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Armand Colin

L'IMAGE ET L'IMAGINAIRE CHEZ MAURICE BLANCHOT


Author(s): Wang Lun-Yue
Source: Littérature, No. 97, LE RÉCIT MÉDUSÉ (FÉVRIER 1995), pp. 52-59
Published by: Armand Colin
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41713277 .
Accessed: 15/06/2014 17:27

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WangLun-Yue,Université
de Paris VIII

L'IMAGE ET L'IMAGINAIRE

CHEZ MAURICE BLANCHOT

Parmiles diversesdifficultés de la lecturede Blanchot,il en est


une, majeure,qui concerne le problème de l'image :
L'imagen'a rienà voiravec la signification,
le sens,telque l'implique
l'existence
du monde,l'effort la loi de la clartédu savoir.
de la réalité,
L'imaged'unobjetnonseulement n'estpaslesensdecetobjetetn'aidepas
à sa compréhension,maistendà l'ysoustraire en le maintenant dans
l'immobilité
d'uneressemblance quin'arienà quoiressembler 1.

L'imageainsi définieest non pas la représentation, la ressem-


blance de l'objet,mais plutôtla dissimulationou l'éloignementde
l'objet,si l'on utiliseles termespropresà Blanchot.L'imagenous
écartede l'objet,de la réalitéet de la vérité.De ce point de vue,
l'imageest souventun autrede l'objet,autre,absolumentautre.Il
existe donc une distanceinfiniequi sépare l'image de son objet.
Il en est de même pour la relationentreun sujetet son image,car
le sujet et l'objet se trouventchez Blanchot dans une constante
interaction.Il y a là par conséquent une interchangeabilité du
sujet et de l'objet. On peut analyser cette conceptionthéoriquede
l'image dans les écritsfictionnelsde Blanchot.
Quand le « je » du récitCelui qui ne m'accompagnaitpas se
trouveau lit,il est plongé dans sa réflexion:
Ce qui mefrappait, de fairesurgir
ce que j'essayais de masongerie, c'est
pourquoi, danscettepetite chambre, l'impression une
de vieétaitsi forte,
vierayonnante, nonpas inactuelle,maiscelledu moment présent,et la
mienne, - je le savaisd'unsavoirclair,
joyeux - etcependant cetteclarté
étaitextraordinairement vide,cettelumière d'étédonnait le plusgrand
sentiment de détresse C'estlà l'espacelibre,me disais-je,
et de froid. le
L'idéeque je vivaisici- que j'ytravaillais
vastepays: icije travaille. -
ilestvrai,queje n'yétaitence moment
signifiait, que commeuneimage,
d'uninstant
le reflet solitaire à travers
glissant l'immobilitédu temps 2.
On constateque le « je »,personnageprincipaldu récit,assume
la vie, l'impressionde la vie dans cettechambreoù se passe tout
1. Maurice
Blanchot, Gallimard,
littéraire,
L'Espace 1955,p.273.
2. M.Blanchot, quinem'accompagnait
Celui p.54.
1953,
pas,Gallimard,

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le programmed'activités.La vie est comparée chez Blanchotà la


lumièred'été, et opposée par conséquent à la mortdont l'espace
de référenceest la nuit.Si le « je » peut se prévaloird'un savoir
« clair,joyeux » (formulesans doute empruntéeau Gai savoir de
Nietzsche),il se trouvedoté d'un jugement; en même temps,il
nuance l'existenceréelleet l'ancragefortpar Yimage,car il ajoute
que celui qui travailleet vitdans cet espace librene signifieque
son image. Correspond à cette « image » du « je », au niveau
temporel,« un instantsolitaireglissant...», en opposition à l'im-
mobilitédu temps.Deux tempscoexistentpour le « je »,un temps
solitairequi est aussi un tempsimaginaireet mobile,et un temps
immobileoù se trouvele sujet énonçant. On assiste par là à un
dédoublementdu « je », phénomène fréquentchez Blanchot:
Jeestunmoidansla plénitude de sonactionetde sa décision,
capable
d'agirsouverainementsursoi,toujours
enmesure de s'atteintre
etpourtant
celuiquiestatteint
n'estplusmoi,estunautre...3.
Cette définitiondu sujet reste traditionnelle, car elle s'inscrit
encore dans un cadre psychologique.Elle est donc plus contrai-
gnante que celle de la sémiotique subjectale, réduite au seul
critèredu jugement4. Cela dit, leur point commun consiste à
envisager une éventuelle scission du sujet. En effet,le « je » se
dédouble, tantôtil est conjointau « moi »,tantôtil s'en disjoint.Le
« je » est conjoint avec « moi-même» dans sa compétence, dans
son pouvoir de savoir,dans l'éventualitédu sujet,un sujetvirtuel
qui se situe dans une visée future.Mais le « je » qui s'est actualisé
dans un programme devient un autre, n'est plus «moi». La
compétenceet la performancene peuventpas releverd'un même
sujet chez Blanchot.En accomplissantson acte, son programme,
le « je » s'aliène, en devenant un autre,un étrangeréventuelle-
ment.Le « je » actualisé devientainsi Yimage du « je ». L'image du
« je » n'assure pas la continuitédu « je »,mais elle est plutôtl'oubli
du « je » ou son effacement.Par conséquent, dans Celui qui ne
m'accompagnaitpas, l'imagedu « je » dénie totalementla compé-
tence du « je » : elle n'a rien à voir avec le « je » d'origine.Chez
Blanchot,l'image d'un objet n'est qu'un objet imaginéou imagi-
naire qui n'a rien à voir avec l'objet même. Cela constituele
rapprochementpropre à Blanchot entrel'image et l'imaginaire.
On pourraitaussi dire que, chez Blanchot,l'image d'un objet est
un objet détourné.
Blanchotfaitappel, dans la même problématiquede l'image,
au miroir,aux « baies vitrées» par exemple, dans Celui qui ne

3. M.Blanchot, littéraire
L'Espace p.107.
, op.cit.,
4.Jean-Claude LeDiscours
Coquet, etsonsujet,
I,Klincksieck,
1984,p.15.

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n'accompagnaitpas. C'est par le biais de ces « baies vitrées» que


le « je » aperçoit« quelqu'un », un autre personnage qui paraîtet
disparaîtsans aucune stabilitéquant à son identité.
Enregardant parlesgrandes baiesvitrées - ily en a trois - je visqu'au
delàse tenait
quelqu'un ; dèsqueje l'aperçus, ilse tournacontrela vitreet,
sanss'arrêter
à moi,fixarapidement, d'unregard maisrapide,
intense, toute
l'étendueetla profondeur de la pièce.J'étais
peut-être au centrede la salle.
Jenevoyaispasclairement le jardin
quidevaitse trouver au dehors, mais
je mele rappelaisavecunegrande puissance, uneforce quiressemblait au
désir.Tandisque j'étaisà l'intérieur
de cetteimage,j'essayaide regarder
encore, unpeuplusloin,pourapercevoir s'ily avaittoujoursquelqu'un,
maisje n'yparvins pas ou pastoutà fait5.
Le miroir,ou les « baies vitrées», ne sont pas des instruments
donnantle refletd'un certainobjet ; ils ne fournissent pas l'image
exacte de l'objet,ce sontdes miroirsdéformants, des baies vitrées
brisées. Il y a troispersonnages dans Celui qui ne m'accompa-
gnaitpas : le « je »,le « il »et ce « quelqu'un »qui faitson apparition
à traversles « baies vitrées» en question. Cet acte d'apparitionse
répèteà plusieursreprisesau cours du récit.Mais chez Blanchot,
le refletde l'imagene supportepas le vis-à-vis; il ne peut pas être
saisi par un regard intentionnel.Dès que le « je » aperçoit le
« quelqu'un »,ce dernierlui tournele dos, de sorteque le « je » ne
connaîtriend'autrede lui qu'une existencedouteuse. Cependant,
ce secretmystérieuxprovoque l'attirance,le désir de connaître,
de la partdu « je »,voire du « il »,car le « il » ne cessera plus de se
renseignerauprès du « je » surce « quelqu'un » qui resteratoujours
énigmatique.
estpourBlanchot
L'attirance ce quiest,sansdoute, pourSadeledésir,pour
Nietzschela force, pourArtaud la
de la pensée,pourBataille
la matérialité
transgression: l'expériencepure du dehorsetla plusdénudée 6.
La remarquede Foucault se justifiedans la relationintersub-
jectiveentreles personnagesdans Celui qui ne m'accompagnait
pas. En effet,plus le « quelqu'un » est inconnu,plus il attireles
autres.Il est sans doute la propreimage du « je », sa projectionà
traversles baies vitrées; or, le récit ouvre aussi une autre
possibilitéquant à la morphologiedu « quelqu'un »,car le « je » est
« à l'intérieurde cette image ». Cela dit, l'image peut également
nous englober.Le « je » ainsi intériorisén'est-ilpas une image du
« quelqu'un » ? Le regarddirectest impossibledans cetterelation.
L'attirance,si fréquentedans ce récit, est probablement une
inspirationdu mythed'Orphée,cherà Blanchot.Comme Orphée,
5. M.Blanchot, quinem'accompagnait
Celui p.33.
pas,op.cit.,
6. Michel
Foucault, du dehors
La Pensée , Fata-Morgana,1986,p.27,première
inCritique,
pamtion juin1966.

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le « je » ne peut regarderdirectementle « quelqu'un * : dès qu'il


l'aperçoit,il disparaît,et cela pour toujours.Le « quelqu'un » est
pour ainsi dire une image d'Eurydice.Attirant, il est condamné à
resterdehors,en dehorsde nous. Cetteattirancerendinvivablela
situationdes personnagesblanchotiens.Le « je »ne s'adresse à son
interlocuteur,le « il », qu'à partir de cette image qu'est le
« quelqu'un ». Mais plus on s'approche de l'image d'un objet,plus
on s'éloigne. L'image donne ainsi lieu à une troisièmepersonne,
qui défait,déformel'image même.
Si l'on interprètel'image chez Blanchot selon une approche
sémiotique, notammentcelle de la sémiotique dite subjectale
préconisée par J.-C.Coquet 7, on peut postulerque l'image d'un
personnage a souvent deux positions actantielles: soit elle est
sujet zéro, en annulantla compétence du personnage ; soit elle
devient non-sujet,en perdant la capacité du jugement.En tant
qu'image du « je -, le « quelqu'un - de notre récit de référence
occupe tantôtla place de sujet zéro, tantôtcelle d'un non-sujet,
quand il n'a pas de contours définitoiresde son identité.Sa
présence est « immaîtrisable,inexplicablement,absolument hu-
maine et pourtant absolue » 8. Le « quelqu'un » n'a manifesté
aucune compétence(sujetzéro) ; et la plupartdu temps,il est non
identifiable (non-sujet).Le récitva sans doute plus loin,car le « je »
lui-mêmeest parfoistransformé en « quelqu'un », le « quelqu'un »
non-sujet. Cela dit, quelqu'un » est en l'occurrencesouventun
le «
quelqu'un quelconque, un « ça » dans une certainemesure.Dans
la typologieactantielledéfinieparJ.-C.Coquet 9,le « ça » recouvre
les formesdiversesque peut prendrele non-sujet.Le « quelqu'un »
de notrerécitentredans une catégoriede « ça » qui appartientau
hasard ; il agit sans aucune détermination apparente.Ce typede
« 10
est
non-sujet appelé parJ. Kristeva sujetzérologique » (le sujet
qui ne s'inscritdans aucune logique d'action). Ajoutons cepen-
dant qu'il existe une différencefondamentaleentre le « sujet
zérologique »et le « sujetzéro »,car ce dernierfaitencore partiedu
sujet ; il est un sujetanéanti: celui qui n'a rien,qui n'estrien,mais
qui s'affirmeen tant que tel, alors que le « sujet zérologique »
n'assume pas son acte ni sa parole.
Blanchot n'a pas besoin, a fortiori,d'utiliserles images. En
effet,ses personnages ont plusieurs identités inhérentes ou
plusieursinstancesénonçantes. Par exemple, le « je » dans Celui

1. J.-C. LeDiscours
Coquet, etsonsujet,
I,II,Klincksieck,
1984,1985.
8. M.Blanchot,
Celui quinem'accompagnait p.60.
pas,op.cit.,
9. J.-C.
Coquet, I,pp.63,67,104.
ibid,
10.CitéinJ.-C.
Coquet, p.109.
ibid,

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qui ne m'accompagnaitpas, est à la foisune instancenarratrice et


une instanceactrice.En tantqu'instancenarratrice, il a aussi des
niveaux différents, il est narrateurcomme sujet écrivant,et
narrateurdu récit; en tantqu'instance actrice,il est tantôtsujet
(sujet positif ou négatif) tantôt non-sujet. L'image n'est rien
d'autrequ'une des positionsactanciellesd'un personnage,ou une
de ses parties.L'imagedu « je »,au lieu d'êtrele refletauthentique
du « je »à un momentdonné (ici et à présent),évoque l'autre« je »,
le «je » d'un ailleurset d'autres moments.Le « je » et son image
n'appartiennentjamais à une seule et même dimensionspatio-
temporelle.Ils ne se trouventpas au même niveau d'énonciation,
et leur décalage ou leur distance restentéternels.Il existe un
intervalle, (un « abîme »,dit-ondans Celui qui ne m'accompagnait
pas), entrele « je » et son image,le « quelqu'un ». Notreimage est
tantôtdevant nous, tantôtderrièrenous. Lorsqu'elle est avec
nous, elle nous englobe, et nous faitperdre la vision, donc le
jugement.C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous connaître
par notreimage. Chercherà nous présenterpar notreimage est
une peine perdue chez Blanchot,commebeaucoup d'autresactes
d'ailleurs.
Le «je » faitappel à son image,au « quelqu'un » pour chercher
une sortede refuge,ou de garantiedans sa relationintersubjec-
tive avec le « il », son compagnon - celui qui ne l'accompagne
pas. Contrairement à son intentioninitiale,cetterechercheachar-
née du « je » n'aide pas à régularisersa relationavec le « il », le
compagnon innommable,de sorte que plus l'écritures'avance,
moins le « je » s'affirmedevant le « il ». Le « je », marqueur doté
d'une subjectivitélinguistique,perd sa subjectalité,devantle « il »,
un marqueurde la non-personne,selon Benveniste11.
• Celuiquinem'accompagnait pas»n'apasdenom(etilveutêtremaintenu
danscetanonymat ; c'estunil sansvisageetsansregard,
essentiel) inne
voir
peut quepar le langaged'un autre
qu'ilmet à l'ordrede sa proprenuit;
ils'approche ainsiau plusprèsde ceje quiparieà la troisième personne
etdontilreprend lesmotsetlesphasesdansunvideillimité ; etpourtant
il n'a pasde lienaveclui,unedistance démesurée l'ensépare12.
Cetterelationvide est due à une procédured'écriturepropre
à Blanchot,écriturecomme effacement.Quand le récitse ter-
mine, le « je » n'est pas encore censé répondre à des questions
comme : « qui suis-je? », « qui parle ? », « quel est mon interlocu-
teur? »,questionsfondamentalespour déterminerson identitéet
qui restentirrésolues.Ajoutonsaussi que Blanchotn'essaie pro-

li. Emile
Benveniste, delinguistique
Problèmes générale, p.230.
1966,
Gallimard,
12.M.Foucault, p.52.
ibid,

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bablementpas de résoudreces questions qui restentsuspendues


dans tout son récit.Aucune question transcendantalene trans-
cende rien: cetteattitudedu Bouddha 13ne semble pas inconnue
à Blanchot.
Ecrire
n'estpas destiné
à laisserdes traces,maisà effacer,
parles traces,
toutestraces,
à disparaître
dansl'espacefragmentaire de l'écriture,
plus
définitivement
que dansla tombeon ne disparaît, ou encoreà détruire,
détruire sansle vacarme
invisiblement, 14.
de la destruction
Le « je » s'effacepar les traces.Il se détruitpar les images qu'il
s'est établies, dont le « quelqu'un ». L'écriturede Blanchot a de
plus ceci de particulier, que le « je » ne cesse de disparaître.Il ne
s'effacepas une foispour toutes,mais il est toujours« en trainde
s'effacer».L'effacement,la disparitionou encore la mort sont
conçus par Blanchotdans une visée continue: je ne meursjamais,
on meurt,et on ne cesse de mourir.C'est pourquoi les person-
nages blanchotiensse trouventsouvent dans un état d'agonie,
une agonie infiniment longue. Je souffre,mais je suis toujours
dans « l'arrêtde mort»,titred'un de ses ouvrages 15.Les prédicats
terminatifs comme « effacer», « disparaître» et « mourir» sont de-
venus chez Blanchotdes termesduratifs.Ils ont changé d'aspect,
de sorte que tout acte devient duratif,car l'oubli est propre à
chaque personnage blanchotienet la mémoirecourte l'oblige à
réitérer chaque mouvementvoirechaque parole. Cela explique le
ressassement de l'écriturequi n'est pourtant pas un moyen
d'affirmation du passé, mais plutôtune preuve d'incertitudede
l'écriture,ou du sujet énonçant.
L'effacementest lié à un souci d'origine,là où rien n'a été
distingué,ni défini; là où n'existepas encore la différenceentre
la raison et la déraison,bref,là où toutecatégorieculturellement
fondamentalen'a pas encore son fondement.
Le soucide l'originefutlongtemps uneconstante majeure de la recherche
de Blanchot, ainsique le montrent les citations empruntées à plusieurs
textesécrits à desépoquesdifférentes : «si l'auteur
demeure tropprécau-
tionneusement lui-même, l'œuvreestsonœuvre,l'exprime, exprime ses
dons,maisnonpasl'exigence extrême de l'œuvre, l'artcomme » l6.
origine
L'artcomme origine,exigence de l'écriturechez Blanchot,fait
effacernon seulementles personnages,mais aussi l'auteurou le
sujet écrivant. L'œuvre ainsi constituée n'obéit pas au sujet
écrivantqui a un rôle secondaire,mais elle observe ses propres
principes,la recherched'origine.Remarquonsaussi que l'origine
13.Walpola
Rahula, duBouddha
L'Enseignement ,Seuil, voirpp.31-34.
1961,
14.M.Blanchot,
LePasau-delà,
Gallimard, p.72.
1973,
15.M.Blanchot,
L'Arrêt
demort, 1948.
Gallimard,
16.R.Laporte
etB.Noël,
DeuxLectures
deBlanchot, p.82.
1973,
Fata-Morgana,

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n'est pas située dans l'ordre,mais qu'elle est plutôtchaotique ;


elle a comme espace de référencele désertoù il n'y a ni repères,
ni temps.Un espace libresans doute, qui nous permetd'errer,de
vagabonderet d'êtrenon-sujet.Cetteoriginea-t-elleune authen-
ticité? Blanchotrépond :
Si parmiles mots,ily a unmotinauthentique, c'estbienle mot«authen-
tique» 17.
En mettanten cause le terme« authenticité»,Blanchotrécuse
ainsi toute positivitěet authenticitédu langage. Le langage, tel
qu'il le pratiquedans son écriture,s'éloigne consciemmentde la
réalitéet de la vérité.Commentpourrait-onétablirun discours
véridique s'il n'existe pas d'instance évaluatrice,ou de sujet
écrivantqui se retireconstammentderrièreson écriture? La
parole ou l'écrituredésoriententchez Blanchot; au lieu d'orien-
ter,elles transgressent les lois, les lois de l'œuvre. Quand Orphée
trangresse l'interditprescritpar Hadès et sa Reine : le « ne pas
-
devoir se retournerpour regarderEurydiceavant d'avoir atteint
le monde des vivants,Eurydiceretourneà l'enfer.Il en est de
même pour le « je » : dès qu'il aperçoitle « quelqu'un », il le perd
pour toujours.Telle est la relationque l'auteurentretient avec ses
personnages, et aussi celle entre les personnages. Quant à la
relationentrele lecteuret l'œuvre, elle va aussi dans le même
sens. L'œuvre de Blanchot est une œuvre du « il », œuvre sans
personne. Même le « je » finitpar parlerà la troisièmepersonne.
Au furet à mesureque nous tâtonnonsdans notreinterprétation,
l'œuvre s'annule, et nous perdons les tracesdu programmedes
personnages, et du programmede l'œuvre même. Nous nous
perdonsainsi dans l'œuvrede Blanchot.La relationtraditionnelle
sujet-objetconcernant le lecteur et l'œuvre devient chez lui
complètementcaduque. L'œuvreest par conséquent inépuisable,
puisqu'elle nous capte, nous emprisonneen quelque sorte.D'où
le fameuxdanger d'un travailsur Blanchot,évoqué maintesfois
par les spécialistes. Souvent,l'interprétation de l'œuvre ne fait
que ressasserce que ditcetteœuvre. L'imageque nous voudrions
obtenirde cetteœuvre restedéceptive.
Notre image est sans doute inscritedans une optique de
recherchede l'identité,de l'authenticité, mais l'écritureblancho-
tiennenous meten gardeen nous révélantun autreaspect propre
à nous, notreétrangeté.
Maintenant, noussentons bienqu'image, imagination
imaginaire, ne dési-
gnent passeulement l'aptitudeauxphantasmes maisl'accèsà la
intérieurs,

17.M.Blanchot, dudésastre,
L'Ecriture p.98.
1980,
Gallimard,

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(à ce qu'ily a en celui-cide non-affirmation


réalitéproprede l'irréel
d'infinie
illimitée, positiondanssonexigence négative)etenmêmetemps
la mesurerecréante etrenouvelante de l'irréa-
du réelqu'estl'ouverture
lité18.
Ce passage nous faitcomprendreque l'image tend surtoutà
nous permettreďaccéder à la réalitéde l'irréel.Comme G. Ba-
chelard, que Blanchot commente dans l'articled'où est extrait
notrepassage, Blanchotne faitpas de distinctionentreles trois
termes: image,imaginaireet imagination,ce que nous avons déjà
en partie constaté au début de notre discussion, en faisantle
rapprochemententrel'image et l'imaginaire.La réalitéest dotée
d'une dimension étendue, ouverte à l'irréel,en passant par
l'image.Encoreune fois,Blanchotintroduit dans la notiondu réel
un aspect neutralisant, phénomène fondamental de son écriture.
Nous avons essayé d'étudier l'image chez Blanchot en la
rapprochantde l'effacement, de l'oubli et de l'origine,notionsqui
occupent une grandeimportancechez l'auteur.Nous avons aussi
essayé de cerner l'image dans une approche sémiotique, en
indiquant ses éventuelles positions actantielles.On s'aperçoit
finalementque l'image n'est qu'une procédure de l'écriture,
assujettieà l'exigence du neutre,du neutreinscritdans l'ordrede
« ni... ni »,ou de « ni l'un... ni l'autre> 19.Comme nous l'avons déjà
signalé plus haut,notrepropreeffort d'interprétation de l'œuvre
de Blanchot ne fait peut-être,elle aussi, que ressasser cette
œuvre, son objet.

18.M.Blanchot,
L'Entretien Gallimard,
infini, 1969,pp.476-477.
19.Voir
à ce sujetnotre Entre
travail, dans-Celuiquine
lesujetetle non-sujet
m'accompagnait -
pas deMaurice Blanchot
; thèse
soutenueà l'Université
deParis
vm,
pp.221-253.
1993,

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