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L'“illettrisme” en questions - Discours sur l’illettrisme et cultures écrites ... https://books.openedition.

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L'“illettrisme” en questions | Jean-Marie Besse, Marie-


Madeleine de Gaulmyn, Dominique Ginet, et al.

Discours sur
l’illettrisme et
cultures écrites
Remarques sociologiques sur un problème social

Bernard Lahire
p. 59-75

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Texto completo

1. LA CONSTRUCTION SOCIALE DE
L’ILLETTRISME
1 Nous aimerions tout d’abord commencer en pointant un
danger scientifique inhérent à l’organisation d’un colloque
sur l’illettrisme. Le risque réside dans le fait qu’une telle
réunion peut produire, dans la tête des gens qui y assistent,
une réification de la réalité sociale. Le fait même que l’on se
réunisse pour parler d’illettrisme peut conduire à produire
un “effet de réel” et à laisser penser que l’illettrisme existe en
soi comme un objet naturel qu’il suffirait de bien définir, de
bien mesurer et enfin de “combattre”. Erving Goffman disait
que les conférenciers, ces “fonctionnaires du pouvoir
cognitif’, et leurs auditoires sont dans une situation sociale
telle qu’il est sous-entendu, présupposé qu’il existe dans la
réalité un phénomène social digne d’être traité, que ce
phénomène existe vraiment puisque il fait l’objet d’une
conférence, etc.1. Or, l’intitulé de la première séance :
“Construction sociale de l’illettrisme”, est là pour insister sur
le fait que les discours sur l’illettrisme, les nôtres y compris,
contribuent, qu’on le veuille ou non, qu’on en soit conscient
ou non, à constituer socialement le problème même qu’ils
entendent traiter.
2 L’autorité des discours (l’auctoritas), d’autant plus grande
qu’il s’agit des discours les plus officiels, voue à l’existence,
mais parfois aussi à l’inexistence, des phénomènes sociaux.
La reconnaissance officielle (politique, administrative,
scientifique...) d’un problème social tel que l’illettrisme ne
doit pas être pensée comme un simple éclairage d’une réalité
objective qui aurait existé jusque-là dans l’obscurité. Les
discours sur l’illettrisme en disent toujours plus que la
simple “découverte” ou “reconnaissance” d’une réalité
sociale. Ils parlent du rapport au monde social de ceux qui
les énoncent, et, plus généralement, des rapports de pouvoir

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contemporains. La sociologie ne doit donc pas être victime


du réalisme des discours.
3 On sait que, pendant longtemps, l’illettrisme n’avait pas
d’existence sociale parce qu’il n’avait pas la reconnaissance
officielle acquise aujourd’hui2. Il s’agissait d’un thème, d’une
problématique qu’essayaient de poser et d’imposer des
associations comme ATD-Quart-Monde. Or, comme l’a
montré Rémi Lenoir3, un fait social ne devient vraiment
“problème social” que s’il passe par la phase finale de
consécration, officialisation, reconnaissance par l’Etat : en le
désignant comme une question importante4, l’Etat fait entrer
un fait social, l’illettrisme, existant jusque-là dans la réalité
privée, ou dans la réalité publique mais non officialisée de
certaines associations, dans un autre monde, celui des
règlementations, des financements, des programmes
sociaux, des équipements sociaux, etc. Jusqu’à la fin des
années 70, les instances officielles nationales ou
internationales considèrent que l’analphabétisme n’est plus
un problème des pays développés. En 1978, l’UNESCO
considère que l’analphabétisme est marginal en Europe.
En 1979, la France répond à un questionnaire de la CEE qu’il
n’y a pas d’analphabétisme en France. C’est au début des
années 1980 que les discours officiels changent avec le
Rapport sur la lutte contre l’analphabétisme, (Parlement
européen, avril 1982), de P. J. Viehoff qui estime de 4 à 6 %
la population européenne analphabète.
4 Il ne faudrait pas, maintenant que le “phénomène” est
“reconnu”, faire comme si on avait affaire à une simple mise
en visibilité d’une réalité qui aurait vécue jusque là “cachée” :
il ne s’agit pas d’un simple dévoilement de ce qui aurait
existé jusqu’alors sans se dire.

2. COMPTER ET DÉFINIR LES ILLETTRÉS :


RÉALISME ET SCIENTISME
5 La littérature sur l’illettrisme fait un usage des chiffres tout à

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fait réaliste. En effet, selon les “définitions” et les finalités du


propos, les illettrés se comptent par centaines de milliers ou
par millions. Les chiffres ont donc essentiellement une
fonction réaliste, ils sont là pour dire : “malgré la disparité
des définitions, des mesures et des résultats des mesures, il y
a suffisamment de données convergentes pour pouvoir
affirmer qu’il y des illettrés”. L’aspect positiviste-empiriste
du comptage des illettrés dans les discours participe de la
réification de la réalité sociale : les illettrés existent, il faut les
compter.
“Le taux des analphabètes complets est certainement faible ;
en revanche, on peut affirmer que le nombre des personnes
qui ne maîtrisent pas la lecture ou l’écriture ou sont
gravement gênées pour utiliser celles-ci doit se compter par
millions plutôt que par centaines de mille5”.
“Certes les définitions de l’illettrisme sont différentes, les
estimations statistiques correspondent à des données
variables, mais il existe une unanimité pour reconnaître
l’accroissement rapide de l’illettrisme dans tous les pays
développés6”.
“Les chiffres qui circulent en France sur l’ampleur du
phénomène varient entre cent mille et dix millions
d’illettrés7”.
“Si l’analphabétisme régresse fortement dans tous les pays
développés et dans certains pays en voie de développement,
l’illettrisme progresse rapidement dans tous les pays
industrialisés. (...) Tout d’abord, compte tenu du nombre
global de personnes illettrées en France (les estimations vont
de 5 à 7 millions) (...)8”.
“Dans telle Mission locale de l’agglomération parisienne, il
est fait état de l’illettrisme de 30 % des jeunes entre 16 et
25 ans ; dans un quartier de l’Est lyonnais 54 % d’entre eux
sont sans qualification. Un sondage fait à l’occasion de ce
rapport auprès de quelques responsables de foyers de jeunes
travailleurs donne des taux qui peuvent atteindre 30 à 50 %
des résidents, inaptes à lire ou à remplir différents

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formulaires, taux qui monterait à 80 % parmi les jeunes en


stage d’insertion9”.
“L’illettrisme caractérise la situation de ceux qui, ayant
appris à lire et à écrire, en ont perdu la pratique au point de
ne plus pouvoir comprendre un texte simple et bref
concernant des faits en rapport avec leur vie professionnelle
et quotidienne, selon la définition de l’UNESCO10”.
“Les analphabètes fonctionnels, ce sont tous les adultes qui,
bien qu’ayant été scolarisés, ne savent pas suffisamment lire
ou écrire pour faire face aux exigences de la vie quotidienne
ou du travail. Ils sont incapables de rédiger une demande
d’emploi, de remplir un chèque, d’écrire une lettre, de
comprendre le titre d’un journal, de déchiffrer l’étiquette
d’un flacon pharmaceutique11”.

6 Le sociologue n’a pas à trancher, par une fausse rigueur qui


n’est qu’un acte d’autorité déguisé, dans la profusion et le
flou des chiffres et des “définitions” sur l’illettrisme. Derrière
la fausse rigueur de l’expert qui prétend dire le vrai sur la
question, on trouve à l’œuvre toute une conception implicite
ou explicite de ce qu’est le langage, le sens, toute une
conception du rapport que le sociologue entretient avec le
langage. En effet, lorsqu’on recense les définitions de
l’illettrisme, on constate qu’elles ne cessent de varier. Or, il y
a toujours un “sociologue” pour trancher et dire la “véritable
définition de ce qu’est l’illettrisme”. Il intervient, dès lors,
comme un expert capable de mettre de la rigueur dans du
flou, de “bien” définir ce qui est “mal” défini, d’avoir le
dernier mot, scientifique donc définitif, sur ce qu’il faut
entendre par illettrisme. En faisant cela, le sociologue entre
dans la compétition sémantique et donc sociale (même si
c’est en prétendant rester en dehors ou avoir le dernier mot)
et perd l’essentiel de ce qui devrait constituer son véritable
objet, à savoir cette compétition sémantique et sociale elle-
même, les différentes utilisations du terme par des
personnes produisant des discours dans des contextes et à
partir de lieux institutionnels divers.

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3. L’EXEMPLE D’UNE SUPER-VISION


SCOLAIRE
7 Ne pas se laisser dominer par la tendance à naturaliser des
problèmes sociaux, c’est aussi se pencher sur les effets
d’officialisation d’un problème social par les services
statistiques de l’INSEE. Or, récemment, a été publié dans les
Données sociales 1990 un article intitulé L’illettrisme12.
8 Pour résumer les caractéristiques de cet article, on peut dire
qu’il se présente (le terme illettrisme sans guillemets) avec
un petit résumé annonçant clairement son style : des
pourcentages sont donnés sur les “personnes valides de plus
de 18 ans vivant en France métropolitaine” qui présentent
des “incapacités à parler, lire, écrire et bien comprendre le
français”. La “notion d’illettrisme” est posée naturellement,
sans problématisation, comme recouvrant aujourd’hui “les
diverses incapacités liées aux difficultés de compréhension et
d’utilisation du langage parlé et écrit” (p. 355). Rien
n’indique l’idée d’une construction sociale du problème
social appelé illettrisme et tout est fait (l’absence de
guillemets, les résultats chiffrés, la définition apparemment
simple et clair, l’absence de réflexion critique sur la “notion”,
ou sur la genèse d’un problème social) de manière à
présenter l’illettrisme de manière positiviste et réaliste.
9 Dans l’ensemble de l’article on parle d’“incapacité” (à parler,
lire, écrire et comprendre le français), de “lacunes graves
pour écrire en français” (p. 356), on légitime la conception de
l’illettrisme comme “handicap” (l’étude s’inspire, dit l’auteur,
“de travaux réalisés sur les handicaps de santé”, “l’illettrisme
provoque chez les personnes qui en sont atteintes, de graves
difficultés dans leur vie quotidienne” p. 355). Plus largement,
on relie l’illettrisme avec une série de “handicaps” (handicap
culturel, handicap familial, handicap financier, handicap
scolaire, handicap de santé) et l’on parle de l’absence
d’”autonomie” des illettrés (cf. Figure 1 – “d1. Absence de
réaction (orale ou écrite) autonome face à un problème

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administratif éventuel”, p. 356). Derrière un apparent bon


sens, l’auteur (et les réalisateurs des enquêtes sur lesquelles
il s’appuie13), évite de poser les questions : “Qu’est-ce que
« savoir lire » ?”, “Qu’est-ce que « parler mal le français » ?”,
“Qu’est-ce qu’une « mauvaise maîtrise de la langue » ?”,
c’est-à-dire comment, à partir de quelles normes ou de quels
critères peut-on juger et mesurer le savoir lire et écrire, la
bonne maîtrise de la langue, etc. ? En fait, on ne maîtrise pas
“la langue” en général mais des genres discursifs, ou des
schémas d’interaction verbale particuliers14, et l’enquête par
questionnaire qui ne retient que des catégories telles que
bon/mauvais, bien/mal, capacité/incapacité reproduit, sans
sourciller, des catégories sociales de jugements, qui sont en
fait des catégories scolaires de jugements.
10 L’article fait comme si la “définition” du terme d’illettrisme
ne posait pas de problème15, opère une justification de
l’emploi des termes de “handicap”, d’”incapacité” 16 et
constitue une parfaite lecture scolaire de la réalité sociale
contemporaine. Voilà en fait ce que nous livre l’INSEE : la
vision que pourrait avoir un super-instituteur qui regarderait
notre formation sociale de haut et qui pourrait noter, évaluer
non pas une classe mais un échantillon représentatif de la
population française17. Les catégories qui sont utilisées ne
sont pas absurdes en soi, et les résultats qui sont donnés ne
sont pas faux en soi, mais ils sont à lire en sachant qu’il s’agit
d’une vision scolaire des faits sociaux. Ils ne sont pas à lire
au premier degré mais au second degré, c’est-à-dire en
gardant à la conscience ces choses-là. L’article, qu’il faut
penser comme un pas de plus dans la reconnaissance
officielle de l’illettrisme, livre, sans le dire, une vision
scolaire de l’espace social. Il mesure bien quelque chose mais
il ne dit pas, et c’est ce qui est très contestable
scientifiquement, ce qu’il mesure, à partir de quelles
catégories de perception il mesure. Il prétend mesurer plus
ou moins fidèlement une “réalité sociale”, et en fait il ne fait

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que développer fidèlement un point de vue particulier –


scolaire – sur le monde social.

4. LE PIÈGE DES DISCOURS SUR


L’ILLETTRISME : SOUS LA GÉNÉROSITÉ,
LE STIGMATE
11 Plus généralement, bon nombre des discours politiques,
“sociaux”, sur l’illettrisme produisent, à travers la
dénonciation des inégalités et à travers le thème de la “lutte
contre les inégalités”, un ensemble de stigmates. Discours
qui dévoilent plus une morale de dominant que ce que sont
les illettrés. Dans le modèle de discours lyrique, généreux,
indigné, discours d’effusion et égalitariste (paradigme
discursif égalitariste-lyrique), il y a un vrai piège de discours,
au sens où l’entend Louis Marin (“procédés rhétoriques,
opérations argumentatives, tactiques dialogiques visant à
persuader l’autre, à manipuler l’auditeur, à le réduire au
silence ou à le faire croire18 ”), puisque le stigmate passe en
même temps que l’indignation, ou mieux, l᾿indignation fait
passer le stigmate.
12 De même que dans les discours sur l’“insertion sociale” 19, on
repère dans les discours sur l’illettrisme une insistance sur
l’”autonomie”, l’”indépendance”, la “maîtrise de son
existence”, la “responsabilité”, la “citoyenneté”. Voilà les
signes d’une bonne insertion, voilà les critères à partir
desquels sont jugés les illettrés. Comme dans le rapport B.
Schwarz20, l’ensemble des discours sur l’illettrisme insiste
sur le fait que la lutte contre l’illettrisme est une exigence
démocratique : une démocratie se doit de changer une telle
situation, de lutter contre les inégalités ou les exclusions en
matière de lire-écrire. On commence donc par produire une
situation discursive dans laquelle peut apparaître un
scandale : l’illettrisme.
“Personnellement, je refuse d’imaginer qu’à l’aube de
l’an 2000, des hommes et des femmes aient des savoirs si

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faibles qu’ils éprouvent des difficultés à lire, écrire, compter.


(...) venir à bout du fléau de l’illettrisme, fléau inacceptable
pour une société démocratique digne de ce nom21”.
“Une fracture du corps social se constitue actuellement
autour de ces savoirs élémentaires, fracture qui rend de plus
en plus difficile l’exercice par tous des droits civiques, la
participation au développemement économique et social, la
liberté de circulation et d’opinion, le développement
culturel22”.
“Agir maintenant : parce qu’il n’est pas acceptable que tant
de Français soient exclus du plein exercice de la démocratie
et parce que la société ne saurait continuer de se priver de la
contribution que ces concitoyens pourraient aussi lui
apporter23”.
“Bref, incapables de mener une vie satisfaisante et
productive au regard des exigences des sociétés industrielles
contemporaines, les illettrés courent le risque de ne pas
pouvoir participer pleinement à la vie de la société :
“L’homme qui ne sait ni lire ni écrire est en dehors de la
politique” avait déjà proclamé Lénine24”.

13 En fait, en énonçant les exigences (présentées comme


normales) d’autonomie, de citoyenneté, de responsabilité,
d’indépendance, de maîtrise de son corps, de son
environnement, de son destin professionnel, etc., les
discours sur l’illettrisme énoncent une morale de dominant.
L’apparente générosité du discours indigné (faire accéder
tout le monde au lire-écrire) est la manière rhétorique,
constitue le piège discursif le plus efficace pour produire des
stigmates. En dénonçant des inégalités, le discours
stigmatise ; en présentant avec générosité les objectifs à
atteindre il classe ceux qui ne les atteignent pas. En affichant
la volonté de donner l’autonomie, la dignité, la responsabilité
de soi, la maîtrise de soi, la citoyenneté à certains, le discours
présuppose, de ce fait même, que certaines catégories
sociales vivent dans la dépendance, l’indignité,
l’irresponsabilité de soi, ne savent pas se maîtriser, maîtriser

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leur vie et ne sont pas de véritables citoyens.


14 Il semble donc paradoxalement (mais le paradoxe n’est
qu’apparent) que les rapports de pouvoir ne puissent se dire
et s’effectuer qu’en passant par la dénonciation des
inégalités. Publiquement, le stigmate se dit de moins en
moins ouvertement, directement (“ils sont indignes,
irresponsables, ils mènent une vie indigne d’être décemment
vécue...” autant de propos qu’on peut trouver sous une forme
directe, non-euphémisée dans des interviews d’instituteurs
et de travailleurs sociaux), mais s’appliquent indirectement.
Le jugement est produit par une voie détournée. Le piège
réside dans le fait qu’en faisant porter l’attention sur la
volonté de lutter contre les inégalités ou les exclusions, sur la
volonté de rendre autonome, responsable, maître, citoyen,
etc., d’une part on met l’accent sur l’aspect généreux,
volontariste, “social” du discours et des actions, et d’autre
part on fait passer, dans le même temps, les stigmates
comme un cela-va-de-soi ininterrogé, un présupposé. On
pourrait dire que, bien souvent, les causes nobles qui font
émouvoir sur l’illettrisme (accès à la démocratie, promotion
professionnelle, autonomie d’existence, épanouissement
personnel...) sont des causes de nobles, au sens de
dominants.
15 B. Gillardin et C. Tabet écrivent que “les personnes engagées
dans des actions de “relecture” obtiennent des résultats à
deux niveaux : une conquête sur elles-mêmes et par là un
pouvoir sur leur environnement25 !” Ils affirment que “à
l’aube du XXIe siècle, la moitié des citoyens d’une nation
industrialisée (...) est en train de perdre la capacité de
maîtriser les outils qui forgent sa conscience et son pouvoir
d’agir26 ”. Les auteurs présupposent, comme bien d’autres,
que qualification = qualification par l’écrit [“Si l’on ajoute
que la vie l’a accaparée dans des secteurs où l’écrit était peu
utilisé, travaux sans qualification réelle, on peut sans erreur
affirmer qu’une partie de cette population se retrouve assez

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bas dans ce qu’on est habitué d’appeler l’échelle sociale 27 ”].


Les “très faibles et non-lecteurs” sont “trop grands
consommateurs de télévision, deviennent passifs et rejettent
les écrits28 ”. Enfin, “un individu qui lit a mille fois plus de
pouvoir que celui qui ne lit pas ! Et c’est bien à cette absence
de pouvoir sur la vie que nous renvoie l’illettrisme29”.
“Le défi qui est adressé à notre société démocratique prend
une dimension redoutable dès lors que l’inégalité des
citoyens se constitue là où la démocratie elle-même se
fonde : le droit pour chacun de disposer du pouvoir d’agir
socialement30” (cela signifie que les illettrés n’ont pas le
pouvoir d’agir socialement, formule vague s’il en est) ;
“l’incapacité de participer à la vie de la cité 31” ; “Voici
110 ans Jules Simon affirmait “N’appelez pas un électeur,
n’appelez pas un citoyen, celui qui ne sait pas ce que c’est
que le papier qu’il dépose dans l’urne32” ; “De fait, l’écrit
reste, sans conteste, le média le plus respectueux, celui qui
met le lecteur en situation d’atteindre sa vérité, au sein des
groupes sociaux et en interaction avec eux. La lecture
représente un enjeu essentiel de la vie démocratique33” ;
“Son illettrisme, avant d’être le produit d’une carence dans
l’ordre du savoir, est le signe d’une absence de pouvoir sur
sa propre existence34” ; “Il reste qu’un lecteur efficace
éprouve le sentiment d’appartenir à une communauté : il est
conscient des pouvoirs qui sont les siens dans le champ
social, et, par-là, accède à des savoirs de plus en plus
étendus, lesquels nourrissent à leur tour ces pouvoirs 35 ” ;
“Agir maintenant : parce que, en fin de compte, dans notre
culture, mieux lire reste une des conditions pour mieux
vivre36”.
“L’illettrisme est une des première causes d’exclusion sociale
et constitue, outre une atteinte à la dignité humaine, un
facteur de fragilité de la démocratie.”; “Or, être illettré ce
n’est pas seulement être démuni devant les mots, c’est
d’abord être démuni devant la vie, être de fait en marge de la
société.37”.
“L’accès à des connaissances de base devient un moyen pour

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mieux comprendre sa vie, la modifier, avoir un autre statut


social. (...) tout en donnant accès à la maîtrise des
techniques, l’alphabétisation contribue en même temps à
l’épanouissement de l’homme en tant que droit fondamental
de tout être humain38”.

16 Nous rejoignons ici ce que disait Michel Foucault à propos


des élites grecques : Foucault a montré que la maîtrise qu’ils
entendaient exercer sur eux-mêmes (en se montrant chaste,
en sachant ne pas se laisser emporter par leurs appétits et
leurs plaisirs...) était une manière de montrer qu’ils étaient
dignes d’assumer un pouvoir sur les autres. Résister aux
plaisirs, ne pas se laisser emporter par eux, c’est être
dominant par rapport à soi-même et, par-là, être dominant
par rapport à ceux qui se laissent emporter par leur nature.
“La maîtrise de soi est une manière d’être homme par
rapport à soi-même, c’est-à-dire de commander à celui qui
doit être commandé, de contraindre à l’obéissance ce qui
n’est pas capable de se diriger soi-même, d’imposer les
principes de la raison à ce qui en est dépourvu 39 ”. On peut
ainsi se demander si l’insistance dont font preuve les
discours sur l’illettrisme comme “absence de pouvoir sur la
vie”, “absence d’autonomie”, “absence de pouvoir sur son
environnement”, “sous-citoyenneté”, “non-maîtrise de sa
vie”, signe d’”êtres passifs”, d’une “vie indigne”, etc. n’est pas
une manière d’énoncer à la fois une morale dominante (celle
qui passe par une forme de maîtrise de soi acquise à l’école)
et ceux qui en sont exclus, ceux dont la vie est à peine digne
d’être vécue (Platon, dans son Apologie de Socrate, écrit
qu’”une vie sans examen (anexetastos bios) ne mérite pas
d’être vécue40”). Et il faut rappeler, avec Foucault, que la
culture de soi ne concernait “que les groupes sociaux, très
limités en nombre41”.
17 Il faut donc se méfier des discours apparemment les plus
généreux et qui développent des arguments éthiques du
type : “l’illettrisme est un obstacle à l’épanouissement

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personnel”, au “respect de soi” ou des arguments socio-


politiques du type : “obstacle à la citoyenneté active42”.
18 Mais nous voudrions faire une courte parenthèse pour être
sûr de ne pas laisser planer un malentendu sur ce qui fonde
l’analyse que nous esquissons ici. Il ne s’agit
scientifiquement ni de dire que les illettrés sont “bêtes”,
“stupides”, dénués de toutes compétences, “handicapés” ou
“malades” ni de faire du populisme ou de la démagogie en
disant que les illettrés sont des gens très “intelligents”, très
“cultivés”, qui savent faire des choses que les lettrés ne
savent pas ou plus faire (autant de justifications
conservatrices de l’ordre social et de ses inégalités). Il faut,
en fait, de manière dialectique, tenir ensemble deux
positions apparemment contradictoires. Il faut dire à ceux
qui pensent que ce sont des “handicapés” : “regardez ce qu’ils
sont et ce qu’ils font, regardez leurs compétences culturelles,
qui peuvent être non-reconnues dans la hiérarchie légitime
des compétences...” et d’un autre côté, dire à ceux qui
pensent qu’ils ont une merveilleuse culture, des compétences
inouïes, etc. : “regardez les “handicaps”, qui ne sont pas des
propriétés substantielles et naturelles des personnes, mais
qui sont produits socialement, c’est-à-dire qui sont le produit
de l’interaction entre des personnes aux caractéristiques
sociales déterminées et des situations sociales déterminées”.
Qu’on soit populiste ou légitimiste43, on opère la même
réduction : on ne retient qu’une partie des situations sociales
vécues par les êtres sociaux, en sélectionnant soit des
situations où aucun “handicap” ne peut être produit, soit des
situations où il ne peut y avoir qu’”handicap”. L’erreur tient
dans les deux cas au fait que l’on absolutise les effets sociaux
liés à des situations sociales particulières (plus ou moins
récurrentes socialement, ayant plus ou moins de poids
historiquement).

5. SUR-ESTIMATION ET SOUS-

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ESTIMATION DU PROBLÈME
19 Lorsque l’on parle d’illettrisme, d’un certain point de vue on
surestime le problème et d’un autre point de vue on le sous-
estime.
20 On surestime le problème parce qu’on fait comme si il y avait
plus d’illettrés aujourd’hui qu’hier alors que, tout d’abord, on
les compte davantage aujourd’hui qu’on ne les comptait
auparavant et on les compte plus parce que, pour des raisons
économiques, politiques, culturelles... à déterminer, cet
illettrisme fait sens et pose problème. De plus, on ne les
compte pas avec les mêmes critères. Si on avait compté dans
le passé avec les mêmes critères qu’aujourd’hui (qui varient
selon les lieux institutionnels) on aurait trouvé certainement
des millions d’illettrés. Savoir signer (critère le plus souvent
utilisé par les historiens), ne suffit pas aujourd’hui pour être
qualifié d’alphabétisé. En effet, si l’on utilisait le critère
signature aujourd’hui pour juger de l’alphabétisation des
français, tout le monde serait alphabétisé ou presque. Même
les élèves scolarisés à l’école primaire en classe de
perfectionnement sortent toujours du système scolaire,
malgré leur grand “échec scolaire”, avec des connaissances
de l’écrit qui ne sont pas négligeables : ils ont copié des
phrases, rempli des pages, écrit leur nom... pendant
plusieurs années.
21 C’est au moment où le nombre de bacheliers n’a jamais été
aussi élevé que l’on découvre les illettrés et, quand on sait
l’état de la scolarisation des campagnes au XIXe siècle, les
pourcentages de gens qui au XXe siècle n’ont pas eu de CEP,
etc..., on relativise les discours catastrophistes
contemporains.
22 D’un autre point de vue, on sous-estime le problème.
23 Contrairement à ce que laissent entendre les discours sur
l’illettrisme, l’accès à la “démocratie” (l’accès à l’”opinion
politique” par exemple), à la formation, aux différents
droits... n’est pas une simple affaire d’alphabétisation 44, et

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ce, même si les inégalités face au monde politique, juridique,


scolaire, artistique... sont fortement liées à la question des
cultures écrites et à ce qui fait certaines de leurs spécificités :
la constitution de savoirs théoriques, systématiques,
relativement indépendants de contextes immédiats
d’”application”... et le rapport au langage et au savoir qui
découle de l’inculcation formelle de tels savoirs (rapport
distancié au langage). En liant l’accès à et l’intérêt pour la
formation, les droits, la politique... au simple “savoir lire et
écrire”, les discours sur l’illettrisme sous-estiment l’ampleur
du problème des inégalités d’accès aux univers sociaux dans
lesquels se jouent des enjeux de pouvoir :
“fracture qui rend de plus en plus difficile l’exercice par tous
des droits civiques, la participation au développement
économique et social, la liberté de circulation et d’opinion, le
développement culturel45” ; “pour exercer ses droits, le
détenu est supposé maîtriser l’écrit. Toute démarche, toute
réclamation exige la rédaction d’une lettre46 ” (cas typique de
sous-estimation qui présuppose que si on avait des détenus
alphabétisés, des citoyens sachant écrire et lire on aurait des
citoyens actifs comme les “autres”, alors que le problème est
bien plus large que cela) ; “Si, par exemple, on considère que
la politique d’alphabétisation vise à écarter un obstacle
majeur aux possibilités de participation civique, sociale,
économique et culturelle à la vie collective, il faudra définir
le niveau (mesurable) de compétences individuelles à partir
duquel cet obstacle sera jugé aboli47 ” ; “Plus largement, pour
ce qui regarde les droits des travailleurs – et les “lois
Auroux” en particulier – les illettrés peuvent-ils réellement
en profiter ? Une part de la population salariée est
probablement incapable de se saisir des possibilités qui lui
sont offertes, du fait d’une incapacité de communication et
d’expression. Une forme essentielle de la démocratie dans
nos sociétés est ici mise en échec : il s’agit de savoir si tous
les salariés peuvent participer aux responsabilités qui sont
les leurs ou s’ils ne sauront le faire que par le biais de plus
“savants” qu’eux, comme les syndicalistes ou les délégués du

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personnel48” (Comme s’il suffisait d’un seul “savoir lire et


écrire” pour pouvoir accéder à de l’information qui était en
jeu) ; “On ne peut pas se préparer à vivre la démocratie
dans des conditions qui ne seraient pas celles de la
démocratie.”49.
“Comment, enfin, peut-on participer à la démocratie
lorsqu’on ne dispose pas des moyens écrits d’information et
de réflexion sur les enjeux du débat50 ?”

24 Les savoirs écrits se sont complexifiés, autonomisés, les


écritures se sont diversifiées. Il y a là une question de
distribution sociale des connaissances et d’exclusion par
rapport à des champs de pratiques et de savoirs spécialisés.
25 Les discours catastrophistes sur l’illettrisme minorent donc
le problème posé, mais pas au sens où il y aurait à compter
plus d’illettrés. La spécialisation croissante des savoirs
objectivés, formalisés, codifiés, parfois même théorisés,
qu’ils soient juridiques, politiques, économiques, scolaires,
scientifiques, dans le domaine de l’art, du sport... implique
une autonomisation progressive de certains champs
d’activité et une coupure Profane/Expert. Cette
autonomisation des champs d’activité, avec spécialisation et
apparition ou développement de la figure de l’Expert, ne
peut se faire sans la complexité des pratiques d’écriture, des
savoirs écrits, théoriques, etc. (savoirs nécessaires dans le
monde de la production matérielle mais aussi nécessaires
pour s’approprier légitimement une œuvre
cinématographique, théâtrale, littéraire...).

6. LES DIFFÉRENTES MANIÈRES DE


ROMPRE AVEC LES DISCOURS SUR
L’ILLETTRISME
26 On peut énoncer enfin un certain nombre de moyens
d’étudier scientifiquement le problème social d’illettrisme.
Pour construire un objet complexe, il faudrait pouvoir
combiner l’ensemble de ces moyens.

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27 1) La première façon de rompre avec le “cela va de soi” d’une


catégorie comme celle d’illettrés (mais on pourrait dire la
même chose pour celles de “jeunesse”, de “délinquance”,
d’“échec scolaire”...) consiste à dire que l’illettrisme est un
problème socialement construit, que les “illettrés” (entre
guillemets) sont tout d’abord l’objet d’enjeux, de luttes entre
différentes “institutions”. Ces institutions luttent pour la
définition légitime de l’illettrisme et pour la définition du
mode de gestion ou de traitement légitime de la “population
illettrée”. Les questions qu’on peut alors se poser sont du
type : qui a “intérêt” à parler (et à parler d’une certaine
manière) d’illettrisme ? Qui vit socialement de l’illettrisme ?
28 En reconstruisant les conditions sociales de production des
différents discours et des luttes discursives, on se donne les
moyens de briser l’évidence, de dé-construire cette catégorie
qui semble aller de soi. Il s’agit de reconstruire les multiples
réseaux discursifs qui produisent la réalité sociale-
symbolique de l’illettrisme. Ces réseaux, complémentaires ou
en opposition, s’articulent sur des institutions plus ou moins
légitimes, reconnues, mais qui toutes contribuent à la
constitution de l’illettrisme comme réalité sociale et à la
croyance en la “réalité” de l’illettrisme.
29 2) Une deuxième voie pour rompre avec l’évidence et
interroger le problème de l’illettrisme consiste à enquêter
auprès d’individus qui sont socialement désignés comme
illettrés (par des organismes de formation, des centres
sociaux...) et à essayer de saisir ce que sont ces individus
socialement. On reconstruit alors leurs trajectoires sociales
(professionnelles, scolaires, en matière de formation...) et on
essaie de comprendre leurs pratiques de lecture et d’écriture,
leurs rapports à l’écrit, leurs manières de vivre dans une
formation sociale où l’écrit s’est généralisé (les tactiques
d’évitement, de contournement, de compensation...).
30 3) Troisième forme d’interrogation déjà largement mise en
œuvre : faire l’histoire et l’anthropologie des lieux et des

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formes d’alphabétisation. On se rend compte alors que les


taux d’alphabétisation (en fait des pourcentages de signants
ou de personnes déclarant savoir lire et écrire) ne mesurent
pas toujours les mêmes réalités : être alphabétisé en France
aux XVIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe, et XXe siècles, et, à chaque
époque, dans les différents groupes sociaux, ce n’est pas la
même chose, parce que, suivant les moments, les groupes et
les lieux, les pratiques d’écriture et de lecture varient de
même que les pratiques (scolaires ou non) d’apprentissage
du lire-écrire.
31 4) Enfin une quatrième voie de rupture avec un certain sens
commun consiste à replacer le problème de l’illettrisme dans
une configuration sociale d’ensemble, à partir de la
perspective sociologique et anthropologique fondamentale
concernant le rapport entre cultures orales et cultures
écrites, et non d’étudier une “population” isolée, avec la
tentation, au fond très réaliste, de compter le nombre des
illettrés.
32 A partir d’une telle perspective51, qui nécessite de saisir les
transformations morphologiques et cognitives liées aux
cultures écrites dans l’histoire, on peut remarquer que les
discours sur l’illettrisme prennent l’opposition oral/écrit
comme allant de soi. Or, si l’on suit un peu ce que nous dit
l’anthropologue Jack Goody52, l’opposition est conceptuelle,
théoriquement construite et non empirique ou sensible
(mode de production oral des connaissances/mode de
production écrit-graphique des connaissances). L’opposition
théoriquement construite permet de penser qu’il y a des
cultures écrites objectivées dans des dispositifs sociaux, des
institutions scolaires, juridiques, étatiques... et des cultures
écrites intériorisées sous la forme de rapports au langage et
au monde.
33 En posant le problème en termes de formes sociales
scripturales, c’est-à-dire de formes de relations sociales
rendues possibles historiquement par des cultures écrites et

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demandant, de la part des êtres sociaux, l’intériorisation


d’une culture écrite sous forme de rapport au savoir, au
langage et au monde, on évite tout empirisme (l’“oral” et
l’“écrit” comme deux domaines clos qui correspondraient
d’une part à “ce qui se dit”, la “Voix” et d’autre part à “ce qui
s’écrit”, la “Trace”). Des énoncés “oraux” peuvent très bien
être des produits de formes sociales scripturales du fait des
objets qu’ils construisent, des modes ou des schèmes de
raisonnements qu’ils mettent en œuvre et qui peuvent avoir
été conquis dans une culture écrite, de la forme de
communication dans laquelle il s’inscrit, du rapport à ce qui
est dit, du rapport au monde et à autrui qu’ils impliquent.
34 D’une part, l’approche historique nous aide à penser ce que
l’“écriture” a, par un long processus d’accumulations-
transformations, rendu possible, réalisable (en terme de
structuration globale d’une formation sociale) sans que
l’“écriture” n’ait toujours le “besoin” d’apparaître. Par
exemple, un savoir conquis à travers les multiples opérations
d’écriture, d’accumulation, de reprises-transformations,
d’abstractions, de décontextualisations, de formalisations, de
généralisations, de schématisations..., effectuées parfois
successivement, par de nombreuses générations
d’intellectuels, sur une longue période de temps, et, de ce
fait, invisibles à première vue, peut bien à un moment
déterminé de son parcours être discuté “oralement”, faire
l’objet de débats “oraux”, voire de conversations informelles.
D’autre part, l’idée de transposabilité (P. Bourdieu) permet
de penser que, socialisé dans des formes sociales
scripturales, un être social peut transformer en un rapport
général au monde ce qu’il a acquis par et dans des pratiques
d’écriture ou des pratiques langagières orales liées à une
culture écrite.
35 A partir d’une conception empiriste-positiviste et dans la
logique réaliste du “comptage”, on réduit un problème
général et fondamental, celui du rapport des groupes ou

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classes aux formes sociales scripturales, à un problème qui se


limite à la question du “savoir-lire-et-écrire”. Contrairement
à ce que beaucoup pensent, le degré de maîtrise de la culture
écrite ne se voit pas uniquement (et peut-être même
principalement) dans les pratiques effectives de l’”écriture”
et de la “lecture”. Il y a toujours une tentation empiriste-
positiviste à traiter du problème de la culture écrite, lettrée
par ce qui semble aller de soi : les pratiques d’écriture et de
lecture, la fréquentation des bibliothèques, etc. Le “savoir-
lire” et le “savoir-écrire”, la fréquence des pratiques de
lecture et des pratiques d’écriture ne sont pas les seuls
indices, ni même peut-être les meilleurs, pour juger de la
participation aux formes sociales scripturales dominantes.
On peut certainement juger de la non-maîtrise par les classes
populaires des formes sociales scripturales de meilleure
manière en analysant la distance qui les sépare du monde du
droit ou de la politique (des constructions savantes ou demi-
savantes propres à ces univers) qu’en analysant des
“données” statistiques du type : qui lit et qui écrit ? quoi ?
dans quels contextes sociaux ? qui fréquente les
bibliothèques ?... premières données qui viennent à l’esprit
lorsqu’il est question de culture écrite. C’est dans la distance
plus ou moins grande aux univers sociaux à forte
objectivation, univers codifiés, réglés, etc., fonctionnant en
rapport étroit avec le mode de socialisation scolaire (et donc
dans la distance – plus ou moins grande – aux types de
fonctionnements langagiers et aux rapports au langage et au
monde qui sont indissociables de ces univers) que l’on peut
appréhender le degré de maîtrise ou de non-maîtrise des
formes sociales scripturales par les différents groupes
sociaux et, du même coup, la nature (sociale) de ces derniers.
36 Repensé dans une configuration sociale d’ensemble, c’est-
à-dire par rapport aux formes sociales scripturales,
dominantes pour des raisons historiques, le problème de
l’illettrisme change un peu d’allure : il s’agit d’un cas de non-

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maîtrise de certaines formes de relations sociales, “visible” et


“aiguë” à l’intérieur d’un phénomène plus général. Cette
difficile maîtrise de formes sociales particulières, dans des
rapports de domination historiques particuliers (et il faut
poser ainsi le problème si l’on veut sortir des théories du
handicap), est à penser parallèlement à la dévalorisation et à
la méconnaissance des “savoir-faire” et “savoirs pratiques”,
conquis et construits dans et par l’expérience, dans et par la
pratique, souvent en-deçà de toute explicitation verbale.

Bibliografía
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Notas
1. E. GOFFMAN, 1987, p. 177 et p. 203.
2. Comme l’ont rappelé V. ESPÉRANDIEU, A. LION et J. P. BENICHOU,
ou J.-F. LAé et P. NOISETTE, 1985.
3. R. LENOIR, 1989, pp. 55-100.
4. “Ainsi, le Président de la République française a déclaré à la dernière
rencontre des pays de la francophonie, à Toronto, que « l’illettrisme
figurait parmi les priorités à traiter par l’ensemble des nations ».”, A. M.
LUCAS, 1988, p. 34.
5. V. ESPÉRANDIEU, A. LION, J. P. BENICHOU, 1984, p. 38.
6. J. NAKACHE, 1988, p. 19.
7. L. HÉZARD, 1988, p. 18.
8. A-M. LUCAS, Responsable du département “Observatoire de
l’évolution des pratiques de formation”, Centre INFFO, 1988, p. 18.
9. V. ESPÉRANDIEU, A. LION, J. P. BENICHOU, op. cit., p. 20.
10. L. HÉZARD, op. cit.

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11. J-P. VÉLIS, Journaliste-Ecrivain, Consultant à l’UNESCO, 1988, p. 2.


12. J. L. BORKOWSKI, 1990, pp. 355-360.
13. INSEE. 1986-87.
14. B. LAHIRE, 1990, (a).
15. “La notion d’illettré est passée en quelques dizaines d’années d’une
signification restreinte et encore commune d’incapacité absolue à lire et à
écrire à une notion plus large. Celle-ci recouvre plutôt maintenant les
diverses incapacités liées aux difficultés de compréhension et
d’utilisation du langage parlé et écrit.”, J. L. BORKOWSKI,
“L’illettrisme”, Données sociales 1990, INSEE, p. 355.
16. “Considérer l’illettrisme dans son acception large comme un
handicap, revient à dire que l’illettrisme provoque chez les personnes qui
en sont atteintes, de graves difficultés dans leur vie quotidienne.”, Id,
p. 355.
17. L’INSEE a réalisé l’enquête “Etude des conditions de vie” en 1986-87,
auprès d’un échantillon représentatif de 18500 ménages et de personnes
de 18 ans et plus tirées au sort dans chaque ménage.
18. L. MARIN, 1978, p. 8
19. B. LAHIRE (avec J. BONNIEL), 1990.
20. B. SCHWARTZ, 1981.
21. M. DELEBARRE, Ministre des Affaires sociales et de l’Emploi, 1988,
p. 42.
22. V. ESPÉRANDIEU, A. LION, J. P. BENICHOU, op. cit., p. 6.
23. Op. cit., p. 101.
24. J-P. VÉLIS, op. cit., p. 3.
25. B. GILLARDIN et C. TABET, p. 10. Souligné par B. LAHIRE (S.B.L.).
26. Op. cit., p. 13. S.B.L.
27. Op. cit., p. 18. S.B.L.
28. Op. cit., p. 28. S.B.L.
29. Op. cit., p. 49. S.B.L.
30. V. ESPÉRANDIEU, A. LION, J. P. BENICHOU, 1984, p. 8. S.B.L.
31. Op. cit., p. 6. S.B.L.
32. Op. cit., p. 6. S.B.L.
33. Op. cit., p. 50. S.B.L.

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34. Op. cit.,pp. 51-52. S.B.L.


35. Op. cit., p. 55. S.B.L.
36. Op. cit, p. 102. S.B.L.
37. M. DELEBARRE, Ministre des Affaires sociales et de l’Emploi, op.
cit., p. 39. S.B.L.
38. M-L. JAUREGUI de GAINZA, spécialiste du programme
d’alphabétisation à l’UNESCO, 1988, p. 26. S.B.L.
39. M. FOUCAULT, 1984, p. 96, tome 2.
40. M. FOUCAULT, 1984, p. 80, tome 3.
41. Idem, p. 59.
42. On peut d’ailleurs faire un parallèle intéressant sur la question de la
“citoyenneté active” avec la situation des domestiques en France vers la
fin du XVIIIe siècle. Une loi électorale du 22 décembre 1789, qui sera
incluse plus tard dans la constitution de 1791, place parmi les conditions
d’accès à la “citoyenneté active” de “n’être point dans l’état de
domesticité, c’est-à-dire de serviteur à gages”. Même si les discours
d’aujourd’hui n’ont pas pour enjeu de retirer le statut de “citoyen” à
certaines catégories de la population, dont les “illettrés”, ils visent à
discréditer, à mettre en doute le bien-fondé, la valeur de certains citoyens
qui ne seraient pas dotés des “bases minimums”. Hier (fin du
XVIIIe siècle), les domestiques étaient considérés trop “faibles”, trop
“influençables”, trop “serviles” pour se forger une opinion propre, une
pensée personnelle, face à leurs maîtres nobles ou aristocrates ;
aujourd’hui l’idée d’une citoyenneté active et complète pour des
personnes non dotées des instruments de connaissance ou des
compétences jugés fondamentaux est implicitement révoquée en doute
par certains discours. Voir C. PETITFRÈRE, 1986.
43. C. GRIGNON et J.-C. PASSERON, 1989.
44. Cf. P. BOURDIEU, 1979 ; D. GAXIE, 1990, pp. 97-112.
45. V. ESPÉRANDIEU, A. LION, J. P. BENICHOU, 1984, p. 6. S.B.L.
46. Op. cit., p. 24. S.B.L.
47. Op. cit., pp. 29-30. S.B.L.
48. Op. cit., p. 43. S.B.L.
49. Op. cit., p. 54.
50. M. DELEBARRE, op. cit., p. 40.
51. C’est cette perspective que j’ai développée dans une thèse de doctorat

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de sociologie, mars 1990. Voir aussi B. LAHIRE, 3/1990, pp. 262-273,


(c).
52. J. GOODY, 1979.

Autor

Bernard Lahire

GRS, URA 893 CNRS, PsyEF,


Université Lumière-Lyon 2.
Del mismo autor

L'“illettrisme” en questions,
Presses universitaires de Lyon,
1992
Culture écrite et inégalités
scolaires, Presses universitaires
de Lyon, 2000
Chapitre IV. L’univers scolaire
de la langue in Culture écrite et
inégalités scolaires, Presses
universitaires de Lyon, 2000
Todos los textos
© Presses universitaires de Lyon, 1992

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Referencia electrónica del capítulo


LAHIRE, Bernard. Discours sur l’illettrisme et cultures écrites:
Remarques sociologiques sur un problème social In: L'“illettrisme” en
questions [en línea]. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 1992
(generado el 05 février 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pul/8918>. ISBN: 9782729710293. DOI:
https://doi.org/10.4000/books.pul.8918.

Referencia electrónica del libro


BESSE, Jean-Marie (dir.) ; et al. L'“illettrisme” en questions. Nueva
edición [en línea]. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 1992 (generado
el 05 février 2021). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/pul/8849>. ISBN: 9782729710293. DOI:
https://doi.org/10.4000/books.pul.8849.
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L'“illettrisme” en questions
Este libro es citado por
Bolduc, Jonathan. (2010) La production de notations musicales
inventées : une autre façon d’approcher l’écrit à la période
préscolaire. Revue des sciences de l'éducation, 35. DOI:
10.7202/039858ar
Moulette, Pascal. Roques, Olivier. (2014) Gérer les compétences
spécifiques pour préserver le capital immatériel : l’illettrisme en
entreprise dans la théorie de la conservation des ressources.
Management international, 18. DOI: 10.7202/1025092ar

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