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L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique est


un essai de Walter Benjamin publié en 1935.

C'est dans cet ouvrage que Walter Benjamin développe sa thèse sur la
déperdition de l'aura. À l'inverse des icônes qu'on voyait, par exemple, dans les
églises orthodoxes, où l'emplacement et la vibration de l'œuvre étaient uniques,
propres à une communication mystique, les techniques de reproduction de
masse, notamment l'imprimerie et la photographie, ont contribué à la déperdition
de l'aura propre d'une œuvre unique, désincarnée par sa reproductibilité et sa
déclinaison dans d'infinis sous-modèles. Désolidarisé des valeurs de culte
véhiculées par la classe dirigeante, l'art perd ainsi son autonomie originelle.
Dans son ouvrage Benjamin propose également une analyse de l'image
cinématographique, ainsi qu'une réflexion sur la dimension politique et sociale de
l'art à l'époque de la reproductibilité technique.

Cette thèse a été remise au goût du jour notamment à travers la critique d'art
contemporain, à la fin des années 1990, qui y voyait une prémonition du
changement de statut de l'œuvre d'art. Dès le début du XXe siècle, avec
le dadaïsme notamment, des œuvres éphémères et iconoclastes ont modifié la
perception et le statut de l'œuvre d'art, dépouillé des ornements classiques
conférant aux œuvres d'art un statut sacré à travers leur beauté platonicienne et
leur immuabilité. Le Pop Art a consacré la sérialisation industrielle d'artefacts,
sans intervention nécessaire de l'artiste ; cette désincarnation de l'œuvre d'art a
contribué par la suite à l'émergence de la performance, forme d'expression
« authentique » douée d'une aura psychique quoique momentanée.

Ainsi, Walter Benjamin anticipe un thème central de l'esthétique contemporaine,


où se retrouvent Marshall Mc Luhan ou Herbert Marcuse par exemple, L'Œuvre
d'art à l'époque de sa reproductibilité technique est un des textes majeur de
l'histoire de l'art souvent utilisé comme référence. Dans son ouvrage Benjamin
effectue sa réflexion autour de trois axes, la reproduction technique et ses
conséquences sur l'art, l'image cinématographique et enfin le cinéma, art de
masse à dimension politique et sociale.

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La reproduction technique et ses conséquences sur l'art

Pour Benjamin, l'art est par nature reproductible, cette constatation l'amène à
réfléchir sur le rôle et la place que les moyens de reproduction occupent dans le
champ artistique: les techniques de reproduction modifient la réception des
œuvres passées, mais surtout ces nouvelles techniques s'imposent comme des
nouvelles formes d'art.

Ce qui se perd dans l'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique


c'est l'aura de l'œuvre, son hic et son nunc. Benjamin définit l'aura d'un objet par
« l'unique apparition d'un lointain si proche soit il ». Il élabore une théorie des
changements de perception de l'homme face à l'œuvre d'art changeante à cause
des nouvelles technologies.

Ce qui se dégage de la réflexion de Benjamin c'est que le développement des


techniques de reproduction a changé la perception du spectateur, qui
paradoxalement a l'impression que l'art lui est plus accessible (il peut avoir accès
à des images en permanence), alors qu'en même temps ces images lui révèlent
leur absence. De plus l'apparition de la photographie et du cinéma ont permis de
révéler le sens politique et social de l'art jusqu'alors négligé au profit d'une valeur
cultuelle: c'est l'essor de l'exposition comme lien social et pouvoir politique.

Analyse de l'image cinématographique

Benjamin établit avec L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité


technique une analyse du cinéma et des images qu'il donne à voir. Pour lui,
l'acteur de cinéma perd son aura, son corps est comme subtilisé par l'appareil
cinématographique, il ne devient plus qu'une image soumise au regard du public,
il le réduit même à un simple accessoire.

Benjamin s'intéresse à la façon dont le spectateur perçoit l'image


cinématographique : pour lui, le spectateur est comme hypnotisé face à cette
image qui lui offre une représentation du réel. En même temps cette image lui
permet d'acquérir une nouvelle façon de percevoir le monde, un espace auquel
l'homme n'avait pas conscience d'appartenir.

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L'aura disparaît avec la reproduction technique, mais c'est en même temps
l'apparition de celle-ci qui en montre l'absence, qui la révèle; c'est ce que
souligne Bruno Tackels : « L'aura n'existe pas avant la reproduction, qui en serait
comme le moment de destruction. L'aura ne prend véritablement forme...que
dans son épuisement, généré par l'essor inéluctable des techniques de
reproduction. C'est au moment où le reproductible envahit le champ
anciennement habité par l'aura, c'est au moment de sa destruction radicale que
l'aura peut apparaître et devenir visible pour l'œil moderne. »

Le cinéma, art de masse à dimension politique et sociale

Benjamin n'est pas nostalgique du déclin de l'aura, pour lui, cette perte est même
à l'origine de la création de l'œuvre d'art. Les œuvres s'appuyant encore sur
cette notion d'aura sont en fait liées au fascisme ou à tout autre domination qui
provoque une esthétisation de la vie politique. L'idée de Benjamin est que, de
tout temps, l'art n'avait en fait jamais été autonome et qu'il était sous l'emprise de
valeurs extérieures comme la religion ; l'aura de l'œuvre d'art n'a, en fait, jamais
existé et n'est que « l'intrusion d'un pouvoir exogène décidé à pénétrer le champ
de l'art pour mieux assujettir le monde ». La perte de l'aura ne signifie pas la
disparition de l'œuvre d'art mais au contraire son existence véritable.

Pour Benjamin, l'apparition du cinéma a changé le comportement du spectateur


face à l'art. Les spectateurs ne sont plus dans la passivité et le recueillement, les
masses deviennent actives, elles participent à l'art et à son fonctionnement. C'est
l'émergence des masses, issues des techniques de reproduction, qui rend
possible les transformations de l'art et la façon de le percevoir. Le phénomène de
masse et la grande quantité des œuvres d'art permet, selon Benjamin, à l'art de
se libérer de tout pouvoir fasciste et de toute aliénation des masses.

Mais, dès lors, avec cette théorie développée par Benjamin, on peut se
demander si l'appropriation de l'art par les masses ne conduit pas à transformer
l'œuvre d'art en marchandise et à la fétichiser ? D'ailleurs, pour le
philosophe Theodor Adorno, ces nouvelles formes artistiques libèrent certes
l'œuvre d'art de son emprise politique et religieuse, mais l'utilisation que la

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masse fait de l'art entraîne en même temps la fin de celui-ci par un processus de
marchandisation.

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