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Certains défendent une idée de l’Art pour l’Art, de quelque chose qui ne peut être touché et

qui ne doit être apprécié que pour sa beauté ou sa qualité esthétique, et non pour sa dimension sociale
et politique, ne devrait pas être engagé. Mais ne pas reconnaître certaines œuvres comme n’étant pas
de l’Art pour le seul fait qu’elles soient engagées.
D’abord l’engagement se rapporte ici, à mon sens, à une vision politique et sociale de la société
matérialisée ici dans l’Art. Une représentation qui se construit nécessairement par la sensibilité du
sujet. L’engagement dans l’Art comme représentation critique de la société par le biais de la sensibilité
de l’artiste.
Déjà, l’Art est réfléchi, l’artiste conçoit son œuvre au préalable, l’auteur fait des brouillons, le
peintre des croquis et il en est de même pour le sculpteur et le compositeur. Et même lorsque à la
manière des surréaliste, l’écriture automatique, consistant à laisser l’inconscient écrire à “notre” place,
cela fait suite à une réflexion, et l'œuvre revêt alors au-delà de ce qu'elle est, ce qu’elle dégage par sa
conception ; je note aussi que les surréalistes faisaient cela pour se libérer de la prison de la pensée
dirigée par la raison, et engage une vision psychanalytique du monde.
J’emploie depuis le début le mot Art sans même le définir. Pour Camus dans son Discours de
Stockholm il dit que l’artiste se “soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle”, c’est-à-dire
que l’artiste se doit de reconnaître la vérité dans ce qu’il entoure et se par l’alliance de sa sensibilité et
de son entendement, et il se “soumet” à elle, il l’accepte et fait un effort pour y être le plus fidèle.
L’artiste est celui qui veut représenter le monde tel qu’il le conçoit par un effort de vérité, par un
regard critique envers le monde. Ce qui vient différencier un artiste d’un autre, c’est leur sensibilité, la
façon dont ils vont percevoir le monde, dont ils vont comprendre ce qu’ils voient et comment ils vont
articuler ces images avec leur raison, leur entendement. Ce regard critique envers le monde qui vient
se matérialiser et que nous nommons “Art”, se doit d’essayer alors de changer le regard du public, du
spectateur. L’artiste s’engage à susciter une réflexion, une prise de conscience chez le spectateur. C’est
par son aspect universelle que l’Art peut essayer de parler à tous bien qu’il soit inscrit dans des
coordonnées culturelles bien précises. Le rapport spectateur - Art est un jeu de regard qui est
semblable à celui qui se joue dans Les Ménines de Velazquez, je regarde une oeuvre où un peintre
(l’artiste lui-même) m’interroge à la fois sur ce que je vois, sur ce qu’il est entrain de peindre (moi, un
portrait, tout ?) et je me sens alors comme acteur du tableau. Velazquez vient nous bousculer dans nos
représentations et a réussi à changer notre perception du monde. Les Ménines sont en ce sens une
œuvre engagée.
De plus, l'Art est un bon moyen pour questionner le public. Aujourd’hui l’Art est visible par
ceux qui veulent le voir, que ce soit depuis la Révolution Française et la création de musées en France,
de lieux précis pour voir des œuvres d’arts, ou bien Internet et son instantanéité. L’Art devient alors
un vecteur excellent pour transmettre des valeurs, questionner, bousculer les mœurs. Roy
Lichtenstein avait bien compris cela en reprenant les codes de la publicité pour à la fois critiquer ce s
et transmettre des valeurs. C’est par exemple le cas de son tableau Whaam! , reproduction d’une
planche de BD, où il dénonce la violence de la guerre et surtout en dénonçant en filigrane la violence à
laquelle sont exposés les enfants lorsqu’ils lisent des bandes-dessinées. En reprenant les codes d’un
genre, l’artiste les sublime pour les dénoncer. D’autre part, l’Art a ce que j'appelle une “faculté
d’image”, je veux dire par là une capacité à invoquer des représentations, de stimuler des sens chez le
public. C’est ce qui vient me bousculer quand je vois un tableau de Rothko ou bien ce que La
Chaconne de Bach peut faire à son auditeur, c’est-à-dire impliqué le corps et transporté le spectateur.
Une extériorisation de soi par l’image. Le peintre développe cette faculté en peignant des formes, par
un jeu de couleurs, l’écrivain par des figures de styles, etc… Chaque Art à son outil, qui permet, de
l’auteur au public, un transfert de sensibilité. C’est ce pourquoi l’Art un biais à mon sens excellent
pour transmettre des choses à la fois par sa “faculté d’image” que par sa capacité à toucher le plus de
monde. Mais qu’est-ce qui est transmis, qu’elles peuvent-être les causes ?
Il y a, à mon sens, trois grandes causes dans lesquels les artistes s’engagent : les causes
politiques, comme Aimé Césaire qui dans “Les Négriers” met en avant la violence et l’inhumanité de
l’esclavage et de la colonisation, ou bien Guernica de Picasso qui dépeint les violences allemandes et
italiennes pendant la guerre civile espagnole ; une dimension sociale, c’est par exemple Les Misérables
de Victor Hugo qui met en avant la pauvreté et l’injustice dans le Paris du XVIIIeme ou bien Le Loup
des Steppes où Herman Hesse pose la question de la marginalisation et l’exclusion sociale de certains
groupes ; et enfin les causes morales récurentent dans le théâtre de Molière que ce soitdans Le
Bourgeois gentilhomme avec le “snobisme” et la superficialité dans la société ou bien Le Misanthrope
qui met en avant l’hypocrisie et le mensonge dans nos relations. L’artiste s’engage beaucoup, un terme
proche aujourd’hui est historiquement lié à la notion d’engagement : celui de l’intellectuel. Terme qui
naît au XIXème par l’implication d’une partie des classes bourgeoises et cultivés qui s’indigné face à
des massacres commis en Grèce alors. C’est Zola en 1898 ou bien des 343 de 1971. Raymond Aron les
définit comme “spectateur engagé”.
Mais pour autant, est-ce qu’aucune œuvre d’Art n’est pas engagée ? Les musiques dites “pop”
ou bien des films comme ceux des Frères Lumières ne sont pas engagés proprement dits mais cache
malgré tout à mon sens une forme d’engagement. Les premiers films avaient pour but de repousser les
limites de la créations, d’élargir l’horizon du possible, cela s’inscrit dans une croyance en l’humain,
d’un possible progrès de celui-ci, d’une confiance en lui. Révolutionner l’Art et les modes d’expressions
c’est une forme d’engagement. Divertir les gens, vouloir leur faire plaisir en leur offrant une musique
calme, joyeuse, apaisante, c’est croire en lui et vouloir l’aider. Derrière une idée de l’Homme, du plaisir,
de la société. Je ne dis pas que Rihanna est engagée - bien que je n’en sache rien et que cela je pense
puisse être défendu - , mais son projet est consciemment ou non, engagé et je refuse de pensée que tout
son travail a été effectué seulement dans une dimension économique ce qui enlèverait tout crédit à ma
proposition. D’autre part des films/documentaire qui ont pour but d’instruire les gens à travers des
outils artistiques, je pense à Nuit et Brouillard de Resnais ou bien Shoah de Lanzmann, qui n’ont en
apparence pas d’engagement, le sont car ils s’inscrivent dans une démarche de sensibilisation, de
transmission de savoir, de penser l’héritage de la connaissance, la connaissance de l’Histoire, et
l’histoire de l’Homme, comme fondement humain et nécessaire à la vie en société et c’est en cela qu’ils
sont engagés.
L’Art à donc toujours en lui une forme d’engagement, de désir de changement. Mais il faut
aussi rappeler que j’écris depuis un certain contexte. La question se posait beaucoup plus il me semble
au moment de Camus car comme il le dit lui même dans son discours : “ La mienne [de génération]
sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher
que le monde se défasse.” C’est l’après Seconde Guerre Mondiale, c’est l’après Shoah - qui n’occupe pas
la place dans leurs consciences qu’elles occupent dans nos consciences historiques aujourd’hui -, faire
confiance en l’Homme est plus difficile. Donc pour conclure l’Art est forcément engagé et je dirais
même que c’est par cela qu’il est défini, son engagement et sa croyance en l’humain et sa capacité à
devenir meilleur.
Une peinture qui symbolise pleinement cela, c’est l’ “Homme au ballon” où Picasso représente
l'Homme comme être de progrès et de modernité voulant se dépasser.

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