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Le plastique, triste gagnant de la crise sanitaire ?

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Sophie Kloetzli 23 avril 2020

Entre le retour en force du tout jetable et le ralentissement de l'industrie du


recyclage, la crise actuelle pourrait faire reculer la lutte contre la pollution
plastique et les efforts de réduction des déchets.
Masques en polypropylène, gants en latex, chariots remplis de produits emballés ... En temps
de crise sanitaire, le plastique à usage unique a la cote. « Tout a commencé avec les gels
hydroalcooliques. Presque un mois avant le confinement, ces familles d'emballages ont connu
une tension très forte et nous avons compris qu'une vague assez colossale allait arriver »,
raconte Emmanuel Guichard, délégué général d'Elipso, le syndicat des fabricants d'emballages
plastiques et souples. Durant la première semaine de quarantaine, la demande bondit de 30 %
du fait de « la fermeture des restaurants et des cantines, qui a entraîné une augmentation de la
consommation alimentaire vers des produits emballés vendus en grande distribution » et du
surstockage, et bien sûr de la hausse des activités dans les hôpitaux. Un chiffre qui s'est
stabilisé à environ 15 % mi-avril, mais qui continue de mettre le secteur sous tension : « Nous
produisons plus mais dans des conditions beaucoup plus difficiles », explique-t-il tout en
précisant que certains secteurs d'activité, comme l'automobile et le bâtiment, sont à l'inverse à
l'arrêt ou en activité limitée.

L'accroissement des déchets plastiques, notamment médicaux, a déjà des conséquences bien
visibles. Le 28 février, l'ONG Oceans Asia a alerté sur la présence de nombreux masques
chirurgicaux sur les plages des îles de Soko, un petit archipel de Hongkong. En France, les
gants en latex, mais aussi les lingettes désinfectantes - trop souvent jetées dans les toilettes –
perturbent quant à eux le fonctionnement des canalisations et des stations d'épuration depuis
quelques semaines. A noter que les déchets potentiellement contaminés (masques, gants,
mouchoirs usagés...) ne sont pas voués à être recyclés afin de limiter le risque d'exposition des
éboueurs et des employés des centres de tri, et doivent donc être, selon les consignes du
ministère de la Santé, déposés dans les poubelles vertes dans des sacs fermés.

Le plastique, c'est hygiénique ?

Au-delà du domaine médical, où les conditions sanitaires les plus strictes s'imposent et où le
plastique est difficilement substituable, l'argument hygiéniste a repris du galon. Dans un
communiqué, Elipso affirme que « l'emballage garantit un effet barrière, c'est la première
protection des produits. La préservation des conditions sanitaires est aujourd'hui encore plus
qu'hier primordiale ». Même rhétorique dans le courrier d'EuPC (le lobby des transformateurs
européens de plastique) adressé à la Commission européenne le 8 avril, dans lequel il souhaite
« attirer l'attention sur les bénéfices des produits en plastique, en particulier ceux à usage
unique durant ces temps difficiles», et lui demande de «reporter d'au moins un an la mise en
œuvre au niveau national de la directive SUP [sur les plastiques à usage unique, ndlr] et de
lever toutes les interdictions sur certains objets en plastique à usage unique». Une requête à
laquelle la Commission a opposé une fin de non-recevoir, arguant que « les gestes d'hygiène
devraient être appliqués à tous types de produits », et que « la directive SUP inclut déjà des
exceptions pour les fournitures médicales ».

Pour Laura Chatel, responsable du plaidoyer de Zero Waste France, « ces stratégies de
lobbying ont pour objectif de changer la perception du consommateur de l'emballage
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https://www.liberation.fr/terre/2020/04/23/le-plastique-triste-gagnant-de-la-crise-sanitaire_1785941
plastique pour en donner une image plus positive. Mais l'argument [hygiéniste] n'a rien de
nouveau et il ne nous a pas empêchés de développer des alternatives ». Cette crise sanitaire
interroge selon elle la question du tout-jetable : « L'usage unique est très associé à l'hygiène,
mais on a peut-être été un peu trop loin dans cette logique-là, sans penser aux problèmes
d'approvisionnement en cas de crise mondiale, ou de gestion de ces déchets. » « Des
équipements produits plus localement, réutilisables, couplés à une infrastructure de lavage et
de stérilisation bien développée à l'échelle du territoire auraient-ils permis de pallier plus
efficacement les pénuries ? » se demande-telle dans un article publié sur le site de
l'association.

Le recyclage au ralenti

La réduction des déchets s'impose aujourd'hui d'autant plus que leur gestion est aujourd'hui
perturbée à l'échelle mondiale. « La situation est extrêmement tendue, admet Arnaud Brunet,
directeur général du Bureau international du recyclage (BIR), qui évoque un ralentissement
sérieux de l'industrie du recyclage dans le monde, des difficultés économiques, des problèmes
d'approvisionnement et de livraison. » Avec toutefois des variations importantes à travers la
planète : « Notre industrie n'est pas considérée comme une activité essentielle partout dans le
monde. Il y a des pays où nos industriels continuent à travailler et d'autres où ils sont soumis
aux restrictions du confinement. » En Inde, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est, les
opérations de recyclage ont ainsi été mises en pause, selon Adina Renee Adler de l'Isri,
l'association des industriels américains de recyclage.

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