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B Drogempolitik I Politique en matiere de drogue

Innover les politiques publiques .


en matiere de drogues iIIégales en Suisse:
quelques remarques aux marges d'une recherche

Sandro Cattacin, Université de Geneve

La politique en matiêre de drogue en Suisse est caractérisée,


si nous prenons une perspective historique, par son ineffi-
cacité. Ge constat, partagé par la majoritédes observateurs,
s'est diffusé vers la tin des années quatre-vingts, et surtout
dans les années quatre-vingt-dix aussi parmi une parti e rele-
vant des decideurs: Si le politologué Karl-Heinz Reuband note
dans son livre apparu en 19922 que la Suisse fait partie des
pay.s éonnaissant une politique répressive et inadéquate ~ sa
situation (à cause de la persécution de la consommation de
produits cannabinoides, à cause de la diffieulté d'obtenir des
seringues propres ete.), en 1995 nous sommes amené à dire,
que eette Suisse. tacilement classable en tant que pays rétro-
grade en matiêre de politique drogue, s'est rema rquablement
transforme: nous avons une situation actuelle ou la moitié des
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eantons su isses ont opté pour une politique drogue complexe •
une suisse ou le gouvernement semble promouvoir des con-
cepts innovant en matiere de drogue. Néanmoins, le jugement
de Reuband est aujourd'hui à relativiser seulement en partie.
En effet. no us pouvons sans doute dire, que la Suisse' ne re-
présente plus uniquement un modele de type répressif . Mais
nous savons pas comment dénommer la situation actuelle. Les
documents offi ciels venant de la Confédération parlent d'un

2Reuband, Kar1-Heinz, 1992, Drogenkonsum und Drogenpolitik, Deutschland


und die Nieder1ande im Vergleich, Opladen: Leske + Budrich.

3Cattacin, Sandro, 1994, La politique de la drogue en Suisse: problemes de


cOOrdination horizontale et verticale, in: Les Cahiers du GREAT, 1, S. 14-25.
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modele des quatre piliers pour la Suisse, s'inspirant d'une logi- probleme de la ville de Zurich, la discussion autour du Letten a
que de la reduction des risques; mais ce modele n'est suivi réussi à recercler le territoire touché par le probleme en
que dan s certains cantons, pendant que d'autres s'y opposent. sortant des frontieres communales et en lui donnant une di-
Le résultat global de cette politique change peut-être de nom mension nationale. Ce type de discours, promu par la Ville de
(nous avons en effet aujourd'hui un non-modele plutôt qu'un Zurich et issue des expériences faites lors de la fermeture du
modele répressif, un non-modele qui est d'ai lleurs menacé Platzspitz avait deux buts politiques principaux:
"dans son développement par des ínítiatives simplistes) , mais il
ne change pas ou peu dans son efficacité qui reste re- Premierement I'intégration de la Confédération dans la résolu-
doutablement basse à cause d'un fédéralisme d'exécution qu i tion du probleme qui ne pouvait intervenir que si le probleme
élimi ne (no n seulement en mati ere de politique drogue) to ut était politiquement jugé d'importance supra-cantonale ou na-
essai de créer des interventions cohé.re ntes. tional. Même si l'Administration fédérale, et en premier lieu
l'Ofsp avait reconnu que s'attaquer aux problemes drogue à
Et venons au point: la Suisse est, selon moi, incapable de Zurich signifiait s'attaquer à des problemes d'envergure natio-.
développer une politique drogue cohérente et adapté à la si- nale, le niveau politique n'était longtemps pas prêt de partager
tuation avec les instruments politiques et administratives cette appréciation. Ceci change à partir d'aoOt 1994 quand les
qu'elle a à sa disposition . Si elle veut changer cette situation, contacts formels Ville de Zurich-Confédération initie (NZZ
elle doit en d'autres termes innover la maniere de faire politi- 1994/139). De ce fait, la Ville réussit de passer d'une structure
que et la maniere de mettre en oeuvre des politiques publi- essentiellement binaire de négociation (Cantons-Ville) à une
ques. Et c'est ce qui s'est fait , avec plus au moins du succes. triangulation ou le troisieme partenaire, la Confédératiqn qui
J'ai identifié quatre nouveaux types de politique, que je vais est d'ailleurs pres des positions de la Ville, peut jouer son rôle
vite illustrer et commenter. de primus inter pares et de ce fait, aider à déconflictualiser le
rapport entre Ville et Cant~n.
La task toree: ce terme militaire a circulé la premiere fois dans
le domaine de la drogue lors de la fermeture du Letten. On Deuxiemement I'intégration des communes limitrophes (et non
n'était d'ailleurs pas si loin du discours sur I'intervention mili- seulement) dans la prise en charge des problemes en matiere
tai re, diffusés par différents journaux (le Matin et le Blick), par de drogues illégales. En effet, sans . I'aide des communes
des partis situé à droite (tel que I'UDC zurichoise et les d'origines des personnes toxicomanes fréquentant le Letten,
Démocrates Suisse) et par des groupes de citoyens qui chaque mesure de limitation d'une grande scene ouverte était
s'étaient formé pour protester contre le Letten. Comparé à la voué à I'échec à cause du manque de structures et compéten-
situation au Platzspitz qui a été fermé par une initiative de la ces d'accueil. A travers le passage d'une forme de négociation
part de la Ville et du Canton de Zurich, "le Letten avait mobilisé bilatérale ou le Canton défendait le non-faire des communes à
un nombre plus élevé d'acteurs et de discours. A côté de deux .des formes plus complexe, les communes se voyaient sous
acteurs centraux Ville et Canton de Zurich (avec leurs arenes pression d'agir, mais aussi légitimées par une grande coalition,
politiques respectives), ce sont en effet aussi la Confédération, ainsi que, dans certains cas, aidées financierement.
et les autres Communes et Cantons suisses qui ont dO se con-
fronter avec le probleme du Letten. Les discours autour du Seulement cette nouvelle maniere de territorialiser le pro-
Letten a aussi reçu une accélération du point de vue de sa bleme du Letten et de la drogue illégale à Zurich a en d'autres
différentiation et de sa complexité. Une dimension a surtout termes permis de créer un accord sur le "que faire". Mais
joué comme argument de force pour trouver une solution plus quelle est plus précisément I'innovation du point de vue admi-
articulée qu'auparavant dan s le cas du Platzspitz: la territoria- nistratif? La solution adoptée était de créer ponctuellement
lité. En effet,comparé au Platzspitz qui était vu comme un pour ce probleme un niveau politique et administratifs nou-
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veau, à savoir un état major de crise regroupant des représen- à-dire: non pas en faire un ballon gonflé, peut aider à la con-
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tants de la Ville du Canton et de la Confédération qui avait struction d'une politique drogue consensuelle .
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aussi l'égide • Par la négociation et par des accords concer- Les expérimentations: un troisieme type de politique innovant
nant I'action concrete que chaque partenaire pouvait vendre concerne les expérimentations. lei également, nous trouvons
comme nécessité au monde qu'il représentait (la Ville aux par- dans le domaine en question, un étonnant effort mené de la
tis locaux, le Cantons surtout aux Communes, la Confédérati- part de la Confédération pour montrer qu'une ou I'autre politi-
on à la Suisse non-zurichoise), s'est réalisé la fermeture du que soit meilleure. Contrainte par une loi rigide, la Suisse est
Letten. Je ne suis pas ici pour juger les résultats de la fermetu- en train de réaliser une politique publique moderne qui passe à
re du point de vue épidémiologique ou de santé et sécurité la législation par expérimentatton. Les formes institutionnelles
publique. Du point de vue des structures mis en place, par qui ont été trouvées sont aussi intéressantes, .car la Confédé-
contre, on peut sans doute parler d'une opération réussite. Je ration a comme partenaire nan seulement d'autres acteurs
dirai même que grâce à cet exercice la politique drogue a fait étatiques, mais aussi des organisations sans but lucratif.
un pas important vers une convergence majeure des options L'expérimentation inclue en d'autres termes aussi un élément
fondamentales en Suisse. d'essai institutionnel. Dans ce domaine aussi, les évaluations
ne sont pas encore terminées, mais la demande venant de
Persuasion: Une deuxieme innovation politique importante toujours plus d'acteurs civiques et étatiques montrent que les
consiste dan s I'essai, de la part de la Confédération, d'entrer résultats sont encourageant.
en contact permanent, mais informel, avec les instances et les
lieux suivant des politiques divergentes ou ayant des pro- A un niveau plus pratique se trouvent les politiques que j'ai
blemes majeurs à résoudre. Les buts sont d'améliorer le climat appelé ailleurs incitatives. Elles consistent dans des initiatives
de confrontation, de chercher par la rencontre de pragmatiser venant de la Confédération, mais exécutées par d'autres
les approche politique et enfin, d'arriver à moyen terme à un acteurs privés et publics qui visent I'amélioration d'un pro-
consensus national sur une politique drogue pour éviter natu- gramme spécifique et qui s'inserent dan s une politique drogue
rellement les effets néfastes de politiques s'annulant mutuel- globale. Dans la logique des "quatre píliers", par exemple, la
lement. L'essai plus important constituait la Conférence natio- Confédération a subventionné des projets d'interventions à bas
nale sur la Drogue au début de cette année qui a non seule- seuil qui avait des difficultés à démarrer ou à exister (pensons
ment eu lieu dans un bâtiment symbolique de réconciliation de au projet déjà cité Zipp-Aids). L'avantage primaire de ces poli-
la différence que constitue le parlement de Serne, mais qui a tiques est I'inclusion de différents acteurs dan s une politique
aussi vu une participation large et différenciée de la pratiq'ue générale, mais n'oublions pas son adaptabilité aux besoins
et de la politique en matiere de drogue. Encore une fois, je ne concrets.
peux pas évaluer I'effet de cette rencontre (et íl n'y a d'ailleurs
pas eu d'évaluation). Néanmoins, il est possible d'affirmer Qu'est-ce qu'on peut apprendre de ces quatre innovations,
qu'institutionnaliser des rencontres régulieres d'un nombre quels sont les points forts et quelles sont les faiblesses? A
important de personnatités dan s le domaine de la drogue c'est- souligner tout d'abord c'est le fai t que ces quatre innovations
quittent I'idée qu'un acteur seule puisse résoudre des pro-
4Notons que la Confédération, pour jouer ee rôle d'importanee, a dü se donner
un niveau politique plus fort que le seul représentant du Gouvemement
s'oeeupant nonnalement de politique en matiere de drogue. En effet, Le Gou- SCe type d'intégration des aeteurs est d'ailleurs déjà adopté dans différentes
vemement s'est donné pour eet exereiee une nouvelle strueture qui est la réalités européennes, notamment les Pas-Bas, ef. Cattaein, Sandro, Barbara
Délégation gouvemementale au probliJme de la drogue, regroupant trois mini- Lueas und Sandra Vetter, 1995, Modeles de politique en matiere de drogue,
, stres. ' . Paris: I'Hannattan, à paraitre.

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blêmes complexes. Ceci est relevant si on part de la vision des politiques publiques par des réseaux. Enfin, prendre au
classique des politiques publiques ou un gouvernement décide sérieux la nécessité d'intégrer le niveau strictement politique
de réaliser par son administration ou en délégation un pro- dans la réalisation d'une politique par des liaisons non seule-
gram~e concret. Nous sommes amenés à penser qu'à partir ment entre les gouvernements et les pratiques concrêtes, mais
d'une certa:ine complexité, il est nécessaire de développer. et aussi entre les parlementaires et les discussions plus appliqué
réaliser des politiques publiques à travers des réseaux com- me parait une piste de réflexion utile pour empêcher certaines
plexes, des policy networks, comme on dit aujourd'hui dans la campagnes de désinformation.
science politique. Les caractéristiques changeants sont les
suivants: un centre fort n'exists plus, il y a plusieurs centre de
décision ou I'argument compte plus que la puissance. La place
de la décision majoritaire est prise par I'argumentation et par
la persuasion, avec un effet non-négligeable de pragmatisation
du discours. L'intégration verticale est substituée par une
intégration des acteurs de type horizontal ou différentes
échelles (communales, cantonales, nationales) sont mises en
relation de maniêre non hiérarchique, permettant à la place
d'urie exéoution fédéraliste, une exécution par un partenariat
entre acteurs publics, máis aussi entre acteurs publics et pri-
vés. Enfin, les décisions quittent leur logique une tois pour
to us, pour entrer dan s la logique expérimentales et évaluati-
ves. Tous les options sont ouvertes et elles diminuent quand
une expérience concrête a été mené ou quand un argument
est convainquant.

A ·ces éléments positifs que vous avez pu reconnaitre dans les


quatre maniêres de faire politique présentées s'ajoute quel-
ques perplexité sur ce type de faire politique. Tout d'abord il
me semble important à souligner qu'il n'y a pas de constance
des ces exercices. IIs sont tous marqués par leur existence
éphémêre. Ceci peut être quelque fois utile (quand on veut
éviter la création d'habitude et de structures s'auto-
reproduisant). Si on veut par contre sortir de leur état de joli
exemple de politique publique moderne, on devrait les insérer
dans des structures plus visible, plus constante, plus rapide
dans la réaction. Ainsi, pour commencer au niveau du discours
drogue, créer des forums de discussion réguliêre qui sont plus
d'une commission, une vraie rencontre pragmatique des opini-
ons et un lieu de formation d'un consensus minimal, semble
une nécessité incontournable. Régulariser les discussions opé-
ratives entre les Villes, les Cantons et la Confédération, me
semble un deuxiême nécessité pour renforcer la réalisation

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