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peur
PHOTO CHARLY TRIBALLEAU, AGENCE FRANCE-PRESSE
Passante devant un panneau publicitaire, à Tokyo, au Japon
Le coronavirus inquiète parce qu’il est nouveau, qu’il se propage vite et qu’on
en parle beaucoup. Cependant, combattre l’anxiété et l’évitement est aussi
important que de rester informé.
Publié le 10 mars 2020 à 9h00
FRANÇOIS RICHER
NEUROPSYCHOLOGUE, PROFESSEUR À L’UQAM
Un danger imprévisible
Les épidémies ne sont pas un danger comme les autres. Elles frappent l’imagination
car le danger est imprévisible, il peut surgir n’importe quand et il rend notre
environnement et les autres potentiellement dangereux. Nos ancêtres s’inquiétaient
des prédateurs qui pouvaient bondir dans la noirceur. Les instincts qu’ils nous ont
transmis à travers les générations nous mettent en alerte à propos des menaces
sournoises contre lesquelles on a peu de protection. Le cancer aussi frappe
beaucoup de monde un peu au hasard, mais il nous apparaît comme inévitable et il
ne s’attrape pas à cause de notre entourage durant une journée normale.
Surtout à l’ère des médias sociaux. On devient plus inquiet et plus vigilant, à l’affût
des signes de danger. On est plus sensible aux rumeurs. On généralise et on
exagère. Notre cerveau nous suggère de nouveaux thèmes d’inquiétude : et si
quelqu’un toussait près de moi dans un lieu public ? Et si on me mettait en
quarantaine à cause d’un collègue ou à cause d’un déplacement ? Et si…
En plus de favoriser l’anxiété de masse, les épidémies sont des dangers qui
mobilisent plus nos instincts d’auto-protection (figer, éviter, fuir) et moins nos instincts
de défense active. On évite certains endroits, on se déplace moins et on recherche
moins les échanges. Notre zone de confort rétrécit et on se referme sur nous-même.
Mais l’auto-protection et l’évitement peuvent nous nuire quand on les laisse prendre
le contrôle. Ces réactions peuvent augmenter notre anxiété et diminuer notre
sentiment de contrôle. Elles peuvent aussi diminuer notre empathie et notre
solidarité.
On peut prévenir la psychose de l’épidémie. En premier lieu, on se décrispe
lorsqu’on sent que notre communauté (hôpitaux, agences, gouvernements) se
prépare correctement, qu’elle a une réponse compétente, proactive et bien dosée
par rapport à la menace réelle. Sur le plan personnel, on peut modérer notre
consommation d’informations, évaluer froidement notre situation et surtout ne pas
surréagir. Mais aussi, on peut passer de l’auto-protection au sentiment de contrôle
lorsqu’on considère les personnes atteintes comme des victimes qui méritent notre
sympathie, plutôt que comme des menaces, comme lors d’une catastrophe naturelle
(inondations, tremblement de terre). On se protège mais on agit pour le bien de notre
entourage. Comme dans plusieurs communautés asiatiques en ce moment où l’on
prend les nouveaux arrivants en charge parce que c’est un problème collectif qui
requiert des solutions collectives. Bref, retrouver le contrôle en retrouvant l’humain
derrière le virus.