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Johanna, 10 ans, vient pour des épisodes de maux de tête apparus depuis l’âge

de 6 ans. Elle est première de sa classe malgré une année d’avance. Les
céphalées de Johanna évoluent par crises qui durent entre 4 et 12 heures. Elles
sont responsables d’un absentéisme scolaire de 5 jours durant les 12 derniers
mois. Durant la crise la céphalée est frontale, le caractère pulsatile est retrouvé
lors des changements de position. L’activité physique augmente l’intensité de la
douleur (Johanna doit s’allonger) ; des nausées sont souvent rapportées avec
parfois des vomissements. Johanna craint alors beaucoup le bruit et la lumière ;
lors des crises, des douleurs abdominales sont associées aux nausées ainsi que
des veriges. En début de crise, Johanna est décrite « livide », les « yeux
cernés ». Plus jeune, elle recherchait activement le sommeil et pouvait se
réveiller en « pleine forme ». Un bilan ophtalmologique a retrouvé un très léger
trouble de la convergence. Durant les vacances, Johanna fait beaucoup moins de
crises sauf quand il fait très chaud ; les crises reprennent à la rentrée de
septembre. Actuellement 3 à 4 gros épisodes sont observées chaque mois.
Plusieurs praticiens ont été consultés pour ces céphalées. Un scanner cérébral,
une radio des sinus, dix séances de rééducation d’orthoptie ont été réalisés sans
effet sur les céphalées. Aucun diagnostic précis n’a été donné. Le pédiatre
évoque une maladie « psychosomatique » car Marie se décrit volontiers comme
« stressée » par ses performances scolaires malgré ses très bons résultats. Le
paracétamol a été le seul médicament prescrit sans réelle efficacité. L’examen
neurologique est strictement normal.

Quel diagnostic portez-vous ?


Le diagnostic de migraine est typique (céphalée pulsatile, intense, avec
phonophotophobie, vomissements, pâleur) ; le premier diagnostic
envisagé avait été (à tort) celui de trouble visuel alors que tous les
éléments sémiologiques étaient là. La migraine est fréquente chez
l’enfant, elle constitue la première cause ce céphalée primaire (5 à 10 %
des enfants).

Quelles sont les informations manquantes pour préciser le


diagnostic ?
Pour compléter le diagnostic, il vous manque 3 types d’information :

 Il faut rechercher l’existence d’une aura ; à l’interrogatoire, on ne


retrouve pas de troubles sensoriels brefs (quelques minutes),
visuels (taches scintillantes, vision colorée, déformée, etc.), sensitifs
(fourmillements palmaires des mains, des pieds, etc.) ni auditifs
(sons, sifflement, voix, etc.). Il s’agit donc d’une migraine sans
aura.
 Il faut rechercher la présence d’une céphalée de tension : en effet
Johanna arrive à distinguer le « petit mal de tête » dont l’intensité
ne dépasse pas 4 sur 10 et qui ne l’empêche pas de mener ses
activités habituelles et la « grosse crise » qui l’oblige à s’allonger
dans le noir.

Il s’agit donc d’un tableau mixte avec céphalées de tension


épisodiques et migraine sans aura. Il est important que l’enfant et sa
famille distinguent bien les deux car le traitement de crise ne doit être pris
que pour les épisodes migraineux.

 Les antécédents familiaux de migraine doivent être recherchés


même s’ils ne sont pas exigés pour porter le diagnostic. A priori, il
n’existait pas de migraineux dans la famille mais la mère décrit des
céphalées mensuelles en fin de cycle parfois violentes si elle oublie
de prendre 1 g d’aspirine ; elle était d’ailleurs sujette aux « crises de
foie » durant son enfance. Il s’agit donc en fait d’une migraine
cataméniale typique ignorée par la patiente et d’une migraine
infantile injustement étiquetée « crise de foie ».

Quelles sont les informations manquantes pour a prise en charge


thérapeutique ?
Il faut impérativement rechercher les facteurs déclenchants : plusieurs
sont retrouvés: la chaleur, le bruit, les contrariétés, la piscine. Ces
informations sont précieuses car elles permettront d’éviter certaines
crises.
Enfin, il est très important de recueillir les données psychosociales
concernant l’enfant et sa famille : type de personnalité (anxiété, stress,
perte des moyens lors des contrôles scolaires, etc.), famille (soucis de
santé des proches, deuils, maladie grave, soucis d’argent, de disputes des
parents, avec les frères et sœurs, etc.), pression scolaire (école, parents,
etc.).
Chloé, 15 ans, vient en consultation pour des céphalées récurrentes depuis
l’âge de 11 ans. On note une aggravation depuis 2 ans avec trois à quatre
épisodes par semaine. La douleur est cotée à 8/10, la céphalée est bilatérale et
pulsatile. Chloé est obligée d’arrêter ses activités, elle s’allonge, la douleur est
augmentée par l’activité physique. Il y a parfois des nausées et des
vomissements. Il existe une phonophobie et parfois une photophobie, il n’y a pas
de douleur abdominale associée mais souvent des vertiges et une pâleur
inaugurale. Le sommeil peut être réparateur. Il existe des épisodes nocturnes
ainsi que des accès matinaux.
La durée des crises est de 2 à 6 heures. Il existe une aura visuelle typique à type
de vision scintillante et colorée et parfois une aura auditive à type de sifflements.
Ces phénomènes surviennent avant la crise mais sont rares. Un absentéisme
scolaire massif est retrouvé plus de 40 jours durant les 12 derniers mois.
On retrouve également d’autres épisodes de céphalée non migraineuse à peu
près 18 par mois et qui sont cotés à 5/10.
Il existe des antécédents migraineux chez la mère, la grand-mère maternelle et
une tante paternelle. Il est à noter que la maman ne pensait pas être
migraineuse.
Parmi les facteurs déclenchants on retrouve les stimulations sensorielles, les
odeurs, les transports, la concentration scolaire, les contrariétés, le stress, le
manque de sommeil. Chloé signale de grosses difficultés d’endormissement, elle
nous dit passer régulièrement des « nuits blanches ». Un bilan complet a déjà
été pratiqué, associant examen ophtalmologique, scanner, IRM cérébral, EEG ;
aucune anomalie n’a été trouvée. A l’interrogatoire on retrouve une
consommation médicamenteuse considérable puisque Chloé depuis 6 mois prend
entre 4 et 6 g d’aspirine chaque jour. Chloé présente également de gros troubles
de l’endormissement. Sa mère s’inquiète de sa perte de poids récente (3 kg en 4
mois). L’interrogatoire (sans la mère) ne retrouve pas d’humeur triste, pas
« d’idées noires », Chloé exprime peu d’émotions, elle apparaît comme une
adolescente sur laquelle « tout glisse ».

Quel est votre diagnostic ?


Chloé présente une céphalée chronique quotidienne (CCQ), une maladie
migraineuse avec aura visuelle et également un abus médicamenteux.
Il est très important d’identifier chacun de ces trois éléments car la CCQ et
l’abus médicamenteux sont trop souvent méconnus et banalisés.
L’association de la CCQ, des troubles massifs du sommeil et de la perte de
poids peut évoquer aussi un épisode dépressif masqué par une plainte
uniquement somatique.
Quelle est votre stratégie thérapeutique ?
Face à cette patiente et sa famille qui ont beaucoup de mal à aborder la
dimension psychologique des céphalées, on s’appuiera sur la
consommation médicamenteuse majeure pour alerter la famille sur la
gravité du cas de Chloé. Il faut impérativement et rapidement sevrer la
patiente de ses médicaments. Une tentative de sevrage ambulatoire sera
un échec malgré l’amitriptyline augmentée progressivement jusqu’à 20
gouttes/jour et un début d’apprentissage de la relaxation. Il faudra
finalement deux hospitalisations dans un service de médecine de
l’adolescent et une psychothérapie intensive pour que Chloé « décroche »
de ses médicaments.
Souvent l’hospitalisation (environ une semaine) est nécessaire pour
réaliser un sevrage complet, elle permet une rupture avec
l’environnement, la mise en place d’une psychothérapie. L’expérience
montre que si la problématique psychologique n’est pas réellement
abordée, toute tentative de sevrage est illusoire.
Il faut prévenir l’adolescent et sa famille que cette période est difficile, elle
comporte fréquemment des céphalées de rebond, des troubles digestifs
(nausées, vomissements), une hyperesthésie sensorielle, des troubles du
sommeil, une exacerbation de l’anxiété avec irritabilité.

Recommandations pour la pratique clinique CCQ (céphalées chroniques


quotidiennes) :
DIAGNOSTIC, RÔLE DE L’ABUS MÉDICAMENTEUX, PRISE EN CHARGE
Septembre 2004
Les CCQ constituent un ensemble hétérogène défini par la présence de
céphalées plus de 15 jours par mois et plus de 4 heures par jour en
l’absence de traitement, depuis plus de 3 mois, sans substratum lésionnel
ou symptomatique.
Il s’agit le plus souvent d’une céphalée initialement épisodique – migraine
ou céphalée de tension – qui évolue vers une céphalée chronique, sous
l’influence notamment d’un abus médicamenteux et de facteurs
psychopathologiques . Les CCQ sont une entité nosologique
insuffisamment connue des professionnels de santé et du grand public.
Cette méconnaissance induit une insuffisance de diagnostic, qui expose
les patients à une prise en charge inadaptée (grade C). La
méconnaissance du rôle de l’abus médicamenteux dans la genèse des
CCQ fait obstacle à leur prévention efficace et facilite leur apparition.
Les CCQ sont à l’origine d’un handicap important pour le patient,
handicap majoré en cas d’abus médicamenteux associé (grade C). Le
retentissement socio-économique est lié notamment aux dépenses
médicales.
La prise en charge comporte un sevrage en cas d’abus médicamenteux,
associé à l’information et à l’éducation du patient concernant sa
pathologie.
La prévalence des CCQ en France est tout à fait considérable (3 % chez
l’adulte de plus de 15 ans). Cette prévalence est trois fois plus élevée
chez les femmes.

 
Hugo âgé de 11 ans (35 kg) présente depuis 2 ans des céphalées récurrentes.
A l’interrogatoire, on retrouve une grand-mère maternelle migraineuse et un
père migraineux dont la sémiologie a été longtemps confondue avec une
« sinusite chronique ».
On note, chaque mois, entre 2 et 3 crises d’intensité sévère (9/10) avec une
céphalée bilatérale pulsatile, des nausées, parfois des vomissements, une
photophobie et parfois une phonophobie. L’enfant pleure, il est obligé d’arrêter
son activité habituelle, il doit s’allonger. La douleur est augmentée par l’activité
physique. Des douleurs abdominales et des vertiges sont souvent associés. On
retrouve une pâleur inaugurale, les yeux sont « cernés », le sommeil n’est plus
réparateur ; la durée des crises est longue de l’ordre de 24 à 72 heures. Il existe
une aura visuelle typique à type de scotome scintillant accompagnée parfois
d’une aura sensitive avec fourmillement des mains et des pieds (très souvent de
localisation palmaire).
Hugo décrit également une céphalée beaucoup moins intense (4/10) 10 jours par
mois. Lors des vacances scolaires, Hugo ne présente aucune crise.
Il existe un absentéisme scolaire de l’ordre de 20 jours par an, lié aux céphalées.
Les facteurs déclenchants sont : la chaleur, la lumière intense, le bruit, certaines
odeurs, les chocs sur la tête (judo), le manque de sommeil. Trois scanners
cérébraux dont un centré sur les sinus n’ont pas montré d’anomalie.
En traitement de crise, la prise orale d’un dérivé de l’ergot de seigle caféine
apparaît peu efficace, par contre l’aspirine semble plus utile.
Hugo est en 6e dans un établissement réputé pour l’encadrement des élèves et
son excellent taux de réussite au bac. En fin de consultation, Hugo nous livre de
gros soucis scolaires notamment en mathématiques. Depuis le deuxième
trimestre, sa « moyenne » a chuté, le professeur de mathématiques lui « met la
pression » pour qu’il se ressaisisse. A deux reprises, il a mis en doute, devant
toute la classe, la réalité de ses crises. Ses parents lui ont interdit l’accès à
l’ordinateur pour sanctionner ses mauvais résultats. Hugo jusqu’à présent était
considéré comme un très bon élève ; il continue à travailler beaucoup même si
les « petits maux de tête » limitent ses capacités de concentration. Il décrit sa
hantise de « manquer » les cours (pour une crise de migraine) et de « bloquer »
lors des contrôles scolaires. Depuis 3 mois, il dort très peu, il lui faut 1 à 2
heures au minimum pour s’endormir. Hugo pleure à l’évocation de ses difficultés.

Quel est votre diagnostic et votre stratégie thérapeutique ?


Il s’agit d’un tableau mixte : migraine avec aura sensitive et visuelle et
céphalée de tension.
Pour les crises migraineuses, le traitement de crise comportera :
ibuprofène 400mg à prendre très rapidement, si ce traitement s’avère
inefficace (en 30 ou 40 min), nous prescrivons du sumatriptan 10 mg par
voie nasale ; on peut également en cas de vomissements rapides
substituer l’ibuprofène par du diclofénac 50 mg en suppositoire.
Le facteur déclenchant majeur est la pression scolaire. La première étape
consiste à faire identifier par Hugo et sa famille, la « spirale infernale »
mise en place : plus la pression est forte, plus Hugo perd ses moyens.
Certains enfants migraineux et particulièrement anxieux échouent
régulièrement lors des contrôles scolaires malgré de très bonnes capacités
intellectuelles, et un travail continu. Des phénomènes de stress aigu
(panique) inhibent temporairement leurs performances mnésiques et
cognitives et peuvent déclencher d’authentiques crises de migraine.
L’identification de ces facteurs de stress permet à l’enfant et à sa famille
de mieux comprendre l’enchaînement des évènements et ainsi de pouvoir
en modifier certains : limiter la pression des parents, des enseignants.
Parfois un certificat décrivant la sévérité du tableau et les facteurs de
stress associés peut être nécessaire. L’apprentissage des techniques de
relaxation est alors souvent favorablement accueilli ; un soutien
psychothérapeutique peut aussi être proposé. Parfois le changement
d’établissement scolaire doit être évoqué avec l’enfant et sa famille.

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