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LES GÉOGRAPHES FRANÇAIS ET LA TROPICALITÉ, À PROPOS DE L'ASIE

DES MOUSSONS

Michel Bruneau

Belin | « L’Espace géographique »

2006/3 Tome 35 | pages 193 à 207


ISSN 0046-2497
ISBN 2701143251
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2006-3-page-193.htm
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EG
Tropicalité
2006-3
p. 193-207

Les géographes français


et la tropicalité, à propos
de l’Asie des moussons

Michel Bruneau
CNRS UMR MITI
MSHA, 10 e0splanade des Antilles
33607 Pessac cedex
michel.bruneau@msha.fr
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RÉSUMÉ.— La géographie coloniale, ABSTRACT.— French geographers and a colonisation française en Asie
devenue tropicale au moment de
la décolonisation, a eu besoin de plusieurs
tropicality with respect to Monsoon Asia.—
Colonial geography, which became tropical
L s’est trouvée confrontée à la
décennies pour relativiser l’influence geography after decolonisation, has taken nécessité de gérer et de moder-
du milieu écologique de l’Asie several decades to put the effect of natural niser des territoires et des sociétés
des moussons sur les sociétés. Elle reste environment on Monsoon Asia’s societies qui ne lui étaient pas familiers.
implicite chez certains géographes critiques into perspective. It is still implicit for
des politiques de développement geographers who criticize development and
Elle a dû pour cela constituer des
et d’environnement imposées aux « sociétés environmental politics imposed on savoirs scientifiques. Le climat tro-
du Sud ». Une approche systémique a the South by the North. A systemic pical et les formations végétales, le
permis de donner aux trames spatiales approach gives spatial systems phénomène de la mousson et la
géo-historique, démographique, (geo-historical, demographic, industrial and
industrielle et urbaine un poids analogue urban) the same importance as the
forêt dense en particulier, appa-
à celui de ce milieu. La tropicalité, qui a trop environment. Tropicality, which for too long raissaient comme étranges et diffi-
longtemps fonctionné comme l’expression expressed a radical otherness in scientific ciles, de même que les maladies
d’une altérité radicale pour des savoirs knowledge developed in Western Europe,
tropicales caractéristiques de ce
scientifiques nés en Europe occidentale, has been epistemologically stronger and
a été davantage institutionnalisée dans more institutionalised in French-language
milieu. Les très fortes densités des
la géographie francophone qu’anglophone. geography than in English-language populations rurales étaient égale-
geography. ment inconnues en Europe, de
CIVILISATIONS, COLONISATION,
ÉPISTÉMOLOGIE, SYSTÈMES, CIVILISATION, COLONIZATION,
même que la riziculture irriguée
TROPICALITÉ EPISTEMOLOGY, SYSTEMS, qui leur était associée, ainsi que la
TROPICALITY pauvreté et les famines récur-
rentes. Enfin les cultures, surtout

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2006-3
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les grandes civilisations de l’Inde et de la Chine, ont très tôt impressionné. C’est cet
ensemble de thèmes majeurs des sociétés et milieux asiatiques qui se sont imposés
comme autant de défis matériels et intellectuels aux colonisateurs. La principale porte
d’entrée, la zone de contact privilégiée pour les Français, a été l’Indochine, même s’ils
ont été présents également en Inde et en Chine. La construction de savoirs scientifiques
sur les territoires de l’Indochine française a été indissociable du processus de colonisa-
tion, si bien qu’on a parlé à juste titre de sciences coloniales.
On pourra dans un premier temps retracer les étapes de la connaissance géo-
graphique française de l’Asie dans un contexte colonial, en analysant plus particulière-
ment le rôle qu’y jouent l’étude et les représentations du milieu tropical, de la tropicalité,
dans les savoirs géographiques produits par les acteurs de la colonisation, explorateurs,
militaires, administrateurs, et par le milieu académique (Géographies universelles et thèses).
Dans un second temps, on montrera comment la géographie francophone post-
coloniale (d’après la Seconde Guerre mondiale) a poursuivi et développé l’approche tro-
picaliste de Pierre Gourou, y compris en dénonçant la perpétuation de représentations
issues de la géographie coloniale dans les politiques de coopération et de développement
d’organismes internationaux ou des États post-coloniaux. Comment, par ailleurs, le pas-
sage du paradigme civilisationnel de la géographie tropicale classique à un paradigme sys-
témiste et modélisateur marque un tournant épistémologique dans la façon de traiter la
tropicalité, qui passe d’une position centrale à une position décentrée dans la production
géographique.
On ne cherchera pas à faire un bilan exhaustif de ces différentes approches, mais on
choisira plutôt d’analyser quelques-unes des contributions, les plus significatives à nos
1. Une version plus longue
de ce texte a été présentée yeux, pour caractériser chacun des courants scientifiques de cette géographie franco-
au colloque « Tropicality : phone de l’«Asie des moussons»1.
British and French Post-
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colonial Perspectives »
organisé à l’université de
Saint-Andrews (Écosse) La géographie des acteurs de la colonisation
par Dan Clayton
et Gavin Bowd, les 12- La « géographie in situ » selon Frédéric Thomas (2003), celle des acteurs de la coloni-
13 septembre 2003. sation, est une production multiforme impossible à définir très précisément dans ses
Elle a été publiée dans le
Journal of Tropical contours2. Les sociétés de géographie, en particulier celle de Hanoï, des périodiques
Geography de Singapour, comme la Revue Indochinoise, le Tour du Monde, les grandes missions scientifiques
vol. 26, no 3, 2005.
Le texte de cet article
organisées par l’administration coloniale, telles que la Mission Pavie (1879-1895),
développe une approche publiée entre 1900 et 1903, sont les principaux vecteurs de cette production. Les
plus épistémologique explorateurs sont en majorité des militaires et médecins militaires œuvrant pour la
qu’historique.
colonisation. Ils se veulent autant ethnographes que naturalistes, et plus particulière-
2. La thèse de Frédéric
Thomas, La Construction ment botanistes. L’objectif de leurs expéditions était autant de surveiller l’ennemi sur
d’un objet scientifique les hauts plateaux, que de rechercher localement des alliances, de favoriser la pré-
tropical : forêts et bois
coloniaux d’Indochine, sence de Vietnamiens comme auxiliaires de la colonisation, ou de produire des
soutenue en 2003, permet connaissances scientifiques. Un savoir s’est ainsi constitué par « ampliation » d’obser-
de mieux comprendre
l’élaboration de
vations, de discours et de commentaires sur la forêt, qui, malgré leur diversité,
connaissances concourent à présenter l’image d’un hinterland forestier quasiment vierge, recouvrant
« scientifiques » sur les hauts plateaux de forêts denses, alors que nombre d’entre eux notent une forte
ces milieux naturels
et humains des forêts anthropisation de ce milieu et une dégradation du couvert végétal. Cette « naturalisa-
indochinoises à l’époque tion » des espaces colonisés s’applique également à l’Homme. Les populations mon-
coloniale (1860-1940).
Voir aussi F. Thomas tagnardes sont dénommées par les explorateurs : Moï, Kha ou Phnong, ce qui signifie
(2004). « barbare » ou « sauvage » ou bien « esclave » dans les langues des nations dominantes

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des basses terres (en vietnamien, laotien ou khmer). La forêt, le milieu forestier,
expliquerait l’état social, politique ou moral de ces populations. L’intimité entre
l’Homme et la forêt ferait le « sauvage », le Moï, tant dans ses qualités que dans ses
défauts. La condamnation des systèmes de cultures reposant sur la défriche-brûlis (le
ray) est unanime chez ces explorateurs qui, outre le caractère itinérant des parcelles
cultivées, s’indignent de ce procédé qui livre aux flammes un capital naturel forestier
d’une grande richesse. On constate l’existence d’un saut qualitatif entre les récits
plus ou moins héroïques et idéologiques des divers explorateurs et la somme ency-
clopédique de la Mission Pavie, qui relève d’une géographie humboldtienne et
respecte les normes scientifiques de son époque. Cette géographie in situ n’est donc
pas nécessairement moins « scientifique » que la géographie académique qui puise une
grande partie de ses matériaux en son sein. C’est la collusion entre motivations
scientifiques et finalités politiques ou économiques (de colonisation) qui définit et
différencie le mieux cette géographie in situ. Il y a dans la Mission Pavie, comme l’a
bien montré F. Thomas (2003, p. 136) une imbrication entre observations scienti-
fiques, pouvoir, colonisation et méthodes de conquête, Pavie lui-même alliant le
savant, l’explorateur, le naturaliste, l’homme de lettres et le colonisateur. Il est « un
parfait trait d’union entre une géographie par les récits d’exploration et une géographie
qui voudrait se penser rationnelle et scientifique » (Thomas, 2003, p. 133).

La géographie académique des Géographies universelles


Cette géographie académique a un projet disciplinaire mieux défini et identifiable
que la géographie in situ foisonnante et beaucoup plus hétérogène. Si la Géographie
universelle de Malte-Brun (1810-1826) s’est nourrie de sources antérieures, plus
anciennes (les récits des voyageurs du XVIIIe et même du XVIIe siècle), elle a joué sur-
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tout un rôle en fournissant aux explorateurs du XIXe siècle des représentations, on
peut même dire des clichés, qui ont influencé le regard qu’ils ont porté par la suite
sur les milieux traversés. On peut résumer cette influence par le présupposé persis-
tant d’une association entre montagne, forêt, noirceur de peau et sauvagerie.
Le volume consacré à l’Inde et à l’Indochine de la Nouvelle Géographie universelle
d’Élisée Reclus (1884) s’est largement appuyé sur les publications de la géographie
in situ, mais aussi sur un savoir de naturalistes et de botanistes qui se manifeste en
cette fin du XIXe siècle, en particulier par la publication de différentes flores. La natu-
ralisation des espaces étudiés s’en trouve renforcée avec la systématisation de l’asso-
ciation des expressions de plaine civilisée et de forêt sauvage.
La géographie académique s’épanouit cinquante ans plus tard avec la publica-
tion en 1929 des deux tomes sur l’Asie des moussons de Jules Sion dans la Géographie
universelle dirigée par Paul Vidal de La Blache et Lucien Gallois. Elle fait une large
place à l’étude des milieux naturels et des rapports hommes-milieux en utilisant le
concept de « genre de vie ». Jules Sion recourt encore plus que Élisée Reclus aux
savoirs de la botanique, de l’écologie et de l’agronomie pour étayer du côté des
sciences naturelles les informations qu’il retire des travaux de la géographie in situ. Il
présente le milieu écologique en tant que tel dans sa dynamique liée aux impacts de
l’action des peuples forestiers et secondairement des Européens. Le déterminisme et
le « racisme climatique » sont constamment sous-jacents dans le discours que tient
Jules Sion sur les forêts et les genres de vie des populations forestières.

195 Michel Bruneau


Le concept de « genre de vie » de Vidal de La Blache permet en principe de sur-
monter l’écueil du déterminisme, car les données naturelles d’un milieu particulier ne
sont que des contraintes plaçant les hommes devant des choix, un même milieu pou-
vant produire des genres de vie différents. Jules Sion se place dans une perspective
évolutionniste, distinguant sept genres de vie différents dans ce milieu de l’Asie des
moussons. Ils se distinguent sur une échelle ascendante de niveaux de civilisation qui
sont définis par leur efficacité et capacité nourricière, allant des chasseurs-cueilleurs et
pêcheurs des forêts et mangroves marginales, « mulâtres », aux agriculteurs sédentaires
de la riziculture irriguée des plaines et deltas pouvant nourrir de très fortes densités de
populations, « jaunes ». On observe dans ce cas une collusion des paradigmes racistes
et évolutionnistes dans la notion de genre de vie. Le même J. Sion a créé la notion
d’« Asie des Moussons », privilégiant l’approche des sociétés asiatiques par le milieu
naturel qu’elles occupent. Celui-ci est présenté comme très favorable à de fortes den-
sités de population et à l’épanouissement de civilisations supérieures à cause de ses
vastes plaines alluviales et de son climat : « c’est surtout le climat qui fait l’unité de ce
domaine comme milieu physique et qui lui assure une éminente supériorité sur les
autres régions de la périphérie de l’Asie » (Sion, 1929, p. 511). Les civilisations sont
présentées comme l’autre facteur décisif pour expliquer la géographie de cette partie
du continent asiatique. C’est la combinaison de ces trois facteurs invariants à l’échelle
historique, moussons, plaines alluviales, civilisations millénaires, dont la riziculture
irriguée est un élément essentiel, qui font l’Asie des moussons, caractérisée par de très
fortes densités de population. La création de cette notion à référent climatique est une
autre manifestation de la naturalisation de ces espaces par la géographie humaine de
la période coloniale.
Cette géographie académique, qui s’appuie toujours sur les productions de la géo-
graphie in situ des explorateurs pour l’étude des populations et des sociétés a recours,
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en outre, aux seuls travaux scientifiques disponibles alors, qui se situent dans le champ
des sciences naturelles. Ceci ne peut que renforcer la tendance à mettre le milieu
naturel au premier plan de la description géographique et à conférer à cette approche
un caractère essentialiste.

Le discours de la géographie régionale vidalienne,


le concept de « genre de vie » : Charles Robequain
Avec les thèses de Charles Robequain et Pierre Gourou, on passe à une approche diffé-
rente, celle des grandes monographies régionales qui s’appuient sur des enquêtes de ter-
rain approfondies. En quoi cela va-t-il modifier l’approche de cette géographie humaine
de l’époque coloniale3 ?
3. La thèse de
Charles Robequain a largement utilisé dans son étude régionale du Tanh Hoa
Dany Bréelle, une approche vidalienne par les milieux et les régions naturelles. Il oppose d’abord le
The regional discourse of delta et l’arrière-pays montagneux. Il étudie les relations entre les milieux naturels et
French Geography in
the context of Indochina: les populations qui y vivent, différenciant les unités morpho-structurales dans la
the theses of partie montagneuse. Le concept vidalien de « genre de vie » lui sert à décrire les tech-
Charles Robequain and
Pierre Gourou, soutenue niques que chaque groupe met en œuvre pour satisfaire ses besoins en exploitant le
en 2002 à Adelaïde milieu qu’il occupe. Il considère que ces techniques sont le fruit d’une adaptation et
(Australie), a comparé
ces deux ouvrages
d’une réaction à chacun des milieux, ou régions naturelles, dans lesquels vit chacun
classiques. de ces groupes ethniques ; elles permettent de rendre compte de la densité de ces

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populations. Un genre de vie peut être considéré comme la façon dont une société
répond aux contraintes du milieu naturel et établit une relation harmonieuse avec
celui-ci.
Charles Robequain a peut-être surmonté cette vision fortement teintée de détermi-
nisme en utilisant la notion de « civilisation », qui élargit l’analyse des genres de vie aux
coutumes, traditions, images et symboles du monde transmis par les générations succes-
sives. Elle est caractérisée par une plus ou moins grande maîtrise des milieux en fonc-
tion du niveau des techniques, mais il la situe dans une vision évolutionniste à travers la
métaphore du développement corporel d’un être humain. Les ethnies montagnardes
sont encore dans l’enfance, alors que celles des basses terres sont adultes, et même
supérieures dans le cas des Annamites et, a fortiori, dans celui des colonisateurs français,
qui sont au sommet de la hiérarchie. Les techniques agricoles jouent un rôle détermi-
nant dans la classification qu’il fait des sociétés indochinoises. Les cultures itinérantes et
d’abattis-brûlis sont systématiquement dévalorisées, comme appartenant à des civilisa-
tions archaïques et primitives, alors que la riziculture irriguée est perçue comme beau-
coup plus proche de la rationalité de la civilisation moderne occidentale. L’approche
évolutionniste et environnementaliste de Charles Robequain donne au milieu naturel un
rôle prépondérant par rapport aux structures sociales et culturelles, davantage prises en
compte par Pierre Gourou. Il conçoit le Tanh Hoa comme un ensemble de petites
régions naturelles à chacune desquelles correspond un genre de vie, alors que
Pierre Gourou présente le delta du fleuve Rouge comme un milieu totalement remodelé
par l’homme, c’est-à-dire par la civilisation paysanne annamite.
Cette importance donnée au milieu naturel chez Charles Robequain correspond en
partie aux orientations de la géographie coloniale fondée par Marcel Dubois (1894) en
vue de la mise en valeur et du développement des territoires colonisés. Il se situe explici-
tement dans une idéologie colonialiste de la modernisation et du progrès apportés par la
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France en Indochine, dominante dans les années 1920 qui correspondent à un « âge d’or»
du colonialisme français. Cependant, Charles Robequain est moins résolument moder-
niste et aménagiste que Marcel Dubois, car il veut intégrer la vision régionale d’inspira-
tion vidalienne. Cette dernière va s’épanouir dans la géographie tropicale qui «ne sera pas
l’héritière de la géographie coloniale, mais une géographie vidalienne des colonies »
(Soubeyran, 1994, p. 212).

Le passage de la géographie coloniale


à la géographie tropicale : Pierre Gourou
Avec Pierre Gourou, qui a rédigé sa thèse quelques années plus tard seulement, dans les
années 1930, la perspective et l’angle de vue changent, même si le contexte colonial
demeure. Or celui-ci est affecté par la crise mondiale et les premières manifestations
d’une opposition des Annamites à la colonisation. Pierre Gourou a refusé le moindre
rapport de causalité entre le milieu naturel et les sociétés en récusant le concept de
« genre de vie ». Il a également pris ses distances avec le possibilisme vidalien, qui consi-
dère que l’homme-agent géographique fait un choix volontaire et libre entre diverses
possibilités offertes par la nature, pour adopter une approche culturaliste, à partir d’une
analyse des paysages humanisés et des densités de population. Les techniques agricoles,
les structures sociales et culturelles des communautés villageoises annamites du delta du
fleuve Rouge sont les facteurs déterminants permettant d’expliquer les paysages et la

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répartition des densités de population. La notion de « civilisation paysanne » (Gourou,
1936, p. 575-578), qui regroupe ces facteurs explicatifs à la fin de la thèse, se présente
comme un ensemble de contraintes qui exclut une approche possibiliste. Pierre Gourou
n’est donc pas vidalien dans le sens strict du terme. Il manifeste une grande sympathie,
même une admiration pour cette civilisation annamite, et considère que les Annamites
disposent « d’une supériorité sensible sur les autres populations indochinoises », parce
qu’ils ont adopté la civilisation chinoise avec ses techniques intensives de mise en valeur
des milieux de plaines alluviales.
Contrairement à la géographie active à connotation naturaliste de Charles Robe-
quain, engagée dans la société coloniale, la géographie humaine de Pierre Gourou se
veut beaucoup plus distanciée par rapport à la colonisation, à laquelle il ne se réfère
jamais directement dans sa thèse. Il préfère mettre en valeur la singularité et la beauté
des paysages du delta par rapport à l’Europe, en insistant sur leur côté exotique et la
menace que fait peser sur eux la modernité occidentale, qui risque de rompre un équi-
libre rendant la misère supportable à cette population paysanne (Bowd, Clayton, 2003,
p. 158-163). Il a adopté une méthodologie mettant davantage l’accent sur les aspects
socioculturels qu’économiques ou politiques, et une attitude humaniste, en empathie
avec la culture de la population étudiée. Pierre Gourou avait établi un dialogue fécond
avec les chercheurs vietnamiens, sans toutefois atteindre un niveau de compréhension
lui permettant d’accéder de l’intérieur à la vision vietnamienne du monde, dans le
fengshui (géomancie) par exemple. Sa géographie est une analyse des paysages huma-
nisés, qu’il relie au milieu naturel qui est leur support. La configuration actuelle de ces
paysages n’est pas directement déterminée par ce milieu, comme beaucoup à diverses
époques l’ont affirmé, mais résulte de l’interposition d’un troisième terme, la civilisa-
tion. Dans « la civilisation du végétal », il définit la civilisation comme « d’abord
l’ensemble des techniques d’exploitation de la nature, et, dans une moindre mesure, la
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plus ou moins grande aptitude à l’organisation de l’espace » (Gourou, 1948, p. 227).
Malgré sa vision culturaliste de la géographie humaine, affirmée dans sa thèse et
développée plus tard dans tous ses ouvrages, Pierre Gourou «invente» la géographie tro-
picale dans la première édition de Les Pays tropicaux (Gourou, 1947) et dans sa leçon
inaugurale au Collège de France (1949), qui donnent une vision très pessimiste et encore
très fortement teintée de naturalisme du « monde tropical ». Il élabore une sorte de
modèle de ces régions chaudes et pluvieuses, caractérisées par de faibles ou même très
faibles densités de population.
Dans un tel milieu naturel, où l’homme est affaibli par les endémies et cultive des
sols très peu fertiles et fragiles, aucune «civilisation supérieure», c’est-à-dire capable de
fixer durablement de fortes densités de population sur de grands espaces, n’a pu se
former. Une seule exception, la civilisation maya, localisée dans une région chaude et
humide; cependant elle n’a pas survécu à la ruine des sols entraînée par le raccour-
cissement des jachères de son agriculture sur brûlis (milpa) provoqué par un accrois-
sement démographique. L’Asie tropicale est l’exception qui confirme la règle, car les
deux «civilisations supérieures» qui ont permis à des populations nombreuses de s’y fixer
sont nées dans des contrées extra-tropicales, en Inde où les apports aryens ont joué un
rôle décisif et en Chine, où n’existe aucune discontinuité entre milieu tempéré et tropical.
C’est ainsi que Pierre Gourou (1947, p. 136) parle des «pays tropicaux typiques, c’est-à-
dire peu peuplés et de civilisation arriérée», par opposition à ces pays dotés d’une «civili-
sation supérieure».

© L’Espace géographique 198


S’il refuse toute forme de déterminisme climatique sur les hommes, les
contraintes du milieu lui apparaissent comme très fortes : « Comparées aux pays tem-
pérés, les régions tropicales sont frappées d’un certain nombre d’infériorités […] : ces
climats permettent le développement d’une riche collection de maladies infectieuses
qui font le milieu tropical moins humain que les latitudes tempérées » (Gourou,
1947, p. 173). Cette vision des tropiques très pessimiste en matière de développe-
ment se résume dans cette affirmation de la première édition des Pays tropicaux : « Le
relèvement du niveau de vie des populations tropicales posera donc de très grands
problèmes ; peut-être en soulèvera-t-il beaucoup plus qu’il n’en résoudra. À la racine
de toutes ces difficultés ne faut-il pas finalement trouver la pauvreté des sols tropi-
caux qui ne permet pas à ceux qui les exploitent d’atteindre au même niveau de vie
que les agriculteurs de la zone tempérée ? » (Gourou, 1947, p. 181).
Le pessimisme de Pierre Gourou des années 1940, déjà sensiblement atténué
dans l’édition refondue des Pays tropicaux en 1966, s’est mué en un optimisme pon-
déré dans les années 1980, notamment dans Terres de bonne espérance : le monde tro-
pical. Contrairement aux ambitions globalisantes d’une géographie zonale, il
circonscrit alors son champ scientifique à une « écologie humaine » et à une analyse
géographique du développement agricole. L’industrialisation et l’urbanisation ne
sont évoquées que dans leurs relations avec l’agriculture et jamais étudiées en elles-
mêmes. Il peut être remédié au « retard agricole tropical », thème central du livre, en
utilisant les avantages du milieu tropical (chaleur continue, abondance des eaux de
pluie et d’écoulement, richesse et variété des espèces) à l’aide de bonnes « techniques
d’encadrement ». Pierre Gourou bannit désormais de son vocabulaire l’expression
d’infériorité qu’il utilisait en 1947 en comparant monde tropical et monde tempéré.
Si Pierre Gourou est resté fidèle tout au long de son œuvre à la notion de « monde
tropical » qu’il avait dès 1947 contribué à systématiser, il a fait évoluer cette notion en
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prenant en compte les progrès des connaissances scientifiques sur le milieu tropical et
les hommes qui y vivent. Il a restreint son domaine d’application à l’agriculture et aux
activités qui lui sont liées. Il a multiplié les comparaisons à l’intérieur de ce monde en
prenant comme terme de comparaison les diverses civilisations caractéristiques des
sociétés qui le peuplent. La tropicalité, selon Pierre Gourou, même si son contenu a
beaucoup évolué et si son champ d’application s’est restreint, reste une catégorie à
part, séparée du monde tempéré ou occidental moderne. Elle a été marquée par la
domination coloniale de cet Occident. C’est ce que remarque Charles Robequain
(1955, p. 69), recevant Pierre Gourou à l’Académie des sciences coloniales : « Comme
la zone tropicale a été la zone coloniale par excellence, vous êtes amené à doser les
erreurs et les bienfaits de la colonisation européenne ». Mais ne se référant que très
brièvement au colonialisme et à ses effets sur les sociétés concernées, son ouvrage Les
Pays tropicaux (1947) a été perçu par un militant anticolonialiste tel qu’Aimé Césaire
comme substituant une « malédiction géographique », la tropicalité, à l’exploitation
colonialiste et à ses ravages. Aucune grande civilisation n’étant née sous les tropiques,
selon Pierre Gourou (1947), il ne fallait pas attendre un progrès significatif de l’action
des populations elles-mêmes mais plutôt de celle de la science et de l’expertise prove-
nant du monde occidental tempéré. P. Gourou était donc qualifié, malgré sa bonne foi
subjective, de « chien de garde du colonialisme » et sa « géographie impure et combien
séculière ! » (Césaire, 1989, p. 32 et 36). Pour des géographes britanniques se réclamant
du post-colonialisme, « Pierre Gourou a élaboré un orientalisme tropical – un discours

199 Michel Bruneau


géographique et à maints égards colonialiste qui s’est focalisé sur les rapports fonda-
mentaux et durables entre les populations tropicales et leurs milieux » (Bowd, Clayton,
2005, p. 38).

La géographie tropicale a-t-elle été une spécificité française ?


Le rapport de la géographie britannique à la « tropicalité » a été sensiblement différent
de celui de la géographie française. Elle a pourtant aussi utilisé le terme de « géographie
tropicale », jusqu’à en faire le titre d’un périodique internationalement très reconnu : le
Malayan Journal of Tropical Geography publié à Singapour à partir de 1953, nommé
ensuite de 1958 à 1979 Journal of Tropical Geography. F. Driver et S.A.Y Brenda (2000,
p. 2) disent que ce terme a été utilisé dans les versions successives de ce périodique
pendant une cinquantaine d’années sans susciter de véritable questionnement ou
débat. La définition qu’en avait donnée J.B. Ooi en 1959 avait été empruntée au livre
de Pierre Gourou The Tropical World, dont la traduction anglaise datait précisément de
1953. Les anglophones ont longtemps fait de la géographie tropicale comme ils ont fait
de la médecine tropicale, de l’agronomie ou de l’écologie tropicale, sans donner une
signification épistémologique particulière à cet adjectif. Ce n’est que très récemment,
en 2000, que le Singapore Journal of Tropical Geography a lancé une réflexion critique sur
la tropicalité dans les sciences coloniales, en s’appuyant sur les approches postmodernes
et postcoloniales, dans la lignée du livre d’Edward Saïd, Orientalism (1978).
David Arnold (2000, p. 6-18), l’un des initiateurs de ce projet, a pris le livre de
Pierre Gourou (1947) comme le texte emblématique ayant élaboré une représentation
du monde tropical comme « autre », doté d’infériorités notables par rapport au monde
tempéré, siège des civilisations supérieures.
En France, par contre, la création d’une chaire d’« Étude du monde tropical (géo-
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graphie physique et humaine) » au Collège de France (1947) pour Pierre Gourou, son
enseignement qui a duré jusqu’en 1970, la création d’une section de géographie à
l’ORSTOM, celle du Centre d’études de géographie tropicale, laboratoire propre du
CNRS à Bordeaux (1968-1992), ont institutionnalisé une véritable branche disciplinaire
au sein de la géographie. La renommée de Pierre Gourou, la qualité de ses travaux et
l’exceptionnelle longévité de son œuvre scientifique ont profondément influencé ce
4. Dans « Mon orientation champ de recherches dans le monde francophone, suivant ses propos de la première édi-
tropicaliste », tion des Pays tropicaux: «Les pays chauds et pluvieux ont leur propre géographie physique
Pierre Gourou (1989) dit
clairement et leur géographie humaine originale» (1947, p. 1), qu’il a bien nuancés par la suite4.
qu’il n’y a pas Le paradigme issu des travaux de P. Gourou et de ses élèves était devenu de fait
une géographie tropicale
mais une géographie dominant dans la géographie dite tropicale à partir des années 1960. Cependant, en
des pays tropicaux, 1978, Rodolphe De Koninck publiait dans les Cahiers de Géographie du Québec un
utilisant les mêmes
méthodes que
numéro spécial, «Le matérialisme historique en géographie», dans lequel Michel Bruneau
la géographie humaine en présentait une étude des transformations de l’espace du Nord de la Thaïlande en relation
général, et que l’utilisation avec la pénétration du capitalisme marchand. L’accroissement des inégalités sociales et
de ce terme traduit
simplement l’intérêt spatiales était analysé à plusieurs échelles, en particulier celle des systèmes ruraux, à
scientifique partir d’enquêtes qualitatives et quantitatives dans des villages échantillons. Un peu plus
d’une comparaison entre
des phénomènes situés tard, un débat scientifique fut lancé à trois reprises, à l’initiative de Michel Bruneau et
dans des régions Georges Courade sur «Géographie tropicale-géographie du Tiers-Monde» dans l’Espace
ou des pays relevant
d’un même milieu
géographique (1984, p. 4 et 13), puis de M. Bruneau et D. Dory sur Les Enjeux de la tropi-
biophysique. calité dans la discipline géographique (1989) et sur les Géographies des colonisations (1994). Il

© L’Espace géographique 200


fut remarqué que l’accent mis sur les études de cas portant sur des paysanneries prises
dans leur ensemble, sans étudier leurs différenciations internes, avait amené cette géo-
graphie tropicale à privilégier les échelles locales plus que nationales. Les rapports de
production et le rôle de l’État y étaient trop souvent passés sous silence. Certains
(Bruneau, Courade, 1984, p. 314-316 et 332-337) ont opposé une « géographie du
Tiers Monde » d’inspiration marxienne à une « géographie tropicale » influencée par
l’idéologie du capitalisme libéral, en faisant varier le cadre spatial et les thématiques
centrales.
La géographie tropicale apparaissait ainsi, de plus en plus, comme une étape
dans l’histoire de la discipline entre une géographie coloniale tournée vers l’aména-
gement, la mise en valeur des territoires, et une géographie du développement qui,
dans le contexte post-colonial, a repris des perspectives analogues. La géographie
tropicale quant à elle se voulait plus distanciée, à l’échelle des temps longs des civili-
sations, plus « scientifique », moins engagée dans l’action. Le concept de « civilisation »
développé par Pierre Gourou avait un pouvoir évocateur, mais sans validité théorique
réelle (Dory, 1989). En refusant d’intégrer les « encadrements » dans une analyse
sociale, en enfermant les rapports sociaux de production dans une boîte noire, la
géographie tropicale de Pierre Gourou restait délibérément à un niveau descriptif
sans prise sur le réel.
Les géographes britanniques R.W. Steel (1964), B.W. Hodder (1968), H.R. Jarrett
(1977) ont abandonné beaucoup plus tôt que P. Gourou et ses élèves l’idée d’une spé-
cificité tropicaliste de la géographie humaine ou celle « d’un développement ‘tropical’,
qui serait distinct de toute autre sorte de développement » (Hodder, 1968, p. 231). Ils
se sont plus tôt affranchis de la vision pessimiste des tropiques pour s’orienter vers des
approches inspirées par l’économie et la sociologie du développement (Farmer, 1984).
Pour eux le terme de « géographie tropicale » n’a été très tôt qu’une étiquette commode
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signalant la localisation géographique de leurs travaux. Pour les Français, par contre, il
y a eu pendant longtemps (jusque dans les années 1980 pour certains) une ambiguïté
sur le statut épistémologique de cette branche de la géographie appelée « géographie
tropicale », entretenue par son institutionnalisation tardive. La géographie tropicale ne
ferait-elle pas partie de « l’exception culturelle française » ?

La « nouvelle géographie tropicale » post-coloniale


Des géographes, héritiers de cette géographie tropicale, mais ne s’en revendiquant pas car
préférant parler de «pays du Sud», ont réévalué le rôle joué par les milieux tropicaux et
les paysanneries, tel qu’il avait été vu par la géographie coloniale et tropicale, en prenant
en compte les apports des ethnosciences. En effet, les savoirs et les pratiques des paysan-
neries locales modèlent en grande partie les paysages, dont l’interprétation et la compré-
hension par les explorateurs et géographes coloniaux avaient été souvent erronées.
Prenons avec Georges Rossi (2000, p. 143-177) l’exemple des forêts tropicales et de
l’agriculture sur brûlis. Il se veut l’initiateur d’une géographie critique.
G. Rossi oppose l’approche occidentale de la nature et des milieux biophysiques,
l’écologie du « Nord », dans laquelle prime une gestion rationnelle et uniforme des res-
sources naturelles, à celle radicalement différente des paysanneries tropicales, aux
« écologies du Sud », très diversifiées en fonction de leur profonde insertion dans les
milieux naturels locaux. Il remonte pour cela aux origines de l’écologisme et de

201 Michel Bruneau


l’approche développementaliste5, qui date de l’époque coloniale, mais qui s’est perpé-
tuée à travers les organismes de coopération et les politiques suivies par les États post-
coloniaux. Il débusque les présupposés idéologiques du système de pensée dominant,
moderne et occidental, dans lequel l’héritage judéo-chrétien pèse lourd (rejoignant en
cela A.G. Haudricourt, 1962) : le mythe de l’Éden et du bon sauvage en parfaite har-
monie avec son environnement, la notion de progrès technique et d’anthropisation
connotée négativement, le catastrophisme ainsi qu’un néo-malthusianisme toujours
sous-jacent.
Les forêts « vierges », « primaires », ont été perçues comme des états d’équilibre
naturel, lorsqu’il n’y avait pas d’intervention humaine (d’où la notion de climax), des
paradis d’une nature foncièrement bonne, alors que l’impact de l’homme est toujours
présenté comme négatif. G. Rossi a montré que ces clichés venant de la littérature des
explorateurs et des services coloniaux, mais aussi des premiers travaux de la géographie
coloniale, ont construit une « vérité », une « pensée unique », qui attribue tout le poids de
la déforestation aux essarteurs. Ces représentations erronées se sont transmises aux
administrations et aux classes urbaines des États indépendants qui ont succédé aux
colonies. Les travaux des ethnologues au Viêt-nam, au Laos et en Thaïlande ont montré
que les essarteurs, au contraire, étaient de véritables « paysans de la forêt » (Boulbet,
1975). Ils ont constitué des systèmes de cultures à jachère forestière qui non seulement
ne détruisent pas le couvert forestier, mais qui entretiennent la biodiversité. Les vérita-
bles causes de la déforestation sont la colonisation agricole de fronts pionniers, organisés
ou non par les États, qui amènent en montagne des populations des plaines sans terres,
qui n’ont pas les savoirs et savoir-faire des « paysans de la forêt ». L’exploitation mar-
chande des forêts et l’installation de plantations sylvicoles monospécifiques (eucalyptus,
acacias), sous couvert de conservation et de réhabilitation de l’environnement, de même
que diverses situations de conflits, sont aussi à l’origine de la déforestation.
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Cette géographie critique, qui se réfère au milieu tropical tel qu’il est interprété
et utilisé par les populations minoritaires des montagnes, se situe dans la lignée de
la géographie tropicale de Pierre Gourou, même si elle renouvelle son approche
scientifique, en prenant en compte les apports des ethnosciences et l’étude des sys-
tèmes agraires des agronomes. Elle se fonde, comme les travaux de Pierre Gourou,
5. Il s’agit « d’une vision
ethnocentrique
sur la comparaison d’études de cas à l’échelle locale, prises dans diverses régions
des sociétés humaines d’Afrique, d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine, dont le point commun est d’être
et des rapports de situées en milieu tropical, dans des paysanneries « traditionnelles » en évolution. Ces
l’Homme à la nature […]
que l’Occident, études de cas sont trop déconnectées des contextes culturel et socio-politique des
politiquement, États-nations d’où elles sont issues. Elles sont rapprochées artificiellement et com-
économiquement et
techniquement dominant, parées en tant que « sociétés traditionnelles », « du monde intertropical » ou « du
va répandre et imposer Sud ». Cette approche, qui souligne l’instabilité des écosystèmes et se réfère aux
dans le monde tropical au
travers de la colonisation
théories du chaos, stigmatise le modèle écologiste du développement durable, en
d’abord, puis montrant qu’il s’appuie sur la vision d’une nature stable et en équilibre des conser-
de la politique d’aide au vationnistes, tout à fait illusoire. Mais, comme la géographie tropicale de la seconde
développement des États
du Nord, des grandes moitié du XXe siècle, elle fait trop souvent abstraction de toute analyse sociale cri-
agences internationales tique des rapports entre pays dominants, ex-colonisateurs, et pays dominés, ex-
et des innombrables ONG
qui œuvrent dans colonisés, du capitalisme mondialisé triomphant.
le domaine de Les rapports post-coloniaux de domination et d’exploitation entre pays du Nord
l’environnement et du
développement » (Rossi,
et du Sud ne sont abordés que sous l’angle de la domination exercée par les classes
2000, p. 55). dirigeantes urbaines des États post-coloniaux sur les minorités ethniques, vivant dans

© L’Espace géographique 202


les milieux forestiers marginaux, à protéger pour qu’ils reviennent le plus près possible
d’un illusoire « état de nature ».
Le recours plus explicite à une approche systémiste et modélisatrice, non basée
sur un raisonnement linéaire, donnant un poids égal aux héritages de la géohistoire et
au milieu naturel, ainsi qu’à d’autres facteurs démographiques ou économiques,
aidera à sortir du face à face milieu naturel-société que la géographie tropicale avait
tendance à privilégier.

L’approche systémiste, modélisatrice,


et les pesanteurs de la géohistoire
François Durand-Dastès (1995) a développé, à propos de la géographie de l’Inde, une
approche théorique nouvelle des phénomènes de très fortes densités en Asie des
moussons en relation avec les milieux naturels humanisés. Partant de questions que
posait déjà Pierre Gourou sur la relation entre les fortes densités et la riziculture irri-
guée, il entend rompre avec la logique linéaire, la recherche à tout prix de la dernière
instance, du principe explicatif déterminant, qui était dominante en géographie. Il
veut lui substituer une « logique de l’interaction, base des raisonnements systémistes »,
en introduisant la notion de « boucle de rétroaction ». Il a décrit des systèmes dotés de
propriétés homéostatiques qui rendent compte de localisations jouissant d’une cer-
taine permanence comme le « système de la riziculture irriguée ». Ce dernier est carac-
térisé par « une rétroaction positive entre la riziculture et de fortes densités de
population : la riziculture fournit une grande quantité de calories à l’hectare (du
moins par rapport à d’autres systèmes de production ‘traditionnels’) et permet donc
un fort peuplement. En retour, cette forte densité de population permet la riziculture,
grosse consommatrice d’heures de travail » (Durand-Dastès, 1984, p. 23). Cette
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boucle de rétroaction positive, si elle agissait seule, entraînerait une croissance indé-
finie de la production de riz et de la densité de population. Il faut donc faire intervenir
en combinaison une boucle de rétroaction négative entre les ressources limitées en
sols et en eau, la production rizicole, la croissance de la population, qui se trouvent
d’autant limitées.
Le fonctionnement combiné de ces deux boucles n’est pas le seul à rendre compte
de la stabilité du système, mais interviennent aussi des structures matérialisées dans
l’espace, telles que les aménagements agraires existants (diguettes, digues, canaux d’irri-
gation, barrages, formes de l’habitat) qui contribuent fortement au maintien du sys-
tème. Des structures sociales, telles que la communauté villageoise dans le cas
vietnamien, vont également dans le même sens. Ce paysage humanisé, selon l’expres-
sion de Pierre Gourou, n’a pu être aménagé que parce que cette riziculture irriguée a
permis de dégager des surplus, rendant possible l’apparition de villes qui abritaient des
classes bureaucratiques et militaires, constitutives d’un appareil d’État relativement cen-
tralisé, lui-même capable de mobiliser la force de travail nécessaire à la constitution
d’aménagements lourds grâce auxquels la riziculture s’est développée. On est bien là en
présence d’une troisième boucle explicative des fortes densités de population. Cette
boucle permet également de comprendre pourquoi la concentration de techniques nou-
velles qu’est la révolution verte a mieux réussi en Asie qu’en Afrique tropicale. En effet,
elle s’adapte bien dans les régions où les besoins de terre sont forts, où l’intensification
de la riziculture est une nécessité en raison des fortes densités de population.

203 Michel Bruneau


Pourquoi la riziculture irriguée n’occupe-t-elle pas également toute la zone
intertropicale qui lui est écologiquement favorable, à condition que l’irrigation assure
une bonne régulation de l’eau face aux aléas de la pluviométrie ? Elle a en fait une
localisation privilégiée en Asie des moussons. Elle y est apparue au cours des premiers
siècles du premier millénaire avant J.-C., dans les plaines de Chine du Sud et dans la
péninsule indochinoise. Cet événement (la mise au point de la riziculture irriguée) est
localisé et localisant dans la mesure où il explique encore largement la répartition actuelle
du phénomène. Il a déclenché les interactions faisant fonctionner une boucle de rétroac-
tion positive, et engendré un système. «Le déclenchement d’une synergie entre des élé-
ments hétérogènes a une composante aléatoire nettement affirmée ou, si l’on préfère, le
hasard joue un rôle assez important, c’est ce qui explique la rareté de tels événements»
(Durand-Dastès, 1988, p. 209). Cet événement localisé-localisant est suivi d’une longue
période de diffusion spatiale qui obéit en grande partie aux contraintes du milieu (déter-
minisme) et à la distance par rapport au réseau des grandes voies de circulation. Ce phé-
nomène de diffusion est susceptible de prévisions et modélisations. L’association de ces
deux logiques, de l’évènement qui comporte une forte part d’aléatoire et de la diffusion
qui est plus facile à expliquer et prédire, rend compte de la prépondérance de l’Asie et
des irrégularités de la répartition à l’intérieur de cet espace.
« Le milieu tropical et subtropical fait donc figure, dans ces perspectives, de condi-
tion nécessaire, mais non suffisante, du développement de la riziculture et de l’aug-
mentation des densités » (Durand-Dastès, 1988, p. 210). Il comporte des probabilités
d’apparition d’un tel système, mais celle-ci dépend d’une part d’aléatoire certaine. Le
déterminisme non-mécaniste du milieu n’intervient que dans la diffusion.
François Durand-Dastès considère bien comme beaucoup d’autres géographes que
l’espace est un produit social, mais qu’il y a, en retour, une pesanteur de l’espace sur la
société. Cette interaction entre espace et société est au cœur de sa vision géographique:
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«La société fabrique son espace, mais elle se fabrique en même temps par l’intermédiaire
de son espace» (Durand-Dastès, 1986, p. 118). Ce sont les différentes mémoires, celles
du milieu naturel et des héritages des temps historiques longs et moins longs, qui pèsent
sur l’espace produit par la société. Le déterminisme physique mécaniste de la géographie
coloniale, critiqué et remis en cause par Pierre Gourou, est ici dépassé dans une
approche qui ne privilégie aucune relation linéaire, mais qui se base sur le système des
interactions de trames spatiales non hiérarchisées. Le déterminisme n’est pas nié mais
resitué dans un système complexe d’interactions dans lequel les probabilités et l’aléatoire
jouent un rôle non négligeable.

D’une tropicalité centrale à une tropicalité décentrée


La géographie coloniale puis tropicale francophone s’est développée assez tôt en Asie des
moussons et plus particulièrement dans ce qui s’est appelé, pendant la première moitié
du XXe siècle, l’Indochine française, fleuron de l’empire colonial de la IIIe République.
C’était le milieu naturel en lui-même, tel qu’il était étudié par les sciences de la nature,
qui devait être pris en compte, les peuples de la forêt étant vus comme des «sauvages
nonchalants». Un évolutionnisme et un déterminisme pas toujours avoué, étaient le pro-
duit d’un ethnocentrisme dominant jusque dans les années 1930, dans une société colo-
niale peu disposée à se remettre en cause et au sein de laquelle les sciences de la nature
s’étaient développées bien avant les sciences sociales.

© L’Espace géographique 204


Une première coupure épistémologique a été opérée par Pierre Gourou qui a rompu
avec le possibilisme et la notion de «genre de vie», pour mettre l’Homme et ses civilisa-
tions au centre de la géographie tropicale qu’il a fondée. Les temps longs et les structures
culturelles étaient privilégiés, aux dépens des rapports sociaux de production et des phé-
nomènes géopolitiques. Cependant, la prise en compte des résultats des ethnosciences à
la fin du XXe siècle a permis à ce qu’on pourrait appeler une «nouvelle géographie tropi-
cale» ou géographie des pays du «Sud» de prendre un point de vue critique sur les poli-
tiques de développement post-coloniales.
Une seconde coupure épistémologique intervient avec l’approche systémiste et
modélisatrice de la plupart des auteurs de la Géographie universelle (volumes sur
l’Asie du Sud-Est et le monde Indien) dirigée par R. Brunet, notamment
François Durand-Dastès. La tropicalité, le milieu tropical, n’est plus le milieu
naturel qui n’entretient aucune relation déterministe avec la société, mais une trame
spatiale qui interagit au même niveau que d’autres. Les boucles de rétroactions posi-
tives et négatives rendent compte de l’accentuation et de la perpétuation de systèmes
géographiques, qui comportent leur part d’aléatoire à l’origine, mais qui obéissent à
des contraintes du milieu dans la phase de leur diffusion.
Le face à face milieu naturel-sociétés, qui se trouvait au centre des problématiques
de la géographie tropicale classique, est dépassé en redonnant au milieu une place ana-
logue à celle d’autres facteurs humains d’explication des paysages et de l’espace. C’est
sans doute la fin de l’exception tropicale dans la géographie francophone, qui tendait à
enfermer l’Autre, l’Oriental ou le Tropical, dans une étrangeté, un exotisme, le distin-
guant radicalement de l’Occidental ou du tempéré, porteur de la normalité et d’une
supériorité scientifique et technique (Arnold, 2000).
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© L’Espace géographique 206


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