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Date: 05.01.2021  Heure: 09:16 GMT

Ajouté le : 28.10.2016 13:15

Les sciences sont-elles la voie du progrès?


Il est commun, presque évident, de prêcher l'étude
des sciences, dans le sens de sciences exactes, de conseiller et au besoin de contraindre les
élèves et les étudiants à s'orienter vers les filières scientifiques. 

L'Etat s'en fait une politique, les parents s'en font un devoir, les élèves un point d'honneur.
Tout le monde croit ou prétend que c'est la voie idéale ou juste pour combattre et venir à
bout de l'indécrottable mal du sous-développement.

Cela peut être vrai à certaines conditions. Cela peut être faux et conduire à une impasse
dans une certaine vision.

Par Mohamed Yehdih Ould Breideleil

Mais distinguons d'abord l'attitude de l'Etat, qui peut être juste ou erronée, mais qui par
définition procède d'un point de vue d'intérêt général, de celle des parents et des étudiants
qui est par essence égoïste et dans le cas occurrent opportuniste. Les parents veulent que
leur enfant ait une carrière, un emploi assuré, une profession sûre, dès la fin des études,
dans un conteste marqué par le chômage des diplômés. Ils profitent de l'orientation
esquissée par l'Etat pour se glorifier de leur propre intérêt. Leur intérêt et celui de leur
enfant c'est le profil d'un médecin, d'un ingénieur, peut-être d'un pharmacien. C'est du
moins encore le cas, parce que le point de saturation dans ces professions n'est pas encore
atteint. Leur utilité dans la lutte contre le sous-développement est évidente. Mais c'est
incidemment qu'ils le sont, la logique de départ pour les individus est purement carriériste
et la nature des professions n'est pas fondamentalement contraire au sous-développement.
Le contenu même de leurs études n'est pas de nature à transformer la société, de la tirer
d'un état d'arriération intellectuelle et sociale pour l'orienter vers la modernité. Les
mathématiques, la physique, la chimie, les sciences naturelles ne prêchent rien dans ce sens.
Avec l'approche guidée et la compréhension instrumentale en vogue chez nous, elles
peuvent s'accommoder de tout, y compris du sous-développement. Elles peuvent même
devenir dans cette optique, un élément de confusion et un outil d'arriération, au mieux des
connaissances trompeuses qui contribuent à produire des " têtes pleines ", alors que le
besoin pressant et incontournable est ailleurs : " des têtes bien faites ".

L'Etat, lui, contrairement aux particuliers, veut combattre le sous-développement, le mal de


notre temps, le manque de médecins pour soigner les malades et guérir les maladies, il
manque d'ingénieurs pour construire des routes et des usines, faire des prospections et des
forages, construire des immeubles dans les règles de l'art etc. Il veut, pressé par les
nécessités et les urgences, disposer de tous ces techniciens et bien d'autres choses encore. Ce
n'est toujours pas combattre le sous-développement. C'est s'attaquer aux effets. La racine est
ailleurs. L'hydre se perpétue pour autant. Le mal n'est pas physique, il est dans les têtes. Ce
qui est physique c'est l'effet. La racine est mentale, son combat est intellectuel. Pire, la "
maîtrise des sciences et des technologies " n'y changera rien, à elle seule. Arnold Toynbee
nous avait déjà averti : il n'existe aucune corrélation invariable entre la maîtrise de
nouvelles technologies et le progrès de la civilisation.

Le cas de l'Union soviétique est à cet égard édifiant et démoralisant. Voilà une puissance qui
avait fait de l'acquisition des sciences et des technologies modernes le remède à tout, la voie
et la source de tout progrès. Et, à la vérité, elle avait atteint un haut degré de maîtrise des
sciences et des technologies : premier engin dans l'Espace, le Spoutnik, dès 1957, premier
cosmonaute dans l'Espace dès 1961, la bombe atomique, quelques années après Hiroshima
et Nagazaki.

L'Union soviétique avait multiplié les académies scientifiques, les universités et instituts
dédiés aux sciences exactes et aux technologies, les écoles d'ingénieurs et de techniciens
supérieurs. C'était leur manière " de rattraper et de dépasser les occidentaux ". Pourtant, les
ingénieurs et les techniciens soviétiques, du plus haut niveau imaginable, n'ont pas vu les
fissures bénignes puis les lézardes béantes du système qu'ils servaient. Quand il s'est
effondré, ils n'ont rien compris. Ils ont subi piteusement ses conséquences, aussi
désemparés et aussi impuissants que le dernier des moujiks.

L'incroyable force militaire ne fut d'aucun secours. Une forteresse militaire dans le monde
d'aujourd'hui n'est rien. On le sait maintenant, pour combattre un pays, 10 sociologues sont
plus efficaces que 10.000 soldats.

L'Union soviétique n'avait vu de son retard que l'aspect formel, les conséquences.
Lorsqu'elle avait comblé ce retard au prix d'un effort harrassant, tel que savent le produire
ces slaves disciplinés des plaines infinies, il s'est avéré que la construction gigantesque
reposait sur des bases d'argile. Comment parler de fondations, lorsque la construction a
atteint le plafond ? En constatant les dégâts.
 

Pour se prémunir de la contestation, le système avait orienté les esprits et la jeunesse, dans
ses vagues successives, dans une voie où la pensée était inconnue, suspecte et à la limite
curieuse, ridicule ou dangereuse.

En ignorant la réflexion, en bannissant la philosophie, les sciences sociales, la politique, en


créant un monde uni de techniciens rivés sur leurs machines, il s'est fourvoyé dans une
impasse, s'assurant l'échec.

La culture était celle du travail et du rendement, de l'exhortation à plus de performances.


Un effort aveugle de Sisyphe, complété par la religion du sport, ses compétitions éphémères
et ses médailles, brillantes le temps d'un coup de projecteur de télévision. La fin, le sens et le
devenir de tout cela était du domaine réservé à la langue de bois, indéchiffrable et
assommante.

L'homme, enserré dans un univers absurde, n'avait plus d'autre choix que de sombrer dans
la vodka. Une manière, comme il y en a d'autres, de fuir son intelligence et le bon sens.
L'homme était d'ailleurs une richesse, un " capital " - on doit cette trouvaille, devenue un
lieu commun depuis, à Staline - et une richesse n'est qu'un moyen. C'est la dérive
inacceptable dont tout découle. Cette dérive prend aujourd'hui d'autres formes, initiées et
soutenues par les ennemis d'antan de Staline : l'individu au service de l'économie, le
subordonné de quelque magie des indicateurs de la macro-économie.

Mais le résultat est le même : l'homme au bas de l'échelle. C'est ce point de départ, cette
perspective qui peut tout piéger ou tout remettre à l'endroit. Si l'homme est la valeur
suprême sur terre, tout lui est subordonné, tout est à son service. Son bonheur et son
épanouissement se parent alors du manteau du sacré et de l'impérieux. L'épanouissement
entier de l'homme suppose une instruction et une culture plus subtiles que l'acquisition, de
formules pour pouvoir penser et savoir réfléchir, sortir de l'indigence et de l' " enfance " de
l'adulte robot, participer à la délimitation du chemin à suivre un rôle et un chemin qui ne
sont pas évidents et ne sont pas établis une fois pour toutes, mais à redéfinir
perpétuellement.

Si l'homme n'est pas sous tutelle, s'il a une réelle dignité c'est qu'il doit prendre part à
l'écriture de son présent et participer à la manière dont est façonné son avenir. Il ne peut le
faire de manière significative qu'en étant réellement doté des capacités intellectuelles et
civiques nécessaires.

Ces capacités sont aussi difficiles à acquérir dans unes société arriérée, que l'édification de
la Grande Muraille de Chine. La tâche commence à l'école et se poursuit ailleurs et
parallèlement dans la société. Il y faut autre chose que la production de diplômés ou
l'orientation naïve vers les filières scientifiques. Si la conscience ne s'installe pas dans
l'ensemble du corps social, il n'y a rien à attendre des diplômés de chimie ou de biologie. Un
grand penseur, Max Horkheimer, nous le rappelle : " Ce n'est pas dans les sciences de la
nature que l'homme peut apprendre à se connaître lui-même ; c'est dans une théorie
critique de la société telle qu'elle est inspirée et dominée par le souci d'établir un ordre
conforme à la raison ".

Il ne faut pas en conclure que certains scientifiques n'atteignent pas à un haut niveau
d'humanisme et de réflexion sur l'homme et sa destinée. Si on s'élève à une certaine
attitude, on ne rencontre plus les nuages et le ciel et l'air deviennent limpides. Les
scientifiques y rencontrent les philosophes. Mais ils se rencontrent sur le terrain des
philosophes, même réfléchissant à des questions que se posent ou qui se posent à la science.
Ce sont les questions que se pose la philosophie qui restait là-bas significatives.

Sur ces hauteurs, au-dessus des nuées, A. Einstein et J. Rostand ont posé les problèmes qui
préoccupent les hommes de leur temps, dans la plénitude de l'humanisme.

Le problème dans le monde d'aujourd'hui est un problème de visibilité, de lucidité. Où


allons-nous ? S'il n'y a pas un minimum de lumière, on est dans le désert par une nuit sans
lune. Certains ont des certitudes. Nous voulons bien les croire. Mais que vaut une certitude
qui n'a pas subi l'épreuve de la critique et de la discussion ou mieux a produit des résultats
satisfaisants. Tout le monde a eu, un moment, ou un autre, une précieuse certitude qui s'est
évanouie instantanément entre ses mains. Les plus raisonnables ont fini par céder à la
modestie et comprendre que nous sommes tous - ceux qui ont des certitudes compris - sur
un escarpement aride, dans une position bien incertaine qui ne suscite pas que des envieux.

Nous devons commencer par tenter de comprendre.

En toute urgence, on peut commencer par donner la parole à ceux qui se taisent,
intellectuels, professeurs, cadres, qui ont cru qu'il est dangereux ou simplement inutile de
s'exprimer ou auxquels la société n'offre aucune possibilité d'être entendus. Le brouhaha
couvre leurs voix timides mais peut-être pertinentes.

Plus amplement, le salut viendrait de l'Ecole. Pas n'importe quelle école. Une école qui
réhabilite la pensée et lui donne toute sa place, pour produire des citoyens conscients,
capables de réfléchir à leur condition et à leur devenir, en mesure de produire des idées et
de concevoir, un projet adéquat qui reste introuvable.

Les idées, voilà le problème. On nous répète et, si nous sommes incrédules, nous le
constatons : les idées mènent le monde. Il n'y a pas d'idées si la pensée n'est pas libre, si la
réflexion n'est pas encouragée, si les hommes n'ont pas été éduqués, habitués à penser, à
réfléchir de manière autonome. C'est la philosophie et la politique - pas la science politique
qui explique le pouvoir, mais la théorie politique qui justifie le pouvoir - et les sciences
sociales qui fournissent cette matière et ce cadre. Ce n'est pas en contradiction avec la
formation de techniciens et de cadres scientifiques. Bien au contraire, c'est la voie.
 

L'enseignement allemand avait pour pivot la philosophie, " la pensée de la pensée ". Cela ne
l'a pas empêché - ou cela a permis, peut-être, - de produire Max Planck, Albert Einstein et
Von Braun qui fut le premier à envoyer des hommes sur la lune, pour les Etats-Unis
d'Amérique. L'Ecole française baignait dans la littérature et la politique était l'aliment du
nourrisson français. La France fut pourtant la troisième puissance mondiale à détenir la
technologie du nucléaire et elle tint la dragée haute aux Etats-Unis en matière
d'aéronautique et d'armements sophistiqués.

Quand le jugement des hommes a été correctement façonné, rien n'est plus impossible. Ils
sont en mesure de concevoir des systèmes qui produisent les scientifiques et font travailler
les techniciens. La difficulté, c'est la conception de ce système de départ. Qui ne l'a pas est en
perdition. Une société éclairée par le savoir moderne le favorise ou plutôt l'induit.

Notre Ecole devrait s'atteler à la formation du jugement des hommes du futur, à les ancrer
dans la rationalité et précisément la rationalité scientifique. Qu'est-ce qu'un technicien qui
sait manier un ordinateur ou une autre machine sophistiquée et qui rejette la rationalité
scientifique ? C'est comme une ménagère qui sait utiliser une marmite fabriquée à Dakar. Il
n'en découle pas un progrès prodigieux.

D'ailleurs, si l'Ecole, comme on nous le dit, tend à se généraliser, elle n'a plus pour mission
première de former des cadres, comme en 1963. La mission première de 1963 est reléguée.
Sa première mission devient de former des citoyens. On ne forme pas deux millions de
cadres pour deux millions de Mauritaniens. Ca n'a pas de sens. Mais en formant deux
millions de bons citoyens, on forme automatiquement des cadres et des cadres de haut
niveau. La qualité appelle la qualité.

( A suivre)

Source:eclairages.mr

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