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Les médecins aujourd’hui en France

L’évolution du droit médical

M
édecine et droit ont évolué L’acte médical doit être conforme aux connaissances scientifiques. Ainsi l’ar-
simultanément au cours des données acquises (ou actuelles) de la ticle L. 162-12-15 du Code de la sé-
cinquante dernières années. science. Cette règle résulte aussi bien curité sociale prévoit-il l’opposabilité,
Jusqu’au début du XXe siècle, la méde- du Code de déontologie médicale issu par les régimes d’assurance maladie
cine a relevé bien davantage de la du décret n° 95-1000 du 6 septembre aux professionnels de santé, de réfé-
compassion et de la chance que de la 1995 qui impose au médecin d’assu- rences médicales (RMO) identifiant des
thérapeutique. À partir des années rer au patient des « soins consciencieux, soins et des prescriptions médicale-
1930, les découvertes majeures se dévoués et fondés sur les données ment inutiles ou dangereux et établies
succèdent et « la médecine a plus acquises de la science » (art. 32) que par l’Agence nationale d’accréditation
changé au cours des soixante dernières d’une jurisprudence constante depuis et d’évaluation en santé (Anaes) à partir
années que pendant les soixante siè- l’arrêt « Mercier » de la Cour de cassation de critères scientifiques reconnus.
cles précédents » [16]. De la même du 20 mai 19361. Sous peine d’enga-
façon, la nature et la place du droit se ger leur responsabilité, les médecins La relation médicale : vers un
sont profondément modifiées au cours sont tenus de pratiquer leurs actes par rééquilibrage du rapport médecin/
des dernières décennies pour accom- référence aux méthodes les plus per- patient
pagner les nouvelles aspirations so- formantes et les plus adaptées en l’état Dans la relation qui s’établit entre le
ciales de garantie contre les risques des connaissances médicales. À cet médecin et le malade dans un objec-
de l’existence. égard, le Code de déontologie (art. 11) tif commun de santé, le médecin se
Le droit médical, branche récente de aussi bien que le Code de la santé trouve dans une situation de supériorité
l’ordonnancement juridique, témoigne de publique (art. L. 4133-1 à L. 4133-9) tenant à ses connaissances profession-
la rencontre de la médecine évoluant vers imposent aux médecins d’entretenir nelles et à son savoir-faire. Cependant,
plus d’efficacité et de technicité et du leurs connaissances et de suivre des depuis que l’arrêt « Mercier » du 20 mai
droit progressant vers une protection actions de formation continue. 1936 a fixé la nature de la relation
accrue des individus. Le droit médical L’encadrement juridico-technique de médicale, le droit a considérablement
s’est construit dans le sens d’un enca- l’acte médical découle également de enrichi et rééquilibré le contenu de cette
drement normatif de l’acte médical et l’application de textes réglementaires relation en instaurant un contre-pou-
d’un rééquilibrage de la relation méde- fixant des normes techniques pour voir du patient au pouvoir de l’homme
cin/patient par le biais d’une implication certaines activités médicales (ex. dé- de l’art. Les nouvelles obligations qui
croissante du juge dans la sphère des cret n° 95-648 du 9 mai 1995 relatif pèsent sur le corps médical constituent
activités médicales. à l’accueil et au traitement des urgen- autant de droits reconnus aux patients.
ces ; décrets n° 98-899 et 98-900 des Le rééquilibrage majeur de la rela-
L’acte médical : un environnement 9 et 10 octobre 1998 relatifs à l’obs- tion médicale réside dans le renforce-
référentiel complexe tétrique, la néonatologie et à la réa- ment de l’obligation du médecin de
Les progrès scientifiques et technolo- nimation néonatale). fournir au patient « une information
giques récents ont modifié et diversi- L’acte médical a un coût économique loyale, claire et appropriée sur son état,
fié la nature de la prestation médicale pour la collectivité et sa réalisation doit les investigations et les soins qu’il lui
qui n’est plus exclusivement à visée obéir à des normes croisées de tech- propose » (art. 35 du Code de déon-
thérapeutique. Acte de soins curatif, nicité et d’économie. Ainsi le Code de tologie). Le défaut d’information est en
c’est aussi un acte préventif, diagnos- la sécurité sociale (art. L. 162-2-1) dis- effet à l’origine de plus de la moitié
tique, esthétique, de don, de recher- pose-t-il que les médecins sont tenus, des actions contentieuses formées con-
che, voire de prédiction. Le droit prend dans tous leurs actes et prescriptions, tre les médecins libéraux ou hospita-
en compte cette diversification d’observer, dans le cadre de la légis- liers. Cette situation permet de mieux
d’objectifs et de potentialités en im- lation et la réglementation en vigueur, mesurer la portée de la jurisprudence
Hélène
posant aux médecins de respecter un la plus stricte économie compatible avec récente, à présent commune aux deux
Lussan
nombre croissant de normes et de la qualité, la sécurité et l’efficacité des ordres de juridiction, qui a renversé la
Docteur en références dans un double souci d’ef- soins. De la même façon, le Code de charge de la preuve en faisant peser
droit, adjointe ficacité et d’économie. déontologie (art. 8) engage le médecin sur le médecin la preuve qu’il s’est
au chef du Non seulement la médecine pro- à limiter ses actes et prescriptions à acquitté de son obligation d’informa-
bureau gresse de façon spectaculaire mais, ce qui est nécessaire à la qualité, la tion et en étendant cette obligation aux
Éthique et et c’est là une interaction remarqua- sécurité et à l’efficacité des soins. cas de risques exceptionnels2. Dans
droit, ble entre droit et médecine, c’est le Dans ce contexte de rationalisation la perspective de recueillir le consen-
direction droit qui impose aux médecins d’inté- des dépenses médicales, le législateur tement libre et éclairé du patient, le
générale de la grer et d’appliquer les avancées scien- a enfermé l’acte médical dans un ca- médecin est désormais tenu de l’in-
Santé tifiques et techniques. dre économique fondé sur l’état des former de tout risque grave même si

54 adsp n° 32 septembre 2000


Droit et médecins

sa probabilité est très faible. L’obliga- administrative et judiciaire paraît con- cins et les droits des patients et fai-
tion d’information est consacrée par verger vers un rééquilibrage irréversi- sant droit, d’autre part, aux demandes
la jurisprudence comme un élément es- ble de la relation médecin/patient. d’indemnisation d’accidents médicaux
sentiel du contrat médical permettant sans faute, a pour double portée de
au malade de se déterminer en toute Le juge, la médecine et la société garantir par solidarité une réparation
connaissance de cause. La judiciarisation de la relation médi- aux victimes et d’inviter le législateur
Traditionnellement, la relation mé- cale est souvent dénoncée comme une à combler le vide juridique. La pression
dicale fait peser sur le médecin l’obli- tendance excessive du courant de exercée par le juge ressort avec évi-
gation de moyens d’apporter au ma- protection des patients face au corps dence de la convergence des positions
lade des soins consciencieux, attentifs médical. Le juge, dont l’intervention adoptées par les deux ordres de juri-
et conformes aux données acquises n’est pas spontanée mais commandée diction quel que soit le mode d’exer-
de la science et non pas l’obligation par les actions des victimes d’activi- cice médical en cause.
de résultat de le guérir. Dès lors, seule tés médicales, se fait en réalité l’in- Cet état remarquable de la jurispru-
une faute médicale peut constituer un terprète et le promoteur des exigences dence constitue une occasion sans
manquement à cette obligation de sociales modernes de transparence, précédent pour le législateur de con-
moyens et engager la responsabilité de réparation et de sécurité sanitaire. sacrer dans la loi les avancées juridi-
du praticien. Les deux ordres de juri- La construction du droit médical à ques élaborées par le juge. Il est per-
diction ont toutefois considérablement laquelle il se livre exerce une pression mis d’espérer que le projet de loi en
assoupli les conditions de mise en de plus en plus forte sur le législateur. cours d’élaboration tendant, dans un
cause de la responsabilité médicale La pratique médicale est soumise à objectif de modernisation du système
en enrichissant, s’agissant du juge ju- une vigilance accrue du corps social. de santé, à renforcer les droits du
diciaire, le contenu du contrat médi- Ce droit de regard s’exerce notamment malade, à promouvoir la qualité des
cal de nouvelles obligations profession- par la formation de plus en plus fré- soins et à indemniser les victimes de
nelles et en atténuant l’exigence de quente de recours contentieux contre risques sanitaires, répondra, après une
faute s’agissant du juge administratif. les professionnels de santé. La société vingtaine de projets législatifs non
En effet, après avoir recouru au souhaite non seulement bénéficier des aboutis, à cette conjonction favora-
mécanisme de la présomption de faute, progrès de la science mais aussi com- ble.
la jurisprudence judiciaire a opéré une prendre et être informée. Cette évolu-
1. Cass. civ. 1re, 20 mars 1936 : « Il se forme
évolution remarquable, en matière tion s’inscrit dans le courant plus vaste
entre le médecin et son client un véritable con-
d’infections nosocomiales, en créant de recherche de transparence qui tra- trat comportant pour le praticien l’engagement
à la charge du médecin une obligation verse la société contemporaine. Par [… ] de lui donner des soins non pas quelcon-
de sécurité de résultat dont il ne peut ailleurs, à une époque de progrès ques mais consciencieux, attentifs et, réser-
se libérer qu’en rapportant la preuve médicaux incessants, les individus ne ves faites, de circonstances exceptionnelles,
conformes aux données acquises de la
d’une cause étrangère. Dans le droit tolèrent plus la survenue d’un échec ou science ».
fil de cette construction prétorienne, d’une complication et revendiquent le 2. Cass. civ. 1re, 25 février 1997 sur le renver-
un arrêt de la Cour d’appel de Paris droit à la sécurité sanitaire. Le corol- sement de la charge de la preuve.
du 15 janvier 1999 se livre à une ana- laire de cette intolérance au risque Cass. civ. 1re, 7octobre 1998 et CE 5 janvier
2000 sur l’étendue de l’information.
lyse enrichie du contrat médical et con- médical est l’exigence d’une réparation
Cass. civ. 1re, 20 juin 2000 sur l’information
sacre, en matière de soins, l’existence économique des accidents médicaux y relative aux risques « normalement prévisibles
d’une obligation de sécurité accessoire compris en l’absence d’agissement fau- de l’opération ».
à l’obligation de moyens3. De façon tif. La justice répond à cette demande 3. La Cour d’appel de Paris affirme à cet égard
concomitante, le juge administratif a en faisant progresser de façon specta- que l’obligation de moyens à la charge du pra-
ticien, « applicable en cas d’échec de l’acte de
adopté une interprétation très novatrice culaire les concepts juridiques afin de soins, compte tenu notamment de l’état de
des principes fondateurs de la respon- garantir autant que possible l’indemni- maladie et de l’aléa inhérent à toute thérapie,
sabilité des établissements de santé sation des risques médicaux. n’est pas exclusive d’une obligation accessoire,
publics en évoluant de l’exigence d’une En laissant s’exprimer les aspirations qui en est la suite nécessaire, destinée à as-
surer la sécurité du patient ; que le chirurgien
faute lourde vers le régime de la faute sociales à travers ses décisions, le juge
a ainsi une obligation de sécurité qui l’oblige
simple et, plus récemment, en s’en- interpelle le pouvoir politique. La na- à réparer le dommage causé à son patient par
gageant sur le terrain de la responsa- ture essentiellement jurisprudentielle un acte chirurgical nécessaire au traitement,
bilité sans faute, sur le fondement du du droit de la relation médicale s’ex- même en l’absence de faute, lorsque le dom-
risque4. En facilitant la mise en cause plique en effet par l’absence de dis- mage est sans rapport avec l’état antérieur du
patient ni avec l’évolution prévisible de cet état ».
de la responsabilité médicale par les positif législatif. L’accélération des 4. CAA Lyon, 21 décembre 1990 « Gomez » ;
victimes d’accidents médicaux, l’évo- décisions juridictionnelles renforçant, CE 9 avril 1993 « Bianchi » ; CE 3 novembre
lution parallèle des jurisprudences d’une part, les obligations des méde- 1997 « Hôpital Joseph Imbert d’Arles ».

adsp n° 32 septembre 2000 55

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