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Médicament

et santé publique
P
coordonné par eut-on isoler le médicament de la pharmacovigilance >p. 33. Cette dernière s’est
Joël Ankri pathologie qu’il est censé traiter ? Peut- récemment restructurée au sein de l’Agence
Médecin, on parler du médicament comme si française de sécurité sanitaire des produits de
Université Paris V celui-ci était unique ? Alors qu’il peut s’agir santé.
d’extraits de plante ou de produits de biotechno- Quant au bénéfice, est-il toujours individuel ? Ne
logie, alors qu’il peut servir à aider, soulager le voit-on pas les grandes études de prévention
patient, prévenir ou guérir la maladie. Peut-on dans le domaine cardio-vasculaire nous montrer
regarder le médicament autrement qu’en qu’il faut traiter des milliers de patients pour
pharmacologue ou qu’en thérapeute ? C’est-à- éviter l’événement pathologique à quelques-uns
dire en dehors des aspects scientifiquement >p. 43. Où en sont les attentes des individus et
démontrés des effets biologiques et cliniques ? de la société ?
Peut-on faire du médicament un objet en soi La société, usagers et professionnels
sous le regard de la santé publique ? Le médicament peut être aussi considéré comme
Ce dossier tente de situer le médicament au un traceur social au travers des modes de
travers de trois dimensions classiques en santé consommation, et surtout du fait de sa position
publique. centrale dans l’interrelation entre les différents
L’organisation acteurs >p. 46. Se pose alors le problème de
S’il existe un système du médicament, celui-ci l’usage, du bon usage, de la rationalité ou
est un sous-élément du système de santé. Il peut irrationalité de cet usage >p. 55. Ces questions,
même être considéré comme un analyseur de ce du côté des professionnels, s’inscriront dans une
système tant il se trouve au centre d’une régula- logique de formation et d’information >p. 52, 65.
tion technico-scientifico-administrativo-économi- Du côté des usagers elles pourront être décrites
que >p. 20. De la mise sur le marché >p. 23 à la comme des phénomènes même de société
publicité >p. 27, les auteurs nous montrent les >p. 59 ou prendre de nouvelles formes avec le
différents arcanes de cette régulation. Une place rôle grandissant des associations de malades ou
particulière sera faite à l’automédication >p. 30 de familles de malades dans les décisions de
aux médicaments génériques >p. 26 et aux développement des médicaments >p. 63.
médicaments orphelins >p. 28. Finalement, la question que le lecteur est en
Le risque/bénéfice droit de se poser et que nous n’avons pas voulu
Le médicament est un facteur de risque pour la développer dans ce dossier, parce que très
santé >p. 32. Ce risque peut se chiffrer et souvent traitée ailleurs, est celle de l’économie.
apparaître clair pour certaines populations >p. Mais nous n’échapperons pas à la question,
41. Il est le plus souvent individuel mais il peut somme toute fondamentale, de savoir quelle
être aussi collectif et menacer un équilibre marge de manœuvre la mondialisation de
écologique >p. 38. La pharmacoépidémiologie l’économie laisse à une politique de santé
est la science qui permet l’évaluation nécessaire publique nationale en matière de médicament
du risque iatrogène et d’asseoir la décision en >p. 68, 71.

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Médicament et santé publique

Un médicament est commercialisé après un


long processus d’évaluation et de contrôle.
Il doit répondre à des critères de qualité et de

Système du médicament
sécurité. Son prix, les conditions de sa prise en
charge et les modalités de sa publicité sont
définis selon des références précises.

L
Joël Ankri e médicament est devenu un objet industriel dans tème qui s’est bâti sur les notions d’efficacité scienti-
Médecin, un système de protection sociale donné au cours fiquement démontrée et sur la mise en place d’un sys-
Université Paris V du XXe siècle et sa mise sur le marché doit ré- tème de surveillance de plus en plus rigoureux. Ce
pondre à des impératifs de qualité et de sécurité. système a été le fruit de toute une politique de santé
Mais ici, encore plus qu’en termes de santé en gé- publique qui n’a pas été toujours indépendante des
néral, le modèle économique habituel : consommer c’est politiques industrielles mises en place par ailleurs. Enfin,
décider, payer et user, ne peut s’appliquer. En effet le devant le poids des dépenses de santé dans notre
consommateur de médicament ne décide pas vraiment, système de protection sociale, s’est créé un système
il fait délégation de sa rationalité de décision au de maîtrise médicalisée des dépenses au cours de la
prescripteur. De plus, il ne paie pas directement, c’est dernière décennie. Ce système s’applique bien entendu
le rôle de l’assurance maladie, et même le ticket mo- au médicament.
dérateur ne peut avoir l’effet classique d’un prix en
économie. Enfin, contrairement à tout consommateur, Comment ce système fonctionne-t-il ?
il ne peut apprécier le rapport qualité/prix. La première étape est celle qui conduit à l’autorisation
Par ailleurs, le médicament est un facteur de risque de mise sur le marché (AMM). C’est l’étape scientifi-
en termes de santé. Il nécessite un contrôle strict de que par excellence puisque c’est elle qui vérifie, selon
sa fabrication, de ses effets thérapeutiques et de sa les canons admis si le médicament est bien fabriqué,
tolérance. a une tolérance acceptable et se différencie d’un pla-
Pour asseoir une bonne régulation de cet objet in- cebo. Elle décide également si le médicament sera sou-
dustriel un peu particulier, s’est mis en place progres- mis à une prescription restreinte ou non c’est-à-dire qu’il
sivement un système de contrôle et de sécurité. Sys- sera réservé soit à un usage hospitalier soit à une pres-

Définitions
Un médicament Une substance Un produit
Toute substance ou composition présen- Tout principe actif de base d’un Tout médicament contenant
tée comme possédant des propriétés médicament qu’il soit d’origine une ou plusieurs substances
curatives ou préventives à l’égard des ma- humaine, végétale, animale ou de base et vendu sous une
ladies humaines ou animales, ainsi que chimique. même dénomination (quels
tout produit pouvant être administré en que soient les associations,
vue d’établir un diagnostic médical ou dosages, formes d’administra-
de restaurer, corriger ou modifier leurs tion ou modèles divers sous
fonctions organiques (article L 511 du lequel il est vendu) (Snip*).
Code de la santé publique).

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Système du médicament

cription de certains spécialistes pour éviter des déra- Cette politique sera approfondie par une approche
pages de consommation tant en volume qu’en indica- par classe thérapeutique au travers des conventions
tions pour laquelle l’AMM a été octroyée. passées avec chaque laboratoire.
La seconde étape est celle de la commission de trans- Si ces mesures concernent en premier la médecine
parence qui évalue l’amélioration du service médical de ville, les hôpitaux, où l’évolution des dépenses est
rendu et l’utilité du médicament. Elle donne un avis sur fortement liée à l’introduction des médicaments inno-
le taux de remboursement. Il est à noter que les repré- vants, sont encouragés à un regroupement des achats,
sentants de la sécurité sociale ne siègent que dans cette à une meilleure sélection des médicaments achetés,
commission. Le comité économique du médicament fixe à une plus large diffusion des recommandations de bon
le prix en fonction de ces avis et des considérations usage et des coûts auprès des prescripteurs. Le rôle
économiques générales et conjoncturelles. des comités du médicament au sein de chaque établis-
À ce stade, des actions peuvent être entreprises pour sement de santé est renforcé.
maîtriser la dépense pharmaceutique. Ce sont des Par ailleurs la régulation passe par la sécurité sani-
actions techniques définissant les volumes et prix en taire. La pharmacovigilance est un élément clé du sys-
fonction du caractère innovant des produits. Des ac- tème. 186 enquêtes de pharmacovigilance et 11 sus-
cords-cadre ont été signés entre l’État et l’industrie pensions de médicaments ont eu lieu en 1997 contre
pharmaceutique dans un objectif de bon usage du respectivement 99 et 2 en 1992. Des efforts d’évaluation
médicament. Il y fut préconisé en 1994, la limitation ont été réalisés pour mesurer au mieux le risque iatrogène
du volume des produits vendus en contrepartie d’un et envisager des mesures de prévention. Si le risque
engagement de l’État d’accorder une plus grande liberté thérapeutique peut être imprévisible, après la quanti-
dans la fixation des prix. Mais la croissance régulière fication de l’iatrogénie, l’analyse de l’évitabilité cons-
de la part relative du médicament dans les dépenses titue la seconde étape sans laquelle il ne peut y avoir
de l’assurance maladie a été telle qu’il a été décidé d’action préventive pertinente.
que les dépenses seraient désormais basées sur les Ces questions étant indissociables de la sécurité sa-
seules considérations de santé publique. C’est ainsi nitaire et de l’observation du bon usage des médicaments,
que la politique gouvernementale a développé les de nouvelles structures ont été mises en place comme
médicaments génériques. Ces médicaments, copies de l’Observatoire national des prescriptions et de la con-
médicaments dont les brevets qui les protégeaient sont sommation des médicaments, le Comité national de sé-
tombés dans le domaine public, peuvent alors être curité sanitaire, l’Institut de veille sanitaire et de l’Agence
commercialisés par des laboratoires qui n’ont pas eu de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
à faire les recherches et vendus 30 % moins cher. Ils L’Observatoire national des médicaments créé en mai
doivent néanmoins faire l’objet d’une AMM mais leur 1997 analyse les prescriptions d’un certain nombre de
dossier de demande est allégé. classes thérapeutiques et peut mettre en évidence des
Des orientations ont été par ailleurs données au comité situations de surconsommation injustifiée. Ces travaux
économique du médicament : sont encore préliminaires mais auront un rôle de plus
l réduire la consommation des antidépresseurs et en plus important à jouer dans la régulation de la con-
de certains antibiotiques de manière à infléchir dura- sommation médicamenteuse. D’autant que divers élé-
blement les tendances de consommation ; ments supplémentaires devraient permettre une analyse
l réévaluer les conditions de prise en charge ou d’ad- plus fine des prescriptions, des ventes et des consom-
mission au remboursement de certaines classes mé- mations comme le codage des médicaments vendus en
dicamenteuses ; officine, l’accès aux données dont disposent les indus-
l fixation d’une réduction de 10 % des dépenses pro- triels, l’amélioration du système d’information hospita-
motionnelles des laboratoires. lier ainsi que l’informatisation de la médecine de ville.

Une présentation Le médicament familial


Chaque association, dosage, l Possède une AMM ; * Snip, Syndicat natio-
nal de l’industrie phar-
forme d’administration ou con- l N’est pas inscrit sur la liste des subs- maceutique.
tenance différente d’un même tances vénéneuses (il est de prescrip- ** AFSGP, Association
produit (Snip*). tion médicale non obligatoire) et n’est française des produc-
pas inscrit sur la liste des spécialités rem- teurs de spécialités
grand public
boursables ;
l Peut faire l’objet d’une communica-
tion auprès du public, sauf restriction ma-
jeure de santé publique (AFSGP**).

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Médicament et santé publique

Enfin, le dernier volet de ce système de régulation bles dans le cadre conventionnel. Ce système de RMO
passe directement par le prescripteur. Ce peut être une a évolué dans le temps. Il a démarré entre 1990 et 1993
amélioration de l’information et l’accès à des outils d’aide et les premières références n’ont pas été structurées
au diagnostic et à la prescription. Il existe des fiches comme l’ont été les suivantes. Les RMO ont été par
de transparence émanant de l’Afssaps qui présentent la suite rédigées à partir des informations validées par
une synthèse des conditions d’utilisation des principales l’Agence du médicament et l’Andem vérifiait la confor-
classes médicamenteuses en situant l’intérêt et la place mité aux références de bonnes pratiques cliniques. Le
respective des différents médicaments disponibles dans système actuel tend à demander à l’Anaes d’écrire elle-
les situations pathologiques les plus couramment ren- même les RMO, le choix étant fait dans le cadre de la
contrées. Les fiches d’information thérapeutique con- négociation conventionnelle. Ces RMO ont sensibilisé
cernant les médicaments d’exception particulièrement le corps médical et on peut noter un certain impact positif.
coûteux rappellent aux médecins leurs indications et Une approche économique permet d’estimer l’écono-
leurs conditions d’utilisation spécifique. mie réalisée grâce à la RMO antibiotique à 225 millions
Une autre forme de régulation a été entreprise de- de francs. Cependant, quand on suit l’évolution des
puis quelques années par l’assurance maladie : la prescriptions, on peut observer des phénomènes de
publication des règles de bonne pratique clinique et de transfert vers d’autres classes thérapeutiques ou de
références médicales opposables (RMO). Si ces me- substitution qui rendent plus équivoque le bénéfice mé-
sures sont les premiers pas de l’intervention de l’as- dical escompté. Aussi, si cet outil a été conçu comme
surance maladie dans les règles de prescriptions, ces une pièce essentielle d’un dispositif de maîtrise de dé-
RMO n’en restent pas moins un outil de maîtrise éla- pense, s’appuyant sur une logique médicale et sur une
boré par les médecins selon des notions simples et rationalisation des comportements des prescripteurs
consensuelles et sont une aide au prescripteur pour et des patients, il n’est qu’un élément du problème si
écarter l’inutile, le superflu et le dangereux des ordon- l’objectif est l’amélioration de la qualité des soins.
nances. Ces recommandations sont rendues opposa- Ainsi la régulation technico-scientifico-administrativo-

Petite histoire du médicament

L a découverte de
nouveaux médica-
ments s’est longtemps
verte du nouveau monde,
les explorateurs rapporte-
ront des grands principes
on extrait l’émétine, du
quinquina, la quinine. La
colchicine supplante la
XXesiècle la novocaïne en
1901, les antisyphilitiques
en 1906 et les
limitée à l’observation actifs comme le quinquina, colchique et l’acide antipaludéens de synthèse
empirique des effets l’ipéca, le coca, le café etc. acétylsalicylique, l’écorce en 1927.
produits par certaines Grâce aux progrès de la de saule. On dispose alors Mais l’ère moderne débute
substances naturelles sur chimie et de la physiologie de la papavérine extrait du avec la découverte en
le cours des maladies. le XIX e siècle marque une pavot, de la digitaline de la 1937 de l’action antibacté-
C’est Paracelse au XVIe étape nouvelle avec digitale et de l’ergotonine rienne des sulfamides.
siècle qui prônera la l’isolement des principes de l’ergot de seigle. 1943 est l’année de la
nécessité d’un médicament actifs : de l’opium, on isole L’aspirine sera synthétisée découverte par Fleming de
Joël Ankri spécifique pour chaque la morphine puis la en 1897 par Hoffman. la pénicilline et 1947 de la
Julie Pelicand maladie. Avec la décou- codéine, de l’ipécacuana Apparaîtront au début du streptomycine qui vainc

1803 La Morphine est isolée à partir de végétaux 1936 Utilisation de l’Héparine standard non fraction-
par Friedrich Wilhelm Adam Satürner née
1853 Aspirine : l’acide acétylsalicylique synthétisé à 1941 Le premier antibiotique devient médicament :
Strasbourg par Charles Frederich Gerhardt découverte de la Pénicilline
1893 Aspirine commercialisée (les études ont été 1946 Découverte de la Streptomycine (anti-tubercu-
reprises par Félix Hoffmann) leux)
1920 Ergotamine isolée par Arthur Stoll 1948 Découverte des Tétracyclines :
1923 Prix Nobel de médecine pour Banding et Chlorotétracycline (Auréomycine)
En bleu, les
Mc Léod pour l’Insuline 1949 Découverte du Lithium
découvertes
En vert, les 1928 Naissance du premier antibiotique (à l’état de 1950 Découverte des Neuroleptiques
mises sur le réactif de laboratoire) 1951 Première utilisation d’un anti-tuberculeux par
marché 1935 Naissance du premier anti-infectieux voie orale (Isoniazide)

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Système du médicament

économique du médicament passe obligatoirement par tion, l’importation, l’exportation, la distribution en gros
la pièce centrale de l’évaluation scientifique et de la des médicaments et l’exploitation des spécialités phar-
fixation des prix. Mais des mesures incitatives peuvent maceutiques à des établissements pharmaceutiques.
être prises en amont et des contrôles en aval. Son objectif Ceux-ci sont autorisés par l’autorité administrative en
prioritaire reste la maîtrise des dépenses de santé liées fonction de critères relatifs à la qualification de leurs
aux médicaments même si de gros efforts ont été faits dirigeants (notamment participation d’un pharmacien)
pour améliorer la sécurité sanitaire et des efforts res- et au respect des bonnes pratiques à chaque stade de
tent encore à faire pour améliorer la qualité des soins. la fabrication du produit.
La mise sur le marché est de plus, conditionnée par
la démonstration rigoureuse et scientifiquement reconnue
du rapport bénéfice/risque dans une indication théra-
peutique donnée pour une population donnée.
Mise sur le marché Ainsi, après les nombreuses années qu’a nécessité
la découverte de la molécule qui va devenir un médi-
cament, après les tests pratiqués sur les animaux qui
des médicaments ont pu, entre autres, assurer avec le maximum de chance
que le produit n’a pas de potentialité carcinogène ou
La qualité du produit fini est fonction des bonnes pra- tératogène, le médicament est administré à l’homme.
tiques de fabrication, de l’efficacité et la sécurité de C’est à partir de là que vont se dérouler les différentes
son effet dans l’organisme humain. phases de l’évaluation clinique du médicament pour
répondre chacune à des objectifs différents permettant
Une nécessité d’évaluation du médicament de préciser les propriétés pharmacocinétiques et phar-
La fabrication du médicament est strictement réglemen- macodynamiques du produit et surtout de démontrer
tée. Le Code de la santé publique réserve la fabrica- son efficacité et sa bonne tolérance. La méthodologie

(momentanément) la antidépresseurs sélection qu’on appelle Nous vivons aujourd’hui thérapie génique
tuberculose. On assiste imipraminiques en 1957. « screening ». Cette dans les années quatre- transfère directement
alors à un emballement Ces découvertes sont méthode va permettre vingt-dix, celles des années l’ADN producteur du
des découvertes : souvent le fruit du hasard. d’élaborer de nouveaux du génie génétique, du médicament protéique
– les antihistaminiques de À partir des années médicaments à partir de génie cellulaire et de la dans l’organisme malade.
synthèse en 1942, soixante, après la décou- modèles de médicaments thérapie génique. C’est Les cellules deviennent
– les anticoagulants verte de l’effet tératogène existants. ainsi qu’une bactérie des microfabriquants puis
coumariniques en 1947 de la thalidomide (1957), Durant les deux décennies fabrique une insuline pure des microsystèmes de
– la cortisone en 1949 les pharmacologues qui suivent seules quel- entraînant peu d’effets délivrance du médica-
– l’isoniazide et les mettent au point des ques classes ont enrichi les indésirables ou que le ment. Mais l’histoire ne
neuroleptiques en 1952 méthodes d’évaluation possibilités thérapeutiques génie génétique permet de s’arrêtera pas là…
– les IMAO, la préclinique moléculaire à comme les bêta-bloquants, produire des anticorps
chlorothiazide et les partir de méthode de les antihistaminiques H2. monoclonaux ou que la

1952 Découverte de la Cortisone Purinethol (anti- 1967 Autorisation de mise sur le marché en France de François Chast. Histoire
cancéreux anti-leucémique puissant) l’Avlocardyl, 1er bêta-bloquant apparu contemporaine des
médicaments. Paris :
1955 Découverte des sulfamides hypoglycémiants 1972 L’Amoxicilline est mise sur le marché Éd de la découverte,
dans le traitement du diabète 1974 Découverte du Cefadroxil (Oracefal°) coll. Histoire des scien-
1956 Pincus met en place la première pilule à base 1980 Production du premier interféron recombinant ces, 1995.
de progestérone Jean-Claude Dousset.
(Interféron alpha-2a)
Histoire des médica-
1957 Vaccination contre le virus grippal 1985 La Zidovudine est identifiée comme médicament ments : des origines à
1961 Découverte de l’Ampicilline anti-viral (contre le virus HIV) nos jours. Paris : Payot,
coll. Bibliothèque
1964 Découverte de l’Amoxicilline et de la Clonage du gène de l’Erythropoîétine humaine
scientifique, 1985
Cabenicilline 1988 Mise sur le marché en France de l’Erythropoîétine
1966 Apparition en France de la pilule œstro- pour le traitement de l’anémie de l’insuffisance
progestative rénale

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Médicament et santé publique

employée va être le plus souvent l’essai thérapeutique Le système français d’évaluation du médicament
randomisé en double aveugle comparant la nouvelle repose en effet sur la primauté accordée à l’expertise
molécule à un placebo ou à un produit de référence. externe en particulier de la commission d’AMM. Celle-
Ces différentes phases vont s’étaler souvent sur plu- ci est composée d’une quarantaine de membres repré-
sieurs années. sentant la quasi-totalité des spécialités médicales. Ces
L’ensemble des études réalisées pour atteindre les experts se doivent d’être indépendants et sans con-
objectifs de ces différentes phases, qui parfois corres- flits d’intérêts avec les industriels du médicament
pondent à plusieurs milliers de patients traités, va être concerné.
déposé auprès d’une agence d’enregistrement qui va Le dossier d’AMM est déposé par la firme pharma-
vérifier l’ensemble des critères pour pouvoir donner, ceutique et est examiné par un groupe de travail phar-
au nom des pouvoirs publics, une autorisation de mise maceutique et un groupe de travail toxico-pharmaco-
sur le marché du médicament (AMM). clinique. Peuvent s’adjoindre le cas échéant le groupe
Elle est subordonnée à la présentation d’un dossier de sécurité virale ou le groupe antibiotique, etc. Les
dit d’AMM qui comprend notamment la composition décisions sont prises en séance plénière de la com-
qualitative et quantitative du produit, les indications, mission d’AMM. Ces décisions peuvent être favorables
contre-indications et effets indésirables, la description à l’autorisation de mise sur le marché, défavorables
des méthodes de contrôle utilisées par le fabricant et ou nécessiter un complément d’information au cours
le résultat des essais physico-chimiques, biologiques, d’une mesure d’instruction. L’industriel est tenu de
pharmacologiques et toxicologiques et enfin cliniques. répondre à cette mesure d’instruction dans un délai fixé
L’autorisation est refusée lorsqu’il apparaît que la sous peine de ne jamais voir son produit autorisé. La
spécialité est nocive dans ses conditions normales commission rédige le résumé des caractéristiques du
d’emploi, que l’effet thérapeutique est absent ou in- produit et peut décider des modes de dispensiation ou
suffisamment justifié, que les procédés de contrôle ne de prescrition plus ou moins restreints du médicament.
sont pas de nature à garantir la qualité du produit. Mais elle n’émet que des avis qui sont presque tou-
jours suivis par l’autorité de santé. Le directeur géné-
Les structures qui sous-tendent cette évaluation ral prend au nom de l’État les décisions qui relèvent
En France, ce rôle d’enregistrement a été dévolu à la de la compétence de l’Agence. Les autorisations sont
direction de la Pharmacie et du Médicament alors di- accordées pour une période de cinq ans renouvelable.
rection du ministère de la Santé puis à l’Agence du
médicament depuis 1993 et maintenant à l’Agence La nouvelle agence : l’Afssaps
française de sécurité sanitaire des produits de santé. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, s’est opérée
L’Agence du médicament est un établissement qui une progressive prise de conscience de la nécessité
a été investi d’un certain nombre de missions régaliennes d’une politique de sécurité sanitaire des biens de santé.
en matière de médicaments. Elle exerce notamment Cette prise de conscience, consécutive à des situations
les compétences médico-administratives relatives à de crise (affaire du sang contaminé, crises dans le monde
l’ensemble de la chaîne du médicament. Elle instruit des greffes…) a conduit à plusieurs réformes de l’ad-
les dossiers relatifs aux recherches biomédicales con- ministration sanitaire. Une réorganisation des procé-
cernant les produits pharmaceutiques, assure l’évalua- dures d’autorisation et de contrôle de certains produits
tion des dossiers de mise sur le marché des médica- thérapeutiques s’est opérée. C’est ainsi qu’ont été mises
ments et délivre les autorisations de mise sur le marché. en place au début de ces années de nouvelles institutions :
Elle est également compétente pour assurer le suivi Agence française du sang, Agence du médicament,
du médicament après l’AMM et pour exercer les mis- Établissement français des greffes. Ce choix institution-
sions de pharmacovigilance. nel devait satisfaire plusieurs critères : autonomie, spé-
Par ailleurs, par le biais de l’inspection, elle exerce cialité et suffisance de moyens financiers et humains.
le pouvoir de contrôle de l’État sur les industriels du La création récente de l’Agence française de sécurité
médicament. sanitaire des produits de santé est d’une certaine fa-
Ainsi la mission essentielle de l’Agence est la recher- çon l’aboutissement de cette politique.
che de la sécurité sanitaire, sa vocation étant d’assu- La nouvelle agence, établissement public de l’État
rer la santé et la sécurité de la population. créé par la loi du 1 er juillet 1998 (n° 98-535, le décret
d’application n° 99-142 fixe son organisation et son
Comment fonctionne l’AMM ? mode de fonctionnement) relative au renforcement de
Une expertise interne qui permet l’instruction des dos- la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire
siers. Une expertise externe : le recours à des experts des produits destinés à l’homme, se substitue à l’Agence
externes à l’administration répond au souci de faire du médicament avec des missions étendues à l’ensem-
bénéficier les pouvoirs publics des compétences les ble des produits de santé (médicaments, réactifs de
plus éminentes et permet par le dialogue avec les experts laboratoire, dispositifs médicaux, produits sanguins,
de l’administration d’affiner et de compléter l’information produits cosmétiques, produits thérapeutiques annexes
préalable à la décision (D. Tabuteau). utilisés pour la préservation et le traitement des cel-

24 adsp n° 27 juin 1999


Système du médicament

lules, tissus, les produits de thérapie génique et de thé- deux pays étant désignés pour effectuer le rapport
rapie cellulaire, certains produits diététiques spécia- d’évaluation. Lors de la commercialisation, la même
lement destinés aux malades, les préparations magis- information sera publiée dans tous les pays de l’Union.
trales et hospitalières) et des moyens renforcés. Par contre, les États-membres restent souverains en
L’Afssaps est compétente en matière d’évaluation matière de fixation des prix des médicaments et d’ac-
et de police sanitaire pour tous les produits de santé cès au remboursement.
et les produits cosmétiques. Elle exerce ses pouvoirs L’Agence européenne assure également la coordination
de police sur tous les produits de santé qu’ils soient des systèmes nationaux de pharmacovigilance et arbitre,
soumis à autorisation ou non. Lorsqu’un produit présente le cas échéant, entre différentes agences nationales
ou est soupçonné de présenter dans les conditions des pays membres, des conflits qui mettent en jeu le
normales d’emploi un danger pour la santé humaine, système de reconnaissance mutuelle des autorisations
l’agence peut prendre des mesures de suspension, nationales.
d’interdiction de toute activité portant sur ce produit, suite page 27
avec la possibilité de fixer des conditions particulières
d’utilisation ou de restriction pour l’utilisation de ces
produits.
La nouvelle agence est aussi en charge de l’évalua- Mise sur le marché d’un médicament
tion et de la vigilance, ainsi que du contrôle en labo- Laboratoire
ratoire et de l’inspection pour chaque type de produits. Choisit de demander l’AMM pour la France ou pour toute l’Union
Elle développera aussi un rôle en matière d’évaluation Agence française
médico-économique et de contrôle de la publicité. La de sécurité sanitaire
mise en place d’une telle agence contrôlant l’ensem- des produits de santé Agence européenne
ble des produits de santé est unique en Europe. Elle Comité
fait partie d’un dispositif plus général au sein de l’Union Commission d’AMM
des spécialités
européenne. Émet un avis favorable pharmaceutiques
ou défavorable Demande de
reconnaissance
L’enregistrement du médicament en Europe mutuelle Décision d’AMM
Directeur de l’Agence applicable à
Une réglementation s’est mise progressivement en place tous les pays
Décide ou refuse l’AMM
au niveau européen pour harmoniser les normes en de l’Union
matière de développement et d’autorisation de mise
sur le marché des différents pays membres ainsi que
pour la disparition progressive des divergences d’éva- Autorisation
luation. Cette réglementation cherche également à pro- de mise sur le marché
mouvoir l’usage rationnel des médicaments dans un
but de protection des usagers. Elle s’inscrit aussi dans Médicament Médicament
pouvant être remboursé non remboursable
un objectif de parvenir à un marché intérieur unique, sans
entrave à la libre circulation des médicaments, mêlant Demande de remboursement
des préoccupations industrielles et de santé publique.
La sécurité sanitaire du médicament à usage humain
Commission de transparence
est aujourd’hui bien garantie, grâce à cette législation
● Amélioration
du service médical rendu
d’origine communautaire qui couvre toute la chaîne, de ● Pourcentage
de remboursement
la fabrication à la distribution, au suivi des médicaments ● Recommandations de bon usage
après l’obtention de l’autorisation de mise sur le mar-
ché et grâce à une institution qui est l’Agence européenne
de Londres qui fonctionne depuis le 1er mai 1995. Comité économique
Grâce à la procédure de reconnaissance mutuelle (ou ● Négociation du prix avec le laboratoire
procédure d’enregistrement décentralisée), les auto- ● Proposition du pourcentage de remboursement
risations accordées par l’Agence française sont vala-
bles pour l’ensemble de la communauté.
L’Agence européenne est compétente pour accorder Décision du prix
des autorisations de mise sur le marché (procédure et du remboursement Publication au Jo
centralisée). Elle constitue le passage obligé pour l’en-
registrement des médicaments les plus innovants. Son
autorisation de mise sur le marché s’impose pour l’en-
semble des pays de l’Union. Pour ce faire, il y a cons- Commission de publicité
titution et dépôt par l’industriel demandeur d’un dos- Accorde ou refuse la publicité
sier unique. Une seule évaluation scientifique sera Mise sur le marché
réalisée et sera valable pour toute l’Union européenne,

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Médicament et santé publique

Médicaments génériques

U ne première définition du médica-


ment générique a été donnée, en
1981, par la commission de la concur-
que leur dosage, leur forme pharmaceu-
tique et, le cas échéant, les excipients à
effet notoire (dont la présence peut né-
La notion de droit de substitution
L’émergence du concept de médicament
générique s’est accompagnée de l’octroi,
rence : « On entend par médicament gé- cessiter des précautions d’emploi pour au pharmacien d’officine, d’un droit de
nérique, toute copie d’un médicament certaines catégories de patients) qu’el- substitution qui trouve son origine dans
original dont la production et la commer- les contiennent. Les génériques sont re- la loi de financement de la sécurité so-
cialisation sont rendues possibles par la groupés par principe actif et par voie d’ad- ciale pour 1999 (loi n° 98-1194 du
chute du brevet dans le domaine public, ministration. Notons qu’une spécialité ne 23 décembre 1998). L’article L 512-3 du
une fois écoulée la période légale de pro- peut figurer au répertoire en tant que spé- CSP, qui en découle, réaffirme le principe
tection. Peuvent être considérés comme cialité de référence qu’à une double con- de base selon lequel un pharmacien ne
génériques aussi bien des médicaments dition : d’une part, bénéficier d’une auto- peut délivrer un médicament ou produit
vendus sous nom de marque ou appel- risation de mise sur le marché obtenue autre que celui qui a été prescrit qu’avec
lation de fantaisie que des médicaments grâce à un dossier pharmaceutique, l’accord exprès et préalable du
sous dénomination commune internatio- toxicologique et clinique complet, d’autre prescripteur, sauf si l’on se trouve en si-
nale du ou des principes actifs qu’ils ren- part être ou avoir été commercialisée en tuation d’urgence et que l’intérêt du pa-
ferment, dénomination qui doit être as- France. En outre, les médicaments essen- tient le commande. Mais il tempère ce
sortie d’une marque ou du nom du tiellement similaires qui bénéficiaient déjà principe de façon immédiate puisqu’il
fabricant ». d’une autorisation de mise sur le marché, ajoute que le pharmacien peut délivrer
L’ordonnance n° 96-345 du 24 avril obtenue dans certaines des conditions par substitution à la spécialité prescrite
1996, relative à la maîtrise médicalisée prévues à l’article R 5133 du CSP, moins une spécialité du même groupe généri-
des dépenses de soin a introduit, dans de dix ans après la délivrance de l’auto- que à condition que le prescripteur n’ait
le Code de la santé publique (CSP), un risation de mise sur le marché de la spé- pas exclu cette possibilité, pour des rai-
article L 601-6 afin de favoriser l’essor cialité de référence originale, peuvent sons particulières tenant au patient. Le
de ce type de produits. La spécialité gé- figurer dans le répertoire de l’Agence droit de substitution peut s’exercer, au sein
nérique d’une spécialité de référence y comme spécialité de référence : leur dos- d’un même groupe générique, entre la spé-
est définie comme celle qui a la même sier pharmaceutique doit être identique cialité de référence et une spécialité
composition qualitative et quantitative en à celui de la spécialité de référence ori- générique ainsi qu’entre deux spécialités
principes actifs, la même forme pharma- ginale et le titulaire de leur AMM doit génériques. Lorsque le pharmacien d’of-
ceutique et dont la bioéquivalence avec mettre les autres parties du dossier en ficine délivre une spécialité figurant sur
la spécialité de référence peut être dé- conformité avec celles du dossier d’AMM la liste des médicaments remboursables
montrée par des études appropriées de de la spécialité de référence originale. autre que celle qui a été prescrite, il doit
biodisponibilité. Les différentes formes Le demandeur n’est pas tenu de fournir s’assurer que la substitution ainsi réali-
pharmaceutiques à libération immédiate les résultats des essais pharmacologiques sée n’entraîne pas, pour l’assurance ma-
sont considérées comme une seule et et toxicologiques ni les résultats des essais ladie, de dépense supplémentaire supé-
même forme pharmaceutique. cliniques s’il peut démontrer que la spé- rieure à un certain montant ou
Le décret n° 97-221 du 13 mars 1997 cialité pharmaceutique est essentiellement pourcentage déterminé par arrêté. En cas
précise les notions de biodisponibilité et similaire à une spécialité autorisée et que d’inobservation de cette condition, le phar-
de bioéquivalence entrant dans la défi- la personne responsable de la mise sur macien doit reverser à l’organisme de prise
nition du médicament générique ainsi que le marché de la spécialité originale a en charge une somme correspondant à
les critères, notamment scientifiques, jus- consenti qu’il soit fait recours en vue de la dépense supplémentaire, somme qui
tifiant, le cas échéant, une exonération l’examen de la demande à la documen- ne peut être inférieure à un montant for-
des études de biodisponibilité chez tation pharmacologique, toxicologique ou faitaire.
l’homme (article R 5143-9 du CSP). clinique figurant au dossier de la spécialité Le pharmacien qui fait application de son
Ce même décret introduit un nouvel ar- originale (article R 5133, c-1). droit de substitution doit reporter sur l’or-
ticle R 5143-8 selon lequel l’identifica- La dénomination d’un médicament peut donnance le nom du produit qu’il a dé-
tion de ces spécialités génériques donne être soit un nom de fantaisie, soit une dé- livré et doit, en outre, y apposer le tim-
lieu à une décision du directeur général nomination commune ou scientifique as- bre de son officine et la date de délivrance.
de l’Agence française de sécurité sani- sortie d’un nom de marque ou du nom Le prescripteur conserve la possibilité
Dominique taire des produits de santé, prise après du fabricant. Le nom de fantaisie ne peut d’interdire toute substitution en portant
Bégué que la commission d’AMM ait donné son se confondre avec la dénomination com- sur l’ordonnance, de manière manuscrite,
Professeur avis. Les spécialités sont alors inscrites mune. Pour être remboursé, un suffixe la mention expresse « Non substituable ».
de droit et au répertoire des génériques. Celui-ci les « Gé » doit figurer sur le conditionnement Cette mention doit figurer avant même
d’économie présente, ainsi que leur spécialité de (étiquette, notice, publicité) de ces spé- la dénomination de la spécialité pres-
pharmaceutique, référence, par groupe générique et indi- cialités génériques. crite.
Université Paris V

26 adsp n° 27 juin 1999


Système du médicament

suite de la page 25
Après l’AMM, le prix du médicament est fixé par un
Une particularité de l’Agence européenne est qu’elle comité économique qui tient compte de l’avis techni-
met à disposition (sur demande de toute personne que de la Commission de transparence. Cette dernière
intéressée) le rapport d’évaluation du médicament établi évalue de façon comparative les différents médicaments
par le comité des spécialités pharmaceutiques, avec et stratégies thérapeutiques et doit promouvoir le bon
les motifs de son avis favorable à la délivrance et après usage du médicament et éviter les dépenses injusti-
suppression de toute information présentant un caractère fiées pour l’assurance maladie.
de confidentialité commerciale ( Epar : European public Elle remplit, en effet, quatre missions principales :
assessment report ). l donner son avis quant à l’inscription d’un produit
L’histoire nous enseigne que la législation progresse sur la liste des médicaments remboursables aux as-
très souvent à la faveur des crises. Celles qui ont bou- surés sociaux et ou aux collectivités ;
leversé le domaine de la santé durant ces deux der- l fixer le taux de remboursement pour chacun des
nières décennies ont permis de mettre en place un médicaments inscrits ;
système de sécurité sanitaire agissant à trois niveaux, l agir en faveur du bon usage du médicament et
celui du contrôle des produits, celui de l’évaluation des établir des recommandations à propos des condition-
actes thérapeutiques et celui de la veille sanitaire. Le nements ;
médicament n’échappe pas à ce système. l éviter les dépenses injustifiées pour l’assurance
maladie.
La commission de transparence doit réaliser une
évaluation rigoureuse des médicaments fondée sur :
l la quantification du progrès thérapeutique réalisé ;
La transparence l l’appréciation de l’intérêt thérapeutique ;
l l’évaluation des bénéfices thérapeutiques pour la
collectivité en termes de santé publique.
L’appréciation du rapport efficacité/tolérance d’un C’est ainsi que la commission a retenu cinq niveaux
médicament pour l’obtention d’une AMM ne constitue d’amélioration du service médical rendu (ASMR) :
qu’une étape dans le développement d’un médicament. l les innovations majeures, à l’origine d’un progrès
Des études cliniques ultérieures doivent permettre une thérapeutique indiscutable ;
meilleure connaissance de son utilité pour le malade l l’amélioration significative du service médical rendu
et pour la société. par rapport aux traitements existants ;
suite page 29

Commission de transparence
l Concevoir et rédiger les fiches de trans-
L a Commission de transparence est
composée de 14 membres :
l 5 membres de droit (directeur général
cription et de réinscription des spé-
cialités sur la liste des médicaments
remboursables, la rédaction des avis,
parence, destinées à fournir au
prescripteur des données médico-éco-
de la Santé, directeur de la Sécurité de conduire la réévaluation des clas- nomiques comparatives.
sociale, directeur général de l’Afssaps, ses et de rédiger les fiches de trans- l Conduire la réévaluation du service
un représentant de l’ordre des pharma- parence. médical rendu pour les spécialités rem-
ciens et de l’ordre des médecins), boursables.
l 3 représentants des organismes na- Missions La Commission de transparence peut être
tionaux d’assurance maladie, l Donner un avis au ministre des Affaires saisie par le(s) ministre(s) de la Santé
l 5 personnalités qualifiées choisies en sociales sur l’inscription d’une nouvelle ou des Affaires sociales et le directeur
fonction de leur compétence médicale, spécialité sur la liste des médicaments général de l’Afssaps.
méthodologique ou scientifique, remboursables et le taux de rembourse-
l 1 représentant du Syndicat national ment ainsi que sur la réinscription trien- Publications de la commission de
de l’industrie pharmaceutique. nale. la transparence
l Évaluer le niveau d’amélioration du L’ensemble des avis de la Commission
Organisation service médical rendu par une nouvelle des spécialités inscrites sur la liste des
Le secrétariat de la Commission de spécialité en comparaison avec les spé- médicaments remboursables est publié
transparence est assuré par la di- cialités disponibles. au Boss après publication au Journal of-
rection des études et de l’informa- l Vérifier l’adéquation des conditions ficiel de l’arrêté d’inscription. Les fiches
Corinne Blachiez tion pharmaco-économiques de réelles d’utilisation avec les recomman- de transparence sont actualisées et dif-
Chargée l’Afssaps et a pour mission de coor- dations établies par la commission lors fusées aux praticiens libéraux, publiées
de mission, donner l’expertise des dossiers d’ins- de l’inscription initiale. annuellement.
Afssaps

adsp n° 27 juin 1999 27


Médicament et santé publique

Médicaments orphelins

L es médicaments orphelins forment un


ensemble très hétérogène, composé de
deux sous-classes :
Ce texte accorde également un certain nombre
d’avantages aux éventuels sponsors intéressés
par ces médicaments. En particulier, ils peu-
les conditions normales d’emploi parce que :
les indications prévues pour les produits en
cause se présentent si rarement que le de-
l la première correspond à des produits qui vent revendiquer, pour le médicament en mandeur ne peut être raisonnablement tenu
ont une réalité certaine car ils ont déjà été question, un statut d’Orphan Drug, dans une de fournir les renseignements complets ou
découverts. Leur potentiel thérapeutique, quoi- indication donnée, ce qui leur permet de bé- l’état d’avancement de la science ne permet
que inégal selon les pathologies auxquelles néficier : pas de donner les renseignements complets
ils s’adressent, ne fait aucun doute. Mais leur l d’un crédit d’impôts de 50 % sur le coût ou des principes de déontologie médicale,
existence n’est que virtuelle et leur dévelop- des essais cliniques réalisés aux États-Unis communément admis, interdisent de recueillir
pement, même s’il a été initié par l’organisme et éventuellement d’un financement pour leur ces renseignements,
de recherche ou le laboratoire pharmaceu- prise en charge. L’AMM peut être délivré avec les réserves sui-
tique qui les a conçus, a dû être arrêté, et l d’une exclusivité commerciale de 7 ans, vantes :
ce, pour des raisons purement économiques. à compter de la mise sur le marché si, tou- – le demandeur doit mener à son terme un
Les affections qu’ils ont vocation à traiter se tefois, le produit n’est pas brevetable, programme d’essai défini dans le délai fixé
caractérisent, en effet, par une faible l d’une procédure plus rapide d’inscription par l’autorité compétente dont les résultats
prévalence ce qui dans un monde où le marché à la Food and drug administration (FDA), qui serviront à une réévaluation du rapport bé-
impose ses lois, obère fortement leur renta- fournit également une assistance technique néfice/risque,
bilité. Pourtant, les pathologies dont ils re- par le biais de recommandations écrites qui – le médicament en question ne doit pouvoir
lèvent sont plus souvent lourdes et facilitent l’enregistrement. être délivré que sur prescription médicale et,
invalidantes : maladie de Wilson, Gaucher, L’Orphan drug act a, par la suite, fait l’objet le cas échéant, son administration ne peut
de Charcot… Les besoins sont immenses mais de plusieurs amendements visant, en parti- être autorisée que sous contrôle médical strict
ne peuvent être satisfaits, eu égard à l’énorme culier, à empêcher que certains laboratoires éventuellement en milieu hospitalier, et pour
décalage qui se manifeste entre les sommes ne tirent un avantage abusif de l’exclusivité un médicament radiopharmaceutique, par une
à allouer à la recherche ou au développement commerciale qui leur était octroyée (public personne autorisée,
de ce type de produits et les maigres profits law L 99-91). – la notice et toute information médicale doi-
qu’ils sont susceptibles de générer en retour. Cette loi a connu un succès certain et a permis vent attirer l’attention du médecin sur le fait
l la seconde est constituée par des médi- l’accès des malades à des molécules de grand que, sous certains aspects nommément dé-
caments actifs sur des maladies tropicales intérêt telles que l’érythropoïétine et le signés, il n’existe pas encore suffisamment
ou parasitaires très répandues. Ils touchent ganciclovir, ou la méflaquine… de renseignements sur le médicament en
donc une très large population. Mais, détail question. »
non négligeable, les malades qui en souffrent, Au Japon On voit bien que cette directive esquisse la
sont presque exclusivement des ressortissants S’inspirant de l’exemple américain, le Japon, notion de médicament orphelin. Elle ne saurait
de pays pauvres ou en voie de développe- à son tour, en 1993, adoptait une législation cependant prétendre à donner une définition
ment. Réputés peu solvables, ils n’intéressent similaire, prévoyant, entre autre, un examen ou un statut à ces produits. La France a in-
que médiocrement les industriels de la santé. accéléré du dossier d’enregistrement, une pé- tégré les dispositions communautaires dans
L’on se trouve, dans les deux cas, devant une riode d’exclusivité commerciale de 10 ans et sa législation interne, notamment dans les ar-
situation intolérable qui peut être résumée par des mesures de soutien aux sponsors éven- ticles L 601 et L 602 du Code de la santé pu-
le constat suivant, assez dramatique : puis- tuels. La condition préalable pour qu’un mé- blique (autorisation temporaire d’utilisation).
qu’on n’attend aucun profit en retour, il n’y dicament puisse bénéficier du statut de mé- Pour remédier au vide juridique européen, il
a ni recherche ni développement possible. dicament orphelin est qu’il traite une maladie semble que l’on s’oriente dorénavant, vers la
affectant moins de 50 000 personnes dans voie du règlement, a priori plus rapide que la
Aux États-Unis le pays. directive. Les critères qui ont été retenus,
La mobilisation de groupes de pression très semble-t-il, pour désigner un médicament or-
actifs et influents, comme, par exemple, la En Europe phelin ne brillent pas par leur souplesse. Sauf
National organisation for rare disorders (Nord) Une directive 91/507/CEE permet que, dans si la maladie touche moins de 50 000 person-
a porté ses fruits. Un texte de loi, l’Orphan certains cas exceptionnels, le demandeur nes dans l’Union européenne, il faudra que deux
Drug Act a été voté, le 4 janvier 1983. d’une autorisation de mise sur le marché conditions soient remplies simultanément :
Les médicaments orphelins y sont définis puisse ne pas devoir fournir la totalité des in- rareté de la maladie et absence de rentabilité
Dominique comme des médicaments destinés au trai- formations requises dans un dossier d’enre- du médicament. L’exclusivité commerciale serait
Bégué tement de maladies touchant moins d’un gistrement : de 6 ans. Enfin, les produits bénéficiant déjà
Professeur américain sur 1 000. Des dérogations sont « lorsque pour certaines actions thérapeuti- du statut de médicament orphelin aux États-
de droit et pourtant envisageables pour une prévalence ques, le demandeur peut démontrer qu’il n’est Unis ou au Japon ne pourraient en bénéficier
d’économie supérieure s’il semble qu’il n’y a aucun es- pas en mesure de fournir les renseignements en Europe, ce qui témoigne d’une certaine mé-
pharmaceutique, poir de retour sur investissement. complets sur l’efficacité et l’innocuité dans fiance quant au comportement des industriels.
Université Paris V

28 adsp n° 27 juin 1999


Système du médicament

suite de la page 27

l l’amélioration modeste ;
l l’amélioration mineure en termes d’observance ou Publicité et
d’avantages potentiels (pertinence du dosage, forme
galénique adaptée, etc) ;
l l’absence d’amélioration mais avec un avis favo-
médicament
rable donné par la commission parce que la prescrip- Un médicament n’est pas un produit comme les autres, Patricia Siwek
tion de ce médicament va permettre une diminution des des règles particulières régissent sa publicité de façon
HCSP
coûts pour l’assurance maladie ou avec un avis défa- à garantir son bon usage. On entend par publicité pour
vorable dans le cas contraire. les médicaments à usage humain toute forme d’infor-
L’intérêt thérapeutique est fonction de la nature de mation, y compris le démarchage, de prospection ou
l’affection et du niveau d’efficacité du médicament. À d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la
partir de là, la commission pourra donner son avis sur délivrance, la vente ou la consommation de ces médi-
le taux de remboursement qui sera : caments.
l de 100 % pour les affections graves et invalidantes La publicité pour les médicaments à l’attention du
et pour certains médicaments (anticancéreux…) ; grand public fut interdite en 1941. Elle est autorisée
l 70 % pour les médicaments d’efficacité reconnue auprès du corps médical après obtention d’un visa
s’adressant à des pathologies graves ; administratif depuis 1963. Celle-ci se développera avec
l 40 % pour les médicaments ayant une certaine utilité la presse médicale et un code d’éthique pour la publi-
dans le traitement symptomatique d’affections sans cité sera élaboré. Enfin c’est au cours des années quatre-
caractère de gravité. vingt-dix que la publicité pour le grand public est auto-
Les médicaments innovants sont parfois uniquement risée pour certains types de médicaments.
réservés aux collectivités et nécessitent la mise en L’article L 551 du Code de la santé publique régle-
place de circuits particuliers de distribution avec contrôle mente la publicité pour les médicaments : celle-ci ne
et régulation de la prescription. Ces mesures permettent doit pas être trompeuse, ni porter atteinte à la protec-
d’évaluer les avantages thérapeutiques réels du tion de la santé publique. Elle doit présenter le médi-
nouveau médicament dans le cadre strict des indica- cament ou produit de façon objective et favoriser son
tions de l’AMM. Lorsque ces médicaments ne sont pas bon usage. Elle doit respecter les dispositions de mise
réservés aux hôpitaux, des mécanismes de régulation sur le marché.
sont mis en place par l’assurance maladie (entente Seuls les médicaments ayant obtenu une autorisa-
préalable…). tion de mise sur le marché peuvent faire l’objet d’une
Pour les médicaments de moindre intérêt thérapeu- publicité. La publicité grand public (par voie de presse,
tique, des mécanismes régulateurs économiques sont radio, affiches, présentoirs, vitrine) est précédée d’un
mis en place comme le contrôle des prix et des quan- contrôle a priori de l’autorité administrative, tandis que
tités, l’enveloppe globale ou la dissociation du prix de la publicité auprès du corps médical bénéficie d’un
vente et de remboursement. contrôle a posteriori.
Enfin, pour prendre en compte les avantages pour
la collectivité, il est nécessaire de réaliser des études La publicité auprès du grand public
économiques afin de mieux préciser les rapports coût/ La publicité auprès du grand public pour un médicament
efficacité et coût/utilité des médicaments et des stra- est soumise à une autorisation préalable de l’Agence
tégies thérapeutiques. Ces études d’évaluation écono- française de sécurité sanitaire des produits de santé :
mique sont difficiles et posent le problème des choix le visa de publicité. Elle utilise généralement les ma-
méthodologiques et des instruments d’évaluation ainsi gazines de santé et la télévision.
que celui de la monétarisation des avantages. Il fau- La publicité pour le grand public n’est admise qu’à
drait là encore pouvoir disposer de plus d’études épi- la condition que ce médicament ne soit pas soumis à
démiologiques et d’études réalisées sur les populations prescription médicale, qu’il ne soit pas remboursable
les plus proches de celles qui doivent recevoir le trai- par l’assurance maladie et que l’autorisation de mise
tement avec des critères les plus pragmatiques pos- sur le marché ou l’enregistrement ne comporte pas de
sibles. restriction en matière de publicité en raison d’un ris-
Ainsi, la connaissance du médicament juste après que possible pour la santé publique.
l’octroi de l’AMM est encore imparfaite au plan de son Quand elle est autorisée, cette publicité doit être
utilité et du progrès thérapeutique apporté. Or le tra- accompagnée d’un message de prudence et renvoyer
vail de la Commission de transparence se situe à ce au médecin en cas de persistance des symptômes.
niveau. Elle devrait pouvoir bénéficier des progrès de Le décret n° 96-531 du 14 juin 1996 précise les
la pharmaco-épidémiologie et des études réalisées formes que la publicité ne doit pas emprunter, par
après l’AMM qui lui permettront de mieux quantifier exemple la publicité ne doit pas suggérer que l’effet
le bénéfice thérapeutique qui sera à confronter aux du médicament est assuré ou qu’il est sans effets
coûts. indésirables.

adsp n° 27 juin 1999 29


Médicament et santé publique

La publicité auprès des professionnels puisqu’en 1996 seulement 3 % des dossiers déposés
La publicité pour un médicament auprès des profession- à la Commission ont du être modifiés et 1 % des mes-
nels de santé doit faire l’objet dans les huit jours sui- sages proposés ont été interdits.
vant sa diffusion d’un dépôt auprès de l’Afssaps.
L’agence peut : Démarchage et prospection
l ordonner la suspension de la publicité ; Les laboratoires pharmaceutiques font connaître leurs
l exiger sa modification ; produits par l’intermédiaire de visiteurs médicaux. Ceux-
l interdire et éventuellement exiger la diffusion d’un ci doivent posséder des connaissances scientifiques
rectificatif. suffisantes (formations figurant sur une liste établie par
La législation sur la publicité est bien respectée l’autorité administrative). Des échantillons gratuits

Chiffres de l’autoconsommation en France et à l’étranger


L’autoconsommation de médicaments a fortement ces médicaments sont inscrits sur la liste des médicaments et qu’on ne peut donc
baissé : de près de la moitié des acquisitions en des produits remboursables. acquérir de médicaments ailleurs, à la dif-
1960 elle est passée à 10 % en 1991. l les médicaments hors liste ou en vente férence du marché anglo-saxon.
libre dont l’acquisition ne nécessite pas
une prescription. Ils constituent l’automé- Quelle est la part de marché de
Qu’appelle-t-on automédication ? dication potentielle et représentent 48 % l’automédication ?
Au sens le plus large, l’automédication des ventes en volume et 33 % des ven- Pour observer l’automédication réelle il
consiste à faire devant la perception d’un tes en dépense. Dans ce groupe on ob- faut interroger le consommateur sur ses
trouble de santé, un autodiagnostic et à serve deux situations : acquisitions de médicament sans ordon-
se traiter sans un avis médical ; la déci- – les médicaments peuvent être prescrits nance ou saisir l’information au moment
sion thérapeutique peut être médicamen- et s’ils sont inscrits sur la liste des pro- de la vente au consommateur, l’informa-
teuse ou autre (un grog en cas de symp- duits remboursables, ils donnent lieu à tion doit être enregistrée à l’officine.
tôme grippal). Cette pratique est extrê- remboursement ; Dès 1960 l’Insee, en collaboration avec
mement fréquente : le malade analyse ses – les médicaments sont acquis sans or- le Credoc, a mis sur pied une enquête sur
symptômes, leur intensité, leur durée et donnance. C’est l’automédication réelle la santé et les soins médicaux réalisée
décide en première intention de ne pas qui ne donne pas lieu à remboursement auprès des ménages. Cette enquête a été
consulter un médecin, mais soit d’utili- puisqu’il n’y a pas eu prescription. renouvelée en 1970, 1980 et 1991 et
ser un médicament dont il dispose dans De cette description on retient que l’auto- pour cette dernière la collaboration s’est
sa pharmacie familiale, soit d’acquérir un médication « réelle » est un sous-ensem- faite avec le Credes. Ces enquêtes ont
médicament sans ordonnance. À un sens ble de l’automédication « potentielle » et pour objet d’observer la consommation
plus restreint, c’est ce mode de traite- qu’il existe donc une marge d’accroisse- de soins, de façon très fine, et de relier
ment : l’acquisition d’un produit sans ment de l’automédication. cette consommation aux critères démo-
ordonnance. La notion de « médication familiale » re- graphiques, socio-économiques et mor-
Trop souvent, en raison d’intérêts divers, groupe l’ensemble des spécialités non bides des consommateurs de soins.
l’automédication est assimilée, confon- remboursables pouvant être acquises sans Si ces enquêtes ne sont pas de très bons
due à des notions non strictement iden- ordonnance. outils d’observation quant au niveau de
tiques, telles que la médication familiale, La pharmacie non remboursable est un la consommation, leurs résultats demeu-
la pharmacie non remboursable, l’OTC… ensemble de produits non pris en charge rent très intéressants quant à l’évolution
Cette confusion nous impose de définir par l’assurance maladie et dont les prix dans le temps, en particulier, de l’auto-
chacun de ces termes après avoir rap- sont libres ; quelques-uns ne peuvent être consommation. On peut, en effet, faire
pelé les différentes situations du médi- délivrés que sur ordonnance. l’hypothèse que le taux d’oubli de décla-
cament au regard des règles du mode La notion d’OTC (over the counter : au- ration varie peu ou pas dans le temps.
Thérèse Lecomte d’acquisition et du remboursement. delà du comptoir) ne correspond à aucune Depuis mai 1996, la société Information
Directeur de Dans le grand ensemble des médicaments réalité en France puisque la vente au con- médicale et statistique (IMS) a mis au
recherche au ayant obtenu de l’Afssaps une autorisation sommateur dans l’officine passe obliga- point un outil d’observation auprès d’un
de mise sur le marché (AMM) on distin- toirement par l’intermédiaire d’un phar- panel de 400 officines : recueil au mo-
Centre de
gue deux groupes : macien. Le consommateur n’y a pas accès ment de la vente de variables caractéri-
recherche, l les médicaments sur liste ou éthiques librement au médicament. L’emploi du sant les produits, dont la présence ou non
d’étude et de qui ne peuvent être acquis qu’avec une terme OTC est donc abusif pour le mé- d’une ordonnance. Avec cet outil d’ob-
documentation ordonnance. Ils constituent 52 % des ven- dicament français. servation IMS évalue l’automédication à
en économie de tes en volume et 67 % des ventes en dé- Rappelons que les officines de pharmacie 10,4 % des dépenses du marché total des
la santé, pense. La plupart, mais non la totalité de détiennent le monopole de la distribution médicaments (figure 1).
(Credes)

30 adsp n° 27 juin 1999


Système du médicament

peuvent être remis aux personnes habilitées à prescrire, CD-Rom, cassettes,…) peuvent être remises aux pro-
l’octroi de ces échantillons est réglementé par le dé- fessionnels. Dans tous les cas un résumé des carac-
cret n° 99-144 du 4 mars 1999. téristiques du médicament reprenant les mentions de
Conjointement à l’information émanant du laboratoire, l’AMM doit figurer.
le visiteur médical doit remettre en mains propres aux La commission chargée du contrôle de la publicité
prescripteurs le dernier avis de la Commission de trans- et de la diffusion de recommandations sur le bon usage
parence (cette commission devant noter de 1 à 6 le des médicaments siège auprès de l’Afssaps. Elle est
médicament en fonction de son degré d’innovation, de composée de membres de droit et de membres nom-
son efficacité et de ses effets secondaires). més pour une période de trois ans renouvelable. Elle
Des informations sur différents supports (plaquettes, peut se faire assister par des experts.

L’automédication occupe donc une place figure 1


restreinte sur le marché total du médi- Données en valeur et en pourcentage de l’automédication dans le marché
cament ; à titre de comparaison, les pro- total du médicament en 1996
duits achetés sans ordonnance représen- Prescrits
tent, en 1996, 21 % des ventes en 29,6 milliards de F
22,9 %*
Grande-Bretagne et 16 % en Allemagne. Médicaments Médicaments
à prescription hors liste
Quel avenir pour l’automédication ? Marché total du médicament obligatoire 43 milliards de F
129 milliards de F 86 milliards de F 33,3 %
Un constat s’impose : l’automédication 66,6 %
100,0 % Non prescrits ou automédication
qui représentait près de la moitié des 13,4 milliards de F
acquisitions en 1960 s’est effondrée en 10,4 %*
Source :
30 ans (figure 2). Le « consommateur- IMS,
malade » a adopté l’habitude d’avoir re- *Pharma
trend
cours facilement au médecin et d’obte- (observa-
nir une ordonnance, condition nécessaire tion)
pour que le médicament remboursable
soit remboursé. En effet au cours de ces
figure 2
trente dernières années, le recours au mé-
decin a été facilité par l’augmentation de
Évolution de la prescription et de l’autoconsommation de 1960 à 1991 en
la densité médicale et par la généralisation nombre d’acquisitions* par personne et par an
de l’assurance maladie à l’ensemble de Nombre d’acquisitions
la population. Le nombre de séances de 20
médecins par personne et par an est
Acquisition avec ordonnance
passé de 3,7 en 1970 à 6,5 en 1991. 15

Alors la tendance peut-elle se


retourner ? 10
Plusieurs facteurs peuvent intervenir pour
redresser le poids de l’automédication :
5
l les dispositions de maîtrise de dépen-
ses, contenues dans la loi d’avril 1996 Acquisition sans ordonnance
et concernant la pratique libérale, inci- 0
tent les médecins à modérer leur pres- 1960 1970 1980 1991
cription et particulièrement les médica- Source :
enquêtes * L’unité « acquisition » correspond à l’acquisition d’un produit dans une présentation déterminée, un jour
ments hors liste ; Insee- donné, pour une même personne, dans une même officine, quel que soit le nombre de conditionnements acquis.
l le développement par les industriels, Credoc
de médicaments hors liste avec autori-
sation de publicité auprès du public (visa cela existe dans les pays voisins de la des pharmaciens, le retour à un niveau
grand public) ; France et membres de l’Union euro- supérieur de l’automédication ne va pas
l une modification de la réglementation péenne. se faire brutalement ; il s’agit d’une mo-
de distribution de médicaments par la De toute façon, quelque soit le compor- dification de comportement du consom-
suppression du monopole officinal comme tement des médecins, des industriels ou mateur demandant des années.

adsp n° 27 juin 1999 31


Médicament et santé publique

La pharmacovigilance recense et étudie les effets indésirables


inattendus des médicaments après leur commercialisation. Elle

La pharmacovigilance
tente d’établir des liens de causalité entre prise de médicament
et effets secondaires. Les méthodes de l’épidémiologie sont
utilisées à cette fin.

d’un nouveau médicament sont conçus essentiellement

Le système de la pour évaluer l’efficacité. Ils donnent également certaines


indications sur les effets indésirables (notamment doses-
dépendantes). Il est cependant peu probable que des
pharmacovigilance effets indésirables graves sont détectés à ce stade.
En effet, si un effet indésirable grave a une chance sur
dix mille d’apparaître, ce n’est pas lors d’études pré-
Joël Ankri Nos médicaments peuvent être efficaces. Ils peuvent AMM qu’il pourra être dépisté car le nombre des su-
Médecin, aussi être dangereux. Dangereux certes, parce que toxi- jets dans ces études sera au mieux de l’ordre du mil-
Université Paris V ques à des doses inusitées, dangereux parce que mal lier. Mais dès que le médicament est commercialisé,
utilisés ou tout simplement parce que leur efficacité ce sont des centaines de milliers de sujets qui vont le
s’accompagne presque toujours d’effets indésirables recevoir. Après commercialisation, une surveillance
ou inattendus. C’est souligner d’emblée la nécessité appropriée est donc nécessaire pour identifier ce type
de l’appréciation par le praticien du bénéfice/risque de d’effets et les groupes spécifiques de patients à ris-
chaque médicament. On a connu dans le passé des que. En ce qui concerne l’organisation, les premiers
affaires célèbres comme celle de la thalidomide ou du centres hospitaliers de pharmacovigilance ont été créés
distilbène qui ont mis un certain temps à être recon- en France vers le milieu des années soixante-dix. De-
nues. On a assisté depuis quelques années à des re- vant l’accroissement progressif de leur activité, ils ont
traits précoces du marché de certains produits effica- été reconnus officiellement en mai 1984 par la publi-
ces du fait d’apparitions d’effets indésirables intolérables. cation d’un décret stipulant que tous les prescripteurs
Cela conduit à nous demander si les prescripteurs sont sont tenus de signaler tous les effets inattendus ou
plus vigilants en ce qui concerne les effets des nou- toxiques des médicaments à leur centre régional de
veaux médicaments ? Ou l’organisation de la pharmacovigilance.
pharmacovigilance en France s’est-elle mieux établie ? Trente et un centres régionaux existent actuellement.
On pourrait également se demander si les anciens Ceux-ci sont financés conjointement par le ministère de
médicaments sont surveillés de la même façon. Ne dit- la Santé, par les hôpitaux qui les abritent et par le ministère
on pas que si l’aspirine devait être commercialisée en de l’Éducation nationale. Ils ont une triple fonction :
1999, elle ne passerait pas les barrières administra- l recueillir les données sur les événements indési-
tives actuelles ou elle serait rapidement retirée du rables ou toxiques des médicaments qui doivent leur
commerce ? Alors qu’est-ce que la pharmacovigilance, être communiqués par les établissements publics de
quelles sont ses règles et ses difficultés, peut-on imaginer santé ou les autres établissements hospitaliers, les
mieux ? médecins, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes,
les sages-femmes et les infirmiers ;
Pourquoi une pharmacovigilance ? l informer la communauté médicale de ces événe-
On pourrait croire que comme les médicaments sont ments ainsi que des autres problèmes liés au médi-
étudiés avant leur commercialisation, seuls des pro- cament, effectuer des recherches dans ce domaine et
duits de toute sécurité sont mis sur le marché. Or, les conduire des enquêtes et travaux demandés par l’Agence
essais cliniques qui ont lieu avant commercialisation ou le ministre ;

32 adsp n° 27 juin 1999


La pharmacovigilance

l de contribuer au progrès scientifique des métho- L’imputabilité


des de pharmacovigilance et de la connaissance des Il n’est pas simple de réaliser une imputabilité conve-
mécanismes des effets inattendus ou toxiques des mé- nable, c’est-à-dire une évaluation de la relation causale
dicaments. entre un effet et un médicament. Des règles d’impu-
Les moyens de communication entre eux se sont tabilité « à la française » ont été établies. Imputer un
améliorés au fil des années. Il convient de remarquer effet dépisté à un médicament dépend également du
l’étendue des missions de ces centres qui sont deve- mode de recueil de l’information qui peut constituer un
nus des interlocuteurs directs des professionnels de des facteurs limitant. Il est également souvent difficile
santé de la région. de définir la fréquence de l’effet secondaire observé
Une commission nationale de pharmacovigilance compte tenu de la méconnaissance du dénominateur
coordonne, rassemble et exploite les informations re- que constitue la population exposée. Il faudrait donc
cueillies par les centres régionaux, propose des en- développer davantage les études de pharmaco-épidé-
quêtes, émet des avis et suggère des décisions au miologie ou des modèles biologiques explicatifs. Ceci
directeur de l’Agence et donc au ministre de tutelle. nécessite des moyens accrus tant financiers qu’en per-
Ses travaux sont préparés par un comité technique sonnels compétents.
qui comprend un représentant de chacun des centres Ainsi la France a construit un système original dont
régionaux et cinq membres de la commission natio- elle a su tirer le meilleur parti mais aucun système tant
nale. en France qu’à l’étranger n’a donné totale satisfaction.
Parallèlement, l’industrie pharmaceutique a évolué.
Obligation a été faite aux fabricants de transmettre au
ministère les observations qui leur sont rapportées
semestriellement ou annuellement. Dans la plupart des
laboratoires, un responsable de la pharmacovigilance
a été désigné. C’est lui qui est chargé de renseigner
L’apport
les médecins qui téléphonent. Une collaboration effi-
cace entre système officiel et privé s’est ainsi déve-
loppée. Pour gérer l’ensemble des données, une ban-
de la pharmaco-
que nationale de données a été établie et permet de
répondre aux questions des centres régionaux et de épidémiologie
l’Agence.
Ce système national participe au système européen Tout médicament actif (c’est-à-dire entraînant au moins Bernard Bégaud
qui coordonne les diverses pharmacovigilances des États une modification biologique ou clinique, pouvant être Professeur en
membres et du centre collaborateur OMS de pharmaco- à l’origine d’un effet thérapeutique) est susceptible pharmacologie,
vigilance internationale. d’induire un (ou plusieurs) effet(s) indésirable(s). Université Victor
En pratique, deux problèmes se posent à notre avis Ceux-ci sont classiquement divisés en :
Segalen, CHU de
en matière de fonctionnement de la pharmacovigilance : l effets indésirables attendus, expression d’une pro-
Bordeaux
le recueil des données, l’imputabilité des effets secon- priété pharmacologique du principe actif (qu’il s’agisse
daires. de l’effet principal ou d’un effet secondaire),
l effets indésirables inattendus qui ne sont, à la dif-
Le recueil des données férence des précédents, susceptibles de ne se mani-
Il est basé essentiellement sur la notification sponta- fester que chez certains sujets porteurs d’une particu-
née. Même si depuis 1984, il existe une obligation de larité (phénotype enzymatique atypique, maladie
la part des praticiens de signaler les effets secondai- congénitale ou acquise, traitement associé, etc.).
res des médicaments au même titre que certaines Les premiers, généralement dose-dépendants, sont
maladies infectieuses, ce recueil d’informations n’est observables chez une proportion non négligeable de la
pas très bien réalisé. Les médecins, s’ils sont concernés population traitée (0,5 à 30,0 %) ; les seconds peuvent
par les effets secondaires des produits, sont peu en- être extrêmement rares puisque leur survenue exige la
clins à « faire monter » les informations, peut-être parce rencontre d’un médicament administré dans des con-
qu’ils ne perçoivent pas précisément l’importance de ditions données, et d’un organisme présentant, à ce
cette vigilance ou parce qu’ils considèrent qu’il s’agit moment là, une particularité conditionnant le risque.
d’une paperasserie et d’une tracasserie supplémentaire. Une autre différence fondamentale est que les effets
On retrouve ce manque d’empressement chez de nom- attendus, du fait de leur fréquence d’apparition, ont de
breux praticiens qu’ils soient hospitaliers ou de ville bonnes chances d’être identifiés au cours des essais
et ce phénomène n’est pas que français. Un bon re- cliniques menés en vue de l’autorisation de mise sur
tour de l’information et une bonne coordination avec le marché, ce qui est loin d’être le cas pour les seconds.
le centre régional peut garantir un meilleur résultat. On Ainsi, un essai incluant 1 000 personnes traitées (et
assiste depuis quelques années à de gros efforts faits correctement suivies) garantit une probabilité de 90 %
de la part de ces centres. d’observer au moins 7 cas d’un effet se produisant une

adsp n° 27 juin 1999 33


Médicament et santé publique

fois sur 100 traitements alors que cette probabilité tombe des conditions d’utilisation que constitue la mise sur le
à 9,5 % pour un seul cas d’un effet de fréquence d’ap- marché d’un nouveau médicament. La « sécurité » jugée
parition de 1 pour 10 000 (soit plus de 90 chances sur lors de l’AMM est, de ce point de vue, un prédicteur idéa-
100 de ne rien observer avant mise sur le marché). D’un liste puisque ni les caractéristiques des patients traités,
point de vue sécurité sanitaire un effet, même très rare, ni les conditions d’utilisation du médicament (dose, rythme,
peut cependant constituer un problème crucial si : durée, associations, etc.) ne seront, sur le terrain, su-
l sa gravité est élevée, perposables au cadre d’évaluation de l’essai clinique.
l le nombre d’utilisateurs est grand, Ainsi, un effet temps-dépendant peut avoir une fré-
l l’apport thérapeutique du médicament n’est pas quence de survenue de 1 pour 10 000 traitements d’une
majeur. durée de 3 mois et de 1 pour 1 000 si cette durée est
Ceci est souvent aggravé par le changement radical portée à 6 mois. Sur cette base, un développement

Les pouvoirs de police sanitaire de l’Afssaps

L’ Afssaps assure, outre ses


autres fonctions, la mise en
œuvre des systèmes de vigilance
cas de danger grave ou de suspicion
de danger grave pour la santé humaine.
Elle peut aussi fixer des conditions par-
Chaque fabricant, importateur, trans-
porteur, distributeur en gros ou au détail
ayant acquis ou cédé des lots concer-
dans tous les domaines dont elle ticulières ou des restrictions pour l’uti- nés et ayant connaissance de la dé-
a la charge. lisation des produits concernés afin de cision est tenu d’en informer ceux qui
garantir leur sécurité sanitaire. lui ont fourni la marchandise, et ceux
Suppression ou restriction Sans préjudice des poursuites péna- à qui il l’a cédée.
d’usage les qui peuvent être exercées lorsqu’un Dans tous ces cas, les autorités sani-
Les pouvoirs de l’Afssaps sont claire- produit est mis sur le marché, mis en taires informent, si besoin est, l’opinion
ment codifiés par décret. Elle peut sus- service ou utilisé sans avoir obtenu publique par tous les moyens à leur dis-
pendre les essais, la fabrication, la pré- l’autorisation, l’enregistrement ou la cer- position, et notamment en diffusant des
paration, l’importation, l’exploitation, tification préalable exigé par les dis- messages sanitaires ou d’avis de rappel
l’exportation, la distribution en gros, le positions législatives ou réglementai- du produit.
conditionnement, la conservation, la res, applicables à ce produit, l’Agence
mise sur le marché à titre gracieux ou peut suspendre, jusqu’à la mise en con- Les peines encourues
onéreux, la détention en vue de la vente formité du produit, toutes ou chacune La poursuite d’activités ayant fait l’objet
ou de la distribution à titre gratuit, la des opérations énumérées ci-dessus. d’une des mesures de suspension ou
publicité, la mise en service, l’utilisa- Sauf en cas d’urgence, la personne phy- d’interdiction prévues ci-dessus peut
tion, la prescription, la délivrance ou sique ou morale concernée doit être être notamment pénalisée par deux ans
l’administration d’un produit rentrant mise à même de présenter ses obser- d’emprisonnement et 200 000 F
dans son champ d’action ou d’un pro- vations avant l’intervention des mesures d’amende.
duit non soumis à une autorisation ou prévues ci-dessus. Il en va de même en cas de non-res-
à un enregistrement préalable à sa mise pect des conditions particulières ou res-
sur le marché, sa mise en service ou Retrait, destruction, mise en trictions pour l’utilisation de produits
son utilisation, lorsque ce produit, soit garde ou en cas de non-exécution des me-
présente (ou est soupçonné de présen- L’Agence peut enjoindre la personne sures de retrait, de destruction du pro-
ter), dans les conditions normales d’em- physique ou morale responsable de la duit ou de diffusion de mises en garde
ploi ou dans des conditions raisonna- mise sur le marché, de la mise en ou de précautions d’emploi.
blement prévisibles, un danger pour la service ou de l’utilisation, de procéder L’Afssaps a été dotée de pouvoirs de
santé humaine, soit est mis sur le au retrait du produit en tout lieu où il police sanitaire particulièrement éten-
marché, mis en service ou utilisé en se trouve, à sa destruction lorsque celle- dus puisque le législateur a tenu à dis-
infraction aux dispositions législatives ci constitue le seul moyen de faire ces- tinguer les produits qui sont soumis à
ou réglementaires qui lui sont appli- ser le danger, et d’ordonner la diffu- un régime d’autorisation ou d’enregis-
cables. sion de mises en garde ou de trement préalable à leur mise sur le
La suspension est prononcée soit pour précautions d’emploi. Ces mesures sont marché (spécialités pharmaceutiques,
Dominique
une durée n’excédant pas un an en cas à la charge de cette personne. produits de thérapie génique et cellu-
Bégué
de danger ou de suspicion de danger, Le cas échéant, les mesures de sus- laire, produits antiparasitaires à usage
Professeur de soit jusqu’à la mise en conformité du pension, d’interdiction, de retrait ou de humain et « produits thérapeutiques an-
droit et d’écono- produit en cas d’infraction aux dispo- destruction du produit peuvent être cir- nexes ») de ceux qui n’y sont pas sou-
mie pharmaceuti- sitions législatives ou réglementaires. conscrites à certains lots de fabrica- mis (tous les produits autres que ceux
que, Université L’Agence peut interdire ces activités en tion uniquement. précédemment énumérés).
Paris V

34 adsp n° 27 juin 1999


La pharmacovigilance

clinique basé sur 1 000 patients traités 3 mois et 100 tuels effets indésirables jusque-là non connus, au moins
prolongés 6 mois, donne une probabilité cumulée de avec ce médicament,
19 % d’observer au moins un cas de cette manifesta- l quantifier le risque correspondant,
tion (soit 80 % de chances de ne rien voir) alors qu’une l tenter d’en comprendre le mécanisme pour envi-
utilisation à long terme, après mise sur le marché, par sager d’éventuelles mesures susceptibles d’améliorer
300 000 malades engendrera 300 cas ! la tolérance du médicament considéré,
Ces considérations justifient la nécessité absolue l mettre en œuvre ces mesures,
d’une surveillance de la sécurité des médicaments après l vérifier le caractère adapté et l’impact de ces me-
mise sur le marché. Cette pharmacovigilance a cinq sures.
objectifs principaux : Nous étudierons rapidement les problèmes métho-
l détecter, aussi précocement que possible, d’éven- dologiques rencontrés à chacune de ces étapes et l’ap-
port de la pharmaco-épidémiologie en ce domaine ; cette
dernière étant comprise comme l’application des mé-
thodes de l’épidémiologie pour étudier, dans des con-
ditions aussi proches que possible de la réalité, l’usage,
l’efficacité et le risque des médicaments commerciali-
Cette innovation mérite d’être soulignée sés.
car les pouvoirs publics — lorsqu’ils
avaient connaissance de la présence La détection des nouveaux effets indésirables
d’un produit sans autorisation mais À cette étape, on souhaite une méthode de surveillance
dangereux — ne pouvaient jusqu’à qui :
présent ordonner son retrait ou la sus- l considère l’ensemble des médicaments commer-
pension de sa commercialisation que cialisés : aucun, même le plus « naturel » ou le plus
s’il présentait un « danger grave ou banalisé, ne pouvant être qualifié de définitivement sûr,
immédiat » (article 221 du Code de la l considère l’ensemble des effets indésirables pos-
consommation), à l’exception toutefois sibles : nul ne sait ce qui peut arriver et les prédictions
des produits cosmétiques et des élé- en la matière se sont souvent révélées douloureuses,
ments et produits du corps humain. l soit assez sensible (de manière à détecter, avec
Les pouvoirs du nouvel établissement une probabilité élevée et sous un délai court, un effet
sont d’autant plus importants qu’ils apparaissant dans la population traitée),
peuvent être exercés en cas de suspi- l soit la plus spécifique possible (peu de faux-po-
cion de l’existence d’un risque lié à un sitifs).
produit de santé. En outre, ses pou- Pour tout biostatisticien ces quatre impératifs sont
voirs lui permettent d’apprécier si le ris- parfaitement contradictoires.
que est avéré ou seulement suspecté. La méthode la plus sûre et la moins coûteuse est
Aussi, l’Agence est un établissement indiscutablement sur ce plan la notification spontanée.
public administratif ; ses décisions en- Dans cette approche, c’est la population entière d’un
gagent donc la responsabilité de l’État. territoire (région, pays, etc.) qui est « surveillée » de
Les personnes physiques ou morales manière ouverte (aucun a priori quant au type de mé-
conservent alors la possibilité de con- dicament ou d’effet) par des observateurs volontaires,
tester, devant la juridiction administra- agissant de leur plein gré car motivés par un objectif
tive, la légalité des mesures de police de santé publique ou un désir d’information complé-
prises par l’Afssaps. De plus, l’Agence mentaire. Sur cette base et celle de la législation en
est responsable de ses actes et res- vigueur, il est attendu qu’ils notifient (qu’ils fassent part)
ponsable quand elle s’abstient d’agir, à une structure de recueil (si possible unique) les cas
ce qui ne constitue pas une moindre d’effets indésirables dont ils ont connaissance du fait
responsabilité en matière de santé pu- de leur pratique. Ces observateurs, généralement des
blique. professionnels de santé (médecins, pharmaciens, sages-
Notons enfin que le législateur a tenu femmes, chirurgiens-dentistes, infirmières, etc.), ne sont
bon de préciser que les pouvoirs de pas des « investigateurs » au sens d’une étude épidé-
police sanitaire du directeur général de miologique en ce sens qu’ils ne sont pas formellement
l’Agence s’exerçaient lorsqu’un produit identifiés et ne mettent pas en application un proto-
présentait des dangers dans des « con- cole précis.
ditions normales d’emploi » mais aussi Ainsi, sur 100 médecins mis en situation, il est pos-
dans des conditions d’emploi « raison- sible que seulement 80 identifient la manifestation
nablement prévisibles ». indésirable, 35 la rattachent à la prise d’un médica-
ment, 20 jugent utile de la notifier et 8 prennent le temps
de le faire. Cette « évaporation », correspondant à autant

adsp n° 27 juin 1999 35


Médicament et santé publique

de faux-négatifs (cas survenus mais non identifiés), l ce mode de surveillance, à la différence des étu-
représente ce qu’il est communément convenu d’ap- des de cohortes, ne fournit aucun renseignement sur
peler la sous-notification. Dans l’exemple précédent, le les caractéristiques, ni surtout la taille de la popula-
coefficient de notification est de 0,08 et celui de sous- tion surveillée. Faute de bases de données d’échelon
notification de 0,92. national, on peut tenter d’évaluer le nombre de patients
Cette sous-notification est, en général, considérable. traités durant la période à partir des chiffres de ven-
Par exemple, en France (pays parmi les plus performants tes du médicament concerné. Il s’agit cependant d’un
de ce point de vue), le nombre de cas notifiés au sys- exercice assez périlleux qui demande de connaître avec
tème de pharmacovigilance (environ 30 000 par an) précision la durée moyenne d’un traitement et son mode
correspond à peine à un cas par médecin et pour deux d’utilisation (continu, cyclique, à la demande, etc.). Il
ans alors que des enquêtes exhaustives de terrain est plus sage de se contenter d’un « dénominateur »
montrent qu’un médecin généraliste observe en moyenne en personnes-temps.
entre 1 et 2 effets indésirables (tous types et gravité Ce « taux » peut, sous certaines conditions, servir de
confondus) par jour de pratique ! base à des comparaisons entre médicaments et à une
Ce gâchis apparent a longtemps donné des arguments prise de décision. Il est cependant probablement très
aux adversaires forcenés de la notification spontanée. loin de la réalité du risque puisque le numérateur est
« Et pourtant ça marche ! » ; cette paraphrase d’un amputé par une sous-notification d’ampleur inconnue
persécuté célèbre se trouve justifiée par : et que le dénominateur est probablement surestimé (les
l la très grande taille de la population surveillée (la deux erreurs allant dans le même sens) du fait que l’on
totalité des patients traités à l’échelon du territoire) qui a considéré l’ensemble des unités vendues, sans prendre
compense en partie la sous-notification des cas. En en compte la mauvaise observance, elle-même d’am-
termes de détection, un million de personnes surveillées, pleur inconnue.
même au prix d’un taux de notification de 5 pour 100, C’est à ce niveau qu’une étude pharmaco-épidémio-
confère une puissance beaucoup plus grande qu’une logique peut prendre tout son intérêt.
cohorte de 10 000 patients parfaitement surveillés, Une fois l’effet indésirable identifié, on peut, en ef-
l le caractère, par définition « 100 % naturel », de fet, vouloir répondre à plusieurs questions :
la surveillance : la réalité ne risquant pas d’être mo- 1. existe-t-il réellement une association entre la prise
difiée par la mise en œuvre d’un protocole d’étude, de médicament et la survenue du symptôme ou de la
l le fait que, pour des raisons évidentes de bon sens, maladie ?
ce sont les effets indésirables les plus intéressants (les 2. quelle est la force de cette association ?
graves et ceux inconnus jusqu’alors) qui sont notifiés 3. quelle est l’ordre de grandeur du risque chez les
en priorité, la sous-notification devenant énorme pour patients traités ?
les autres. Ceci renforce de plus la crédibilité des alertes 4. existe-t-il des facteurs modifiant ce risque ?
générées par la notification spontanée : seules les 5. existe-t-il d’autres déterminants à l’origine de ce
associations fortes entre un médicament et un symp- symptôme ou de cette maladie ?
tôme ayant de bonnes chances de surmonter l’obsta- Si la réponse à la question 3 exige en pratique la mise
cle de la sous-notification. en œuvre d’une étude de cohorte et la question 5 celle
d’une étude cas-témoins, les autres réponses peuvent
La quantification du risque être apportées, selon les cas, soit par une étude de
Si elle demeure irremplaçable pour l’alerte, la notification type cas-témoins ou de cohorte (non comparative pour
spontanée ne permet pratiquement jamais d’appréhender la question 4, comparative pour les autres).
la valeur du risque correspondant, ceci pour deux rai-
sons évidentes : Études de cohortes
l le nombre de cas notifiés n’est qu’une fraction du En pharmaco-épidémiologie, l’étude de cohorte consiste
nombre de cas réellement survenus sur le territoire au à suivre durant une durée adéquate (nécessaire à l’ob-
cours de la période de temps correspondante (cf. sous- servation éventuelle de l’effet recherché) un groupe de
notification), sujets traités par le médicament. Ceci permettra de
calculer le taux de l’événement, donc d’estimer le ris-
que correspondant pour la période (question 3), son
Calcul du taux d’effets indésirables évolution au cours du temps et d’identifier (question
Si 120 000 boîtes de 30 comprimés ont été vendues en France en 1999 et 4) d’éventuels facteurs modifiant ce risque (si celui-ci
que la posologie quotidienne moyenne de ce médicament est de 1,5 se révèle plus élevé ou plus faible dans certains sous-
comprimé, on peut estimer que la somme des durées de traitement pour la groupes de la cohorte).
période et l’ensemble des utilisateurs (dont le nombre reste inconnu) est : Bien que ce ne soit pas toujours faisable, le suivi d’une
(120 000 x 30) / 1,5 = 2,4 millions de jours, soit 78 947 mois. cohorte de référence (population non traitée par le
Si 22 cas d’un effet indésirable ont été notifiés durant cette période, le taux médicament étudié) permet d’estimer le risque de ré-
est donc de 22 pour 78 947, soit 2,8 pour 10 000 mois de traitement. férence de l’événement, donc de savoir si le traitement
augmente significativement celui-ci (question 1) et dans

36 adsp n° 27 juin 1999


La pharmacovigilance

quelle proportion (question 2) en mettant en rapport soit tellement infime qu’il ne puisse générer le nom-
le risque calculé dans les deux cohortes (différence de bre de cas nécessaires). Le facteur limitant est ici la
risques, rapport de risques ou risque relatif) : prévalence supposée du facteur d’exposition dans la
Suivi population. L’expérience et le calcul montrent qu’il vaut
Sujets traités Événement ? mieux renoncer à une étude cas-témoins si l’exposition
(selon sa définition opérationnelle) a toutes chances
Population Suivi d’être retrouvée chez moins de 1 % des sujets témoins.
Événement ?
de référence
Pharmaco-épidémiologie et prise de décision
La limite essentielle des études de cohortes réside En pharmacovigilance, une prise de décision s’impose
dans la taille des populations à suivre dès que l’on a priori si :
s’intéresse à des événements de faible probabilité de 1. le risque, induit ou potentiel, d’un médicament ne
survenue. Une analyse statistique digne de ce nom paraît pas acceptable, comparativement au bénéfice
exigeant le plus souvent un minimum de 10 cas par thérapeutique escompté ou mesuré, que ce soit dans
groupe, on peut aisément calculer que l’on atteint cette l’absolu ou par rapport à d’autres alternatives théra-
limite de faisabilité dès que l’événement a une fréquence peutiques,
d’apparition plus faible que 1 pour 1 000 unités d’ob- 2. des mesures, ayant des chances d’être efficaces,
servation, ce qui exige déjà 12 500 malades par groupe. sont susceptibles de faire évoluer la situation sans
risquer d’entraîner trop d’effets pervers.
Études cas-témoins Concernant le point 1, il est évident que certaines
Le critère de sélection des groupes n’est pas ici la situations sont a priori simples à résoudre, c’est le cas
présence ou l’absence du facteur susceptible (avec une des effets graves induits par un médicament à l’inté-
probabilité inconnue) de produire l’événement mais la rêt thérapeutique extrêmement réduit ou nul. Dans cette
présence ou l’absence de celui-ci. situation, un seul cas démonstratif peut suffire pour
On constitue donc deux groupes de sujets, l’un pré- suspendre l’autorisation de mise sur le marché. Pour
sentant ou ayant présenté l’événement (les cas), l’autre les autres situations, on peut se baser sur la compa-
ne le présentant pas ou ne l’ayant pas présenté (les raison des taux calculés à partir de la notification spon-
témoins). Ces deux groupes sont ensuite comparés quant tanée si l’on a de bonnes raisons de penser que la sous-
à leur exposition passée (c’est pour cela que l’on parle notification et la mauvaise observance sont à peu près
d’ étude rétrospective) à un ou plusieurs facteurs dont du même ordre de grandeur, même inconnu, pour les
on veut étudier l’influence éventuelle sur la survenue médicaments comparés. Si tel n’est pas le cas et si
de l’événement. L’hypothèse nulle est qu’en l’absence le contexte (l’urgence) le permet, une étude épidémio-
d’association, on s’attend à retrouver, aux fluctuations logique ad hoc est toujours préférable.
d’échantillonnage près, la même proportion (ou la même Le point 2 mérite deux commentaires :
cote) d’exposition au facteur dans les deux groupes. l il ne faut pas céder à la tentation de mener une
Si tel n’est pas le cas, on conclura à une association étude pour retarder ou enterrer une décision difficile
entre exposition et événement. à prendre. Une étude ne se justifie que si elle est sus-
Trois remarques doivent cependant être faites : ceptible d’apporter des éléments de nature à faciliter
l la comparaison des groupes doit porter sur une la décision ou de changer sa nature. Devant un projet
période pertinente vis-à-vis du mécanisme physiopatho- d’étude visant à répondre à une question donnée, il est
logique supposé de l’événement, sage d’aborder les deux points suivants : (i) la réponse
l ne reposant pas sur un suivi, l’approche cas-té- à cette question changerait-elle quoi que ce soit à la
moins ne permet pas de mesurer directement le ris- problématique de la décision ? et (ii) sommes-nous prêts
que chez les exposés et les non-exposés (question 3), à assumer et à gérer toutes les éventualités : décision
l puisqu’elle part de la présence de l’événement, allant dans le sens souhaité, décision contraire au sens
la méthode permet, à la différence de l’étude de co- souhaité et surtout, absence de réponse tranchée (non
horte, de s’intéresser à d’autres facteurs de survenue significativité statistique) ? Si la réponse à l’une de ces
de la maladie (question 5) : deux questions est « non », il vaut généralement mieux
renoncer à la mise en place d’une étude,
Exploration du passé Événement
Exposition ? l toute décision peut être à l’origine d’effets per-
(cas)
vers comme le report des prescriptions vers une classe
Exploration du passé Pas thérapeutique plus mal tolérée, la recrudescence de
Exposition ? d’événement la maladie ou la mise en péril d’une prévention. Ces
(témoins) effets doivent être listés et leurs conséquences éva-
luées avant de prétendre modifier la situation ac-
Pour la même raison, une étude cas-témoins peut tuelle.
être menée même si le risque de survenue de l’évé-
nement est extrêmement faible (à moins que le risque

adsp n° 27 juin 1999 37


Médicament et santé publique

Le risque lié au médicament peut être


environnemental, si l’on considère par exemple
les conséquences d’un usage excessif

Médicament et risque d’antibiotique sur le développement des


résistances, ou concerner une population. Enfin la
réalité des bénéfices thérapeutiques doit être
évaluée au niveau individuel et populationnel.

tude du « public » n’est probablement pas négligeable


Risque collectif lié à comme en témoignent les nombreux articles parus dans
des journaux non scientifiques.
Les antibiotiques, bien que suivant les règles clas-
l’antibiothérapie siques de la pharmacologie clinique, se différencient
des autres classes thérapeutiques par la nature de leur
Didier Guillemot Les antibiotiques, s’ils ont été découverts accidentel- cible. Celle-ci n’est pas une cellule de l’organisme mais
Médecin épidémiolo- lement par Fleming en septembre 1928 (la pénicilline), des bactéries qui sont des unités vivantes autonomes.
giste, Inserm U 258 ont été introduits en thérapeutique humaine dans les C’est pourquoi l’exposition des populations (humaines,
années qui ont suivi. Il s’agit d’une des avancées thé- animales et végétales) a des conséquences écologi-
rapeutiques les plus importantes du XXe siècle puisque ques en termes d’évolution des bactéries dont la sen-
son utilisation a permis de rendre accessible la guéri- sibilité naturelle aux antibiotiques se modifie (il s’agit
son des maladies infectieuses bactériennes qui cons- de résistances dites acquises). Ceci peut avoir des con-
tituaient jusqu’alors une des causes principales de séquences sanitaires en termes d’infections à ces
mortalité. Ils ont permis de réduire de façon détermi- bactéries résistantes et dont les conséquences clini-
nante le risque de décès et le risque de complications ques se mesurent déjà par des difficultés thérapeuti-
des infections bactériennes. ques accrues dans certaines situations cliniques (in-
Avec plus de 250 antibiotiques systémiques dispo- fection nosocomiale à bactéries multirésistantes,
nibles, l’apparition des inhibiteurs des β-lactamases, tuberculose multirésistante…).
des céphalosporines et des fluoroquinolones, on a pu
croire que la lutte contre les maladies infectieuses bac- Un problème environnemental
tériennes n’était plus qu’un problème de choix de la Étymologiquement, l’épidémiologie s’intéresse aux
bonne molécule et les investissements publics et pri- épidémies. Mais cette définition pour historique qu’elle
vés ont diminué dans le domaine de la recherche et puisse être est aujourd’hui restrictive. En effet, l’épi-
du développement de nouveaux antibiotiques. démiologie est une discipline scientifique dont l’objet
Alors qu’il existe une quasi-absence de perspective est le risque ; risque qu’elle objective, quantifie et dont
de famille d’antibiotiques réellement nouvelle dans les elle analyse les composantes en termes de facteurs
années à venir, la sensibilité aux antibiotiques dispo- de risque. L’épidémiologie définit la probabilité du ris-
nibles des bactéries pathogènes pour l’homme dimi- que et le mesure par une fréquence dans une popula-
nue [1-3]. Il s’agit d’un problème qui concerne tous les tion. Dès lors on voit se dessiner le triptyque de base
pays du monde, dont les conséquences se mesurent de l’analyse épidémiologique, triptyque qui prend tout
déjà par des difficultés thérapeutiques accrues dans son sens si on envisage la question de l’évolution de
certaines situations cliniques et vis-à-vis duquel l’inquié- la résistance des bactéries aux antibiotiques : l’agent

38 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et risque

(la bactérie), l’hôte (l’individu) et l’environnement (l’ex- lors de laquelle une bactérie dite « compétente » incorpore
position). de l’ADN nu présent dans l’environnement ; et la trans-
Le concept de pression de sélection antibiotique fait duction, lors de laquelle l’ADN est véhiculé par un
référence aux conditions environnementales qui favo- bactériophage. Cette modification génétique peut avoir
risent l’émergence puis la diffusion de souches bac- pour conséquence la modification de sensibilité à un
tériennes résistantes aux antibiotiques, quel que soit antibiotique.
le mode d’acquisition de cette résistance. Il est géné- La conséquence de l’exposition antibiotique sur l’émer-
ralement admis que la pression de sélection antibioti- gence peut s’expliquer de plusieurs manières. Tout
que est une condition indispensable à l’émergence et d’abord certains travaux récents montrent que l’expo-
à la diffusion de la bactérie résistante, c’est-à-dire que sition aux antibiotiques favorise la mutation ou l’échange
dans un environnement dépourvu d’antibiotique la de matériel génétique entre bactérie [4, 5]. Par ailleurs,
bactérie résistante ne peut survivre. En fait, pour mieux l’acquisition par une bactérie d’une résistance à un
comprendre comment les résistances acquises aux antibiotique induit un coût pour la bactérie. Ce coût a
antibiotiques se développent, il faut examiner différem- pour conséquence que dans un milieu dépourvu de
ment les conséquences de l’exposition d’une popula- l’antibiotique concerné, les bactéries résistantes sur-
tion à un antibiotique (ou une classe d’antibiotique) selon vivent plus difficilement que les sensibles ; elles ont Bibiographie
que l’on s’intéresse à l’émergence de la résistance ou un désavantage écologique et les bactéries sensibles 1. Davies J. Inactivation of
à sa diffusion (figure 1). peuvent rester dominantes. Mais dès lors qu’il y a pré- antibiotics and the
L’émergence du phénomène dans une population peut sence de l’antibiotique ce sont les bactéries sensibles dissemination of resistance
genes. Science 1994 ; 264 :
être liée, soit à l’introduction dans cette population (ou qui se multiplient plus difficilement. L’avantage écolo- 375-82
dans son environnement) d’une bactérie résistante, d’une gique est donc à la bactérie résistante. Enfin l’action 2. Cohen ML. Epidemiology
bactérie dont la résistance est inductible ou du maté- s’exerce tant auprès des bactéries qui sont responsables of drug resistance : implications
riel génétique codant pour cette résistance, soit à la de l’infection à traiter que sur les bactéries non impli- for a post-antimicrobial era.
Science 1992 ; 257 : 1050-5
survenue de novo de cette résistance par mutation d’une quées dans l’infection mais qui font partie des écosys-
3. Neu HC. The crisis in
bactérie sensible. En effet, les bactéries mutent et tèmes internes des individus (peau, muqueuse, tube antibiotic resistance. Science
échangent de l’ADN avec d’autres bactéries de façon digestif, oro et rhinopharynx, vagin…) ou dans l’envi- 1992 ; 257 : 1064-73
naturelle. À titre d’exemple, le transfert de matériel ronnement. La modification de ces écosystèmes internes 4. Mazodier P, Davies J.
génétique s’opère par différents moyens qui peuvent peut favoriser l’implantation des espèces résistantes Gene transfer between distantly
related bacteria. Annu Rev Genet
être responsables de transfert de gène dans la nature par une diminution des effets de « barrière » ; ceci 1991 ; 25 : 147-71
ou dans les écosystèmes individuels : la conjugaison aboutissant à la colonisation des individus soumis à 5. Torres OR, Korman RZ,
qui nécessite un contact physique entre la bactérie l’exposition antibiotique. Zahler SA, Dunny GM. The
émettrice et la bactérie réceptrice et lors de laquelle Il est donc certain que l’exposition par les antibioti- conjugative transposon Tn925 :
enhancement of conjugal
un plasmide transite de l’une à l’autre ; la transformation, ques des populations humaines, animales et végéta-
transfer by tetracycline in
Enterococcus faecalis and
mobilization of chromosomal
figure 1 genes in Bacillus subtilis and E.
faecalis. Mol Gen Genet 1991 ;
Exposition aux antibiotiques et résistances bactériennes 225 : 395-400
6. Schrag SJ, Perrot V.
Reducing antibiotic resistance
[lettre]. Nature 1996 ; 381 :
Gène Mutation, transfert d'ADN Acquisition 120-1
7. Guillemot D, Carbon C,
Balkau B, Geslin P, Lecoeur H,
Vauzelle-Kervroedan F, Bouvenot
Survie des souches résistantes G, Eschwege E. Low dosage and
Bactérie Disparition des sourches sensibles Émergence long treatment duration of beta-
lactam : risk factors for carriage
of penicillin-resistant
Streptococcus pneumoniae.
Individu Colonisation des écosystèmes (digestif, aérien supérieur…) Infection Jama 1998 ; 279 : 365-70
8. Guillemot D, Carbon C,
Vauzelle-Kervroedan F, Balkau
B, Maison P, Bouvenot G,
Homme Animaux Eschwege E. Inappropriateness
Population Homme Animaux and variability of antibiotic
Transmission Diffusion prescription among French
interindividuelle office-based physicians. J Clin
Epidemiol 1998 ; 51 : 61-8
Environnement 9. Carbon C, Bax RP.
Regulating the use of antibiotics
Végétaux in the community. Bmj 1998 ;
317 : 663-5

adsp n° 27 juin 1999 39


Médicament et santé publique

les crée les conditions favorables à l’émergence et à bactériennes, il est nécessaire de prendre en compte
l’implantation des résistances. les éléments suivants :
Pour comprendre la diffusion dans les populations, l toutes les bactéries pathogènes pour l’homme sont
il faut considérer que l’exposition des individus est concernées,
double : exposition aux antibiotiques et exposition aux l tous les antibiotiques actuellement disponibles sont
bactéries résistantes via la transmission inter-indivi- concernés,
duelle ; transmission qui peut être inter-humaine, in- l quels que soient les concepts, les cibles et les
ter-espèce (entre les hommes et les animaux), mais mécanismes d’action des futurs agents antibactériens,
aussi entre l’homme et les plantes. ils seront vraisemblablement concernés,
Si on considère un trio bactérie-antibiotique-mécanisme l la multirésistance des bactéries a pour conséquence
de résistance, ces deux facteurs sont a priori indépen- que l’exposition à une classe d’antibiotique peut favoriser
dants. La transmission des bactéries résistantes amène la diffusion de la résistance à une autre classe,
à considérer la question du risque lié à l’environnement, l dès lors qu’il y a émergence d’un mécanisme de
c’est-à-dire l’environnement social (malades hospita- résistance dans une population ou dans son environ-
lisés, enfants en crèche, personnes âgées en collec- nement, sa disparition complète est vraisemblablement
tivité…) et les pratiques qui lui sont associées (hygiène, impossible,
isolement des porteurs de bactéries résistantes, ha- l certains travaux expérimentaux récents montrent
bitudes alimentaires, déplacement des individus…), mais qu’il est possible que le coût bactérien induit par l’ac-
aussi à l’environnement physique qui peut avoir une quisition d’une résistance puisse disparaître, annulant
influence sur les contacts directs ou indirects entre les le désavantage écologique des souches résistantes en
individus voire l’environnement naturel (élevage d’ani- l’absence d’antibiotique dans le milieu [6].
maux ou cultures exposées aux antibiotiques, organisme Au-delà de l’enjeu sanitaire qui est déjà tangible en
génétiquement modifié). Le risque de devenir porteur termes de morbidité et de mortalité, il y a l’enjeu éco-
d’une bactérie résistante n’est pas le même selon que nomique. En effet, si cette évolution n’est pas maîtri-
l’on se trouve au sein d’une population dans laquelle sée, il n’y aura comme réponses que celles que pour-
le taux de résistance est élevé ou non, mais il dépend raient apporter d’hypothétiques nouveaux antibiotiques
aussi de la probabilité de contact entre les individus dont les coûts seront nécessairement très importants.
de la population. L’exposition de la population à l’an-
tibiotique considéré est liée aux habitudes de prescrip- Cette évolution est-elle maîtrisable ?
tion, à la nature des pathologies rencontrées, et éven- Concernant l’émergence, les recherches de laboratoire
tuellement à la sensibilité des bactéries pathogènes ont clairement montré les possibilités d’échange
à d’autres antibiotiques. Par exemple, l’augmentation interspécifique de matériel génétique et des travaux déjà
de l’exposition des populations hospitalisées aux anciens ont montré que certaines résistances bacté-
glycopeptides est très clairement la conséquence d’une riennes étaient susceptibles de passer de l’animal à
modification de la sensibilité aux β-lactamines des flores l’homme. Le principe de précaution reste de rigueur.
bactériennes ( staphylococcus aureus et enterocoques) Ceci invite à éviter de répandre dans l’environnement
au sein des services hospitaliers. un tel matériel codant pour la résistance à des anti-
Mais ces deux facteurs (antibiotique et transmis- biotiques et à ne pas exposer l’environnement (animaux,
sion) interagissent l’un avec l’autre et c’est de cette plantes) aux antibiotiques sans motif sanitaire. Si les
interaction que naît le risque évolutif de la résistance recherches fondamentales décrivent les champs des
de cette bactérie à cet antibiotique. Il ne peut y avoir possibles, nous restons actuellement impuissants à
d’augmentation de la fréquence de portage de la prédire quantitativement et géographiquement les ris-
bactérie résistante sans que les deux facteurs soient ques d’émergence. Par ailleurs, il y a très peu d’étu-
associés, sauf en faisant l’hypothèse qu’acquérir la des qui permettent de quantifier précisément ce qui est
résistance à un antibiotique confère à une bactérie attribuable à l’émergence, à la diffusion des résistan-
une aptitude particulière à se transmettre. En effet, ces et à l’usage des antibiotiques. Pourtant une telle
la diffusion des résistances bactériennes dans une quantification serait particulièrement utile pour adap-
population passe nécessairement par une colonisa- ter les politiques d’usage des antibiotiques aux spé-
tion des individus dont nous avons vu que l’exposi- cificités de tel ou tel contexte environnemental. Il y a
tion aux antibiotiques en était le préalable et confé- donc nécessité de développer des recherches pharmaco-
rait chez les individus exposés un avantage écologique épidémiologiques dans ce domaine. Cela requiert en-
aux bactéries résistantes. L’exposition d’une popu- tre autre de mettre en place des systèmes d’alerte qui
lation à un antibiotique constitue généralement la soient suffisamment sensibles et rapides, mais aussi
condition indispensable à la diffusion d’une bactérie de développer des systèmes d’information sur l’usage
résistante à cet antibiotique. des antibiotiques dont les données puissent être mi-
ses en relation avec l’émergence de souches résistantes.
Les enjeux Concernant la diffusion des résistances aux antibio-
Pour mesurer les enjeux de l’évolution des résistances tiques, la maîtrise en est possible. Si l’on prend comme

40 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et risque

critère de jugement global la prévalence ou le taux de montrent qu’en France, une diminution de l’antibiothé-
résistance d’une espèce bactérienne à un antibiotique rapie dans les situations d’affections respiratoires ORL
ou une classe d’antibiotiques, la réversibilité de la présumées virales permettrait de réduire de façon tout
résistance a pu être démontrée. Il apparaît très clai- à fait notable l’exposition aux antibiotiques [8] ceci tant
rement que la modification de l’usage des antibiotiques chez l’enfant que chez l’adulte. La généralisation de
et la modification des conditions environnementales l’utilisation des tests de diagnostic rapide dans l’an-
(diminution de la transmission) permettent de contrô- gine et une réduction de la prescription dans les situa-
ler dans une population donnée l’évolution des résis- tions de rhinopharyngite ou de bronchite constituent
tances bactériennes à un antibiotique. Les expérien- donc des axes stratégiques envisageables. Dans une
ces tant communautaires qu’hospitalières en attestent. telle perspective, il est nécessaire de prendre en compte
Mais ces expériences montrent aussi que cette maî- le fait que les mesures visant principalement à réduire
trise requiert une volonté politique déterminée et du- les coûts à court terme ou à restreindre l’usage d’un
rable et que les stratégies visant à réduire une classe nombre limité d’antibiotiques ne sont pas nécessaire-
d’antibiotique sans se préoccuper des autres risquent ment des réponses en adéquation avec un problème
d’aboutir à des transferts de prescription et d’induire de nature écologique [9].
des résistances bactériennes aux antibiotiques dont
l’utilisation se retrouve de fait privilégiée. Par ailleurs,
les méthodologies d’évaluation qui ont généralement
été utilisées dans ces expériences ne permettent pas
de faire la part entre ce qui est attribuable à la modi-
fication de l’usage des antibiotiques et relatif à l’évo-
Risque iatrogène et
lution naturelle d’un phénomène épidémique. Enfin,
concernant les modifications de l’usage des antibioti-
ques ces expériences se sont pour la plupart centrées
population âgée
exclusivement sur une réduction de l’usage, alors que Les personnes âgées constituent une population par- Joël Ankri
des travaux récents suggèrent que les durées et les ticulièrement exposée aux conséquences iatrogènes des Médecin,
doses d’exposition peuvent influencer le risque de médicaments. On les considère classiquement comme Université Paris V
portage de bactéries résistantes [7]. des personnes à risque.
La réalité de ce risque ne fait l’objet d’aucune con-
Accentuer la recherche et améliorer l’usage troverse et a été démontrée au cours de différentes
L’évolution des résistances bactériennes est un phé- études de pharmaco-épidémiologie et de pharmaco-
nomène multifactoriel mais qui n’est pas hors de con- vigilance depuis de nombreuses années. Tous les tra-
trôle. Pour maîtriser cette évolution, il convient donc vaux qui ont été entrepris confirment l’ampleur du
d’envisager l’ensemble des facteurs qui la détermine. phénomène même si on peut regretter l’absence de
Dans ce domaine, comme dans les autres domaines grandes études en population générale.
de santé publique, la prévention s’appuie sur une es-
timation quantitative des risques et sur la prédiction Le risque iatrogène et ses causes potentielles
de ces risques. Il est donc essentiel que des travaux Dix pour cent des motifs d’hospitalisation des personnes
de recherche épidémiologique soient développés dans âgées de plus de 70 ans a pour cause un effet indési-
un futur proche, afin de mieux estimer ces risques et rable d’un ou plusieurs médicaments. Le taux d’évè-
que des travaux de modélisation soient menés afin de nements iatrogènes augmente avec l’âge, il est deux
pouvoir prédire ces risques en fonction des facteurs fois plus fréquent après 65 ans qu’avant 45 ans. Dans
d’exposition aux antibiotiques et des conditions environ- une étude américaine [1], les patients hospitalisés de
nementales des populations. Il est tout aussi impor- plus de 64 ans, qui ne représentaient que 27 % de la
tant que des travaux rigoureux permettent d’évaluer la population de l’étude, cumulaient 43 % de tous les effets
réversibilité de cette évolution. À ce titre, et parce que indésirables. Les manifestations les plus fréquentes
le rapport bénéfice/risque de l’utilisation des antibio- de ces effets iatrogènes sont la déshydratation avec
tiques ne peut plus se juger sans prendre en compte insuffisance rénale fonctionnelle, l’hypotension orthos-
le risque écologique bactérien, il est essentiel que l’ob- tatique souvent compliquée de chute, les hémorragies
servation de l’utilisation des antibiotiques chez l’homme digestives et les états confusionnels. Les principales
ne soit pas dissociée de l’observation des résistances classes thérapeutiques en cause sont les médicaments
bactériennes, tant à l’hôpital que dans la communauté. à visée cardio-vasculaire, les anti-inflammatoires et les
Néanmoins, ce n’est pas parce que la connaissance psychotropes. Les conséquences en terme de santé
des risques n’est pas encore optimale que l’action n’est publique sont importantes compte tenu de la fréquence
pas possible. Concernant la maîtrise des résistances du problème, de son retentissement en termes de mor-
bactériennes communautaires, l’amélioration de l’usage bidité, de déclin fonctionnel et de mortalité ainsi que
des antibiotiques peut déjà s’envisager au regard de des répercussions économiques et sociales.
critères strictement cliniques. Les études récentes Pour expliquer ce phénomène, le premier facteur

adsp n° 27 juin 1999 41


Médicament et santé publique

incriminé est la consommation médicamenteuse. Cer- On a également incriminé au niveau du système, le


taines études ont montré que le nombre moyen de rôle de la couverture sociale généralisée, la médecine
médicaments consommé par personne de plus de 65 à l’acte et l’absence de coordination des différents
ans et par jour est de 4,5 [2]. Quatre-vingt-dix pour cent thérapeutes. Il existe également un rôle non négligea-
de cette population prend au moins un médicament et ble de l’industrie pharmaceutique face à cette popu-
les prescriptions médicamenteuses aux personnes âgées lation aux multiples pathologies chroniques et totale-
de plus de 65 ans (15 % de la population générale) ment solvable.
représentent le tiers de toutes les prescriptions. Cette
consommation est un facteur indéniable de risque d’ac- Une évaluation insuffisante du médicament
cidents iatrogènes. De nombreux travaux ont montré On reproche souvent aux industriels un manque d’éva-
la relation quasi linéaire du nombre de réactions indé- luation précise chez le sujet âgé du médicament au cours
sirables avec le nombre de médicaments pris par le des différentes phases du développement précédant
patient. Par ailleurs, du fait de la morbidité rencontré sa commercialisation. Cela peut être lié aux problèmes
dans cette tranche d’âge, la plupart des médicaments de définition de la population âgée cible qui conduit à
consommés sont des substances à index thérapeuti- étudier sur un groupe de sujet d’âge moyen de 55 ans
que étroit et exposant à une toxicité dose-dépendante un produit qui sera en majorité utilisé chez des sujets
(psychotropes, antihypertenseurs, digoxine, anti-inflam- de plus de 85 ans. Une revue de la littérature récente
matoires, anticoagulants). sur des journaux médicaux à fort impact (Lancet, BMJ,
Le second facteur incriminé concerne les modifica- etc.) a montré que seulement 4 % des articles de re-
tions physiologiques du devenir du médicament dans cherche concernait les personnes âgées, 8 % excluait
l’organisme âgé. Il est classique de dire que les facul- les personnes âgées de façon justifiée et 35 % les
Bibiographie tés d’élimination des médicaments s’altèrent avec l’avan- excluait de façon totalement injustifiée. Enfin les 54 %
1. Brennan TA et al, Inci- cée en âge et peuvent avec d’autres modifications restants n’établissaient pas d’âge limite [5]. Par ailleurs
dence of adverse events and
(absorption, biotransformation, affinité et sensibilité des dans les essais thérapeutiques, quand les patients âgés
negligence in hospitalized pa-
tients. Results of the Harvard récepteurs) concourir à accroître l’effet pharmacologi- sont inclus, ils ont autour de 60 ans et sont en par-
Medical Practice Study I. N. que et donc les effets indésirables. faite santé [6] si bien que le résultat de ces essais ne
Engl. J. Med. 1991 ; 324 : Ces modifications physiologiques associés à la poly- correspond jamais au sujet âgé polypathologique et
370-6. médicamentation augmentent le risque d’interaction polymédicamenté que voit le praticien. Ce même auteur
2. Fourier A. et al.
Sociodemographic médicamenteuse, source non négligeable d’effets souligne qu’après la mise sur le marché, au lieu d’of-
characteristics and secondaires (37 % dans une étude dont 1,7 % mettant frir une opportunité d’évaluation systématique des effets
polypharmacy in elderly people : immédiatement en jeu le pronostic vital [3]. du médicament chez le sujet âgé, les systèmes de
data from the Paquid study. Quoiqu’il en soit, le fait notable, se retrouvant dans pharmacovigilance pénalisent à nouveau cette popu-
Post Market Surv. 1993 ; 7 :
toutes les études, est l’extrême hétérogénéité de ce lation. En effet, l’imputabilité appréciée à partir des
291-8.
3. Manchon ND. et al. que l’on appelle la population âgée qui est globalement notifications spontanées ne permet pas toujours des
Fréquence et gravité des interac- celle des plus de 65 ans. réponses indiscutables compte tenu de la polymédi-
tions médicamenteuses dans Mais d’autres facteurs interviennent et des recher- camentation. Seules des études systématiques ciblées
une population âgée : étude ches se sont développées pour tenter d’expliquer la pourront apporter les réponses aux questionnements
prospective concernant 639
malades. Rev. Med. Interne consommation des personnes âgées, leurs comporte- des cliniciens. Certes, il existe des recommandations
1989 ; 10 : 521-525. ments vis-à-vis des médicaments ainsi que ceux des officielles en ce qui concerne les personnes âgées et
4. Ankri J. et al. Comporte- prescripteurs et les effets du système de santé. les Agences d’enregistrement veillent, de plus en plus,
ment vis-à-vis des médicaments Du côté de l’individu âgé, il a été mis en évidence à n’autoriser les médicaments que s’ils ont démontré
et représentation de soi chez
des problèmes d’observance des traitements, source un rapport bénéfice/risque positif sur ces populations
des personnes âgées souffrant
de maladies chroniques. Soc. de complications, qui peuvent être reliés à des difficultés à risque. Mais le problème clé est celui de la défini-
Sc. Med. 1997 ; 44 : 337-345. de communication médecin/malade, de compréhension tion de cette population.
5. Burgeja G. et al. Exclusion (complexité des prescriptions, troubles de la mémoire,…), Les recommandations de la Conférence internatio-
of elderly people from clinical à des difficultés d’utilisation (incapacités physiques,…) nale d’harmonisation des règles d’enregistrement des
research : a descriptive study of
published reports. Br. Med. J. et surtout de gestion de ces traitements au long cours médicaments définissent cette population comme âgée
1997 ; 315 : 1059. dans le cadre des activités de la vie quotidienne de ces de plus de 65 ans tout en reconnaissant l’importance
6. Avorn J. Including elderly patients. La personnalité des sujets intervient égale- de l’étude du médicament chez les sujets de plus de
people in clinical trials. Br. Med. ment dans leur comportement vis-à-vis des médicaments 75 ans et présentant des pathologies associées. Cette
J. 1997 ; 315 : 1033-1034.
[4]. sous-population, au cours des essais, doit être en nombre
7. Carbonin P. et al. Is age
an independant risk factorof Du coté du médecin, les facteurs qui interviennent suffisant pour permettre des comparaisons de l’effet
adverse drug reactions in font appel à leur conception de la santé et du vieillis- du médicament avec les patients plus jeunes. Pour les
hospitalized medical sement, à leur méconnaissance potentielle des phéno- pathologies dont peut également souffrir le sujet âgé,
inpatients ? JAGS 1991 ; 39 : mènes physiologiques du vieillissement et à la recherche l’ICH propose l’étude d’au moins 100 patients âgés pour
1093-1099).
8. Woodhouse KW et al. d’une réponse médicamenteuse aux différentes plaintes détecter d’éventuelles différences cliniquement perti-
Who are the frail elderly ? Quart du sujet et à des problèmes plus sociopsychologiques, nentes. Mais l’idée que les personnes âgées ne doi-
J Med 1988 ; 68 : 505-6 ce qui conduit aux classiques ordonnances « fleuves ». vent pas être considérées comme formant un groupe

42 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et risque

homogène et que les sujets sélectionnés doivent re- s’accorde à reconnaître l’hétérogénéité de la popula-
fléter l’éventail des âges et des pathologies a encore tion âgée, des études pré-AMM sur des populations « fra-
du mal à faire son chemin. Il devrait être obligatoire que gilisées » en termes d’autonomie fonctionnelle, de fonc-
tout médicament susceptible d’être utilisé pour un trai- tions supérieures, d’état nutritionnel et de situation
tement de fond chez la personne âgée fasse l’objet sociale. C’est ce sujet-là qui est le plus particulièrement
d’études spécifiques d’efficacité, d’interaction médi- exposé au risque iatrogène médicamenteux [8]. Tout
camenteuse et d’inocuité à long terme. un travail de réflexion devra être entrepris pour bien
définir cette population et développer les études dans
Comment limiter ce risque ? ce cadre. Les thérapeutes auront alors des réponses
Face à ce risque, plusieurs mesures de santé publique à leurs questions.
peuvent être prises : former les professionnels et in- Ainsi, par l’action au niveau des différents détermi-
former la population, tenter de développer des alter- nants de la surconsommation médicamenteuse, par la
natives à la prise en charge des problèmes de santé précision des différentes stratégies possibles chez les
des personnes âgées, développer les études d’évaluation sujets « fragilisés » (indication, posologie, durée du trai-
du médicament et des stratégies thérapeutiques et tement,…) et par l’accentuation du réflexe de vigilance
améliorer le système de vigilance. Ou prendre des me- des professionnels de santé (médecins, pharmaciens,
sures coercitives : limiter les indications des médica- infirmiers), on pourra réduire le risque iatrogène et peut-
ments en fonction de l’âge : soit parce qu’un risque être améliorer la qualité de vie de cette population dite
important a été noté chez le sujet âgé, soit parce que âgée.
le médicament n’a été étudié que chez le sujet âgé,
soit parce qu’il n’a pas été évalué du tout dans cette
population.
Mais l’âge en soi est-il un facteur de risque ?
Toutes les études montrent l’augmentation du ris-
que avec l’âge chronologique. Ce facteur est également
Médicament et
connu comme facteur de risque de mortalité, de déclin
fonctionnel, etc.
Mais utiliser un âge-seuil a quelles conséquences ?
bénéfice
Outre le côté amusant de se demander ce qui se pas-
sera le soir de l’anniversaire des 65 ou 70 ans, quelle thérapeutique
perte de chance de ne pas utiliser un médicament ef-
ficace chez un sujet ? Quel risque prend-on chez ce sujet ? L’efficacité d’une thérapeutique est une notion quan- Jean-Pierre Boissel
Quelle conséquence médico-légale pour le prescripteur titative. L’essai clinique estime cette intensité. C’est Professeur des
s’il y a problème ? un instrument de mesure sans biais lorsqu’il est cor- universités, praticien
En effet l’utilisation de la variable « âge », si com- rectement manié. La méta-analyse de tous les essais hospitalier, chef de
mode parce que facile à utiliser, n’est pas sans con- randomisés consacrés à une thérapeutique fournit la
service de pharmaco-
séquences. De plus, les rares études qui ont essayé meilleure mesure car celle-ci est fondée sur toutes les
logie clinique
de démontrer si l’âge en soi était un facteur de risque informations disponibles. Cette quantité est représentée
sont revenues négatives. En ajustant la courbe de l’effet par des indices d’efficacité qui sont tous issus des Michel Cucherat
iatrogène avec l’âge sur la consommation de médica- mêmes nombres mais qui ne fournissent pas les mê- Médecin, assistant
ment, on ne retrouve plus l’effet de l’âge. De même, mes informations. hospitalier universi-
dans l’analyse multivariée d’une étude analysant l’in- taire
cidence et les facteurs de risque des effets indésira- Risque relatif et différence du risque : Hôpitaux civils
bles médicamenteux [7], il a été montré que l’âge n’était que révèlent ces notions ? de Lyon
pas un facteur de risque indépendant de ces effets. Pour un événement morbide donné, rc et rt étant res-
Par contre, le nombre de médicaments, le nombre de pectivement le risque de l’événement chez les sujets
problèmes médicaux, la durée d’hospitalisation, la non traités (risque « spontané ») et le risque lorsqu’ils
consommation d’alcool constituaient des facteurs de reçoivent la thérapeutique « t », les essais cliniques
risque nets. Il apparaît ainsi que l’âge ne permet pas et la méta-analyse de ces essais apportent une esti-
à lui seul de définir la population à risque et que les mation a priori sans biais de ces deux risques. L’ef-
facteurs comme les problèmes de santé et la consom- ficacité d’une thérapeutique est le plus souvent me-
mation médicamenteuse sont plus explicatifs des ef- surée par le risque relatif, leur rapport RR = rt/rc .
fets iatrogènes observés. C’est donc plus en termes L’intérêt de cet indice est d’être constant, au moins
de fragilité qu’il faudrait définir cette population qu’en sous certaines conditions, pour une thérapeutique
termes d’âge. Pourquoi ne pas permettre un traitement donnée. Il devrait donc aider le médecin à choisir le
antibiotique chez un sujet valide ne présentant pas de traitement le mieux adapté au patient et au décideur
pathologie autre sous le seul prétexte qu’il a 80 ans ? de santé à sélectionner les thérapeutiques « intéres-
Pourquoi ne pas demander ? Puisque tout le monde santes », par exemple celles qu’il convient de rembour-

adsp n° 27 juin 1999 43


Médicament et santé publique

ser. En fait rien ne serait plus fallacieux que de ne NST. C’est une vision erronée du problème : le NST est
considérer que le risque relatif. un indice statistique, qui ne peut être interprété en toute
D’abord il n’est pas toujours constant [1]. Sa cons- rigueur que comme si chaque patient gagnait un peu,
tance suppose que le rapport r t/rc ne varie pas, ou encore le total aboutissant à un événement épargné pour NST
que la relation entre les deux risques soit une droite patients traités.
qui passe par l’origine des axes. Rien dans ce que l’on La loi de variation du bénéfice absolu avec le risque
sait du mécanisme d’action des thérapeutiques médi- de base permet de comprendre pourquoi on doit évi-
camenteuses ou autres ne justifie l’hypothèse que ce ter de comparer les bénéfices (individuels ou collectifs)
soit toujours le cas. Bien que les cas explorés soient de deux thérapeutiques simplement en juxtaposant leurs
encore en nombre restreint, on a observé des relations risques relatifs, ou, a fortiori, les bénéfices absolus
qui ne correspondaient pas à cette situation. observés dans les essais. Cette loi est très générale
En outre, pour le patient, le risque relatif ne repré- et ne précise pas le mode de variation pour un traite-
sente pas le bénéfice qu’il peut attendre du traitement. ment donné. Le concept de modèle d’effet doit, en
théorie, permettre d’approcher la variation en question
Variation du bénéfice en fonction du risque de base pour chaque thérapeutique. La finalité de cette opéra-
Le bénéfice thérapeutique individuel s’exprime mieux tion est la prédiction individuelle du bénéfice attendu.
par la différence de risque ∆ = rc – rt ou bénéfice ab- L’enjeu est donc considérable. C’est aussi le moyen
solu. Cette quantité représente bien ce que la patient de définir au mieux la population cible de la thérapeu-
est en droit d’attendre du traitement. La valeur ∆ ex- tique [5]. Malheureusement, en partie pour des raisons
prime la réduction de risque due au traitement. Or ∆ réglementaires, il est difficile aujourd’hui d’accéder au
augmente avec rc pour deux types de raison : purement modèle d’effet car il faudrait, outre les méthodes ap-
mathématique et de nature biologique [2]. Ainsi un sujet propriées qui commencent à apparaître, disposer des
bénéficiera d’autant plus du traitement que le risque données [6].
spontané rc est plus élevé. Cette loi trouve une appli-
cation pratique particulièrement dans le domaine cardio- Un exemple d’application à travers trois études de
vasculaire : les facteurs de risque y sont assez bien prévention
connus et nous disposons de thérapeutiques dont l’ef- Le tableau 1 présente les résultats de trois essais thé-
ficacité et la sécurité sont bien connues. C’est ainsi rapeutiques : 4S, West of Scotland (WOSCOP), et ISIS
que l’on aboutit au paradoxe apparent que la meilleure 2. Les deux premiers ont étudié la prévention de la morbi-
prévention du risque d’événements cardio-vasculaires mortalité liée aux maladies cardiaques ischémiques par
corrélés à l’hyperglycémie chez le diabétique non insulino- des médicaments hypolipémiants de la classe des
dépendant et hypertendu est la prise de diurétique. Cette statines, 4S en prévention secondaire (la population
loi explique aussi que le traitement antihypertenseur, éligible était constituée par les sujets ayant présenté
pour rester dans ce domaine, est d’autant plus béné- un premier infarctus du myocarde), l’essai West of
fique pour le patient que celui-ci est âgé (dans une plage Scotland en prévention primaire. Le troisième essai
d’âge assez large). C’est encore elle qui justifie l’abs- évaluait la fibrinolyse intraveineuse à la phase aiguë
tention de l’aspirine en prévention cardio-vasculaire de l’infarctus du myocarde. Dans ces trois essais le
primaire [3]. Une autre expression, qui possède les critère de jugement était la mortalité de toutes causes
mêmes propriétés que le bénéfice absolu mais apporte et les patients du groupe contrôle recevaient un pla-
une autre vision du même problème est le nombre de cebo.
sujets à traiter (NST) [4]. C’est l’inverse du bénéfice
absolu, celui-ci étant exprimé en fréquence et non en Effets du risque de base
pourcentage. Il indique le nombre de sujets qu’il fau- Les risques relatifs obtenus dans ces trois études sont
dra traiter pour éviter un événement. Comme le béné- similaires. Cependant, les risques de base observés
fice relatif, il varie avec le risque de base. Son inter- dans les groupes contrôles sont très différents. Dans
prétation est plus difficile qu’on pourrait le croire. Cet 4S le risque de base est deux fois supérieur à celui
indice donne en effet l’impression que l’on pourrait isoler de West of Scotland et proche de celui d’ISIS2. Ce qui
le patient qui seul va bénéficier du traitement parmi les explique les différences des valeurs de risque et de NST.

tableau 1
Essais Groupe de contrôle Groupe traité durée RR ∆ NST
Décès % Effectif Décès % Effectif
4S 256 11,5 % 2 223 182 8,2 % 2 221 4,9 ans 71 % 3,3 % 30
WOSCOP 135 4,1 % 3 293 106 3,2 % 3 302 5,4 ans 78 % 0,9 % 112
ISIS 2 12,0 % 8 595 9,2 % 8 582 5 sem. 77 % 2,8 % 36

44 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et risque

En prévention primaire (West of Scotland), il est néces- de 100 000 et que celle de l’infarctus du myocarde soit
saire de traiter avec une statine un nombre de patients de 50 000. Supposons en outre qu’un traitement
3,5 fois supérieur à celui nécessaire en prévention thrombolytique coûte autant qu’une année de traitement
secondaire pour éviter un décès, du fait d’un risque de par statine. Administrer un fibrinolytique aux 50 000
base trois fois moindre. Par contre, le bénéfice de la sujets atteints d’infarctus est donc équivalent en ter-
fibrinolyse à la phase aiguë de l’infarctus possède une mes de dépenses à traiter six mois les 100 000 su-
valeur de NST identique à celle de la prévention secon- jets de la population cible des statines en prévention
daire, car les risques bruts de base ont des valeurs primaire. Quels sont les gains espérés respectifs à coûts Bibiographie
proches. égaux ? 1 400 décès épargnés avec la fibrinolyse con- 1. Boissel JP, Collet JP,
tre… 1 avec les statines. Lièvre M, Girard P. Art effect
model for the assessment of
Effets de temps Si les médecins ne traitent avec les statines que les drug benefit : example of
Remarquons que la période de référence du risque de sujets les plus à risque, qui représentent 7 % de l’en- antiarrhythmic drugs in
base est de 5 semaines pour ISIS2 tandis qu’elle est semble avec la distribution (imaginaire mais vraisem- postmyocardial infarction pa-
de 4,9 ans pour 4S. Le temps intervient dans la com- blable) des risques de base en situation de prévention tients. J Cardiovasc Pharpacol
1993 ; 22 : 356-63
paraison par l’intermédiaire de deux facteurs : le coût primaire, les dépenses affectées au traitement fibri-
2. Boissel JP, Gueyffier F,
du traitement et le risque de base (donc le bénéfice nolytique permettraient de les traiter sept ans pendant Haugh MC. Response to « Inclu-
absolu ou le NST). En faisant des hypothèses, d’ailleurs lesquels on éviterait 83 événements. sion of women and minorities in
pas forcément faciles à vérifier, on calcule que pour Les manipulations calculatoires ci-dessus ne doivent dinical trials and the NIH
aboutir au même bénéfice absolu que celui observé pas être prises au pied de la lettre car elles ont impli- revitalization act of1993 -- the
perspective of NIH dinical
dans 4S (3,3 %), faudrait traiter en prévention primaire qué des hypothèses dont certaines ont peu de chance trialists ». Controlled Clinical
avec la même statine pendant 15,3 ans (alors que d’être vérifiées. Elles supposent que le risque de base Trials 1995 ; 16 : 286-8
l’essai WOSCOP n’a duré que 5,4 ans). Le coût du trai- sur une même période est indépendant de l’âge du sujet, 3. Boissel JP. lndividualizing
tement serait alors multiplié par le rapport des durées. ce qui est évidemment faux. Elles supposent aussi que aspirin therapy for prevention of
cardiovascular events. Jama
On conçoit l’intérêt de pouvoir standardiser les indi- l’effet du traitement est constant dans le temps. Ceci
1998 ; 280 : 1949-50
ces sur la durée du traitement en s’appuyant sur les est probablement faux. Outre que l’on peut imaginer 4. Chatelier G, Zapletal E,
mêmes hypothèses. Mais ceci ne permettrait pas de que l’observance, surtout en prévention primaire, ne Lemaitre D, Menard J, Degoulet
comparer la fibrinolyse avec les statines, puisque le restera pas identique chez tous les patients à mesure P. The number to treat :
traitement fibrinolytique est « instantané ». On pour- qu’ils prennent de l’âge, il a été observé au moins dans adinically useliil nomogram in its
proper context. BMJ 1996 ;
rait encore standardiser sur le risque de base, en une situation que l’efficacité d’un traitement pharma- 312 : 426-9
imaginant un « patient standard », dont le risque se- cologique de l’hypertension artérielle variait au cours 5. Collet JP, Boissel JP and
rait, par exemple, r c = 5 %. En fait cela reviendrait à du temps et que cette variation dépendait de l’objec- the Validata Group. Sick popula-
comparer les risques relatifs. Ce ne serait valide que tif thérapeutique considéré [7]. tion-treated population : the
need for a better definition. Eur J
si les modèles d’effet des traitements étaient diffé- Malgré ces limitations, ces exemples montrent que
Clin Pharmacol 1991 ; 41 :
rents. C’est une autre histoire qui s’ouvre là et qui l’on ne saurait limiter l’exploration de l’efficacité d’une 489-491
nous entraînerait trop loin. thérapeutique aux dimensions consignées dans le cadre 6. Haugh MC, Boissel JP,
Une autre intervention du facteur temps mérite d’être restreint d’un essai clinique. Lorsqu’on cherche à dé- Bossard N, Gaydarova M,
signalée. Elle dépend de l’âge des sujets. Les patients passer ce cadre, on se heurte à la nécessité d’extra- Gueyffier F, Maupas J, Strang N.
Clinical Trial Registries : A comer
concernés par la prévention primaire sont plus jeunes poler à partir de données insuffisantes et de modèles stone in the assessment and
que ceux concernés par la prévention secondaire. Donc dont la pertinence n’a pas été vérifiée. dissemination of medical
la durée de traitement par une statine sera plus lon- Après avoir identifié les quelques modalités imagi- knowledge. Feasibility of dinical
gue dans le premier cas, puisque les médecins n’ar- nables de l’effet instantané d’une thérapeutique, on trial registries in Europe. In :
European Medicines Research .
rêtent pas un traitement de prévention cardio-vasculaire peut par simulation explorer les possibilités d’évolu-
Fracchia GN Ed. IOS Press
sauf si un effet indésirable survient. Cette durée plus tion du bénéfice au cours du temps selon le mode d’ac- 1994 : 353-359
longue peut conduire à un bénéfice absolu plus grand tion du traitement [8]. On s’aperçoit de l’extrême di- 7. Boutitie F, Gueyffier F,
mais toujours pour un coût plus élevé. versité des cas de figure possibles et de l’absence de Pocock SJ, Boissel JP. Assessing
relation entre les évolutions et les risques relatifs ou treatment-time interaction in
dinical trials with time to event
Quels bénéfices pour la société ? bénéfices absolus mesurés par les essais cliniques. data : a meta-analysis of hyper-
L’analyse ci-dessus a été envisagée du point de vue Le seul moyen dont nous disposons aujourd’hui pour tension trials. Stat Med 1998 ;
du patient. Quel autre facteur intervient dans une op- explorer, bien imparfaitement d’ailleurs, l’évolution à 17 : 2883-2903
tique de santé publique ? La prévalence de la maladie. long terme de l’efficacité des traitements chroniques 8. Cucherat, résultats non
publiés, 1998
On accède alors au nombre d’événements que l’on pour- est la méta-analyse sur données individuelles [9].
9. Gueyffier F, Boutitie F,
rait éviter si tous les sujets atteints de la maladie ou Les deux leçons à tirer des développements ci-des- Boissel JP, Coope J, Cutler J,
à risque étaient traités, et l’on peut comparer les bé- sus sont d’une part l’impossibilité de résumer l’efficacité Ekbom T, Fagard R, Friedman L,
néfices à coûts égaux pour la société (par exemple). d’un traitement en un seul indice, et d’autre part que Perry HM, Pocock S, Prineas R,
À partir des données du tableau, comparons l’impact l’évolution au cours du temps de l’effet attendu est Schron E. INDANA : a meta-
analysis on individual patient
de la prévention primaire avec une statine et celui de complexe, dépendant probablement du traitement con- data in hypertension. Protocol
la fibrinolyse. Pour cela, supposons que l’incidence des sidéré et ne peut être déduite des indices classiques and preliminary results. Therapie
sujets type WOSCOP dans la population générale soit calculés à partir des résultats tabulés des essais. 1995 ; 50 : 353-362.

adsp n° 27 juin 1999 45


Médicament et santé publique

Consommation et
prescription On connaît la
consommation de
médicaments
grâce à différentes
sources publiques
et privées. De ces
bases de données
E
n 1997, la consommation de produits
pharmaceutiques dépassait 134
milliards de francs et représentait
sont issus des
Comptes de la santé, 18,4 % de la consommation médicale totale. indicateurs qui
Sesi, logiciel Éco-Santé Sa croissance moyenne est de l’ordre de 5 %
France. Paris, Credes,
1998
par an depuis 1990. Elle représente 1,6 % permettent une
du produit intérieur brut, ce qui classe la
France au 2 e rang des pays de l’OCDE lar- évaluation assez
gement devant ses voisins européens [1].
Son importance dans la pratique médicale, précise des
son poids dans la consommation médicale
rendent la connaissance de ce secteur in-
prescriptions et de
dispensable. De nombreux outils se sont donc la consommation.
développés autour de sa mesure. Leurs ob-
jectifs sont multiples, connaître, maîtriser,
rembourser, expliquer… et les indicateurs
qui en sont issus rendent compte chacun d’un
des aspects de ce secteur.
L’objectif de cet article est de présenter les bases tions qu’elles contiennent, recueillies aux différentes
de données sur le médicament existant en France et étapes du circuit du médicament ne sont pas compa-
les indicateurs qui en sont issus. La première partie rables, et l’utilisation qu’il est possible d’en faire va-
est consacrée à la description des principales sources rie donc selon les bases.
publiques et privées d’information. Dans une deuxième Toutes ne sont pas non plus accessibles. Un grand
partie, nous utiliserons quelques-unes de ces sources nombre d’entre elles sont en effet produites à des fins
pour brosser un tableau de la consommation et de la commerciales. Elles appartiennent à des sociétés pri-
prescription des médicaments en France. vées dont les principaux clients sont l’industrie phar-
maceutique. Les informations diffusées sur leur contenu
Catherine Sermet Des sources diverses et complémentaires sont souvent assez restreintes et les exploitations
Maître de recherche, Les bases de données sur le médicament sont relati- publiées se limitent généralement à des résultats assez
Credes vement nombreuses et diversifiées [2, 3]. Les informa- globaux. De ce fait, la liste que nous donnons est pro-

46 adsp n° 27 juin 1999


Consommation et prescription

bablement incomplète, limitée à celles qui sont les médicaments remboursables représente 6 % des dé-
plus connues ou dont certains résultats sont diffusés penses tandis que l’acquisition de spécialités non rem-
dans la presse spécialisée (lire pages 48 et 49). boursables, ou médication familiale, représente 11 %
des dépenses. La part du médicament familial en France
est inférieure à celle de la plupart des pays d’Europe
[7] et elle semble baisser régulièrement (–5,7 % entre
1997 et 1998) (figure 1).
Le médicament en chiffres
figure 1
Le financement des dépenses de pharmacie, France 1996
Un chiffre d’affaires pour l’industrie de 143
milliards de francs Médication familiale
En 1998, selon le Snip [6], le chiffre d’affaires de l’in-
dustrie pharmaceutique française était de 143 milliards Acquisition spontanée
de francs, en prix fabricant hors taxes : 44 milliards de remboursables 6%
étaient destinés à l’exportation et 99 milliards au marché 11 %
intérieur français. Ticket modérateur
Au sein de ce marché français, le chiffre d’affaires à la charge 3% 61 % Assurance
des spécialités vendues aux hôpitaux est de 15 mil- des ménages maladie
liards, le solde, soit 84 milliards se répartissant en 76
19 %
milliards de médicaments vendus aux grossistes répar- Assurances
titeurs et 9 milliards de médicaments vendus directe- Source : complémentaires
ment aux pharmaciens d’officine. Snip,
comptes
de la
Et une consommation des ménages santé,
IMS
de 129 milliards de francs
En 1996, selon les comptes nationaux de la santé, la
consommation pharmaceutique de ville s’élevait à 129
milliards de francs, soit 2 216 francs par personne et
par an1 . Cette consommation totale comprend les pro- La consommation pharmaceutique
duits pharmaceutiques, les produits sanguins, les pré- augmente avec l’âge
parations magistrales et les honoraires spéciaux des Les données des enquêtes auprès des ménages, en-
pharmaciens d’officine. Selon le Snip, les seuls médi- quête 1991-1992 sur la santé et les soins médicaux
caments, c’est-à-dire les produits avec AMM, ont repré- de l’Insee [8] et enquêtes sur la santé et la protection
senté la même année un peu moins de 123 milliards sociale du Credes [9, 10], sont les principales sour-
de francs. Soulignons qu’une partie de ces ventes réa- ces associant informations précises sur le consommateur
lisées en officine est consécutive à une prescription et sur les médicaments. Ce sont ces données qui sont
1. Comptes nationaux de
hospitalière. Elles correspondent à environ 5 % du utilisées ici. Sont également utilisés les résultats is- la santé, Sesi.
marché2. sus de l’appariement entre l’enquête « santé protec- 2. soit 3,8 milliards de
Le financement des dépenses de pharmacie est tion sociale » de 1992 et les informations sur les pres- francs en prix d’achat
assuré pour sa majeure partie par l’assurance mala- tations contenues dans l’échantillon permanent grossiste hors taxes.
die, avec près de 61 % des dépenses. Les assuran- d’assurés sociaux de la Cnamts (Epas).
ces complémentaires, qui protègent 84 % des ménages, En 1997, en un mois, 36 % des personnes ont ac-
couvrent 19 % des dépenses. Enfin, la part revenant quis au moins une fois de la pharmacie. La consom-
aux ménages atteint 20 % des dépenses, elle com- mation moyenne par individu était de 2 boîtes et la
prend l’automédication, 17 %, et le ticket modérateur dépense de 91 francs.
des ménages, 3 %. Ce dernier correspond à la part La consommation pharmaceutique varie fortement
payée par les personnes non couvertes par une as- avec l’âge : élevée chez le très jeune enfant, puis re-
surance complémentaire et ne bénéficiant pas de lativement basse jusqu’à 40 ans, elle croît régulière-
l’exonératrion du ticket modérateur. En 1996, les ment à partir de cet âge. Au-delà de 80 ans, le nom-
remboursements de l’assurance maladie pour les bre de boîtes acquises par personne est le double de
médicaments, tous régimes confondus, atteignaient celui des enfants de moins de 2 ans. En dépenses, la
75 milliards de francs et la dépense reconnue, c’est- croissance selon l’âge est proche de celle observée en
à-dire le montant total présenté au remboursement nombre de boîtes. Il faut souligner la très forte consom-
était de 103 milliards de francs. mation des personnes âgées. En effet, alors que les
L’automédication, c’est-à-dire les médicaments ache- 60 ans et plus représentaient, en 1992, 19 % de la
tés à la pharmacie sans prescription médicale, se scinde population totale, leur dépense pharmaceutique corres-
en deux composantes : l’acquisition spontanée de pond à 46 % de la dépense pharmaceutique totale.

adsp n° 27 juin 1999 47


Médicament et santé publique

secteur public données sont directement transmises par les la-


boratoires.
lieu à remboursement par les caisses maladie.
Concernant la pharmacie, cette base contient
L’Agence française de sécurité sanitaire Par définition ce fichier ne couvre que le médi- la somme payée par l’assuré pour les médica-
1
des produits de santé cament remboursable, seul assujetti à la con- ments remboursables.
La base de l’Afssaps est réalisée à partir des dé- tribution à l’Acoss. l La montée en charge progressive de la té-
clarations fiscales obligatoires des titulaires d’auto- létransmission et donc du codage des médica-
risation de mise sur le marché (AMM), dans le Les données du Sessi (services des ments permet actuellement la construction de
cadre de la taxe sur les spécialités pharmaceu- statistiques industrielles) nouvelles bases de données et parmi elles, les
tiques (article L 602 du Code de la santé publi- L’intérêt pour ces données qui permettent une tableaux de bord de suivi de la pharmacie. Cette
que). C’est une banque de données exhaustive. approche de la production nationale s’est af- base contiendra le code CIP, la classe théra-
Elle comporte les médicaments vendus à l’hô- faibli ces dernières années en raison de l’inter- peutique, le montant remboursé, la base de rem-
pital et en officine, remboursables ou non ; elle nationalisation croissante du secteur du médi- boursement, et des informations sur le consom-
comprend également les produits homéopathi- cament. mateur (sexe et âge, exonération du ticket
ques et les produits sanguins stables. Elle existe l L’enquête mensuelle de branche (EMB) per- modérateur).
depuis 1978 et est informatisée depuis 1983. met un suivi de la production de produits phar- l Les enquêtes ponctuelles de l’assurance ma-
Les informations disponibles sont la présenta- maceutiques à usage humain ou vétérinaire. Elle ladie ne peuvent pas toutes être citées dans le
tion pharmaceutique (code CIP), le nombre concerne les entreprises de plus de 20 salariés cadre de cet article tant elles sont nombreuses
d’unités vendues par secteur de distribution et fournit le chiffre d’affaires des laboratoires avec au niveau local et national. Citons toutefois l’en-
(officines, grossistes ou hôpital), valorisées par les rubriques suivantes : ventes aux grossistes, quête nationale sur la pharmacie de mai 1993.
les laboratoires au prix de production hors taxes. ventes directes, ventes aux hôpitaux, exporta- Il s’agit d’un échantillon national représentatif
tions et ventes de produits vétérinaires. Elle ne au 1/48e des ordonnances de médicaments pré-
Les données du bureau des transferts comporte pas le caractère remboursable ou non, sentées au remboursement entre le 10 et le
sociaux elle contient toutes les exportations parallèles, 15 mai 1993 (128 000 ordonnances).
2
La base « Pharmacie » gérée par le bureau des elle ne comprend pas les petits laboratoires assez
transferts sociaux (BTS) [4] de la direction de nombreux en France. Les enquêtes auprès des ménages
la Prévision couvre les médicaments rembour- l L’enquête annuelle d’entreprise (EAE) permet 12l L’enquête décennale sur la santé et les soins
sables de 1980 à 1995. Elle ne contient pas de reconstituer les comptes des entreprises. médicaux (ESSM). Réalisée tous les 10 ans par
les médicaments destinés au secteur hospita- l L’enquête annuelle de branche (EAB) publiée l’Insee en collaboration avec le Credes, la der-
lier et les « non-remboursables ». On dispose pour satisfaire aux obligations communautaires n’a nière édition de cette enquête date de 1991-
des quantités de médicaments vendues, des prix que peu d’intérêt en raison d’un poste de la no- 1992. Elle permet de recueillir sur une période
à la production et à la consommation, de leur menclature qui regroupe 60 % de la production. de trois mois toutes les acquisitions de produits
classe thérapeutique, du laboratoire fabricant, pharmaceutiques, prescrits ou non, remboursa-
du taux de remboursement et de l’année d’ob- Les données de l’assurance maladie bles ou non. Les limites de ce type d’enquête
tention de l’AMM. Comme la base de l’Agence 15l La Caisse nationale de l’assurance maladie sont liées aux omissions et à la non-participa-
française de sécurité sanitaire des produits de des travailleurs salariés (Cnamts) réalise une tion des personnes très malades qui engendrent
santé, les données proviennent des déclarations évaluation mensuelle des dépenses de médi- une sous-estimation de la consommation, ainsi
fiscales des laboratoires à la direction générale caments remboursables globale et par taux de qu’à son caractère très ponctuel (tous les 10
de la Concurrence, de la Consommation et de remboursement. Les valeurs sont exprimées en ans).
la Répression des fraudes. Elles sont complé- prix publics toutes taxes comprises et publiées 13l L’enquête sur la santé et la protection sociale
tées par des informations issues du Vidal. en date de liquidation. Cette source ne comprend (ESPS). Bien que réalisée par un centre de re-
que les médicaments remboursables effective- cherche de statut privé, l’enquête sur la santé
Les données de l’Acoss ment présentés au remboursement au régime et la protection sociale, par les possibilités d’ac-
4 L’Agence centrale des organismes de sécurité général. cès à son contenu et la diffusion des exploita-
sociale (Acoss) dispose de données des chif- l Les informations issues de l’Échantillon per- tions qui en sont issues, peut être assimilée aux
fres d’affaires trimestriels pour tout le secteur manent d’assurés sociaux (Epas). L’Epas est une bases de données du secteur public. Elle est
du médicament remboursable. Ces données sont base de données portant sur un échantillon de réalisée annuellement par le Credes depuis 1988
ventilées par laboratoire et par grossiste. Elles 1/2000 e des assurés du régime général auprès d’un échantillon d’environ 10 000 per-
sont recueillies à des fins fiscales. (Cnamts). Il contient des informations sur l’âge, sonnes représentatives des ménages compor-
Les données de vente des grossistes aux offi- le sexe, la spécialité du producteur de soins, la tant au moins un assuré au régime général, à
cines sont transmises par la Chambre syndicale date des soins et les flux monétaires (débours la Canam et à la MSA. Cette enquête recueille
de la répartition pharmaceutique (CSRP) puis du consommateur, montant remboursé, taux de l’ensemble des consommations pharmaceuti-
elles sont adressées à l’Acoss. Le chiffre d’af- remboursement). La nature précise du médica- ques sur une période d’un mois.
faires est exprimé en prix grossiste hors taxe et ment acheté n’est pas connue pour le moment. Dans la version de 1996 se trouve également
prend en compte les remises et les ristournes. l Le SNIR est un système national d’informa- une première approche de la consommation vue
Depuis 1997, les ventes directes sont également tion qui permet de recueillir et d’agréger l’acti- sous l’angle de l’absorption avec une interro-
soumises à cette contribution à l’Acoss, et les vité libérale des professions de santé ayant donné gation sur la consommation pharmaceutique de

48 adsp n° 27 juin 1999


Consommation et prescription

Les principales secteur privé sentativité du panel est contrôlée tous les 6 mois,
ce qui conduit à un taux de renouvellement de 4 %.
l
informations La Cegedim offre une série de produits et en par-
ticulier :
– Icomed (Institut de la communication médicale)
Les données sont fournies mensuellement.
7 – Pharmatrend mesure les ventes aux consomma-
teurs directement via les tickets de caisse. Il est basé
statistiques sur mesure le comportement de prescription des mé-
decins par rapport aux 800 médicaments les plus
sur le même panel de 450 pharmacies que LMP.
Il s’agit des ventes à la ville et la base de données

le médicament vendus et aux nouveautés apparues dans l’année,


par le biais d’un questionnaire annuel.
informe sur la nature de l’achat (prescrit ou non
prescrit). Le prix est le prix public TTC. Il s’agit donc
10 – Thalès enregistre l’activité quotidienne d’un échan- des sorties d’officine avec des prix à la consom-
tillon de 600 médecins généralistes libéraux infor- mation. La publication est hebdomadaire et men-
Laboratoire matisés. Cet outil permet des études épidémiolo- suelle.
pharmaceutique giques, économiques et de marketing grâce en
1 2 3 4 9 – Le marché hospitalier (LMH) fournit des informa-
particulier au suivi des patients. tions sur les ventes à l’hôpital. Les informations sont
recueillies à partir de 465 établissements. Leur pu-
Prix fabricant 3 l Le Groupement pour l’élaboration et la réalisa-
hors taxes blication est semestrielle.
tion de statistiques (Gers) est un Groupement d’in- 11 – L’Enquête permanente sur la prescription médi-
térêts économiques regroupant 250 laboratoires cale (EPPM). Le recueil d’informations se fait auprès
Grossiste-
répartiteur Ventes pharmaceutiques. Il propose un grand nombre de des médecins exerçant en pratique libérale en France
5 directes produits parmi lesquels : métropolitaine. L’échantillon annuel est de 835 mé-
Ventes – Pharmagers est une base de données mensuel- decins, enquêtés quatre fois 7 jours chacun. Sont
directes
Prix fabricant les de toutes les ventes au marché français, des- exclus, les chirurgiens, anesthésistes, biologistes
hors taxes tinées à la ville et à l’hôpital. Le Gers recueille des et radiologues et tous les médecins qui ne pres-
statistiques de vente en unités, qui sont ensuite va- crivent pas de médicaments allopathiques. La pu-
Prix grossiste Prescripteur lorisées pour obtenir des données de chiffre d’af- blication est trimestrielle. Cette enquête permet de
hors taxes faires par spécialité. Cette base est quasiment ex- connaître les caractéristiques des médecins et des
10 11
haustive. Pour les ventes transitant par les grossistes patients, les diagnostics ou motifs des séances et
répartiteurs, le Gers récupère les factures que les d’avoir une copie de l’ordonnance. Les résultats sont
grossistes adressent aux officines et les valorise au publiés trimestriellement.
prix fabriquant hors taxes. Pour les ventes direc- – Mediplus enregistre l’activité quotidienne d’un
tes, ce sont les laboratoires qui transmettent leurs échantillon de 450 médecins informatisés. Elle per-
Officine Pharmacie factures au Gers et la valorisation se fait au prix met de suivre en continu l’activité des médecins
6 7 8
hospitalière 9 fabricant hors taxes augmenté de la marge des gros- et d’obtenir des données de suivi des patients.
sistes (10,74 %). Cette méthode conduit à une su- 8 – Xponent mesure en pharmacie les ventes aux con-
Prix public révaluation des ventes directes. sommateurs et l’origine de la prescription des pro-
toutes taxes
comprises – Topgers : cette base fournit les chiffres d’affai- duits listés. Cette base de données repose sur
res mensuels des laboratoires pharmaceutiques sur Pharmastat, un réseau de 6 800 officines de la
Patient Patient la base du volontariat (90 %). Elle ne fournit que Fédération des syndicats pharmaceutiques de France
12 13 hospitalisé 14 des données globales et n’est pas exhaustive. Elle (FSPF). Les données issues de ce réseau ne sont
sert aux laboratoires pour se positionner en termes pas rendues publiques.
de parts de marché. – Logimed publie les données d’une enquête réa-
Prix public toutes taxes comprises lisée 2 fois par an par questionnaire auprès de l’en-
Ticket modérateur
l IMS-Health (Informations médicales et statisti- semble des généralistes et des spécialistes (taux
ques) est un producteur important sur le plan mondial de réponse de 50 % environ).
Assurance d’études statistiques pour l’industrie pharmaceu-
maladie 15 tique. Il commercialise de nombreux produits et un 5 l OCP France Répartition est un des grossistes-
des intérêts de ses études réside dans la possibi- répartiteurs. Il commercialise une base de données
lité de comparaisons internationales. « OCPdata » qui recense des données de ventes,
6 – Le marché pharmaceutique (LMP) mesure les en ville, aux 16 000 officines de son réseau.
la veille de l’enquête. Cette enquête a les achats des pharmacies aux grossistes et labora-
mêmes limites que la précédente concer- toires des produits avec AMM. Ce produit est basé l HPR, avec sa base Prehostat, étudie les pres-
nant les omissions de déclarations et la non- sur les unités achetées par les officines, valorisées criptions hospitalières délivrées en ville [5]. Ce panel
participation des très malades. au prix fabriquant hors taxe, quel que soit le cir- comporte 394 officines et a permis de recueillir
14l L’enquête nationale sur les hospitalisés cuit suivi par le médicament ensuite. Il s’agit des 26 600 ordonnances hospitalières en 1998. Les
menée par le Credes analyse la morbidité entrées en stock et cette étude est basée sur un valeurs sont calculées sur la base du prix d’achat
et la consommation médicale un jour donné. panel de 450 pharmacies informatisées. La repré- grossiste hors taxes.

adsp n° 27 juin 1999 49


Médicament et santé publique

Les femmes consomment plus que les hommes, supérieure de 12 %. Ce paradoxe apparent s’explique
excepté chez les moins de 2 ans : dès 20 ans et jus- probablement par la situation financière des chômeurs
qu’à 40 ans le taux de consommateurs est largement qui retardent leur consommation de soins, mais qui en
supérieur à celui des hommes, puis les écarts s’ame- revanche sont plus malades que les actifs.
nuisent mais leur consommation reste toujours supé- Les informations issues des demandes de rembour-
rieure (figure 2). sement aux caisses complètent ces informations : les
cadres ont, après ajustement sur l’âge, une dépense
figure 2 de pharmacie présentée au remboursement inférieure
Taux de consommateurs de pharmacie en un mois, selon l’âge de 25 % par rapport à la moyenne et celle des chômeurs
et le sexe, France 1997 (en pourcentage) dépasse la moyenne de 20 %.
Les facteurs financiers sont approchés au travers des
80 revenus : ils sont également très importants. En un mois,
Hommes le taux de consommateur de pharmacie est de 25 % pour
Femmes les ménages ayant des revenus par personne inférieurs
60 à 3 000 francs et de 46 % pour ceux ayant des revenus
supérieurs à 8 000 francs. Ces écarts persistent après
élimination des effets de l’âge et du sexe.
40 Les écarts observés selon la taille du ménage sont
considérables, même après élimination des effets de
l’âge et du sexe : les taux de consommateurs des
20 personnes seules dépassent la moyenne de 46 % tandis
que ceux des ménages de 6 personnes et plus sont
inférieurs de 45 %. En termes de dépenses présentées
0 au remboursement, les personnes seules dépensent
Source :
moins 2à9 10 à 19 20 à 29 30 à 39 40 à 49 50 à 59 60 à 69 70 à 79 80 ans 2 fois plus que la moyenne de la population, les mé-
Credes
de 2 ans ans ans ans ans ans ans ans ans et plus nages de 2 personnes, 1,7 fois plus tandis qu’à l’op-
ESPS,
1997 posé, les ménages de 4 ou 5 personnes dépensent
environ moitié moins.
Enfin, tous les indicateurs observés, taux de consom-
mateur, dépense, dépense présentée au rembourse-
Catégorie sociale, activité, taille du ménage, ment montrent que l’absence de couverture complémen-
couverture complémentaire, autant de déterminants taire maladie diminue la consommation de pharmacie.
Bibiographie de la consommation de médicaments Ainsi par exemple, alors que les personnes exonérées
1. Lecomte Th. Paris V. Outre la description de la consommation pharmaceu- du ticket modérateur et bénéficiant d’une couverture
Consommation de pharmacie en tique, les enquêtes auprès des ménages permettent complémentaire ont une dépense de pharmacie présen-
Europe en 1992 , Credes également de mieux comprendre les déterminants socio- tée au remboursement, à âge et sexe égaux, 2 fois su-
n° 1048, 1994 démographiques de la consommation. Différents indi- périeure à la moyenne, celles qui n’en ont pas dépen-
2. Domergue Ph, Rupprecht
F., Le suivi statistique du sec- cateurs peuvent être utilisés : les taux de consomma- sent seulement 1,6 fois plus. Un écart du même ordre
teur du médicament, Insee, teurs ainsi que la dépense sont estimés à partir des est observé entre les personnes non exonérées du ticket
rapport au ministre du Travail et acquisitions de médicaments. La dépense reconnue modérateur avec et sans assurance complémentaire
des Affaires sociales, Insee, comprend uniquement les ordonnances présentées au (dépenses égales à 0,8 et 0,5 fois la moyenne).
1996
remboursement.
3. Richard O. À la base des
données, ou le médicament On peut ainsi constater que les taux de consomma- Une ordonnance comporte en moyenne près de
chiffré. Pharmaceutiques, février teurs de pharmacie en un mois sont plus élevés pour 3 médicaments et coûte 270 francs
1998, n°54 les cadres, les professions intermédiaires et les em- La prescription des médecins libéraux peut être absorbée
4. Iung N., Rupprecht F. Le ployés que pour la moyenne de la population. Après en particulier au travers des enquêtes auprès des
marché pharmaceutique fran-
çais : la prépondérance des ajustement sur l’âge, les cadres ont un taux de con- médecins menées depuis de nombreuses années par
produits phares. Économie et sommateur supérieur de 24 % à la moyenne et les IMS-Health. Ce sont les données de l’enquête perma-
statistiques n° 312-313, 1998, employés de 9 %. À l’opposé, les taux des agriculteurs nente sur la prescription médicale (EPPM) de 1994 qui
2/3, pp21-33 sont inférieurs de 38 %. La hiérarchie des dépenses ont été utilisées pour cette partie [11].
5. Albanese V. Un 3e marché
est différente : ce sont les employés qui dépensent le En 1994, plus de 80 % des séances de médecin ont
de 3,8 milliards, les ventes de
ville d’origine hospitalière, plus (+16 %) alors que la dépense des cadres est donné lieu à la prescription de médicaments. Chez les
Pharmaceutiques, mai 1999, moyenne. Les dépenses les plus basses sont celles généralistes, cette prescription est particulièrement
n°67 des agriculteurs (–38 %) et celles des artisans commer- fréquente puisqu’elle concerne environ 90 % des séan-
6. Snip, l’industrie pharma- çants (–16 %). L’influence du chômage peut également ces. En revanche, elle est moins courante chez les
ceutique, réalités économiques,
édition 1998, site internet du être appréhendée par ces données : alors que les taux spécialistes. Près de 40 % de leurs séances ne don-
SNIP, http://www.snip.fr/indus- de consommateurs, des chômeurs sont inférieurs de nent pas lieu à la délivrance d’une ordonnance de
trie/présentation/CA3.htm 8 % à ceux des actifs, leur dépense en revanche est pharmacie.

50 adsp n° 27 juin 1999


Consommation et prescription

En moyenne, une ordonnance de pharmacie comporte figure 3


2,9 lignes : elle est plus longue chez les généralistes, Nombre de lignes et coût moyen d’une ordonnance de
3,1 lignes que chez les spécialistes, 2,2 lignes. Le pharmacie en 1994 selon la spécialité du prescripteur
nombre de médicaments par ordonnance varie selon
les spécialités de 2,9 pour les pédiatres et les cardio- Nombre de lignes par ordonnance Coût par ordonnance
logues à 1,8 pour les gynécologues et 1,7 pour les 4 3 2 1 0 0F 200 F 400 F 600 F
ophtalmologues. Alors que la fréquence de prescription
3,1 Généraliste 276 F
a augmenté entre 1983 [12] et 1994, le nombre de
lignes par ordonnance est resté stable pour les géné- 2,2 Spécialiste 247 F
ralistes, les cardiologues, les dermatologues, les gy-
nécologues et les ophtalmologues. En revanche, il a
augmenté pour les pédiatres et diminué pour les autres 2,9 Cardiologue 513 F
spécialistes.
2,1 Dermatologue 240 F
Le coût moyen d’une ordonnance est de 270 francs.
Il est de 276 francs pour les généralistes. D’importantes 2,3 Gastro-entérologue 288 F
variations sont à noter pour les spécialistes : de 128
1,8 Gynécologue 284 F
francs pour les pédiatres qui prescrivent des médica-
ments peu onéreux pour de courtes durées à 513 francs 2,7 Psychiatre 312 F
pour les cardiologues, qui prescrivent des médicaments
1,7 Ophtalmologiste 180 F
onéreux pour de longues périodes. Chaque boîte prescrite
coûte en moyenne 43 francs, un peu moins pour les 2,2 ORL 184 F
spécialistes, 40 francs, que pour les généralistes, 44
2,9 Pédiatre 128 F
francs. En francs courants, le prix moyen d’un condi-
tionnement a été multiplié par 1,8 depuis 1983 et le 2,7 Pneumologue 358 F
coût par ordonnance par 1,9. Cette croissance n’est Source :
Credes 2,2 Rhumatologue 242 F
pas ou peu liée aux variations des prix unitaires des EPPM
médicaments, mais traduit essentiellement des modi- 1994, 1,8 Autres spécialistes 331 F
IMS-
fications de la structure de la prescription et notam- Health
ment l’apparition de nouveaux médicaments, souvent
plus onéreux (figure 3).

Les médicaments à visée cardio-vasculaire et ceux tions, de leur répartition entre prescription et automé-
de l’appareil respiratoire sont les plus prescrits dication.
En 1994, les médicaments de l’appareil cardio-vas- À l’opposé, les données d’enquête nous donnent un
culaire représentent 17,1 % des lignes de prescrip- regard pointu sur les caractéristiques microéconomiques
tion et ceux de l’appareil respiratoire, 15,4 %. Ils sont de la consommation et sur ses déterminants. Ce n’est
suivis par ceux de l’appareil digestif, 10,1 % et ceux qu’au travers de ces dernières, malgré leurs imperfec-
du système nerveux central, 9,6 %. Cette répartition tions, que l’on pourra déterminer qui consomme, pour
observée pour l’ensemble des médecins est très proche quelle pathologie, et quels sont les facteurs individuels, 7. Droit et pharmacie ,
de celle des généralistes qui réalisent 82 % des pres- sociaux, démographiques, qui influencent cette consom- Bulletin international d’informa-
criptions. Elle est très différente pour l’ensemble des mation. Si ces données informent mal sur les niveaux tions, n° 01/99, page 27
8. Lecomte Th. La consom-
spécialistes car elle est conditionnée par la fréquence absolus, elles sont en revanche indispensables pour
mation pharmaceutique en
de prescription, la nature plus spécifique des produits apprécier les structures et donc les niveaux relatifs de 1991. Évolution 1970–1980–
et le poids démographique des différents spécialis- la consommation des individus. 1991. Credes, n°1030, 1994
tes. Le point de vue du médecin permet encore un autre 9. Aligon A. Déterminants de
abord. C’est lui qui est au centre du système et qui la consommation médicale de
ville en 1992, Tome 2 : la phar-
Des points de vue différents sur le médicament cristallise par sa prescription les influences de tous les macie et les biens médicaux.
Ainsi, nous l’avons vu au travers de ces quelques chif- autres acteurs. Il applique les référentiels de pratique, Credes, n° 1199, 1997
fres sur le médicament, les nombreux indicateurs pro- est influencé par les laboratoires, sollicité par ses 10. Dumesnil S., Grandfils N.,
duits par ces différentes sources sur le médicament, patients et doit rester dans le cadre défini par la loi ou et al. Santé, soins et protection
sociale en 1997 , Credes,
nous permettent d’aborder le secteur du médicament les conventions. L’observation fine de sa prescription
n° 1255, 1999
selon des points de vue variés, tous complémentai- peut nous apprendre beaucoup sur toutes ces interac- 11. Le Fur Ph., Le Pape A.,
res. tions. Analyse de l’application des référentiels, péné- Sermet C. La prescription des
Les données globales sur les ventes des laboratoi- tration des nouveaux médicaments, mesure des pra- médecins libéraux en 1994,
res ou les acquisitions des officines offrent une vue tiques par pathologie, variations individuelles de la Credes n° 1212, 1998
12. Le Fur Ph., Sermet C.
d’ensemble du marché du médicament rendant compte prescription, tous ces aspects et d’autres encore ne Clientèle, morbidité, prescrip-
des volumes et des montants mis en jeu. Ils permet- peuvent être approchés que par les enquêtes auprès tions en médecine libérale.
tent aussi une approche de la nature des consomma- des médecins. Credes n° 662, 1985

adsp n° 27 juin 1999 51


Médicament et santé publique

Médicament et société L’usage du médicament dépend de l’information et de la formation des prescripteurs.


Mais le médicament fait également l’objet d’une demande sociale.

Médicament et formation initiale et continue


Rationalité et irrationalité à l’origine du mésusage des médicaments
Médicaments psychotropes et individualité
Les associations, la recherche et l’accès aux nouveaux médicaments

La formation initiale
Médicament et La pharmacologie, dont les grandes révolutions sont
postérieures à 1950, était jusqu’à il y a peu de temps
la seule discipline à aborder l’étude du médicament.
formation initiale et Cet enseignement permet d’acquérir les bases fon-
damentales en début de cursus, de découvrir les mo-
continue lécules, les interactions, les contre-indications, les voies
d’absorption et d’élimination. Il aide à acquérir la cul-
ture nécessaire pour connaître les médicaments et leur
Serge Gilberg De la médecine des plantes aux médicaments, les mé- maniement usuel.
Professeur associé decins ont vu l’arsenal mis à leur disposition considé- Les objectifs de cet enseignement doivent répondre
de médecine rablement modifié. Les premiers médicaments effica- à ces besoins et être adaptés à l’apprentissage de la
générale à la faculté ces datent des années trente. thérapeutique au cours du tronc commun du 2e cycle
Il était facile en formation initiale de présenter les des études médicales quelque soit la discipline ensei-
Necker
principales molécules lorsqu’elles étaient peu nombreu- gnée et quelque soit le devenir professionnel de l’étu-
ses. Il devient plus difficile et plus complexe d’ensei- diant.
gner en tenant compte de l’apparition constante de nou- Les enseignements des spécialités abordent à nou-
velles molécules. C’est pourtant d’autant plus important veau les principaux traitements qui relèvent de la dis-
que les médecins disposent d’un choix beaucoup plus cipline, avec parfois un manque de coordination entre
large. Ils doivent donc connaître les critères décision- les disciplines.
nels et les arguments qui permettent de choisir et de L’enseignement de la thérapeutique, d’apparition
critiquer. Ils doivent être préparés à prescrire, de fa- récente, aborde les traitements des pathologies fréquen-
çon adaptée, compte tenu des demandes des patients tes et prépare aux attitudes thérapeutiques adaptées
et des exigences de la collectivité. en garde.
La formation continue concernant le médicament n’a L’introduction de cet enseignement représente un pro-
jamais été aussi importante. grès dans la formation médicale initiale, mais présente
Que penser des nouvelles molécules, faut-il modifier certaines limites.
ces habitudes thérapeutiques, comment se concerter Cet enseignement qui se veut synthétique, transversal,
sur les résultats, comment prendre en compte la pharma- et plus adapté à la pratique, garde souvent un abord
covigilance et les impératifs économiques ? Comment par classe thérapeutique ou par spécialité.
faire ces choix en toute indépendance compte tenu des La thérapeutique concerne l’étude du médicament.
sources d’information dont dispose le médecin ? Elle surdétermine le mode de pensée des étudiants

52 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et société

considérant que tout patient est un malade. La consul- donnateurs de dépenses, sont souvent tiraillés entre
tation ne saurait donc se terminer sans prescription. la demande du patient et celle de la société. De plus
L’enseignement de la démarche de soins doit illustrer en plus le médecin est confronté à des logiques qui
que le médicament est un outil parmi d’autres dans le interfèrent dans la prescription ou la non-prescription.
choix d’une stratégie thérapeutique. Dans bien des si- Le souci qualitatif vise à la prescription la plus perti-
tuations l’écoute suffit et permet d’éviter la prescrip- nente possible, ce qui conduit aussi parfois à la limi-
tion d’un médicament. ter (antibiotiques, benzodiazépines, etc.).
La mémorisation et le développement de la compé- La logique économique plaide souvent pour une
tence nécessitent d’apprendre la prescription dans l’ap- moindre consommation.
plication concrète, en particulier en situation de réso- La logique sociologique renvoie à la demande collective
lution de problème. Les situations fréquentes sont plus de « pilules » miracles en toutes situations (alopécie,
facilement rencontrées en pratique ambulatoire. Le 3 e impuissance, obésité, etc.) et de traitements efficaces
cycle de médecine générale s’attache à favoriser cette tout de suite. La médecine subit l’effet boomerang de
approche. la perception de toute puissance. Les patients atten-
Il faudrait toutefois intégrer dans la formation initiale dent du médecin et du médicament la solution rapide
sur le médicament certaines données. à tous leurs maux.
Le médicament est, aussi, ressenti comme une ré-
Les conditions de prescription ponse possible aux problèmes affectifs, émotionnels,
L’approche de l’enseignement est souvent trop théo- professionnels, sociaux ou environnementaux auxquels
rique. Les stages hospitaliers sont supposés apporter le patient est confronté.
une dimension plus concrète. Mais à l’hôpital les dé- Le médecin doit intégrer toutes ces dimensions pour
marches diagnostiques et thérapeutiques sont influen- concilier le bon usage du médicament avec une réponse
cées par le recrutement des malades, la gravité et l’ur- adaptée à la problématique et à la demande du patient.
gence de la maladie, les conditions de prescription, la
nature de la relation médecin-malade. Les médicaments La notion de recommandations
utilisés correspondent en général à des pathologies bien Ce n’est qu’à partir des années soixante que la notion
répertoriées ou au contraire rebelles aux thérapeutiques d’efficacité s’est imposée. Les médecins devenaient
usuelles et qui nécessitent d’innover. des « guérisseurs scientifiques ». Les trente dernières
La plupart du temps, ces prescriptions sont faites années ont vu une explosion des possibilités thérapeu-
sans l’avis du patient qui ne « négocie pas son traite- tiques. Ces innovations ont permis des progrès consi-
ment ». Les médicaments sont distribués au malade dérables. Toutes les gammes thérapeutiques se sont
qui, en règle générale, suit son traitement. Le problème enrichies. L’exemple de prescriptions courantes comme
de l’observance se pose peu. les antibiotiques ou les traitements antihypertenseurs,
Les étudiants doivent être mieux préparés aux situa- permet de mesurer le chemin parcouru. Pour autant les
tions rencontrées en ville : prescription de médicaments médecins ont été mal préparés à cet afflux de nouvel-
pour soulager des plaintes ; pour soigner sans toujours les molécules. Ils ont été formés sur des bases par-
avoir un diagnostic précis ; pour valider ou invalider une fois devenues obsolètes avec des opinions basées sur
hypothèse diagnostique ; prescription de médicaments l’expérience. Ils n’ont pas acquis les outils de la criti-
d’usage courant et non prescrits à l’hôpital ; sélection que.
des produits ; choix de la forme galénique ; gestion de Les notions d’évaluation, de recommandations adap-
l’effet placebo et des effets secondaires ; refus de tées à la pratique de ville, de médecine fondée sur des
traitement. preuves permettent de combler ces carences et de mettre
Les étudiants doivent comprendre que le médicament à la disposition des médecins des outils permettant
ne peut être considéré indépendamment du prescripteur. des choix plus pertinents. Les étudiants doivent être
formés à ces notions. De même qu’ils doivent être
La prescription et la non-prescription préparés à recevoir et à critiquer l’information de l’in-
Le médicament est l’un des outils qui permet de sou- dustrie pharmaceutique qui dispose de moyens consi-
lager les multiples plaintes auxquelles le médecin est dérables pour influencer les prescriptions.
confronté. Mal préparé à identifier l’origine de la plainte, Les notions développées pour la formation initiale
à l’écoute du patient, il répond souvent avec la seule sont sans cesse abordées dans la formation continue
arme qu’il pense avoir à sa disposition : le médicament. car elles doivent être confrontées à l’évolution des con-
Il est parfois confronté au refus d’un traitement ou naissances et à l’expérience individuelle et collective.
au contraire à une demande pressante du patient pour
l’obtenir (antibiotiques, antidépresseurs, etc.). La formation médicale continue
Il doit prendre en compte la représentation que le Les médecins selon leur âge n’ont pas la même ap-
patient se fait du médicament par rapport à son expé- proche de la problématique concernant les médicaments.
rience personnelle ou familiale. Les plus anciens n’ont appris que les principales classes
Les médecins, agents de prescription mais aussi or- thérapeutiques. Ils n’avaient que très peu de choix au

adsp n° 27 juin 1999 53


Médicament et santé publique

moment de prescrire et ont découvert au cours de leur d’information. Il a encore moins le temps de lire tous
exercice l’émergence de nouvelles molécules. Les nou- les essais.
velles possibilités thérapeutiques apparaissaient comme La revue Evidence based medicine permet, aussi, un
une aubaine. Les plus jeunes sortant maintenant des regard synthétique sur des essais ou des stratégies
facultés savent qu’ils ont à leur disposition de très thérapeutiques. L’aspect parfois trop synthétique, voire
nombreuses molécules avec des possibilités multiples conjoncturel des informations peut avoir un effet per-
pour la plupart des grandes pathologies. Ils ont des vers. La connaissance « des grands essais » qui mo-
notions d’essais comparatifs, de lecture critique. difient le pratique justifie une diffusion plus large auprès
Pour autant ils subissent tous les mêmes pressions : des médecins.
industrie pharmaceutique, demande itérative du patient, L’Agence du médicament permet de diffuser une in-
exigences économiques, évolutions socioculturelles. formation plus objective sur le médicament. Toutefois
La formation continue sur le médicament nécessite les fiches de transparence sont peu utilisées et les re-
une objectivité et une indépendance qui permettent au commandations de l’Agence pas toujours adaptées à
médecin de faire bon usage du médicament. Elle a pour la pratique de ville et peu diffusées. La communication
objectif de prescrire le médicament le plus adapté à de l’agence reste aussi souvent confidentielle.
la situation médicale rencontrée, à la problématique L’Anaes (Agence nationale d’accréditation et d’éva-
de son patient, à l’état des connaissances, à la prise luation en santé) permet de diffuser des recommanda-
en compte des notions de bénéfice/risque et coût/effi- tions de stratégies thérapeutiques qui ont une impor-
cacité. tance considérable. Reste à les faire connaître et adopter
Il est finalement difficile de résoudre toutes ces par les médecins.
équations dans le même temps et les médecins ne Le médicament autrefois produit rare et précieux, mys-
disposent pas toujours de l’information adaptée. térieux voire magique, est devenu un produit accessi-
La formation continue sur le médicament doit tenir ble, de consommation courante, parfois en vente libre.
compte de tous ces paramètres. Elle doit intégrer les Le patient en attend l’efficacité mais aussi la sécu-
conditions de la prescription énoncées par la formation rité. La société exige du médecin une prescription ci-
initiale pour permettre au médecin d’analyser et d’évaluer blée, adaptée, au moindre coût, tenant compte des con-
l’information reçue à la lumière de sa pratique, confrontée naissances et des innovations.
à l’expérience de ses collègues. La formation sur le médicament garde une importance
L’origine de l’information est donc décisive ; il faut considérable. Même si demain le médecin est aidé par
permettre aux médecins de s’approprier des outils de des logiciels d’aide à la prescription, il devra garder la
critique de l’information (lectures critiques des études, maîtrise de la décision pour adapter sa prescription à
des publicités rédactionnelles, décryptage de la publi- son expérience, à celle de ses collègues et aux don-
cité médicale, etc.). nées de la science compte tenu de la situation et des
Les médecins qui reçoivent les visiteurs médicaux préférences de son patient.
sont soumis à une information unilatérale. Ils doivent
posséder les grilles de décryptage de l’information reçue.
La formation continue sur le médicament réclame des
prestataires toutes les garanties d’indépendance pour
ne pas risquer une quelconque influence sur les pres-
criptions des médecins qui participent à ces formations.
Compte tenu du caractère exponentiel des publica-
tions scientifiques et de la lourdeur des dossiers scien-
tifiques des médicaments, il est difficile voire impos-
sible pour un médecin ayant une activité importante de
soins d’accéder, seul, à une information complète. Il
n’en est que plus sensible à toutes les pressions. Il
était donc nécessaire qu’il dispose d’un cadre collec-
tif et d’outils répondant à ce besoin.

Les sources d’information


La naissance de la revue Prescrire , en 1981, a permis
un tournant dans l’information et la formation sur le
médicament en France. Elle représente la seule revue
indépendante des pressions de l’industrie pharmaceu-
tique.
La méthode de travail et la transparence permet au
médecin d’avoir un éclairage sur les nouveaux produits.
Le médecin seul n’a pas toujours accès aux sources

54 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et société

Rationalité et irrationalité à l’origine


du mésusage des médicaments
ces facteurs, le poids de la demande exprimée par le
Plusieurs études ont analysé le mésusage des patient, la symbolique du médicament et de l’acte de
prescrire sont d’une importance majeure.
médicaments. Les causes peuvent être des prescriptions
Les pratiques de prescription : des fondements
inappropriées, l’inobservance des recommandations ou scientifiques aux comportements irrationnels ?
encore une demande explicite du patient. Toutes ces Parce qu’elles sont à l’origine de la prescription, les
pratiques des médecins ont fait l’objet de nombreuses
raisons montrent que la lutte contre le mésusage passe études depuis quelques années [1, 2]. On s’est ainsi
attaché a identifier les facteurs qui les influencent et
par la communication et la relation entre médecin et ceux qui permettent d’expliquer la surprescription ou
la prescription inadéquate en regard du choix de la
patient. molécule, du dosage et de l’interaction possible avec
les autres médicaments prescrits au patient. Selon ces
études, les profils de prescription des médecins varie-

L
e phénomène du mésusage de médicaments re- raient en fonction de l’âge, du sexe, du type de prati-
çoit depuis quelques années une attention gran- que et du lieu de formation des médecins. La prescription
dissante de la part des milieux de l’épidémio- non appropriée correspondrait en effet à un profil socio-
logie et de la santé publique. Prescription et consom- démographique particulier chez les médecins : elle serait
mation inadéquates occasionnent, estime-t-on, de plus fréquente chez les médecins plus âgés, qui n’ont
nombreux problèmes de santé et surtout des coûts éco- pas d’affiliation universitaire ou hospitalière. Outre la
nomiques et sociaux importants. formation initiale, les connaissances par rapport aux
À cet égard, la focale s’est faite notamment sur la propriétés des médicaments et à leurs effets chez
prescription aux personnes âgées, groupe caractérisé certains groupes de patients sont également évoquées
par une forte consommation de médicaments en gé- parmi les causes de prescriptions inadéquates. On pense
néral et de psychotropes en particulier [1]. Plusieurs par exemple au cas des personnes âgées et aux réac-
auraient à leur dossier des prescriptions de médica- tions adverses susceptibles d’être provoquées par une
ments potentiellement non appropriées, à risque élevé, médication non adaptée à leur physiologie vieillissante.
susceptibles d’interagir de façon néfaste. Dans un grand On peut également souligner les difficultés, pour les
nombre de cas, on remarque que les médicaments médecins non spécialisés dans ce champ, à diagnos-
psychotropes sont fréquemment en cause [2]. tiquer les problèmes de santé mentale, à distinguer les
Il n’est pas étonnant, dès lors, de constater l’inté- manifestions d’anxiété et de dépression chez leurs
rêt croissant pour ce phénomène et la multiplication patients, difficultés susceptibles de conduire à une
des études axées sur « l’utilisation rationnelle des surprescription de médicaments psychotropes.
médicaments », c’est-à-dire l’utilisation définie par les Les sources d’information dont disposent les médecins
autorités de santé publique selon les premières indi- pour se tenir au fait des évolutions et des innovations
cations pour lesquelles les médicaments sont mis sur pharmacologiques ont également généré des analyses
le marché. Cette démarche se fonde cependant sur deux particulières. Certaines études ont ainsi fait valoir l’im-
a priori : celui d’un comportement généralement scien- portance de l’industrie pharmaceutique comme source
tifique et standardisé de la part des médecins et ce- et se sont questionnées sur la neutralité scientifique
lui d’un comportement, au contraire, irrationnel et aléa- de l’information qu’elle diffuse.
Johanne Collin toire de la part des patients. Le contexte de pratique enfin, tel qu’appréhendé à
Chargée de recher- Tel n’est cependant pas le cas. Les études en so- travers la gestion du temps, les affiliations institution-
ciologie médicale ont permis d’infirmer ce postulat, et nelles et le mode de rémunération des médecins, peut
che dans le groupe
ce, notamment à travers l’analyse des facteurs dits être à l’origine de pratiques de prescription inadéqua-
de recherche sur les
« subjectifs » qui sous-tendent les pratiques d’utilisa- tes. Les médecins les plus enclins à surprescrire se-
aspects sociaux de la tion (prescription et consommation) et qui façonnent raient ceux ayant un volume de pratique élevé, revoyant
santé et de la la relation patient-médecin telle qu’elle se déploie lors leurs patients souvent et ressentant une responsabi-
prévention (Grasp), de la consultation médicale. Dans les pages qui sui- lité limitée par rapport à eux. La situation de concur-
Université de vent, nous nous attacherons à identifier les facteurs rence dans laquelle se trouvent les prescripteurs par-
Montréal sociaux à l’origine du mésusage des médicaments. Parmi ticiperait également de cette dynamique.

adsp n° 27 juin 1999 55


Médicament et santé publique

On le voit, au-delà des indications médicales, nom- confère des connaissances, un savoir profane qui, à
bre de facteurs sont susceptibles d’influencer la pres- son tour, peuvent influencer grandement sa façon d’uti-
cription et de la faire dévier d’une rationalité scientifi- liser les médicaments. Il modulera ou diminuera le
que à laquelle on souhaiterait qu’elle soit tout entière dosage de certains d’entre eux pour en atténuer, par
soumise. La décision de prescrire et les pratiques af- exemple, les effets secondaires. Dans le contexte d’une
férentes s’inscrivent en fait dans un contexte social et pharmacothérapie complexe et coûteuse, il ira jusqu’à
engagent un processus relationnel complexe entre patient établir une hiérarchie entre ses médicaments, faisant
et médecin qu’il faut prendre en compte pour saisir les montre d’une plus ou moins grande fidélité au traite-
origines du mésusage des médicaments. ment en fonction de l’importance qu’il accorde à chacun.
Plutôt que geste de désobéissance, l’inobservance
Les pratiques de consommation : l’inobservance peut, dans cette optique, être appréhendée comme une
comme comportement irrationnel ? forme de régulation exercée par le patient sur sa con-
Si la recherche des causes du mésusage des médica- sommation, comme une action planifiée en somme, en
ments s’est tournée depuis quelques années vers les fonction de sa perception de la gravité de sa maladie
pratiques de prescription des médecins, c’est dans la et de l’efficacité du médicament. Une logique autre que
perspective d’explorer toutes les causes possibles du médicale sous-tend éventuellement l’usage que font
phénomène. D’ores et déjà, cependant, on considérait les patients des médicaments. Sa prise en compte peut
le mésusage comme relevant d’abord de l’inobservance permettre une meilleure participation du patient aux
des patients. Celle-ci se définit couramment comme le décisions concernant les traitements et, conséquem-
fait de ne pas se conformer aux traitements recomman- ment, une gestion plus adéquate des médicaments.
dés par les médecins et les pharmaciens. Elle peut
prendre diverses formes : prescription médicale non La consultation médicale comme lieu d’interaction
remplie ou non renouvelée ; non-respect de la posolo- Les connaissances actuelles sur les comportements
gie à suivre ; arrêt prématuré du traitement ; prise si- d’observance et les pratiques de prescription démon-
multanée de médicaments d’ordonnances et d’autres trent l’importance d’investir le phénomène du mésusage
substances susceptibles de provoquer une interaction des médicaments à travers la prise en compte de la
nuisible [3]. relation thérapeutique, c’est-à-dire du processus rela-
Les études sur cette question introduisent une dis- tionnel qui sous-tend la décision de prescrire.
tinction entre une inobservance volontaire de la part
des patients, et une autre forme qui serait involontaire. La consultation comme lieu de transfert des
Dans le premier cas, le patient est considéré comme informations sur le médicament
refusant délibérément de suivre les recommandations Dans la problématique du mésusage, le manque d’in-
médicales. Dans le second cas, il est souvent présenté formations et de connaissances concernant les médi-
comme la victime passive d’une situation thérapeuti- caments occupe une place importante, tant par rapport
que qui le dépasse, parce qu’elle est complexe, qu’il aux pratiques de prescription que de consommation.
manque d’informations ou de connaissances à son sujet La consultation s’avère dès lors un moment crucial
ou encore en raison d’un état de santé (confusion, perte susceptible d’influencer le comportement futur du patient
de mémoire, etc.) qui l’empêche de respecter le trai- face à sa médication. Plusieurs chercheurs se sont ainsi
tement prescrit. penchés sur la communication patient/médecin et sur
On peut considérer que trois notions sous-tendent l’information (concernant les effets secondaires, les
le concept d’inobservance : la dérogation, la mécon- façons de prendre le médicament, etc.) effectivement
naissance et l’idée d’un comportement irrationnel face transmise au patient au cours de l’échange [4]. Ils ont
aux médicaments. Ces trois notions reposent à leur tour fait le constat d’un manque à cet égard. Facteur pri-
sur un certain nombre de présupposés. Celle de « mé- mordial du mésusage au niveau de la consommation,
connaissance » suggère que le patient n’est détenteur l’élément « information » ne saurait toutefois, à lui seul,
d’aucun savoir scientifiquement valable et qu’il doit expliquer l’ampleur du phénomène.
ponctuellement être informé sur les caractéristiques La façon de communiquer et de transmettre l’infor-
et les effets des médicaments qui lui sont prescrits. mation pour qu’elle soit bien comprise est tout aussi
Le « comportement irrationnel », ou jugé comme tel importante. Entre alors en ligne de compte la notion
lorsqu’il déroge aux directives médicales, suggère quant de distance sociale et professionnelle. Patients et cli-
à lui une absence de gestion, de planification et de niciens n’appartiennent souvent pas au même milieu.
cohérence dans le comportement du patient face au Des origines socio-économiques et un capital culturel
médicament. Enfin, la notion de « dérogation » ou de différents interfèrent dans les échanges. Ainsi des
désobéissance sous-entend que la relation thérapeu- patients pourront hésiter à s’exprimer, à poser des
tique est forcément une relation d’autorité où le patient questions, craignant d’être jugés incompétents mais
doit se plier aux directives du praticien. alimentant, par cette attitude, l’idée selon laquelle ils
Pourtant, l’expérience du patient face à la maladie auraient des difficultés à comprendre les explications
et à la consommation de certains médicaments lui du praticien.

56 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et société

Mais plus encore, il faut voir que la consultation est 68 % des patients âgés s’attendent à avoir une pres-
ancrée dans un contexte social. Aussi doit-elle être vue cription à la fin de la consultation pour un nouveau
autrement que comme le lieu du transfert univoque d’une problème, bien que celle-ci ne soit justifiée que dans
certaine information neutre et standardisée. Il apparaît 45 % des cas. La proportion des ordonnances jugées
plus juste de l’appréhender comme le lieu d’une inter- non nécessaires aurait été de l’ordre de 22 % pour un
action : patient et médecin sont des acteurs qui agis- antibiotique et entre 17 % et 35 % pour une médica-
sent et réagissent au cours de la consultation, en fonction tion gastro-intestinale. Ces attentes des patients et les
de leurs valeurs, de leurs représentations, d’une cul- pressions qu’ils exercent sur les prescripteurs explique-
ture de la santé et de la maladie qui leur est propre. raient en partie la surprescription dont font état les
L’interaction qui prend alors place influence la prescription études.
de médicaments et l’utilisation qui en sera faite par La demande exprimée face à la prescription est en
la suite. effet soutenue par l’expression d’un contrôle profane
plus ou moins intense, c’est-à-dire par les pressions
De la communication à la négociation qu’exerce le patient sur le médecin, en fonction de son
Plutôt que d’appréhender la relation thérapeutique sous système référentiel profane. L’intensité de ce contrôle
l’angle d’un pouvoir médical qui s’impose unilatérale- peut varier selon divers facteurs dont notamment la
ment, la notion d’interaction permet donc d’envisager distance que le médecin établit entre lui et ses patients,
l’espace clinique comme une « aire de jeu » où les acteurs l’état du marché, c’est-à-dire la situation de concurrence
tentent de mobiliser leurs ressources et leur savoir-faire dans laquelle exerce le médecin, ainsi que l’intégration
et de s’influencer réciproquement ; un espace de né- du praticien dans un réseau plus ou moins serré de liens
gociation, en somme. Pour ce faire, ces derniers s’ap- avec les autres professionnels et collègues. On peut
puient sur des cultures éventuellement en conflit, l’une ainsi penser que le contrôle profane sera plus fort dans
profane et l’autre professionnelle. On peut penser, avec le contexte de la pratique en cabinet privé où le prati-
Bibiographie
1. Tamblyn, R., 1996,
Freidson [5] que ces cultures différenciées sont orga- cien peut se trouver plus isolé, qu’en milieu hospita-
Medication use in seniors :
nisées en systèmes référentiels, c’est-à-dire balisées lier où le système référentiel professionnel tend à dominer challenges and solutions. Théra-
par l’ensemble des croyances, savoirs et ressources [5]. La situation clinique en elle-même est également pie , 51, 3, 269-282.
que détient chaque acteur pour interpréter la maladie susceptible d’intensifier le contrôle profane. Des symp- 2. Cohen, D. & Collin, J.,
et agir sur elle. tômes vagues ou diffus, des pathologies floues et l’in- 1997, Les toxicomanies en lien
avec les médicaments psycho-
Dans cette négociation possible, la prescription ac- certitude qu’ils entraînent face au diagnostic donneront tropes chez les personnes
quiert une valeur symbolique indéniable. Peu d’expé- davantage de prise aux pressions exercées par le pa- âgées, les femmes et les en-
riences humaines ont une puissance symbolique aussi tient dans sa recherche de solutions tangibles ; pres- fants : recension et analyse des
manifeste que les actes ordinaires de prescrire et d’in- sions se traduisant le plus souvent par une demande écrits, Québec, ministère de la
santé et des services sociaux,
gérer des médicaments. Les significations attachées de médicaments.
Groupe de travail sur la préven-
à ces actes dépassent de beaucoup les propriétés tion des toxicomanies.
proprement pharmaceutiques attribuées aux substances. Un exemple éclairant : la prescription de médicaments 3. Griffith, S., 1990. A
Selon le contexte de la relation, le médicament peut psychotropes Review of factors associated
représenter le transfert du pouvoir de guérir, d’entre Dans le cas de la prescription de psychotropes, notam- with patient compliance and the
taking of prescribed medicines.
les mains du médecin vers celles du patient. L’acte de ment aux personnes âgées, l’existence de motifs cons- British Journal of General
prescrire peut également signifier la sollicitude du cients et cohérents — bien que non fondés sur des Practice , 114-116.
médecin envers son patient. En donnant au médecin critères scientifiques — intervient de façon particuliè- 4. Makoul, G., Arnston, P.,
le sentiment d’agir sur la situation, la prescription est rement évidente dans la décision de prescrire [7]. De Schofiels, T., 1995. Health
Promotion in Primary Care :
enfin susceptible d’atténuer le sentiment d’incertitude tels cas s’inscrivent en effet fréquemment dans un
Physician-Patient Communica-
ou d’impuissance qu’il éprouve face à la manifestation contexte réunissant les conditions propices à l’exercice tion and Decision Making about
de problèmes complexes et mal codifiés. d’un contrôle par les patients. Prescription Medications. Social
Les médicaments psychotropes génèrent une forte Science and Medicine, 41, 9 :
La demande sociale pour le médicament demande, notamment de la part de patients qui en 1241-54.
5. Freidson, E., 1984. La
La prescription peut dès lors devenir objet d’une forte utilisent depuis longtemps. Or, il faut voir que certains profession médicale, Paris,
demande de la part du patient. C’est ce qu’avancent patients âgés sont des consommateurs de longue date Payot.
quelques études ayant exploré les dimensions « sub- chez qui les risques de dépendance sont déjà mani- 6. Schwartz, R. K.,
jectives » de la prescription. S’intéressant à ce qu’ils festes. De nombreuses études tendent, en effet, à Soumerai, S. B., Avorn, J.,
1989, Physician Motivations for
ont désigné comme les motifs « non scientifiques » qui documenter le potentiel toxicomanogène des médica-
nonscientific drug prescribing,
sous-tendent la prescription, Schwartz, Soumerai et Avorn ments psychotropes et en particulier des benzodiazé- Social Science and Medicine ,
[6] ont avancé que la pression de la demande expri- pines [2]. La présence d’un syndrome de sevrage et 28, 6, 577-582.
mée par les patients constituait le motif premier de la les effets de rebond associés à un arrêt brusque re- 7. Collin, J., Damestoy, N.,
prescription pour près de la moitié des médecins in- créent, voire amplifient, les symptômes pour lesquels Lalande, R., 1999. La construc-
tion d’une rationalité : les méde-
terrogés dans le cadre d’une vaste enquête améri- le médicament a été initialement prescrit. De telles cins et la prescription de psy-
caine. Tamblyn [1] rapporte également les résultats d’une manifestations sont susceptibles de décourager les chotropes, Sciences sociales et
enquête auprès des médecins de famille, selon laquelle patients lorsqu’ils tentent de cesser la consommation santé, (à paraître).

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Médicament et santé publique

du médicament, d’où une demande potentiellement à la demande, les médecins se donneraient la possi-
insistante pour que le médicament leur soit represcrit. bilité de maintenir le lien de confiance avec leurs pa-
Si la demande est ici un fait avéré, il faut également tients, moyen le plus sûr d’entraîner une gestion adé-
souligner que le contexte clinique qui sous-tend cette quate de la consommation de médicaments.
demande donne à celle-ci une force particulière. Les La pression de la demande sociale en faveur du
personnes âgées se voient généralement prescrire des médicament, l’inconfort à refuser, le désir de conser-
médicaments psychotropes en réponse à des problè- ver un contrôle sur la consommation et d’établir une
mes d’anxiété, d’insomnie ou de dépression, pathologies relation de confiance, l’incertitude liée au diagnostic,
difficiles à dépister et à codifier à partir des tests dia- la représentation que se fait le médecin de la relation
gnostics habituels. L’interprétation de certains symp- thérapeutique de même que la signification qu’il atta-
tômes aigus devient alors d’autant plus malaisée que che au médicament sont autant d’éléments qui, mieux
leurs manifestations peuvent se confondre avec celles que le seul manque d’informations, parviennent à ex-
issues d’autres pathologies fréquentes chez les per- pliquer des pratiques de prescriptions considérées
sonnes âgées. Crises d’angoisse et crises d’angine comme inadéquates en regard des normes cliniques.
pourront se manifester de la même façon ; hyperten-
sion et anxiété pourront s’alimenter, voire même, s’am- Habiletés communicationnelles et négociation : des
plifier l’une et l’autre. Nourrie par l’absence de supports pistes pour contrer le mésusage de médicaments
technologiques, l’incertitude confère ici à la descrip- Rationalité et irrationalité quant à l’utilisation des
tion des symptômes éprouvés par le patient un poids médicaments ne constituent pas les caractéristiques
prépondérant dans l’établissement du diagnostic et respectives des médecins et de leurs patients. Les uns
réserve à sa demande de médicaments une écoute comme les autres voient leurs actes modulés par des
particulière. Toute pratique clinique a tendance à in- logiques complexes que les facteurs sociaux et les
tervenir activement. Dans le contexte de la consulta- processus relationnels contribuent souvent à éloigner
tion médicale, la valorisation de l’action passe notam- d’une rationalité scientifique et médicale. Dans la
ment par la prescription. En cas de doute et devant un question du mésusage, la consultation médicale s’avère
diagnostic difficile à établir, mieux vaut agir concrète- un moment crucial. Plus que simple occasion de trans-
ment que de ne pas intervenir. mettre au patient les informations nécessaires au bon
L’exercice du contrôle profane est également modulé usage des médicaments qui lui sont prescrits, la con-
par la plus ou moins grande intensité du contact qui sultation se révèle comme le lieu d’une négociation entre
caractérise les rapports entre médecin et patient. La deux acteurs orientés par un système référentiel po-
pratique en médecine générale auprès de personnes tentiellement divergent. Dans un contexte médical où
âgées implique de fréquentes consultations ainsi qu’un la valorisation de l’action est forte, la prescription s’inscrit
suivi à long terme de la part du médecin. Progressive- nécessairement comme enjeu de cette négociation.
ment, celui-ci devient plus sensible à la plainte expri- L’expression d’une demande en faveur du médicament
mée par le patient. La compassion et le désir de sou- et l’exercice d’un certain contrôle profane seront favorisés
lager l’angoisse, la dépression, la tristesse, créent ainsi par des facteurs structurels, contextuels et situationnels
un terrain fertile pour l’intervention et donc pour la qui sous-tendent la relation thérapeutique.
prescription de psychotropes. Le sentiment d’impuis- C’est dès lors à travers l’atteinte d’un consensus entre
sance face aux malaises exprimés par les patients médecin et patient quant aux causes des symptômes
encourage en somme la retranscription, dans le champ éprouvés et quant aux solutions à y apporter que l’on
du médical, de problèmes sociaux liés au vieillissement peut enrayer, en partie du moins, le mésusage de
tels l’isolement ou le sentiment d’exclusion. médicaments. Dans la perspective de l’interaction, c’est
Enfin, les psychotropes sont souvent prescrits par en effet la lecture que chacun se fait de la situation,
les omnipraticiens exerçant en cabinet privé. La con- plutôt que la situation en elle-même, qui oriente l’ac-
currence qui s’exerce par rapport à cette clientèle mobile tion. À travers le développement d’habiletés communi-
répond éventuellement au dernier critère susceptible cationnelles, le praticien peut parvenir à mettre au jour
de moduler l’intensité du contrôle profane. Les prati- les valeurs qui sous-tendent et orientent la compréhen-
ciens répondraient d’autant mieux à la demande de sion qu’a le patient de la situation. Mieux outillé dans
psychotropes qu’ils voudraient éviter que leurs patients la négociation, il sera ainsi plus en mesure d’orienter
ne cherchent, chez des collègues plus conciliants, une l’échange vers l’établissement consensuel d’un traite-
réponse favorable à leur requête. Au-delà de la concur- ment médicamenteux adéquat.
rence toutefois, le désir de maintenir une relation de
confiance avec le patient et de s’assurer, par là, d’un
certain contrôle sur la médication prescrite s’avérerait
plus déterminant [2]. Les risques d’interaction médi-
camenteuse, qui s’accroissent avec le nombre de
médicaments consommés quotidiennement, sont en
effet bien réels chez les patients âgés. En acquiesçant

58 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et société

Médicaments psychotropes et individualité


de souffrance psychique ? Parce que, pour nous les
La France est le pays où la consommation des modernes, la souffrance psychique n’a pas le même
statut que la souffrance corporelle. Ce qui conduit à
médicaments psychotropes est l’une des plus la deuxième remarque.
Les soupçons engendrés par les médicaments psy-
importantes. Comment expliquer cette consommation et chotropes ne tiennent pas à ce qu’ils soient, comme
pourquoi inquiète-t-elle tellement ? tout médicament, remède et poison : ainsi la dose létale
est-elle vite atteinte avec l’aspirine qui s’avère large-
ment plus dangereuse que les nouveaux antidépres-
seurs. En suscitant l’espoir de surmonter toute souf-

E
n France, comme aux États-Unis ou en Grande- france psychique parce qu’ils stimuleraient l’humeur
Bretagne, les polémiques sur les médicaments de personnes qui ne sont pas « véritablement » dépri-
psychotropes sont récurrentes depuis une ving- mées, la nouvelle classe d’antidépresseurs conforta-
taine d’années. Elles ont d’abord porté sur les anxio- bles incarne, à tort ou à raison, la possibilité illimitée
lytiques et les hypnotiques puis se sont étendues aux d’usiner son intérieur mental pour être mieux que soi.
1. On laissera ici antidépresseurs depuis le lancement du Prozac®1. Ces Ils permettraient d’atteindre cette santé absolue que
de côté les neuro-
polémiques reposent sur deux arguments. Le premier Thomas de Quincey attribuait dans les années 1820
leptiques et les
régulateurs de est classique : en agissant sur les seuls symptômes, au « divin opium », mais sans ses risques.
l’humeur. les molécules risquent d’engendrer un bien-être artifi- En quoi la possibilité de gérer nos humeurs avec des
ciel et provisoire au lieu de guérir la personne de sa molécules pose-t-elle un problème ? Et de quelle na-
pathologie. On droguerait les gens au lieu de les soi- ture est ce problème ? Dans les deux cas, la référence
gner — c’est un problème de mauvaise pratique thé- sur laquelle s’appuie la mise en question de l’effet thé-
rapeutique. Le deuxième argument est apparu avec le rapeutique du médicament est celle de la drogue. On
lancement du célèbre antidépresseur : il agirait non distinguerait difficilement « se soigner » de « se droguer ».
seulement sur des symptômes, mais encore sur la C’est au brouillage de cette distinction que renvoie le
personnalité ou le caractère, autrement dit sur la na- mot « surconsommation ». Le préfixe « sur » est le lieu
ture psychique d’une personne. Il pourrait ainsi la du problème moral (personne ne parle de surconsom-
modifier, qu’elle soit « malade » ou non. S’ensuit une mation d’aspirine et en ce qui concerne les médicaments
série de questions non résolues. La souffrance est-elle non psychotropes ce sont les seuls équilibres des
utile ? et si oui, à quoi ? Allons-nous vers une société comptes sociaux qui sont en jeu). On est passé d’un
de confortables dépendances dans laquelle chacun problème diagnostic tout à fait courant (remarque 1),
prendra au quotidien sa pilule psychotrope ? Ne fabri- en général en médecine et en particulier en psychia-
que-t-on pas des hypocondriaques en masse ? Faut-il trie, à savoir définir la pathologie dont une personne
faire une distinction entre les malheurs et les frustra- est atteinte et lui prescrire un traitement approprié, à
tions de la vie ordinaire, et la souffrance pathologique ? un problème moral (remarque 2) qui est le soubasse-
Question des plus délicates, car elle suppose une fron- ment de la peur que les drogues nous inspirent : quelles
tière stable entre ce qui relève d’une « maladie » et ce sont les limites à la propriété de soi au-delà desquel-
qui n’en relève pas. Le problème est encore plus com- les on met fin à ce que nous croyons être une personne
pliqué en psychiatrie parce que les recherches cliniques digne de ce nom ?
et biologiques n’ont pu établir de corrélation stable entre Si notre notion de la personne n’était pas en jeu, nous
un marqueur biologique et une entité clinique. raisonnerions exclusivement en termes de risques et
particulièrement de toxicité, nous ne penserions pas
Deux remarques en termes de dépendance. Nous serions capable de
Ces deux arguments suscitent deux types de remarques. traiter avec moins de passion la question des drogues
Alain Ehrenberg
Nous prenons bien en permanence de l’aspirine pour et nous n’aurions pas les inquiétudes que nous con-
Chargé de recherche,
alléger des symptômes de douleur ou de fièvre, pour- naissons sur la consommation de médicaments psy-
directeur du groupe quoi devrait-il en être autrement avec un psychotrope, chotropes. Dans une société où les gens prennent en
de recherche à condition qu’il soit sans danger ? Si la déontologie permanence des substances psychoactives qui agis-
Pchychotropes, médicale contraint moralement le médecin à soulager sent sur le système nerveux central et modifient ainsi
politique et société la souffrance, même quand il ne peut guérir une ma- artificiellement leur humeur, on ne saurait plus ni qui
du CNRS ladie, pourquoi devrait-il en aller autrement en matière est soi-même ni même qui est normal.

adsp n° 27 juin 1999 59


Médicament et santé publique

Du problème diagnostic au problème moral de l’esprit est plutôt le moteur d’une attention nouvelle
Comment un problème diagnostic intéressant la seule de la part des médecins aux émotions, aux sentiments,
clinique est-il devenu un problème moral suscitant de à la vie affective et aux conflits psychiques. Ces mé-
tels émois ? La médicalisation de la vie est un phéno- dicaments sont également un moyen de rendre plus
mène général dans nos sociétés, mais elle semble poser efficace le traitement psychothérapeutique qui est, lui,
des problèmes particuliers pour les troubles mentaux considéré comme le traitement de fond. Cette « idée
et les désordres du comportement. Cela tient à la forte et confuse », selon l’expression d’Henri Ey, fait
particularité de la psychiatrie qui n’est pas une méde- consensus dans la psychiatrie française des années
cine comme les autres. La psychiatrie se constitue aux cinquante au milieu des années soixante-dix.
alentours de 1800 en transformant des entités mora- D’un autre côté, magazines (particulièrement fémi-
les, dont la personne est responsable (le délirant est nins) et ouvrages de psychologie populaire s’emparent
possédé par le démon), en entité médicale, dont la des questions d’anxiété, de dépression, de stress, etc.
personne est atteinte (le délirant est un aliéné). Hier dès la fin des années cinquante. Ils contribuent à une
comme aujourd’hui, la psychiatrie est une médecine socialisation des difficultés psychologiques : les per-
spéciale située au croisement du médical et du moral sonnes souffrantes ne sont pas des malades imaginaires
ou du social. La psychiatrie est la seule spécialité ou des gens qui se regardent un peu trop le nombril.
médicale où la pathologie d’un malade est aussi la De plus ces difficultés ne relèvent pas de la maladie
souffrance d’une personne. En France, du fait de l’in- mentale — elles peuvent arriver aux mieux-portants —
fluence lacanienne, on emploie un mot qui appartient et la guérison est la règle. Ils jouent un rôle de décul-
au vocabulaire de la philosophie : on parle de la souf- pabilisation à l’égard des problèmes intimes en met-
france du sujet . tant des qualificatifs communs sur ce que chacun ressent
Les notions de confort et de dépendance sont au centre de façon indistincte en lui-même. Médecine et médias
du problème. Or si l’on se tourne vers un passé récent, contribuent à donner une place sociale à la vie intérieure,
ces questions ne se posaient pas. Dans les années à instituer un langage populaire propre à la psyché. Pour
soixante la littérature psychiatrique souligne combien guérir, y compris avec une molécule, il faut que le pa-
le diagnostic de dépression est difficile à poser, parti- tient s’intéresse à son intimité. Il ne peut être réduit
culièrement pour les généralistes qui ne disposent pas à un objet de sa maladie. La vie psychique sort de son
de l’œil clinique entraîné du psychiatre. La complexité obscur halo. Dans une conception où l’on pousse les
du diagnostic, combinée aux difficultés d’usage des patients à s’intéresser à leur intimité, et plus exacte-
molécules antidépressives et à leurs risques, condui- ment à leurs conflits psychiques, un médicament anodin
sent les généralistes à prescrire des anxiolytiques. Les pour améliorer leur confort intérieur serait une bonne
psychiatres le leur reprochent, mais reconnaissent ne nouvelle.
pas avoir une bonne théorie de la dépression à four-
nir — ils n’en ont d’ailleurs toujours pas. Libération psychique et insécurité identitaire
En 1970, un ouvrage destiné au grand public expli- C’est au début des années soixante-dix qu’apparais-
que que dans nos sociétés de bien-être, « on passe des sent les premières inquiétudes. L’Inserm, par exemple,
médicaments pour malades aux médicaments pour gens publie en 1974 une étude sur les consommations des
normaux en difficultés, puis aux médicaments pour lycéens : elle estime que 20 % d’entre eux ont recours
faciliter la vie chez des gens en état normal ». Le livre régulièrement aux médicaments en cas de difficultés.
espère « des composés chimiques dénués de toxicité Des ouvrages dénoncent l’invasion pharmaceutique (J.-
[…]. Ils seront pour demain les vrais médicaments du P. Dupuy et S. Karsenty en 1974) ou le marché de l’an-
bien-être ». Il n’y a là nulle interrogation pour savoir si goisse (Dr H. Pradal en 1977, gros succès) : les molé-
l’on doit ou non soigner le mal de vivre. L’allusion à cules étoufferaient la protestation sociale.
de futurs médicaments dénués de toxicité apparaît Ces inquiétudes apparaissent dans un contexte de
d’ailleurs très tôt. Ainsi Jean Delay déclare-t-il en 1955 changement normatif qui devient sensible dès la fin des
au premier congrès mondial sur les neuroleptiques à années soixante. En effet, les règles traditionnelles
Paris : « Nous voudrions bien pouvoir disposer en psy- d’encadrement des comportements individuels ne sont
chiatrie de quelques «aspirines» ». Le premier article plus acceptées et le droit de choisir la vie qu’on veut
consacré par La Revue du Praticien aux antidépresseurs mener commence sinon à être la norme de la relation
en 1958 souligne que l’homme moderne subit « des individu-société, du moins à entrer dans les mœurs. Au
états d’inconfort neuropsychique » et que le rôle des moment où l’attention médicale et sociale aux patho-
médicaments est « de rendre à ces patients la joie de logies non psychotiques s’accroît nettement, la société
vivre, à laquelle justement la vie moderne et les pro- française est entrée dans sa grande transformation :
grès de la technicité ne cessent de s’attaquer ». elle sort du monde des notables et des paysans et de
À cette époque personne (ou presque) ne se demande l’immobilité des destins de classe. Dans la foulée d’une
si on a affaire à de « vraies maladies » et personne ne amélioration considérable des conditions matérielles,
pense que l’ingestion de molécules est une manière se produit simultanément un désenclavement social des
de droguer les patients. La découverte des médicaments classes populaires (l’accession aux classes moyennes

60 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et société

devient un espoir tangible au cours des années soixante) La décennie 1970 voit l’explosion des psychothéra-
et une attention neuve à soi, dont magazines et ouvrages pies.
de psychologie populaire formulent le langage. L’émission Au cours de la même période, le raisonnement psy-
de Ménie Grégoire ( Chère Ménie) en est la première chiatrique se modifie : il n’est plus nécessaire d’aborder
caisse de résonance sur RTL à partir de 1967. La les conflits du patient pour décider de la stratégie thé-
perception de l’intime change. Il n’est plus seulement rapeutique et, particulièrement, de la prescription de
le lieu du secret, du quant à soi ou de la liberté de médicaments. L’anxiété et la dépression, considérées
conscience, il devient ce qui permet de se déprendre jusqu’alors dans la littérature française comme des
d’un destin au profit de la liberté de choisir sa vie. L’idée symptômes ou des syndromes de pathologies sur les-
que chacun puisse faire son chemin et devenir quel- quelles il fallait agir, s’autonomisent pour de multiples
qu’un par lui-même se démocratise, chacun cherche raisons qu’il n’est guère possible d’exposer ici. Elles
une nouvelle idée de soi. Il s’agit désormais, pour être sont désormais considérées comme des entités clini-
quelqu’un, non de s’identifier à un autre, mais d’être ques, donc comme la cible même de l’action thérapeu-
semblable à soi-même — mais qui ? Cette souverai- tique. De nouveaux antidépresseurs, plus maniables
neté nouvelle de l’individu sur lui-même suscite de et en général à effet stimulant, apparaissent sur le mar-
nouvelles inquiétudes intérieures. ché. La croissance des prescriptions fait un bond phé-
La période qui s’ouvre est en effet caractérisée par noménal (+300 % ente 1975 et 1984) tandis que celle
une dynamique dont les deux faces sont libération des benzodiazépines se ralentit et que les amphéta-
psychique et insécurité identitaire. Côté scène, l’éman- mines se marginalisent. Cette tendance sera accélé-
cipation de masse prend son envol : ainsi, des tech- rée avec les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la
niques qu’un sociologue américain, Philip Rieff, a ap- sérobonine (par exemple le prozac) au début des an-
pelées en 1966 les « thérapies de la libération » nées quatre-vingt-dix. Le raisonnement diagnostic pro-
prétendent fournir à chacun les moyens pratiques de posé est le suivant : le praticien doit moins se demander
construire « son » identité indépendamment de toute dans quelle mesure les symptômes sont produits par
contrainte. Ces Évangiles de l’épanouissement per- des conflits psychiques que de choisir tel ou tel type
sonnel engendrent l’impression heureuse que chacun d’antidépresseur pour tel ou tel sous-groupe de dépres-
va pouvoir partir à la conquête de lui-même sans avoir sion. L’action chimique sur la pathologie mentale ne
à en payer le prix : les thérapeutes cherchent à ac- nécessite plus l’écoute d’un sujet, mais le repérage des
croître le « potentiel humain », leur idéal est celui d’un symptômes du patient. La tradition psychopathologique
sujet plein, sans écart qui le divise. Côté coulisses, se marginalise au profit d’une nouvelle psychiatrie qui
celui de la psychopathologie, des controverses nou- puise ses références dans l’épidémiologie, la psycho-
velles apparaissent en France : des pathologies men- pharmacologie et la biologie ou la physiologie. La ten-
tales où le conflit intrapsychique est inexistant et où, dance est à la renaturalisation ou à la rebiologisation
à l’inverse, le sentiment de perte de sa propre valeur du trouble mental. Des psychiatres commencent à cri-
domine font l’objet d’une préoccupation qui n’existait tiquer l’usage dopant des molécules et les médias se
pas en France dans les années soixante. La psycha- préoccupent massivement de cette question (« Les
nalyse appelle ces pathologies des états-limites ou Français tous camés aux tranquillisants »). Les médi-
des pathologies narcissiques. Un type de dépression cations n’altèrent-elles pas la personnalité au lieu de
non névrotique (ne résultant pas d’un conflit psychi- soigner des pathologies ? Si la notion de modification
que) forme l’essentiel du tableau clinique : un senti- de la personnalité est des plus confuses et nécessi-
ment de vide et d’insuffisance ainsi que des difficul- terait un sérieux éclaircissement, il reste que le ton est Bibiographie
tés à supporter les frustrations dominent la personne. donné. L’organisme de contrôle des stupéfiants intè-
Ehrenberg A. L’Individu incer-
Ils s’accompagnent de comportements addictifs por- gre les benzodiazépines dans l’épidémiologie de la tain. Calmann-Lévy, 1995,
tant sur des molécules, des drogues illicites, de la drogue, ces molécules sont également considérées Hachette-Pluriel, 1996
nourriture, etc. Stimulant la personne, ils compensent comme une voie d’entrée dans la consommation de Ehrenberg A. La Fatigue d’être
le vide. On voit autant dans la littérature psychanaly- stupéfiants. Parallèlement, du côté des drogues, les soi. Dépression et société .
Paris : Odile Jacob, 1998
tique que comportementaliste la montée croisée des cliniciens soulignent de plus en plus leurs fonctions LeMoigne Ph. Anxiolytiques et
addictions et des dépressions. Elles forment désor- autothérapeutiques, particulièrement à l’égard de la hypnotiques. Les facteurs so-
mais un couple solide. Ce changement du paysage dépression. ciaux de la consommation ,
psychopathologique se fait au moment où la drogue Document du Groupement de
recherche Psychotropes, Politi-
est déjà devenue une question politique obsédante. Initiative individuelle et inhibition que, Société, n° 1, janvier-mars
Ajoutons encore que la clientèle des psychanalystes Au milieu des années quatre-vingt, un rapport d’un groupe 1999
semble se tranformer : les hystériques, lit-on dans les de médecins du travail de la région parisienne souli- Tatossian A. « Les pratiques de
revues spécialisées, vont chez les neurologues, les gne que les salariés ont désormais tendance à demander la dépression. Études criti-
rhumatologues (maux de dos) et les généralistes (de- des anxiolytiques alors qu’auparavant ils demandaient ques ». Psychiatrie française,
mai 1985
mande de fortifiants pour lutter contre des asthénies des congés maladie. Cette assertion est significative Zarifian E. Le Prix du bien-être.
lancinantes) tandis qu’une nouvelle clientèle avec des de changements normatifs dans lesquels sont prises Psychotropes et société . Paris :
demandes de mieux-vivre s’adresse à la psychanalyse. les molécules. Odile Jacob, 1996

adsp n° 27 juin 1999 61


Médicament et santé publique

Aux Évangiles de l’épanouissement personnel des une charge à porter. C’est à cette insuffisance que
années soixante-dix s’ajoutent en effet les Tables de répond, plus ou moins bien, l’usage de molécules
l’initiative individuelle à partir des années quatre-vingt. psychotropes qui visent moins à traiter des pathologies
Les exigences d’action et de performance individuel- qu’à pallier des dysfonctionnements en tout genre. D’où
les s’accroissent largement pour toutes les couches l’indistinction drogues-médicaments que l’extension de
sociales : pour trouver un emploi, même précaire, il faut la notion de dopage exprime parfaitement : l’usage de
aujourd’hui faire preuve de motivations, de capacités substances renforçant la capacité à être à la hauteur
de présentation de soi, il faut être capable d’élaborer est parfaitement congruent à un style de vie caracté-
des projets, etc. Dans l’entreprise (pour ne pas parler risé par le dépassement permanent de soi.
des transformations de la famille et de l’école), les La situation actuelle des molécules, surtout
modèles disciplinaires de gestion des ressources hu- antidépressives, est pourtant paradoxale : au moment
maines reculent au profit de normes qui incitent le où elles suscitent le fantasme de se débarrasser de
personnel à des comportements autonomes, y compris la souffrance psychique (telle molécule réveillerait votre
en bas de la hiérarchie. L’autorité s’appuie moins sur force intérieure, telle autre promet que, grâce à elle,
l’obéissance mécanique que sur l’initiative : responsa- le pouvoir vous appartiendra ou que vous retrouverez
bilité, capacité à évoluer, flexibilité, etc. dessinent une très vite le goût d’agir et la liberté d’entreprendre), la
nouvelle liturgie. Des pressions nouvelles s’exercent dépression est redéfinie comme une pathologie très
sur l’individualité qui doit, pour se maintenir dans la récidivante et à tendance chronique, la plupart des
socialité, agir en permanence là où elle se contentait patients ne revenant pas à l’état antérieur — mais guérir,
d’obéir. Le recul de la discipline conduit à faire de l’agent est-ce revenir ? se demandait Canguilhem. Les recom-
individuel le responsable de son action. mandations pour des traitements à long terme, voire
Parallèlement, la pensée psychiatrique considère, en à vie, c’est-à-dire de maintenance, sont communes dans
matière de dépression, que le trouble fondamental est la littérature psychiatrique. Tout serait améliorable
moins la tristesse et la douleur morale que l’inhibition. pharmacologiquement, mais plus rien n’est véritable-
C’est sur elle qu’agiraient électivement les antidépres- ment guérissable. Suggérons qu’il ne s’agit peut-être
seurs. Elle devient le concept cardinal de la dépression. plus aujourd’hui de guérir de quelque chose que d’être
De plus les antidépresseurs connaissent deux chan- accompagné et modifié tout au long de sa vie par le
gements : ils sont considérés comme plus efficaces dans pharmacologique et le psychothérapeutique, voire par
la plupart des troubles anxieux que les anxiolytiques, le socio-politique. Les médicaments ne sont qu’un aspect
d’une part, ils agissent sur la personnalité ou le caractère d’un développement généralisé de technologies
des patients et pas seulement sur la pathologie elle- identitaires, d’industries de l’estime de soi, de marchés
même, d’autre part. Cette extension des cibles (l’an- de l’équilibre intérieur tout à fait hétéroclites (des re-
xiété) et des pouvoirs (le caractère) a contribué à faire nouveaux religieux aux nouvelles molécules en passant
de la dépression l’épicentre de la psychiatrie. par l’hypnose ou le cri primal). Ils sont promis à un bel
Il est difficile de dire si les gens sont plus inhibés avenir.
aujourd’hui qu’hier, mais l’inhibition est beaucoup plus
visible et handicapante dans une société où la capa-
cité d’initiative est la mesure de la personne. Commettre
une faute à l’égard de la norme consiste désormais moins
à être désobéissant qu’à être incapable d’agir. Anxio-
lytiques et antidépresseurs sont des pilules de l’action :
elles désinhibent en apaisant l’angoisse ou en stimu-
lant le tonus. Dans une société de discipline et d’in-
terdit, la question de la conduite à adopter se formu-
lerait de la manière suivante : Que m’est-il permis de
faire ? Dans une société où chacun doit décider sou-
verainement de sa vie et agir par lui-même, la question
est plutôt : suis-je capable de le faire ? L’individualité
est engagée dans un style de vie où la référence au
permis cède la place à celle du possible.
La popularité médicale et sociale de la notion de
dépression nous montre par la négative le type d’indi-
vidualité que nous sommes collectivement devenus dans
la foulée de l’émancipation et de l’action. La dépres-
sion se situe moins dans l’univers de la loi que dans
celui du dysfonctionnement, moins dans une référence
à un conflit (qu’incarnait la névrose) qu’à une insuffi-
sance. Pas d’interdit à transgresser ou à respecter, mais

62 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et société

Les associations, la recherche et


l’accès aux nouveaux médicaments
de lutte contre le sida ont donné à l’implication directe
Les associations de malades jouent depuis quelques des malades et de leurs proches, dans l’orientation et
l’organisation de la recherche, un impact et une visibi-
années un rôle important dans la recherche et lité sans précédent. Avec les fonds collectés chaque année
par le Téléthon, l’AFM est devenue un acteur clé dans
l’expérimentation des médicaments. Elles deviennent les processus de constitution des connaissances scien-
ainsi de véritables interlocuteurs de l’industrie tifiques. Elle a notamment orienté le choix des thèmes
et des équipes de recherches dans les organismes publics,
pharmaceutique et des autorités publiques. et créé des débouchés attractifs pour que les firmes
privées investissent dans des pathologies jugées jus-
qu’alors peu rentables. Elle a joué un rôle majeur dans

D
ans le domaine de la santé, les associations l’élaboration d’une cartographie du génome humain, avec
ont depuis longtemps exercé une influence sur la création d’une infrastructure technologique (le Généthon)
le cours de la recherche. Cette influence s’est et contribué, par la constitution de groupes de malades,
considérablement transformée tant dans ses finalités à identifier de nouvelles maladies et à formaliser des
que dans ses modalités. Les ligues et les associations connaissances les concernant. Ce mode d’intervention
philanthropiques du début du siècle, animées par des associatif sur les orientations de la recherche, a pu être
femmes du monde et des personnalités médicales et analysé comme la construction d’un modèle de « copro-
politiques [1, 2], organisaient de vastes opérations de duction des savoirs » [6]. Il est fortement lié aux capa-
collecte de fonds destinés à la recherche. Elles déléguaient cités financières de l’AFM qui lui confèrent un poids décisif
aux experts attitrés des domaines scientifiques et mé- en tant que promoteur et financeur des recherches. De
dicaux le soin d’en définir les objectifs et les modalités, leur côté, les associations de lutte contre le sida ont
puis d’en évaluer les résultats. Ce rapport à l’exclusi- élaboré d’autres modalités d’intervention.
vité des spécialistes va être progressivement remis en
cause. À partir des années cinquante, les associations Les associations et les essais thérapeutiques
créées autour des maladies chroniques rompent avec Le groupe interassociatif TRT5, composé initialement des
le modèle des ligues. La composante charitable et mon- associations Act-Up Paris, Actions Traitements, Aides, Arcat-
daine disparaît, et on assiste à une implication plus grande sida, Vaincre le sida, entend faire valoir les intérêts des
des malades et de leurs familles. Le rapport au monde personnes atteintes par le VIH dans la recherche et l’ac-
1. Nous reprenons les médical est durablement transformé. Dans le cas des cès aux nouveaux médicaments1. La création, en 1989,
résultats d’un travail maladies aiguës, en situation de crise, les patients s’en de l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS)
réalisé dans le cadre remettaient essentiellement à leur médecin dans l’es- a joué un rôle important dans la formation de ce groupe.
d’un doctorat de sociolo- poir d’une guérison rapide. Avec la chronicisation de la Jusqu’alors les associations allaient, en ordre dispersé,
gie (EHESS), sous la
direction de C. Herzlich.
maladie, les patients sont conduits, au quotidien et dans chercher auprès d’une diversité d’acteurs (chercheurs,
Ce travail s’inscrit dans la durée, à réaliser des arbitrages entre différents as- firmes, cliniciens, etc.) des informations sur les mécanismes
un programme de recher- pects — médicaux mais aussi psychologiques, sociaux de la maladie et les médicaments en cours d’évaluation.
ches engagé au Cermes ou économiques [3, 4]. Dans cette optique de gestion Dès sa création l’ANRS est devenue un interlocuteur central
par N. Dodier, avec le
de la maladie, les associations autour des maladies chro- concernant les essais thérapeutiques. À la demande des
soutien de l’ANRS et de
Sidaction. niques sont intervenues pour constituer des réseaux de associations, des réunions de concertation ont été mises
2. Les CCPPRB ont été volontaires et de professionnels répondant à des besoins en place, en 1993, autour des protocoles d’essais sou-
créés en 1988, par la loi spécifiques (services d’aides à domicile, par exemple), tenus par l’Agence [7], avant même leur soumission à un
Huriet-Sérusclat. pour obtenir de l’État des garanties concernant les droits Comité consultatif de protection des personnes dans la
sociaux des malades ou pour organiser des groupes de recherche biomédicale 2. Ces réunions constituent, à ce
soutien. Concernant la recherche ou la mise à disposi- titre, une innovation institutionnelle au-delà des obligations
tion des nouveaux médicaments, elles ont joué essen- juridiques générales. Dans le cas d’une pathologie létale,
tiellement un rôle de relais pour des informations vali- en l’absence de traitement efficace, certaines associa-
dées par les autorités médicales. La plupart de ces tions ont considéré les essais comme un mode d’accès
associations sont d’ailleurs restées fortement encadrées à des médicaments porteurs d’espoirs et exprimé des
par les spécialistes des pathologies concernées [5]. critiques virulentes concernant les éléments constitutifs
Janine Barbot Au cours de la dernière décennie, l’Association fran- de la méthodologie des essais : l’existence d’un groupe
Sociologue, Cermes çaise contre les myopathies (AFM) et les associations de patients recevant un placebo ou un traitement de

adsp n° 27 juin 1999 63


Médicament et santé publique

« référence » dont les limites d’efficacité étaient connues ; L’épidémie du sida a été fortement médiatisée et a donné
la longue durée des essais visant, en l’absence de mar- une place particulière aux questions relatives aux moda-
queurs de substitution validés, à établir l’efficacité des lités de la recherche scientifique et aux conditions de mise
molécules sur des critères cliniques ; le principe du dou- en circulation des innovations biomédicales [9], les as-
ble-aveugle, laissant patient et clinicien dans l’ignorance sociations ont souvent joué un rôle important en tant qu’ini-
des produits reçus. Dans ces réunions de concertation, tiateurs des débats publics. L’évaluation des données four-
les militants associatifs examinent, au cas par cas, les nies par la science n’est plus réglée dans les sphères
formulaires de recueil du consentement et les notes d’in- réservées aux spécialistes attitrés des domaines scien-
formation destinées aux patients. Ils se livrent notamment tifiques et médicaux, mais fait l’objet de l’intervention d’une
à des opérations de « traduction », en proposant de subs- large palette d’acteurs.
tituer à des termes jugés trop spécialisés, des termes plus Au-delà de ces expériences, l’implication des associa-
compréhensibles. Ils entendent faire prendre en compte tions dans le domaine de la recherche et de la circula-
les aspects concrets de la vie des patients inclus dans tion des médicaments s’inscrit dans un mouvement plus
l’essai. Ces interventions associatives ne sont pas ano- général. Le rôle des associations de patients comme in-
dines. Elles peuvent faire émerger des difficultés de mise terlocuteurs de l’industrie pharmaceutique, des organis-
en œuvre de l’essai et entraîner des modifications subs- mes publics de recherches et des agences d’enregistre-
tantielles. Elles façonnent, par ailleurs, face à leurs in- ment des médicaments est devenue une question Bibiographie
terlocuteurs, un véritable « modèle » de l’engagement des d’actualité. En 1997, et 1999, l’organisation, avec la par- 1. Pinell P. Naissance d’un
patients atteints par le VIH dans les essais. Plutôt que ticipation du Syndicat national de l’industrie pharmaceu- fléau. Histoire de la lutte contre
le cancer en France, 1890-
de promouvoir l’engagement altruiste dans la recherche, tique (Snip), de séminaires sur la méthodologie des es- 1940. Paris : 1992, Métailié.
elles mettent en avant un patient qui fait des choix éclai- sais thérapeutiques, destinés aux associations de malades, 2. Bach M-A. La sclérose en
rés et rationnels en fonction des avantages et des incon- témoigne de l’intérêt croissant des firmes pour l’engagement plaques entre philanthropie et
vénients de l’essai. Un patient qui, parce qu’il est en rapport des associations sur les questions relatives à la recher- entraide : l’unité introuvable.
Sciences Sociales et Santé ,
avec une diversité d’instances (médias, entourage, asso- che. Au milieu des années quatre-vingt-dix, la création
1995, 13 (4) : 5-36.
ciations), est particulièrement au fait des dernières avancées d’Eurordis (European organization for rare disorders) s’inscrit 3. Herzlich C., Pierret J.
de la science, et dispose de compétences et d’appuis qui dans une dynamique de lobbying auprès des autorités Malades d’hier, malades
lui sont propres. Dans ce modèle, la relation médecin/ publiques et des firmes. Elle s’est inspirée de l’expérience d’aujourd’hui. De la mort collec-
malade n’est plus le lieu exclusif de l’information et de américaine, et son organigramme traduit la présence de tive au devoir de guérison.
Paris : 1984, Payot.
la décision en matière de soins. militants issus de l’AFM ou des associations de lutte contre 4. Baszanger I. Les maladies
le sida françaises. Son objectif est de favoriser la découverte chroniques et leur ordre négocié.
Interlocuteurs des pouvoirs publics et et la mise à disposition de nouveaux traitements, en fai- Revue Française de Sociologie ,
de l’industrie pharmaceutique sant notamment adopter, au niveau européen, une régle- 1986, 27 : 3-27.
5. Carricaburu D. L’associa-
Au-delà de l’examen des protocoles d’essais, le groupe mentation sur les médicaments orphelins. La détermination
tion française des hémophiles
interassociatif TRT5 intervient régulièrement auprès des des mesures incitatives susceptibles de rendre attractifs face au danger de contamina-
firmes pharmaceutiques, de l’Agence du médicament, des les investissements concernant la recherche sur les tion par le virus du sida : straté-
prescripteurs et des malades, pour accélérer la circula- maladies rares, et la définition même du caractère raris- gie de normalisation de la
tion des nouveaux médicaments avant leur AMM [8]. Au sime de ces maladies, représentent un enjeu important maladie et définition collective
du risque. Sciences Sociales et
nom d’un rapport compassionnel aux patients en situa- à la fois pour les firmes, les États et les associations de Santé, 1993, 11 (3-4) : 55-82.
tion d’urgence thérapeutique, les associations de lutte malades. En 1997, un accord a été passé entre la Ligue 6. Rabeharisoa V., Callon M.
contre le sida se sont mobilisées pour que soit donnée contre le cancer et la Fédération nationale des centres L’implication des malades dans
à ces patients la possibilité d’avoir accès à des molécu- anticancéreux, concernant la mise en œuvre d’essais thé- les activités de recherche soute-
nues par l’Association française
les qui ne sont encore ni totalement évaluées, ni validées. rapeutiques et a conduit récemment à la création d’un
contre les myopathies. Sciences
Ce mode de circulation des molécules, en marge des essais comité de patients consulté notamment pour donner un Sociales et Santé , 1998, 16
cliniques contrôlés et de la mise sur le marché des mé- avis sur la rédaction des notes d’information et des for- (3) : 41-65.
dicaments a été progressivement encadré, et le disposi- mulaires de recueil de consentement. Un forum destiné 7. Barbot J. Agir sur les
tif réglementaire des autorisations temporaires d’utilisa- aux patients et aux associations a été organisé dans le essais thérapeutiques. L’expé-
rience des associations de lutte
tion (ATU), mis en place en 1994, est aujourd’hui cadre du 9e Congrès international sur les traitements an- contre le sida en France. Revue
particulièrement utilisé dans le cadre du sida. Le groupe ticancéreux, début 1999. Des activistes américaines sont d’Epidémiologie et de santé
interassociatif TRT5 influe notamment, par ses actions intervenues pour faire part de l’expérience de la Breast publique , 1998, 46 : 305-315.
auprès des firmes pharmaceutiques et de l’Agence du cancer coalition, créée en 1991. Des cliniciens ont ap- 8. Barbot J. Science, marché
et compassion. L’intervention
médicament, sur l’identification des molécules concernées pelé à la création de groupes de pression animés par des
des associations de lutte contre
par ce dispositif, les attentes vis-à-vis des données rela- malades eux-mêmes, afin d’accélérer l’enregistrement en le sida dans la circulation des
tives à leur efficacité et la définition des patients susceptibles Europe de certains médicaments, grâce à leur capacité nouvelles molécules. Sciences
d’en bénéficier. Une spécificité de ce mode d’intervention à mobiliser les médias, sur le modèle des associations Sociales et Santé , 1998, 16
associatif est d’articuler une démarche de négociations de lutte contre le sida. Il reste à voir comment, et jusqu’à (3) : 67-95.
9. Dodier N. La prise de
au sein de nouveaux espaces de discussions avec les quel point, ces initiatives récentes vont transformer la parole publique sur les observa-
experts ou les représentants des autorités administrati- recherche médicale et les modalités de régulation du marché tions scientifiques. Réseaux, à
ves et des prises de positions publiques dans les médias. du médicament. paraître.

64 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et santé publique

tribunes
Information
e(s)t promotion
C
e qui est surprenant en matière d’in- médical de France Culture confère à mon
Que ce soit auprès des formation sur le médicament c’est regard une distance critique appréciable dans
médecins ou du public, d’entendre les responsables politiques le domaine de l’information scientifique. Ob-
de gauche comme de droite dénoncer une sur- servation encore parce que la co-rédaction
l’industrie consommation pharmaceutique en France d’une récente étude sur les circuits de l’infor-
sans se soucier du pourquoi de cette surcon- mation médicale 2 m’a permis de poser des
pharmaceutique sommation. Déjà en 1996 Édouard Zarifian arguments fiables sur une vision qui n’était
avait démontré la corrélation entre la com- qu’empirique.
semble détenir le munication sur les psychotropes et leur abus1. Opinion enfin car c’est peut être
La seule parade que l’on ait trouvée depuis aujourd’hui le manque dont souffre le plus
quasi-monopole de est une surtaxe sur la publicité dont j’évoquerai la presse médicale professionnelle et plus lar-
plus loin les effets pervers. gement le secteur de la santé. Fondée sur le
l’information en Ce qui est surprenant, c’est l’amateurisme doute et le débat contradictoire, la pratique
matière de de la collectivité nationale devant le profes- médicale semble avoir sombré dans un silence
sionnalisme des industriels. qui la stérilise. Ceux qui s’aventurent à le rom-
médicament. Aussi Ce qui est surprenant c’est que l’État pre sont immédiatement renvoyés aux extrê-
nomme « transparence » ce qui n’est qu’opa- mes, traités d’ayatollahs ou de gentils idéa-
peut-on se poser la cité, c’est qu’il ne livre pas ce que lui seul est listes. Au risque d’apparaître l’un ou l’autre,
en mesure de fournir, c’est-à-dire une infor- à moins que ce ne soit les deux, je vous in-
question : mation fiable et indépendante sur le médi- vite à me suivre dans cette analyse plus mar-
cament. keting que rédactionnelle.
s’agit-il d’information Ce qui est surprenant c’est d’entendre les On peut toujours couper la tête aux por-
ou seulement de professionnels de santé parler de leur exigence teurs de mauvaises nouvelles, elles demeurent.
d’une information de qualité et de voir le On aimerait croire en effet que l’informa-
promotion ? pourcentage d’entre eux abonnés payants tion médicale et pharmaceutique échappe aux
d’une presse médicale indépendante. usages du marketing des lessives. On voudrait
Ce qui n’est pas surprenant c’est que l’on y croire d’abord pour des raisons de morale.
ait, en définitive, la presse que l’on mérite. Peut-on banaliser le médicament comme un
Si j’ai accepté d’écrire cet article ce n’est pas produit de grande consommation ? Peut-on
pour aller sur un terrain scientifique laisser s’installer une situation de consumé-
qu’aucune compétence en la matière ne risme vis-à-vis de substances actives dont on
m’autorise à occuper. Je me situerais donc connaît les effets bénéfiques mais aussi les ris-
résolument dans les champs de l’observation ques iatrogènes ? Est-ce dans l’intérêt des
et de l’opinion. malades, des médecins, des pharmaciens que
Observation parce que quinze années de d’abandonner un usage de prudence élémen-
production et d’animation du magazine
Antoine Vial 2. Les circuits de l’information médicale. Vanves : CFES.
Consultant 1. Le prix du bien-être. Paris : Odile Jacob, 1996. S. Pillods, A. Vial, J. M. Cohen, 1998.

adsp n° 27 juin 1999 65


Médicament et santé publique

taire face à des produits qui ne sont jamais dont tout prescripteur a besoin pour éclai- Cette assimilation n’est en effet pas le fruit
anodins ? Et, pardon d’être trivial, mais est- rer ses choix vers plus d’efficacité thérapeu- du hasard. Elle résulte du choix stratégique
ce ridicule d’envisager une relation de cause tique. En effet, comment exiger de l’indus- de ces entreprises de prendre le leadership de
à effet entre matraquage publicitaire et con- trie qu’elle milite contre ses intérêts, qu’elle la communication médicale tous publics et
sommation, entre surinformation médicale limite d’elle-même ses indications, qu’elle tous supports confondus. En dehors de leur
et déficit de la sécurité sociale ? minimise ses posologies ? Il faut de la naïveté volonté d’avaler les douze milliards que l’in-
Malheureusement la morale et, plus pré- sinon de la complicité pour avaler cette pi- dustrie pharmaceutique consacre chaque an-
cisément notre déontologie, ne sont pas les lule là. Pour croire ou laisser croire que les née à sa promotion, cette position s’explique
choses les mieux partagées et, dès lors, on laboratoires, entreprises commerciales, ont par l’approche de plus en plus consumériste
aimerait croire que l’encadrement législatif une autre finalité que celle de faire des pro- de la santé qu’ont adoptée tant la population
et réglementaire de l’information sur le mé- fits en vendant le maximum de leurs produits. que l’industrie. On pourra s’interroger lon-
dicament suffit à contrôler ses déborde- Qui le leur reprochera ? Pas moi et je trouve guement sur cette évolution, qui de la poule
ments et assainir ses pratiques. singulier que l’on puisse seulement s’en ou de l’œuf… ? Les laboratoires ont-ils im-
Il n’en est rien. émouvoir. Ils sont dans leur rôle comme l’État posé cette tendance ou l’ont-ils suivies ? Ce
serait dans le sien d’apporter le filtre néces- qui est sûr c’est qu’aujourd’hui ils en épou-
Mais que fait la police ? saire à la légitime ambition de ces entrepri- sent parfaitement les conséquences et pous-
Avant de décrire comment l’information ses. sent dans cette direction. Il n’est que de voir
pharmaceutique s’apparente plus à de la pro- Mais, m’objectera-t-on comme on inter- comment le secteur pharmaceutique inves-
motion qu’à de l’information il convient de pelle la police, que fait la presse ? N’est-ce pas tit actuellement les associations de malades
parler des acteurs. Les premiers sont ceux qui à elle justement qu’incombe la tâche d’ap- pour s’en convaincre. Pendant ce temps, l’État
conçoivent, fabriquent et vendent les médi- porter compréhension, distance et transpa- observe. Ainsi Didier Tabuteau, directeur ad-
caments. Ce sont désormais les mêmes. On rence ? N’est-ce pas de sa responsabilité d’aller joint de cabinet de Martine Aubry5 consta-
remarquera au passage que malgré les gran- vérifier l’information brute fournie par le tait récemment devant l’Association des ca-
des concentrations auxquelles nous assistons fabricant du produit ? Évidemment oui, c’est dres de l’industrie pharmaceutique : « D’objet
ces dernières années dans l’industrie pharma- même sa seule originalité par rapport à tous thérapeutique le médicament devient un pro-
ceutique, les laboratoires ont leur(s) spécia- les autres modes de communication, c’est ici, duit ne répondant plus exclusivement aux at-
lité(s), celui-ci de la contraception, celui-là et ici seulement, que s’établit la frontière entre tentes du corps médical mais aussi à des atten-
des veinotoniques… Ce positionnement promotion et information. Malheureuse- tes de la société. »
détermine la manière de communiquer de ment, force est de constater qu’à de rares ex-
chaque laboratoire. Rien n’est plus ciblé que ceptions, la presse médicale et pharmaceu- C’est vrai puisque c’est dans le journal
le marketing. tique est pieds et poings liés à l’industrie. Face à l’industrie pharmaceutique, les médias
Il y a ensuite ceux qui les utilisent, nous Plusieurs causes sont à l’origine de cette dé- se sont donc organisés, « professionnalisés ».
tous lorsque nous sommes malades ou bles- rive. Quoiqu’on en dise et ne leur déplaise, Adossés à de grands groupes de communi-
sés. Je dis « utilise » mais je pourrais aussi bien l’origine de cette dépendance se trouve chez cation, ils offrent désormais l’ensemble de la
dire « consomme » sinon qu’à la différence les professionnels de santé qui considèrent palette des services de communication que
de l’achat d’une voiture et ne disposant pas dans leur majorité que l’information leur est les producteurs de médicaments, comme
des informations nécessaires à un choix éclairé, due, c’est-à-dire qu’elle est gratuite3 . n’importe quelle entreprise, sont en droit d’at-
je n’ai pas ici mon libre arbitre. D’où l’im- Par ailleurs, le secteur de l’édition et de la tendre. Ainsi, par exemple, dans l’orbite d’Ha-
périeuse nécessité d’un prescripteur, c’est le presse n’ont pas échappé à la tendance actuelle vas-Vivendi on trouve entre autres, le seul
troisième acteur. Je lui fais confiance, c’est des grandes concentrations industrielles. Des rescapé des quotidiens médicaux généralis-
lui qui dispose justement de la connaissance quatre quotidiens médicaux 4 qui se dispu- tes, le numéro un de l’édition médical et pa-
pour procéder à ce choix entre diverses mo- taient le marché il n’en reste qu’un. Ce sec- ramédical, le leader des relations presse santé,
lécules. C’est en tout cas ce que moi malade teur, hier encore de structure familiale, a été le recordman du congrès médical, le cham-
j’aimerais croire. Mais voilà, de l’aveu même absorbé depuis par trois géants de la commu- pion incontesté des dictionnaires pharmaceu-
des intéressés, les médecins ne reçoivent pas nication qui contrôlent désormais la majeure tiques, la seule chaîne de télévision médicale
la formation minimum pour se fonder une partie du segment de l’information médicale : professionnelle, l’une des premières agences
véritable connaissance en matière pharma- Bertelsmann, Havas et Reed Elsevier. Là aussi de publicité spécialisée dans la santé et même
ceutique. On ne peut tout savoir ! la mondialisation entre dans les faits. Il ne le Rss, le réseau intranet des professionnels
Dès lors la fonction qu’occupe l’organisme s’agit pas de faire un exposé sur la stratégie de santé. Jacques Prévert n’aurait pas osé con-
public chargé de vérifier le bien-fondé thé- des grands groupes de communication mais cevoir pareil inventaire ! Un inventaire dans
rapeutique d’un médicament se double de bien d’appréhender une réalité qui influence lequel l’information est intégrée comme l’un
l’obligation d’informer les professionnels de de manière radicale la presse médicale pro- des outils marketing au même titre que la
santé. Est-ce le cas, l’État, notre quatrième fessionnelle dont il est question ici. visite médicale, les congrès ou la publicité.
acteur, assume-t-il pleinement cette fonction Cette intégration n’est pas un vain mot, elle
régalienne ? Car, à la présentation de ces dif- 3. À l’exception de Prescrire, seule revue médicale chaîne l’ensemble des instruments et des
généraliste financée exclusivement par ses abonne-
férents interprètes il ne fait nul doute que c’est ments.
à l’État qu’appartient le rôle de fournir l’in- 4. Impact médecin, Panorama du médecin, Quotidien 5. Il fut aussi premier directeur de l’Agence du mé-
formation fiable et neutre sur le médicament du médecin, Tonus. dicament.

66 adsp n° 27 juin 1999


Tribunes

« cibles » selon les besoins du client et de son pert par la presse. Comme le notait une étude deux se confondent désormais dans un
produit. C’est ainsi que les résultats d’une du Wall Street Journal (WSJ), un tiers d’un maillage étroit qui les lie de leur fabrication
pseudo-étude, présentés par un expert « leader échantillon de 800 articles scientifiques édités à leur diffusion. Même propriétaire, même
d’opinion », feront l’objet d’une communi- en 1997 tombait sous le coup d’un conflit origine de l’information, même expert, même
cation dans un « symposium satellite » d’un d’intérêt et, seulement 0,5 % des 62 000 ar- congrès, même voyage de presse quand ce
congrès scientifique auquel sera invité un jour- ticles scientifiques publiés cette même année n’est pas même article. L’utilisation de tel ou
naliste qui rédigera un article qui sera repris mentionnait le lien entre l’auteur et une en- tel support relève de plans médias mûrement
par la visite médicale… À cet égard il est in- treprise privée qui le finançait. Le WSJ rap- réfléchis, pensés en fonction du résultat que
téressant de noter que la presse est alors uti- pelait que les scientifiques sont tenus, au le client souhaite obtenir. Pas de hasard ni
lisée comme un outil de légitimation selon moins déontologiquement, de dévoiler les re- de surprise, les enjeux sont trop importants.
le vieil adage que, c’est vrai puisque c’est écrit lations, notamment financières, qu’ils entre- Qui a oublié le Sumatriptan, le Prozac et, plus
dans le journal… tiennent avec des entreprises privées. « Ce récemment, le Viagra ?
À l’évidence la lourde taxation de la pu- défaut d’éthique prive les lecteurs d’une infor- Peut-on croire qu’il s’agit de cas isolés ?
blicité pharmaceutique a pour effet pervers mation essentielle à la pertinence et à l’inter-
un redéploiement des budgets de promotion prétation des données. Elle pose la question de
de l’industrie vers des actions commerciales l’indépendance des chercheurs et de la crédibi-
moins coûteuses en taxes, au premier rang lité de leurs résultats », concluait le quotidien
desquelles on trouve la formation médicale financier. On aimerait disposer de telles sta-
continue et l’information. Tout s’achète et tistiques en France où la presse est générale-
tout se vend, même un article de presse. C’est ment moins regardante en matière de déon-
ainsi qu’une pleine page de publicité dans le tologie qu’outre-Atlantique.
Quotidien du médecin ou Impact médecin
coûte plus cher au laboratoire annonceur que Mais puisque je vous dis que vous êtes
le palace du bout du monde et le leader d’opi- migraineux, dépressif et impuissant
nions utiles au journaliste pour écrire son On aurait tort de rechercher systématique-
article. La crédibilité en plus. Décidément l’in- ment une pilule ou un comprimé derrière
dustrie sait compter ! chaque article médical. Le marketing est plus
fin que cela. Il s’agit souvent de préparer le
Expert en blanchiment de l’information public, qu’il soit professionnel ou non, de le
Il convient de s’arrêter un instant sur le rôle « sensibiliser » dit-on alors, à un problème de
de l’expert, leader d’opinions que j’évoquais santé. On le prépare comme on laboure un
plus haut. Roger Lenglet et Bernard Topuz champ avant de l’ensemencer. S’il n’en est
ont parfaitement disséqué sa fonction dans pas conscient on lui démontre, études à l’ap-
leur livre, Des lobbies contre la santé 6 . L’ex- pui, qu’il aurait intérêt à s’en préoccuper. Six
pert est essentiel dans le dispositif de com- mois après, un an plus tard, le besoin étant
munication des laboratoires. Recruté en prio- sinon créé, en tout cas ressenti, il est temps
rité dans les CHU pour sa capacité à vulgariser de proposer la parade, le produit qui répond
l’information médicale, il est rémunéré pour au besoin.
l’utilisation de sa notoriété. Il intervient De la même manière, des études7 ont dé-
comme un intermédiaire de transformation, montré que la marque était l’un des facteurs
d’aucuns diraient de « blanchiment », de l’in- déterminants de la prescription médicale. Les
formation industrielle. C’est ainsi que l’on laboratoires l’ont bien compris qui n’hésitent
voit dans chaque discipline médicale se pro- plus à communiquer sur leur nom auprès du
filer un ou plusieurs experts selon le nom- grand public avant de se retourner vers les
bre de laboratoires présents dans cette spé- professionnels. La récente campagne de SKB
cialité. Une simple fonction d’attaché de dans le Monde et le Figaro puis reprise dans
service permet d’opérer le miracle. D’origine la presse médicale apporte la démonstration
pharmaceutique l’information devient dans de l’importance que revêt maintenant la mar-
la bouche de l’expert « de source hospitalo- que.
universitaire ». Crédibilisée, comme anoblie Dès lors la frontière entre public profes-
par son passage dans le sanctuaire de la mé- sionnel et grand public devient artificielle,
decine française, l’information est alors di- gommée par un effet de billard qui aboutit
gne de figurer dans les colonnes des journaux. à faire que ce soit le malade le demandeur et
Malheureusement ce lien de subordination non plus son prescripteur. Ainsi donc, vou-
apparaît rarement dans la présentation de l’ex- loir tracer une limite entre presse profession-
nelle et presse grand public est obsolète. Les
6. Des lobbies contre la santé. Paris : Syros/Mutua-
lité française, 1998. 7. Revue française du marketing , n° 165.

adsp n° 27 juin 1999 67


Médicament et santé publique

tribunes
Palais Brongniart
et industrie
pharmaceutique
C
omme dans la plupart des branches des deux. Dans un premier temps, les filia-
Les objectifs industrielles, l’industrie pharmaceu- les des sociétés pharmaceutiques internatio-
tique connaît une forte dynamique nales ont été créées principalement pour
financiers de de concentration et les fusions/acquisitions s’adapter aux spécificités des marchés natio-
font les gros titres de la presse. Certains ob- naux. Aujourd’hui, elles tendent de plus en
l’industrie servateurs prédisent que cette restructuration plus à devenir des unités spécialisées au sein
pharmaceutique va se poursuivre et qu’éventuellement, il ne de réseaux mondiaux. Mais, compte tenu de
restera plus à terme qu’une dizaine de gran- l’importance du marché nord-américain, les
constituent-ils des compagnies à l’échelle mondiale. Mais centres de décision ont tendance à émigrer
en réalité, le secteur pharmaceutique reste en- vers ce continent. Le risque, pour des pays
une menace pour core peu concentré, par comparaison à comme la France qui n’auront pas su se do-
d’autres. En 1997, selon un classement de la ter à temps des moyens de conserver des pôles
une politique du firme Information médicale et statistique industriels et de recherche solides, est d’être
(IMS), les 25 sociétés pharmaceutiques les relégué à une situation « d’économie de
médicament au plus importantes ne totalisaient que 60 % du comptoir », en ne conservant sur son terri-
service de la marché mondial et aucun groupe ne couvrait toire que des filiales de groupes internatio-
plus de 5 % de celui-ci. naux se consacrant entièrement à des activités
santé publique ? Les avantages des fusions paraissent aller réglementaires et de marketing !
de soi en termes de taille critique pour les in- Cela dit, il ne faudrait pas donner l’impres-
vestissements de recherche, d’économies sion que l’industrie pharmaceutique ne se
d’échelle, de complémentarité ou encore de compose que de grandes sociétés. Bien au
diversification géographique de marché. Cela contraire, au cours des dernières décennies,
ne veut pas dire que toutes celles-ci aient on a assisté parallèlement à une véritable
d’ailleurs été réussies ! prolifération de petites sociétés de biotech-
nologie principalement aux États-Unis. On
Une nouvelle structuration de l’industrie y compte aujourd’hui plus d’un millier de
Afin de conquérir des marchés mondiaux, les « start-up », fondées pour la plupart par des
Francis Fagnani sociétés pharmaceutiques ont cependant cher- chercheurs — un domaine où la France est
directeur de recherche à ché très tôt à s’internationaliser, soit par l’im- encore très en retard et essaie sans beaucoup
l’Inserm, président directeur plantation de filiales, soit par l’acquisition de de succès de promouvoir une politique plus
général du Cemka sociétés nationales ou par une combinaison affirmée de valorisation de la recherche.

68 adsp n° 27 juin 1999


Tribunes

Intensification et rationalisation de d’une politique des médicaments orphelins qui degré ; c’est-à-dire qu’il intègre pour une part
l’investissement de recherche prévoit des aides au développement, une ex- croissante une rationalité et une dimension
Un effort soutenu de recherche est indispen- clusivité commerciale de sept ans pour les la- collective. Cette référence à une rationalité
sable pour maintenir la croissance et la com- boratoires qui les auront développés, des sub- collective devient même universelle dès lors
pétitivité des grands groupes. Les sommes ventions pour la recherche clinique et une que la médecine s’exerce sous une contrainte
qu’ils y consacrent sont considérables : on les simplification des procédures administratives. budgétaire globale fixée a priori. Dans un
estime en moyenne à 600 millions de dol- L’Europe vient d’ailleurs de se doter récem- contexte de ce genre, on peut dire qu’aug-
lars pour la sortie d’un médicament nouveau. ment d’un dispositif similaire. menter les crédits dans un domaine thérapeu-
Plus de dix groupes y consacrent plus d’un tique aboutit à limiter le développement d’un
milliard de dollars, si on inclut le dévelop- Politiques du médicament et santé autre, qu’investir sur le cancer veut dire, dans
pement qui représente généralement un peu publique : des choix nécessaires même une certaine mesure, ne pas investir sur le
plus de la moitié des dépenses de recherche dans les pays riches cardio-vasculaire, etc.
totales. Les orientations actuelles du financement des Des questions de ce type sont rarement évo-
Mais dans le même temps et compte tenu innovations pharmaceutiques dans le système quées directement par les instances qui in-
des investissements que cela représente, la français passe par la reconnaissance de prix terviennent en matière de santé publique.
recherche est soumise de plus en plus à des internationaux. Si on admet que le rythme L’analyse des problèmes de santé publique
objectifs financiers exigeants. Les laboratoi- de ces innovations va s’accroître à l’avenir, consiste en fait la plupart du temps à met-
res gardent les yeux rivés sur la croissance de il y a lieu de s’interroger sur les nécessaires tre le doigt sur les lacunes ou les insuffisan-
leur chiffre d’affaires, ce qui les pousse à tenter redéploiements budgétaires que ce processus ces actuelles des systèmes de prise en charge
de « rentabiliser » le plus possible leurs recher- va entraîner. La France est l’un des pays dé- (par exemple, en matière de comportements
ches, en visant les marchés les plus promet- veloppés qui consacrent déjà une part impor- à risque, de pathologies de l’environnement,
teurs et en réduisant le plus possible les ris- tante de ses dépenses de santé au médicament de prévention, de coordination des soins, etc).
ques d’échec des développements cliniques. (16,7 % en 1995 selon l’OCDE contre 8,4 % Les questions les plus fondamentales pour la
Les bénéfices de cet effort de recherche aux États-Unis d’Amérique par exemple). Or survie de notre système de santé et de pro-
croissant devraient profiter à terme au plus on sait que la dynamique du marché phar- tection sociale, qui concernent la définition
grand nombre de patients concernés, sous maceutique français en termes de croissance de priorités et de stratégies de prise en charge
réserve que les conditions d’accès à ces trai- est fondée sur le segment des médicaments sont par contre rarement traitées en tant que
tements soient assurées. Cette question se innovants. La France peut difficilement re- telles (en dehors de leurs dimensions éthi-
pose, selon nous, à des niveaux très différents fuser de prendre en charge les innovations à ques). On cherche en vain dans ce disposi-
selon le contexte où on l’envisage. venir et devra donc effectuer des choix pour tif complexe, l’instance qui serait chargée
dégager des budgets sur d’autres postes dans d’établir des priorités et des politiques sec-
Une innovation orientée sur les besoins le cadre de l’encadrement global des dépen- torielles de santé. On peut d’ailleurs se de-
solvables ? ses de santé qu’on connaît. Il serait illusoire mander si un tel questionnement est même
Un certain nombre d’affections ou de popu- de croire que les mesures envisagées et mi- « politiquement acceptable » compte tenu des
lations sont plus ou moins écartées des bé- ses en œuvre actuellement pour supprimer enjeux associés et de l’insupportable visibi-
néfices de l’innovation. Il suffit de rappeler certains gaspillages présumés et améliorer la lité des contraintes économiques qui les mo-
que 15 % de la population mondiale — celle qualité des soins vont suffire à ralentir de façon tiveraient. Il est tellement plus simple de laisser
des pays développés — représente 80 % du significative la croissance des dépenses. On entendre que la simple amélioration de la
marché du médicament. peut faire le même pronostic pour les autres « qualité des soins » va résoudre mécanique-
Le rapport de l’OMS La Santé dans le éléments de la politique du médicament : ment la question du financement de la santé !
monde suggère les conséquences d’une recher- accord-cadre, conventions prix-volumes, ap- Il est tellement plus commode de s’appuyer
che orientée exclusivement vers les besoins proche par groupe de produits équivalents sur un système d’enveloppes sectorielles (mé-
solvables. Selon l’OMS, près de 50 % des be- (génériques, droit de substitution), révision dicament, biologie, hospitalisation, etc) ab-
soins ne sont toujours pas couverts, faute de du « panier » de produits remboursables, etc. surde dans son principe même (et si les en-
traitement connu. Pour certains, la recher- Les tensions qui vont en résulter vont donc veloppes deviennent « fongibles », peut-on
che pharmaceutique et la médecine sont nécessiter des choix sur le plan des priorités encore parler d’enveloppes ?), mais qui per-
encore impuissantes. Mais certaines affections de santé publique. met de maintenir un voile pudique sur la
sont délaissées des laboratoires, car elles tou- Que signifie finalement le terme nature des choix implicites qui en résultent :
chent spécifiquement les malades des pays en de « politique de santé publique » dans le quels budgets sont consacrés au sida, au can-
voie de développement. contexte actuel ? Devant la multiplicité des cer, etc. ? Pour quels résultats ?
Un autre cas qui relève de la même ratio- intervenants du système qui recourent à cette
nalité mais qui a pu aboutir à des solutions pra- notion, on peut être légitimement perplexe. Le médicament : un enjeu symbolique
tiques concerne les pathologies rares. On en Dans un système, théoriquement, presque Au plan symbolique, le médicament cons-
recense environ 5 000. Ces malades attendront entièrement contrôlé ou encadré par des titue un point de fixation de la difficile arti-
en vain un médicament qui, parfois, existe, dispositifs réglementaires, financiers et tech- culation qui existe entre le secteur marchand
mais n’a pas été développé faute de représen- niques, on peut considérer que tout acte et non marchand en matière d’organisation
ter un marché suffisant. Pour répondre à cette médical s’inscrit nécessairement dans une des services de santé. À la dynamique forte
question, les États-Unis disposent depuis 1983 perspective de santé publique à un certain du secteur de l’industrie biomédicale et à sa

adsp n° 27 juin 1999 69


Médicament et santé publique

visibilité parfois vécue de façon insolente,


s’opposent l’opacité et l’archaïsme des pro-
cessus de décision publique confrontés aux
problèmes de la maîtrise des dépenses de santé
et l’apparente incapacité de l’État à trouver
des moyens adéquats d’y répondre.
La dynamique de l’innovation médicale et
notamment pharmaceutique fait l’objet d’une
forte demande sociale non canalisée par les
contraintes habituelles de l’économie de
marché du fait de la socialisation de son fi-
nancement. Cette dynamique s’exprime au
niveau mondial et s’impose en quelque sorte
aux États nationaux, qui ne peuvent plus en
assurer un financement systématique pour
l’ensemble des populations potentielles qui
pourraient théoriquement en bénéficier.
Il est tentant pour certains de rationaliser
cette incapacité des systèmes de décision en
invoquant l’emprise croissante de la partie
marchande du système à imposer sa loi. S’il
y a une certaine emprise, il faut bien recon-
naître que c’est sur les terrains que les auto-
rités publiques ne parviennent pas à organiser
et à investir comme la recherche en matière
de médicament, la formation continue des
médecins, l’information thérapeutique, pour
ne citer que les exemples les plus marquants.
Dans ces différents domaines, il existe, en
fait, paradoxalement une sorte de « déléga-
tion de pouvoir » à l’industrie de fonctions
pour lesquelles on attendrait des interventions
publiques. Cette « délégation » est souvent
implicite, et imposée, en partie, par le biais
des contraintes réglementaires : substitution
à la recherche publique, fournitures de don-
nées, développement des méthodes d’évalua-
tion, financement des dépassements d’enve-
loppes, etc.
Le fait est cependant que l’innovation phar-
maceutique représente encore le meilleur
moyen à long terme d’améliorer l’état de santé
et le bien-être de la population même si ce
processus s’accompagne d’une augmentation
inéluctable des coûts et suppose un vigou-
reux accompagnement en matière de forma-
tion continue et de contrôle de qualité.

70 adsp n° 27 juin 1999


Médicament et santé publique

tribunes
La politique
du médicament
L
a politique économique du médica- duit à la taille anticipée de son marché. En
L’auteur souligne la ment, qui, il est vrai, n’a jamais été très cas de dépassement, des « clauses de revoyure »
complexité et simple, a atteint ces dernières années (sic !) autorisaient des ajustements de prix à
un degré de complexité inégalé. Les dépen- la baisse. Par ailleurs, les conventions portaient
l’obscurité de la ses pharmaceutiques sont désormais soumi- sur l’ensemble des portefeuilles, offrant ainsi
ses à l’addition de cinq niveaux de régulation aux entreprises des possibilités de péréqua-
politique du différents, pas un de moins, tous justifiés par tion. Par exemple les prix plus élevés de cer-
le même et légitime souci de contrôler les dé- taines innovations pouvaient être compen-
médicament qui se penses d’assurance maladie. sés par des baisses de prix, des retraits du
D’abord, en vertu de l’article L 162-16-1 marché ou des déremboursements d’autres
sont accrues au fil des du Code de la sécurité sociale, les prix du produits. Cette politique conventionnelle a
médicament font l’objet d’une fixation ad- ainsi joué un rôle déterminant dans le lan-
réformes. Il plaide ministrative. Ce dispositif, bien connu, re- cement en France, quinze ans après les autres
pour un système de pose sur le postulat que le contrôlant des prix pays développés, d’une réelle politique du
permet de contrôler la dépense remboursée. médicament générique.
régulation plus C’est évidemment faux : nous avons en France Saluée à l’époque comme un progrès, l’ap-
— encore aujourd’hui — le douteux privi- proche conventionnelle a été cependant subs-
cohérent et lège de combiner des prix pharmaceutiques tantiellement altérée par l’intervention d’un
bas et une dépense élevée, en raison de ce troisième niveau de régulation, celui de la
transparent. phénomène familier, et pourtant fort peu dépense globale remboursée de médicaments
analysé, de la forte consommation pharma- (tous produits et toutes firmes confondus).
ceutique en unités des Français. Cette nouvelle logique macro-économique
est la conséquence du Plan Juppé d’avril 1996
Un système complexe et de la nouvelle loi annuelle de financement
Ayant pris tardivement conscience de cette de la sécurité sociale (LFSS). Celle-ci com-
impasse, l’État s’est efforcé, dans les années porte dorénavant un objectif national de
quatre-vingt-dix, d’élaborer une approche plus dépense d’assurance maladie (Ondam), qui,
complète du problème, tout en maintenant censé ne s’appliquer qu’à l’ensemble de la
le principe de la fixation administrative des dépense, tend en fait à s’imposer sinon à toutes
prix. L’« accord-cadre » conclu en 1994 en- ses composantes, du moins à la composante
tre le Comité économique du médicament pharmaceutique. Celle-ci est désormais som-
(CEM), nouvellement constitué au sein du mée de cheminer d’année en année à ce sage
ministère des Affaires Sociales, et le Syndi- rythme parlementaire, fixé pour 1999 à
cat national de l’industrie pharmaceutique 2,6 %. Le comité économique est chargé
Claude Le Pen (Snip), a permis la mise en place d’un sys- d’assurer le suivi des dépenses. En cas de
Professeur agrégé tème de « conventions », firme par firme, au dépassement de l’objectif national, la loi (la
des facultés, Paris Dauphine, sein desquelles étaient négociés des « accords loi de financement de la sécurité sociale pour
directeur de CLP santé prix-volume » liant le niveau du prix d’un pro- 1999) prévoit un double régime de « sanc-

adsp n° 27 juin 1999 71


Médicament et santé publique

tions »1, selon que les entreprises pharmaceu- pharmaco-thérapeutiques » dans lesquels elle des produits, des groupes pharmaco-thérapeu-
tiques sont, ou non, signataires d’une con- opère. tiques et des laboratoires sont plafonnés,
vention avec le CEM. L’entreprise qui n’a pas Enfin, il faut ajouter un dernier étage à cette continuer à maintenir le principe de la fixa-
signé de convention tombe sous le coup d’une construction déjà très impressionnante, ce- tion administrative des prix ? Pourquoi ré-
« clause de sauvegarde » et doit acquitter une lui des « mesures transversales ». Ce terme guler les groupes thérapeutiques si on régule
contribution triplement assise sur le chiffre désigne certaines opérations irrégulières, tou- en même temps le CA des laboratoires ?
d’affaires, sur la progression de ce dernier et chant de temps en temps des catégories plus Pourquoi, dès lors qu’on établit un plafond
sur le montant des dépenses promotionnel- ou moins larges de médicaments ou d’entre- global pour l’ensemble du marché, restreindre
les. La signature d’une convention exonère prises. En 1991, le gouvernement avait ainsi également celle de chacune des composan-
les firmes de cette contribution, mais elles demandé aux firmes du secteur de lui sou- tes ? Rien dans l’objectif de maîtrise ne légi-
doivent alors « négocier » avec le CEM un mettre des propositions de déremboursement time un dispositif aussi complexe. Certains
avenant fixant le montant d’une « remise » ou de baisse de prix pour un total de 1,5 de nos voisins font (beaucoup) mieux avec
personnalisée, éventuellement convertible en milliard de francs. Le Plan Juppé avait ins- (beaucoup) moins de moyens.
déremboursements (pour toute une classe de tauré une « contribution exceptionnelle » de Le système manque en outre de transpa-
produits) ou en baisse de prix, qui est censé 2,1 milliards qui a été versée en 1997. Une rence. Le menu de chaque entreprise sera
tenir compte de la situation particulière des partie (1,5 milliard) vient d’ailleurs d’être négocié sur des facteurs propres changeant
firmes (portefeuille de produits, taux spon- invalidée par la Cour de justice européenne de l’une à l’autre. La stabilité et la lisibilité
tané d’évolution des classes, produits nou- de Luxembourg au motif que ses bases de sont loin d’être satisfaisantes. Le système est
veaux et innovants, évolution des dépenses calcul étaient discriminatoires2 . Il faut ajouter lié à un Ondam annuel, et il ne comporte pas
promotionnelles, etc.). La politique conven- les baisses substantielles de prix qui doivent d’engagements pluriannuels comme ce serait
tionnelle change ainsi implicitement de na- intervenir courant 1999 pour certaines classes souhaitable. Des mesures transversales peu-
ture. Son rôle consiste essentiellement thérapeutiques jugées à faible valeur médi- vent toujours être décidées de manière dis-
aujourd’hui à rendre l’objectif national de cale (dont les fameux veinotoniques qui re- crétionnaire à chaque moment, quel que soit
dépense d’assurance maladie opérationnel au présentent près de 3 milliards de francs de le statut des firmes au regard du conven-
niveau microéconomique, alors qu’il avait été CA). Des mesures du même ordre pourraient tionnement. Comme souvent en France, la
conçu pour conférer une plus grande sou- être prises pour les classes thérapeutiques à politique « conventionnelle » lie plus l’indus-
plesse au régime des prix administrés. Cette très forte croissance, les produits visés étant trie que l’État. Le dispositif a de plus un côté
nouvelle donne de la politique convention- alors principalement les anti-cholestéro- immoral : certains laboratoires peuvent être
nelle constitue l’essentiel du nouvel « accord lémiants de la classe des « statines ». tentés de refuser le jeu conventionnel, de
sectoriel » qui devrait bientôt se substituer à Aujourd’hui donc en France un même vendre le plus possible, au mépris éventuel-
l’« accord-cadre » de 1994. médicament peut-il être régulé cinq fois : lement des règles de bon usage, et de se sou-
Par ailleurs, un nouvel objet de régulation 1. son prix est fixé par l’État ; mettre à la clause de sauvegarde qui est pla-
est récemment apparu, à travers le chiffre 2. son chiffre d’affaire propre fait l’objet fonnée, pour solde de tout compte !
d’affaires par « groupes pharmaco-thérapeuti- d’un accord prix-volume ; Ne peut-on rompre avec cette logique de
ques ». Cette notion, encore floue, semble 3. le CA du laboratoire fait l’objet d’une sur-administration qui ajoute une nouvelle
finalement ne désigner que les classes théra- convention avec le CEM ; couche réglementaire pour couvrir les dé-
peutiques traditionnelles, parfois regroupées. 4. sa classe thérapeutique fait l’objet d’un faillances des précédentes. Ne peut-on par
Dans le projet d’« accord sectoriel » men- encadrement de ses taux de progression ; exemple, sans renoncer à l’objectif de maî-
tionné plus haut, figure en effet pour la pre- 5. il appartient éventuellement à une classe trise, envisager de libérer complètement cer-
mière fois la possibilité pour le CEM de pla- spécifique à faible valeur médicale ou à forte tains prix, par exemple ceux des médicaments
fonner la croissance de 300 groupes environ, croissance. génériques ou de certaines classes thérapeu-
couvrant l’intégralité du marché, pour lesquels Tout cela est-il bien raisonnable ? Du sim- tiques à fort potentiel concurrentiel ?
il a d’ores et déjà fixé des taux de croissance ple point de vue de la maîtrise des dépenses, Même si la formulation d’un objectif ex-
prévisionnels pour les années 1999 à 2002. ces mesures sont sans nul doute redondan- clusivement financier n’est sans doute pas le
Si un groupe dépasse, les entreprises produc- tes. L’« accord sectoriel » retient d’ailleurs un meilleur outil de régulation qu’on puisse
trices de ces produits sont solidairement mises principe de « non-cumul » qui le reconnaît imaginer, ne pourrait-on pas au moins adop-
à contribution. Le calcul de la « remise » due implicitement. Pourquoi si les CA respectifs ter une perspective pluriannuelle, comme les
par une entreprise conventionnée en cas de pouvoirs publics l’ont fait pour certaines
dépassement de l’objectif national sera, si on 2. Arrêt du 8 Juillet 1999, affaire C254/97. Le point disciplines médicales ? Ne pourrait-on pas le
en croit l’« accord sectoriel », pour une part en litige était que l’assiette de la contribution excep- « médicaliser » davantage de manière à lui
tionnelle était le CA en produits remboursables, sous
fonction du dépassement du chiffre d’affai- déduction des dépenses afférentes à la réalisation
garantir une pertinence accrue vis-à-vis des
res (CA) de l’entreprise — conformément à en France d’opérations de recherche scientifique et besoins de santé publique ? De même, l’ob-
la logique précédente — et, pour une autre technique. Les plaignants, des sociétés étrangères, jectif concernant l’industrie pharmaceutique
part, fonction du dépassement des « groupes ont fait valoir que l’assiette de ladite contribution ex- ne devrait pas être isolé de celui des autres
ceptionnelle introduisait une discrimination entre les composantes du système de santé. Le système
laboratoires français dont l’essentiel de la recherche
1. Cf. Art L.138-10 du Code de la sécurité sociale. est effectué en France, et les firmes étrangères dont
des enveloppes verticales fermées rigidifient
En fait le Conseil constitutionnel a estimé qu’il en s’agis- les principales unités de recherche sont situées en les évolutions et bloquent les mutations struc-
sait pas d’une sanction, mais d’une mesure fiscale. dehors du territoire national. turelles du système.

72 adsp n° 27 juin 1999


Tribunes

L’attention presque exclusive portée à ces nalement induit des incitations inverses. La
questions de prix et d’enveloppes a finalement prise de conscience de ces limites a conduit
détourné l’attention d’autres sujets beaucoup non pas à réformer la philosophie du système
plus fondamentaux à terme de politique éco- mais à lui rajouter de nouveaux niveaux de
nomique du médicament. Nous avons au contrainte !
moins dix ans de retard en matière de mé- Enfin, il faut engager une réflexion fonda-
dicaments génériques et il a fallu attendre mentale sur l’agent de la régulation : qui doit
1999, avec l’octroi aux pharmaciens d’un in fine négocier les prix avec les industriels ?
« droit de substitution » et la réforme des L’État régulateur ou l’assurance maladie ache-
marges, pour que les éléments d’un réel dé- teuse ? Naguère complètement exclue du
veloppement soient enfin réunis. L’automé- système de tarification des médicaments
dication, qui se développe à l’étranger attend (comme d’ailleurs de la fixation des taux de
encore son impulsion en France : nous som- remboursement), la Cnamts a fait valoir son
mes le seul pays où le marché de l’automé- rôle d’« acheteur avisé » de soins. À ce titre,
dication a tendance à baisser3 ! L’évaluation elle a obtenu de siéger au sein du CEM dont
économique des innovations médicamenteu- elle était exclue. Le plan stratégique qu’a
ses reste confinée dans son rôle de discipline adopté son conseil d’administration, sur la
académique, tandis que le « bon usage du proposition de son directeur général, prévoit
médicament » fait davantage l’objet d’un un système de prix forfaitaire par classe de
discours rituel que d’une réelle préoccupation médicaments, celles-ci étant définies de ma-
politique. Comment expliquer autrement nière beaucoup plus large que les « groupes
qu’on ne se soit jamais réellement penché sur pharmaco-thérapeutiques » du CEM. Le prix
la fameuse question de la surconsomma- forfaitaire serait fixé au niveau du prix le plus
tion pharmaceutique ? bas de la classe. Si la mesure reste imprécise
(on ne sait pas très clairement si ce forfait
Les acteurs de la régulation concerne les prix de marché ou seulement les
pharmaceutique prix de remboursement), la Cnamts en at-
L’industrie pharmaceutique française a tou- tend une économie substantielle située dans
jours beaucoup plus contesté les modalités une fourchette de 7 à 10 milliards de francs
de la régulation des dépenses de médicaments sur 3 ans.
que son principe même. Un bon système de Une telle mesure est de nature à remettre
régulation peut être un grand secours. L’in- radicalement en cause la philosophie française
dustrie britannique a tiré ainsi une grande en matière de fixation des prix des médica-
partie de son rayonnement international de ments. Elle revient de fait à transférer la res-
son système particulier, le PPRS (pharma- ponsabilité de la régulation pharmaceutique
ceutical price regulating system), qui favorise à l’assureur. Elle revient à transformer cette
les investissements de recherche et dévelop- régulation en une relation client-fournisseur
pement et de production4 , tout en limitant de type marchand.
la dépense pharmaceutique du National Si cette transformation obéit à une certaine
health system. En France, en se contentant logique, il faut reconnaître que, telle qu’elle,
pendant des années d’exercer une pression elle s’inscrirait dans un cadre déséquilibré en
sur les prix dont l’effet a longtemps été de ga- raison du caractère largement monopolisti-
rantir une solvabilité à bon compte, on a fi- que, ou plutôt monopsonique, de l’acheteur
Cnamts. Un marché à acheteur unique est
aussi socialement nuisible qu’un marché à
3. Moins 4% pour les produits non remboursables en vendeur unique, c’est une des leçons de l’ana-
1998 !
4. Très schématiquement, le PPRS est un accord État-
lyse économique. Cette évolution du rôle de
industrie qui assure aux entreprises qui y souscrivent la Cnamts ne serait donc pleinement accep-
une liberté dans la fixation des prix des nouveaux table que dans un cadre concurrentiel, avec
produits en échange d’un plafonnement de leur ren- la remise en cause de son quasi-monopole
tabilité à un niveau jugé « équitable ». En cas de dé-
passement non justifié de cette rentabilité, les firmes
comme fournisseur d’assurance maladie au
peuvent être assujetties à un système de reversement premier franc. On en est encore loin.
ou de baisse des prix. Le taux de profit cible étant À court terme, le dispositif institutionnel
calculé comme le rapport profit/capitaux investis, tout étant ce qu’il est, il reste à espérer que les
investissement qui alourdit le dénominateur permet autorités de tutelle sauront atténuer tout ce
d’augmenter la masse de profit au numérateur, no-
tamment à travers des prix rémunérateurs. Le PPRS
qu’il a de lourd, de redondant et d’obscur,
comprend également une clause de limitation des par des modalités de mise en œuvre intelli-
dépenses promotionnelles. gentes et souples.

adsp n° 27 juin 1999 73


Médicament et santé publique

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adresses utiles
Agence française de sécurité Snip Observatoire national des prescrip-
sanitaire des produits de santé Syndicat national de l’industrie tions et consommations des
(Afssaps) pharmaceutique médicaments
143-147, boulevard Anatole 88, rue Faisanderie Agence française de sécurité
France 75016 Paris sanitaire des produits de santé
93285 Saint-Denis Cedex Tél. : 01 45 03 88 88 (Afssaps)
Tél. : 01 55 87 30 00 Direction des études et de l’infor-
http://agmed.sante.gouv.fr Conseil national mation pharmaco-économiques
de l’Ordre des pharmaciens (Deipe)
Agence européenne du médica- 89, rue Faisanderie 143-147, boulevard Anatole France
ment 75016 Paris 93285 Saint-Denis Cedex
7, Westferry Circus Tél. : 01 40 72 42 00 Tél. : 01 55 87 38 35
Canary Wharf
E 14-4HB Londres
Royaume-Uni
Tél. : 00 44 171 418 84 00

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