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Jean-Baptiste Fressoz
Fabien Locher
1. Dipesh C hakrabarty, « Le climat de l’histoire : quatre thèses », Revue internationale des livres et
des idées, 15, 2010, p. 22-31 ; Christophe Bonneuil , Jean-Baptiste F ressoz , L’événement anthropocène.
La terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013.
2. J.-B. F ressoz , Fabien L ocher, « Modernity’s frail climate. A climate history of environmental
reflexivity », Critical Inquiry, 38-3, 2012, p. 579-598 (version préliminaire en français : « Le climat fragile
de la modernité. Petite histoire climatique de la réflexivité environnementale », La vie des idées, 20 avril
2010 : www.laviedesidees.fr/Le-climat-fragile-de-la-modernite.html).
3. Les auteurs remercient Simon Schaffer et Jean-François Gauvin pour leurs remarques et
suggestions. F. Locher remercie aussi le programme Dibner Fellowship de la Huntington Library
pour son soutien.
Elle révèle que les notions d’historicité climatique et d’agir humain sur
le climat se sont imposées peu à peu, au fil des xvii e et xviii e siècles, par la
sédimentation et la mise en résonance de discours profanes et savants, tou-
chant notamment à la viabilité et au devenir des colonies nord-américaines.
La philosophie naturelle s’empare très tôt de ces questions : dès 1671, l’une
de ses figures de proue, Robert Boyle, exhorte à quantifier les changements
climatiques pour mesurer l’influence de l’action humaine. Au xviii e siècle, le
terme même de climat, qui renvoyait d’abord à une caractérisation purement
géométrique et cosmographique4, se transforme pour désigner le caractère d’un
lieu, où humidité, température et constitution de l’air jouent un rôle essentiel.
Ce processus va de pair avec une objectivation croissante de la notion, tributaire
de l’essor de la météorologie instrumentale, mais aussi de celui de nouvelles
pratiques savantes centrées sur l’étude de l’évolution historique des climats.
Dès la décennie 1770, pour tenter de retracer leur histoire, les savants
étudient une grande variété d’indicateurs : accroissement des glaciers, séries
d’événements extrêmes, variation des étagements de la végétation ou du
niveau des rivières. Ils tentent de faire fonctionner des thermomètres vieux
de plusieurs décennies et de comparer des données anciennes aux mesures
contemporaines ; ils étudient les auteurs latins ou les chroniques médiévales
relatant les grands hivers ; ils interrogent les vieillards. C’est ainsi qu’émergent
des méthodes d’enquête comme la climatologie historique et, au début du siècle
suivant, des théories comme celle des âges glaciaires. Elles viennent alimenter,
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12. Gilles H avard, Cécile Vidal , Histoire de l’Amérique française [2003], Paris, Champs Flam-
marion, 2008.
13. Marc L escarbot, Histoire de la Nouvelle France, Paris, Chez Jean Milot, 1609 ; Pierre Biard,
« Relation de la Nouvelle-France […] faite par le P. Pierre Biard » [1616], in Relations des Jésuites dans la
Nouvelle-France, vol. 1, Québec, Augustin Coté, 1858, p. 1-76.
14. La Response de maistre Guillaume au Soldat François, s. éd., 1605, cité par Éric T hierry, « Le
discours démonologique dans les récits de voyages au Canada et en Acadie au début du xvii e siècle »,
in Grégoire Holtz , Thibaut M aus de Rolley (éd.), Voyager avec le diable. Voyages réels, voyages
imaginaires et discours démonologiques (xv e -xvii e siècle), Paris, PUPS, 2008, p. 209-220, p. 212.
15. P. Biard, « Relation de la Nouvelle-France… », art. cit., avant-propos ; M. L escarbot, Histoire
de la Nouvelle France, op. cit., p. 624.
16. P. Biard, « Relation de la Nouvelle-France… », art. cit., p. 66.
17. Ibidem, p. 3.
18. M. L escarbot, Histoire de la Nouvelle France, op. cit., p. 143-228 ; Frank L estringant,
« Champlain, Lescarbot et la “conférence” des histoires », in Scritti sulla Nouvelle-France nel Seicento,
Quaderni del Seicento francese, Bari, Adriatica, l984, p. 69-88.
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influencé par les théories de Jean Bodin sur la correspondance entre nature
des lieux et mœurs des peuples19. Les efforts de colonisation seront fructueux
au Canada, argumente Lescarbot, car les mœurs des Français et des Indiens
sont homologues, comme le sont leurs lieux de vie : ce n’était pas le cas pour
le Brésil et les Brésiliens.
Mais un élément, massif, vient déstabiliser les discours sur l’homologie
des climats : les hivers longs et glacés du Canada, fameux depuis l’hivernage
désastreux de la seconde expédition Cartier20. Au xvii e siècle, leur description
est un passage obligé des récits traitant de cette partie de la Nouvelle-France21.
Or ils marquent un hiatus avec les climats français, et contribuent beaucoup à
la mauvaise réputation du Canada. C’est autour de cette tension qu’un discours
sur la transformation anthropique des climats se structure, dans ces premières
décennies du xvii e siècle, afin de promouvoir une apologie de la colonisation.
Lescarbot comme Biard s’emploient à rechercher les causes expliquant
les hivers d’outre-Atlantique. L’avocat donne deux raisons à leur durée hors-
norme : le caractère intrinsèquement humide et froid de l’Amérique, mais
aussi l’immensité des forêts canadiennes, qui empêche le soleil d’échauffer
la terre22. Biard explique lui aussi que c’est la « forest infinie » du continent
qui fait que la chaleur du soleil ne peut atteindre le sol et le réchauffer23. Or,
avance-t-il, cela changerait si la terre était habitée et cultivée. Trois ans plus
tôt, Champlain affichait la même conviction. « Ie croy », soulignait-il, « [que la
neige] se concerue beaucoup plus qu’elle ne feroit si le païs estoit labouré »24.
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19. F. L estringant, « Champlain, Lescarbot… », art. cit. ; I d., « Europe et théorie des climats
dans la seconde moitié du xvi e siècle », in La conscience européenne au xv e et au xvi e siècle, Paris, Presses
de l’École normale supérieure de jeunes filles, 1982, p. 206-226.
20. Jacques C artier, Voyages au Canada [1545], Paris, La Découverte, 1992, p. 228-229.
21. Ils émaillent les Relations jésuites publiées en France : Richard A rès, « Les relations des Jésuites
et le climat de la Nouvelle-France », Mémoires de la société royale du Canada, 4-8, 1970, p. 75-91.
22. M.� L escarbot, Histoire de la Nouvelle France, op. cit., p. 624-625.
23. P. Biard, « Relation de la Nouvelle-France… », art. cit., p. 5-6.
24. Samuel de C hamplain, Les voyages du sieur de Champlain, xaintongeois, capitaine ordinaire
pour le roy, Paris, Chez Jean Berjon, 1613, p. 52-53.
25. Joseph de Acosta, Histoire naturelle et morale des Indes occidentales [1590], Paris, Payot, 1979,
trad. Jacques Rémy-Zéphir, p. 84-92.
26. Ibidem, p. 63-68.
27. M.� L escarbot, Histoire de la Nouvelle France, op. cit., p. 482, p. 156 et p. 228.
NAISSANCE DE LA CLIMATOLOGIE HISTORIQUE 53
28. William C ronon, Changes in the Land : Indians, Colonists, and the Ecology of New England,
New York, Hill & Wang, 1983, p. 54-81.
29. Paul L e Jeune , Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle-France en l’année 1633, Paris, S. Cra-
moisy, 1634, p. 106-107.
30. Nicolas Denys, Description géographique et historique des costes de l’Amérique septentrionale,
Paris, chez Claude Barbin, 1672, 2 vol.
31. Ibidem, vol. 2, p. 8-12, citation p. 11-12.
32. Brant Vogel , « The letter from Dublin : climate change, colonialism, and the Royal Society
in the seventeenth century », Osiris, 26-1, 2011, p. 111-128.
33. Richard Whitbourne , A Discourse and Discovery of New-found-land, Londres, by Felix
Kingston for William Barret, 1620, p. 57 ; Richard E burne , A Plaine Path-Way to Plantations, Londres,
by G. P. for John Marriott, 1624, p. 22.
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34. William Wood, New Englands Prospect, Londres, by Tho. Cotes for John Bellamie, 1634.
35. B. Vogel , « The letter from Dublin… », art. cit., p. 119.
36. Larry Stewart, « Other centres of calculation, or, where the Royal Society didn’t count :
commerce, coffee-houses and natural philosophy in early modern London », British Journal for the
History of Science, 32, 1999, p. 133-153.
37. Dès 1666, les Philosophical Transactions décrivent un dessèchement provoqué par la déforestation
dans les Caraïbes : « Observations made by a curious and learned person, sailing from England, to the
Caribe-Islands », Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 2, 1666-1667, p. 493-500, p. 497.
38. James McC lellan III, François R egourd, The Colonial Machine. French Science and Overseas
Expansion in the Old Regime, Turnhout, Brepols, 2012.
39. Robert Boyle , Tractatus de cosmicis rerum qualitatibus etc., Amsterdam, ap. J. Janssonium a
Waesberge, Hambourg, ap. G. Schultzen, 1671 ; édition consultée : Robert Boyle , « Cosmical Suspi-
cions », in The works of the Honourable Robert Boyle, Londres, W. Johnston et alii, 1772, vol. 3, p. 316-325.
NAISSANCE DE LA CLIMATOLOGIE HISTORIQUE 55
des saisons consécutive à l’action des colons. Ensuite, Boyle explique avoir
interrogé personnellement un gentleman de Nouvelle-Angleterre, qui lui a
certifié que le climat y était devenu plus doux. Enfin et surtout, Boyle aurait
assisté en personne à la réception par Charles II du gouverneur de la Nouvelle-
Angleterre. Le souverain l’aurait interrogé très directement sur la « température
de l’air ». La réponse du gouverneur (John Winthrop), donnée comme une
citation littérale, aurait été que le climat a changé et perdu beaucoup de son
froid depuis l’installation des Anglais. Il est impossible de vérifier cette anec-
dote, mais le projet intellectuel de Boyle, tout entier fondé sur la production de
témoignages fiables engageant l’honneur aristocratique des acteurs, lui confère
un poids certain40. Quoi qu’il en soit, l’évocation du changement climatique
au plus haut niveau est frappante.
Sous la Restauration, littérature de promotion et témoignages des colons
convergent ainsi pour accréditer la thèse du changement climatique au sein
des cercles savants et politiques britanniques. Confiant dans la réalité du
phénomène – dont on découvrira peu à peu, écrit-il, l’intensité et la durée –,
Boyle ouvre un espace d’interrogation sur sa nature : est-il le produit de forces
non-humaines, émanant des astres ou de l’intérieur de la Terre ? Ou bien est-il
le fait de l’action humaine ?
C’est à cette question qu’Henry Nicholson, un ancien étudiant du Trinity
College intéressé par les sciences naturelles, cherche à répondre lorsqu’il écrit
depuis Dublin, en 1676, pour décrire le changement en cours en Irlande41.
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40. Simon Schaffer, Steven Shapin, Le Léviathan et la pompe à air. Hobbes et Boyle entre science
et politique [1985], Paris, La Découverte, 1993.
41. « An extract of a letter etc. from Dublin may the 10 th, 1676 », Philosophical Transactions of the
Royal Society of London, 11, 1676, p. 647-653.
42. Ce courrier lui était probablement adressé, par un Nicholson soucieux de susciter sa bien-
veillance et d’engager un échange. Le reste de la lettre répond point par point à des questions soulevées
dans les Cosmical Suspicions (sur le magnétisme, sur le musc animal).
43. Sur l’histoire des pratiques d’observation du temps : F. L ocher, Le savant et la tempête.
Étudier l’atmosphère et prévoir le temps au xix e siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008 ;
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médecin du roi établi à Québec48. C’est à cette occasion que Duhamel évoque
le changement climatique en cours en Nouvelle-France49. Il se fait l’écho de
témoignages recueillis sur place par Gauthier à l’occasion de l’année 1745, très
clémente. Des « anciens du pays » lui auraient attesté que les moissons de blé
étaient autrefois plus tardives et moins bonnes50. La volonté d’aborder cette
question a été inspirée à Duhamel par sa lecture du livre du jésuite Charlevoix
sur la Nouvelle-France, qui analyse les « causes du froid au Canada » en évoquant
tour à tour la proximité des glaces du Nord, l’humidité intrinsèque du pays et
l’action des forêts. Pour lui, ce dernier facteur ne saurait être révoqué en doute
car, écrit-il, « il n’y a rien à répliquer contre l’expérience, qui nous rend sensible
la diminution du froid, à mesure que le pays se découvre »51. Ce texte illustre
une fois encore le lien entre amélioration climatique et promotion coloniale.
Hagiographe de la Compagnie de Jésus, Charlevoix a été directement mêlé
à la politique canadienne de la France, notamment comme envoyé du régent
Philippe d’Orléans, chargé d’évaluer la pertinence d’une initiative française
à l’Ouest52. Dans son livre, évoquant la prise de Québec par l’expédition
Kirke de 1629-1630, il expose les raisons de ceux qui, en France, prônaient
l’abandon pur et simple de la colonie, au motif que « le climat y est trop dur »
et le bilan économique déficitaire53. Or dans l’énumération des arguments en
défense – qui sonne comme un plaidoyer pour le présent – vient en premier
lieu l’argument que « le climat de la Nouvelle France s’adouciroit à mesure que
le pays se découvriroit ».
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L’idée d’une influence du climat sur l’homme hérite d’une longue histoire.
Depuis le dernier quart du xvi e siècle au moins54, elle fait partie du fonds
argumentaire commun au monde lettré55. Elle gagne encore en crédit à par-
tir des années 1710, avec l’essor des philosophies matérialistes (empirisme,
sensualisme)56. Cette idée joue un rôle bien connu, au xviii e siècle, dans les
débats sur la civilisation et la nature des régimes politiques57.
Mais comment expliquer l’évolution des sociétés, si on suppose que
celles-ci sont façonnées par le climat ? Pour une série d’auteurs, la thèse d’un
changement climatique constitue la clé pour insuffler un caractère dynamique
à leurs réflexions sur la vie des peuples.
Jean-Baptiste Dubos, le premier, mobilise cette explication pour rendre compte
de l’écart entre les mœurs et le génie artistique des Romains de l’Antiquité et ceux
des Romains de son temps58. Simon Pelloutier, un pasteur huguenot membre
de l’Académie de Berlin, reprend cette idée à l’occasion de l’enquête érudite
qu’il mène, dans les années 1730-1750, sur l’origine des nations européennes.
Sa thèse est qu’un peuple originel, celte, se serait disséminé en Europe avant de
se différencier en nations gauloise, germaine, anglaise, etc.59 Pelloutier décrit
ces Celtes comme des guerriers, endurcis au contact d’un climat bien plus froid
que celui de l’Europe du xviii e siècle. Ce constat d’un changement climatique
s’appuie sur de nombreux indices tirés d’auteurs antiques, de Diodore de Sicile à
Strabon et Ovide (gel des fleuves gaulois, présence d’ours et de sangliers blancs
en Thrace)60. L’interprétation de Pelloutier lie, plus largement, changement
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54. Jean Bodin, Les six livres de la République, Paris, J. du Puys, 1576.
55. Michael C ardy, « Discussion of the theory of climate in the Querelle des anciens et des
modernes », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 163, 1976, p. 73-88 ; Roger M ercier, « La
théorie des climats des “Réflexions critiques” à “L’Esprit des lois” », Revue d’histoire littéraire de la
France, 53, 1953, p. 17-37 et p. 159-174.
56. J. E hrard, L’idée de nature…, op. cit.
57. On songe bien sûr en premier lieu à Montesquieu.
58. Jean-Baptiste Dubos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, Jean Mariette,
1719, vol. 2, p. 268-269.
59. Simon P elloutier, Histoire des Celtes, La Haye, Isaac Beauregard, 1740 ; Colin K idd, British
Identities before Nationalism. Ethnicity and Nationhood in the Atlantic World, Cambridge, Cambridge
University Press, 1999, p. 189-193 et p. 207-209.
60. S. P elloutier, Histoire des Celtes, op. cit., p. 120-124.
61. S. P elloutier, « Lettre de M. P. à M. de B. sur les Celtes », Bibliothèque germanique, 28, 1734,
p. 33-51 ; I d., Histoire des Celtes, op. cit., p. 239, 295 et 457.
62. S. P elloutier, « Dissertation sur un passage des “Commentaires” de Jules Cesar De Bello
Gallico », Histoire de l’Académie royale de Berlin pour 1749, Berlin, Haude et Spener, 1751, p. 491-500.
NAISSANCE DE LA CLIMATOLOGIE HISTORIQUE 59
63. Paul-Henri M allet, Introduction à l’histoire de Dannemarc, où l’on traite de la religion, des lois,
des mœurs et des usages des anciens Danois, Copenhague, Berling, par L. H. Lillie, 1755.
64. Ian Wood, The Modern Origins of the Early Medieval Ages, Oxford, Oxford University Press,
2013, p. 37-45 ; Thor J. Beck, Northern Antiquities in French Learning and Literature (1755-1855). A Study
in Preromantic Ideas, New York, Institute of French Studies/Columbia University, vol. 1, 1934, p. 19-44.
65. P.-H.� M allet, Introduction…, op. cit., p. 252-256.
66. Michael Ignaz Schmidt, Geschichte der Deutschen, Ulm, Stettin, 1778, vol. 1, traduit en fran-
çais : Histoire des Allemands, Liège, Plomteux, 1784 ; Michael O. P rinty, « From barbarism to religion :
Church history and the enlightened narrative in Germany », German History, 23-2, 2005, p. 172-201.
67. Edward Gibbon, The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, Londres, Strahan,
1776, vol. 1, p. 218.
68. Hugh Williamson, « An attempt to account for the change of climate, which has been observed in
the Middle Colonies in North-America », Transactions of the American Philosophical Society, 1, 1771, p. 272-280 ;
I d., « Essai dans lequel on tâche de rendre raison du changement de climat qu’on a observé dans les Colonies
[…] » Journal de Physique (Observations sur la physique, sur l’histoire naturelle et sur les arts), 1, 1773, p. 430-436.
60 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE
69. Antonello Gerbi, The Dispute of the New World. The History of a Polemic, 1750-1900 [1955],
Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2010 ; Jacques Roger, « Buffon, Jefferson et l’homme améri-
cain », Bulletins et mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, 1-3/4, 1989, p. 57-65 ; Silvia Sebastiani,
« What constituted historical evidence of the New World ? Closeness and distance in Robertson and
Clavijero », Modern Intellectual History, 11-3, 2014, p. 675-693 ; James Delbourgo, Nicholas Dew
(éd.), Science and Empire in the Atlantic World, New York, Routledge, 2008.
70. Cornélius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, Berlin, George Jacques Decker,
2 vol., 1768 et 1769 ; William Robertson, History of America, Dublin, Messrs. Whitestone, W. Watson
etc., 1777, 3 vol.
71. H. Williamson, Observation on the Climate in Different Parts of America, New York, T. & J.
Swords, 1811, p. 174-178.
72. L’expression est de J. G olinski, British Weather…, op. cit., p. 197-201, citation p. 201.
73. Thomas Jefferson, Notes on the State of Virginia, Londres, John Stockdale, 1787, p. 134-137.
NAISSANCE DE LA CLIMATOLOGIE HISTORIQUE 61
74. Georges Louis Leclerc de B uffon, Histoire naturelle générale et particulière, vol. 1, Paris,
Imprimerie royale, 1749, p. 242 et vol. 4, Paris, Imprimerie royale, 1753, p. 397.
75. G. L. de Buffon, « L’élan et le renne », in I d., Histoire naturelle, vol. 12, Paris, Imprimerie royale,
1764, p. 79-117.
76. Ibidem, p. 92.
77. G. L. de B uffon, Histoire naturelle générale et particulière, supplément, tome cinquième, Des
époques de la nature, Paris, Imprimerie royale, 1778, p. 237.
78. Thierry Hoquet, « La théorie des climats dans l’Histoire naturelle de Buffon », Corpus. Revue
de philosophie, 34, 1998, p. 59-90.
79. G. L. de B uffon, […] Des époques de la nature, op. cit., p. 244.
80. Au xix e siècle, elle sera un puissant motif idéologique en soutien à la colonisation, notamment dans
le Maghreb : Diana K. Davis, Les mythes environnementaux de la colonisation française au Maghreb [2007],
Seyssel, Champ Vallon, 2012.
81. Voir par exemple François Rozier, Cours complet d’agriculture, vol. 2, Paris, Hôtel Serpente,
1782, p. 664 ; Abbé Jérôme R ichard, Histoire naturelle de l’air & des météores, Paris, Saillant et Nyon,
1770-1771, vol. 2, p. 245-246, p. 265-266, p. 295-297 ; Louis Cotte , Traité de météorologie, Paris,
Imprimerie royale, 1774, p. 607-609.
62 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE
essentiel, dans ce contexte, est le lien entre déforestation et climat. Mais il est
loin de résumer l’ampleur des interrogations touchant à la question de l’histo-
ricité climatique, considérée à toutes les échelles de temps. Ces interrogations
renvoient à des débats en cours dans la République des lettres : les causes et
les effets du tremblement de terre de Lisbonne ; les évolutions de long terme
de l’orbite terrestre ; le refroidissement progressif du globe, pièce maîtresse de
la cosmogonie buffonienne. D’une manière générale, l’incertitude domine et
les théories prolifèrent.
Les dynamiques climatiques sont tout d’abord rapportées à un premier
ordre explicatif tellurique et chimique. L’interprétation des climats locaux par
la nature du sol est ancienne. Par exemple, en 1717, le botaniste Pitton de Tour-
nefort explique le froid paradoxal qui règne à Erzeron (Arménie) par la présence
d’ammoniac dans le sol82. Au xviiie siècle, l’idée d’une nature « substantielle » du
froid reste influente : elle suppose que celui-ci peut être produit par réaction entre
deux composés matériels, par exemple à l’occasion d’une éruption volcanique
ou d’un séisme83. Ce type d’interprétation alimente des anxiétés sur les effets
météorologiques d’événements comme le tremblement de terre de Lisbonne.
En 1778, le littérateur Simon Linguet souligne ainsi que, depuis une vingtaine
d’années, le Nord de l’Europe est sujet à un dérangement « dans l’ordre des sai-
sons », qu’il impute au désastre de 175584. En 1783, les brouillards inhabituels qui
touchent l’Europe sont attribués à l’éruption du volcan Laki, en Islande, dont on
sait aujourd’hui qu’il affecta bel et bien l’atmosphère – et les saisons – à l’échelle
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82. Joseph Pitton de Tournefort, Relation d’un voyage au Levant, Paris, Imprimerie royale,
1717, vol. 2, p. 268.
83. Voir par exemple Jean-Jacques Dortous de M airan, Dissertation sur la glace, ou explication
physique de la formation de la glace et de ses divers phénomènes, Béziers, Barbut, 1717, p. 41-48.
84. Simon L inguet, « Du dérangement dans l’ordre des saisons », Annales politiques, civiles et
littéraires, Lausanne, vol. 1, 1778, p. 477-489.
85. Thorvaldur T hordarson, Stephen Self, « Atmospheric and environmental effects of the
1783-1784 Laki eruption », Journal of Geophysical Research, 108-D1, 16 novembre 2003, p. 7(1)-7(29).
86. « Observation sur la chaleur des climats par M***, gentilhomme du Vivarais », Journal de
physique, 3, 1774, p. 243-249 et p. 4, p. 174-175.
NAISSANCE DE LA CLIMATOLOGIE HISTORIQUE 63
l’échelle historique (le déboisement) mais aussi géologique, les deux temporalités
étant commensurables et les causalités entremêlées. Au cours du siècle, l’idée d’un
refroidissement climatique de long terme gagne du terrain, avec l’essor des mines
de charbon. Les empreintes de végétaux, les fossiles d’animaux et les ossements de
mammifères (comme les éléphants) qu’on y découvre engendrent le trouble, car
tous sont connus pour vivre sous des climats tropicaux. Cette énigme est de plus
en plus interprétée, dans la seconde moitié du siècle, comme l’effet d’un change-
ment drastique et de très long terme des climats européens87. Pour en expliquer
les causes, Buffon va élaborer la thèse cosmogonique la plus influente de la fin de
l’époque moderne. Il décrit l’histoire de la terre comme celle d’un refroidissement
progressif s’étendant sur 70 000 ans (chiffre qu’il calcule par extrapolation du
temps de refroidissement de boules de métal) et se traduisant en surface par un
changement climatique à l’échelle des temps géologiques, changement à l’origine
des migrations et des disparitions d’espèces88. Ce faisant, il propose un ensemble
explicatif cohérent embrassant, dans un même mouvement, formation et évolution
géologique du globe, histoire de la vie et transformation des climats. Pour Buffon,
la Terre court à la mort thermique, mais l’homme – dont il célèbre, comme on
l’a vu, la puissance d’action – peut en repousser le terme. Il a le pouvoir, écrit-il
en 1778, de « s’opposer au refroidissement successif de la Terre et de réchauffer
la température d’un climat », et il a déjà commencé à le faire89.
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87. Jean-François-Clément Morand, Du charbon de terre et de ses mines. Description des arts et
métiers, Paris, Desaint, 1761, p. 168 ; Jean-Louis Giraud -Soulavie , Histoire naturelle de la France
méridionale, Paris, Quillau, 1781, vol. 4, p. 45-48.
88. Voir les analyses de Jacques Roger, in B uffon, Les époques de la nature. Édition critique [1778],
Paris, Muséum, 1988, p. xxvii-xxxv. G. L. de B uffon, « Premier mémoire. Recherches sur le refroi-
dissement de la Terre et des planètes » et « Second mémoire. Fondement des recherches précédentes sur
la température des planètes », in I d., Histoire naturelle générale et particulière, supplément, tome second,
Paris, Imprimerie royale, 1775, p. 313-361 et p. 361-377.
89. G. L. de B uffon, […] Des époques de la nature, op. cit., p. 240.
90. Emmanuel L e Roy L adurie , Histoire humaine et comparée du climat, Paris, Fayard, 2006,
vol. 2, p. 28-103. L’hiver 1772 est désastreux, puis trois ans plus tard des récoltes insuffisantes causent
des troubles frumentaires dans le Nord de la France, connus sous le nom de « guerre des farines ».
64 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE
du Roi : la monarchie doit saisir tout « l’ordre physique » de son domaine car
« un climat différent forme une espèce nouvelle »95.
Pour toutes ces raisons, les météorologues les plus en vue de l’époque,
Giuseppe Toaldo à Padoue, Louis Cotte à Montmorency, Van Swinden en
Hollande ou Théodore Mann à Bruxelles, font du changement climatique une
question importante de leur discipline. Dans la décennie 1770, la météorologie
commence à incorporer une dimension d’analyse historique. Ce processus
s’ancre dans des mutations profondes de la discipline, remontant à la fin du
xvii e siècle. L’étude du « météore », phénomène extraordinaire, singulier, s’efface
alors devant celle des régularités. Le savant se doit désormais d’enregistrer l’état
de l’atmosphère, même quand il ne présente rien de notable96. C’est grâce à
l’accumulation de registres météorologiques durant un siècle que la météorologie
peut ainsi partir à l’assaut du passé. Également en lien avec l’enregistrement
météorologique discipliné, s’impose au xviii e siècle une nouvelle acception
du terme « climat ». Celui-ci ne désigne plus seulement une zone en latitude,
ou une région marquée par une qualité de la température, pensée en termes
d’oppositions binaires (froid/chaud, sec/humide). La littérature savante uti-
lise de plus en plus « climat » dans son sens contemporain, pour désigner une
certaine régularité numérique des paramètres météorologiques, mesurée par
des instruments. La recherche de la régularité cachée derrière les variations
erratiques du temps passe par le calcul de moyennes, engageant le plus grand
nombre possible d’observations et d’années de recul.
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Jean-Baptiste Moheau, Antoine Montyon, Recherches et considérations sur la population de
France, Paris, Moutard, 1778, vol. 2, p. 156.
96. J. G olinski, British Weather…, op. cit.
97. L. Cotte , Traité de météorologie…, op. cit., p. 519.
66 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE
98. En comparaison, les observations de Cotte à Montmorency courent sur 13 ans seulement,
de 1769 à 1782.
99. Les vocables utilisés (« conjectures », « règles de prévoyance ») et la référence au théorème de
Bernoulli par Toaldo témoignent de la volonté de se démarquer des vendeurs d’almanachs. En 1805,
s’inspirant de Toaldo, Cotte publie des prévisions météorologiques s’étendant jusqu’à la fin du xix e
siècle : L. Cotte , Mémoire sur la période lunaire de dix-neuf ans, Paris, Huzard, 1805.
100. Giuseppe Toaldo, Essai météorologique sur la véritable influence des astres, des saisons et
changements de tems […], Chambéry, Gorrin, 1784, p. 189.
101. Ibidem, p. xvii, p. 220-222.
102. Ibidem, p. xii.
103. G.� Toaldo, Della vera Influenza degli Astri, Saggio Meteorologico, Padoue, Manfre, 1770, p. 146.
104. Journal des sçavans, octobre 1771, p. 103.
105. G.� Toaldo, Essai de météorologie appliquée à l’agriculture, Montpellier, Martel, 1774, p. 58 ;
I d., Meteorologia applicata all Agricultura, Venise, Storti, 1775, p. 40.
NAISSANCE DE LA CLIMATOLOGIE HISTORIQUE 67
Document 1
La caractérisation quantitative d’un changement climatique, par Toaldo,
Météorologie appliquée à l’agriculture, 1774, p. 58
et Meteorologia applicata all Agricultura, 1775, p. 40
Ces résultats suscitent un grand intérêt car ils paraissent prouver la théorie
buffonienne de l’affaiblissement progressif du feu central. Toaldo s’empresse
également de les commenter car il y voit une confirmation de l’accroissement
du froid à Padoue auquel, avoue-t-il, « il avait jusqu’alors peine à croire »110.
L’enjeu est bien de repérer par les instruments les indices d’un refroidissement
du globe tout entier.
En fait, ces mesures vont surtout questionner la fiabilité des thermomètres
anciens, et les méthodes des observateurs du passé. L’augmentation du froid
détectée à Padoue ou dans les caves de l’observatoire semble trop rapide. Selon
Cotte, l’écart mesuré par Jeaurat et Le Gentil s’explique plus probablement
par l’altération de l’esprit de vin des thermomètres111. Pour Charles Messier,
c’est surtout qu’avant les années 1770, on descendait dans les caves avec des
flambeaux qui perturbaient les instruments112. Par ricochet, cela questionne
les mesures de Poleni à Padoue. Ce qui était vu comme un changement cli-
matique ne serait-il qu’un effet de l’altération des fluides thermométriques, ou
de la négligence des observateurs ?
Ces débats sont d’autant plus vifs qu’ils coïncident avec le grand hiver de
1775-1776 qui vient relancer l’intérêt du public pour ces questions. En octobre
1775, Messier – qui tient un journal météorologique – se plaint d’être dérangé
chaque matin par une foule de Parisiens désireux de connaître la température113.
Derrière la curiosité pour le phénomène extrême, la question posée est celle des
« grands hivers », c’est-à-dire de leur mise en série, de leur comparaison et de
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123. Guy P ueyo, « La météorologie à la Société royale d’agriculture au cours de la seconde moitié
du xviii e siècle », Comptes rendus des séances de l’Académie d’agriculture de France, 1975, p. 217-226.
124. L.� Cotte , Traité de météorologie, op. cit, p. 420-422 et p. 451-457.
125. « Observation […] Vivarais », art. cit., p. 245-251.
126. Michel A danson, Famille des plantes, Paris, Vincent, 1763, p. 124-148.
127. E.� Spary, Utopia’s Garden…, op. cit., p. 117-133.
128. Marie-Noëlle Bourguet, « Landscape with numbers. Natural history, travel and instruments
in the late eighteenth and early nineteenth centuries », in M.-N. Bourguet, C. L icoppe et Heinz Otto
Sibum (éd.), Instruments, Travel and Science. Itineraries of Precision for the Seventeenth to the Twentieth
Century, Londres, Routledge, 2002, p. 97-126.
129. J.-L.� Giraud -Soulavie , Histoire naturelle de la France méridionale. Les végétaux, Paris,
Quillau, 1783, vol. 1, p. 177.
130. Numa Broc , Les montagnes au siècle des Lumières [1969], Paris, CTHS, 1991, p. 173.
72 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE
Document 2
La définition botanique des climats. « Coupe verticale des montagnes vivaroises avec les limites
respectives et les mesures barométriques de leur hauteur »,
in Histoire naturelle de la France méridionale, vol. 2, Les végétaux, Paris, 1783, p. 265
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135. E. L e Roy L adurie , Histoire humaine et comparée du climat, op. cit., vol. 1, p. 409-529.
136. Johann Georg A ltmann, Abraham Ruchat, L’état et les délices de la Suisse, Amsterdam,
Wetsteins et Smith, 1730, vol. 2, p. 221 ; Pierre M artel , « Voyage aux glacières de Faucigny » [1742],
in William Windham et Pierre Martel : relations de leurs deux voyages aux glaciers de Chamonix (1741-1742),
Genève, Bonnant, 1879, p. 35-67, p. 51.
137. G. L. de B uffon, […] Des époques de la Nature, op. cit., p. 143-144. Les pages des Époques de
la nature consacrées aux glaciers sont toutes empruntées à Bourrit, à qui Buffon obtiendra une pension
royale ; Douglas F reshfield, The life of Horace Benedict de Saussure [1920], Genève, Slaktine, 1989, p. 167.
138. Marc-Théodore Bourrit, « Lettre à M. le comte de Buffon, sur l’accroissement des glacières
dans les Hautes-Alpes », Esprit des journaux, 6, 1780, p. 302.
139. Bernhard Friedrich Kuhn, « Versuch über den Mechanismus der Gletscher », Magazin für
die Naturkunde Helvetiens, 1, 1787, p. 117-136, citation p. 135.
140. César Bordier, Voyage pittoresque aux glacières de Savoye fait en 1772, Genève, La Caille,
1773, p. 225. Voir aussi Horace Benedict de Saussure , Voyages dans les Alpes, Genève, Barde, Manget
& Cie, 1786, vol. 1, p. 453-455.
74 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE
est de savoir si l’avance des glaciers mordant sur les alpages correspond à un
phénomène erratique, à une oscillation d’origine astronomique, ou bien s’ils
assistent « en direct » aux prodromes de la mort thermique du globe prédite
par Buffon.
141. Sont ainsi utilisés par Messier et Van Swinden : François Eudes de M ézeray, Histoire de
France depuis Faramond jusqu’au règne de Louis le Juste, 3 vol., Paris, Barbin, 1685 et Michel F élibien,
Histoire de la ville de Paris, 4 vol., Paris, Desprez, 1725. Pour les chroniques universelles : John A xford,
Catastrophe Mundi : Or, the Various Alterations and Changes that have happened in the World since 46 Years
after the Creation, Londres, J. Nust, 1704.
142. Thomas Short, A General Chronological History of the Air, Weather, Seasons, Meteors &c. in
Sundry Places and Different Times, Londres, Longman, 1749.
143. John Rutty, Chronological History of Weather and Seasons and of the Prevailing Diseases in
Dublin, Londres, Robinson, 1770.
144. Jan H endrick, Van Swinden, Observations sur le froid rigoureux de janvier 1776, Amster-
dam, Rey, 1778, p. vi.
NAISSANCE DE LA CLIMATOLOGIE HISTORIQUE 75
c’est en les discutant. La critique n’est pas moins nécessaire en physique qu’en
littérature »145.
Le programme de recherche astro-météorologique fournit, enfin, un
troisième genre de compilation des événements météorologiques anciens. Il
s’agit ici de les corréler aux données astronomiques, à la recherche de périodi-
cités cachées. Une fois encore, Giuseppe Toaldo ouvre la voie en publiant en
1776, dans son Giornale, une table comprenant plus d’une centaine « d’hivers
mémorables »146, complétée en 1784 par une autre donnant les sécheresses et
les années pluvieuses147. En prenant Toaldo comme guide, le jésuite et astro-
nome viennois Anton Pilgram publie en 1788 ce qui constitue sans doute l’une
des plus importantes sommes sur l’histoire du climat avant le xx e siècle. Il
mobilise pas moins de 108 sources annalistiques concernant principalement
les États germaniques, et rapporte, en tables chronologiques distinctes, les
hivers froids et doux, les années humides et sèches, les vents violents ainsi
que les bonnes et les mauvaises années pour le vin148.
En 1792, le Mémoire sur les grandes gelées de l’abbé Théodore Augustin
Mann, de l’Académie de Bruxelles, représente l’aboutissement de cette première
époque de la climatologie historique. Il rassemble les lignes d’investigation
qui conduisent à problématiser le changement climatique à la veille de la
Révolution française149.
Mann défend une théorie de la terre opposée à celle de Buffon et plus en
accord avec le récit biblique. Selon lui, la Terre abrite un feu central, non pas
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H. Van Swinden, « Lettre sur les grands hivers adressée au citoyen Cotte », Journal de
physique et de chimie, 1, 1800, p. 279-281.
146. G. Toaldo, « Discorso sopra l’anno 1776 », Giornali Astro-meteorologici dall’ anno 1773 all
anno 1798, Venise, Francesco Andreola, 1802, vol. 1, p. 138-147.
147. G. Toaldo, Essai météorologique…, op. cit., p. 244-253.
148. Anton P ilgram, Untersuchungen über das Wahrscheinliche der Wetterkunde durch vieljährige
Beobachtungen, Vienne, Joseph Edlen, 1788.
149. Théodore Augustin M ann, Mémoire sur les grandes gelées et leurs effets, où l’on essaie de déter-
miner ce qu’il faut croire de leurs retours périodiques et de la gradation en plus ou moins froid de notre globe,
Gand, Goesin, 1792. Ce mémoire a été réédité avec une présentation de Muriel Collart et une préface
d’Emmanuel L e Roy L adurie , Paris, Hermann, 2012.
150. Il suit en cela la théorie du président de l’Académie de Bruxelles : Jean Needham, Nouvelles
recherches physiques et métaphysiques sur la nature et la religion, avec une nouvelle théorie de la Terre, Paris
et Londres, Lacombe, 1769.
76 REVUE D’HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE
il pense que les cycles (s’ils existent) sont brouillés par une infinité d’effets
locaux et contingents151. Ces enjeux théoriques et théologiques se combinent,
chez Mann, à des problèmes pratiques de gestion de la Flandre maritime.
Sa théorie du globe se concrétise dans l’évolution des terroirs locaux ; le but
de l’histoire de la nature est ici de prévoir le long terme pour mieux gérer
le territoire. Par exemple, selon lui, du fait de l’expansion du feu central, la
mer a reculé et continuera à le faire à l’avenir en Flandres. Le gouvernement
devrait anticiper ce phénomène et approfondir les canaux drainant les côtes.
***
En 2006, durant l’élaboration collective du quatrième rapport du GIEC152,
le climatologue Stefan Brönnimann proposa d’y intégrer les travaux des
savants de l’époque moderne, notamment ceux de l’abbé Mann et de Hugh
Williamson. Le GIEC rejeta cet ajout au motif qu’il ne s’agissait « pas vraiment
de science moderne »153. En un sens, notre enquête donne raison au GIEC :
ce n’est pas l’influence des émissions de gaz à effet de serre qui pousse les
savants des xvii e et xviii e siècles à s’intéresser au changement climatique,
mais mille autres motifs : coloniser l’Amérique du Nord ; percer le secret des
cycles météorologiques ; prévoir l’avenir thermique de la Terre et comprendre
les effets de l’action humaine sur le monde végétal, le cycle de l’eau et, par
leur entremise, sur le climat.
Pourtant, ce geste de coupure semble par trop absolu. La pensée contem-
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151. T.����
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A. M ann, Mémoire sur les grandes gelées…, op. cit., p. 112.
152. Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.
153. http://pds.lib.harvard.edu/pds/view/7785862?n=34 (consulté le 21 février 2014).
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Résumé/Abstract