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L'Histoire aujourd'hui (HST-18370)

Compte rendu de conférence :

Amérique française ou Franco-Amérique? Le regard des géographes


Conférence d’Éric Waddell, Jeudi 2 avril 2009

Présenté à

Madame Aline CHARLES

Par

Guillaume LAGACÉ

Département d’Histoire
Université Laval
2

9 avril 2009
3

Éric Waddell est professeur associé au Département de géographie de l’Université Laval

et professeur honorifique de la School of Geosciences à l’Université de Sydney. Auteur de

plusieurs ouvrages collectif dont «Du continent perdu à l'archipel retrouvé : le Québec et

l'Amérique française» (1983), son travail l’amène à porter un regard historique et géographique

sur la présence francophone à travers l’Amérique. À travers ses multiples recherches, le

conférencier tente de sortir de l’oubli et de remettre à l’ordre du jour le concept d’Amérique

française dans une perspective plus globale.

Les grandes lignes de la conférence de Waddell peuvent se résumer à trois points

principaux. Premièrement, Éric Waddell expose la façon dont s’est construite sa démarche «géo-

historiographique» au fil de ses réflexions. Lorsque la Révolution tranquille prend son envol au

Québec dans les années soixante, le mouvement nationaliste québécois s’intensifie. À partir de

cette époque, il y a une conviction qu’il existe un «Québec en dehors du Québec». Ce courant de

pensée va influencer Waddell, qui, en collaboration avec Dean Louder, va tenter de définir un

«espace francophone vécu à travers une géographie culturelle éclatée» plutôt que se pencher sur

le fait francophone en Amérique strictement à l’intérieur d’un espace politique précis. Bien

entendu, le conférencier insiste sur les réactions face une telle démarche qui a suscité perplexité,

ambivalence et parfois colère. Il avoue qu’il s’agissait au départ d’un regard neuf plutôt que

d’une méthode scientifique précise. Il s’inspirait aussi des paroles de l’écrivain français Marcel

Proust qui disait que « l’importance n’est pas d’aller vers d’autres pays, mais de regarder avec

d’autres yeux». À partir de ce moment, il tente de cerner ce qu’il considère être les trois foyers

de la francophonie en Amérique du Nord, soit le Québec, l’Acadie et la Louisiane. Ceci fait, il

fait ressortir les diasporas et les flux migratoires pour identifier géographiquement la présence

française. En prenant l’exemple de la Louisiane, il démontre comment il utilise un facteur


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culturel tel que la musique afin d’en faire ressortir une géographie qui lui permet de construire un

portrait vivant et contemporain à travers une culture en partage.

Le deuxième thème de sa conférence est à propos de la pertinence de sa démarche. Pour

expliquer son propos, il cite Robert Guy Scully qui a comme ambition de placer un Québec

contemporain dans une grande Amérique française. Selon Waddell, la Franco-Amérique est un

objet d’étude et de connaissance qui atteste l'existence en Amérique d'une large présence

francophone. Bien que celle-ci soit plurielle dans ses affirmations, elle n'en tourne pas moins

autour de la langue française, d’une histoire commune et d’un imaginaire à dimension

continentale. De plus, il affirme que cela peut jouer un rôle déterminant au niveau politique pour

que chacun de ces espaces particuliers puissent rayonner et s'appuyer sur un réseau linguistique

et mémoriel.

Finalement, le dernier thème de sa conférence porte sur la résonance du concept de

Franco-Amérique à travers différents milieux. Au niveau littéraire, il dresse une liste des auteurs

ayant participé à l’élaboration d’un imaginaire collectif témoignant du fait français en Amérique

du Nord. Pour démontrer son point, il mentionne l’écrivain Henry Wadsworth Longfellow avec

son poème épique «Evangeline, A Tale of Acadie» qui est considéré comme un des mythes

fondateurs des États-Unis. Il cite aussi des auteurs contemporains comme Michel Lapierre qui

évoque dans ses écrits un imaginaire collectif. Lors de sa conférence, Éric Waddell démontre de

façon éloquente à quel point les flux migratoires ont façonné l’Amérique. Il modélise ceux-ci en

utilisant le Québec, seule véritable juridiction politique, comme point d’origine.

Ce conférencier n’est pas le seul à s’intéresser à l’héritage francophone à travers

l’Amérique du Nord. En effet, si on prend la question de la présence des Canadiens français en

Nouvelle-Angleterre, de nombreux ouvrages ont été écrits notamment par Yves Roby avec Les

Franco-américains de la Nouvelle-Angleterre : rêves et réalités (2000) et par Yves Frenette


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auteur du livre Les francophones de la Nouvelle-Angleterre, 1524-2000 (2001). Ceux-ci

démontrent les impacts de la participation des immigrants canadiens francophones dans les états

du Nord-est. De plus, on peut aussi inclure les travaux de Bruno Ramirez sur les migrations des

Canadiens français vers les États-Unis, La ruée vers le sud (2003). Il est important de rappeler

que c’est au cours de la période 1860-1880 que l’émigration canadienne-française vers les États-

Unis se transforme en flux constant. À partir de cette époque, des milliers de Canadiens français

traversent la frontière pour aller s’installer en Nouvelle-Angleterre1. Au début, l’expérience

migratoire est considérée comme temporaire pour ces migrants, mais au fil du temps, elle semble

graduellement devenir permanente et provoque l’émergence de plusieurs communautés canado-

françaises sur le territoire américain qui participeront au développement politique, économique et

culturel des États-Unis2. Il mentionne aussi la présence française en Louisiane. Quelques

chercheurs se sont penchés sur les Cajuns, notamment Carl Brasseaux et Sara Le Ménestrel qui

se sont beaucoup intéressés à l’évolution de cette minorité francophone dans le sud des États-

Unis entre 1765 à 1920 environ. Cette population francophone tient son origine de l’Acadie

française suite au Grand Dérangement de 1755. Lorsque les Acadiens sont déportés, certains

vont rejoindre la Louisiane dès 1765. À l’époque, ce territoire est déjà habité par des

francophones, des Créoles, et des esclaves noirs travaillants dans les plantations. Lors de cet

exode, les Acadiens apportent avec eux leur bagage culturel dans l’intention de recréer leur

société perdue3. Suite à l’union de l’ensemble des communautés déjà présentes sur cette terre et

de l’adaptation à ce nouveau territoire, les Acadiens deviennent des Cajuns4. À partir de ce

moment, on assiste à l’émergence d’une nouvelle culture en Louisiane qui tire son origine de

1
Bruno Ramirez, Par monts et par vaux : migrants canadiens-français et italiens dans l'économie nord-atlantique,
1860-1914, Montréal, Boréal, 1991, p. 26.
2
Yves Roby, Les Franco-américains de la Nouvelle-Angleterre : rêves et réalités, Sillery, Septentrion, 2000, p. 30.
3
Carl A. Brasseaux, Acadian to Cajun: Transformation of a people: 1803-1877, Jackson, University Press of
Mississippi, 1992, p. 82.
4
Sara Le Menestrel, La voie des Cadiens : tourisme et identité en Louisiane, Paris, Belin, 1999, p. 63.
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racines francophones. Finalement, on peut inclure un courant historique prenant forme dans la

littérature québécoise avec des auteurs comme Denis Yvan Béchard (Vandal Love ou Perdus en

Amérique, 2006) ou encore Michel Tremblay (La Traversée du continent, 2007). À travers leurs

livres, ces auteurs participent à l’élaboration d’une géographie culturelle de dimension

continentale et établissent des ponts entre les fractures de cette collectivité francophone présente

sur le continent.

Lors de sa conférence, Éric Waddell a essentiellement abordé le sujet contenu dans son

ouvrage «Du continent perdu à l'archipel retrouvé : le Québec et l'Amérique française» paru en

1983. Placer cette conférence en rapport aux courants actuels n’est pas une chose facile puisque

les travaux de Waddell en collaboration avec Dean R. Louder ont ouvert une nouvelle voie pour

l’univers francophone en Amérique, ont remis en question le monde anglo-saxon et ont secoué la

version reçue de l’Amérique du Nord, son histoire accréditée et sa mémoire géographique5. Au

terme de la conférence, il est possible d’affirmer qu’elle se rattache à un courant naviguant entre

l’histoire culturelle et l’anthropologie sociale. En pratiquant une méthode historique et

géographique axée sur l’aspect culturel ainsi qu’en intégrant des méthodes de recherches liées à

l’anthropologie, il est possible d’affirmer que les travaux d’Éric Waddell se détachent d’une

certaine façon des courants actuels. En effet, contrairement à des auteurs tels qu’Yves Roby ou

Yves Frenette, Waddell et ses collaborateurs mettent l’accent sur le travail de terrain et les

entrevues avec les différents groupes francophones. Ces sources orales et écrites rassemblées au

cours de leurs recherches occupent une partie très importante et font partie d’une des forces de

cette méthode. Une autre particularité de la méthode utilisée par Waddell est son détachement

face à des juridictions politiques pour forger une histoire nationale francophone à travers le

continent américain. Bien entendu, plusieurs problèmes surviennent à ce genre de pratique


5
Extrait de la note liminaire de Jean Morisset dans Dean R. Louder et Éric Waddell, Du continent perdu à l'achipel
retrouvé : le Québec et l'Amérique française, Québec, Presses de l'Université Laval, 2007.
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comme l’absence d’une organisation centrale pouvant recenser avec exactitude les francophones

ou descendants de francophones en Amérique du Nord. De plus, on peut reprocher au

conférencier de n’avoir aborder qu’en surface sa méthodologie. Il est très impressionnant

d’apprendre que 15 à 20 millions de gens vivants aux États-Unis ont des origines françaises ou

que 2 millions d’Américains parlent français à la maison, mais outre ces faits frappants, il est

difficile de comprendre de quelle façon il arrive à cerner ces espaces culturels. Il est dommage

que durant se conférence il n’eut le temps que de survoler une de ses méthodes qui consiste à

utiliser la musique pour identifier les locuteurs francophones en Louisiane. Toutefois, une des

grandes contributions d’Éric Waddell est d’avoir non seulement marqué le domaine de la

recherche universitaire, mais aussi d’avoir contribué à la mise en place d’un réseau de

«recherche-action» en ce qui concerne la présence et la contribution française en Amérique.

Ce qui ressort principalement de la conférence d’Éric Waddell est que le concept de

«Franco-Amérique» est un espace historique et géoculturel qui permet de dépasser la

correspondance simple entre les frontières terrestres et les solidarités politiques lorsqu'il est

question de la culture francophone en Amérique. C'est également un imaginaire qui donne accès

à un contient entier. Il permet d’indiquer les foyers de population où l'on parle le français à la

maison, mais aussi de constater que cette Franco-Amérique ne consiste pas simplement en son

histoire, son quotidien et ses communautés distinctes. Il s’agit aussi essentiellement de mémoire,

de traces, de folklore, de commémorations et de vestiges. Cette Franco-Amérique est avant tout

un imaginaire culturel, politique, géographique dont les acteurs sont dispersés sur ce vaste

continent.

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