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SYNTHÈSES

Les différents types


de responsabilité du chirurgien
dentiste
Marion DEJEAN-PELIGRY
Avocat au Barreau de Montpellier

Résumé

Le droit dit « de la responsabilité médicale » connaît une évolution


considérable depuis quelques années et si, classiquement, on étudie
généralement la responsabilité des médecins, force est de constater que les
chirurgiens dentistes sont, eux aussi, de plus en plus concernés par ce
phénomène.
Dans un but d’information de ces praticiens que sont les chirurgiens
dentistes, seront ici abordés les trois types classiques de responsabilité
susceptibles d’être engagés au cours d’une carrière professionnelle, savoir :
– la responsabilité pénale, laquelle recouvre dans la plupart des cas des
actions des caisses de sécurité sociale pour fraudes et abus divers et reste
malgré tout relativement peu appliquée ;
– la responsabilité disciplinaire, laquelle place le praticien face à ses pairs
et relève de la compétence des instances ordinales gérées par l’Ordre des
chirurgiens dentistes ;
– la responsabilité civile, laquelle est la plus souvent évoquée et traduit
le but indemnitaire poursuivi par le « patient-victime ».
L’exercice serein de l’art dentaire suppose que les praticiens prennent
conscience de ce phénomène récent qui ne cesse de s’accroître ainsi que des
risques qu’ils encourent, le tout à travers des exemples concrets qui leur
permettront d’éviter un certain nombre de situations à risque.

La responsabilité des professionnels de santé connaît une importante évo-


lution depuis quelques années, sous l’impulsion de la jurisprudence d’abord puis,
plus récemment, sous celle de la loi (avec la loi du 4 mars 20021 qui a mis en
place un régime spécifique de responsabilité médicale.

1. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé,
JO du 5 mars 2002.

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Même si on parle le plus souvent de la responsabilité des médecins, il


faut savoir que les chirurgiens dentistes sont, eux-aussi, de plus en plus souvent
confrontés à des réclamations de tous ordres par les patients.

Si les décisions de justice actuellement publiées sont relativement homo-


gènes, le développement de techniques sans cesse plus sophistiquées en matière
dentaire accroît nécessairement les risques de responsabilité encourus par ces
praticiens.

Sera ici adoptée une approche classique tripartite de cette responsabilité,


car le but est de donner la vision la plus globale possible des règles applicables,
avec des illustrations pratiques à travers des cas concrets jugés.

Trois types de responsabilité seront étudiés :

– La responsabilité pénale : il s’agit de la plus atypique et de la plus rare-


ment évoquée des trois. Il s’agit essentiellement des actions des caisses de sécurité
sociale pour fraudes et abus divers à l’encontre de la législation issue du code
de la sécurité sociale. En principe, l’action pénale a une finalité répressive,
« punitive » et reste assez strictement encadrée de par le principe de la légalité
des délits et des peines (pas d’infraction ni de peine sans qu’un texte, essentiel-
lement le code pénal, ne le prévoit) ainsi que de par le principe d’interprétation
stricte dudit code pénal.
– La responsabilité disciplinaire : le praticien est jugé par ses pairs. Géné-
ralement, qui dit « procédure disciplinaire » dit « manquement aux règles du
code de déontologie dentaire »2. En réalité, la notion de « faute disciplinaire »
s’entend bien au-delà des seuls manquements à ce code. Il faut savoir qu’il existe
un Ordre des chirurgiens dentistes, qui assure l’honneur et l’indépendance de la
profession ; veille au maintien des principes de moralité, probité, compétence et
dévouement indispensables à l’exercice de l’art dentaire, ainsi qu’à l’observation
par tous les praticiens des devoirs professionnels et des règles du code de déon-
tologie. Pour accomplir cette mission, les instances ordinales sont chargées
d’accueillir ou de mettre en œuvre l’action en responsabilité disciplinaire engagée
contre les chirurgiens dentistes.
– La responsabilité civile : c’est une responsabilité à finalité indemnitaire,
« réparatrice ». Elle a évolué parallèlement à l’évolution de la relation patient/pra-
ticien. Pendant des décennies, le patient-profane s’en remettait à la sagesse du pra-
ticien-professionnel. Aujourd’hui, le patient-consommateur de soins est né et trouve
face à lui un ingénieur de santé dont il attend un service technique de professionnel
compétent et éclairé.
Si les praticiens eux-mêmes ont souhaité l’évolution de cette relation avec le
patient, ils ne s’attendaient pas à de telles conséquences en termes de responsabilité.

2. Ce code édicte des devoirs moraux et les modalités matérielles d’exercice de la profession. Il s’agit d’un
texte réglementaire : décret n° 94-500 du 15 juin 1994.

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SYNTHÈSES

Quelles sont alors les raisons de cette évolution ? Elles sont diverses : l’évo-
lution considérable des techniques d’investigation médicale et des traitements a
multiplié la survenance des accidents thérapeutiques et a rendu inacceptables les
coups du sort inhérents à tout acte médical car, face à une technique de plus en
plus pointue, on n’attend que des bienfaits.

D’où la nécessité évidente de prévenir les praticiens des risques qu’ils


encourent, afin d’anticiper au maximum les situations à risque.

I – La responsabilité pénale du chirurgien dentiste


Une distinction doit être opérée entre les infractions par atteinte physique
du patient (rare en matière dentaire) et celles concernant notamment l’exercice de
la profession, et essentiellement les relations avec les caisses d’assurance maladie.

A – L’atteinte à l’intégrité physique du patient


1 – L’atteinte volontaire à l’intégrité physique
L’exercice de la chirurgie dentaire rend licite l’atteinte volontaire à l’inté-
grité physique du patient, quand elle est justifiée par une nécessité médicale (arti-
cle 16-3 du code civil), notion mouvante, souple et évolutive.

En dentisterie, on est quand même loin des exceptions au principe d’indispo-


nibilité du corps humain, que la médecine connaît, et où la « nécessité médicale »
a totalement disparu (chirurgie esthétique, prélèvement d’organes, stérilisations
chirurgicales, interruption volontaire de grossesse…).

Cependant, les actes de dentisterie « esthétique » progressent depuis vingt


ans : facettes collées esthétiques, blanchiment des dents, chirurgie gingivale à
visée esthétique, orthodontie…

Ceci étant précisé, il ne faut surtout pas confondre ici la volonté pure
d’infliger une souffrance (caractéristique morale de l’infraction pénale d’atteinte
volontaire à l’intégrité physique) et la conscience de celui qui effectue un acte
sur autrui (à une fin tout autre que faire du mal) de la douleur que cause malgré
tout cet acte. Par exemple, un tortionnaire arrachant une à une les dents de
sa victime pour la contraindre à révéler un secret, tombe sous coup de l’arti-
cle 222-1 du code pénal (actes de torture et barbarie, punis de 15 ans de réclu-
sion criminelle), ce qui n’est évidemment pas le cas du chirurgien dentiste qui
fait une extraction douloureuse, même si la souffrance est due à une maladresse
du praticien ou à la méconnaissance des règles de l’art par ce dernier.

Il est donc extrêmement rare que le chirurgien dentiste inflige au patient


des violences par seule animosité… même si cela existe. Par exemple, le praticien

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mécontent du refus de paiement de ses honoraires par le patient et qui lui arrache
violemment les prothèses posées et commet le délit de blessures volontaires3.

Plus anecdotique, un exemple récent : un chirurgien dentiste a été relaxé


du délit de coups ou violences volontaires commis avec préméditation sur la
personne d’un agent de la poste. Le prévenu avait envoyé par plaisanterie à son
prothésiste une enveloppe chargée de poudre blanche au moment où le stress
de la population était à son maximum concernant les infections au bacille du
charbon. La cour d’appel a retenu que la volonté effective du chirurgien dentiste
de faire une plaisanterie au prothésiste (dont il était ami) et la circonstance de
l’ouverture malencontreuse de la lettre dans les locaux du tri postal privaient
l’infraction de l’élément intentionnel indispensable pour caractériser l’infrac-
tion4… !

2 – L’atteinte involontaire à l’intégrité physique


Les dispositions du code pénal relatives à l’homicide et aux blessures causés
par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation d’une règle
de sécurité prévue par loi ou le règlement (articles 222-19, 222-20, R. 625-2 et
R. 625-3) sont applicables au chirurgien dentiste dans le cadre de son exercice
professionnel, comme à tout citoyen.

Ainsi, les accidents mortels d’origine thérapeutique ne sont pas exclus en


dentisterie et le chirurgien dentiste peut être condamné pour homicide involon-
taire, même si, en pratique, une telle hypothèse est rarissime.

Quelques exemples cependant :

Premier exemple : un prévenu a été jugé coupable d’homicide involontaire


à la fois par inobservation des règlements, en ordonnant un médicament qu’il
lui était interdit de prescrire (il s’agissait en l’espèce de « panstrilline », à base
notamment de « pénicilline retard » et de streptomycine) et par imprudence et
négligence en ne prenant pas toutes les précautions qui s’imposaient à lui avant
de prescrire un médicament pouvant entraîner des accidents graves, à savoir
demander au patient de façon claire et précise s’il avait déjà été soumis à l’action
de la pénicilline et de la streptomycine et s’il l’avait bien tolérée ; question qui
aurait permis d’apprendre que le patient était sujet à des crises d’allergie, ainsi
que l’indiquait une note que le patient portait sur lui et de se mettre en rapport
avec le médecin traitant5.

Un autre exemple concerne un chirurgien dentiste non informé de l’affec-


tion rarissime dont souffrait la patiente ; les juges n’ont pas fait grief au prati-
cien, normalement diligent et instruit des données acquises de la science de

3. Cass. Crim, 9 novembre 1961, Bull. crim. n° 872, GP 1962, 1, p. 104.


4. CA Toulouse, 3e chambre correctionnelle, 21 février 2002, Juris data, n° 169399.
5. Cass. Crim., 28 novembre 1974, n° 73-93.518, Bull. crim., n° 356, p. 906.

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l’époque, de n’avoir pas envisagé de façon systématique l’éventualité d’une telle


maladie chez un patient ; la multiplicité des causes susceptibles d’avoir provoqué
la poussée d’œdème fatale ne permettant pas de retenir pour certain le lien de
causalité entre l’extraction de la dent effectuée et le décès. Le prévenu a ainsi
été relaxé6.

B – Les autres infractions liées à l’exercice de la profession


dentaire
1 – Infractions aux règles régissant l’accès à la profession
Quelques exemples :

• Le défaut d’enregistrement du diplôme dans les conditions fixées à l’arti-


cle L. 4113-1 du code de la santé publique est passible d’une amende de 3 750 € ;
• La fausse déclaration en vue d’une inscription à l’Ordre départemental
des chirurgiens dentistes est passible de 3 mois emprisonnement et d’une amende
de 3 750 € ;
• Le praticien qui omettrait de se faire inscrire à l’Ordre, ou qui exercerait
malgré le rejet de sa demande d’inscription, serait coupable d’exercice illégal de
l’art dentaire. Par contre, commet une faute le Conseil de l’Ordre accusant un
praticien d’exercice illégal de l’art dentaire alors que la demande d’inscription
postérieure au transfert de sa résidence professionnelle n’a pas encore été rejetée
explicitement7.
Autre exemples d’exercice illégal de l’art dentaire :

• Le praticien ayant installé un deuxième cabinet, où c’était le prothésiste


qui réalisait les empreintes et qui posait les prothèses8 ;
• Les professeurs et chefs de services de l’école dentaire favorisant de façon
habituelle l’exercice illégal de personnes n’ayant pas la qualité d’étudiants et
non titulaires des diplômes requis9 ;
• Le cas du propriétaire du local loué au praticien, et qui se retrouve
« assistant dentaire » avec la complicité du locataire10.
Il est à noter que l’exercice illégal de l’art dentaire est tout de même passible
d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ; outre la confiscation pos-
sible du matériel ayant permis l’exercice illégal.

En revanche, aucun texte n’autorise le juge à ordonner la fermeture du


cabinet où l’exercice illégal a été pratiqué11.

6. CA Metz, 22 septembre 1989, Juris data n° 047784.


7. TA Châlons-sur-Marne, 4 octobre 19.77, Rec. 620.
8. Cass. Crim., 18 juillet 1968, n° 67-90.059, Bull. crim. n° 231.
9. Cass. Crim., 10 avril 1964, n° 63-91.725, Bull. crim. n° 105.
10. Cass. Crim., 13 février 1969, n° 68-94.763, Bull. crim. n° 175.
11. Cass. Crim., 25 janvier 1962, Bull. crim. n° 67.

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2 – Délits commis à l’occasion de l’exercice de la profession


Les exemples jurisprudentiels sont nombreux en la matière et concernent
plus spécifiquement quelques domaines :

• Violation du secret médical


Le secret professionnel est une des règles les plus anciennes régissant la pra-
tique médicale et le principe de son respect s’impose à tout chirurgien dentiste,
dans les conditions établies par la loi (articles 226-13 et 226-14 du code pénal).
Au départ, on parlait de « secret médical ». Depuis 1994 (date d’entrée en
vigueur du nouveau code pénal), on parle de « secret professionnel ».
Des dérogations légales au principe du secret existent mais supposent que
la violation du secret ne concerne que ce qui est « nécessaire, pertinent et non
excessif ».
Il est essentiel de noter que ce secret s’applique au praticien même si le
patient l’en a libéré, et ce durant la vie du patient comme après sa mort12.
Sont ainsi tenus au secret le chirurgien dentiste lui-même, évidemment, mais
aussi ses collaborateurs (assistants, secrétaires…). En cas d’exercice en établisse-
ment de soins, le secret est collectif et chacun doit respecter le silence sur la part
d’information qu’il détient. Plus globalement, le secret concerne tous ceux qui
concourent ou participent directement ou non à la délivrance des soins13.
Selon la loi, sont couverts par le secret tous « documents médicaux »,
lesquels ne sont pas toujours faciles à définir. L’information de nature admi-
nistrative devient ainsi confidentielle dès lors qu’elle est susceptible de révéler
l’affection dont le patient est atteint. Le secret couvre également les informations
confiées par le patient et venant à la connaissance du praticien par d’autres
moyens, dans le cadre de son exercice14.
• Faux et usage de faux
Par exemple, la qualification de faux certificat a été retenue à l’encontre
d’un praticien ayant certifié avoir donné des soins, en fait dispensés par son
collaborateur non diplômé15.
Ainsi, tout certificat, attestation ou document délivré par le praticien doit
retranscrire la réalité, être rédigé en français (cependant, il est toujours possible
de délivrer un acte traduit à un patient étranger), permettre d’identifier claire-
ment le signataire et portant la signature manuscrite du praticien.
• Fraudes à la sécurité sociale
Il s’agit par exemple du praticien attestant de soins non conformes à la
réalité16 ou de soins réalisés par une personne non qualifiée17.

12. Ex : CE, 28 mai 1999, Dal. 1999, IR, p.185/CA Paris, 13 mars 1996, JCP G 1997, 22894.
13. CE, section, 11 février 1972, Rec. 138.
14. Civ., 24 février 1993, Bull. civ. I, n° 87.
15. Cass. Crim., 13 février 1969, Bull. crim., n° 75.
16. Cass. Crim., 17 avril 1956, Bull. crim. n° 314, p. 576.
17. Cass. Crim., 13 février 1969, Bull. crim. n° 75.

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• Discrimination et refus de soins


L’article 225-1 du code pénal n’édicte pas moins d’une peine d’emprison-
nement pour le délit de discrimination à raison de l’appartenance ethnique,
nationale, raciale ou religieuse. Par exemple, le refus de soins qui serait opposé
à une catégorie spécifique de patients pourrait entrer dans cette qualification ;
étant précisé qu’en réalité on prend en compte la discrimination pour « appar-
tenance » ou « non appartenance » à un « groupe de population ». Par exemple,
le fait pour un praticien de proposer ses services ou une collaboration unique-
ment à un confrère musulman revêt un caractère discriminatoire, puisque les
autres confrères sont écartés pour « non appartenance » à l’Islam18.
• Exercice illégal d’une autre profession
Si le praticien réalise un acte dépassant sa compétence, il peut être pour-
suivi pour exercice illégal de la médecine, voire même pour exercice illégal de
la profession de vétérinaire19.
À savoir également : les professions de chirurgien dentiste et d’avocat sont
totalement incompatibles20.
• Infractions diverses
Les exemples sont divers et variés. On peut notamment citer la mutilation
volontaire de dents saines, la violation de domicile, la contrainte morale (chan-
tage), le vol l’escroquerie…

II – La responsabilité disciplinaire du chirurgien


dentiste
Il s’agit ici de faire une présentation synthétique des grands principes de
base pour délimiter les principaux contours de la notion ; l’étude exhaustive de
ce thème supposant, en effet, d’y consacrer un ouvrage complet !

A – Les principes généraux de la responsabilité disciplinaire


Tout fait de nature à déconsidérer la chirurgie dentaire, à porter une
atteinte ou le discrédit à la profession de chirurgien dentiste ou à ses membres,
tout comportement qui s’écarte des principes moraux commandant l’exercice
professionnel, peuvent être qualifiés de faute et seront examinés par l’instance
disciplinaire.

Trois principaux types d’infractions sont concernés : les infractions au code


de déontologie dentaire, les infractions au code de la santé publique et les infrac-
tions au code de la sécurité sociale.

18. T. Correctio. Paris, 19.12.91, Juris data n° 051715.


19. Rectification de la bouche de chevaux. CA Poitiers, 20 juin 1980, Juris data n° 000209.
20. CA Paris, 25 février 1998, Juris-Data n°970240.

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1 – Les infractions au code de déontologie dentaire


Il s’agit principalement des manquements de tous ordres aux principes
moraux gouvernant l’art dentaire.

Tout praticien, au moment de son inscription au Tableau, affirme devant


le Conseil départemental de l’Ordre qu’il a eu connaissance de ce code, lequel
comporte essentiellement des dispositions relatives à la morale professionnelle,
souvent citées comme le fondement même de l’action disciplinaire.

2 – Les infractions au code de la santé publique


Le code de la santé publique prévoit un certain nombre d’infractions dis-
ciplinaires spécifiques pénalement réprimées, parmi lesquelles on peut, par
exemple, citer : l’interdiction d’exercer l’art dentaire sous un pseudonyme
(article L. 4113-3 CSP), la prohibition du reversement d’honoraires (article
L. 4113-5 CSP, sauf cas de partage des bénéfices au sein d’une société d’exer-
cice libéral)…

3 – Les infractions au code de la sécurité sociale


Elles recouvrent essentiellement la notion de « contentieux du contrôle
technique », un des contentieux spéciaux de la sécurité sociale.

Il s’agit de sanctionner disciplinairement les fautes, abus, fraudes, et plus


généralement tous faits intéressant la profession et relevés à l’encontre d’un chi-
rurgien dentiste (ou d’un autre professionnel de santé) à l’occasion des soins
dispensés aux assurés sociaux (article L 145-1 et suivants CSP).

Cela étant précisé, il est à noter, en termes de règle de cumul des poursuites,
que :

– l’exercice d’une action disciplinaire ne fait pas obstacle aux poursuites


que le ministère public ou les particuliers intenteraient devant les tribunaux
répressifs de droit commun (responsabilité pénale) ;

– l’exercice d’une action disciplinaire ne fait pas obstacle aux poursuites


que les particuliers intenteraient devant les tribunaux civils de droit commun
aux fins d’obtenir le paiement de dommages et intérêts (responsabilité civile).

Les litiges relatifs à des infractions disciplinaires relèvent de la compétence


exclusive des juridictions disciplinaires (compétence personnelle).

Deux types de juridictions peuvent être saisies : si le litige relève du


contentieux du contrôle technique (infractions au code de la sécurité sociale) la
section des assurances sociales sera compétente alors que s’il s’agit d’un autre
type de litige, la chambre disciplinaire statuera.

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SYNTHÈSES

À ce jour, il n’existe aucune énumération limitative quant aux faits suscep-


tibles d’être disciplinairement sanctionnés (compétence matérielle) : la compé-
tence de chacune des deux juridictions disciplinaires existantes est donc très large.

En première instance, est compétente la chambre disciplinaire de première


instance de l’Ordre régional dans le ressort de laquelle exerce le praticien au
moment de la saisine de la juridiction. (Depuis la loi du 4 mars 2002, le praticien
exerçant à la Réunion relève de la compétence de la chambre de première ins-
tance de l’Ordre de la région Île de France et le praticien exerçant à Saint Pierre
et Miquelon relève de la compétence de la chambre de première instance de
l’Ordre de la région Basse Normandie – compétence territoriale).
Les textes n’imposent aucune forme spéciale pour les plaintes déposées
devant le Conseil de l’Ordre.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, le droit d’agir devant
la chambre disciplinaire est ouvert à toute personne ayant un intérêt légitime,
notamment le patient qui a désormais le statut de partie potentielle à l’instance
et non plus de simple témoin comme auparavant.
La procédure disciplinaire est contradictoire et écrite, sans préjudice d’une
comparution du praticien poursuivi, qui peut se faire assister ou représenter,
mais une communication écrite suffit, cependant, à assurer le contradictoire.
Il est impératif qu’existe un grief évoqué contre le praticien, sous peine de
voir la procédure déclarée irrecevable.

B – Les règles de fond régissant le droit disciplinaire


1 – La notion d’infraction disciplinaire
Le plus souvent, la faute professionnelle, au sens disciplinaire du terme,
résulte d’une violation d’une règle édictée par le code de déontologie dentaire.
Régulièrement aussi, il s’agira de cas de violation des principes de moralité et
de probité indispensables à l’exercice de la profession de chirurgien dentiste et
au maintien desquels les Ordres sont chargés de veiller.

On peut distinguer deux types de fautes professionnelles :

• les fautes susceptibles d’être amnistiées, comme par exemple : les man-
quements aux règles administratives (ouverture d’un cabinet secondaire sans
autorisation21), le manquement au devoir de confraternité (diffusion d’informa-
tions de nature à porter atteinte à la réputation d’un confrère22), le manquement
à l’égard d’un patient (utilisation d’une thérapeutique désavouée23).

21. CE, 25 novembre 1987, JCP G 1988, IV, 89.


22. CE, 9 juin 1978, Rec. 246.
23. CE, 8 mars 1972, Rec. 198.

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• les fautes non amnistiables, comme par exemple : le manquement à


l’honneur ou à la probité, le manquement aux règles administratives (laisser
exercer dans le cadre de son cabinet une personne non qualifiée24), le manque-
ment au devoir de confraternité (détournement de clientèle ou de personnel25),
le manquements à l’égard d’un patient (pose d’un bridge en matériau acrylique
au lieu de la céramique prévue sur le devis accepté par le client26).

2 – Les sanctions disciplinaires


Devant la chambre disciplinaire, les sanctions disciplinaires encourues sont
les suivantes, par ordre de gravité : l’avertissement, le blâme, l’interdiction tem-
poraire, avec ou sans sursis, ou l’interdiction permanente d’exercer les fonctions
de chirurgien dentiste.

Devant la section des assurances sociales, les sanctions disciplinaires encou-


rues sont les suivantes, par ordre de gravité : l’avertissement, le blâme (avec ou
sans publication), l’interdiction temporaire ou permanente, avec ou sans sursis,
du droit de prodiguer des soins aux assurés sociaux, ou une obligation de rem-
boursement du trop perçu en cas d’abus d’honoraires.

III – La responsabilité civile du chirurgien dentiste


C’est la responsabilité principalement recherchée, car son but est d’obtenir
la condamnation du praticien au paiement de dommages et intérêts.

Il faut ici clairement distinguer la responsabilité et l’exercice individuel de


la profession (cas le plus fréquent d’exercice) et l’exercice en groupe où il existe
quelques règles spécifiques à noter.

A – Responsabilité civile et exercice individuel de la profession


1 – Nature de la responsabilité civile
Dans le cadre d’un exercice libéral, le chirurgien dentiste est lié à son
patient par un véritable contrat, reposant sur les mêmes principes déontologi-
ques et juridiques que le contrat médical27 (arrêt Mercier).

a – La responsabilité civile contractuelle du chirurgien dentiste


Ce contrat est dit synallagmatique (il crée des obligations réciproques à la
charge de chacune des parties), avec en principe une obligation de moyen spécifique
mise à la charge du praticien et une obligation précise mise à la charge du patient

24. CE, 22 février 1963, Dr. Adm 1963, n° 101.


25. CE, 5 décembre 1986, S. GP 1987, 2, p. 420 et CE 7 décembre 1984. T. req. n° 51668.
26. CE, 5 mars 1986, B. req. n° 56665.
27. Arrêt Mercier, Civ, 20 mai 1936, DP 1936, I, 88.

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SYNTHÈSES

de suivre les conseils et les prescriptions du praticien et de le rémunérer, sous réserve


d’aménagements possibles entre les parties (hypothèse, par exemple, d’un acte gra-
tuit ou du paiement par une tierce personne et non directement par le patient).

Ce contrat est également conclu intuitu personae (c’est-à-dire en considé-


ration directe de la personne même des concluants) et peut être rompu :

– par le patient, à tout moment, s’il allègue d’un motif légitime (comme,
par exemple, la dégradation des relations contractuelles ou l’échec du traitement
prescrit) ;
– par le praticien, sous réserve qu’il respecte deux exigences incontourna-
bles, à savoir : répondre aux situations d’urgence et assurer la continuité des soins.
• Concernant l’obligation de moyen mise à la charge du praticien, l’arrêt
Mercier précisait que le praticien était obligé de donner des « soins conscien-
cieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux
données acquises de la science ».
La transposition de cet arrêt du médecin au chirurgien dentiste daterait de
196028 et depuis lors, la notion de « données acquises de la science » n’a cessé
d’évoluer (on a parlé successivement de « données de la science », de « données
actuelles de la science », de « dernières données acquises », de « règles de l’art
eu égard aux données actuelles de la science »…).
Depuis un arrêt du 6 juin 2000, la Cour de cassation a jugé que « l’obli-
gation est de donner des soins conformes aux données acquises de la science à
la date de ces soins » ; l’important étant le caractère certain de ces données au
moment de l’acte ; le caractère « actuel » des données étant ainsi expressément
pris en compte.
Du côté du Conseil d’État, on estimait qu’il fallait préciser, au niveau des
faits soumis, la réelle portée de la notion de « données acquises » pour apprécier
la qualité des soins dispensés par le praticien29.
Avec la loi du 4 mars 2002 (actuel article L. 1110-5 du code de la santé
publique), on parle dorénavant de « connaissances médicales avérées ».
L’obligation de moyen est fondée sur le principe de l’aléa affectant le résul-
tat de tout acte médical. Par principe, le praticien doit ainsi tout mettre en œuvre
pour aboutir au résultat escompté mais n’a pas d’obligation d’assurer directe-
ment un résultat. Seule exception au principe : en matière de fourniture de pro-
duits de santé, il existe une responsabilité sans faute, c’est-à-dire qu’une
obligation dite de « sécurité-résultat » est mise à la charge du praticien (article
L. 1142-1-I du code de la santé publique).
• Concernant l’obligation de résultat mise à la charge du praticien, elle
suppose que la prestation réalisée exclut tout aléa. Par exemple, le praticien est
ainsi garant de l’absence de vice de la prothèse dentaire.

28. Arrêt « de principe » des chirurgiens dentistes : Civ. 1, 27 janvier 1960, Juris data n° 000059.
29. CE, 15 décembre 1993, Juris data n° 048355.

402 Droit, déontologie et soin Septembre 2005, vol. 5, n° 3


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b – La responsabilité civile extra-contractuelle du chirurgien


dentiste (délictuelle ou quasi délictuelle)
À l’égard du patient, il peut notamment s’agir des cas de dommages causés
hors cadre contractuel (par exemple un dommage causé à une chose appartenant
au patient), des cas de nullité du contrat de soins (cette nullité suppose un texte
la prévoyant expressément comme, par exemple, en cas de contrat avec un objet
illicite, vicié par erreur, dol, ou violence), ou encore des cas d’absence de contrat
(intervention urgente sur une personne inanimée, ou incapable et dont le repré-
sentant légal n’a pas donné son accord).

À l’égard des tiers, il peut notamment s’agir du cas de la victime d’un faux
certificat ou d’une fausse déclaration (une caisse de sécurité sociale, par exemple,
ou une mutuelle), ou du cas où l’acte du chirurgien dentiste a causé un dommage
au tiers (il s’agit essentiellement du cas des actions des ayants droit du patient-
victime qui agissent en leur nom personnel, en tant que victimes dites « par
ricochet »).

2 – Les conditions de la responsabilité civile


Hormis les cas particuliers où existe une obligation de résultat (où la res-
ponsabilité est engagée du seul fait que le résultat promis n’est pas atteint), trois
conditions doivent être remplies :

a – L’existence d’un fait dommageable


Il s’agira d’une faute ou du fait d’une chose.

De façon générale, constitue une faute le fait pour un praticien d’avoir une
conduite qui s’écarte du standard de référence admis par la profession, c’est-à-
dire que n’aurait pas eu le praticien diligent, averti et compétent, placé dans les
mêmes conditions que l’agent du dommage. Toute faute, quelle que soit sa gra-
vité, engage la responsabilité du praticien.

Quelques exemples de fautes pouvant engager la responsabilité civile du


praticien :

– Le défaut d’information : le patient doit être suffisamment informé afin


d’être en mesure de donner un consentement « libre et éclairé ». Cette informa-
tion est tout à la fois préalable au traitement (portant sur l’utilité, les risques
prévisibles et les suites du traitement), concomitante au traitement (portant sur
les modifications du traitement en cours de thérapeutique) et postérieure au trai-
tement (portant sur les incidents éventuellement survenus et sur leurs suites pos-
sibles). Si la jurisprudence en la matière n’a eu de cesse d’évoluer, la situation
est aujourd’hui clairement établie par la loi du 4 mars 2002 ;
– Le défaut de consentement : sans consentement du patient, le contrat de
soins ne peut être considéré comme valablement formé. Le patient compte parmi

Septembre 2005, vol. 5, n° 3 Droit, déontologie et soin 403


SYNTHÈSES

ses droits les plus fondamentaux, et ce, quelles qu’en soient les conséquences,
celui de refuser toute atteinte à son intégrité physique. Dans le cas particulier
de la chirurgie dentaire, le consentement peut porter, soit sur l’accord du patient
à tout acte médical réalisé, recelant une atteinte à son intégrité physique, soit
sur l’aspect financier du contrat de soins, essentiellement en cas de dépassement
d’honoraires ou d’absence de prise en charge des soins par les caisses de sécurité
sociale.
– L’erreur de diagnostic : cette erreur devient fautive lorsque la dili-
gence indispensable à l’établissement d’un diagnostic exact n’a pas été appli-
quée par le praticien. Ainsi, le chirurgien dentiste qui, consulté pour la
première fois par un patient se plaignant de douleurs dentaires, a décidé
directement l’extraction d’une dent de sagesse, alors que des investigations
préalables auraient permis de déceler que la dent était saine et que les dou-
leurs provenaient d’une carie sous l’amalgame d’une autre dent, a vu sa res-
ponsabilité civile être engagée30.
– Le choix d’un traitement non conforme aux règles de l’art : tel est le cas,
par exemple, du chirurgien dentiste qui a choisi un système implantaire et des
prothèses fixes totalement inadaptés au cas de son patient31.
– Non délivrance d’un appareil apte à répondre aux attentes du patient :
c’est le cas classique d’obligation de résultat du praticien, ce qui suppose, en
principe, que le praticien, fournisseur de prothèses dentaires notamment, délivre
un appareil sans défaut. Même si le praticien fait appel à un prothésiste extérieur
pour réaliser sa prothèse, il conserve tout de même un devoir de surveillance de
la bonne exécution du travail commandé et conserve donc, par là même, cette
obligation de résultat sur le produit fourni, en qualité de garant de celui qui fait
agir un tiers « en ses lieux et place32 ». La responsabilité du praticien est ainsi
engagée du fait de la non conformité d’une chose et non plus de son seul fait
personnel.
Concernant la notion de « fait des choses », il faut savoir que le fait de
choses inanimées peut engager la responsabilité délictuelle du praticien sur le
fondement de l’article 1384 alinéa 1 du code civil, en qualité de gardien de la
chose ayant causé le dommage. Ce type de responsabilité sera recherchée si
aucun lien contractuel n’existe avec le patient ou si l’incident est survenu en
dehors de l’exécution d’un contrat existant (cas par exemple du patient qui chute
en se relevant du fauteuil du chirurgien dentiste33).

Le fait des choses peut aussi engager la responsabilité contractuelle du pra-


ticien sur le fondement de l’article 1147 du code civil, à condition que l’incident
dû au matériel intervienne lors de l’exécution du contrat médical.

30. CA, Paris, ch. 8, 19 janvier 1999, Juris data n° 020146.


31. CA, Paris, ch. 7, 27 avril 1994, Juris data n° 021466.
32. CA Montpellier, ch. 1, 30 mai 1991, Juris data n° 034427.
33. Civ., 18 décembre 1956, Bull. civ. II, n° 708.

404 Droit, déontologie et soin Septembre 2005, vol. 5, n° 3


Marion DEJEAN-PELIGRY

Dès 1965, la Cour de cassation a affirmé le principe d’une responsabilité


contractuelle du fait des choses utilisées dans l’exécution du contrat médical34.
Puis, dans un arrêt de 199935, ladite Cour a confirmé le fondement contractuel
de cette responsabilité, en affirmant l’existence d’une obligation sécurité-résultat
pesant sur le praticien mais en précisant quelques règles spécifiques, selon les-
quelles notamment le dommage subi doit être lié à une anomalie, un vice dont
la chose était affectée et la victime doit prouver le lien de causalité entre ce vice
et son préjudice.

b – L’existence d’un préjudice


Il peut être corporel (physique, physiologique ou esthétique), moral ou éco-
nomique. La détermination de l’incapacité permanente partielle du patient cor-
respond au taux relevé par l’expert, après consolidation, constatant le dommage,
diminué de l’éventuel taux antérieur à l’intervention fautive. Seront également
pris en compte, par exemple, les frais engagés par le patient, le manque à gagner
du patient en raison de l’incapacité temporaire ou permanente…

Ainsi, a été jugé comme constitutif d’un préjudice moral la violation de la


confiance du patient par le praticien36.

c – L’existence d’un lien de causalité


En général, il n’y a pas de difficulté à établir ce lien en cas de fait générateur
unique du dommage. Le plus souvent, il y a malheureusement plusieurs faits
générateurs à prendre en considération. Deux théories s’opposent en droit fran-
çais en la matière : la théorie de la causalité adéquate et la théorie de l’équiva-
lence des conditions ; la seconde étant la plus couramment appliquée.

En cas de pluralité de faits, les juges retiennent tous ceux apparaissant


comme la condition nécessaire du dommage, ce qui aboutit à des condamnations
in solidum (c’est-à-dire que chacun peut être tenu pour le tout). Par exemple,
c’est le cas du chirurgien dentiste habituel de la patiente qui, sans réexaminer
cette patiente venue six mois plus tôt, atteste qu’elle ne présente actuellement
aucun signe d’affection apicale et ophtalmologique et du chirurgien qui décide
d’opérer cette patiente de la cataracte sans demander d’examens complémentai-
res ni prendre la précaution de faire des radiographies de la mâchoire ; tous
deux ayant été jugés solidairement responsables des complications subies dans
le cadre de l’intervention37.

Le lien causal doit être prouvé de façon totalement incontestable et pour


ce faire, en principe, on a recours à un expert judiciaire pour l’établir. Si le

34. Civ., 16 novembre 1965, Bull. Civ. I, n° 618.


35. Civ., 9 novembre 1999, Dal. 2000, p. 117.
36. CA Paris, 3 mai 2001, Juris data n° 146696.
37. CA Paris, 9 février 1995, Juris data n° 020297.

Septembre 2005, vol. 5, n° 3 Droit, déontologie et soin 405


SYNTHÈSES

dommage a une origine extérieure, ou résultant d’une faute propre du patient,


le lien de causalité avec la faute du praticien est totalement exclu, de même qu’en
cas de survenance d’un aléa thérapeutique.

Un cas particulier tout de même existe, en cas de défaut d’information et


de perte de chance :

• Si l’intervention était indispensable, le préjudice serait seulement moral car


le patient n’aurait pas pu se préparer aux éventuelles conséquences dommageables.
• Si l’intervention peut être évitée, le défaut d’information est alors la cause
exclusive du dommage car le patient, mieux informé, aurait pu choisir d’éviter
l’intervention. Depuis 1965, la jurisprudence admet que le praticien engage sa
responsabilité lorsque, par sa faute, il fait perdre à son patient une chance de
guérison. Cependant, la réparation sera alors partielle par rapport au préjudice
total, et cette solution est justifiée par l’idée qu’il s’agit d’un préjudice spécifique,
celui de la chance perdue. Il faut savoir que la perte de chance est souvent indem-
nisée quand le rapport d’expertise rendu donne des conclusions vagues…
Par contre, le préjudice allégué comme résultant de la perte de la faculté
de refuser une opération indispensable est totalement inopérant.

3 – Mise en œuvre de la responsabilité civile


À défaut d’assurance, le praticien supporte sur son patrimoine propre les
conséquences de sa responsabilité professionnelle. Depuis la loi du 4 mars 2002,
l’assurance de responsabilité civile professionnelle est devenue obligatoire (arti-
cle L. 1142-2 du code de la santé publique) et permet la garantie des dommages
occasionnés.

Sont compétentes, pour les actions en responsabilité concernant l’exercice


privé et libéral de la profession, les juridictions civiles et/ou les juridictions
répressives en cas d’infractions pénales.

En matière de prescription, la loi du 4 mars 2002 a mis en place une pres-


cription décennale et non plus trentenaire en matière de responsabilité médicale,
étant précisé que la saisine de la Commission régionale de conciliation et
d’indemnisation des victimes suspend les délais de prescription. À l’égard du
mineur, la prescription ne court qu’à compter de la majorité.

En matière de preuve, il convient de distinguer le cas du défaut d’informa-


tion du cas de la faute technique.

Dès 1942, la Cour de cassation a mis à la charge du professionnel de santé


une obligation d’information sur les risques, ce, afin de recueillir le consente-
ment éclairé du patient, et la charge de la preuve incombait alors au praticien
(arrêt Teyssier du 28 janvier 1942). Puis, en 1951, l’arrêt Birrot mettait la charge
de la preuve sur la tête du patient. Enfin, l’arrêt Hedreul du 25 février 1997 a

406 Droit, déontologie et soin Septembre 2005, vol. 5, n° 3


Marion DEJEAN-PELIGRY

jugé que le praticien devait prouver, par tout moyen, qu’il a donné l’information
nécessaire pour obtenir le consentement éclairé du patient ; information portant
sur les risques prévisibles ou exceptionnels.

Cette dernière solution de la preuve à apporter par le praticien, par tout


moyen, a été expressément confirmée par les dispositions de la loi du 4 mars 2002
(article L. 1111-2 du code de la santé publique).

Concernant la preuve de la faute technique, c’est au patient de prouver le


manquement fautif du praticien. En pratique, une expertise est diligentée dans
quasiment tous les cas pour éclairer le juge, même si les conclusions de l’expert
ne lient pas ledit juge. L’expert donne un avis technique dans le cadre de la
mission temporaire qui lui a été confiée mais ne porte aucune appréciation juri-
dique. En principe, la mission de l’expert est précisée par le juge quant aux
points sur lesquels il doit donner son avis motivé. L’expertise doit être contra-
dictoire pour servir de preuve.

B – Responsabilité civile et exercice en groupe


L’exercice libéral privé est le mode d’exercice majoritaire de la profession
de chirurgien dentiste, le autres modes d’exercice se définissant comme suit :

– dans le secteur public, la représentation de la profession se limite aux


enseignants et correspond à 0,78 % de la population professionnelle ;
– dans le secteur privé, il s’agira soit de salariés exerçant en cabinet mutua-
liste soit de salariés exerçant auprès des caisses d’assurance maladie. Le contrat
de soins est alors conclu entre le patient et l’employeur et non avec praticien
lui-même.

1 – Exercice au sein d’un établissement public


Ce type d’exercice relève de la compétence des juridictions administratives
et suppose l’application des règles de fond et de forme spécifiques du droit admi-
nistratif. L’action en justice est alors engagée contre la personne morale publique
et soumise à la règle de la décision préalable (une demande en réparation doit
d’abord être adressée à la personne morale de droit public concernée car elle
est nécessaire pour lier le contentieux. Si aucune réponse n’est donnée dans un
délai de deux mois (refus implicite), ou en présence d’un refus explicite ou si la
victime estime la proposition faite insuffisante, elle saisira le tribunal adminis-
tratif territorialement compétent).

Une exception à cette règle existe : il y aura compétence du juge judiciaire


en cas de faute « personnelle » du praticien, dite détachable du service, ou en
cas d’actes réalisés dans le secteur privé des hôpitaux publics, en clinique
ouverte, dans un hôpital local ou dans le cadre d’une recherche biomédicale.

Septembre 2005, vol. 5, n° 3 Droit, déontologie et soin 407


SYNTHÈSES

Le régime de responsabilité de principe est ici le régime pour faute, où la


faute simple suffit à engager la responsabilité de l’administration (faute du pra-
ticien lui-même ou des auxiliaires médicaux intervenant).

Un régime d’exception existe : la responsabilité sans faute38 ; laquelle est


cependant difficile à appliquer en odontologie car l’arrêt de principe ayant ins-
tauré ce régime particulier de responsabilité suppose le caractère d’extrême gra-
vité du dommage causé.

2 – Exercice au sein d’un établissement privé


Liés par un contrat de travail de droit commun, incluant nécessairement
des clauses spécifiques à l’exercice de l’art dentaire, praticiens et employeurs
voient leurs responsabilités engagées à raison des actes contestés par les patients.
Les principales hypothèses d’exercice en établissement privé recouvrent les
cas des cabinets dentaires mutualistes et de caisse d’assurance maladie. Ils ont
exclusivement une fonction de soins (et non d’hôtellerie comme une clinique) et
ont pour obligation de fournir le plateau technique (matériel et produits) et la
mise à disposition du personnel médical et auxiliaire nécessaire.
Concernant le plateau technique, il existe une obligation de résultat de
fournir du matériel en bon état et des produits sans vice.
L’établissement est alors responsable contractuellement des fautes commi-
ses par le personnel auxiliaire ainsi que par les praticiens salariés.
Certes, il existe un contrat de travail mais l’employeur n’a aucun droit de
regard sur la réalisation des actes médicaux du praticien. De même, le pouvoir
disciplinaire de l’employeur peut s’exercer, mais uniquement dans le cadre de
la relation de travail et dans le domaine situé en dehors des fonctions de soins.
(sanction par exemple d’un praticien qui injurie les patients39).
Le licenciement du praticien salarié est ici possible car toute la législation
applicable en droit du travail est ici prise en compte.

3 – Exercice collectif de praticiens


Trois cas de figure sont envisageables :

• Cas du chirurgien dentiste salarié ou remplaçant de son confrère : le prati-


cien emploie un de ses confrères et doit assumer l’ensemble des obligations légales
résultant du contrat travail. Si le confrère est remplaçant, sa faute n’exonère pas
nécessairement le remplacé de toute responsabilité : il peut y avoir un partage de
responsabilité en cas de faute propre du remplaçant et de faute du remplacé l’ayant
laissé faire des actes pour lesquels il était en réalité incompétent.

38. Arrêt de principe : Bianchi, CE, 9 avril 1993, AJDA 1993, p. 344.
39. CA Pau, 9 juin 1994, Juris data n° 045009.

408 Droit, déontologie et soin Septembre 2005, vol. 5, n° 3


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• Cas d’intervention de plusieurs chirurgiens dentistes : le développement des


techniques en dentisterie s’est accompagné d’une tendance à la spécialisation des
praticiens, comme en médecine (la seule spécialité légalement reconnue étant l’ortho-
pédie dento-faciale mais les praticiens limitent souvent leur activité à une seule dis-
cipline ; parodontologie/implantologie/endodontie/pédodontie). Le patient peut être
amené à consulter plusieurs praticiens, chacun devant concourir à la réalisation du
traitement global. Chacun a alors conclu un contrat distinct, propre et spécifique,
avec le patient et le partage de responsabilité se fera selon les fautes commises par
chacun dans le cadre de son propre contrat. En pratique, l’expertise ne permet pas
toujours de différencier clairement les fautes personnelles de chaque praticien.
• Cas d’exercice en société : l’exercice en cabinet de groupe se fait dans le
cadre d’un contrat. Le plus souvent, il s’agit de sociétés civiles de moyens (arti-
cles 1845 et suivants du code civil), dont le rôle est de permettre la mise en
commun de moyens avec un partage des charges. Dans ce cas, les mêmes règles
de responsabilité que pour l’exercice individuel s’appliquent, chacun restant res-
ponsable à l’égard de ses patients.
Autre cas de figure possible : les sociétés civiles professionnelles. Elles ont
connu peu de succès, contrairement aux sociétés d’exercice libéral à forme
commerciale. Dans ces deux cas, le patient a contracté avec la société réputée
exercer elle-même la profession. La responsabilité contractuelle de la société
est alors engagée dans le cadre des actes accomplis en son nom par les associés
et la responsabilité contre praticien lui-même est possible mais alors sur le seul
terrain délictuel.

Conclusion
Finalement, quels sont les grands principes à retenir en la matière ? Au vu
des termes de la loi du 4 mars 2002, il s’agit :
• Du droit fondamental du patient d’accéder aux soins (exigence de soins
de qualité ; interdiction des discriminations dans les conditions d’accès aux soins ;
obligation de formation continue des professionnels, réellement obligatoire pour
les seuls odontologistes des hôpitaux (article L. 6155-1 du code de la santé publi-
que) mais fortement conseillé aux praticiens libéraux également ; droit à des soins
consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science).
Sur ce dernier point, la responsabilité du praticien est retenue, si la notion
d’aléa est absente bien entendu, es qualité de débiteur de l’obligation contrac-
tuelle de résultat (cas, par exemple, d’une prothèse fournie défectueuse, alors
que les actes médicaux relatifs au traitement prothétique restent soumis à une
simple obligation de moyen).
La même règle de responsabilité sans faute sera applicable en cas de dom-
mage provoqué par l’utilisation d’un matériel, à condition que le caractère défec-
tueux dudit matériel soit à l’origine du dommage (concept d’obligation de
sécurité-résultat quant au matériel utilisé).

Septembre 2005, vol. 5, n° 3 Droit, déontologie et soin 409


SYNTHÈSES

Par contre, si l’aléa existe, le risque d’erreur est refusé au praticien et sa


maladresse suffira à qualifier sa faute ;
• Du droit à une information complète et continue du patient ;
• De l’obligation de recueillir le consentement du patient avant tout acte
médical obligatoire ;
• Du droit à réparation des risques sanitaires pour le patient. Si le principe
de responsabilité pour faute a été légalement réaffirmé, la responsabilité sans
faute est toujours possible en matière de produits de santé et d’infection noso-
comiale, sauf à prouver l’existence d’une cause étrangère ;
Le législateur a ainsi manifestement voulu délimiter ce qui relève de la res-
ponsabilité médicale et ce qui relève de la solidarité nationale : un système
d’indemnisation relativement large a ainsi été créé pour couvrir les risques sani-
taires causés par tout produit de santé, tout acte chirurgical, tout acte d’inves-
tigation ou de prévention.

Si le dommage intervient hors cas de responsabilité médicale et/ou pénale,


la réparation par l’intermédiaire du système de solidarité nationale suppose
l’existence d’un lien de causalité direct entre le dommage et l’acte de prévention,
de diagnostic ou de soins, ainsi que le caractère anormal du dommage causé
(évalué en comparaison avec l’évolution prévisible de l’affection dont le patient
est atteint) et sa gravité (un recours n’est en effet possible que si un certain taux
d’incapacité permanente est atteint).

En tout état de cause, la procédure de règlement amiable des accidents médi-


caux, affections iatrogènes ou infections nosocomiales prévue par la loi se déroule
devant la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des victimes
d’accidents médicaux, dont le but est de faciliter le règlement amiable des litiges ;

L’indemnisation suppose, alors, qu’une procédure d’expertise soit diligentée.


L’avis rendu par la commission, après expertise, détermine si la responsabilité du
praticien est engagée ou pas et, dans l’affirmative, l’indemnisation qui lui incombe
sera alors en principe prise en charge par son assureur. L’assureur peut cependant
contester l’avis de la commission et demander au juge, après indemnisation, de
constater qu’il s’agit en fait d’un aléa thérapeutique, ce qui ferait alors condamner
l’Office national d’indemnisation aux lieu et place de l’assureur ; le premier règle-
ment restant cependant toujours à la charge de l’assureur.

En cas d’avis favorable, l’offre de réparation intégrale du préjudice faite


par la commission se limite alors aux plafonds garantis par les contrats d’assu-
rances classiques des professionnels.

Cette procédure amiable pourra avoir une suite contentieuse en cas de refus
de l’offre faite par la commission pour la victime ou en cas de recours subro-
gatoire par l’Office national d’indemnisation qui serait intervenu en réparation
du dommage, en l’absence de prise en charge par l’assureur.

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