« L'imaginaire du roman de la forêt à travers l’œuvre d'Arturo D. Hernández »
Titre original : « El imaginario de la novela selvática en la obra de Arturo D. Hernández »
La littérature amazonienne est aujourd'hui encore peu (re)connue et faiblement
représentée sur le marché du livre. Il s'agit pourtant d'un vaste et productif champ littéraire regroupant de nombreux auteurs originaires des différents pays du bassin amazonien. Au Pérou, le roman de la forêt est un genre qui a commencé sa réelle ascension à travers le courant régionaliste auquel a été associée l’œuvre d'Arturo Demetrio Hernández (1903-1970), écrivain originaire de la région de Loreto. La formulation du titre de notre travail de recherche résulte de l'étude approfondie de ses romans qui révèle l'omniprésence d'un lexique renvoyant au thème de la croyance : religieuse, magique, mythique, superstitieuse, utopique. La narration rassemble les différents aspects de ces croyances qui s'inscrivent par définition dans le domaine de l'imaginaire, qui est ici un imaginaire profondément lié à l'espace amazonien, à son identité. Pour des raisons de concision et de cohérence, le corpus se centre sur le premier roman de notre auteur (Sangama, roman de la forêt amazonienne, 1942) et sur le dernier (Bubinzana, la chanson magique de l'Amazonie, 1960). La problématique est donc la suivante : comment la dimension magique, surnaturelle, qui a pris de plus en plus d'importance dans les romans d'Arturo D. Hernández, peut-elle s'intégrer à une œuvre dite réaliste, régionaliste ? L'objectif de cette étude est de démontrer que le roman amazonien péruvien est un nouveau courant qui ne dépend pas exclusivement des codes et critères littéraires usuels préexistants, tels que le régionalisme ou le réalisme magique. Afin de répondre à la problématique et de situer l’œuvre de notre auteur, la première partie du mémoire est consacrée à l'apparition et à la définition du courant réaliste qui est à la base du régionalisme. Depuis la fin du XIXème siècle jusqu'à la moitié du XXème, l'ensemble des pays d'Amérique Latine connaît un processus historique de construction identitaire qui se traduit, en littérature, par le roman régionaliste dont les modèles sont : La Vorágine (1924, Colombie) de José Eustasio Rivera (1888-1928), Don Segundo Sombra (1926, Argentine) de Ricardo Güiraldes (1886-1927) et Doña Bárbara (1929, Venezuela) de Rómulo Gallegos (1884-1969). Après un rappel plus spécifique sur le régionalisme au Pérou, nous évoquons en fin de première partie les particularités de la littérature amazonienne péruvienne et présentons les deux auteurs considérés comme les pionniers littéraires de cette Amazonie : Francisco Izquierdo Ríos (1910-1981) et Arturo D. Hernández. Enfin, nous définissons le réalisme merveilleux amazonien en le différenciant du réalisme magique. La définition des diverses manifestations de l'imaginaire structure les deux autres parties du mémoire. Afin de comprendre comment s'exprime le thème de l'imaginaire d'un point de vue esthétique et littéraire dans l’œuvre d'Arturo D. Hernández, la deuxième partie de notre étude cible les croyances en tant que constructions historiques, religieuses et sociales dans les deux romans (à savoir : mythe, légende, foi, superstition, utopie). Par conséquent, nous procédons à l'analyse d'un personnage récurrent : le prêtre, entre pureté et péché, avant d'aborder les mythes et les légendes datant de l'époque précolombienne qui contribuent à définir la culture amazonienne et/ou péruvienne. La notion d'utopie (le passé idéalisé et le futur rêvé) est également traitée car, dans Sangama comme dans Bubinzana, son importance est incontestable. La présence d'un monde magique et celle du surnaturel font l'objet de la troisième partie qui est donc dédiée à l'analyse détaillée de ce qui relève de l'extraordinaire, de l'étrange ou de l'invraisemblable ; par exemple, les hallucinations et les rêves hypnotiques provoqués par la prise d'ayahuasca, en relation étroite avec la cosmovision amazonienne. Après avoir défini la pensée magique dans le cadre de l'imaginaire, en la reliant à la nature et aux fonctions de la littérature, nous parlons de la forêt comme de l'espace dédié à la mise en scène de la dimension magique dans la narration. Ensuite, la présence importante d'un autre personnage commun aux œuvres de notre corpus nous amène à la deuxième étude de personnage de ce mémoire : le sorcier, un personnage complexe, tantôt amical et bienveillant (Sangama) tantôt ambigu et effrayant (Bubinzana) mais toujours porteur de grands mystères et connaisseur de la forêt. Le réalisme régional du corpus est construit autour de l'enchevêtrement d'ensembles opposés rendus complémentaires : vraisemblable et invraisemblable, réel et surnaturel, religion et magie, réalité et rêve se succèdent, se mélangent, se superposent, s'inversent parfois jusqu'à se confondre et former un seul ensemble. L'auteur recrée une réalité qui n'est ni manichéenne ni duelle, mais plurielle, intrinsèquement liée à l'image de la forêt amazonienne péruvienne. L’œuvre d'Arturo D. Hernández, entre 1940 et 1960 (période dite post-caoutchouc) représente l'arrivée du roman amazonien dans le panorama littéraire péruvien, et commence à définir les caractéristiques de ce nouveau courant que les générations d'auteurs suivantes vont adapter aux enjeux de leur temps, précisant ainsi les multiples contours d'une littérature amazonienne péruvienne en perpétuelle évolution.