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CHARLES JOURNET LA PRESENCE SACRAMENTELLE DU CHRIST Deuxiéme édition EDITIONS SAINT-AUGUSTIN ~ SAINT-MAURICE (SUISSE) - © 1987 by Falcons Saint-Augustin ~ Saint-Maurice (Suisse) ISBN 2.88011-007-6 AVANT-PROPOS Voici, avec quelques légires additions, un texte Iu le 14 octobre 1965 aux Conférences de Saint-Louis de France, 4 Rome, et publié ensuite dans Nova et Vetera, 1965, N° 4. Un titre plus court, cher & Espagne, était possible : Cristo sacramentado. Est-ce que les paroles de la Cine ne seraient pas rendues d’une manidre plus émouvante — et plus nuancée — si l'on pouvait dire, en francais: «CECI est le CORPS (qui est) MIEN » ? On insisterait ainsi & Ia fois sur la présence corporelle et sur la Personne divine de Jésus. ‘Mais tout n’est-il pas résumé dans le mot de « Christ sacramenté » ? Fribourg, 20 aofit 1966. cay P 1, LE VERBE SE FAIT CHAIR Le temps supréme de histoire du salut est celui ob le Verbe se fait chair, ob le Christ, fai- sant émerger de Pombre PEglise pérégrinante jusqu’alors en attente de sa venue sous les éco- nomies de la Loi de nature et de la Loi ancienne, Pattire 4 lui pour la réenfanter en quelque ma- nire et lui communiquer la vie de la Loi nou- velle. Tant quiil sera présent visiblement au miliew d'elle, elle sera comme cachée dans sa Jumitre. Elle semblera sortir de lui sans étre encore disjointe de lui, en Iaissant pourtant appa- raftre progressivement sa structure définitive, Jours bénis o8 Siméon peut prendre en ses bras le petit enfant (Luc 2, 28), of le Sauveur attend Ja Samaritaine au puits de Jacob (Jean 4, 6), ot les disciples avec des palmes acclament le Roi plein de douceur qui vient au-devant de la fille de Sion (Mat. 21, 5). « Ce qui était ds le com- mencement, dira Papétre, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vm de nos yeux, ce {que nos mains ont rouché du Verbe de vie... voil ce que nous vous annongons afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous» (I Jean ii 1, 1-3). «Oui, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle» (Jean 3, 16). 2. LA PRESENCE CORPORELLE DE JESUS NOUS SERA-T-ELLE OTEE OU LAISSEE? Cette présence corporelle au milieu de nous du Verbe fait chair, nous sera-t-elle arrachée au jour de l’Ascension, od le Christ, avec son corps ressuscité, marqué par les stigmates que l'apétre Thomas exigeait de toucher, est passé dans un autre monde, en quelque sorte paralléle au nétre, inimaginable, le monde de Pau-delA, de Ia fin des temps et de la gloire de Dieu? Qwallons-nous répondre ? Sil est vrai que Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné la présence corporelle de son Fils unique, ne pen- serons-nous pas — si cela n’est pas de soi impos- sible — quill pourra aimer assez le monde pour lui laisser la présence corporelle de ce méme Fils unique ? Er sil a fallu la présence corporelle du Christ, alors passible, pour rassembler les hommes au~ 8 tour du sacrifice rédempreur qu'il voulait accom- plir, ne dirons-nous pas que — toujours si cela n'est pas de soi impossible — la méme présence corporelle du Christ, maintenant glorieux, ne sera pas moins nécessaire pour multiplier mysté- rieusement au milieu de nous et rendre efficace, A chaque moment du temps, les présences du sacrifice rédempteur, accompli en une seule fois sur la Croix, mais dont les rayons sanglants doi- vent traverser sans cesse, par de grands &-coups, par de grandes explosions, les épaisseurs du monde, pour y proclamer Ia mort du Seigneur et la rémission des péchés, pour y rassembler la Cité de Dieu et y déséquilibrer la Cité du mal’. Mais puisque le Christ, au jour de PAscension, nous a quittés pour a gloire du ciel, oi il réside sous ses apparences propres et naturelles, illest clair qu'il ne pourra, éventuellement, nous ére ici-bas présent corporellement que sous d'autres apparences que les siennes, qu’il y aura des lors + tndépendamment de Turion au Chest pr la chai tla com smunion eucharisaque, fate de conuarer, cdr de rendre mo: Imentanément présente Chris dans Tacte mina des ridemption SEnglaac, apur nostra redempiomts exert, véablie mysteries pen Pit pia monde, Ue peat Cabin de le rer pout se contenter de omamanir ignore ce qui et come pide ce paurquol PEghse Fs ordonae. pour le Christ unique deux sortes de présences, Pune au ciel, qui est premiére, originelle, natu- relle, l'autre parmi nous, qui sera cachée, mysté- rieuse, sacramentelle : un peu, dirions-nous, com- me une seule maman peut avoir simultanément deux présences corporelles: ’une manifeste, pour Pun de ses enfants qui serait sourd, Pautre cachée, pour l'autre de ses enfants qui serait aveugle. Ces choses sont folles 4 vues humaines. L’E; peut bien les souhaiter, les réver comme désira~ bles. Sont-lles vraies ? Sont-elles méme possi- bles? Qui le lui dirait? Mais voici qu’elle ouvre soudain VEcriture. Elle tombe sur les endroits od il est noté que «Jésus, avant la fete de la Pfque, sachant que son heure était venue de pas- ser de ce monde au Pére, ayant aimé les siens qui éraient dans le monde, il les aima jusqu’a la fin» (Jean 13, 1), et que, «la nuit of il fut livré, il prit du pain et, aprés avoir rendu graces, il le rompit en disant : Ceci est mon corps, qui est pour vous; faites ceci en mémoire de moi» (1 Cor. 11, 24). Comment alors ne ressentirai elle pas un coup au coeur ? Comment ne lenten- drait-on pas murmurer tout bas: «Je Pavais pressenti, c'est plus encore que je n’avais pres- senti ! » 10 Cela maintenant est clair pour elle, L'amour qui a poussé le Fils de Dieu & venir corporelle- ment parmi nous, I'a poussé rester corporelle- ment avec nous. Il faudrait méconnattre le sens du mystéze de Incarnation pour refuser le mys- ttre de ’Bucharistie. 3. LE DISCOURS DU PAIN DE VIE Saint Jean n’a pas repris le récit direct de Vinstitution de PBucharistie, qui se trouvait déjt noté soit dans saint Paul soit dans les Evangiles synoptiques. Mais le chapitre VI de son Evan- gile, avec le discours sur le pain de vie, a pour fin premigre d’annoncer A Pavance le moment ob ‘Jésus, entrant dans le sacrifice sanglant de sa Passion, le rendra présent sacramentellement sous les apparences du pain et du vin, afin que ses fidales y puissent participer non seulement par Vamour mais encore par la manducation, & la maniére dont les Juifs s’unissaient par la mandu- cation aux sacrifices qu’ils offraient & Dieu. Le discours sur le pain de vie ne nous devient plei- nement intelligible que Iu dans la clarté rétros- pective du récit ‘de Pinstitution de la Céne. Tl 1 atteint son sommet en trois endroits. Au verset 35, oli est rappelé le mystére méme de l'Incarna~ tion: «Je suis le pain de vie. Qui vient 4 moi n’aura jamais faim, qui croit en moi n’aura ja- mais soif ». Au verset 51, ob est prédit le mys- tire de la Rédemption : «Le pain que moi, je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde ». Au verset 53, ob est prédite Ia manitre méme dont Jésus désire que nous participions 4 son sacrifice sanglant: d’ot PEucharistie et les solen- nelles instances du discours sur le pain de vie: «En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de homme ni ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. » Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. » Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment un breuvage. » Qui mange ma chair et boit mon sang de- meure en moi et moi en lui. » De méme que moi, envoyé par le Pére, qui est vivant, je vis par lui, ainsi celui qui me mange vivra par moi. » Voici le Pain descendu du ciel: il n'est pas comme celui qu’ont mangé vos péres: eux sont 12 morts; qui mangera ce Pain vivra éternellement. » Il donna cet enseignement 4 Capharnaiim, dans la synagogue » (Jean 6, 53-59), Certains murmuraient en disant : < Comment cet homme peut-il nous donner sa chair & man- ger... Cette parole est dure, et qui peut lenten- dre 2... Dés lors, nombre de ses disciples se retiré- rent et cessérent de l’accompagner. Jésus dit alors aux Douze: Voulez-vous partir, vous aussi ? Simon Pierre lui répondit : Seigneur, & qui irions- nous? Tu as les paroles de la vie érernelle » (Jean 6, 53, 60, 66-67). L’Bucharistie, sacrement par excellence de Punité, commence par des sépara- tions. Ce n’est pas Punité A tout prix que veut Jésus. Tavait ajouté : « C'est Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (6, 63). On a voulu, et cela demeurera Pun des plus mémorables contresens de lexégese, s'emparer de certe parole — elle est dans ’Evangile du Verbe fait chair venant parmi nous — pour prouver Vinutilité du Verbe fait chair restant parmi nous. Mais que veut-elle dire? Elle signifie quil ya en homme un sens charnel opposé a Vesprit de foi, et, incapable d’accéder au mystire, il ne sert de rien. Telle est, selon saint 33 = Jean Chrysostome, Pexplication immédiate : Jé- sus, écrit-il, « dicil cela de sa propre chair? A Dieu ne plaise ! Mais de ceux qui entendent char- nellement ses paroles... Ce qu’il faut, c’est con- templer tous les mystéres avec des yeux inté- rieurs, voilA le spirituel... Tu vois donc que la chair ne sert de rien signifie non la chair de Jésus, mais leur manitre charnelle d’écouter » '. Les com~ mentaires de saint Cyrille et de saint Augustin entrent dans le coeur du mystére : « La chair ne sert de rien, écrit saint Augustin, si elle est seule... Mais si le Christ nous a secourus en s’incarnant, comment la chair ne sert-elle de rien 2... La chair a été le vase : considére ce qu’elle contenait, non ce quelle était »* 4. LE RECIT DE LINSTITUTION Que fait-on, en Pan 55, dans « PEglise de Diew qui est & Corinthe » ? Saint Paul parle d’une table gui est un autel, d'un pain qui est le corps du Seigneur, d’un calice qui est le sang du Seigneur, *P. G, «59, col. 265 *S. Augustin, In Joon. Ee., VI, 64, atl 27, a° 5. 4 d'une union des fidtles A ce corps et a ce sang par manducation, A la manitre dont les Juifs participent aux sacrifices de la Loi mosaique et Tes Gentils aux sacrifices d’idoles. Mais ni les sacrifices des Gentils ni les sacrifices d'Israél ne sont plus permis sous peine de provoquer la jalou- sie du Seigneur (I Cor. 10, 14-22). Un peu plus loin il écrit : « Pour moi jai resu comme venant du Seigneur ce qu’A mon tour je vous ai transmis : Cest que le Seigneur Jésus, la nuit od il fut liveé, prit du pain, et aprés avoir rendu graces, le rom- pit en disant : Ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. De méme, apris le repas, il prit le calice en disant : Ce calice est Ia nouvelle Alliance en mon sang ; faites ceci chaque fois que vous en boirez, en mémoire de moi. Chaque fois, en effet, que vous mangez ce pain et que vous buver le calice, vous annoncez a mort du Seigneur, jusqu’a ce quil revienne. En sorte que quiconque mange le pain et boit le calice du Seigneur indignement aura A répondre du corps et du sang du Seigneur. Que chacun donc ouve soi-méme, et qu’ainsi il mange de ce et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit sans discerner le Corps, mange et boit sa propre condamnation » (I Cor. 11, 23-29). 15 “a 5, LE TEXTE DE SAINT AMBROISE* L’Eglise n’ajoute rien au sens de ces paroles. Elle Paccepte en sa plénitude. Elle Pannonce 4 ses enfants. Voici la prédication de saint Am- broise A Milan vers I’an 390: «Tu dis peut-ttre = C'est mon pain ordinaire. Mais ce pain est du pain avant les paroles sacramentelles ; dés que survient la consécration, le pain devient, fit, la chair du Christ. Etablissons-le donc. Comment ce qui est du pain peut-il étre le corps du Christ ? Par quels mots se fait donc la consécration, et de qui sont ces paroles ? Du Seigneur Jésus. En effet, tout le reste qu’on dit avant, est dit par le prétre : on offre & Dieu des louanges, on prie pour le peu- ple, pour les rois, pour tous les autres. Das qu’on en vient & produire, wt conficiatur, le vénérable sacrement, le prétre ne se sert plus de ses paroles A lui, mais il se sert des paroles mémes du Christ. Crest donc la parole du Christ qui produit ce sacrement. Quelle est cette parole du Christ ? page ee eee ee "fund por non dv hye afro rw ee cee ee R'doi toujours avoir un remdde.»'S. Ambros, De sacrament, Wea, - 16 Celle méme par laquelle il a fait toutes choses.. Si done il y a dans la parole du Seigneur Jésus une si grande force que ce qui n’était pas a com- mencé d’&tre, combien est-elle plus efficace pour faire que les choses qui étaient... soient changées en autre chose, in alind commutantur... Done pour te répondre, avant la consécration, ce n’était pas le corps du Christ ; mais aprés la consécra- tion, je te dis que c'est aussitét, jam, le corps du Christ » *. 6. LA TRANSSUBSTANTIATION Ily a dans 'Eucharistie, dit saint Augustin, ce que lon voit et ce que l’on croit. Ce que ’on voit, ce sont les apparences, les propriétés physico~ chimiques, bref les « espices » ou «accidents », du pain, Aprts la parole du Christ, sous ces appa- ences inchangées du pain, ce qui est IA c’est le corps du Christ. Un changement profond s'est produit. On a passé d'une réalité & une autre réalité, d'une substance A une autre substance. Passer, en latin, se dit: trans’, D’od le mot : "De sacraments, ch. 4, n* 13 2 20 "Doi les mots tranv-atlantique, transfer, et. 7 ye transsubstantiation. «Parce que le Christ notre Rédempteur a dit que ce quiil offrait sous es- pce du pain était véritablement son corps », PEglise a toujours cru, et le Concile de Trente déelare & nouveau « que, par la consécration du pain ct du vin, se produit une conversion de toute Ja substance du pain en la substance du corps du Christ Notre Seigneur, et de toute la substance du vin en Ia substance de son sang... Conversion que lEglise catholique appelle, c’est le mot juste, transsubstantiation » 7. LE MYSTERE DE LA TRANSSUBSTAN- TIATION £CHAPPE AU DOMAINE DE. LA SCIENCE La distinction entre un sujet ou substance et ses modifications ou accidents est une Evidence pour chacun de nous. Nous faisons tous la dis- tinction entre la permanence de notre moi pro- fond et substantiel, et la mobilité de nos dispo- sitions ou états accidentels. C’est un méme sujet qui en nous est affecté diversement, qui passe de Dena, N 977 ot 684, 18 Venfance a Age mar, de la tristesse & la joie, de Verreur & Ia vérité. C’est un méme arbre qui & Vhiver se dépouille, et refleurit au printemps. Ce sont les mémes éléments qui dans Punivers Sassocient et se dissocient, se composent et se décomposent, Il faut, partout dans la nature, dis- tinguer quelque sujet substantiel et ses modifi- cations. Revenons 4 I’Eucharistie. C’est la substance du pain, nous venons de le dire, qui est affectée par Ja transsubstantiation, non ses accidents, les pro- priétés physico-chimiques. Et ce sont précisément les accidents ou propriéeés physico-chimiques des corps, qui tombent, seuls, sous la prise directe des sciences physiques et chimiques. Qu’on leur laisse ce domaine, c'est tout ce qu’elles réclament. Elles ne disputent pas pour savoir si ces propriétés ont un sujet — comme nous le croyons tous sponta- nément, ou si — comme le pensent les métaphysi- ns bouddhistes, il peut y avoir du mouvement sans mobile, des modifications sans modifié, des accidents sans substance. Cela ne les concerne pas. Pareillement, tout le mystére de la trans- substantiation, reste par définition en dehors de leurs préoccupations. 29 8, LA FORMULATION TECHNIQUE DU MYSTERE, Seule la transsubstantiation rend possible la présence réelle du Christ sous les apparences inchangées du pain. Tel est Venseignement de PEglise. Elle annonce, au nom méme de l'Ecri- ture, des choses d’un autre monde, que Pil n’a pas vues, que Poreille n’a pas entendues, qui ne sont pas montées au coeur de ’homme. Cette doctrine qui vient d’en haut, de trés haut — et qui en fin de compte nous devient trés douce parce qu’elle nous ouvre aux horizons du Dieu qui est Amour — comment n’apparattrait-elle pas au premier choc comme un scandale, un défi jeté aux discours ob s’embrouillent nos esprits. Elle nous demande de croire le mystére d’un Diew un, subsistant en trois personnes, le Pére, le Fils, PEspric ; le mysttre du Fils de Dieu qui se fait homme et meurt sur une croix ; le mystére de sa présence permanente au milieu de nous dans PEucharistie. Chaque fois les objections ont dé- ferlé contre ces révélations inimaginables, chaque fois la raison raisonnante s’est efforcée de les réduire, de les rabattre sur son propre plan — 20 celui dune « religion dans les limites de la rai- son > — de les ramener & des théses acceptables pour elle, confortables, qui cesseraient de lui tre un scandale. Chaque fois pourtant, ces tentations se sont brisées contre un petit mot, qui n’écait méme pas dans ’Ecriture, mais qui conciliait en Iui ceux des aspects contrastants de P’Ecriture, dont on cherchait & semparer pour ruiner et déchirer Punité transcendante de la révélation méme de l’Ecriture : tel le mot de Trinité, pour affirmer & la fois Punité de nature et Ia distinc- tion irréductible des personnes en Dieu ; le mot de consubstantialité, pour affirmer Pabsolue iden tité d'éere du Pére et du Fils; le mot d'union hypostatique ou personnelle, pour affirmer en ‘Jésus Punité de personne et la dualité des natu- res ; le mot de transsubstantiation pour affirmer Ia présence du corps du Christ sous les apparences du pain. Ces mots restent définis pour toujours, la ré- flexion des sigcles pourra s'employer sans cesse 4 en désenvelopper le sens, clle ne saurait le cor- rompre. Ce sont des mots précis, des mots techniques. A mesure que se multipliaient les interprétations minimisantes, les échappatoires, les subterfuges, 24 es il a fallu, pour maintenir la hauteur et Ia pureté de la révélation, en préciser techniquement I'ex- pression, Les mots employés A cet effet ont pu @cre empruntés & un langage qui déjA se trouvait philosophiquement élaboré. Mais ce n'est qu’aprés avoir été au préalable détachés de leur contexte immédiat, puis vérifiés, contrOlés, purifiés par la divine lumigre de Ia foi qui les utilisaic et les ployait A ses fins & elle. Elle les aurait au besoin elle-méme forgés — er elle I’a fait —s'ils n’avaient préexisté. Il est clair, ds lors, qu’ils n’inféodent le dogme révélé A aucun systtme. «La pensée chrétienne orthodoxe, a-t-on écrit récemment, a choisi dans Ia philosophie hellénique les éléments gui lui sont apparus utilisables ; elle a rejeté les thises métaphysiques qui ont semblé étre incom- patibles avec ses propres principes, elle a repoussé les théses les plus originales et les plus constantes de la métaphysique antique »', comme celle de Pérernité du monde. Ainsi techniquement formulés, ces grartds mys- ttres de la Trinité, de Incarnation, de la Pré- sence réelle restent néanmoins accessibles, dans ' Claude Tresmontant, Les idées mattresses de le métaphysique chnétienne, 1962, . 1. Pree 22 une certaine mesure, 4 la foi du commun des fides. Nous les enseignons aux enfants des caté- chismes, car nous ne croyons pas les petits enfants indignes d’approcher de ces révélations de 'amour de Dieu. Il n'y a pas d’ésotérisme dans le chris- tianisme. Précisons encore que la révélation de la pré- sence réelle du Christ-Diew dans PEucharistie est resue avec la _méme foi profonde, avec le méme amour, par l’Eglise entire en Orient et en Occident. Mais Ia oi les attaques ont éé plus subtiles, plus calculées, plus violentes, et c'est en Occident, Ia formulation en est naturellement devenue plus technique. 9. LES APPROCHES NON CATHOLIQUES DU MYSTERE Aujourd’hui, Pattirance que I’Eucharistie exer- ce sur beaucoup de ceux qui en dehors des fron- titres visibles de I’Eglise se réclament comme nous du Christ et de son Evangile, loin de se relacher, parait au contraire se faire sentir avec plus de force et devenir comme irrésistible. Le temps pour eux est passé ott l'on parlait delle comme 23 = @un rite magique, d’une survivance des Ages my- thiques et prélogiques. Ils relisent dans les Synop- tiques et dans saint Paul, avec une attention nou- velle, le récit & la fois si inateendu, si simple et si solennel, si étrangement émouvant, de la dernitre Cine. Ils sont frappés de la fidélité des premiers chrétiens & prolonger le geste inauguré par le Sei gneur. Faites cect en mémoire de moi, avait ordonné, et apétre avait ajouré: Jusqu’a ce qu'il revienme. La célébration de la Céne était pour la communauté chrétienne le moment privilégié ob elle rencontrait le Christ qui avait promis de reve- nit et qui pouvait paraitre subitement dans sa gloire au milieu elle pour lui annoncer Ia fin du monde. Elle avait le mystérieux pouvoir d’uni- fier 'Eglise sur le plan le plus haut, le sien, en Ia recentrant, elle qui est le Corps, sur le Christ qui est la Téte. Toutes ces choses, et comment ne serait-ce pas pour nous une joie profonde, toutes ces choses sont en train d’étre retrouvées par des frtres que nous ne pouvons pas encore pourtant regarder comme appartenant plénitrement 4 PEglise. Plusieurs d’entre eux, enhardis par ces appro- ches toujours plus lumineuses du mystére de la Cine, commencent & parler comme nous de « pré- 24 sence réelle », de < corps du Christ », voire de «

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