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Diasporas.

Histoire et sociétés

La mémoire nationale rejoint la réalité historique


Philippe Joutard

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Joutard Philippe. La mémoire nationale rejoint la réalité historique. In: Diasporas. Histoire et sociétés, n°6, 2005. Migrations en
mémoire. pp. 23-26;

https://www.persee.fr/doc/diasp_1637-5823_2005_num_6_1_980

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La mémoire nationale

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gines et de cultures. Autre paradoxe: c'est d’information historique sont les


dans les siècles antérieurs, à l'immigration autochtones que, faute de mieux, on
beaucoup moins forte, que l'on place des appelle populations premières, à la diffé¬
ancêtres venus de loin, les Francs, assimilés rence des diverses immigrations,
selon les cas aux descendants des Troyens grecques, celtes, romaines et franques,
ou des fils de Noé1 ! Au xvie siècle, quelques bien mieux documentées? Paradoxale¬
érudits évoquent déjà bien des Gaulois, mais ment, alors qu’au xxe siècle, l’immigra¬
ils en font aussi les descendants des tion se renforçait, la mythologie scolaire
Troyens. trouvait un renfort puissant dans le
La seule exception, mais elle mérite héros des célèbres bandes dessinées de
d'être signalée, c’est le cas de la ville de Goscinni et Uderzo, Astérix, qui sur un
Marseille. Celle-ci met en valeur dans mode humoristique continuait à exalter
son mythe de fondation le mariage de l’enracinement paysan et sa résistance
l’étranger grec, Protis, venu par la mer, face à l'envahisseur romain; implicite¬
avec l’autochtone et terrienne Gyptis. La ment, Astérix postule toujours l’unité
légende figure dans les petits manuels ethnique.
d’histoire locale de la fin du xixe siècle et
dans les fêtes de commémoration de la
fondation, en 1899. D’entrée de jeu, les | L'EXEMPLE AMÉRICAIN
Marseillais avaient compris que la
chance de leur ville résidait dans la ren¬
contre de gens et de cultures d’ici et
d'ailleurs et, disons-le, dans le métis¬
sage. Dans le dernier tiers du siècle sui¬
vant, ils l'ont un moment oublié !
Dans les manuels primaires, expres¬
sion privilégiée du mythe national, les
Français auraient pu de la même façon
imaginer le mariage du Celte gaulois
venu de l’est avec une autochtone. Ils
auraient pu aussi adopter le point de vue
de Michelet: le grand historien refusait
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Augustin Thierry, reprise par Hen ri Mar¬
tin, il préférait parler de «Celtes mixtes»,
mélange de Gaulois, de Grecs, de
Romains et de Germains. Ils auraient pu
aussi mettre en valeur le fait qu’ils tirent
leur nom d’une émigration, comme les
précédentes, venue de l’est, les Francs, et
que leur langue reflète à partir de sa
base romane le métissage fort avec l'ori¬
gine franque. Faut-il rappeler que les
peuples sur lesquels nous avons le moins

■ diasporas 6
Philippe iiitiflH

La ville
nous forcent à dépasser nos expériences passées, à de Marseille met
nous élever au-dessus de nos intérêts et nous ensei¬
gnent ce que c'est que d'être citoyens [...] Et chaque en valeur dans
immigrant, en embrassant ces idéaux, rend notre pays
son mythe
plus et non moins américain2.» Entre les deux plus
anciennes républiques modernes, il y a au moins un de fondation
point commun, au-delà des différences bien visibles,
le mariage
l'idée d'un projet national qui n'est pas fondé sur un
enracinement dans le sang ou même le sol, mais sur de Vétranger grec9
l'adhésion à des valeurs communes et partagées, ce qui
Protis9 venu
donc permettrait aux Français d'avoir un discours com¬
parable. Ce ne fut pas celui qui a été tenu, même si par par la mer ,
ailleurs la législation et les pratiques prennent en avec Vautochtone
compte déjà depuis longtemps le fait que la France est
une grande terre d’immigration, Patrick Weil l'a parfai¬ et terrienne Gyptis.
tement montré3.
Les premiers à avoir changé de discours furent les
généalogistes français qui, organisant leur congrès à
Marseille, en mai 2001, prirent comme thème «Ces
migrants, nos ancêtres». Signe des temps, au même
moment la commission d'experts pour les nouveaux
programmes de l'École primaire reprenait en Histoire la
perspective de Michelet en intitulant le premier point
fort de l'Antiquité: «À l'origine de l'histoire du terri¬
toire français, une diversité qui en fait la richesse,
populations premières, Grecs, Celtes (Gaulois) prédomi¬
nants» et en évoquant au début du Moyen Âge l'arrivée
de «peuples venus de l'est, les Francs et les Wisi-
goths4».
Le couronnement en est la création, en avril 2003,
d'une mission de préfiguration pour la création d'un
Centre de ressource et de mémoire de l'immigration qui
d'entrée de jeu adopte en sous-titre l'expression provo¬
catrice «Leur Histoire est notre Histoire», sous-titre
conservé lors de la création de la Cité nationale en jan¬ synthèse
française»
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la
vier 2005. L'écoute du prologue du film qui préfigure
l'exposition et que l'on peut suivre sur le site5, explicite
ce sous-titre et remet en cause aussi le mythe fonda¬
teur du xixe siècle : « Nos ancêtres les Gaulois, oui, mais
aussi les Romains, les Goths, les Francs, les Normands...
La France s'est construite avec les différents peuples
qui au fil des siècles, ont traversé le continent et s'y
sont installés. Le brassage de populations a toujours
existé sur notre sol», et le texte se poursuit en mon-

2 5 ■
■ la mémoire nationale...

trant la nouveauté qu'entraîne la révolution industrielle en matière


d’immigration. Le phénomène le plus significatif, c'est que cette
véritable révolution mentale s'est faite sans susciter de réactions
violentes ni de débats passionnés, comme si l'acceptation de la
réalité allait de soi. On ne peut que se réjouir de voir enfin notre
mémoire nationale rejoindre l'histoire. ■

Philippe Joutard
Philippe Joutard (Université de Provenee-EHESS) travaille sur l'his¬
toire de la mémoire historique, entre autres, à propos des huguenots
ou de la nation française. Il a publié notamment La Légende des
camisards, Histoire d'une sensibilité au passé (Gallimard, 1 977, 1 985),
Ces voix qui nous viennent du passé (Hachette, 1983), «Une passion
française: l'histoire» (André Burguière et Jacques Revel, dir., Histoire
de la France, Choix culturels et mémoire, Seuil, 2000, p. 301-424). Il
termine avec son épouse un ouvrage sur la francophilie aux États-
Unis. Il est membre du comité scientifique de la Cité Nationale de
l'Histoire de l'Immigration.

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