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COHÉRENCE INSTITUTIONNELLE ET EFFECTIVITÉ D'UNE POLITIQUE

RÉGIONALE DE LA CONCURRENCE : LE CAS DE L'UNION ÉCONOMIQUE


ET MONÉTAIRE OUEST-AFRICAINE (UEMOA)

Mor Bakhoum

De Boeck Supérieur | « Revue internationale de droit économique »

2011/3 t.XXV | pages 305 à 332


ISSN 1010-8831
ISBN 9782804165321
Article disponible en ligne à l'adresse :
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COHÉRENCE INSTITUTIONNELLE
ET EFFECTIVITÉ D’UNE POLITIQUE
RÉGIONALE DE LA CONCURRENCE :
LE CAS DE L’UNION ÉCONOMIQUE
ET MONÉTAIRE OUEST-AFRICAINE (UEMOA)

Mor BAKHOUM1
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Résumé : En droite ligne avec le développement exponentiel de politiques régionales
de la concurrence dans les pays en développement ces dernières années, l’UEMOA
a adopté une législation communautaire de la concurrence entrée en vigueur en
2003. Caractérisée par une centralisation aussi bien de la réglementation du droit
matériel (ententes et abus de position dominante) que de la prise de décision (avec
une compétence exclusive reconnue à la Commission), celle-ci a suscité des réserves
quant à son aptitude à garantir la libre concurrence dans l’Union (dans le sens du
commerce entre États membres) et dans les marchés nationaux.
L’architecture institutionnelle mise en place dans l’UEMOA, du fait de la forte
centralisation des compétences, a provoqué des résistances au niveau des États
membres qui non seulement tardent à mettre en conformité leurs droits nationaux
au droit communautaire, mais également refusent de collaborer à la mise en œuvre
de ce droit.
Au niveau communautaire, l’organe de décision – le bureau de la concurrence de
la Commission de l’UEMOA – fait face à des contraintes qui limitent l’efficacité de
son action. La conséquence de ces incohérences aussi bien au niveau communau-
taire qu’au niveau national est une effectivité limitée du droit communautaire de la
concurrence, comme en témoigne la jurisprudence de la Commission.
Partant du cas de l’UEMOA et d’autres exemples de politiques régionales de la
concurrence, cet article identifie un certain nombre d’éléments que nous avons
qualifiés de « contraintes concurrentielles », qui entrent en ligne de compte dans la
définition de l’orientation institutionnelle d’une politique régionale de la concur-

1. Docteur en droit, LL.M (Lausanne/Chicago-Kent), Senior research fellow, Max Planck Institute for
Intellectual Property and Competition Law, Munich, Allemagne. E-mail: mor.bakhoum@ip.mpg.de.

Revue Internationale de Droit Économique – 2011 – pp. 305-332 – DOI: 10.3917/ride.253.0305


306 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

rence. Celles-ci sont liées à la configuration géographique et au nombre d’États


composant l’organisation, au degré de fluidité du commerce entre États membres,
aux capacités institutionnelles des États membres, à l’existence d’une culture de
la concurrence, etc. Cet article propose une redéfinition de l’orientation institu-
tionnelle du droit de la concurrence de l’UEMOA dans le sens d’une plus grande
implication des structures nationales de la concurrence dans la prise de décision.

1 Introduction
2 Cohérence institutionnelle et effectivité de la politique de la concurrence de l’UEMOA:
les limites d’un système centralisé
2.1 Les incohérences au niveau communautaire
2.2 Les incohérences au niveau national : la problématique de la collaboration
des structures nationales de la concurrence
2.2.1 L’ineffectivité des réformes institutionnelles au niveau des États membres
2.2.1.1 Centralisation des compétences et recul de l’initiative nationale ?
2.2.1.2 Centralisation des compétences et réformes des droits nationaux de
la concurrence
2.2.2 L’ineffectivité de la collaboration des structures nationales de la concurrence
2.2.2.1 La résistance des structures nationales de la concurrence à la
centralisation du pouvoir de décision
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2.2.2.2 La faiblesse institutionnelle des structures nationales de la
concurrence
2.2 Architecture institutionnelle et effectivité de la politique communautaire de la
concurrence de l’UEMOA : aperçu de la jurisprudence communautaire
3 Esquisse d’une approche pour une cohérence institutionnelle d’une politique régionale
de la concurrence
3.1 Les « contraintes concurrentielles » à prendre en compte dans la définition de
l’approche institutionnelle
3.1.1 Le nombre d’États et le degré d’intégration du marché commun
3.1.2 La fluidité des échanges entre États membres
3.1.3 L’identification des acteurs et la localisation des pratiques
anticoncurrentielles
3.1.4 La problématique des capacités institutionnelles au niveau communautaire et
au niveau national : qui peut faire quoi efficacement ?
3.1.5 Existe-t-il une culture de la concurrence dans les États membres ?
3.1.6 Existe-t-il une volonté politique de céder les compétences en matière de
concurrence au profit de l’Union ?
3.1.7 L’aspect temporel : temps et partage des compétences
3.2 « Contraintes concurrentielles » et orientation institutionnelle : définition des
grandes orientations
3.2.1 Le droit applicable
3.2.2 L’organisation du partage des compétences
4 Redéfinir l’orientation institutionnelle de l’UEMOA pour plus d’effectivité ?
4.1 Le droit matériel
4.2 Le partage des compétences entre la Commission et les structures nationales
de la concurrence
Summary
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 307

1 INTRODUCTION
Le processus d’intégration économique dans les pays en développement s’est
accompagné d’un mouvement parallèle et concomitant de régionalisation de leurs
politiques de la concurrence. Le foisonnement d’organisations d’intégration écono-
mique liant le national au global est une réalité de la structuration des économies
dans un contexte de globalisation. En effet, avec le processus de « recomposition
de l’environnement juridique mondial sous les auspices des lois du marché »2, on
assiste à une émergence de nouveaux paysages normatifs qui « semble[nt] s’orienter
vers une gestion communautaire des intérêts nationaux »3.
La création d’un marché commun, d’une union douanière ou d’un espace de
libre-échange, du fait de son effet d’ouverture des frontières économiques nationales,
va de pair avec la nécessité de protéger la libre concurrence dans les « espaces éco-
nomiques communs » nouvellement créés4. En effet, si la concurrence sur le marché
transcende les espaces économiques nationaux pour s’opérer au niveau régional,
l’approche législative doit suivre avec la régulation transversale de la concurrence
au niveau régional. Aussi, dans les pays en développement, la création d’espaces
économiques régionaux est-elle allée de pair avec la régionalisation des politiques
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de la concurrence.
Différents objectifs sont assignables à une politique régionale de la concurrence :
la protection contre les cartels internationaux, l’objectif d’intégration économique,
l’utilisation efficiente des ressources limitées, la promotion de l’investissement,
etc.5 Au-delà de ces objectifs, pour les pays en développement, il est apparu que
l’intégration économique et son corollaire la régionalisation des politiques de la
concurrence pourraient leur garantir une entrée dans l’économie globale. Plus qu’un
outil de régulation d’un marché commun, une politique régionale de la concurrence
et plus généralement l’intégration économique pourraient leur permettre de jouer
leur partition dans l’économie globalisée6.

2. A. Cissé, « L’harmonisation du droit des affaires en Afrique : l’expérience de l’OHADA à l’épreuve


de sa première décennie », RIDE, n° 2-2004, p. 198.
3. Ibid.
4. Sur la problématique de l’intégration économique et du droit de la concurrence dans les pays en déve-
loppement, J. Drexl, « Economic Integration and Competition Policy in Developing Countries »,
in M. Bakhoum, J. Drexl, M. Gal, D. Gerber, E. Fox (eds), Regional Integration and Competition
Policy in Developing Countries, Edward Elgar, 2012, à paraître.
5. Voir, sur les objectifs d’une politique régionale de la concurrence, M. Bakhoum, « Perspectives
africaines d’une politique de la concurrence dans l’espace OHADA », RIDE, ce numéro. Voir
également, sur les objectifs de l’intégration économique dans les pays en développement, J. Drexl,
op. cit. (note 4).
6. J. Drexl, ibid. L’auteur soutient que, du point de vue des pays en développement, les objectifs de
l’intégration économique doivent être redéfinis dans le contexte de la globalisation économique.
Il soutient : « Hence, the role of economic integration may well have to be redefined in times of
globalization. Whereas, traditionally, economic integration was mostly justified by the economic
benefits that accrue from intensifying intra-regional trade, regional integration may nowadays seem
much more important as a response to economic globalisation. »
308 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

Si l’intégration économique et le contrôle de la libre concurrence au niveau


régional ont le potentiel de catalyser le développement économique7, l’expérience a
fini de démontrer que, pour différentes raisons, leur mise en œuvre pose encore des
défis8. En effet, les expériences d’intégration économique et de régionalisation des
politiques de la concurrence ont connu des fortunes diverses. Les résultats attendus
en termes d’ouverture des marchés nationaux, de promotion du commerce entre
États membres et de protection de la libre concurrence aussi bien dans les marchés
nationaux que dans le marché commun n’ont pas toujours été au rendez-vous. Divers
facteurs peuvent expliquer ces résultats mitigés9. Au nombre de ceux-ci, l’orientation
institutionnelle de mise en œuvre de la politique régionale de la concurrence occupe
une place centrale. Concevoir un cadre institutionnel de mise en ouvre d’une poli-
tique de la concurrence au niveau national ne pose relativement pas de grands défis.
Souvent la mise en œuvre est confiée à une Autorité Administrative Indépendante
(AAI) avec l’aménagement d’un droit de regard du pouvoir judiciaire sous forme
d’un recours en appel. Un démembrement de l’administration peut également être
en charge de la mise en œuvre, comme c’ est le cas dans beaucoup de pays d’Afrique
de l’Ouest. Au niveau régional par contre, souvent se pose le défi de la conciliation
ou d’un équilibrage des compétences et du partage du pouvoir de contrôle entre le
niveau communautaire et les niveaux nationaux. En d’autres termes, le cadre institu-
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tionnel doit être conçu de manière à permettre un contrôle efficace tant des marchés
nationaux que du marché commun, tout en garantissant une certaine harmonisation
dans la mise en œuvre afin d’éviter les risques de renationalisation.
Cet article analyse l’architecture institutionnelle de mise en œuvre de la politique
régionale de la concurrence de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine
(UEMOA). L’UEMOA a enclenché son processus d’intégration avec une union
monétaire dans le cadre de l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA). C’est en
1994, avec la signature du traité de Dakar10, qu’est créé un marché commun avec
la transformation de l’union monétaire en union économique et monétaire. Natu-
rellement, le traité constitutif a également posé les jalons de la politique commu-
nautaire de la concurrence. Les articles 88 et 89 posent les principes d’interdiction
des ententes et des abus de position dominante tandis que l’article 90 reconnaît à

7. Voir sur cet aspect: E. Fox, « Competition, Development and Regional Integration : In Search of a
Competition Law Fit for Developing Countries », in M. Bakhoum, J. Drexl, M. Gal, D. Gerber, E.
Fox (eds), Regional Integration and Competition Policy in Developing Countries, op. cit. (note 4).
8. M. Gal discute, dans un article à paraître, les obstacles à l’effectivité des politiques régionales de la
concurrence. Voir M. Gal et I. Faibish Wassmer, « Regional Agreements of Developing Jurisdictions:
Unleashing the Potential », in M. Bakhoum, J. Drexl, M. Gal, D. Gerber, E. Fox (eds), Regional
Integration and Competition Policy in Developing Countries, op. cit. (note 4). Disponible également
sur le lien suivant: http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1920290. Ces obstacles sont
entre autres liés à la conception des institutions et à la problématique des rapports entre le niveau
régional et le niveau national.
9. Ibid.
10. Le traité de l’UEMOA est disponible à l’adresse suivante : http://www.uemoa.int/Documents/
TraitReviseUEMOA.pdf.
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 309

la Commission la compétence pour mettre en œuvre le droit communautaire. Un


certain nombre de règlements et de directives précisent le droit primaire11.
L’UEMOA a adopté une approche centraliste de sa politique de la concur-
rence12. La réglementation des pratiques anticoncurrentielles (ententes, abus de
position dominante et aides d’État) relève de la compétence exclusive de l’Union,
et la Commission bénéficie d’une compétence exclusive pour la mise en œuvre du
droit communautaire. Les États membres ont ainsi vu leurs compétences limitées à
la réglementation de ce que l’on pourrait appeler le droit secondaire de la concur-
rence, à savoir les pratiques restrictives de concurrence et la concurrence déloyale.
Il faut noter que dans la plupart des pays membres de l’UEMOA, les législations de
la concurrence combinent pratiques anticoncurrentielles, pratiques restrictives de
concurrence, concurrence déloyale et, dans certains pays, des aspects de protection
des consommateurs13.
Il est certes reconnu à la Commission une compétence exclusive pour la mise
en œuvre du droit communautaire. Toutefois, les structures nationales de la concur-
rence sont mobilisées lors des enquêtes. En effet, la Directive n° 2/2002/UEMOA
qui détermine les modalités de la collaboration entre la Commission et les structures
nationales de la concurrence a mis en place un mécanisme de coopération qui revêt
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11. – Règlement n° 2/2002/CM/UEMOA du 23.5.2002 relatif aux pratiques anticoncurrentielles à
l’intérieur de l’Union ;
– Règlement n° 3/2002/CM/UEMOA du 23.5.2002 relatif aux procédures applicables aux
ententes et abus de position dominante à l’intérieur de l’Union Économique et Monétaire
Ouest-Africaine ;
– Règlement n° 4/2002/CM/UEMOA du 23.5.2002 relatif aux aides d’État à l’intérieur de l’Union
Économique et monétaire Ouest-Africaine et aux modalités d’application de l’article 88(C) du
traité ;
– Directive n° 02/2002/CM/UEMOA du 23.5.2002 relative à la coopération entre la Commission
et les structures nationales de concurrence des États membres pour l’application des articles
88, 89 et 90 du traité de l’UEMOA ;
– Directive n° 1/2002/UEMOA du 23.5.2002 relative à la transparence des relations financières
entre d’une part les États membres et les entreprises publiques, et d’autre part entre les États
membres et les organisations internationales ou étrangères.
Ces textes sont disponibles sur : http://www.uemoa.int.
12. Voir en général sur la politique de la concurrence de l’UEMOA : M. Bakhoum, L’articulation du droit
communautaire et des droits nationaux de la concurrence dans l’Union Économique et Monétaire
Ouest-Africaine (UEMOA), Berne, Bruxelles, Stampfli, Bruylant, 2007.
13. Tous les pays membres de l’UEMOA sont dotés d’un droit national de la concurrence à l’exception de
la Guinée-Bissau. Sénégal : loi 1994/63 du 22 août 1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux
économique ; Burkina Faso : loi n°15/94 du 15 mai 1994 relative à la concurrence ; Mali : Ordon-
nance n° 07-025 du 18 juillet 2007 portant organisation de la concurrence ; Togo : Loi n° 99-011
du 28 décembre 1999 portant organisation de la concurrence au Togo ; Bénin : Ordonnance n° 20/
PR/MFAEP du 5 juillet 1967 portant réglementation des prix et des stocks ; Niger : Ordonnance
n° 92-025 du 7 juillet 1992 portant réglementation des prix et de la concurrence ; Côte d’Ivoire,
Loi n° 91-999 du 27 décembre 1991 relative à la concurrence. Ces différentes législations ont la
caractéristique commune, en plus de l’affirmation de la liberté de commerce et de concurrence, de
donner à l’État, dans des circonstances exceptionnelles, une réserve d’intervention dans la déter-
mination des prix.
310 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

deux aspects. D’abord, la Commission doit informer les structures nationales de la


concurrence des enquêtes envisagées dans les États membres. Il est ensuite demandé
à ces structures d’appuyer la Commission lors des enquêtes et vérifications dans les
États membres. Les structures nationales de la concurrence sont également impli-
quées dans le processus décisionnel à travers le Comité Consultatif de la Concurrence
(CCC) qui est à l’image du CCC dans le cadre de l’UE. Le CCC a compétence pour
donner un avis sur les affaires pendantes. L’Avis du CCC ne lie toutefois pas la Com-
mission. Pour maintenir l’harmonie entre le niveau communautaire et les niveaux
nationaux, et rendre effectif ce transfert de compétence au niveau communautaire,
il est fait obligation aux États membres de réformer leurs droits nationaux et de
limiter les compétences des structures nationales de la concurrence aux nouvelles
fonctions qui leur sont assignées14.
Cette approche centraliste, qui a fortement limité les compétences des structures
nationales de la concurrence, n’est pas allée de soi. En effet, il ne ressort pas clai-
rement du traité de Dakar une volonté du législateur communautaire de centraliser
les compétences en droit de la concurrence. Aussi, des divergences ont vu le jour
au moment de l’élaboration de la législation communautaire entre la Commission
qui soutenait une compétence exclusive de l’Union et les experts des États membres
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qui défendaient le droit des États membres de légiférer en matière de pratiques
anticoncurrentielles. Finalement, c’est un Avis de la Cour de justice15 qui a clos le
débat en concluant à une compétence exclusive de l’Union.
Cette approche institutionnelle, plutôt originale, pour des États qui d’habitude
prennent l’UE comme référence, n’a pas manqué de susciter des réserves quant à son
adaptabilité dans le contexte de l’UEMOA. En effet, dès l’origine, des résistances
sont apparues au niveau des États membres16. La doctrine, qui a aussi commencé
à explorer la question, a également été très critique sur la forte centralisation des
compétences au niveau de l’UEMOA17. Presque huit ans après l’entrée en vigueur
du droit communautaire, l’approche centraliste de l’UEMOA a montré ses limites.
Les réformes attendues des États membres ne sont pas encore matérialisées, la
collaboration des structures nationales de la concurrence n’est pas effective, et le
niveau communautaire qui était supposé constituer une structure forte fait face à
des contraintes qui limitent l’effectivité de son action. Par voie de conséquence, en
termes d’effectivité du droit communautaire de la concurrence, les fruits n’ont pas

14. Les modalités de l’obligation de réforme sont définies par la Directive 2/2002/UEMOA, op. cit.
(note 11).
15. Avis de 3/2000/CJ/UEMOA, inédit.
16. Rapport 2002-2003 de la Commission nationale de la concurrence du Sénégal qui a rendu des Avis
sur l’approche communautaire. La Commission nationale de la concurrence du Sénégal n’était pas
favorable à une centralisation du pouvoir de décision.
17. On pense aux développements du professeur Abdoulaye Sakho, ancien vice-président de la Com-
mission nationale de la concurrence, sur la question. Nous avions aussi émis des réserves sur la
centralisation du pouvoir de décision. Voir M. Bakhoum, L’articulation du droit communautaire
et des droits nationaux de la concurrence dans l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine
(UEMOA), op. cit. (note 12), pp. 228-243.
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 311

toujours tenu la promesse des fleurs. Nous le verrons, la jurisprudence communau-


taire est encore limitée.
Cette contribution vise à analyser la cohérence de l’approche institutionnelle
de l’UEMOA et son impact sur l’effectivité de la politique communautaire de la
concurrence. Elle se fonde sur les huit années de mise en œuvre de cette politique
afin de déceler les incohérences de l’approche institutionnelle qui ont conduit à une
effectivité limitée (2). Ensuite, nous identifierons un certain nombre de critères que
nous avons appelés « contraintes concurrentielles » et qui entrent en ligne de compte
dans la définition d’une approche institutionnelle dans un cadre communautaire,
avec un accent particulier sur la répartition des compétences entre le niveau com-
munautaire et les États membres (3). De cette analyse théorique, nous dégagerons
un certain nombre d’orientations en termes de répartition des compétences entre
l’Union et les États membres dans une organisation d’intégration économique (4)
avant de l’appliquer au cas de l’UEMOA (5).

2 COHÉRENCE INSTITUTIONNELLE ET EFFECTIVITÉ


DE LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
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DE L’UEMOA : LES LIMITES D’UN SYSTÈME
CENTRALISÉ
Certaines incohérences institutionnelles sont observables aussi bien au niveau com-
munautaire (2.1) qu’au niveau national (2.2).

2.1 Les incohérences au niveau communautaire


La Commission de l’UEMOA a-t-elle les moyens de sa politique ? En d’autres
termes, est-ce que la Commission de l’UEMOA a les capacités, les ressources
matérielles et humaines et la flexibilité nécessaires pour mettre en œuvre efficace-
ment le droit communautaire de la concurrence ? Les procédures communautaires
garantissent-elles une intervention efficace de la Commission sur le marché ? Nous
allons essayer de répondre à ces questions.
Les services de la Commission de l’UEMOA sont organisés en départements18
qui s’articulent autour de la présidence de la Commission. Chaque département est
dirigé par un commissaire. À leur tour, les départements sont éclatés en directions.
C’est le département du marché régional, du commerce, de la concurrence et de
la coopération19 qui coiffe la Direction de la concurrence en charge de la mise en

18. Voir Décision n° 0157/2007/PCOM/UEMOA portant création et organisation des services de la


Commission de l’UEMOA, inédit.
19. Voir Décision n° 345/2008/PCOM/UEMOA portant organisation du département du marché
régional, du commerce, de la concurrence et de la coopération, inédit.
312 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

œuvre de la politique communautaire de la concurrence. C’est seulement en 2007


que la Direction de la concurrence a été créée. Avant cette date, le contentieux
concurrentiel était traité au sein du département du marché régional, du commerce,
de la concurrence et de la coopération. Aucune particularité n’était accordée au
contentieux concurrentiel. Le département de la concurrence manquait de visibilité.
Par ailleurs, une certaine lourdeur administrative limite l’effectivité de l’action
de la Direction de la concurrence. Comme dans une administration classique, toutes
les actions de cette dernière doivent au préalable recevoir l’aval de la hiérarchie. En
guise d’exemple, toutes les enquêtes et vérifications au niveau des États membres
doivent préalablement être autorisées par le président de la Commission. Avant toute
vérification dans un État membre ou une entreprise, la Direction de la concurrence
doit introduire une demande auprès du président qui juge de l’opportunité du dépla-
cement avant de signer un ordre de mission. Ces contraintes procédurales internes
limitent considérablement la flexibilité de la Commission dans la conduite des
enquêtes. C’est également le président de la Commission qui signe tous les actes
de procédure (demandes de renseignements, communications avec les parties, etc.).
En termes de personnel, la Direction de la concurrence fait face aux mêmes
difficultés qu’une structure nationale de la concurrence. Seules trois personnes
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s’occupent de l’ensemble du contentieux communautaire ; cette Direction n’étant
étoffée que de trois agents. Il faut rappeler que la Commission est également com-
pétente pour connaître des pratiques anticoncurrentielles dans les États membres.
Certes, il est demandé à ceux-ci de collaborer avec la Commission et de lui fournir
du personnel si nécessaire lors des enquêtes dans les États membres. Cet appui natio-
nal, qui du reste est limité, ne comble pas le déficit en personnel de la Commission.
Créer une structure forte et dotée de moyens suffisants au niveau régional en
lieu en place de structures nationales de la concurrence faibles et sans moyens est
un argument souvent avancé à l’appui de la régionalisation des politiques de la
concurrence dans les pays en développement. Dans le cas de l’UEMOA, on retrouve
au niveau communautaire les mêmes contraintes auxquelles les structures nationales
de la concurrence font face.
En termes de ressources financières, la Commission est en principe dotée de
suffisamment de moyens. Toutefois, la Direction de la concurrence n’a pas la flexi-
bilité nécessaire dans leur utilisation.

2.2 Les incohérences au niveau national : la problématique de


la collaboration des structures nationales de la concurrence
Dans la conception du cadre institutionnel de mise en œuvre de la politique de la
concurrence de l’UEMOA, il est attendu des réformes au niveau national et une
collaboration effective des structures nationales de la concurrence. Dans les États
membres, les réformes ne sont pas encore effectives (2.2.1) et la collaboration des
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 313

structures nationales de la concurrence avec la Commission n’est pas au rendez-


vous (2.2.2).

2.2.1 L’ineffectivité des réformes institutionnelles au niveau


des États membres
Une certaine léthargie dans le fonctionnement des structures nationales de la concur-
rence et un ralentissement de la dynamique législative nationale ont suivi l’entrée
en vigueur du droit communautaire de la concurrence.

2.2.1.1 Centralisation des compétences et recul de l’initiative nationale ?


Avant l’entrée en vigueur du droit communautaire de la concurrence, certaines
structures nationales de la concurrence ont tant bien que mal essayé d’être actives
dans le contrôle des marchés internes. Souvent, le cas de la Commission nationale
de la concurrence du Sénégal est cité comme référence du dynamisme dont les struc-
tures nationales de la concurrence peuvent faire preuve dans le contrôle du marché.
La structure a rendu quelques décisions20 dont la plus médiatisée fut l’affaire Air
France21 dans laquelle la compagnie aérienne a été condamnée pour abus de dépen-
dance économique. On a même soutenu dans la doctrine que l’entrée en vigueur
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du droit communautaire a entraîné un recul de la compétence nationale22. Il est
certes vrai que le droit communautaire a fortement limité les activités des structures
nationales de la concurrence. Toutefois, le cas du Sénégal, à lui seul, ne devrait pas
conduire à une généralisation de l’impact négatif de l’entrée en vigueur du droit
communautaire sur le fonctionnement de ces structures. En réalité, la léthargie des
structures nationales de la concurrence est endémique et congénitale. En effet, avant
l’entrée en vigueur du droit communautaire, elles avaient toute la latitude de mettre
en œuvre leur politique nationale de concurrence. Toutefois, aucune d’entre elles
n’a effectivement mis en œuvre son droit de la concurrence. Même dans le cas de la
Commission nationale de la concurrence du Sénégal, il y a une certaine exagération
de son dynamisme dans le contrôle des marchés nationaux. En effet, à l’instar des
autres structures nationales de la concurrence des pays membres de l’UEMOA, la
Commission nationale de la concurrence du Sénégal fait face à des contraintes qui
limitent son action23.
Le cas de la Commission nationale de la concurrence de la Côte d’Ivoire est
très intéressant à ce propos. Créée en 1992 avec la Loi sur la concurrence, la Com-
mission a été opérationnelle jusqu’en 2002. Des moyens conséquents ont été mis

20. On pense aux affaires CIBA contre FFSA et SARL Micro Doses technologies. Ces affaires sont
disponibles dans le rapport 2002-2003 de la Commission nationale de la concurrence du Sénégal.
21. Ibid.
22. Voir D. P. Weick, « Competition Law and Policy in Senegal: A Cautionary Tale for Regional Integra-
tion? », World Competition, 33, 2010, p. 521.
23. Ces contraintes sont liées à la disponibilité des ressources aussi bien matérielles qu’humaines. Voir
sur ces aspects le rapport 2002-2003 de la Commission nationale de la concurrence. La Commission
n’a pas de locaux propres et son personnel n’est pas permanent.
314 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

à sa disposition et elle a eu à rendre pas moins de 30 Avis24. C’est suite à une crise
sociopolitique que son activité a été ralentie.
Il faut noter qu’en général les structures nationales de la concurrence se sont
conformées à leur obligation d’abstention : celle de ne pas connaître du contentieux
concurrentiel suite à l’entrée en vigueur du droit communautaire. Certes, on peut
soutenir que le droit communautaire a eu un impact négatif sur la culture de la
concurrence dans les États membres et le développement potentiel d’une expertise
nationale pour les structures nationales de la concurrence. Toutefois, il est douteux
de soutenir que l’entrée en vigueur du droit communautaire a entraîné un recul de
l’expertise nationale. À part le Sénégal et la Côte d’Ivoire, cette expertise était déjà
limitée dans la plupart des États membres.

2.2.1.2 Centralisation des compétences et réformes des droits nationaux


de la concurrence
Les droits nationaux de la concurrence ne sont pas encore mis en conformité avec le
droit communautaire malgré l’obligation faite aux États membres de réformer leurs
législations suite à l’entrée en vigueur de ce droit. En effet, aucun pays membre de
l’UEMOA n’a à ce jour mis en conformité son droit national avec le droit commu-
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nautaire. Au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Niger, au Burkina Faso et au Bénin, des
projets de réforme des droits nationaux de la concurrence sont en cours. Toutefois,
elles ne sont pas encore effectives. L’ineffectivité des réformes résulte d’un cer-
tain désintérêt des États membres de poursuivre l’œuvre législative et de doter les
structures nationales de la concurrence de moyens. En effet, dépossédés de toute
compétence pour la réglementation des pratiques anticoncurrentielles, les États
membres ne voient pas nécessairement l’opportunité d’investir dans les réformes
des législations nationales de la concurrence. Pour les États qui n’avaient pas de
structures nationales de la concurrence, le besoin ne s’est pas fait sentir de légiférer
en droit de la concurrence. C’est le cas de la Guinée-Bissau qui n’a à ce jour pas de
droit de la concurrence. Ce recul de la dynamique législative interne a des consé-
quences sur la culture de la concurrence des États membres. Comme on l’a souligné
dans la doctrine, une forte centralisation du droit matériel comme c’est le cas de
l’UEMOA, par la léthargie qu’elle crée sur l’activité des structures nationales de la
concurrence et le recul de la dynamique législative qu’elle engendre, a un impact
négatif sur la culture de la concurrence dans les pays membres25.
L’obligation de réforme s’étend également aux législations sectorielles qui,
elles aussi, doivent s’abstenir de réglementer les pratiques anticoncurrentielles ou
de donner compétence aux autorités de régulation pour connaître du contentieux.
Dans le domaine des télécommunications, par exemple, où il est plus fréquent de

24. Voir les différents rapports produits en 1994, 1998 et 2001 par la Commission nationale de la
concurrence de la Côte d’Ivoire. Disponible auprès de l’auteur.
25. Voir sur cet aspect, J. Drexl, « Economic Integration and Competition Policy in Developing
Countries », op. cit. (note 4).
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 315

voir les législations nationales réglementer les pratiques anticoncurrentielles dans la


loi sectorielle, les approches diffèrent d’un État à un autre. Si certains États, comme
le Mali, renvoient à la législation nationale de la concurrence générale et reconnaît
une compétence exclusive à l’autorité de la concurrence (ou les tribunaux) pour
connaître du contentieux concurrentiel dans ledit secteur26, d’autres réglementent
spécifiquement les pratiques anticoncurrentielles dans la loi sectorielle et donnent
expressément compétence à l’autorité de régulation pour connaître du contentieux.
C’est le cas du Sénégal où les pratiques anticoncurrentielles sont expressément
réglementées dans le Code des télécommunications27. Il est reconnu à l’Agence de
Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP), en dérogation à la loi de
1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux économique, la compétence pour
connaître des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des télécoms28. Cette
approche n’est pas conforme au droit communautaire qui reconnaît une compétence
exclusive à la Commission.
Au Togo, bien que les pratiques anticoncurrentielles soient réglementées dans la
loi sur les télécommunications, leur mise en œuvre est portée devant les juridictions
compétentes (article 35, Loi sur les télécommunications).
Au Bénin également, la loi sur les télécommunications réglemente les pratiques
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anticoncurrentielles ; toutefois, leur mise en œuvre est portée devant les juridictions
compétentes. L’autorité de régulation ne connaît pas de litiges. La même approche
est adoptée au Niger. Les pratiques anticoncurrentielles sont réglementées dans
la loi sur les télécommunications ; toutefois, leur mise en œuvre est portée devant
les juridictions compétentes. En Côte d’Ivoire par contre, la loi sur les télécom-
munications ne réglemente pas spécifiquement les pratiques anticoncurrentielles
et l’Agence des Télécommunications de Côte d’Ivoire (ATCI) ne connaît pas du
contentieux concurrentiel.

2.2.2 L’ineffectivité de la collaboration des structures nationales


de la concurrence
Il y a quelques années, nous évoquions un risque d’ineffectivité de la collaboration
des structures nationales de la concurrence à la mise en œuvre du droit communau-

26. Voir article 1, Ordonnance n° 99-043 du 30 septembre 1999 régissant les télécommunications en
république du Mali. « La présente Ordonnance régit toutes les activités de télécommunications
exercées sur le territoire de la République du Mali y compris l’attribution ou l’assignation de fré-
quences, peu importe que celles-ci soient à des fins de services de télécommunications ou autres.
Elle s’applique sans préjudice de l’application des dispositions générales relatives au droit de la
concurrence (souligné par nous) ».
27. Voir article 5 du Code des télécommunications qui interdit les ententes et les abus de position
dominante. Le Code des télécommunications est disponible sur le lien suivant : http://www.gouv.
sn/IMG/pdf/document_Telechargez_le_code_des_Telecoms_6.pdf.
28. Voir article 5 in fine du Code des télécommunications.
316 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

taire29. Dépourvues de toute compétence de prise de décision, nous soutenions que


les autorités nationales de la concurrence ne seraient pas enclines à collaborer effecti-
vement avec la Commission. En d’autres termes, elles n’accepteraient pas d’être des
structures au service de la Commission lors de ses enquêtes dans les États membres
et de ne constituer qu’un relais de transmission des plaintes. Nos « prévisions »,
fondées en son temps sur l’analyse du cadre institutionnel communautaire, se sont
avérées justes. Pour différentes raisons que nous allons explorer, la collaboration
des structures nationales de la concurrence avec la Commission n’est pas effective.
Les raisons tiennent à une certaine résistance de celles-ci à la centralisation et, sur
le plan pratique, à une faiblesse de ces institutions.

2.2.2.1 La résistance des structures nationales de la concurrence


à la centralisation du pouvoir de décision
Les structures nationales de la concurrence se sont toujours opposées à la centrali-
sation de la prise de décision. On se rappelle les divergences entre les experts des
États membres et la Commission lors de l’adoption des textes. En pratique, ces
divergences sur l’approche institutionnelle se sont traduites par une résistance de
certaines structures nationales de la concurrence qui encore refusent de collaborer
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avec la Commission. Cette résistance s’est traduite non seulement par une passivité
dans la collaboration avec la Commission, mais également par une certaine mise en
œuvre orientée du droit national de la concurrence de manière à, intelligemment,
éviter le domaine de compétence communautaire. Il est fréquent dans les États
membres que les agents de contrôle requalifient certains faits de sorte à échapper
au domaine de compétence exclusive de l’Union. Un certain flou dans la répartition
des compétences matérielles donne aux structures nationales de la concurrence cette
possibilité de mise en œuvre orientée. On sait par exemple que la notion d’abus de
position dominante qui relève de la compétence communautaire est très proche de
la notion d’abus de dépendance économique qui est de la compétence des États
membres.
Cette résistance était prévisible. Les structures nationales de la concurrence
n’exercent pas leur rôle de veille concurrentielle des marchés nationaux ; les cas
de transmission des plaintes à la Commission de l’UEMOA sont limités ; et dans
certains cas, il y a une absence totale de collaboration lors des enquêtes30. À part
l’autorité de la concurrence du Burkina Faso qui s’est montrée très coopérante avec
celle-ci, les structures nationales de la concurrence ne sont en général pas enclines
à collaborer avec la Commission.

29. Voir M. Bakhoum, L’articulation du droit communautaire et des droits nationaux de la concurrence
dans l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), op. cit. (note 12), p. 229 et suiv.
30. C’est le cas de la collaboration de la Commission nationale de la concurrence du Sénégal avec la
Commission de l’UEMOA. C’est plutôt avec la Direction du Commerce Intérieur (DCI) que la
Commission travaille lors de ses enquêtes sur le terrain.
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 317

2.2.2.2 La faiblesse institutionnelle des structures nationales de la concurrence


Le système institutionnel communautaire s’appuie, pour son effectivité, sur les
institutions nationales. Certes, les structures nationales de la concurrence sont
dépourvues de pouvoir de décision. Toutefois, elles sont mobilisées en tant que
relais dans la surveillance des marchés nationaux. Cet appui sur les institutions
nationales suppose que les structures nationales de la concurrence existent et qu’elles
disposent de moyens conséquents. La Guinée-Bissau n’a pas de structure nationale
de la concurrence, encore moins de droit de la concurrence. Théoriquement, cet
appui sur les institutions nationales n’existe pas dans cet État. Dans les États où
elles existent, les structures nationales de la concurrence n’ont pas les ressources
nécessaires pour jouer leur rôle.
À l’instar des pays en développement, c’est à la faveur de l’ouverture au marché
que les pays membres de l’UEMOA ont commencé à adopter des politiques de la
concurrence ou à mettre à jour leurs législations. Toutefois, ces législations n’ont pas
eu les moyens nécessaires pour leur mise en œuvre. Les contingences structurelles
limitant l’effectivité de l’action des structures nationales de la concurrence sont
partagées par tous les pays membres de l’UEMOA. Nous allons donner dans cette
partie un aperçu des difficultés auxquelles celles-ci sont confrontées.
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a. La problématique de l’indépendance des structures nationales
de la concurrence
Certaines structures nationales de la concurrence sont organisées sous forme
d’Autorité Administrative Indépendante (AAI) alors que d’autres sont directement
rattachées à l’administration. Dans les deux approches, on note une forte influence
de l’administration dans leur fonctionnement.
Au Bénin, au Mali, au Niger et au Togo, les structures en charge de la mise en
œuvre des droits nationaux de la concurrence sont directement rattachées à l’admi-
nistration dont elles dépendent. Elles constituent souvent des directions dans les
ministères du Commerce qui cumulent contrôle de la législation sur les prix, pro-
tection des consommateurs et application de la législation sur la concurrence stricto
sensu. Il faut noter que ces différents pays ont des législations de la concurrence31. Le
rattachement des structures de contrôle à l’administration réduit considérablement
leur indépendance.
Les États comme le Sénégal, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ont pris l’option
de créer des structures nationales de la concurrence « indépendantes » sous forme
d’AAI. Le détachement de celles-ci de l’appareillage administratif est supposé être
un gage d’indépendance. Est-ce le cas en pratique ? Le cadre opérationnel de ces
structures commande de nuancer cette indépendance supposée. En effet, malgré
leur indépendance structurelle affirmée, celles-ci dépendent encore fortement de
l’administration. Cette dernière est souvent représentée dans la structure par un

31. Voir, sur les législations de la concurrence des différents États membres, supra (note 13).
318 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

commissaire du gouvernement qui est en réalité l’œil de l’Exécutif. Elle lui fournit du
personnel et lui garantit, à sa discrétion, ses moyens de fonctionnement en termes de
dotation budgétaire. Ces caractéristiques sont visibles au Sénégal, au Burkina Faso
et en Côte d’Ivoire. Dans les cas du Sénégal, du Bénin et du Mali, les enquêteurs
des Commissions de la concurrence sont des agents de la Direction du Commerce
Intérieur (DCI). Dans le cas de la Côte d’Ivoire, la Commission de la concurrence n’a
pas en réalité de pouvoir de décision. Elle ne peut que rendre des Avis contentieux
qui sont ensuite confirmés ou infirmés, à sa guise, par le ministre du Commerce.

b. La problématique de la disponibilité des ressources


La disponibilité des ressources humaines et matérielles est une contrainte partagée
par toutes les structures nationales de la concurrence de l’UEMOA. Celles-ci ne sont
pas dotées de moyens suffisants et leur personnel manque souvent de qualification
en droit de la concurrence.

2.2 Architecture institutionnelle et effectivité de la politique


communautaire de la concurrence de l’UEMOA :
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aperçu de la jurisprudence communautaire
Huit années après l’entrée en vigueur du droit communautaire de la concurrence de
l’UEMOA, les résultats en termes d’effectivité n’ont pas été à la hauteur des attentes.
Si la Commission a eu des résultats encourageants dans le domaine des aides d’État
et des pratiques anticoncurrentielles imputables aux États membres, le noyau dur
de la politique communautaire de la concurrence, à savoir les ententes et les abus
de position dominante, attend encore d’être appliqué. En effet, aucune décision n’a
encore été rendue en matière d’entente et d’abus de position dominante. Ce ne sont
certainement pas des cas qui manquent. Toutefois, des affaires relatives à un abus
de position dominante sont en cours de procédure.
Dans l’affaire SOCOCIM contre État du Sénégal et Ciments du Sahel32, la Com-
mission de l’UEMOA a conclu à la distorsion de la concurrence par l’exonération
des droits et taxes accordée à la société des Ciments du Sahel sur les importations
de clinker. Aussi, a-t-elle invité l’État du Sénégal à cesser les exonérations.
Dans l’affaire relative aux exonérations accordées sur les importations d’embal-
lages en papier kraft33, la Commission de l’UEMOA a également invité l’État du
Sénégal à lever les exonérations qui sont appliquées sur les importations de sacs
en papier kraft et qui désavantagent les sacs en papier kraft fabriqués localement et
soumis à un traitement fiscal moins favorable.

32. Disponible dans le site de l’UEMOA à l’adresse suivante : www.uemoa.int.


33. Ibid.
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 319

Par une récente décision de 2010, la Décision invitant l’État du Sénégal à retirer
la norme NS 03-07234, la Commission a invité l’État du Sénégal à retirer une norme
sur l’huile de palme qui avait pour conséquence de bloquer l’entrée sur le marché
sénégalais de quantités importantes d’huile d’origine communautaire, affectant ainsi
le commerce entre États membres.
Ces trois affaires qui impliquent directement un État membre montrent que les
États membres sont encore actifs sur le marché soit par leur œuvre législative, soit
par les aides qu’ils accordent en violation du droit communautaire. Elles démontrent
également qu’une action au niveau communautaire est plus efficace pour amener
un État à se conformer à ses obligations qu’une action d’une structure nationale de
la concurrence.
Les affaires en cours devant la Commission confirment cette tendance de la
focalisation du contentieux concurrentiel sur les restrictions de concurrence initiées
par les États membres.
Une affaire concernant des exonérations de TVA appliquées par le Burkina Faso,
la Côte d’Ivoire et le Mali sur les intrants et emballages destinés à la fabrication et
au conditionnement de produits phytosanitaires est en cours devant la Commission
de l’UEMOA.
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Dans l’affaire ACIECO, également en cours devant la Commission, l’Associa-
tion des importateurs de cola du Sénégal (ACIECO) s’est plainte de l’application non
uniforme de la TVA et des droits d’accises sur les importations de cola en provenance
de la Côte d’Ivoire et de la Guinée Conakry, créant des distorsions de concurrence.
Dans l’affaire de la Farine au Mali, il est reproché à l’État malien d’opérer
des restrictions à l’importation de farine provenant du Sénégal avec notamment
l’exigence, comme condition d’importation de farine dans le pays, de la commercia-
lisation préalable d’une quantité équivalente de la production de l’industrie locale.
La plainte a été déposée par l’État du Sénégal.
Dans l’affaire du Textile, l’État du Mali est encore en cause. Dans cette affaire,
la Société Africaine de Transformation de la Ouate de Cellulose Industrielle de
la Côte d’Ivoire (SATOCI-CI) dénonce des restrictions opérées sur ses produits
textiles vers le Mali du fait de l’application d’un protocole relatif à la production
et à la distribution des produits textiles à base de coton signé entre les opérateurs
en activité au Mali.
Dans l’affaire Asky, le Sénégal a saisi la Commission pour dénoncer l’accord
signé entre l’État du Togo et la Compagnie de transport aérien Asky qu’il estime
contraire aux règles communautaires de la concurrence. L’affaire est pendante
devant la Commission.

34. Ibid.
320 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

Dans l’affaire CAMEG, les Sociétés de distribution pharmaceutique du Burkina


Faso et la Société Multi M. se plaignent de distorsions de concurrence sur le marché
des produits pharmaceutiques dues au traitement préférentiel que l’État du Burkina
Faso accorderait à la Centrale d’Achat de Médicaments Essentiels Génériques
(CAMEG).
Certaines affaires en cours devant la Commission concernent le noyau dur du
droit communautaire de la concurrence, à savoir les ententes et les abus de posi-
tion dominante. Dans l’affaire Sotelma-Malitel contre Orange Mali, était en cause
l’exclusion de Sotelma-Malitel de la gratuité du rooming que s’accordent certaines
entreprises de téléphonie mobile. Les compagnies de téléphonie mobile du réseau
unique s’accordent une gratuité réciproque du rooming entre le Sénégal et le Mali
(réseau unique), et Sotelma-Malitel s’est vu refuser cette faveur, n’étant pas membre
du réseau. La Commission a été saisie par Malitel pour entente illicite.
L’affaire CANAL Overseas concerne un abus de position dominante dans le sec-
teur de l’audiovisuel. Dans cette affaire, CANAL Overseas, entreprise française de
production et de distribution de films, refuse de mettre à la disposition de ses clients
distributeurs MMDS de la Région l’ensemble de son bouquet de chaînes de télévi-
sion. Suite à ce refus, la Commission a été saisie pour abus de position dominante.
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Est en cause dans l’affaire Staf contre Sonapost au Burkina Faso, un abus de
position dominante né d’un monopole administratif accordé par l’État du Burkina
Faso à Sonapost Burkina. La Société Sonapost, se prévalant d’un monopole accordé
en 1988, a opéré des saisies et infligé une amende à Staf, sa concurrente, à qui elle
reproche l’exercice illicite de transport et de distribution de courriers. L’affaire est
en cours devant la Commission35.
On peut tirer un certain nombre d’enseignements de la jurisprudence de la
Commission. Comme nous l’avons déjà souligné, les États prennent une part active
dans les distorsions de concurrence. Ils n’hésitent pas également à invoquer la légis-
lation communautaire en cas de violation de la réglementation communautaire par
un autre État. C’est un signe qu’ils sont conscients de leurs obligations en droit de
la concurrence.
Les dispositions sur les ententes et les abus de position dominante n’ont pas
encore reçu application. Seules deux affaires en cours concernent les ententes et les
abus de position dominante.
Certes, le nombre d’affaires que la Commission a traitées reste encore minime.
Toutefois, il faut se rappeler que le droit communautaire est encore jeune. Il est tou-
jours en processus d’introduction dans les pays membres. L’augmentation du nombre
d’affaires est un signe qu’aussi bien les acteurs économiques que les États prennent
davantage conscience du droit communautaire et l’invoquent de plus en plus.

35. Ces affaires en cours ne sont pas encore publiées.


Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 321

3 ESQUISSE D’UNE APPROCHE POUR UNE


COHÉRENCE INSTITUTIONNELLE D’UNE
POLITIQUE RÉGIONALE DE LA CONCURRENCE
La création d’un marché commun, ouvert et concurrentiel, s’accompagne d’une
transposition des questions de concurrence du niveau national au niveau communau-
taire. Sur le plan théorique, un marché commun est un espace « régional » ouvert et
concurrentiel qui met en interaction les marchés des différents États membres. Ainsi,
il est nécessaire dans ce processus de créer aussi un cadre communautaire capable de
lutter efficacement contre les pratiques anticoncurrentielles susceptibles d’affecter
le commerce entre États membres. Toutefois, dans cette dynamique, il ne faut pas
perdre de vue la dimension nationale des pratiques anticoncurrentielles. Celles-ci
sont encore présentes et plus pernicieuses dans les marchés de faible dimension. La
lutte efficace contre ces pratiques anticoncurrentielles nationales est, également, une
préoccupation qu’il faut prendre en compte.
Cette partie de l’étude identifie un certain nombre de critères que nous appelons
« contraintes concurrentielles », à prendre en considération dans la définition des
orientations du cadre institutionnel de mise en œuvre d’une politique régionale de
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la concurrence. Après avoir identifié ces éléments, nous allons définir un certain
nombre d’orientations possibles en fonction des spécificités de chaque organisation
d’intégration économique.

3.1 Les « contraintes concurrentielles » à prendre en compte


dans la définition de l’approche institutionnelle
Six critères qui entrent en ligne de compte dans la détermination de l’approche
institutionnelle d’une politique régionale de la concurrence seront successivement
étudiés.

3.1.1 Le nombre d’États et le degré d’intégration du marché commun


La dimension géographique de l’organisation d’intégration économique est un cri-
tère essentiel dans la répartition des compétences entre le niveau communautaire
et le niveau national. Dans un marché commun relativement étroit avec un nombre
limité d’États, il est concevable d’avoir une politique de la concurrence centralisée.
Si par contre l’organisation d’intégration économique est très large, avec des États
membres aux caractéristiques et contraintes économiques diverses, une politique
de la concurrence centralisée avec une unification du droit matériel et de la prise
de décision, comme c’est le cas de l’UEMOA, remettrait en cause les spécificités
nationales et la promotion de la culture de la concurrence dans les pays membres36.

36. Voir J. Drexl, « Economic Integration and Competition Policy in Developing Countries », op. cit.
(note 4).
322 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

Dans le cas de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest


(CEDEAO) qui regroupe quinze États membres avec le Nigeria comme locomotive
économique, une politique concurrentielle centralisée qui remettrait en cause toute
dynamisme législative nationale et limiterait le pouvoir de décision des structures
nationales de la concurrence serait néfaste non seulement à l’effectivité du droit
de la concurrence, mais aussi au développement d’une culture de la concurrence
dans les États membres. Dans une organisation d’intégration économique aussi
large que le Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA) avec
des États membres aux caractéristiques diverses, il serait beaucoup plus réaliste et
efficace d’encourager l’initiative législative au niveau national et d’opérer le premier
niveau de contrôle par les structures nationales de la concurrence. L’expérience de
l’UEMOA a montré qu’une forte centralisation peut, dans une organisation d’inté-
gration économique large, limiter l’effectivité du droit communautaire.
Le degré d’intégration du marché commun est également un critère déterminant
dans la définition de l’orientation institutionnelle. En effet, partager un marché com-
mun, une même monnaie, une même langue de travail peut faciliter l’acceptation
d’une approche centralisée. Dans le cadre de la Southern African Development Com-
munity (SADC)37 par exemple, la situation de leadership économique de l’Afrique
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du Sud qui a une politique de la concurrence nationale fonctionnelle, comparé aux
autres pays membres, réduit sa volonté politique d’être partie à une politique régio-
nale de la concurrence, encore moins de confier des pouvoirs de décision importants
aux autorités régionales de la concurrence.

3.1.2 La fluidité des échanges entre États membres


Un marché commun ne se construit pas seulement sur le plan législatif. Garantir
la liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux ainsi que la liberté
d’établissement est certes un préalable à la réalisation d’un marché commun.
Toutefois, en pratique, la plupart des expériences d’intégration dans les pays en
développement ont montré que la création d’un marché commun dans les textes
n’est pas une garantie que la fluidité des échanges entre États membres va suivre. Si
dans le cadre d’un marché commun, la concurrence met aux prises des entreprises
à dimension communautaire, capables de s’établir et d’exercer leurs activités éco-
nomiques dans deux ou plusieurs États membres, et que le commerce interétatique
n’est pas entravé par des mesures unilatérales émanant de ces États et susceptibles
d’interférer avec la libre concurrence, on peut présumer d’une fluidité des échanges
entre États membres. Si par contre la configuration économique ainsi que la taille
moyenne des entreprises actives sur le marché limitent leurs capacités à exercer leurs
activités économiques en dehors de la sphère nationale, on peut présumer que les

37. Voir G. Mamhare, « Southern African Development Community (SADC) Regional Competition
Policy », in M. Bakhoum, J. Drexl, M. Gal, D. Gerber, E. Fox (eds), Regional Integration and Com-
petition Policy in Developing Countries, op. cit. (note 4). Également, K. Moodaliyar, « Competition
Policy in SADC: A South African Perspective », in M. Bakhoum, J. Drexl, M. Gal, D. Gerber, E.
Fox (eds), Regional Integration and Competition Policy in Developing Countries, op. cit. (note 4).
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 323

échanges entre États membres seront également limités. Par voie de conséquence,
les pratiques anticoncurrentielles seraient plus fréquentes dans les États membres.
Dans la plupart des expériences d’intégration économique dans les pays en
développement, la création théorique d’un marché commun n’est pas une garantie
de la fluidité des échanges entre États membres. En Afrique de l’Ouest par exemple,
pour des raisons historiques, le commerce avec le Nord est plus développé que le
commerce entre États de la sous-région.
Si les échanges sont fluides dans le cadre d’une organisation d’intégration éco-
nomique, il faut privilégier le contrôle communautaire. Si par contre l’essentiel de
l’activité économique est limité aux marchés nationaux, un contrôle de proximité par
les structures nationales de la concurrence serait plus adéquat. Le caractère limité
des échanges entre États membres est également lié à un aspect temporel. En effet,
dans le processus de construction du marché commun, il est essentiel de faire en
sorte que la dynamique communautaire ne soit pas limitée par les actions des États
membres dans le marché. On a vu dans le cadre de l’UEMOA qu’il est essentiel
d’aménager l’approche institutionnelle de manière à garantir un contrôle efficace
de l’intervention des États dans le marché. Ce contrôle n’est possible qu’avec une
intervention communautaire en cas de distorsion de la concurrence de la part d’un
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État membre.

3.1.3 L’identification des acteurs et la localisation des pratiques


anticoncurrentielles
On sait que les règles de la concurrence ont pour objectif premier de réglementer le
comportement des entreprises sur le marché. Toutefois, les entreprises ne sont pas les
seuls acteurs susceptibles de fausser le jeu de la libre concurrence. Dans le cadre de
la construction d’un marché commun, surtout dans les pays en développement, les
pratiques anticoncurrentielles originaires des États sont aussi pernicieuses que celles
initiées par les entreprises. Dans ces conditions, il est important, dans la conception
des règles d’application d’une politique communautaire de la concurrence, de faire
en sorte que les actions des États membres ne portent pas atteinte à la libre concur-
rence dans l’Union. C’est dans cette perspective que le contrôle des actions des États
dans le marché est confié de manière exclusive à l’autorité communautaire. Dans le
cadre de l’UEMOA par exemple, la Commission a une compétence exclusive pour
connaître des Aides d’État. Dans la législation de l’UEMOA, une catégorie spéci-
fique de pratiques anticoncurrentielles imputables aux États membres est prévue.
Par ailleurs, dans un contexte de globalisation économique, les cartels interna-
tionaux sont au nombre des pratiques anticoncurrentielles susceptibles d’affecter les
marchés communs nouvellement ouverts à la concurrence. Cet aspect doit être pris
en compte dans la répartition des compétences. Qui de l’autorité communautaire ou
de l’autorité nationale est la mieux placée pour lutter contre un cartel international ?
324 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

3.1.4 La problématique des capacités institutionnelles


au niveau communautaire et au niveau national :
qui peut faire quoi efficacement ?
Les capacités institutionnelles respectives des États membres et de l’autorité régio-
nale doivent être prises en compte dans la répartition des compétences entre le
niveau communautaire et les États membres. L’efficacité aussi bien de l’action de
l’organisation régionale que des structures nationales de la concurrence dépend de
leurs capacités institutionnelles et des moyens dont elles disposent. Dans le débat sur
la régionalisation des politiques de la concurrence dans les pays en développement,
l’argument est souvent soutenu qu’une structure régionale de la concurrence forte
avec une expertise avérée et des moyens suffisants est plus à même d’intervenir
efficacement dans le marché que les structures nationales de la concurrence. Le cas
de l’UEMOA a montré qu’une autorité régionale de la concurrence n’est pas à l’abri
de contraintes structurelles. Des compétences larges sont reconnues à l’autorité de
la concurrence alors que ses moyens d’intervention sont limités. La Commission
n’a pas le personnel nécessaire pour effectuer les enquêtes dans les pays membres.
L’existant sur le plan institutionnel au niveau des États membres entre également
en jeu dans la répartition des compétences entre la Commission et les structures
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nationales de la concurrence. Que peuvent faire efficacement lesdites structures ? La
réponse à cette question requiert une analyse préalable des capacités institutionnelles
des États. De solides capacités institutionnelles avec l’existence d’une autorité de la
concurrence indépendante dotée de ressources suffisantes ainsi que d’une expertise
avérée en matière de concurrence pourraient justifier la reconnaissance de plus de
pouvoir de décision aux structures nationales de la concurrence. Par contre, la fai-
blesse institutionnelle au niveau des États membres peut, de prime abord, justifier la
reconnaissance de plus de pouvoir de décision à l’autorité communautaire. Toutefois,
cette distinction générale ne doit être que le point de départ de l’analyse. La question
est plus complexe et les objectifs visés vont au-delà de la simple mise en œuvre des
règles de la concurrence. Introduire une culture de la concurrence est également un
objectif du droit de la concurrence, surtout dans les pays en développement. Dès
lors, même si une centralisation du pouvoir de décision est reconnue au stade initial
de la mise en œuvre du droit communautaire, le besoin de créer au niveau national
les institutions capables de mettre en œuvre un droit de la concurrence, dans le long
terme, constitue également un objectif à prendre en compte. Cet impératif justifie un
encouragement de la dynamique législative nationale et l’implication des structures
nationales de la concurrence dans la prise de décision.

3.1.5 Existe-t-il une culture de la concurrence dans les États membres ?


L’existence ou non d’une culture de la concurrence dans les États membres est
un déterminant essentiel dans la définition des modalités de coopération entre les
nationaux et le niveau communautaire. Si une solide culture de la concurrence existe
dans les États membres avec des institutions fortes, capables de mettre en œuvre
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 325

une politique de la concurrence, il est concevable de reconnaître des pouvoirs éten-


dus aux autorités nationales dans la mise en œuvre du droit communautaire de la
concurrence. Par contre, une culture de la concurrence limitée ou absente dans les
États membres peut constituer une entrave, potentielle, à une application efficiente
du droit régional de la concurrence. Également, l’inexistence d’une culture de la
concurrence dans les États justifie, dans une certaine mesure, l’interventionnisme
des États dans le marché, susceptible de fausser le jeu de la concurrence.
Certes, une culture de la concurrence peut être absente au début du processus
de mise en place d’une politique de la concurrence dans les États membres. Toute-
fois, cela ne doit pas conduire au dessaisissement total des États de la compétence
d’adopter des législations nationales de la concurrence et à ôter toute compétence
de prise de décision aux structures nationales de la concurrence. Les expériences
différenciées des structures nationales de la concurrence doivent être prises en
considération. L’apprentissage dans le contentieux concurrentiel est un moyen
d’introduire une culture de la concurrence.

3.1.6 Existe-t-il une volonté politique de céder les compétences


en matière de concurrence au profit de l’Union ?
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Une politique régionale de la concurrence, surtout dans les pays en développement,
a besoin d’un soutien politique solide pour éclore, prospérer et devenir une réalité38.
Ce soutien est d’autant plus nécessaire dans le cadre d’un processus d’intégration
qu’une politique régionale de la concurrence vise, entre autres objectifs, à limiter
l’intervention des États dans le marché. La réglementation des aides d’État et la
régulation des rapports entre les États et les entreprises publiques reflètent cette
volonté de faire reculer l’État et de libérer les forces du marché dans le cadre d’un
marché ouvert et concurrentiel. L’existence d’une volonté politique de mettre en
place une politique communautaire de la concurrence est un préalable au succès
de l’implantation d’une politique de la concurrence. Pour que ce soutien existe, les
États doivent « gagner » dans le processus. Comme le souligne le professeur David
Gerber39, les États sont plus enclins à soutenir une politique régionale de la concur-
rence s’ils sont en mesure de gagner dans le processus ou au moins convaincus des
avantages de mettre en place une politique régionale de la concurrence.
Cet aspect politique doit être pris en compte dans la répartition des compétences
entre l’Union et les États membres. Toutefois, l’absence de volonté politique au
stade initial de la mise en œuvre du droit communautaire de la concurrence ne doit
pas conduire à une renonciation aux processus de mise en place d’un droit régional
de la concurrence. Il faut avoir à l’esprit que le droit de la concurrence, et sa régle-
mentation au niveau communautaire, est encore nouveau dans la plupart des pays

38. Voir Gerber sur cet aspect : D. Gerber, « Regionalization, Development and Competition Law :
Exploring the Political Dimension », in M. Bakhoum, J. Drexl, M. Gal, D. Gerber, E. Fox (eds),
Regional Integration and Competition Policy in Developing Countries, op. cit. (note 4).
39. Ibid.
326 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

en développement. La volonté politique de soutenir son émergence ainsi que son


développement est un processus qui se construit. C’est la raison pour laquelle la
diffusion d’une culture de la concurrence doit aussi s’adresser aux États membres.
Ce sera seulement quand une « culture de la concurrence étatique » sera bien assise,
que le droit régional de la concurrence bénéficiera de ce soutien politique, préalable
au développement des institutions au niveau national.

3.1.7 L’aspect temporel : temps et partage des compétences


L’élément temporel est également important dans la définition de l’orientation d’une
politique communautaire de la concurrence, surtout pour des pays en développe-
ment. Dans un marché commun en construction, où la culture de la concurrence
n’est pas encore bien assise dans les États membres, il faut adopter une approche qui
consiste à déléguer ce qui peut être efficacement fait par les États tout en « éduquant »,
c’est-à-dire en promouvant une culture de la concurrence. Il faut se rappeler que dans
le cadre de l’UE, au début de la mise en œuvre de sa politique communautaire de
la concurrence, la Commission avait centralisé un certain nombre de compétences,
notamment les exemptions, dans le dessein d’éviter une application éclatée du droit
communautaire. La décentralisation de la mise en œuvre du droit communautaire
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dans l’UE, intervenue en 2004, a été opérée seulement après que la culture de la
concurrence soit devenue une réalité dans les États membres.
La question des domaines à centraliser et à décentraliser obéit à une logique
temporelle qui, elle aussi, est en relation avec la culture de la concurrence. Celle-ci
se construit dans le temps. Les expériences d’intégration économique et de mise en
œuvre d’une politique régionale de la concurrence sont encore relativement jeunes
dans les pays en développement. Le droit de la concurrence est mal connu, la culture
de la concurrence est encore limitée dans les États et les capacités institutionnelles
de ceux-ci sont faibles. Dans ce contexte, il est concevable de centraliser certaines
compétences pour ne laisser aux États que les compétences qu’ils peuvent exercer
sans risque de remettre en cause la dynamique communautaire.
Le contrôle des actions des États dans le marché et les exemptions sont, par
exemple, des domaines qui demandent une attention communautaire particulière.
Certes, l’expérience d’intégration dans le cadre de l’UEMOA n’est pas récente.
Toutefois, sa politique de la concurrence est jeune. Elle est jeune par ses règles,
par ses institutions, et sa jurisprudence est en train de se construire. Cette jeunesse
de la politique communautaire de la concurrence, qui nécessite la définition d’une
orientation communautaire dans le cadre de sa mise en œuvre, est un facteur qu’il
faut prendre en compte dans le cadre de la détermination des compétences entre la
Commission et les États membres.
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 327

3.2 « Contraintes concurrentielles » et orientation


institutionnelle : définition des grandes orientations
Dans la répartition des compétences entre le niveau communautaire et les États
membres, il est possible de dégager un certain nombre de principes en prenant en
compte « les contraintes concurrentielles » auxquelles l’organisation d’intégration
économique est confrontée. Dans un récent article, le professeur Josef Drexl40 a iden-
tifié quelques orientations dans la définition de l’approche d’une politique régionale
de la concurrence dans les pays en développement. Certaines de nos conclusions
vont dans le sens de ses observations. Nous avons identifié deux approches – des
pistes de réflexions – qui peuvent être adaptées aux différents contextes.

3.2.1 Le droit applicable


La problématique du droit applicable stricto sensu ne relève pas de la question
des institutions. Toutefois, elle est liée à l’exercice de la compétence. Différentes
approches sont identifiables quant au droit matériel. Il est concevable dans une
organisation d’intégration économique d’avoir un droit matériel centralisé avec
une législation unique applicable de manière uniforme dans tous les États membres,
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comme c’est le cas de l’UEMOA. Il est possible également d’harmoniser les droits
nationaux de la concurrence avec des standards du droit matériel définis par le droit
communautaire. La possibilité d’appliquer directement le droit communautaire
comme droit national, plus connue dans la Communauté andine sous le terme « down-
loading », est également une option possible. Ces trois approches sont identifiées par
J. Drexl qui recommande les options de l’harmonisation et de l’application directe
(downloading), du droit communautaire comme droit national41 pour les pays en
développement.
Dans une organisation d’intégration économique qui comporte un nombre limité
d’États, avec des échanges intra-communautaires fluides, une volonté politique de
déléguer des compétences en droit de la concurrence au niveau communautaire, une
institution régionale forte et dotée de moyens suffisants, il est concevable d’unifier
le droit matériel avec une législation unique comme c’est le cas dans l’UEMOA. Ce
processus devrait cependant aller de pair avec une certaine implication des struc-
tures nationales de la concurrence dans la prise de décision. Toutefois, unifier le
droit matériel et centraliser la prise de décision comme c’est le cas dans l’UEMOA
remet en cause toute initiative de développement d’une culture de la concurrence au
niveau national. On a vu dans le cas de l’UEMOA que la centralisation aussi bien
du droit matériel que de la prise de décision réduit la dynamique législative interne.
Si l’organisation d’intégration économique est relativement large, comme
c’est le cas de la CEDEAO et du COMESA, l’approche d’harmonisation du droit

40. Voir J. Drexl, « Economic Integration and Competition Policy in Developing Countries », op. cit.
(note 4).
41. Ibid.
328 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

matériel serait plus adaptée aux expériences différenciées des États membres.
L’harmonisation passe par l’exigence de certains principes directeurs que les droits
nationaux de la concurrence doivent inclure dans leurs législations. Ces principes
pourraient concerner l’obligation d’interdire les pratiques anticoncurrentielles, de
ne pas opérer de discriminations entre les entreprises publiques et les autres entre-
prises dans l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles et l’octroi d’exemption.
Le droit communautaire peut également limiter les exemptions contenues dans les
législations nationales et limiter les interventions étatiques dans le marché. On a
constaté que, dans l’UEMOA, les États membres ont aménagé dans leurs législations
nationales de la concurrence des réserves d’intervention qui leur permettent de fixer
unilatéralement les prix de certains biens et services et d’accorder des exemptions
à certains secteurs42. Cette intervention étatique dans le marché doit être régulée
par des principes fixés au niveau communautaire. Comme on l’a soutenu dans la
doctrine, contrairement au droit de l’UE, dans les pays en développement, le droit
communautaire devrait se préoccuper de la qualité du droit matériel appliqué dans
les États membres43.
Contrairement à l’option d’unification des compétences matérielles, la recon-
naissance aux États membres d’une compétence pour adopter des législations natio-
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nales participe de la diffusion d’une culture de la concurrence au niveau national.
Cet aspect est important.
L’option du downloading appliquée dans la Communauté andine est surtout
adaptée pour les États qui n’ont pas de législation nationale de la concurrence.
Dans le cadre de l’UEMOA par exemple, il serait concevable de reconnaître à la
Guinée-Bissau la possibilité d’appliquer directement le droit communautaire comme
droit national aux pratiques anticoncurrentielles purement nationales en attendant
le développement d’un droit national de la concurrence.

3.2.2 L’organisation du partage des compétences


Le partage des compétences entre l’autorité régionale et les structures nationales de
la concurrence nécessite des arbitrages qui doivent prendre en compte les contraintes
concurrentielles. Le professeur Drexl a identifié un certain nombre de principes à
cet égard :
Cet auteur soutient que les pratiques anticoncurrentielles qui affectent le
commerce entre États membres doivent recevoir une application uniforme par une
autorité régionale de la concurrence. Dans les pays en développement, soutient-il,
une décentralisation de la mise en œuvre du droit communautaire peut mettre en
danger l’application uniforme du droit communautaire. L’approche actuelle de l’UE
qui a opté depuis 2004 pour une mise en œuvre décentralisée n’est pas adaptée à la
situation de certains pays en développement. L’apparition de forces centripètes et les

42. Ces exemptions et exceptions sont contenues dans les législations de la concurrence des différents
pays membres de l’UEMOA.
43. J. Drexl, « Economic Integration and Competition Policy in Developing Countries », op. cit. (note 4).
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 329

risques de renationalisation remettent en cause la pertinence de cette option. Dans


l’UEMOA par exemple, les structures nationales de la concurrence ne sont pas bien
outillées pour connaître des pratiques anticoncurrentielles affectant le commerce
entre États membres. En outre, leur accorder une compétence pour connaître de
telles pratiques revêt un danger d’application orientée vers les intérêts de leurs États.
Les exemptions sont au nombre des compétences qui doivent être également
retenues au niveau communautaire et appliquées de manière uniforme par une
autorité régionale. Décentraliser l’application des exemptions conduit à un risque
d’application différenciée par les structures nationales de la concurrence.
Malgré la faiblesse des capacités institutionnelles au niveau des États membres
et le manque de moyens des structures nationales de la concurrence, on doit recon-
naître à celles-ci une compétence pour appliquer leurs droits nationaux ou un droit
communautaire unifié aux pratiques anticoncurrentielles dans les États membres.
Des canaux de coopération entre l’autorité régionale et les structures nationales
de la concurrence doivent être aménagés dans l’optique d’une application sans heurts
du droit communautaire et des droits nationaux de la concurrence. Dans le cadre
de l’UEMOA par exemple, malgré la compétence exclusive de la Commission,
une coopération est aménagée entre la Commission et les structures nationales de
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la concurrence. Les mécanismes de coopération entre la Commission européenne
et les autorités de la concurrence des États membres dans l’application du droit
communautaire peuvent être une référence utile pour les pays en développement.

4 REDÉFINIR L’ORIENTATION INSTITUTIONNELLE


DE L’UEMOA POUR PLUS D’EFFECTIVITÉ ?
Dans le cadre de l’UEMOA, la réflexion est déjà engagée sur une possible réforme
du cadre institutionnel de mise en œuvre des règles communautaires de la concur-
rence. Une étude est commanditée dans ce sens par la Commission de l’UEMOA.
Les autorités communautaires, après huit années de mise en œuvre du droit commu-
nautaire, se sont rendu compte des blocages du système centralisé. La coopération
des structures nationales de la concurrence avec la Commission n’est pas effective,
ce qui limite considérablement l’effectivité du droit communautaire. La centralisa-
tion excessive a mis en léthargie les structures nationales de la concurrence, bloqué
le processus législatif interne et réduit la culture de la concurrence dans les États
membres. Ces derniers, n’ayant jamais accepté la compétence exclusive de la Com-
mission, ont toujours réclamé une redéfinition des compétences entre la Commission
et les structures nationales de la concurrence. La formule « tout ne peut pas se faire
à Ouaga »44 est devenue familière. Plus qu’un simple slogan, elle constitue un cri
de résistance et exprime le besoin de réformer un système qui a montré ses limites.
Mais dans quelle direction réformer ? Nous avons soutenu la thèse d’une décentra-

44. Pour dire Ouagadougou, capitale du Burkina Faso où la Commission a son siège.
330 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

lisation contrôlée45 de la mise en œuvre du droit communautaire de la concurrence


dans le cadre de l’UEMOA.
La redéfinition des compétences entre l’Union et les États membres dans le cadre
de l’UEMOA peut s’opérer suivant deux principes : la centralisation des standards
du droit matériel et la décentralisation de la prise de décision46.
Il est utile de préciser que la centralisation des standards du droit substantiel ne
doit pas nécessairement conduire à une disparition totale des législations nationales
de la concurrence. En effet, il est crucial dans ce processus de reconnaître aux États
membres la possibilité d’avoir des droits nationaux qui peuvent couvrir des domaines
allant au-delà des pratiques anticoncurrentielles stricto sensu comme la concurrence
déloyale et les pratiques restrictives de concurrence, qui, dans l’UEMOA, relèvent
de la compétence des États membres. Reconnaître aux États la possibilité d’avoir
des droits nationaux de la concurrence et encourager un certain dynamisme législatif
au niveau national participent de la promotion de la culture de la concurrence dans
les États membres47. L’harmonisation des standards, comme nous le verrons, peut
s’opérer par une obligation des États de prendre en compte un certain nombre de
principes dans leurs droits nationaux ou d’intégrer par référence les principes posés
par le droit communautaire.
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4.1 Le droit matériel
Il est concevable dans le cadre de l’UEMOA de maintenir la réglementation unifiée
des pratiques anticoncurrentielles tout en continuant les réformes visant à mettre
en conformité les droits nationaux avec le droit communautaire de la concurrence.
Toutefois, il est important que les États membres développent leurs droits natio-
naux de la concurrence en droite ligne avec les standards communautaires. Les
standards communautaires concernant l’interdiction des ententes et des abus de
position dominante doivent figurer dans les législations nationales. Il est également
utile de limiter, par des principes définis dans le droit communautaire, les réserves
d’intervention dans le marché que les États membres se sont aménagés dans les
législations nationales respectives.
Dans cette approche, une distinction doit être opérée. Pour les États qui ont
des législations nationales de la concurrence, il s’agira d’intégrer l’interdiction des
pratiques anticoncurrentielles telle que réglementée par le droit communautaire.
Dans les États qui n’ont pas de droit de la concurrence, comme la Guinée-Bissau,
le droit communautaire devrait s’appliquer directement sans passer par un droit

45. Voir M. Bakhoum, L’articulation du droit communautaire et des droits nationaux de la concurrence
dans l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), op. cit. (note 12), p. 248 et suiv.
46. Cette approche est soutenue dans la doctrine. J. Drexl, « Economic Integration and Competition
Policy in Developing Countries », op. cit. (note 4). L’auteur souligne : « Centralization of the stan-
dards of competition law should not exclude decentralization of enforcement. »
47. Ibid.
Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine 331

national, en attendant l’adoption d’une législation nationale. C’est l’approche dite


« downloading ».

4.2 Le partage des compétences entre la Commission


et les structures nationales de la concurrence
Certaines compétences, du fait de leur nature ou des enjeux qu’elles impliquent,
doivent être du ressort exclusif de la Commission alors que d’autres peuvent être
décentralisées. Il est important dans le processus d’établir une collaboration entre
la structure communautaire et les États membres.
Les principes suivants pourraient guider le partage des compétences entre la
Commission et les structures nationales de la concurrence :
– Une compétence exclusive pourrait être reconnue à la Commission pour les
pratiques anticoncurrentielles affectant le commerce entre États membres, les
exemptions et les aides d’État.
– Les pratiques anticoncurrentielles purement nationales doivent être du ressort
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des structures nationales de la concurrence.
– Des mécanismes de collaboration dans la conduite des enquêtes doivent être
aménagés comme c’est actuellement le cas.
– Il est possible d’aménager une procédure de contrôle des décisions rendues par
les structures nationales de la concurrence par l’ouverture d’une procédure en
appel devant la Commission.
– La Cour de justice connaît en dernier ressort des décisions de la Commission.

SUMMARY: INSTITUTIONAL COHERENCE AND


EFFECTIVITY OF A REGIONAL COMPETITION POLICY:
THE CASE STUDY OF THE WEST AFRICAN ECONOMIC
AND MONETARY UNION (WAEMU)
In line with the ever increasing development of regional competition policies in deve-
loping countries, the West African Economic and Monetary Union, WAEMU, has
crafted a regional competition law which entered into force in 2003. The design of
the regional enforcement institutions set forth by the regional law is characterized by
a centralized approach in two respects. With regard to the substantive law, the Union
has the exclusive competence to regulate anticompetitive practices (agreements and
abuse of dominant position). As to the enforcement, the regional competition office
is vested with an exclusive decision making power. National competition authorities
are only associated to the decision making process.
332 Le cas de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

At the outset, this centralized institutional framework has been criticized by Member
States as not being efficient enough to dealing with pure national anticompetitive
practices. Deprived of their decision making power which they used to enjoy before
the entry into force of the regional law, member States have opposed a kind of
resistance to the centralized approach. They have not undertaken the reforms of
their national laws in order to put them in conformity with the community law. In
addition, the national competition authorities do not support, as they are required
by the regional law, the Commission when it conducts search or inquiries at the
national level.
At the regional level, some flaws have also been identified in the functioning of the
regional office which faces some administrative burdens that undermine the efficacy
of its intervention in the market. The regional office is understaffed which makes its
intervention in the market ineffective.
The combined resistance of the national competition authorities to the centralized
approach and the challenges that the regional office face have resulted to a limited
effectivity of the regional law, as evidenced by the regional case law.
This paper builds on WAEMU’s eight years experience of enforcement as well as
other regional integration experiences and identifies a certain number of criteria that
we have termed “competition constraints” that one has to take into account when
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designing a regional institutional framework. Those “competition constraints” are
the size of the regional integration group, the degree of fluidity of trade between
Member States, the respective institutional capacities at the regional and the national
level, the availability of a competition culture in the Member States, etc.
Applying those criteria to the case of WAEMU, we contend that the regional
institutional framework should be redesigned in a way that national competition
authorities are more involved in the decision making process. Of course, it is also
crucial to set up a collaboration framework between the regional office and the
national competition authorities.

Mots clés : droit de la concurrence, UEMOA, intégration régionale, institutions

Keywords: competition law, WAEMU, regional integration, institutions

Subject Descriptors (Econlit Classification System): F 150, L 400, L 490

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