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COVID-19 ET CHLOROQUINE : LE PATIENT

INFECTE PEUT-IL CHOISIR SON TRAITEMENT ?


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Par Delphine Provence, Avocat.
- JEUDI 26 MARS 2020

Le refus d’administrer de la chloroquine à un patient atteint du Covid-19


constitue-t-il une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect à la
vie et au consentement du patient ?
(Article actualisé par l’auteur suite aux décrets des 25 et 26 mars 2020, et à la
décision du Conseil d’Etat du 28/03/2020.)
Dernière mise à jour : 30 mars 2020

Alors que la polémique autour de l’utilisation de la chloroquine (un médicament


traditionnellement indiqué dans le traitement et la prévention du paludisme) pour
enrayer les effets du nouveau coronavirus Covid-19 n’en finit plus de monter, la
question du choix du patient quant à la stratégie thérapeutique à adopter se pose avec
acuité.
Un patient atteint du Covid-19 a-t-il le droit d’exiger de bénéficier d’un traitement plutôt
que d’un autre ? Peut-il s’opposer au protocole thérapeutique décidé par le praticien
hospitalier ? Plus encore, peut-il imposer l’administration d’un traitement pour lequel il
n’existe pas (encore) de consensus scientifique mais à propos duquel une partie du
corps médical affirme qu’il pourrait lui sauver la vie ?
Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, le temps du paternalisme médical est révolu : le
patient est désormais émancipé, pleinement apte à assumer le rôle de décideur final des
soins qui le concernent.
L’article L. 1111-4 du Code de la santé publique dispose que « toute personne prend, avec
le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il
lui fournit, les décisions concernant sa santé » et que « le médecin a l’obligation de
respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et
de leur gravité ».
Gravée dans la loi, l’obligation de respecter en toutes circonstances le consentement du
patient a été érigée au rang de liberté fondamentale par le Conseil d’Etat dans une
décision fondatrice du 16 août 2002 (CE, juge des Réf., Cts Feuillatey, req. n° 249552).
Il fut un temps où le patient ne pouvait pas agir en amont : sa volonté bafouée, il ne
pouvait qu’agir a posteriori sur le terrain de la responsabilité pour faute.
Depuis l’entrée en scène du référé-liberté en droit médical en 2002, le patient est mieux
armé.
L’article L. 521-2 du Code de justice administrative permet de demander au juge des
référés, lorsqu’il y a urgence, d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde
d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un
organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans
l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». Le juge des
référés doit se prononcer dans un délai de quarante-huit heures.
Le droit au respect à la vie et le droit au respect du consentement du patient, tous deux
expressément reconnus comme des droits fondamentaux de la personne humaine,
bousculent le débat qui existe actuellement sur la prise en charge thérapeutique des
patients atteints du Covid-19.
D’aucuns reconnait qu’il n’existe aucun traitement validé à ce jour pour soigner la
maladie provoquée par le virus Sars-Cov-2, mais seulement des pistes encourageantes
de traitement.
L’article L. 1110-5 du Code de la santé publique consacre le droit pour toute personne,
compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert,
« de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et
de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la
meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard
des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de
traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire
courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ».
Dans cet énoncé, on entrevoit un impératif de qualité et de sécurité des soins : le
médecin doit donner des soins, non pas quelconques, mais consciencieux, attentifs,
dévoués et conformes aux données acquises de la science. Le Conseil National de l’Ordre
des Médecins assigne une double exigence à l’exercice de la médecine : "morale, car cette
activité implique altruisme et dévouement, et scientifique, car elle impose, comme un
devoir, la compétence".
La loi impose donc au corps médical le respect du principe de proportionnalité, qui
renvoie au rapport bénéfice/risque inhérent à tout acte médical. Le praticien doit donc
apprécier la nécessité du traitement par rapport aux risques que le malade est
susceptible d’encourir.
Dans l’hypothèse où le patient ne serait pas d’accord avec la prise en charge
thérapeutique (ou l’absence de prise en charge) adoptée par l’hôpital, la question se
pose de savoir s’il pourrait saisir le juge des référés-liberté du tribunal administratif
pour que ce dernier ordonne la mise en place du traitement souhaité. En l’occurrence, un
patient contaminé par le Covid-19 pourrait-il demander au juge administratif d’imposer
le recours à l’hydroxychloroquine pour traiter son infection ?
La réponse n’est pas évidente et dépendra sans doute du profil clinique du patient.
Pour l’heure, le gouvernement a suivi l’avis rendu le 23 mars 2020 par le Haut Conseil de
la Santé Publique préconisant de restreindre l’utilisation de la chloroquine aux formes
les plus graves du coronavirus (comprendre « les patients atteints de pneumonie
oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe »), traitées en milieu hospitalier, sur
décision collégiale des médecins et sous surveillance médicale stricte [1]. Le comité
scientifique a expressément exclu toute prescription par la médecine de ville et pour des
cas non sévères.
Les décrets publiés par le gouvernement les 25 et 26 mars 2020 reprennent les
recommandations du Haut Conseil en encadrant strictement la prescription et la
délivrance de la spécialité pharmaceutique Plaquenil (sulfate d’hydroxychloroquine), en
la réservant à un usage hospitalier et en interdisant aux officines de ville de la dispenser
en-dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché. En l’absence
d’alternative thérapeutique appropriée, un médecin libéral reste toutefois libre de
prescrire l’hydroxychloroquine hors AMM pour traiter un patient atteint du Covid-19, à
la condition qu’il juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le
recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient. Mais
avec un aléa de taille : combien seront les officines à accepter de traiter ces
ordonnances… ?
Pour justifier sa position, le Haut Conseil retient que « l’hydroxychloroquine peut
provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du
rythme cardiaque pouvant engager le pronostic vital », que « ce médicament comporte des
contre-indications notamment en cas d’association à d’autres médicaments » et « qu’un
surdosage peut entraîner des effets indésirables graves pouvant mettre en jeu le pronostic
vital. »
Autant d’effets secondaires que d’autres médicaments sont susceptibles de provoquer,
étant rappelé que tout traitement ou acte médical comporte des risques plus ou moins
rares et/ou plus ou moins sévères…
S’agissant de l’étude observationnelle réalisée par l’équipe du Professeur Didier Raoult,
Directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, sur 26 patients atteints
du Covid-19, le Haut Conseil de la Santé Publique indique que « ces résultats
exploratoires doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l’étude,
incluant en partie des patients asymptomatiques, de l’absence de bras témoin, du critère de
jugement uniquement virologique (pas de données cliniques) » et qu’ « ils ne permettent
pas de conclure à l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine ou de l’association
hydroxychloroquine + azithromycine, mais demandent à être confirmés (ou infirmés). »
Les mesures prises par le Premier Ministre n’ont pas tardées à être critiquées de tous
bords. Dans un communiqué diffusé le 26 mars 2020, l’Académie nationale de Médecine
considérait « que la libération par les pouvoirs publics de l’hydroxychloroquine pour les
malades hospitalisés en détresse respiratoire ne saurait être une réponse adaptée pour des
patients dont la charge virale est, à ce stade, le plus souvent inexistante et dont la maladie
n’est plus une virose stricto sensu mais une défaillance pulmonaire (syndrome de détresse
respiratoire aigu) liée à l’inflammation induite par le Sars- CoV-2 », rejoignant ainsi la
position exprimée par l’infectiologue français Didier Raoult. Ceci pose clairement la
question de la pertinence du protocole retenu en termes d’efficacité et de sa conformité
aux normes législatives et conventionnelles en vigueur.
Différents syndicats de médecins ont demandé au Conseil d’Etat, dans le cadre d’une
requête en référé-liberté déposée le 23 mars 2020, d’enjoindre à l’Etat de prendre toutes
mesures utiles notamment « pour fournir et autoriser les médecins et hôpitaux à prescrire
et administrer aux patients à risque l’association de l’hydroxychloroquine et de
l’azithromycine ».
Dans une Ordonnance rendue le 28 mars 2020 [2], le Conseil d’Etat rejette la demande
des requérants, estimant que les « études disponibles à ce jour souffrent d’insuffisances
méthodologiques » et que « l’essai clinique européen "Discovery", dont les premiers
résultats seront connus dans une dizaine de jours et qui doit inclure des patients pour
lesquels le traitement est initié suffisamment tôt pour apprécier l’incidence de la molécule
sur l’évolution de la maladie, permettra de recueillir des résultats plus significatifs. »
Précisons d’emblée que le Conseil d’Etat ne s’est pas vu communiquer la 2e étude
réalisée par l’institut hospitalo-universitaire de Marseille portant sur 80 patients mais
uniquement la première qui portait sur 26 patients, ce qui restreint considérablement la
portée de cette décision.
La Haute Juridiction précise également que, si le Premier ministre pouvait interdire la
dispensation de l’hydroxychloroquine en pharmacie d’officine en dehors des indications
de son autorisation de mise sur le marché, ces mesures sont « susceptibles d’évolution
dans des délais très rapides ». Le Conseil d’Etat ne ferme donc pas la porte et rappelle
qu’il se prononce « en l’état de l’instruction ». Sa position pourra donc être amenée à
évoluer très vite (le plus tôt étant le mieux au regard du contexte d’urgence sanitaire) en
présence de nouveaux éléments.
Dans cette décision, le Conseil d’Etat réaffirme par ailleurs la liberté de prescription du
médecin, tout patient ayant le droit de recevoir « sous réserve de son consentement libre
et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu’appréciés par le
médecin ». Interrogé sur un cas particulier, le Conseil d’Etat aurait donc très bien pu
avoir une approche différente.
Si le respect de la volonté du patient est aujourd’hui l’expression ultime de la liberté
individuelle et de la dignité humaine, il serait néanmoins faux de croire que cette liberté
a supplanté toutes les autres.
En effet, dans une décision rendue en référé le 26 juillet 2017 (CE, juge des réf., formation
collégiale, 26 juillet 2017, n° 412618), le Conseil d’Etat a jugé qu’un hôpital ne peut se
voir imposer de pratiquer sur un patient un traitement que l’équipe médicale n’a pas
choisi. Les juges du Palais Royal ont ainsi retenu qu’« aucune disposition ne consacre
un droit du patient à choisir son traitement », réaffirmant par là même la liberté
thérapeutique du médecin. Notons que cette affaire concernait la décision prise par trois
équipes hospitalières indépendantes d’administrer un traitement palliatif à un enfant
comateux atteint d’une leucémie aiguë et récidivante alors que les parents réclamaient
la mise en place d’une chimiothérapie curative, laquelle était jugée inappropriée par les
soignants compte tenu de la très forte probabilité de son inutilité ainsi que des grandes
souffrances et des risques élevés qu’elle devait entraîner pour l’enfant. Au regard des
faits litigieux, qui mettaient en cause la notion d’acharnement thérapeutique, la décision
rendue doit donc s’analyser avec prudence.
Quoiqu’il en soit, le médecin ne dispose pas d’un blanc-seing dans le choix du traitement
à mettre en œuvre. Le juge contrôle les diligences accomplies par l’équipe médicale en
charge du patient pour déterminer le traitement le plus approprié à son état de santé et
vérifie si la décision a bien été prise en tenant compte d’une part, des risques encourus
et, d’autre part, du bénéfice escompté. Le juge sera également sensible à l’existence de
plusieurs avis médicaux concordants pour un même cas donné.
Fort de ces éléments, la réponse à la question posée précédemment doit être nuancée :
un hôpital qui refuserait d’administrer à un patient la médication à base de chloroquine
déjà testée avec succès sur des dizaines de patients, sans lui offrir de traitement curatif
alternatif, alors même que ce patient ne présenterait pas de prédispositions négatives à
ce protocole thérapeutique et comporterait un risque sérieux de complications graves
ou de décès lié à son infection au Covid-19, pourrait se voir enjoindre par le juge des
référés l’obligation de délivrer ce traitement. A l’inverse, dans l’hypothèse où les risques
liés à l’utilisation d’un tel traitement étaient estimés supérieurs au bénéfice escompté
par le corps médical, l’hôpital ne violerait aucun droit fondamental à refuser de le
délivrer au patient.

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