Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1
A ce propos c’est éclairante la discussion parmi Marx et Stirner autour de l’individualité unique de
l’artiste. Après se référer au fait que plusieurs des frais de Raphaël ne furent pas “exécutés” par lui, il
indique que « n'importe quel autre artiste, a été conditionné par les progrès techniques que l'art avait
réalisé avant lui, par l'organisation de la société et la division du travail qui existaient là où il habitait, et
enfin par la division du travail dans tous les pays avec lesquels la ville qu'il habitait entretenait des
relations. Qu'un individu comme Raphaël développe ou non son talent, cela dépend entièrement de la
commande, qui dépend elle-même de la division du travail et du degré de culture atteint par les individus,
dans ces conditions. »
L’empereur romain Caligula exprime mieux ce sentiment avec sa célèbre exhortation aux
Dieux : « Ou vous me montez ou je vous fais descendre ! », ce qui pourrait être aussi une
consigne de la Renaissance : Dieu s’humanise, il devient homme et on le met au centre de notre
attention. On a un « Dieu » créateur et universel, mais il est tout à fait inutile. N’est-il pas un
geste de rébellion l’affirmation de l’inutilité ?
D’ailleurs est curieux que la « mort » de l’art marche en parallèle avec l’essor de la
bourgeoisie. Depuis le XVIIIe siècle, avec la montée du rationalisme, les intellectuels
remettront en cause la poésie en se demandant si elle appartenait à une époque passée liée au
mythe. Diderot l’aurait certainement condamnée : « Tout ce qui n’est pas utile est dédaigné.
L’emploi du temps est trop précieux pour le perdre à des spéculations oisives. » L’antithèse
bourgeoise on la trouve dans la réalité. Milliers d’étudiants de langues modernes, beaux-arts ou
philosophie sortiront cette année des salles dorées de la faculté pour impacter contre un monde
qui n’a pas besoin de philosophes, artistes ou écrivains mais d’ingénieurs, sanitaires, ouvriers,
journaliers, maçons, médecins, menuisiers, chauffeurs… principalement de force de travail que
puisse produire richesse. Les étudiants de beaux-arts, parmi un monde qui se « noie dans les
eaux glacées du calcul égoïste », ne trouveront pas d’endroit pour pouvoir développer ses
intrinsèques et inutiles impulsions artistiques qui permettront de nous élever par rapport au
règne animal.
En définitive, l’art est la preuve manifeste de notre capacité créative. Dans ce monde
déshumanisé et barbare, l’art peut nous montrer la possibilité d’ériger une alternative qui puisse
le surmonter. L’art peut nous découvrir un choix. Il est immutable car il exprime la capacité de
l’être humain d’objectiver nos désirs et espoirs. La guerre est inutile. L’avidité débridée de gains
est inutile. La mort de milliers de personnes immigrés sous notre nez, aux portes de l’Europe, ou
des personnes âgées dans les maisons de retraite… voilà ce qui est vraiment inutile ! Ce monde
est inutile ; il étouffe l’activité créatrice de l’humanité en l’amenant envers les abattoirs des
éventuels gains économiques. Ceci est le vrai néant. La finalité de l’art est d’aider à vaincre ce
néant.