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Saint Louis
La responsabilité civile du médecin au regard de la prescription de
médicaments
Catherine DELFORGE1 2 Conjointement aux firmes pharmaceutiques productri-
ces de ces produits particuliers de consommation2, le méde-
Nous verrons que cette responsabilité, loin d’être subsi- soins consciencieux, attentifs et conformes aux données
diaire à celle incombant au médecin, s’y ajoute au con- actuelles de la science, en contrepartie de quoi le patient
traire, les investissant tous deux d’une responsabilité propre s’engage à le rémunérer.
4 Un contrat médical. Depuis l’arrêt Mercier rendu le 20 6 L’acte médical ne sera légitime que s’il est posé dans un
mai 1936 par la Cour de cassation française6, et dont le but thérapeutique. L’immunité, pénale et civile, du médecin
principe a ensuite été repris en Belgique également7, tout en dépend. Le “but curatif” est établi dès que l’acte parti-
médecin est en règle8 lié à son patient par un “contrat médi- cipe au bien-être, physique ou psychologique, du patient et
cal”. Sur la base de celui-ci, il s’engage à prodiguer des ne l’expose pas à des risques disproportionnés au regard du
résultat recherché9.
9 Notons en outre que la matière des expérimentations et 11 Ces différentes sources convergent pour poser cinq
des essais cliniques de médicaments connaît un cadre légis- exigences principales au déroulement des essais clini-
latif et réglementaire strict. Quant à la législation belge11, ques16: le respect de l’intégrité physique et de la vie privée
existant dans ce domaine au moment où les soins ont été dis- C. L’obligation de donner des soins “consciencieux et
pensés aurait permis que la faute ne soit pas commise20. attentifs”
que. Selon certains auteurs34, le médecin commettrait déplace personnellement au domicile du patient. Il ne doit
nécessairement une faute en n’accordant pas au patient une le faire que s’il estime la situation urgente. Le médecin
consultation médicale préalable. Il en serait de même du prendra cependant toujours soin de donner suite aux appels
même que celui qui s’abstient de vérifier les effets secon- D. L’information du patient et l’obtention de son consente-
daires d’un médicament prescrit44. ment libre et éclairé48
que l’information dispensée aux tiers doit demeurer limitée. 32 Les risques devant être portés à la connaissance du
Une telle communication ne pourrait ainsi, en principe, être patient. Une question récurrente en doctrine et en jurispru-
complète que si le patient a expressément autorisé son dence, et que n’aborde pas ouvertement la loi nouvelle58,
58. Les termes de la loi sont en effet très larges. Ils laissent penser, à
notre estime, que l’information à donner au patient doit être com-
plète, quelle que soit la nature du risque présenté par un traitement.
Qu’est-ce, en effet, qu’un risque “pertinent” pour le patient? Vise-t-on
de la sorte les seules conséquences “graves”?
59. Sur le principe, voir notamment: Mons 11 janvier 1999, R.G.A.R.
55. V. en France, l’art. 1111-4 du Code de la Santé publique français (tel 2001, 13.353 (angiographie); Civ. Neufchâteau 9 juin 1999, Rev. dr.
que modifié par la loi du 4 mars 2002) envisage expressément cette Santé 2000-01, p. 296. Quant à la définition du caractère “exception-
hypothèse et autorise la communication de données relatives au nel” du risque, le Professeur Th. VANSWEEVELT a proposé de retenir
patient uniquement en cas de diagnostic ou pronostic grave, et ce la théorie dite du “risque significatif” (o.c., p. 214, n° 333) en fonc-
afin de permettre aux membres de la famille ou à la personne de tion de quatre critères: la fréquence du risque, la gravité de ce der-
confiance désignée par le patient, d’apporter à ce dernier “un soutien nier, la personnalité du patient (état physique, conditions profession-
direct”. nelles et de vie, personnalité), la nature et le but de l’intervention. V.
56. Il est fait exception à ce principe en cas d’“impossibilité, urgence notamment Th. VANSWEEVELT, La responsabilité civile du médecin
qui exige une intervention rapide, refus éclairé du patient d’être et de l’hôpital, Maklu Uitgevers, Ced.Samsom, Bruylant, 1996, pp.
informé, ou caractéristiques qu’il présente, imposant, dans son inté- 207 et s., nos 323 et s. Quant à l’obligation d’information limitée aux
rêt, de limiter l’information”: P. SARGOS, “L’évolution du droit de la risques présentant une certaine fréquence, voyez: Civ. Courtrai 3
responsabilité médicale dans la jurisprudence civile de la Cour de janvier 1989, R.W. 1988-89, 1171; Civ. Nivelles 5 septembre 1995,
cassation française”, R.G.A.R. 1999, 13.134/3; P. SARGOS, rapport R.R.D. 1996, pp. 298 et s.; Civ. Neufchâteau 9 juin 1999, Rev. dr.
sous Cass. fr. civ. 14 octobre 1997, J.C.P. éd. G., 1997, II, 22.942, Santé 2000-01, pp. 296 et s.
spécialement nos 18 et s. 60. V. également H. et L. MAZEAUD, selon lesquels “l’obligation du
57. V. également l’art. 1110-2 du Code français de la Santé publique, tel médecin n’est pas seulement de prévenir le malade du danger que
qu’il a été inséré par les artt. 9 et 11 de la loi du 4 mars 2002 relative tel traitement ou opération peut lui faire courir, mais de le mettre au
aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il est par courant du traitement, dangereux ou non, qu’il propose de lui appli-
ailleurs intéressant de noter que l’obligation d’information imposée quer”. H. et L. MAZEAUD, obs. sous Civ. Lyon 12 janvier 1951, D.
au médecin est maintenue, par application dudit code, en cas de sur- 1951, 313.
venance d’un litige, obligeant expressément le médecin d’informer 61. V. notamment Cass. fr. 20 janvier 1987, Bull. Civ., n° 19, p. 14.
le patient des circonstances et des causes de son dommage dans les 62. C’était le cas de la chirurgie esthétique. V. notamment C.E. Fr. 15
15 jours de la survenance de celui-ci (art. 1142-4). mars 1996, Durand, Rec. C.E., p. 85.
La Cour de cassation de France a cependant, par deux arrêts 34 Cette rigueur paraît d’autant plus certaine que la cour
du 7 octobre 199863, refusé d’acquiescer à pareille tolé- a, plus récemment encore, considéré qu’un médecin ne peut
rance, à tout le moins lorsque de tels risques peuvent être limiter son obligation d’information quant à la gravité du
qualifiés de “graves”64. Selon la cour, en effet, “hormis les
lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont condition que le brevet du médicament original soit expiré
proposés, ainsi que des caractéristiques de ces investiga- (20 ans) et son prix est environ 20 % inférieur au coût du
tions, de ces soins et de ces risques”70. L’article 7 de la loi médicament original de référence78.
40 Information quant au coût du traitement – L’inter- D.2. UNE OBLIGATION DE RESPECTER L’AUTONOMIE DU
vention de l’I.N.A.M.I. Mais l’information quant au coût PATIENT: OBLIGATION D’OBTENIR PRÉALABLEMENT SON
du traitement ne concerne pas les seuls médicaments géné- CONSENTEMENT
les angles notamment de la liberté individuelle et du respect lement à considérer qu’un consentement personnel pourrait
de la vie privée – implique que le médecin se soumette à la être admis vers 16-17 ans95,96.
volonté exprimée par le patient91. Cette exigence doit
cependant, selon certains auteurs92, se concilier avec le
preuve dont on conçoit aisément la difficulté, plusieurs arrêts l’écrit qu’elle avait signé et, ainsi, qu’elle établisse qu’en
récents rendus par la Cour de cassation ont peu à peu amorcé réalité elle n’avait pas reçu une information suffisante. Il
un revirement de jurisprudence. Celui-ci a trouvé son point débouta cependant les demandeurs au motif que cette
ultime dans l’arrêt Hédreul du 25 février 1997101 et dont
tion médicale. La nature de l’action introduite – et fondée sur avaient été prescrits, de même que s’il a tu la prise conco-
une infraction pénale (artt. 392 et 398 du Code pénal) – justi- mitante d’autres médicaments. Le caractère synallagmati-
fie assurément à elle seule le dispositif de la décision rendue. que de la relation médicale, mais aussi la confiance qui en
préparation magistrale dont il n’est pas convaincu de la substitution sans engager sa responsabilité civile, mais
conformité113 ou du bon dosage114. aussi pénale115,116.
ver une des parties au contrat de tout pouvoir réel de déci- mentaux que cette effervescence a permis de mettre en
sion. Ce faisant, ces lois participent à une véritable réhabili- exergue.
tation du patient en tant que sujet de la relation médicale et