Ann. Kin ésithér. , 1994, t. 21, nO 5, pp.
273-274 RÉPONSE À NOS LECTEURS
© Masson, Paris, 1994
Responsabilité des hôpitaux publics
et responsabilités sans faute
C. LEFRANC
MK., maÎtrise de droit, D.E.A. Droit de la Santé, 38, rue Auguste-Chevallier,
Le 9 avril 1993 sera une date à retenir dans les annales
de la responsabilité hospitalière. En effet, par un arrêt de
cette date, le Conseil d'État admet la responsabilité d'un
hôpital public sans qu'aucune faute n'ait été constatée
aussi bien sur le plan médical que dans le cadre de
l'organisation du service.
Dans cette affaire, un patient souffrant de paralysie
faciale et de vertige entre à l'hôpital de Marseille pour
y subir une artériographie. A l'issue de l'examen, il se
retrouve tétraplégique. Aucune faute n'est constatée mais
face au préjudice anormalement grave subi, le Conseil
d'État décide de condamner l'hôpital à l'indemniser.
Qu'est-ce qui a motivé l'arrêt du Conseil d'État? Depuis
quelques années, on assiste dans le domaine de la
responsabilité hospitalière, à une évolution allant dans un
sens favorable au patient. Depuis une jurisprudence datant
de 1935, la responsabilité hospitalière ne pouvait être
engagée qu'en cas de faute lourde lors de l'activité
médicale. La jurisprudence administrative établissait une
subtile distinction entre la faute lourde pour l'acte médical
et la faute simple en cas d'acte courant.
Pourquoi, une telle distinction ? Parce que la pratique
médicale était considérée par les juges comme étant
difficile et aléatoire. Il est inutile de préciser que la
distinction entre la faute lourde et la faute simple relevait
le plus souvent de la pure rhétorique. La démonstration
de la faute lourde était une gageure pour le patient. Seule
une faute extrêmement grossière pouvait engager la
responsabilité de l'hôpital dans le domaine médical,
comme par exemple un champ opératoire oublié dans le
ventre d'une malade. Les patients et lesjuristes y perdaient
leur latin.
Ces dernières décennies, les rapports entre la médecine
et la société ont évolué. La médecine tout en progressant
s'est désacralisée et l'opinion publique par le biais des
médias s'est de plus en plus émue des préjudices causés
par les actes médicaux, les patients ayant subi un préjudice
ne voulant plus se retrouver classés dans les victimes
expiatoires d'une médecine dont les erreurs n'étaient pas
réparées.
Par ce que contrairement aux idées reçues, c'est la
société qui fait le droit et non pas l'inverse, le Conseil
d'État ne pouvait pas rester insensible devant l'émotion
suscitée par les erreurs médicales non indemnisées.
Tirés à part: C. LEFRANC, à l'adresse ci-dessus.
aléas thérapeutiques
F 37000 Tours.
Plusieurs parades ont été utilisées par le Conseil d'État
sans que celui-ci ne renonce à sa jurisprudence. Certaines
fautes médicales furent disqualifiées en faute d'organisa-
tion afin de rechercher une faute simple, parfois la faute
fut présumée ou eu encore la faute lourde plus facilement
admise.
En 1990, les prémisses d'un revirement de jurisprudence
se firent sentir. En effet, la Cour d'Appel administrative
de Lyon condamna les hospices civils de Lyon malgré
l'absence d'une faute. En l'espèce, un jeune garçon rentré
pour une intervention chirurgicale sur une scoliose, se
retrouva paraplégique à l'issue de l'opération. La cour a
estimé que malgré l'absence de faute, l'utilisation d'une
technique nouvelle, ce qui était le cas en l'espèce, faisait
courir un risque spécial au patient.
L'évolution vers des solutions favorables au patient se
confirma en 1992. Dans un arrêt très important du 10 avril
1992, le Conseil d'État décide d'abandonner la classifica-
tion en faute lourde et faute simple pour ne retenir que
la faute médicale. Outre le désir de simplification, cette
évolution répondait à un souci d'égalité de régime de
responsabilité entre les établissements publics et les
établissements privés d'hospitalisation.
L'arrêt de 1993 est dans la lignée de cette évolution.
Mais est-ce un arrêt marquant un revirement de jurispru-
dence ?
Des raisons propres à l'affaire et à l'actualité ont motivé
cet arrêt. En ce qui concerne l'affaire, la gravité du
préjudice causé au patient ne pouvait laisser les juges
indifférents. De plus le Conseil d'État a pris en compte
le risque d'incompréhension du public dans le cas où un
tel préjudice ne serait pas indemnisé.
Pour ce qui est de l'actualité, le Conseil d'État semble
avoir voulu rappeler au législateur ses responsabilités. En
effet, depuis plusieurs années un projet de fonds d'indem-
nisation des victimes d'actes thérapeutiques est à l'étude
au Ministère de la Santé. Le fond serait financé par une
assurance obligatoire soit auprès des assurés sociaux, soit
auprès de professionnels de la santé. Il s'adresserait à
l'ensemble des victimes d'aléas thérapeutiques en hospita-
lisation publique ou en pratique privée. Les personnes
victimes d'accident thérapeutique seraient automatique-
ment indemnisées sans que la faute du praticien ne soit
prouvée. C'est sur cette base que les victimes de sida
post-transfusionnel sont indemnisées. Jusqu'à présent
7 projets ont été élaborés, aucun n'a abouti.
274 Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, n° 5

Est-ce que le régime de responsabilité sans faute est totalement inéquitable qu'un praticien doive indemniser
applicable aux kinésithérapeutes? Il est bien évident que un préjudice alors qu'il n'a commis aucune faute. De plus
non. Le régime de la responsabilité diffère totalement le renversement de la charge de la preuve, telle qu'il avait
suivant que celle-ci est administrative ou d'ordre privé. été envisagé dans un projet de directive européenne a été
La jurisprudence du Conseil d'État ne concerne que abandonné.
les établissements d'hospitalisation publique. Seul ces En conclusion, l'évolution du régime de la responsabi-
derniers peuvent voir leur responsabilité engagée sans lité hospitalière ne concerne pas la pratique privée.
faute. Face à l'évolution sociale, le Conseil d'Etat ne pouvait
Alors que la responsabilité administrative est régie par plus ignorer le fossé d'incompréhension qui s'était creusé
des règles jurisprudentielles très évolutives, la responsabi- entre les décisions juridiques et l'opinion publique. La
lité en pratique privée est régie par la loi forcément plus mise en place d'un fond d'indemnisation des victimes
rigide. d'aléas thérapeutiques résoudrait bien des problèmes tant
En pratique privée, la responsabilité civile est basée sur sur le plan juridique que sur le plan humain.
les articles 1382, 1383 et 1384 du Code Civil, la Actuellement, seules les victimes du sida post-transfu-
responsabilité pénale est quant à elle engagée sur la base sionne! bénéficient d'un tel régime. Réagissant dans
des articles du Code Pénal et maintenant du nouveau Code l'urgence, les pouvoirs publics ont instauré une inégalité
Pénal. Dans tous les cas, le praticien doit avoir commis certaine entre les patients.
une faute et celle-ci doit être prouvée par le patient. Ce
régime de responsabilité n'est pas remis en cause. Il serait Tours, le 2 décembre 1993.

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