.E.S.), ou encore plus récemment de la cérivastatine
thérapeutique choisie. En ce qu’elle clôt le colloque singu- délivrée sous la dénomination de Lipobay (Bayer) et de Cholstat
(Fournier Pharma) ...
lier entre le médecin et son patient, elle présuppose égale- 3. Ce numéro.
ment que le premier ait dispensé au second une information 4. Loi française n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des
correcte et compréhensible afin de recueillir son consente- malades et la qualité du système de santé, J.O., n° 54 du 5 mars 2002,
p. 4118 (v. également E. Guigou, Projet de loi relatif aux droits des
ment libre et éclairé. Ce faisant, l’acte de prescription est un malades et à la qualité du système de santé, assemblée Nationale,
acte de confiance, mais aussi de responsabilité. Document 3258, 11 septembre 2001, 175 pages); loi belge du 22 août
2002 relative aux droits du patient, M.B. 26 septembre 2002. On
notera utilement que la récente loi française a maintenu le principe de
la responsabilité pour faute, sous réserve de la responsabilité encou-
rue en raison d’un défaut du produit et du régime institué relative-
1. Assistante à l’U.C.L., Avocat au Barreau de Bruxelles, Simonet Kel- ment aux infections nosocomiales. V. notamment le dossier publié in
der Domont Paramore & Mertens. Petites Affiches juin 2002, n° 122, en particulier pp. 67 à 92.

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Nous verrons que cette responsabilité, loin d’être subsi- soins consciencieux, attentifs et conformes aux données
diaire à celle incombant au médecin, s’y ajoute au con- actuelles de la science, en contrepartie de quoi le patient
traire, les investissant tous deux d’une responsabilité propre s’engage à le rémunérer.

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dans l’accès des patients aux médicaments nécessaires à
leur traitement. 5 Les éléments de la responsabilité. La légitimité de
l’acte médical présuppose le respect de plusieurs exigences:
Section 1. La faute civile du médecin5
A. Le caractère nécessaire de l’intervention médicale: le
§ 1. Les critères de la faute médicale but thérapeutique

4 Un contrat médical. Depuis l’arrêt Mercier rendu le 20 6 L’acte médical ne sera légitime que s’il est posé dans un
mai 1936 par la Cour de cassation française6, et dont le but thérapeutique. L’immunité, pénale et civile, du médecin
principe a ensuite été repris en Belgique également7, tout en dépend. Le “but curatif” est établi dès que l’acte parti-
médecin est en règle8 lié à son patient par un “contrat médi- cipe au bien-être, physique ou psychologique, du patient et
cal”. Sur la base de celui-ci, il s’engage à prodiguer des ne l’expose pas à des risques disproportionnés au regard du
résultat recherché9.

7 L’exigence d’un but thérapeutique présente une acuité


5. Nous n’envisagerons dans cette étude que la responsabilité issue de particulière en médecine expérimentale. La doctrine belge
la relation entre un médecin et son patient, laissant volontairement
de côté les situations où un médecin est susceptible d’engager sa res- admet largement que le médecin recourt à des méthodes
ponsabilité envers un tiers, comme par exemple s’il remet à un non encore établies si l’objectif poursuivi demeure la guéri-
membre de la famille du patient un médicament périmé qui, au son du patient10. Il en est à tout le moins ainsi lorsqu’une
moment de l’ouverture de son conditionnement, explose et le blesse
grièvement (Cass. fr. 30 juin 1976, J.C.P. 1979, II, 19038, note). telle thérapeutique constitue un remède ultime pour le
6. Cass. fr. 20 mai 1936, D. 1936, pp. 88-96 et R.T.D. Civ. 1936, 691, patient parce qu’il n’existe pas de traitement standard capa-
n° 20 avec obs. R. DEMOGUE, “Prescription de l’action en responsa-
bilité contre un médecin”. V. également C. THOMAS, “La distinction
ble d’aider sa guérison ou d’abréger ses souffrances, ou
des obligations de moyens et des obligations de résultat”, Rev. Crit. encore parce que les autres méthodes reconnues ne peuvent
1937, 636; C. FALQUE, “La responsabilité du médecin après l’arrêt avoir des effets bénéfiques sur sa santé.
de la Cour de cassation du 20 mai 1936”, Rev. Crit. 1937, 609. V.
également HOCQUET-BERG, Obligation de moyens ou obligation de
résultat? À propos de la responsabilité civile du médecin, Thèse, 8 Dans ces situations, la responsabilité du médecin découle
sous la direction de Fr. CHABAS, L.G.D.J., 1995; Th. VANSWEEVELT, du contrat d’expérimentation conclu avec le patient et dont,
La responsabilité civile du médecin et de l’hôpital, Maklu Uitgevers,
Ced.Samsom, Bruylant, 1996, nos 1 et s., pp. 17 et s., selon qui un par application du droit commun, les obligations demeurent
arrêt du 8 février 1932, rendu par la Cour de cassation française, des obligations de moyens, à tout le moins face à un mal
annonçait déjà la nature contractuelle de la relation médicale (Cass.
fr. 8 février 1932, Gaz. Pal. 1932, 1, 733 et note).
incurable. La relativité et l’incertitude des connaissances
V. cependant le commentaire de Fr. DREYFUSS-NETTER relativement scientifiques tolèrent difficilement une plus grande rigueur
au régime mis en place par la loi du 4 mars 2002 sur les droits des dès lors qu’en ce domaine, plus que dans tout autre de la
malades et à la qualité du système de santé: “Feue la responsabilité
civile contractuelle du médecin”, Resp. civ. et Ass., J.C.P. octobre médecine, le risque nul est illusoire. Un praticien diligent ne
2002, n° 10, p. 4. devrait cependant pas s’engager dans une expérimentation
7. V. en particulier Civ. Bruxelles 6 février 1946, J.T. 1946, p. 304 qui ne présente pas un minimum de garantie quant au fait que
selon lequel “il existe entre le médecin et le patient un concours de
volontés qui est générateur d’obligations pour les deux parties: le l’état de santé du patient ne sera pas aggravé par le traitement
médecin s’engage à prodiguer ses meilleurs besoins au malade, et expérimental qu’il propose. Conjointement à cela, l’obliga-
celui-ci à se soumettre au traitement prescrit et à en payer le prix.
De même que le médecin invoque ce contrat lorsqu’il réclame ses
tion d’information incombant à l’expérimentateur nous paraît
honoraires au patient, celui-ci est en droit de l’invoquer lorsqu’il devoir être renforcée et imposer à ce dernier qu’il envisage
exige du médecin l’accomplissement de ses obligations”. avec le patient tous les effets secondaires susceptibles
V. en doctrine notamment: P. HENRY, “La responsabilité civile du
médecin”, in Les frontières juridiques de l’activité médicale, Actes d’apparaître et de lui faire part de l’éventuelle incertitude
du colloque organisé par la Conférence Libre du Jeune Barreau de scientifique quant à l’efficacité du traitement.
Liège le 8 mai 1992, Éd. J.B. Liège, 1993, p. 16; R. ANDRÉ, Les res-
ponsabilités, Bruxelles, Bureau d’Études R. André, 1981, 787; H.
DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, IV, Bruxelles,
Bruylant, 1972, p. 974, nos 847 et 858; A. MEINERTZHAGEN-LIM-
PENS, “La responsabilité civile des médecins en droit belge”, Rap-
ports Belges au Xème Congrès International de Droit Comparé,
Bruxelles, Bruylant, 1978, 686; H. NYS, “De overeenkomst in het
kader van de uitoefening van geneeskunde. Gisteren, vandaag en
morgen”, in De overeenkomst. Vandaag en morgen, Anvers, Kluwer,
1990, pp. 498-501; Th. VANSWEEVELT, La responsabilité civile du
médecin et de l’hôpital, Anvers, Maklu Uitgevers – Diegem,
Ced.Samsom – Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 17 et s. (et les nom-
breuses références jurisprudentielles citées).
8. Ce type de relation se limite cependant à la sphère privée, ce qui
exclut les soins dispensés dans les hôpitaux dépendant de C.P.A.S. et
dans les hôpitaux universitaires où les médecins sont soumis à un
régime réglementaire. Est également exclue la médecine d’urgence
puisque le patient est alors dans l’incapacité d’exprimer son consen- 9. Liège 28 avril 1980, R.G.A.R. 1981, 10.294.
tement. 10. H. NYS, Droit et médecine, p. 313, n° 812 et les références citées.

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9 Notons en outre que la matière des expérimentations et 11 Ces différentes sources convergent pour poser cinq
des essais cliniques de médicaments connaît un cadre légis- exigences principales au déroulement des essais clini-
latif et réglementaire strict. Quant à la législation belge11, ques16: le respect de l’intégrité physique et de la vie privée

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l’arrêté royal du 16 septembre 1985 concernant les normes du patient; l’exigence de la permanence du consentement
et protocoles applicables en matière d’essais cliniques de de ce dernier pendant toute la durée de l’expérimentation17;
médicaments à usage humain12 fixe les principales condi- l’“acceptatibilité” scientifique de l’expérimentation – au
tions du déroulement de tels essais. Concernant plus direc- travers de sa validité, sa nécessité, sa pertinence, sa faisabi-
tement le médecin, l’arrêté royal du 6 mars 2002 renfer- lité scientifique, ainsi que sa justification –; la présence
mant les principes de bonnes pratiques de laboratoire et la d’un équilibre entre les avantages recherchés, sur le plan
vérification de leur mise en application pour les essais individuel, mais aussi le cas échéant sociétaire, et les ris-
effectués sur les substances chimiques13, ainsi que la circu- ques encourus ainsi que le suivi de l’expérimentation par
laire ministérielle n° 391 du 10 août 2000 concernant les une personne “qualifiée”.
essais cliniques de médicaments à usage humain parfont le
régime applicable en encadrant tant le contrôle étatique et B. L’obligation de donner des soins conformes aux données
scientifique de la conduite de tels essais, que la mise sur le actuelles de la science18
marché du médicament et les obligations devant être res-
pectées par l’expérimentateur. 12 Le médecin engage sa responsabilité lorsqu’il ne res-
pecte pas les règles de l’“art médical”, compte tenu de la
10 De même, les articles 89 à 94 du Code de déontologie science et des techniques existant au moment de l’acte qu’il
médicale relatifs à l’expérimentation humaine, ainsi qu’une pose. Le respect des règles de l’art nécessite au premier titre
multitude d’avis, rendus par le Comité consultatif de bio- que le médecin s’informe des progrès scientifiques19. Il ne
éthique14 et le Conseil national de l’Ordre des médecins15, pourrait se prétendre exonéré au motif qu’il ignorait de tels
fixent également les exigences minimales de déroulement progrès lorsque la prise en considération des informations
des expérimentations en rappelant les principales obliga-
tions imposées.

15. V. notamment l’avis du 19 septembre 1998 relatif aux protocoles de


recherche; la directive du 17 janvier 1998 relative aux bordereaux à
compléter par le médecin expérimentateur (Bull. Ordre, 80, p. 20) et
la directive du 18 février 1995 relative au recrutement des patients
(Bull. Ordre, 68, 30); l’avis du 19 janvier 1980 sur l’expérimentation
clinique (Bull. Ordre, 28); l’avis du 17 mars 1979 relatif à l’éthique
médicale et l’expérimentation humaine (Bull. Ordre, 27) l’avis du
16 janvier 1999 relative à la prescription d’un médicament non
encore enregistré (Bull. Ordre); ainsi que les avis relatifs aux essais
11. On notera utilement qu’au niveau européen, la Directive 2001/20/ cliniques de médicaments des 21 février 1987 (Bull. Ordre, 36, p.
CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant 19), 21 novembre 1992 (audit des essais cliniques et secret profes-
le rapprochement des législations relativement à l’application de sionnel) (Bull. Ordre, 59, p. 26), 22 août 1992 sur l’expérimentation
bonnes pratiques cliniques dans la conduite d’essais cliniques de de médicaments (Bull. Ordre, 58, p. 18), 20 août 1994 sur la respon-
médicaments à usage humain (J.O.C.E. L 121/34 1er mai 2002) – et sabilité dans le cadre des essais cliniques (Bull. Ordre, 66, p. 17), 14
dont la transposition doit intervenir pour le 1er mai 2003 afin que ses avril 1984 (Bull. Ordre, 32, p. 45), 16 décembre 1995 (Bull. Ordre,
dispositions soient applicables à dater du 1er mai 2004 –, fixe les exi- 71, p. 27), 13 décembre 1997 (Bull. Ordre, 80, p. 17), 13 décembre
gences minimales devant présider à la conduite des essais cliniques. 1986 (Bull. Ordre, 36, p. 14), 19 mai 2001 (Bull. Ordre, 93, p. 4).
La scène internationale compte quant à elle deux textes d’une 16. V. sur ce point H. NYS, Médecine et droit, pp. 318 et s., nos 821 et s.
importance capitale, et dont l’application dépasse les seuls essais 17. Cette exigence demeure controversée dans le cas de patients ne pou-
cliniques: le Code de Nuremberg de 1947 (In P. FERLENDER et E. vant consentir en raison de leur état (coma végétatif continu, patients
HIRSCH (sous la direction de –), Droits de l’homme et pratiques soi- mourants ou morts cérébralement avec la particularité que ces der-
gnantes, textes de référence 1948-2001, 2ème édition augmentée, AP- niers ne sont plus juridiquement des personnes, mais des cadavres),
HP/Doin – Éditions Lamarre 2001, pp. 303-304) et la Déclaration notamment lorsque aucune personne n’est juridiquement habilitée à
d’Helsinki adoptée lors de la 18ème assemblée générale de l’Associa- le représenter (auquel cas un consentement par “substitution” pour-
tion Médicale Mondiale en juin 1964 (Ethical Principles for Médi- rait être défendable selon certains auteurs). V. relativement à cette
cal Research Involving Human Subjects). S’y joignent des codifica- question: H. Nys, o.c., pp. 322-323 et les références citées.
tions plus informelles, quoique tout aussi contraignantes pour les 18. Ce critère fut consacré pour la première fois par la Cour de cassation
médecins, comme l’International Ethical Guidelines for Biomedical française dans son arrêt Mercier, du 26 mai 1936 (cf. supra) et est
Research Involving Human Subjects du Conseil de l’Organisation désormais repris par l’art. 1111-5 du Code français de la Santé
internationale des sciences médicales (CIOMPS) – complétant la publique, tel qu’inséré par la loi du 4 mars 2002 sur les droits des
Déclaration d’Helsinki précitée –, et le Guide européen d’éthique et malades et la qualité du système de santé. Le critère est également
de comportement professionnel des médecins (1981). repris par l’art. 34 § 1er du Code belge de déontologie médicale.
12. M.B. 13 novembre 1985 (entrée en vigueur le 13 novembre 1985). 19. V. art. 4 du Code de déontologie médicale. Rappelons que la législa-
Cet arrêté royal a été modifié à plusieurs reprises, dont la plus tion sur les médicaments prévoit elle-même que le médecin a le droit
récente est celle intervenue par l’arrêté royal du 12 août 2000 (M.B. d’être informé par le Ministère de la Santé publique relativement à
29 août 2000 (entrée en vigueur le 8 septembre 2000)). “(...) tous les aspects du médicament et son utilisation, notamment
13. M.B. 12 mars 2002 (entrée en vigueur le 22 mars 2002). sur le bon usage thérapeutique et sur les rapports effets/risques et
14. Avis du Comité consultatif de bioéthique n° 13 du 9 juillet 2001 qualité/prix.” La diffusion d’une information indépendante doit se
relatif aux expérimentations sur l’homme, plaidant notamment pour faire par l’entremise d’experts désignés par le ministre de la Santé
la promulgation d’une loi-cadre fixant les exigences minimales (art. 7bis § 4 de la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments, M.B. 17
devant présider à toute expérimentation sur l’homme. avril 1964; entrée en vigueur le 17 avril 1964).

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existant dans ce domaine au moment où les soins ont été dis- C. L’obligation de donner des soins “consciencieux et
pensés aurait permis que la faute ne soit pas commise20. attentifs”

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13 L’exigence de conformité aux données actuelles de la 16 L’exigence de dispenser des soins consciencieux et
science s’applique tant au diagnostic et aux investigations attentifs, dégagée par la Cour de cassation française lors de
préalables, qu’au traitement lui-même et au suivi de celui- l’arrêt Mercier24, et désormais légalement consacrée par
ci. l’article 5 de la loi du 22 août 200225,26 relative aux droits
du patient, n’est qu’une application de l’obligation faite au
14 Deux exemples jurisprudentiels illustrent notre pro- médecin d’agir comme le ferait un praticien normalement
pos. Le premier ressort d’une décision rendue par la Cour prudent et diligent dans des circonstances de fait données27.
de cassation française le 19 décembre 200021 et met en Elle s’impose en outre aux différents stades de l’interven-
cause la responsabilité d’un médecin dans le choix d’un tion médicale (diagnostic28, traitement et choix de la théra-
traitement ne correspondant pas aux techniques pratiquées pie29, intervention chirurgicale et surveillance post-opéra-
mais étant le seul à pouvoir être financièrement supporté toire30, surveillance et aide des patients ...).
par le patient. En l’espèce, un dentiste avait proposé à une
de ses patientes l’extraction de dents et la pose d’une pro- C.1. LE DIAGNOSTIC
thèse mobile en raison de l’incapacité de celle-ci à payer le
coût d’un traitement plus adapté. La prothèse se révéla 17 Le choix d’un traitement adapté présuppose l’établis-
défectueuse et occasionna une grave infection buccale. La sement d’un diagnostic correct. Si toute erreur de diagnos-
cour d’appel infirma la décision rendue en première tic ne constitue pas une “faute”, elle pourra être qualifiée de
instance qui retenait la responsabilité du praticien et exo- telle s’il est établi qu’un médecin normalement prudent et
néra ce dernier, considérant que l’expert avait occulté le diligent ne l’aurait pas commise. Positivement, cette règle
problème de la prise en charge financière et le fait que la exige du médecin qu’il prenne toutes les précautions néces-
prothèse posée correspondait à ce que la patiente pouvait saires et normales afin de poser un diagnostic exact.
seul financièrement supporter. La Cour de cassation cassa
cependant cet arrêt au motif qu’une telle circonstance ne 18 Il a été notamment jugé sur ce point que commet une
justifiait pas de dégager le médecin de toute responsabilité. faute le médecin qui “(...) émet hâtivement un diagnostic
erroné et qui prescrit dans ces conditions, sans précautions
15 La seconde affaire est plus ancienne et a été portée suffisantes, un traitement présentant des risques sérieux”31,
devant le tribunal correctionnel de Bruxelles à la fin des ainsi que celui qui pose un diagnostic à la légère, sans faire
années 6022. Un médecin bruxellois avait prescrit à une de procéder aux examens que les circonstances imposaient
ses patientes un médicament amaigrissant, du Dinitrophé- pourtant32. De même, pourra être rendu responsable le
nol®, afin de l’aider dans la perte de ses kilos superflus. médecin qui soumet son patient à des examens superflus et
Les effets secondaires de cette substance se révélèrent risqués en vue de poser son diagnostic33.
cependant importants puisque la patiente fut atteinte d’une
cataracte, entraînant une cécité complète. Pour se dégager 19 L’exigence d’une consultation médicale préalable. Il
de la responsabilité qui lui était imputée, le médecin avait parait évident d’exiger de tout médecin d’ausculter, ou à
notamment invoqué le fait que les effets néfastes présentés tout le moins d’interroger, son patient avant de lui prescrire
par le Dinitrophénol® n’avaient été décrits qu’aux Etats- un traitement médicamenteux. Une consultation médicale
Unis et qu’en raison de la coupure avec l’Europe pendant la nécessite un interrogatoire précis, ainsi qu’un examen clini-
guerre, les écrits scientifiques qui y étaient consacrés
n’avaient pu lui être enseignés durant ses études. Le tribu-
nal correctionnel de Bruxelles n’accueillit pas l’argument23,
24. V. cependant Cass. fr. 8 février 1932, Gaz. Pal. 1932, I, 733 et note.
considérant que cette circonstance ne permettait pas davan- 25. Loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, M.B. 26 septem-
tage de le libérer de toute responsabilité. bre 2002, 43719. Selon cette loi, en effet, le patient peut prétendre à
des soins “de qualité” et correspondant à “ses besoins”.
26. V. également la loi française du 4 mars 2002 sur les droits des mala-
des et la qualité du système de santé, modifiant les dispositions du
Code de la Santé publique.
27. Liège 16 septembre 1996, R.G.A.R. 1998, 12.896.
28. V. notamment, en jurisprudence française: Cass. fr. (2 arrêts) 8
juillet 1997, Bull. Civ., nos 238 et 239 et J.C.P. 1997, II, n° 366, qui
retient la responsabilité d’un médecin ayant persisté de manière
injustifiée dans un diagnostic erroné. De même, les investigations
20. V. notamment Cass. fr. 6 juin 2000, Bull., n° 176; Cass. fr. 20 juin préalables à un diagnostic correct doivent avoir été accomplies:
2000, Bull., n° 192. L’on ne tiendra compte que des données acquises Cass. fr. 31 mai 1960, Bull., n° 302; Cass. fr. 29 novembre 1989,
au moment des soins, et non de celles découvertes postérieurement. Bull., n° 366.
21. Cass. fr. 19 décembre 2000, Bull., n° 331. 29. Cass. fr. 23 avril 1959, Bull. Civ., n° 337.
22. Bruxelles 21 juin 1967, J.T. 1968, p. 27 et Pas. 1968, II, 42. 30. Cass. fr. 7 juillet 1993, Responsabilité civile et assurances 1993, n°
23. Notons que la responsabilité du médecin ne fut en l’espèce pas rete- 375.
nue au motif que l’action était prescrite. Par application des ancien- 31. Mons 29 septembre 1986, R.G.A.R. 1987, 11.282.
nes dispositions relatives à la prescription, en effet, le délai avait 32. Gand 13 octobre 1969, R.W. 1969-70, col. 680 Liège, 26 mars 1991,
commencé à courir le jour de la prise de médicaments et non de Pas. 1991, II, p. 132.
l’apparition du dommage. 33. Anvers 14 mai 1990, B.A. 1990, p. 805.

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que. Selon certains auteurs34, le médecin commettrait déplace personnellement au domicile du patient. Il ne doit
nécessairement une faute en n’accordant pas au patient une le faire que s’il estime la situation urgente. Le médecin
consultation médicale préalable. Il en serait de même du prendra cependant toujours soin de donner suite aux appels

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médecin qui accepterait de soigner un patient par corres- qui lui sont adressés car il ne peut avoir la certitude que
pondance et de lui adresser, sur la base de ses seules plain- l’instruction qu’il a éventuellement donnée par téléphone a
tes subjectives, des prescriptions qu’il prétend indiquées au été appropriée38,39.
mal dont il souffre. La cour d’appel de Bruxelles allait dans
ce sens lorsqu’elle affirmait, dans un arrêt du 7 novembre C.2. LE TRAITEMENT
198535, que “l’ordonnance médicale et particulièrement
l’ordonnance prescrivant des stupéfiants, n’est pas, ne peut 1. LA LIBERTÉ THÉRAPEUTIQUE40
pas être et ne peut à aucun prix devenir une formalité admi-
nistrative destinée à la comptabilité du pharmacien et prou- 21 La liberté thérapeutique du médecin trouve une assise
vant simplement que le porteur a payé quelque chose au légale dans l’article 12 de l’arrêté royal n° 78 du 10 novem-
médecin pour obtenir ce document. L’ordonnance est en bre 196741. Elle implique, comme le soulignait la cour
effet un écrit dans lequel le médecin prend la responsabilité d’appel de Paris dans un arrêt du 14 décembre 192242, une
d’affirmer que tel médicament, que l’expérience de la loi “indépendance scientifique” interdisant toute ingérence
interdit de vendre librement car il peut être dangereux, est dans le libre choix du traitement proposé au patient.
cependant nécessaire au rétablissement et au maintien de
la santé de son patient. Le médecin ne peut prendre cette 2. UNE LIBERTÉ “SOUS SURVEILLANCE”
responsabilité qu’après avoir examiné son patient et cal-
culé que le bien à attendre de cette médication permet 22 Si cette liberté est la règle, il n’en demeure pas moins
d’accepter le risque de lui faire ingérer une substance que qu’un médecin ne peut, sous peine d’engager sa responsabi-
la loi définit comme dangereuse, notamment parce qu’elle lité civile – et le cas échéant pénale –, préconiser n’importe
peut créer ou accroître une intoxication”. quel traitement. Il sera responsable s’il fait le choix d’une
méthode que n’aurait pas choisie un médecin normalement
La rigueur de cette exigence doit cependant se concilier prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances de
avec les circonstances de l’espèce36, et notamment s’adap- fait. Sa liberté demeure dès lors étroite: elle ne couvre que
ter aux situations d’urgence. S’il est appelé par téléphone les choix diagnostiques et thérapeutiques et son exercice
par un patient dont l’état requiert une décision immédiate, abusif sera nécessairement sanctionné.
et sans qu’une auscultation préalable ne soit matériellement
possible, le médecin peut – doit – bien entendu poser un 23 Il a été jugé, au regard de cette exigence, que commet
premier diagnostic et donner certaines instructions à titre une faute le médecin qui remet à son patient des médica-
conservatoire37. ments périmés ou dont il n’a pas préalablement vérifié
l’indication au regard de l’état de santé du patient43, de
20 La visite à domicile. L’exigence d’une consultation
médicale n’implique pas nécessairement que le médecin se

34. M. HARICHAUX-RAMU, Juris-Classeur, Responsabilité civile et


assurances, Fasc. 440-3, p. 3, n° 3. 38. Un médecin a ainsi engagé sa responsabilité pour ne pas s’être rendu
35. Bruxelles 7 novembre 1985, J.T. 1986, p. 371 et Pas. 1986, II, p. 13. immédiatement chez un patient qui l’avait contacté à plusieurs repri-
V. également Civ. Arlon 30 mai 1984, J.L. 1985, p. 108 selon lequel ses alors qu’il aurait dû, au regard des plaintes portées à sa connais-
commet une “légèreté professionnelle” le médecin qui, appelé par le sance, effectuer une visite à domicile: Civ. Anvers 30 novembre
service neuropsychiatrique d’un hôpital au sein duquel avait été 1987, Rev. dr. Santé 1990, p. 123 et note Th. VANSWEEVELT, “Tele-
amenée une personne en état d’ébriété, prescrit par téléphone, et fonisch advies en schade wegens verlies van een kans”.
sans avoir ausculté et interrogé le patient, des médicaments destinés 39. La situation sera bien entendu différente selon que le médecin connaît
à traiter son état éthylique. La responsabilité du médecin ne fut ou non le patient qui le contacte. Dans le second cas, une plus grande
cependant pas retenue du chef d’homicide involontaire en raison de prudence sera requise. V. notamment, relativement à cette question:
l’absence de causalité. Th. VANSWEEVELT, La responsabilité civile du médecin et de l’hôpi-
36. Th. VANSWEEVELT, La responsabilité civile du médecin et de l’hôpi- tal, Anvers, Maklu Uitgevers, 1996, pp. 124 et s., nos 179 et s.
tal, Anvers, Maklu Uitgevers, 1996, p. 124, n° 178. 40. V. P. HENRY, “La responsabilité civile du médecin”, in Les frontières
37. La situation des médecins travaillant au sein du Centre antipoison juridiques de l’activité médicale, Actes du colloque organisé par la
est particulière sur ce point. Leur mission est bien entendu différente Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège le 8 mai 1992, Éd. J.B.
de celle qui incombe à un médecin traitant puisqu’il ne leur appar- Liège, 1993, pp. 93 et s.
tient en principe pas de recevoir les patients en consultation, mais 41. Ce principe est également repris par l’art. 36 du Code de déontolo-
uniquement de fournir des informations de “première ligne”. De gie médicale ainsi que par la Déclaration de l’Association Médicale
même, ils ne sont pas directement concernés par la prescription de Mondiale adoptée lors de la 38ème assemblée générale de Rancho
médicaments puisque celle-ci n’entre pas dans leur mission. Ces Mirage (Etats-Unis) en octobre 1986.
médecins doivent cependant questionner le patient sur ses plaintes 42. C.A. Paris 14 décembre 1922, R.T.D. Civ. 1923, pp. 499 et s. et
subjectives et poser les questions pertinentes devant permettre de observations R. DEMOGUE.
poser un premier diagnostic et, éventuellement, d’orienter le patient 43. V., en lien avec une telle situation, Bruxelles 11 juin 1993 (rejet en
vers son médecin traitant ou un hôpital. V. sur ce point notamment cassation du pourvoi introduit: Cass. 20 octobre 1994, R.G.
G. SCHAMPS, “L’établissement d’un diagnostic à distance et la res- C930485F, Pas. 1994, I) (injection d’étomidate au lieu de Xylocaïne
ponsabilité médicale, Observations sous Liège 3 octobre 1995”, Rev. 5% lors d’une intervention chirurgicale). V. également Bruxelles 31
dr. Santé 1996-97, pp. 8-17. mai 1985, inédit (disponible sur Juris).

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même que celui qui s’abstient de vérifier les effets secon- D. L’information du patient et l’obtention de son consente-
daires d’un médicament prescrit44. ment libre et éclairé48

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24 Le renouvellement des prescriptions. Le renouvelle- D.1. L’OBLIGATION D’INFORMATION INCOMBANT AU
ment des prescriptions médicamenteuses doit bien entendu MÉDECIN
respecter les exigences imposées lors de l’établissement de
la première ordonnance45. Au moment de renouveler une 27 Le principe. Tout médecin est tenu à une obligation
prescription, le praticien ne pourrait donc accepter la systé- d’information et de sincérité. Il doit clairement informer
maticité et partir du présupposé qu’un médicament bien son patient et obtenir son consentement49. Le principe est
supporté par un patient lors d’un précédent traitement le acquis et se trouve désormais formellement consacré par les
sera nécessairement ultérieurement. Un nouvel examen de articles 7 et 8 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits
santé doit, dans la mesure du possible, avoir lieu. du patient50.

25 La prescription de médicaments dont l’enregistre- 28 Débiteur et créancier de l’obligation d’information.


ment a été suspendu en Belgique. Un médecin qui remet à Le consentement doit être obtenu par tout médecin qui
son patient une ordonnance relative à un médicament sus- entend accomplir un acte médical et doit être maintenu
pendu en Belgique mais que ce dernier prétend pouvoir jusqu’au moment où celui-ci est effectivement posé51. Il est
acheter à l’étranger engage sa responsabilité, tant sur le également acquis que le médecin ne pourrait prétendre gar-
plan pénal que civil. De même, le pharmacien ne peut der le silence uniquement parce qu’il “suppose” que le
s’approvisionner dans un pays étranger sous peine de pharmacien informera ensuite le patient des effets secondai-
méconnaître l’arrêté royal du 6 juin 1960 relatif à la fabri- res du médicament qu’il a prescrit (comme la fatigue en cas
cation, la distribution et la délivrance des médicaments46. de conduite d’un véhicule après la prise de somnifères).
C’est en effet sur le médecin prescripteur lui-même que
26 La prescription d’un médicament pour lequel il repose, au premier titre, ce devoir d’information52, et ce
n’existe aucune autorisation de mise sur le marché en indépendamment de celui qui incombe également au phar-
Belgique. La situation précédente doit être distinguée de macien53.
celle où le médicament prescrit n’existe tout simplement
pas sur le marché belge. Dans ce cas, en effet, l’article 48, § 29 Créancier de l’obligation d’information. Si c’est au
1er de l’arrêté royal du 6 juin 196047 relatif à la fabrication, patient qu’il revient de consentir seul, il arrive fréquemment
la distribution en gros des médicaments et à leur dispensa- que le médecin informe également les enfants et/ou le con-
tion prévoit que le pharmacien à qui une prescription rela- joint du diagnostic qu’il a posé, faculté que valide par
tive à un tel médicament est remise peut “exceptionnelle- ailleurs le Code de déontologie médicale à moins que le
ment” importer et délivrer la spécialité pharmaceutique. patient ne s’y soit opposé54. Nous pensons pour notre part
Dans ce cas, le médecin prescripteur devra cependant
remettre à son patient une ordonnance nominative ainsi
qu’une “déclaration” distincte par laquelle il affirme que 48. V. notamment I. CORBISIER, “Pouvoirs et transparence dans la rela-
celui-ci ne peut “être adéquatement traité au moyen des tion thérapeutique”, R.G.A.R. 1990, 11.682. V. également, pour des
médicaments disponibles à ce moment en Belgique et que le considérations plus philosophiques quant à la notion de consente-
ment et de contrat, L. GUIGNARD, “Les ambiguïtés du consentement
traitement au moyen de la spécialité pharmaceutique en à l’acte médical en droit civil”, R.R.J. 2000-01, pp. 45 et s.; Th.
question est nécessaire”. Cette déclaration sera valable VANSWEEVELT, Rechtspraak- en Wetgevingsbundel Gezondheids-
recht, Mys & Breesch, 1996, en particulier pp. 86 à 127.
pendant la durée qu’elle précise et, en cas d’absence de spé- L’information du patient constitue une préoccupation constante des
cification, pendant une durée maximale d’un an à dater de législateurs nationaux. V. par exemple la loi danoise n° 482 du 1er
sa signature. juillet 1998 sur le statut juridique des patients; les artt. 446 à 468 du
NBW tels qu’insérés par la loi relative à l’accord en matière de trai-
tement médical (1995).
49. Civ. Nivelles 5 septembre 1995, R.R.D. 1995, n° 75, p. 298; Bruxel-
les 24 décembre 1992, R.G.A.R. 1994, n° 6, p. 12.328 et R.G.D.C.
1995, p. 208 avec note Th. VANSWEEVELT.
50. V. également, en France, l’art. 16-3, al. 2 du Code civil, les artt.
1111-1 à 1111-9 du Code de la Santé publique et l’art. 35, al. 1er du
décret 95-1000 du 6 septembre 1995 contenant le nouveau Code de
déontologie médicale. V. enfin, en Belgique, la “Charte du patient
hospitalisé”, annexée à la circulaire ministérielle n° 95-22 du 6 mai
1995.
51. V. notamment, sur le principe, Cass. 14 décembre 2001, R.G.A.R.
44. Civ. Hasselt 10 décembre 1993, Rev. dr. Santé 1996-97, p. 124; 2002, 13.488.
Bruxelles 29 juin 1982, R.G.A.R. 1984, 10.719; Gand 5 décembre 52. Cour Mil. 4 avril 1962, R.W. 1962-63, 900 et note qui confirme C.G.
1975, R.W. 1975-76, col. 1053. Bruxelles 24 octobre 1961, R.W. 1962-63, 909 (destination de sup-
45. Civ. Charleroi 9 mai 1989, J.T. 1990, p. 48 et R.R.D. 1989, p. 523 positoires à la codéine); BGH 27 octobre 1981, N.J.W. 1982, 697
(erreur grossière, et réitérée lors du renouvellement, dans le dosage (effets nocifs du Myambutol) également cités par Th. VANSWEE-
d’un médicament). VELT, La responsabilité civile du médecin et de l’hôpital, Anvers,
46. M.B. 22 juin 1960. Maklu Uitgevers, 1996, p. 204, n° 315, notes 761 et 762.
47. V. également, relativement à cette question, la circulaire ministé- 53. G. SCHUT, “De apotheker: zijn verantwoordelijkheid en aansprake-
rielle n° 415, laquelle a été adressée à tous les médecins et reprend, lijkheid”, Rev. dr. Santé 1982, 180. V. également infra, nos 56 à 60.
en annexe, un formulaire-type de déclaration. 54. Art. 33, al. 2 du Code de déontologie médicale. V. également l’art. 62, a.

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TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH BURGERLIJK RECHT

que l’information dispensée aux tiers doit demeurer limitée. 32 Les risques devant être portés à la connaissance du
Une telle communication ne pourrait ainsi, en principe, être patient. Une question récurrente en doctrine et en jurispru-
complète que si le patient a expressément autorisé son dence, et que n’aborde pas ouvertement la loi nouvelle58,

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médecin à procéder de la sorte. Admettre le contraire con- est celle de la nature des risques devant être portés à la con-
treviendrait au respect dû à sa liberté individuelle et à sa vie naissance du patient. Selon certains auteurs, l’obligation
privée. Il ne pourrait en aller autrement que de manière d’information imposée au médecin devrait être interprétée
exceptionnelle, lorsque, face à un diagnostic ou pronostic de manière raisonnable et seuls les risques normaux et pré-
graves, le médecin estime que l’intérêt du patient l’autorise visibles – à l’exception des risques exceptionnels59 –
à méconnaître son devoir de réserve envers les proches dont devraient être révélés60.
il juge le soutien être une composante même de la thérapie
ou de l’aide médicale qu’il propose55. 33 L’on perçoit cependant en ce domaine une évolution
certaine en jurisprudence française. Jusqu’à récemment,
30 Une information compréhensible. L’information celle-ci considérait que les risques “exceptionnels” – à sup-
communiquée au patient doit l’être dans un langage qu’il poser que ceux-ci puissent être définis dans la mesure où un
comprend (article 8 de la loi du 22 août 2002). Le patient critère purement quantitatif paraît incertain (quelle fiabilité
attend une vérité qui lui soit accessible sous peine de quoi il accorder aux statistiques en ce domaine?) et un critère qua-
ne peut librement consentir. litatif trop arbitraire – ne devaient pas être portés à la con-
naissance du patient61, sauf dans certaines circonstances
31 Une information complète. L’information dispensée particulières62.
au patient doit également être complète56. La loi du 22 août
2002 relative aux droits du patient précise désormais l’éten-
due du devoir d’information, dont la teneur peut le cas
échéant devoir être confirmée dans un écrit (art. 7 § 2 al.
2)57. Notons que c’est sous l’angle du consentement (art. 8)
que la loi envisage les éléments d’information obligatoires.
Elle précise que doivent être portés à la connaissance du
patient: l’objectif, la nature, le degré d’urgence, la durée, la
fréquence, les contre-indications, effets secondaires et ris-
ques inhérents à l’intervention et pertinents pour le patient;
les soins de suivi, les alternatives possibles et les répercus-
sions financières; les conséquences possibles d’un refus ou
d’un retrait du consentement, ainsi que les autres précisions
“jugées souhaitables” par le patient ou le praticien profes-
sionnel.

58. Les termes de la loi sont en effet très larges. Ils laissent penser, à
notre estime, que l’information à donner au patient doit être com-
plète, quelle que soit la nature du risque présenté par un traitement.
Qu’est-ce, en effet, qu’un risque “pertinent” pour le patient? Vise-t-on
de la sorte les seules conséquences “graves”?
59. Sur le principe, voir notamment: Mons 11 janvier 1999, R.G.A.R.
55. V. en France, l’art. 1111-4 du Code de la Santé publique français (tel 2001, 13.353 (angiographie); Civ. Neufchâteau 9 juin 1999, Rev. dr.
que modifié par la loi du 4 mars 2002) envisage expressément cette Santé 2000-01, p. 296. Quant à la définition du caractère “exception-
hypothèse et autorise la communication de données relatives au nel” du risque, le Professeur Th. VANSWEEVELT a proposé de retenir
patient uniquement en cas de diagnostic ou pronostic grave, et ce la théorie dite du “risque significatif” (o.c., p. 214, n° 333) en fonc-
afin de permettre aux membres de la famille ou à la personne de tion de quatre critères: la fréquence du risque, la gravité de ce der-
confiance désignée par le patient, d’apporter à ce dernier “un soutien nier, la personnalité du patient (état physique, conditions profession-
direct”. nelles et de vie, personnalité), la nature et le but de l’intervention. V.
56. Il est fait exception à ce principe en cas d’“impossibilité, urgence notamment Th. VANSWEEVELT, La responsabilité civile du médecin
qui exige une intervention rapide, refus éclairé du patient d’être et de l’hôpital, Maklu Uitgevers, Ced.Samsom, Bruylant, 1996, pp.
informé, ou caractéristiques qu’il présente, imposant, dans son inté- 207 et s., nos 323 et s. Quant à l’obligation d’information limitée aux
rêt, de limiter l’information”: P. SARGOS, “L’évolution du droit de la risques présentant une certaine fréquence, voyez: Civ. Courtrai 3
responsabilité médicale dans la jurisprudence civile de la Cour de janvier 1989, R.W. 1988-89, 1171; Civ. Nivelles 5 septembre 1995,
cassation française”, R.G.A.R. 1999, 13.134/3; P. SARGOS, rapport R.R.D. 1996, pp. 298 et s.; Civ. Neufchâteau 9 juin 1999, Rev. dr.
sous Cass. fr. civ. 14 octobre 1997, J.C.P. éd. G., 1997, II, 22.942, Santé 2000-01, pp. 296 et s.
spécialement nos 18 et s. 60. V. également H. et L. MAZEAUD, selon lesquels “l’obligation du
57. V. également l’art. 1110-2 du Code français de la Santé publique, tel médecin n’est pas seulement de prévenir le malade du danger que
qu’il a été inséré par les artt. 9 et 11 de la loi du 4 mars 2002 relative tel traitement ou opération peut lui faire courir, mais de le mettre au
aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il est par courant du traitement, dangereux ou non, qu’il propose de lui appli-
ailleurs intéressant de noter que l’obligation d’information imposée quer”. H. et L. MAZEAUD, obs. sous Civ. Lyon 12 janvier 1951, D.
au médecin est maintenue, par application dudit code, en cas de sur- 1951, 313.
venance d’un litige, obligeant expressément le médecin d’informer 61. V. notamment Cass. fr. 20 janvier 1987, Bull. Civ., n° 19, p. 14.
le patient des circonstances et des causes de son dommage dans les 62. C’était le cas de la chirurgie esthétique. V. notamment C.E. Fr. 15
15 jours de la survenance de celui-ci (art. 1142-4). mars 1996, Durand, Rec. C.E., p. 85.

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La Cour de cassation de France a cependant, par deux arrêts 34 Cette rigueur paraît d’autant plus certaine que la cour
du 7 octobre 199863, refusé d’acquiescer à pareille tolé- a, plus récemment encore, considéré qu’un médecin ne peut
rance, à tout le moins lorsque de tels risques peuvent être limiter son obligation d’information quant à la gravité du
qualifiés de “graves”64. Selon la cour, en effet, “hormis les

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risque uniquement pour la raison que l’intervention préco-
cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être nisée était médicalement nécessaire65. Au vu de ces princi-
informé, un médecin est tenu de lui donner une information pes, rares devraient être les situations de fait dans lesquelles
loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents le médecin pourrait effectivement se prétendre dégagé
aux investigations et soins proposés et il n’est pas dispensé d’une information complète des risques du traitement pré-
de cette information par le simple fait qu’un tel risque ne se conisé.
réalise qu’exceptionnellement”. Il ressort de ces arrêts que,
selon la haute juridiction française, le médecin a l’obliga- 35 Application du principe à la prescription de médi-
tion d’informer le patient des risques graves du traitement caments. Le principe posé s’applique bien entendu à la
ou de l’intervention qu’il préconise, mais également qu’il prescription de médicaments, comme à tout autre acte
n’est pas dispensé de cette obligation uniquement parce que médical. La jurisprudence belge, renforcée par une doctrine
les risques seraient en l’espèce exceptionnels. convaincante66, impose en effet au médecin d’informer son
patient des risques “significatifs” que ceux-ci présentent,
mais également “des effets, de l’utilisation, de la dose et
des effets prévisibles”67. L’information à communiquer au
patient ne porte en principe pas sur les effets secondaires
très rares, sauf si les conséquences corporelles qui en
63. Cass. fr. 7 octobre 1998, Civ. Bull., n° 287 et n° 291. V. également: découlent sont graves, ce qui constitue une question de fait.
Cass. fr. 10 mai 2000, Affaire Denis c. Queinnec, R.G. 98-19332
(manipulation cervicale entraînant le syndrome de Wallenberg);
Cass. fr. 9 octobre 2001, Affaire Beaufort c. Bovet, inédit (risque 36 L’exception thérapeutique. Il reste que, et les auteurs
d’algodystrophie nécessitant une amputation lors d’une intervention français et belges se rejoignent sur ce point, l’obligation
chirurgicale pratiquée sur un doigt); Cass. fr. 9 octobre 2001, Bull.
2001, n° 252, p. 159 (2ème arrêt) (intervention chirurgicale à visée
d’information peut en tout cas être limitée lorsque des
fonctionnelle et esthétique causant une nécrose de la plaie et des con- impératifs thérapeutiques le justifient68 ou lorsque telle est
séquences esthétiques graves). V. également E. NAHON, “L’obligation la volonté du patient69. “Le médecin garde la faculté de
d’information du médecin et de l’avocat”, Gaz. Pal. janvier-février
2002, pp. 285 à 292. V. en outre Cass. fr. civ. (3ème arrêt) 9 octobre limiter l’information pour des raisons légitimes et dans
2001, Petites Affiches 13 mars 2002, n° 52, pp. 17-21 et note Fr. l’intérêt du patient, cet intérêt devant être apprécié, afin
MARMOZ (risques inhérents à une présentation par le siège lorsque d’apprécier s’il existe une contre-indication à l’informa-
l’accouchement par voie basse est préféré à une césarienne). Cette
décision est importante, non seulement en ce qu’elle confirme le prin- tion, en fonction de l’état de santé de ce patient et de son
cipe posé par l’arrêt de 1998, mais surtout parce qu’elle admet la évolution prévisible, de sa personnalité, des raisons pour
rétroactivité de l’interprétation jurisprudentielle réservée à l’étendue
de l’obligation d’information. Selon la cour, en effet, “(...) la respon-
sabilité consécutive à la transgression de cette obligation [ndlr
l’obligation d’informer le patient des risques exceptionnels] peut être
recherchée (...) alors même qu’à l’époque des faits, la jurisprudence 65. Cass. fr. 18 juillet 2000, Bull., n° 227.
admettait qu’un médecin ne commettait pas de fautes s’il ne révélait 66. Th. VANSWEEVELT, La responsabilité civile du médecin et de l’hôpi-
pas à son patient des risques exceptionnels; qu’en effet, l’interpréta- tal, Anvers, Maklu Uitgevers, 1996, p. 204, n° 316. Le médecin devra
tion jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut également tenir compte sur ce point des conséquences psychosociales
être différente selon l’époque des considérés et nul ne peut se préva- d’un médicament (cicatrice défigurante, perte de cheveux ...).
loir d’un droit acquis à une jurisprudence figée (...)”. En l’espèce, les 67. A. BROEKHIJSEN-MOLENAAR et C. STOLKER, Geneesmiddelen en
faits remontaient à 1974. V. désormais, l’art. 1111-2 du Code de la aansprakelijkheid, Deventer, Kluwer, 1986, 34; Th. VANSWEEVELT,
Santé publique tel que modifié par les artt. 9 et 11 de la loi du 4 mars La responsabilité civile du médecin et de l’hôpital, Anvers, Maklu
2002 relative aux droits des malades et la qualité du système de santé. Uitgevers, 1996, p. 204, n° 315.
Quant à la jurisprudence administrative, v. C.E. fr. 5 janvier 2000 (2 68. P. SARGOS, o.c., 1999, 13.134/2. V. également Cass. fr. 23 mai 2000,
arrêts), APHP c. Guilbot, Req. 198530 et Epoux Telle, Req. 181899, Bull., n° 159; Cass. fr. 20 juin 2000, Defrénois 2000, n° 19, pp. 1121
A.J.F.P. juillet-août 2000, p. 48 et R.F.D.A. 2000, p. 651 avec une note et s. et note D. MAZEAUD (coloscopie avec ablation d’un polype).
de P. Bon et A.J.D.A. 2000, p. 137, Chron.; J.C.P. G 2000, II, 10271 Selon la Cour de cassation de France, le médecin peut limiter
avec une note de J. MOREAU. Le Conseil d’État français y confirme la l’information de son patient quant à un diagnostic ou un pronostic
jurisprudence amorcée par la cour administrative d’appel de Paris graves, à la condition que cette limitation soit justifiée par des rai-
dans son arrêt Guilbot du 9 juin 1998. V. également R. REVEAU, sons légitimes et par un souci de protection des intérêts du malade
“L’évolution du droit relatif à l’information médicale: l’élaboration (appréciés en fonction de la nature de la pathologie, de son évolution
d’un régime commun de responsabilité civile et administrative”, prévisible et de la personnalité du patient). Il ne faut pas oublier que
J.C.P., Chron., Droit administratif juin 2002, pp. 5 à 10. l’établissement d’un diagnostic peut, dans certains cas, permettre au
64. Quant à la notion de risques “graves”, v. Cass. fr. 15 juillet 1999, D. patient de faire valoir des droits patrimoniaux en matière de sécurité
1999, n° 44, Jur., p. 393; Cass. fr. 20 juin 2000, Defrénois 2000, n° sociale (pension, assurance maladie ou assurance invalidité). Ne pas
19, p. 1122 et note D. MAZEAUD. Les risques “graves” semblent divulguer un tel diagnostic pourrait dès lors avoir des conséquences
pouvoir être définis comme ceux qui sont de nature à “avoir des pécuniaires. Nous n’avons pas connaissance d’une décision interve-
conséquences mortelles, invalidantes, ou même esthétiques graves nue relativement à cette question.
compte tenu de leurs répercussions psychologiques et sociales” (P. 69. Cass. fr. 7 octobre 1998, C.C.C. 1998, Com., n° 160, et obs. J. LEVE-
SARGOS, o.c., 1999, 13.134/2). Sont dès lors tels les risques mettant NEUR; D. 1999, 145 et note S. PORCHY. La loi belge du 22 août 2002
en jeu le pronostic vital ou altérant une fonction vitale. V. également relative aux droits des patients reconnaît désormais expressément au
Gand 26 mai 1999, Rev. dr. Santé 2000-01, pp. 231 et s. Un chirur- patient un “droit de ne pas savoir” (art. 7 § 3, al. 1er). Dans ce cas, une
gien esthétique commet une faute lorsqu’il choisit pour une implan- demande expresse doit être formulée par le patient et sera jointe au
tation capillaire avec ancrage une méthode qui entraîne souvent de dossier médical. Les travaux préparatoires précisent cependant que,
graves inflammations du cuir chevelu. Il faillit également à son obli- pour certaines maladies contagieuses, le médecin peut passer outre le
gation d’information en n’informant pas le patient de ces risques refus du patient d’être informé: il ne peut mettre en danger la vie
graves. d’autrui et une prudence complémentaire est de la sorte exigée.

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lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont condition que le brevet du médicament original soit expiré
proposés, ainsi que des caractéristiques de ces investiga- (20 ans) et son prix est environ 20 % inférieur au coût du
tions, de ces soins et de ces risques”70. L’article 7 de la loi médicament original de référence78.

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du 22 août 2002 relative aux droits du patient l’admet par
ailleurs désormais expressément71. Selon cette disposition, 39 Mais au-delà d’un souhait, exprimé sur le plan de la
en effet, chaque fois que le médecin estime que la commu- collectivité, de réduire le coût des soins de santé en encou-
nication de certaines informations pourrait causer un “pré- rageant la prescription de génériques, l’obligation d’infor-
judice grave”72 à la santé du patient, et après avoir pris avis mation du médecin, voire son obligation de diligence, lui
auprès d’un confrère, il peut décider de garder le silence. imposent-elles de systématiquement prescrire un médica-
Une motivation écrite devra, dans ce cas, être jointe au dos- ment générique dès lors que celui-ci, “essentiellement simi-
sier médical (art. 7 § 4). laire”, est de coût inférieur? Il est acquis que l’obligation
d’information incombant au médecin lui impose d’envisa-
37 Une information quant au coût du traitement? Les ger avec son patient les alternatives de traitement qu’il pré-
médicaments génériques. Consacrant une position doctri- conise, alternatives dont le coût constitue sans doute un élé-
nale convaincante73, l’article 8 de la loi du 22 août 2002 ment de décision. Mais au-delà de cette exigence, qui relève
relative aux droits du patient étend l’obligation d’informa- du seul devoir d’information, aucune obligation de pres-
tion au coût du traitement. cription ne pourrait être imposée sous peine d’entraver la
liberté thérapeutique dont jouit naturellement le méde-
38 Cette exigence est d’une particulière actualité dans le cin79,80. Admettre le contraire supposerait en outre une cer-
vif débat relatif aux médicaments génériques. Le médica- titude quant à la bioéquivalence du médicament générique
ment générique est médicalement, mais aussi juridique- par rapport au médicament original. Or, à lire la littérature
ment, défini comme un médicament “essentiellement simi- médicale qui y est consacrée, une telle garantie n’existe pas
laire”74 (identité de composition, d’efficacité et de qualité) et demeurent des situations dans lesquelles la prescription
à un médicament original de référence, en ce sens qu’il pré- d’un générique pourrait être médicalement contre-indi-
sente la même composition qualitative et quantitative en quée81.
principes actifs et la même forme pharmaceutique et, si
nécessaire, dont la bioéquivalence75 avec ce produit original
a été démontrée par des études appropriées de biodisponibi-
lité76 (art. 2, § 1er, al. 1, 8° b de l’arrêté royal du 3 juillet 78. Cette différence significative dans le coût du traitement justifie
1969 sur l’enregistrement des médicaments)77. La commer- l’actuelle politique gouvernementale, laquelle tente de favoriser au
maximum la vente de génériques afin de réduire le coût des soins de
cialisation d’un médicament générique est soumise à la santé. En attestent, notamment, les dernières mesures sociales appli-
cables depuis le 1er juin 2002 sur le système de remboursement de
référence dont le principe consiste à diminuer la base de rembourse-
ment des médicaments originaux au niveau de celui des génériques,
la différence entre le prix et la base de remboursement étant à charge
70. P. SARGOS, o.c., 1999, 13.134/2. du patient. V., dans le même sens, la proposition Mattei présentée, le
71. V. également l’art. 33 du Code de déontologie médicale tel que 24 septembre 2002, devant la Commission des comptes de la sécu-
modifié en 2000. rité sociale française (Le Monde 3 octobre 2002).
72. Notons que dès que le risque de préjudice grave a disparu, le méde- 79. V. également, relativement à cette question, l’avis 94 du Conseil de
cin doit communiquer les informations tenues jusqu’alors secrètes l’Ordre du 18 août 2001, Bull. Ordre, p. 3. Selon le Conseil de
(§ 4, al. 3). l’ordre des médecins, la liberté thérapeutique du médecin l’autorise-
73. V. sur ce point notamment Th. VANSWEEVELT, La responsabilité rait à prescrire un médicament non générique dès lors qu’il est à
civile du médecin et de l’hôpital, Anvers, Maklu Uitgevers, 1996, même de justifier sa prescription en termes de bioéquivalence et
pp. 205 et s., nos 318 et s. Notons que l’information économique est d’efficacité. Cette solution peut bien entendu être suivie sur le plan
également reconnue dans d’autres droits, comme en droit suisse juridique s’il est établi que, ce faisant, le comportement du médecin
(ATF 116 II 521; ATF 119 II 456 = SJ 1994 291 = DC 1994 106 est celui qu’aurait adopté un médecin normalement prudent et dili-
avec une note de Fr. WERRO) et en droit français (art. 1111-3 du gent placé dans les mêmes circonstances.
Code de la Santé publique). 80. V. encore la position de l’Association Médicale Mondiale: Déclara-
74. V. notamment la circulaire ministérielle n° 400 du 18 décembre tion adoptée lors de sa 42ème assemblée générale de Californie (octo-
2000 relative aux médicaments “essentiellement similaires” adres- bre 1990). Deux premières Déclarations, de septembre 1988 (Décla-
sée par l’Inspection générale de la Pharmacie aux titulaires d’un ration de l’Association Médicale Mondiale sur les Médicaments
enregistrement de médicaments. génériques adoptée lors de la 40ème assemblée générale de Vienne –
75. Il y a “bioéquivalence” entre deux médicaments “si les tests mon- Autriche) et septembre 1989 (Déclaration de l’Association Médicale
trent qu’il n’y a pas de différence significative quant à la vitesse Mondiale sur la substitution des médicaments génériques adoptée
avec laquelle le principe actif devient disponible au niveau de son lors de la 41ème assemblée générale de Hong Kong, septembre 1989)
site d’action et à la quantité de produit actif qui s’y retrouve” (Pr. avaient également souligné la prévalence de la liberté thérapeutique
DE NEVE, “Médicaments originaux et médicaments génériques: du médecin.
semblables comme deux gouttes d’eau?”, Factua Newsletter décem- 81. Il existe, en effet, des cas où la non-équivalence est flagrante et a été
bre 2000, n° 108). constatée dans des ouvrages scientifiques. Le Professeur DE NEVE
76. La “biodisponibilité” d’un médicament est quant à elle définie (Factua Newsletter décembre 2000, n° 18, p. 2), pharmacologue de
comme “l’aptitude d’un médicament à passer dans le sang et à l’ULB et membre du Comité national de transparence, met notam-
atteindre l’organe cible auquel il est destiné, à partir d’une forme ment en garde les médecins quant aux médicaments à marge théra-
galénique déterminée” (Factua Newsletter décembre 2000, n° 18, p. peutique réduite comme les anti-épileptiques, les digitaliques (insuf-
2, note 5). fisance cardiaque), la théophylline (troubles respiratoires comme
77. Il est important de noter que ces médicaments génériques font l’asthme), les anticoagulants oraux et les diurétiques (augmentation
l’objet des mêmes contrôles de qualité, notamment en vue de leur de la sécrétion urinaire). L’administration de médicaments généri-
enregistrement, que tous les autres médicaments – notamment en ce ques devrait par ailleurs, toujours selon ce scientifique, demeurer
qui concerne le respect des Good Manufacturing Practice (GMP) limitée lorsqu’il s’agit de patients plus à risque, comme les person-
par les services de l’Inspection générale de la Pharmacie. nes âgées ou les personnes allergiques à certains excipients.

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40 Information quant au coût du traitement – L’inter- D.2. UNE OBLIGATION DE RESPECTER L’AUTONOMIE DU
vention de l’I.N.A.M.I. Mais l’information quant au coût PATIENT: OBLIGATION D’OBTENIR PRÉALABLEMENT SON
du traitement ne concerne pas les seuls médicaments géné- CONSENTEMENT

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riques. Elle touche également les médicaments qui ne sont
pas ou ne sont que partiellement remboursés par 42 Le principe. Sauf lorsqu’il est impossible de le
l’I.N.A.M.I. Selon le Conseil National de l’Ordre des recueillir – c’est-à-dire lorsque les conditions de l’état de
médecins82, le médecin, jouissant d’une liberté thérapeuti- nécessité, au sens du droit pénal, sont réunies86 ou en cas
que, peut prescrire tout médicament qu’il juge nécessaire. d’urgence –, le consentement doit être donné sans con-
Mais il reste tenu par son obligation d’information: le trainte et par un patient en possession de tous les éléments
médecin doit informer le patient des formalités administra- nécessaires à une telle prise de décision87. L’obligation
tives imposées par l’I.N.A.M.I. qui devraient lui permettre d’information incombant au médecin n’a pas pour seule
d’obtenir ledit médicament à un meilleur prix83. Il demeure finalité d’obtenir le consentement du patient à l’acte médi-
que, de facto, la liberté de prescription du médecin est cal, elle relève de “la protection de la dignité de la per-
amputée, notamment lorsqu’il sait que son patient, même sonne humaine”88.
dûment éclairé, ne peut financièrement supporter le coût du
traitement qu’il lui propose. 43 Information et pouvoir de décision. Si l’information
a été clairement et correctement donnée au patient, la déci-
41 Le risque de développement et le devoir d’informa- sion revient à ce dernier seul. Le médecin ne saurait dès lors
tion. L’évolution des données scientifiques relatives aux être considéré comme fautif du seul fait qu’il n’a pu con-
médicaments peut mettre en avant l’existence d’effets vaincre son patient d’un choix thérapeutique plutôt que
secondaires qui, au moment de leur mise sur le marché, ne d’un autre lorsque plusieurs alternatives étaient envisagea-
pouvaient être connus. On se souviendra, notamment, de bles89. Il n’en ira autrement que si, de ce fait, il soumet
l’affaire, retentissante aux États-Unis, du “Triparanol” ou celui-ci à un risque excessif, auquel cas il lui appartient de
“MER/29”84. Mais la question se pose certainement de refuser d’accomplir l’acte choisi par le patient.
savoir si l’évolution des connaissances oblige le médecin à
informer son patient de la mise en évidence de nouveaux 44 Un consentement exprès ou implicite. Le consente-
risques pour sa santé? La législation relative aux médica- ment du patient sera en principe exprès, mais il pourrait être
ments reste muette relativement à cette question, se bornant implicite (art. 8 § 1er, al. 2 de la loi du 22 août 2002). Le
à préciser les conditions dans lesquelles l’apparition patient a en outre le droit de demander que son consente-
d’effets secondaires nouveaux doit être relayée, par le ment soit consigné dans un écrit, tout comme le médecin
médecin, auprès du Ministère de la Santé et de l’Inspection peut confirmer de cette manière l’information qu’il a divul-
de la pharmacie (Institut de Pharmacovigilance), lesquels guée (art. 8 § 1er al. 3 de la loi).
ont la compétence de retirer le produit de la chaîne de dis-
tribution. Pourtant, le médecin puise dans son obligation de 45 Droit de ne pas consentir. Le patient jouit d’un droit
suivi thérapeutique, le devoir d’informer son patient de tout de ne pas consentir ou de retirer un consentement préalable-
effet dommageable présenté par un médicament qu’il a pré- ment donné (art. 8 § 4 de la loi du 22 août 2002), décision
cédemment prescrit, à tout le moins lorsque les conséquen- qui sera le cas échéant confirmée dans un écrit et versée au
ces pourraient être graves pour la santé de celui-ci85. dossier médical90. Le principe d’autodétermination – sous

86. V. l’art. 8 de la loi du 22 août 2002. Selon la doctrine, “(...) en pré-


sence d’un danger actuel et imminent, menaçant l’auteur du fait cri-
tiqué ou un tiers, l’acte indispensable pour écarter ce dommage ne
saurait être fautif”. L’intérêt protégé doit cependant être d’une
valeur sociale au moins égale à l’intérêt sacrifié. V. sur ce point L.
CORNELIS et P. VAN OMMESLAGHE, “Les ‘faits justificatifs’ en droit
belge de la responsabilité aquilienne”, in Memoriam J. Limpens,
Kluwer, 1987, p. 279; Th. VANSWEEVELT, La responsabilité civile
du médecin et de l’hôpital, Anvers, Maklu Uitgevers, 1996, p. 179,
n° 271.
87. P. HENRY, “La responsabilité civile du médecin”, in Les frontières
juridiques de l’activité médicale, Actes du colloque organisé par la
82. Avis du 16 novembre 1985 sur le remboursement conditionnel de Conférence Libre du Jeune Barreau de Liège le 8 mai 1992, Éd. J.B.
certains médicaments, Bull. Ordre, 34, p. 30. Liège, 1993, pp. 30 et s.; P. SARGOS, “L’évolution du droit de la res-
83. Dans ce sens: art. 1111-3 du Code français de la Santé publique. ponsabilité médicale dans la jurisprudence civile de la Cour de cas-
84. Fleishman v. Richardson-Merrel, 226 A.2. d 843 (Supr. C. New Jer- sation française”, R.G.A.R. 1999, 13.134/3.
sey, 1967) cité par Th. VANSWEEVELT, La responsabilité civile du 88. V. Fr. CHABAS, “L’obligation médicale d’information en danger”,
médecin et de l’hôpital, Maklu Uitgevers, 1996, p. 275, n° 443 et J.C.P., éd. G., 2000, I, 212, spécialement n° 1.
note 1144. L’auteur cite également plusieurs références doctrinales 89. Cass. fr. 18 janvier 2000, Bull., n° 13 et R.G.A.R. Février 2002,
abordant cette affaire. 13.495. L’art. 1111-4 précité du Code français de la Santé publique
85. Notons que cette obligation de suivi de l’information est expressé- invite cependant le médecin à “tout mettre en œuvre” pour convain-
ment reprise dans l’art. 1111-2 du Code français de la Santé publi- cre son patient d’accepter un traitement lorsque son refus de soins
que (tel que modifié par les artt. 9 et 11 de la loi du 4 mars 2002 met sa vie en danger.
relative aux droits des malades et la qualité du système de santé). 90. Ce principe rejoint l’art. 29 du Code de déontologie médicale.

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les angles notamment de la liberté individuelle et du respect lement à considérer qu’un consentement personnel pourrait
de la vie privée – implique que le médecin se soumette à la être admis vers 16-17 ans95,96.
volonté exprimée par le patient91. Cette exigence doit
cependant, selon certains auteurs92, se concilier avec le

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49 Dans certaines situations, et dès avant cet âge, le con-
devoir “impératif” qu’a tout praticien de poser les actes – sentement de l’adolescent pourrait même suffire à la légiti-
absolument – nécessaires à la survie du malade. Il devrait mité de l’acte médical. La question s’est notamment posée
dès lors, selon ces derniers, pouvoir passer outre le refus dans le cadre de la prescription de contraceptifs. Les contra-
manifesté en cas d’“absolue nécessité”93. ceptifs sont régis par l’arrêté royal du 9 juillet 197397, mais
sont aussi considérés, sur un plan juridique, comme des
46 Personnes donnant leur consentement. En principe, “médicaments” soumis à prescription médicale (art. 6 de
le patient doit personnellement consentir. Lorsque le patient l’arrêté royal). La prescription de contraceptifs à une
n’est pas physiquement capable de consentir personnelle- mineure d’âge n’est pas légalement interdite, mais, par
ment (urgence, coma, ...), il appartient au médecin de pas- application du droit commun, le mineur ne devrait pouvoir
ser outre cette exigence du consentement et de poser les consentir seul à un traitement médical et l’avis de ses repré-
actes qu’il juge nécessaires et utiles à sa guérison. Cette sentants légaux devrait être requis. Pareille solution, bien
exigence se trouve renforcée par la possible pénalisation de que juridiquement fondée, ne peut cependant être soutenue
son omission d’agir sur la base de l’article 422 du Code et une dérogation à la règle paraît dans ce cas justifiée98.
pénal.
50 Preuve du consentement. Jusqu’il y a peu, il semblait
47 Incapacité juridique de consentir. Autre est la situa- acquis qu’en droit belge de la responsabilité médicale, la
tion des patients qui ne sont pas “juridiquement” capables charge de la preuve demeurait soumise aux règles du droit
de consentir. Le principe veut que, dans ce cas, le médecin commun (artt. 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire).
obtienne le consentement de ceux qui ont juridiquement le C’était donc au demandeur à l’action, à savoir le patient, à éta-
pouvoir de les représenter94. blir la réunion des éléments fondant la responsabilité de son
médecin, à savoir son non-consentement et/ou son défaut
48 S’il s’agit d’un adolescent, et bien que le droit accorde d’information99. Nous savons qu’en France, la jurisprudence a
à ses seuls parents le pouvoir de consentir pour lui, il paraît récemment évolué. Alors que plusieurs décisions de principe
cependant légitime de le consulter également s’il a la capa- avaient fait supporter la charge de la preuve sur le patient100,
cité nécessaire à comprendre son état de santé et les traite-
ments qui lui sont proposés. Les auteurs consentent généra-

95. Th. VANSWEEVELT, “Persoonlijkheidsrechten van minderjarigen en


grenzen aan het ouderlijk gezag: de toestemming van de minderja-
rige in een medische behandeling”, in Juridische aspecten van
91. V. art. 1111-4 du Code français de la Santé publique (tel que modifié geneeskunde, Anvers, 1989, n° 15. Remarquons encore que, contrai-
par les artt. 9 et 11 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des rement à d’autres pays (comme les Pays-Bas qui retiennent l’âge de
malades et la qualité du système de santé) qui semble pousser cette 15 ans), la Belgique ne fixe pas d’âge à partir duquel le consente-
exigence à son paroxysme. ment du patient adolescent pourrait suffire. Certains auteurs
92. Y.-H. LELEU et G. GENICOT, Droit médical 2001, p. 213, n° 257. l’admettent déjà à l’âge de 14 ans: W. DELVA et R. DIERKENS,
93. La jurisprudence du Conseil d’État français confirme cette position. “Enkele civielrechtelijke aspecten van contraceptie, sterilisatie en
Dans un arrêt du 26 octobre 2001 (arrêt n° 198546 – Affaire Sena- kunstmatige inseminatie”, T.P.R. 1974, p. 479; X. RYCKMANS et R.
nayake), la haute juridiction administrative a rejeté la requête intro- MEERT-VAN DE PUT, Les droits et obligations des médecins, Bruxel-
duite par l’épouse d’un patient, Témoin de Jéhovah, qui avait été les, 1971-72, n° 675.
transfusé suite à une grave anémie consécutive à la déficience rénale 96. V. également l’art. 1111-4 du Code français de la Santé publique, lequel
dont il était atteint, et ce au mépris du refus exprès que ce dernier impose au médecin de “systématiquement rechercher le consentement
avait, à deux reprises, formulé. Le Conseil d’État considère que le du patient”, même mineur, s’il a la capacité de discernement.
médecin n’a commis aucune faute dès lors que l’acte était nécessaire 97. M.B. 9 août 1973.
à la survie du patient et était proportionné à son état. V. également C. 98. C’est la voie qu’a choisie le législateur français. L’art. 1111-4 du Code
CLÉMENT, “Le médecin, son obligation de soins et la volonté du de la Santé publique permet expressément au médecin de se contenter
malade”, Petites Affiches janvier 2002, n° 11, pp. 18 à 21. Contra: du consentement exprimé par une personne mineure lorsque celle-ci
T.A. Lille 25 août 2002 (inédit) qui fait droit à la demande d’une s’est opposée à la consultation de ses parents (v. cependant le cas de
patiente qui, ayant souffert d’hémorragies importantes suite à son l’état de santé grave). L’art. 5134-1 du même code prévoit quant à lui
accouchement, avait été transfusée contre son gré au Centre hospita- une dispense expresse de requérir le consentement des titulaires de
lier de Valenciennes. Le tribunal administratif s’est fondé en particu- l’autorité parentale lorsqu’il s’agit de prescrire des contraceptifs.
lier sur les artt. 9 et 11 de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des 99. V. notamment Civ. Neufchâteau 9 juin 1999, Rev. dr. Santé 2000-01,
malades (et qui ont modifié l’art. 1111-4 du Code de la Santé publi- pp. 296 et s.
que). En vertu de ces dispositions, “aucun acte médical ni aucun 100. Le principe avait été posé par un important arrêt de la Cour de cassa-
autre traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et tion du 29 mai 1951 (R.T.D. Civ. 1951, 508, obs. H. et L. MAZEAUD;
éclairé de la personne”. Cette décision est frappée d’appel. Nous D. 1952, p. 53 et note J. SAVATIER). Selon la haute juridiction, “il
rappellerons que seule est interdite, pour les Témoins de Jéhovah, la appartient au malade, lorsqu’il se soumet en pleine lucidité à
transfusion de plasma, mais non celle d’autres composants sanguins l’intervention du chirurgien, de rapporter la preuve que ce dernier a
(albumine, immunoglobuline, fibrinogènes). manqué à cette obligation contractuelle en ne l’informant pas de la
94. Relativement à cette question, v. N. COLETTE-BASECQZ, S. DEMARS véritable nature de l’opération qui se préparait, et en ne sollicitant
et M.-N. VERHAEGEN, “L’enfant mineur d’âge dans le contexte de pas son consentement à cette opération”. Certains auteurs avaient
l’activité médicale”, Rev. dr. Santé 1997-98, pp. 166 à 184. V. égale- par ailleurs, à la suite de cette décision, envisagé la rédaction de for-
ment la Déclaration de l’Association Médicale Mondiale sur les pro- mulaires d’adhésion à l’acte médical, sortes de “permis d’opérer” –
blèmes éthiques concernant les patients atteints de maladie mentale selon les termes de A. MAYRAND (L’inviolabilité de la personne
adoptée lors de la 47ème assemblée générale de Bali (septembre humaine, Wilson et Lafleur, 1975) – qui seraient soumis au consen-
1995). tement du patient.

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preuve dont on conçoit aisément la difficulté, plusieurs arrêts l’écrit qu’elle avait signé et, ainsi, qu’elle établisse qu’en
récents rendus par la Cour de cassation ont peu à peu amorcé réalité elle n’avait pas reçu une information suffisante. Il
un revirement de jurisprudence. Celui-ci a trouvé son point débouta cependant les demandeurs au motif que cette
ultime dans l’arrêt Hédreul du 25 février 1997101 et dont

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preuve n’était en l’espèce pas rapportée. Ces derniers inter-
l’enseignement est désormais formellement consacré par jetèrent appel. La cour d’appel de Liège, dans un arrêt du
l’article 1111-5 du Code de la Santé publique. 30 avril 1998104, infirma la décision rendue au premier
degré de juridiction, considérant que les enquêtes civiles
51 La jurisprudence belge102 paraît également évoluer. La ordonnées par le premier juge ne permettaient pas d’affir-
Cour de cassation a récemment cassé une décision rendue mer que le chirurgien avait, “dans un domaine qui concerne
par une juridiction de fond ayant fait supporter la charge de essentiellement la vie d’un couple poursuivant une commu-
la preuve par le patient demandeur103. Une patiente qui nauté de vie”, obtenu le consentement libre et éclairé des
avait subi une stérilisation tubaire chirurgicale (ligature des deux époux. Elle estima dès lors que le médecin avait com-
trompes) à l’occasion d’un avortement thérapeutique pré- mis une faute professionnelle et que celle-ci était en rela-
tendait ne pas avoir été informée, ni son époux, de cette tion causale avec le dommage subi. Le médecin se pourvut
intervention et de son caractère irréversible. Elle avait en cassation. Quant aux consentements exigés dans le cadre
cependant signé, au moment de son admission à l’hôpital, d’une stérilisation, la Cour de cassation déclara “(...) qu’en
un formulaire certifiant qu’elle avait demandé les deux règle, le consentement nécessaire à la licéité d’un acte
interventions. Les époux assignèrent le chirurgien devant médical portant atteinte à l’intégrité physique d’une per-
les juridictions civiles pour avoir négligé d’obtenir préala- sonne est celui de cette seule personne (...)”. La faute du
blement leur consentement éclairé, condition pourtant médecin ne pouvait dès lors, le cas échéant, découler uni-
nécessaire à la licéité de ce type d’acte médical. Le tribunal quement de la non-obtention du consentement de l’époux et
de première instance accepta que l’épouse prouve contre ce même si l’intervention était susceptible d’avoir une inci-
dence sur la vie commune du couple105. Quant à la charge
de la preuve, la Cour releva alors que “(...) l’obligation du
médecin d’informer le patient sur l’intervention qu’il pré-
101. Cass. fr. 25 février 1997, Bull., n° 75, p. 49 et G.P. 27/29 avril 1997. conise s’explique par la nécessité qui s’impose à lui de
V. également R.T.D. Civ. 1997, 434 et obs. P. JOURDAIN ainsi que p. recueillir son consentement libre et éclairé avant de prati-
924 avec obs. de J. MESTRE. Selon la Cour de cassation, en effet,
“celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obliga- quer cette intervention (...) l’arrêt, qui ne constate pas que
tion particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécu- la cause de justification alléguée par le demandeur est
tion de cette obligation”. Cette jurisprudence a été confirmée et affi- dénuée de toute crédibilité mais repose sur la considération
née ensuite. Par une décision du 14 octobre 1997 (Arrêt Guyomar,
J.C.P. 1997, II, 22.942), la cour rappela que “le médecin a la charge que la preuve de cette cause de justification lui incombe et
de prouver qu’il a bien donné à son patient une information loyale, qu’il n’y satisfait pas, renverse le fardeau de la preuve et
claire et appropriée sur les risques des investigations ou des soins
qu’il propose de façon à lui permettre d’y donner son consentement
viole, partant, toutes les dispositions légales visées au
ou un refus éclairé (...) Ce devoir d’information pèse aussi bien sur moyen, en cette branche, à l’exception de l’article 149 de la
le médecin prescripteur que sur celui qui réalise la prescription et la Constitution; Qu’en cette branche, le moyen est fondé”.
preuve de cette information peut être faite par tous moyens”. V. éga-
lement L. DUBOIS, “La preuve de l’information du patient incombe
au médecin: progrès ou régression de la condition des patients?”, 52 L’enseignement de cet arrêt ne peut être porté au rang de
note sous Cass. fr. 25 février 1997, Rev. Dr. San. Soc. 1997, pp. 292 principe quant à la charge de la preuve en matière d’informa-
et s.; J.L. FAGNART, “Observations: La charge de la preuve en
matière d’information”, note sous Cass. fr. 25 février 1997, Rev. dr.
Santé 1997-98, p. 337, n° 2; Chr. LAPOYADE DESCHAMPS, “Les
médecins à l’épreuve (à propos de l’arrêt de la 1ère chambre civile du
25 février 1997)”, Resp. civ. et ass., Éd. J.C.P., avril 1997, pp. 4 à 7;
R. REVEAU, “L’évolution du droit relatif à l’information médicale: 104. Liège 30 avril 1998, Rev. dr. Santé 1998-99, pp. 139 et s. et note Th.
L’élaboration d’un régime commun de responsabilité civile et admi- VANSWEEVELT. V. également Civ. Namur 30 mars 2001, Rev. dr.
nistrative”, Droit administratif, Éd. J.C.P. juin 2002, Chron., pp. 5- Santé 2001-02, pp. 34 à 37. Le tribunal de première instance de
10. Remarquons que, déjà en 1907, MERIGNHAC avait plaidé pour Namur affirme que c’est au médecin qu’il appartient d’établir qu’il a
que la charge de la preuve du consentement repose sur le médecin. obtenu le consentement libre et éclairé de son patient dans la mesure
V. MERIGNHAC, note sous Aix 22 octobre 1906, D.P. 1907, II, 41. où il est le débiteur d’une telle obligation. C’est par contre au patient
102. V. notamment, relativement à cette question: Anvers 22 juin 1998, qu’incombe la charge de la preuve du lien de causalité entre la faute
R.W. 1998-99, p. 544 et note; D. CLARYSSE, “De modaliteiten en het et le dommage.
bewijs van de geïnformeerde toestemming in de relatie zorgverle- 105. Cette position est conforme à l’avis rendu par l’Avocat général J. DU
ner-patiënt”, Jura Falc. 2001-02, 38, pp. 13-38 (et les nombreuses JARDIN selon lequel la licéité de la stérilisation chirurgicale, en tant
références citées); R.O. DALCQ, “Evolution du droit en matière qu’acte médical non nécessairement thérapeutique n’étant plus con-
d’information et de consentement des patients”, in Liber Amicorum testée (A. HEYVAERT, “De menselijke voortplanting en het gezins-
Jozef Van Den Heuvel, Anvers, Kluwer, 1999, pp. 426 et s.; M. VAN recht”, in A. HEYVAERT e.a. (ed.), Juridische aspecten van de
QUICQUENBORNE, “De instemming van de patiënt in de therapeu- geneeskunde, Anvers, Kluwer, 1989, p. 311, n° 55; R.O. DALCQ,
tische relatie”, in Juridische aspecten van geneeskunde, Anvers, “Les lois françaises du 29 juillet 1994 relatives au respect du corps
Kluwer, 1997, n° 38; H. NYS, “De toestemming van de patiënt”, Rev. humain et à différents problèmes de bioéthique”, J.T. 1995, 689, n°
dr. Santé 1983-84, 255 et s.; M. DEL CARRIL, “Le consentement des 5; M. KEMPEN, “Zelfbeschikking en procreatie binnen het huwe-
malades et la qualité du système de santé dans le cadre du contrat lijk”, in X., Over zichzelf beschikken, Anvers, Maklu, 1996, p. 221,
médical”, R.G.A.R. 1966, 7677. nos 2 et 8), toute femme peut valablement y consentir seule en vertu
103. Cass. 14 décembre 2001, R.G. C980469F (disponible sur Juris, de son pouvoir d’autodétermination, corollaire de sa liberté indivi-
R.G.A.R. 2002, 13.494 avec les conclusions du Procureur Général J. duelle. Le consentement du mari n’est pas nécessaire dans la
DU JARDIN). V. également R.O. DALCQ, “À propos de l’arrêt de la mesure, notamment, où ce dernier ne pourrait davantage s’opposer à
Cour de cassation du 14 décembre 2001”, R.G.A.R. février 2002, une telle intervention. Comp. avec l’art. 54 du Code de déontologie
13.488. médicale.

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tion médicale. La nature de l’action introduite – et fondée sur avaient été prescrits, de même que s’il a tu la prise conco-
une infraction pénale (artt. 392 et 398 du Code pénal) – justi- mitante d’autres médicaments. Le caractère synallagmati-
fie assurément à elle seule le dispositif de la décision rendue. que de la relation médicale, mais aussi la confiance qui en

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En cette matière en effet, c’est-à-dire lorsque le fait domma- est constitutive, l’exigent.
geable est constitutif d’une infraction, c’est au demandeur à
l’action en réparation qu’il revient d’établir la réalité non seu- Section 2. La faute du pharmacien, concurrente à celle du
lement des éléments constitutifs de celle-ci, mais également médecin?
de l’absence d’une cause de justification si une telle cause est
invoquée avec vraisemblance par le défendeur106. 55 Une responsabilité personnelle. Le pharmacien –
qu’il soit indépendant ou travaille dans un hôpital – est seul
53 Modes de preuve. La décision du 14 décembre 2001 habilité par la loi à délivrer les médicaments soumis à pres-
est aussi l’occasion de constater, quant aux modes de cription (art. 44 de l’arrêté royal du 6 juin 1960 relatif à la
preuve, que la pratique se répand, particulièrement en fabrication et à la distribution en gros des médicaments et à
France, de remettre au patient une notice d’information. Le leur dispensation110). De ce fait, il se trouve, tout comme le
principe juridique demeure cependant, sur un plan proba- médecin, investi d’une responsabilité envers les patients111.
toire, qu’un écrit n’est pas exigé107. Le respect de l’obliga- L’article 7 de l’arrêté royal du 31 mai 1885 approuvant les
tion d’information pourrait dès lors valablement être prouvé nouvelles instructions pour les médecins, les pharmaciens
par toutes les voies de droit108. et les droguistes, et qui renferme plusieurs dispositions con-
cernant directement le monopole des pharmaciens, précise
§ 2. Le fait du patient par ailleurs que “tout pharmacien assume la responsabilité
du produit qu’il délivre” dans les conditions légalement
54 Le patient peut devoir supporter tout ou une partie de posées.
son dommage si, par son fait, il a contribué à la réalisation
de celui-ci ou à l’aggravation de son état de santé109. Il en 56 Le devoir marginal de vérification. La jurisprudence
sera ainsi s’il n’a pas suivi les instructions que lui avait don- soumet le pharmacien à un “devoir marginal de vérifica-
nées son médecin, s’il a abusé des médicaments qui lui tion”112 lui imposant de refuser la délivrance de tout médi-
cament “manifestement” dangereux ou contre-indiqué.
Seules les erreurs grossières, flagrantes, seront cependant
susceptibles de fonder sa responsabilité, le pharmacien
106. Nous renvoyons sur ce point notamment au commentaire critique du n’étant ni qualifié ni matériellement capable de poser un
Professeur R.O. DALCQ (o.c., R.G.A.R. 2002, 13.488 précité – note
101). L’éminent auteur s’exprime comme suit: “ce qui nous inquiète diagnostic et de vérifier l’exactitude du traitement préco-
dans l’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2001 est nisé. En cas de doute, il s’en référera au médecin prescrip-
l’application d’une règle de preuve qui doit rester exceptionnelle et
cela uniquement parce que le pourvoi en cassation invoquait que si
teur et ne délivrera pas au patient un médicament ou une
la motivation de la cour d’appel considérant que le médecin ne rap-
portait pas la preuve d’une information suffisante de sa patiente
était suivie, il aurait commis une infraction avec comme consé-
quence que les règles relatives à la charge de la preuve devraient
être différentes. Un tel arrêt nous paraît ouvrir la porte à des abus
permettant aux médecins d’échapper à l’obligation d’informer com-
plètement leur patient et d’obtenir ainsi leur consentement éclairé”.
107. Cass. fr. 14 octobre 1997, J.C.P., ed. G., 1997, II, 22 et art. 1111-5
du Code de la Santé publique.
108. V. notamment sur ce point Cass. fr. 14 octobre 1997, Pourvoi n° 95-
19609 (défaut d’information quant au risque d’embolie gazeuse lors
d’une coelioscopie destinée à s’assurer de l’absence d’une anomalie
ovarienne). La Cour de cassation, après avoir rappelé le principe de
la charge de la preuve en matière d’information, précise cependant
que cette preuve peut être rapportée par tous moyens, témoignages
et présomptions (art. 1353 du Code civil) compris.
109. S’il est établi que les instructions données par le médecin, ainsi que
les dosages recommandés, étaient corrects et diligents, le patient
pourra devoir supporter seul son dommage. Il en sera ainsi, par
exemple, lorsque le médecin recommande, voire impose, au patient
de modifier ses habitudes de vie afin de favoriser sa guérison (arrêter
de fumer, pratiquer une activité sportive, diminuer sa consommation
d’alcool, observer une certaine hygiène buccale ...). Un exemple
illustre notre propos. Un chirurgien place une “broche de rush” dans
le tibia d’un patient afin de placer la fracture sur une ligne et de la
stabiliser. Il fait interdiction au patient de se lever et d’appuyer son 110. M.B. 22 juin 1960. V. également, en France, l’art. 4211-1 du Code
poids sur la jambe malade, directive que ce dernier ne suit pas. La de la Santé publique.
broche se rompt et le patient en subit d’importantes lésions. La faute 111. V. notamment la Prise de position de l’Association Médicale Mon-
du patient a été considérée comme l’unique cause de son dommage, diale sur les relations de travail entre médecins et pharmaciens dans
dégageant le médecin et le fabricant de la broche de toute responsa- le cadre du traitement pharmacologique adoptée par la 51ème assem-
bilité. V. Stewart v. Von Solbrig Hospital, 321 N.E. 2d 428 (C. App. blée générale de Tel Aviv (octobre 1999).
Illinois, 1974); McMullen v. Vaughan, 227 S.E. 2d 440 (C. App. 112. R. HEYLEN, “De marginale toetsingplicht van de apotheker”, Vl. T.
Georgia, 1976) toutes deux citées par Th. VANSWEEVELT, La res- Gez. 1987-88, p. 117; J. DE SMEDT, “Het statuut en de aansprake-
ponsabilité civile du médecin et de l’hôpital, Maklu Uitgevers, 1996, lijkheid van de officina-apotheker”, Jura Falc. 1999-2000, n° 2, pp.
p. 316, n° 518. 193 à 235. V. également les références citées infra.

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préparation magistrale dont il n’est pas convaincu de la substitution sans engager sa responsabilité civile, mais
conformité113 ou du bon dosage114. aussi pénale115,116.

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57 Le refus de délivrance. Un pharmacien ne peut refu- 59 Cette position est renforcée, en l’espèce, par le constat
ser de délivrer un médicament prescrit par un médecin. Il de l’absence de certitude quant à la bioéquivalence entre le
s’agit d’une conséquence de son monopole légal de déli- médicament original et son générique. De plus, il paraît
vrance. S’il procédait autrement, le pharmacien pourrait en scientifiquement établi qu’une équivalence chimique ne va
outre, en raison d’un tel excès de compétences, être pénale- pas nécessairement de pair avec une bioéquivalence, ni avec
ment poursuivi pour avoir posé un diagnostic et proposé un une équivalence thérapeutique, tout comme la biodisponibi-
traitement alors qu’il n’était pas qualifié pour ce faire. Ce lité de médicaments à base des mêmes principes actifs peut
comportement pourrait également le cas échéant justifier être très différente car elle dépend de plusieurs facteurs
des poursuites sur la base de l’article 422bis du Code pénal (méthode de production, excipients, enrobages). Des effets
(abstention de porter secours). secondaires pourraient dès lors se présenter en cas de sub-
stitution avec des médicaments dont les principes actifs
58 La substitution de médicaments. Une autre problé- sont identiques mais dont les excipients sont différents
matique, que l’actuel débat sur les génériques a ravivée, est (allergie à des colorants ...). Si de telles affirmations sont
celle de la possible substitution, par le pharmacien, des fondées – et c’est aux scientifiques seuls de l’établir –, la
médicaments prescrits par le médecin. La loi, qui a expres- substitution présente un réel danger pour le patient, surtout
sément envisagé cette éventualité, s’est bornée à habiliter le si la marge entre l’efficacité et la toxicité est étroite ou si un
Roi à fixer les conditions dans lesquelles une telle substitu- effet réduit du médicament peut avoir des conséquences
tion pourrait avoir lieu, “à la condition cependant que les graves (épilepsie, diabète, affections cardiaques, ... ).
propriétés actives de celui-ci soient identiques, que le pres-
cripteur ne soit pas formellement opposé à une telle substi- Conclusion
tution et que le prix soit plus avantageux pour le patient”
(art. 11 de la loi relative à l’art de guérir). Cet arrêté royal 60 Les contours de la responsabilité médicale se préci-
n’a pas été pris. En conséquence, et dans l’état actuel de sent, au même moment qu’ils ne cessent de s’étendre. Des
notre droit, le pharmacien ne pourrait procéder à une telle demandes de plus en plus nombreuses de patients toujours
plus exigeants, relayées par une jurisprudence rigoureuse,
ont favorisé cette évolution et permis que cette matière se
dessine désormais comme une branche autonome de la res-
ponsabilité civile.

61 En ce domaine, les décisions se succèdent à un rythme


difficilement égalé, de même que le législateur se saisit
113. Corr. Anvers 14 septembre 1984, Vl. T. Gez. 1987-88, p. 116 et note davantage du sort des patients, fixant leurs droits et leur
R. HEYLEN; Bruxelles 9 avril 1930, R.G.A.R. 1931, p. 751 et note J.
GOEDSEELS. Dans la première affaire, un pharmacien fut reconnu reconnaissant de la sorte un rôle direct dans la responsabili-
responsable des conséquences dommageables subies par un patient à sation du personnel soignant. En témoignent les importants
qui il avait délivré de la soude caustique prescrite comme collyre par arrêts intervenus dans ce domaine, mais également les
un médecin. Dans ce cas, les responsabilités étaient concurrentes, le
médecin ayant commis une “grave” faute professionnelle, et le phar- récentes lois du 22 août 2002 en Belgique et du 4 mars
macien ayant méconnu son devoir de diligence. Dans la seconde 2002 en France. La consécration légale de droits dégagés
affaire, le médecin, qui avait prescrit du carbonate de barium (mort
au rat) au lieu de sulfate de barium, et le pharmacien, qui avait déli-
par la jurisprudence est assurément une bonne chose, même
vré cette substance, ont également engagé leurs responsabilités con- si elle n’ajoute souvent pas grand chose à la protection exis-
currentes. tante. Elle présente à tout le moins le mérite de fixer les
114. G. MEMETEAU, Le droit médical, Jurisprudence française, Tome IV,
Paris, Litec, 1985, p. 452, n° 680; Cour Mil. 4 avril 1962, R.W. contours d’une relation médecin/patient où le déséquilibre
1962-63, p. 900 qui confirme Cons. Guerre Bruxelles 24 octobre des connaissances, ainsi que le caractère aléatoire des actes
1961, R.W. 1962-63, p. 908; Civ. Dinant 22 novembre 1994, Rev. dr. posés et la vulnérabilité du malade, sont susceptibles de pri-
Santé, pp. 129-131 et note N. COLETTE-BASECQZ. Un médecin trai-
tant prescrit du sulfate d’Atropine par comprimés de 25 mg alors
que, cette substance étant particulièrement nocive, la pharmacopée
en réduit le taux à 0,25 mg. Acculé en responsabilité, le médecin se
retranche derrière la grossièreté de son erreur pour arguer que le 115. V. dans ce sens également: H. NYS, Médecine et Droit, p. 475, n°
pharmacien aurait nécessairement dû s’en apercevoir (il s’agissait en 1204.
l’espèce d’un stagiaire), et dès lors que seule la faute de ce dernier 116. Cette position parait en outre être celle d’autres instances concer-
était la cause du dommage. Le tribunal n’a pas suivi ce raisonnement nées. Le Ministère de la Santé publique (v. communiqué de Mme
et a condamné, sur la base des artt. 1382 et 1383 du Code civil, le Alvoet du 14 mai 2001) a rappelé que “le pharmacien ne peut pas,
médecin et le pharmacien en chef – responsable de la faute commise d’initiative, substituer le produit générique prescrit par un médecin
par son stagiaire – à réparer l’entièreté du préjudice souffert par le par un autre produit générique. Cependant, le pharmacien peut se
patient. Notons que la responsabilité du pharmacien pour les actes mettre en rapport avec le médecin et, si nécessaire, opérer la substi-
posés par ses stagiaires découle, outre des principes du droit commun tution avec son accord”. V. encore l’avis de le l’AGIM concernant la
de la responsabilité, également de l’art. 30 de l’arrêté royal du 31 mai substitution, disponible sur son site internet: www.agim.be/ et les
1885 approuvant les nouvelles instructions pour les médecins, les Déclarations de l’Association Médicale Mondiale sur les Médica-
pharmaciens et les droguistes. V. aussi l’art. 31 qui impose un devoir ments génériques adoptée lors de la 40ème assemblée générale de
de surveillance “directe et effective” du pharmacien envers ses sta- Vienne (Autriche) et lors de la 41ème assemblée générale de Hong-
giaires. Kong (septembre 1989).

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ver une des parties au contrat de tout pouvoir réel de déci- mentaux que cette effervescence a permis de mettre en
sion. Ce faisant, ces lois participent à une véritable réhabili- exergue.
tation du patient en tant que sujet de la relation médicale et

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forcent un meilleur équilibre contractuel. Ce faisant, égale-
ment, elles calquent la relation médicale davantage sur celle
unissant un professionnel à un consommateur de services
de soins de santé117.

62 Il reste qu’il nous paraît falloir, par principe, se garder


d’une législation partielle ou trop dirigiste, sous peine de
fragiliser la confiance naturellement constitutive de toute
relation médicale, mais également de générer des excès de
prudence qui ne seront pas nécessairement bénéfiques aux
patients. La jurisprudence nous paraît offrir, à l’heure
actuelle, un cadre suffisamment élaboré aux relations
médecin/patient et ne pas requérir une intervention ponc-
tuelle du législateur, laquelle paraît davantage dictée par
des considérations d’ordre politique que tenant au bien-être
des patients. En atteste notamment à notre estime le fait que
les questions les plus délicates, comme celles de la charge
de la preuve en matière d’information et de consentement,
n’ont tout simplement pas été envisagées alors qu’elles
appelaient assurément de manière plus impérieuse une
réponse. Il nous paraît dès lors nécessaire de ne pas réagir
uniquement au gré des affaires qui bousculent l’opinion
publique, mais de davantage réfléchir aux questions récur-
rentes que la jurisprudence elle-même hésite à aborder de
front et pour lesquelles une clarification s’impose.

63 Sur ce point, la législation française, qui s’inscrit dans


une réflexion plus globale quant aux différents aspects de la
relation médicale, constitue assurément un modèle dont il
conviendra de s’inspirer lors de l’élaboration de nouvelles
lois. Même si elle présente certainement des lacunes que la
jurisprudence et la doctrine ne manqueront pas de souli-
gner118, elle pourrait constituer le point de départ d’une
réforme plus fondamentale du droit belge119.

64 La décision rendue par la cour d’appel d’Anvers n’a


été pour nous qu’une opportunité saisie de rappeler les prin-
cipes qui sous-tendent la responsabilité civile du médecin,
et plus brièvement celle du pharmacien, et ce au travers du
prisme plus particulier de la prescription de médicaments.
Aucune règle particulière ne paraît se dégager de cette
matière dont le principal intérêt pour le juriste réside davan-
tage dans sa permanente actualité ainsi que dans le nombre
croissant de litiges portés devant les tribunaux, principale-
ment en France, et dans les questionnements plus fonda-

117. Il est d’ailleurs significatif de constater que la loi française emploie,


dans certaines de ses dispositions, le terme d’“usagers”.
118. Des propositions de lois sont d’ores et déjà en cours de rédaction
afin de modifier la loi du 4 mars 2002. V. notamment la proposition
de loi relative à la responsabilité civile médicale déposée au Sénat
par le sénateur N. ABOUT le 25 octobre 2002.
119. V. notamment sur ce point le dossier Les droits du patient: un plus
pour les prestataires de soins?, Ethica Clinica septembre 2002, n°
27, 83 p.

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