Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
No 3 Ethique
et responsabilité
de l'IIEDH
du financier
d'entreprise
Jacques TIERNY
Septembre 2001
Il a développé une partie de ces idées lors de plusieurs entretiens et conférences donnés à l'Université
de Fribourg, sur invitation de l'IIEDH. Il s'exprime ici en son nom propre et n'engage aucunement
l'entreprise MICHELIN.
© IIEDH
Droits d'auteur. La reproduction totale ou partielle, sur support numérique ou sur papier, de cet
ouvrage pour usage personnel ou pédagogique est autorisée par la présente, sans frais ou sans qu'il
soit nécessaire d'en faire une demande officielle, à condition que ces reproductions ne soient pas
faites ou distribuées pour en tirer un bénéfice ou avantage commercial et que cet avis et la citation
complète apparaissent à la première page des dites reproductions. Les droits d'auteur pour les
éléments de cet ouvrage qui sont la propriété de personnes physiques ou morales autres que l' IIEDH
doivent être respectés. Toute autre forme de reproduction, de republication, d'affichage sur serveurs
électroniques et de redistribution à des listes d'abonnés doit faire l'objet d'une permission préalable
expresse et/ou du paiement de certains frais.
INTRODUCTION..........................................................................................................................................................................4
INTRODUCTION
Nombreuses sont les occasions concrètes de nous interroger sur le rôle de la finance dans
l’Entreprise : en son nom, on licencie, on liquide, on restructure, on fusionne, on menace d’OPA,
on spécule, on s’enrichit ou on se ruine, compromettant par contagion de manière irresponsable
l’avoir ou l’emploi des victimes par conséquences.
Les décisions financières sont-elles par définition amorales ?
La logique financière est-elle une fatalité, une loi de la nature ?
Ou, bien comprise, ordonnée dans un cadre temporel, peut-elle devenir meilleure, pour chacun et
pour tous lorsqu’elle obéit à un code éthique ?
Un tel code éthique serait-il fondé sur des valeurs religieuses, métaphysiques, morales, ou
pourrait-il procéder de l’observation des faits et des conséquences des décisions prises, avec
pragmatisme, se forger par tâtonnements en suivant l’évolution des techniques de gestion et des
systèmes d’organisation de la société ?
Comment pourrait-il arbitrer entre l’intérêt individuel qui s’exprime spontanément sans règles
dans un état de nature, et le Bien Commun, sans compromettre l’initiative ni l’esprit
d’entreprendre ?
Quelles conséquences sur le fonctionnement interne de la gestion financière dans l’Entreprise et
de même, à l’extérieur, sur les mécanismes de financement de nos retraites et le développement
des patrimoines ?
Ces engagements sont souvent à tort présentés de manière négative (la “ contrainte financière ”),
alors que bien compris et intégrés, ils sont un puissant outil d’orientation opérationnel à travers
la pédagogie et la compréhension des mécanismes de la création de richesses qu’ils véhiculent.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 5
_________________________________________________________________________________________
Notre ambition, à travers ces quelques lignes, n’est pas de mettre en évidence des principes
immuables, mais de rechercher, dans l’expérience des problèmes concrets et actuels, des résultats
et des règles de bon sens qui ne seront jamais qu’un travail inachevé.
Après avoir réfléchi à ce qui peut fonder une éthique de la gestion financière dans l’Entreprise,
nous examinerons ce qui nous semble être aujourd’hui la mission du financier dans l’Entreprise,
sa responsabilité et les valeurs spécifiques qu’il doit cultiver, à quels problèmes concrets il est
confronté, pour dégager quelques axes d’une éthique financière de l’Entreprise et aborder
finalement les problèmes des rapports entre l’Entreprise et ses contreparties externes dans le
contexte de l’organisation de notre société libérale.
Pourquoi, d’abord, pourrait-on se demander, une éthique particulière pour le ou les financiers de
l’Entreprise ?
Les valeurs de l’Entreprise et l’éthique personnelle des individus ne pourraient-elles suffire ?
C’est parce qu’à notre sens, il faut donner au mot éthique un sens très pratique et que celle-ci
doit donner lieu à des modèles de comportement.
De la même manière qu’un ingénieur de fabrication sera sensibilisé aux problèmes de qualité, de
sécurité, et aux modes opératoires qui favorisent l’atteinte des objectifs dans ces domaines, ou
qu’un homme de commerce sera attentif à la satisfaction de son client par le service, la finance,
comme métier, n’échappe pas à ses spécificités, d’autant plus que l’argent est un puissant levier
de pression sur les hommes et les sociétés.
Sans une éthique de fonctionnement particulière, la fonction financière peut se révéler, nous le
verrons concrètement plus loin, un énorme danger pour l’Entreprise, aux fins de laquelle, elle
doit être pourtant naturellement ordonnée.
A l’extérieur, les OPA sauvages, les OPA potentielles et virtuelles, les pressions des créanciers ;
à l’intérieur les dictatures du taux de rendement interne, des résultats trimestriels ou de la
création de valeur peuvent se révéler décourageantes et déstabilisantes, en conflit avec l’intérêt à
long terme de l’Entreprise et l’esprit d’entreprendre.
Particularités :
Dans le but de dégager une éthique particulière pour les financiers, on séparera d’abord
ce qui est du domaine de la Personne humaine, ce qui est du ressort de l’employé, de ce
qui incombe à celui qui exerce l’activité financière.
Toute éthique spécifique de la fonction financière se doit d’être parfaitement compatible
avec les devoirs de la Personne et de l’employé.
En ce sens, elle mérite d’être explicitée très ouvertement pour prévenir d’entrée tout
conflit avec la morale personnelle de l’individu et le code éthique de l’Entreprise et ses
valeurs.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 6
_________________________________________________________________________________________
Les religions :
Une éthique du financier et de ses responsabilités ne se fonderait sur une religion que si
la société était organisée dans un contexte religieux ; on citera par exemple
l’interdiction de compter des intérêts dans le monde islamique et les techniques
particulières d’investissement des fonds dits islamiques.
A l’inverse, peu importe en Occident que le financier soit bouddhiste ou chrétien.
De même, si la philosophie personnelle ou la morale de l’individu ne le découragent pas
de pratiquer le commerce de l’argent, ce que l’on attend de lui, c’est qu’il respecte les
règles du jeu.
Paradoxalement, la latitude du conformisme à l’éthique professionnelle est bien moins
grande que celle qui s’applique à la sphère personnelle.
L’expérience :
Le côté pratique de ces règles d’éthique les établit en modèles de comportement avec
lesquels on ne peut transiger.
Une éthique de la responsabilité du financier ne sera bien sûr jamais que ce que l’on
décide qu’elle soit ; on peut décider de ne pas en avoir (le “ requin ”), mais ceux qui
recherchent sincèrement des repères peuvent les trouver dans l’expérience et l’analyse
des conséquences.
Il s’agit de comprendre les conséquences directes et secondaires de nos actes
professionnels, sur l’Entreprise, les personnes hors et dans l’Entreprise, la communauté
au sens large.
Les théories du comportement peuvent aussi, moyennant un tri adapté, nous aider à
conceptualiser des modèles.
Mais toujours ces modèles seront testés sur l’expérience, une oeuvre inachevée qui se
fonde sur l’héritage des anciens, une perception de l’évolution de l’environnement
extérieur et interne, et surtout notre esprit critique.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 7
_________________________________________________________________________________________
Cette expérience nous enseignera toujours que certaines valeurs fondamentales doivent
être respectées ; sans elles aucune règle du jeu ne saurait subsister.
Pour une éthique financière, on rappellera le respect des Personnes humaines,
l’honnêteté, les valeurs de l’Entreprise et le respect des lois.
Ce respect des lois n’est pas le plus facile à appliquer dans un contexte transnational
pour rendre à chaque César ce qui lui revient.
La décision de respecter des valeurs a des conséquences naturelles sur les
comportements mais aussi sur les modes de fonctionnement et l’organisation dans
l’Entreprise.
Encore convient-il de les formaliser explicitement.
⇒ la gestion du risque sur taux d’intérêt, qui signifie se financer avec des taux d’intérêts
variables ou fixes (jusqu’à 30 ans) dans les pays où l’Entreprise a des opérations ; il
s’agit d’immuniser les “ cash-flows ” dans chaque devise par rapport aux variations
des taux d’intérêt ;
⇒ la gestion des risques de change, que l’on distingue et gère selon trois catégories
différentes :
Il appartient aux financiers d’entreprise d’utiliser ces produits à bon escient, qu’ils
soient fermes ou optionnels, en n’oubliant pas d’analyser le risque de crédit de la
contrepartie bancaire ou du marché à terme.
La méthode inventée par l’économiste et financier américain Charles SMITHSON,
dite théorie des “ building blocks ”, qui consiste à décomposer tout produit synthétique
“ dérivé ” en blocs simples, est d’une aide appréciable dans ce sens ; on valorise en
répliquant des portefeuilles d’arbitrage.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 9
_________________________________________________________________________________________
Nous étudierons plus loin les maladies dégénératives de cette famille de processus de la
gestion financière lorsqu’ils s’attachent à leur propre fin en perdant de vue leur fonction
au service de l’Entreprise, en choisissant les voies spéculatives.
L’aide à la décision opérationnelle est l’un des aspects les plus intéressants et aussi les
plus difficiles de la fonction financière.
• Il devient dès lors naturel que la mission du financier auprès des décideurs
opérationnels ne se limite pas à être une bonne machine à calculer, mais que son
attention aux risques le conduise à devenir un protecteur du patrimoine de
l’Entreprise et de ses fonds propres.
Garant de l’orientation des efforts de tous vers la création de valeur, il lui échoit un
rôle d’alerte auprès de ses collègues et patrons.
Il lui appartient de promouvoir les intérêts des contreparties de l’Entreprise, pour son
bien propre, mais aussi de veiller au respect des lois et de l’Etat.
Nous savons comment la responsabilité du directeur financier peut être engagée en
cas de fraude, d’opérations illégales, ou de faillite.
A cause de l’expertise qu’il développe sur les exigences de l’environnement, les
risques et les conséquences financières des décisions opérationnelles, il lui est
demandé non seulement d’être partie prenante au contrôle (investissement, crédit
client, méthodes du contrôle de gestion...) mais aussi à l’élaboration de la Stratégie
avant même son financement.
Cette famille de processus de la gestion financière est elle aussi menacée de plusieurs
maladies dégénératives lorsque l’on oublie que la finance est d’abord un service et
que ses membres s’érigent en censeurs, en liquidateurs, ou en empêcheurs
systématiques d’entreprendre ou même prennent le pouvoir, comme nous le verrons
dans les parties suivantes.
Après avoir géré les risques financiers et aidé à prendre des décisions opérationnelles
qui créent de la valeur, il faut informer les actionnaires et les créanciers sur les résultats,
le comment de l’obtention des résultats et le pourquoi, c’est à dire la Stratégie.
• Les actionnaires qui courent le risque ultime (celui de la faillite et celui de tout
perdre) ont le droit de savoir ce que l’on fait de leur argent.
Il sert à fabriquer des produits, à rendre des services, à faire faire des progrès et ce
faisant, à prendre des risques ; ils ont le droit de savoir comment, et de donner leur
avis.
Ils donneront leur avis de plusieurs manières : par oral ou écrit, et en votant aux
assemblées, et en achetant ou en vendant l’action, en participant ou non à une
augmentation de capital, comme un client est libre de son choix face aux produits de
l’Entreprise.
Il faut donc convaincre les actionnaires.
Le financier qui a correctement rempli ses deux premières missions sera d’autant
plus à l’aise pour expliquer aux actionnaires combien leur argent est utilisé dans leur
intérêt et conformément aux objectifs de l’Entreprise.
Finalement, en donnant une visibilité correcte sur l’Entreprise et son avenir aux
partenaires financiers, le responsable de communication financière contribue à
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 11
_________________________________________________________________________________________
baisser les primes de risque du coût du capital et ouvre le champ des possibilités
d’entreprendre en baissant l’exigence de rendement.
• Sur ce qui est dit à l’extérieur, le financier porte une grave responsabilité.
Il peut en dire trop et mettre l’Entreprise en situation d’infériorité vis-à-vis des
concurrents, mais s’il ne peut créer un lien de confiance avec les partenaires
financiers, le coût des ressources financières peut augmenter dramatiquement.
Nous venons de voir que la mission du financier pouvait être segmentée sur trois familles de
processus que nous n’avons pas souhaité détailler ici, mais le bon accomplissement de chaque
processus s’appuie sur des valeurs et des exigences de qualité spécifiques à chacun.
La compétence :
• Etre compétent, c’est d’abord comprendre les risques, ce qui exige un bon bagage
mathématique, mais aussi d’être humble, jamais sûr d’avoir tout compris et
fermement décidé à mettre en cause toute décision, aussi techniquement justifiée soit
elle, avec son bon sens.
• Rester compétent en finance, c’est oublier ses diplômes pour suivre, voire précéder
l’évolution des techniques financières et des produits financiers, qui a été
remarquablement florissante durant les vingt dernières années.
Mais la compétence financière n’est pas suffisante, il faut comprendre et connaître
l’Entreprise.
Aucune structure financière n’est universelle ni figée une bonne fois pour toute.
Par exemple, une société qui fabrique du ciment pour servir des marchés limités
géographiquement peut avoir des intérêts minoritaires dans son capital ou des
partenariats dans ses filiales, mais une société qui a beaucoup d’échanges interfiliales
ne le pourra pas, pour des raisons de conflits d’intérêt avec les actionnaires
minoritaires des filiales.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 12
_________________________________________________________________________________________
Il est certainement plus difficile de comprendre les risques réels de change ou sur
taux d’intérêt d’une Entreprise que de spéculer sur le “ T bond ” ou le $, car ces
risques sont représentés par les paramètres (instables) d’une équation aux dérivées
partielles entre les variables change, taux d’intérêt, matières premières... et les cash-
flows de l’Entreprise.
• Enfin, quel intéret d’avoir un financier compétent s’il ne peut transmettre son savoir
pour éclairer les décisions opérationnelles ni communiquer avec les investisseurs
Des qualités pédagogiques appropriées sont donc requises.
La bonne gestion :
Plus précisément, on exigera qu’il travaille avec des méthodes de calcul correctes et des
critères justes (coût de l’argent et du risque).
• On exigera du financier une gestion très rigoureuse dans les pays émergents.
Les environnements très inflationnistes agissent comme accélérateurs avec un effet
loupe et agrandissent toutes les erreurs, financières comme opérationnelles, et la
santé de l’Entreprise peut s’y détériorer très rapidement.
Il faut y envoyer de très bons financiers.
La bonne gestion est indissociable d’une gestion adaptée des compétences.
Mais s’il est important qu’il soit compétent et rigoureux, le financier se doit de rendre
ses collègues responsables.
• L’arbitrage entre le long terme et le court terme, particulièrement sur les questions de
choix d’investissement ou de variabilisation des coûts, doit tenir compte des
capacités de réaction de l’Entreprise et surtout de sa capacité financière à résister aux
contre cycles, c’est à dire au niveau du risque qui a pu être revendu sur les marchés
financiers.
L’Entreprise doit être consciente et informée, et disposer d’une méthode juste de
fixation d’exigences de rentabilité différenciées selon les risques, sur le court et le
long terme.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 13
_________________________________________________________________________________________
• Le rôle d’alerte ; le détenteur de la caisse est le porte parole du réel, ce rôle est
fondamental.
Le financier a la chance d’avoir le recul que lui procurent ses contacts avec les
banquiers, les analystes et les investisseurs.
Il se doit de voir loin, de suivre l’environnement et l’Entreprise qui évoluent
parallèlement et de mesurer les risques courus.
• Enfin le rôle du “ challenger ”, celui qui met en cause, lui est particulièrement dévolu
: pas en aval, celui qui comptabilise les bêtises des autres, mais en amont, celui qui
participe et qui s’implique de manière responsable dans les décisions.
A lui plus qu’à tout autre, son éthique impose de verifier que dans chaque projet on
applique une rigueur d’évaluation méthodique qui minimise les risques d’échec, telle
celle que rappelle M. François MICHELIN dans son livre “ Et pourquoi pas ”, la
méthode en cinq points :
• pas seulement à l’égard des marchés financiers, des banquiers et des investisseurs,
qui sont supposés être avertis et prendre leurs responsabilités en temps voulu,
• il doit aussi admettre qu’il n’est pas la chaîne principale de valeur ajoutée de
l’Entreprise et qu’il doit respecter ses collègues opérationnels, qu’il est impossible de
projeter la capacité de progrès de ceux-ci et qu’aucune prévision ou projection ne
permet de connaître réellement l’avenir.
Ce n’est donc pas suffisant qu’il soit compétent, prévoyant, diplomate, pédagogue, il
faut que le financier soit humble, devant les faits et les marchés (qui ont toujours
raison), mais surtout vis-à-vis de ses collègues opérationnels, en ne confondant pas ses
méthodes de calcul avec ce que l’on appelle la “ corporate governance ”.
Le challenge ou l’enveloppe ?
Par exemple, négliger l’aspect pollution dans l’analyse de rentabilité, c’est exposer le
projet à l’aléa du coût du nettoyage du terrain lors d’une cession ultérieure ; négliger les
aspects sociaux et leurs progrès futurs lors d’une implantation dans un pays émergent à
bas coût de main d’œuvre, c’est mal apprécier la durabilité du projet …
Les clients et les actionnaires de l’Entreprise sont ses Patrons et l’évolution de leurs
mentalités et de leurs souhaits doit être bien intégrée dans le « challenge ».
L’amont et l’aval
Facile de compter les points, ou les haricots (« bean counter ») et de juger les autres.
Plus difficile d’aider les opérationnels en amont et de se mouiller à leurs côtés en
participant à l’évaluation de leurs décisions à priori et en endossant une
coresponsabilité.
Cette attitude proactive exige une compatibilité cohérente entre les méthodes
d’évaluation à priori et à posteriori.
Le financier qui participe en amont travaille avec le contrôleur de gestion pour faire
évoluer les méthodes de calcul de la performance.
Travailler en amont exige d’apporter une vraie valeur ajoutée aux opérationnels, de se
faire accepter comme conseiller, et d’être capable de développer une pédagogie de
l’intérêt financier à long terme bien compris de l’Entreprise dans son environnement et
face à ses contreparties identifiées.
Nombreux sont les cas récents où la responsabilité du financier est directement engagée
dans la débâcle financière de son Entreprise.
Les banquiers et courtiers de ces produits se font les apôtres enflammés de leur
utilisation pour susciter des commissions à travers les mouvements supplémentaires et
aussi parce que l’opacité de leur présentation (souvent mal maîtrisée par les banquiers
eux-mêmes) permet à ceux-ci de fabriquer des marges en faveur de la banque, qu’elle
n’obtiendrait pas sur les produits financiers classiques dont la cotation est plus
transparente.
Les vendeurs de ces produits dits “ exotiques ” laissent planer le doute sur la
compétence des financiers d’entreprise qui ne les utilisent pas en s’arrogeant, avec
assurance, la qualité de juge de ce qui est bon ou pas pour l’Entreprise.
• ceux qui ont mis l’Entreprise en faillite technique, malgré une situation financière
théoriquement saine, sur des appels de marge sur produits dérivés parce que les
conséquences en termes de liquidité avaient été mal planifiées ;
• ceux qui ont couvert des risques futurs (de change par exemple) sur des “ cash-
flows ” trop éloignés et ont dû faire face à la crainte qu’engendraient des pertes
potentielles énormes, disproportionnées vis-à-vis de la génération annuelle de profit
de l’Entreprise ;
• ceux qui ont abusé des opérations à effet de levier qui multiplient les risques (dans
l’espoir de gagner plus) et ceux qui se sont laissés piéger par les systèmes de cliquet
qui modifient les profils de risque quand certains seuils sont dépassés ;
• enfin, il ne faut pas oublier que les stratégies optionnelles peuvent être comprises
techniquement comme des compositions variables dans le temps et selon le niveau de
prix de l’instrument sous-jacent utilisé ou couvert, de positions longues ou courtes du
sous-jacent, ce qui est acceptable, mais aussi de positions longues ou courtes sur la
volatilité du sous-jacent (indice de proportion à varier), ce qui n’a rien à voir le plus
souvent avec la préoccupation de couverture du risque financier réel de l’Entreprise.
Compétence technique, bon sens, focalisation sur l’intérêt réel à long terme de
l’Entreprise et humilité devant l’imprévisible et la compréhension des choses sont des
qualités indispensables au trésorier d’Entreprise.
Il faut plusieurs années d’épreuve pour vérifier que le jeune et brillant financier ne se
laissera pas un jour éblouir par une construction intellectuellement gratifiante et l’appât
du gain apparemment facile.
Le “ spiel ” financier :
Moins sournoise que la tentation intellectuelle qui précède, car plus basique, facilement
identifiable et contrainte par des procédures, la spéculation ou le “ spiel ” que tous,
gouvernements, chefs d’Entreprise, tout un chacun, s’accordent à condamner
officiellement (bien que des filiales d’Entreprises publiques s’y soient livrées autrefois
avec acharnement contre leur propre devise d’origine) pose des problèmes de fond sur
l’activité même de l’Entreprise.
• En faisant abstraction des tendances longues qui amènent les marchés à monter ou
baisser durablement, entre ceux qui achètent net (positions longues) et ceux qui
vendent net (positions courtes), il y a des gagnants et des perdants à la fin de la
journée ou à la liquidation.
Ceux qui gagnent tendantiellement, c’est à dire hors les coups de chance, moins
probables dans la récurrence, sont les plus forts.
Les plus forts sont ceux qui peuvent manipuler le marché (“ corner ”) par la quantité
et leur engagement financier, ou ceux qui ont les meilleurs moyens d’information,
sachant qu’il est difficile d’être mieux informé que celui qui côte un prix
acheteur/vendeur, car il voit les vendeurs et acheteurs venir chez lui et créer la
tendance baissière ou haussière.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 17
_________________________________________________________________________________________
S’il s’agit bien d’une activité clairement identifiée, une des premières tâches du
trésorier est de comprendre ou de se faire expliquer quel profil de risque l’Entreprise
veut conserver ; cela n’est pas difficile, c’est celui qui est indiqué aux actionnaires
dans l’annexe et les explications du rapport annuel.
L’Entreprise a des fonds propres qui lui sont confiés par les actionnaires, à qui elle
pourrait les rendre si elle n’en a plus d’usage, à qui elle peut en demander plus, ou
dont elle peut augmenter le risque en augmentant son risque d’activité ou l’effet de
levier de l’endettement ou des opérations (sous-traitance...).
Ces fonds propres sont nécessaires à toute prise de risque, et la spéculation en
stérilise une partie.
Non seulement, il faut reconnaître ce qui précède, l’accepter si la spéculation est un
but de l’Entreprise en délimitant bien les marchés concernés et le niveau de risque
maximum, mais aussi analyser le profil du risque financier de l’Entreprise qui dérive
de ses décisions industrielles et commerciales (vendre et accorder un crédit à un
client dans tel pays, posséder une usine et produire dans tel autre, financer un
stock...) et génère différents risques de change, risques sur taux d’intérêt et affecte sa
liquidité.
Cette analyse n’est pas facile et fait appel à des techniques statistiques avancées de
mesure de sensibilité (dérivée logarithmique, corrélation, équation récapitulative aux
dérivées partielles...) qu’il faut manier avec précaution à cause de l’instabilité dans le
temps des résultats obtenus.
Il y a de la place pour les satisfactions intellectuelles mais aussi le bon sens pour
comprendre les risques financiers de l’Entreprise et déterminer ce qu’il faut en
couvrir sur les marchés financiers afin de répondre aux attentes des dirigeants et
correspondre à ce qui est dit aux actionnaires.
Finalement, la spéculation est le comportement même de la finance qui a perdu de
vue sa raison d’exister, le service de l’Entreprise, pour se nombriliser en cherchant sa
propre fin.
Risque et temps :
On vous dira : “ pas de risque, pas de gain ” ; cet adage purement financier est à
l’opposé des objectifs du responsable financier dans une entreprise.
◊ de prendre ses décisions et donc de faire des choix en temps voulu, en voyant loin,
avec ce que cela comporte d’incertitudes, et en comprenant l’évolution de son
Entreprise et les enjeux stratégiques auxquels elle sera confrontée ;
Le temps, c’est souvent ce qui manque à celles qui s’arrêtent, malgré les protections
juridiques (protection contre les créanciers, “ chapter 11 ”), c’est ce qui manquait par
exemple récemment à LTCM, le fameux “ hedge fund ” qui a défrayé la chronique
financière de cette fin de siècle.
Ce type d’accident relève d’une prise de risque excessive dans un contexte donné de
marchés, c’est à dire une insuffisance de fonds propres.
Par rapport à son activité et une situation ponctuelle de marché et d’aversion au
risque de certains investisseurs, les fonds propres se sont trouvés insuffisants, et
effectivement, le fonds a été recapitalisé afin de le sauver, et avec succès ; c’était
l’intérêt de ses actionnaires et prêteurs, non pas de le liquider.
• On entend souvent que les financiers ou les investisseurs sont des court termistes.
Cela n’est pas exact, il y a un prix pour tout en fonction du risque qui augmente,
entre autres, avec la racine carrée du temps.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 19
_________________________________________________________________________________________
Le calibrage du financement optimal par fonds propres d’un projet est proportionnel
à la racine carrée du temps de réalisation et de même la prime de risque exigée (coût
des fonds propres moins coût de la dette, qui varie avec l’aversion au risque des
investisseurs).
Il peut même, pour des investissements à mise en place et récupération longues,
impliquer des structures financières à dette financière négative (“ cash ”) dans les
premières années.
Dans ce contexte, l’Entreprise se doit donc de respecter un équilibre entre les projets
à rentabilité rapide et ceux à délai de récupération long et de même d’exiger une
rentabilité différenciée pour être adéquate ; le problème long terme/court terme est
donc tout à fait soluble, au moins sur le plan théorique, et sur le plan pratique en
restant mesuré.
Il appartient au financier de savoir acheter le temps nécessaire pour son Entreprise et
ses activités en commençant par identifier correctement le besoin en fonds propres de
celle-ci.
La conscience financière :
Mais à l’inverse, le financier qui est par excellence, nous l’avons vu, au service de son
Entreprise et de sa stratégie, peut rendre un mauvais service s’il excelle dans son rôle de
protecteur externe, sans rendre ses patrons et collègues opérationnels conscients des
conséquences financières et des risques que génèrent leurs décisions opérationnelles.
Ce défenseur de l’Entreprise doit aussi la protéger contre elle-même.
Il est juste de défendre l’Entreprise avec les moyens financiers et juridiques à sa
disposition ; il est juste de donner à ses dirigeants le temps nécessaire pour l’action à
long terme, mais cette protection ne doit pas être une cause de léthargie interne, à l’abri
des remises en cause extérieures.
En déclarant qu’il peut la gérer différemment, il entraînera par son discours une
partie des actionnaires dans son dessein, ou pourra racheter à un prix décoté cette
entreprise dont la rentabilité ne suscite pas l’intérêt des investisseurs.
Ceci signifie que le bon financier d’Entreprise sait acheter le temps à bon escient en
vendant du risque mais ne la laisse pas dans l’ignorance financière, comment cela ?
◊ qu’ils se déclinent jusque dans les plus petites choses avec un peu de bon sens, et
des outils d’évaluation, sans trop de formalisme.
La prétendue contrainte financière est une dictature aliénante pour les opérationnels
que l’on souhaite animés d’un esprit d’entreprise, surtout dans les grandes
entreprises, où l’on a souvent à lutter contre les attitudes technocratiques et les
décisions arbitraires.
Le financier ne peut avoir la largeur de vue sur l’activité des responsables
opérationnels et, sortie de son contexte, son expertise se traduira par une caricature
réductrice et trop superficielle du modèle d’Entreprise au lieu d’être un point
d’appui, une référence pour promouvoir la croissance et la création de valeur
actionnariale.
◊ une attitude appropriée, celle de la mise en cause (“ challenge ”), en amont des
opérations, avec respect, en particulier dans le domaine des investissements, du
crédit client, de la politique de stockage ...
• Les évolutions récentes de la théorie financière ont mis en évidence à partir d’un
développement spécifique de la théorie des options, la théorie des options réelles,
l’importance pour l’Entreprise de la gestion de la flexibilité et de son coût.
Elle s’applique, de manière non exhaustive, principalement dans les domaines
suivants :
◊ l’exploitation d’un gisement de matière première qui représente un coût fixe mais
dont les retours sont aléatoires selon les fluctuations du cours de la matière
première ;
Plus que tout autre dans l’Entreprise le financier est sensibilisé à la valeur financière
de la flexibilité et il lui appartient de faire partager de manière quantifiée cet aspect
d’évaluation des décisions opérationnelles.
Maintenant que nous avons vu comment l’Entreprise se devait d’intégrer dans son
fonctionnement interne l’exigence du monde externe, il nous paraît utile d’examiner sous quel
mode des rapports sains entre l’Entreprise et son environnement financier peuvent s’établir.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 22
_________________________________________________________________________________________
3.1. L’éthique financière de l’Entreprise (à ne pas confondre avec l’éthique des financiers)
L’existence, verbale ou écrite, d’une éthique financière de l’Entreprise est indispensable pour
minimiser le risque que celle-ci peut représenter pour ses contreparties.
Si un actionnaire a peu de visibilité sur les pratiques d’une entreprise, et de même un prêteur, ils
exigeront une prime de risque en conséquence.
Si une banque sait que l’entreprise qui lui vend vingt millions de US $ s’interdira de faire cinq
transactions simultanées identiques avec d’autres contreparties, ce qui lui causerait un préjudice
quand elle cherchera à se recouvrir dans le marché, elle traitera en confiance avec cette
entreprise.
La confiance est une composante indispensable des rapports entre l’Entreprise et son
environnement, et une éthique financière déclarée y participe.
Il n’est pas inutile que l’Entreprise dise, au cas par cas ou sous la forme d’une charte, ce qu’elle
est et veut être, que cela soit porté à la connaissance de ceux qui attendent quelque chose d’elle,
et que ces derniers puissent considérer ses actes en conséquence.
Le bien fondé de l’existence d’une éthique financière vis-à-vis de l’extérieur est donc bien la
confiance de ses partenaires, et son fruit une meilleure visibilité sur l’Entreprise.
Les règles du jeu permettent de limiter les risques du commerce de l’Entreprise avec son
environnement.
Elles sont un “ don ” en ce sens qu’il y a celles que l’on se donne et celles qui sont
données, imposées par les lois ou les traditions.
On agit en fonction des règles du jeu, et elles font et définissent l’environnement.
Que d’intelligence déployée pour les contourner : et pourtant elles sont un gage de
stabilité, d’économie, de pérennité de l’activité.
Les comportements qui nuisent à l’Entreprise et discréditent les règles du jeu doivent
être proscrits, dénoncés et sanctionnés,car ils créent un tort considérable au Bien
Commun, qui se surajoute aux injustices concrètes qu’ils génèrent.
Parmi ceux-ci, on citera de manière non exhaustive :
- d’abord, la corruption qui gâte tout ;
- le blanchiment d’argent : la finance permet d’entreprendre, avons nous vus
plus haut, elle doit permettre d’entreprendre ce qui est bon, pas ce qui est
indigne ;
- la participation à des activités frauduleuses ;
- le financement de l ’espionnage industriel ;
- le non respect des lois ;
- le non respect de la parole donnée ;
- ...
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 23
_________________________________________________________________________________________
Socialement responsable :
La communauté mérite une attention particulière parmi ceux à qui l’Entreprise accorde
son respect.
Il s’agit de l’Etat, de la Région, de la Ville.
L’Entreprise leur doit un cadre de travail, ses collaborateurs, un environnement social
stabilisé par l’existence de lois, des services multiples.
La vie en communauté a de nombreuses exigences et l’Entreprise se doit d’y montrer
l’exemple par son comportement socialement responsable.
Sa conformité aux lois et us et coutumes n’est cependant pas suffisante : elle se doit de
participer à leur élaboration, d’aider à les faire progresser et de combattre ce qui nuit à
l’intérêt commun de l’Entreprise et de la communauté (lois sur le travail qui nuisent à la
compétitivité par exemple, ou lois fiscales qui induisent des comportements malsains,
contrôle des changes, contrôle des prix ...).
• les fournisseurs, avec lesquels la coopération technique et le bon cahier des charge
ont été ces dernières années, dans le cadre du “ réingeneering ” des chaînes de valeur
ajoutée, les facteurs clés de réduction de coût, bien plus efficaces que les
négociations sauvages et la pression du plus fort ;
• les banques :
◊ avec lesquelles la politique des relations doit être claire : le risque qu’elles
prennent (subordinations implicites de certains schémas juridiques), les affaires
qu’elles peuvent espérer, le mode d’attribution desdites affaires ;
◊ qu’il faut éviter de “ coller ” lorsqu’elles font des erreurs (ex. cotations de
change);
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 24
_________________________________________________________________________________________
◊ d’être avertis en temps voulu sur tout ce qui touche de manière substantielle à
l’avenir et à la valeur de l’Entreprise, tant que cette information n’est pas nuisible
à cette dernière sur le plan concurrentiel ;
◊ de ne pas voir leurs droits de propriété dilués sans avoir une option préférentielle
totale de souscription en leur faveur, qui préserve leurs droits économiques
(exemple : augmentations de capital ou emprunts convertibles vendus à des prix
inférieurs aux prix de marché du titre et de sa volatilité, à de nouveaux
investisseurs).
Une telle charte sur l’éthique financière de l’Entreprise, qui se doit de dépasser les
aspects liés à la trésorerie, se fonde donc sur le respect et a pour objet la confiance qu’il
est souhaitable d’établir avec les contreparties de l’Entreprise, sur des critères tels que
par exemple ceux qui sont retenus par les fonds d’investissements qui se définissent
comme “ éthiques ”.
• produire du matériel destiné aux armées n’est pas neutre et suppose d’adhérer à une
conception de la Défense Nationale, et son exportation mérite aussi un certain
discernement ;
• une autre question délicate est celle de l’investissement dans les pays qui ne
respectent pas les droits de l’homme ; faut-il les éviter par principe ou faire le pari
que plus d’ouverture les aidera à évoluer ?
Sans compter les délicats problèmes des embargos et autres listes rouges ...
Finalement, l’Entreprise qui sous-tend l’existence d’un pacte entre les dirigeants et les
actionnaires, doit devenir également un pacte avec ses contreparties.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 25
_________________________________________________________________________________________
Ce Pacte mérite d’être formalisé et partie intégrante du système qualité de l’Entreprise, qui
garantit la bonne application des procédures internes et externes écrites à cet effet.
On ne saurait aussi trop recommander l’existence d’un service chargé de dialoguer sur la bonne
application de la charte avec les contreparties externes concernées et de veiller à la bonne
application par l’Entreprise elle-même des procédures générées dans le but de tenir les
engagements de la charte.
Il ne suffit pas à l’Entreprise d’avoir des valeurs ou des orientations stratégiques claires, elle doit
aussi s’engager concrètement à respecter des règles du jeu à travers des procédures, le faire
savoir et se faire contrôler.
C’est ainsi qu’elle pourra réduire le risque dit déontologique qu’elle représente pour ses
contreparties externes, qui est un facteur de coût.
3.2. A quels problèmes financiers externes l’Entreprise est-elle confrontée, quelles règles du
jeu ?
L’environnement financier et les règles du jeu ont évolué de manière très marquante ces
dernières années.
Cette évolution est due à des progrès techniques indéniables de la science économique et
financière et aussi un phénomène de dérégulation et de mondialisation des marchés financiers, au
même titre que les autres marchés.
Comme dans d’autres domaines où la science évolue, des questions de fond se posent.
Nous avons vu plus haut qu’une question importante et récurrente pour l’Entreprise est de
déterminer ce qu’elle veut faire, afin d’adapter sa stratégie financière aux orientations
opérationnelles.
Mais une question fondamentale est souvent ignorée : qui sommes nous en tant qu’Entreprise ?
Y a-t-il une dignité de l’Entreprise, comme la dignité de la personne humaine ; quand est-elle
bafouée ?
Dans ce contexte, l’évolution des produits financiers, qui sont sur le plan conceptuel des
facteurs de progrès qui permettent de mieux cerner les risques et de revendre aux
marchés financiers des risques dans de meilleures conditions pour l’entreprise en en
redessinant les profils est elle même porteuse de graves atteintes potentielles à la dignité
de l’Entreprise à travers son capital culturel et sa responsabilité vis-à-vis des personnes.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 26
_________________________________________________________________________________________
La vitesse d’engagement/désengagement :
Tout va plus vite : la dématérialisation des titres l’a permis, un instant on est ou on n’est
plus actionnaire.
Comment concevoir un pacte solide entre les dirigeants et les actionnaires ?
Il faudra reconnaître qu’il existe une situation d’actionnaires à plusieurs vitesses.
Cela participe à la crise d’identité de l’Entreprise.
L’Entreprise traite avec, et donne également de l’information à, ses actionnaires réels et
potentiels.
On les appelle “ le marché ” confondant les personnes réelles et virtuelles.
Les titres de l’Entreprise étant ainsi devenus liquides, l’état le plus liquide étant ce
qu’on appelle les liquidités, les billets de banque, on peut se demander si à devenir
“ liquide ” l’Entreprise n’y perd pas son âme.
Un prédateur qui ne possède pas une action peut menacer la direction d’une entreprise,
la forcer à infléchir sa stratégie en agitant la possibilité d’une OPA conditionnelle ...
conditionnelle, ce mot contient toute l’ambiguïté et l’arbitraire de l’attitude de celui qui
n’assume pas ses actes, et s’engage avec des “ si ”.
Cette menace dépasse de loin ce que l’on nomme la dictature (des marchés) car elle est
impersonnelle ; ce n’est pas un dictateur responsable, c’est un marché, composé
d’entités potentielles, virtuelles...
La solution, c’est l’existence de règles du jeu, de lois appropriées.
• les droits de vote que rassemblent des sociétés spécialisées pour faire pression sur les
directions des entreprises ;
• les marchés à terme quand ils permettent trop facilement de traiter sur la base des
appels de marge sans engager de fonds, ce qui veut dire que l’on peut être actionnaire
réel avec peu d’engagement financier.
L’effet de levier rend possible le meilleur et le pire ; quand la dette renforce en partie le
capital, la volatilité s’accroît, mais un phénomène nouveau a augmenté
considérablement son efficacité multiplicatrice, le démembrement.
Le démembrement :
• la séparation des droits de vote, la représentation et leur usage déconnecté des autres
droits et devoirs de l’état d’actionnaire ;
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 28
_________________________________________________________________________________________
◊ l’usufruit dont les droits et devoirs des parties sont bien identifiés, séparés par le
droit ;
Les conflits d’intérêt qui résultent de ce dépeçage généralisé des activités d’abord, mais
aussi de l’être de l’Entreprise, et précisément de son actionnariat, ne sont pas sans
conséquences sur sa structure décisionnelle.
• ceux qui relèvent des questions de pouvoir des dirigeants face aux prédateurs ;
• ceux qui relèvent de la transparence de l’information et des risques que cela fait
courir à l’Entreprise. ;
• ...
La responsabilité d’investir :
Les solutions doivent être recherchées à notre sens, à la fois dans l’élaboration
progressive (à l’expérience) de règles du jeu adaptées et aussi dans l’attitude des
investisseurs qu’il faut sensibiliser.
• Etre actionnaire, c’est agir et participer par délégation ; on ne peut le faire de manière
irresponsable.
◊ distinguer ceux qui participent à l’Entreprise, et ceux qui n’y participent pas : non
seulement les porteurs de warrants mais les actionnaires qui n’ont pas fait la
preuve qu’ils méritaient de l’être ; le faire intelligemment est un premier pas vers
cette sensibilisation nécessaire des investisseurs à leurs responsabilités ;
◊ remettre en honneur, plutôt que les critiquer, les formules juridiques comme la
commandite par actions (avec des personnes physiques comme associés
commandités) et les sociétés de personnes qui donnent aux dirigeants et surtout
aux décideurs opérationnels de l’Entreprise les moyens de prendre des risques et
le temps pour le faire loyalement.
◊ La responsabilité sur ses biens personnels de l’Associé Commandité, gage de sa
responsabilité personnelle, concourt à la promotion de l’intégrité de l’Entreprise
comme communauté, et à sa structuration.
• Quant à l’intervention de l’Etat, elle doit à notre sens se borner à vérifier que les
règles du jeu ne sont pas détournées par les gros intervenants au détriment des petits,
et à promouvoir la fluidité du marché, en garantissant les libertés d’intervention des
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 30
_________________________________________________________________________________________
opérateurs, et ceci, bien sûr, d’une manière proactive si possible par une capacité
d’initiative.
L’exigence de rentabilité :
La réponse est simple et technique : à part les imitateurs qui reprennent ce pourcentage
des interviews d’autres dirigeants, il se calcule facilement.
Il suffit d’utiliser le coût du capital externe, calculé par exemple en France par la société
“ Associés en Finance ” à partir du Modèle d’Evaluation des Actifs Financiers inventé
par le Professeur SHARPE aux Etats Unis et d’autres méthodes d’évaluation pour le
recoupement, de le multiplier par la capitalisation boursière de l’Entreprise, et de le
rapporter ce produit aux fonds propres standards (dits consommés) de l’Entreprise, pour
trouver un coût du capital interne.
Ce coût interne est beaucoup plus stable que le coût externe, qui peut varier en France
de 8 à 20 % en général, car nous avons, pour le trouver, multiplié la capitalisation
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 31
_________________________________________________________________________________________
boursière par le coût du capital externe et ces deux variables varient en sens inverse,
tandis que les fonds propres standards sont assez stables.
Le coût du capital interne (coût des fonds propres consommés) est donc très stable, au
travers des cycles boursiers, et peut être utilisé facilement dans l’Entreprise avec toute la
cohérence nécessaire, pour analyser les projets de ses ingénieurs et les comparer
ensemble sur la base des informations comptables pour l’estimation de la valeur des
actifs utilisés.
Le risque de l’Entreprise est pris en compte par les consommations standards
différenciées de fonds propres, pour chacune des activités et chaque nature d’actifs
opérationnels ; dans la mesure où l’Entreprise a une structure financière proche de son
optimum, ce coût interne du capital se situe en général à un niveau compris entre 12 et
15 %.
Si la capitalisation boursière est égale aux fonds propres standards consommés par
l’Entreprise, les coûts internes et externes sont égaux.
Lorsque l’Entreprise a un endettement excessif, le risque pénalise fortement son cours
de bourse et nos deux coûts du capital s’en ressentent de manière marquante.
C’est donc le marché de l’argent qui fixe les deux coûts, interne et externe, des fonds
propres de l’Entreprise.
Ils n’ont rien d’une mode ni de l’arbitraire, et si l’Etat intervient pour contraindre à la
baisse l’exigence actionnariale, nous le paierons de crises économiques aggravées, pour
de nombreuses raisons que nous serions en peine de décrire toutes aujourd’hui.
Quant à l’Entreprise, si elle choisit délibérément d’ignorer cette exigence qui, tout en
donnant satisfaction à ceux qui acceptent de prendre un risque en le faisant au prix du
marché, le plus neutre et le plus éthique qui soit, permet de financer durablement un
taux de croissance porteur d’avenir, elle sera forcée tôt ou tard d’évoluer, brutalement ...
Les retraites :
En réalité, le bien-être du retraité dépendra bien, quel que soit le système choisi, de
l’état de l’économie, et la question la plus cruciale n’est pas celle qui précède mais la
démographie et l’ouverture à l’immigration et aux pays émergents dont la croissance
tirera la nôtre.
Quoi qu’il en soit, quel que soit le système, les organismes de prévoyance, publics ou
privés, représentent une capacité d’investissement dans l’économie, et d’intervention
dans la gestion des entreprises, très importante.
Dans les systèmes par capitalisation où les fonds de retraite sont privés, le participant
doit pouvoir choisir un fonds qui agira conformément à ses aspirations éthique.
Un grand effort de transparence à cet égard et une information aux participants sur les
critères des fonds de placement seraient un progrès de fond.
DT.1. IIEDH J. Tierny. Ethique et responsabilité du financier d’entreprise 32
_________________________________________________________________________________________
CONCLUSION
La fonction financière dans l’Entreprise doit nécessairement être orientée vers le Service.
Il importe que chacun des membres du Service Financier ait bien compris ce que l’Entreprise a
décidé de faire et comment, ce qu’elle a décidé d’être, et que cela soit aussi connu à l’extérieur
de l’Entreprise.
Comme nous l’avons expliqué plus haut, le financier d’Entreprise a une responsabilité médiate,
non seulement lorsqu’il représente son Entreprise face à la Communauté financière, mais aussi
lorsqu’il représente les exigences de rentabilité de cette Communauté ainsi que les exigences des
diverses contreparties de l’Entreprise qui ne manqueront pas de se matérialiser pécunièrement un
jour.
C’est le fait de “challenger” les actions de son Entreprise grâce à une interaction multicritère
avec l’Environnement qui fait du financier une composante créative entière de la dynamique de
progrès de son Entreprise.
Enfin, les opérateurs financiers de l’Entreprise doivent sans cesse peser leurs actes et leurs
décisions pour vérifier s’ils contribuent à la cohérence de l’Entreprise ou à sa destructuration.