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LE POUVOIR DES MOTS

a) L’homme qui pense avec les mains, ouvrier, jongleur ( a), gymnaste 1, déplace des objets
pesants et résistants : des briques, des balles ou sa propre personne. L’homme qui pense avec les
mots ne déplace plus que des sons ou des signes. Cela rend l’action singulièrement facile. Vous
êtes le matin à l’hôtel ; vous sonnez et prononcez le mot : « Thé ». Quelques minutes plus tard
viennent se placer devant vous, comme par miracle, une tasse, une soucoupe, une cuiller 2, du
pain, du lait, de la confiture, un pot de thé, de l’eau chaude.
b) Imaginez la complexité des actions réelles qui ont été nécessaires pour que ces choses vous
soient 3 ainsi données. Évoquez des Chinois cultivant ce thé, choisissant ces feuilles, le bateau
anglais 4 qui les a transportées, le capitaine et son équipage pendant ce typhon ( 6) auquel ils
durent tenir tête, ce vacher du Périgord (c) qui mena les bêtes au pré, les ramasseurs de lait, le
mécanicien (D) du train, le boulanger qui pétrit ce pain, les filles espagnoles 4 ou provençales qui
cueillirent les oranges dont fut faite cette marmelade... Une syllabe 5 a mis à votre service tous
ces êtres.
A. MAUROIS (Un Art de vivre, Plon, édit.).

VOCABULAIRE.
(a) Jongleur : bateleur qui fait des tours de passe-passe, qui joue avec des boules ou d’autres
objets qu’il lance en l’air et attrape adroitement.
(b)Typhon : cyclone dans les mers de Chine et dans l’océan Indien.
(c) Périgord : ancien pays de France.
(d) Suivant l’usage strict, celui qui dirige une locomotive s’appelle mécanicien. En Belgique,
on l’appelle couramment machiniste : usage défendable : le mot s’emploie aussi en France et
d’ailleurs machine, au sens de « locomotive » est fréquent, même dans l’usage littéraire. —
Selon l’Académie, un machiniste, c’est celui qui place ou déplace des décors, des machines de
théâtre.

ORTHOGRAPHE ET GRAMMAIRE.
1. Gymnaste (du grec gumnastês) : professeur de gymnastique; se dit aussi de celui qui fait en
public des tours de force et d’agilité.
2. On écrit : cuiller ou : cuillère.
3. Après un passé dans la principale, on a ici un présent du subjonctif, parce que le fait d’« être
donné » se situe dans le moment même où l’on parle. (Bon Us., § 1054, 30, et Précis, § 491,
Rem. 2.)
4. Le mot ne prend pas la majuscule, parce qu’il est ici adjectif.
5. Syllabe : emprunté au lat. syllaba, du grec sullabê.

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