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INRA

Alimentation
Agriculture
Environnement
N°15 - DÉCEMBRE 2010 magazine

◗ DOSSIER

Biotechnologies vertes :
de nouvelles pistes
pour répondre aux défis
de l’agriculture

◗ RECHERCHE ◗ REPORTAGE ◗ HORIZON


Le sexe des truffes Passeport pour Expertise et prospective
en kit la recherche pour éclairer la société
◗sommaire
Chers lecteurs,
03◗ HORIZONS
Adaptation au changement climatique :

N
ous avons perdu l’un des nôtres.
la recherche s’organise
Xavier Leverve, directeur scientifique
Expertise et prospective pour éclairer les enjeux
de la société
« Alimentation » de l’Inra, nous a quittés,
à l’issue d’un long combat contre la maladie.
Le choc de sa disparition est d’autant plus terrible
06◗ RECHERCHES qu’il a fait montre d’une incroyable force morale,
& INNOVATIONS restant présent par ses avis précieux et ses conseils,
De l’ammoniac dans l’air nourrissant l’espoir de tous ses collègues et amis
Y aura-t-il plus ou moins de phytoplancton ? jusqu’au dernier jour.
La recherche avicole déploie ses ailes
Entré à l’Inra en 2002 comme chef du département
Le sexe des truffes en kit « Alimentation humaine » avant d’être nommé
Les climatologues en campagne directeur scientifique « Nutrition humaine
et sécurité des aliments » en 2004, puis directeur
scientifique « Alimentation » en 2009,
13◗ DOSSIER ce brillant médecin et chercheur a contribué
Biotechnologies à affirmer le positionnement de notre Institut
sur les questions alimentaires et nutritionnelles.
vertes :
Il représentait d’ailleurs l’Inra en tant
de nouvelles que directeur adjoint de l’Institut « Circulation,
pistes pour métabolisme, nutrition » au sein d’Aviesan,
répondre l’alliance nationale pour les sciences de la vie
aux défis et la santé depuis 2008, et présidait la fondation
de l’agriculture « Alimentation et santé ».
Alors que l’Inra élaborait ses orientations
scientifiques 2010 - 2020, Xavier disait que celles-ci
25◗ REPORTAGE devaient être envisagées dans une optique
Des pistes pour ménager sa monture de développement durable et de mondialisation
Passeport pour la recherche des échanges, faute de quoi les meilleures intentions
Une belle comédie aromatique scientifiques dans le domaine de l’alimentation
buteraient sur des réalités incontournables.
32◗ IMPRESSIONS Cette approche, qu’il décrivait comme un
« compromis au sens noble du terme », était portée
34◗ REGARD par un homme passionné, dont l’humanité
et la clairvoyance scientifique nous manqueront.
Alimentation, travaillons ensemble

Marion Guillou
Présidente

INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE


147 rue de l'Université • 75338 Paris Cedex 07
www.inra.fr

Directrice de la publication : Marion Guillou. Directeur éditorial : Jean-François Launay. Directeur de la rédaction : Antoine Besse. Rédactrice en chef : Pascale Mollier. Rédaction :
Géraud Chabriat, Magali Sarazin, Brigitte Cauvin, Ana Poletto, Catherine Foucaud-Scheunemann. Photothèque : Jean-Marie Bossennec, Julien Lanson, Christophe Maître. Couverture : Photo
: Christophe Maître. Maquette : Patricia Perrot. Conception initiale : Citizen Press - www.citizen-press.fr. Impression : Imprimerie CARACTERE. Imprimé sur du papier issu de forêts gérées
durablement. Dépôt légal : décembre 2010.

Renseignements et abonnement : inramagazine@paris.inra.fr ISSN : 1958-3923

2 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


◗ HORIZONS
© Inra / Bertrand Nicolas

Adaptation au changement climatique :


la recherche s’organise
A l’occasion du premier colloque scientifique organisé en France, en octobre 2010,
sur l’adaptation au changement climatique de l’agriculture et des écosystèmes gérés
ou affectés par les activités humaines, l’Inra a annoncé le lancement d’un « métaprogramme »
sur ce thème. Le but : faire travailler ensemble les chercheurs de diverses disciplines
autour de grands enjeux et favoriser les partenariats à l’échelle nationale, européenne
et internationale.

F ace au changement clima-


tique, coexistent deux straté-
gies d’action : l’atténuation,
qui vise à limiter l’augmentation de
l’effet de serre en réduisant les émis-
jusqu’ici privilégié la première appro-
che. En clôture du colloque, Wolfang
Cramer (1), membre du GIEC, plaide
pour l’adaptation : « Il est très impor-
tant de faire comprendre que l’adapta-
sensibilité des rendements face au chan-
gement climatique dans certaines zones
en Afrique, par exemple, est très inquié-
tante en termes de sécurité alimentaire.
D’une manière générale, les popula-
sions de « gaz à effet de serre » ou en tion des écosystèmes et des tions qui vivent d’une agriculture de
favorisant la séquestration de carbone, agro-écosystèmes au changement cli- subsistance sont potentiellement plus
et l’adaptation des écosystèmes agri- matique est d’ores et déjà inéluctable. exposées aux perturbations entraînées
coles au réchauffement global et à L’avancée des connaissances nous par le climat ».
l’instabilité accrue du climat. indique que les impacts décrits par le Ce qui pourrait apparaître comme du
GIEC, il y a cinq ans, étaient proba- fatalisme requiert en fait volontarisme
L’agriculture et les forêts blement sous-estimés. Pour les agro- et anticipation. Les priorités de recher-
devront s’adapter écosystèmes les plus vulnérables, la che définies pour le métaprogramme
Dans cette dualité atténuation/adap- limite qui nous sépare de bouleverse- « Adaptation au changement clima-
tation, les programmes nationaux ont ments majeurs n’est plus très loin. La tique de l’agriculture et de la forêt »

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◗ HORIZONS (ACCAF) s’appuient sur un atelier de
réflexion prospective ANR animé par
l’Inra en 2009 (2). Elles comprennent
une phase d’analyse : quels risques
sont associés aux épisodes extrêmes,
quels impacts régionaux, quels effets
sur la biodiversité et les bioagresseurs,
quelle capacité d’adaptation des filiè-
res ? Puis sont abordées les innova-
tions nécessaires : adaptation génétique
des espèces à de nouvelles conditions
climatiques (sécheresse, présence

© Inra / Sylvie Toillon


accrue de CO2 dans l’atmosphère),
évolution des systèmes de culture ou
d’élevage, solutions de soutien aux
filières (décisions d’investissements,
politiques publiques de gestion des


risques, systèmes d’alerte etc.). La CONGRÈS INTERDISCIPLINAIRE - ACCAE (Adaptation
démarche pluridisciplinaire, marque au Changement Climatique de l’Agriculture et des Ecosystèmes)
20-22 octobre 2010 - Clermont-Ferrand. Table ronde 1 : Jean-François
de fabrique des métaprogrammes, se Soussana, Maryline Loquet, Vincent Gitz.
justifie pleinement sur ce thème, par
exemple pour concevoir des modèles
de transformation des systèmes de la coordination entre les program- ronnementaux sur le long terme pré-
production en combinant biologie, mes nationaux des Etats membres. sents en Europe et dans le monde ».
écologie, biophysique, agronomie, Jean-Marc Guehl (5) en souligne l’en- Enfin, à l’échelle internationale,
sciences économiques et sociales. jeu : « Au-delà de la rationalisation l’initiative FACCE établit des contacts
des efforts de recherche entre États avec différents programmes comme
Travailler à différentes membres, la dimension européenne la GRA (6), initié en 2009 par la Nou-
échelles géographiques constitue souvent la bonne échelle d’a- velle-Zélande et axé sur les effets de
Il faut pouvoir raisonner aussi bien à nalyse pour comprendre les phénomè- serre, ou le CCAFS (7), plus explici-
l’échelle régionale (et, à ce titre, amé- nes. Certaines dynamiques écologiques tement dédié aux problèmes de l’ali-
liorer la résolution spatiale des comme les flux de gènes, la migration mentation mondiale. ●
modèles d’impact du changement cli- des espèces ou la progression des bio-
matique) qu’à des échelles plus larges. agresseurs n’apparaissent bien qu’à Pascale Mollier
C’est pourquoi le métaprogramme l’échelle continentale. Les partenariats
ACCAF s’inscrit dans des niveaux de internationaux fournissent aussi une (1) Professeur d’écologie globale au Postdam Institute
for Climate Impact Research. Il coordonne le chapitre sur
coordination nationaux, européens vision prédictive intéressante. On sait les impacts du changement climatique dans le prochain
et internationaux, emboîtés à la par exemple que le climat méditerra- rapport du GIEC, à paraître en 2014. GIEC : Groupe
d’experts intergouvernemental sur le changement
manière de poupées gigognes. néen aura tendance à s’étendre vers le climatique.
A l’échelle nationale, il contribuera Nord et l’Ouest. Les études sur ce climat (2) Atelier de réflexion prospective ADAGE, conclu en
2009 (projet ANR, 150 experts pluridisciplinaires).
aux travaux d’AllEnvi (3) et de son peuvent donc nous permettre d’antici- https://www1.clermont.inra.fr/adage
groupe thématique « Changement per les futures conditions de cultures (3) AllEnvi est une Alliance nationale de recherche, qui
a pour objectif de bâtir une programmation coordonnée
global et climat ». et les capacités d’adaptation de certai- sur le thème de l’environnement au niveau national.
A l’échelle européenne, le métapro- nes zones françaises. Il est donc Abordant principalement les thèmes de l’alimentation,
de l’eau, du climat et des territoires, elle élabore des
gramme fera pleinement partie de indispensable d’intensifier nos parte- priorités qu’elle soumet au gouvernement et aux
l’initiative de programmation nariats afin notamment de valoriser agences de financement françaises et européennes.
AllEnvi associe douze acteurs de recherche : BRGM,
conjointe « FACCE » (4), qui organise tous les réseaux d’observatoires envi- CEA, Cemagref, Cirad, CNRS, CPU, Ifremer, Inra, IRD,
LCPC, Météo France et MNH.
(4) L’initiative « Agriculture, sécurité alimentaire, et
changement climatique » (en anglais JPI FACCE),
Mobiliser toutes les disciplines : les métaprogrammes animée par l’Inra et le BBSRC, réunit une vingtaine de
pays européens (+Israël et Turquie). Voir Inra magazine
n°14 rubrique « Regard ». www.faccejpi.com
Les métaprogrammes organisent une programmation pluridisciplinaire au (5) Directeur du département « Écologie des forêts,
sein de l’Inra et de ses partenaires sur une thématique donnée. Ils mobi- prairies et milieux aquatiques » de l’Inra, en charge
du métaprogramme ACCAF.
lisent plusieurs départements de l’Institut sur une longue durée (5 à 10 ans). (6) GRA : The Global Research Alliance on Agricultural
A terme, ils représenteront 30 % des forces de recherche de l’Inra. Greenhouse Gases.
Six métaprogrammes sont d’ores et déjà identifiés pour la période 2010- (7) CCAFS : Climate Change, Agriculture and Food
Security, initiative lancée en 2010 par le CGIAR
2020. (Consultative Group on International Agricultural
- Gestion intégrée de la santé des plantes Research) et l’ESSP (Earth System Science
Partnership).
- Gestion intégrée de la santé animale
- Sélection génomique
- Métagénomique des écosystèmes microbiens
- Déterminants et effets des comportements alimentaires +d’infos
Oweb :
- Adaptation de l’agriculture et de la forêt au changement climatique. www.inra.fr/la_science_et_vous/dossiers_
scientifiques/changement_climatique

4 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


Expertise et prospective
pour éclairer les enjeux
de la société
Philippe Chemineau analyse les missions de la délégation
à l’expertise scientifique collective, à la prospective
et aux études (DEPE), unité qu’il dirige depuis sa création
à l’Inra en juin 2010.

quant à elle, imagine des futurs possi- L’Inra a adopté la charte


© Inra / Bertrand Nicolas

bles en présentant leurs contenus, leurs nationale de l’expertise


enjeux, ainsi que les conditions pour y scientifique institutionnelle.
parvenir. La méthode la plus utilisée Qu’est-ce que cela
décline des scénarios entre deux extrê- va changer ?
mes : un renforcement des tendances P. C. : La principale nouveauté intro-
existantes et une situation de rupture. duite par rapport à la charte dont l’Inra
Pourquoi regrouper s’était déjà doté en 2007 est de per-
l’expertise et la prospective, Les conclusions d’une exper- mettre une activité d’expertise insti-
deux unités jusque-là tise aident les décideurs de tutionnelle individuelle. Le but est de
distinctes (1) ? notre société mais comment répondre dans un cadre clair à certai-
Philippe Chemineau : Cela répond l’Inra s’en empare ? nes demandes d’expertise dont le péri-
à une volonté de la Présidente de l’Inra P. C. : L’expertise, en distinguant les mètre est assez resseré pour qu’un seul
qui souhaitait ainsi renforcer notre acquis, les incertitudes et les contro- chercheur puisse les prendre en charge.
capacité à soutenir l’élaboration des verses, permet d’éclairer la décision Elle formalise aussi certaines de nos
politiques publiques et améliorer publique. La prospective est moins liée procédures, comme la déclaration
l’appropriation par les scientifiques de aux commandes publiques. Toutes d’intérêt, dans laquelle chaque expert
l’Inra des débats entre la science et la deux en revanche sont nécessaires à rend publics ses liens avec les entre-
société. La DEPE a ainsi été créée et a l’Institut pour définir ses orientations prises qui lui ont confié des contrats.
ensuite été renforcée. Elle comprend de recherche, parce qu’elles dégagent D’une façon générale, nous sommes
maintenant une quinzaine de person- de grandes questions de recherche ou attachés, comme l’entérine l’adoption
nes, ce qui nous a permis d’augmenter mettent en évidence de nouveaux de cette charte, à la transparence et à la
le nombre de projets traités. fronts de science. C’est ce que j’appelle qualité de nos procédures. ●
Expertise et prospective sont en fait le « chaînage stratégique ». Regardons
étroitement liées. L’expertise, ou plus par exemple les métaprogrammes (2) Propos recueillis par
exactement l’expertise scientifique, que l’Inra pilote pour les dix prochai- Magali Sarazin
pour la distinguer d’autres formes nes années. Celui qui s’intitule « Déter-
d’expertises (expertise judiciaire, d’un minants et effets des comportements (1) Pour mémoire, l’Inra s’est doté dès 2002 d’une unité
dommage pour une réparation, etc.) alimentaires » s’inspire directement d’expertise scientifique collective et dès 2007
d’une unité prospective.
dresse un état des lieux, en réponse à des conclusions rendues en juin 2010 (2) Programmes de recherche pluridisciplinaires
une saisine des ministères (générale- à la suite de l’expertise scientifique col- impliquant plusieurs départements de l’Inra
et leurs partenaires.
ment de l’agriculture et de l’environ- lective. Le métaprogramme « Gestion (3) « Réduire l'utilisation des pesticides et en limiter
nement), et analyse un corpus intégrée de la santé des plantes » utilise les impacts environnementaux », décembre 2005.
(4) Les résultats de cette étude ont été présentés
scientifique certifié pour répondre à autant les conclusions de la prospective en janvier 2010.
une question complexe qui fait débat ENDURE sur la protection des cultu-
dans la société. Par « certifié », on se res en Europe en 2030 que les résultats +d’infos
réfère aux publications scientifiques à de l’expertise scientifique collective Oen cours :
• Expertises scientifiques collectives :
comité de lecture (évaluation par les « Pesticides, agriculture et environ - - Flux d’azote et élevages
pairs). Lorsque les sources certifiées nement » (3) et de l’étude « Écophyto - Variétés tolérantes aux herbicides
n’existent pas, par exemple dans le cas R&D : Quelles voies pour réduire • Prospectives :
de sujets nécessitant une déclinaison l'usage des pesticides » (4). Là encore, - Devenir du Massif des Landes de Gascogne
- Agrimonde 2, agricultures et alimentations du monde
territoriale, on peut se baser sur des deux bouts d’une chaîne sont liés : en 2050. Scénarios et défis pour un développement durable.
comptes-rendus d’activités, des rap- l’appropriation des travaux de la DEPE Oweb :
http://media.enseignementsuprecherche.gouv.fr/file/
ports techniques, des résultats de au sein de l’Inra passera par l’impli- 2010/10/6/Chartenationaledel_expertise_139106.pdf
modélisations, etc. On parle alors cation toujours plus en amont des Ocontact :
plutôt d’« étude». La prospective, chercheurs. philippe.chemineau@paris.inra.fr

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◗ RECHERCHES
De l’ammoniac dans l’air
& INNOVATIONS

© Inra / Christophe Maître


ÉPANDAGE
DE LISIER

riche en azote.

Des chercheurs de l’Inra Versailles-Grignon ont mis au point ROSAA, un nouvel analyseur
automatique d’ammoniac. Ce système permet un suivi fiable des émissions de ce gaz dans
l’atmosphère. ROSAA a été testé avec succès au champ et fait actuellement l’objet d’un dépôt
de brevet. Il est promis à de nombreux débouchés, notamment pour mesurer la pollution
atmosphérique, à la fois en recherche et dans les domaines de l’environnement,
de l’agriculture et de la santé.

P lus de 98 % de l’ammoniac
atmosphérique (NH3) pro-
vient, en France, des secteurs
agricoles et sylvicoles, principalement
de l’élevage et de l’utilisation des
des impacts divers (asthme, voire effet
de serre).
Pour réduire ces émissions, il faut
d’abord pouvoir les mesurer avec pré-
cision, d’une part au laboratoire,
de ng par m2 et par s), robuste (il suf-
fit d’un entretien bi-hebdomadaire et
d’un contrôle hebdomadaire) et
pourvu d’un étalonnage automatisé.

engrais (1). d’autre part sur le terrain (au champ L’épreuve du terrain
ou en bâtiment d’élevage) pour Aujourd’hui, cet analyseur a déjà été
L’ammoniac atmosphérique mieux étudier les processus qui en utilisé pour quantifier l’ammoniac
doit être surveillé sont à l’origine. Les analyseurs exis- émis par les surfaces agricoles après
Les dépôts d’ammoniac atmosphé - tants ne répondent pas à l’ensemble apport d’engrais. Dans le cadre d’une
rique entraînent des effets négatifs de ces besoins. campagne expérimentale menée à
sur les écosystèmes naturels ou culti- Partant de ce constat, une équipe de Grignon en 2008, les pertes azotées
vés : acidification des sols et des eaux, scientifiques et de techniciens de l’Inra qui ont été mesurées après apport de
eutrophisation (2) des milieux aqua- de Versailles-Grignon (3) a développé lisier au champ représentaient 25 %
tiques, avec des conséquences sur la le système ROSAA (Robust and sen- de l’azote apporté. Ces teneurs ont
biodiversité. Extrêmement réactif, ce sitive ammonia analyser) : un analy- été comparées à celles obtenues par
gaz peut aussi se combiner à d’autres seur d’ammoniac très sensible (il d’autres systèmes et méthodes de
molécules, formant des aérosols ayant mesure des flux de quelques dizaines mesure validés. Les faibles écarts

6 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


ROSAA en détails
(inférieurs à 3 %) observés entre les
différents systèmes de mesure per- ROSAA comprend un système de captage couplé à un système d’analyse en ligne. Le premier
mettent une première évaluation est composé de tubes verticaux (denuders), traversés par un flux descendant d’acide qui s’é-
intéressante du fonctionnement de coule le long des parois, et, à contre-courant, par le flux d’air à analyser. L’acide piège l’ammoniac
ROSAA en conditions naturelles. immédiatement (sous forme stable d’ion ammonium NH+4 ), lui évitant d’interagir avec d’au-
tres composantes du milieu. Autre avantage, seule la fraction gazeuse est prise en compte,
et non les aérosols, qui n’ont pas le temps d’être piégés. Enfin, le système permet de préle-
Une innovation reconnue et
ver simultanément des échantillons en divers points.
des perspectives d’extension L’analyse est réalisée par conductimétrie après passage sur une membrane semi-perméable.
Le dispositif ROSAA a reçu le prix Les premiers tests de validation du système dans sa globalité ont été réalisés. On note une
des Techniques innovantes pour l’en- grande efficacité de piégeage d’ammoniac par les denuders avec des rendements d’extrac-
vironnement, catégorie « Analyse tion proches de 99 %. La justesse du système a été validée pour une large gamme de
Mesure » lors du Salon Pollutec, en mesure de 40 à 200 μg d’ammoniac par m3, avec des répétabilités et des reproductibilités qui
décembre 2009. Il fait actuellement ont des coefficients de variation inférieurs à 2 %. La concentration limite quantifiable en
l’objet de dépôt d’un brevet. ammoniac dans l’air est estimée à 2 μg d’ammoniac par m3.
Le développement de ce système à L’analyseur ROSAA possède ainsi des propriétés inédites par rapport aux systèmes existants
plus grande échelle permettra d’am- les plus perfectionnés. En effet, les systèmes à diode laser (TDL/QCL), actuellement les
plus performants pour les mesures à hautes fréquences, n’ont pas une sensibilité suffisante
plifier les études sur la compréhen-
pour mesurer des dépôts d’ammoniac avec plusieurs canaux. Les systèmes de tubes denu-
sion des échanges d’ammoniac entre ders rotatifs à flux continu associés à une analyse conductimétrique (AMANDA) sont nettement
les surfaces agricoles ou naturelles et plus sensibles mais nécessitent des débits d’air échantillonné importants (30 litres par min)
l’atmosphère, qui plus est sur des qui empêchent le travail en conditions contrôlées et à l’intérieur du couvert végétal.
périodes longues. Mieux quantifier Les performances du système ROSAA pourront encore être améliorées en optimisant le
ces échanges répondra à une demande choix des débits d’air et de liquide à utiliser à l’intérieur des denuders et en intégrant un sys-
tant nationale qu’européenne. tème plus performant de régulation de la température de la cellule d’analyse.
C’est également une première étape
vers la constitution d’un réseau natio-
nal de mesure sur l’échange d’ammo- sur la mesure de composés gazeux l’acide nitreux (HONO) ou les aéro-
niac. Ceci touche autant le domaine de par conversion en phase liquide sols minéraux. Cette perspective ouvre
la recherche que celui de la surveillance permet d’envisager de mesurer, dans une voie supplémentaire dans le
des impacts environnementaux ou certaines situations, d’autres compo- domaine de la mesure des échanges de
encore de la santé publique. sés tout aussi complexes que l’am- composés gazeux. ●
Par ailleurs, l’expertise mise en œuvre moniac, comme le dioxyde de soufre
lors de ce projet de développement (SO 2 ), l’acide nitrique (HNO 3 ),
Catherine Foucaud-Scheunemann

(1) Source : Centre interprofessionnel technique d’étude de la pollution atmosphérique, 2009. +d’infos
(2) Eutrophisation : détérioration d'un écosystème aquatique par la prolifération de certains végétaux, Ocontacts :
en particulier des algues planctoniques, résultant d’un excès de nitrates, phosphates et matières organiques. Erwan Personne, erwan@grignon.inra.fr
(3) Unité mixte de recherche Environnement et grandes cultures Inra AgroParisTech. Celine Decuq, celine.decuq@grignon.inra.fr
© Inra / Olivier Fanucci

© Inra / Olivier Fanucci


PARTIE « CAPTEURS » de l’analyseur automatique ROSAA PARTIE « ANALYSE » de ROSAA.


installé en extérieur, dans un champ de triticale, Sa structure permet de rassembler les pilotages électronique
à Grignon (78). Les trois « dénuders » sont les tubes et informatique, les systèmes de pesées et d’analyse
à bouchons rouges dans lesquels circulent l’air à analyser conductimétrique, les étalons et les pompes.
et l’acide qui piège l’ammoniac.
Le dispositif situé à gauche est un anémomètre qui permet
de mesurer la vitesse du vent.

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 7


◗ RECHERCHES
Y aura-t-il plus ou moins
phytoplancton ?
& INNOVATIONS

de
En 1972, les premières mesures de
réduction des apports en phosphore
sont mises en application. Cependant,
les taux n’ont commencé à diminuer
qu’à partir de 1982 pour atteindre
une baisse de 60% autour de 1989 (2).
Cette diminution de la disponibilité
du phosphore coïncide avec le ralen-
tissement de la productivité du phy-
toplancton.

La température ne fait
pas tout
ASTERIONELLA
FORMOSA, espèce
◗ « Mon travail concilie des résultats pré-
de phytoplancton cédemment obtenus dans les milieux
répandue
dans les lacs, océaniques par des équipes internatio-
dont le Léman. nales » complète Rémy Tadonléké. On
© Inra / Frédéric Rimet, CARRTEL

a avancé l’hypothèse que, lorsque le


milieu se réchauffe, la colonne d’eau se
stabilise. De ce fait, le brassage entre les
couches supérieures, où vit le phyto-
plancton, et les couches inférieures,
qui contiennent les nutriments dépo-
sés au fond, disparaît. D’autres étu-
des en laboratoire avaient montré
Le phytoplancton, constitué de microalgues, est le tout
premier maillon de la chaîne alimentaire et conditionne qu’en présence de nutriments, des
la production de poissons. Rémy Tadonléké, chercheur températures plus élevées de l’eau
de l’Inra, démontre que, dans un contexte de changement favorisent le métabolisme du phyto-
climatique, l’effet de l’augmentation des températures plancton. Enfin, des simulations sur
de l’eau sur la productivité du phytoplancton est fortement huit espèces de phytoplancton lacus-
modulé par la disponibilité des éléments nutritifs tre avaient montré qu’à faible niveau
comme le phosphore. de nutriments, l’effet de la température
de l’eau sur le phytoplancton est consi-
dérablement réduit. L’étude du bio-

P etite taille mais importance


capitale ! Le phytoplancton,
qui regroupe toutes les
espèces d’organismes photosynthé-
tiques de moins d’1 mm en suspen-
mentation des températures. Il faudra
donc tenir compte de cette interrela-
tion dans les modèles » explique Rémy
Tadonléké, de l’unité Carrtel (1) qui
étudie le fonctionnement des écosys-
logiste de l’Inra est, quant à elle, basée
sur des observations en conditions
naturelles, ce qui permet d’intégrer de
multiples variables exclues des
modèles et des dispositifs expérimen-
sion dans l’eau, apporte la moitié de tèmes aquatiques alpins. « Je me suis taux. De plus, elle privilégie un pas de
l’oxygène de la Terre, fixe une quantité intéressé à la productivité du plancton temps suffisamment long pour tenir
importante de CO2 atmosphérique de 1970 à 2005 dans le lac Léman. Pen- compte du changement climatique et
et se trouve à la base des chaînes ali- dant cette période, les températures des s’affranchir d’effets saisonniers. ●
mentaires aquatiques. L’équilibre de sa cinq premiers mètres de la colonne
Magali Sarazin
population est donc essentiel. Si le d’eau ont augmenté de 0,5 °C tous les
phytoplancton disparaît, les poissons dix ans. » Constat : jusqu’en 1985, la (1) Centre alpin de recherche sur les réseaux trophiques
des écosystèmes limniques, une unité mixte de recher-
n’ont plus rien à manger mais s’il est productivité du phytoplancton aug- che de l'Inra et de l'université de Savoie.
en excès, le dévelop pement de bacté- mente tandis qu’ensuite, elle est (2) Dès 1972, des stations d’épuration pratiquant la
déphosphatation sont mises en service. L’interdiction
ries aérobies est favorisé et le milieu relativement stable, malgré l’aug- des phosphates dans les lessives n’est quant à elle pro-
s’asphyxie. mentation continue de la tempéra- mulguée qu’en 1986 en Suisse et en 2007 en France.
ture. Le réchauffement n’explique
Le plancton carbure donc pas toute l’évolution du phyto- +d’infos
Oréférence :
au phosphore plancton. Le lac Léman présente un R.D. Tadonléké, 2010. Evidence of warming
« Mon étude montre que la quantité profil particulier dans la disponibi- effects on phytoplancton productivity rates
de nutriments disponibles dans l’eau lité du phosphore : aux débuts des and their dependence on eutrophication
status. Limnology & Oceanography.
-dont le phosphore- détermine la pro- années 60, il a été très pollué par le Ocontact :
ductivité du phytoplancton face à l’aug- rejet des eaux usées environnantes. remy.tadonleke@thonon.inra.fr

8 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


La recherche avicole
déploie ses ailes

Tous les quatre ans, le congrès européen d’aviculture (EPC) réunit scientifiques
et professionnels de la filière. De nombreux chercheurs de l’Inra ont pris part à l’organisation
de sa dernière édition, qui a eu lieu à Tours du 23 au 27 août dernier. L’affluence record
lors de l’événement reflète l’importance grandissante de la production de volaille
au niveau mondial.

C ’est un exemple de relation


fructueuse entre recherche
et industrie. La filière avi-
cole, plus qu’aucune autre industrie
d’élevage, a su appliquer rapidement
en partenariat avec l’Inra, l’Itavi (2) et
l’Anses (3) et les professionnels de la
filière -qui a pris en charge l’organi-
sation de la conférence. Et le succès a
été au rendez-vous, comme le souli-
Ce vif intérêt n’est pas étonnant. Au
niveau mondial, l’aviculture a le vent
en poupe. La volaille de chair constitue
à présent la deuxième production
mondiale de viande derrière le porc,
les avancées technologiques issues gne Yves Nys, directeur de recherche avec 30 % des quantités totales pro-
des échanges entre chercheurs, sélec- à l’unité de recherche avicole de Nou- duites. Selon un rapport commun de
tionneurs, transformateurs et pro- zilly et président de la fédération l’OCDE et de la FAO, l’augmentation
ducteurs d’aliments. Des échanges européenne de la WPSA. « Avec plus de la demande de viande dans les dix
fréquents entretenus par les memb- de 1 200 participants venus de 77 pays, ans à venir fera également la part belle
res de l’association mondiale de la conférence a largement dépassé son à la volaille et se situera majoritaire-
science avicole (WPSA (1)), notam- périmètre européen. C’est vraiment un ment dans les pays en développement,
ment au travers de grands congrès pont remarquable entre la recherche en lien avec l’augmentation des reve-
internationaux multidisciplinaires et la filière. L’origine des participants nus. Cette demande sera encouragée
comme l’EPC. Cette année, c’était la était d’ailleurs pour moitié académique par la baisse des coûts de production,
branche française de l’association - et pour moitié industrielle ». du fait de l’augmentation des perfor-

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 9


◗ RECHERCHES mances techniques de la filière. Faci-
litée par des taux reproductifs élevés Du neuf pour la qualité de l’œuf
et un court intervalle entre généra-
& INNOVATIONS
tions, l’amélioration génétique des La production d’œufs était également
espèces a permis des gains de pro- au cœur des échanges lors du congrès
européen de l’aviculture. Et pour cause,
ductivité impressionnants. Depuis les
c’est la protéine animale la moins chère
années 60 et les débuts de l’aviculture et ses qualités nutritionnelles sont sans
commerciale, la vitesse de croissance égal. Les pays émergents ne s’y sont
d’un poulet de chair a doublé tandis pas trompés. En vingt ans, la Chine a
que la quantité d’aliment nécessaire multiplié sa production par quatre et
pour augmenter le poids de l’animal l’Inde par deux. En Europe, la produc-
d’un kilo a diminué de moitié. Les tion globale stagne tandis que la part
poules pondeuses ne sont pas en des ovoproduits destinée à l’agroali-
reste, elles produisent maintenant mentaire et à la restauration collective
plus de 300 œufs par an contre 150 augmente. Parallèlement, les éleveurs
s’apprêtent à vivre une révolution. Une
dans les années 50.
directive européenne imposera, dès
Les chercheurs ne comptent pas 2012, de nouveaux systèmes de pro-
s’arrêter là. Ainsi, la publication, en duction plus respectueux du bien-être
2004, de la séquence du génome du animal. Or, les systèmes proposés (cages aménagées, élevage au sol
poulet change radicalement les pers - ou en volière) rendent plus difficile la maîtrise de la qualité hygiénique
pectives de la recherche. Lors de la des œufs, préoccupation majeure des consommateurs.
séance plénière de l’EPC consacrée à Grâce au séquençage du génome de la poule et aux progrès de la géno-
la génomique, Alain Vignal, directeur mique fonctionnelle, les chercheurs explorent des voies pour résoudre
de recherche au laboratoire de géné- ce problème. A l’URA de Nouzilly, Yves Nys et ses collègues étudient
tique cellulaire au centre Inra de Tou- comment certains constituants de la matrice organique de l’œuf inter-
viennent dans la formation de la coquille, son premier rempart sanitaire.
louse, a déclaré que les futures études
Une autre voie d’amélioration consiste à renforcer les défenses internes
sur les réseaux de gènes devraient de l’œuf. Le blanc d’œuf renferme en effet ses propres antibiotiques. Dans
permettre de passer un cap dans la les deux cas, la mise en évidence d’une régulation de la synthèse des
compréhension de la biologie des protéines secrétées dans l’œuf par la génétique ou le milieu permettrait
espèces aviaires. De quoi donner aux de renforcer le système de protection en donnant de nouveaux outils aux
sélectionneurs les moyens pour amé- sélectionneurs ou éléveurs pour répondre aux défis à venir.
liorer encore les performances des Le dernier numéro spécial de la revue Inra productions animales* est
productions, leur sécurité sanitaire consacré à tous les aspects de la qualité de l’œuf. Ses douze articles
mais aussi la qualité de la viande. En permettent de faire un point exhaustif sur l’état actuel des connais-
plus des questions de bien-être ani- sances en la matière.
mal, les impacts environnementaux * Inra productions animales. 2010, volume 23, numéro 2, 130 pages. Prix 26 euros.
des productions prennent de plus en www.inra.fr/productions-animales
plus d’importance, ils ont également
fait l’objet d’une séance plénière.
Hayo van der Werf, chercheur de
l’unité Sol Agro et hydrosystème spa- congrès avaient décidé de favoriser la à certains pays européens et des exi-
tialisation à Rennes, est venu y pré- participation des pays africains. Avec gences réglementaires qui s’alourdis-
senter la méthode de l’analyse du l’appui de la FAO, des sessions satellites sent, on assiste à une inflexion de la
cycle de vie. Selon lui, « c’est un outil consacrées aux élevages de petite taille courbe de croissance de la consom-
efficace et mondialement reconnu qui ont donc été incluses dans le mation. Une profonde mutation est
permet de faire un bilan complet des programme. Plusieurs technologies donc à l’œuvre. Afin de la gérer, pour-
performances écologiques des systèmes relativement simples d’emploi (confi- suivre les échanges est nécessaire. La
de production actuels ». Enfin, une nement des poussins pendant les pre- prospective a identifié trois axes prio-
séance plénière a été dédiée aux pro- mières semaines, utilisation d’aliments ritaires de recherche : enjeux écono-
spectives de production dans les pays de haute qualité, vaccination contre la miques et sociaux, environnementaux
à haut et bas revenus. Un des aspects maladie de Newcastle…) pourraient et sanitaires. ●
mis en lumière est la faible produc- déjà entraîner de nets progrès.
tion du continent africain alors même Au niveau français, les rencontres effec- Géraud Chabriat
que les caractéristiques de la viande de tuées lors de l’EPC vont se prolonger
(1) World's Poultry Science Association.
volaille pourraient en faire un outil très prochainement avec les « Jour- (2) Institut technique avicole.
efficace de lutte contre la faim. Le nées de la recherche avicole » qui se (3) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimen-
paradoxe s’explique par le fait que les tiendront également à Tours les 29 et tation, de l’environnement et du travail.
(4) www.inra.fr/l_institut/prospective/20_octobre_
techniques développées pour les éle- 30 mars 2011. Comme l’a souligné le prospective_avicole
vages industriels sont difficilement bilan économique effectué dans le
transférables sur les systèmes de pro- cadre de la prospective Inra-Itavi « La +d’infos
duction à plus petite échelle, à plus filière avicole à l’horizon 2025 » (4), la Oweb :
forte raison quand il s’agit d’élevages filière française est confrontée à des www.wpsa.fr
familiaux utilisant des espèces problèmes spécifiques. En plus d’un www.tours.inra.fr
Ocontact :
autochtones. Conscients de cette pro- déficit de productivité par rapport aux Yves Nys : yves.nys@tours.inra.fr
blématique, les organisateurs du pays émergents mais aussi par rapport Michel Duclos : michel.duclos@tours.inra.fr

10 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


Le sexe des truffes en kit

© Inra / Jacques Guinberteau


Grâce à un kit de diagnostic développé par l’Inra, il est possible de distinguer les truffes
« mâles » des « femelles ». Le but ? Optimiser les rendements des truffières, mais aussi détecter
les fraudes.

L a truffe a une vie sexuelle.


C’est ce qu’ont découvert
Francis Martin et ses collègues
de l’unité Interactions arbres/micro-
organismes (Inra Nancy - Université
plantations truffières, les truffes « sau-
vages » étant de plus en plus rares.
Pour réaliser ces plantations, le truffi-
culteur achète des plants dont les
racines ont été « inoculées » (ou
noire du Périgord de la truffe de
Chine (T. indicum) qui lui ressemble
en apparence, mais qui n'a guère de
parfum. Par rapport aux techniques
d’identification déjà existantes, le kit
Henri Poincaré) qui travaillent sur le mycorhizées) avec du mycélium, de diagnostic « deux-en-un », pour-
séquençage et l’analyse du génome de la structure filamenteuse du champi- rait donc devenir un outil de travail
la truffe noire du Périgord (Tuber gnon. Ce procédé mis au point par non seulement pour améliorer la
melanosporum) en étroite collabora- l’Inra dans les années 70, associé à des qualité des plants mycorhizés et la
tion avec des chercheurs français (1) et pratiques culturales adaptées, a per- production des truffières, mais aussi
italiens (2). Les premiers résultats de ce mis de maintenir un niveau de pro- pour les professionnels de la filière
travail ont été publiés dans la revue duction constant ces dernières années. chargés du contrôle et de la vente
Nature en mars 2010. Toutefois, il existe des plantations où du champignon.
Ils démontrent que la présence simul- bien des arbres ne produisent pas. Des contacts ont déjà été pris par
tanée des deux types sexuels est Le kit d’identification mis au point des entreprises souhaitant com-
indispensable pour la formation des par le consortium franco-italien per- mercialiser ce kit. Les recherches se
truffes. Non seulement les chercheurs met de vérifier que les deux types poursuivent actuellement avec
ont élucidé les mécanismes de cette sexuels sont bien présents sur les plants l’analyse des génomes des autres
reproduction sexuée, mais ils ont éga- mycorhizés améliorant ainsi leur qua- espèces, comme la truffe blanche
lement identifié les déterminants lité. Ce kit est aussi utilisable in situ d’Alba (T. magnatum) et la truffe de
génétiques codant pour ces deux types pour réaliser la « cartographie » de la Bourgogne (T. uncinatum). ●
sexuels et les gènes de compatibilité répartition des sexes dans une parcelle.
Ana Poletto
sexuelle. Un déséquilibre dans la distribution
des deux sexes pourrait en effet expli-
Des rencontres fructueuses quer le taux important d’échec de pro- (1) CNRS, Génoscope/CEA, universités d’Evry,
Nancy 1, Aix-Marseille 1 et 2 et Clermont-Ferrand.
La truffe récoltée à l’automne est donc duction de certaines truffières.
(2) CNR (Centre national de recherche), universités
une fructification qui résulte de la de Turin, Parme, Urbino, Rome La Sapienza, Boulogne
rencontre souterraine entre les rami- Contre les simulateurs et l’Aquilla.

fications de deux truffes de sexes Cette première retombée concrète des


opposés ; elle se déroulerait, selon recherches sur le génome de la truffe
toute vraisemblance, au printemps peut avoir une autre application très
+d’infos
Oweb :
dans le sol des truffières. utile : le kit permet de distinguer www.inra.fr/la_science_et_vous/apprendre_
experimenter/truffes
Depuis plusieurs décennies, la pro- T. melanosporum des autres espèces de
Ocontacts :
duction européenne de T. mela- truffes. Ceci est particulièrement Francis Martin : fmartin@nancy.inra.fr
nosporum repose largement sur des important pour distinguer la truffe Claude Murat : claude.murat@nancy.inra.fr

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 11


◗ RECHERCHES
& INNOVATIONS Les climatologues
en campagne

sion prépondérant face à de multi-


ples facteurs socio-économiques et
imprime-t-il sa marque sur les pra-
tiques culturales ?
Blé
Il semble que oui, d’après les données
de la base Phetec. En effet, pour le
maïs et le tournesol, la variabilité des
Maïs
dates de semis est fortement corrélée à
la variabilité des températures prin-
Tournesol tanières. Et cette variabilité est plus
marquée aujourd’hui : jusqu’à un
Colza mois, contre deux à trois semaines à la
fin du siècle dernier. « Nous nous atten-
dions à ce que les semis soient plus pré-
LES DOUZE
unités
◗ Pois
coces, relate Nadine Brisson. En effet,
expérimentales pour la vigne et les arbres fruitiers, nous
impliquées
dans Phetec
Orge voyons une avancée d’environ trois
sont réparties semaines des dates de floraison à partir
sur tout le
territoire. de 1990, d’après les résultats d’une autre
Betterave base dédiée à ces espèces pérennes,
appelée Phénoclim(1). Or, ce n’est pas le
cas : les semis peuvent aussi être plus
Graminées
fourragères tardifs. Par exemple, à l’unité de Saint-
Martin-de-Hinx, dans les Landes, le
maïs est semé une année le 20 avril et
l’année suivante le 20 mai ! » En
Quand le climat change, les agriculteurs s’adaptent. Et sèment
beaucoup plus tôt… ou beaucoup plus tard. Cette variabilité,
conclusion, les dates de semis sont
qui se superpose à celle des températures, est l’un des enseignements plus variables depuis dix ans, dans un
de Phetec, base de données sur la phénologie et les techniques sens comme dans l’autre.
culturales répertoriées dans les unités expérimentales de l’Inra. « Nos données montrent également,
qu’outre la variabilité, la tendance glo-
bale à la hausse des températures est
onséquences du réchauf- nesol, de la betterave ou du sorgho au

C
déjà intégrée par les agriculteurs qui
fement climatique, les ven- printemps. C’est comme si nous dispo- préfèrent des variétés à cycle de plus
danges et la floraison des sions d’une « grande ferme », sur en plus long ». Ils allongent ainsi la
arbres fruitiers sont plus laquelle nous pouvons faire des obser- durée d’exposition de la plante au
précoces. Mais qu’en est-il pour les vations ». C’est ainsi qu’en 2006, douze rayonnement, qui augmente le rem-
cultures annuelles, qui sont semées de ces unités expérimentales associent plissage du grain et favorise des ren-
chaque année ? Les scientifiques de leurs efforts pour collecter et mettre en dements supérieurs. Et la chercheuse
l’unité Agroclim de l’Inra d’Avignon forme des informations, jusque-là de conclure : « Mais le maître-mot
ont eu l’idée de collecter sur plusieurs inexploitées, sur ces cultures annuelles. pour qualifier la dernière décennie est
années les données issues des unités La base de données Phetec est élaborée « variabilité ». C’est une composante
expérimentales de l’Inra. « Chacune par Bernard Baculat, ingénieur importante du changement climatique
des unités expérimentales héberge des d’Agroclim, avec deux types de don- que l’on a tendance à oublier. » ●
expérimentations au champ, explique nées : la phénologie (levée de la plan-
Nadine Brisson, coordonnatrice du tule, floraison, maturité du grain) et Magali Sarazin
projet et agronome spécialiste des rela- les pratiques culturales (dates de
tions entre cultures et climat. Mais la semis, choix des variétés), dont elle
surface agricole restante n’est pas laissée dépend directement. Or, les pratiques (1) www.inra.fr/presse/phenoclim_une_base_de_
donnees_pour_suivre_l_impact_du_rechauffement_
en friche pour autant : elle est cultivée de dépendent elles-mêmes des condi- climatique_sur_les_arbres_fruitiers_et_la_vigne
la même manière que les terres de la tions climatiques. S’il fait plus chaud
région. Les agents de l’Inra, comme les au printemps, l’agriculteur sème plus
agriculteurs, sèment par exemple du blé tôt son maïs. Mais le climat reste-t-il,
+d’infos
Ocontact :
et du colza l’hiver, et du maïs, du tour- aujourd’hui encore, le critère de déci- nadine.brisson@avignon.inra.fr

12 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


◗ DOSSIER
Biotechnologies vertes :
de nouvelles pistes
pour répondre aux défis
de l’agriculture

L
es cultures sont précieuses. Elles sont tributaires
des sols, du climat, des maladies et des ravageurs.
Et ce d’autant plus que le changement climatique
en cours laisse augurer l’accentuation du déficit en eau
dans les zones sensibles, de l’érosion des sols et des épisodes
climatiques extrêmes. Les biotechnologies vertes
ont contribué au fil de leurs progrès à développer
l’agriculture, en améliorant les espèces cultivées.
En constante évolution, elles offrent aujourd’hui de nouvelles
possibilités pour aborder des caractères agronomiques
complexes comme la tolérance à la sécheresse, au froid,
ou une moindre consommation d’azote, autant de caractères majeurs
pour s’adapter aux futures conditions et contraintes imposées
aux productions végétales.
© William Beaucardet
© William Beaucardet

1 Une grande diversité de techniques


La transgenèse et le clonage sont des outils familiers pour les chercheurs en biologie végétale,
mais beaucoup moins pour le public qui s’inquiète de certaines applications biotechnologiques.
Une présentation des biotechnologies vertes devrait permettre de mieux comprendre les travaux
conduits par l’Inra dans ce domaine.

out d’abord, les biotechno- de terre, arbres fruitiers, fleurs), ou queurs, transgenèse, etc.), elles sont

T logies vertes ne se réduisent


pas au soja, coton ou maïs
génétiquement modifiés,
contrairement à ce que la couverture
médiatique de ces premiers OGM a
pour conserver indemnes de virus
des cultures tropicales comme la
canne à sucre, l’igname, le manioc.
Les biotechnologies vertes sont
omniprésentes dans l’amélioration
aussi des outils de recherche qui
permettent de faire progresser les
connaissances, sans déboucher sys-
tématiquement sur des applications.
En d’autres termes, il n’y a pas de
pu laisser penser. Se déployant dans des plantes et ont permis histori- biotechnologies sans recherche, mais
le domaine de l’agriculture et de quement d’élargir la gamme des toute recherche ne se traduit pas par
l’alimentation, elles sont au contraire variétés et des espèces cultivées et de le développement de biotechnologies.
(1) L’OCDE, Organisation de
d’une grande diversité. On peut citer, les obtenir plus facilement, plus vite. La transgenèse par exemple, qui est
coopération et de entre autres exemples, la production Ensuite, il faut distinguer la tech- utilisée quotidiennement en labora-
développement économiques,
définit les biotechnologies
de nouvelles variétés par mutation nique et son application. Il existe toire pour étudier la fonction des
comme étant « l’utilisation des induite. Plus de 2 000 variétés de plusieurs variantes pour définir le gènes, n’a donné lieu jusqu’à présent
propriétés des organismes
vivants pour produire des légumes et fruits de consommation terme « biotechnologie » mais toutes qu’à un nombre très limité d’OGM
biens et des services ». courante ont été obtenues de cette soulignent qu’il s’agit d’utiliser des commerciaux. La transformation de
(2) Exemple développé en
partie 2. manière. Ou encore, les nombreu- techniques dans un but appliqué, par résultats de recherche en un produit
(3) Voir en partie 3. ses techniques de culture in vitro uti- exemple pour la création variétale (1). innovant est un processus non auto-
(4) Voir partie 2 lisées en routine pour multiplier Quant aux techniques sous-jacentes matique qui dépend aussi de facteurs
rapidement des variétés (pommes (mutagenèse, utilisation de mar- sociétaux.

O FRANÇOIS HOULLIER Directeur général délégué pour la science à l’Inra, situe le rôle de la recherche
dans le développement des biotechnologies.

Bien en amont des applications biotechno- dans les années 1990, un mécanisme très travaux fondamentaux, les chercheurs ont
logiques, les chercheurs étudient des mé- général du vivant, le rôle crucial des petits ainsi fait une découverte qui pourra avoir des
canismes biologiques et développent pour ARN dans la régulation de l’expression des répercussions majeures en sélection et qui
ce faire des techniques d’étude du vivant. gènes. Deuxième exemple, la connaissance fait l’objet d’un des plus récents brevets de
A l’Inra, certaines de ces recherches ont des génomes est un enjeu en soi, dont les l'Inra. En moyenne, nous prenons ainsi cinq
d’emblée un objectif finalisé. C’est le cas en prolongements sont parfois inattendus. Des à six brevets par an dans le domaine végé-
amélioration des plantes, où les recherches consortiums mondiaux se sont mis en place tal et une vingtaine de Certificats d’obten-
se focalisent sur des caractères agrono- pour séquencer le génome des espèces tion végétale. Ces innovations ne seront
miques particuliers (résistance à des mala - modèles ou cultivées. Sur la base de ces développées que si elles correspondent aux
dies ou à la sécheresse, élaboration du ren- séquences, des approches de paléogéno- attentes des professionnels et de la société.
dement, qualité des produits) dont certains mique éclairent l'évolution des espèces, elles Finalement, le rôle de la recherche dans l’in-
sont intrinsèquement complexes. De très contribuent aussi à mieux comprendre l'ori- novation consiste à ouvrir et explorer des pis-
nombreuses recherches ont aussi pour gine de certains traits agronomiques es- tes, à en vérifier la faisabilité, et à en exami-
vocation première de faire progresser les sentiels. Troisième exemple, les recherches ner les éventuels effets non attendus. A l’Inra,
connaissances. Leur intérêt peut sembler menées à Versailles sur un mécanisme bio- nous essayons de le faire avec discernement
moins immédiat, mais il est bien réel. Pre- logique de base, la méiose (2), illustrent en considérant les innovations dans leur glo-
mier exemple, c’est en étudiant des plantes comment des approches cognitives peuvent balité et en travaillant en étroit contact avec
transgéniques que l’on a mis en évidence, déboucher sur une innovation. A partir de les partenaires professionnels (3).

II I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


APERÇU DE LA DIVERSITÉ DES TECHNIQUES D’ÉTUDE DU VÉGÉTAL ET DE LEURS APPLICATIONS

La culture in vitro La fusion de proto- La culture de


est la méthode de choix plastes (cellules végétales méristème permet d’éli-
pour reproduire les dont la paroi a été dégradée) per- miner des viroses.
variétés de rosiers, met de croiser des espèces éloignées Des chercheurs de
plante difficile à pour transférer des l’Inra ont en effet
bouturer et dont caractères : par montré dans les
les caractères de exemple la résis- années 50 que ces
couleur et de par- tance au mildiou, structures, compo-
fum se transmet- apportée à la sées de cellules

© In
tent mal par indifférenciées qui

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pomme de terre

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donnent naissance

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graines. De même,
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la quasi-totalité des aux organes, sont
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framboisiers cultivés en sine. Ici proto- indemnes de virus. Ici,

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ea
France proviennent de la mul- plastes de
u
culture de méristème chez la
tiplication in vitro. feuilles de laitue plante grasse Kalan-
choé.

Les techniques de culture in vitro utilisent la capacité unique


que possède la cellule végétale de régénérer une plante entière.

Les techniques moléculaires d’étude des génomes convergent


vers un même objectif : connaître la fonction des gènes,
pour mieux comprendre le vivant.

GÉNOME
ADN • Séquençage et bio-
informatique :
identifier de nouveaux gènes,
trouver des similitudes
avec des gènes connus
• Clonage à l’aide Protéine
de marqueurs liés
ARN
au gène : isoler le gène
• Mutagenèse et conséquences
sur l’aspect de la plante : identifier le gène PROTÉOME, MÉTABOLOME
et la fonction touchée TRANSCRIPTOME
• Transgenèse : vérifier la fonction d’un gène isolé Analyser l’expression • Connaître et localiser les protéines
des gènes dans les tissus • Comprendre leurs interactions avec
les autres composantes du métabolisme

O ETIENNE HAINZELIN Conseiller du PDG du Cirad, commente les bénéfices des biotechnologies
pour l’agriculture

Etendre à grande échelle des variétés « high Et pour faire cela, on projette d’utiliser pré- cherche plutôt à réduire les effets négatifs,
tech » peut restreindre la base génétique cisément les nouvelles technologies qui se jusqu’à des régions d’Afrique où la sim-
des cultures et induire une certaine fragi- développent, la génétique d’association par ple application de fertilisant fait bondir les
lité. Il y a aussi le risque de prise de mono- exemple (4). Celle-ci permettrait d’avoir rendements.
pole par les grandes firmes qui vendent très rapidement, et avec de gros débits, On peut aussi viser la sélection de com-
ces variétés. Cependant, sans pécher par une idée globale de la valeur génétique binaisons d’espèces plutôt que d’espèces
excès d’optimisme, je dirais qu’on voit les d’une variété et de prédire sa capacité isolées, par exemple dans l’agroforesterie
prémices d’une inversion de tendance : d’adaptation à un milieu donné. Ainsi, on tropicale. On s’intéresse alors aux inter -
le concept même de sélection commence pourra tester de nombreux génotypes issus actions entre espèces, pour optimiser
à changer. Au lieu de modeler le milieu de la biodiversité naturelle. D’où l’impor- l’accès aux ressources, par exemple ce qui
en tentant de supprimer les facteurs limi- tance de conserver la richesse génétique… se passe sous terre dans les échanges
tants (par l’irrigation, la fumure ou les pesti - A contre-courant d’une idée commune, les racinaires et les immenses réseaux myco-
cides), et d’employer des variétés très pro- biotechnologies donnent donc les moyens rhiziens qui se tissent entre les différents
ductives mais parfois fragiles, la nouvelle de diversifier les variétés et les systèmes végétaux. Grâce aux progrès des connais-
démarche consiste à diminuer l’artificiali- de culture. Elles permettent de s’adapter sances, on évolue vers une démarche de
sation des terres et à rechercher des à des situations contrastées, depuis des plus en plus intégrée, prenant en compte
variétés adaptées aux contraintes qu’elles régions comme la France où les rende- la complexité des milieux et les interactions
imposent (sécheresse, pathogènes, etc.). ments sont proches de l’optimum et où l’on entre ses composantes.

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 III


◗ DOSSIER

2 Du nouveau dans les labos


Les techniques d’étude des génomes sont multiples et en constante évolution.
Des exemples d’avancées récentes réalisées à l’Inra permettent d’entrevoir
de nouveaux infléchissements pour les biotechnologies vertes.

◗ Révolution sexuelle chez les plantes :


de la méiose à la mitose
Une équipe de l’Inra de Versailles a réussi à transformer cette division cellulaire très particulière qu’est la
méiose en une division banale, en associant seulement trois mutations (voir le schéma ci-contre).
Interview de Raphaël Mercier, animateur de l’équipe.

O INTERVIEW
et réaliser l’hybridation chaque fois. méiose, en utilisant des mutants pour
Ce qui est parfois compliqué et identifier les gènes impliqués. Nous
coûteux, surtout chez les espèces auto- avons repéré le premier mutant (osd1)
games pour lesquelles il faut empê- et fait des hypothèses sur son fonc-
cher l’autofécondation (castration du tionnement. Puis, nous avons réalisé le
maïs, utilisation de la stérilité mâle croisement avec le double mutant
cytoplasmique pour le colza). Un (spo11/rec8) pour vérifier ce que l’on
© Pierre Maraval

hybride qui se multiplie tout seul per- pensait avoir compris des mécanis-
mettrait de lever toutes ces barrières. mes. L’idée de chercher à mimer
De nombreux hybrides adaptés à tou- l’apomixie n’est venue qu’après.
Raphaël Mercier tes sortes de milieux pourraient être
produits plus rapidement et plus Comment valorisez-vous
Quelle est la portée économiquement. L’apomixie est sou- ces résultats ?
de vos résultats ? vent présentée comme une technolo- R. M. : Outre, bien sûr, les publica-
Raphaël Mercier : Lorsque nous gie de choix pour les pays en tions scientifiques, nous avons pris
serons arrivés à la fin du processus, c'est- développement. un brevet sur le mutant Mime, car
à-dire lorsque nous serons capables c’est un domaine très concurrentiel.
d’avoir une plante apomictique, qui se Où en êtes-vous Beaucoup d’équipes essaient de trans-
multiplie par graine en restant identique actuellement ? férer l’apomixie naturelle de certai-
à elle-même, nous pourrons nous atten- R. M. : Nous avons obtenu, en com- nes plantes sauvages vers des plantes
dre à une véritable révolution dans le binant plusieurs mutations, une cultivées, sans succès pour l’instant.
monde de la sélection végétale, car cela plante qui produit des pollens et des On ne connaît pas les gènes impli-
modifie le mode de reproduction des ovules identiques à elle-même. Il faut qués dans cette apomixie naturelle.
plantes. Dès la sortie de notre première maintenant arriver à développer un Le fait que ce soit l’Inra, institut public
publication, nous avons été contactés embryon à partir de ces pollens ou à but non lucratif, qui brevète le sys-
par des sélectionneurs, principalement de ces ovules. Il est très difficile tème, est plutôt une garantie qu’il res-
étrangers. Un des principaux enjeux d’estimer à quelle échéance nous y tera accessible à une diversité de
serait la reproduction des hybrides (1). parviendrons. Déjà, nous ne pensions partenaires, y compris aux « petits »
Malgré leurs performances agrono- pas atteindre si vite la première étape ! sélectionneurs.
miques, les hybrides présentent un Nous essayons aussi de reproduire ces
inconvénient majeur, pour l’agriculteur, résultats chez des espèces de grandes
du fait qu’il doit racheter les semences cultures. Cela semble fonctionner sur
(1) Les hybrides dits de première génération (F1) sont
chaque année. Il ne peut pas ressemer le riz. Nous avons bon espoir pour issus d’un croisement entre des parents assez éloignés
les graines qu’il récolte, car si les hybrides d’autres plantes cultivées, car il se génétiquement : les deux chromosomes de chaque
paire, dont l’un est d’origine maternelle et l’autre d’origine
se croisent entre eux, du fait du brassage trouve que les gènes impliqués sont paternelle, possèdent donc des gènes différents.
génétique, on ne reproduit pas le même des gènes conservés entre les espèces. Il est démontré depuis de nombreuses années que les
hybrides possèdent des propriétés particulières connues
hybride mais on obtient une descen- sous le nom de « vigueur hybride ». Les plantes cultivées
dance hétérogène qui perdra les pro- Comment en êtes-vous pour lesquelles on développe des hybrides sont de plus
en plus nombreuses : maïs, colza, tournesol, carotte,
priétés initiales au fil des générations. Le arrivés à cette découverte ? choux, courgette, tomate, melon etc. La forte productivité
des hybrides renouvelle leur intérêt dans un contexte
sélectionneur, quant à lui, doit conserver R. M. : Au départ, nous cherchions à mondial d’augmentation de la demande alimentaire
des stocks de graines des deux parents décortiquer le mécanisme de la et non alimentaire.

IV I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


Double mutant spo11/rec8

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 V


◗ Le Tilling accélère la compréhension des gènes
La génomique à haut débit fournit une quantité croissante de gènes séquencés liés à des caractères
d’intérêts. Il s’agit maintenant de comprendre leurs fonctions précises dans la plante. L’unité de recherche
en génomique végétale (URGV) d’Evry a adapté une méthode performante aux larges génomes
des plantes cultivées.

dernière est aussi beaucoup plus effi-


cace dans la détection de mutation.
Contrairement à l’enzyme précédem-
ment utilisée, ENDO 1 détecte tous
les types de mutations et coupe très
peu de sites non mutés. Le brevet
accompagnant cette découverte a déjà
entraîné la création de trois entrepri-
ses de biotechnologies végétales. D’au-
tres applications sont envisagées
notamment dans le domaine des dia-
gnostics médicaux.

Mutants en pagaille
En résolvant le problème de la détec-
© Inra

tion des mutations, le Tilling permet


de profiter pleinement de tous les

LA COLLECTION avantages qu’offre la mutagenèse chi-


près le séquençage de plus Du gène à sa fonction mique. L’agent mutagène chimique

A
DE TOMATES
MUTANTES en plus rapide des génomes,
de Bordeaux
Cette technique, dite de génétique provoque des mutations ponctuelles
permet d’utiliser l’étude de la fonction de ces inverse, prend le contre-pied de la affectant le plus souvent une seule
le Tilling pour milliers de gènes identifiés démarche habituelle. En effet, classi- paire de nucléotides par gène. Ces
étudier la
biologie du fruit. constitue en effet un enjeu majeur quement, on s’intéresse à une fonc- modifications subtiles permettent d’ac-
pour la décennie à venir. Pour les cher- tion donnée sans rien connaître des céder aux fonctions essentielles de la
cheurs, il s’agit de comprendre le fonc- gènes impliqués. On recherche donc plante en les perturbant sans les anni-
tionnement biologique de la plante au les phénotypes mutants pour lesquels hiler complètement. Autre avantage,
niveau moléculaire. Pour les sélec- cette fonction est perturbée, puis on la mutagenèse chimique introduit plu-
tionneurs, l’enjeu est de trouver des remonte au(x) gène(s). Dans le Tilling, sieurs mutations dans le génome et
voies d’améliorations pour construire au contraire, on part d’un gène de permet donc d’obtenir facilement, et
des variétés innovantes. Une approche séquence connue dont on soupçonne pour toutes les espèces, des collections
classique pour étudier la fonction d’un la fonction puis on recherche les « saturées » dans lesquelles tous les
gène est de le perturber par une muta- mutants correspondants. On observe gènes sont potentiellement mutés une
tion et d’en étudier les conséquences. ensuite leurs phénotypes pour véri- fois et donc analysables. Avec une
Les méthodes actuelles reposent sur fier l’hypothèse de départ. population de plusieurs milliers de
l’introduction aléatoire de mutations Stimulée par le séquençage du génome plantes, il devient même possible d’ob-
dans le génome d’un grand nombre de nombreuses espèces, cette approche tenir une série allèlique, c'est-à-dire
de plantes. Tout le problème consiste connaît actuellement un fort déve- un éventail de mutations différentes
ensuite à repérer rapidement quels loppement. Les chercheurs de l’URGV pour un même gène. Les effets plus
endroits ont été touchés afin de savoir ont joué un rôle important dans ce ou moins marqués éventuellement
si c’est le cas du gène que l’on désire succès. Abdelhafid Bendahmane, observés peuvent alors donner des élé-
analyser. La technique du Tilling (1) responsable de l’équipe « génomique ments de compréhension supplémen-
permet de repérer rapidement une des plantes cultivées », et ses collègues taires. Pour Abdelhafid Bendhamane
mutation dans un gène donné parmi ont été les premiers à utiliser le Tilling « Toute l’efficacité et l’élégance de la
une population de milliers d’indivi- sur des espèces à grand génome méthode réside dans la conception d’une
dus ayant subi une mutagenèse comme le pois, le colza, la tomate ou le collection performante qui équilibre une
chimique. Une prouesse rendue pos- melon. La technique avait été initiale- forte densité de mutations avec un taux
sible par la capacité qu’ont certaines ment conçue aux Etats-Unis pour des de survie élevé des plantes. Une fois ce
enzymes de couper spécifiquement espèces modèles aux génomes plus travail effectué, nous ne manipulons
l’ADN au niveau d’un changement de petits comme la drosophile ou Arabi- plus que de l’ADN en routine ce qui
base nucléotidique. Une fois la muta- dopsis thaliana. Autre apport majeur, permet de travailler de manière auto-
tion isolée, les chercheurs peuvent ils ont réussi à sélectionner et caracté- matisée donc à haut débit ». La muta-
alors étudier le phénotype de la plante riser chez A. thaliana une nouvelle genèse peut aussi faire apparaître des
qui la porte et déterminer ainsi la fonc- enzyme, baptisée ENDO 1, plus facile allèles ayant des caractères agrono-
tion du gène correspondant. à obtenir en grande quantité. Cette miques intéressants. « La variabilité

VI I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


Population Enzyme
de plantes mutées
induite donne aussi accès à des muta- aléatoirement Mutation Gel d’électrophorèse
tions qui n’ont pu être retenues par la
sélection naturelle comme dans le cas
3
des fruits sans graines » précise le cher-
cheur. Cette nouvelle diversité vient
enrichir celle des populations natu-
relles dans la palette offerte aux sélec-
2
tionneurs. Une diversité naturelle qui
peut d’ailleurs également être révé-
lée plus rapidement par le criblage
des mutations sur le même principe
1
que le Tilling, on parle alors d’Eco-
Tilling. De quoi mettre en valeur les Multiplication Gène étudié
différentes collections conservées à du gène étudié 1 2 3
l’Inra et ailleurs. Le Tilling peut donc La plante 3 est identifiée
se révéler également un puissant outil comme porteuse de la mutation
et son phénotype étudié
d’amélioration variétale.

SCHÉMA DU PRINCIPE DU TILLING.


Des résultats bien valorisés
La force de frappe supplémentaire
conférée aux chercheurs de l’URGV
par le Tilling n’a pas tardé à donner et légumes et l’équipe d’Abdelhafid Les gènes impliqués dans le détermi-
des résultats. Plusieurs mécanismes Bendhamane a également permis de nisme sexuel et la résistance aux virus
biologiques majeurs ont pu être comprendre un mécanisme de résis- des plantes peuvent conduire à des
élucidés. Deux publications - dans tance des plantes à une famille de applications industrielles dans le
Science en 2008 (2) et Nature en 2009 virus très répandus, les potyvirus. domaine de l’amélioration variétale.
(3)- ont fait la lumière sur le déter- Certaines mutations, repérées sur- Afin de maitriser l’utilisation de ces
minisme génétique du sexe des fleurs tout chez les solanacées (tomate, résultats tout en garantissant leur dif-
chez le melon. Ces résultats fonda- poivrons, piments, aubergine) ont fusion à des fins de recherche, leurs
mentaux peuvent avoir des applica- permis de confirmer l’hypo thèse séquences ont été brevetées par l’Inra
tions intéressantes, notamment sur selon laquelle c’est une altération en association avec les applications
la culture des cucurbitacées. En favo- spécifique d’un gène de la plante qui potentielles que leur confère leur fonc-
risant le nombre de fleurs femelles, était la source de cette résistance. Le tion biologique démontrée.
celles qui produisent les fruits, on produit de ce gène est en effet utilisé
peut en effet augmenter les rende- par le virus pour accomplir son cycle (1) Targeting Induced Lesion In Genom, acronyme
ments. Le contrôle de la fécondation infectieux. En identifiant les muta- anglais pour Criblage de mutations induites dans le
génome.
peut aussi amener une production tions en question, les chercheurs (2) A conserved mutation in an ethylene biosynthesis
d’hybrides beaucoup moins onéreuse. ouvrent la possibilité de repérer et enzyme leads to andromonoecy in melons. Science.
8 août 2008, Vol. 321, pp. 836-838.
Une collaboration entre l’unité Inra sélectionner des plantes multirésis- (3). A transposon-induced epigenetic change leads to
Génétique et amélioration des fruits tantes pour ce type de virus. sex determination in melon. Nature, 22 octobre 2009.

Biotechnologies et diversité génétique vont de pair


Les nouvelles technologies telles que le Tilling, l’Ecotilling ou la génétique d’association, permettent de
mieux caractériser et utiliser la diversité génétique. Encore faut-il que cette diversité soit maintenue et
accessible. Dans ce but, largement partagé aujourd’hui, la communauté internationale cherche à organiser
et à moraliser les échanges de matériels biologiques, en s’appuyant sur deux traités*. L’un d’eux permet
de faciliter l’accès au matériel génétique de 64 espèces agronomiques essentielles à l’alimentation
humaine, dont les trois principales sources d’énergie : riz, blé et maïs. L’Inra s’est engagé dans ce
mouvement international en proposant, de concert avec ses partenaires des réseaux de conservation,
une partie de ses collections en accès libre.
L’Inra se préoccupe de conservation depuis sa création en 1946 et y affecte des moyens importants. Il
participe aux réseaux nationaux** associant partenaires privés, instituts publics et associations, pour
entretenir les grandes collections françaises, dont plusieurs d’envergure internationale (vigne, blé, arbres
fruitiers, plantes potagères…).
L’Inra gère de nombreuses collections dites ex situ (semences, clones ou plantes au champ) dont :
céréales à paille à Clermont-Ferrand, protéagineux à Dijon, pomme de terre et colza à Rennes, plantes
potagères à Avignon, prunus à Bordeaux, pommiers et poiriers à Angers, agrumes en Corse, vigne et
maïs à Montpellier… L’Institut conduit aussi des programmes pour étudier le maintien de la diversité in
situ, à la ferme ou au sein de biotopes naturels. C’est une politique volontaire d’entretien de ce « bien
public » qu’est la diversité génétique.
* La Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture
et l’Alimentation (TIRPAA).
** Ces réseaux sont coordonnés par la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB).

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 VII


◗ DOSSIER
◗ La génétique d’association pour ne pas rester sec
face au manque d’eau
Une nouvelle méthodologie, appelée génétique d’association, permet de repérer rapidement toutes
les régions du génome qui gouvernent les caractères complexes tels que la tolérance au stress hydrique.

◗ LA PLATEFORME
DE PHÉNOTYPAGE
de Montpellier permet de tester
la sensibilité à la sécheresse
de milliers d’individus
de génotypes différents
(ici du maïs).

simples petites plaques de verre, mais


qui comportent des milliers de mar-
queurs de polymorphisme permet-
tant de repérer les variations du
© Inra / Vincent Oury, UMR LEPSE

génome (4). Dans quelques années,


les scientifiques espèrent être en
mesure d’indiquer les combinaisons
d’allèles qu’il convient d’associer pour
améliorer la tolérance à la sécheresse.
Les sélectionneurs pourront alors
prendre le relais pour réaliser ces
assemblages dans de nouvelles varié-
ertains caractères sont sente un vrai casse-tête pour la tés. Selon Alain Charcosset, qui a par-

C gouvernés par un seul


gène, par exemple, certai-
nes résistances à des
maladies. D’autres mettent en jeu des
groupes de gènes à effets partiels,
recherche. Face à cette complexité,
les chercheurs de l’Inra et leurs par-
tenaires décomposent le problème en
deux étapes, dans un programme
appelé « DROPS » consacré au blé et
ticipé à la constitution du pool
d’individus à tester pour le maïs
(environ 250 lignées), « la génétique
d’association permet une approche plus
intégrative du génome, car elle met en
appelés QTL (Quantitative trait au maïs (2). D’abord, étudier chaque évidence toutes les régions génomiques
locus). Le caractère de tolérance à la caractère et son déterminisme géné- impliquées dans un caractère, sans a
sécheresse, à fort enjeu agronomique, tique, puis, dans un deuxième temps, priori sur une fonction donnée. C’est
est particulièrement complexe, car il tester le rendement de la plante dans particulièrement utile pour les caractè-
implique lui-même plusieurs carac- différents scénarios de déficit en eau. res complexes d’adaptation à l’environ-
tères interdépendants. En effet, la Dans la première étape, il ne s’agit pas nement, dont la sécheresse, mais aussi la
principale réaction de la plante à la de séquencer tous les gènes ou les QTL température ou la valorisation de
sécheresse est de réduire sa transpi- impliqués dans chaque caractère. Les l’azote du sol, dont l’amélioration cons-
ration, par fermeture des stomates (1) scientifiques disposent maintenant titue un gros enjeu. Il y a des investis-
et par une réduction de la surface de d’une méthodologie beaucoup plus sements importants dans le secteur
ses feuilles, dont la croissance est puissante et rapide appelée « génétique privé et la recherche publique s’y
ralentie. Ce faisant, elle réduit sa capa- d’association ». Elle permet d’« asso- implique avec enthousiasme ». François
cité photosynthétique car le CO2 cier » statistiquement les variations Tardieu, qui coordonne le projet
nécessaire passe par les stomates. Elle des caractères (phénotype (3)) aux DROPS, ajoute que « cette nouvelle
réduit aussi sa résistance à la chaleur, variations de l’ADN (génotype). méthodologie est complémentaire à
en grande partie dissipée sous forme l’étude des QTL, qui reste utile pour
de transpiration. Une sécheresse en Le haut débit à la rescousse mettre en évidence des formes alléliques
période de floraison peut en outre Pour ce faire, il faut réunir deux rares dans les populations testées ».
conduire la plante à réduire le conditions : d’abord disposer d’un
nombre de grains. La plante doit grand nombre d’individus représen-
donc gérer des objectifs contradic- tant au mieux la diversité naturelle, (1) Les stomates forment des micropores sur l’épiderme
des feuilles. Ils contrôlent les échanges gazeux et la
toires : éviter la déshydratation et puis disposer de méthodes de phé- transpiration.
maintenir sa croissance. Les connais- notypage associées à du génotypage à (2) Programme DROPS, 2010-2015, 15 partenaires
publics et privés, 8 pays d’Europe plus Australie, Turquie,
sances actuelles montrent en outre haut débit. Des plateformes de phé- USA.
que sa stratégie peut changer en fonc- notypage automatiques capables (3) Ici, par exemple la longueur des racines, la croissance
des feuilles, la gestion de l’équilibre transpiration/
tion de la durée et de l’intensité du d’analyser en peu de temps des photosynthèse, l’avortement des grains etc.
stress. C’est pourquoi améliorer la milliers d’individus ont été dévelop- (4) Les marqueurs de polymorphisme sont des sites
du génome où la séquence de l’ADN varie. Du fait de
résistance à la sécheresse, c’est-à-dire pées à l’Inra de Montpellier. Quant ces variations, il existe pour chaque gène des « versions »
maintenir un rendement satisfaisant au génotypage, l’innovation réside différentes, appelées « allèles », dont dépend l’expression
du caractère. Plus on connaît de marqueurs, mieux
malgré les conditions de stress, repré- dans la création de puces à ADN, on cerne la variabilité allélique.

VIII I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


◗ Le cas particulier des variétés OGM : focus sur les impacts

livier Le Gall, chef du département « santé des

O plantes et environnement », situe les recher-


ches actuelles sur les OGM. « Ce type de bio-
technologie est l’exemple emblématique d’une
innovation pour le moins questionnée par le public, en
Europe en tout cas. Cet état de fait s’est traduit par un
coup d’arrêt dans le développement de nouvelles cultu-
res transgéniques en Europe. Les programmes de recher-
che publique se sont orientés vers l'étude des impacts des
OGM. Les recherches de l’Inra ont suivi cette évolution ».

Pour les OGM, comme pour toute autre biotechnologie,


l’un des enjeux est de renforcer les capacités nationales
d’expertise publique en évaluant leurs bénéfices, risques

© Inra / Gérad Paillard


et impacts éventuels. Ces derniers peuvent être d’ordre
environnemental, social ou économique et doivent être étu-
diés à diverses échelles, de celle de l’exploitation à celle ◗
du continent. Afin d’obtenir une vision globale des inter-
rogations qu’ils soulèvent, les OGM sont donc l’objet de
recherches intégrées dans lesquelles la biologie végétale, DEPUIS 2003 EN EUROPE, l'étiquetage des produits renfermant
des dérivés d’OGM (ici le cas d’un pain contenant des protéines
l’écologie, l’agronomie ou la toxicologie côtoient la socio- de soja transgénique) est obligatoire au-delà d'un seuil de 0,9%.
logie et l’économie. Voici quelques exemples de recher- Dans le cadre du programme Co-Extra, les chercheurs de l’Inra
ches ayant pour but de répondre à ces questions. ont observé l’impact de cette mesure sur la coexistence des filières
OGM et conventionnelles.

Quel bilan des OGM tolérants à un herbicide ?


La question de l’utilité des OGM fait Aussi les « farmers » gardent-ils un Par ailleurs, la forte hausse de l’emploi
souvent débat, notamment dans le œil attentif sur les prix des semen- du glyphosate sur les mêmes parcelles
cas des cultures tolérantes à un her- ces. Quid de la quantité totale d’her- induit un phénomène bien connu
bicide (TH). Elles représentent pour- bicides utilisée ? Pour le soja TH, les avec les autres herbicides, l’apparition
tant plus de 80% des surfaces OGM résultats sont contrastés. Il semble d’adventices résistantes à celui-ci,
cultivées dans le monde si l'on inclut que, après les premières années, l’em- vingt dans le monde fin 2010. Il est
les plantes ayant plus d'un caractère ploi total d’herbicides pour les OGM donc nécessaire de mieux gérer le dés-
transgénique. Sylvie Bonny, chercheur soit légèrement supérieur à celui en herbage, notamment de diversifier les
à l’UMR Economie publique de conventionnel. Les doses préconisées méthodes utilisées. Sylvie Bonny
Versailles-Grignon, a analysé le cas varient en effet selon les désherbants, conclut qu’il est difficile d’établir un
du soja et maïs aux Etats-Unis (1), de plus l’adoption du soja TH va bilan global des cultures tolérantes
pays où les variétés transgéniques TH souvent de pair avec des techniques aux herbicides. Les OGM doivent être
sont prédominantes. Leur forte adop- de cultures comme les TCS pouvant analysés au cas par cas selon le milieu,
tion semble témoigner du fait que amener à utiliser plus d'herbicides. le type de caractère introduit, le
leurs avantages surpassent leurs Par ailleurs le prix des désherbants a contexte et leurs conditions de mise
inconvénients pour les agriculteurs. diminué pendant une dizaine en œuvre. En outre la façon dont ils
Qu'en est-il dans le cas du soja ? Le d'années. Pour le maïs, en revanche, la sont conçus, orientés, réglementés et
surcoût engendré par les semences quantité totale d’herbicides épandus utilisés joue un rôle notable : elle
OGM est en général compensé par sur les variétés TH est en général influe sur le type d'OGM développé,
une facture allégée en herbicides. A moindre qu'en conventionnel. En uti- leur intérêt économique pour les
l’échelle des exploitations, divers fac- lisant des indicateurs synthétiques de divers acteurs. Les impacts des OGM
teurs ont favorisé son adoption : trai- l'impact environnemental et sanitaire dépendent ainsi du contexte social,
tements simplifiés et plus faciles à des herbicides, on peut analyser économique et financier, et donc plus
gérer, gain de temps permettant d’au- l'évolution du niveau total de toxi- largement du système économique
tres activités, bonne association avec cité et écotoxicité des désherbants englobant qui influe sur l’innovation
les techniques de conservation des employés, et pas seulement leur quan- et sa gouvernance.
sols (TCS), etc. Mais il y a aussi des tité. Pour le maïs et le soja TH, le
inconvénients, notamment l'obliga- remplacement des anciennes molé- (1) Bonny S. 2008. Les cultures transgéniques
tion de racheter les semences chaque cules par le glyphosate a diminué tolérantes à un herbicide permettent-elles de réduire
l’usage des pesticides ? Le cas du soja et du maïs aux
année, et une dépendance envers un dans un premier temps l'impact envi- Etats-Unis. Innovations Agronomiques (2008) 3, pp.
193-212.
nombre très réduit de firmes à l'ori- ronnemental des herbicides utilisés, www.inra.fr/ciag/content/download/3323/30073/
gine des caractères transgéniques. mais ensuite il y a un fléchissement. version/1/file/15-Bonny.pdf

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 IX


Coexistence des cultures, un problème de choix
En 2003, la Commission européenne a précisément en tenant compte du cli- connaître les risques de dispersion de
considéré qu’il fallait permettre une mat, des paysages et des pratiques agri- gènes et les moyens pour les minimiser.
coexistence entre filières OGM et coles. Les résultats des simulations Co-Extra, second programme coor-
conventionnelles. Dans quelles condi- montrent que les risques de contami- donné par l’Inra, a élargi la probléma-
tions est-il possible d’introduire de nation dépendent de l’espèce et du tique de la coexistence à toute la filière,
manière durable des cultures OGM contexte cultural. Pour le maïs, dans du producteur au consommateur. Près
en Europe sans menacer cette coexis- certains cas, un accord entre agricul- de 200 scientifiques provenant de 18
tence ? L’Inra a coordonné deux pro- teurs pour organiser une récolte sépa- pays ont planché sur la question. Les
grammes européens sur ce sujet. rée suffit à ne pas dépasser le seuil chercheurs ont analysé le potentiel de
Le premier, Sigmea, s’est concentré sur réglementaire de 0,9% de présence for- différentes mesures de bioconfinement
l’étape de production. Il a permis d’of- tuite dans les cultures. Sinon il faut destinées à réduire les pollinisations
frir aux Etats Membres un outil d’aide recourir à des semis décalés ou à une croisées. Ils ont soulevé l’importance
à la décision répondant à deux ques- distance de séparation. Pour le colza ou de la pureté des semences dans le
tions majeures : que se passerait-il, en dans des zones où la culture de maïs respect des taux de contamination. La
terme de dispersion de gènes, si on est très concentrée, seule une sépara- gestion des filières a également été pas-
introduisait telle culture OGM dans tion géographique entre cultures sée au crible. Ce programme a permis
telle région européenne ? Comment OGM et conventionnelles semble pos- de déterminer les bonnes pratiques de
organiser les cultures pour maintenir sible. Dans tous les cas, l’absence totale récolte et de transformation permet-
dans les limites des seuils légaux la pré- d’OGM inscrite au cahier des charges tant d’envisager une coexistence éco-
sence fortuite d’OGM dans les cultures de l’agriculture biologique empêche nomiquement viable. Des méthodes
conventionnelles ? A partir de don- toute coexistence à l’échelle locale. de contrôle et de traçabilité ont été
nées fournies par douze pays, la disper- Ainsi, sans préjuger des décisions poli- proposées afin d’assurer un étiquetage
sion des pollens de plusieurs espèces tiques et des seuils de contaminations fiable et d’offrir, in fine, la liberté de
concernées a pu être modélisée plus fixés, cet outil offre la possibilité de choix à chaque acteur.

Les OGM vus depuis la France et les Etats-Unis

« Aux Etats-Unis, les OGM n’existent alternatives. Les chercheurs ont donc quetage, de liberté de choix et de droit
pas » s’exclame Pierre-Benoît Joly « ou disséqué le principal mécanisme de à l’information ont pu émerger. Aux
du moins ils n’ont pas d’existence légale » formation de l’opinion publique : la Etats-Unis, en vertu du principe
précise-t-il. C’est l’une des raisons lutte que se livrent les acteurs de la « d’équivalence en substance », il n’y a
mises en lumière par le sociologue, controverse pour définir les différentes pas eu initialement de législation spéci-
directeur de l’IFRIS (1), pour expli- dimensions du débat. fique aux OGM. Ils n’existaient donc
quer le fait que les OGM ne posent Il en ressort que les arguments des pas officiellement en tant que catégo-
pas problème dans ce pays malgré leur opposants aux OGM sont très simi- rie, ce qui réduit leur visibilité. Autre
usage massif alors que c’est le cas en laires des deux côtés de l’Atlantique : la différence qui influe sur la perception
France où leur utilisation est réduite. question de l’étiquetage des aliments de l’utilité des cultures transgéniques :
Pour élucider ce paradoxe, les cher- transgéniques, le débat sur le lien entre le statut de l’agriculture. Alors qu’en
cheurs ont réalisé une analyse compa- choix d’une technique et choix d’un Europe le modèle d’une agriculture
rée de la construction des OGM système économique, la controverse intensive et exportatrice, auquel les
comme problème public en France et sur le cadre d’évaluation des risques. En OGM sont associés, est fortement
aux Etats-Unis (2). France, les arguments des opposants remis en cause, il est toujours connoté
L’argument le plus souvent avancé s’appuient sur des événements très positivement aux Etats-Unis. Enfin, le
pour expliquer ce phénomène est que médiatisés (importation de soja trans- rapport à l’analyse des risques joue un
les aliments transgéniques sont plus génique, affaire du « Terminator » rôle important dans ceux que l’on peut
facilement acceptés aux Etats-Unis en Monsanto, destruction d’essais en attribuer aux OGM. Les crises ali-
raison de perceptions différentes des champs d’OGM...) pour élargir mentaires comme celle de la vache folle
risques, de l’alimentation et de la l’audience du débat et en définir les ont influencé la réforme de l’expertise
nature. Or, de nombreuses études sur différentes dimensions. Ce phénomène scientifique en France et en Europe.
les attitudes personnelles viennent n’a pas eu lieu aux Etats-Unis, la Celle-ci a évolué vers des cadres
infirmer cet argument. Elles démont- controverse ne s’est donc pas trans- d’analyse plus larges et construits avec
rent en effet, qu’en 2001, seuls 33% de formée en problème public. des acteurs venant d’horizons multi-
la population étaient conscients de Les chercheurs attribuent cette trajec- ples. Aux Etats-Unis, la prise en compte
l’existence d’aliments transgéniques toire divergente à trois facteurs. En pre- des incertitudes ne joue pas dans le
en supermarché. Une étude de la mier lieu, les choix réglementaires même sens. La nécessité de faits scien-
« Food and Drug Administration » effectués à la fin des années 80. En tifiques avérés comme préalable à toute
montre que l’annonce de la présence Europe, la réglementation a été fon- décision politique y fait toujours foi.
d’OGM dans l’alimentation entraîne dée sur le procédé de fabrication, (1) Institut Francilien Recherche Innovation Société.
des réactions négatives similaires à installant de facto une différence de (2) Joly P.-B., Marris C. Les Américains ont-ils accepté les
OGM ? Analyse comparée de la construction des OGM
celles que l’on retrouve en Europe. Il nature entre aliments transgéniques comme problème public en France et aux Etats-Unis.
fallait donc explorer des hypothèses ou non. Dès lors, les questions d’éti- Cahiers d’économie et sociologie rurales, n° 67, 2003.

X I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


© William Beaucardet

3 Une nécessaire mobilisation


des compétences
Le développement de biotechnologies innovantes requiert des capacités de recherche
considérables, associant secteurs public et privé. C’est pourquoi l’Inra n’a cessé d’élargir
ses partenariats, non seulement pour mutualiser les moyens, mais aussi pour contribuer
à des innovations au plus près des besoins de la société et pour promouvoir une approche
collective et ouverte du progrès génétique.

es nouvelles biotechnologies public et du privé et atteindre une Le nouveau GIS associera aussi les

L végétales devraient permettre


d’améliorer des caractères
complexes, tels que ceux qui
régissent les interactions entre la
plante et son environnement : tolé-
masse critique en génomique végé-
tale. Génoplante a permis de financer
des travaux sur les génomes de plan-
tes cultivées (blé, maïs, riz, pois, colza,
tournesol) mais aussi sur le génome
instituts techniques, l’interprofession
et plusieurs pôles de compétitivité.

Prendre en compte
les critères de toute la filière
rance à la sécheresse, aux hautes et modèle de l’espèce Arabidopsis. En Cet élargissement du partenariat cor-
basses températures, meilleure utili- 2011, l’Inra élargit encore son parte- respond à la nécessité d’avoir une
sation de l’azote pour économiser les nariat à travers un nouveau GIS, vision plus intégrée de l’amélioration
engrais, donc l’énergie. Mais l’effort appelé « Biotechnologies vertes », qui des plantes. En effet, améliorer un
de recherche est considérable et succède à Génoplante. Sont invités caractère isolément, aussi important
requiert un investissement important autour de la table des acteurs de toute soit-il, n’est souvent pas suffisant.
en moyens humains et en infrastruc- la filière des productions végétales, Pour prendre un cas d’école, un blé
tures à haut débit. Il y a dix ans, l’Inra de l’amont à l’aval : entreprises de panifiable pourra être cultivé dans
a créé Génoplante, un groupement biotechnologies, semenciers, coopé- un système à bas intrants s’il possède
d’intérêt scientifique (GIS), pour ratives de collecte et de première des résistances aux pathogènes, mais
conjuguer les forces de recherche du transformation, groupes industriels. aussi s’il est suffisamment productif, 2

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 XI


◗ DOSSIER 2 compatible avec des rotations
incluant des légumineuses pour
l’apport d’azote et/ou des cultures
intermédiaires pour la lutte contre Brevets et service public
les adventices, tout en conservant ses
qualités meunières. La conception L’Inra privilégie le Certificat d’obtention végétale, COV, pour la
d’ « idéotypes », c’est-à-dire de com- protection des nouvelles variétés. Ce système ménage le droit
binaisons de caractères optimales de l’inventeur (il faut acquérir une licence pour exploiter la variété),
pour un système de culture et une tout en stimulant le progrès génétique (la variété peut être utilisée
utilisation donnée, permettra de librement pour en créer d’autres). En tant qu’institut public, l’Inra
s’adapter à une diversité de situations souhaite en effet favoriser la circulation des connaissances et
pédoclimatiques et d’usages des pro- combattre les risques d’appropriation de ressources communes.
duits. C’est particulièrement vrai dans Ces principes sont affirmés dans la charte de propriété
le domaine de la chimie verte, pour intellectuelle que l’Inra a élaborée en 2003*. Ils guident également
lequel il faut prendre en compte dès la la politique de l’Institut en matière de brevets. L’Inra est propriétaire
sélection les processus de transfor- de ses résultats et de ses brevets et mandate une filiale, Inra
mation des végétaux en biomatériaux transfert, pour rechercher les partenaires et négocier avec eux
ou biocarburants. Ainsi, il est plus des licences d’exploitation. Celle-ci peut concéder des licences
que jamais nécessaire de connecter à tarif préférentiel à des petites PME dans l’esprit de conforter
les connaissances scientifiques avec le tissu économique français et européen. De même, la charte
celles des professionnels de l’amont et du GIS Génoplante prévoit des conditions préférentielles pour
de l’aval, des semenciers aux trans- les pays émergents. Un autre principe est d’éviter les licences
formateurs. exclusives qui pourraient favoriser les monopoles, sauf pour
Elargissement du partenariat, mais soutenir la création de jeunes entreprises innovantes. La pluralité
aussi ouverture vers la société : le des partenariats est un principe de base de l’Institut.
nouveau GIS sera doté d’un comité * www.inra.fr/les_partenariats/collaborations_et_partenaires/entreprises/
d’éthique et de développement, qui politique/la_charte_de_la_propriete_intellectuelle_en_ligne
sera sollicité pour éclairer les consé-
quences économiques, environne-
mentales et sociales des projets et
innovations.
instances de réflexion et de décision pements : plateformes de phénoty-
Un dispositif partenarial étroitement articulées et les résultats page à haut débit, plateformes d’in-
très structuré des différents programmes seront génierie génétique pour améliorer les
La coordination de ces multiples par-soumis régulièrement à évaluation techniques de transgenèse. Les infras-
tenaires sera assurée par plusieurs par un conseil scientifique externe. tructures nationales mises en place
Ce dispositif multipartenarial, très pour le séquençage, la bioinforma-
structuré, se concrétise par la co- tique, la métabolomique seront aussi
construction de nombreux projets mobilisées. Les dynamiques enclen-
comme par exemple, la sélection de chées ont permis de proposer des
nouvelles variétés de blé à hautes per- projets d’envergure dans le cadre des
Génoplante, dix ans formances économiques et environ- investissements d’avenir.
de collaboration nementales, ou de maïs tolérants Le contexte change, il requiert une
au stress hydrique, au froid, ou vision plus intégrée de l’agriculture,
public/privé encore l’élaboration de systè- des partenariats plus larges et plus
Créé en 1999, Génoplante a structuré une mes de production de bio- ouverts aux différentes composantes
communauté française de plus de 300 chercheurs masse pour la chimie verte de la société. L’Inra conduit ces évo-
en génomique végétale, en associant la recherche à partir de sorgho ou de lutions en conservant les valeurs et
publique (Inra, CNRS, Cirad, IRD) et la recherche privée miscanthus. L’améliora- la posture qui sont les siennes en tant
(Biogemma et ses associés semenciers, Vilmorin et Cie, tion de caractères com- qu’institut de recherche finalisée, avec
Euralis et la RAGT, Sofiprotéol, Arvalis Institut du végétal). plexes est un pari, rien pour objectifs d’accroître les connais-
Il totalise : ne garantit que telle ou sances, de favoriser les innovations
- 350 projets en génomique fonctionnelle, dont 45 telle approche méthodo- d’intérêt collectif, de renforcer les
en collaboration bi ou tri latérales avec l’Espagne et logique aboutisse. C’est capacités d’expertise pour évaluer la
l’Allemagne pourquoi les projets en balance bénéfices/risques de ces inno-
- 350 publications de haut niveau combinent plusieurs pour vations et de conserver et faciliter
- une quarantaine de demandes de brevets dont 15 maximiser les chances de l’accès aux ressources génétiques. ●
en vigueur au niveau international succès. Sont exploitées aussi
- 35 logiciels et bases de données déposés bien la variabilité naturelle, que
à l’Agence pour la protection la sélection assistée par mar-
des programmes queurs, la sélection génomique
(issue de la génétique d’association) Dossier rédigé par Géraud
ou encore la transgenèse. Chabriat et Pascale Mollier
Cette organisation permet aussi la Responsable scientifique :
création et la mutualisation d’équi- François Houllier (Inra, Paris)

XII I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


◗ REPORTAGE
une
équipe
O À MAISONS-ALFORT

Des pistes
pour ménager sa monture

La qualité des pistes influence la locomotion du cheval et l’apparition éventuelle


de lésions. Pour étudier la dynamique des mouvements et les impacts sur le sol,
un dispositif original, couplant des enregistrements de forces avec des images
synchronisées, est testé sur plusieurs types de pistes dans les conditions
de l’entraînement.

our un cheval de course de rapport aux pistes « souples ». Le lien est l’une des rares équipes mondiales

P 500 kg, les forces exercées


sur chaque sabot lors de
l’appui du membre sur le
sol dépassent fréquemment la tonne.
Les effets directs de la nature du sol
entre qualité des pistes et risques de
lésions n’a été scientifiquement
démontré que récemment, même si
les professionnels du cheval le perce-
vaient depuis longtemps. Par ailleurs,
de recherche sur ce sujet. En colla-
boration avec des professionnels des
sports équestres, elle étudie la loco-
motion du cheval sur des terrains
d’entraînement à l’aide d’un équi-
sur la locomotion du cheval et les le paramètre « qualité de la piste » est pement mettant en scène des cap-
contraintes exercées sur ses os, ses très difficile à analyser, car il n’est pas teurs de forces et de mouvements.
muscles, ses articulations, et ses ten- indépendant d’autres facteurs de De 2007 à 2010, le projet Séquisol a
dons avaient été peu étudiés jusqu’à risques comme l’entretien général du eu pour objectif de caractériser l’effet
présent. Les données épidémiolo- sol, l’âge du cheval, sa surface d’exer- des sols sur le confort, la sécurité et
giques apportaient des appréciations cice habituelle, l’entraînement en les performances du cheval.
globales : par exemple, les pistes amont… L’unité Biomécanique et * BPLC, Unité Sous Contrat Inra-Ecole Nationale
« dures » augmentent le risque par Pathologie Locomotrice du Cheval* Vétérinaire d’Alfort.

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 25


◗ REPORTAGE
Un harnachement complexe
Des capteurs ont été adaptés au protocole
des essais, d’autres ont été inventés pour
les besoins de l’expérience. Tous collectent
des mesures de manière non invasive,
et si possible sans trop gêner le cheval.
Des accéléromètres, capteurs de variations
de vitesse, enregistrent les chocs dus à l’impact
du sabot sur le sol et les vibrations générées
par ces chocs. Un fer dynamométrique capture
la force globale exercée dans
les trois dimensions, mais aussi
la répartition des efforts
sur le pourtour du sabot.
Un capteur à transmission
ultrasonore (brevet Inra-
ENVA) enregistre la tension
exercée sur le principal
tendon d’un membre.
Des témoins réfléchissants
parsèment la robe du cheval :
situés au centre de rotation
des principales articulations,
ils permettront de visualiser les flexions
et extensions des membres au cours
de la foulée. Enfin, des ordinateurs sont
embarqués dans les sacoches du cheval
et du cavalier pour transmettre en continu
les informations fournies par les capteurs
positionnés sur le cheval.

Piste « tout temps » (sable fibré huilé) Piste en mâchefer

Piste en pouzzolane Piste en sable

Une préparation de la scène minutieuse Des pistes variées


Une quinzaine de mètres d’une piste A ce jour, 26 pistes ont été testées dans 9 hippodromes ou terrains
d’entraînement va constituer le lieu d’entraînement, en gazon, en sable, en terre, ou en matériaux
de la prise de vues et du captage mélangés (ex. : sable fibré huilé), ces derniers sols étant destinés
des informations. L’équipage passera à une utilisation pour tous types de météo. La diversification
entre deux lignes de marqueurs réverbérants des situations permet de mieux décrypter la relation entre la qualité
disposés de façon régulière et qui serviront d’une piste d’une part, et le confort et la sécurité du cheval d’autre
de quadrillage visuel pour le décryptage part, évalués par la régularité de ses foulées et les contraintes
des enregistrements d’images. qui s’exercent sur son appareil locomoteur.

26 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


Galop en haute définition
Le cavalier maintient son
cheval à une allure régulière
pendant la dizaine de secondes
que dure un passage devant
les opérateurs, chacun placé
derrière un poste d’acquisition
des données.
Deux caméras et un appareil
photographique acquièrent
simultanément, en haute
définition, les images
du passage de l’équipage.
Chaque passage de quelques
foulées délivre une séquence
de données provenant
des capteurs et des images
filmées. Une ampoule LED
fixée sur la selle sert
à la synchronisation
de toutes les informations.

Souples ou dures ?
Ces essais sont l’occasion d’étudier
de nouveaux appareils pour évaluer
la dureté des pistes. Labosport,
partenaire de Séquisol, teste ici un
appareil sur les mêmes pistes qui
servent aux enregistrements
des passages au galop. Il s’agit alors
de trouver la meilleure concordance
entre les variables biomécaniques
mesurées sur le cheval et les mesures
prises par la machine
au même endroit.

Séquisol, projet labellisé par le Pôle de Compétitivité « filière équine », associe deux entreprises partenaires Labosport (spécialisé dans la certification
des sols sportifs) et Normandie Drainage (fabricant de sols équestres). Il bénéficie de crédits du Fond Unique Interministériel, de la Région Basse-Normandie,
des Haras Nationaux, du FEDER.
Remerciements à France-Galop pour son accueil lors d’une journée d’essais sur ses pistes d’entraînement à Chantilly.

+d’infos Brigitte Cauvin


www.vet-alfort.fr/web/fr/1122-sequisol.php
www.inra.fr/la_science_et_vous/apprendre_experimenter/locomotion_cheval Reportage photo : Christophe Maître et équipe BPLC

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 27


◗ REPORTAGE
Passeport
pour la recherche
L’excellence scientifique dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation
et de l’environnement est un défi permanent pour l’Inra.
Aujourd’hui, l’Institut veut attirer les meilleurs candidats de toutes nationalités.

e vivier de futurs chercheurs En thèse à l’Inra

L est déterminant pour l’ave-


nir de l’Inra. L’Institut
profite de sa notoriété scien-
tifique pour développer sa culture
internationale et favoriser une
Ils parlent chacun au moins quatre langues, ont entre 25 et 28 ans
et ont soif d’apprendre. Clarissa Rochas et Marcela Azevedo
viennent du Brésil, Tomas de Wouters de Suisse. Tous trois
se sont rencontrés à Micalis (1), au centre Inra de Jouy-en-Josas
qu’ils ont choisi pour leur formation doctorale.
richesse d’origines et de parcours
dans ses recrutements. Ainsi, il
adhère dès 2006 à la charte euro- Qu’est-ce qui vous a motivé
péenne du chercheur et décline sa pour rejoindre l’Inra ?
campagne annuelle de recrutement Tomas : Joël Doré, avec qui je tra-
de chercheurs à l’international. vaille, est un nom qui compte dans
Résultats : les candidats de nationa- mon domaine de recherche. J’appré-
lité étrangère élargissent le panel de cie particulièrement l’approche inter-
recrutement et représentent l’en- disciplinaire du projet MicroObes (2)
semble des continents. « Cette volonté qu’il pilote. C’est ce qui m’a décidé à
d’ouvrir le recrutement a également rejoindre l’Inra. Même si d’autres
été soutenue par un assouplissement pays, comme en Scandinavie, accor-
des modalités du concours de chargé de dent à la science une plus grande

© Inra / Bertrand Nicolas


recherche, précise Thierry Boujard, place dans la société. J’apprécie aussi
adjoint au directeur des ressources les efforts que font des organismes
humaines de l’Inra. Les compétences comme l’Inra pour faciliter les mobi-
sont davantage privilégiées par rapport lités.
à la présentation d’un projet de recher-
che, qui impliquait une connaissance
préalable des équipes en place. On Marcela : pour nous scientifiques, les échanges entre pays sont très impor-
observe parallèlement que l’âge moyen tants : nous devons échanger nos idées, faire connaître notre travail et le soumettre
des candidats a augmenté (33 ans en à la critique ! C’est ce que je fais en participant à Cross-Talk (3), un réseau de for-
2009 pour 30 en 2005) du fait de la mation initiale pour les chercheurs coordonné par Emmanuelle Maguin à Mica-
suppression de la limite d’âge et de la lis, qui regroupe treize partenaires européens - académiques et industriels.
durée plus longue des études de troi- Financé par la commission européenne, il a pour but de faire avancer les connais-
sième cycle dans beaucoup de pays. » sances sur le rôle de la flore intestinale dans la santé humaine, tout en formant
Mieux, l’Inra est le premier orga- les futurs leaders de la métagé-
nisme français à recevoir de la com- nomique (4), une discipline
mission européenne le label « HR émergente. Estampillé « actions
Excellence in Research » pour sa poli- Marie Curie », ce type de réseau
tique de ressources humaines pour bénéficie d’une forte renommée
les chercheurs. Ce label, décerné en auprès de la communauté
2010, lui confère en retour une plus internationale. Les étudiants
grande visibilité auprès des candi- touchent un salaire, leurs
dats potentiels. déplacements professionnels et
leurs parcours de formation -
cours de langue ou perfection-
nement dans des disciplines
voisines - sont payés. J’ai ainsi
appris les techniques qui me
(1) MICrobiologie de l'ALImentation au Service faisaient défaut pour manipu-
de la Santé Humaine, unité mixte de recherche associant ler des bactéries et les mettre
l’Inra et l’AgroParisTech.
(2) Microbiome intestinal humain dans l’obésité en culture. Surtout, j’ai ren-
et la transition nutritionnelle. contré tous les chercheurs du
(3) http://cross-talk.eu/
(4) La métagénomique analyse en bloc les génomes
monde qui travaillent sur ma
d’une population bactérienne dans un milieu donné. © Inra / Bertrand Nicolas thématique !

28 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


Clarissa : à l’Inra, toutes les condi- Le choix d’un chercheur confirmé
tions pour réaliser une bonne recher-
che sont réunies : des financements aux Jens Abildtrup, Danois, 43 ans, est l’un des 68 lauréats

©Institute of Food and Resource Economics (FOI)


équipements, en passant par l’organi- du concours chercheurs 2009. Il est depuis
sation et l’infrastructure ! De plus, l’Inra en poste au Laboratoire d'économie forestière à Nancy.
compte de nombreux laboratoires d’un
haut niveau. L’Institut a donc des « C’est grâce à la page d’accueil du site Internet de l’Inra que j’ai
contacts privilégiés avec par exemple pris connaissance de la campagne de recrutement de chercheurs.
l’Institut Pasteur et les universités fran- Le guide du candidat m’a beaucoup aidé car je ne connaissais pas
çaises, mais aussi avec les autres pays. bien le LEF (5) même si j’avais déjà collaboré en 2006 avec le
Ces contacts serviront forcément plus CESAER (6) de l’Inra à Dijon. Je travaillais alors pour l’Institut
tard. De ce point de vue, le Brésil est d’économie de l’alimentation et des ressources de l’Université de
plutôt isolé. l’Agriculture au Danemark. Plusieurs facteurs m’ont incité à
postuler. D’abord, le poste correspondait en tous points à mes compétences scientifiques. Ensuite,
l’Inra bénéficie en France et à l’étranger d’une très bonne réputation. Cela ouvre de nombreuses
portes, en particulier pour obtenir les données nécessaires à vos recherches. De plus, la France est
un grand pays comparé au Danemark, je peux y côtoyer d’autres chercheurs du même domaine
et faire partie d’un réseau efficace. Après deux ans passés ici, je ne vois pas entre les deux pays de
différences dans l’approche de la science, mais plutôt dans l’organisation de la recherche. Au
Danemark, je passais beaucoup de temps à prospecter des fonds pour financer mes recherches,
incluant mon propre salaire. C’était bénéfique car cela me poussait à toujours remettre en ques-
tion l’intérêt et la qualité de mes recherches. Mais quelle perte de temps quand on connaît le fai-
ble taux de dossiers scientifiques retenus ! »
Ocontact : jabildtrup@nancy-engref.inra.fr

Package pour l’excellence


Gianni Bellocchi, Italien, 41 ans, a rejoint
© Inra / Bertrand Nicolas

en février 2010 l’Unité de recherche


sur l’écosystème prairial (Urep) du centre Inra
de Clermont-Ferrand-Theix dans le cadre
d’un « package scientifique ». Ce dispositif lancé

© Inra / Sylvie Toillon


par l’Inra en 2007 permet à une unité d’accueillir
avec des moyens conséquents pendant quatre ans,
un chercheur confirmé, sur la base d’un projet
Quelles différences avez-vous
sélectionné par un jury international.
rencontrées en pratiquant
la science ici et chez vous ? « A l’Urep, je travaille sur l’estimation de la vulnérabilité des prairies et des systèmes d’élevage au
Clarissa : les tuteurs nous ont immé- changement climatique. Le package, qui comprend mon salaire et les subventions de fonctionnement,
diatement laissés une grande liberté me donne toute latitude pour piloter ce projet ainsi que la possibilité d’encadrer un doctorant et
pour conduire nos travaux. Au début, un post-doctorant. C’est très stimulant. L’Inra ouvre ce dispositif aux chercheurs étrangers : c’est
se retrouver seule avec ses questions vraiment une preuve d’ouverture à des compétences et des idées nouvelles ! Chapeau à la France ! »
était difficile mais cela développe auto- Ocontact : gianni.bellocchi@clermont.inra.fr
nomie et indépendance. Aujourd’hui,
j’ai bien plus confiance en moi. (5) Unité mixte de recherche de l’Inra et de l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts.
(6) Unité mixte de recherche de l’Inra et l’Institut national supérieur des sciences agronomiques, de l’alimentation et de l’environnement
de Dijon.
Tomas : les possibilités de recherche
l’emportent sur les caractéristiques que
peuvent avoir les différents pays. J’ai
quand même le sentiment que l’in- +d’infos
fluence américaine se diffuse partout. Campagne 2011 de concours chercheurs : du 20 janvier 2011 au 24 février 2011
Cela se traduit par un mode assez libé- Appel à candidatures pour deux « Packages scientifiques » : du 14 décembre 2010 au 2 mars 2011.
ral où les laboratoires connaissent
moins de sécurité mais plus de flexi-
bilité pour financer des projets ou
embaucher. Repères :
127 des 1927 chercheurs de l’Inra sont de nationalité étrangère (chiffres 2009).
Magali Sarazin 20 % de chercheurs étrangers ont été recrutés en 2009.
40 % des publications sont cosignées avec un ou plusieurs chercheurs étrangers
en 2009, contre 34 % en 2001.
303 missions à l’étranger ont été réalisées par des agents de l’Inra entre 2006 et 2009.
Ocontacts : 102 projets européens impliquent l’Inra.
clarissarocha@gmail.com
56 des 488 doctorants Inra diplômés en 2009 sont d’origine internationale.
marcela.deazevedo@jouy.inra.fr
tdewouters@jouy.inra.fr

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 29


◗ REPORTAGE des
clowns
O À JOUY-EN-JOSAS

Une belle comédie aromatique


© Les passeurs d’ondes / Solène Legendre

La science serait soporifique ? En tout cas, pas quand les comédiens, s’inspirant
des chercheurs de l’Inra, jouent leur pièce « Les clowns parlent du nez »… Ce suspense olfactif
a vu le jour grâce à l’accueil de trois comédiens dans l’unité Neurobiologie de l’olfaction
et modélisation en imagerie (NOeMI) de l’Inra à Jouy-en-Josas.

ous les projecteurs, trois Baly, Marie-Christine Lacroix, Patrick mortels. On compte 100 000 chercheurs

S « scientaisistes » sont
confrontés à une odeur de
banane persistante. Qui a
bien pu l’écraser ? Avec quel mobile ?
Tandis que ses effluves rappellent au
Mac Leod, Edith Pajot, Roland Salesse
ou Didier Trottier - qui ont accueilli
les comédiens dans leur unité.
Pour Roland Salesse, les motivations
étaient simples : « on entend trop sou-
pour 60 millions de Français, impossi-
ble d’imaginer que les premiers pour-
ront s’adresser à chacun d’entre nous !
Les médiateurs, qui regroupent non
seulement ceux qui ont pour métier la
personnage de la commissaire son vent « à quoi sert la recherche ? ». Le médiation scientifique mais aussi les
premier amour, il apparaît vite que théâtre est un moyen de faire com- enseignants, les journalistes et les artis-
la complexité de son odeur rend fou prendre à tous la nécessité de la science tes, permettent de démultiplier les mes-
l’expert scientifique, qui voudrait la en général et de susciter l’intérêt pour la sages scientifiques. »
voir réduite à une seule molécule. neurobiologie olfactive en particulier. L’histoire commence en 2009 lorsque
Toute ressemblance avec des person- Et si le public est déjà initié à la science, Roland Salesse, alors directeur de
nes ou des situations existantes ne il la considèrera sous un angle diffé- l'unité de Neurobiologie de l'olfac-
saurait être que fortuite… Après qua- rent, moins figé que dans les livres. » tion et de la prise alimentaire
rante minutes de jeux de scène, le Le chercheur entend par ailleurs (NOPA (1)) et Edith Pajot, directrice
public a tout loisir d’en savoir plus « privilégier les médiateurs, qui sont de l’unité NOeMI qui a succédé à
sur la reconnaissance des odeurs en des professionnels de la vulgarisation, à NOPA en janvier 2010, sont contactés
questionnant les véritables scienti- la différence des chercheurs, dont le lan- par Anne Rougée, animatrice de la
fiques présents dans la salle - Christine gage reste étranger au commun des compagnie « Les Passeurs d’Ondes ».

30 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


Cette compagnie a la particularité de
mettre en scène des contenus scienti-
fiques sur un mode burlesque. Après le
succès de « La soupe aux oreilles »
consacrée à l’ouïe, pourquoi ne pas
en faire autant sur l’olfaction, un sens
largement négligé dans notre société,
alors qu’il nous est essentiel pour
détecter des aliments dangereux ou
des substances toxiques et qu’il fait
gagner de substantielles parts de mar-
ché aux industries agroalimentaires et
cosmétiques ? Les chercheurs sont

© Inra / Bertrand Nicolas


emballés. Mais alors, comment tra-
vailler ensemble ? En ouvrant toutes
grandes les portes du labo ! La rési-
dence (2) s’étendra sur six mois au
gré des questionnements des comé-
diens sur le système olfactif, jusqu’à


la finalisation de leur pièce théâtrale. cains récompensés en 2004 par un prix rantes et les fameux récepteurs olfac- MANIPULATIONS
Nobel, on sait que 350 à 400 gènes tifs, pas encore tous identifiés et dont avec Roland Salesse
à l'unité Inra NOeMI.
Poire, banane et acétate codent pour les protéines-réceptrices certains pourraient être utilisés par
d'isoamyle situées sur les neurones olfactifs qui l’unité NOeMI pour concevoir un dia-
Premier temps pour les comédiens, tapissent notre nez. Ce sont elles qui gnostic olfactif de certains cancers.
s’approprier les connaissances scien- détectent toutes les molécules odoran- Cette aventure renoue avec une tra-
tifiques acquises au cours des vingt tes, même si les humains ne distinguent dition d’ouverture de l’Inra aux arts.
dernières années par les neurobiolo- que 10 000 odeurs. Or, d’un individu à Ainsi, dans les années 90, les connais-
gistes. « Nous avons enchaîné confé- l’autre, ces gènes diffèrent. De plus, cha- sances du végétal, des biotechnologies
rences, colloques, visites au laboratoire et cun associe une odeur à une expérience animales, de l’entomologie et même de
tests olfactifs, retrace Denis Falfoyo, émotionnelle. Bref, chacun de nous vit la génétique, ont influencé tour à tour
l’un des trois comédiens. Deuxième dans un monde olfactif qui lui est pro- sculpteurs, photographes, dessinateurs
temps, être certain d’avoir tous compris pre. C’est l’un des messages que nous ou musiciens. Ce spectacle a, quant à
la même chose. Très vite, des chiffres et avons voulu transmettre. » Dernière lui, un prolongement pédagogique
des faits ont frappé notre imaginaire : étape, transformer les concepts scien- inédit : il sera représenté en janvier au
des millions d’odeurs existent, résultant tifiques en langage scénique. « Un vrai centre Inra de Jouy-en-Josas dans le
de la combinaison de centaines de casse-tête ! » témoigne Eliane Le Van cadre d’une formation intitulée
milliers de molécules odorantes volatiles. Kiem, metteur en scène. « La créativité « Science, théâtre et médiation » des-
L’odeur de la banane et celle de la poire des artistes, beaucoup plus débridée que tinée aux enseignants du secondaire
sont par exemple constituées de molé- celle des chercheurs, les a conduits à des des académies d’Ile-de-France. Les
cules dont certaines sont communes, trouvailles très visuelles » note Christine chercheurs y témoigneront des condi-
comme l'acétate d'isoamyle. Pourtant Baly, qui s’empare aussitôt d’immen- tions dans lesquelles la résidence théâ-
elles exhalent des parfums complète- ses clés et serrures bleues que les trale s'est effectuée et interviendront
ment distincts. Grâce à Linda Buck et clowns trimballent dans leur valise. pour partager leurs connaissances
Richard Axel, deux généticiens améri- Elles représentent les molécules odo- scientifiques. « Les artistes inspirent
aussi les chercheurs » avoue finalement
Roland Salesse, qui participera à un
projet de recherche sur la création
olfactive contemporaine (3). ●

Magali Sarazin

(1) Unité mixte de recherche de l’Inra et de l’université


Paris-Sud 11.
(2) Un financement de 2 500 euros a été obtenu auprès
du centre Inra de Jouy-en-Josas, du club Aromagri et de
l’Association pour le développement de la biologie
cellulaire.
(3) « La création olfactive : du Kôdô vers les pratiques
artistiques contemporaines », programme ANR
coordonné par Chantal Jaquet, université Paris 1,
Panthéon-Sorbonne.

+d’infos
© Inra / Bertrand Nicolas

Ocontacts :
Coordinatrice des actions de formation :
Catherine Foucaud-Scheunemann,
catherine.foucaud@versailles.inra.fr
Directrice de la compagnie Les Passeurs d’Ondes :
Anne Rougée, anne.rougee@lespasseursdondes.com,

www.lespasseursdondes.com
CHRISTINE BALY dissuade les clowns de mettre les clés dans leur nez. Directrice de l’unité NOeMI : Edith Pajot, edith.pajot@jouy.inra.fr

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 31


◗ IMPRESSIONS en bref OAlimentation des bovins,
ovins et caprins
OCoopérations, territoires et
entreprises agroalimentaires
Besoin des animaux, valeurs Colette Fourcade, José Muchnik,
O Biotechnologie, des aliments, tables Inra 2007 - Roland Treillon
nanotechnologie, écologie une mise à jour 2010 Les auteurs observent de
Entre science et idéologie Jacques Agabriel, coord. nouvelles formes d’organisation
Marie-Hélène Parizeau L’édition 2010, remaniée, actualise qui réunissent, à l’échelle
Entrant dans la sphère publique les recommandations alimentaires territoriale, des acteurs de la filière
et s’éloignant de leur science des ruminants à partir des acquis agroalimentaire : producteurs,
d’origine, les nouvelles disciplines récents de la recherche. Ouvrage industriels, distributeurs,
scientifiques suscitent craintes indispensable aux éleveurs, il est consommateurs. Ils étudient
et espoirs. L’auteur illustre cette régulièrement mis à jour. Il indique quinze cas concrets de ces
dualité à propos de la génétique les besoins alimentaires des « coopérations territorialisées
et des biotechnologies, puis animaux, il fournit la composition en agroalimentaire » (CoTA)
de la biologie de la conservation des aliments et les tables de leur Éditions Quæ, collection Update
où elle débusque les idéologies. valeur nutritionnelle. Un CD-ROM Sciences & technologies, août 2010,
Elle met ses thèses à l’épreuve permet une recherche plus aisée 136 p., 32 €, (22,40 € en pdf)
sur les nanotechnologies. parmi les 1 250 fourrages et 200
Éditions Quæ, collection Sciences aliments concentrés présentés.
en questions, nov. 2010, Éditions Quæ, collection Guide
92 p., 8,50 € (5,90 € en pdf) pratique, oct. 2010, 312 p., 17 €
(8,50 € en pdf, sans CD-ROM)

OUN SAVOIR-FAIRE DE BERGERS


Michel Meuret, coord.
COÉDITION QUAE-EDUCAGRI, NOVEMBRE 2010, 336 P., 25 € (17,50 € en pdf)

écouvrez les multiples facettes du métier de bergers, au carrefour de quatre enjeux :


D « socio-économique », car le secteur est en proie à une concurrence féroce
(plus de la moitié de la viande de mouton consommée sur le territoire est importée) ;
« environnemental », à travers la conservation d’écosystèmes ou la création
de paysages ; « foncier », pour l’entretien d’espaces, publics ou privés ; « éducatif »,
enfin, car l’ouvrage transmet des savoir-faire où s’entremêlent pratiques ancestrales
et explorations scientifiques les plus récentes.
Ce livre, écrit avec des bergers, explicite les multiples dimensions qu’occupe
le berger : l’espace, dont il doit tirer la subsistance de centaines de brebis durant
quelques mois ; le temps, avec une vigilance de chaque seconde ; la météo, qui n’est
clémente qu’au randonneur ; l’individu et son rapport aux animaux, où l’on ne sait plus
si c’est l’homme ou la brebis qui compose le parcours et le menu du jour ;
les territoires, dont des urbains écrivent les nouvelles règles d’usage sans penser
aux raisons de « garder les bêtes ».

OLES MALADIES ÉMERGENTES OELEVAGES ET ENVIRONNEMENT


Epidémiologie chez le végétal, l’animal et l’homme Sandrine Espagnol, Philippe Leterme, coord.
Jacques Barnouin, Ivan Sache EDITION QUAE-EDUCAGRI, COLLECTION
EDITION QUAE, COLLECTION SYNTHÈSES, SCIENCES EN PARTAGE, OCTOBRE 2010, 260 P., 29 €
DÉCEMBRE 2010, 420 P., 45 € (31,50 € en pdf) (20,30 € en pdf)
es maladies émergentes, causes ’est un ouvrage conçu
L de crises sanitaires
potentiellement dévastatrices,
C par un collectif d’auteurs
issus des principales filières
représentent un enjeu majeur pour de l’élevage et de la recherche,
la santé végétale, animale dans le cadre du Réseau Mixte
et humaine. Difficiles à anticiper Technologique « Elevages
en raison de leur caractère nouveau et environnement ». Il rassemble
et imprévisible, elles suscitent quatre contributions
une réflexion pluridisciplinaire et synthétiques qui fournissent
une analyse spécifique que propose les bases scientifiques et
cet ouvrage à travers des cas techniques d’un élevage durable,
concrets de détection et d'analyses à un moment où questions
biologiques des émergences, de et débats font l’actualité sur
leur traitement statistique et des le sujet. Pédagogique, illustré, avec une bibliographie
facteurs environnementaux qui les déterminent. abondante, ce livre s’adresse aux enseignants,
Un ouvrage préfacé par Marion Guillou, PDG de l’Inra. formateurs et professionnels du domaine.

32 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


OAgrimonde OOGM : pas de quoi avoir peur OBioinformatique éditions
Scénarios et défis pour nourrir Philippe Joudrier Principes d’utilisation des outils Quæ
le monde en 2050 Philippe Joudrier, ancien directeur Denis Tagu, Jean-Loup Risler,
Sandrine Paillard, Sébastien Treyer, de recherche à l’Inra, a présidé coord.
Bruno Dorin, coord. de 2006 à 2009 le comité Cet ouvrage vise à faciliter
Quelles solutions pour nourrir neuf d’évaluation des OGM de l’Afssa. la prise en main par les
milliards de personnes à l’horizon A ce titre, il explique de manière chercheurs des outils
2050, tout en préservant les accessible comment sont évalués de la bioinformatique, discipline www.quae.com
écosystèmes qui fournissent par les OGM en Europe et plus à l’interface de la biologie c/o
ailleurs d’autres produits et services : particulièrement en France. et de l’informatique. Inra - RD 10 -
F-78026
protection des sols et des eaux, La multiplicité des étapes Cinquante-huit fiches Versailles
gestion de la biodiversité, stockage et des instances de contrôle fait thématiques permettent Cedex
du carbone, régulation des OGM, selon lui, les variétés de s’approprier ces outils
des inondations, production les plus sures mises sur le marché. et de choisir les plus adaptés
de bioénergies et de biomatériaux ? Ayant analysé auparavant pour des besoins précis
C’est à cette question essentielle la nécessité de renouvellement (analyse, stockage
que cette prospective réalisée rapide des variétés, il conclue ou visualisation de données).
par le Cirad et l’Inra tente d’apporter que la transgenèse est une voie Éditions Quæ, collection Savoir-
des réponses. incontournable d’amélioration faire, oct. 2010, 272 p., 28 €
Éditions Quæ, collection Matière à génétique. (19,60 € en pdf)
débattre et décider, nov. 2010, 296 p., Éditions le Publieur, juillet 2010,
42 € (50 € en anglais, 29,40 € en pdf) 260 p., 19 €

OPEUPLES DU LAIT OTRAITÉ DE VITICULTURE DE TERROIR


Bernard Faye, avec Pascal Bonnet, Comprendre et cultiver la vigne pour produire
Christian Corniaux, Guillaume Duteurtre un vin de terroir
EDITION QUAE, OCTOBRE 2010, 160 P., René Morlat
29,50 € (20,60 € en pdf) EDITIONS TEC & DOC LAVOISIER, JUIN 2010, 492 P.
+ 32 p. d’illustrations, 124 €
(www.lavoisier.fr)

omme le dit sa préface, le livre


e livre est
C
un cheminement C aurait pu s’intituler « Vigne,
milieu, typicité, 40 années
vers des populations
du monde dont d’agronomie des terroirs viticoles ».
le dénominateur René Morlat, directeur de
commun est recherches à l’Inra, y a rassemblé
de produire, les connaissances acquises par
transformer, les laboratoires de recherche
transporter, qu’il a fréquentés, sur les relations
échanger du lait. étroites entre sol, vigne, vendange
Lait des villes et vin. Avec des chapitres
ou lait des champs, lait de brousse ou lait techniques et des synthèses,
de steppe, lait des riches ou lait des pauvres… ce traité représente l’actualité
Ce voyage photographique invite à faire des savoirs scientifiques,
des escales à travers le temps, les continents vus à partir de la pédologie et de
et les espèces animales à propos de ce si l’agronomie. C’est une étape vers
précieux liquide alimentaire qu’est le lait. la compréhension et la modélisation de la longue chaîne
de processus allant de la nature du sol jusqu’aux perceptions
sensorielles de produits. En plus des curieux qui voudraient
découvrir le mot « terroir », cet ouvrage est destiné
à l’enseignement, aux professionnels des sols ou de la filière
viti-vinicole, et il peut aussi intéresser le commerce
pour l’explication de cette notion assez complexe.

OCAHIERS AGRICULTURES
EDITIONS JOHN LIBBEY EUROTEXT
oup de projecteur sur la revue scientifique « Cahiers d’études et de recherches
C francophones-Agricultures », revue scientifique soutenue entre autres par l’Inra,
le Cirad, l’IRD (6 numéros par an depuis 1992). A noter les articles du dernier numéro
(5-2010) « Transformations des systèmes d’élevage et du travail des éleveurs » ;
et le numéro spécial de mars 2010 « Le commerce équitable en questions ».
Articles en ligne : www.cahiersagricultures.fr ou revue papier sur abonnement

I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010 33


◗ REGARD
Alimentation,
travaillons ensemble

A
lors que le Conseil National
de l’Alimentation (CNA) fête
ses 25 ans, son secrétaire
interministériel, Alain Blogowski,
nous parle de cette instance consultative
et de ses liens avec l’Inra.

une instance de concertation et de propositions, nous éla-


borons des recommandations à destination des pouvoirs
publics et de l’ensemble des acteurs (publics ou privés) de
la chaîne alimentaire, nous apportons une expertise socié-
tale. Le CNA ne diligente pas d’enquêtes, ne produit pas de
connaissances, il utilise celles qui existent déjà et plus il y en
a, mieux c’est pour alimenter les réflexions.

Comment fonctionne le CNA ?


A. B. : Un groupe de travail est constitué lorsque le
CNA est saisi d’un sujet par les pouvoirs publics, par une
partie de ses membres ou par son président. Selon la
nature du thème à traiter, la durée d’un groupe est de 6 à
© Inra / Christophe Maître

18 mois jusqu’à l’adoption de l’avis en séance plénière.


Chaque groupe est constitué de personnalités de sensibi-
lités différentes, issues de nos collèges ou venant de l’ex-
térieur. Un avis publié résulte de la formulation du
consensus qui a émergé lors des réunions. Il peut être
assorti de positions divergentes, si des antagonismes se
Alain Blogowski, comment travaillez-vous sont révélés entre collèges. Les suites données aux avis et
avec l’Inra ? recommandations sont l’objet de bilans qui, comme les
Alain Blogowski : Il est rare que des chercheurs de avis, donnent lieu à publication. Enfin, certains sujets
l’Inra ne soient pas associés aux réflexions de nos groupes reviennent périodiquement sur la table des débats.
de travail, que ce soit comme membres, experts auditionnés,
voire présidents ou rapporteurs de groupe. De plus, mem- Depuis près de trois ans que vous êtes
bres permanents et groupes de travail utilisent vos résultats en fonction, quelles sont les principales
comme sources documentaires. L’Inra est par ailleurs inflexions que vous avez insufflées au CNA ?
membre de droit du CNA, comme d’autres établissements A. B. : Notre première priorité a été d’accentuer la visibi-
publics scientifiques, l’Agence française de sécurité sanitaire, lité du CNA. Avec la création du site web en octobre 2008,
ou les collectivités territoriales. nous avons rendu accessible à un large public l’intégralité des
Le CNA s’appuie sur les travaux de l’Inra mais aussi sur ceux avis adoptés depuis l’origine. Nous publions également
de beaucoup d’autres instances : l’Anses (1), l’Inserm, les une Newsletter hebdomadaire sur l’actualité de l’alimen-
enquêtes de consommation… Notre vocation est d’aider les tation. Nous mettons bien sûr l’accent sur la communica-
décideurs, mais nous ne nous substituons pas aux institu- tion des avis les plus récents, même si des sujets importants
tions scientifiques, ni à celles d’évaluation ou aux profes- sont toujours à l’ordre du jour, comme la restauration sco-
sionnels. Il faut bien voir ce que nous faisons. Nous sommes laire (2004), l’alimentation des personnes âgées (2005),

34 I NRA MAGAZINE • N°15 • DÉCEMBRE 2010


l’obésité infantile (2006). Notre dernier avis sur la qualité sur l’alimentation des plus démunis, et que le Conseil s’est
nutritionnelle des produits « hard discount » et « premiers penché sur les liens entre exclusion sociale et alimentation
prix », de mars 2010, a été largement repris par les médias. en 2002. En 1995, un avis concluait déjà que « seule une ali-
Il en a été de même lors de l’annonce récente de la mise en mentation diversifiée assure un bon équilibre nutritionnel ».
place d’un groupe de travail sur les farines animales. Concernant les activités de l’Inra, mentionnons l’avis sur les
Nous poursuivons toujours notre action sur les messages perspectives pour l’avenir de la recherche de 2003.
« nutrition-santé ». Mais, parmi les inflexions, n’oublions Parmi les questions d’actualité, reste celle de l’alimentation
pas le plaisir et la convivialité, qui rejoignent aussi des des personnes en situation précaire, puisqu’aujourd’hui
actions sur le terrain, notamment avec la reconnaissance environ trois millions de personnes bénéficient de l’aide
de nos modes de production tout à fait originaux ou un alimentaire en France. Ce sujet, comme beaucoup d’autres,
travail sur l’éducation. Une fois par an, la séance plénière a été traité dans le cadre du rapport remis en juin dernier
du CNA se déroule en région, dans le cadre d’un parte- à Bruno Le Maire et a fait l’objet de recommandations
nariat avec des collectivités territoriales, l’enseignement dont un grand nombre ont été reprises dans le Pro-
supérieur agricole et les organismes de recherche. A cette gramme national pour l’alimentation. Ce rapport ras-
occasion, la séance suivie d’un forum traitant d’un thème semble les avis et expertises de plus de 150 acteurs de la
en relation avec l’alimentation est ouverte au public. Et chaîne alimentaire qui ont confronté leurs idées pendant
comme en France, on ne peut pas parler d’alimentation quatre mois au travers de 26 réunions, sur les multiples
sans parler de terroirs et de vins, notre séance plénière des facettes de l’alimentation.
25 ans s’est déroulée cette année à Saint-Emilion, sur le
thème « vin et société ». Avez-vous un message pour les chercheurs ?
A. B. : Les connaissances scientifiques sont désormais
Quels avis marquants pouvez-vous nous citer ? de plus en plus nombreuses, mais dans le même temps de
Quelle est votre actualité ? plus en plus atomisées. La société civile ne parvient plus à
A. B. : Parmi les derniers avis adoptés, je citerai la consom- se les approprier facilement. A titre d’exemple, les industriels
mation de produits issus d’animaux clonés (2008), l’édu- qui veulent améliorer la qualité nutritionnelle de leurs pro-
cation alimentaire, la publicité alimentaire, l’information duits, mieux comprendre les comportements alimentai-
nutritionnelle et l’évolution des comportements alimen- res des consommateurs, ou rendre les informations relatives
taires (2009), les besoins des personnes intolérantes ou à leurs produits plus facilement accessibles et compréhen-
allergiques à certains aliments (2010). L’étiquetage des ali- sibles par les acheteurs, attendent aujourd’hui un appui
ments et ingrédients constitués d’OGM ou issus d’OGM a plus opérationnel de la part des chercheurs qui travaillent
été traité en 2001. Je voudrais aussi rappeler l’avis de 1994 sur ces sujets. Je ne dis pas que les chercheurs d’aujourd’hui
ne se préoccupent pas des réactions de la société, ou ne
savent pas transmettre leurs connaissances. Le fonction-
nement de nos groupes de travail prouve chaque semaine
25 ans de CNA, 67 avis… et un PNA le contraire ! Je pense néanmoins que certaines publications,
notamment celles disponibles aujourd’hui uniquement en
Depuis sa création, le CNA a rendu 67 avis (2)
sur la politique de l’alimentation. Son rôle vient
anglais, devraient être mieux valorisées, traduites dans
d'être renforcé par la loi 2010-874 notre langue et faire l’objet d’un travail de vulgarisation
de modernisation de l'agriculture et de la pêche auprès d’un large public. En ce sens, la dernière expertise
qui l’associe à l'élaboration du Programme collective de l’Inra sur « les comportements alimentaires »
national pour l'alimentation et au suivi de sa est un bon exemple de documents utilisables par le CNA.
mise en œuvre. Il dispose d’un secrétariat Pour conclure, je souhaite rappeler que, comme dans le
interministériel placé auprès des ministres commerce et la distribution, il faut toujours être très atten-
chargés de l’agriculture et de l’alimentation, tif à ne pas sous-estimer les difficultés de « la logistique du
de la santé et de la consommation. dernier kilomètre » et, donc, à chercher ensemble com-
Il est composé de 49 membres permanents ment améliorer les transferts de connaissances entre les
bénévoles, proposés par leur institution
d’origine, regroupés en sept collèges qui
travaux des chercheurs et les besoins des différents acteurs
représentent l’éventail des acteurs de la chaîne de la chaîne alimentaire. ●
alimentaire : associations de consommateurs
et d’usagers, producteurs agricoles, secteur Propos recueillis par Brigitte Cauvin
de la transformation et de la distribution
agroalimentaire, restauration, salariés
et personnalités qualifiées.
(1) Anses : agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement
Présidents successifs : Pr Jean-Jacques Bernier, et du travail.
(2) Voir tous les avis sur le site web : www.cna-alimentation.fr
Pr Christian Cabrol, Christian Babusiaux,
Philippe Guérin. Depuis 2009, le CNA est
présidé par Bernard Vallat, Directeur général +d’infos
de l’Organisation mondiale de la santé animale. Oweb :
www.cna-alimentation.fr

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◗ AGENDA 15/16 février
PARIS
19/27 février
PARIS

43e journées de la recherche porcine L’Inra au Salon international


Initiée par l’Inra et l’Institut du porc (IFIP), de l’agriculture
cette manifestation permet la diffusion directe Plus de 650 000 visiteurs sont attendus à la plus grande
des résultats de recherche qui peuvent contribuer ferme de Paris, qui attire 20 % de professionnels. Sur le stand
à la compétitivité de la filière, tout en répondant de l’Inra, des scientifiques venus de sept centres de recherche
aux nouvelles demandes sociétales comme le respect de l’Institut présenteront au public quizz et animations
de l'environnement et le bien-être des animaux, sur leurs recherches en santé animale et santé végétale.
ou encore la sécurité alimentaire des produits Colloque et rencontres thématiques favoriseront les échanges
proposés aux consommateurs. avec les partenaires professionnels.
Six sessions thématiques se succéderont. WWW.inra.fr
WWW.journees-recherche-porcine.com

20/24 février
PARIS
8/10 mars
LILLE

L’Inra au Salon international IVe Conférence internationale


du machinisme agricole sur les méthodes alternatives en protection
L’Inra sera à l’espace « Bonnes pratiques agricoles » des cultures
pour présenter ses recherches générant des innovations Organisée par l’Association française de protection
agronomiques en productions végétales. Des chercheurs des plantes et la Fédération régionale de défense contre
de l’Inra présenteront leurs recherches en matière les organismes nuisibles du Nord Pas-de-Calais.
de sylviculture, de forêts et tempêtes ; d’agriculture Les séances plénières font le point sur les principales
périurbaine ainsi que sur les grandes cultures méthodes alternatives concernant toutes les cultures
économes en pesticides ; la qualité des fruits et légumes (grandes cultures, pomme de terre, viticulture, cultures
et les performances agronomiques, écologiques ornementales, arboriculture fruitière, cultures légumières,
et économiques des légumineuses. petits fruits, etc.) dans le nouveau cadre législatif
A noter : le colloque, mercredi 23 février. et réglementaire.
WWW.inra.fr WWW.afpp.net

11/15 avril
EDIMBOURG
18/21 avril
AVIGNON

Nitrogen 2011 Symposium euro-méditerranéen


Cet événement mondial rassemblera scientifiques sur la transformation des fruits et légumes
et décideurs pour connaître les dernières avancées Composante essentielle de l'alimentation de l'homme,
scientifiques sur le rôle de l’azote dans le changement les fruits et légumes sont le plus souvent consommés après
climatique, en faisant le bilan de tous les programmes transformation. Organisé par l'Inra et l'Université d'Avignon
européens concernant le cycle de l’azote, en particulier et des Pays de Vaucluse, ainsi que par le Centre technique
NitroEurope Integrated Programme. de la conserve et des produits appertisés et le Pôle européen
WWW.www.nitrogen2011.org d’innovation fruits et légumes, le symposium fait le point, pour
les chercheurs mais aussi pour les groupes industriels, PME
et TPE, sur les nouvelles connaissances et les innovations.
https://colloque.inra.fr/fruitvegprocessing

Ecologisation des politiques et des pratiques agricoles

L'objectif du colloque est de faire le point et de tracer des perspectives pour favoriser l’intégration
de considérations environnementales dans les politiques publiques sectorielles agricoles et territoriales.
Il se veut un moment de partage entre chercheurs et praticiens (organisations professionnelles
agricoles, parcs naturels, conservatoires, collectivités locales…), avec une grande diversité de points
de vue : depuis des expériences innovantes d'associations ou de collectivités locales, jusqu'aux
résultats de recherche sur les effets des pratiques agricoles sur l'environnement.

Renseignements et inscription : https://colloque.inra.fr/ecologisation_avignon

Unité d'Ecodéveloppement
Partenaires : MAAP, MEEDDM, Région PACA, ACTA, Parcs nationaux de France, Parcs naturels régionaux de France,
Département SAD Les Conservatoires d'espaces naturels, CDC Biodiversité, Association de science régionale de langue française,
Centre de recherche PACA Chambres d'agriculture, CIVAM, Eccorev

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