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d'Extrême-Orient
Mauger Henri. III. Le Phnom Bàyàn. In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 37, 1937. pp. 239-262;
doi : https://doi.org/10.3406/befeo.1937.5352
https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1937_num_37_1_5352
PL XLIII.
légère. Puis nous franchissons les ruines du gopura d'entrée G, dont' il ne reste
plus que quelques pans de mur en latérite (1).
A notre gauche, s'élève la bibliothèque /, placée relativement à l'écart, en
contre-bas, et qui fut à demi emportée par un glissement de terrain.
En suivant la galerie axiale F, nous longeons deux esplanades : celle de
gauche, seule, est demeurée entière, l'autre a glissé sur la pente abrupte, en
entraînant d'ailleurs dans sa chute l'avant-corps latéral du gopura. Cette
esplanade est jonchée de blocs de latérite en grand désordre parmi lesquels on
distingue quelques fondations de murs en brique. — Peut-être était-ce
autrefois le lieu de campement des serviteurs du temple. Peut-être était-ce
l'emplacement du bassin rituel dont nous entretient certaine inscription — (2).
Nous pénétrons enfin dans l'enceinte proprement dite, limitée par une
galerie К К1 К" et dans laquelle sont répartis, autour du sanctuaire principal
A, et de son vestibule B-C, divers autres sanctuaires: D, P, et sept pràsàt
■semblables S (cf. pi. XLV).
A l'extérieur de l'enceinte, du côté du Sud, se trouvent encore deux
sanctuaires, H et L, qui font face au Nord-Est.
Enfin vers l'Ouest, des amoncellements de blocs laisseraient encore croire
à l'existence de constructions qui auraient pu être des habitations monastiques.
(1) Les lettres désignant les diverses constructions sont les mêmes que celles du
croquis de Lajonquière IK., I, n° 3) auquel on pourra se reporter utilement. Quelques
sanctuaires nouveaux ont été mis au jour pendant les travaux '. le sanctuaire voisin de
H, et édifié au S.-E.'de ce dernier (lettre L);sept petits sanctuaires entourant le grand
pràsàt (lettre S); enfin le sanctuaire symétrique de D par rapport à Гаче général
(lettre P). '
•
(2) Cf. plus loin : « Historique ». — Ajoutons qu'il nous est impossible de préciser
cette question, car le dégagement du Phnom Bàyàn, pour des raisons pécuniaires, ne
fut pas effectué dans sa totalité. Entré autres cette esplanade, qui ne présentait qu'un
intérêt secondaire, est demeurée dans l'état où elle se trouvait.
(3) Cf. АКР., t. II. pi. xxxix. — Une seule divergence, d'ailleurs minime, est à
noter : il ne nous a pas semblé que la rigole d'écoulement des eaux lustrales passe
obliquement à travers le mur; en tous cas, elle sort indubitablement dans l'axe du
vantail Ouest de la fausse porte, suivant la disposition habituelle. Cette rigole est une
pièce longue, en pierre, creusée d'un petit canal tout le long de sa face supérieure.
Des t'ouilleurs l'ont arraché du mur, en sapant les briques, en sorte qu'à l'heure
actuelle, il gît au milieu d'un petit tunnel de о m. 40 de diamètre environ, en bas de
Ja fausse porte, comme nous venons de le dire.
Échelle: 0 12 PI. XLV.
Bien que les sculptures semblent très imprécises lorsqu'on visite hâtivement
l'édifice, nombre de détails essentiels apparaissent à un examen attentif et
permettent de restituer les façades avec quelque certitude.
Pour ces restitutions, nous avons utilisé de nombreuses photographies de
détails, et d'après chacun de ces documents, nous avons dessiné les éléments
à leur dimension véritable, en les réduisant ou les agrandissant dans des
proportions convenables ; puis, tous ces éléments ont été groupés sur le dessin
d'ensemble, à l'emplacement qui leur étaîtassigné avec une rigoureuse
précision par le quadrillage de la brique (l).
Ce procédé de travail, qu'on jugera sans doute fastidieux est cependant le
seul qu'il ait été possible d'utiliser en la circonstance, puisque toutes les
parties hautes de l'édifice sont inaccessibles, et qu'il nous était impossible de
prendre aucune mesure sauf au niveau du sol.
Cet édifice dans son ensemble, peut être considéré comme constitué par
quatre éléments-types superposés, qui constituent un rez-de-chaussée et trois
étages, le tout couronné d'une voûte en berceau. Ce décor n'est qu'illusoire et
ne correspond pas à la réalité, puisque la coupe de l'édifice nous montre une
salle unique, haute de 12 ou 13 m., dont les parois se resserrent en des
ressauts successifs jusqu'au sommet du monument. Cette superposition fictive ne
serait-elle pas une survivance des coutumes de l'Inde, où de nombreux
sanctuaires avaient réellement plusieurs étages desservis par un véritable escalier?
Avant d'entrer dans le détail de ces différents étages, notons que chacun
d'eux se décroche au centre, en une saillie très accusée, par deux redents de
20 et 25 cm., redents qui se relient d'étage en étage en s'amenuisant jusqu'au
sommet, en sorte qu'il est bien difficile de connaître si dans l'esprit du maître
d'œuvre l'élément vertical devait prévaloir sur l'horizontal ou inversement (2).
(l) Des mesures effectuées en différents points, il ressort que dans une hauteur d'un
mètre on compte seize rangs de briques, c'est-à-dire que chaque rangée fait en moyenne
•62 ou 63 mm. d'épaisseur.
(.2) Nous reprenons volontiers cette expression «maître d'œuvre» bien qu'elle ait
été critiquée dans notre précédente étude.
Sans doute les monuments khmèrs sont-ils anonymes, comme on nous Га fait
remarquer à juste raison; mais ils sont anonymes au même titre que nos cathédrales
gothiques ou romanes, auxquelles on leconnaît cependant un maître d'œuvre. D'ailleurs
cette question d'anonymat est toute relative, car nos Mansart ou nos Garnier finiront
sans doute un jour par tomber dans l'oubli, et selon toute vraisemblance les Invalides
ou l'Opéra seront déclarés « anonymes », tout comme la cathédrale de Chartres ou le
Baptistère Saint Jean. Nous ne voyons donc pas en quoi l'anonymat d'un monument
nous interdirait de parler de son « maître d'œuvre ».
On nous a fait remarquer, d'autre part, que les Khmèrs «suivaient des règles
préétablies, des canons connus de tous»! — Oui, sans doute! Mais devons-nous en
déduire que ces canons excluaient toute espèce de plan ?
(Ce terme a besoin d'être précisé, car nous ne l'employons qu'au pis aller : il
désigne à nos yeux un modèle, modèle qui aurait peut-être été tracé sur des feuillets jux-
244 Henri Mauger
•*
taposés (?). Mais qui aurait pu tout aussi bien être gravé au burin sur une plaque de
schiste par exemple (?), à moins qu'on n'ait préféré le réaliser en terre glaise," sous
forme de- maquette (?) — peu importe le procédé — l'essentiel est que les Khmèrs
n'auraient pu s'affranchir de ces « plans », même si les canons avaient décrit tout
l'édifice dàné ses moindres détails, car, c'est une contingence à laquelle notre cerveau
d'homme ne saurait échapper qu'il faille tout d'abord matérialiser nos conceptions sur
des plans avant de les réaliser d'une manière définitive.)
En un mot, chaque édifice khmèr, bien qu'il soit anonyme, bien qu'il ait été conçu
selon les règles et les canons les plus stricts, possède une cohésion, une personnalité,
qui semblent nées de la volonté d'un seul homme, et non pas d'une collectivité de
travailleurs qui, par leurs divergences d'interprétation n'auraient abouti qu'à une-
œuvre disparafe, et sans nul doute incohérente.
Un tel homme, il est vrai, pourrait s'appeler un architecte; mais ce mot n'évoque-
t-il pas un modernisme choquant, lorsqu'il est question de monuments si" vieux... Il
pourrait encore s'appeler un constructeur, ou un bâtisseur; mais ces termes
impliquent une idée sinon péjorative du moins peu flatteuse, et semblent devoir qualifier
celui qui exécute servilement une œuvre, plutôt que celui à qui revient le mérite de
l'avoir composée et qui en est, pourrait-on dire, le maître.
Bref, ne trouvant pas d'appellation à la fois plus textuelle et plus symbolique, nous,
préférons nous en tenir à ce qualificatif « maître d'œuvre »• ■ -
(l) Afin de bien préciser notre pensée, nous citerons comme type de composition
horizontale, l'Àsram Mahà Rosëi (cf. BEFEO., 1936, p. 65 sqq.). Quant aux compositions
verticales, il n'en existe pas de bien nettes au Cambodge. Mais pour nous en faire une
idée, nous jetterons un regard sur les temples de Bhuvaneçvara ou de Khajuraho„
et même (en des temps plus voisins de notre art khmèr primitif), sur le « Laksmana
temple », construit en briques à Sorpur (cf. pi. u de Coomaraswamy, HIIA.).
Le Phnom Bàyàn 245
(1) A la base de ces pilastres, on voit un hamsa de face, aux ailes éployées.
246 Henri Mauger
.
.Fig. 8. — Phnom BÀYÀN.2e étage
du sanctuaire A. Pavillon
latéral.
des étages sont accusés par une pierre plate de о m. 50 x om.30, sans décor
ni moulure, dont l'épaisseur est de deux rangs de briques. Nous pensons que
ces pierres ont été placées en ces points (qui sont les plus saillants), pour
donner plus de cohésion à ces parties, en encorbellement très prononcé. Il
n'en est que deux ou trois qui soient restées en place ; quelques autres ont été
retrouvées dans les décombres.
• *
Pour achever la description de ce sanctuaire principal, nous signalerons
qu'il était couvert d'une voûte en berceau dont l'extrados n'était pas côtelé
comme le sont fréquemment les pràsàt de l'époque classique.
Rien ne nous autorise à certifier l'existence des épis de couronnement. C'est
une des rares licences de restitution que nous nous soyons permises.
Par ailleurs, sur toute la surface de l'édifice, nous n'avons pas relevé un
pouce carré d'enduit. Il n'existe pas de ces piquetages dans la brique, dont les
aspérités assurent une meilleure adhérence d'un enduit. Bref, il y a tout lieu de
croire que l'édifice demeura dans son nu; mais il n'est pas interdit de supposer
qu'il ait été revêtu de bariolages et doré par endroits, ce qui expliquerait
les allusions de certaines inscriptions.
(l)Nous ne citons que pour mémoire l'Àsram Mahà Rosëi, dont on ne saurait dire si la
partie centrale doit être considérée comme un mandapa au milieu d'un sanctuaire, ou
plutôt comme le véritable sanctuaire qui serait entouré d'une galerie, galerie d'ailleurs
agrémentée de quelques fenêtres.
250 . Henri Mauger
(!) Nous pensons que cet édifice était couvert en tuiles car: i° les murs sont arasés
très exactement au niveau des corniches ; et 2e la portée des murs de Ja salle étant de
5 m. 60 n'aurait pas permis de voûter en encorbellement. En outre il est vraisemblable
que ses angles aient été décorés de nàga en latérite grossièrement ébauchés,
analogues à ceux du mandapa A'. Cependant, aucun de ces nâga n'était in situ; nous
avons eu la chance d'en retrouver un, qui est bien conservé, et qui a été rangé près de
la porte Sud de l'enceinte; d'autres, en débris, se trouvaient sur la terrasse E, ou au
pied des porches С, С : nous les avons évacués, avec les déblais, au Sud-Ouest de
l'enceinte.
f2) Cette statue, grandeur naturelle, est de bonne facture, mais hélas décapitée. Les
deux avant-bras ont été rapportés au Musée Albert Sarraut. La statue elle-même, trop
lourde pour être chargée sur notre camion déjà comble, avait été rangée par nos soins
dans un angle du sanctuaire. Mais des indigènes — à notre insu — l'ont dressée peu de
temps après, sur un des piédestaux du perron E.
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Le Phnom Bàyàn 251
VII. Les pràsàt S. — Ces sept petits Fig. 10. — Phnom Bàyàn. Pràsàt
sanctuaires, qui étaient très ruinés, et complètement D.Un bloc d'angle de la voûte.
enfouis sous les décombres, ont été mis au jour
pendant les travaux. A l'exception de celui qui
est situé dans l'axe de A, tous ces pràsàt sont orientés au Sud-Est. Ils
mesurent intérieurement im.io de côté; chacun d'eux abrite un petit
liňga (2). Les portes sont de dimensions très réduites (om.40 de large et
о m. 60 de haut).
Ces pràsàt ne sont que très grossièrement décorés: ils ont des fausses-
portes sans colonnettes, encadrées de "petits pilastres sans décor, et leur
soubassement est constitué de moulures carrées, sans aucune caractéristique-
Tout ce que nous pouvons en dire, c'est qu'ils sont très proches parents du
mandapa A' (ainsi d'ailleurs que le pràsàt L), mais cette observation n'est
d'aucun secours, puisque nous ne connaissons pas davantage leur époque.
Cependant un indice précieux va nous permettre d'évaluer la date de
toutes ces constructions : le dégagement nous a livré les débris d'un petit
(1) Devant ce pràsàt, fut retrouvé un Visnu de pierre que nous avons rapporté au
Musée Albert Sarraut. Ses attributs sont la massue (à gauche en bas), la conque (a
gauche en haut), le disque (à droite en haut) et une petite sphère (à droite en bas).
Le Visnu est vêtu d'un sampot emboîtant haut les reins, découvrant le nombril, et
maintenu une large ceinture d'orfèvrerie. Il porte bracelets et colliers; il est coiffé dit
mukuta à couvre-chignon conique.
(2) Cf. Chronique du Cambodge, BEFEO*, t. XXXVI. p. 623.
252 Henri Maugër
linteau brisé en trois fragments, qui gisaient épars dans la cour (l); aucune
•colonnette n'a pu être retrouvée ; néanmoins les dimensions du linteau (om.8o
de large, о m. 18 de haut) correspondent exactement à celles des sanctuaires-
miniatures.
Ces linteaux représentent deux arcs issant des griffes d'un Râhu, et
terminés en volutes. Au-dessus des arcs', les flammes de feuillage n'ont qu'une
très petite place, et sont coupées net, indice qui nous laisse croire qu'elles
se poursuivaient dans la brique au-dessus du linteau. Quoi qu'il en soit, trois
points sont à retenir :
i° L'arc est bordé de perlages, décor très en honneur dans l'art pré-angko-
rien.
2° On aperçoit en dessous de l'arc des motifs qui sont intermédiaires entre
la feuille très naturaliste du pré-angkorien et les volutes composées de la pé-
Tiode classique.
3° Le Râhu trahit l'influence javanaise, qui ne s'est précisée au Cambodge
qu'à partir du règne de Jayavarman II : ce décor à lui seul, suffirait à nous
faire supposer que les pràsàt 5 (ainsi d'ailleurs que le mandapa A' et le prà-
sàt L) n'ont pu être construits que dans le courant du IXe siècle.
(l) Nous n'en possédons malheureusement qu'une seule photographie 6X9, qui
n'est pas assez bonne pour être reproduite. Par comble de malchance, lorsque nous
retournâmes plus tard au Phnom Bàyàn» prendre un nouveau cliché avec le bon
appareil de la Direction des Arts cambodgiens, il nous a été impossible de reconstituer
«entièrement la pièce à conviction.
Le lecteur voudra bien accorder confiance au dessin que nous présentons ici (fig. 1 1\
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Le Phnom Bàyàn 253^
IX. Le pràsàt H. — C'est le plus petit des deux sanctuaires qui se-
trouvent à l'extérieur de l'enceinte, du côté Sud (2). Il est en très mauvais état
de conservation. Sa décoration est nettement de style pré-angkorien : pilastres-
à rinceaux ou à bouquets, base à faux-balustres et à décor losange, linteaux
et colonnettes à guirlandes et pendeloques.
Et cependant nous trouvons sur les murs de ce sanctuaire le décor le plus-
inattendu qui soit : de part et d'autre de chaque porte, on a représenté des
apsaras debout, dans l'attitude du hanchement indien (cf. pi. LI). Sur la façade
principale, .elles sont relativement bien conservées* du moins des pieds jusqu'à
la taille. Sur les autres façades, le mur est si dégradé qu'on n'en trouve pas
trace, excepté sur la face Ouest (côté Nord), où il est possible de lire
l'ébauche de la tête ornée d'une coiffure à grosse boule, semble-t-il; on distingue
très nettement le menton, les boucles d'oreilles et l'attache de l'épaule. Sur la
foi de ces données essentielles, nous avons tenté de restituer une apsaras,
en laissant toutefois dans le vague toutes les parties dont l'interprétation n'est
pas absolument certaine. On s'étonnera sans doute de ce que la divinité ne se
trouve pas au centre du panneau ; nous l'avons exactement dessinée à la place
que lui a donnée le sculpteur.
P/. LI.
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Historique.
En étudiant dans ses détails le plan d'ensemble des sanctuaires (pi. XLIII), il
nous vient rapidement une critique à l'esprit : les constructions ne sont pas
disposées régulièrement* ni avec harmonie, et certaines parties de l'enceinte
sont très maladroitement conçues. Cette impression provient évidemment de ce
que le plan n*a pas été composé d'un seul jet : ce qui se présente à nos yeux,
n'est que le résultat — médiocre en définitive — de nombreuses adjonctions
au plan primitif.
Nous basant sur divers indices recueillis au cours des fouilles, nous allons
nous efforcer de classer les époques où eurent lieu chacun des aménagements
successifs, et de les dater si possible, afin de reconstituer les compositions
variées du Bàyàn aux diverses phases de son existence (cf. pi. LU).
• *
Tout d'abord fut édifié le grand pràsàt central A, qui se dressa tout seul,
pendant près d'un siècle, sur une esplanade nue, comme c'était fréquent à
l'époque (1).
(1) A l'examen du plan, on pourrait suggérer l'idée'que ce pràsàt était élevé sur un
256 Henri Mauger
soubassement dont on croit distinguer les restes en ce muret qui joint entre eux les
petits sanctuaires S. Il n'en est rien, car outre que cet embryon de mur est de
construction très médiocre (et par conséquent tardive), son parement fait face au
sanctuaire, ce qui détruit toute l'hypothèse. Ce muret servit cependant de soutènement,
mais à rencontre de ce que nous espérions, en ce sens qu'au lieu de constituer le
soubassement du sanctuaire, il ménageait un couloir (nous pourrions dire un fossé)
entre le pràsàt et le remblai ^qu'on établit dans l'enceinte au cours des siècles
postérieurs. Son but était d'éviter sans doute que les terres de remblai'ne viennent
enfouir la base des murs du sanctuaire A- ~
■ (*) Que devofis-hous entendre par « bordure'de briques » ? Nous croyons quece terme
ambigu pouvait s'appliquer à un socle, qui exceptionnellement fut exécuté en briques
pour cette statue. Pourquoi en briques, demandera-t-on, alors que l'époque pré-
angkorienne nous a laissé des piédestaux en pierre de toute beauté ř Nous nous
permettrons de faire observer que la statue était de matière exceptionnelle (en bronze,
ainsi que nous le verrons un peu plus loin), et solidaire d'une grande dallé de pierre
aux angles arrondis, dalle qui ne comportait pas le lourd tenon inférieur habituel à
toutes les statues. Ces diverses anomalies sont au moins aussi surprenantes que le fait
qu'une statue de bronze ait pu être érigée sur un socle de briques, lequel, — une
fois sculpté, laqué et doré — faisait le même effet qu'un piédestal. Notons enfin à la
stance III l'expression : « le pada sans support », qui semble confirmer la fondation
d'un socle servant & la fois -de' support et de bordure.. Par. ailleurs, .nous n'avons
retrouvé. aucun. piédestal assez grand pour recevoir la, dalle de base qui mesure
om. 60x0 m. 75. Il est vrai qu'il ne restait non plus aucun socle de briques dans
le mandapa, mais ce socle (à supposer qu'il ait duré jusqu'aux temps modernes)
aura pu être bousculé par les pillards chercheurs d'or, et il n'est pas surprenant que
nous n'en trouvions plus trace. -,
PI. LU.
.débuté VIF.Vin£4iècle.!»dravaim
.début* XF.fin
Phnom Bàyàn. Évolution du plan d'ensemble de l'an 604 à nos jours. Cf. p. 255.
Le Phnom Bàyàn > 257
motiver la fondation d'un pràsàt aussi imposant que ce sanctuaire primitif (2).
Précisons qu'à l'époque nous ne pensons pas qu'il y ait eu de construction
à l'intérieur; le ma ndapa A' (dont un essai de restitution a été présenté par
M. Parmentier dans son Art khmèr primitif) ne serait à notre avis qu'une
addition postérieure. Nous montrons sur le premier croquis de la planche LU
l'état du site en l'an 624 : au premier plan, le bassin d'ablutions qui vient
d'être inauguré ; au fond, le sanctuaire abritant une statue de Çiva en bronze,
pour laquelle aurait été construit un socle de briques en 604 A. D.
Il nous est impossible d'assigner une place à l'enceinte en briques,
mentionnée par l'inscription du piédroit delà tour (K. 483).
Л
Tel fut donc le Pràsàt Bàyàn pendant la majeure partie du VIIe siècle, et
p£ut-ètre jusqu'au début du VIIIe.
C'est alors que vint s'adjoindre au sanctuaire principal le pràsàt H,
construit un peu à l'écart et qui s'ouvre au Nord-Est. Ce petit sanctuaire, d'un
décor extrêmement délicat, fait encore partie de l'art pré-angkorien, mais
(9 Us étaient un peu plus grands que nature (la statue devait avoir près de 2 m. de
haut). Ils furent scellés au plomb dans une dalle de pierre, ce qui correspondrait peut-
être aux termes de la strophe IV de l'inscription :« semblable à un lotus fixé sur la
pierre ». Les deux pieds sont aujourd'hui exposés au Musée Albert Sarraut. Leur dalle
était brisée en plusieurs fragments que nous n'avons pas jugé opportun de rapporter
au Musée. Néanmoins, à titre de documentation, nous avons reconstitué un socle en
planches ayant les mêmes dimensions que la dalle primitive (cf. fig. 14).
(2) L'érection de cette statue suppose à nos yeux l'existence d'un sanctuaire pour
l'abriter. Ce sanctuaire, qui ne peut être que la tour centrale A (puisqu'à cette époque
il n'y avait pas d'autre sanctuaire) aurait donc été construit — semble-t-il — avant
604 Â. D., hypothèse qui n'est pas incompatible avec les renseignements de
l'inscription K. 483 (gravée sur le piédroit Sud du pràsàt) qui peut fort bien n'avoir été
composée qu'en 640, ainsi que M. Cœdes nous l'apprend.
17
258 Henri Mauger
déjà il s'apparente à l'art de Rolûoh par les Tévodà debout qui encadrent la
portet et qu'il n'est pas coutume de rencontrer sur les sanctuaires primitifs
(cf. pi. LI, a). Il se peut que ce décor apparaisse ici pour la première fois.
Les femmes ont une attitude hanchée, — un peu analogue à celles de Bantây
Srëi — mais plus naturelle, et traitée avec plus de vie et de vérité. Même jupe
longue où se devine le modelé des jambes; même ceinture de joaillerie;
mêmes flots d'étoffe qui retombent en coques souples et harmonieuses ; les
pieds — chose exceptionnelle — sont très habilement traités. La qualité du
dessin suffirait seule à dater l'œuvre de l'art primitif, même s'il ne restait
pas trace des pilastres, colonnettes ou moulures qui viennent confirmer notre
impression (!).
Le plan prend alors l'aspect du croquis 2 (pi. LU) : les compositions
symétriques étant très en honneur chez les IChmèrs, nous pensons qu'en face du
sanctuaire Я, on érigea peut-être un sanctuaire H\ exactement semblable, et
qui aurait disparu au cours du IXe siècle entraîné par un de ces glissements
de terrain qui fréquemment arrachaient un fragment du plateau.
•*
Un peu plus tard encore, on édifia tout autour du grand pràsàt les sept tours
en miniature que nous avons déjà décrites. Le linteau recueilli au cours des
fouilles semble nous autoriser à situer leur édification dans le cours du IXe
siècle (cf. pi. LU, croquis 3).
Il semble bien d'ailleurs que l'inscription K. 14 (ISCC, XXXVIII, p. 312)
fasse allusion à cette fondation lorsqu'elle débute par ces mots : « Hommage
à Çiva, qui bien que sans forme, prenant huit corps. . . » Et c'est pourquoi
nous nous croyons autorisé à figurer huit pràsàt (et non sept) où furent érigés*
les huit liňga que revêtit «celui qui n'est pas né » pour « déployer le monde
entier qui commence par Çiva lui-même, et finit par le feu de la destruction
universelle ».
L'inscription ne mentionne aucune date — hormis celles de l'intronisation
d'Indravarman Ier (877 A. D.) sous le règne de qui la stèle fut gravée.
C'est la stance XII qui précise le véritable objet de la donation; il s'agit
d'un sanctuaire nouveau pour une idole ancienne de Çiva (2). «'Ce roi. . . a,
dans Çivapura, donné par dévotion au Souverain Seigneur cette tour d'orr
IXe(1)siècle
Et ceci
ou des
en dépit
débuts
de dul'inscription
Xe, mais quiK. a 849
fortdont
bien l'écriture
pu être gravée
ne date
ultérieurement.
que de la fia du
(2) Cette observation est de MM. Barth et Bergaigne; elle a été confirmée par M.
Cœdès au début de son étude sur les inscriptions du Bàyàn (Inscriptions du Cambodge,
h p. 251).
Le Phnom Bàyàn 259
toute brillante de joyaux, avec une ceinture de lianes, aux feuilles charmantes,
pour le garantir du froid et des autres intempéries».
Tout d'abord que devons-nous entendre par « Çivapura ». Cette appellation
assez vague désigne-l— elle tout le plateau? ou simplement le grand
sanctuaire ? Dans le premier cas, l'inscription semblerait vouloir spécifier le pràsàt
L ; dans le second cas, le mandapa A\
Mais l'appellation équivoque de vimàna n'est-elle pas faite pour nous
signaler qu'il ne s'agit pas d'un sanctuaire quelconque. Dès lors, nous serions
tenté d'écarter l'hypothèse du pràsàt L, pour diriger notre attention sur le
mandapa A\
Par ailleurs, puisqu'il s'agit d'une idole ancienne (sans doute la
merveilleuse divinité de bronze), il est peu vraisemblable que cette idole ait été mise
en disgrâce dans le médiocre pràsàt L, ce qui confirme bien l'idée de l'érection
du mandapa A' en l'honneur de Çiva. . . et cependant, l'auteur ajoute « pour
le garantir contre les intempéries ».
Cette idée d'intempéries impliquerait-elle nécessairement le fait que la
divinité n'avait aucun abri ? Nous ne le croyons pas, et nous envisageons
plutôt l'hypothèse que voici : plus de deux siècles après la fondation du grand
pràsàt, le faîtage commençait à se dégrader. Il est fort possible que déjà
certains fragments de maçonnerie se soient détachés du sommet de la voûte.
Leur chute avait, sinon frappé la divinité, du moins menacé sa quiétude, et
l'on pensa utile de la préserver par un «dôme», plutôt que de réoarer le
sommet de la tour, chose qui eût été fort délicate. Il est possible également
que des infiltrations d'eau se produisaient pendant les orages, et que l'eau
ruisselait par des fissures à l'intérieur du grand pràsàt : c'est peut-être ce que
l'inscription entend par «intempéries». Si l'appellation paraît impropre, il
n'en est pas moins vrai qu'Indravarman avait tout Heu d'édifier de toute
urgence un dôme pour « garantir » la divinité contre la perpétuelle menace des
éléments.
La protection ne fut d'ailleurs qu'illusoire et de courte durée, car bientôt,
des masses plus volumineuses tombèrent en bloc, et écrasèrent à la fois le
dôme ... et la divinité . . . Mais n'anticipons pas : et continuons à suivre l'ordre
chronologique des événements et des fondations.
Nous arrivons à l'époque de la latérite, époque à laquelle il serait bien hardi
d'attribuer une date précise ; cependant, il nous semble pouvoir diviser cette
ère en trois périodes d'activité :
l'étang sacré. C'est d'ailleurs sur cette hypothèse que nous nous sommes fié
pour mettre en place le tïrtha sur les trois premiers croquis.
Remarquons en passant que pour construire ce vestibule il a fallu de toute
évidence détruire le huitième petit sanctuaire qui se trouvait devant la porte
du temple.
C'est en même temps, semble-t-il, que fut édifiée la bibliothèque, car
celle-ci présente les mêmes moulures de base et de corniche que le vestibule
В ; ces deux constructions sont établies sur de grands soubassements moulurés,
en large saillie sur le nu des murs (1).
A cette époque, les blocs de latérite sont épais et bien jointoyés ; ces
qualités caractéristiques de la construction semblent suffire à la classification
des édifices, qui se rattachent tous à l'un des trois types figurant au croquis n° 1 4.
Peut-être est-ce dès ce moment que fut entreprise la construction de
l'escalier monumentalJ qui conduit jusqu'au pied de la colline. Nous aurions
tendance à situer à la même époque le tracé de la majestueuse avenue de la
plaine, jalonnée par deux gopura — aujourd'hui rasés — mais dont la disposition
est assez analogue à celle des deux édifices qui annoncent le Phnom Cisór (2).
Ce nom du Phnom Čisór évoque à'notre esprit la figure de Sflryavarman
1er (1002 — 1049), le grand constructeur des temples d'altitude, et les divers
aménagements de latérite que nous venons de décrire pourraient fort bien
dater de son règne.
20 C'est un peu plus tard que fut construite l'enceinte К К' К", avec le
gopura G, et la galerie axiale F ; on y apporta un moindre souci du joint
parfait, et en outre les blocs sont alternativement mis en œuvre « à plat» et « de
champ », procédé particulier au Phnom Bàyàn et qu'on ne retrouve nulle part
ailleurs à notre connaissance. L'enceinte est doublée d'une galerie couverte en
charpente, et dont le soubassement ne porte pas trace de mouluration. Notons
la dissymétrie imp'osée à l'enceinte par la présence des sanctuaires H et L
préexistants, et en deçà desquels il fallait se cantonner, pour ne pas les
détruire ou les aveugler; c'est pourquoi la galerie du côté Sud touche presque
aux pràsàt S, alors qu'au Nord, elle en passe à plus de 1 m. 50 (cf. pi. LU,
croquis 5).
Le plan présentait alors toute sa beauté, qui ne fut d'ailleurs qu'éphémère.
{}) L'endroit retiré que choisirent les constructeurs pour édifier cette bibliothèque
semble bien confirmer l'hypothèse du tïrtha en avant du grand pràsàt, car (suivant les
canons d'architecture), la bibliothèque aurait dû se trouver à l'Est du pràsàt L, mais
elle aurait alors complètement obstrué le passage. Au contraire, s'il n'y avait pas eu de
bassin sacré, rien n'empêchait les constructeurs d'obéir aux canons, et de placer
convenablement cette bibliothèque.
(2) Le Sèn Thmol et le Sèn Ravang.
Le Phnom BàyXn 261
Vint enfin l'époque du bouddhisme, où l'on rasa la majeure partie des pràsàt
5, ne conservant que les deux sanctuaires du Nord-Est et du Sud-Est i1), puis
les reliant entre eux par un léger mur de soutènement en briques, on remblaya
toute la cour entre les galeries et ce muret, ne laissant près du grand pràsàt
qu'un étroit couloir en contre-bas, couloir qui devait être un fossé fangeux
durant toute la saison des pluies.
Dans ce remblai, nous avons retrouvé pêle-mêle toutes sortes de bronzes
et statues brahmaniques (2), c'est au-dessus de ce remblai que l'on édifia les
médiocres constructions de l'angle N.-E., moitié en latérite réemployée,
moitié en briques mal jointes, aux parements frustes, ne présentant aucune
mouluration. Ces aménagements sont très tardifs; la preuve en est que sous
les fondations de l'un de ces murs M, nous avons retrouvé le dieu à chevelure
tressée, couché intentionnellement face contre terre suivant l'axe du mur, les
deux avant-bras antérieurs brisés pour qu'il puisse reposer bien à plat.
L'histoire du Bàyàn se poursuit assez obscurément jusqu'en une période
voisine des temps modernes: il n'en subsiste aucune œuvre remarquable,
mais seulement des débris de Buddha en bois, des petites pièces de bronze
mince complètement rongées et quelques tablettes votives sans intérêt.
(') Ces deux sanctuaires en effet sont encore aujourd'hui conserv.es jusqu'à hauteur
de leur corniche U m. environ), hauteur minime, sans doute; mais qui dépasse de 60
ou 70 cm. le niveau des galeries.
(2) Cf. Chronique, BEFEO., t. XXXVI, p. 623, au sujet des travaux du Bàyàn.