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Les Juifs avaient-ils des dogmes? Summarium, — Auctoros modernioves hand pauei, rationalistae, pro- testantes, immo et indaci, contondunt religionem isracliticam et iudaicam multas quidem habuisse leges quibus res agendae praecipiebantur, at nulla veri nominis dogmata quibus veritates credendae divinitus imponebantur. Ad talem negationem plures devenerunt eo quod vix ac ne vix quidem inter- ‘ventum Dei supernaturalem admittunt ; alii putant nulla posse haberi dogmata in societate religiosa in qua deest auctoritas doctrinalis quaedam suprema cuius sit controversias dirimere ac voritates credendas definire; alii aliter conceptum dogmatis pervertunt, Contra hos statuitur religionem isracliticam ac indaicam suis asseclis vera imposuisse dogmata, In praesenti materia, dogma intelligitur veritas religiosa a Deo revelata, atque ut talis fidei communitatis authentice proposita, adeo ut nullus eam relicere queat quin evadat hacreticus et ex illa sovietate religiosa, saltem de iure, exeludatar, Porro, nemini rem oculo sereno consideranti dubium esse potest dogmata sic intellecta in religione israelitica et iudaica adfuisse, et imprimis dogma unius Dei, universorum ereatoris, revelatoris, et populi sui liberatoris, neenon dogma Dei remunoratoris, Hoc ultimum a Sadducaeis quidem negabatur; at in hae ro ipsi ceteris Indacis omnibus opponebantur et tandem, post exci- dium anni 70, a communitate indaica exclusi sunt. Omnibus etiam manife- stum est Synagogam et Eoclesiam non eamdem habuisee fidem atque di- versas iniisse vias, eo quod in doctrinis quae ut dogmaticae habebantur non conveniebant. Sed hine factum ost ut Indaei qui revelationem christianam rejecerunt etiam cirea illa dogmata titubarent quae olim sancte tenuerant iamque ea nonnisi in Ecclesia catholica, veritatis revelatae custode fideli, invenire possint, L’homme moderne, qui considére Ja liberté absolne de penser comme une conquéte de la Réforme ou de la Révolation, est ins- tinctivement hostile & toute conception qui tendrait a restreindre cette indépendance intellectuelle dont il se glorifie. Il est méme enclin & transporter ses préjugés en des temps et en des milieux totalement différents des nétres. Cette inconsciente application au passé d’un état d’esprit mo- derne pent seule faire comprendre comment certains auteurs, juifs, “ Gregorianum ,, - anno VII (1027), vol. VII. 32 490 J, B. FREY protestants ou rationalistes, soient arrivés & déclarer que ni les Hébroux du temps de Moise et des Prophites, ni les Juifs du temps de Jésus-Christ, n’ont jamais eu de « dogmes ». Moise Mendelssohn écrivait vers la fin du XVIII° sitcle: «Parmi toutes les prescriptions et ordonnanees de Ia loi mosaique, il n’est pas une seule qui soit ainsi formulée: ‘tu dois eroire’ on ‘tu ne dois pas croire’; mais toutes se présentent de la ma- nitre suivante: ‘tu dois faire’, ‘ta ne dois pas faire’, On ne commande pas & la foi, car celle-ci n’aceepte d’autres ordres que ceux qui Ini arrivent par voie de conviction... Maimonide fut le premier qui eut Vidée de ramener Ia religion de ses peres A un certain nombre de concepts fondamentaux, afin que Ia religion, comme toute science, efit ses principes premiers dont le reste fit déduit. C’est & cette idée purement fortuite que les treize articles du catéchisme juif doivent leur origine »... Le judaisme ignore done le « dogme » au sens aujourd'hui regu de ce mot: il est une Iégislation révélée, non une théologie ou une philosophic révélée, La loi mosaique commande & la volonté et discipline la conduite, elle ne contraint pas la pensée ou le sentiment, & qui elle ne de- mande que de comprendre ce qui est prescrit & la volonté (Jéru- salem, Berlin, 1787, pag. 120 s8.). Cette manire de voir est partagée par des Juifs de plus en plus nombreux; au dire de I. Scheftelowitz, elle le serait an- jourd’hui par la grande majorité des Juifs occidentanx ', Certains voudraient méme voir dans cette liberté intellectuelle laissée aux Juifs une marque de supériorité du judaisme sur le christianisme. Cependant, d’autres Juifs reconnaissent qu’ ce compte le ju- daisme risque de n’étre plus qu’une fagon de protestantisme li- péral, «adogmatique », et partant sans morale impérative. Aussi, différents essais de sanvetage sont-ils tentés. «Celui qui refuse, écrit Scheftelowitz, de considérer comme des dogmes les doctrines qui viennent d'étre traitées, parce que le judatsme, depuis des sitcles, manque de chefs ayant Vautorité et les moyens nécessaires pour s’imposer aux récalcitrants, celui-la devrait également arriver 1 L Scuxrretowrrz, Ist das iberlieferte Judentum eine Religion ohne Dogmen? « Monatsschrift fOr Geschichte und Wissenschaft des Judentums », 1996 (pag. 65-75), pag. 66. LES JUIFS AVAIENT-ILS DES DOGMES? 491 & Ia conclusion qu’en somme il n’y a plus pour les Juifs de loi religiense obligatoire, et done que le judaisme en tant que reli- gion ne pent plus offrir & ’homme d’appui ferme... Quelque at- titade qu’adopte & V’égard des dogmes le rabbin ou le professeur @instraction religieuse, il est de son devoir de donner & la com- munauté et & la jeunesse une présentation véridique de la religion et de ne pas passer les vieux dogmes sous silence. Il a la liberté de les soumettre & la critique »*,— Mais quand la « critique » anra passé sur ces « vieux dogmes », qu’en restera-tail? M. Julien Weill approve dans l'ensemble la manitre de voir de Mendelssohn: elle il faille entendre « plutét les préceptes que les prin- cipes abstraits, les statuts que les articles de foi » *. Etant données, d’un c6té ces négations, de V'autre cette confu- sion des idées, il ne sera peut-étre pas sans utilité d’examiner la question de plus pris. I. Qu’est-ce qu’un dogme? Si on ne veut pas qu’ane discussion soit condamnée & Ia sté- rilité la plus absolue, il faut évidemment s’entendre sur la défi- nition du terme en litige. Or, la notion exacte de «dogme >» semble échapper aux Juifs @anjourd’bui. Dans le Petit Catéchisme Israélite, publié par M. Isaac Bloch, Grand Rabin de Naney, on lit page 8 8.: « En quoi consiste une 4 Loo. cit, pag. 75, 2 Junin Wwitt, La Foi d’Ioraél, Essai sur la doctrine du Judaisme, Paris, 1926, pag. 42-45. 492 J. B. PREY religion? — Une religion consiste en dogmes et en pratiques. — Quappelle-t-on dogmes? — On appelle dogmes les croyances sur lesquelles une religion est fondée... — Pourquoi la Loi de Dieu prescritelle tant de pratiques et si peu de dogmes? — Parce que le Judaisme est essentiellement une religion d'action et non de théorie. — Qu’est-ce que la foi? — la foi est une faculté de lame qui nous porte & croire & Dien et & son gouvernement providen- tiel ». Tl est facile de voir combien ces définitions cachent d’équivo- ques et d’erreurs. Comment parler de dogmes et de foi, sans faire mention expresse de la révélation divine? Scheftelowitz déclare 4 son tour: « Les dogmes sont des doc- trines religieuses (Glaubenslehren) de la reconnaissance desquelles dépend Vorthodoxie », — Cela pourrait s’entendre, & la condition qu’on admette & la base de ces doctrines la révélation divine. Malheureusement l’auteur ajoute tout anssitét que les dogmes ne surgissent dans une religion que lorsque des discussions s’élévent sur Vinterprétation de vieilles conceptions religienses: en présence de ces attaques, «la majorité des chefs de cette religion, qui constituent Pantorité, présentent ces conceptions comme des doc- trines de foi intangibles et les revétent & Vordinaire de formules fixes... C’est ainsi que le Concile de Nicée, o& plus de 300 évé- ques étaient présents, a formulé le dogme chrétien de la consub- stantialité du Fils avec le Pere » '. L’auteur semble délibérément laisser hors de considération un élément essentiel du dogme: son origine divine, qui seule peut Ini conférer un caractére intangible. D’autre part, il met au premier plan un facteur bumain et plutot occasionnel : la définition solen- nelle de la doctrine par les autorités religieuses, en face des at- taques dont elle est l'objet. Cet élément n’est point indispensable; car il y avait des dogmes dans I’Bglise avant le premier Concile @cuménique, Comment faut-il done entendre le dogme? Le dogme, tel qu’il se présente dans toute cette discussion, nous semble pouvoir étre défini: une cérité religieuse révelee par + Loe. cit., pag. 66 8. LES JUIFS AVAIENT-ILS DES DOGMES? 493 Dieu et authentiquement proposée comme telle & la foi de la com- munauté, si bien que le refus de Vadmettre constitue la faute @hérésie et entraine normalement la séparation d’avec la commu- nauté, Il est clair que cette définition ajoute d’importantes précisions au sens premier du mot qui, & Vorigine, voulait dire « opinion » (ce que l'on juge vrai) ou « décision », « décret », «amet» (co que Pon juge bon; — Soxetv a les denx sens). Le dogme, tel que nous Ventendons ici, n’est ni une « opinion » au sens philosophique du mot, ni un « décret » quelconque. Il suppose nécessairement une origine divine et se présente, par le fait, avee un caractire de certitude absolue; car Dieu ne peut ni se tromper ni nous tromper dans les vérités qu'il nous enseigne, — Quoiqu’on puisse parler aussi de dogmes pratiques, c’est-a-dire de prescriptions imposes par Dieu, il faut cependant reconnattre que, généralement, le dogme s'entend d’une vérité @ croire plutét que d’un commandement & exécuter. Mais surtout, pour étre dogme, il ne suffit pas que la vérité en question soit révélée par Dieu; il fant encore qu’elle soit connue comme telle avec certitude par la communanté. Il est donc né- cessaire que la notification en soit faite d’une manitre qui ne laisse place 4 aucun doute raisonnable; en d'autres termes, elle doit tre proposée par quelqu’un qui est qualifié & cet offet. Le dogme s'impose & Padhésion des intelligences au nom de Vanto- rité divine; le mandataire chargé par Dieu de transmettre aux hommes un enseignement nouveau doit done étre tel qu’il ne puisse y avoir aucun donte sérieux sur Vorigine divine de sa doctrine. Le dogme s’adresse & la collectivité. On n’appelle pas dogme une révélation destinée par Dieu & un seul homme, révélation & laquelle ne peut répondre qu’une foi privée, Le dogme est imposé & la société et exige la foi qu’on peut appeler, au sens étymolo- gique du mot, catholique. Tl fant done qu’an agent humain serve d’intermédiaire, car Dieu n’a pas coutume de patler directement & des collectivites. Ti nest pas indispensable que cet agent soit revétu du ca- ractére de l'infaillibilité: il suffit qu’il soit acerédité pour parler au nom de Dieu, car si on croit & Penseignement qu'il transmet, 494 3, B. FREY ce n’est pas parce qu'il jouit d’un privilege personnel d’infailli- bilité, mais paree que, dans le cas présent, cet enseignement vient avec certitude de Dieu. Encore moins est-il requis, pour que des dogmes existent dans une société, qu'il y ait « une antorité ecclé- siastique centrale »* permanente, chargée d’expliquer les dogmes et de les défendre contre les attaques. Il suffit que la doctrine soit présentée ou imposée, an nom de Dieu, par une autorité qui offre des titres valables 4 cet effet. Motse et les prophétes, dont la mission divine était authentiquée par des preuves certaines, avaient qualité pour imposer des doctrines ou des préceptes au nom de Dieu, en un mot, pour promulguer des dogmes. Et ces dogmes restaient imposés & toutes les générations suivantes, dés lors que ces vérités, ainsi que les preuves de leur caractire divin et obligatoire, continuaient & étre authentiquement proposées en Israél. Une excelente prenve de Vexistence de dogmes dans une so- ciété, c'est la possibilité qu'il y ait des hérétiques, e’est-A-dire des hommes qui, refusant d’admettre une doctrine reconnue comme ré- vélée par toute cette société, s’'en séparent eux-mémes, lors méme qu'il n’y aurait pas d’autorité qualifiée pour prononcer la peine de Vexelusion, Le lien social d’un groupement religieux sont les croyances, du moins les croyances essentielles, base de toutes les autres; et quand il s’agit d’une religion révélée, ces eroyances fondamentales sont les dogmes. En abandonnant une de ces croyan- ces, on rompt Ie lien, on se s¢pare de la société, on est hérétique. S'il y a un pouvoir de juridiction, il peut constater cette incom- patibilité et prononcer l’exclusion. — Par contre, dans une société religieuse ot il n’y a pas de croyances obligatoires, il ne peut pas y avoir d’hérétiques. Mais il faut ajouter que les doctrines reli- gieuses n’y constituent plus un lien social nécessaire. La question est donc de savoir si la religion mosaique impo- sait & tous ses fiddles l'adhésion & des vérités révélées qu’ils ne pouvaient nier sans cesser d’appartenir A la religion d’Israél. + Juuian Watt, op. eit, pag. 66. LES JUIFS AVAIENT-ILS DES DOGMES? 495, 11, ¥ avait-il des dogmes ainsi entendus dans le peuple juif? La réponse ne sanrait étre douteuse. 1° Le dogme @un Diew unique, eréateur du monde, révélateur, libérateur d’ Israél. Les premiers commandements inscrits sur les tables de Val- Viance conclue au Sinai avec Israél* établissaient le dogme fon- damental qui devait distinguer et séparer la religion d’Israél de toutes les autres: Pexistence d’an Dien unique, Jahvé, seul digne @étre adoré et glorifié, libérateur de son peuple, Kégislatear au- quel on a Vobligation d’obéir et qu’on doit honorer apécialement au jour du sabbat, parce qu'il a oréé toutes choses en six jours et s'est reposé Ie septitme. Ce dogme — ou plutét ect ensemble de dogmes — était la base de toute Ia religion israélite, Ia raison Wétre de ses pratiques rituelles, le fondement de toutes ses pres- criptions légales, en particulier de la circoncision qui était le signe oxtériear de la conséeration des enfants d’Israél & Jabvé?, La foi en ces dogmes est chantée dans tous les Psaumes, in- culquée dans tous les Prophites. Elle est l'ame de tout le enlte liturgiqne du Temple, elle imprégne la vie entitro du pioux Israé- lite: Ta citconeision dont il porte Ia trace, les pritres qu'il récite, le sabbat et les fStes religienses qu’il célébre, les sacrifices qu'il offre, les purifications légales auxquelles il s'astreint, les jefines et Pabstention de certains aliments qu’il observe, tout Ini rappelle, depuis le bereeau jusqu’a 1a tombe, les dogmes qui sont le fon- dement de toute la religion israélite ot en dehors desquels un Israé- Tite ne peut se concevoir. Certaines cérémonies lui imposent l’obligation de faire une pro- fession de foi explicite. Quand le paysan israélite offre & Dieu les prémices de ses récoltes, il est obligé de déclarer qu’il adore Jabvé, le Dien de ses péres, qui a délivré Ieraél de la servitude égyp- 1 Be, 20, 1-17, Deut., 8, 1-21. + Be, 12, 4448; Lé., 12, 2 eft, Gen, 17, 10-14. 496 J. B, FREY tienne (Deut. 26, 1-11). Bt lorsqu’il paie la dime de ses produits, il doit confesser qu’il a « obéi & la voix de Jahvé », son Dieu, et qu'il a agi selon toutes ses prescriptions (Deut., 26, 12-15). Ainsi le paysan, si facilement entrainé au culte des divinités ea- nanéennes, est tenu, dans certaines circonstances solennelles, & émettre une véritable profession de foi. C'est que Vidolatrie n’est pas un péché ordinaire: elle est le crime le plus exécrable, le crime d'hérésie et d’apostasie, qui on- traine l’exclusion de la communauté israélite. Si un homme ou une femme sont juridiquement convaincus d’idolatrie, ils doivent subir la lapidation (Deut., 17, 2-7). Celui qui offre des sacrifices & de fanx dieux, est «voué & Vanathtme » (Ex., 22, 20). Celui qui pousse les autres & Vidolatrie, doit étre dénoncé et exterminé, fiit-il le parent le plus proche (Deué., 18, 1-11). Le peuple lui-méme est menacé d’extermination et de dispersion parmi les Gentils, s'il abandonne le culte exelusif de Jahvé?. Pour éviter la contagion de Vidolatrie, les Canandens doivent étre extirpés*, les idoles dé- truites, Jeurs sanctuaires renyersés de fond en comble, de telle sorte que le nom méme des idoles soit effacé *. C'est le dogme monothéiste qui assura la survivance d’Israél aprés les catastrophes de 721 et de 586, durant Vexil. C’est lui qui provoqua le retour en Palestine et Ia restauration religiense, suivie de la restanration politique. La grande épopée maccha- béenne s’est déroulée sous son inspiration, car elle fat la réaction de la partie religieusement saine contre les apostats qui, traitres & Ia foi de leurs péres, pactistrent avec les idées et les moours grecques, réaction aussi contre le gouvernement des Séleucides qui, pour assurer la sujétion da peuple juif, ne voyait pas de meil- leur moyen que de lai enlever ce qui faisait sa cohésion: sa foi traditionnelle. Les Juifs de la Diaspora ont méme conscience d’avoir une mission providentielle & remplir: « Célébrez le Seigneur, enfants @'Israél..., car il vous a dispersés parmi les nations qui Vigno- rent afin que vous racontiez ses hauts faits et que vous leur 1 Deut., 6, 14 s.; 8, 19; 11, 6 * Deut. 20, 16-18. + Br, 28, 24; 34, 18; Num., 33, 62; Deut. 7,5; 12,28, ete. 28, 16-68; 30, 17 8; 31, 16 58. LES JUI¥S AVAIENT-ILS DES DOGMES? 497 fassiez connaitre qu’il n'y a point @autre Dieu tout-puissant que Ini» (Zob., 13, 3 s,). Ils sentent le devoir de se faire les hérauts et les apologistes de la foi monothéiste*; ils s’efforcent de mon- trer Pabsurdité de Vidolatrie® qui n'est, au fond, que le culte des démons*, Aussi, «malheur & coux... dont lame s’attache aux idoles, car il n'y aura pas de repos pour eux» 4. — Un Gentil ne peut devenir membre du peuple d’Israél que par la foi on Dieu (énistevsey 7 Ocd) et par la circoncision *, Dans les derniers sigcles avant Jésus-Christ, cos croyances fon- damentales des Juifs se condeusent en une formale liturgique, le Schema, véritable profession de foi, que tous les Juifs, & lexcep- tion des fommes, des enfants et des esclaves, doivent réciter deux fois par jour, le matin et le soir, Elle se compose de trois pas- sages de la Loi, qui proclament Jahvé seul Dien d’Isradl, rap- pellent les promesses divines attachées & la fidéle observation des commandements, et inculquent Vobligation de porter les ésitsith °. Elle débute par ces mots: « Heoute, Israél: Jahvé, notre Dieu, est seul Jahvé, Tu aimeras Jahvé, ton Dien, de tout ton coour, de toute ton ame et de toute ta force » (Deut., 6, 4-6). 2 Le dogme du Dieu rémuncrateur. Nous ne pouvons songer & faire ici Vhistorique de la doctrine de la rétribution dans 1'A.T. et dans le judaisme. Nous nous bor- nons A constater qu’il existe en Israél une croyance ferme et gé- nérale, basée sur la révélation, & V'immortalité de l’ame et & des interventions de la justice divine dans I’'an deli, Sans aucun doute, + Sibylte, fragm. I, 7. 15. 92; liv, IIT, 689594; Ps, Anisrbe, 182. 199; les écrits @' ALEXANDRE Poryatsror, d’ARisroBuLe, du Ps, Hécatte, etc, ; surtout PHILoN p'ALEXANDRIE, * Sap., 18-15; Sib. III, 278-279, 586-590; Hénoch, 46, 7; 91, 9; 99, 7-9. 14; 104, 9; Jub,, 22, 18; Apoc, Adr., 1-8; Hénoch slave, 34, 1 s., IIT Mach., 6, 10-15; Parton, de ebrici.. 109 8; DL, 1 374; de decal. 6-9. 52-72; M., II 181, 189-192, ete, * Septante, Ps, 95 (96), 5; Ps. 105 (106), 87; Bar, 4, 7; Hén, 19, 1; 99, 7; Jub., 1, 11; 2% 17; Sib., UML, 648; fragm. I, 22; Test, Nepht., 3, 3. 4+ Hén, 99, 14. § Judith, 14, 10 (Wulg. 14, 6). © Deut, 6, 4-9; 11, 13-21; Num., 15, 87-41. 498 J. B. PREY les indications que nous présentent certaines parties de I’A.T. sont loin d’avoir la précision de enseignement néo-testamentaire, Mais dautre part, rien ne permet d’affirmer, comme le font certains au- teurs, méme catboliques, que la peusée des biens éternels ait été Stranggre aux patriarches et aux prophdtes, Des allusions dis- crétes, des textes plus explicites, certaines coutumes montrent que les Israélites ne renfermaient pas leurs espérances dans les limites de la vie dici-bas. Nous avons du reste au sujet des patriarches Ia déclaration eatégorique de I’Epitre aux Hébreux 11, 98. 13-16. Le texte in- spiré donne en méme temps la raison profonde de cette affirmation qui repose sur une exigence inéluctable: «Sans la foi il est im- possible de plaire & Dieu; car il faut que celui qui s’approche de Dien croie qu’il existe et qu’il est rémunérateur de coux qui le cherchent » (11, 6). La foi en Dien Révélateur ot Bien supréme de Vhomme est indispensable & quiconque veut entrer dans ’amitié de Dieu; elle n’existe que si elle est dans la prophétie d’ Emmanuel, « Revue des Sciences Religieuses », janv, 1927, pag. 74 écrit: « Outre cette psycho- logio des prophétes il faut faire entrer en ligne de compte le réle méme dont Jouissait chez eux lo messianisme: La pensée des biens éternels leur éant encore étrangére, toutes lewrs espérances se concentraient sur V’établissement du royaume messianique sur cette terre». — C’est nous qui soulignons, — Lauteur énonce cet étrange principe & propos de la prophétie de I'Emma- uel dans Isale, LES JUIFS AVAIENT-ILS DES DOGMES? 499 Jostphe' témoignent éloquemment de Vextension et de la fer- meté de cette croyance. Le christianisme la recut de Ia Synagogue comme un dogme révélé et la considéra toujours comme tel. Notre- Seigneur Ia suppose dans tout son enseignement, et S. Paul en fait le fondement indispensable de la foi chrétienne (cfr. I Cor., 15, 12-58). Il y avait cependant des Juifs qui ne l’admettaient pas. L’au- teur du livre de la Sagesse expose les maximes de ces « impies » (1, 16): «Notre vie est le passage d’ane ombre; sa fin est sans retour; le sceau est apposé et nul ne revient. Venez done, jouis- sons des biens présents ». Et le Sage ajoute: « Ils n’espérent pas de rémunération pour la justice, et ils ne jugent pas qu’il existe une glorieuse récompense pour les Ames saintes >. Mais ils sont aveuglés par leur malice, «car Dieu a eréé homme pour lim- mortalité » (2, 1-25). Les «impies » dont parle l’anteur sont en premiére ligne les Juifs apostats qui ont passé & Vheliénisme dont ils ont accepté les doctrines et les moeurs. Nous les connaissons aussi par les li- yres des Macchabées et par les apoctyphes de I’époque. Voici le langage que tiennent les « pécheurs » d’aprés le livre d’Hénoch: «Comme nous sommes morts, les justes sont morts, et quel profit ont-ils retiré de leurs couvres? Voici que comme nous ils sont morts dans la tristesse et dans les ténébres, et qu’ont-ils de plus que nous? Désormais nous sommes égaux. Et qu’emporteront-ils et que ver- ront-ils dans |’éternité? Car voici qu’ils sont morts, eux aussi, et désormais ils ne verront plus jamais la Iumidre »*. A ces néga- tions audacieuses, l’auteur oppose, comme le Sage, la profession de foi la plus explicite en l’immortalité de lame et dans les ré- compenses ou les chéitiments d’outre-tombe. Pour lui, la foi dans + Josiphe met sur les lévres d’Eléazar cote déclaration que la doctrine do Vimmortalité de Fame est chez les Juifs une tradition antique, enseignée és les premidres pages des Saints Livres, confirmée par les cuvres et les paroles de leurs ancétres (Bell. Jud., 7, 8, 7). 2 Hén., 102, 6-8, — Sur cos Juifs renégats, oft. J.B, Frey, art. Apo- eryphes de VAncien Testament, Supplément du Dictionnaire de la Bible, 1, col, 369-364. 366-968, 371-374. 386, 400. 500 J.B. FREY les sanctions de Van dela est la note caractéristique qui distingue les « pienx » des «impies > *. Au temps de Jésus-Christ, ces croyances étaiont surtout niées par les Sadducéens: « Les Sadducéens, disent les Actes, enseignent quil n’y a point de résurrection, ni d’ange ou d’esprit, tandis que les Pharisions affirment l'un et autre » *, En refusant d’admettre la résurrection des corps, ils niaient aussi Pimmortalité de l’ame et, par le fait, les sanctions de la vie future®. Mais ici se pose une question de portée plus générale a la- quelle il importe de répondre. — Comment expliquer que oes doc- trines, manifestement hétérodoxes, puisqu’elles étaient en désac- cord avec la croyance générale des Juifs, aient pu cependant avoir pour partisans Paristocratie sacerdotale, ceux qui étaient les mat- tres du Temple et se trouvaient & la téte du Sanbédrin, la supréme autorité religiense des Juifs? Sans auc doute, c'est & absence d’antorité investie du pou- voir de rendre, en matiére de doctrine, des décisions obligatoires pour tous, qu’est due une situation si paradoxale. Ancun Juif n’bésitait & reconnaitre Pantorité doctrinale de Moise et de la Thora qui était son ceuvre, Celle-ci était regardée par tous comme étant la parole de Dieu et comme faisant loi en tout Israél ; elle avait ainsi un role permanent dans la conservation de Ia foi. Dantres livres inspirés, «les Prophétes et les Hagiographes » étaient venus s’ajouter 4 la Thora au cours des sitcles ‘ et en gé- néral leur antorité divine n’était pas contestée. Si certains pro- phétes avaient rencontré de grandes oppositions do leur vivant, il semble bien que leur enseignement fut accepté aprés leur mort; 1 Hén., 103-104, + Act, 28, 8; eft. Mt, 22, 23; Me, 12, 18; Jostene, Antiguit., 18, 1, 4; Bell, Jud, 2, 8, 14. +R. Lasaynsxy, Die Saddusder, Berlin, 1912, pag. 18, essaie bien de distinguer entre Pimmortalité de Pame et la résurrection des corps et de nattribuer aux Sadduegens que la négation de la seconde, Mais les textes cités, et spécialement la maniére d’argumenter de Jésus contre les Saddu- eéens, Mt., 22, 93, ainsi que les textes rabbiniques qui seront indiqués plus loin, ne permettent paa cette disjonction. * Cfr. J.-B. Frey, La Réodlation @aprés les conceptions juives au temps de Jésus-Christ, «Revue Biblique +, 1916 (472-510), pag. 486-493. LES JUIFS AVAIENT-ILS DES DOGMES? 501 apres Vhistorien Jostphe, les Juifs considéraient comme divins les vingt-denx livres protocanoniques de A. T. (contra Ap., 1, 8)*. Mais depuis Ia disparition du dernier des prophtes inspirés, il n'y avait plus en Israél dantorité qai pat parler an nom de Dieu, ou du moins défendre et expliquer, an nom de Dieu, la lettre des écrits canoniques. Différents textes nous montrent avec quelle impatience on attendait le prophéte qui enseignerait, de la part de Dien, les choses sur lesquelles on était alors dans le doute (Dan., 8, 88; Ps., 74, 9;1 Mach., 14, 41; eft. 4, 46; Jo., 4, 25), Il existait bien chez Jes Juifs un droit d’excommunication et Esdras avait menacé d’en faire usage contre ceux qui ne voulaient pas renvoyer leurs femmes idolatres ni se conformer & la disci- pline de la religion de Jahvé (I Esdr., 10, 8; oft. II Esdr., 18, 28). Le Sanhédrin y avait parfois recours (Le., 6, 22; Jo., 9, 22 ; 12, 42; 16, 2), et Notre-Seigneur Ini-méme y fait allusion quand il confére & Pierre et aux autres Apdtres le pouvoir dexclure de l’Eglise (Mt., 16, 19; 18, 17 8.)*. Les Apétres exergaient ce droit (I Cor., 5, 2. 5) et certaines de leurs expressions sont, sans aucun doute, dérivées de Pusage jnif de Pexcommunication, comme anatheme (D7), anathématiser (Hom. 9, 3; 1 Cor, 12, 3; 16, 22; Gal., 1, 8-9; Me, 14, 71; Act., 23, 12. 14). + Origéne, Ps.-Tertullien, les Philosophoumena, S, Jéréme affirment que eg Saddneéens rejetaient les livres prophétiques. Voir les textes dans ScHUE- Run, Geschichte des jiudischen Volkes, 4° éd., Leipzig, t. 11, pag. 480 5. qui ne croit pas qu'il puisse s’agir d’un veritable rejet. — R. Luszynsxy, Die Saddusier, Berlin, 1912, pag. 23. et 80 déclare aussi que les Sadducéens reconnaissaiont uniquement Ia Thora; mais pag. 89 s, note, il avoue eepen- dant qu’ils ont sans doute attribué également une certaine autorité aux pro- phétes et aux hagiographes, puisque dans des discussions entre Sadducéens et Pharisiens, on voit ceux-ci s’appuyer sur des textes tirée de ces livres, sans que les Sadducéens protestent contre ce fait (Sanh., 90 b), 2 SrRacK-BILLERBECK, Kommentar sum N. 7, aus Talmud und Midrasch, das Boang. nach Matthaus, Munchen, 1922. pag. 738 s., 792 s. — Sur Yexcom- munication chez les Juifa, ofr. ScHOBRER, Geschichte des jildischen Volkes, vol. II, 4° éd., Leipzig, 1907, pag. 507-609; J, Juerer, Les Juift dans ?Zm- pire Romain: leur condition juridique, économique et sociale, Paris, 1914, tH, pag. 159-161. 502 J.B. PREY L'excommunication semble étre réservée, du moins & cette épo- que, aux fautes morales ou disciplinaires plutot qu’aux erreurs doctrinales. Cependant, on ne peut se mettre en opposition avec le dogme fondamental du judaisme — on aveo V'interprétation que les Juifs en donnent — sans étre exclu de la communauté: Pidolatre et Pathée ne peuvent continuer & faire partie du peuple juif. Il en est de méme de celui qui usurperait indiment les pré- rogatives de la divinité; car ce serait encore 14 une maniére de porter atteinte an dogme monothéiste. Quand Jésus s’attribue le pouvoir de remettre les péchés, ou lorsque, devant le Sanbédrin, il se déclare Fils de Dien, il est traité de blasphémateur (Jfc., 2, 7; Mt, 26, 65), et les Juifs se disposent & le lapider lorsqu’ils Ventendent se proclamer un avec le Pére (Jo., 10, 30 s.); s'il est livré & la mort, c’est pour s’étre « fait Fils de Dieu » (Jo., 19, 7). Il y avait done des errenrs doctrinales que tous, méme les Sadducéens, reconnaissaient comme incompatibles avec la qualité de Juif. Le péché d’infidélité et le péché d’hérésie étaient pos- sibles: c'est done qu'il y avait des dogmes. La religion israélite ne pouvait se conserver qu’a la condition @exelure ce qui en était la négation, et de tout temps on s’était con- formé & cette nécessité vitale. Impossible d’étre & la fois serviteur de Baal et de Jahvé, « Samaritain » et Juif, « ami des Grees » (au sens déterminé par les livres des Macchabées) et enfant d'Israél ! Par leur attitude & I’égard du christianisme, les Juifs montré- rent également qu’ils jugeaient certaines doctrines et certaines pratiques inconciliables avec leur religion. Les chrétiens profes- saient un nouveau dogme, le dogme de Jésus, Messie et Fils de Dieu, Rédempteur et unique Médiateur des hommes, Fondatenr de l’Eglise, Juge des vivants et des morts; en morale, ils délais- saient les observances mosaiques; ils avaient un culte distinct de celui du Temple, ils obéissaient & une antorité religieuse différente, leur religion brisait les barriéres du nationalisme juif et préten- dait & Puniversalisme: antant de points qui devaient nécessaire- ment entrainer Ja séparation du christianisme et du judaisme. D’ailleurs le jour vint oi les Saddneéens, qui n’appartenaient plus depuis longtemps & l’ame du judaisme, furent pareillement retranchés de son corps. LES JUIFS AVAIENT-ILS DES DOGMES? 503 Apres la destruction de Jérnsalem se constitua A Jamnia la «cour de justice », sorte de tribunal supréme des Juifs pour les questions religieuses, Différents points de doctrine, jusqu’alors plus on moins pendants, furent définitivement réglés. Non seulement & partir de ce moment le judaisme eut son canon de Saints Livres nettement délimité, mais Vattente du Messie, Ia réédification du Temple et de la Ville sainte, le retour des exilés, devinrent des croyances caractéristiques de la religion juive et pénétrdrent dans bon nombre de pritres liturgiques. Mais en méme temps, la foi dans les rétributions du monde futur, dans ’immortalité de Ame et dans la résurrection des corps, apparait comme universellement obligatoire, et désormais le terme de «Sadducéens > devient une expression courante pour désigner les « hérétiques » *, Le Schemone-Esré, que tous les Juifs, méme les femmes, les enfants et les esclaves, devaient réciter trois fois par jour, débute par une pritre au Dieu « qui vivifie les morts ». Les formnles liturgiques elles-méme se modifitrent pour mettre da- vantage laccent sur ces croyances: «A Pépoque oi le Temple existait encore, dit la Mischna, on terminait les bénédictions en disant: dans les siteles (Obi 7p). Mais lorsque les Sadducéens (al. les Minim) se mirent & troubler les gens par leurs doctrines en disant: il n’y a qu’an seul mondo (le monde présent, & 'exeln- sion du monde & venir, “mg xx DDD py), on décida qu’on ter- minerait les bénédictions par la formule: depuis les sidcles et dans les sideles, nbwa sy) nbina wp (Berakh., IX, 5). La résurrection, qui présuppose l’immortalité de l’Ame, est dans Ie judaieme, & partir de la fin du I* sigele, un point de doctrine & tel point indiscutable® que les Talmudistes excluent des récom- 1 Berakh., 7 a; Sanh, 100 b, ete, 2 Les inscriptions juives de la eatacombe de Monteverde & Rome, qui datent des premiers siéeles de Pere chrétienne, attestent de la maniére la plus explicite et la plus tonchante la foi des Juifs de Rome & Vimmorta- lité de Fame et & la résurrection des corps. Cf. NikoLaus Musiime, Die Inschrifien der jidischen Katakombe am Monteverde cu Rom entdeckt und erkldirt, Nach des Verfassers Tode vervollstiindigt und herausgegeben von Dr Ni- Kos A, Bees, Leipzig, 1919: On demande & Diew de laisser « reposer en paix » un enfant de quatre ans (n. 18, pag, 27); on soubaite & un autre « qu'aveo 504 J. B. FREY penses du monde A venir, non seulement celui qui la nie, mais encore celui qui prétend (comme le faisaient les Sadducéens) qu’on ne peut pas la prouver par la Thora: «Tous les Isradlites, dit la Mischna, ont part au monde & venir, car il est écrit... (Is., 60, 21), Mais il en est @antres qui n’ont aucune part au monde & venir, & savoir ceux qui disent que la résurrection des morts ne peut se prouver par la Thora, ou que la Thora ne vient pas de Dieu (c'est- A-dire, qu’il n’y a pas de révélation), et enfin les Epicuriens. D’aprés R, Aqiba, il faut encore ajouter ceux qui lisent des livres qui sout en dehors (apocryphes) ou qui récitent des formules magiques sar des plaies » (Sanh. X, 1). Etre exclu des récompenses du monde & venir, c'est étre voué & Ia damnation. L’école de Schammat enscignait: « Les héréti- ques, les renégats et les Epicuriens, qui nient la Thora (Ia révé- lation) et la résurrection des morts et se s¢parent des voies de la communauté... descendent en enfer et y subissent des chatiments pour Péternité » (Rosch Haschana, 17 a). Pendant longtemps les éerits juifs conservérent V’écho des dis- cussions que les rabbins soutinrent contre les « Sadducéens », contre les « Minim », contre les « Cuthéens» et autres négateurs de la les saints soit son repos > (u. 62, pag. 65). On y rencontre le nom propre « Anastasios» (n. 27, pag. 37 s.). Mais le monument le plus expressif est Vépitaphe latine de la juive Regina (n, 145, pag. 134 s.); en voici Ia tra- duction francaise: Cigit Regina, déposée dans wn sépulere aussi beau Que son épour, répondant & son amour, a pu le faire, Elle a vécu avec ui deux dizaines dannées et encore une année Et quatre mois moins huit jours, De nowveau elle vivra, de nouveau elle retournera a la lemiére, Car elle peut espérer ressusciter pour Véternité, Laquelle, — véridique engagement — est promise aus dignes et aux piews, Parce quelle a mérité d'avoir une place dans la terre vénévable (= le paradis). Cela taura été assuré par ta piété, par ta vie chaste, Par ton amour pour ton peuple, par ton respect pour la Loi, Par les mérites de ton union conjugale dont ta gloire était ton souci. Pour une telle conduite tw peux espérer les biens a venir, Et crest aussi en ces espérances que ton épour désolé cherche sa consolation. ‘inscription est probablement du début du II* siécle. LES JUIFS AVAIENT-ILS DES DOGMES? 505 résurrection*. Ce dogme était considéré comme tellement fonda- mental qu'il était défendu sous les peines les plus sévéres de lire, de conserver, de sanver d’an incendie les livres de ces hérétiques, et Von jugea qu’il était préférable de se réfugier, en cas de danger, dans la maison d’un paten que dans celle d'un de ces hérétiques ®. La négation de la vie future et de la résurrection devient un trait commun des personages que la Bible ou la tradition juive stigmatisent comme des impies. D’aprds le Targum Jeruschalmi, Gen., 4, 8, Cain, irrité de voir Dieu rejeter son sacrifice, déclare : «Il n'y a pas de jugement dernier, il n’y a pas de juge, il my a pas d’autre vie, il n’y a pas de récompense pour les justes, il n'y a pas de chatiment pour les méchants » *. — Esatt est égale- ment un de ces impies négateurs+. Elischa ben Abuja (v. 120), dont les rabbins ne parlent qu’avec une terreur mystérieuse, apos- tasia le jour of il cessa d’admettre qu’il y eft « une sanction dans Pantre vie et Ia résurrection des morts » 5, Il était difficile de. marquer plus énergiquement le caractére dogmatique et partant obligatoire de la doctrine de l'immortalité et de la résurrection. Les exemples que nous avons étudiés an cours de ce travail suffisent & prouver qu'il y a toujours en des dogmes en Israél. Nous aurions pu examiner encore d’autres doctrines, comme la spiritualité de Dieu, son omniscience, sa toute-puissance et ses au- tres attributs; existence d’anges, bons et mauvais; Vorigine di- 1 Sanh, 900-92; Bereschith Rabba, par. 14 (in Gen. 2, 7); Midr. Ko- heleth, 5, 10, * Schabb., 1164; Tosephta Schabb., 13, 5. 2 Gfr, aussi Ps,JoNaTHAN, Gen,, 4, 8; Panton, Quod det. potiori insi- diari soleat 82; M., 1, 191; de Migr. Abr. 74; M., I, 447; Papocryphe juif, conservé en arménien, Histoire des Fils d’Adam: Abel et Cain; voir J.B. Frey, art, Adam (Livres apocryphes sous son nom), Suppl. au Dict. de la Bible, 1, 127 8. * Baba Bathra, 166; Bereschith Rabba, par. 63 (in Gen. 25, 34); Sehe- moth Rabba, par. 1 (in Ex. 1, 1). 5 Jer. Hagiga, U, 1 (7); Midrasch Koheleth, 7, 8; Midr. Ruth, 8, 13, © Gragorianum y= anno VIE (92%), vol. VIE. 33 506 J.B. FREY vine des prophéties, l'inspiration et la véracité absolue des Saints Livres; l'unité du genre humain, la chute des premiers parents, Ja liberté humaine, l’espérance messianique, etc. '. Ce serait toute la théologie jnive qu'il nous efit fallu passer en revue, et nous ne pouvions, dans ces quelques pages, songer a pareils développe- ments. Au XII° siécle, Maimonide condensa les croyances juives en treize articles qui aujourd’hui encore figurent dans le catéchisme juif: «Je crois » 1° que Dien existe, qu'il a eréé le monde et le gouverne; » 2° que Dieu est un et qu'il n'y a pas d’unité comme la sienne; » 8° que Dieu n’a point de corps ni rien de corporel ; » 4° que Dieu est éternel; » 5° que c’est & Ini seul que nous devons adresser nos prigres; » 6° que les paroles de nos prophétes sont vraies; » 7° que Moise est le plus grand de tous les prophétes; > 8° que la loi, tant éerite qu’orale, que nous suivons, est celle que Dieu a donnée & Moise; » 9° que cette loi ne peut étre changée; » 10° que Dieu connait toutes les actions et toutes les pensées des hommes; » 11° que Dieu récompense les bons et punit les méchants; » 12° que le jour viendra oi Dieu nous enverra le Messie; » 13° que lame est immortelle et que Dieu, au moment qu’il lui a plu de fixer, rappellera les morts & la vie» *. Ce formulaire assez boiteux n’a jamais pleinement satisfait les Jnifs: pour les uns il dit trop, pour les autres pas assez; il est muet sur les anges et sur la liberté humaine. Plusieurs points + Sur un certain nombre de cos doctrines, voir J.B, Frey, La Révéla- tion @aprés les conceptions juives au temps de Jésus-Christ, « Revue Bibli- que >, 1916, pag. 472510; L’Angélologie juive au temps de Jésus-Christ, «Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques », 1911, pag. 75-110; L’Etat originel et la Chute de Phomme daprés les conceptions juives au temps de Jésus-Christ, ibid., pag. 507-545. * Petit Catéchisme Isvadlite par Issac Brocu, Grand Rabbin de Nancy, pag. 10 8, LES JUIFS AVAIENT-ILS DES DOGMES? 507 semblent bien étre dirigés contre les dogmes chrétiens: n. 2 contre la Trinité des personnes en Dien; n. 5 contre Vinvoeation des anges et des saints; nn. 7 et 12 contre Jésus-Christ; n. 9 contre le Nonvean Testament. La plupart des théologiens juifs postérieurs & Maimonide, écrit M. Julien Weill !, « ont jugé devoir réduire le nombre des propo- sitions de foi essentielles. Finalement c'est & la réduction des treize articles par Joseph Albo aux trois grandes notions de Dieu- Un créateur, de Révélation et de Rémunération, cadres théologi- ques assez souples pour y abriter bien des opinions distinctes, que se sont arrétés le plus grand nombre des théoriciens du judatsme ». Cos cadres sont, en effet, si < souples » que les interprétations les plus “divergentes y trouvent place. Si les mots restent, leur contenn se transforme, se modernise, et il se volatilisera peu & peu en un vague rationalisme. I] ne saurait en étre autrement dans une religion od manque une antorité doctrinale vivante, ca- pable de maintenir la foi ancionne, de Vexpliquer, de la défendre efficacement contre les influences adverses, Les Juifs qui méritent encore ce nom prétendent bien garder les vieilles eroyances d’au- trefois; mais il est des situations plus fortes que les meillenres volontés et c'est un des spectacles les plus poignants de Vhistoire que de voir ce peuple qui, pendant si longtemps, a porté an mi- lien de Phumanité le flambean de la révélation, s’effondrer dans le nibilisme dogmatique, faute d’avoir compris que seul Ie catho- licisme est Parche sainte qui a conservé les vieux dogmes 4’Israél et a amené & leur achévement les doctrines qui .n’étaient qu’ébau- chées dans l’Ancien Testament. J.B. Frey C. 8. Sp. 1 La Foi @Israél, pag. 68.

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