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les juges
nous donnent
des idées !
A
ujourd’hui, les juges sont confrontés à un très grand L’échantillon analysé compte 80 décisions de justice en lien
nombre de demandes des fournisseurs pour obtenir avec l’accès à l’énergie, rendues depuis la libéralisation des
le paiement de factures. Souvent, ces demandes en marchés en Région wallonne, le 1er janvier 2007. Plusieurs
justice constituent une étape d’une procédure de décisions proviennent de secteurs présentant des similitudes
recouvrement standardisée et sont rédigées de manière gé- avec celui de l’énergie, tels que la téléphonie, les télécommu-
nérique, sans proposer une analyse de la situation personna- nications ou encore la distribution d’eau. Nous avons aussi
lisée ou une argumentation spécifique. Par analysé quelques décisions rendues par des
Nous avons voulu comprendre
ailleurs, une large majorité de consomma- juridictions bruxelloises et flamandes.
comment les juges règlent
teurs ne se présentent pas devant le juge.
les conflits liés à l’énergie, et
Ce dernier reçoit donc très peu d’informa- Il est probable que la tendance très favorable
comment ils interprètent et
tions sur la situation vécue par le consom- au consommateur qui se dégage de cet échan-
utilisent le cadre juridique
mateur et sur le conflit qu’il doit trancher. tillon ne soit pas représentative de l’ensemble
protecteur à leur disposition.
des décisions prises en Wallonie en lien avec
Si les audiences sont publiques, les décisions prises par l’accès à l’énergie. Ceci étant, les motivations particulièrement
les juges de paix ne font pas l’objet d’une publication systé- fouillées des juges apportent de nombreux arguments réuti-
matique. La complexité et la technicité des termes et règles lisables par les citoyens et les travailleurs sociaux face aux
propres au domaine de l’énergie compliquent encore un peu la fournisseurs d’énergie, que ce soit en justice ou dans une ten-
donne. L’accès à l’énergie est pourtant un besoin fondamental. tative de régler le conflit à l’amiable. Elles permettent égale-
ment de mieux appréhender le rôle que la justice peut jouer en
Énergie Info Wallonie a décidé de réaliser une analyse de ju- matière de protection du consommateur d’énergie.
risprudence afin de comprendre comment les juges règlent
les conflits liés à l’énergie, et comment ils interprètent et Ce document présente des arguments qui ont convain-
utilisent le cadre juridique protecteur à leur disposition. Par la cu un ou plusieurs juges dans les décisions analysées.
diffusion de cette analyse, nous entendons aussi participer, à Ils pourraient être utiles au consommateur à différentes
notre échelle, à une plus grande transparence des décisions étapes de sa relation avec son fournisseur d’énergie.
rendues en matière d’accès à l’énergie.
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1. Protection du
consommateur en
cas de démarchage
2. (Non-) application
des conditions
générales
L L
orsqu’un consommateur conclut un contrat suite à un es conditions générales du fournisseur sont souvent
démarchage, les fournisseurs sont tenus de confirmer difficiles à lire et à comprendre. Quand le fournisseur les
ce contrat sur un support durable (courrier, mail). Cette invoque pour obtenir quelque chose du consommateur
obligation de confirmer le contrat est prévue par l’Accord (par exemple une indemnité forfaitaire à payer en plus
« Le consommateur dans le marché libéralisé de l’électricité du montant initial en cas de retard de paiement du consomma-
et du gaz ». La sanction, si l’Accord n’est pas respecté, est que le teur), ce dernier peut être pris au dépourvu parce qu’il n’a pas eu
fournisseur ne peut rien facturer au consommateur. connaissance des conditions générales avant de signer le contrat.
BON À SAVOIR
Trois fournisseurs présents en Wallonie n’ont pas signé
l’Accord. Ils ne sont donc pas tenus de le respecter. Il
s’agit de Mega, Klinkenberg et Comfort Energy.
Références légales : Accord « Le consommateur dans le marché Références légales : articles 1108 et 1315 du Code civil ; article
libéralisé de l’électricité et du gaz », point II, 2 et 3. VI.83, 26° du Code de droit économique.
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3. Contestation
de la facture
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4. La prescription
FACTURES ET DÉMÉNAGEMENT
PROBLÉMATIQUE
Plusieurs juges de notre échantillon ont été confrontés à des des dettes
consommations facturées alors que le consommateur a démé-
nagé et ne vit plus à l’adresse des consommations. Presque tous d’énergie
considèrent que le consommateur doit signaler son déménage-
ment. L’un d’eux estime que si le consommateur ne prouve pas
qu’il a signalé son déménagement au fournisseur, il doit payer
les factures qui concernent son ancienne adresse.
L
parti, ce dernier ne devra pas payer la facture. Dans la même veine, a prescription extinctive est l’écoulement d’un cer-
d’autres juges refusent d’accorder le paiement parce que les tain laps de temps qui entraîne la perte d’un droit.
factures ne correspondent à aucune consommation réelle (par Par exemple, le droit d’agir en justice pour réclamer
exemple, le compteur a été fermé au départ du consommateur). le paiement d’une dette. Si une personne à qui une
dette est due tarde trop à en réclamer le paiement, celui qui
Un juge constate que les conditions générales prévoient que le en est redevable pourra opposer la prescription : il est trop
consommateur doit signaler son déménagement, mais il consi- tard pour exiger le remboursement de la dette.
dère qu’elles sont inapplicables. Dans ces conditions, le consom-
Concernant les dettes d’énergie, il existait jusqu’il y a peu
mateur qui n’a pas averti son fournisseur ne doit pas payer les
une controverse concernant le délai nécessaire pour que
factures postdéménagement.
la dette soit prescrite. Habituellement, les juges appliquent
aux dettes énergétiques le délai de 5 ans, qui est celui pré-
FACTURE ET RESPONSABILITÉ
vu pour les dettes périodiques.
DES CONSOMMATIONS
Certains juges se posent la question de savoir si c’est bien le
Certains juges optaient toutefois pour le délai spécifique d’1
consommateur qui doit supporter le coût des consommations et
an. L’objectif de cette courte prescription était de protéger
en assumer la responsabilité dans tous les cas. Un juge considère le client « non marchand » qui achetait une marchandise à
par exemple que le fournisseur aggrave son dommage s’il ne met un « marchand » sans que la transaction soit constatée par
pas en oeuvre rapidement la procédure qui mène au placement écrit, et qui payait en liquide, sans garder la preuve du paie-
du compteur à budget. Selon ce juge, si le compteur à budget ment. Il s’agissait de le protéger contre le professionnel sans
avait été placé, le consommateur aurait dû prépayer ses consom- scrupule qui réclamerait le paiement une seconde fois. La
mations et elles auraient été moindres. Dans ces conditions, le prescription d’1 an était logiquement écartée par les juges
juge n’accorde que partiellement les montants réclamés par le lorsque le consommateur reconnaissait ne pas avoir payé
fournisseur. Il estime ce que le consommateur aurait consommé la dette (par exemple s’il payait partiellement la dette, s’il
sous compteur à budget et n’accorde pas la différence. incluait la dette dans un Règlement Collectif de Dettes,…).
Un autre juge accepte que le consommateur, locataire, appelle La controverse est désormais clôturée par le législateur, qui
en garantie son propriétaire pour des consommations exces- a rendu impossible le délai de prescription d’un an et a défi-
nitivement fixé la prescription de cinq ans pour la fourniture
sives qui pourraient être liées à une fuite dans un tuyau du lo-
de gaz ou d’électricité.
gement loué.
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5. Les frais de recouvrement
amiable de la dette d’énergie
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6. Les dépens
7. Les coupures
de gaz et
d’électricité
L
a coupure en cas de refus de placement d’un
compteur à budget (voir point 5) et la coupure
au terme de la procédure « MOZA » sont les deux
cas les plus fréquents[1]. La procédure « MOZA »
s’applique dans une situation de déménagement problé-
matique, lorsque, après le départ de l’occupant, aucun
fournisseur ne se manifeste pour reprendre le point de
fourniture. Le GRD essaie alors de prendre contact avec
le nouvel occupant ou avec le propriétaire pour qu’il choi-
sisse un nouveau fournisseur. Pendant cette période, il
est possible que le nouvel occupant consomme de l’éner-
Les dépens représentent l’ensemble des gie sans contrat et donc sans la payer. Après plusieurs
frais de justice, c’est-à-dire les frais liés interpellations, le GRD peut procéder à la coupure de l’ali-
à une procédure en justice… mentation. L’énergie consommée sans contrat reste due.
1 Voir le rapport annuel spécifique 2015 de la CWaPE concernant l’exécution des obligations
de service public imposées aux fournisseurs et gestionnaires de réseau, p.35 et s.
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Conclusion :
Le juge, un équilibriste
clarificateur
E
n matière d’accès à l’énergie, les règles juridiques cation à la lettre de cette nouvelle règle diminuerait radicale-
Éditeur responsable : D.Ketels, rue nanon 98 à 5000 - ne pas jeter sur la voie publique
applicables sont loin de former un ensemble cohé- ment la protection du consommateur. Il devient donc encore
rent. Elles sont nombreuses, complexes et de nature plus indispensable que le consommateur se présente en jus-
différentes. Parmi elles, de nombreuses dispositions tice et qu’il fasse opposition aux jugements par défaut pour
visent à protéger le consommateur d’énergie. Cette diversité, que le juge vérifie le bien fondé des demandes soumises.
de forme et de fond, peut rendre le maniement des règles ardu,
que ce soit pour le juge confronté à un nombre impressionnant Au vu des réformes récentes relatives au défaut et à l’aide
de dossiers à traiter en un temps record ou, plus encore, pour juridique, le besoin d’accompagnement par les travailleurs
le consommateur isolé dans sa relation contractuelle avec son sociaux, déjà criant, devient, dans un tel contexte, véritable-
fournisseur. Des clarifications et aménagements sont sans ment colossal. On peut se questionner sur la manière dont
aucun doute nécessaires pour optimaliser leur usage. les pouvoirs publics pourront apporter des réponses satisfai-
santes à ces enjeux de taille.
Il ressort des décisions récoltées que, quand le juge est saisi
par le fournisseur d’un conflit l’opposant à un consommateur, Il ne faut pas perdre de vue qu’en Région wallonne, le législa-
le fournisseur n’obtient pas toujours gain de cause. Il est teur n’a pas prévu que le juge intervienne au moment le plus
même rare que le juge lui donne entièrement raison. Le juge décisif pour le consommateur, à savoir lors de la rupture de
vérifie le respect du cadre juridique et assure l’effectivité des la relation commerciale et de la coupure d’énergie. Le juge se
règles qu’il applique. Il arrive au juge d’interpréter ces règles, prononce essentiellement dans le cadre des conflits touchant
donc d’en préciser le sens. Il joue alors un rôle clarificateur. au recouvrement de la dette. Ce cadre d’action déjà réduit
Certains juges sont particulièrement créatifs dans leur ma- pourrait être remis en question à l’avenir. En effet, les huissiers
nière de combiner plusieurs règles entre elles ou de les inter- pourront bientôt se passer de la justice pour recouvrer des
préter. Ils ne se contentent pas d’appliquer le cadre juridique créances entre professionnels considérées comme incon-
Energie Info Wallonie • rue Nanon 98 • B-5000 Namur (Belgique) • info@energieinfowallonie.be • www.energieinfowallonie.be
à des faits, mais ils participent à la création de ce cadre 2. testées. Il reste à espérer que cette procédure ne sera jamais
étendue au recouvrement des dettes des consommateurs.
Conscient de la position de faiblesse du consommateur,
le juge prend encore un autre rôle : celui de rétablir l’équi-
DICO
libre entre fournisseur et consommateur, liés par la relation
contractuelle. Pour ce faire, le juge utilise alors les grands prin- EN FRANÇAIS SVP !
cipes du droit des obligations. Les exigences de preuves que
de nombreux juges appliquent aux revendications du fournis- La partie demanderesse est, dans un procès, la
seur constituent par exemple un filtre efficace aux demandes personne qui a introduit la demande en justice, qui
non fondées ou rédigées de manière prototypée. L’exigence demande au juge de trancher le litige.
de bonne foi dans l’exécution des contrats est un autre levier
utilisé par les juges pour rétablir l’équilibre entre parties. En droit, ce qu’on appelle l’ordre public est un
ensemble de règles, principes et valeurs essentiels,
Il ressort également de l’analyse que, lorsque le consomma- qui doivent être respectés par tous. Personne ne peut
teur ne se présente pas en justice, certains juges prennent y déroger. Un contrat entre deux personnes ne peut
la peine de vérifier les prétentions du fournisseur. Or, depuis pas être contraire à l’ordre public.
la modification du Code judiciaire en 2015, le rôle du juge est
limité en cas de défaut. Il est tenu de faire droit aux demandes Faire opposition signifie faire usage du recours qui
permet de contester une décision judiciaire, lorsqu’elle
de la partie demanderesse, sauf si elles sont contraires à
a été rendue en l’absence d’une partie et que celle-ci
l’ordre public. Les clauses abusives revêtent le caractère n’a pas pu présenter ses arguments au juge (jugement
d’ordre public, mais pas la prescription par exemple. Si le juge par défaut). L’affaire est alors renvoyée au juge, qui
doit faire droit aux demandes du fournisseur, peut-il toujours réexamine l’affaire et rend un nouveau jugement,
vérifier si les prétentions du fournisseur sont suffisamment après avoir entendu toutes les parties.
étayées par des preuves ? Il ne fait pas de doute qu’une appli-
Référence légale : article 806 du Code judiciaire.
2 Nous nous permettons de reprendre ici le prisme d’analyse développé par Véronique
van der Plancke lors du Réseau de vigilance du 16 février 2016 à Bruxelles, sur le rôle du
Réalisé par juge, organisé par le Centre d’appui bruxellois SocialEnergie de la FdSS. Avec le soutien de la