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Sociologie du travail

Des relations industrielles comme objet théorique


Guy Caire

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Caire Guy. Des relations industrielles comme objet théorique. In: Sociologie du travail, 33ᵉ année n°3, Juillet-septembre 1991.
pp. 375-401;

doi : https://doi.org/10.3406/sotra.1991.2563

https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1991_num_33_3_2563

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Abstract
By reviewing the many recent theoretical studies about industrial relations, answers are sought to the
following questions. Do industrial relations form an autonomous field of inquiry ? This field's boundaries
can be marked out by examining how this discipline has taken shape in the United States and by
looking at statistics on the bibliography of industrial relations. What are the key concepts underlying
this discipline ? They seem to have to do with conflict and the ways of handling it. Three approaches
are distinguished : the systemic one, which, paying little heed to strife, mainly concentrates on the
drawing up of rules ; the behaviorist approach which , presupposing conflict , emphasizes the
processes that lead to drawing up rules ; and the Marxist one which, centered on the concept of a
struggle, attempts to explain the nature of rules and changes in them over time.

Résumé
Un grand nombre de travaux théoriques sont actuellement consacrés aux relations industrielles. En les
interrogeant la présente contribution s'efforce de répondre à trois questions. Peut-on considérer qu'il y
a là un domaine autonome ? La constitution de la discipline aux Etats-Unis et le repérage statistique
des travaux qui lui sont consacrés permettent d'en baliser le champ. Autour de quels concepts
organisateurs la discipline se constitue-t-elle ? C'est finalement autour du concept de conflit et du
traitement qui en est fait que paraît se constituer le corpus disciplinaire. L'auteur distingue l'approche
systémique qui néglige le conflit en s'intéressant essentiellement à l'établissement des règles,
l'approche behavioriste qui assume le conflit en mettant surtout l'accent sur les processus qui
conduisent à l'élaboration des règles, l'approche marxiste pour laquelle le conflit est central et permet
seul d'expliquer la nature des règles et leur transformation au cours du temps.
SOCIOLOGIE DU TRAVAILN° 3/91

Guy Caire

Des relations industrielles

comme objet théorique

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Les relations industrielles (terminologie bien utilisée dans le monde anglo-


saxon mais qu'on préfère ailleurs dénommer relations professionnelles ou
relations de travail, voire relations sociales) sont maintenant, en tant que
discipline, clairement cernées. Il n'en pas été toujours de même. Dans l'entre-
deux-guerres, le champ n'avait pas de cœur. Il était partagé entre des écono¬
mistes néoclassiques comme Hicks qui appliquait la théorie conventionnelle
au marché du travail, au salaire ou à la grève, des hétérodoxes institutionnalis-
tes comme Commons, Perlman ou Hoxie, réformateurs s'attachant à élaborer
des théories alternatives au marxisme, des marxistes convaincus comme Fos¬
ter, des antimonopolistes comme Simon ou Hayek voyant dans les syndicats
des agents monopoleurs dont l'action devait être brisée pour rendre les
marchés plus efficients, des spécialistes des relations humaines comme Mayo
qui « voyait l'usine et le bureau comme la version moderne de la tribu et le

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Guy Caire

manager comme le chef tribal de la communauté» (Kerr 1978, p. 132). Après-


guerre, au contraire, « un effort a été fait pour relier de manière plus réaliste
la théorie à la pratique et pour dégager de nouvelles généralisations à partir
de la complexité des actions; pour voir les relations industrielles à partir de
plusieurs perspectives et pas d'une seule; pour rejeter les œillères de
l'idéologie» (Kerr 1978, p. 133).
C'est à cette discipline ou à cet ensemble de recherches que nous voudrions
consacrer quelques développements en nous plaçant d'un point de vue théori¬
que. Notre questionnement sera organisé autour de trois idées essentielles :
peut-on considérer qu'il y a là un domaine autonome? Si c'est le cas, autour
de quels concepts organisateurs se constitue-t-il ? Peut-on enfin, sur la base
de distinctions essentielles, classer les auteurs qui s'en réclament en différentes
écoles ? Par là-même la construction de notre texte en trois parties respective¬
ment intitulées champs, paradigmes, systèmes s'en trouve fondée.

I. - CHAMPS

Baliser un terrain est pour toute discipline qui se cherche une absolue
nécessité. Les relations industrielles n'y échappent pas, au point qu'on a pu
écrire qu'«en Grande-Bretagne la théorie semble davantage un exercice de
délimitation de frontières que l'élection d'hypothèses». (Strauss et Feuille
1978, p. 276). Effectuer le bornage de ce pré carré peut se faire de deux
manières complémentaires, en se livrant tout d'abord à une brève enquête
historique, en essayant ensuite de voir de manière plus didactique ce qu'il en
est actuellement de la nature de la discipline, privilégiant pour ce faire son
pays d'élection, les Etats-Unis.

1. Constitution historique de la discipline

Comme M. Jourdain, on a pu longtemps faire des relations industrielles


sans le savoir, le mot faisant son apparition aux Etats-Unis, au Congrès en
1912, et étant utilisé pour la première fois de façon officielle en Grande-
Bretagne dans le Survey of industrial relations du ministère du Commerce et
de l'Industrie en 1926. Si pères fondateurs de la discipline il pouvait y avoir,
il faudrait sans doute citer les noms de Marx s'intéressant aux affrontements
du travail et du capital et ceux de S. et B. Webb (1896, 1902) qui étudièrent
les trois moyens d'action à la disposition des syndicats : l'assurance mutuelle,
la négociation et la réglementation légale. Mais, en tant que discipline faisant
l'objet d'enseignement et de recherche, c'est vers les États-Unis qu'il faut
nous tourner pour voir les relations industrielles se constituer dans une

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Des relations industrielles comme objet théorique

histoire en trois étapes qui peuvent être identifiées à trois universités successi¬
ves (dont les affinités électives avec le mouvement ouvrier sont sans doute de
plus en plus distantes), étapes que l'on peut baptiser avec G. Strauss et P.
Feuille (1978) comme étant celles des «premiers jours» ( early days), de «l'âge
d'or» (golden age) et du «cafard» (dolrums ), les auteurs ajoutant qu'on peut
peut-être espérer voir surgir une quatrième période qui serait celle de la
« renaissance ».

a) Étape de l'émergence d'une préoccupation

C'est avec J.R. Commons (1923) étudiant, à l'aide des concepts clés
d'équité, négociation, comportement raisonnable, pragmatisme, institutionna-
lisme le « gouvernement constitutionnel dans l'industrie », dans une perspec¬
tive associant «des moyens conservateurs pour atteindre des buts radicaux»
(Barbash, 1989) et S. Perlman (1928), tentant de montrer dans une interpréta¬
tion concurrente avec celle de Lénine, comment les syndicats, conscients de
la rareté des emplois, s'efforcent d'en assurer le partage entre leurs adhérents,
que l'université du Wisconsin va s'affirmer. A cette première vague s'associe¬
ront d'autres auteurs, R.F. Hoxie, E. Wite ou P. Taft par exemple, et d'autres
universités comme celle de Baltimore, l'université John Hopkins. Ce qui
caractérise ces premiers travaux c'est d'une part une révolte contre la stérilité
de la théorie économique classique pour traiter des problèmes du travail
(aussi ces auteurs vont-ils attribuer un rôle essentiel aux forces extérieures au
marché dans l'explication de l'allocation et du prix du travail, d'où le nom
d'institutionnalistes qui leur sera attribué), d'autre part une volonté réforma¬
trice s'efforçant de légitimer le syndicalisme et de proposer un certain nombre
de réformes sociales, mais aussi le désir d'édifier une théorie du mouvement
ouvrier alternative à celle du marxisme.
La conception de ces auteurs a bien été décrite par A. Rees (1976, p. 53) :
«L'approche institutionnaliste, écrit-il, plonge ses racines méthodologiques
dans l'histoire, la sociologie et le droit plus que dans la théorie économique.
En vérité les économistes passés, institutionnalistes du marché du travail,
indiquent clairement que, selon eux, le corpus fondamental de la théorie
économique apporte peu à la compréhension des problèmes du travail. En
termes de champ, les institutionnalistes portent leur attention essentiellement
aux questions du syndicalisme et de la négociation collective, de droit du
travail, d'assurances sociales et de gestion du personnel ».

b) Étape de l'épanouissement d'une approche

Cette deuxième étape s'étend du NIRA de 1933 sous le New Deal au


Landrum Griffin act de 1959, mais ce sera surtout au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale que la discipline va prendre son essor. De jeunes

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Guy Caire

économistes qui avaient occupé des fonctions dans le War Labor Board et
dont on va retrouver plusieurs d'entre eux à l'université de Californie, vont
s'efforcer d'aborder, avec la panoplie des outils de l'économiste, l'ensemble
des problèmes du travail. Ce recours accru à l'économie les fera qualifier
de post-institutionnalistes (Segal, 1986) s'attachant particulièrement à des
questions telles que l'analyse de la mobilité du travail et le processus de
recherche d'emploi, l'explication des politiques syndicales, l'évaluation de
l'impact de la négociation collective, l'étude des facteurs affectant la structure
interne des salaires et contribuant à l'émergence des marchés internes, l'ana¬
lyse des mécanismes de détermination des salaires.
Ainsi J. Dunlop (1944) va élaborer une approche «économique» du syndi¬
calisme considéré comme agent maximisateur du revenu de ses adhérents. A.
Ross (1948) nous proposera pour sa part une approche «politique», chaque
leader syndical soucieux de maintenir la puissance de son organisation s'effor¬
cera d'obtenir des augmentations de salaires semblables à celles obtenues
dans des secteurs voisins {orbits of coercitive comparisons). C. Kerr (1948)
suggérera une synthèse entre les deux approches, considérant les syndicats
comme une institution de fixation des salaires, jouant du modèle du monopole
économique, de celui de la concurrence politique et du modèle de la bureau¬
cratie politique, ce dernier qui est le plus répandu fait des syndicats des
«bureaucraties quasi gouvernementales», intervenant par ailleurs sur des
marchés « balkanisés » (guild pour les qualifiés, manorial pour les non quali¬
fiés). N. Chamberlain (1951) fera la théorie de la négociation collective conçue
comme moyen de contrat salarial, forme de gouvernement industriel, modalité
de management (ce qui correspond aux théories dites du marketing, gouverne¬
mentale et managériale) (Kuhn et ail., 1983). Dans cette période la négociation
collective est vue comme un outil destiné à maintenir la paix sociale et
l'équilibre des forces du marché et des influences institutionnelles. S'inspirant
du travail de conceptualisation de Dunlop (1958) un grand projet comparatif
international interacadémique s'inscrira dans le cadre tracé par Kerr, Dunlop,
Myers et Harbison (1960).
L'école institutionnaliste (ou post-institutionnaliste) américaine a son pen¬
dant en Grande-Bretagne mais l'« école oxfordienne» sera moins dominée
par les économistes, plus ouverte aux sociologues, voire plus réceptive aux
propos marxistes. Flanders (1965), Bain et Clegg (1974) à l'université Warwick
concevront les relations industrielles comme l'étude des institutions de job
regulation ce qui est finalement assez proche du web of rules de Dunlop avec
cependant un effort «pour éviter les ambiguïtés des théories des systèmes et
donner un poids égal, lorsque nécessaire, aux processus de relations indus¬
trielles aussi bien qu'à leurs structures, à la genèse des conflits aussi bien
qu'à leur résolution, aux variables de comportement comme à celles de nature
behavioriste.
structurelle» (Winchester 1983, p. 101) ce qui les rapprochera de l'école

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Des relations industrielles comme objet théorique

c ) Étape de la formalisation des raffinements

Les travaux de relations industrielles vont quelque peu délaisser l'étude de la


négociation collective pour s'intéresser à des questions telles que le chômage,
l'inflation, la discrimination, la pauvreté, le fonctionnement des marchés du
travail, les relations professionnelles dans le secteur public alors qu'au con¬
traire l'histoire du syndicalisme connaît un très net déclin d'intérêt. Mais plus
que cet éclatement des centres d'intérêt, ou encore que la spécialisation
professionnelle (droit, histoire, relations humaines, etc.) là où on avait de la
pluridisciplinarité, ce qui caractérise cette troisième période c'est l'essor de
l'approche néoclassique dans les problèmes du travail. De même que l'école
californienne avait remplacé celle du Wisconsin, l'université de Chicago va
désormais être le pôle dominant. Les économistes, dont la formation s'est
technicisée, vont utiliser des techniques quantitives sophistiquées mises au
service d'hypothèses de travail beaucoup plus conventionnelles, débouchant
sur des recommandations à caractère conservateur très marqué. S'observe
par là-même une rupture très nette avec les considérations institutionnelles
qui avaient si fortement marqué les deux générations précédentes d'où leur
dénomination de néo-institutionnalistes (Reshef et Murray 1988).
On note en effet que, dans la période actuelle, «il y a un retrait de
l'approche interdisciplinaire et de l'éclectisme méthodologique qui avait long¬
temps caractérisé la recherche dans le domaine du travail. Sociologues, polito¬
logues et anthropologues perdent tout intérêt à l'égard des problèmes du
travail, tandis que les économistes du travail s'emparent de l'analyse néoclassi¬
que, comme dans une sorte de vengeance, pour l'appliquer d'abord à l'étude
du capital humain puis à tout ce qui peut relever de la microanalyse, déductive
au niveau individuel» (Brody 1989, p. 9). A ce changement de climat intellec¬
tuel correspond donc, pour les spécialistes des problèmes du travail, un
changement de méthode. «Pour les nouveaux économistes du travail à l'in¬
fluence forte, la théorie adéquate était l'économie néoclassique. L'université
de Chicago prit la place de leader autrefois détenue par Wisconsin. Les
nouveaux économistes du travail étaient théoriquement orientés plutôt qu'ins-
titutionnellement orientés» (Strauss et Feuille 1978, p. 266).

2. Délimitation didactique du contenu de la discipline

Une discipline peut se définir par son objet et par ses méthodes. C'est de
ces deux points de vue successifs que nous allons tour à tour nous placer.

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Guy Caire

a) L'objet des relations industrielles

S'il fallait dégager le point central de la théorie des relations industrielles,


on ne manquerait pas de rencontrer quelques hésitations à lire des auteurs
qui ont chacun un système propre de référence. Pour ne prendre que quelques
exemples chez les économistes plus haut qualifiés de post-institutionnalistes,
la discipline serait ainsi identifiée à
• l'établissement des règles de travail par J. Dunlop (1958);
• la réunion de l'emploi (job regulation ) par les "oxfordiens"; britanniques
( Flanders 1965; Bain et Clegg 1974);
• la démocratie industrielle par M. Derber (1969);
• les termes et conditions d'emploi par A.W.J. Craig (1975);
• la relation de négociation par K. Laffer (1974);
• la relation d'échange par G. Somers (1969).
Toutefois, pour éviter les difficultés d'une définition en compréhension, et
à titre provisoire, on peut peut-être recourir à ce qui relève davantage de la
définition en extension en disant avec J.T. Dunlop (1958, p. 7) qu'«un
système de relations industrielles, à tout moment de son développement, peut
être compris comme un ensemble constitué de certains acteurs, de certains
contextes, d'une idéologie qui fait du système un tout et enfin d'un corps de
conditions
règles élaboré
de travail
par les
et dans
acteurs
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de travail
le but». est de les régir dans leurs

b) La méthode des relations industrielles

Pour ce qui est de la méthode, le bref rappel historique plus haut établi
nous montre, variable au gré des auteurs, le caractère nécessairement interdis¬
ciplinaire de ce champ d'analyse. Cette interdisciplinarité peut d'ailleurs faire
l'objet d'une quantification. C'est ainsi qu'à partir du dépouillement des
programmes d'un certain nombre d'institutions d'enseignement en relations
industrielles aux États-Unis, Rehmus (1988) a pu estimer qu'on avait 25 à
30 % de cours concernant l'économie des marchés du travail, 25 % concernant
la psychologie des relations humaines et interpersonnelles, 15 à 25 % la
sociologie des relations de travail, 10 à 20 % l'histoire du mouvement ouvrier
et du syndicalisme, 10 % le droit de la sécurité sociale et 5 % la législation
du travail. De même on peut ventiler les thèses de doctorat soutenues dans
notre domaine pour montrer la part respective des différents centres d'intérêt
et leur évolution au fil du temps (Dunlop 1955, p. 96).
Margerison (1969, p. 275), prenant simultanément en compte les types de
relations intervenant dans les relations industrielles et les disciplines académi¬
ques concernées, nous fournit un tableau croisé des objets et des méthodes
du champ couvert par la discipline.

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Des relations industrielles comme objet théorique

Types de relations Disciplines académiques


Relations contractuelles Economie, droit politique
Relations organisationnelles Sociologie industrielle
Relations interpersonnelles Psychologie sociale

Cherchant à caractériser du point de vue de leurs méthodes les relations


industrielles, J.T. Dunlop (1958, p. 6) ne parle-t-il pas d'un «carrefour où se
rejoignent un certain nombre de disciplines, l'histoire, l'économie politique,
la science politique, la sociologie, la psychologie et le droit» et, comme le
rappelle R.J. Adams (1983, p. 510), le British Journal of industrial relations
ne se définit-il pas comme «un journal de recherche et d'analyse couvrant
tous les aspects des relations industrielles : sociologie industrielle, psychologie
industrielle, économie du travail, droit du travail, planification de l'emploi,
politique du personnel, systèmes de rémunération, négociation collective,
théorie des organisations, théorie des conflits, études institutionnelles, politi¬
ques publiques, comportements au travail, théorie des relations industrielles ? »
L'interdisciplinarité constitue donc une caractéristique fondamentale des
relations industrielles. Mais qu'en attendre? Une réponse peut être apportée
à cette question à partir de plusieurs points de vue.
Dans la mesure où le comportement des acteurs est une dimension essen¬
tielle des relations industrielles, l'apport de la sociologie semble indispensable.
S. Hill et K. Turley (1974) retiennent pour leur part quatre champs essentiels :
les théories de l'industrialisation, nécessaires à l'analyse comparative des
systèmes de relations industrielles; les théories relatives à la structure des
classes en raison de l'accent mis, en relations industrielles, sur les inégalités,
la mobilité sociale, l'action collective; les théories de la motivation, utiles pour
comprendre les comportements des acteurs; les théories de la bureaucratie qui
permettent de saisir les modalités de fonctionnement des organisations. Ces
mêmes auteurs ajoutent que, plus fondamentalement, la sociologie « 1) tente
d'établir ce qui peut être appelé une morphologie ou une classification des
types et des formes de relations sociales, 2) essaye d'établir des relations entre
les différentes parties ou facteurs de la vie sociale, 3) tente de débrouiller
les conditions fondamentales du changement ou de la continuité sociale»
(p. 151).
Contrairement à la France, à tradition plus juridique et sociologique,
l'économie est aux États-Unis partie essentielle du corpus des relations indus¬
trielles, ne serait-ce qu'en raison de la place qu'y prend le marché du travail.
Pourtant J. Dunlop est très sévère quant à l'utilité possible de l'économie.
Dans un article (1977) accueilli avec quelque humeur par ses collègues qui
dressent un plaidoyer pro domo pour leur profession, il s'en prend avec force,

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Guy Caire

mais peut-être aussi quelque injustice, aux recherches des économistes de la


troisième génération plus haut évoquée : ainsi les travaux sur le capital
humain qui, d'une manière impérialiste ont envahi le champ de l'économie du
travail, sont eux aussi rejetés : « Virtuellement, toute cette énorme production
proliférante est irrelevant pour ceux qui ont en charge la politique ou pour
l'allocation des fonds publics et privés à l'apprentissage et à l'éducation » (p.
278). S'il en est ainsi, c'est parce que la spécialisation et l'éloignement du
monde du travail ont nui à l'analyse des relations industrielles selon Dunlop
qui, privilégiant les relations constructives entre chercheurs et décideurs dresse
un programme de recherche en quatre points :
• connaissance de l'arrière-plan historique et de l'évolution des institutions;
• compréhension des processus formels et de facto au sein des organisations;
• description et mesure des interdépendances internationales;
• étude des changements structurels de l'économie, des relations industrielles
et de leurs effets quant aux décisions au sein des organisations.
Ce programme devrait conduire à étudier des problèmes trop délaissés, tels
que fonctionnement des marchés internes, grievance procedure, productivité,
négociation, structures salariales. Mettant ainsi l'accent sur l'importance des
aspects sectoriels et institutionnels, il peut reprendre à son compte le mot de
R.A. Gordon : "Relevance with as much rigor as possible and not rigor
regardless of relevance."

II. - PARADIGMES

Définir la nature des paradigmes utilisés en relations industrielles est diffi¬


cile, d'autant que l'abondance des néologismes risque d'entraîner en la matière
quelques confusions : ainsi on peut tour à tour définir le système de relations
industrielles britannique comme pluraliste (Clegg 1975, Hyman 1978), volon¬
tariste ou néocorporatiste (Goetschy 1979). Il convient donc d'apporter
quelque clarté en ce domaine, ayant défini en première approximation un
paradigme comme étant "une façon de voir la société ou encore une série
de supposition métathéoriques perceptuelles (postulats) ayant pour objet la
conceptualisation du monde social" (Audet et Larouche 1988, p. 4), en essayant
de voir les différents critères susceptibles d'être employés pour repérer les
paradigmes à l'œuvre et en tentant ensuite de proposer notre propre grille.

1 . Critères paradigmatiques

Parmi les spécialistes il n'y a pas d'accord sur le nombre de paradigmes


qu'on rencontre en relations industrielles, ni sur le nom qu'il convient de leur
donner.

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Des relations industrielles comme objet théorique

Illustrations paradigmatiques

Par exemple A.N. Blain et J. Gennard (1970) distinguent le modèle systémi-


que, l'approche oxfordienne et l'approche sociologique. Mais ainsi que le fait
remarquer à juste titre G. Schienstock (1981) l'accent mis sur la stabilité et
la cohérence des systèmes, malgré, il est vrai, une place un peu plus grande
faite au conflit à Oxford, ne permet pas de distinguer les deux premières
approches sinon comme variantes d'un même genre; par ailleurs il est abusif
d'identifier aussi rapidement approche marxiste et approche sociologique.
K.F. Walker (1976) oppose l'approche marxiste, le modèle systémique, le
concept de gouvernement industriel, mais baptiser ainsi les travaux oxfordiens
de façon aussi particulière que l'implique ce dernier vocable est critiquable
car ce n'est retenir de Flanders que sa seule conception de la négociation
collective, alors que son propos est vraisemblablement beaucoup plus ambi¬
tieux.
M. Jackson (1977) retient six écoles différentes : celles de l'approche systé¬
mique, de l'action sociale, marxiste, pluraliste, institutionnaliste, structuraliste,
distinction qui n'est pas non plus sans faire problème ne serait-ce que par les
caractéristiques assez ambiguës de l'école dite pluraliste (Fox 1973, Hyman
1978).
G. Schienstock (1981) propose un découpage ternaire en distinguant l'ap¬
proche systémique, l'approche marxiste et l'approche reposant sur le concept
de théorie de l'action que d'autres dénommeraient plus volontiers l'approche
behavioriste. Cette critériologie relativement simple est peut-être celle qui
peut se montrer la plus opératoire parmi toutes celles de l'univers social qui
intéresse cette discipline.
S. M. Hameed (1982) retient l'approche systémique toujours identifiée à
Dunlop et à l'accent prioritaire porté sur la négociation collective, l'approche
radicale qui postule un désaccord entre partenaires sur les règles procédurales
et l'approche pluraliste qui engloberait toute une série d'auteurs allant de
Commons à Flanders et qui reposerait sur l'idée qu'une société est faite de
nombreux groupes d'intérêts poursuivant chacun ses propres objectifs et
engendrant conflits mais aussi compromis sur le marché du travail, comme
d'ailleurs sur le marché des produits. On retrouve ici toute l'ambiguïté déjà
signalée du concept de pluralisme, aggravée par l'extension excessive donnée
à son champ.
R.J. Adams (1983) recense cinq écoles : l'école du marché du travail pour
laquelle entrepreneurs et travailleurs cherchent à maximiser leur utilité dans
le cadre de marchés autorégulateurs dont les déviations empiriques ne sont
que de simples distorsions, école admettant toutefois des variétés avec les
marchés balkanisés (Kerr) ou segmentés (Doeringer et Piore); l'école politique

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Guy Caire

venue de Marx qui considère que les relations capital-travail sont fondamenta¬
lement politiques et antagonistes, école admettant également des variétés
réformatrices dont les fabiens pourraient, suivant l'auteur, être l'illustration;
l'école du management avec Taylor comme père fondateur qu'enrichiront les
travaux de Mayo découvrant que les motivations de l'homme au travail
peuvent être plus complexes que les seules raisons économiques imaginées
par Taylor, école qui peut à son tour se subdiviser en s'intéressant plus
particulièrement aux organisations, aux comportements, etc.; l'école institu¬
tionnelle à l'approche plus inductive que déductive chez Commons ou les
Webb qui étaient des « découvreurs des faits à la recherche d'une théorie plus
que des théoriciens à la recherche des faits» (p. 516) et qui, plutôt que de
construire une théorie positive, réagissaient aux écoles concurrentes en en
montrant les apories; l'école systémique de « professionnels
pluridisciplinaires» mais avec peu d'intégration théorique réelle malgré la
tentative méritoire de Dunlop.

b) Construction paradigmatique

On pourrait, selon S. Young (1982) distinguer deux paradigmes, qui non


seulement orientent la recherche académique mais aussi guident la pratique
et que permet de synthétiser le tableau suivant :
Paradigme humaniste Paradigme positiviste
Nature des propriétés : volontaires naturelles
Origines : symbolique matérialité
Orientations : finalité sans finalité
Ordre constitutif : humain naturel
Stabilité assurée par : apprentissage forces naturelles
Origine du changement : développement historique, développement lié aux forces
non déterministe naturelles, déterministe

Encore que l'auteur tente d'appliquer la distinction établie à vingt et un


travaux de relations industrielles, nous ne pensons pas qu'à ce niveau de
généralité l'opposition établie puisse véritablement nous être utile. Nous n'en
voulons pour preuve que les seules remarques faites à propos de J.T. Dunlop :
« Si nous analysons en termes paradigmatiques l'approche systémique utilisée
par Dunlop, écrit l'auteur, il apparaît que l'optique de Dunlop repose sur
des entités de base idéationnelles, un système d'établissement et de respect
de règles, reliées ensemble par une idéologie ou tout un corps d'idées. Le
système de relations industrielles apparaît comme une construction humaine.
Mais Dunlop considère également le système comme étant de type parsonien,
de caractère autorégulateur pouvant fonder une analogie biologique. Il ne fait

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Des relations industrielles comme objet théorique

pas de distinction claire entre aspects physiques, biologiques et humainement


construits dans son analyse en termes paradigmatiques (p. 38).
La construction la plus rigoureuse est sans doute celle de M. Yauchet et
V. Larouche (1988) qui, s'inspirant de G. Burrell et G. Morgan, retiennent
deux axes pour regrouper les théories. Le premier concerne l'axe subjectiv-
isme-objectivisme élaboré en fonction des postulats relatifs à la nature des
sciences sociales à partir de quatre caractéristiques : l'ontologie se référant
aux postulats concernant l'essence même du phénomène et qui se situe entre
deux pôles extrêmes, le nominalisme et le réalisme; l'épistémologie associée
au fondement des connaissances et qui va de l'antipositivisme au positivisme;
les postulats relatifs à la nature humaine qui s'étagent du volontarisme au
déterminisme; la méthodologie enfin qui oscille entre idéographie et nomothé-
tie. Le second concerne l'axe changement radical-régulation opposant les
postulats qui caractérisent l'ordre, le consensus, l'intégration et la cohésion
dans la société par rapport aux conflits et contradictions. En croisant ces
deux axes, on peut délimiter quatre quadrants représentant respectivement le
paradigme fonctionnaliste (le plus répandu avec ses quatre variétés : l'objecti-
visme, la théorie du système social ou structuro-fonctionnalisme, la théorie
intégrative et l'interactionnisme), le paradigme interprétatif qui, s'il caractérise
par exemple la phénoménologie, a peu d'applications dans le champ des
relations industrielles; le paradigme humaniste radical auquel, selon les
auteurs, ne se rattache aucune théorie en relations industrielles; le paradigme
structuraliste radical, enfin, dont relèveraient les approches wébériennes ou
marxistes.

2. Typologie proposée

La diversité des points de vue ci-dessus présentés nous incite à trouver nos
propres référents et à en tirer les conséquences nécessaires.

a) Recherche d'un critère

Nous pouvons partir d'une remarque du grand juriste, spécialiste des


problèmes du travail, O. Kahn-Freund qui écrit : «Le conflit entre travail
et capital est inhérent à la société industrielle et, partant, aux relations
professionnelles. Les conflits d'intérêts sont inévitables dans toute société. Il
existe des règles pour les adapter, mais il ne saurait y avoir de règles pour
les supprimer» (1977, p. 17).
Si le conflit est donc central dans les relations industrielles, les grands
clivages vont s'établir à partir de l'interprétation qu'on en donnera et de

385
Guy Caire

l'attitude qu'on adoptera dans son traitement analytique : « Les rapports


sociaux s'analysent soit dans le langage du conflit, soit dans celui de la
négociation. Le premier cas consiste à réduire la négociation à une simple
modalité ou aspect du conflit comme le résume la formule suivante : "la
négociation, est la poursuite du conflit par d'autres moyens". Au contraire,
le langage de la négociation consiste à traiter le conflit comme une simple
forme de la négociation : "le conflit est la poursuite de la négociation par
d'autres moyens" (Dassa 1983, pp. 32-33).

b ) Conséquences

S'il est exact que "les phénomènes propres au domaine d'études des relations
industrielles tournent autour du concept-couple conflits collectifs-négociation
collective" (Weiss 1973, p. 15), dès lors un clivage fondamental peut être établi
entre les différents travaux consacrés aux relations industrielles : Dunlop, qui
fait de l'établissement des règles et donc du contrat le cœur des systèmes de
relations professionnelles, se situe à un pôle; à un autre pôle se trouve Marx
pour qui le contrat ou les règles ne sont jamais que des armistices sociaux
dans un affrontement hégélien entre classes sociales qui constitue le moteur
du développement historique. Si l'on voulait faire image, on dirait qu'il s'agit
là de traditions analytiques aussi opposées que peuvent l'être une vision à la
Walras et une vision à la Clausewitz du fonctionnement des systèmes sociaux.
Cette attitude à l'égard du conflit est bien mise en lumière par F.A. Kochan
(1982) dans la réponse apportée aux différents commentaires faits sur son
livre Collective Bargaining in industrial relations, par des auteur aussi différents
que O. Ashenfelter, C.C. Commings, M. Derber, C. Kerr, G. Strauss et R.
Hyman. Selon lui, pour le marxisme, le conflit est inhérent au système
capitaliste et de caractère fondamental, pour les pluralistes le conflit existe
mais simplement au même titre que la coopération et il n'est pas lié à des
oppositions de classes mais simplement à des intérêts catégoriels; pour les
behavioristes le conflit est de nature interpersonnelle et l'entreprise peut le
réguler; pour les néoclassiques, les décisions prises par les acteurs dans le
cadre du calcul économique qui les guide sont présumées converger vers une
solution efficace pour chacun.
De cette opposition des visions découlent des conséquences méthodologi¬
ques relatives aussi bien à la manière de traiter les problèmes en question
que, beaucoup plus fondamentalement, à la reconnaissance d'un champ
spécifique d'étude constitué en objet théorique. «La tradition anglo-améri¬
caine, c'est évident, est à la fois complexe et différenciée, écrit R. Hyman
(1979, pp. 421-422). Il est toutefois possible de distinguer un paradigme sous-
jacent qui comporte trois postulats fondamentaux : une conception naturaliste
des intérêts, une conception empirique du pouvoir, une vue ethnocentrique
de la nature et des buts des syndicats. Ces trois postulats conduisent sans

386
Des relations industrielles comme objet théorique

difficulté à considérer les relations industrielles comme une série d'institutions


stables à travers lesquelles les inputs des buts et intérêts divergents sont
transformés très normalement en un "réseau de règles" qui sous-tendent la
progression sans heurts de la production capitaliste ». C'est contre cette façon
de voir les choses que s'insurge, à travers les variétés différentes qui sont les
siennes, la tradition marxiste. Pour les auteurs qui se réclament de cette autre
approche, «c'est empêcher et non faciliter la compréhension que de poser
l'existence d'une sphère relativement autonome des relations sociales compor¬
tant la négociation et la "production de règles" entre employeurs et syndicats;
on ne peut comprendre correctement le processus de "régulation des emplois"
qu'en l'incluant dans une analyse portant d'une part sur la dynamique de la
production et de l'accumulation, de l'autre sur le schéma plus général des
relations sociales et politiques» (Hyman 1979, pp. 423-424).

III. - SYSTÈMES

Si c'est le conflit dont les origines peuvent être localisées dans la formule
PEEP (prix, effort, équité, pouvoir) proposée de façon synthétique mais sans
doute d'une manière excessivement simplifiée par Barbash (1964) qui peut
nous servir de guide pour établir une typologie des systèmes de relations
industrielles, encore faut-il voir comment, de ce point de vue, les approches
retenues se distinguent. Les considérations ci-dessus nous ont déjà permis
d'opposer le systémisme et le marxisme; nous croyons utile de faire intervenir
entre les deux une approche intermédiaire, plus proche sans doute de la
première que de la seconde mais néanmoins distincte. Si «la négociation est
une relation ponctuée de coopération et de conflits» (Boivin, 1987, p. 1982)
on peut en effet dire que là où Dunlop met l'accent sur la première, les
behavioristes mettent l'accent sur les seconds sans toutefois leur attribuer la
place décisive qu'ils ont dans la construction marxiste. Or, « on ne peut parler
de relations industrielles qu'à deux conditions : que soit reconnue l'existence
d'intérêts divergents ou conflictuels entre les parties; que leur négociation
vise à établir des règles et des procédures de traitement des différents ou des
revendications individuelles ou bien collectives» (Touraine 1970, p. 979).

En d'autres termes si, au prix d'une formule sans doute excessive mais
permettant de faire image, il nous fallait caractériser ces différentes construc¬
tions, nous dirions que dans l'approche systémique le conflit est négligé, que
dans l'approche behavioriste il est assumé, que dans l'approche marxiste il
est consacré.

387
Guy Caire

1. Approche systémique

On supposera le terme de système suffisamment connu dans sa nature


pour pouvoir faire l'économie d'une discussion sur ses principes fondateurs
(Larouche et Deon 1984). On définira donc un système comme un ensemble
d'éléments interdépendants qui contribuent chacun à la prégnance du tout et
à la réalisation de l'équilibre homéostatique qui le maintient en survie. On
pourra par là-même se borner à présenter successivement l'utilisation que
font de cette notion les auteurs qui s'inscrivent dans la mouvance de Dunlop
et porter ensuite quelques éléments d'appréciation sur les conséquences en
résultant.

a) Présentation d'un mode d'analyse

On peut donner une représentation de la conception systémique en matière


de relations industrielles soit à l'aide d'une représentation diagrammatique,
soit à l'aide d'un système d'équations.
La première modalité pourrait se présenter comme suit (Boivin 1987,
p. 192) :

Environnement Système de relations industrielles


Intrants Activités Extrants
-contexte écologique objectifs, valeurs, -formation
recrutement,
motivation
sélection,du - roulement du personnel
-contexte politique pouvoir (structures - absentéisme
-contexte économique et idéologie) personnel au niveau de - satisfaction au travail
-contexte légal et employeurs, emplo¬ l'entreprise - productivité
constitutionnel yés État -politiques de main-d'œu¬ - droits de gérance de l'emplo¬
-contexte social vre yeur
- détermination unilatérale - salaires, avantages sociaux et
des règles de travail par les autres conditions de travail
parties ou par l'État (nor¬ -reconnaissance syndicale et
mes de travail) protection institutionnelle du
- négociation collective et syndicat
détermination de son cadre - conflits du travail
légal
-comités conjoints
- action politique et lob-
byng
Rétroaction (influence du système de relations industrielles sur les autres contextes ou systèmes).
Le modèle sous-jacent à l'approche de Dunlop peut à son tour être présenté
à l'aide d'un système d'équations. C'est ce que font A.N. Blain et J. Gennard
(1970, p. 401) qui écrivent :
r = f (a, t, e, s, i) (1)
r étant les règles (variable dépendante), a les acteurs, t le contexte technolo¬
gique, e le contexte du marché ou contraintes budgétaires, s le contexte de

388
Des relations industrielles comme objet théorique

pouvoir et le statut des parties, i l'idéologie, c'est-à-dire l'ensemble des


variables indépendantes, la fonction du système étant l'établissement des
règles au lieu de travail et pour la communauté de travail (règles substantives
et règles de procédure). Quant à l'approche d'Oxford qui est en Grande-
Bretagne à la base des recommandations de la commission Donovan et qui
conçoit les relations industrielles comme l'étude des institutions de job regula¬
tion (régulation interne ou externe à l'entreprise) on peut la synthétiser par :

r = f(b) (2)
ou :
r = f (c) (3)

b étant la négociation collective, c le conflit résolu à travers la négociation


collective. On peut en effet considérer qu'il n'y a pas de différence essentielle
entre les deux approches car «Flanders (job regulation) et Dunlop ( the web
of rules) sont tous deux concernés par le processus d'élaboration des règles
(rule making) et le comportement régulé par les règles ( rule-regulated beha¬
viour) en matière d'emploi, mais tandis que Flanders est intéressé par la
négociation collective, l'intérêt principal de Dunlop se situe dans l'analyse
nationale comparative» (Wood et al, 1975, p. 305). On a donc, dans les deux
cas, le même output, ce sont simplement les inputs qui diffèrent. A. Craig
(1975) raffine cette présentation en introduisant des inputs complémentaires
( within inputs) qui incluent les buts, les valeurs et le pouvoir des acteurs dans
le système de relations industrielles, en considérant les outputs comme ayant
un impact sur les inputs de l'environnement par un mécanisme de feed-back,
en élargissant enfin le contexte d'environnement en le considérant sous ses
aspects économiques, sociaux, politiques et juridiques.

Appréciation

Le modèle Dunlop a connu un très large succès. En témoigne le nombre


de citations de «Industrial relations systems» relevées par Meltz (1989) : 9
entre 1966 et 1970, 6 entre 1971 et 1975, 30 entre 1976 et 1980, 48 entre
1981 et 1985, 32 de janvier 1986 à août 1988, soit 125 au total. Cependant
ce succès tient pour partie à l'imprécision des objectifs assignés par ses
lecteurs à l'œuvre de Dunlop : par exemple, les uns y voient une simple
suggestion heuristique (Bain et Clegg 1974), une description plus qu'une
interprétation (Hill et Turley 1974), une description plus qu'une interprétation
(Hill et Turley 1974), tandis que d'autres, tout en en dénonçant les limites, y
voient une véritable percée théorique (Blain et Gennard 1970). Dunlop est
d'ailleurs en partie responsable de ceci dans la mesure où il présente tour à
tour son œuvre comme une «théorie générale» (1958, p. VII) et comme ayant

389
Guy Caire

un objectif taxinomique d'arrangement et d'interprétation des faits connus


(1958, p. 380).

Mais la rançon de cette popularité a été qu'on lui a adressé également de


nombreuses critiques qu'il serait sans doute fastidieux de recenser. K.E.
Walker (1977, pp. 311-312) les a pour l'essentiel rassemblées en une présenta¬
tion lapidaire que nous pouvons nous contenter de reproduire. « La formula¬
tion et l'application du concept de système de relations industrielles de
Dunlop, écrit-il, ont été critiquées de nombreux points de vue : a) C'est une
conception statique et non dynamique; b) elle est centrée sur la structure du
système ignorant les processus à l'œuvre; c) elle est socialement conservatrice
insistant sur la stabilité du système de relations industrielles plutôt que sur
les conflits et les contradictions qui s'y manifestent; d) elle met l'accent sur
les règles formelles, négligeant l'importance des règles et des processus
informels; e) une confusion existe entre le système de relations industrielles
en tant qu'abstraction et qu'entité concrète (comme par exemple le système
de relations industrielles britannique); f) il n'y a pas d'indication sur la
manière dont, dans le système, les inputs sont convertis en outputs; g) le
système est traité du point de vue de l'environnement et ne propose aucune
articulation entre le niveau de l'établissement et le système global ».

Ces critiques sont de divers ordres, les unes présentant un caractère plus
méthodologique, les autres mettant davantage l'accent sur le finalisme impli¬
cite de la construction. On peut tenter de remédier aux premières en amendant
la construction de Dunlop. Par exemple Craig (1974) inclura les valeurs dans
le système. Hameed (1975) renforcera son aspect pluridisciplinaire et essaiera
de ne pas privilégier la seule stabilité en introduisant à côté de l'analyse des
règles celle des processus à l'œuvre. Roche (1986) observera que c'est sans
doute une ironie de l'histoire que les lecteurs n'aient retenu que l'aspect
formel des premiers chapitres de l'ouvrage de Dunlop de 1958 qu'il estime
quant à lui de faible apport théorique, alors que le chapitre 8 développe une
théorie beaucoup plus dynamique, ce qui est réintroduire, en lui attribuant
un poids décisif, le rôle de l'histoire. La seconde catégorie de critiques nous
paraît beaucoup plus fondamentale. C'est sans doute la référence explicite à
Parsons qui conçoit la société comme autorégulée et autoreproduite {self
regulating and self maintening) qui est responsable du statisme de l'approche
dunlopienne, de son caractère conservateur, de la faible attention portée aux
conflits alors que, comme le remarque Elridge (1968), conflit et coopération,
stabilité et instabilité méritent tout autant d'attention les uns que les autres.
C'est essentiellement pour réagir contre ce statisme que vont se développer
les travaux de l'école behavioriste.

390
Des relations industrielles comme objet théorique

2. Approche behavioriste

Couvrant des domaines variés qui vont des attitudes des travailleurs à
l'égard de leurs syndicats, aux structures, comportements et influence exercée
par ceux-ci, aux stratégies des entrepreneurs, à la dynamique de la négociation
(Lewin et Feuille 1983), les spécialistes de relations industrielles rangés sous
cette banière, parfois encore appelée interactionnisme ou analyse stratégique
voire néo-institutionnalisme (Reshef et Murray 1988) ne constituent pas un
groupe homogène; ils semblent cependant avoir en commun de «concevoir
la régulation normative du travail industriel comme un processus soumis à
des influences sociales (Schienstock 1981, p. 174). Si l'on accepte cette idée
selon laquelle les acteurs ont un rôle actif et pas seulement réactif, on peut
alors tenter de reconstituer rapidement la formation de ce courant de pensée
et présenter les hypothèses qu'il fait siennes.

a) Genèse d'une approche

En procédant à très grands traits à ce qui relève dès lors davantage du


sondage que de l'inventaire, on peut faire apparaître comme anticipant les
travaux contemporains auxquels nous nous intéressons ici, les noms de :
J.R. Hicks (1932) avec son analyse du monopole bilatéral dans lequel, face
à la menace de grève, les parties sont considérées comme des décideurs dont
le comportement est orienté par un calcul économique du risque;
F. Zeuthen (1930) qui ajoute à ce type d'analyse le rôle de l'incertitude
avec la notion d'aversion pour le risque pouvant conduire un participant à
surestimer le pouvoir de négociation de l'adversaire, tandis que peuvent
intervenir d'autres facteurs de personnalité (pouvoir de persuasion, image de
soi, orientation vers la performance, etc.);
J. Pen (1966) qui fait intervenir la faculté d'influencer la perception du
risque de l'adversaire en faisant donc intervenir un jeu stratégique avec
persuasion, contrainte, etc.;
A.W. Gottschalk (1973) qui considère les caractéristiques de l'individu
négociateur, lequel peut se comporter comme un simple délégué ou comme
un véritable leader;
A. Douglas (1957) qui, d'un point de vue stratégique, décompose le proces¬
sus de bargaining en trois phases : celle de la recherche de délimitation des
objets de la négociation; celle de la recherche du champ des possibilités
d'accord, celle enfin visant à forcer l'adversaire à prendre sa décision;
R.E. Walton et R.B. McKersie (1965) qui affineront encore davantage
l'analyse du processus de négociation en distinguant quatre sous-procès ayant
chacun une fonction distincte : procès distributif, procès intégratif, procès de
structuration des attitudes, procès intraorganisationnel.
Guy Caire

Mais d'une manière plus précise et au-delà de ces travaux essentiellement


consacrés à la négociation collective qui, il est vrai, est un des dispositifs
essentiels des relations industrielles, c'est en réaction contre le caractère
statique de l'approche dunlopienne que ce se sont esquissées les nouvelles
orientations. En effet, dans l'approche systémique, «l'accent est mis sur la
structure du système de relations industrielles et ignore les processus que sont
les dynamiques des comportements dans le système» (Blain et Gennard 1970,
p. 402); le système dunlopien «ne donne aucune indication des processus
complexes par lesquels les inputs sont transformés en outputs» (Somers
1969, p. 43); «les relations industrielles telles qu'elles se sont jusqu'à présent
construites sont plus concernées par l'étude de la résolution des conflits que
par leur genèse (Margerison 1969, p. 273).
C'est pourquoi un auteur tel que Hameed (1975) a tenté de compléter
l'approche « externe » que pratiquent les juristes ou les économistes par une
approche «interne» caractéristique des psychosociologues en proposant un
modèle intégrant le rôle des inputs ressortissant à l'environnement, privilégiés
par Dunlop, avec des éléments behavioristes.
De même, pour remédier aux insuffisances du paradigme systémiste
Kochan, McKersie et Capelli (1984) ont suggéré de compléter l'analyse, en
la dynamisant par là-même, grâce à l'introduction du concept de choix
stratégique, utilisé par les théoriciens des organisations comme Chandler,
Simon, Cyert et March. Cela permettrait de rendre compte de phénomènes
actuellement observés dans la plupart des pays comme le déclin syndical, le
changement des valeurs sociétales, les initiatives, dans le domaine des règles
du travail, des employeurs ou des gouvernements et, par ailleurs, de tenir
compte du fait que les niveaux de décision peuvent être le lieu de travail
mobilisant individus et groupes, un niveau intermédiaire où interviennent
négociation et politiques du personnel, enfin un niveau supérieur où joue le
tripartisme. On peut cependant considérer que cette tentative de réintroduire
le pouvoir, ce grand absent de la théorie systémique, par l'intermédiaire de
la notion de choix stratégique n'est pas, malgré tous les efforts de Kochan et
de ses collègues, totalement satisfaisants (Dimmock et Sethi 1986).

b) Hypothèses constitutives

C'est sans doute C.J. Margerison (1969) qui a le mieux précisé la nature
de cette approche des relations industrielles qui, selon G. Strauss et P.
Feuille (1978) s'est considérablement développée après 1960 aux Etats-Unis au
moment où l'approche systémique ou institutionnaliste commençait à perdre
un peu de son mordant. Partant du postulat que le conflit est une chose
inévitable dans les sociétés industrielles, Margerison défend l'idée qu'il est
nécessaire de le réguler à travers un corps de règles, ce qui n'est pas en

392
Des relations industrielles comme objet théorique

désaccord fondamental avec la conception traditionnelle qu'on pouvait trou¬


ver chez Dunlop ou chez Flanders. Mais, là où l'accent est généralement mis
sur l'étude des solutions plutôt que sur la genèse des conflits, Margerison va
défendre la thèse que c'est l'étude des comportements des acteurs plus que
celle des institutions qu'ils mettent en place qui importe. Prolongeant la
remarque de Fox suivant qui la connaissance des facteurs qui produisent le
conflit est aussi essentielle que la connaissance des modes de résolution des
conflits, il va nous proposer un modèle à deux niveaux. Au niveau de
l'établissement il convient de partir des objectifs des trois parties concernées :
le management qui s'efforce de contrôler organisation du travail et les salaires,
les travailleurs qui veulent également avoir le contrôle de ces deux éléments
et les actionnaires préoccupés de la survie de l'entreprise, de la réalisation de
la production et de la croissance du profit, objectifs dont la confrontation
va engendrer les relations de travail. De ces objectifs découle une situation
qui peut être interprétée comme un système sociotechnique, gérant une
technologie, attribuant des tâches et procurant, dans le travail, plus ou moins
de satisfactions aux acteurs. A partir de ces objectifs et de cette situation va
s'établir un champ d'interaction caractérisé par un type de contrat, une
structure organisationnelle, des rôles sociaux et des relations d'autorité. Ce
champ d'interaction va donner naissance à trois types de conflits : conflit
distributif relevant de l'économie et concernant le contrat de travail, conflit
structurel relevant de la sociologie économique et découlant des structures
organisationnelles, conflit de relations humaines analysé par la psychologie
sociale et issu de la confrontation des rôles et relations d'autorité. A chacun
de ces conflits va correspondre un produit potentiel pour les travailleurs et
un mode de résolution : le conflit distributif va provoquer des pratiques
restrictives, des grèves, des lock-out dont on pourra sortir par la négociation
collective; du conflit structurel vont résulter des problèmes de démarcation,
des concurrences d'autorités que l'analyse structurelle des systèmes socio-
techniques est à même de traiter; des conflits de relations humaines sont issus
les phénomènes d'aliénation individuelle, les affrontements interindividuels et
de groupe que les techniques de gestion du personnel, et les analyses de
relations et attitudes interpersonnelles vont permettre de résoudre. A ce
premier niveau peuvent venir s'en superposer d'autres mettant aux prises les
acteurs organisés qui peuvent faire remonter le conflit non résolu au niveau
de la firme à des niveaux supérieurs, conduisant ainsi le chercheur à s'intéres¬
ser aux mécanismes d'ensemble des relations industrielles et aux institutions
qui ont été mises en place pour résoudre le conflit. Mais si le conflit est pris
comme objet d'analyse au lieu et place du contrat, son origine demeure
inexpliquée. Ce sera précisément l'ambition du marxisme que d'essayer de
rendre compte de ses conditions d'apparition.

393
Guy Caire

3. Approche marxiste

L'approche marxiste ne constitue pas un tout unifié. Non seulement parce


qu'il y a différentes écoles au sein de la famille marxiste. Mais aussi parce
que, dans le domaine qui nous intéresse directement, les travaux se situent à
différents niveaux d'abstraction dont on peut distinguer au moins deux
catégories suivant que ces recherches marxistes se situent au plan de la
réflexion conceptuelle ou de l'analyse opérationnelle.

a) Au plan de la réflexion conceptuelle

Au premier niveau ce sont sans doute les travaux de R. Hyman qui


constituent actuellement le meilleur instrument de référence parce que se
situant très directement dans le domaine qui nous concerne. On peut donc
essayer d'en reconstituer l'argumentaire.
Dès les premières pages de son ouvrage il montre bien quelle est la
spécificité d'une approche marxiste par rapport à l'approche conventionnelle;
«De la manière la plus brève, cette perspective peut être résumée sans trop
de distorsion par quatre mots : totalité, changement, contradiction et prati¬
que. Par totalité, il faut entendre le fait que les différents phénomènes sociaux
sont interdépendants et qu'aucun domaine de la vie sociale ne peut par
conséquent être examiné de façon isolée...» (1975, p. 4).
C'est donc dire que définir le système de relations industrielles à la manière
de Dunlop ou de Flanders, en termes de règles et de régulation est non
seulement trop restrictif mais bien plus encore implique une attitude conserva¬
trice en mettant l'accent sur la manière dont le conflit est contenu et contrôlé
plus que sur la raison de son apparition. Ce conservatisme est renforcé par
la référence à la notion de système qui, s'attachant à la manière dont les
institutions et les procédures sont compatibles et bien intégrées, a comme
conséquence de renforcer cet aspect de stabilité, d'équilibre inhérent à la
vision.
La notion de relations industrielles, telle qu'elle se dégage chez Dunlop,
même si ce dernier tente d'en légitimer et d'en rationaliser le champ d'étude,
n'a aucune autonomie; bien plus, c'est un secteur qui apparaît manipulateur
et borné, relevant de la « sociologie soumise » (cow sociology ) suivant Hyman
(1979, p. 423) qui rappelle le mot de Miliband (1969, p. 80) : «les relations
industrielles : cet euphémisme consacré pour exprimer le conflit tantôt aigu,
tantôt latent entre le travail et le capital ». Le véritable enjeu est autre : c'est
l'analyse du procès d'ensemble de la production et de l'accumulation capita¬
liste et des relations sociales et politiques entre classes qui en résultent, ce
qui conduit à définir trois champs d'étude : la dynamique de l'accumulation
capitaliste et ses incidences sur le procès de travail, la nature de la classe

394
Des relations industrielles comme objet théorique

ouvrière et ses différenciations internes, la transformation des modes d'impli¬


cation de l'État dans les relations travail-capital. Les relations industrielles,
en tant que telles, n'ont de valeur analytique qu'à partir du moment où elles
témoignent d'une « sensibilité à la dynamique contradictoire de la production
capitaliste, à la structure antagoniste des intérêts matériels sur le marché du
travail et dans le processus de travail, à l'apparition et à la genèse persistante
du conflit et du désordre au sein des institutions et des procédures destinées
à apporter ordre et stabilité aux relations employeurs-salariés» (Hyman 1978,
p. 35). Il leur faut donc incorporer l'existence de processus et de forces
contradictoires donnant à la stabilité et à l'instabilité une égale signification,
considérer les sources aussi bien que les conséquences du conflit. Ce qui
aboutit finalement à définir les relations industrielles comme «l'étude du
processus de contrôle sur les relations de travail» (Hyman 1975, p. 12),
faisant intervenir non seulement les organisations mais aussi les travailleurs
eux-mêmes et également, pour éviter tout phénomène de réification, les
relations structurées aussi bien que les relations non structurées.
Pour comprendre le fonctionnement du système global, il est nécessaire de
partir de ce qui en est le régulateur — le profit — des relations de marché
qui concernent la force de travail, traitée comme marchandise (et non comme
simple facteur de production), le marché étant lui-même «un moyen de
pouvoir et le reflet de la répartition du pouvoir dans la société» (Hyman
1974, p. 183), de la structure de classes de la société et en particulier du
conflit radical d'intérêts entre les deux classes fondamentales, du caractère
par nature inégalitaire du contrat de travail, de considérer en d'autres termes
que «la lutte pour le pouvoir est une caractéristique centrale des relations
industrielles» (Hyman 1975, p. 26).

b) Au plan de la recherche opérationnelle

C'est sans doute le mérite de l'école française de la régulation que d'avoir


tenté de dépasser les proclamations de principe pour proposer une théorie
alternative. Sa particularité « tient à une inspiration théorique qui part fonda¬
mentalement de la tradition marxiste, se nourrit de références keynésiennes
et de travaux d'histoire économique pour renouveler les interrogations des
institutionnalistes et aboutir à une construction qui se veut originale » (Boyer
1986, p. 21).
Pour répondre à la question centrale de la variabilité dans le temps et dans
l'espace des dynamiques économiques et sociales, cette école va élaborer un
ensemble hiérarchisé de notions intermédiaires. Le point de départ se situe
dans les modes de production et leur articulation au sein de formations
sociales, ce qui permet d'éviter la confusion entre, d'un côté, les rivalités des
individus et les stratégies qu'ils peuvent mettre en œuvre et, d'un autre

395
Guy Caire

côté, les rapports sociaux de production et d'échange. Intervient ensuite une


première notion intermédiaire, celle de régime d'accumulation synthétisé par
des grains de productivité et un mode de partage social et conçu comme
«ensemble des régularités assurant une progression générale et relativement
cohérente de l'accumulation du capital» (Boyer 1986, p. 46), c'est-à-dire un
ajustement de la production, de la répartition et de l'usage du revenu grâce
à un certain type d'organisation de la production, à un horizon temporel de
valorisation du capital générant des principes de gestion, un partage de la
valeur entre groupes sociaux, une composition de la demande sociale et
éventuellement une modalité spécifique d'articulation avec les formes non
capitalistes. Une seconde étape va conduire à caractériser la configuration
exacte des formes institutionnelles, celles de la contrainte monétaire, de la
concurrence, de l'Etat, de l'adhésion au régime international et surtout, car
nous intéressant plus directement, la configuration du rapport initial. « Définir
diverses formes du rapport salarial revient à caractériser les relations mutuelles
entre différents tpes d'organisation du travail, le mode de vie et les modalités
de reproduction des salariés. En termes analytiques, cinq composantes inter¬
viennent pour caractériser les configurations historiques du rapport capital-
travail : types de moyens de production; formes de la division sociale et
technique du travail; modalités de mobilisation et d'attachement des salariés
à l'entreprise; déterminants du revenu salarial, direct ou indirect; enfin mode
de vie salarié, plus ou moins lié à l'acquisition de marchandises ou à l'utilisa¬
tion de services collectifs hors marché.
Ce cadre analytique a servi a examiner, de manière pertinente et originale,
un certain nombre de questions concrètes : les évolutions du rapport salarial
dans la crise et l'éventuelle sortie du rapport salarial « fordiste » qui a caracté¬
risé l'époque des «Trente glorieuses» (Boyer 1981); les transformations des
formes d'interventions publiques durant la même période (André et Delorme
1987), les implications des différentes formes de la «flexibilité» du travail
dans divers pays européens (Boyer 1986), etc.
Nous avons caractérisé les trois constructions analysées à partir de la
position qu'elles adoptent par rapport à ce qui nous a paru être au cœur de
la discipline des relations industrielles, le conflit. Nous aurions pu aussi bien
les opposer à partir de leur vision plus ou moins étendue : le systémisme
s'intéressant au point d'aboutissement des confrontations sociales que consti¬
tue l'élaboration des règles, le béhaviorisme tentant de rendre compte, en
amont, de la manière dont on y est parvenu en analysant le jeu stratégique
des acteurs concernés, le marxisme essayant, quant à lui, dans une vision
prenant simultanément en compte le passé et le présent, d'expliquer tout à la
fois les raisons des affrontements sociaux qui doivent être recherchées dans
la dynamique même du système capitaliste et la forme, contingente, mais
nécessairement compatible avec les autres composantes du rapport salarial

396
Des relations industrielles comme objet théorique

que ceux qui font l'objet d'une négociation et aussi avec les autres formes
institutionnellles que peuvent prendre les compromis sociaux à un certain
moment.
Mais cette «revue des troupes» nous permet en même temps de cerner
les orientations que devrait prendre la recherche et qui sont celles mêmes
qu'esquissait, il y a une vingtaine d'années, Cox (1968, pp. 6-7) lorsqu'il
écrivait : « Du point de vue historique, il existe deux sources à partir desquelles
il paraît possible d'élaborer une théorie : le marxisme et le fonctionnalisme.
Appliqué aux relations professionnelles, le marxisme attire l'attention sur le
conflit en tant que moteur du changement. Le fonctionnalisme souligne le
consensus ou le contenu normatif des systèmes sociaux qui en assurent la
cohésion et le maintien. Le grand avantage de la théorie marxiste réside dans
l'explication qu'elle fournit de l'évolution historique. Sa faiblesse tient souvent
à ce qu'elle limite étroitement les variables indépendantes aux variables de
caractère économique. Le fonctionnalisme, par la conception du système
social qui lui est propre, est à même de prendre en considération un certain
nombre de variables interdépendantes, mais peut aisément pécher par excès de
conservatisme en se concentrant par trop sur les mécanismes homéostatiques
tendant à maintenir l'équilibre, et il est, ce qui est logique, dans l'incapacité
d'expliquer, l'évolution historique. Pour être utile aujourd'hui, il faudrait
qu'une théorie générale des relations professionnelles puisse expliquer de
manière satisfaisante à la fois le conflit et le consensus et puisse aussi rendre
compte de l'évolution, et il faudrait qu'elle soit une théorie du développement
et soit susceptible de dégager dans leurs grandes lignes les perspectives
d'avenir possibles et de concentrer l'attention sur les problèmes qui viendront
à se poser».

GUY CAIRE
CRESST;
Université de Paris-Sud -
CNRS - Paris (*)

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(*) 54, boulevard Desgranges — 92330 Sceaux

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