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STL-17-07/I/AC/Rl76bis
F0021/COR/20 180 105/R000983-ROO 1031/EN-FR/dm
NOTE INTRODUCTIVE
L'association de malfaiteurs est réalisée dès la conclusion d'une entente collective en vue de
commettre l'un ou plusieurs des crimes prévus à l'Article 335. En droit libanais, il n'est pas
nécessaire d'identifier tous les membres d'une telle association. La forme particulière de
l'entente, écrite ou orale, explicite ou implicite, importe peu; la communauté de pensée des
membres del 'entente suffit. La perpétration d'actes matériels n'est pas un élément constitutif
de l'association de malfaiteurs, bien que l'existence d'une entente puisse être déduite de la
preuve matérielle de tels actes. De même, s'il n'est pas nécessaire d'identifier les moyens
devant servir à atteindre le but criminel, la preuve de tels moyens peut être cruciale pour
établir le crime. La responsabilité d'un individu peut être engagée, qu'il ait participé à
l'établissement d'une association de malfaiteurs ou rejoint une entente déjà établie.
Une association de malfaiteurs doit viser les crimes particuliers énoncés à l'Article 335, et
mentionnés en divers endroits du Code pénal libanais. Il n'y a pas lieu d'énumérer ou de
définir précisément les crimes particuliers que l'association ou l'entente doit viser ; il suffit
que le suspect ait l'intention, générale, de commettre des crimes contre des personnes ou des
biens, ou de porter atteinte à l'autorité de l'État, son prestige ou ses institutions civiles,
militaires, financières ou économiques. Le pluriel «crimes» employé à l'Article 335 a une
valeur générique ; par conséquent, une association ou une entente en vue de commettre un
crime unique suffit à constituer l'infraction.
Il n'est pas nécessaire que les membres de l'association de malfaiteurs connaissent la nature
précise des crimes qu'ils se proposent de commettre, dès lors qu'ils ont convenus de
commettre les crimes énoncés en termes généraux à l'Article 335.
Le libellé del 'article 68 F) limite clairement le champ del 'examen du Juge de la mise en état
aux documents fournis par le Procureur. L'existence d'informations complémentaires
publiquement accessibles n'a pas à être prise en compte; lorsqu 'il évalue de prime abord la
cause présentée devant lui, le Juge de la mise en état n'est pas habilité à faire référence à
d'autres documents que ceux que lui a transmis le Procureur.
I. INTRODUCTION
1. Le 11 août 201 7, le Juge de la mise en état du Tribunal spécial pour le Liban (le
«Tribunal») a rendu une ordonnance au titre de l'article 68 G) du Règlement de procédure et
de preuve (le «Règlement»), dans laquelle il indiquait qu'ayant pris connaissance des chefs
d'accusation retenus par le Procureur dans un acte d'accusation présenté aux fins de
confirmation le 21 juillet 2017, il estimait que se posaient plusieurs questions relatives au
droit applicable 1 . En vertu de l'article 68 G) du Règlement, qui dispose que « [l]e Juge de la
mise en état peut soumettre à la Chambre d'appel toute question préjudicielle sur
1'interprétation de l'Accord, du Statut et du Règlement concernant le droit applicable, qu'il
juge nécessaire afin d'examiner l'acte d'accusation et de rendre une décision sur celui-ci», le
Juge de la mise en état a soumis quinze questions et sous-questions préjudicielles à la
Chambre d'appel (les« Questions préjudicielles 2 »).
1 F0003, Version publique expurgée de l'« Ordonnance relative aux questions préjudicielles adressées à la
Chambre d'appel conformément à l'article 68 G) du Règlement de procédure et de preuve» du 11 août 2017,
11 septembre 2017 («Ordonnance relative aux Questions préjudicielles »),par. 1.
2 Ordonnance relative aux Questions préjudicielles, p. 6 à 8.
3 Ordonnance relative aux Questions préjudicielles, par. 3 à 9, p. 6 à 8.
4 F0006, Scheduling Order for Written Submissions Pursuant to Rule 176 bis (B) of the Rules, 24 août 2017
(«Ordonnance portant calendrier du 24 août 2017 »).
5 FOO 11, Decision on Defence Office Request to Lift the Confidentiality of Information, 5 septembre 2017
respectivement 7 . Ils ont présenté oralement leurs arguments lors de 1' audience publique du
11 octobre 2017 8 .
d) Quelle forme concrète doit prendre l'association ou l'entente écrite ou orale? Est-il
nécessaire que l'association ou l'entente soit matérialisée par des actes positifs ou
la communauté de pensée est-elle suffisante ?
e) Est-il nécessaire que les moyens pour aboutir au but criminel de l'association de
malfaiteurs soient identifiés ?
f) Dans la mesure où l'article 335 du Code pénal libanais prévoit que l'entente peut
être constituée soit « en vue de commettre des crimes contre les personnes ou les
biens» soit en vue« de porter atteinte à l'autorité de l'État, à son prestige ou à ses
institutions civiles, militaires, financières ou économiques », quels « crimes » ou
infractions entrent respectivement dans ces deux catégories ? Par ailleurs, est-il
nécessaire d'énumérer ces infractions ou crimes particuliers en tant qu'éléments
constitutifs du crime d'association de malfaiteurs ?
d'appel du 24 août 2017, 7 septembre 2017 («Observations de l'Accusation ») ; FOO 12, Version publique
expurgée des «Observations du Bureau de la Défense suite à l'Ordonnance de la Chambre d'appel en date du
24 août 2017 » datées du 7 septembre 20 l 7, ll septembre 2017 ; FOO 15, Prosecution Response to Defence
Office Submissions of 7 September 2017 and Request to the Appeals Chamber Arising from Defence Office
Submissions, 14 septembre 2017; F0016, Réponse du Bureau de la Défense aux observations du Procureur sur
le droit applicable du 7 septembre 2017, 14 septembre 2017 ( « Réponse du Bureau de la Défense aux
Observations de l'Accusation »).
8 Audience du ll octobre 2017, p. 1 à 84. Les références aux pages du compte rendu d'audience figurant dans la
présente décision renvoient à la version anglaise. Voir également F0014, Scheduling Orderfor Public Hearing
Pursuant to Rule 176 bis (B) of the Rules, 13 septembre 2017.
a) Quels sont les éléments distinctifs entre l'association de malfaiteurs portant atteinte
à « l'autorité de l'État » visée par l'article 335 du Code pénal libanais et le crime
de complot visé par l'article 270 du Code pénal libanais et l'article 7 de la Loi
libanaise du 11 janvier 1958 renforçant les peines relatives à la sédition, à la guerre
civile et à la lutte confessionnelle ?
III. EXAMEN
A. Observations liminaires
10. Les articles 21 et 28 du Statut imposent au Tribunal d'éviter tout retard injustifié dans
ses procédures et d'adopter des règles de procédure et de preuve «afin de garantir un procès
rapide et équitable ». Guidés par ces principes, les juges du Tribunal ont adopté les
articles 68 G) et 176 bis A) du Règlement, lors d'une séance plénière tenue le 10 novembre
2010, afin de permettre à la Chambre d'appel de clarifier à l'avance le droit devant être
appliqué par le Juge de la mise en état et par la Chambre de première instance sur des
questions particulières soulevées dans les affaires dont ils ont à connaître 10 . Les
éclaircissements apportés par la Chambre d'appel sur le droit applicable sont sans relation
9 TSL, Le Procureur c. Ayyash et autres, STL-11-01/l/AC/R176bis, F0936, Décision préjudicielle sur le droit
applicable: terrorisme, complot, homicide, commission, concours de qualifications, 16 février 2011 («Décision
2011 sur le droit applicable»), par. 7.
10 Décision 2011 sur le droit applicable, par. 7. Voir également TSL, Le Procureur c. Ayyash et autres,
avec tel ou tel faisceau de faits allégués, dont la Chambre n'a pas connaissance à ce stade de
la procédure, et sans préjudice du droit d'un futur défendeur, en vertu de l'article 176 bis C)
du Règlement, de solliciter le réexamen du présent arrêt, à la lumière des faits particuliers de
1' espece
' 11 .
11. Il est important de souligner, comme le précise la Décision 2011 sur le droit
applicable, que le rôle de la Chambre d'appel au titre de l'article 176 bis du Règlement est de
formuler des conclusions juridiques dans l'abstrait (in abstracto) sans se référer aux faits 12 .
L'objet de cette procédure est d'éviter le risque que le Juge de la mise en état ou la Chambre
de première instance ne retienne une interprétation du droit que la Chambre d'appel ne
confirmerait pas ensuite, ce qui retarderait inévitablement et inutilement le règlement des
affaires jugées devant le Tribunal, portant ainsi préjudice aux parties et contrevenant à
l'obligation issue des articles 21 et 28 du Statut d'éviter tout retard non justifié de la
proce'dure 13 .
12. En l'espèce, la compétence du Tribunal se limite aux quinze questions posées dans
l'Ordonnance relative aux Questions préjudicielles rendue par le Juge de la mise en état. Les
trois premières séries de questions ont trait au crime d'association de malfaiteurs et à ce qui le
distingue du crime de complot. La dernière série de questions porte sur les dispositions du
Statut et du Règlement relatives à l'examen d'un acte d'accusation présenté par le Procureur.
13. La Chambre d'appel ne peut être valablement saisie des Questions préjudicielles que
si ces dernières entrent dans le champ d'application de l'article premier («Compétence du
Tribunal») et de l'article 2 («Droit pénal applicable») du Statut. L'article premier du Statut
affirme la compétence du Tribunal à l'égard de l'attentat du 14 février 2005 qui a causé la
mort de Rafic Hariri et tué ou blessé d'autres personnes, et d'autres attentats présentant un
lien de connexité avec lui et survenus au Liban entre le 1er octobre 2004 et le 12 décembre
2005 (à condition que le lien de connexité réponde aux critères énoncés dans l'article).
11 Décision 2011 sur le droit applicable, par. 8 et 10. Voir également Décision du 29 mars 2012, par. 29, 34 et
35. Voir également Décision du 18 juillet 2012, par. 14 à 27, et 37.
12 Voir Décision 2011 sur le droit applicable, par. 8 à 11. Voir également Décision du 18 juillet 2012, par. 19 à
14. Dans son Ordonnance relative aux Questions préjudicielles, le Juge de la mise en état
a précisé que ses questions procédaient d'une ou plusieurs des affaires dont il a conclu en
2011 qu'elles présentaient un lien de connexité au sens de l'article premier du Statut 14 . Les
Questions préjudicielles relèvent donc de l'article premier du Statut, et celles qui ont trait au
crime d'association de malfaiteurs appellent une clarification du droit libanais applicable à
cet égard, selon les dispositions de l'article 2 du Statut. En conséquence, la Chambre d'appel
a compétence pour apporter les précisions sollicitées par le Juge de la mise en état sur la
procédure et le droit libanais applicables.
16. Dans sa Décision de 2011 sur le droit applicable, la Chambre d'appel a expliqué que
l'interprétation d'une loi commençait toujours par l'examen de ses termes, qui devaient être
lus dans le contexte juridique et factuel de cette loi 15 . À cet égard, la Chambre rappelle que
les contextes « interne » et « externe » de la loi sont également importants. Comme elle 1' a
conclu en 2011 :
20. [ ... ] Le contexte doit inclure toutes les méthodes d'interprétation légitimes, parmi
lesquelles, au premier plan, les obligations internationales contractées par le Liban auxquelles,
à défaut de dispositions très claires, tous les textes législatifs sont censés se conformer.
14 Voir Ordonnance relative aux Questions préjudicielles, par. 2, note de bas de page 5.
15 Décision 2011 sur le droit applicable, par. 19.
21. Il faut également tenir compte de la situation de l'époque[ ... ]. Le principe d'interprétation
selon lequel une loi est censée « continuer de parler » repose sur le fait que la société se
transforme avec le temps et que l'interprétation d'une loi peut évoluer pour rester en phase avec
le cours des choses 16 •
18. La Chambre d'appel rappelle en outre qu'en cas d'incompatibilité entre certaines
dispositions de la législation nationale et des instruments internationaux (y compris les
traités), la disposition qui prédomine doit être identifiée et appliquée. S'il existe des « zones
d'ombre», il revient à l'interprète, dans la mesure du possible, de rendre cohérents et
homogènes, tout en leur accordant tout le poids voulu, les divers éléments d'un ensemble de
dispositions divergentes ou hétérogènes 18 •
19. Il n'est pas permis aux juges de refuser de statuer en arguant d'un manque de clarté du
texte juridique applicable, et ils doivent interpréter le Statut sans « s'arroge[ r] le rôle du
législateur, en transgressant les limites de ce qui est inhérent à un processus d'interprétation,
c'est-à-dire en évitant que la volonté de l'interprète puisse l'emporter sur celle de l'organe
normatif » 19 .
21. Comme elle 1'a souligné dans sa Décision 2011 sur le droit applicable, la Chambre
d'appel considère qu'il y a lieu d'appliquer, au Statut, le droit international sur
1'interprétation des dispositions des traités, à moins que les lois libanaises retenues à
l'article 2 n'en disposent expressément autrement 22 . Il incombe au Tribunal d'interpréter les
dispositions du Statut de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes de ce
dernier, dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. La Chambre rappelle en
outre que le principe d'interprétation téléologique impose d'interpréter les dispositions du
Statut de manière à les rendre effectives et opératoires, afin de permettre la réalisation de leur
objet23 • Ces dispositions doivent donc être «interprété[ e]s d'une manière permettant au
Tribunal de remplir, le mieux possible, son objectif de rendre la justice de manière juste et
efficace 24 ». Il en va de même pour l'interprétation du Règlement.
22. Conformément à l'article 2 de son Statut, le Tribunal est tenu d'appliquer le droit
libanais en tant que droit matériel applicable aux crimes relevant de sa compétence. De
manière générale, le Tribunal appliquera donc le droit libanais tel qu'interprété et appliqué
par les tribunaux libanais. La Chambre d'appel devra parfois aller au-delà du simple examen
de décisions prises par le passé, pour identifier les principes actuellement consacrés dans la
jurisprudence libanaise 25 . Toutefois, la Chambre peut s'écarter d'une application du droit
national pertinent et de l'interprétation qu'en ont faite des juridictions internes par le passé
lorsque cette interprétation ou application i) paraît déraisonnable, ii) peut entraîner une
injustice manifeste, ou iii) n'est pas conforme aux principes et règles internationaux qui
s'imposent au Liban26 .
23. Lorsque les tribunaux libanais ont des points de vue différents ou conflictuels sur la
législation pertinente, la Chambre d'appel interprétera cette dernière de la manière qu'elle
estimera la mieux indiquée et la plus conforme aux normes juridiques internationales 27 .
25. Les deux premières séries de questions, A et B, soulevées par le Juge de la mise en
état portent sur l'élément matériel (actus reus) et l'élément intentionnel (mens rea) du crime
d'association de malfaiteurs visé à l'article 335 du Code pénal libanais. Avant de procéder à
l'analyse de ces éléments constitutifs du crime, la Chambre d'appel formule les observations
liminaires suivantes.
1. Observations liminaires
26. Comme il a été exposé plus haut, le Tribunal est tenu, par l'article 2 de son Statut,
d'appliquer le droit libanais en tant que droit matériel applicable aux crimes relevant de sa
compétence. Tel est le cas pour les « illicit associations » ( « 4..c Jy::....11 Y.P w~l » en arabe,
«associations illicites »en français) mentionnées à l'article 2 a) du Statut. Dans le Code
pénal libanais, le crime d'association de malfaiteurs est défini aux articles 335 et 336, dans la
Section I ( « Criminal Association » en anglais, « -.JIY::,\11 w~ » en arabe [« Des associations
de malfaiteurs » en français]) du Chapitre III (« Illicit Associations » en anglais, « d~l ~
4..c Jy::....11 Y.P » en arabe [« Des associations illicites » en français]), contenu dans le Titre II
(«Crimes against Public Security » en anglais, « ~WI ~UI ~ Wl_,ll ~lyJI ~ » en arabe,
[« Des infractions contre la sûreté de 1'État » en français]) du Livre II ( « Offenses » en
anglais, « ~\ yJI ~ » en arabe, [« Des infractions » en français ]). 29
27. L'article 335 du Code pénal libanais (l'« Article 335 »)est libellé comme suit :
Si deux ou plusieurs individus établissent une association ou une entente écrite ou orale
en vue de commettre des crimes contre les personnes ou les biens ou de porter atteinte à
l'autorité de l'État, à son prestige ou à ses institutions civiles, militaires, financières ou
économiques, ils seront punis des travaux forcés à temps, laquelle peine ne sera pas
inférieure à dix ans si le but des coupables était d'attenter à la vie d'autrui ou à la vie des
fonctionnaires dans les institutions et les administrations publiques.
Sera néanmoins exempt de peine celui qui aura révélé 1'existence de 1' association ou de
l'entente et fourni toutes les informations qu'il possède relativement aux autres
coupables 30 .
28. L'association de malfaiteurs, telle que définie à 1'Article 3 35, vise à prévenir la
perpétration de crimes graves ( « crimes » dans le libellé de 1'Article 335) en incriminant les
premières étapes de leur planification, indépendamment même de leur exécution.
29. Pour clarifier les éléments constitutifs de tout crime visé à l'article 2 du Statut, la
Chambre d'appel, comme elle l'a déjà rappelé, appliquera le droit libanais tel qu'interprété et
appliqué par les tribunaux libanais 31 , et tiendra compte de tout instrument de droit
international pertinent ayant force obligatoire pour le Liban. La Chambre précise toutefois
que, dans l'analyse qui suit concernant le crime d'association de malfaiteurs, elle ne s'est pas
étendue sur le droit international conventionnel ou coutumier, car il n'existe pas d'infraction
équivalente en droit international pénal, ni de convention ou de coutume internationale liant
le Liban qui puisse contribuer à identifier ou à définir ce crime ou ses éléments constitutifs en
droit libanais 32 .
30 Toutes les traductions en anglais du Code pénal libanais figurant dans le présent arrêt ont été établies par le
TSL.
31 Pour les besoins du présent arrêt, nous signalons que la Cour de cassation libanaise est constituée de
différentes chambres, dont trois « chambres criminelles ». Les affaires sont attribuées aux différentes chambres
sur critères géographiques (gouvernorats). La Cour de justice libanaise (J-All ~1) (ce terme étant parfois
traduit par «Conseil de justice libanais ») peut être saisie sur décret pris en Conseil des ministres. Elle connaît
des infractions définies à l'article 356 du Code de procédure pénale libanais, ainsi que des infractions prévues
aux articles 270 à 336 du Code pénal libanais et par la Loi du 11 janvier 1958.
32 Pour parvenir à cette conclusion, la Chambre d'appel a soigneusement examiné la Convention des Nations
Unies contre la criminalité transnationale organisée, entrée en vigueur le 29 septembre 2003 et ratifiée par le
Liban le 5 octobre 2005, et qui appelle les États parties à adopter les mesures législatives et autres nécessaires
pour conférer le caractère d'infraction pénale à la «participation à un groupe criminel organisé ». Aux fins de la
Convention, un « groupe criminel organisé » désigne :
un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le
but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente
Convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel.
Voir Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 15 novembre 2000,
2225 U.N.T.S. 209, articles 2 a) et 5 1). Si la «participation à un groupe criminel organisé» définie dans la
Convention présente des points communs avec le crime d'association de malfaiteurs en droit libanais, les deux
concepts ne sont pourtant pas identiques. Voir idem, article 5. Nous relevons en outre que l'objet spécifique de
30. Avant toute chose, la Chambre d'appel juge utile d'examiner l'évolution historique de
l'Article 335 afin de déterminer les contours de la disposition actuelle en contexte.
31. L'Article 335 est inspiré du Code pénal français de 1893 et de son article 265 33 , lequel
a été modifié à plusieurs reprises avant de prendre la forme de 1'article 450-1 actuellement en
vigueur 34 . Compte tenu des similitudes existant entre l'article 335 du Code pénal libanais et
l'ancien article 265 du Code pénal français, il peut être utile de se référer à la jurisprudence
française et aux travaux de spécialistes pour comprendre toute la portée de l'Article 335.
la Convention est« de prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité transnationale organisée». Voir
id., article 1.
33 L'article 265 du Code pénal français, modifié par la Loi du 18 décembre 1893, se lit comme suit en 1893 :
Toute association formée, quelle que soit sa durée ou le nombre de ses membres, toute entente établie dans le
but de préparer ou de commettre des crimes contre les personnes ou les propriétés [constituent un crime
contre la paix publique}.
Voir Louis Lambert, Traité de droit pénal spécial: Étude théorique et pratique des incriminations
fondamentales, Éditions Police-Revue, Paris, 1968, p. 891.
La Chambre d'appel rappelle qu'à la fin du dix-neuvième siècle, le mouvement anarchiste français a commis une
série d'attentats, parfois à l'aide d'engins explosifs, essentiellement dirigés contre les institutions et représentants
de l'État, tels que la Chambre des députés (9 décembre 1893) et le président de la République (24 juin 1894).
Ces événements ont débouché sur l'adoption d'une série de lois baptisées «lois scélérates» visant à combattre
les activités anarchistes qui menaçaient alors la société française. L'une d'entre elles est la Loi du 18 décembre
1893, visant les «associations de malfaiteurs». Voir André Vitu, Participation à une association de
malfaiteurs, JurisClasseur, Fascicule 20, mis à jour le 20 décembre 2016 (« Vi tu »), par. 8.
34 Sous le Titre V du Livre IV du Code pénal français(« De la participation à une association de malfaiteurs »),
33. Après la guerre civile qui a éclaté au Liban en 1975, le Code pénal libanais a été amendé
par le Décret-loi n° 112, promulgué le 16 septembre 1983 et dont l'article 14 modifiait
comme suit l'Article 335 (non souligné dans l'original) :
Si deux ou plusieurs individus établissent une association ou une entente écrite ou orale
en vue de commettre des crimes contre les personnes ou les biens ou de porter atteinte à
l'autorité de l'État, à son prestige ou à ses institutions civiles, militaires, financières ou
économiques, ils seront punis des travaux forcés à temps, laquelle peine ne sera pas
inférieure à dix ans si le but des coupables était d'attenter à la vie d'autrui ou à la vie des
fonctionnaires dans les institutions et les administrations publiques.
Sera néanmoins exempt de peine celui qui aura révélé 1'existence de 1' association ou de
l'entente et fourni toutes les informations qu'il possède relativement aux autres
coupables.
34. Le champ d'application de l'Article 335 a ainsi été élargi pour incriminer non
seulement les ententes visant à commettre des crimes contre les personnes ou les biens, mais
aussi celles dont le but est de porter atteinte à 1'autorité de 1'État, à son prestige ou à ses
institutions civiles, militaires, financières ou économiques. La raison d'être d'une telle
extension de la portée du crime d'association de malfaiteurs était de prévenir la répétition
d'actes de nature criminelle commis pendant la guerre civile, par différents groupes militaires
actifs à cette époque et qui avaient gravement nui à l'autorité de l'État et de ses institutions.
35. Comme il a été dit plus haut, l'Article 335 institue un crime distinct, punissable
indépendamment de la perpétration effective des crimes qu'il énonce. Il s'agit d'une
« incrimination-obstacle 35 , visant, comme dans le droit français, à prévenir la commission
d'autres crimes en incriminant les étapes préparatoires à la commission des crimes sous-
35 Voir Vitu, par. 5 (« [. . .} l'incrimination d'association de malfaiteurs [est une} véritable incrimination-
obstacle placée très en amont sur le chemin criminel») (souligné dans l'original).
jacents énumérés à l'Article 335. Ceci permet aux autorités d'intervenir avant que les auteurs
n'aient effectivement commis ces crimes.
2. Éléments constitutifs
1. Question A a)
36. La première question du Juge de la mise en état porte sur la définition de l'actus reus
de 1' association de malfaiteurs :
37. Nous relevons que, selon les dispositions de l'Article 335, l' actus reus du cnme
d'association de malfaiteurs est constitué des éléments suivants :
38. Les caractéristiques de l'entente et de son but seront traitées plus loin, dans les
réponses aux autres questions du Juge de la mise en état.
11. Question A b)
40. Le libellé de l'Article 335 énonce clairement que l'association ou l'entente doivent
impliquer deux individus ou plus. Toutefois, comme le fait valoir l' Accusation 36 , il n'est pas
nécessaire que tous les participants à 1' association de malfaiteurs soient identifiés ;
l'identification de plus d'un des membres de l'association ou de l'entente n'est pas requise
pour que le crime soit établi. De même, un individu poursuivi au titre de l'Article 335 n'est
pas tenu de connaître tous les membres de l'association ou des parties à l'entente 37 . La
jurisprudence libanaise offre d'abondants exemples de personnes condamnées pour
association de malfaiteurs en raison de leur appartenance à Al-Qaeda, Daech et d'autres
groupes criminels et de leur participation active à leurs activités, et dont les juges n'ont pas
exigé qu'elles connaissent la totalité des membres de l'association 38 . Comme dans le cas du
crime de complot (article 270 du Code pénal libanais), un individu peut être poursuivi au titre
de l'Article 335 s'il est établi qu'il s'est entendu avec d'autres, même si ces derniers n'ont
pas été identifiés, pour commettre les crimes énoncés à 1'Article 335, dès lors que 1' existence
du groupe, ses activités et ses buts sont clairement établis 39 .
111. Question A c)
41. Le Juge de la mise en état pose également la question suivante au sujet de l'élément
matériel du crime :
42. En droit libanais, le crime d'association de malfaiteurs est réalisé dès la conclusion de
l'entente 40 , comme le fait valoir l'Accusation41 . Toutefois, pour que l'entente ou l'association
relève du champ d'application de l'Article 335, il ne suffit pas qu'il existe entre les parties
une simple communauté d'idées, indépendamment de leur gravité ou de leur dangerosité.
37 Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 257/2011, 23 juin 2011 ( « [TRADUCTION] Il
convient de relever que pour que l'élément matériel de l'infraction décrite à l'article 335 du Code pénal soit
établi, il n'est pas nécessaire que tous les conspirateurs se connaissent mutuellement; il suffit de prouver qu'ils
avaient pris la ferme résolution, avec d'autres, de commettre, une infraction contre des personnes et des biens ».
Voir également Vitu, par. 20. Sauf mention contraire, toutes les décisions de la Cour de cassation libanaise
figurant dans la présente décision ont été publiées dans Al Marjaa' Cassandre. Toutes les traductions anglaises
des décisions des tribunaux libanais citées ont été établies par le TSL.
3R Voir, par exemple, Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 7/2013, 8 janvier 2013 ;
Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 54/2008, 6 mars 2008 ; Liban, Cour de
cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 212/2007,25 octobre 2007.
39 Voir Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 328/2013, 5 décembre 2013, dans
Al-Moustashar-Majmou'at Al-Moussannafat lit Kadi Afzf Chamseddine («Al Moustashar »); Liban, Cour de
cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 20/2013, 15 janvier 2013; Liban, Cour de cassation, Sixième
chambre criminelle, Arrêt n° 7/2013, 8 janvier 2013; Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle,
Arrêt n° 54/2008, 6 mars 2008 ; Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 239/2007,
27 novembre 2007. Voir également Vitu, par. 20.
40 Liban, Cour de justice, Décision n° 2, 26 juin 2003, dans Al Moustashar («[TRADUCTION] [ ... ] le crime
consistant à former une association et à s'entendre oralement pour réaliser l'objectif susmentionné a été établi
par la jonction des volontés des individus impliqués. Il s'agit d'un acte indépendant du crime d'enlèvement ou
de tentative d'enlèvement.»)
41 Observations de l'Accusation, par. 5.
L'Article 335 n'incrimine pas les simples intentions des participants, mais leur résolution de
passer à l'action pour concrétiser cette intention. De fait, il n'y pas d'infraction tant que
l'entente n'engendre pas une décision, par deux individus ou plus, d'agir en commun dans le
but de commettre les crimes visés à l'Article 335 42 . Sans une telle décision d'agir en
commun, l'élément constitutif de l'entente est absent et le crime d'association de malfaiteurs
n ' est pas constitue
. ·43
.
43. Un arrêt rendu le 8 juillet 2004 par la Sixième Chambre de la Cour de cassation
libanaise illustre l'importance de la décision d'agir en commun. Les faits devant la Cour
concernaient une manifestation, au cours de laquelle plusieurs manifestants avaient bloqué les
rues, attaqué des institutions et des bâtiments publics, jeté des pierres et ouvert le feu sur des
unités de l'armée libanaise envoyées sur place pour maintenir l'ordre. La Cour a estimé que
la présence spontanée des accusés sur les lieux de la manifestation ne constituait pas la
preuve de l'entente requise au titre de l'Article 335 et a conclu en conséquence que les
accusés ne pouvaient être poursuivis pour association de malfaiteurs 44 .
42 Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 257/2011, 23 juin 2011 («[TRADUCTION] « La
décision contestée est [ ... ] juridiquement valable car elle démontre l'existence d'une entente et d'une
coopération entre le requérant et les autres condamnés, avec l'intention de commettre des infractions contre les
personnes et les biens, entente conclue de manière ouverte, matérielle et tangible, comme il est souligné plus
haut et décrit dans le détail dans ladite décision. » Voir Liban, Cour de cassation, Troisième chambre criminelle,
Arrêt no 207/2008, 18 juin 2008. Voir également René Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal
français, L. Larose et L. Tenin, 1913, Paris, traduit et adapté par Lynn Saleh Matar, dans Mawsou 'at Qanoun Al
'Ouqoubat Al Khass, Éditions Al Halabi, Beyrouth, 2003 (« Garraud »), Tome VI, par. 1751.
43 Liban, Chambre d'accusation de Beyrouth, Décision n° 794, 14 novembre 2005 («[TRADUCTION] Il ne suffit
pas que les auteurs se rencontrent et que certains d'entre eux informent les autres de ce qu'ils ont l'intention de
faire ; ni qu'ils débattent et discutent entre eux de leurs espoirs et de leurs désirs ; ni qu'ils expriment leurs
intérêts ou leurs passions éphémères dans un état d'agitation émotionnelle; ni qu'ils ruminent des projets
vagues et incertains. De plus, leur décision à cet égard doit être conjointe, incontestée, arrêtée et définitive. »
Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 315/2003, 24 décembre 2003 ; Garraud,
par. 1751. Voir également Vitu, par. 22 à 23.
44 Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 196/2004, 8 juillet 2004 (« [TRADUCTION] Il
n'est ressorti des enquêtes ou de la documentation aucun élément prouvant que les défendeurs/intimés avaient
établi une association, pas plus qu'il n'a été démontré qu'ils avaient conclu une entente écrite ou orale.
L'enquête a plutôt montré que leur présence sur les lieux de la manifestation procédait d'une obédience
commune et non d'une entente au sens de l'article 335 du Code pénal»).
lV. Question A d)
45. Le premier volet de cette question concerne la forme de 1'association ou de 1' entente.
46. Aux yeux de la Chambre d'appel, en précisant que l'entente peut être «écrite ou
orale», le texte de l'Article 335 énonce clairement que la forme prise par l'entente est sans
importance. Comme en convient 1'Accusation 45 , la manière dont 1' entente est exprimée, que
ce soit oralement ou par écrit, explicitement ou implicitement, n'est pas essentielle à sa
formation, du moment qu'il y a communauté de pensée des parties à l'entente 46 .
47. L'Accusation et le Bureau de la Défense ont en outre fait référence à une résolution
ou une entente «durable »47 . La Chambre d'appel constate que le libellé de l'Article 335 ne
donne pas à penser que 1'association ou 1' entente doit avoir une durée spécifique. Elle peut
être de nature permanente ou temporaire ; elle peut exister puis prendre fin, avant ou après la
perpétration du crime qui était l'objet de son existence 48 .
Défense aux Observations de l'Accusation, par. 6 (renvoyant à Décision n° 252/2005). Nous relevons que bien
que la Décision n° 252/2005 ait trait à une association de malfaiteurs visant à commettre plusieurs cambriolages,
rien dans cette décision n'évoque la nécessité d'une entente« durable».
4 R Farid El Zoghbi, Al Mawsou 'a Al Jaza 'ia [Encyclopédie criminelle], 3e édition, Sader, Beyrouth 1995
(«ElZoghbi»), Vol.lO,p.l86;Garraud,par.l763.
49 Réponse du Bureau de la Défense aux Observations de l'Accusation, par. 6 ; Audience du ll octobre 2017,
p. 41,43 et 44. L'Accusation a contesté les affirmations du Bureau de la Défense au sujet de la nécessité d'une
l'article 335 ne semble indiquer une telle obligation, les tribunaux libanais ont interprété le
droit diversement à cet égard. C'est ainsi que, dans une décision du 12 avril 1994, la Cour de
justice libanaise a refusé de considérer l'existence d'une hiérarchie et d'une relation de
subordination comme une condition préalable aux fins de l'application de l'Article 335 50 .
Toutefois, la Troisième chambre de la Cour de cassation libanaise, dans un arrêt du 17 avril
2002, ainsi que deux autres chambres dans d'autres arrêts, ont adopté un point de vue
différent, concluant qu'une association de malfaiteurs nécessitait l'existence d'une hiérarchie,
d'un plan et d'une répartition des rôles entre ses participants 5 1 .
49. La Chambre d'appel estime que, selon les termes de l'Article 335, l'existence d'une
hiérarchie et d'une relation de subordination entre les membres d'une association de
malfaiteurs ne constitue pas une condition préalable à son application. Ce point de vue est
confirmé par la plupart des décisions issues de la jurisprudence libanaise, et parmi elles
certains arrêts de la Cour de cassation postérieurs à ceux que cite le Bureau de la Défense 52 .
Comme 1' a fait observer 1'Accusation 53 , cette jurisprudence indique que si 1'existence d'une
hiérarchie ou de rôles désignés peut s'avérer un élément de preuve pertinent pour établir
l'existence d'une association de malfaiteurs, aucune hiérarchie ni aucune autre forme de
structure n'est exigée en tant qu'élément constitutif du crime.
50. S'agissant du second volet de cette question relative à la nécessité d'actes positifs,
1'Accusation fait valoir que les tribunaux libanais se sont fondés sur la preuve d'actes
préparatoires pour démontrer qu'un accusé avait établi ou rejoint une association de
malfaiteurs, mais que ces actes ne constituaient pas un élément matériel du crime visé à
forme quelconque de hiérarchie pour établir une association de malfaiteurs, arguant qu'aucune structure de ce
type n'était exigée. Voir Audience du 11 octobre 2017, p. 8 à 13.
50 Liban, Cour de justice, Décision n° 1, 12 avril 1994, dans Al Moustashar.
51 Liban, Cour de cassation, Troisième chambre criminelle, Arrêt n° 169/2002, 17 avril 2002. Voir également
Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 481/2015, 10 décembre 2015; Liban, Chambre
d'accusation de Beyrouth, Décision n° 794, 14 novembre 2005.
52 En n'exigeant pas l'existence d'une hiérarchie ou d'une relation de subordination entre les membres d'une
association de malfaiteurs, les arrêts ou décisions suivants indiquent qu'il ne s'agit pas d'un élément constitutif
de ce crime: Liban, Cour de cassation, Troisième chambre criminelle, Arrêt n° 365/2016, 8 décembre 2016;
Liban, Cour de cassation, Septième chambre criminelle, Arrêt n° 92/2015, 31 mars 2015; Liban, Cour de
cassation, Troisième chambre criminelle, Arrêt n° 87/2015, 17 mars 2015; Liban, Cour de cassation, Septième
chambre criminelle, Arrêt n° 179/2014, 22 juillet 2014; Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle,
Arrêt n° 53/2014, 18 février 2014; Liban, Cour de cassation, Troisième chambre criminelle, Arrêt n° 207/2008,
18 juin 2008 ; Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 252/2005, 4 octobre 2005 ;
Liban, Cour de justice, Décision du 26 juin 2003, dans Al Moustashar.
53 Audience du 11 octobre 2017, p. 8 à 13.
51. À cet égard, la Chambre d'appel souscrit au principe général selon lequel il convient
de bien distinguer les éléments matériels du crime et la preuve du crime. Comme l'a souligné
l'Accusation 56 , si l'existence d'une entente constitue un élément matériel du crime
d'association de malfaiteurs, cette entente peut être déduite d'éléments de preuve tels que des
réunions, des discussions, une correspondance ou divers actes préparatoires, parmi lesquels
l'acquisition d'explosifs 57 . Nous insistons sur le fait que la commission d'actes matériels dans
le but de parvenir au but criminel projeté par l'entente n'est pas un élément constitutif du
crime; elle peut toutefois constituer une preuve, a posteriori, de l'existence d'une association
ou d'une entente 58 .
v. Question A e)
e) Est-il nécessaire que les moyens pour aboutir au but criminel de l'association
de malfaiteurs soient identifiés ?
Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 237/2013, 3 octobre 2013 ; Liban, Cour de
cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 257/2011, 23 juin 2011 ; Liban, Cour de cassation, Troisième
chambre criminelle, Arrêt n° 207/2008, 18 juin 2008; El Zoghbi, Vol. 10, p. 185.
58 Voir, par exemple, Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 252/2005,
4 octobre 2005 ; Liban, Cour de cassation, Troisième chambre criminelle, Arrêt n° 3/2005, 12 janvier 2005.
Voir également Vitu, par. 24 et 25.
l'association de malfaiteurs. Cette disposition diffère sur ce point de l'article 270 du Code
pénal libanais, qui exige expressément 1' existence d'une entente en vue de commettre un
crime «par des moyens déterminés »,pour qu'une entente criminelle visant à porter atteinte à
la sûreté d'État puisse être qualifiée complot. La Chambre d'appel considère qu'en ne
mentionnant pas 1'entente sur les moyens comme un élément constitutif du crime
d'association de malfaiteurs (alors qu'il exige expressément une telle entente pour le crime de
complot), le pouvoir législatif libanais entendait indiquer que celle-ci n'était pas un élément
constitutif du crime d'association de malfaiteurs. Il s'ensuit, comme le souligne
l'Accusation 59 , qu'il n'est pas nécessaire d'identifier les moyens choisis par l'association de
malfaiteurs pour atteindre son but pour que l'entente puisse être qualifiée telle. Le crime
d'association de malfaiteurs est constitué, que ses membres se soient entendus ou non sur les
moyens à employer ou qu'ils les aient ou non définis.
54. Cependant, même si les moyens envisagés pour commettre le cnme projeté ne
constituent pas un élément du crime d'association de malfaiteurs, ils peuvent être cruciaux,
en pratique, pour le prouver 60 . Par exemple, l'identification des moyens employés pour
commettre certaines infractions sous-jacentes peut, dans certaines circonstances, s'avérer
capitale pour établir que l'entente visait à commettre un crime, plutôt qu'un délit ou une
contravention. Une entente conclue pour commettre un « simple » vol, soit un délit en droit
libanais, ne tomberait pas, par exemple, sous le coup de l'Article 335 puisqu'il ne s'agit pas
d'un crime 61 . En revanche, une entente en vue de commettre un vol avec violences ou« avec
effraction » peut être qualifiée association de malfaiteurs, puisque ce « vol aggravé »
constitue un crime 62 .
8 décembre 2016.
décisif d'apporter la preuve d'une entente sur les moyens susceptibles de produire un danger
commun, comme 1'exige le crime de terrorisme défini à 1' article 314 du Code pénal libanais.
v1. Question A f)
56. En ce qui concerne les crimes qu'une association de malfaiteurs doit viser, le Juge de
la mise en état pose la question suivante :
f) Dans la mesure où l'article 335 du Code pénal libanais prévoit que l'entente
peut être constituée soit « en vue de commettre des crimes contre les
personnes ou les biens» soit en vue« de porter atteinte à l'autorité de l'État, à
son prestige ou à ses institutions civiles, militaires, financières ou
économiques », quels « crimes » ou infractions entrent respectivement dans
ces deux catégories ? Par ailleurs, est-il nécessaire d'énumérer ces infractions
ou crimes particuliers en tant qu'éléments constitutifs du crime d'association
de malfaiteurs ?
57. Nous rappelons en premier lieu qu'une association de malfaiteurs est constituée
lorsque plusieurs personnes ont convenu de commettre des crimes sans nécessairement les
avoir perpétrés ou avoir tenté de les perpétrer.
58. Comme il ressort clairement du libellé de l'Article 335, l'entente doit avoir pour but
la perpétration de crimes 63 énoncés à l'Article 335 (les «infractions sous-jacentes »). Dans
ces infractions sous-j ac entes n'entrent ni les délits, ni les contraventions 64 . L'Accusation
souscrit à cette interprétation de 1'Article 335 65 . Rien dans son libellé ne suggère que la
modification apportée en 1983 visait à en élargir le champ de façon à inclure d'autres types
d'infractions que les crimes. L'objectif de l'Article 335 est de prévenir la commission de
graves infractions, en incriminant les actes préparatoires à la perpétration d'infractions d'une
63 Pour une mise au point sur le sens générique de «crimes» (felonies en anglais) au pluriel, voir ci-dessous,
par. 60.
64 Cet élément, associé à l'exigence d'« actes matériels», différencie le crime d'« association de malfaiteurs»
défini dans le Code pénal libanais de l'« association de malfaiteurs» prévue à l'article 450-l du Code pénal
français, qui englobe les délits les plus graves.
65 Audience du 11 octobre 2017, p. 72 à 75. L'Accusation est revenue à l'audience sur l'allégation, qu'elle avait
avancée dans ses observations écrites, selon laquelle « [TRADUCTION] l'objectif de porter atteinte à l'autorité de
l'État, à son prestige et à ses institutions peut inclure des délits aussi bien que des crimes ». Voir Observations
de l'Accusation, note de bas de page 18 ; Audience du ll octobre 2017, p. 73 à 75.
particulière gravité qm, sans cela, ne pourraient être sanctionnés en l'absence d'actes
d'exécution 66 .
59. Nous rappelons en outre qu'en 1983, le champ d'application de l'Article 335 a été
élargi de façon à inclure non seulement les crimes perpétrés « contre les personnes ou les
biens » mais aussi ceux commis en vue de porter atteinte à 1'« autorité de 1'État, à son
prestige ou à ses institutions civiles, militaires, financières ou économiques ».
66 Par exemple, l'acquisition d'une arme à feu en vue de commettre un meurtre est un acte préparatoire, et non le
commencement d'exécution du crime. En tant que tel, cet acte ne peut être puni, sauf à constituer une infraction
en soi, telle que la violation d'une interdiction de port d'armes.
67 Observations de 1'Accusation, par. 18 i) et 19 ; Réponse du Bureau de la Défense aux Observations de
l'Accusation, par. 6; Audience du 11 octobre 2017, p. 66 à 70, et 77 à 80. Nous observons qu'en réponse à une
question orale d'un des juges de la Chambre d'appel, le Procureur a admis que le libellé de 1'Article 335
n'interdisait pas une « [TRADUCTION] interprétation générique, au vu de ce qui suit le mot « crimes » [felonies],
à savoir les catégories d'infraction [categories of crimes] » et a déclaré que « [TRADUCTION] le choix de
l'interprétation générique, au lieu du pluriel stricto sensu, [... ] est une lecture possible et plausible de cet
article ». Le Procureur a toutefois ajouté que cela ne correspondait pas à son interprétation de la jurisprudence.
Voir Audience du 11 octobre 2017, p. 66 à 69. Le Bureau de la Défense a maintenu à l'audience sa position
selon laquelle le terme« crimes» [felonies] à l'Article 335 renvoie nécessairement à une pluralité d'infractions.
Voir idem, p. 69, 70 et 77 à 80. Nous relevons en outre que l'Accusation a proposé une interprétation erronée de
l'arrêt n° 252/2005 du 4 octobre 2005 de la Cour de cassation libanaise, à l'appui de sa position. Dans cet arrêt,
la Sixième chambre criminelle de la Cour de cassation n'a pas exigé que l'entente conclue dans une association
de malfaiteurs visât à commettre plus d'un crime. Mise en contexte, la mention de l'objectif des accusés de
commettre plusieurs crimes reflète les faits de l'affaire, non un critère juridique. Voir Liban, Cour de cassation,
Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 252/2005, 4 octobre 2005.
68 Liban, Cour de cassation, Septième chambre criminelle, Arrêt n° 43/2017, 16 février 2017 (dans cet arrêt, la
Cour de cassation a reconnu l'accusé coupable d'association de malfaiteurs visant à commettre une infraction
unique de vol aggravé) ; Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 259/2003, 21 octobre
2003 («[TRADUCTION] En ce qui concerne les éléments reprochés aux accusés au titre de l'article 335 du Code
pénal, l'instruction n'a pas montré qu'une entente orale ou écrite avait été conclue en vue de commettre l'un
quelconque des actes prévus par cet article. ») (non souligné dans l'original). Voir aussi El Zoghbi, vol. 10,
p. 185.
69 Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 481/2015, 10 décembre 2015 ; Liban,
Chambre d'accusation de Beyrouth, Décision n° 794, 14 novembre 2005 ; Liban, Cour de justice, Arrêt n° 3/94,
26 octobre 1994, dans Al Moustashar; Professeur Mohammed El Fade!, Al-Jaraa'im Al-Waqi'a 'afa Amin Al-
Dawla, [Les Crimes contre la sûreté de l'État], édition de l'université de Damas, 1963 (El Fade!), p. 81 et 82
ii) des crimes en vue de porter atteinte à l'autorité de l'État, à son prestige ou à
ses institutions civiles, militaires, financières ou économiques.
62. Les crimes du premier groupe (« contre les personnes ou les biens ») recouvrent de
larges catégories de crimes traitées à différents endroits du Code pénal libanais. Deux titres
dudit Code sont explicitement consacrés aux infractions contre les personnes ainsi qu'aux
infractions contre les biens. L'un est le Titre VIII du Livre II (articles 547 à 586), qui
s'intitule «Des crimes et délits contre les personnes » et couvre les infractions commises
contre les personnes, tels que l'homicide intentionnel (articles 547 à 550), la privation de
liberté (article 569) et autres crimes. Le second est le Titre XI du Livre II (articles 638 à 640),
intitulé « Des infractions contre le patrimoine », comprenant des crimes comme le vol avec
effraction (article 639 1). Les délits énoncés sous les Titres VIII et XI n'entrent pas dans le
champ d'application de l'Article 335.
63. Il importe toutefois de préciser que d'autres crimes contre les personnes et les biens
tombant sous le coup de l'Article 335 ne sont pas prévus sous ces deux titres mais dans
d'autres parties du Code pénal libanais. Ainsi, par exemple, les actes de terrorisme et le rapt
(articles 314 et 515 du Code pénal libanais, respectivement), bien qu'étant des crimes contre
les personnes (et contre les biens pour le terrorisme), ne figurent pas sous les Titres VIII et XI
du Livre II.
64. Les crimes du second groupe(« [visant à] porter atteinte à l'autorité de l'État, à son
prestige ou à ses institutions civiles, militaires, financières ou économiques ») ont été ajoutés
(renvoyant à l'article 325 du Code pénal syrien, qui est similaire sur ce point à l'article 335 du Code pénal
libanais).
à l'Article 335 par le Décret-loi n° 112, adopté le 16 septembre 1983 70 . Cet élargissement de
la portée de 1' association de malfaiteurs visait à prévenir les crimes et les violences les plus
graves, commis lors de la guerre civile libanaise qui avait éclaté en 1975. Les termes utilisés
dans cet amendement renvoient à des notions non définies, d'où la nécessite d'en expliciter le
contenu.
65. Les crimes du second groupe ne correspondent pas tous à un titre particulier du Code
pénal libanais. Pour les atteintes au prestige de 1'État, les crimes énoncés aux articles 295 et
296 du Code pénal libanais, dans le Livre II, Titre 1, Chapitre 1, Section V, intitulée «Des
atteintes au prestige de 1'État et au sentiment national », sont pertinents, ainsi que les autres
crimes, non expressément énumérés dans cette section, qui protègent les mêmes intérêts. Les
autres infractions inscrites sous la Section V (articles 297 et 298) ne peuvent constituer le but
d'une association de malfaiteurs, dans la mesure où il s'agit de délits et non de crimes 71 .
66. S'agissant des crimes contre l'autorité de l'État, nous relevons que ni le Code pénal
libanais, ni la jurisprudence libanaise, n'en donne une liste exhaustive. Si le Chapitre II, sous
le Titre III du Livre II, concerne les « infractions contre 1' autorité publique », seuls les
articles 382 2), 396 2) et 397 (dans leur forme aggravée) de ce chapitre énoncent des crimes
que pourrait viser une association de malfaiteurs, puisque toutes les autres infractions
énumérées ne sont pas des crimes.
67. Le terme « authority » est défini en anglais comme « the power to enforce
obedience» (le pouvoir d'imposer l'obéissance), «moral or legal supremacy » (une
suprématie légale ou morale) ou encore « the right to command or give a final decision » (le
droit de commander ou d'arrêter une décision) 72 • Tout crime visant à changer le régime
constitutionnel, détruire les institutions de 1'État ou porter atteinte à sa sécurité intérieure ou
son intégrité nationale, ne peut que «porter atteinte à l'autorité de l'État». Les infractions
portant atteinte à l'autorité de l'État comprennent les crimes qui enfreignent les valeurs
ù.u.;..'ll ~ ~p\J __»;\.:;JI~.)~ é-.J..l! ,()1::.\_,.J\ 4J ~ ~..l~ o~ •üyWI ~..À! o..l~ ».Voir Al Munjidfil Al-
lougha Al-'Arabiya Al-Mou'asira, Dar Al-Mashrek, 3c édition, Beyrouth, 2008. Le terme français «autorité»
est défini comme le «droit de commander, pouvoir (reconnu ou non) d'imposer l'obéissance » et le «pouvoir
de commander appartenant aux gouvernants et à certains agents publics». Voir Le Nouveau Petit Robert,
Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue Française, 2009 ; Gérard Cornu, Vocabulaire juridique,
ge édition, 2007.
68. Dans ce contexte, nous précisons que les crimes énoncés au Livre II du Code pénal
libanais, sous le Titre I, « Des infractions contre la sûreté de 1'État »73 , peuvent être qualifiés
association de malfaiteurs. Nous considérons cependant que le choix d'une formulation
différente à l'Article 335 (« port[ant] atteinte à l'autorité de l'État, à son prestige ou à ses
institutions civiles, militaires, financières ou économiques ») reflète la volonté d'embrasser
d'autres crimes qui ne sont pas prévus aux articles 270 à 321 du Code pénal libanais. Par
exemple, la contrefaçon du sceau de l'État (article 437 du Code pénal libanais) ou le faux
commis par un fonctionnaire (article 456 du Code pénal libanais) sont des crimes dont on
peut considérer qu'ils portent atteinte à 1'autorité de 1'État ou à ses institutions, même s'ils ne
sont pas mentionnés dans les «infractions contre la sûreté de l'État».
69. Quant aux infractions portant atteinte aux institutions civiles, militaires, financières ou
économiques de l'État, telles qu'énoncées à l'Article 335, elles se rapportent avant tout aux
crimes décrits sous le Titre III «Des infractions contre l'administration publique », au
Livre II du Code pénal libanais, ainsi qu'aux crimes protégeant les mêmes intérêts prévus
dans d'autres parties du Code.
73 Dans un complot, le but de l'entente est de commettre un crime «contre la sûreté de l'État». Ces crimes,
énoncés aux articles 273 à 320 du Code pénal libanais, incluent le terrorisme, la trahison, l'espionnage, les
relations illicites avec l'ennemi, les violations du droit international, les atteintes au prestige de l'État et au
sentiment national ainsi que les crimes contre la Constitution. Cependant, comme cela a été clarifié en 2011, la
compétence du Tribunal s'étend au seul complot visant à commettre des actes de terrorisme. Voir Décision 2011
sur le droit applicable, par. 198.
74 Observations de 1' Accusation, par. 12.
75 Liban, Cour d'assises du Mont Liban, Décision n° 231/98, 19 février 1998; Liban, Chambre d'accusation du
Mont Liban, Décision n° 285/1994, 5 juillet 1994; Liban, Cour de justice, Décision n° 1, 12 avril 1994,
Al Moustashar («[TRADUCTION] Les accusés [ ... ] ont conclu une entente en vue d'agir ensemble pour
commettre des crimes contre des personnes et des biens, notamment un vol de véhicule. Ils l'ont fait en termes
1'association devient criminelle par 1' existence même de 1' entente en vue de commettre les
crimes sous-jacents. Aucune autre condition n'est requise.
v11. Question A g)
73. La jurisprudence libanaise est constante à cet égard: l'accusé ne doit pas
nécessairement avoir participé à l'établissement d'une association de malfaiteurs et sa
responsabilité pénale est engagée même s'ill'a rejointe ultérieurement.
74. La Chambre d'appel se penche à présent sur les deux questions posées par le Juge de
la mise en état, en ce qui concerne l'élément intentionnel du crime d'association de
malfaiteurs.
1. Question Ba)
généraux et sans définir précisément les crimes projetés ni quelles en seraient les victimes. Ce fait constitue
l'infraction énoncée à l'article 335 du Code pénal»). Voir aussi Vitu, par. 32.
76 Voir Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 54/2014, 18 février 2014; Liban, Cour
de cassation, Sixième chambre criminelle, Arrêt n° 20/2013, 15 janvier 2013 ; Liban, Cour de cassation, Sixième
chambre criminelle, Arrêt n° 54/2008, 6 mars 2008 ; Liban, Cour de cassation, Sixième chambre criminelle,
Arrêt n° 239/2007, 27 novembre 2007. Voir également El Zoghbi, vol. 10, p. 185; Observations de
1' Accusation, par. 13.
11. Question B b)
78. L'Accusation fait valoir que l'élément de connaissance requis pour l'association de
malfaiteurs est la connaissance générale de ses membres que le but de l'association ou de
l'entente est proscrit par la loi. Elle soutient qu'une association de malfaiteurs ne doit pas
nécessairement avoir un objectif plus précis que les visées criminelles générales énoncées à
l'Article 335 et que le participant doit simplement avoir connaissance de l'une ou plusieurs
. ' genera
de ces visees ' ' 1es 79 .
79. La jurisprudence libanaise indique qu'il n'est pas nécessaire que les membres de
l'association de malfaiteurs définissent ou connaissent la nature exacte des crimes qu'ils
projettent, ou quelles en seront les victimes, dès lors qu'ils se sont entendus pour commettre
les crimes énoncés en termes généraux à l'Article 335 80 . La responsabilité pénale d'un accusé
peut être retenue au titre de l'Article 335, même s'il n'a pas une connaissance précise de
l'objectif de l'association ; ce peut être le cas, par exemple, si les crimes en préparation ne
sont pas encore définis ou s'il n'est en contact qu'avec l'un des membres de l'association et
ne connait pas le projet criminel dans son ensemble 81 .
1. Questions C a) et b)
81. Le Juge de la mise en état saisit la Chambre d'appel des questions suivantes :
82. La Chambre d'appel rappelle en premier lieu que sa Décision 2011 sur le droit
applicable pouvait utilement guider le Juge de la mise en état quant aux éléments constitutifs
du crime de complot. Elle identifiait les cinq éléments suivants : i) deux ou plusieurs
individus ; ii) concluant une entente ou y adhérant ; iii) visant à commettre des crimes contre
la sûreté de l'État; iv) en déterminant à l'avance les moyens à utiliser pour commettre le
crime ; et v) une intention criminelle 82 . Les éléments constitutifs du crime d'association de
malfaiteurs ont été, quant à eux, clarifiés dans le présent arrêt.
83. Nous ne sommes pas convaincus que le mécanisme des questions préjudicielles prévu
à l'article 68 G) du Règlement ait vocation à comparer les éléments distinctifs de certains
crimes, alors même que la présente Chambre a déjà clarifié le droit applicable à chacun
d'eux. Quant au scénario hypothétique envisagé par le Juge de la mise en état en sa
question D b ), nous hésitons à traiter une situation aussi particulière en 1' absence d'éléments
factuels permettant de guider l'analyse. Néanmoins, conscients que la ligne de démarcation
entre ces deux crimes est ténue, nous tâcherons de fournir des éléments d'orientation sur ce
point, sous 1'angle du droit uniquement.
84. Le « complot » comme 1' « association de malfaiteurs » est une forme d'entente
criminelle qui requiert une entente entre deux personnes ou plus en vue de commettre un
crime. En dépit de leur similarité, ces crimes constituent néanmoins deux infractions
distinctes en droit libanais. Elles se distinguent à deux égards.
86. Deuxièmement, tandis que le crime de complot exige expressément une entente sur
les moyens destinés à commettre le crime 86 , une telle entente n'est pas un élément constitutif
de l'association de malfaiteurs 87 .
87. Outre les deux éléments susmentionnés, l'Accusation a également suggéré trois autres
caractéristiques distinguant les crimes de complot et d'association de malfaiteurs : i) une
« entente durable » pour l'association de malfaiteurs ; ii) la pluralité des crimes projetés pour
1'association de malfaiteurs ; et iii) une entente « sur le crime particulier devant être
commis » pour le complot 88 . Ayant examiné avec soin la jurisprudence libanaise pertinente à
1'égard de ces questions, et pour les raisons exposées précédemment, nous ne voyons pas
dans ces trois critères allégués des éléments constitutifs de 1'association de malfaiteurs, ni du
complot 89 . Lorsque des individus s'entendent pour commettre les crimes pertinents énoncés
en vue de porter atteinte à l'autorité de l'État, la nécessité d'une entente sur les moyens est le
seul élément juridique qui différencie le complot de l'association de malfaiteurs.
88. Nous précisons, dans ce contexte, que l'assassinat d'une personnalité politique n'est
pas un élément constitutif du complot ni de l'association de malfaiteurs, tels qu'ils sont
définis aux articles 270 et 335 du Code pénal libanais. Le libellé de ces dispositions ne le
suggère d'ailleurs aucunement. Le complot et l'association de malfaiteurs s'établissent sans
égard au fait qu'ils visent ou non une personnalité politique.
85 Article 2 b) du Statut du TSL, renvoyant aux articles 6 et 7 de la Loi du 11 janvier 1958. Voir également
Décision 2011 sur le droit applicable, par. 198.
R6 Décision 2011 sur le droit applicable, par. 199 ( « [L ]'entente doit aussi envisager les moyens et instruments
que les conspirateurs veulent utiliser pour commettre l'infraction. L'entente serait incomplète et le complot
ferait long feu si les conspirateurs ne s'accordaient pas sur les moyens à employer pour atteindre leur but.
Toutefois, une détermination précise des moyens n'est pas exigée.») (citation interue omise).
87 Voir ci-dessus, par. 53.
88 Observations de 1' Accusation, par. 18 i) et iii) et 19.
89 S'agissant des conditions d'« entente durable» et de pluralité des crimes projetés pour constituer l'association
de malfaiteurs, nous renvoyons à l'examen précédent de ces critères aux paragraphes 47 et 60. En ce qui
concerne l'exigence d'une entente conclue en vue de commettre un «crime déterminé» pour constituer un
complot, nous relevons que le paragraphe 197 de la Décision 2011 sur le droit applicable invoqué par
l'Accusation n'étaye pas sa prétention. Dans ce paragraphe, la Chambre d'appel a précisé qu'en ce qui concerne
le crime de complot, l'entente doit avoir pour but de commettre «un type particulier de crimes », soit un crime
contre la sûreté de l'État, et non un« crime précis».
2. Question C c)
90. Comme nous l'avons exposé plus haut, l'association de malfaiteurs et le complot, bien
que similaires, sont deux infractions distinctes en droit libanais. L'Accusation en convienë 0 :
91. S'il est allégué une entente criminelle en vue de commettre des actes de terrorisme, il
appartient au Juge de la mise en état de déterminer, au vu des faits qui lui ont été présentés
(dont la Chambre d'appel n'a pas connaissance), si les faits tels qu'ils sont allégués répondent
aux critères des crimes d'association de malfaiteurs ou de complot, ou des deux.
3. Question C d)
92. Dans la dernière question de cette série, le Juge de la mise en état prie la Chambre
d'appel de répondre à l'interrogation suivante :
93. Dans sa Décision 2011 sur le droit applicable, la Chambre d'appel a expliqué en détail
les principes applicables aux qualifications multiples ou plaidées sous forme d'alternative et
au cumul de condamnations 91 . Elle avait alors aussi déterminé s'il était plus approprié, pour
certains crimes, de plaider des chefs de manière cumulative ou sous forme d'une alternative,
en précisant toutefois qu'elle le faisait « avec hésitation »92 . Bien qu'elle ait clarifié tous les
principes pertinents applicables au cumul de qualifications et de condamnations, la Chambre
d'appel est à nouveau saisie d'une question particulière et hypothétique similaire, dans
l'abstrait. Nous ne pouvons que souligner derechef la difficulté d'un tel exercice en l'absence
de faits concrets pouvant guider notre analyse. En outre, à l'aide des indications fournies en
2011 et des précisions données dans le présent arrêt sur les éléments constitutifs du crime
d'association de malfaiteurs, le Juge de la mise en état est à présent en mesure de répondre à
la question Cd). S'agissant de la question posée, et n'ayant pas connaissance des faits
présentés au Juge de la mise en état aux fins de confirmation de l'acte d'accusation, nous
pouvons seulement rappeler à ce stade les principes et le droit applicable énoncés dans la
Décision 2011 sur le droit applicable et donner des indications générales sous le seul angle du
droit, en laissant au Juge de la mise en état le soin de déterminer comment les appliquer aux
faits qui lui ont été soumis 93 .
95. Deuxièmement, le Juge de la mise en état doit être guidé par l'objectif d'offrir la plus
grande clarté à la Défense. Il peut, par exemple, demander au Procureur de réexaminer la
formulation de qualifications formellement distinctes qui, néanmoins, ne concourent pas
concrètement à la manifestation de la vérité et au triomphe de la justice dans le cadre du
procès pénal. En règle générale, le Juge de la mise en état doit hésiter à accepter les
qualifications additionnelles qui ne visent pas à protéger des intérêts nettement distincts.
93 Nous faisons observer qu'à l'audience, le Procureur a fait valoir que la Chambre d'appel avait adopté une
approche restrictive du cumul de qualifications dans sa Décision 2011 sur le droit applicable, et mis en doute le
raisonnement de la Chambre justifiant de limiter le cumul de qualifications dans cette décision. Voir Audience
du 11 octobre 2017, p. 16 à 21, 23 et 24. Ayant soigneusement examiné les arguments du Procureur et la
jurisprudence invoquée à leur soutien, nous ne voyons aucune raison pertinente de nous écarter des principes et
du droit applicable sur le cumul de qualifications, tels qu'énoncés dans la Décision 2011 sur le droit applicable.
94 Décision 2011 sur le droit applicable, par. 298 et p. 152 de la version anglaise.
95 Décision 2011 sur le droit applicable, par. 298.
96 Décision 2011 sur le droit applicable, par. 271 et p. 152 de la version anglaise.
Cette approche vise à promouvoir des procédures plus efficientes, tout en évitant d'imposer
un fardeau inutile à la défense. Elle est globalement favorable à la réalisation de l'objectif
général du Tribunal, à savoir rendre justice de manière équitable et efficace 97 .
Lorsqu 'un fait comporte plusieurs qualifications, celles-ci seront toutes relevées [dans le
jugement], sauf au juge à appliquer la peine la plus grave.
Néanmoins, lorsqu'un fait qui tombe sous l'application d'une disposition générale de la
loi pénale est incriminé par un texte spécial, ce dernier lui sera appliqué.
Comme il ressort clairement de ses termes, 1'article 181 est pertinent au stade de la
condamnation, non à celui de la mise en accusation. L'article 182 du Code pénal libanais
auquel renvoie la question Cd) illustre le principe non bis in idem et n'est pas pertinent à
1'égard du cumul de qualifications 100 . En droit international pénal, le crime le plus spécifique
(le crime comportant l'élément différent/additionnel) l'emporte sur le crime général (le crime
chez lequel l'élément différent/additionnel fait défaut), au stade de la condamnation 101 .
97. En droit libanais, même s'ils constituent deux infractions distinctes, les crimes de
complot et d'association de malfaiteurs ne peuvent pas, lorsqu'ils sontfondés sur le même
comportement sous-jacent, être qualifiés d'infractions «véritablement distinctes » et visant à
98. La dernière série de questions soulevée par le Juge de la mise en état, à savoir les
questions Da) et Db), concerne les critères d'examen de l'acte d'accusation.
1. Question D a)
99. Concernant le critère d'examen applicable, le Juge de la mise en état pose d'abord la
question suivante :
102 Observations de l'Accusation, par. 23 et 25; Audience du 11 octobre 2017, p. 22 de la version anglaise.
Voir, contra, Réponse du Bureau de la Défense aux Observations de 1'Accusation, par. 9 à 17.
103 Décision 2011 sur le droit applicable, par. 298.
104 Observations de l'Accusation, par. 28. Voir également Audience du 11 octobre 2017, p. 27 et 28 du compte
rendu en anglais.
105 Observations de l'Accusation, par. 28.
examiner toutes les pièces justificatives de la même façon, qu'elles figurent ou non au dossier
de l'affaire Ayyash et autres 106 •
101. Le Bureau de la Défense soutient que le Juge de la mise en état doit apprécier la
crédibilité et la fiabilité des pièces fournies par le Procureur à l'appui de l'acte d'accusation
et que rien ne lui interdit de se reporter aux arguments qui ont déjà été formulés à leur égard
devant ce Tribunal 107 . Il renvoie notamment au rôle unique du Juge de la mise en état au sein
du Tribunal 108 . Le Bureau de la Défense fait valoir que le Juge de la mise en état ne peut se
contenter d'accepter les éléments de preuve présentés par le Procureur; il doit au contraire
prendre en considération les incohérences, ambiguïtés ou contradictions que peuvent receler
ces éléments de preuve et exercer une fonction de «filtre », afin que l'acte d'accusation ne
. pas confi1rme' sur une b ase .::Œag1'1 e 109 .
smt
102. Pour répondre à la question du Juge de la mise en état, la Chambre d'appel examine
en premier lieu la nature et les contours de l'examen de prime abord que doit mener le Juge
de la mise en état au stade de la confirmation de l'acte d'accusation.
Le juge de la mise en état examine l'acte d'accusation. S'il estime que le Procureur a
établi qu'au vu des présomptions, il y a lieu d'engager des poursuites, il confirme l'acte
d ' accusatiOn.
. A' d'.::
etaut, 1·11 e reJette
. 110
.
F) Le Juge de la mise en état examine chacun des chefs d'accusation et toute pièce
justificative fournie par le Procureur pour déterminer s'il y a lieu, de prime abord,
d'engager des poursuites contre le suspect 111 .
p. 48 à 50.
110 La version anglaise originale de 1'article 18 1) du Statut du TSL est libellée comme suit : « The Pre-Trial
Judge shall review the indictment. If satisfied that a prima facie case has been established by the Prosecutor. he
or she shall confirm the indictment. If he or she is not so satisfzed, the indictment shall be dismissed. » ; la
version arabe officielle comme suit :
~ <Û~ •L>Jiyl1 .,._,....;:.-) :i.i:..:JWI _)_) ~ I"WI ~.l.o.l1 ùl.; ~1 1.... 1~~ ·1"4-Ji11 )_)-) _);.lll ~~1 w1.,.1Y.'-!11 ~1.9 ~fo
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..- r' 1 -~'JI 1 ,li ...::.,1;:;
_) ..f ••• (.S",
li
Ces dispositions ne disent toutefois pas quel critère le Juge de la mise en état doit utiliser
pour se prononcer à cet égard.
104. Nous observons que, dans sa Décision 2011 relative à l'examen de l'acte
d'accusation, le Juge de la mise en état a conclu qu'aux fins d'un tel examen, il devait
déterminer si «[l'acte d'accusation] repos[ait] de prime abord sur des éléments suffisants et
crédibles pour engager des poursuites à l'encontre des suspects »112 .
105. La Chambre d'appel rappelle que le Juge de la mise en état du Tribunal est investi
d'un rôle unique, qui le distingue des autres juges siégeant au stade de la mise en état dans
d'autres juridictions internationales 113 . Entre autres caractéristiques particulières, il détient le
pouvoir d'autoriser des victimes à participer à la procédure, celui de recueillir à titre
exceptionnel des éléments de preuve et «n'est pas membre de la Chambre de première
instance mais un organe neutre, distinct des deux Chambres, qui traite de toutes les questions
préalables au procès et veille à ce que celui-ci puisse commencer rapidement et de manière
efficace »114 . Il convient également de noter, comme le reconnaissent 1'Accusation et le
Bureau de la Défense 115 , que si les rédacteurs du Règlement du Tribunal se sont inspirés de la
pratique libanaise et du Code de procédure pénale libanais pour définir une grande partie des
pouvoirs du Juge de la mise en état, ils ne lui ont pas conféré ceux d'un juge d'instruction 116 .
Nous constatons que, selon les dispositions du Statut, le rôle du Juge de la mise en état, pour
ce qu'il touche à la confirmation de l'acte d'accusation, n'est ni propre au Tribunal, ni dérivé
de la procédure pénale libanaise ou de nature comparable à ce qu'elle prévoit. Il est en
111 La version anglaise originale de l'article 68 F) du Règlement est libellée comme suit: «The Pre-Trial Judge
shall examine each of the counts in the indictment and any supporting materials provided by the Prosecutor ta
determine whether a prima facie case exists against the suspect. » ; la version arabe officielle comme suit :
« I"'WI ~..l..J\ 4-->..l! ~\ ô..l,!y,.ll y..<>WI ~-' r4-J'11 ).) ~ o..l)_,JI ~\ Ù"" ~ JS ~ ~~\ w\.,\_r.o..';/1 ~\.9 ~..l:!
.J.»
~ ~\ :JJ..,..)W ~\..5; :l..b1 ~_,1 0_)~ cclWA. ù\..5; \jj ».
112 TSL, STL-11-01/I, F0012, Décision relative à l'examen de l'acte d'accusation du 10 juin 2011 établi à
l'encontre de M. Salim Jamil Ayyash, M. Mustafa Amine Badreddine, M. Hussein Hassan Oneissi & M. Assad
Hassan Sabra, Version publique expurgée, 28juin 2011 («Décision 2011 relative à l'examen de l'acte
d'accusation »),par. 28 ii).
113 Voir Réponse du Bureau de la Défense aux Observations de l'Accusation, par. 21 à 25; Audience du
TSL; Mémoire explicatif du Règlement de procédure et de preuve du TSL, avril2012, par. 4 et 12; TSL,
Déclaration du Président du TSL Juge Antonio Cassese (« 1. Rôle accru du juge de la mise en état»), 1cr avril
2009.
115 Observations de l'Accusation, par. 37 ; Réponse du Bureau de la Défense aux Observations de l'Accusation,
revanche étroitement modelé sur le rôle des juges de confirmation et d'examen du Tribunal
pénal international pour 1' ex-Yougoslavie (le « TPIY »), du Tribunal pénal international pour
le Rwanda (le « TPIR ») et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (le « TSSL »).
106. Dans ce contexte, il convient de distinguer le rôle du Juge de la mise en état au stade
de la confirmation, de ceux du Juge de la mise en état et de la Chambre de première instance
aux stades ultérieurs de la procédure. Le Juge de la mise en état a lui-même souligné cette
distinction, déclarant, au regard de son rôle dans 1'examen des pièces justificatives présentées
au stade de la confirmation en l'affaire Ayyash et autres, que:
[ ... ] les pouvoirs du Juge de la mise en état sont limités. Il ne saurait en aucun cas se
substituer aux juges du fond à qui seuls incombe la responsabilité de déterminer si, à
l'issue d'un débat contradictoire, les preuves sont établies à l'encontre de l'accusé et s'il
est coupable, au-delà de tout doute raisonnable, des crimes qui lui sont reprochés. À ce
stade initial de la procédure, le Juge de la mise en état a pour unique mission d'examiner
l'acte d'accusation au regard des éléments rassemblés et soumis par le Procureur pour
déterminer si, de prime abord, des poursuites peuvent être engagées à l'encontre d'un
suspect. 117
107. Il est significatif que ce soit la Chambre de première instance qui jouisse du large
pouvoir discrétionnaire d'admettre tout élément de preuve pertinent auquel elle attribue une
valeur probante, en vertu de l'article 21 2) du Statut et de l'article 149 C) du Règlement. La
nature de ce pouvoir d'appréciation suggère, de 1' avis de la Chambre d'appel, que
l'évaluation menée par le Juge de la mise en état au stade de la confirmation, en tant que
processus distinct prévu par le Règlement, ne saurait empiéter sur celle des éléments de
preuve menée par la Chambre de première instance en application de 1'article 149 C) du
Règlement.
109. Après quelques débats initiaux sur le sens à donner au critère prima fa cie dans le
contexte du Statut du TPIY 121 , une définition de ce critère s'est aisément imposée sans
susciter de controverse. Les juges chargés de l'examen de l'acte d'accusation au TPIY ont
repris de manière constante la définition du critère «prima facie », adoptée pour la première
fois en l'affaire Kordié et consorts en ces termes : «une présomption reposant sur des
éléments crédibles qui, si la défense n'apporte pas d'éléments contradictoires valables, serait
une base assez solide pour établir la culpabilité de 1'accusé »122 . Cette formulation est
remarquablement similaire à une définition qu'en avait donnée le Juge de la mise en état du
reflètent aucune intention de s'écarter du sens donné à l'expression« prima facie », telle qu'interprétée dans le
présent arrêt.
119 Article 19 1) du Statut du TPIY; article 18 1) du Statut du TPIR. Voir également l'article 47 E) du
Tribunal 123 . Des formules équivalentes ont été adoptées au TPIR et au TS SL 124 . Pour les
raisons exposées ci-dessus, et au vu du choix des rédacteurs du Statut du Tribunal d'énoncer
le critère prima facie dans des termes foncièrement identiques à ceux des statuts du TPIY et
du TPIR, l'interprétation donnée plus haut de ce critère nous semble tout à fait convaincante.
123 Décision 2011 relative à l'examen de l'acte d'accusation, par. 25 («[La procédure de confirmation] vise
d'abord à garantir qu'une personne ne soit ni poursuivie ni jugée sans qu'un juge impartial et indépendant ait pu
préalablement s'assurer que l'acte d'accusation la concernant repose sur des éléments de preuve crédibles et
suffisants pour engager une procédure pénale à son encontre ».).
124 Devant le TPIR, le critère des présomptions suffisantes de prime abord a été décrit comme demandant au
juge de «procéder à une évaluation préliminaire de l'affaire ». Voir TP1R, Le Procureur c. Bagilishema,
1CTR-95-l-l, Décision faisant suite à l'examen de l'acte d'accusation, 28 novembre 1995, p. 2. Le TP1R a suivi
une pratique générale consistant à conclure, sans entrer dans le détail, que l'existence de présomptions
suffisantes avait été établie et que le Tribunal avait compétence à 1' égard des faits en cause. Voir, par ex., TP1R,
Le Procureur c. Munyeshyaka, 1CTR-2005-87-1, Décision portant confirmation de l'acte d'accusation dressé
contre Wenceslas Munyeshyaka, 22juillet 2005; Le Procureur c. Bikindi, 1CTR-Ol-72-1, Décision de
confirmation de l'acte d'accusation, 5 juillet 2001 ; TPIR, Le Procureur c. Musabyimana, ICTR-2001-62-1,
Confirmation of the Indictment and Order for Non-Disclosure, 13 mars 2001 ; TPIR, Le Procureur
c. Hategekimana et autres, ICTR-2000-55, Décision de confirmation de l'acte d'accusation, 2 février 2000;
TPIR, Le Procureur c. Akayesu, ICTR-96-4-1, Décision faisant suite à l'examen de l'acte d'accusation,
16 février 1996, p. 2. Ces affaires dans lesquelles le critère des présomptions suffisantes a été analysé de
manière plus approfondie montrent que le rôle du juge chargé, au TPIR, d'évaluer si «[TRADUCTION] des
présomptions suffisantes existent » consistait à déterminer si les éléments de preuve présentés étayaient
globalement la cause de 1'Accusation, sans entreprendre une évaluation qualitative de chaque élément de preuve
proposé. Voir, par ex., TPIR, Le Procureur c. Kabuga, ICTR-98-44B-PT, Décision relative à l'acte
d'accusation, 24 juin 2005, par. 6. En ce qui concerne le TSSL, l'article 47 C) de son Règlement de procédure et
de preuve indique que le Procureur présente un acte d'accusation accompagné d'un résumé de sa cause
« [TRADUCTION] exposant brièvement les allégations qu'il souhaite prouver lors de la présentation de ses
moyens ». La jurisprudence de ce tribunal montre qu'il est possible de confirmer un acte d'accusation, en
application de l'article 47 E) de son Règlement, si le juge chargé de son examen est convaincu que les crimes
reprochés à l'accusé relèvent de la compétence du TSSL et que «[TRADUCTION] les allégations [formulées dans
le résumé de l'affaire] seraient assimilables, une fois établies, aux crimes précisément énoncés et circonstanciés
dans ledit acte d'accusation ». TSSL, Prosecutor v. Brima, SCSL-2003-06-1, Decision Approving the Indictment
and Orderfor Non-Disclosure, 7 mars 2003, p. 2. Voir TSSL, Prosecutor v. Kallon, SCSL-2003-07-1, Decision
Approving the Indictment and Order for Non-Disclosure, 7 mars 2003, p. 2.
125 Audience du 11 octobre 2017, p. 82 et 83.
l'article 176 bis du Règlement, ne l'autorise pas à guider celui-ci sur la façon dont il doit
mener son examen à l'égard de pièces justificatives particulières.
111. Pour ce qui concerne la suggestion du Juge de la mise en état, selon laquelle 1'examen
mené au titre de l'article 68 F) du Règlement pourrait être différent, en raison de pièces
justificatives présentées devant lui qui ont également été produites comme éléments de
preuve en l'affaire Ayyash et autres, les dispositions du Règlement sont parfaitement claires.
Selon l'article 68 F) du Règlement, le Juge de la mise en état «examine chacun des chefs
d'accusation et toute pièce justificative fournie par le Procureur » 126 . Peu importe que ces
pièces aient été présentées en tant qu'éléments de preuve en l'affaire Ayyash et autres : le
Juge de la mise état doit examiner toute pièce fournie par le Procureur au regard des chefs
retenus dans l'acte d'accusation afin de déterminer s'il existe des présomptions suffisantes
pour engager une procédure contre le suspect.
2. Question D b)
113. L'Accusation soutient, relativement cette question, que dans la mesure où, de manière
générale, le Juge de la mise en état n'évalue pas la crédibilité et la fiabilité des pièces
justificatives, il s'ensuit qu'il ne devrait pas examiner les arguments juridiques formulés dans
la procédure Ayyash et autres sur ce point 127 . Elle affirme que le Règlement n'autorise pas le
Juge de la mise en état à examiner les arguments qui n'émanent pas de parties à la procédure,
et que l'article 68 F) du Règlement, en particulier, borne son rôle à l'examen des documents
fournis par 1'Accusation 128 . Elle argue en outre que le Juge de la mise en état n'a pas de
pouvoir d'instruction, ni qualité en général pour collecter des preuves de manière
indépendante et que limiter son examen aux pièces présentées par 1'Accusation est conforme
à son rôle devant le Tribunal 129 . Le Bureau de la Défense affirme qu'il serait artificiel de
limiter l'analyse du Juge de la mise en état aux éléments de preuve soumis par le Procureur,
alors que certains d'entre eux ont déjà fait l'objet de débats contradictoires dans une affaire
portée devant le Tribunal avec laquelle la nouvelle affaire présente un lien de connexité 130 .
p. 60 et 61.
131 Non souligné dans l'original. Le Juge de la mise en état peut néanmoins demander au Procureur de présenter
le rôle spécifique du Juge de la mise en état, tel qu'exposé dans le Statut. À cet égard, la
Chambre d'appel rappelle que, selon la procédure prévue dans le Statut du Tribunal, «il n'y a
pas de juge d'instruction à proprement parler, chaque partie doit se charger de rassembler les
e'l'ement s de preuve a'l' appm'de sa cause »132 .
115. L'absence de pouvoirs généraux d'instruction est confirmée par certaines dispositions
du Statut et du Règlement du Tribunal. L'article 11 du Statut et les articles 61 à 66 du
Règlement disposent clairement que le Procureur dirige les enquêtes sur les crimes présumés
relevant de la compétence du Tribunal. Les pouvoirs d'enquête limités conférés au Juge de la
mise en état sont énoncés à l'article 92 du Règlement et ne peuvent être exercés que dans des
circonstances exceptionnelles. Ils ne lui donnent pas le pouvoir général de rechercher ailleurs
d'autres pièces que celles fournies par le Procureur. L'existence de pièces accessibles au
public n'a donc pas à être prise en compte ; lorsqu'il examine une affaire de prime abord, le
Juge de la mise en état n'est pas habilité, au titre de l'article 68 F) du Règlement, à se référer
à d'autres documents que ceux que lui a transmis le Procureur.
132 Mémoire explicatif du Règlement de procédure et de preuve du TSL, avril 2012, par. 4.
IV. DISPOSITIF
b) il n'est pas nécessaire que tous les membres de 1'association de malfaiteurs soient
identifiés; l'identification de plus d'un des membres de l'association ou de l'entente
n'est pas requise pour établir le crime d'association de malfaiteurs (voir ci-dessus,
par. 40);
g) une personne peut être déclarée responsable pénalement dès lors qu'elle a participé à
l'établissement de l'association de malfaiteurs, mais aussi si elle s'y est ralliée ou a
rejoint l'entente à quelque moment après son établissement (voir ci-dessus, par. 72
et 73).
Ceci est sans préjudice du droit de l'Accusation de plaider ces deux chefs sous la
forme d'une alternative (voir ci-dessus, par. 97).
[Signature]
Mme le juge Ivana Hrdlickova,
présidente