Vous êtes sur la page 1sur 122

David NOËL

La « première victime
du fascisme » :
Retour sur
l’assassinat de
Joseph Fontaine

Mémoire de Master 2 d’Histoire


Parcours Recherche Historique
Sous la direction de M. Michel BOIVIN
Université de Caen Année scolaire 2015-2016
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

2
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

REMERCIEMENTS
La rédaction d’un mémoire de master 2 nécessite de nombreuses heures de travail personnel
de recherche dans les fonds d’archives et d’écriture.

Pour leurs conseils et leur disponibilité, je tiens à remercier le service des archives
municipales d’Hénin-Beaumont ainsi que le service des archives départementales du Pas-de-
Calais.

Mes remerciements vont aussi à Christian Opigez, qui s’est immédiatement proposé de
m’accompagner pour rencontrer les témoins qu’il connaissait. Merci à lui pour ses
suggestions et son aide précieuse.

Je tiens également à remercier Jacques Kmieciak qui m’a fait découvrir Thomas Olszanski.
Nos échanges ont toujours été fructueux et je lui souhaite bonne continuation pour la suite de
ses travaux de recherche.
Merci à Pierre Outteryck pour ses connaissances encyclopédiques sur l’histoire du Parti
communiste et de la Résistance dans la région et pour ses conseils avisés.

Merci à mon directeur de recherche, M. Michel Boivin, pour avoir accepté de m’encadrer et
m’avoir prodigué aide et conseils qui m’ont permis d’achever ce travail.

Enfin, un merci tout particulier à mon épouse Frédérique pour sa patience, ses
encouragements et son soutien sans faille qui m’a porté tout au long de la rédaction de ce
mémoire de master 2.

3
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

SOMMAIRE
Introduction

Première partie : Un drame à Hénin-Liétard

A. Hénin-Liétard, 1934

B. Le drame du 11 avril

C. Une ville et une région ébranlées

Deuxième partie : L’enquête et les procès

A. L’enquête

B. Les procès

C. Des verdicts qui ne passent pas

Troisième partie : Après l’affaire

A. L’union est un combat

B. De la répétition des cantonales à la victoire du Front Populaire

C. L’affaire Joseph Fontaine dans la mémoire collective

Conclusion

Sources et bibliographie

Table des illustrations

Table des matières

4
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

INTRODUCTION
Si les événements parisiens du 6 février 1934 sont bien connus et ont donné lieu à
plusieurs études, tout le monde a aujourd’hui oublié l’affaire de l’assassinat de Joseph
Fontaine, à Hénin-Liétard, le 11 avril 1934.
La mort d’un mineur communiste dans une rixe avec les Camelots du Roi au cours d’une
contre-manifestation antifasciste, deux mois après les événements du 6 février, avait pourtant
à l’époque fait la une de la presse régionale et nationale qui s’était passionnée pour les procès
devant le tribunal correctionnel de Béthune et la cour d’assises de Saint-Omer.

Le drame d’Hénin-Liétard s’inscrit dans un contexte : celui de l’après 6 février 1934. L’année
1934 marque en effet l’apogée de l’activité ligueuse dans une région du Nord alors confrontée
à la crise économique et à la montée du chômage qui s’accompagne, dans le bassin minier,
d’expulsions de travailleurs étrangers, essentiellement des mineurs polonais.
Au plan international, tous les regards se tournent vers l’Allemagne hitlérienne où le chef
communiste allemand Ernst Thaelmann, emprisonné depuis le 3 mars 1933, doit être jugé
devant un tribunal nazi. Le 30 juin 1934, c’est la nuit des longs couteaux : sur l’ordre Hitler,
Röhm, le chef des S.A., plus d’une centaine de ses hommes et plusieurs personnalités comme
le général Von Schleicher sont assassinés par les S.S. A peine un mois plus tard, à la mort du
président Hindenburg, le 2 août 1934, Hitler se proclame président-chancelier sans rencontrer
d’opposition.
Au plan national, parti communiste et parti socialiste SFIO sont confrontés à des dissidences.
Depuis novembre 1933, plusieurs personnalités de la SFIO favorables à la participation
gouvernementale comme Adrien Marquet et Marcel Déat ont été exclues et ont fondé un parti
dit « néo-socialiste » - officiellement Parti Socialiste de France-Union Jean Jaurès – qui
entraîne plusieurs parlementaires dans la dissidence.
Au parti communiste, le député-maire de Saint-Denis Jacques Doriot entre également en
dissidence. Ses propositions de front unique contre le fascisme avec la SFIO afin d’exploiter
les divisions des socialistes sont condamnées par la direction du parti communiste. Convoqué
à Moscou pour s’expliquer, Doriot refuse de s’y rendre et prend part à la création du comité
de vigilance antifasciste de Saint-Denis avec la SFIO et la CGT. Au congrès de juin 1934, il
est exclu du parti communiste alors que, paradoxalement, la ligne politique qu’il prônait
d’unité d’action avec la SFIO contre le fascisme est adoptée par l’Internationale communiste à
la fin du mois de juillet 1934.

Dans ce contexte, l’assassinat de Joseph Fontaine n’est pas qu’un malheureux fait divers, c’est
un événement politique qui ébranle toute une région dans laquelle les luttes politiques entre
socialistes et communistes, entre syndicalistes confédérés et unitaires ont été particulièrement
âpres.
Le clivage opposant réformistes et révolutionnaires dans le bassin houiller du Pas-de-Calais
est un clivage, ancien, structurant, qui n’est pas né en décembre 1920 avec le congrès de
Tours, mais remonte aux années d’avant-guerre, quand le « Jeune syndicat », la Fédération

5
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
syndicale des mineurs du Pas-de-Calais, animé par Benoît Broutchoux s’opposait au « Vieux
syndicat » du député-maire de Lens Emile Basly.
Dans le bassin minier plus qu’ailleurs, « l’union est un combat » pour reprendre une célèbre
formule d’Etienne Fajon qui date de 1975, mais pourrait tout à fait s’appliquer au processus
de rapprochement entre organisations ouvrières qui va du 6 février 1934 à la victoire du Front
populaire en mai 1936.

Un fascisme français ?

Sur la plaque commémorative rendant hommage au militant communiste assassiné, le


texte ne laisse aucun doute sur la manière dont les organisations ouvrières ont perçu
l’assassinat de Joseph Fontaine. Pour elles, Joseph Fontaine a été la « première victime du
fascisme ». Pour la gauche locale, l’activité ligueuse dans la région du Nord et du Pas-de-
Calais, fût-elle le fait d’une organisation réactionnaire royaliste comme l’Action française,
relève du fascisme.
Mais pour l’historien, le terme de fascisme est à manier avec précaution. Il nous faut donc au
préalable examiner la question de l'existence d'un fascisme français qui divise
l’historiographie depuis plusieurs années. Le débat a plus de trente ans et remonte à la
publication par Zeev Sternhell de son livre La droite révolutionnaire (1885-1914). Les
origines françaises du fascisme (1978). Dans cet ouvrage qui a fait date, Zeev Sternhell
s'inscrit en faux contre la thèse de René Rémond d'un fascisme français marginal au sein d'une
droite nationaliste héritière du bonapartisme. L'historien israélien considère qu'un « pré-
fascisme » apparaît en France à la fin du XIXe siècle. Maurice Barrès, chantre d'un
nationalisme sentimental teinté de socialisme apparaît comme une des figures de proue de la
droite révolutionnaire française.
Cette droite révolutionnaire française est antiparlementaire et d'une certaine manière se veut
l'héritière du bonapartisme. La crise boulangiste (1886-1891) témoigne à la fois de la
prégnance d'un culte du chef - l'homme fort qui régénérera la nation - et du goût de l'extrême
droite française pour la violence et les coups d'Etat. C'est aussi la rencontre (constitutive du
fascisme) d'hommes de droite et d'hommes de gauche comme le journaliste et ancien
communard Henri Rochefort.
La droite révolutionnaire est xénophobe. Elle se convertit à l'antisémitisme à la fin du XIXe
siècle. Elle est marquée par l'œuvre d'Edouard Drumont et s'engage dans l'Affaire Dreyfus
dans le camp des antidreyfusards. Au lendemain de la première guerre mondiale, des militants
issus du syndicalisme révolutionnaire et influencés par la pensée de Georges Sorel comme
Gustave Hervé vont basculer à l'extrême droite et donner au nationalisme une coloration
anticapitaliste (qui disparaît rapidement).
Loin d'avoir été « immunisée » contre le fascisme, c'est la France qui aurait « inventé » le
fascisme, un fascisme qui ne se limite donc pas aux quelques groupes marginaux comme le
Faisceau (qui a quand même compté 20 000 membres) ou le francisme, mais caractérise
d'importants mouvements comme les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque héritiers du
« pré-fascisme » des années 1890.

6
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
La thèse de Zeev Sternhell a été combattue par de nombreux historiens français (Pierre Milza,
Michel Winock, Serge Berstein, Antoine Prost) qui s'intéressent moins aux convergences
idéologiques qu'aux organisations et à leur implantation. La plupart des historiens français
dressent donc le portrait d'une France « allergique au fascisme » (Serge Berstein), même si
une certaine forme d' « imprégnation fasciste » a touché toutes les ligues nationalistes des
années 30.
Antoine Prost montre de façon très claire que les Croix-de-Feu, en raison de leur nationalisme
affiché, occupent une place tout à fait marginale au sein du mouvement des anciens
combattants organisé autour de l'Union Fédérale (proche des radicaux et qui compte 950 000
adhérents en 1939) et de l'UNC (classée à droite, 850 000 adhérents à la veille de la guerre).
Au contraire, Zeev Sternhell a reçu le soutien d'un historien comme Ernst Nolte pour qui
l'Action française et le maurassisme constituent une des facettes du fascisme, aux côtés du
fascisme italien et du nazisme.
Le débat a rebondi en 2003 avec la publication d’un ouvrage dirigé par Michel Dobry
démontant « le mythe de l’allergie française au fascisme1 », avec notamment une contribution
de Brian Jenkins sur l’Action française. En 2007, c’est dans les colonnes de la revue
Vingtième Siècle que le débat s’est poursuivi avec un article de Robert Soucy2, suivi des
réponses de Michel Winock3 et Serge Berstein4.
Faut-il parler de débat ? Serge Berstein évoque plutôt un « dialogue de sourds » et à la lecture
des différents articles, c'est bien l'impression qui ressort.
Robert Soucy se présente en porte-parole d'une « école anglo-saxonne » qui s'opposerait à une
« école du consensus » ou « école immunitaire » française. Répondant à Michel Winock, il
cherche à démontrer que les Croix-de-Feu et le PSF du colonel de La Rocque présentent tous
les critères du fascisme.
La démonstration de l’historien américain laisse cependant dubitative. Robert Soucy admet
bien que le colonel de La Rocque s'est à plusieurs reprises opposé à l'antisémitisme. Pour
l'historien américain, il faut mettre la modération du dirigeant des Croix-de-Feu sur le compte
d'une prudence tactique. De la même manière, Robert Soucy analyse le légalisme du colonel
de La Rocque le 6 février 1934 comme le reflet d'une prudence tactique. Enfin, Robert Soucy
accuse le colonel de La Rocque de sympathies collaborationnistes.
Il est certain que le PSF, qui remplace en 1936 les Croix-de-Feu après leur dissolution a été
un grand parti nationaliste et autoritaire. Etait-il pour autant un parti fasciste ? On peut en
douter à la lecture de l'article de Michel Winock. De même, il est difficile de croire à la thèse
d'un colonel de La Rocque tenté par la collaboration. Loyal vis-à-vis de Pétain, le chef du PSF
(devenu Progrès Social Français) était critique envers la collaboration, surveillé par les
Allemands et critiqué par les collaborationnistes les plus durs ; il a d'ailleurs monté un réseau

1
Michel DOBRY (ss. dir), Le mythe de l’allergie française au fascisme, Paris, Albin Michel, collection Idées, 2003.
2
Robert SOUCY, « Enjeux - La Rocque et le fascisme français », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 3/2007 (n°
95), p. 219-236
3
Michel WINOCK, « En lisant Robert Soucy », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 3/2007 (n° 95), p. 237-242
4
Serge BERSTEIN, « Pour en finir avec un dialogue de sourds », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 3/2007 (n°
95), p. 243-246

7
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
de résistance opérationnel dès juin 1942. Au final, les citations choisies par Robert Soucy
apparaissent peu probantes et les arguments de Michel Winock emportent l'adhésion.
Dédouaner le PSF de l'accusation de fascisme n'implique cependant aucune forme de
sympathie à son égard ainsi que le souligne Serge Berstein qui écrit qu’« On peut, par
exemple, considérer que le nationalisme intégral de Maurras n'est guère plus attrayant que le
fascisme mussolinien ».
La table-ronde sur la question du fascisme français organisée lors des rendez-vous de
l’histoire de Blois d’octobre 2014 en présence de Zeev Sternhell et de plusieurs de ses
contradicteurs, dont Grégoire Kauffmann et Alain-Gérard Slama5 a montré à quel point le
débat restait vif entre les historiens dont les conclusions diffèrent radicalement selon qu’ils
s’intéressent aux théoriciens et aux idées politiques à la manière de Zeev Sternhell, dans la
lignée de Raoul Girardet, ou plutôt aux organisations, à leur implantation et à leurs militants
comme « l’école de Sciences Po ».
Si la question de l’existence d’un « fascisme français » divise donc encore aujourd’hui les
historiens, le fascisme constituait, dans les années 1930, une réalité bien vivante, en Italie et
en Allemagne, un modèle pour une partie des ligues nationalistes françaises et un repoussoir
pour le mouvement ouvrier à une époque où l’affrontement politique se mue en véritable
« guerre de religion » comme l’analyse Serge Berstein : « C’est donc sur le terrain de la lutte
des doctrines où aucune conciliation n’est possible, où un engagement total est demandé, que
se situe l’affrontement des années trente : la "guerre de religion" s’est substituée au débat sur
la gestion. On aboutit ainsi à une atmosphère de guerre civile larvée où un combat sans merci
oppose les camps en présence, gommant les nuances, très réelles cependant, parce que, dans
chacun des blocs, le centre de gravité apparent se stabilise aux extrêmes où se tient le
langage le plus radical6. »

L’antifascisme en question

Notre étude sur l’affaire Joseph Fontaine pose la question de la nature de


l’antifascisme. Dans son ouvrage majeur sur l’antifascisme7, Gilles Vergnon a montré que les
mots « antifascisme » et « antifascistes » apparaissent dès les années vingt pour qualifier les
opposants à Mussolini C’est d’abord l’Internationale Communiste qui va employer le terme
de fascisme comme une catégorie générique et transnationale, mais cet usage extensif du
terme de fascisme n’est pas l’apanage des communistes ; on le retrouve également dans la
presse modérée comme chez les socialistes. Si dans les années vingt, les communistes jouent
un rôle majeur dans l’acculturation de l’antifascisme en France, en février 1934,
l’antifascisme, à la lecture des ordres du jour votés dans les réunions publiques, est
majoritairement un « antifascisme jaurésien ». Pour l’historien, « Nettement marginalisé en

5
Fascisme français ? La controverse, samedi 11 octobre 2015, à écouter à l’adresse http://www.rdv-
histoire.com/IMG/mp3/11-10_-_16h30_a_18h_-_fascisme_francais_-_la_controverse.mp3
6
Serge BERSTEIN, « L’affrontement simulé des années 1930 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 5/1985, p. 39-
54.
7
Gilles VERGNON, L’Antifascisme en France. De Mussolini à Le Pen, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
2009.

8
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
février 1934, au sein d’un antifascisme qui se cristallise autour de contenus « jaurésiens », le
PCF parvient néanmoins à inverser partiellement la tendance au printemps, dès avant le
pacte d’unité d’action du 27 juillet avec la SFIO. La fin de l’hiver et le printemps 1934 sont
en effet marqués par l’éclosion, un peu partout dans le pays, d’une nébuleuse de comités qui,
sous des vocables divers (comités de « vigilance », d’unité antifasciste, de « défense
républicaine », etc), mobilisent un tissu militant important. Dans les petites communes, ces
comités intègrent en général toutes les gauches, des radicaux aux communistes, qui
s’intègrent ainsi dans la grande famille des gauches françaises, où ils occupent la place de
l’extrême-gauche8. »
Y-a-t-il de ce point de vue une spécificité dans le bassin minier du Pas-de-Calais où, on le
sait, le Parti communiste et la CGTU sont bien implantés ? Il conviendra de répondre à cette
question.

Brutalisation

Drame politique, l’assassinat de Joseph Fontaine pose la question soulevée par


l’historien américano-allemand George L. Mosse de la brutalisation des sociétés européennes.
Dans son célèbre ouvrage De la grande guerre au totalitarisme, la brutalisation des sociétés
européennes9, publié en 1990, George L. Mosse désigne par le néologisme « brutalisation »
l'acceptation d'un état d'esprit issu de la Grande guerre qui entraine la poursuite d'attitudes
agressives dans la vie politique en temps de paix. Ces attitudes agressives s’expliqueraient par
la « banalisation » de la violence, qui à travers la vulgarisation, la sacralisation et l'acceptation
de l'expérience de guerre aurait contribué à l'avènement des fascismes.
Cette idée d’une « brutalisation des sociétés européennes » a été critiquée par différents
historiens qui observent que George L. Mosse base son analyse sur l’exemple allemand,
difficilement transposable aux cas français et anglais. Dans un article paru en 2004 dans la
revue Vingtième siècle sur les limites de la brutalisation10, Antoine Prost montre ainsi qu’à
l’exception des nettoyeurs de tranchées ou des tireurs d’élite, la majorité des soldats a donné
la mort de loin et intériorisait l’impératif moral de ne pas tuer qui les a conduits à taire avec
pudeur l’expérience traumatisante de la mort donnée.
Les formations paramilitaires dont se dotent les partis allemands et français n’ont pas les
mêmes effectifs : en 1933, lors de la prise du pouvoir d’Hitler, les SA comptent 400 000
hommes ; en 1928, le Roter Frontkämpferbund (RFB), la puissante organisation paramilitaire
du KPD, le Parti communiste allemand, compte 106 000 militants11 alors qu’en France, à la
même époque, les groupes d’autodéfense de la SFIO et du Parti communiste sont
embryonnaires.
8
Gilles VERGNON, Communisme et antifascisme (1922-1935) : l’apport d’archives croisées, in Archives et
communisme(s) : l'avant-guerre (1919-1943), Publications des Archives Nationales, 2016.
9
George L. MOSSE, De la grande guerre aux totalitarismes. La brutalisation des sociétés européennes, Paris,
Hachette Littératures, 1999.
10
Antoine PROST, Les limites de la brutalisation. Tuer sur le front occidental, 1914-1918, pp. 5-20, in Vingtième
Siècle. Revue d’histoire, n° 81, Janvier-Mars 2004.
11
Constance MARGAIN, « La ligue des combattants du Front rouge (RFB) : une organisation du Parti
communiste allemand », ANR PAPRIK@2F, 10 janvier 2014

9
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Le cadre forcément limité de notre étude peut apporter quelques réponses sur la question de la
brutalisation de la société française, dans la crise des années trente. Une bagarre politique
tournant au drame, suivie d’une vague de manifestations de protestations, dans le contexte de
« guerre civile larvée » des années trente, illustrent-t-elles la brutalisation de la société
française ou faut-il nuancer cette idée de brutalisation ?

Le PCF et le tournant du Front populaire

Notre étude sur l’incident d’Hénin-Liétard et ses conséquences pose un autre problème qui a
divisé les historiens, celui du caractère autonome du PCF au sein du mouvement communiste
international. Le débat oppose depuis plusieurs années les tenants d’un PCF autonome à ceux
pour qui le Parti communiste français est le « produit d’une greffe étrangère dirigée depuis
Moscou », une accusation formulée à l’époque par les adversaires du Parti communiste et
reprise par Stéphane Courtois et Annie Kriegel dans leur biographique d’Eugen Fried12, parue
en 1997. Pour les auteurs, derrière Maurice Thorez, le vrai dirigeant du Parti communiste
durant les années trente est le représentant de l’Internationale communiste (Komintern) en
France, le slovaque Eugen Fried, dit « Clément ». Eminence grise de Maurice Thorez, c’est
Eugen Fried, qui aurait impulsé, à partir de 1934, la stratégie de Front populaire décidée à
Moscou après l’arrivée au pouvoir d’Hitler et l’écrasement du KPD. D’autres historiens,
notamment Michel Dreyfus et Serge Wolikow, qui a étudié l’Internationale communiste13 et
dirigé un dictionnaire des Kominterniens contestent cette thèse et restituent au Parti
communiste français une large part d’autonomie dans la mise en œuvre de la stratégie du
Front populaire.
Le Front populaire est-il le produit d’une décision politique prise par Staline à Moscou ou
naît-il d’une dynamique antifasciste à la base ? L’affaire Joseph Fontaine apporte ici des
éléments de réponse.

L’assassinat de Joseph Fontaine a profondément marqué la gauche locale et continue d’être


commémoré chaque année, à Hénin-Beaumont. Dans cette ville du Pas-de-Calais récemment
conquise par le Front national, on a ainsi pu voir communistes et socialistes rendre un
hommage commun à Joseph Fontaine à l’occasion du 80ème anniversaire de sa disparition.
Quelques jours, plus tard, c’était au tour du maire Front national de la commune de déposer
discrètement une gerbe de fleurs en hommage à Joseph Fontaine alors même que
paradoxalement, le Front national désigne, dans les années trente, une structure confédérale
réunissant les Jeunesses patriotes et la Solidarité française pour lutter contre les forces de
gauche.

Etudier l’affaire Joseph Fontaine a d’autant plus de sens que depuis la crise économique de
2008, la comparaison entre les années 30 et aujourd’hui, sur fond de crise d’une gauche
divisée et de montée en puissance de partis nationaux-populistes dans une grande partie de
12
Stéphane COURTOIS et Annie KRIEGEL, Eugen Fried, le grand secret du PCF, Paris, Editions du Seuil, 1997.
13
Serge WOLIKOW, L’Internationale communiste (1919-1943). Le Komintern ou le rêve déchu du parti mondial
de la révolution, Editions de l’Atelier, Paris, 2010

10
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
l’Europe est devenu un lieu commun journalistique, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un ouvrage
récent écrit à quatre mains par deux journalistes et deux historiens14.

Nous nous efforcerons dans notre étude de restituer l’affaire Joseph Fontaine dans sa
temporalité en étudiant dans un premier temps les forces en présence et le déroulement des
événements du 11 avril avec ses conséquences dans la région, puis, dans un second temps,
nous nous intéresserons à l’enquête et aux différents procès qui aboutissent à la relaxe des
Camelots du Roi, qui scandalise les organisations ouvrières. La dernière partie de notre étude
s’intéressera à la postérité de l’affaire Joseph Fontaine, postérité immédiate à travers la
victoire du Front populaire en 1936 et l’élection d’un député communiste, mais aussi postérité
à plus long terme, à travers la Résistance à l’occupation nazie, puis, après la guerre, dans la
mémoire de la gauche locale jusqu’à aujourd’hui.

14
Renaud DELY, Claude ASKOLOVITCH, Pascal BLANCHARD et Yvan GASTAUT, Les années 30 sont de retour,
petite leçon d’histoire pour comprendre les crises du présent, Flammarion, 2014.

11
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

PREMIERE PARTIE

UN DRAME A HENIN-LIETARD
A. Hénin-Liétard, 1934 :

Comme beaucoup de villes du bassin minier lensois, Hénin-Liétard, au début des


années 1930, est une cité marquée par l’activité minière, qui a transformé un paisible bourg de
3 000 habitants en 1848 en une cité prospère de 14 000 habitants au début des années 1900.
Occupée par les Allemands durant la Première guerre mondiale, la ville subit un
bombardement intensif de l’armée anglaise lors de la bataille d’Arras, du 1er au 26 avril 1917.
Le 29 avril 1917, elle est totalement évacuée sous ordre de l’armée allemande. Au lendemain
de l’armistice du 11 novembre 1918, c’est un spectacle de désolation pour les premiers
réfugiés qui reviennent à Hénin-Liétard : l’église Saint-Martin a été dynamitée par les
Allemands, l’Hôtel de Ville, situé presque en face de l’église, est endommagé, tout comme
l’hôtel des postes, place de la République.

La ville se relève peu à peu. Elle compte 22 000 habitants en 1924. Le socialiste Adolphe
Charlon est maire depuis 1919. Cet ancien instituteur, secrétaire de mairie durant la Première
Guerre mondiale et l’occupation allemande est l’homme de la reconstruction. Il a été réélu en
1925 et en 1929. Sous son impulsion, Hénin-Liétard se relève des séquelles de la guerre :
construction d’un nouvel Hôtel de Ville inauguré en juin 1926, d’un hôpital, route de
Courrières, inauguré en juillet 1927, reconstruction de l’église Saint-Martin achevée en
septembre 1932 et de la gare dont les travaux s’achèvent en 1933.

Adolphe Charlon, maire SFIO d’Hénin-


Liétard de 1919 à 1940
(Le Grand Echo du Nord de la France, 21
mai 1935)

Dans les cités minières, l’église lutte contre les partis ouvriers pour encadrer la
population. En 1924, la Compagnie des Mines de Dourges fait édifier l’église Saint-Henri,

12
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
située aujourd’hui rue Pierre Brossolette, pour desservir les cités Darcy, Voisin, Promper et
Margodillots. L’école libre Darcy accueille les enfants du secteur.
Pour la cité Foch, la grande cité-jardin construite par la Compagnie des Mines de Dourges en
1922, on édifie l’église Sainte-Marie qui est inaugurée en 1929.

La crise économique frappe le Pas-de-Calais au début des années 30. Dans son rapport
moral préparatoire à son congrès du 27 août 1933, la direction du syndicat unitaire des
mineurs du Nord présente des chiffres alarmants, révélateurs de la crise économique qui
frappe l’industrie minière : « Si le chômage reste stable aux mines de l’Escarpelle, il est
sérieusement aggravé dans le bassin d’Aniche, où jusqu’en mars 1933, plusieurs gros
secteurs tels que : Gayant, Notre Dame et Dechy, ne connaissaient pour ainsi dire pas le
chômage qu’il y a aujourd’hui, parfois trois journées de chômage par quinzaine. Un exemple
frappant est la diminution des recettes de la Caisse de Secours des Mines d’Aniche ; les
accidents se multiplient. Un exemple : A Waziers, pour les 6 premiers mois de 1933, il y eut
980 accidents de déclarés à la mairie. […] la rationalisation fait également les mêmes
ravages chez les mineurs de l’Escarpelle. L’on déplace des centaines d’ouvriers d’un puits à
l’autre aux Mines d’Aniche. L’on licencie, l’on expulse, les déclassements, les mises à pied,
les amendes pleuvent dans nos trois concessions […]. Une situation intenable est faite aux
mineurs. Les prix de tâche sont réduits à l’extrême et tous les moyens de pression sont
employés pour réduire davantage le gain de l’ouvrier et augmenter le rendement, aussi la
misère rentre à grands pas dans les foyers15. »
Les rédacteurs du rapport préparatoire à la conférence régionale du Parti communiste de la
région Nord, qui doit avoir lieu les 1er et 2 avril 1934 font un constat similaire : « Dans notre
région, la crise prend une ampleur sans cesse croissante, des centres industriels sont ruinés
(Calais) ou sur le chemin de la ruine (Caudry), le nombre des usines fermant leurs portes
augmente (Jeanson Béthune etc.), certaines usines disparaissent (Fourmies) ou sont en voie
de disparition (Boutemy qui occupent 1 100 ouvriers), d’autres fermetures sont en
perspectives dans le textile (Réveil du Nord du 21 mars). Le chômage se développe. Les
licenciements se produisent chaque jour (métaux, textiles, usines) ainsi que des radiations en
bloc. Les attaques contre les salaires, allant à la diminution brutale (textile de Lille) au
renforcement des amendes, suppression des primes, retards dans le paiement des salaires, se
poursuivent chaque jour 16. »
Dans son rapport sur l’état d’esprit de la population adressé au préfet du Pas-de-Calais le 24
mars 1934, le sous-préfet de l’arrondissement de Béthune fait le même constat que le PCF et
la CGTU sur la crise qui frappe la région : « La population de l’arrondissement de Béthune
est de 541 695 habitants. Quinze localités comptent plus de 10 000 habitants. Trente-deux
communes totalisent à elles seules 370 000 habitants. On relève ici 23 536 patentés et 830
industries diverses. Alors que la production totale de la houille dans les différents bassins
français atteint à peine 55 millions de tonnes, les seules houillères de l’arrondissement de

15
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, rapport moral et d’activité présenté pour le congrès du
Syndicat Unitaire des mineurs du Nord du 27 août 1933, 3 août 1933.
16
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, projet de rapport en vue de la conférence régionale du
er
Parti communiste pour la région du Nord des 1 et 2 avril 1934.

13
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Béthune en produisent plus de 25 millions. Mais ce pays n’est pas uniquement industriel.
L’agriculture y tient une large place. 8 000 fermes exploitent une superficie totale de 93 944
hectares et produisent en abondance le blé et la betterave à sucre. […] Si le cultivateur,
parfaitement renseigné sur l’état du marché, bien conseillé par les dirigeants des syndicats et
des coopératives, efficacement protégé par la loi du 10 juillet 1933, est satisfait de son sort, il
n’en est pas de même du mineur et de l’ouvrier d’industrie. Les mines ont vu se fermer ou se
réduire leurs débouchés. La concurrence étrangère les a obligées à se montrer plus sévère
dans l’organisation du travail et à exiger des ouvriers un rendement supérieur. Néanmoins, le
chômage qui touche l’ensemble des concessions, mais d’une manière inégale, a réduit au
minimum le pouvoir d’achat du mineur. Or, dans les agglomérations importantes, les
habitants, en majorité, vivent de la mine et les commerçants du mineur. L’industrie
métallurgique, celle des produits chimiques ne sont pas plus florissantes. Certaines maisons
disparaissent, d’autres marchent au ralenti.
Ce marasme économique entretient un état d’esprit mécontent et inquiet, que les événements
de ces dernières semaines ne sont point faits pour calmer. Sans doute, la nervosité parisienne
ne s’est point communiquée à l’arrondissement de Béthune. Ici, l’on sait penser, juger sans
hâte et sans passion. Par-dessus-tout, l’on y est foncièrement républicain. Les conférences de
l’Action Française organisées à Béthune, Bully et Lillers ont heurté le sentiment général. A
Lillers, les camelots du roi n’ont même pas osé tenir leur réunion. […] L’imminence des
licenciements d’ouvriers étrangers par les compagnies minières émeut ceux qui sont
susceptibles d’être touchés par cette mesure. Le parti communiste essaie d’exploiter cette
situation et encourage les étrangers à résister. Les arrêtés d’expulsion pris contre une
trentaine de meneurs communistes polonais vont calmer une effervescence qui se manifestait
particulièrement dans la concession de Courrières. Les Polonais naguère encore respectueux
des représentants de l’autorité prenaient vis-à-vis d’eux une attitude narquoise, participaient
aux manifestations politiques, et se considéraient en France comme en pays conquis. Le
départ d’éléments indésirables va leur donner à réfléchir17. »

La crise n’épargne pas Hénin-Liétard au début des années 30. Elle se traduit par une
forte progression du chômage. Le bulletin municipal de la ville daté d’avril-mai 1935 donne
ainsi les chiffres d’attestations de chômage délivrées par le bureau de placement de la ville :
de 300 attestations de chômage en 1931, on passe à 700 en 1932, 960 en 1933 et 1 400 en
193418.
Comme toutes les villes du bassin minier du Pas-de-Calais, Hénin-Liétard accueille un grand
nombre d’étrangers venus travailler dans l’industrie minière. Au 31 décembre 1934, la ville
comptait 2 626 étrangers, dont 1 134 hommes, 787 femmes et 705 enfants. Les Polonais sont
les plus nombreux : 1 411 Polonais résident à Hénin-Liétard, loin devant les 603 Belges et les
257 Italiens.
Aux côtés de Charlon, le dispositif socialiste est complété par deux hommes : d’abord Henri
Leclercq, secrétaire de mairie, puis directeur de la coopérative « La prévoyance des
17
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais, 24 mars 1934.
18
Archives Municipales d’Hénin-Beaumont, 128 W2, Bulletin municipal, avril-mai 1935.

14
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
prolétaires », membre de la commission administrative du syndicat CGT des mineurs du Pas-
de-Calais, Henri Leclercq est à l’époque adjoint au maire d’Hénin-Liétard et conseiller
général du canton de Carvin depuis 1919. Le troisième homme fort du socialisme local n’est
autre que Raoul Evrard. Mineur, fils de Florent Evrard, qui fut longtemps le secrétaire général
du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais avant la Première Guerre mondiale, Raoul Evrard
est secrétaire de la Fédération du Pas-de-Calais de la SFIO de 1919 à 1930. Il est élu député
en 1919 et réélu en 1924. En 1928, malgré le retour au scrutin d’arrondissement, il avait été
réélu au 1er tour, député dans la 5e circonscription de Béthune avec 8 385 voix contre 3 501 au
communiste Arthur Ramette, et 3 401 voix à Boulanger, candidat de droite, sur 15 532
votants. Néanmoins, au début des années 30, la base électorale de Raoul Evrard dans la
circonscription de Carvin-Hénin-Liétard s’amenuise. En 1932, sur 18 070 inscrits, il ne
recueille que 6 865 voix. Il est réélu au second tour par 7 014 suffrages contre 4 428 au
communiste Quinet et 4 377 au candidat modéré.

Face aux socialistes, les communistes s’appuient sur le syndicat des mineurs affilié à
la CGTU. Ils sont organisés en cellules de puits qui dépendent du rayon d’Hénin-Liétard.
De 1921 à 1925, Pascal Marouzé et François Candelier, élus conseillers municipaux en 1919
et passés à la SFIC après le congrès de Tours de décembre 1920 ont représenté le Parti
communiste. Aux élections municipales de 1925, les communistes obtiennent 14, 77 % des
suffrages avec 666 voix sur 4 508 votants. Ils n’ont plus d’élu au conseil municipal. Quatre
ans plus tard, aux élections municipales de 1929, la liste du Bloc ouvrier et paysan obtient
24,62 % avec 1 198 voix sur 4 865 votants. La liste socialiste d’Adophe Charlon obtient 53 %
dès le premier tour avec 2 584 voix tandis que la Liste de Défense des intérêts de la ville
obtient 22,11 % avec 1 076 voix.

Des tensions entre socialistes et communistes

Au début des années 1930, les rapports entre socialistes et communistes sont compliqués et
les incidents sont fréquents. Des incidents éclatent ainsi le 29 juin 1930 à l’occasion d’un
meeting socialiste pour lequel les communistes avaient organisé une contre-manifestation.
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing explique ainsi : « La Section Syndicale des Mineurs, le Parti
socialiste, les Jeunesses socialistes, les Communaux et Fonctionnaires Confédérés, la Défense
laïque, la Ligue des Droits de l’Homme, la Libre Pensée Clarté avaient organisé dimanche,
salle Cauron, rue Elie Gruyelle, une conférence présidée par M. Raoul Evrard, député. […]
Afin de tenter de renouveler les regrettables incidents qui se sont déroulés au mois de mars
dernier à Lens, le Parti communiste par des appels réitérés avait donné rendez-vous à 17h,
place de la Mairie, pour se rendre en cortège à la salle de réunion et pour essayer
d’empêcher les orateurs de parler. […] le maire d’Hénin-Liétard avait pris vendredi dernier
un arrêté interdisant tout rassemblement et tout cortège sur la voie publique sans
autorisation. […] Un service d’ordre très sévère auquel participaient 150 gendarmes à pied
et à cheval, était dirigé par MM. Crépin, commissaire de police spéciale à Lens ; Doucet,
commissaire de police d’Hénin-Liétard ; les capitaines de gendarmerie Courtelin et Coindat
[…] un groupe de communistes parmi lesquels se trouvaient des femmes, essayait de se

15
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
rassembler place de la Mairie. […] Une habile manœuvre des gendarmes n’eut alors aucune
peine à disperser les plus récalcitrants. Plusieurs charges de cavalerie se succédèrent pour
déblayer les rues. Il était 19h et l’arrivée de la course cycliste venait de prendre fin […]. Les
manifestants profitèrent de la situation pour "houspiller" les gendarmes et saisirent les rênes
de leurs chevaux. […] Au cours des collisions avec la police, quinze arrestations furent
opérées. Les manifestants arrêtés furent conduits au bureau du commissariat et interrogés.
Quatre arrestations furent maintenues19. » Le quotidien socialiste précise que « Rosemonde
Marouzé, 27 ans, et Marie Chevalier, femme Nestor Calonne, 35 ans, demeurant toutes deux
à Hénin-Liétard » sont poursuivies pour outrages. Les communistes s’indigent : « A Hénin-
Liétard, les social-fascistes font arrêter quatre militants dont deux femmes » titre l’Humanité
qui accuse : « les social-fascistes, tout comme à Lens et à Lourches, organisèrent, en accord
avec la police, le guet-apens traditionnel. Plus de trente camarades ont été arrêtés. Après
vérification de leur identité, quatre ont été maintenus en état d’arrestation sans aucun motif.
[…] ils ont été transférés à Béthune20. »
D’autres incidents éclatent l’année suivante. Un rapport préfectoral daté du 8 juin 1931 et
adressé au ministre de l’Intérieur y revient: « Je vous ai fait connaître la décision prise par le
Parti communiste d’organiser, à Hénin-Liétard, une manifestation suivie d’un meeting pour
protester contre l’attitude du député socialiste Raoul Evrard, à l’égard de ses collègues du
PC, lors de l’élection du Président de la République. J’ajoutais que si le maire persistait à
autoriser la manifestation, j’aurais pris moi-même un arrêté l’interdisant. J’ai donc mis le
maire régulièrement en demeure conformément à l’article 99 de la loi du 5 avril 1884. Le
Maire chargea alors son Secrétaire de mairie de me dire qu’il préférait pour des raisons
d’ordre local que l’interdiction émanât du Préfet. Mon arrêté fut immédiatement pris, affiché
et notifié aux organisateurs qui à aucun moment ne tentèrent de passer outre. Au nombre de
350 à 400, ils se réunirent dans la cour de l’immeuble affecté à la coopérative ouvrière, puis
après avoir joué quelques hymnes révolutionnaires, gagnèrent la salle de la Coopérative où
Thorez et le député Duclos les haranguèrent. Commencé vers 10h, le meeting prit fin vers
18h30. La sortie s’effectua dans le calme et à aucun moment, le service d’ordre organisé
n’eut à intervenir21. »
Furieux, les communistes critiquent l’attitude d’Adolphe Charlon : « Le chef social-fasciste
Raoul Evrard avait été sommé de s’expliquer, dimanche dernier, devant les ouvriers à Hénin-
Liétard, pour les calomnies lancées à Versailles contre Marty et Duclos. Le meeting devait
être précédé d’une manifestation de rue que le maire socialiste avait autorisée. Mais ce
monsieur avait simplement tenté de dégager sa responsabilité en autorisant la manifestation,
cependant que d’accord avec lui, le préfet prenait un arrêté d’interdiction de la
manifestation, signifié aux responsables locaux du Parti quelques instants avant le
rassemblement. La ville d’Hénin-Liétard était en état de siège. Les gardes mobiles filtraient
les passants et allaient jusqu’à vouloir empêcher le stationnement sur le trottoir devant la
salle de réunion. C’est dans ces conditions que les représentants de l’ordre eurent une

19 er
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 1 juillet 1930
20 er
L’Humanité, 1 juillet 1930
21
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 8 juin 1931.

16
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
altercation avec Maurice Thorez et Jacques Duclos, se disposant à arrêter ce dernier et à lui
passer les menottes. La crainte des ouvriers fit reculer l’officier. Malgré l’état de siège, un
beau meeting eut lieu. Environ 900 travailleurs y assistèrent, applaudissant tour à tour
Duclos et Thorez, et approuvant les mots d’ordre du Parti, au milieu d’un vibrant
enthousiasme cependant que les huées partaient à l’égard du calomniateur Evrard, qui s’était
piteusement dégonflé, et participait à un banquet, à Courrières, aux côtés du sous-préfet22. »
La présence du nouveau secrétaire général du Parti communiste à Hénin-Liétard pour un
meeting n’a rien de surprenant. On le sait, Maurice Thorez est natif de Noyelles-Godault, la
commune voisine d’Hénin-Liétard. A l’âge de 19 ans, il a été mineur à la fosse 4 des Mines
de Dourges avant de devenir secrétaire à la propagande de la fédération communiste du Pas-
de-Calais et permanent du Parti communiste23.
La virulence des termes employés par l’Humanité à l’égard des socialistes qualifiés de
« social-fascistes » est la traduction de la ligne politique « classe contre classe » qui est alors
celle du Parti communiste depuis 1928. Cette ligne adoptée par l’Internationale communiste
est commentée par Maurice Thorez dans les Cahiers du bolchevisme : « Même lorsqu’il
conserve l’influence sur une grosse partie de la classe ouvrière en quelques régions, le Parti
socialiste n’est plus un parti prolétarien. Sa politique d’alliance ouverte avec la bourgeoisie
se trouve encore accentuée. […] Il doit être clair maintenant pour tout membre du Parti qu’il
n’est pas de lutte possible contre la guerre impérialiste et en faveur des moindres
revendications prolétariennes sans une guerre acharnée contre le Parti socialiste et son
associée la CGT. […] Ce sont toutes ces raisons qui conduisirent le Comité central de
novembre au mot d’ordre "Classe contre classe". Cela signifiait la rupture avec toute la
fausse démocratie parlementaire ; cela signifiait une orientation plus résolue dans la lutte
directe à l’usine et dans la rue ; cela signifiait […] une lutte également plus énergique contre
la social-démocratie24. »

Le Parti communiste à Hénin-Liétard et le rôle de Nestor Calonne

On connaît bien l’organisation du parti communiste dans le secteur puisqu’en 1932 et en


1934, répondant à une demande de renseignements du Ministère de l’Intérieur, le préfet du
Pas-de-Calais adresse des rapports détaillés sur l’organisation du PC et de la SFIO dans la
région, ainsi que sur l’organisation de la CGT et de la CGTU.
Le premier rapport que nous avons consulté, en date du 6 août 1932, émane du sous-préfet de
l’arrondissement de Béthune qui s’adresse au préfet du Pas-de-Calais. On y lit que : « Les
directives reçues par les militants du sous-rayon de Béthune sont adressées par le rayon de
Lens, mais elles ne sont pas suivies. Les réunions de cellules sont abandonnées, les
manifestations de rue, les meetings publics n’ont aucun succès. Les directions des
concessions minières font exercer une surveillance très active par leur police privée et
n’hésitent pas à congédier tout individu même suspecté de propagande révolutionnaire. Les

22
L’Humanité, 9 juin 1931
23
Annette WIEVIORKA, Maurice et Jeannette. Biographie du couple Thorez, Fayard, Paris, 2010
24
Les Cahiers du bolchevisme, octobre 1928

17
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
ouvriers français et étrangers signalés dans une réunion publique sont irrémédiablement
privés de travail. Cette situation engendre dans les milieux ouvriers du secteur un
mécontentement presque général, l’action du parti communiste est complètement liée avec
celle du Syndicat unitaire des mineurs de la 1ère région et si cette organisation arrivait à
déclencher un mouvement de grève, elle trouverait pour appuyer son action révolutionnaire
un grand nombre de sympathisants du parti communiste25. »
Le second rapport datant de 1934 fait état d’une progression du Parti communiste26. Fin 1934,
le rayon communiste d’Hénin-Liétard comprend 8 cellules :
- la cellule de « La Parisienne » compte 20 adhérents. Elle est dirigée par Georges Vandeputte
et se réunit à son café de la route d’Arras.
- la cellule de la fosse 2 des Mines de Dourges compte 22 adhérents. Dirigée par Jean-Baptiste
Drut, elle se réunit au café Corroenne, 76 rue Elie Gruyelle, la rue principale d’Hénin-Liétard.
- la cellule de la fosse 3 bis des mines de Dourges compte 25 adhérents. Elle se réunit dans le
café de Georges Marouzé, le secrétaire de cellule, 24 rue de Drocourt.
- la cellule de la fosse 4 bis de Dourges compte 18 adhérents et se réunit chez François Vilet,
rue Jules Ferry, à Noyelles-Godault. Son secrétaire n’est autre qu’Henri Darras, le maire de
Noyelles-Godault qui est également délégué-mineur.
- la cellule de la fosse 4 des mines de Dourges a son siège au café de Jules Stoquart. Elle
compte 32 adhérents. C’est le mineur Jules Delplanque qui en est le secrétaire de cellule.
- la cellule de la fosse 7 des mines de Dourges, qui compte 15 adhérents, se réunit au café
Dautricourt, à Montigny-en-Gohelle. Jules Sénocq en est le secrétaire de cellule.
- la cellule de la fosse 8 des mines de Dourges se réunit au café Piéton à Evin-Malmaison,
tenu par son secrétaire de cellule, Célestin Piéton. Elle compte 12 adhérents.
- enfin, la cellule de la fosse 4 de Carvin se réunit chez Albert Havez. Cette cellule dirigée par
Cyprien Quinet compte 47 adhérents.

A la tête de ce rayon d’Hénin-Liétard qui compterait donc 191 adhérents fin 1934, on
trouve le maire de Noyelles-Godault, Henri Darras ainsi que Nestor Calonne. Le premier ne
semble pas inquiéter outre mesure les autorités. Sur sa notice individuelle, les services de
police notent « orateur médiocre – montre assez peu d’activité – ne semble pas dangereux ».
Maire de Noyelles-Godault depuis le 13 mars 1932, il a été suspendu de ses fonctions pour un
mois pour avoir fait repeindre en rouge les ampoules tricolores du monument aux morts de la
commune et fait enlever les écussons tricolores. Nestor Calonne est jugé plus inquiétant :
candidat aux municipales de mai 1925 et mai 1929, gérant de la coopérative unitaire d’Hénin-
Liétard et délégué-mineur, sa notice individuelle indique « communiste dangereux – inscrit au
carnet B du Pas-de-Calais27 ».
Il faut s’arrêter sur cette inscription au carnet B. On le sait, le carnet B est un répertoire
national dressé à partir de fiches établies à l’échelle préfectorale. A la veille de la Première

25
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5221, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais.
26
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5221, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 23 décembre 1934.
27
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5221, notice individuelle de Nestor Calonne

18
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
guerre mondiale, il compte environ 2 500 noms dont ceux de près de 1 500 Français. Les
militants anarcho-syndicalistes de la CGT ainsi que les militants socialistes acquis aux idées
antimilitaristes de Gustave Hervé inquiètent les autorités : « le pouvoir ne faisait pas de
l’antimilitarisme et du pacifisme l’affaire secrète et pratique de déclassés, de marginaux, de
hors-la-loi, d’en dehors. Au contraire, il en faisait l’affaire de la classe ouvrière organisée.
[…] Le Carnet B est devenu une institution chargée de parer à un éventuel sabotage de la
mobilisation par le mouvement ouvrier28. »
Nestor Calonne a 17 ans quand il adhère à la SFIO en 1911. Dans le bassin minier du Pas-de-
Calais, la lutte entre réformistes et révolutionnaires est particulièrement vive. Figure de proue
du syndicalisme révolutionnaire dans le secteur, secrétaire de l’Union départementale des
mineurs CGT en 1914, Benoît Broutchoux figure en tête du carnet B du Pas-de-Calais. Lors
de l’été 1914, plusieurs manifestations ont lieu dans le bassin minier : le 30 juillet, un cortège
de 800 personnes parcourt Lens avant de se rendre à une conférence donnée par les orateurs
du parti socialiste et des syndicats (sous la direction de Basly). Le lendemain, 700 personnes
défilent dans les rues d’Hénin-Liétard. Broutchoux est incarcéré à la prison de Béthune pour
« association de malfaiteurs », avant d’être relâché le 2 octobre sur ordre du préfet du Nord.
Mobilisé, il est incorporé au 59e territorial et envoyé sur le front d’Alsace. De son côté,
Nestor Calonne est mobilisé en 1914 au 41è régiment d'infanterie à Douai ; deux fois blessé
au combat, il reçoit la Croix de guerre.
A son retour, Calonne rejoint le comité d’adhésion à la IIIe Internationale. Un meeting a lieu à
Hénin-Liétard, animé par René Froissart, le cousin de Nestor Calonne, secrétaire de la section
socialiste et adjoint au maire d’Hénin-Liétard depuis 1919 en présence d’Antonio Coen, de la
direction nationale du comité de la IIIe Internationale. René Froissart est nommé président du
bureau du Comité départemental d’adhésion à la IIIe Internationale en septembre 1920. Les
conseillers municipaux socialistes François Candelier et Pascal Marouzé également élus en
1919 sur la liste d’Adolphe Charlon en sont membres. Comme Joseph Fontaine et la majorité
des militants socialistes d’Hénin-Liétard, Nestor Calonne adhère à la SFIC dès sa création.
Dans les années vingt, il participe à plusieurs mouvements de grève (notamment en 1923 lors
de la campagne contre l’occupation de la Ruhr) qui entraînent son licenciement ainsi que celui
de ses frères et de ses beaux-frères qui luttaient à ses côtés. Le « clan » Calonne parvint à
trouver du travail à la fosse Dahomey et au 7 des mines de Courrières et, dès la fin de l’année
1924, Nestor Calonne fonde une cellule d’entreprise au puits du Dahomey. Membre du comité
du rayon communiste de Lens dès sa création en 1924, il est nommé trésorier du rayon
d’Hénin-Liétard, lors de sa constitution aux côtés du secrétaire, Henri Darras. Impliqué dans
les combats de rues contre les syndicalistes confédérés le 1er mai 1929 à Lens, il est révoqué
par la compagnie de Courrières à l’issue des heurts qui se produisent lors de la grève des puits
d’Hénin-Liétard en 1931. Cependant, sa qualité de délégué-mineur lui permet d’obtenir une
rapide réintégration29.

28
Jean-Jacques BECKER et Annie KRIEGEL, Les inscrits au "Carnet B". Dimensions, composition, physionomie
politique et limite du pacifisme ouvrier, in Le Mouvement social, n°65, octobre-décembre 1968.
29
D’après la notice de Nestor Calonne dans le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Mouvement
Social, rédigée par Yves LE MANER.

19
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
L’inscription de Nestor Calonne au carnet B, révisé le 10 février 1922, à l’initiative du
ministre de l’Intérieur, Maurice Maunoury, pour y faire figurer « les noms de certains
individus notoirement acquis aux idées extrémistes »30 ne doit pas nous surprendre. Au début
des années trente, Nestor Calonne fait partie des cadres communistes dont l’action politique et
syndicale inquiète les autorités.

Nestor Calonne, secrétaire du rayon


communiste d’Hénin-Liétard en 1934

En avril 1934, Hénin-Liétard apparaît encore comme un bastion de la SFIO qui détient
la municipalité, le canton et la circonscription, mais les communistes dirigent les communes
voisines de Noyelles-Godault et de Montigny-en-Gohelle et leur influence progresse, comme
celle de la CGTU.
Malgré leur rivalité historique dans le bassin minier, socialistes et communistes sont parvenus
à s’entendre au plan local pour former un comité antifasciste dans la foulée de la journée du 6
février.
Un rapport du sous-préfet de Béthune en date du 31 mars précise que : « Des Comités
antifascistes communaux ou cantonaux se créent un peu partout, notamment à Béthune,
Carvin, Courcelles-les-Lens, Dourges, Hénin-Liétard, Montigny-en-Gohelle, Noeux-les-
Mines, Noyelles-Godault, etc. Radicaux-socialistes, socialistes SFIO et communistes y
apportent leur adhésion31. »
L’Humanité explique pour sa part dans le numéro du 13 avril que : « Le Comité antifasciste
local, composé d’ouvriers socialistes, confédérés, unitaires, coopérateurs et libre penseurs,
au cours d’une réunion tenue lundi, décidait de répondre à la provocation royaliste ». L’Echo
de Paris relève que ce comité réunissait « toutes les forces de gauche, y-compris la Ligue des
Droits de l’Homme32 » alors très influente et dans laquelle militent nombre de militants
socialistes ou radicaux.

30
Jean-Pierre DESCHODT, La preuve par le carnet B, in Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En
ligne], 45 | 2010
31
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais, 31 mars 1934.
32
L’Echo de Paris, 22 juin 1934

20
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Dans les colonnes du Populaire du 14 avril, les socialistes revendiquent la paternité de la
création de ce comité antifasciste : « Devant cette insolence, les socialistes proposent et
obtiennent des communistes la formation d’un comité antifasciste qui lance un appel à la
riposte ».
Pour le coup, l’Action Française, semble donner raison aux socialistes. Dans son numéro du
16 avril, le journal de Maurras demande à la justice « d’interroger très rapidement et très
sérieusement Pantigny, instituteur à Dourges, et de rechercher qui a fait imprimer les tracts
de la contre-manifestation socialo-communiste où il était annoncé faussement que Léon
Daudet viendrait. »

En cette année 1934, le rôle d’André Pantigny apparaît déterminant pour que se réalise
une riposte unitaire des organisations ouvrières face à ce qu’elles estiment être des
provocations fascistes. Analysant l’arrivée à la tête de la fédération SFIO du Pas-de-Calais de
l’équipe d’André Pantigny qui remplace au début des années 30 la génération de Raoul Evard
et des élus du « Vieux syndicat » des mineurs de Basly, Frédéric Sawicki explique que « Le
renouvellement des équipes est donc très lent, sauf quand la minorité parvient à s’appuyer sur
les rivalités locales ou quand la pression du parti communiste oblige à "gauchir" le discours
et la pratique. C’est ainsi que l’influence d’André Pantigny et de son équipe grandit
progressivement : en 1930, ils mettent pour la première fois en minorité (par 88 voix contre
87) les élus du syndicat qui soutiennent la participation au cabinet Chautemps. Ce vote
entraîne la démission de Raoul Evrard du poste de directeur politique de l’hebdomadaire
fédéral, L’Eclaireur, et son remplacement par André Pantigny qui se sert de cette base pour
faire avancer les idées de la minorité. Au congrès de 1934, il s’impose véritablement dans le
parti en obtenant la majorité sur le scrutin proportionnel et le vote des femmes. La direction
s’emploie alors à "coller" à la ligne nationale du parti (antifascisme, soutien au Front
populaire, mobilisation en faveur des républicains espagnols…), contribuant de la sorte à
politiser et à standardiser les activités du parti socialiste dans le Pas-de-Calais à travers des
tournées répétées dans les sections33. »

33
Frédéric SAWICKI, Le socialisme dans le Pas-de-Calais : une fédération « militante et ouvrière », in Les réseaux
du parti socialiste, sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin, 1997.

21
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

André Pantigny, secrétaire de la


Fédération SFIO du Pas-de-Calais en 1934

B. Le drame du 11 avril :

Que s’est-il donc passé à Hénin-Liétard, ce 11 avril 1934 ? La lecture des principaux
quotidiens de l’époque donne un certain nombre de réponses, mais pose aussitôt
d’innombrables questions.
Tous les journaux sont d’accord certains éléments : il y avait ce soir-là à Hénin-Liétard une
réunion publique de l’Action Française dans la salle du « Palais des Fleurs ». L’établissement,
tenu par Mme Turbelin, se compose d’un café et d’une salle de bal. Au fond du café, on
emprunte un corridor et on doit traverser une cour qui mène à la salle de bal où se tenait la
réunion de l’Action française.
Ce n’est pas la première fois que le Palais des Fleurs accueille une réunion publique. Dans un
rapport en date du 8 février 1934, deux jours après l’émeute parisienne du 6 février, le sous-
préfet de Béthune alertait ainsi le préfet du Pas-de-Calais : « Dimanche prochain, le parti
communiste organise à Hénin-Liétard, salle du palais des Fleurs, à 11 heures, une réunion
publique et contradictoire où prendront la parole : Gitton, du comité central du parti
communiste ; Ramette, député communiste ; Quinet, du syndicat unitaire. Le sujet sera : de la
politique du parti communiste – du scandale Staviski et de toute la pourriture du régime
actuel. […] Je ne vois pas, pour le moment, la nécessité de prévoir l’envoi de forces
supplétives34. » Ce document est intéressant à plus d’un titre : d’abord, il confirme que le
Palais des Fleurs est un établissement qui accueille régulièrement des réunions publiques de
tous bords, mais il démontre aussi et surtout que la critique de la corruption du gouvernement

34
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais, 8 février 1934.

22
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
n’est pas l’apanage des ligues nationalistes, mais est également exprimée par le Parti
communiste.
Il semble par ailleurs que les événements du 6 février 1934 aient accru l’audience de la presse
d’opinion, c’est en tout cas ce que remarque le sous-préfet de Béthune dans un rapport du 24
mars 1934 : « On constate généralement que depuis le mois de février, il se vend davantage
de journaux, surtout des feuilles extrémistes, telles que "l’Action Française" et "l’Humanité"
où le lecteur tout en faisant la part de l’exagération, cherche à découvrir des détails inédits
sur les scandales actuels 35. »

Le soir du 11 avril 1934, le service d’ordre de l’Action française se compose d’une quinzaine
de Camelots du Roi disposés dans le corridor et devant la salle de bal. Alors que des centaines
de manifestants communistes et socialistes venus d’Hénin-Liétard et des communes
environnantes sont rassemblés sur la place Carnot, encadrés par des gendarmes à cheval et des
policiers municipaux, une trentaine de militants entrent dans le café et tentent d’accéder à la
salle. Les Camelots du Roi s’interposent et tirent sur les manifestants antifascistes. Joseph
Fontaine, un mineur communiste âgé de 56 ans tombe, frappé d’une balle de revolver en
pleine poitrine. Il y a plusieurs blessés.

Qui était la victime ? Qui est responsable de la mort de Joseph Fontaine ? Les Camelots du
Roi étaient-ils en état de légitime défense ou au contraire y avait-il préméditation ? Alors qu’à
Hénin-Liétard, l’enquête de police ne fait que commencer, les journaux du 12 avril 1934
répondent à la question en fonction de leurs affinités politiques.
« Les Camelots du Roi assassinent un vieil ouvrier à Hénin-Liétard » titre ainsi le quotidien
socialiste Le Populaire le 12 avril 1934 tandis que l’Humanité titre « L’ouvrier communiste
Fontaine tué à Hénin-Liétard par les camelots du roi ». Au contraire, l’édition du 12 avril de
l’Action Française évoque « Une agression communiste et socialiste ». Du côté de la presse
régionale, l’affaire d’Hénin-Liétard figure en première page des principaux quotidiens. Le
Journal de Roubaix titre ainsi : « A Hénin-Liétard, des socialistes envahissent une salle où
étaient réunis des royalistes. Il y a un tué et une vingtaine de blessés36. » L’autre grand
journal roubaisien, L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, proche des socialistes, fait aussi sa une
sur le drame d’Hénin-Liétard : « Une réunion politique se transforma en drame à Hénin-
Liétard », ajoutant en sous-titre qu’ « un ancien mineur a été tué par un royaliste demeurant à
Marcq-en-Barœul37. »
Les principaux titres de la presse quotidienne nationale évoquent l’affaire d’Hénin-Liétard,
mais de manière plus succincte. Le quotidien conservateur Le Matin relègue l’information en
page 3 : « Une grave bagarre éclate à Hénin-Liétard entre des camelots du roi et des
membres d’organisations ouvrières. Un mineur est tué, plusieurs camelots sont grièvement
blessés38. » La Croix en parle en page 5, dans la rubrique « faits divers » : « Un homme est tué

35
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais, 24 mars 1934.
36
Le Journal de Roubaix, 12 avril 1934.
37
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 12 avril 1934
38
Le Matin, 12 avril 1934

23
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
au cours d’une grave bagarre politique à Hénin-Liétard. On compte une trentaine de
blessés. » titre le quotidien catholique.

Joseph Fontaine, militant communiste exemplaire

Qui était donc Joseph Fontaine ? Le Populaire le présente comme un « vieil ouvrier
[…]. 56 ans, mineur unitaire, père de cinq enfants39. » Dans la même veine pathétique,
L’Humanité le présente comme un « vieux mineur retraité, un des meilleurs militants de notre
Parti, père de cinq enfants40. »
Quelques jours plus tard, c’est le magazine Regards qui dresse un portrait émouvant de la
victime : « Joseph Fontaine était un mineur. Il travaillait à la fosse 7 des mines de Dourges.
C’était un homme droit, honnête, courageux. C’était aussi un bolchevik ». Le magazine
communiste évoque la fosse 7 des mines de Dourges, la fosse du Dahomey et son paysage de
« corons, des casernes de briques d’un rouge tirant sur le noir ».
Joseph Fontaine était « Un vieux mineur. Il a 56 ans, une bonne tête d’ouvrier honnête, au
regard droit, avec ses pommettes saillantes et ses moustaches. Il en a vu des batailles ! Il a 5
gosses, il adore sa famille, mais ça ne l’a pas empêché de lutter pour sa classe, pour son
parti, au premier rang. Voilà 25 ans qu’il est sur la brèche. En 1919, il est au Comité de la
IIIe Internationale, après le Congrès de Tours, il adhère au Parti Communiste. Il aime son
parti, quand il parle aux siens de "l’Humanité", de "l’Enchaîné" pour lequel il est prêt à
prendre la gérance, ses journaux, des batailles à mener, la vieillesse prochaine n’existe plus ;
il est ardent comme les plus jeunes, Joseph Fontaine. C’est un combattant, celui qui dit à sa
femme, quinze jours avant d’être abattu : "Dans les batailles qui viennent malgré mon âge, je
serai à l’avant-garde"41. »
L’historien local héninois Henri Claverie, alors âgé de 14 ans, se souvient : « Au fond de mon
jardin, il y avait le mineur qui a été tué en 1934 sur la place Carnot au Palais des Fleurs
[…]. On le connaissait bien parce qu’il avait un petit jardinet et ce jardinet, c’était la limite
avec mon jardin. Et au fond de mon jardin, mon père avait bâti son atelier. Son jardin était en
pente douce, si bien qu’on pouvait parler avec lui, on le voyait souvent. Et il était assis, quand
il revenait de la mine, en train de regarder ses pigeons, il faisait des concours de pigeons, et
ses pigeons, il les attendait42. »

39
Le Populaire, 12 avril 1934
40
L’Humanité, 13 avril 1934
41
Regards, 20 avril 1934
42
Interview d’Henri CLAVERIE par Patrick BOUQUET, http://pabqt.free.fr/

24
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

Joseph Fontaine
(Regards, 20 avril 1934)

Comme le souligne Marc Lazar, « la représentation communiste de la classe ouvrière se doit


de s’incarner en des figures d’ouvriers susceptibles à la fois de constituer des modèles
d’identification pour l’ensemble de la classe ouvrière et d’être érigées en symboles de
l’ensemble de la classe, en particulier pour le reste de la société 43. »
Mineur, père de famille, militant communiste et syndicaliste, Joseph Fontaine est érigé en
symbole et en martyr de la classe ouvrière.

Réunion publique et contradictoire ou réunion privée ?

A la lecture de la presse, il y a manifestement désaccord sur le caractère de la réunion :


réunion privée ou réunion publique et contradictoire ? Sur cette question, nos sources
divergent.
Dans l’Action Française du 11 avril 1934, la réunion du soir est annoncée en page 5 en ces
termes : « Ce soir mercredi, à 20h30, au palais des fleurs, réunion privée sur convocation
personnelle sous la présidence de notre ami Octave Huzot. Conférence : L’Action Française
devant les événements. Les solutions par MM. J. Brackers d’Hugo, Ch. Degrave, B. Van de
Velde. Une permanence aura lieu au Palais des Fleurs de 18h à 19h30 pour délivrer des
invitations. Afin d’assurer l’ordre parfait, les commissaires devront être présents dès
19h30. »
En réalité, le secrétaire de la section héninoise des Camelots du Roi ne s’appelle pas Octave
Huzot, mais Octave Hugot. Il est entrepreneur en briqueterie et habite 41 rue de l’Abbaye à
Hénin-Liétard. Octave Hugot n’est pas un inconnu à Hénin-Liétard puisqu’il était déjà
candidat aux élections municipales du 30 novembre 1919 sur la liste de l’Union héninoise et
républicaine battue par la liste SFIO d’Adolphe Charlon.
La réunion d’Hénin-Liétard n’est pas la première qu’organise la ligue royaliste dans le bassin
minier, où elle dispose d’une base militante et où elle souhaite s’implanter.

43
Marc LAZAR, Damné de la terre et homme de marbre. L'ouvrier dans l'imaginaire du PCF du milieu des années
trente à la fin des années cinquante, Annales ESC, septembre-octobre 1990, n°5.

25
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
De fait, au début des années 30, l’Action française apparaît en recul et concurrencée par les
autres ligues nationalistes : « En novembre 1930, l’Action française est à son point mort. Les
meetings de propagande tombent de 404, en 1926, à 172, en 1929. En 1930, le journal ne
dépasse pas 20 000 abonnés ; l’argent manque de plus en plus. Sans doute l’Action française
peut-elle encore mobiliser pour des manifestations de rue autant d’hommes, et mieux
encadrés, que les autres organisations de droite : 2 000 hommes environ, c’est peu. Sans
doute aussi peut-on estimer ses membres 60 ou 70 000 à une époque où le parti communiste
ne compte que de 30 à 40 000 membres. C’est peu, par rapport à la SFIO, qui compte
130 000 membres, peu surtout en comparaison des Jeunesses patriotes (90 000 membres), de
la Solidarité française (150 000 membres), des Croix de feu (180 000 membres). […] En fait,
c’est la situation de l’Action française dans la configuration des forces politiques qui a
changé de nature. Elle perd du poids. […] Le 6 février 1934 trouve une Action française dans
un état de totale impréparation. Le Comte de Paris est à Bruxelles, persuadé que "l’Action
française n’avait absolument pas la volonté d’aboutir". Daudet revient en toute hâte à Paris,
prévenu le 6 février au soir par téléphone ; le cortège d’Action française a été soigneusement
tenu à l’écart. La province non alertée ne bouge pas, sauf Lille44. »
A la faveur de l’affaire Stavisky et de la manifestation du 6 février 1934, les départements du
Nord et du Pas-de-Calais connaissent un regain d’activité des ligues nationalistes et en
particulier de l’Action française. Julien Drouart a ainsi calculé que pour les années 1932 à
1936, 40 % des initiatives manifestantes des ligues nationalistes lilloises ont lieu en 1934 et
23 % en 193545.
Dans son ouvrage sur les droites et la rue de 1880 à nos jours, Danielle Tartakowsky revient
sur la séquence du printemps 1934 et explique que la grande manifestation antifasciste du 12
février 1934, « la plus grande manifestation politique jamais organisée », qui touche « 259
villes, dont 62 sont restées jusqu’alors vierges de tout cortège, dans 85 départements »
entraîne une prise de conscience des ligues : « les ligues prennent vite la mesure du handicap
représenté par leur implantation presque exclusivement parisienne. Elles abandonnent un
temps la rue et se tournent vers la province, où elles tentent de s’ancrer en multipliant
réunions et meetings – non sans résultats sensibles sur leurs effectifs, en nette
augmentation46. »
Le rapport que fait le commissaire spécial d’Arras au Préfet du Pas-de-Calais le 16 mars 1934
nous éclaire mieux sur l’état d’esprit des milieux militants nationalistes et ouvriers, un peu
plus d’un mois après les événements parisiens du 6 février : « L’état d’esprit a été assez agité
dans les milieux politiques divers et inquiet dans une grande partie de la population. Dans les
groupements de "droite", on a fait un gros effort de recrutement principalement parmi les
jeunes. Malgré la diversité des partis : Croix de Feu, Action Française, Solidarité, Jeunesses
Patriotes, Jeune République etc., tous se retrouvent pour "abattre le socialisme
international". Dans les groupements des Croix de Feu et des J.P., l’état d’esprit est
particulièrement violent. On y parle couramment d’action directe. L’Action Française n’a pas

44
Pierre NORA, Les deux apogées de l’Action française, Annales ESC, janvier-février 1964, n°1, p. 127-141.
45
Julien DROUART, Les ligues de droite dans la rue lilloise (1932-1936), Revue du Nord, avril-juin 2007, n°370.
46
Danielle TARTAKOWSKY, Les droites et la rue, histoire d’une ambivalence, de 1880 à nos jours, Paris, La
Découverte, 2014.

26
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
changé ses méthodes de violence et profite de l’agitation pour tenter de prendre la tête des
mouvements de protestation. Aux groupements précités, il y a lieu d’ajouter les groupements
catholiques – sauf peut-être les "démocrates" – qui, en cas d’émeute, pactiseraient avec ceux-
ci. Du côté des "gauches", on semble craindre l’avènement du fascisme et, en particulier chez
les jeunes socialistes et les jeunes communistes qui ont créé des organisations de défense.
Malgré la ferme volonté de barrer la route au "fascisme", on est généralement assez calme et
il y a lieu de noter cette différence d’état d’esprit avec les partis de droite. […] A Arras, en
particulier, une certaine inquiétude s’est manifestée dans les milieux de gauche. Divers bruits
ont circulé : Que les groupements de droite s’armaient ; que les J.P. avaient acheté des
matraques et des fusils ; que des listes de personnes à arrêter en cas d’émeute provoquée par
les droites étaient dressées, etc. Les milieux de droite accusent également les gauche de
s’armer47. »

Pour le Parti communiste, la nomination du gouvernement Doumergue après le 6 février 1934


et l’activisme des ligues sont à mettre sur le même plan et reflètent la nécessité pour la
bourgeoisie française de changer le régime pour briser la classe ouvrière et préparer la guerre.
On retrouve cette analyse dans le rapport préparatoire à la conférence régionale du Parti
communiste de la région Nord, que nous avons déjà cité : « La bourgeoisie française a tenté,
à la faveur du trouble causé par les scandales et les événements de février, d’opérer un
tournant dans sa politique tant intérieure qu’extérieure. Devant la montée du mouvement
révolutionnaire, il est devenu nécessaire pour la bourgeoisie française d’employer des
méthodes de violence plus directes, au moyen d’une dictature ouvertement fasciste, ceci afin
de pouvoir appliquer avec plus de certitude, une politique de misère auprès des travailleurs.
Cette dictature violente lui est d’autant plus nécessaire que l’imminence de la guerre exige
une accentuation de sa préparation et une classe ouvrière docile. Afin d’arriver à ses fins, la
bourgeoisie a d’une part, utilisé ces bandes fascistes et d’autre part, renforcé la fascisation
de la démocratie. C’est grâce à l’utilisation de ces deux formes combinées et se complétant
que la bourgeoisie a pu installer son gouvernement dit d’"Union Nationale". Si, grâce à la
réaction ouvrière on n’a pas pu aller plus loin que le gouvernement d’Union Nationale, il
n’est pas moins vrai que ce gouvernement constitue une étape vers la dictature violente
recherchée. D’autres actions fascistes sont en préparation active, le moindre prétexte peut en
être le signal48. »
L’analyse que livrent ici les dirigeants régionaux du Parti communiste est d’un grand intérêt
pour comprendre la réaction antifasciste qui se joue au printemps 1934 dans le bassin minier
et la région du Nord, dans la foulée de l’affaire Joseph Fontaine. De fait, si, comme nous
l’avons vu en introduction, une majorité d’historiens considère aujourd’hui que la France des
années 30 était « allergique au fascisme49 » malgré « l’imprégnation fasciste » de ligues

47
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du commissaire spécial d’Arras au Préfet du
Pas-de-Calais, 16 mars 1934.
48
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, projet de rapport en vue de la conférence régionale du
er
Parti communiste pour la région du Nord des 1 et 2 avril 1934.
49
BERSTEIN Serge, « La France des années trente allergique au fascisme. A propos d'un livre de Zeev Sternhell »,
Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°2, avril 1984, pp. 83-94.

27
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
nationalistes de tradition républicaine-plébiscitaire héritières du boulangisme et du
bonapartisme du XIXe siècle, il est certain que les organisations ouvrières ont analysé la
journée du 6 février 1934 comme un coup de force fasciste et l’arrivée au pouvoir du
gouvernement d’union nationale présidé par Gaston Doumergue comme le résultat de ce coup
de force.
Pour Jean Vigreux : « l’arrivée de réfugiés antifascistes en exil invite à comprendre ce qui se
passe en Allemagne, mais aussi en Italie, d’autant qu’une partie des Ligues d’extrême droite
s’inspire largement du fascisme, comme les Francistes de Marcel Bucard. Le 6 février est
alors perçu comme un « coup de force fasciste » et entraîne un processus qui conduit au
Rassemblement populaire. Dans un premier temps, le PCF et la CGTU organisent une
manifestation le 9 février qui est interdite et durement réprimée (six militants communistes
sont tués). À cette manifestation, les rangs communistes ont vu l’arrivée de militants
socialistes : on en appelle alors au « front unique à la base », c’est-à-dire la position sectaire
du PCF. La SFIO et la CGT, de leur côté, décident de manifester le 12 en province et à Paris,
cour de Vincennes. En province, on dénombre plus de 250 000 manifestants dans 85
départements. Le rôle moteur de la CGT est essentiel. À Paris, le PCF et la CGTU se joignent
au cortège des réformistes, encore dénoncés comme sociaux-traîtres. Toutefois, en fin de
manifestation, au moment de la dispersion, l’unité à la base prend une nouvelle dimension ;
des militants des deux cortèges se rejoignent aux cris de « Unité !, Unité ! ». Certes, les
directions des deux organisations de gauche campent sur leur méfiance réciproque, mais
l’élan est donné qui débouche sur un rassemblement antifasciste plus large…50»

En 1934, Jean-Marie Fossier avait 25 ans. Celui qui deviendra le futur rédacteur en chef du
quotidien communiste Liberté après-guerre est alors maître d’internat et poursuit ses études de
philosophie à l’université de Lille. Adhérent du Parti communiste depuis 1932, il est
responsable régionale de l’Internationale des enseignants et membre du comité Amsterdam-
Pleyel. Il témoigne du climat des années 1934-1935 : « Chaque semaine, dans une ville ou
dans une autre, se tenaient des réunions organisées par les Camelots du roi, les Croix de Feu,
les Francisques. Chaque fois, le parti décidait une contre-manifestation. Nous passions nos
soirées à courir de l’hippodrome de Roubaix à celui de Valenciennes, parfois-même à Lens.
Quelques camarades se déplaçaient à vélo, beaucoup prenaient le train […]. J’ai de ces
combats un souvenir très précis : Les Croix de feu tenaient un rassemblement à Lille, salle
des Ambassadeurs. J’avais la responsabilité de tenir tout un secteur pour empêcher l’entrée
des auditeurs. La salle avait été occupée très tôt par les principaux militants d’extrême droite.
J’avais rassemblé une quinzaine de camarades non loin de l’entrée. Nous fûmes cernés par
un peloton de police. Les flics utilisaient leur grande capuche noire pour se défendre mais
aussi pour frapper. Nous fûmes arrêtés, conduits au commissariat central où l’on nous
conserva quelques heures51. »

50
Romain DUCOULOMBIER, « La riposte après le 6 février. Une interview de l’historien Jean Vigreux », ANR
PAPRIK@2F, 12 février 2014 [en ligne: http://anrpaprika.hypotheses.org/1690]
51
Jean-Marie FOSSIER, Nous sommes restés des hommes. Mes combats 1933-1945, Geai bleu éditions, Lille,
2011.

28
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Pour les organisations ouvrières, les réunions publiques organisées par les diverses ligues
nationalistes dans tout le pays et particulièrement dans les départements du Nord et du Pas-de-
Calais résonnent comme une provocation et annoncent l’imminence d’un coup de force
fasciste, qu’il prenne la forme d’une action de type « Marche sur Rome » menée par les ligues
ou qu’il se fasse dans des formes légales à la manière de la nomination d’Hitler au poste de
chancelier en janvier 1933.
L’Humanité du 13 avril analyse ainsi la stratégie d’implantation de l’Action
Française : « C’est afin de poursuivre leur plan fasciste de provocation hitlérienne contre les
organisations ouvrières que les gens d’Action française avaient décidé un véritable raid
mercredi soir sur Hénin-Liétard. Pourquoi Hénin-Liétard ? C’est le centre du bassin minier
du Pas-de-Calais. Notre Parti communiste y jouit d’une grande influence. Jeunes et adultes y
ont maintes fois déjà réalisé le front unique avec les mineurs socialistes et confédérés. Les
compagnies minières redoutent particulièrement les progrès rapides des unitaires, du Parti
communiste dans le bassin, surtout en ce moment où l’on parle d’une dénonciation des
conventions de salaires. ».
Le Populaire revient également dans son édition du 14 avril sur ce qu’il qualifie de « vaines
tentatives royalistes dans le bassin minier » : « De tous temps, il y a eu dans les communes du
Pas-de-Calais des groupes plus ou moins fantomatiques de royalistes qui, périodiquement
organisaient de confidentielles réunions privées. Il n’était jamais venu à l’idée des militants
ouvriers de tenter d’y apporter la contradiction. Après les événements du 6 février 1934, les
camelots du roi, tout fiers de leur émeute, ont complètement changé de tactique. Ils
commencent par irriter la classe ouvrière en se livrant dans leur feuille à de venimeuses
attaques contre le socialisme, puis ils décidèrent de prendre la température du bassin minier
en y organisant, avec le concours de Joseph Delest, toute une série de conférences
provocatrices. ».
A Béthune, Bully-les-Mines et Lillers, chaque conférence de l’Action Française a donné lieu à
une réaction des antifascistes locaux. A Bully-les-Mines, le 28 février, c’est André Pantigny,
secrétaire de la fédération socialiste du Pas-de-Calais, aux côtés d’un représentant du parti
communiste, qui est allé apporter la contradiction aux ligueurs royalistes avant d’être expulsé
de la salle par les gendarmes. A Lillers, Le Populaire évoque une manifestation d’un millier
de socialistes et de communistes qui ont mis en fuite 400 royalistes sans incidents graves.
Ce climat de tension aurait même amené l’Action Française, écrit toujours Le Populaire, à
avancer la réunion d’Hénin-Liétard, initialement prévue le 12 avril 1934, au mercredi 11.
D’après le quotidien socialiste, les nouvelles invitations lancées par la ligue royaliste
mentionnent que « la contradiction courtoise sera admise ». C’est dans ce contexte qu’un
groupe de manifestants antifascistes est entré au Palais des Fleurs : « Nous sommes allés à une
dizaine demander aux organisateurs gardant l’étroit couloir d’entrée s’ils étaient disposés à
nous accorder la contradiction et dans quelles conditions. Ceux-ci nous répondirent par des
injures et des grossièretés. » raconte Bernard Chauchoy, responsable des Jeunesses
Socialistes du Pas-de-Calais interviewé par l’envoyé spécial du Populaire dans l’édition du 13
avril du quotidien socialiste.
Sa version est corroborée par celle de Pierre Courtin, secrétaire du comité antifasciste
d’Hénin-Liétard et militant SFIO : « Nous étions, depuis quinze jours, l’objet de provocations.

29
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Des carreaux avaient été brisés à nos domiciles. Des inscriptions avaient était faites sur les
maisons que nous habitons. Mercredi matin, le secrétaire des royalistes d’Hénin-Liétard
m’avait menacé d’une correction pour le soir. […] Les royalistes nous avaient adressé des
invitations. Nous avons donc décidé de les contredire. Or, les Camelots du Roi refusèrent la
contradiction. Devant la colère des ouvriers, pour éviter des incidents graves, nos camarades
parlementèrent avec les organisateurs. Il fut alors entendu que la réunion aurait lieu et que
chaque parti parlerait. Confiants dans la parole donnée, les premiers des nôtres, au sortir
d’un couloir étroit, pénétrèrent dans la salle. Ils furent aussitôt frappés à coups de
matraque52. »
L’Humanité du 13 avril apporte d’autres précisions : « Une trentaine d’ouvriers socialistes et
communistes, à qui avaient été remises des feuilles d’invitation, pénétrèrent dans la salle où
devait se tenir la réunion et où se trouvaient déjà 22 camelots du roi. ».
La version de l’Action Française est évidemment différente : « Dans le café attenant à la
salle se trouvaient les socialistes Courtin et Just Evrard, le communiste Marouzé, qui se
déclaraient décidés à prendre la parole dans cette réunion privée et non contradictoire. Des
partisans assez excités les entouraient. […] A 18h15, les perturbateurs vinrent, non sans
insolence, demander l’entrée de la salle, prétendant y imposer leurs orateurs. Les Camelots
de garde leur opposèrent un refus énergique. » écrit le quotidien royaliste dans son édition du
13 avril 1934.
Il semble pourtant bien que la réunion prévue ait été une réunion contradictoire. Rappelant les
faits à l’occasion de l’ouverture du procès aux assises de Saint-Omer, L’Egalité de Roubaix-
Tourcoing précise que « M. Hugot a dit que 800 invitations environ avaient été distribuées
dans la ville, non seulement aux membres actifs de la section, mais encore à des chefs et
membres d’organisations politiques adverses ; il était mentionné sur ces invitations que la
contradiction courtoise était admise53. »
De leur côté, les royalistes démentent catégoriquement qu’il y ait eu des provocations les
journées précédant le drame. Usant de son droit de réponse, Octave Hugot, président de la
section d’Hénin-Liétard de l’Action française précise ainsi dans les colonnes de L’Egalité de
Roubaix-Tourcoing : « Je démens de la façon la plus formelle qu’il y ait eu aucune
provocation de la part des membres de l’Action Française dans les journées antérieures au
11 avril – qu’il y ait eu le moindre bris de carreau, ni d’inscription sur les habitations – ni
aucune menace adressée à M. Courtin54. »

La question de la présence de Léon Daudet

Le mystère plane également sur la présence éventuelle de Léon Daudet. L’ancien député de
Paris et directeur politique de l’Action Française est, avec Maurras, la principale personnalité
de la ligue royaliste. La venue de Léon Daudet à Hénin-Liétard aurait à l’évidence constitué
un petit événement.

52
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 13 avril 1934
53
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 21 juin 1934
54
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 15 avril 1934

30
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Dans son rapport hebdomadaire au préfet en date du 7 avril, le sous-préfet de Béthune fait
état, au conditionnel, de la présence de Léon Daudet : « A Hénin-Liétard, la section d’Action
Française organise une réunion privée le 12 avril, M. Léon Daudet prendrait la parole ; les
communistes et les socialistes vont se réunir prochainement pour s’entendre sur les
dispositions à prendre pour empêcher cette réunion55. »
A l’instar du Populaire et de l’Humanité, la plupart des journaux confirment la venue
programmée de Léon Daudet. Le quotidien communiste écrit ainsi le 12 avril : « Hier soir, à
Hénin-Liétard […] les camelots du Roi organisaient une réunion à laquelle Léon Daudet
devait apporter son concours. […] Par contre, Léon Daudet, après avoir préparé ce mauvais
coup, s’était bien gardé de se rendre à Hénin-Liétard. »
Le 14 avril, le Populaire précise : « Les royalistes avaient, paraît-il, préparé la surprise à
leurs auditeurs et laissaient entendre qu’il se pourrait que Daudet soit l’ambassadeur de Jean
III dans cette cité ouvrière ».
La « rumeur » de la venue de Léon Daudet n’apparaît pas seulement dans la presse de
gauche. On la retrouve par exemple dans l’édition du 12 avril du Matin. Le quotidien
conservateur, qui s’appuie sur la dépêche de l’agence Havas, explique qu’ « une réunion avait
été organisée, ce soir, à 20h30, à Hénin-Liétard, par le comité royaliste local qui avait invité
M. Léon Daudet. […] M. Léon Daudet ne s’était, d’ailleurs, pas rendu à Hénin-Liétard. ». La
venue programmée de Léon Daudet est également rapportée dans les colonnes de La Croix :
« De graves incidents se sont produits, mercredi soir, à Hénin-Liétard, au cours d’une
réunion organisée par le Comité royaliste du Pas-de-Calais, et à laquelle devait participer M.
Léon Daudet. »
Pourtant, on l’a vu, le quotidien royaliste n’annonçait pas la présence de son leader. Il reste
qu’à Hénin-Liétard, la rumeur de la venue de Léon Daudet, ressentie comme une provocation,
a amplifié la mobilisation antifasciste. L’Action Française reproduit dans son édition du 13
avril le tract du comité antifasciste d’Hénin-Liétard : « ALERTE. Rassemblement des forces
ouvrières contre la venue du chef royaliste DAUDET ». Le quotidien royaliste est
catégorique : « A aucun moment, il n’avait été question d’un voyage de Léon Daudet à Hénin-
Liétard. L’annonce mensongère de la venue de l’illustre tribun n’avait pour but que d’exciter
les rouges dont les mauvais bergers voulaient à tout prix du sang. »
L’avocat lillois Jean Brackers d’Hugo, qui était un des organisateurs de la réunion de l’Action
Française, déclare à l’agence Havas, reprise par Le Matin le 13 avril que « ses amis et lui
apprirent vers 16 heures que les groupements ouvriers avaient été invités à manifester contre
la venue de M. Léon Daudet. Or dit-il, jamais il ne fut question que M. Daudet prit part à la
réunion. Il prévint donc la police. »
Si Léon Daudet n’était pas à Hénin-Liétard ce soir-là, c’est qu’il était en fait à Bruxelles
« s’étant rendu […] aux funérailles de M. Fernand Neuray, directeur de la "Nation Belge"56 »
nous apprend le Journal de Roubaix qui consacre en page deux un article aux funérailles
solennelles du journaliste et homme de presse belge brutalement décédé lors d’un voyage en
Grèce.
55
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais, 7 avril 1934.
56
Le Journal de Roubaix, 12 avril 1934

31
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Pour autant, dans la mesure où les obsèques de Fernand Neuray avaient lieu à 11h, rien
n’empêchait Léon Daudet d’y assister avant de se rendre le soir à Hénin-Liétard. Au fond, que
la venue de Léon Daudet ait été annulée ou qu’elle n’ait tout simplement jamais été envisagée
par l’organisation royaliste, l’annonce de sa présence à Hénin-Liétard, deux mois à peine
après les événements parisiens du 6 février 1934, constituait en soi un événement politique de
nature à mobiliser la gauche héninoise.

La réussite de la contre-manifestation des antifascistes

La contre-manifestation des antifascistes soulève tout autant de questions que la


réunion des royalistes. C’est le comité antifasciste de la ville, constitué début mars après les
événements parisiens du 6 février qui a appelé à la manifestation et distribué « 10 000 tracts,
dont une partie qui furent affichés à Hénin-Liétard et environs ou distribués aux mineurs à la
sortie des fosses57. »
Combien de manifestants étaient rassemblés sur la place Carnot pour protester contre la venue
de Léon Daudet à Hénin-Liétard ?

La place Carnot à la fin des années 1920.

Les chiffres avancés par les organisateurs et ceux des forces de l’ordre varient. Pour
l’Humanité, « Dès 18h30, des milliers de travailleurs avaient répondu à l’appel du comité

57
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 21 juin 1934

32
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
antifasciste58. » Interviewé par L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, le socialiste Pierre Courtin,
donne un chiffre : « les antifascistes étaient entre quatre et cinq mille59. » Le Petit Journal se
risque à une estimation : « Dès 18 heures, une foule qu’on peut évaluer à trois mille
personnes se trouvait massée sur la place Carnot » écrit le quotidien conservateur dans son
édition du 12 avril. Le Populaire se fait plus précis. Dans son édition du 16 avril, le quotidien
socialiste avance le chiffre de « 2 000 travailleurs, parmi lesquels se comptaient 2 ou 300
communistes ».
Appelé à témoigner devant les assises de Saint-Omer le 20 juin 1934, le capitaine Gens, de la
gendarmerie de Lens, nuance les chiffres avancés par les organisations ouvrières : « Il n’y
avait qu’un millier, et non trois mille manifestants60. »
En tout état de cause, le tract commun rédigé le lundi soir pour appeler à la contre-
manifestation est co-signé par Courtin, le secrétaire de la section socialiste d’Hénin-Liétard et
par le communiste Georges Marouzé. Ex-secrétaire des Jeunesses Communistes d’Hénin-
Liétard, le fils de Pascal Marouzé, un des fondateurs du Parti communiste à Hénin-Liétard est
une des principales figures du parti communiste héninois. Président et chef de la musique
communiste d’Hénin-Liétard selon sa notice individuelle rédigée par les services de police,
ancien secrétaire du rayon PC d’Hénin-Liétard et candidat aux élections municipales de 1929,
Marouzé était devenu secrétaire régional du Secours Rouge International. En 1934, il est
secrétaire de la cellule de puits de la fosse 3 des mines de Dourges à Hénin. Il s’engagera par
la suite dans les Brigades Internationales aux côtés de Nestor Calonne. La police rappelle son
rôle dans la grève de mars 1931 et le juge « très écouté et dangereux61. »
Les élus et responsables communistes du secteur sont présents en nombre à la manifestation
du 11 avril. L’Humanité du 13 avril mentionne ainsi la présence du maire communiste de
Noyelles-Godault, Henri Darras et du maire communiste de Montigny-en-Gohelle, Gustave
Lecointe. A leurs côtés, on trouve le Carvinois Cyprien Quinet, secrétaire de la fédération
CGTU des mineurs qui sera élu député en 1936.
Côté socialiste, Henri Leclercq est présent, tout comme Raoul Evrard, ainsi que son frère Just
Evrard, qui est à l’époque secrétaire général adjoint des Jeunesses Socialistes du département.
André Pantigny, secrétaire de la fédération socialiste du Pas-de-Calais depuis 1930 est
évidemment présent.

Deux mois après les événements parisiens du 6 février 1934, les responsables locaux de la
SFIO et du PCF, quelles que soient leurs divergences, sont unis et déterminés face à ce qu’ils
perçoivent comme une offensive de l’extrême droite royaliste dans le bassin minier. La
contre-manifestation qu’ils ont organisée à Hénin-Liétard constitue une démonstration de
force réussie pour les organisations ouvrières.

C. Une ville et une région ébranlées :

58
L’Humanité, 13 avril 1934
59
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 13 avril 1934
60
Le Populaire, 21 juin 1934
61
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5221, notice individuelle de Georges Marouzé

33
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Même si chacun s’en attribuait la paternité, la manifestation antifasciste d’Hénin-
Liétard avait montré que l’unité d’action entre socialistes et communistes, syndicalistes
confédérés et unitaires était possible. Dans les jours qui suivent la mort de Joseph Fontaine, le
processus de rapprochement entre des organisations ouvrières qui restent méfiantes les unes
vis-à-vis des autres va s’accélérer.
Au lendemain du drame, l’heure n’est pas encore au rapprochement, à en croire l’Humanité
du 13 avril 1934 qui rend compte d’une proposition de résolution du député de Douai, Arthur
Ramette, devant la commission du 6 février pour « désarmer et dissoudre les organisations à
caractère fasciste ». Le quotidien communiste déplore que « Pas une voix socialiste, pupiste
ou autre ne s’élève pour soutenir cette proposition ».
Mais il n’y a pas que dans les commissions parlementaires que le rapprochement s’avère
délicat : autour du cercueil de Joseph Fontaine, socialistes et communistes s’opposent sur la
nature des obsèques.
Ainsi, on apprend dans Le Populaire que « Les obsèques de Joseph Fontaine sont célébrées
lundi prochain à midi, aux frais de la municipalité qui, en outre, offre un caveau et une
concession à perpétuité. Des pourparlers sont engagés avec la famille de la victime pour que
le corps soit transporté à la mairie d’où partirait le cortège funèbre. Au balcon de l’Hôtel de
Ville, le drapeau a été mis en berne62. »
La proposition d’Adolphe Charlon et de la municipalité socialiste est repoussée par la famille
de Joseph Fontaine : « Lundi, une garde d’honneur composée de quelques-uns de ses
camarades de travail, de ceux avec qui il lutta durant un quart de siècle, sera assurée. Nous
lui ferons des funérailles grandioses, mais avec la simplicité qu’il aurait voulue. Ce sera
beaucoup mieux que la chapelle ardente que la municipalité socialiste voulait installer à
l’hôtel de ville. » Par contre, « le rayon communiste, l’Union régionale unitaire, le Secours
rouge, le groupe de libre pensée des sans-Dieu, ont demandé à la municipalité socialiste de
prendre à ses frais le coût des funérailles et le prix d’une concession à perpétuité. La
municipalité a accepté. » On apprend aussi dans les colonnes du quotidien communiste que
« les ouvriers communistes et socialistes se sont cotisés pour acheter le bois du cercueil
destiné à Joseph Fontaine et que ce cercueil sera fait dans les ateliers de la municipalité. Ce
qui marque la volonté de front unique qui unit les ouvriers socialistes et communistes
d’Hénin-Liétard63. »

62
Le Populaire, 13 avril 1934
63
L’Humanité, 14 avril 1934

34
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

La famille de Joseph Fontaine devant le


Palais des Fleurs
(Regards, 20 avril 1934)

Comme Adolphe Charlon l’avait annoncé, la municipalité prend en charge les frais funéraires
de Joseph Fontaine, évalués à 3 000 francs. A l’unanimité, le Conseil Municipal, réuni le 29
juin 1934 « ratifie la décision de Monsieur le Maire pour la prise en charge par la ville
d’Hénin-Liétard des frais funéraires encourus lors des obsèques de la victime64. »

Il reste que la volonté de front unique ne transparaît pas, c’est le moins qu’on puisse dire, dans
l’article de l’Humanité du 16 avril où on évoque une fois de plus les dissensions au sein du
comité antifasciste de la ville à propos de la date des obsèques, les adjoints socialistes Henri
Leclercq et Octave Legrand dénonçant « une façon éhontée […] de la part du Parti
communiste et de la CGTU d’exploiter un cadavre que de faire les funérailles lundi ».
Dans un rapport adressé au préfet du Pas-de-Calais, le sous-préfet de l’arrondissement de
Béthune explique de son côté que : « Socialistes et communistes ont respectivement
revendiqué Fontaine comme un des leurs. La victime est finalement restée aux communistes
pour le plus grand profit de leur propagande et le remplissage des colonnes de l’Humanité.
On ne sait encore, à l’heure où j’écris, si la collaboration du comité antifasciste d’Hénin-
Liétard sera admise pour les obsèques de Fontaine. Celles-ci auront lieu lundi prochain. De
grandes précautions seront à prendre. Je les déterminerai ce soir au cours d’une conférence
à laquelle seront présents MM. le chef d’escadron de gendarmerie Courtelin ; le capitaine
Geus, de Lens ; Moity, commissaire spécial de Lens et Lacquement, commissaire de police
d’Hénin-Liétard. Outre les camarades de Joseph Fontaine et les mineurs de Dourges qui

64
Archives Municipales d’Hénin-Beaumont, 1 W19, Registre des délibérations du Conseil Municipal d’Hénin-
Liétard (1932-1936)

35
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
suivront l’ordre de grève générale, seront présents les militants des compagnies où il y aura
chômage partiel et un cortège qui partira de Lens à 8h45, après-demain 16 avril65. »
De fait, les tensions persistantes entre SFIO et PCF témoignent des hésitations du Parti
communiste sur la ligne à tenir et les modalités d’une action commune contre le fascisme
ainsi que l’analyse Serge Wolikow : « Le PCF, qui a infléchi en pratique ses positions à
l’occasion des événements de février, maintient l’essentiel de ses analyses, en même temps
qu’elles se heurtent aux vives critiques de Doriot. De façon tout à fait contradictoire, la
direction du PCF conserve sa ligne critique contre le parti socialiste et la République. Que ce
soit à l’occasion des enterrements, dans des discours parlementaires ou dans l’Humanité, les
dirigeants communistes renouvellent leur dénonciation de la SFIO tout en célébrant le front
unique antifasciste. Leur analyse de la situation reste inchangée : "L’unité d’action des
travailleurs contre le fascisme n’a pas pour but de consolider une République qui se fascise,
qu’elle soit avec Daladier ou avec Tardieu-Marquet" (Paul-Vaillant Couturier, 7 mars
1934)66. »

Tandis qu’on prépare les obsèques de Fontaine, le PCF et la CGTU préparent parallèlement
deux importantes initiatives, d’une part un meeting de masse organisé le dimanche 15, en
présence de Marcel Cachin pour le PCF et de Marcel Gitton pour la CGTU et d’autre part une
grande grève des mineurs du bassin pour la journée des obsèques, le 16 avril.
Jean-Marie Fossier se souvient : « Nous avions déjà eu des camarades blessés à Roubaix et à
Tourcoing. A Hénin-Liétard, ce fut plus grave : notre camarade Fontaine fut tué. Nous
connaissions bien son assassin, un certain Théry, pour l’avoir affronté à plusieurs reprises au
conservatoire de Lille. Le vieux-Lille était son quartier, sa chasse gardée, il y dirigeait une
petite usine textile. Moi, je connaissais bien Fontaine. Peu de temps auparavant, je m’étais
rendu à Hénin-Liétard pour y créer un comité de lutte contre la guerre et le fascisme.
Pourtant, je n’avais pas participé à la contre-manifestation au cours de laquelle notre
camarade fut lâchement assassiné par Théry. Ce dernier le tua de sang-froid, d’un coup de
revolver à moins d’un mètre, dans le couloir de la salle. Le lendemain, je me rendis à Hénin
avec plusieurs camarades de la CGTU pour organiser les funérailles. Nous voulions leur
donner un caractère grandiose. Nous en discutions quand arriva un dirigeant de Paris. Il
avait un plan tout préparé qui débordait très largement tout ce que nous avions pu concevoir.
Il nous annonça la participation de Marcel Cachin67. »

La nouvelle de la mort de Joseph Fontaine suscite de nombreuses réactions dans la


région. Ainsi, à Boulogne, un tract commun cosigné dès le 12 avril par les Unions locales
CGT et CGTU, la Fédération autonome des fonctionnaires et la Ligue des Droits de l’Homme
appelle à un meeting organisé le soir même à la Bourse du Travail. Plus d’un millier de

65
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais, 14 avril 1934.
66
Serge WOLIKOW, Les gauches, l’antifascisme et le pacifisme pendant les années 1930, in Histoire des gauches
en France, BECKER Jean-Jacques et CANDAR Gilles (ss. dir.), Editions La Découverte, 2005.
67
Jean-Marie FOSSIER, Nous sommes restés des hommes. Mes combats 1933-1945, Geai bleu éditions, Lille,
2011.

36
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
personnes s’y rassemblent. La séance est présidée par le militant boulonnais Adrien Presse, du
syndicat unitaire des douaniers qui place la réunion sous la présidence d’honneur « du
camarade Joseph Fontaine tué, hier, à Hénin-Liétard par les balles policières fascistes 68 ».
Au lendemain du drame, les faits ne sont pas encore bien connus et une rumeur invérifiable
attribue le meurtre de Fontaine à une provocation ourdie par certains éléments fascisants de la
police. Le meeting s’achève à 23h30 par un défilé dans les rues de Boulogne. Parti de la
Bourse du Travail, le défilé s’achève sur la place Dalton.
A Lille, une manifestation organisée le 14 avril par la Ligue Communiste, le P.U.P., les
libertaires et les étudiants anti-fascistes rassemble une cinquantaine de personnes qui défilent
de la Grand Place à la place de Béthune69.
La réunion publique prévue le 15 avril à Meurchin par les députés Jules Appourchaux et Paul
Thellier doit être annulée, au soulagement des autorités. Les socialistes avaient appelé à
organiser une contre-manifestation : « Meurchin ouvrier et socialiste aura demain 15 avril le
triste honneur d’avoir dans ses murs une fine équipe de politiciens, qui ont noms : Mathieu,
avocat à Béthune ; Appourchaux, député de Béthune, renégat de la camelote royale,
organisateur des équipes d’individus qui matraquèrent nos amis A. Pantigny et B. Chochoy, à
Vermelles et à Verquin, lors de la campagne électorale de 1932 ; Thellier, député de Saint-
Pol, chef de ces Jeunesses Patriotes du Nord, qui il y a quelques années, à Lille, assassinèrent
notre vieux camarade Henri Dillies. » Le sous-préfet de Béthune qui signale l’appel à
manifester des Jeunes Gardes socialistes dans son rapport au préfet explique : « J’ai réussi à
convaincre M. Appourchaux, député, qui, en compagnie de M. Thellier, son collègue au
Palais-Bourbon et de M. le sénateur Salmon, devait faire une conférence, demain, à
Meurchin, de remettre sa réunion. Les renseignements que lui ont adressés ses amis
corroboraient les miens : il y aurait eu, selon toute probabilité, effusion de sang, quelles que
puissent être les précautions prises70. »
Dans leur communiqué, les trois parlementaires expliquent : « Le Comité d’Action
Républicaine et Sociale de Meurchin nous avait conviés à prendre la parole au cours d’une
conférence fixée au dimanche 15 avril. SANS VOULOIR PROVOQUER QUI QUE CE SOIT,
notre intention était tout simplement de vouloir entretenir les citoyens indépendants et de
bonne foi des graves problèmes qui, à l’heure actuelle préoccupent à juste titre l’opinion
publique. Désireux de prouver une fois de plus que les ouvriers sont défendus plus utilement
par nous que par les partis de Révolution et de guerre civile, nous voulions exposer
loyalement nos conceptions sociales et économiques susceptibles de remédier immédiatement
à la crise actuelle. C’était notre droit. Des fauteurs de désordre, craignant de voir démasquer
leur néfaste démagogie, ont fait appel à la violence organisée et ont convoqué leurs milices
pour saboter notre réunion. A l’argumentation rationnelle, ils préfèrent la force brutale et
aveugle. Nous laissons à tous les citoyens de bonne foi le soin de juger comme il convient le
sectarisme d’une poignée de meneurs qui veulent jouer au dictateur et qui se révèlent les
pires ennemis des libertés républicaines. »

68
André LABOURYRIE, L’agglomération de Boulogne-sur-Mer et le Parti Communiste Français (1921-1939)
69
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 15 avril 1934
70
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais, 14 avril 1934.

37
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
A Hénin-Liétard, le meeting du 15 avril a lieu à 17h à la salle de la coopérative l’Espérance et
rassemble « plus de 3 000 personnes » selon l’Humanité du lendemain. La façade de la salle
portait « le drapeau en berne et une pancarte où on lisait : "La bienvenue aux frères de
misère". La salle étant trop petite pour contenir l’affluence, un haut-parleur avait été disposé
dans la cour 71 ». A la tribune, c’est Nestor Calonne qui préside le meeting, entouré de « Mme
Vuillemin, mère du jeune Henri Vuillemin assassiné le 27 février à Paris, assistés d’un
membre des Jeunesses et d’un membre des Jeunesses Socialistes72. »
Parmi les orateurs qui se succèdent, on retrouve Alfred Daniaux, qui est trésorier de cellule du
PCF d’Hénin-Liétard aux côtés de Georges Marouzé et secrétaire de l’union locale CGTU
ainsi que le jeune mineur socialiste Paul Carpentier qui vient d’être inculpé de coups et
blessures volontaires pour avoir reconnu être entré dans les premiers dans la salle du Palais
des Fleurs73. Délégué-mineur suppléant à la fosse 3 des mines de Dourges depuis 1929,
Alfred Daniaux est jugé « très écouté – dangereux » par la police74. Interviennent aussi à la
tribune Cyprien Quinet, de la Fédération CGTU des mineurs, Raymond Guyot, secrétaire des
Jeunesses Communistes de Paris et Thomas Olszanski, responsable de la Main d’Œuvre
Immigrée (M.O.I.). Ce dernier est sous le coup d’un arrêté d’expulsion du territoire français
après avoir été dénaturalisé en 1932 en raison de son activité syndicale auprès des travailleurs
Polonais.
Ce meeting de masse décide la nomination d’une commission d’enquête et l’envoi d’une
délégation conduite par Marcel Cachin et Arthur Ramette à Paris pour rencontrer le ministre
de l’Intérieur et réclamer le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.
Surtout, le meeting du 15 avril permet au PCF et à la CGTU de renouveler l’appel à la grève
et à la manifestation prévue le lendemain, à l’occasion des obsèques de Fontaine dont le PCF
et la CGTU veulent faire une démonstration de force à la fois vis-à-vis de l’Action Française,
mais peut-être aussi surtout vis-à-vis des socialistes accusés de vouloir saboter la grève.
Dès le 13 avril, l’Humanité déplorait ainsi que : « Dans le bassin, les unitaires ont décidé la
grève générale pour lundi, jour des obsèques. Chose monstrueuse et inouïe : les leaders
confédérés refusent de s’associer à cette action contre le fascisme75. »
De fait, le syndicat CGT des mineurs du Pas-de-Calais s’est réuni le 14 avril à Lens et a refusé
d’appeler à la grève avec la CGTU : « Le Conseil d’administration invite tous les ouvriers
disponibles à assister aux obsèques du camarade Fontaine, victime de la bestialité fasciste.
Regrette que les communistes unitaires n’aient pas, pour ces funérailles, fixé la date du
dimanche, comme il avait été décidé entre les membres du comité antifasciste […] ce qui
aurait permis une affluence considérable […]. Estime que cet appel des Unitaires s’adressant
exclusivement aux mineurs et non à tous les syndicats du département, est absolument
incompréhensible et ne constitue qu’une manœuvre aboutissant à dispenser les compagnies
minières du paiement d’une partie importante des allocations de chômage. Qu’en cette
période où les compagnies minières mènent une attaque contre les ouvriers étrangers et

71
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 16 avril 1934
72
L’Humanité, 16 avril 1934
73
Le Populaire, 16 avril 1934
74
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5221, notice individuelle d’Alfred Daniaux
75
L’Humanité, 13 avril 1934

38
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
cherchent tous les prétextes pour choisir leurs victimes, ce mouvement de grève permettrait
aux compagnies minières de se débarrasser des ouvriers les plus conscients76. »
Les appréhensions des dirigeants de la CGT sont tout sauf imaginaires. Comme le rappelle
Jacques Kmieciak, de 1931 à 1936, la population polonaise du Pas-de-Calais chute de
129 000 à 101 000 personnes du fait des licenciements de travailleurs étrangers et des mesures
de rapatriement.
Le 8 mai 1934, il y a ainsi une manifestation à Hénin-Liétard devant le siège de la Compagnie
des Mines de Dourges où les ouvriers polonais refoulés se présentaient pour toucher leur
paye. L’Humanité raconte qu’« ils furent brutalisés par les gardes spéciaux de la
Compagnie. » Une délégation de la CGTU se rend le lendemain aux grands bureaux, le siège
de la Compagnie et réussit obtenir satisfaction sur quelques revendications : voyage gratuit et
en plus 30 francs pour le chef de famille et 15 francs pour chaque personne à sa charge, une
indemnité de 50 francs pour les jardins qui devaient être abandonnés, 100 kilos de bagages
par personnes et l’annulation des amendes des moins de 75 francs pour les dégradations de
logements miniers appartenant à la Compagnie.
Une manifestation de solidarité avec les expulsés polonais est organisée au moment du
départ : « au moment où les camarades polonais se rendaient à la gare pour le départ, il y eut
une manifestation qui groupe plusieurs centaines d’ouvriers. Ils furent sauvagement chargés
et dispersés par des gendarmes à cheval qui repoussèrent les ouvriers jusque dans les
endroits clos. Toute la population des environs de la gare, particulièrement les commerçants,
est outrée de ces brutalités. […] Aux portières du train, il y avait plusieurs drapeaux rouges.
A remarquer qu’aucune personnalité ni du parti socialiste, ni de la C.G.T., ni de la
municipalité, n’était sur les lieux77. »
Quelques jours plus tard, le 26 mai, une grève éclate à Leforest où 200 mineurs polonais
s’enferment dans les lavabos-douches de la fosse 10 pour protester contre l’arsenal répressif
(amendes, brimades, licenciements) déployé par la Compagnie des mines de l’Escarpelle
contre les travailleurs étrangers78. Pour toute réponse, le gouvernement signera onze décrets
d’expulsion visant les meneurs le 21 juillet 1934.
Dans ce contexte de répression, les craintes de la CGT apparaissent pour le moins fondées ;
elles témoignent en tout état de cause des désaccords entre confédérés et unitaires sur les
méthodes de lutte et d’action syndicale.
Face au refus de la CGT d’appeler à la grève, les Jeunesses Communistes, dont l’Humanité
publie le communiqué en appellent au front unique, à la base, avec les militants socialistes :
« Le front unique, scellé dans le sang des jeunes mineurs d’Hénin-Liétard, est invincible. En
dépit du parti et de la jeunesse socialiste qui s’y opposent, contre la volonté de leurs propres
adhérents, les jeunes travailleurs rallieront toujours plus nombreux le mouvement mondial de
la jeunesse contre la guerre, le fascisme et l’esclavage de la jeunesse79. » La réponse à cette
interpellation ne tarde pas et dès le lendemain, dans Le Populaire, on retrouve un
communiqué des Jeunesses Socialistes qui accuse le Parti communiste et l’Humanité de « se

76
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 15 avril 1934
77
L’Humanité, 11 mai 1934.
78
Jacques KMIECIAK, Leforest, 1934. Grève à la mine, Nouvelle Vie Ouvrière, 19 septembre 2014.
79
L’Humanité, 15 avril 1934

39
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
servir de l’assassinat de Hénin-Liétard comme d’une nouvelle arme contre le Parti socialiste
et les Jeunesses socialistes » et les qualifie de « diviseurs de la classe ouvrière, toujours
animés de l’esprit de secte80. » Les Jeunesses Socialistes appellent cependant à participer aux
obsèques et à la grève du 16 contre l’assassinat des militants ouvriers.
Incontestablement, la manifestation du 16 avril est un succès pour les antifascistes, malgré la
division syndicale et les pressions des compagnies minières que rapporte l’Humanité : « le
syndicat confédéré donnait ordre à tous les mineurs de se rendre au travail le jour des
obsèques de la victime des fascistes ! Et l’on assista, lundi matin, à ce spectacle. Autour des
puits de mine, à l’heure de la descente de lundi matin, des pelotons de gardes mobiles à
cheval étaient présents pour disloquer les piquets de grève et faire descendre les mineurs
dans la fosse81. »
A Hénin-Liétard, le cortège parti du domicile de Fontaine, rue Hoche, se rend au cimetière où
une tribune avec haut-parleur est dressée. Le Populaire ne consacre qu’une brève à la
manifestation, mais souligne que « Dix mille travailleurs ont accompagné le corps de Joseph
Fontaine82. »
L’Humanité avance le chiffre de 20 000 manifestants derrière deux fanfares, « Les Enfants du
Peuple » de Montigny-en-Gohelle et la « Fanfare prolétarienne » d’Hénin-Liétard. Ce sont les
élus de la municipalité d’Hénin-Liétard qui ferment la marche. D’après le quotidien
communiste, on aurait compté 2 500 manifestants de la CGTU de Lens et environs, 3 000
Polonais, les maires communistes de Somain, Aniche, Petite-Forêt, Seclin, Noyelles-Godault
et Montigny-en-Gohelle, mais aussi de nombreuses sections SFIO et CGT venues de tout le
bassin minier défiler aux côtés des sections syndicales CGTU, des cellules communistes et
des comités du Secours Rouge International du secteur, derrière 153 drapeaux d’organisations
ouvrières83.
Au soir des obsèques de Joseph Fontaine, si on ne peut pas encore parler d’unité entre
organisations de gauche et si la méfiance reste de mise entre socialistes et communistes, une
étape a sans doute été franchie sur le chemin de l’unité des organisations du mouvement
ouvrier face à ce qu’ils perçoivent comme un péril fasciste.

Dans d’autres localités de la région, des réunions ou des manifestations antifascistes


sont organisées dans les jours qui suivent.
Ainsi, à Douai, le 29 avril 1934, ce sont le Parti socialiste SFIO et ses alliés - essentiellement
la CGT, le PUP et la Ligue des Droits de l’Homme - qui manifestent ensemble contre les
ligues. Les communistes qui avaient été contactés refusent de les rejoindre, mais participent à
la manifestation avec leurs propres mots d’ordre. Le cortège réunit huit cents personnes, ce
qui est peu pour une manifestation unitaire. Le meeting qui suit le défilé des manifestants est
l’occasion d’affrontements entre les membres des Jeunesses Socialistes et des militants
communistes84.

80
Le Populaire, 16 avril 1934
81
L’Humanité, 18 avril 1934
82
Le Populaire, 17 avril 1934
83
L’Humanité, 17 avril 1934
84
Le Bonhomme du Nord, 2 mai 1934

40
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
A Calais, c’est un congrès des comités de lutte contre le fascisme et la guerre qui se tient le 29
avril, réunissant 118 délégués venus de Calais, Dunkerque, Saint-Omer, Montreuil-sur-Mer et
Boulogne-sur-Mer. Une résolution préconisant l’unité d’action contre le fascisme et contre le
capitalisme est adoptée à l’unanimité85.
Ces manifestations antifascistes qu’on observe dans toute la région en cette fin d’avril 1934
trouvent leur point d’orgue le 1er mai 1934. L’Humanité annonce 10 000 manifestants à
Calais, 3 000 à Roubaix et 15 000 dans le bassin minier du Nord : 5 000 manifestants à Lens,
5 000 à Douai où on observe une minute de silence à la mémoire de Joseph Fontaine, 2 000 à
Somain et 600 à Béthune où les slogans protestent « contre la libération de Fritsch, assassin
de Fontaine ».
A Hénin-Liétard, la manifestation du 1er mai revêt évidemment un sens particulier : « A
l’appel des organisations socialiste et communiste, 4 000 travailleurs étaient rassemblés
place de la Gare, à 15 heures. Nos camarades avaient demandé un meeting et un cortège
communs : chefs socialistes et confédérés s’y refusèrent. Néanmoins, 3 000 travailleurs
restèrent avec les communistes et les unitaires. Ils se rassemblèrent face à la coopérative
l’Espérance où plusieurs orateurs prirent la parole et furent frénétiquement applaudis : "Pas
de liberté provisoire pour l’assassin Fritsch !". Un ordre du jour fut voté contre le juge
d’instruction Masson qui ose inculper des militants antifascistes. Au cimetière, de
nombreuses délégations du P.C., du S.R.I., des syndicats unitaires, de la Libre Pensée, des
Sans-Dieu, de l’A.R.A.C., de l’Union des Femmes contre la guerre, sont allées déposer des
fleurs sur la tombe de notre camarade Fontaine86. »
Un autre événement, à la fin du mois de mai 1934, attise la colère des organisations
ouvrières ; la mort de la mère de Puchois, blessé d’une balle de revolver le 11 avril, apparaît
pour l’Humanité comme une conséquence à retardement du drame : « Au moment où l’ouvrier
Fontaine était tué, le camarade Puchois, des jeunesses communistes, reçut une balle à
l’épaule. Sa mère, d’une santé fragile, en fut affolée. Elle dut s’aliter. Hier matin, elle
décédait ». Le quotidien communiste appelle les travailleurs à se rendre nombreux « aux
funérailles de la camarade Puchois, elle aussi victime des fascistes assassins87.

L’Action française semble dépassée par l’ampleur de la réaction de la gauche.


L’organisation royaliste réagit en diffusant un tract intitulé « Silence aux assassins » distribué
un peu partout dans le département. Le sous-préfet de de Saint-Omer prévient ainsi : « Des
tracts intitulés "Silence aux assassins" ont été distribués à Saint-Omer dans la nuit du 24 au
25 mai. Ils sont édités par les sections d’A.F. de Flandres et d’Artois, imprimerie 4 et 6 bis
rue Royale à Lille88. » Celui de Béthune signale de son côté que : « Le 30 mai, l’Action

85
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5547, rapport du commissaire de police de Calais au sous-
préfet de l’arrondissement de Boulogne, 30 avril 1934.
86
L’Humanité, 2 mai 1934
87
L’Humanité, 26 mai 1934
88
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Saint-Omer au préfet du Pas-
de-Calais, 26 mai 1934.

41
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
française a, de nuit, fait déposer à domicile dans les villes de Carvin et d’Hénin-Liétard un
tract "Silence aux assassins"89. »
Le tract dresse la liste des incidents ayant fait des victimes chez les nationalistes et revient sur
l’affaire d’Hénin-Liétard : « A Hénin-Liétard, le 11 avril, 15 camelots du Roi organisent
paisiblement une réunion privée. 3 000 socialistes et communistes dirigés par l’infâme gredin
Pantigny, instituteur à Dourges ; Henri Leclercq, Adjoint au maire d’Hénin-Liétard ; Hanotal
et Jean Legrand, adjoints au maire de Lens ; Lecointe, maire de Montigny-en-Gohelle, se
précipitent à l’assaut de la salle du Palais des Fleurs. A coups de couteaux et de barres de
fer, ils se précipitent en sauvages à deux cents contre un contre les royalistes, deux heures
avant l’ouverture de la réunion. Pour échapper à la mort dans le cas de légitime défense,
dans une salle privée, tous blessés et couverts de sang, les camelots du roi sont obligés de
faire feu ! Français ! Partout, la franc-maçonnerie veut reproduire le massacre du 6 février
en détail dans nos provinces. Les chefs socialistes, les chefs communistes, en grande majorité
sont membres des loges ! Voilà les assassins ! Voilà les responsables de toutes ces morts !
Celle d’Hénin-Liétard comme les autres ! »

Les incidents de Roubaix

Les incidents se multiplient dans la région. Ainsi, le 4 juin, des incidents éclatent à Roubaix à
l’occasion d’une contre-manifestation organisée par les partis de gauche contre une réunion
de l’Entente Républicaine du Nord à laquelle avait été conviée Philippe Henriot, député de
Gironde (et futur secrétaire d’Etat à l’information et à la propagande du régime de Vichy).
Afin d’éviter tout incident, les organisateurs avaient organisé une réunion privée réservée à
leurs adhérents : « il fallait montrer une carte d’invitation pour rentrer » explique l’Egalité de
Roubaix-Tourcoing et la préfecture avait mobilisé « d’importants contingents de gardes
mobiles. Ils étaient, à la fin de l’après-midi, environ 1 50090. » Mais dans le contexte explosif
du moment, ces précautions ne suffisent pas à empêcher les incidents.
Pour l’Humanité, « La riposte de masse était préparée depuis plusieurs jours par le rayon
communiste et le Comité antifasciste qui avaient appelé les ouvriers à se rassembler, dès
18h30, place de la Liberté, près de l’hippodrome. La section socialiste et les syndicats
confédérés n’avaient pas répondu aux appels à l’action commune et avait convoqué les
ouvriers sur un autre point. Malgré cela, l’unité d’action s’est réalisée complète chez les
prolétaires décidés, combatifs, enthousiastes. […] la foule ouvrière grossit sans cesse : 3 000
ouvriers sur le boulevard Gambetta ; au bas du boulevard de Paris, encore 1 500 à 2 000
ouvriers91. »
L’Action Française fustige : « Militants du parti communiste, socialistes adhérents du Front
commun et francs-maçons de tous poils, communiant dans la même foi antipatriotique,
avaient décidé de refaire le coup d’Hénin-Liétard et de rééditer l’odieuse agression. Lebas, le
député-maire de Roubaix, le louche administrateur du Populaire, leur avait promis aide et

89
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-
Calais, 2 juin 1934.
90
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 5 juin 1934
91
L’Humanité, 5 juin 1934

42
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
appui. Aussi dès 17 heures, aux alentours de l’hippodrome où devait se tenir la réunion, des
barrages constitués par les antipatriotes se formaient qui empêchaient les auditeurs de se
rendre à la réunion. Ceux qui insistaient étaient non seulement insultés mais recevaient des
projectiles divers. Des coups de feu furent même tirés. De nombreuses autos ont été
renversées. Ces incidents duraient depuis plus d’une heure quand le nouveau préfet du Nord,
M. Guillou, daigna venir sur les lieux et prendre la direction du service d’ordre, qui était
demeuré jusque là absolument inerte. Les énergumènes de l’Antifrance furent dispersés sans
grand dommage, quoi qu’en dise le sieur Lebas […]. Il y a plus de vingt blessés dont certains
sont dans un état grave. Quelques arrestations avaient été opérées, mais aucune, nous dit-on,
n’a été maintenue92. »
Le quotidien conservateur roubaisien Le Journal de Roubaix consacre sa une et la page 2 à la
conférence de Philippe Henriot et aux incidents et accuse la municipalité socialiste de Lebas :
« Aucune intervention n’est décidée et les manifestants continuent leurs agressions contre
quiconque tente de franchir leur barrage à eux. Les interventions isolées de M. Moulin et des
commissaires de la police spéciale réussissent cependant à éviter que certains porteurs de
cartes soient trop dangereusement frappés. […] Impuissantes, les forces de police mobile qui
n’ont pas la consigne de s’opposer à ces agressions voient celles-ci se multiplier contre
d’inoffensifs citoyens. Les officiers de la garde-mobile eux-mêmes sont écœurés. Mais ils
n’ont pas le pouvoir d’agir car les pouvoirs de police sont détenus par les maires des villes,
on le sait, et c’est à eux de prendre les décisions qui s’imposent93. »
A gauche, l’Egalité de Roubaix-Tourcoing relativise : « Il s’ensuivit, évidemment, quelque
houspillage et des horions furent distribués par ci, par là. Le contact entre les gardes mobiles
et la foule fut parfois un peu rude et des coups de crosse furent assénés à plusieurs reprises,
faisant quelques blessés94. »
L’Humanité, de son côté, se félicite : « ouvriers communistes et socialistes donnent la chasse
aux fascistes et dressent des barricades. » Le quotidien communiste dénonce la complicité
policière : « La police et la garde mobile au service des provocateurs font une vingtaine de
blessés. » titre l’Humanité, qui raconte : « Le commandant de la garde mobile s’efforce de
protéger un groupe de fascistes pour les faire descendre sur l’hippodrome. Il fait mettre les
fascistes en colonnes par quatre : un peloton de gardes mobiles à cheval, par devant, un autre
par derrière ; à droite et à gauche du groupe fasciste, mousquetons en mains, les gardes
mobiles à pied protègent les troupes à Taittinger et autres Maurras : les émules des nazis
n’ont pas l’allure de triomphateurs95. »

D’autres incidents sont à signaler dans les jours qui suivent. L’Action Française dénonce :
« les agressions socialo-communistes se multiplient ». Dans le numéro du 11 juin, le
quotidien royaliste raconte que le 10 juin, à Roubaix, vers 11h30, « un groupe de membres
des Jeunesses patriotes vendant de leurs journaux ont été entourés et attaqués par des
vendeurs de feuilles socialistes et communistes. Au cours de la mêlée, trois membres des

92
L’Action Française, 5 juin 1934
93
Le Journal de Roubaix, 5 juin 1934
94
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 5 juin 1934
95
L’Humanité, 5 juin 1934

43
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Jeunesses patriotes ont été frappés à coups de matraques et ont dû se réfugier dans un
magasin voisin. Des projectiles ont été alors lancés par des extrémistes de gauche contre ce
magasin, dont une glace a volé en éclats96. »
A Denain, dans le Valenciennois, le 11 juin, « une quinzaine de vendeurs de journaux des
jeunesses patriotes ont été attaqués par cent cinquante révolutionnaires. Ils ont dû se réfugier
au poste de police. A leur sortie du poste, ils ont été à nouveau attaqués par les socialistes et
communistes qui étaient environ cinq cents. Les patriotes ont cherché abri dans un café et il a
fallu faire appel à la gendarmerie pour rétablir l’ordre. D’assez nombreux manifestants ont
été blessés légèrement97. »

96
L’Action Française, 11 juin 1934
97
L’Action Française, 12 juin 1934

44
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

DEUXIEME PARTIE

L’ENQUETE ET LES PROCES


A. L’enquête :

La question des armes

La question de l’armement des Camelots du Roi et des militants antifascistes sera largement
débattue lors du procès aux Assises de Saint-Omer, qui se tient du 20 au 22 juin 1934.
Dans la presse de l’époque, les versions divergent. Ainsi, le Petit Journal du 12 avril écrit-il
que : « La police intervint et enferma les camelots du roi dans une salle. Elle procéda ensuite
à une foule minutieuse des auditeurs. On ne découvrit rien sur eux. Mais les assaillants, qui
avaient fui, avaient laissé derrière eux, sur le parquet, cinq revolvers et une dizaine de
matraques plombées. » Pour ce quotidien conservateur, il paraît clair que les armes trouvées
sur place appartiennent aux contre-manifestants.
La presse de gauche conteste du tout au tout cette version. Dans les colonnes du Populaire du
13 avril, on lit que : « La police et le juge d’instruction, M. Masson, sont sous la tribune où ils
ont découvert des chargeurs vides ainsi que, parsemés dans la salle, une dizaine de revolvers.
[…] Les premiers témoins […] sont unanimes […] à certifier que les manifestants ouvriers
n’étaient pas armés. » Le même jour, L’Humanité apporte d’autres précisions « On retrouva 6
chargeurs et 5 revolvers de calibre 7/33. Ces revolvers automatiques à 9 balles n’avaient
jamais servis. Tous portent la même marque belge98. »
On en apprend plus lors de l’audience aux assises de Saint-Omer grâce à l’expert en
balistique : « Le docteur SAGNIER, commis à l’analyse des armes et cartouches ramassées
après les bagarres, précise que les révolvers saisis étaient extrêmement puissants et précis. Ils
pouvaient tuer à 200 mètres et blesser à 300 mètres. Ce sont les meilleures des armes
automatiques actuelles. Il estime qu’au minimum 33 coups furent tirés99. »
Dans une note adressée au tribunal après le procès de Saint-Omer pour réclamer la restitution
des armes confisquées, l’avocat de Jean Théry argumente sur le fait que les revolvers des
Camelots du roi ne sont pas des armes de guerre et que le Parquet n’a en tout état de cause pas
le droit de les détruire : « A la demande de restitution des armes en question, il a été répondu
qu’elles ne pouvaient être restituées, ces armes constituant des armes de guerre et devant, par
suite, être détruites. […] La loi ne donne aucunement au Ministère public le droit de
procéder, de sa propre autorité, à la confiscation et à la vente des armes prohibées. […] Si
donc, comme on le prétend, les pistolets saisis […] sont des armes de guerre, les armuriers ne
peuvent, ni les introduire, ni les vendre en France ; or il est de notoriété publique que les
pistolets de ce modèle, fabriqués en Belgique dans la fabrique d’armes d’Herstal, se trouvent

98
L’Humanité, 13 avril 1934
99
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 21 juin 1934

45
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
chez tous les armuriers et se vendent ostensiblement. […] Si ces pistolets sont ainsi vendus
partout, publiquement, c’est que l’administration ne les considère pas comme armes de
guerre. […] Inutile de dire que ces pistolets ne sont pas des armes règlementaires (c'est-à-
dire des modèles approuvés pour l’armée) ; l’arme règlementaire de l’armée française est le
revolver d’ordonnance, calibre 8 m / m, qui n’est pas en vente dans le commerce. Même si les
armes en question constituaient des armes de guerre, le Parquet n’aurait pas le droit de les
confisquer et de les faire détruire100. »
Si la presse mentionne indifféremment les termes de « revolver » et de « pistolet », les deux
mots ne sont pas exactement synonymes. De fait, un pistolet dispose d'une chambre intégrée
au canon alors qu’un revolver dispose d'un cylindre tournant appelé barillet contenant des
chambres pour des charges ou cartouches individuelles.

Le browning 10/22 est un


pistolet automatique 7,65 mm à
9 coups fabriqués par le
Fabrique Nationale de Belgique
à Herstal.

En plus des armes à feu, la police avait mis la main sur des matraques qui sont examinées lors
de l’audience du 20 juin 1934. Le Populaire note dans son édition du lendemain qu’« on vit
aussi les matraques confectionnées par les camelots du roi, avec un tuyau en caoutchouc
coupé et renforcé de fil de fer. La défense contredisant l’existence des fils de fer, Escoffier et
Delvalle proposent aux avocats royalistes d’essayer ces instruments sur leurs têtes. Ce qui
n’est pas, on s’en doute, accepté. » L’Humanité cite le témoignage de Picavet, le garçon de
café du Palais des Fleurs qui « a vu les camelots du roi découper les matraques101. »
Pour L’Action Française, ce sont les assaillants qui étaient armés de matraques et d’armes à
feu : « M. Pinchart, maréchal des logis de gendarmerie […] a vu dans la salle un blessé – qui
était certainement un Camelot du Roi – et à côté de lui des débris de fonte. […] Le témoin
indique ensuite qu’il a trouvé une matraque rouge.
– Etait-ce la canne d’un Camelot ou d’un communiste ? lui demande M. Vigneron, bien mal
inspiré.
– Je ne pense pas qu’elle appartienne à un Camelot du Roi, répond le témoin. J’en ai souvent
vu de semblables entre les mains des jeunes gardes socialistes102. »

100
Archives Départementales du Pas-de-Calais, 2 U 343, note pour justifier la demande de restitution des
pistolets saisis lors de l’affaire d’Hénin-Liétard, 16 août 1934
101
L’Humanité, 22 juin 1934
102
L’Action Française, 22 juin 1934

46
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Le quotidien conservateur l’Echo de Paris rapporte pour sa part qu’« un autre
révolutionnaire, Mouquet […] a exigé de Mme Carbelin [sic] la clef de la porte du couloir de
son estaminet sous la menace d’un revolver103. »

Les Jeunes gardes socialistes sont l’organisation d’autodéfense de la SFIO, accusée ici par les
camelots du roi et certains témoins d’avoir agressé les royalistes. De fait, l’embrigadement de
militants dans un service d’ordre paramilitaire spécial a toujours gêné communistes et
socialistes.
Alors qu’en Allemagne, au début des années 30, le RFB, le service d’ordre paramilitaire du
KPD compte plusieurs dizaines de milliers de membres afin de protéger les réunions du parti
communiste contre les attaques des SA, les services d’ordre de la SFIO et du PCF n’ont
jamais eu les mêmes dimensions. En 1934, le PCF ne possède pas de formation paramilitaire,
après l’échec du Front rouge, constitué des GDA (Groupes de défense antifasciste) de
l’Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC) et des JGA (Jeunes gardes
antifascistes) des Jeunesses communistes dans les années vingt. Pour expliquer l’échec du
Front rouge, Georges Vidal souligne dans un article consacré à l’autodéfense communiste que
« l’antimilitarisme viscéral, profondément enraciné au sein de la mouvance communiste,
suscite d’emblée hostilité et incompréhension face à cette « mascarade (...) d’anciens
combattants vêtus de tenue ridicule […] Ainsi, les responsables du service d’ordre du parti
ou des Jeunesses communistes refusent toute espèce d’uniforme et critiquent la présence des
GDA dans les manifestations de rue. […] En 1927, la direction du PCF accepte la création
d’un Front rouge qui regroupe, sans grand résultat, les GDA, les JGA, les membres du
service d’ordre et des militants des Jeunesses communistes. Cette nouvelle tentative d’imiter
le KPD exclut toutefois, concession à l’antimilitarisme, le port de l’uniforme104. »
La question de l’autodéfense est théorisée par l’Internationale communiste qui exclut toute
milice parallèle au parti et demande aux organisations de bases, cellules du parti et sections
syndicales d’assurer elles-mêmes la sécurité de leurs réunions et de leurs manifestations. Pour
l’Internationale, l’autodéfense ouvrière ne doit pas être l’affaire d’un petit groupe de
miliciens, mais doit concerner toute la classe ouvrière. En 1933 et 1934, les Cahiers du
bolchevisme, la revue théorique du PCF, consacrent plusieurs articles à la question de
l’autodéfense. Deux articles favorables à une organisation paramilitaire de l’autodéfense sont
publiés dans le numéro de juin 1933 de la revue communiste. Gaston Mornet leur répond dans
le numéro du 15 février 1934 et plaide pour une mise en œuvre réelle des consignes de
l’Internationale par les organisations du parti à tous les niveaux : « Le travail de l’autodéfense
doit être posé sous l’angle d’un travail de masse et non sectaire. […] Les événements vont
vite, il est nécessaire d’insister sur ce travail qui est très en retard105. »
Du côté des socialistes, on dispose depuis 1927 d’une organisation d’autodéfense avec les
Jeunes gardes socialistes (JGS), qui s’inspirent des Jeunes gardes socialistes belges et du
Reichsbanner, l’organisation d’autodéfense du SPD en Allemagne. Pour Danielle

103
L’Echo de Paris, 22 juin 1934
104
Georges VIDAL, Violence et politique dans les années 1930 : le cas de l'autodéfense communiste, in La Revue
historique, n° 640, 2006, pp. 901-922.
105
Les Cahiers du bolchevisme, 15 février 1934

47
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Tartakowsky, « la fédération de la Seine avait chargé ses "jeunesses" de constituer une
"jeune garde" mais tenait à se démarquer de l’engouement pour le port de l’uniforme en
invitant ses membres à ne se distinguer du public que par un brassard pour "ne pas déguiser
ses adhérents en garde-chiourme". En 1931, ces mêmes jeunesses adoptent un uniforme
emprunté à leurs homologues de l’Europe du Nord et défilent pour la première fois devant le
Mur coiffées d’un béret portant les trois flèches et revêtues d’une chemise bleue, d’une
cravate rouge, d’un ceinturon de cuir, d’une culotte de cheval kaki et de bottes. A
contretemps des autres organisations françaises qui toutes ont remisé leurs uniformes aux
accessoires ou les réservent aux seules manifestations identitaires106. »
Nos sources ne nous disent pas combien étaient les jeunes gardes socialistes. Le Populaire
raconte leur intervention pour arrêter et fouiller une sympathisante de l’Action française qui
semblait suspecte aux militants du service d’ordre socialiste : « Une heure après la bagarre,
une dame élégamment vêtue portant une valise et qui était accompagnée d'un petit gamin,
demanda à traverser le barrage de police pour se rendre dans la salle. Un inspecteur de
police, apprenant qu'elle venait de Bully, l'emmena à l'écart. Mais nos jeunes gardes, aux
aguets, arrachèrent brusquement la valise de l'élégante personne et constatèrent qu'elle
contenait des tracts, des journaux et... une matraque. Cet instrument ne fait d'ordinaire guère
partie d'un nécessaire de toilette pour dame107 ! »
A Hénin-Liétard, le responsable des Jeunes gardes socialistes est l’ouvrier Turbant108. Les
sources à son sujet sont contradictoires. Le Maitron distingue un Alfred Turbant, secrétaire
des jeunes gardes socialistes du Pas-de-Calais de 1934 à 1939 sur lequel il n’y a pas d’autre
renseignement et un certain Fernand Turbant, dont le deuxième prénom est justement Alfred,
mécanicien de mine né en 1889, syndicaliste et militant communiste fusillé par les Allemands
en 1941 qui aurait été un ancien conseiller municipal d’Hénin-Liétard. Fernand Turbant
apparaît dans le bulletin municipal d’Hénin-Liétard. Ce conseiller municipal socialiste élu en
1929 sur la liste d’Adolphe Charlon siégeait dans les commissions municipales des finances et
des écoles. Il a démissionné en cours de mandat « pour raisons personnelles » indique le
bulletin municipal109. Les articles de presse sur l’affaire Joseph Fontaine évoquent tous
Fernand Turbant, âgé de 45 ans au moment des faits110, père de quatre enfants111. Fernand
Turbant est mis en cause dans plusieurs témoignages dont celui de Mme Turbelin, la
tenancière du Palais des Fleurs pour avoir été un des instigateurs des affrontements du 11
avril, ce qui lui vaut d’être inculpé pour coups et blessures et port d’arme prohibée avec les
autres manifestants antifascistes et royalistes identifiés et condamné à deux mois de prison et
seize francs d’amende112. S’agit-il du même individu, qui aurait été responsable des jeunes
gardes socialistes après avoir démissionné de son mandat de conseiller municipal et aurait

106
Danielle TARTAKOWSKY, Les manifestations de rue en France (1918-1968), Paris, Publications de la
Sorbonne, 1997.
107
Le Populaire, 16 avril 1934
108
L’Humanité, 22 juin 1934
109
Archives Municipales d’Hénin-Beaumont, 128 W2, Bulletin municipal n°39, avril 1935
110
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 16 juin 1934
111
Le Populaire, 16 juin 1934
112
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 16 juin 1934

48
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
rejoint le parti communiste quelques années plus tard ou de deux homonymes ? Il n’y a pas de
certitude à ce sujet.

Pour ce qui est des armes à feu, il est clair que les seules balles tirées dans la cour du
Café des Fleurs ont été effectivement tirées par les Camelots du Roi en direction des
antifascistes. L’Action Française se justifie en avançant l’argument de la légitime défense :
« Les agresseurs enfoncèrent la porte et se ruèrent sur nos amis, qu’ils attaquèrent à coups
de matraque et de couteau. […] Socialistes et communistes, armés de poignards, de blocs de
fonte, de tuyaux de canalisation rompue, se ruèrent avec une fureur redoublée sur la petite
troupe113 . »
Le lendemain, le quotidien royaliste revient sur l’incident : « Ce n’est qu’à la dernière
extrémité, et alors que presque tous étaient blessés, la plupart de coups de couteau, que des
coups de feu furent tirés114. »
Les royalistes accusent aussi les antifascistes d’avoir tiré des coups de feu, ce que plusieurs
témoignages semblent confirmer. Le Journal de Roubaix cite ainsi le gendarme Bussières, qui
« affirme avoir vu un individu mal vêtu, grimpé sur le toit des dépendances et qui tirait dans
la direction de la gendarmerie ». D’après le témoin, l’homme n’était pas un camelot : « Je ne
le pense pas, car les camelots étaient dans la salle115. »
Joseph Fontaine était-il armé lui-même ? C’est ce qu’un témoin cité par les royalistes affirme
lors de l’audience du 21 juin, aux assises de Saint-Omer : « Fontaine est l’un de ceux qui ont
brisé le poêle dans la salle à manger de Mme Turbelin et que ledit Fontaine est parti dans la
cour armé d’un morceau de fonte116. »
La présence de blocs de fonte dans les mains des manifestants antifascistes est corroborée par
le témoignage du gendarme Bussières : « J’ai vu un autre manifestant tenir dans la main un
morceau de fonte […] Ce n’était pas un Camelot du Roi117. » Pour autant, rien n’indique que
Joseph Fontaine se soit muni lui-même d’un morceau de fonte ainsi que le dit le brigadier de
police Carpentier : « Aucun morceau de fonte ne se trouvait à côté du corps de Fontaine,
contrairement à ce qu’a dit Mme Turbelin118. »
Les accusations portées contre Joseph Fontaine scandalisent l’Humanité : « Gustave Hugot,
maître de briqueterie, secrétaire de la section des camelots du roy d’Hénin-Liétard, vient de
la façon la plus canaille, accuser Joseph Fontaine d’avoir cassé un poêle et de s’être servi de
morceaux de fonte comme projectiles. "Allez plus loin, s’écrie Delvallée, dîtes que c’est
Fontaine qui a tiré sur Fritsch !" […] Acculé dans ses derniers retranchements, Hugot
reconnaît que jamais il n’a eu l’intention de dire que Fontaine a utilisé un morceau de
fonte.119 »

113
L’Action Française, 13 avril 1934
114
L’Action Française, 14 avril 1934
115
Le Journal de Roubaix, 22 juin 1934
116
L’Action Française, 22 juin 1934
117
L’Action Française, 22 juin 1934
118
Le Populaire, 22 juin 1934
119
L’Humanité, 22 juin 1934

49
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Pour les communistes, les coups de feu visaient clairement une personne : leur dirigeant
Nestor Calonne, secrétaire du rayon d’Hénin-Liétard. « Calonne était plus particulièrement
visé par les assassins de l’Action Française. […] Pendant vingt minutes nous déclare-t-il, on
est resté entassé dans le corridor qui donnait accès à la salle. J’étais aux côtés de Joseph
Fontaine. Tout à coup je vis Fritsch qui se trouvait à quatre mètres de moi viser froidement
mon vieux camarade qui tomba sur le côté droit. […] Comme je me relevais, j’aperçus
Fritsch qui braquait son revolver sur ma tête. […] un jeune ouvrier socialiste donna un coup
sur le bras de Fritsch. La balle ricocha et vint s’aplatir sur le mur. Auparavant, j’avais
essuyé quatre coups de feu, la première balle me passa à fleur des yeux120 . »
Le dirigeant socialiste Just Evrard aurait semble-t-il aussi été visé par Fritsch : « Après avoir
tué Fontaine, Fritsch a tiré sur Just Evrard et sur Nestor Calonne. Evrard explique comment
il a ramassé le cadavre de Fontaine. "Il n’avait rien dans les mains, même pas le morceau de
fonte dont ont parlé les défenseurs des camelots du roi." […] Nestor Calonne […] a vu
nettement Fritsch tirer calmement sur les ouvriers. Il est parti en zigzag vers Fritsch pour le
désarmer ; à ce moment, Fontaine tomba à ses pieds. Il prit la tête de Fontaine entre ses
mains et Fontaine lui déclara "Je ne sais pas ce que j’ai !" – "Just Evrard, cria Calonne,
attention, on tire sur toi !"121 »

Légitime défense pour les uns, volonté de tuer pour les autres, les deux versions de
l’incident sont totalement contradictoires et ont dû rendre les jurés perplexes.
Les témoins socialistes et communistes cités par les parties civiles « sont d’accord sur les
points essentiels qui contredisent entièrement la version des camelots : la bagarre du couloir
fut peu grave, mais provoquée par les royalistes des derniers rangs, après quoi, le groupe
d’A.F. se retira brusquement, comme sur un mot d’ordre. Quand eut lieu la fusillade,
plusieurs mètres séparaient nos amis des tireurs qui ne couraient par conséquent aucun
danger. Tous établissent qu’il n’y avait aucun blessé à terre dans la cour. » écrit Le
Populaire, le 22 juin 1934.
« Boniment appris par cœur après avoir été composé, sans nul doute, sous la direction d’un
seul maître » rétorque l’Action Française dans le numéro du 22 juin 1934.
Parmi les éléments les plus troublants soulevés notamment dans Le Populaire dès le 14 avril
1934 figure la question de la convocation envoyée aux ligueurs et qui, pense le journal
socialiste, contiendrait un message caché : « Cher Monsieur, comme convenu, je compte sur
vous pour le 11 avril au soir. […] Tenue : vieux chapeau (de préférence), canne, deux ou
trois journaux dans les poches. Apporter de quoi manger. »
« Les chefs royalistes sont pleins de sollicitude pour leurs valeureuses troupes » commente le
quotidien socialiste. « Hélas, il est plutôt à craindre que ce personnage dont le bon cœur
pousse la modestie jusqu’à l’anonymat, emploie un langage convenu […]. Apporter de quoi
manger, […] pour eux ou pour leurs revolvers ? »
Lors du procès aux assises de Saint-Omer, Maître Delvallée, avocat des parties civiles,
emploiera cet argument que les avocats de l’Action Française s’attacheront à démolir : « A

120
L’Humanité, 16 avril 1934
121
L’Humanité, 22 juin 1934

50
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
l’ouverture de la séance, le président donne lecture d’un télégramme que lui adresse le
président de la section d’Action française de Valenciennes ; celui-ci proteste énergiquement
contre les allégations de Maître Delvallée, qui voulait absolument que le mot sandwich
désignât des armes et lui oppose un démenti formel » peut-on lire dans le numéro du 22 juin
1934 du quotidien royaliste, tandis que l’Echo de Paris ironise sur « l’imagination
féconde122 » de l’avocat communiste.

Les antécédents d’Eugène Fritsch et Jean Théry

Si le doute subsiste sur le double-sens éventuel de la convocation, certains éléments


sont accablants pour les deux co-accusés, Eugène Fritsch et l’industriel lillois Jean Théry.
Dès le 13 avril, l’Egalité de Roubaix-Tourcoing mène l’enquête et dresse un portrait très noir
du principal accusé : « Eugène Fritsch est marié et père de deux enfants ; il habite un
building du Croisé-Laroche, à Marcq-en-Baroeul, 73 avenue Poincaré, non loin de l’église de
Pellevoisin. Il est représentant en machines à écrire et tient un dépôt à Lille, rue de
l’Orphéon. C’est un petit homme brun, nerveux et exalté jusqu’au fanatisme à l’égard des
convictions qu’il a. C’est lui qui lança des boules puantes dans l’hippodrome lillois, lors du
congrès du parti démocrate populaire, il y a deux ans, et c’est son action qui obligea les
congressistes à se réunir au Palais-Rameau. Il se fit remarquer lors des manifestations du 6
février, à Lille et fut arrêté peu après, au cours d’une bagarre qui eut lieu à Roubaix. Les
personnes qui le connaissent personnellement et que nous avons questionnées, mais qui ne
s’intéressent pas à la politique, nous ont dit que le geste meurtrier du Camelot du Roi Fritsch
ne les étonnait nullement, étant donné son état permanent d’exaltation123. »
L’homme a déjà été condamné en mai 1927 pour port d’arme prohibée. En 1932, il est à
nouveau condamné pour violences cette fois pour avoir mis en joue des ouvriers socialistes et
communistes à Evin-Malmaison. Le socialiste Pierre Courtin raconte la scène : « A Evin-
Malmaison, lors des dernières élections, alors qu’il était à côté d’un chauffeur, sur le siège
d’un camion, Fritsch nous avait déjà mis en joue124. »
En 1934, on le retrouve donc à Roubaix où il est arrêté et rapidement relâché pour avoir
attaqué des vendeurs de journaux ouvriers comme le raconte l’Humanité dans son édition du
14 avril 1934.
Jean Théry, que l’Echo de Paris présente comme un « ancien officier aviateur, chevalier de la
légion d’honneur125 » avait déjà été condamné une première fois à huit mois de prison pour
avoir « tenté d’importer des armes de guerre prohibées » comme le signale le quotidien
communiste dans le numéro du 21 juin 1934. L’accusé se défend en expliquant : « C’était
pour parer au mouvement communiste qui m’apparaissait comme particulièrement
dangereux ».
Le fait que « les pistolets étaient tous du calibre 7 mm 65, armes relativement neuves,
cataloguées armes de guerre » ajouté au fait qu’une perquisition au domicile d’Eugène

122
L’Echo de Paris, 22 juin 1934
123
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 13 avril 1934
124
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 13 avril 1934
125
L’Echo de Paris, 21 juin 1934

51
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Fritsch a permis à la police de découvrir un revolver de 6 mm 35 constituaient autant
d’éléments à charge contre les ligueurs royalistes.
Aux assises de Saint-Omer, le président résume : « Vous aviez tous des revolvers de 7 mm 65.
Ils appartiennent à la même série, ils ont été assurément achetés en commun. C’étaient là des
armes que votre parti a distribué à ses adhérents126. »

L’attitude controversée des forces de l’ordre

Dans le contexte post 6 février 1934 – et tous les jours, la presse de l’époque rend
largement compte des débats au sein de la commission d’enquête sur les événements parisiens
du 6 février – il n’est pas surprenant que l’incident d’Hénin-Liétard donne lieu à une
polémique sur l’attitude des forces de l’ordre, chaque camp les accusant de partialité.
Cité par Le Journal de Roubaix, le capitaine Gens, des gendarmes de Lens, explique au
tribunal comment les choses se sont passées : « J’étais, dit-il, chargé du service d’ordre à
Hénin-Liétard, où je suis arrivé vers 17h30 avec cinquante hommes, dont dix cavaliers. A un
certain moment, le commandant Courtelin, qui se trouvait non loin de moi, me cria : "On tire
là-dedans !" Je pénétrais dans l’estaminet du Palais des Fleurs et je m’écriais : "Comment, la
gendarmerie est là et on se bat encore !" 127»
Pour L’Humanité, les gendarmes sont arrivés après la bataille et ont protégé les royalistes :
« Les camelots ont tiré durant une demi-heure. Sans que les gardes mobiles
interviennent. […] Les travailleurs réagirent avec force cependant que gardes mobiles et
gendarmes s’efforçaient visiblement de sauver les assassins. La police, au lieu d’arrêter les
camelots assassins se tourna contre les ouvriers […]. Vers 20 heures, la police se décida à
emmener quelques camelots reconnus par les ouvriers. Ces fascistes ne furent même pas
fouillés ni désarmés. […] La complicité policière est donc très nette128. »
L’Action Française est pour une fois d’accord avec le quotidien communiste pour ce qui est
d’une complicité policière, mais il la voit dans l’autre sens. Pour le journal royaliste, la police
et les gendarmes ont laissé faire les contre-manifestants : « A l’extérieur se trouvait une demi-
douzaine d’agents de police passifs, envoyés par le maire socialiste d’Hénin-Liétard. […]
L’arrivée des gendarmes, qui étaient en réserve loin du lieu du drame, et qui, à aucun
moment, n’étaient intervenus pour empêcher l’agression socialo-communiste, mit un terme à
cette collision sanglante. Mais on arrête les victimes et on refoula leurs amis. […] La soirée
d’Hénin-Liétard apporte une preuve nouvelle de la complicité du bandit Sarraut et des
bandes rouges129. »
La passivité des agents de police est manifeste, d’après le quotidien conservateur l’Echo de
Paris qui cite le témoignage de Mme Turbelin, lors de l’audience du 21 juin : « Les meneurs
lui ont déclaré que si elle ne voulait pas ouvrir la porte, ils l’enfonceraient du dehors. Les
agents de police ont déclaré ne pouvoir intervenir et lorsqu’elle s’est adressée au

126
L’Humanité, 21 juin 1934
127
Le Journal de Roubaix, 21 juin 1934
128
L’Humanité, 12 avril 1934
129
L’Action Française, 13 avril 1934

52
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
commissaire police, celui-ci s’est contenté de hausser les épaules en disant : "Que voulez-
vous que j’y fasse ?"130 »
D’après Le Populaire également, les gendarmes sont intervenus après la bataille : « Les
gendarmes accourent et profitant de l’émotion qui s’est emparée des mineurs, bloquent les
camelots du roi à l’intérieur de la salle, les mettant également ainsi à l’abri des représailles
qu’une population indignée menace d’exercer contre les assassins131. »

Appelés à témoigner lors de la première journée du procès aux assises de Saint-Omer,


le 20 juin 1934, le commissaire de police municipale et les gendarmes durent s’expliquer sur
ces différentes accusations. Leurs déclarations sont ici rapportées par l’envoyé spécial du
Populaire : « Le capitaine Gens, des gendarmes de Lens […] avoue que ses gendarmes ne
sont intervenus qu’après le crime […]. Cette déposition […] est suivie de celle du
commandant de gendarmerie Courtelin qui contrôle le service d’ordre de 50 gendarmes. […]
Et voilà maintenant le commissaire Lacquement, d’Hénin-Liétard, entré en fonctions par un
hasard malheureux le jour même du 11 avril. Il confirme avoir refusé de désarmer les
camelots quand l’adjoint au maire le lui demanda. Comme les gendarmes, il arriva après la
bataille ! […] M. Lacquement, commissaire débutant, s’était fait assister par M. Emile
Moitier, commissaire à Lens, qui vient déposer à son tour. Il confirme que la situation ne
paraissait pas nécessiter le nettoyage des abords du Palais des Fleurs, demandé par la
tenancière de cet établissement. […] La défense essaye d’interpréter la consigne d’organiser
un service d’ordre non apparent comme un ordre aux gendarmes de ne pas intervenir. […]
Adolphe Charlon, maire d’Hénin-Liétard […] précise à son tour que les instructions données
étaient de cacher le service d’ordre, mais non de ne pas intervenir132. »
L’édition du même jour de l’Action Française retient quant à elle que le capitaine Gens était
« frappé par la nervosité de la foule qui stationnait devant l’immeuble et se disait que la
réunion royaliste ne pourrait avoir lieu » mais que pour autant, « il n’a pas fouillé les
manifestants133. »
Cherchant à en savoir plus sur les consignes exactes données aux forces de l’ordre, les avocats
des deux camps demandèrent à entendre le sous-préfet de Béthune : « Maître Degraeve
demande alors au président de convoquer à la barre M. le sous-préfet de Béthune. Maître
Delvallée s’associe à cette demande. La Cour décide de ne pas y donner suite134. »

Au-delà des accusations de partialité venues des deux camps, les faits parlent d’eux-
mêmes. La présence de plusieurs policiers municipaux et de cinquante gendarmes n’a pas
suffi à empêcher qu’une rixe éclate à l’intérieur du Café des Fleurs et qu’elle dégénère en
fusillade avec plusieurs blessés et un mort. On peut s’interroger sur la modestie des effectifs
de police déployés : alors qu’en juin 1930, 150 gendarmes avaient été déployés pour
empêcher une contre-manifestation communiste que nous avons évoquée, les gendarmes sont

130
L’Echo de Paris, 22 juin 1934
131
Le Populaire, 13 avril 1934
132
Le Populaire, 21 juin 1934
133
L’Action Française, 21 juin 1934
134
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 21 juin 1934

53
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
trois fois moins nombreux le soir du 11 avril 1934. On peut supposer que les autorités
préfectorales ont sous-estimé l’ampleur de la manifestation antifasciste et les risques
d’affrontement.
Pour les forces de l’ordre marquées par l’émeute parisienne du 6 février qui fait toujours la
une de la presse en ce mois d’avril 1934, l’affaire d’Hénin-Liétard est incontestablement un
échec du maintien de l’ordre. Cet échec aura servi de leçon aux autorités préfectorales qui
vont mobiliser dans les jours qui suivent des moyens beaucoup plus conséquents que ceux qui
avaient été affectés le 11 avril 1934. Lors des incidents de Roubaix du 4 juin 1934, que nous
avons déjà évoqués, ce ne sont pas cinquante gendarmes qui sont mobilisés, mais 1 500…

B. Les procès :

Après les incidents d’Hénin-Liétard, Eugène Fritsch avait été placé en détention tandis
que Jean Théry était laissé en liberté au grand dam de la presse de gauche pour qui Théry
« jouit […] d’une scandaleuse liberté135. »
A la demande de remise en liberté formulée par l’avocat d’Eugène Fritsch, la chambre du
conseil du tribunal de Béthune rend une décision négative le 27 avril : « Attendu qu’il résulte
du rapport de M. Masson, juge d’instruction, qu’il est indispensable pour les nécessités de
l’instruction de maintenir ce prévenu en état de détention préventive pour une période qu’il
arbitre à un mois. Mais attendu qu’aux termes de l’article 113 du code d’instruction
criminelle modifié par la loi du 7 février 1933, même en matière criminelle, la liberté
provisoire est de droit 5 jours après l’interrogatoire. Attendu que les circonstances
particulières dans lesquelles se déroulèrent les faits qui sont à la base de la poursuite ne
permettent pas de donner au geste de l’inculpé une gravité capable de justifier à son égard
une exception aux principes posés par ledit article 113. Attendu que ses antécédents
judiciaires ne sont pas de nature à rendre sa mise en liberté impossible. Qu’il ne résulte point
de leur examen que Fritsch soit un malfaiteur d’habitude ni qu’il puisse constituer un danger
permanent pour la société. Attendu que les nécessités de l’instruction ne commandent plus
actuellement son maintien en état de détention, qu’il a un domicile certain. Attendu que seul
l’intérêt de la paix publique commande momentanément en raison des manifestations à
prévoir à la date du 1er mai une prolongation de détention qui doit être limitée à dix
jours136. »
Régulièrement, la presse se fait l’écho des progrès de l’instruction confiée au juge Masson et
s’indigne d’une instruction jugée partiale. L’Humanité juge ainsi qu’« Au fur et à mesure de
l’instruction, le juge Masson de Béthune affirme sa complicité avec les assassins de l’ouvrier
communiste Fontaine. Non seulement il n’a pris aucune mesure contre les autres royalistes
assassins, mais, mieux, il a laissé entendre qu’il remettrait le criminel Fritsch en liberté, en
même temps qu’il inculpe plusieurs travailleurs. Appelé à témoigner, l’ouvrier Mouquet a
déclaré : "J’ai vu deux camelots tirer." Formellement, ce travailleur a reconnu Fritsch et

135
L’Humanité, 26 mai 1934
136
Archives Départementales du Pas-de-Calais, 2 U 343, avis de la Chambre du conseil du tribunal civil de
Béthune, 27 avril 1934.

54
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Théry, ce dernier frère d’un assassin qui, à Creil, tua, en 1930, un conducteur d’auto l’ayant
dépassé. Falloure, syndiqué unitaire, déclara : "J’ai vu un grand tirer sur moi." Ce grand,
c’est Théry. Le juge d’instruction n’hésite pas, il inculpe les travailleurs Mouquet et Falloure
de coups et blessures. […] Ce juge sait que vers 17 heures, le soir du crime, un hôtelier mit
l’équipe d’assassins à la porte de chez lui, en les voyant puiser dans une valise garnie de
revolvers, préméditant en cela le crime qu’ils accomplissaient deux heures après. Ça ne fait
rien, pour ce juge à tout faire, aux ordres des compagnies houillères, les assassins vont
bientôt être les victimes 137 ! »
Les organisations ouvrières s’efforcent de faire pression pour que Fritsch soit maintenu en
détention. Le Réveil du Nord revient ainsi dans son édition du 7 mai sur la manifestation de la
veille organisée à Lens par les Jeunesses Socialistes contre la libération prévue de Fritsch et
l’inculpation de Paul Carpentier : « Hier s’est déroulée, à Lens, une manifestation organisée
par la Fédération des Jeunesses Socialistes du Pas-de-Calais, pour protester contre la mise
en liberté de M. Fritsch, inculpé du meurtre de l’ouvrier Fontaine, lors des incidents
tragiques d’Hénin-Liétard et contre l’inculpation de M. Paul Carpentier, secrétaire général-
adjoint des J.S. du Pas-de-Calais. A 16 heures, les groupes des J.S. de Sallaumines, Oignies,
Dourges, Fouquières, Courrières, Vermelles, Grenay etc… se rassemblèrent boulevard Basly.
La section d’Hénin-Liétard fut particulièrement ovationnée. […] M. Carpentier, secrétaire-
adjoint des Jeunesses Socialistes du Pas-de-Calais, à son arrivée à la tribune, reçut une
ovation de ses camarades. Il dénonça "les organisations des Jeunesses Patriotes et des
Camelots du Roi qui ne reculent pas devant le crime pour intimider la classe ouvrière et
regretta l’attitude des chefs communistes qui ont rompu l’unité d’action loyale qui s’était
réalisée à Hénin-Liétard". […] M. Piquet, secrétaire-adjoint de la Fédération socialiste du
Pas-de-Calais, fit constater "que la vie des travailleurs ne compte pas pour les Camelots et
signala que les fascistes sont arrogants dans la région à cause de la division ouvrière". […]
M. Pantigny, secrétaire de la Fédération socialiste du Pas-de-Calais, rappela "que les
Camelots d’Hénin-Liétard étaient armés et que les ouvriers ne l’étaient pas. De plus, avant
les coups de feu, aucun socialiste n’était dans la salle" 138. »
Fritsch n’est finalement pas libéré et quelques jours plus tard, l’Humanité peut se féliciter du
maintien de Fritsch en détention : « L’assassin de Joseph Fontaine, le fasciste Eugène
Fritsch, avait demandé sa libération provisoire. Devant l’émotion créée à Hénin-Liétard et
dans le Pas-de-Calais par la nouvelle que le juge était favorable à cette mesure, le
gouvernement a reculé. Fritsch est maintenu sous les verrous un mois de plus139. »
Les réunions publiques antifascistes organisées durant la période par les organisations
ouvrières sont un moyen de maintenir la pression sur la justice avant l’ouverture du procès.
Ainsi, lors du congrès régional antifasciste qui se tient le 13 mai 1934 à Avion en présence de
83 délégués, on adopte « une résolution de sympathie à la veuve de notre camarade Fontaine
et de protestation contre la mise en liberté du Camelot du roi assassin Fritsch et protestant
contre les inculpations des ouvriers antifascistes Fallour, Mouquet et Carpentier, fut adoptée

137
L’Humanité, 3 mai 1934
138
Le Réveil du Nord, 7 mai 1934
139
L’Humanité, 9 mai 1934

55
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
par acclamation 140. » Parmi les orateurs qui se succèdent à la tribune, on relève les noms du
député de Douai Arthur Ramette et de l’héninois Georges Marouzé, représentant le Secours
rouge international. Le congrès s’achève par une manifestation regroupant un millier de
travailleurs selon l’Humanité.
Le 26 mai, c’est à Montigny-en-Gohelle qu’est organisée une réunion publique du Secours
rouge international. Georges Marouzé « rappelle qu’à la suite des événements d’Hénin-
Liétard, une commission d’enquête fut instituée par les ouvriers pour établir les
responsabilités. Elle a établi déjà la provocation et la préméditation des fascistes protégés
par la police locale d’Hénin-Liétard. Tous les pistolets trouvés sur les fascistes sont de même
calibre et de même marque, ce qui prouve qu’on les avait armés. Fontaine a été assassiné et
cependant Fritsch ne sera poursuivi que pour meurtre alors que les camarades ouvriers qui
n’ont fait que se défendre seront poursuivis pour coups et blessures volontaires. Pour
protester contre cette injustice, il faut que les listes de protestation qui vont circuler se
couvrent de signatures, elles impressionneront les juges, il y a déjà eu des précédents141. »
Cette stratégie de la pression mise en œuvre par les organisations de gauche durant
l’instruction inquiète l’Action française qui s’indigne du sort qui est fait à ses deux militants :
« On nous a téléphoné, hier soir, de Béthune que Jean Théry avait été inculpé de meurtre par
le juge d’instruction. Que signifie cette mesure ? Après le maintien en prison d’Eugène
Fritsch, est-ce une nouvelle satisfaction accordée aux provocateurs révolutionnaires142 ? »
S’étonnant d’une dépêche inexacte de l’agence Havas, le quotidien royaliste y voit la preuve
de pressions politiques pour satisfaire les révolutionnaires et faire condamner les royalistes :
« Deux jours entiers après avoir communiqué une dépêche de Béthune d’après laquelle, au
terme de l’instruction de l’affaire d’Hénin-Liétard, nos amis Eugène Fritsch et Jean Théry
étaient déférés au tribunal correctionnel pour "coups et port d’armes prohibées", l’agence
Havas publie une rectification portant que c’est devant la cour d’assises que nos amis seront
traduits, Fritsch sous l’inculpation de meurtre et Théry de tentative de meurtre. Que signifie
une pareille "erreur" qui n’a pu être rectifiée qu’au bout de quarante-huit heures ? Et
comment se fait-il que les journaux des agresseurs révolutionnaires, le Populaire et
l’Humanité, informés une fois de plus avant tout le monde, étaient en mesure de démentir la
première nouvelle dès hier matin ? Décidément, les conditions dans lesquelles a été menée et
close l’instruction de cette affaire sont de plus en plus étranges. Tout se passe comme si de
puissantes interventions – les mêmes qui ont fait scandaleusement maintenir en prison
Eugène Fritsch et mettre hors de cause les agresseurs – s’étaient produites pour faire
modifier une première décision. Il faudra bien que tout cela soit éclairci143. » Dans le viseur
du quotidien royaliste, le lecteur comprend que ce sont les loges maçonniques, mises en cause
de le tract « Silence aux assassins » distribué par les Camelots du Roi dans le bassin minier
comme étant responsables du climat de troubles politiques, qui sont ici accusées d’avoir
influencé la justice.

140
L’Humanité, 16 mai 1934
141
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 29 mai 1934
142
L’Action Française, 23 mai 1934
143
L’Action Française, 27 mai 1934

56
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Pour le Populaire, qui avait publié la dépêche de l’agence Havas dans son édition du 25 mai
et publie un erratum le lendemain, « les juges populaires vont pouvoir affirmer leur
répugnance à tout crime politique. Le jury châtiera les coupables », mais le quotidien
socialiste se pose lui aussi la question des intentions cachées derrière la dépêche erronée de
l’agence de presse : « peut-on, sous forme de moralité, demander à l’agence Havas, organe
officieux du gouvernement porté au pouvoir par les émeutiers fascistes si la publication de sa
dépêche "erronée" n’avait pas pour but d’assurer aux assassins éventuels le sentiment de leur
impunité ? C’est-à-dire en fait de les encourager144 ? »
Il est plus probable qu’il s’agisse tout simplement ici d’une erreur du rédacteur de la dépêche
de l’agence Havas face à la dissociation de l’affaire d’Hénin-Liétard devant deux juridictions
différentes.
Finalement, le 5 juin, Eugène Fritsch est transféré de la prison de Béthune à la maison d’arrêt
de Saint-Omer où doit se tenir son procès145.

Dans ce contexte de suspicions et de rumeurs, on comprend que les deux procès qui se
tiennent, d’abord le 15 juin devant le tribunal correctionnel de Béthune puis les 20 et 21 juin
assises de Saint-Omer ont tout de procès à sensation.
Le premier acte se joue devant le tribunal correctionnel de Béthune où 22 inculpés sont jugés
pour coups et blessures ou port d’armes prohibées. L’envoyé spécial du Populaire ironise sur
l’impressionnant déploiement de gendarmes qui entoure le palais de justice : « Aimez-vous les
gendarmes ? On en a mis partout. Ils forment en travers de la place Lamartine une guirlande
impressionnante hérissée de carabines. Ils se massent en bouquets casqués et bottés en haut
du perron monumental. Ils bâillent sur les bancs de la salle des Pas-Perdus ou transpirent
dans la salle d’audience146. Dans le contexte de tensions que connaît la région, cet
impressionnant déploiement de gendarmes venus de Béthune, Lens et Liévin a évidemment
pour but de prévenir tout incident aux abords du tribunal.
Pour juger les 22 inculpés, le juge Rogier est assisté comme assesseurs des juges Poulet et
Fortin. C’est le procureur Depis qui représente le ministère public.
L’Action Française donne les noms des 22 inculpés : 3 socialistes (Fernand Turbant, Robert
Mouquet et Paul Carpentier), 3 communistes (Désiré Leclercq, Fallour et Nestor Calonne) et
seize ligueurs (Jean Rose, Fernand Dieu, Henri Petit, Gustave Hugot, Victor Tourbez, Paul
Willefert, Cannoo, Pépiot, Briatte, Charlet, Savoye, Fretin, Lamy, Minet, Brackers d’Hugo et
Halluin).
Dix avocats défendent les ligueurs, dont Maître Pruvost, bâtonnier de Lille et Maître de
l’Etoille, ancien bâtonnier de Béthune. L’Action Française les présente comme « des maîtres
du barreau dont la science juridique, l’art, la riche argumentation feront oublier l’heure
tardive. » Les six manifestants socialistes et communistes sont défendus pour les
communistes par Albert Delvallée, futur conseiller général PCF du canton d’Arleux et son
collègue Wormser, un jeune avocat douaisien et pour les socialistes par Léo Lagrange, député
d’Avesnes et Léon Escoffier. Franc-maçon, ancien député de 1919 à 1928, Léon Escoffier est
144
Le Populaire, 26 mai 1934
145
L’Action Française, 6 juin 1934
146
Le Populaire, 16 juin 1934

57
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
le maire socialiste de Douai depuis 1925. Il livre ici un de ses derniers combats judiciaires :
Escoffier décèdera quelques mois plus tard, en décembre 1934.
Pour l’Humanité, le procès « n’a d’autre but que de chercher à discréditer ou à diminuer ceux
qui, bientôt devant la cour d’assises de Saint-Omer seront – tel Calonne – les accusateurs de
Fritsch et de Théry147. »
Le procès s’ouvre sur un point de procédure soulevé par Delvallée qui « soulève
l’incompétence du tribunal » et « demande le renvoi des accusés en cour d’assises, les
prévenus d’aujourd’hui étant solidaires de Fritsch et de Théry148. » En réponse, un des
avocats de l’Action française prétend que « L’A.F. ayant loué la salle, les camelots y étaient à
leur domicile et par conséquent, ne peuvent être poursuivis pour port d’armes. Au contraire,
dit-il, ils ont été victime d’une violation de domicile149. » Le tribunal se retire pour délibérer et
à se retour se déclare compétent pour juger les accusés.

Suivent ensuite les interrogatoires des 22 inculpés et le long défilé des témoins. Les avocats
des inculpés socialistes et communistes mettent plusieurs royalistes en difficulté comme le
rapporte le journaliste du Populaire : « Un simple exemple de leur bonne foi : le camelot
Halluin a été trouvé porteur de six coups de poings américains, d’une bouteille d’arnica et
d’une poire destinée à projeter dans les yeux des adversaires ce liquide corrosif. Il affirme à
l’audience qu’il a ramassé ces armes par terre dans la salle. Quant à la fiole, elle se trouvait
par un simple hasard dans une poche où il l’avait oubliée ! Sans commentaires150. »
De son côté, le reporter de l’Action Française ne comprend pas qu’il n’y ait pas eu plus de
responsables socialistes et communistes inculpés : « L’adjoint au maire d’Hénin-Liétard
marchait en tête des manifestants. On s’étonne de la voir, comme le nommé Marouzé, à la
barre des témoins, non au banc des prévenus. Mais l’abominable provocateur Pantigny, qui
voulait "scalper les fascistes", n’est-il pas dans les rangs du public où nul gendarme ne
l’inquiète ? L’adjoint Leclerc vante la douceur des rouges. En leur refusant l’accès de la
salle, l’Action française a pris la responsabilité du désordre. Marouzé, l’un des signataires de
l’appel à l’émeute, présente avec aplomb le même boniment151. »
Le quotidien royaliste retient qu’« Aucun des inculpés n’utilisa un revolver. […] Plusieurs
des Camelots présents portent les traces de leurs blessures. Aucun inculpé du "Front
commun" n’a reçu la moindre ecchymose. […] Le gendarme Verhuist a vu commencer le
combat bien avant la mort de Fontaine. […] Mme Turbelin, propriétaire du Palais des Fleurs
[…] a vu Turbant s’armer d’un couteau et frapper. Avant toute bagarre, ils criaient : "A
mort ! A mort !" 152.»
Après avoir entendu le procureur de la République, qui renvoie les accusés dos à dos et les
plaidoiries des avocats, il est une heure du matin quand le tribunal se retire pour délibérer. Le
jugement est rendu le lendemain.

147
L’Humanité, 17 juin 1934
148
L’Action Française, 17 juin 1934
149
Le Populaire, 16 juin 1934
150
Le Populaire, 16 juin 1934
151
L’Action Française, 17 juin 1934
152
L’Action Française, 17 juin 1934

58
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Il y a 18 condamnés – les six antifascistes et douze royalistes – et quatre acquittés chez les
Camelots du Roi. Côté communiste, Nestor Calonne est condamné à quinze jours de prison
avec sursis, Léon Falour à trois mois avec sursis et Désiré Leclercq à deux mois avec sursis.
Côté socialiste, Paul Carpentier écope de 40 jours de prison avec sursis, Fernand Turbant de
deux mois sans sursis et 16 francs d’amende et Robert Mouquet de deux mois avec sursis.
Côté royaliste, Jules Savoyes, Jean Cannoo, Victor Tourbez et Jean Brackers d’Hugo sont
acquittés. Paul Willefert est condamné à un mois de prison avec sursis, Yves Lamy à deux
mois avec sursis, Gustave Hugot à un mois sans sursis et 25 francs d’amende, Philippe Briatte
à deux mois avec sursis, tout comme Guy Petiot, Jean Minet, Christian Charlet et Jean Rose.
Fernand Dieu est condamné à trois mois sans sursis et 25 francs d’amende, Henri Fretin à un
mois de prison avec sursis et Gustave Halluin à trois mois de prison sans sursis.
Le verdict ne satisfait personne, pas plus l’Humanité qui titre sur le « scandaleux verdict du
tribunal de Béthune : la PRISON pour les ouvriers antifascistes, l’ACQUITTEMENT pour
4 camelots du roi 153 » que l’Action Française qui s’indigne en première page d’« un
jugement scandaleux qui supprime le droit de légitime défense. »

C’est le 20 juin 1934 que s’ouvre le second procès, devant la cour d’assises de Saint
Omer, qui concerne cette fois Eugène Fritsch, inculpé du meurtre de Joseph Fontaine et Jean
Théry, inculpé pour tentative de meurtre sur la personne de l’ouvrier Puchois. Pendant les
trois jours de débat, le procès de Saint-Omer est suivi par de nombreux journalistes de la
presse locale et de la presse nationale.
L’Echo de Paris fait partie des journaux qui ne comprennent pas la tenue de deux procès
différents, en correctionnelle et aux assises, pour juger de la même affaire, mais avance une
explication : « Pourquoi deux parties dans une seule et même affaire. Nul ne le sait. Certains
ont trouvé dans cette étrange décision de la Chambre des mises en accusation, la preuve d’un
savant jeu de bascule qui aurait eu pour effet d’atténuer par la jonction en correctionnelle,
l’effet produit dans certains milieux par l’acquittement possible en Cour d’assises154. »
Ce procès à sensation s’ouvre dans une ville « en état de siège » rapporte l’Humanité :
« Depuis mardi matin, Saint-Omer est en véritable état de siège ; quelle que soit la rue que
l’on parcoure, on se heurte à des barrages de gardes mobiles. Quant aux policiers en civil, ils
foisonnent, tous les passants sont dévisagés155. » L’Action Française refuse de parler d’état de
siège, mais ne dit pas autre chose : « Des gendarmes à toutes les issues arrêtent les voitures et
leur interdisent l’accès du centre, où tous les carrefours sont occupés par les gardes mobiles
armés du mousqueton. De nombreux gardes à pied et à cheval se tiennent en réserve. Des
patrouilles d’infanterie et de cavalerie parcourent incessamment les rues. Les abords du
tribunal sont gardés par de forts détachements156. »
Le quotidien conservateur l’Echo de Paris explique le déploiement de forces de police par les
menaces qui seraient le fait des organisations de gauche : « Depuis quelques jours, les témoins
dont les dépositions au cours de l’instruction avaient été favorables aux royalistes sont l’objet

153
L’Humanité, 17 juin 1934
154
L’Echo de Paris, 21 juin 1934
155
L’Humanité, 21 juin 1934
156
L’Action Française, 21 juin 1934

59
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
de menaces de la part des révolutionnaires. C’est ainsi que Madame Carbelin [sic],
propriétaire du café où avait lieu la réunion, a pu lire sur la façade de sa maison : "Prends
garde à Saint-Omer. Gare à toi." On apprend d’autre part que le président du jury a reçu ce
matin deux télégrammes adressés par le parti socialiste-communiste de Cambrai et par le
Comité antifasciste de Liévin. Le premier est ainsi conçu : "Exige sévère condamnation
assassins Fritsch et Théry." L’autre a été rédigé dans le même sens157. »
C’est le juge Jannaut qui préside le tribunal et le procureur Vigneron, qui vient d’être
nommé substitut au parquet général à Douai, qui représente le parquet158.
Les deux accusés sont « encadrés de deux gendarmes et de six gardes mobiles commandés
par un lieutenant159. »

Eugène Fritsch et Jean Théry


devant la cour d’assises de
Saint-Omer
(Regards, 29 juin 1934)

La veuve de Joseph Fontaine est représentée par les avocats Albert Delvallée et Wormser. La
ville d’Hénin-Liétard, également partie civile, est représentée par Léon Escoffier. Quant à
Eugène Fritsch et Jean Théry, ils sont représentés par trois avocats : Marie de Roux, Charles
Degrave et de l’Etoille.

157
L’Echo de Paris, 21 juin 1934
158
Le Matin, 23 juin 1934
159
L’Action Française, 21 juin 1934

60
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

Léon Escoffier, maire de Douai depuis


1925, est l’avocat de la ville d’Hénin-
Liétard lors du procès de Saint-Omer.

La première journée du procès est consacrée à l’interrogatoire des accusés et aux


premières dépositions des témoins : manifestants antifascistes, gendarmes et ligueurs – en tout
78 témoins – se succèdent à la barre.
L’Echo de Paris rapporte qu’« Un premier incident se produit au moment de l’appel des
témoins. Maître Marie de Roux excuse M. Franklin-Bouillon, retenu près de sa mère,
gravement malade. L’avocat communiste Delvallée veut voir dans cette absence une
dérobade, et des murmures traduisent l’indignation de l’assemblée devant une telle
grossièreté160. » Ancien ministre entre septembre et novembre 1917 dans le gouvernement
Painlevé, Henry Franklin-Bouillon est député radical-socialiste de Seine-et-Oise depuis 1910.
Hostile aux formules de cartel des gauches et favorable à des alliances dites d’ « union
nationale » avec la droite, il quitte le parti radical en 1927 et siège comme député non-inscrit
depuis 1932.
On assiste à un défilé de personnalités dont Marcel Cachin et Arthur Ramette dont la
déposition donne lieu à un incident d’audience rapporté par l’Action Française : « se laissant
entraîner par les flots de son éloquence de mauvais goût, il termine sa déposition par cette
menace directe à la Cour et au jury : Au cas où la justice ne serait pas faite dans cette
enceinte, la justice populaire se fera elle-même. […] Alors, sans enthousiasme, la Cour est
contrainte est forcée d’en prendre acte. Mais le procureur de la République se garde bien de
requérir contre cet outrage à la magistrature161. »
Côté Action française, on annonçait la présence de Philippe Henriot et de Jean Ybarnégaray,
deux députés proches des ligues nationalistes, qui sont finalement absents162.

160
L’Echo de Paris, 21 juin 1934
161
L’Action Française, 21 juin 1934
162
L’Humanité, 22 juin 1934

61
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Le deuxième jour est consacré à la suite des dépositions des témoins et le troisième jour se
termine par le réquisitoire du procureur Vigneron et les plaidoiries des avocats des parties
civiles et des deux co-accusés.
Le défilé des témoins et le caractère contradictoire des témoignages a laissé certains
journalistes dubitatifs, à l’image de l’envoyé spécial de l’Intransigeant qui écrit qu’« On a, en
effet au prix d’une très lourde séance, épuisé la liste des 80 témoins. On s’est aperçu, en fin
de compte, qu’il aurait suffi de convoquer deux personnes judicieusement choisies dans le lot,
une d’extrême droite et une d’extrême gauche, et de faire ensuite un cocktail de leurs deux
déclarations. Le jury ne se serait pas trouvé en face de ces témoignages de gens qui venaient
souvent avec la meilleure foi du monde, dire des choses tellement contradictoires qu’on ne
comprenait plus rien163.»
Dans les colonnes de l’Action Française, les mots se font violents contre les avocats des
parties civiles : « Un troisième avocat rouge vient renforcer la partie civile, le Juif Wormser
[…]. Delvallée, dont le bagout lasse la patience de ses amis eux-mêmes et dont la vulgarité
écœure les plus indulgents […] s’attire des volées de bois vert de la part de nos avocats et
d’amicales invitations au calme de la part de son collègue, le gras et gros jovial Escoffier
[…]. Cet Escoffier, sous la robe d’avocat, évoque le grand clown qu’il eut pu devenir s’il
avait opté pour le cirque au lieu de choisir le barreau164. » Pour le quotidien royaliste qui
accuse le procureur de partialité, « l’accusation s’effondre ».
Au troisième jour du procès, le procureur, dans son réquisitoire estime qu’il y a suffisamment
d’éléments pour condamner Fritsch et Théry : « M. Vigneron rappelle le passé de Fritsch
[…]. Le procureur de la République dit que les communistes ont eu incontestablement tort de
pénétrer dans le couloir du café […]. Il appartenait à la tenancière du café ou à la police de
les faire sortir, mais il n’appartenait pas aux camelots du roi de se faire justiciers eux-mêmes
[…]. Il demande que soient retenus les crimes relevés contre les inculpés en ne s’opposant
pas, toutefois, aux circonstances atténuantes, les communistes ayant leur part de
responsabilité165. »
Maître de Roux plaide de son côté la légitime défense et demande l’acquittement. L’avocat de
l’Action française est suivi par les jurés qui rendent un verdict négatif et acquittent les deux
co-accusés.
Le procès n’est pas fini pour autant puisque s’ils échappent à une condamnation pénale, les
deux co-accusés pourraient être amenés à payer des réparations à la famille de la victime.
Pour la veuve Fontaine, Maître Wormser réclame 300 000 francs de réparations : « Après une
heure de délibération, c’est-à-dire vers minuit un quart, la Cour accorde à la partie civile une
somme de 50 000 francs, et dit que Mme Fontaine supportera les frais de l’instance
criminelle166. »

163
L’Intransigeant, 23 juin 1934
164
L’Action Française, 22 juin 1934
165
Le Petit Journal, 23 juin 1934
166
La Croix, 24 juin 1934

62
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

La veuve de Joseph Fontaine lors


du procès de Saint-Omer
(Regards, 29 juin 1934)

Il faut ajouter que le propriétaire du Palais des Fleurs réclamait des dommages et
intérêts à la ville d’Hénin-Liétard. Le Conseil Municipal, réuni le 29 juin 1934 ouvre donc un
crédit de 10 000 francs pour payer les dommages occasionnés par la manifestation du 11 avril.
L’avocat de la ville d’Hénin-Liétard, Léon Escoffier, est chargé de défendre les intérêts de la
commune dans cette affaire pour laquelle le tribunal mandate un expert afin d’évaluer le
montant des dégâts et des bris de glace au Palais des Fleurs. A titre estimatif, le Conseil
Municipal inscrit au budget la somme de 4 000 francs pour les dégâts au Palais des Fleurs, à
laquelle s’ajoutera une somme de 1 220 francs pour les bris de glace chez Mme Halluin, une
habitante de la place Carnot, à l’occasion de la manifestation du 25 juin qui a suivi l’annonce
du verdict de Saint-Omer 167.

C. Des verdicts qui ne passent pas :

Le Populaire parle d’un « verdict infâme » et d’une « capitulation de la conscience


morale ». Pour le quotidien socialiste, certains jurés étaient sans doute acquis dès le début à
l’Action française, d’autres ont pu être l’objet de pressions, d’autres enfin ont pu être
convaincus par « l’habile et peu scrupuleuse plaidoirie de maître Marie de Roux168. »
L’Humanité se révolte : « 50 000 francs de dommages-intérêts doivent être versés par
l’assassin Fritsch à la veuve de notre camarade Fontaine. Mais cet individu est insolvable
alors que Théry, industriel, aurait pu payer […]. Voilà pourquoi le jury n’a pas condamné
solidairement les deux camelots criminels169. »
Pour le quotidien communiste, « l’odieux verdict de Saint-Omer » s’explique en partie par la
composition du jury qui compte plusieurs propriétaires et employés, mais aucun ouvrier
d’usine. Il en conclut qu’il est nécessaire « de gagner les classes moyennes, de les convaincre

167
Archives Municipales d’Hénin-Beaumont, 1 W19, Registre des délibérations du Conseil Municipal d’Hénin-
Liétard (1932-1936)
168
Le Populaire, 24 juin 1934
169
L’Humanité, 24 juin 1934

63
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
et de les arracher au fascisme ». C’est l’analyse d’Arthur Ramette, député de Douai depuis
1932 qui raconte pour le magazine communiste Regards le procès de Saint-Omer lors duquel
il est venu témoigner à la barre :

Arthur Ramette, député de Douai depuis


1932, est un des dirigeants du Parti
communiste dans le Nord. Il témoigne lors
du procès de Saint-Omer.

« Les douze jurés sont là devant moi ; je les regarde, je les scrute du regard. Ils sont
impénétrables pour la plupart. Quelle couche sociale représentent-ils ? Ils appartiennent aux
classes moyennes presque tous : un cultivateur, des commerçants, des propriétaires, des
employés de mines, toute une catégorie de gens que la propagande prolétarienne ne touche
que rarement parce que les partis révolutionnaires sont trop souvent quelque peu sectaires à
leur égard. Le capitalisme a tendu une barrière entre eux et nous ; nous, nous n’avons rien
fait pour la rompre et établir des liens solides avec eux. La démagogie des journaux
bourgeois a prise sur eux. Elle corrompt leur jugement. Ils ne nous voient qu’à travers le
prisme déformant qu’on a mis sur leurs yeux. Nous sommes des "bandits", des "trublions" ;
nous sommes encore les "hommes au couteau entre les dents". Pour eux, les affaires marchent
mal parce que les ouvriers gagnent trop, parce que leurs filles portent des bas de soie
artificielle, parce qu’ils ne font que huit heures par jour. Quant aux chômeurs, ce sont des
paresseux. […] Pour eux, Fontaine est un de ces ouvriers-là. Bah ! un de plus, un de
moins170… »
Il faut s’arrêter sur l’analyse d’Arthur Ramette, qui est d’un grand intérêt pour comprendre le
tournant du Parti communiste. Dès le mois d’avril 1929, lors du congrès de La Bellevilloise, à
Saint-Denis, Ramette, alors secrétaire à l’organisation de la région Nord et secrétaire du rayon
de Lens, avait demandé un aménagement de la politique « classe contre classe » dans les
départements où la SFIO était bien implantée dans la classe ouvrière. Ce faisant, Ramette
s’oppose à Benoît Frachon et Maurice Thorez, mais il se voit néanmoins confier la
responsabilité de la région après la démission du précédent responsable qui était hostile au

170
Regards, 29 juin 1934

64
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
principe même de la politique « classe contre classe ». L’analyse de Ramette sur la nécessité
de gagner les classes moyennes préfigure la main tendue de Maurice Thorez dans son célèbre
discours du 17 avril 1936, à la veille des élections législatives : « Nous te tendons la main,
catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques parce que tu es
notre frère et que lu es comme nous accablé par les mêmes soucis. Nous te tendons la main,
volontaire national, ancien combattant devenu croix de feu parce que tu es un fils de notre
peuple que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux comme
nous éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe. […] Nous communistes, qui
avons réconcilié le drapeau tricolore de nos pères et le drapeau rouge de nos espérances,
nous vous appelons tous, ouvriers, paysans et intellectuels, jeunes et vieux, hommes et
femmes, vous tous, peuple de France, à lutter avec nous et à vous prononcer le 26 avril171. »

Pour l’Action Française, l’épilogue du procès de Saint-Omer est une victoire


judiciaire, même si le quotidien royaliste s’insurge : « Un arrêt illégal de la Cour condamne
Fritsch, acquitté, aux dommages et intérêts172. »
Bien conscientes des risques de troubles que pouvait produire le verdict d’acquittement, les
autorités mettent sous surveillance le domicile lillois de Jean Théry : « Le bruit courait hier
après-midi à Lille, qu’une délégation de camelots du Roi, se proposait de se rendre au
domicile de Jean Théry, 8 rue de Jemmapes à Lille, pour congratuler ce dernier et lui
remettre des fleurs. En prévision des événements que cette démarche était de nature à
provoquer, la sûreté lilloise prit toutes les mesures utiles pour éviter le scandale possible.
Deux inspecteurs de la sûreté surveillèrent la rue de Jemmapes […]. M. Entremont, le
nouveau chef de la sûreté se rendit sur les lieux […]. La maison était vide et on apprit dans la
soirée qu’une réception intime avait été organisée dans le courant de l’après-midi, dans les
locaux de l’Action Française, rue des Debris Saint-Etienne, à Lille, et qu’outre des
allocutions, une gerbe de roses rouges avait été offerte à M. Jean Théry 173. »

Dans un rapport du 23 juin adressé au préfet du Pas-de-Calais, le sous-préfet de


l’arrondissement de Béthune s’inquiète : « Malgré la propagande active faite par le comité
d’Hénin-Liétard, la manifestation du 20 juin qui s’est déroulée dans cette ville à l’occasion
du procès de Fritsch et de Théry n’a eu aucun succès : 250 personnes seulement y ont pris
part. A cette occasion, le parti communiste de Montigny-en-Gohelle avait organisé une
réunion ; les assistants devaient se rendre en cortège à Hénin-Liétard, 13 personnes
seulement se sont présentées, devant cet insuccès il fut décidé que cette réunion n’aurait pas
lieu. […] L’acquittement des royalistes Fritsch et Théry va probablement rompre cette trêve.
Le verdict n’a été connu qu’aujourd’hui. Il n’est pas possible d’en mesurer dès maintenant les
répercussions. Mais il est certain que cette décision va donner ample matière à nouvelle

171
Discours prononcé sur Radio Paris le 17 avril 1936, repris dans Les Cahiers du bolchevisme, 15 mai 1936
172
L’Action Française, 23 juin 1934
173
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 24 juin 1934

65
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
agitation et augmenter considérablement l’effectif de ceux qui manifesteront contre le
fascisme, le dimanche 1er juillet à Hénin-Liétard 174. »
De fait, dès le verdict connu, des manifestations ont lieu à Hénin-Liétard, les 24 et 25 juin
1934 pour protester contre l’acquittement de Fritsch et Théry : « Dimanche à Hénin-Liétard,
plusieurs centaines de travailleurs ont manifesté, à l’appel du Parti Communiste et du comité
antifasciste, contre les verdicts infâmes de Saint-Omer et Béthune. Lundi, à 6 heures, une
nouvelle manifestation groupa 2 000 travailleurs devant le Palais des Fleurs. Les mineurs, les
femmes de mineurs et les ménagères ont clamé leur volonté de venger Fontaine. Puis les
travailleurs parcoururent la cité prolétarienne, et un meeting se tint à la salle de la
Coopérative, où prirent la parole des ouvriers socialistes et communistes175. »
Plusieurs manifestations de soutien ont lieu dans la région, comme à Roubaix, le 29 juin
1934 : « Le Comité local roubaisien de lutte contre la guerre et contre le fascisme avait
organisé, hier soir, une manifestation publique réclament la libération de Thaelmann,
emprisonné dans les geôles allemandes, et pour protester contre le verdict d’acquittement des
membres de l’action française Fritsch et Théry. A 19h30, un important cortège de près de
cinq cents manifestants se forma place de la Gare et parcourut les rues de l’Alouette, de
l’Epeule, des Arts, des Fleurs, du Bois, pour atteindre la rue de l’Hospice, où dans la salle
Municipale des Fêtes se tint un meeting176. »
A Hénin-Liétard, une nouvelle manifestation est programmée pour le 1er juillet, mais elle est
interdite par arrêté préfectoral, provoquant l’indignation des antifascistes.
L’arrêté préfectoral est en effet dépourvu d’ambiguïté : « Considérant qu’une manifestation
organisée par le parti socialiste SFIO et la CGT pour protester contre le fascisme doit avoir
lieu à Hénin-Liétard, le dimanche 1er juillet, considérant que d’autres groupements ont
annoncé leur intention d’organiser une contre-manifestation, considérant que de graves
événements se sont déjà déroulés à Hénin-Liétard le 11 avril dernier, considérant que les
manifestations prévues dimanche prochain, sont susceptibles de compromettre à nouveau et
gravement l’ordre et la tranquillité publique […] Arrête. Article premier. Les manifestations
qui devaient avoir lieu dimanche 1er juillet à Hénin-Liétard sont et demeurent interdites.
Article 2. Sont également interdits toutes réunions publiques, tous rassemblements, cortèges
ou attroupements sur le territoire de cette commune pendant la journée du 1er juillet177. »
Devant l’interdiction de manifester et l’annonce de la mobilisation de 2 000 gardes mobiles,
socialistes et communistes se divisent sur l’attitude à adopter.
Le Populaire du 29 juin 1934 dénonce le « coup de force préfectoral » : « M. Rochart, préfet
du Pas-de-Calais, vient de prendre un arrêté interdisant toute manifestation de rue et même
toute réunion publique. Une fois de plus, le gouvernement de "trêve et d’union" se montre
sous son vrai jour de gouvernement pré-fasciste ! Nos amis ont, devant ce coup de force,
décidé de tenir à la place du meeting en plein air, une réunion privée salle Voltaire 178 ».

174
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 23 juin 1934.
175
L’Humanité, 27 juin 1934
176
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 30 juin 1934
177
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, arrêté du Préfet du Pas-de-Calais, 27 juin 1934.
178
Le Populaire, 29 juin 1934

66
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Même indignation du côté communiste où Marouzé et Calonne mettent en cause la frilosité
des socialistes. Ils écrivent ainsi dans L’Humanité qu’« Une délégation du comité antifasciste
s’est rendue à une réunion du comité d’organisation de la manifestation pour y faire des
propositions d’action commune, même sans aucune critique de la part de nos organisations
révolutionnaires. Le comité d’organisation, comprenant des éléments socialistes et
réformistes, a refusé d’entendre la délégation. Par cela même, il ne tient pas ses engagements
de manifester dimanche 1er juillet179. »
Solution de repli imaginée par la SFIO, la CGT et la Ligue des Droits de l’Homme, la
« réunion privée » est également interdite. Le communiqué de la préfecture précise que
« L’arrêté préfectoral du 27 juin 1934 interdisant les réunions publiques sur le territoire
d’Hénin-Liétard, s’applique à la réunion projetée par le parti S.F.I.O. et la C.G.T., Salle des
Fêtes, rue Voltaire, le 1er juillet. Le préfet l’a du reste fait connaître aux organisateurs au
cours de l’audience qu’il leur a accordée aujourd’hui180. »
Face à la fermeté préfectorale, socialistes et confédérés renoncent à manifester et à tenir le
meeting de la Salle des Fêtes. Le train spécial affrété par Roger Salengro et les socialistes
lillois auprès de la Compagnie du Nord, qui devait transporter les Jeunes Gardes lillois est
annulé181.
Les autorités sont bien décidées à faire appliquer l’arrêté préfectoral, par la force s’il le faut,
au grand dam des organisations ouvrières. Ainsi, des incidents éclatent le 1er juillet à
Montigny-en-Gohelle, la ville voisine d’Hénin-Liétard : « Des incidents révoltants se sont
produits cet après-midi à Montigny-en-Gohelle, petite commune proche de Lens, dont la
municipalité est communiste. Une réunion avait été annoncée par tracts et devait avoir lieu à
17 heures dans la salle des Fêtes. Prenant prétexte d’un arrêté du préfet interdisant la
réunion, gardes mobiles et gendarmes occupaient les rues. Des charges d’une brutalité inouïe
eurent lieu, au cours desquelles plusieurs travailleurs furent grièvement blessés. Les
travailleurs eurent cependant gain de cause et après avoir courageusement résisté à l’émeute
policière, ils tinrent leur réunion comme prévu182. »
Dans son rapport sur cet incident, le sous-préfet de Béthune écrit au préfet que : « Malgré
l’arrêté préfectoral interdisant les manifestations et réunions publiques dans la région
d’Hénin-Liétard, 200 manifestants communistes ont réussi à se grouper à Montigny-en-
Gohelle le 1er juillet. Au cours des interventions du service d’ordre plusieurs gardes mobiles
ont été blessés par des briques, pierres, et tessons de bouteilles lancés par les manifestants,
du côté de ces derniers, on compte trois blessés183. » Dans son rapport qu’il envoie au
Ministre de l’Intérieur, le Préfet du Pas-de-Calais apporte d’autres précisions : « A Hénin-
Liétard, les socialistes ont renoncé à la démonstration anti-fasciste qu’ils devaient faire hier,
et que j’avais interdite en raison des troubles possibles. Par contre à Montigny-en-Gohelle,
malgré mon arrêté interdisant toute manifestation, 400 communistes formèrent un cortège et

179
L’Humanité, 29 juin 1934
180
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 30 juin 1934
181
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 29 juin 1934
182
Le Populaire, 2 juillet 1934
183
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 7 juillet 1934.

67
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
après avoir élevé une barricade, tinrent en échec, pendant quelques instants, les forces de
police qui voulurent les disperser. Les renforts amenés d’Hénin-Liétard enlevèrent la
barricade, mais les manifestants se réfugièrent dans la mairie qui leur avait été ouverte par le
Maire communiste et y tinrent une courte réunion, à l’issue de laquelle ils se dispersèrent,
sans incident184. »
A Hénin-Liétard, la réunion prévue par la SFIO a finalement lieu à la Salle des Fêtes, mais le
5 juillet devant environ 250 auditeurs. Dans le rapport qu’adresse le sous-préfet de Béthune au
préfet du Pas-de-Calais le 7185, les autorités retiennent qu’à la tribune, André Pantigny a « fait
le procès du jugement correctionnel de Béthune et du verdict de Saint-Omer », mais a
cependant appelé à « se conformer à l’interdiction des manifestations publiques » proposant
de contourner l’interdiction en les remplaçant par « des réunions privées ». Ironique, Pantigny
propose aux militants présents de se défendre en allant « se procurer gratuitement une arme à
feu en s’inscrivant à la Solidarité française à Arras ». Le sous-préfet ajoute que « quelques
communistes qui s’étaient présentés pour y assister se sont vus refuser l’accès de la salle. Il
n’en est résulté aucun incident. »
Le bras de fer entre les communistes, décidés à braver l’interdiction préfectorale et à
apparaître ainsi comme les plus déterminés, et les autorités qui entendent appliquer avec
fermeté l’interdiction de manifester se poursuit à l’occasion de la manifestation antifasciste
prévue le 8 juillet à Lens. Les communistes distribuent un tract dans lequel ils écrivent que
« Les Fédérations et Sections socialistes et la Région et cellules communistes de la Région
parisienne, du Douaisis, d’Hellemmes, de Caudry, de Marseille etc… ont réalisé le front
unique pour mener la lutte contre le fascisme menaçant. A leur exemple, soudons nos efforts
et organisons notre Unité d’action pour une manifestation de force antifasciste dimanche 8
juillet à Lens. Contre l’acquittement des assassins Fritsch et Théry, contre la condamnation
des antifascistes d’Hénin-Liétard et du jeune Benoît Olszanski, pour le désarmement et la
dissolution des ligues fascistes, pour la libération de Thaelmann et le soutien du prolétariat
allemand, pour toutes les revendications des travailleurs, chômeurs et petits commerçants, en
masse, descendez au rassemblement au bas du Boulevard Basly à Lens à 4 heures le 8
juillet. »
Le texte du tract, distribué aux abords des fosses de la région lensoise par le Parti
communiste186 est intéressant : sur les cinq arguments avancés par les auteurs du tract pour
convaincre les ouvriers de manifester, seul le dernier mentionne des revendications de nature
sociale, les quatre autres mettant l’accent sur la lutte antifasciste et faisant implicitement le
lien entre la situation française (la mort de Joseph Fontaine, son acquittement par la justice et
les expulsions) et la situation internationale avec l’emprisonnement de Thaelmann par le
régime nazi.

184
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 2 juillet 1934.
185
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5568, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 7 juillet 1934.
186
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 7 juillet 1934.

68
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
La volonté de mobilisation du Parti communiste se heurte cependant à un arrêté préfectoral
qui risque de dissuader une grande partie des militants de se rendre à une manifestation
interdite. Le rayon communiste de Lens doit donc adresser une circulaire à ses secrétaires de
cellule pour les appeler à braver l’interdiction : « Nous apprenons que le Préfet interdit notre
manifestation de Lens le 8 juillet. C’est un nouveau coup de force contre nos organisations et
le prolétariat et un pas de plus dans la voie du fascisme. Si les travailleurs se laissent
intimider par de semblables arrêtés draconiens sans réagir avec vigueur, c’en serait fini du
droit de se réunir, de manifester et partant, laisser la rue aux assassins fascistes. C’est
pourquoi, nous vous demandons de ne pas tenir compte de n’importe quels communiqués qui
paraîtraient dans la presse, relatifs à notre manifestation. Nos camarades ne doivent en
aucune façon se démobiliser, mais au reçu de cette circulaire, ils doivent immédiatement, par
tous les moyens dont ils disposent, aviser les travailleurs de venir à Lens le 8 juillet à 16
heures au point de rassemblement prévu. Les secrétaires de cellules, de sections syndicales et
les militants, se mettront sur place en liaison avec les responsables et toutes communications
leur seront données concernant la tactique que nous emploierons pour manifester, pour faire
entendre la voix du prolétariat de notre région contre les odieux verdicts de Béthune et Saint-
Omer, contre le fascisme, contre le gouvernement de décrets-lois et contre les interdictions de
réunions et manifestations ouvrières. […] Les membres du comité de rayon et la C.E. de
l’Union locale sont priés d’assister à la réunion samedi 7 juillet à 17 heures au siège.
Présence absolument nécessaire. »
Devant la détermination des communistes, les autorités prévoient des renforts policiers afin
d’assurer le maintien de l’ordre. Le sous-préfet de Béthune demande ainsi au Préfet du Pas-
de-Calais : « Sept pelotons à cheval et trois pelotons à pied, qui viendront s’ajouter aux cinq
pelotons déjà présents à Hénin-Liétard et à Billy-Montigny187. » Le sous-préfet demande en
outre « afin de faciliter l’identification de délinquants possibles – que ne peuvent connaître
les gardes mobiles étrangers au pays – […] d’adjoindre à ceux-ci des gendarmes de la
compagnie départementale prélevés dans les brigades ci-après : Avion, 2 ; Rouvroy, 2 ;
Hénin-Liétard, 2 ; Billy-Montigny, 3 ; Liévin, 3. Au cours de l’entretien que j’ai eu ce matin
avec MM. le Commissaire Spécial, le Commissaire de police et le Capitaine de gendarmerie,
j’ai arrêté les dispositions à prendre et leur ai notamment prescrit de ne pas hésiter à mettre
en état d’arrestation tout individu qui, par refus de circuler, propos injurieux, menaces, jets
de pierre etc… commettrait un délit ; de veiller à l’enlèvement de la voie publique des dépôts
de matériaux qui pourraient fournir des projectiles aux manifestants.»
Malgré les efforts des communistes pour convaincre leurs militants de braver l’arrêté
préfectoral et de manifester quand même, la manifestation est un échec dont se réjouit le sous-
préfet de Béthune dans son rapport au Préfet du Pas-de-Calais : « La manifestation organisée
à Lens, le 8 juillet, par le parti communiste, n’a eu aucun succès. 200 manifestants seulement
ont essayé de se rassembler, ils ont été dispersés aussitôt188. »

187
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 4 juillet 1934.
188
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 13 juillet 1934.

69
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Les ligues empêchées de tenir leurs réunions publiques

L’indignation est d’autant plus vive à gauche que plusieurs réunions publiques
organisées par des ligues nationalistes sont prévues en cette fin de mois de juin et ce début de
juillet 1934. Après les verdicts de Béthune et de Saint-Omer, socialistes et communistes
perçoivent ces réunions comme autant de provocations et organisent systématiquement des
contre-manifestations.
Les communistes préviennent ainsi : « Le 30 juin et le 4 juillet, les assassins d’ouvriers ont
l’intention de tenir deux meetings de propagande. Mais le prolétariat lillois ne se laissera pas
diviser comme dans les manifestations du 28 avril et du 30 mai. Le 4 juillet, date de la venue
de Léon Daudet à Lille, tous les travailleurs socialistes et communistes, unitaires, confédérés,
sans parti seront dans la rue pour exiger le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.
Que pas une réunion fasciste ne se tienne à Lille 189 ! »
L’Action Française répond à la une avec un entrefilet intitulé « Par le mensonge ». Pour le
quotidien royaliste, les organisations ouvrières diffusent de fausses informations et sont les
premières responsables du climat de tensions politiques : « Les meneurs socialo-communistes
qui, en lançant la fausse nouvelle de la présence de Léon Daudet à la réunion d’Hénin-
Liétard, ameutèrent leurs bandes et furent cause ainsi de la mort du malheureux Fontaine,
veulent recommencer leur coup. Hier, le Réveil du Nord annonçait que les organismes
directeurs du parti socialiste avaient voté une délibération protestant contre l’organisation de
deux meetings nationaux à Lille, dont l’un aurait lieu le 4 juillet sous le patronage des
Camelots du Roi. Or, jamais il n’a été question d’organiser, le 4 juillet, une réunion sous les
auspices des Camelots du Roi ou de l’Action française. On chercherait vainement dans le
journal la moindre note à ce sujet. Comme la présence de Daudet à Hénin-Liétard, cette
réunion est une invention pure190. »
Le quotidien royaliste est pourtant obligé dès le lendemain de confirmer qu’une réunion
royaliste aura bien lieu en publiant la mise au point de la section de Lille de l’Action
française : « En fait, il y a aura bien à Lille, le 4 juillet, une réunion d’Action française, mais
la manière dont elle a été présentée par l’Humanité et le Réveil du Nord comporte de
nombreuses inexactitudes dont le motif de provocation est facile à déceler. On y parle de
banquet, de présidence de Fritsch et de Théry, de venue de Léon Daudet. C’est sous une autre
forme la réédition de la fable meurtrière d’Hénin-Liétard. Le texte même de notre invitation à
cette réunion privée écarte d’ailleurs toute ambiguïté. Il indique qu’elle sera présidée par le
général de Partonneaux et que les deux orateurs qui traiteront l’ordre du jour Ce que sera la
monarchie de demain sont MM. Joseph Delest et Paul Robain. [….] cette réunion constitue la
clôture normale de la série de conférences que la section d’Action française de Lille a tenues
à Lille cette année, comme les années précédentes, dans le plus grand calme 191. »
Relayant les prises de position de la fédération du Nord de la SFIO, du conseil
d’Administration de la Bourse du Travail et de l’Union locale CGTU de Lille, l’Egalité de
Roubaix-Tourcoing apporte des précisions sur cette réunion lilloise de l’Action Française :
189
L’Humanité, 26 juin 1934
190
L’Action Française, 26 juin 1934
191
L’Action Française, 27 juin 1934

70
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
« La salle des ambassadeurs a bien été louée, pour le 4 juillet, en vue d’une réunion de
caractère politique. Le contrat de location a été établi, le 12 juin, au nom de M. Buisine, 4 rue
des Débris Saint-Etienne, siège des groupements royalistes de Lille. […] Nous sommes
d’autre part en mesure de préciser qu’une délégation s’est présentée hier à la Préfecture, en
vue de demander aide et protection au Pouvoir Central, à l’occasion des deux réunions du 30
juin et du 4 juillet. Cette délégation comprenait un délégué de la Solidarité Française et un
représentant des Jeunesses Patriotes auxquels s’étaient joints quatre militants de l’Action
Française dont M. Théry, l’acquitté des assises du Pas-de-Calais192. »
La démarche conjointe de la Solidarité française, des Jeunesses patriotes et de l’Action
française auprès de la préfecture témoigne des tentatives de regroupement des droites
nationalistes dans les années trente. Se sentant menacées par la progression des « rouges », la
Solidarité française et les Jeunesses patriotes créent une structure confédérale baptisée « Front
national » présidée par une personnalité venue du bonapartisme, Charles Trochu. Le Front
national voit le jour en mai 1934, à la suite d’un appel publié dans les colonnes de l’Ami du
Peuple du parfumeur François Coty. La structure du Front national est légère et l’objectif est
d’abord pratique : il s’agit pour ses initiateurs de mutualiser les forces, chaque ligue disposant
de son propre service d’ordre, de s’entraider pour protéger les meetings des candidats
« nationaux » et de coordonner les démonstrations de rue, dans un contexte marqué par une
forte concurrence avec les Croix de Feu du colonel de la Rocque, qui ne rejoignent pas le
Front national.
Ainsi, lorsque l’Entente Républicaine du Nord, c’est-à-dire le comité départemental de la
Fédération Républicaine de Louis Marin, la grande force de droite de l’entre-deux-guerres,
organise le 4 juin une réunion publique à Roubaix avec le député nationaliste de Gironde
Philippe Henriot, « le service d’ordre était, à l’intérieur de la salle, assuré par les Camelots
du Roi, les Jeunesses patriotes et la Solidarité française193. »
Pour Jean Vavasseur-Desperriers, « il s’agissait avant tout, au départ, de nouer des liens
placés "sur le terrain immédiat et pratique", en évitant de poser les questions de fond,
l’essentiel étant de parvenir à unir le plus grand nombre de militants possible, tandis qu’une
"élite", celle des dirigeants de l’Action française, ligue associée mais non adhérente se
chargerait d’élaborer la pure doctrine194. »

A Lille, le maire socialiste, Roger Salengro, prend l’initiative en promulguant un


arrêté municipal interdisant la réunion de la Solidarité française. Immédiatement, la SFIO et la
CGT annulent leur contre-manifestation devenue sans objet.
Les militants de la Solidarité française trouvent une solution de repli et se réunissent dans la
ville voisine de Lambersart : « La Solidarité française, qui avait déclaré faire, malgré
l’interdiction de la mairie, une réunion à Lille, s’est lamentablement dégonflée. Elle s’est
rendue à la localité de Lambersart, à 3 kilomètres de Lille, dans une salle où elle réunit à
peine cent personnes, protégées par près de 2 000 gardes mobiles. Les ouvriers socialistes et

192
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 27 juin 1934
193
L’Action Française, 5 juin 1934
194
Jean VAVASSEUR-DESPERRIERS, Les tentatives de regroupement des droites dans les années trente, in
Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, numéro 109-3, 2002.

71
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
communistes étaient groupés, à leurs sièges respectifs, prêts à la moindre alerte, au cas où les
fascistes auraient voulu manifester. A 11h30, la réunion fasciste s’est terminée sans incident.
L’ordre a été donné à tous les camarades de se disperser. Hier, Lille n’a pas appartenu aux
fascistes195. »
Le même scénario se reproduit dans les grandes villes de la région, à Arras, à Douai ou encore
à Dunkerque.
A Arras où la Solidarité française, envisageait de tenir une réunion publique le 28 juin au
Casino, en présence de Jean Renaud, le maire républicain Désiré Delansorne prend un arrêté
d’interdiction au grand dam de l’Echo de Paris. Le quotidien nationaliste parisien s’offusque :
« Prenant prétexte qu’une autre réunion au cours de laquelle prit la parole M. Ybarnégaray
avait provoqué des manifestations assez violentes et que des conférences données par M. Jean
Renaud en différentes villes avaient également amené des troubles, le maire cartelliste
d’Arras, M. Delansorne, vient de prendre un arrêté interdisant cette réunion ainsi que tous
les cortèges et attroupements sur la voie publique196. »
Dans un rapport au préfet du Pas-de-Calais en date du 23 juin, le commissaire de police
d’Arras explique que : « La conférence au Casino le 28/6/34 sera faite non par M. Paul
Reynaud, mais par M. Jean Renaud. M. Cazy, délégué de la Solidarité Française prononcé
Rénaud. D’où l’erreur de personnalité de nom (voir 1er rapport). La Solidarité Française a
fait placarder quelques grandes affiches représentant Bara et annonçant la Conférence. La
réaction, jusqu’à présent n’est pas très vive. Les Gauches disent bien que cette 5e conférence
en quelques mois est de la provocation – que l’on cherche des incidents – que ce sont "eux"
les maîtres – qu’ils n’observent pas la trêve etc… La Solidarité Française a fait placarder
l’affiche jointe cette nuit. Des conversations que j’ai eues, il semble résulter qu’il y aura une
contre-manifestation. Des renforts ont été demandés dans la région des Mines, mais je n’ai pu
savoir s’ils viendraient à Arras et quelle serait leur importance. L’Administration Municipale
a été mise au courant par moi-même et M. Delansorne, Maire, avant son départ pour le
Mont-Dore a approuvé le plan que je lui soumettais de vous proposer la présence de Gardes
Mobiles pour éviter des incidents197. »
Le même rapport du commissaire Marteaux ajoute évoque les difficultés de recrutement de
crieurs de journaux par l’Action française d’Arras : « Les dirigeants de l’Action Française, à
Arras, avaient cherché hier à embaucher dix crieurs pour la vente du journal, ils n’en ont
trouvé que deux, vendeurs habituels du dépôt Coppens, qui ont opéré hier soir dans l’artère
principale et n’ont vendu que quelques numéros. »
Finalement, la réunion publique de la Solidarité française est interdite en raison des risques de
troubles. Le Journal de Roubaix rapporte que : « Malgré l’interdiction du maire d’Arras et du
préfet du Pas-de-Calais, […] les organisateurs ont tenté de rassembler leurs auditeurs dans
diverses salles d’Arras, mais les groupes ont été chaque fois dispersés par la garde mobile.
Finalement, les membres de la Solidarité française se sont rendus dans les environs de la ville
où M. Jean Renaud les a harangués. En rentrant à Arras, les adhérents de la Solidarité

195 er
L’Humanité, 1 juillet 1934
196
L’Echo de Paris, 24 juin 1934
197
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du commissaire de police d’Arras au préfet du
Pas-de-Calais, 23 juin 1934.

72
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
française, qui chantaient la "Marseillaise", se sont heurtés à des groupes anti-fascistes qui
ont répondu par l’"Internationale". On ne signale aucun incident198. »
Le rapport adressé par le préfet du Pas-de-Calais au ministre de l’Intérieur donne une version
sensiblement différente : « La réunion privée de la Solidarité Française que la municipalité
d’Arras avait interdite, s’est tenue jeudi soir sur le territoire d’une commune voisine. Des
socialistes et des communistes avaient suivi les militants de droite et un orateur de chaque
groupe fut admis à parler. Après le retour à Arras, une bagarre éclata entre les manifestants
des deux groupes opposés, mais une charge de garde mobile à cheval les dispersa
rapidement199. »
A Douai, la conférence de la Solidarité française devait avoir lieu le 1er juillet à 10h sur le
thème de « La République judéo-maçonnique ». Léon Escoffier, le maire socialiste de Douai –
et avocat de la ville d’Hénin-Liétard au procès de Saint-Omer – prend un arrêté d’interdiction
tandis que socialistes et communistes élaborent avec les unions locales CGT et CGTU un
appel commun à manifester le 1er juillet à 9h30200. Le correspondant du populaire écrit que
« Grâce à l’Union des travailleurs, unis pour combattre l’ennemi commun, cette réunion ne
put avoir lieu et Jean Renaud a dû s’enfuir de Douai en auto, protégé par la garde mobile.
Un grand meeting eut lieu à la Bourse du Travail, où les orateurs des syndicats confédérés,
unitaires, socialistes, communistes et coopérateurs firent acclamer l’unité des
travailleurs201. »
A Dunkerque, le maire socialiste Charles Valentin interdit lui aussi une réunion de la
Solidarité française202.

Comme les autres ligues nationalistes, la Solidarité française est à son apogée en 1934.
Fondée l’année précédente par le parfumeur et homme d’affaires François Coty, propriétaire
du Figaro, la ligue nationaliste, qui emprunte l’image du fascisme italien avec chemises
bleues et salut à l’antique, défend un programme de « réforme de l’Etat » d’inspiration
bonapartiste et plébiscitaire développé par François Coty dans son journal l’Ami du Peuple le
24 mars 1933. La Solidarité française a participé à la journée du 6 février 1934 et tente de
recruter. Elle compterait 10 000 adhérents en 1934.
Le commandant Jean-Jacques Ernest Renaud, dit Jean Renaud, un militaire de carrière,
écrivain colonial et journaliste, est le principal dirigeant de la Solidarité française. Après la
mort de François Coty le 25 juillet 1934, c’est lui qui accentue le caractère fasciste de son
mouvement, dissous en 1936 avec les autres ligues nationalistes et qui est renaît sous le nom
de Parti du Faisceau Français en 1937203.
Le 4 juillet, c’est la réunion programmée à Lille par l’Action française qui doit, comme la
réunion de la Solidarité française le 30 juin, être délocalisée à Lambersart. Le Journal de
198
Le Journal de Roubaix, 29 juin 1934
199
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 2 juillet 1934.
200
Le Populaire, 30 juin 1934
201
Le Populaire, 2 juillet 1934
202
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 28 juin 1934
203
LAHOUSSE Gilles, De la Solidarité française au parti du faisceau français : un exemple de radicalisation
politique, p. 43-54, Vingtième siècle, volume 58, 1998

73
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Roubaix explique qu’ « un important déploiement de gardes mobiles surveillait, depuis la
porte de Saint-André, les abords de la salle. Par ailleurs, les ponts et les grandes voies de
communication de la ville étaient eux aussi gardés204. »
L’Action Française évoque en une une « triomphale réunion à Lomme-Lambersart » : « Cette
réunion s’est tenue à Lomme-Lambersart, dans la banlieue lilloise. Paul Robain et Joseph
Delest firent un brillant exposé des théories de l’A.F. devant l’assistance nombreuse et
attentive qui se trouvait dans la salle. Grâce à des haut-parleurs, les habitants de Lomme-
Lambersart et les huit cents gardes mobiles qui avaient été placés là entendirent avec le plus
grand intérêt nos orateurs. Indiquons que la courageuse Mme Turbelin, le témoin de la cour
d’assises de Saint-Omer, qui se trouvait dans l’assistance, a été l’objet d’une chaleureuse et
vibrante ovation. Le service d’ordre était assuré par les Camelots du Roi, les Jeunesses
patriotes et les adhérents de la Solidarité française205. » Là encore, on retrouve les services
d’ordre des organisations qui composent le « Front national » associés pour protéger une de
leurs réunions.
Comme le note Julien Drouart, « Exclues de la rue par les troupes de gauche, les ligues se
voient menacées dans leur droit d’organiser des régions publiques et mêmes privées. […] Les
ligues ne peuvent plus tenir leurs réunions à Lille et sont symboliquement expulsées de
l’espace lillois206. »
Analysant dans le rapport qu’il adresse au ministre de l’Intérieur que nous avons déjà cité les
événements qui viennent de se dérouler, le préfet du Pas-de-Calais peut noter que : « Le
verdict d’acquittement de Saint-Omer a mécontenté la population ouvrière du bassin minier
qui est, à l’heure actuelle, extrêmement montée contre tous les groupements qui lui sont
dénoncés comme ayant des tendances fascistes. Il y a tout lieu de penser que si les réunions
qui devaient être tenues la semaine dernière, à Arras, par la "Solidarité Française" et
l’"Association Républicaine des Anciens Combattants", à Hénin-Liétard, par le parti
socialiste, n’avaient pas été interdites, et si un service d’ordre imposant n’avait pas été
organisé, des bagarres auraient éclaté. "Front National" et "Front commun" se dressant l’un
contre l’autre avec une haine chaque jour plus vivace et toute manifestation engendre
immédiatement une riposte des groupes politiques opposés. Néanmoins, dans le Pas-de-
Calais, une conclusion s’impose des événements de la semaine dernière : c’est que la grosse
majorité des citoyens ne répondent pas aux appels des partis extrêmes et semblent considérer,
au contraire, que la campagne de réunions et de conférences qui s’intensifie à travers le pays,
ne peut avoir que des conséquences regrettables […]. Aussi, les décisions des autorités
municipale ou administratrice interdisant les manifestations, ont-elles été, en général,
approuvées par l’opinion publique et par la presse207. »

Trois mois après le drame d’Hénin-Liétard, la mort de Joseph Fontaine est devenue un
symbole pour les organisations ouvrières du Nord et du Pas-de-Calais.

204
Le Journal de Roubaix, 5 juillet 1934
205
L’Action Française, 5 juillet 1934
206
Julien DROUART, op. cit.
207
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 2 juillet 1934.

74
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Si l’Action française peut se féliciter de l’acquittement de ses militants et entend bien
poursuivre ses activités malgré les contre-manifestations et les interdictions de réunion prises
par de nombreuses municipalités, l’affaire d’Hénin-Liétard constitue en réalité une défaite
politique pour l’organisation royaliste. Elle sonne le glas de ses ambitions d’implantation dans
cette terre de mission que constituait pour elle le bassin minier du Pas-de-Calais. Pour
l’historien local Henri Claverie, âgé de 14 ans à l’époque des événements, au-delà des
postures de l’Action Française, le comte de Paris aurait affirmé que la mort de Fontaine « a
été le grand regret de toute sa vie. Un imbécile qui a tiré sur un innocent. Je l’ai su par mon
imprimeur à Steevorde, qui était ami avec l’hôtel Scrive à Lille et qui connaissait le comte de
Paris. Il leur a toujours dit que c’était le grand regret de sa vie208… » Il faut sans doute
prendre ce témoignage avec précaution, mais il ne fait pas de doute que les méthodes de
l’Action française, qui séduisent les milieux étudiants nationalistes parisiens éloignent de la
ligue royaliste les électeurs plus modérés. Affaiblie par la condamnation pontificale de 1926
et concurrencée par des ligues plus récentes comme les Jeunesses patriotes ou la Solidarité
française, l’Action française décline.
Dans son article sur l’Action française du Nord entre les deux guerres, Jacques Prévotat
souligne que : « Dès le début des années 1930, le déclin s’amorce et les effectifs stagnent
dans presque toutes les sections : dès 1930, et plus encore en 1936, à la veille de la
dissolution de la ligue, la stagnation est patente. Le sursaut de 1934 n’est qu’un feu de paille
malgré la spectaculaire mobilisation. En réalité, beaucoup de militants vont glisser vers
d’autres mouvements plus actifs, plus déterminés : les Jeunesses patriotes, les Croix de
Feu209. »
La véritable « guerre civile larvée » qui oppose nationalistes et antifascistes dans le bassin
minier du Pas-de-Calais et dans toute la région du Nord contribue ainsi à unifier chacun des
deux camps – « Front national » contre ce qui ne s’appelle pas encore le « Front populaire » -
et renforce les organisations les plus dynamiques dans la lutte symbolique pour le contrôle de
l’espace public.

208
Interview d’Henri CLAVERIE par Patrick BOUQUET, http://pabqt.free.fr/
209
Jacques PREVOTAT, La ligue d’Action française dans le Nord entre les deux guerres (1919-1939). Approches
politiques et religieuses, Revue du Nord, avril-juin 2007, n°370.

75
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

TROISIEME PARTIE

APRES L’AFFAIRE
A. L’union est un combat :

Véritable « petit 6 février » à l’échelle locale, l’affaire Joseph Fontaine hâte les
rapprochements en cours entre le PCF et la SFIO, bien que la méfiance entre les deux
organisations reste de mise.
De fait, durant l’été 1934, plusieurs réunions publiques communes sont organisées dans la
région, notamment autour du 1er août 1934, date du vingtième anniversaire du déclenchement
de la Première guerre mondiale dont le parti communiste entend faire une démonstration de
l’unité d’action de la classe ouvrière contre la guerre et le fascisme. De ce point de vue, la
journée d’action du 1er août 1934 constitue indéniablement un échec. A titre d’exemple, à
Marck, dans la banlieue de Calais, la réunion publique organisée salle Hibon par le PCF et la
SFIO le 1er août 1934 ne rassemble qu’une cinquantaine de personnes.
A Lens, la manifestation du 29 juillet doit être annulée. Socialistes et communistes ne sont pas
encore prêts. Un rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-de-Calais en date du 25
juillet 1934 rapporte ainsi que « la section socialiste de Lens a informé le rayon communiste
qu’elle ne pouvait accepter l’organisation d’une manifestation commune contre la guerre et
le fascisme, sans un accord préalable entre les directions de leurs partis et leurs organismes
régionaux. La démonstration commune projetée pour le 29 juillet, à Lens, risque donc d’être
remise à une date que je ne saurais fixer aujourd’hui. Enfin, les communistes de
l’arrondissement n’ont encore pris aucune disposition pour la journée du 1er août 1934.
D’ordinaire, les organes de la S.F.I.O. et de la région communiste ont, à cette date, déjà
publié les mots d’ordre du Comité directeur, et de nombreux affiches et tracts, annonçant des
réunions préparatoires et invitant les ouvriers à chômer ce jour-là ont été apposés ou
diffusés. Rien de tout cela n’ayant été fait jusqu’ici, il y a lieu de penser que les communistes
et syndicalistes unitaires ne feront aucune tentative de débauchage et de manifestation sur la
voie publique le 1er août prochain. » Prudent, le sous-préfet réclame toutefois « de renforcer
les brigades de gendarmerie de la section de Lens par l’envoi de 5 pelotons de garde
républicaine mobile, deux à cheval et trois à pied, avec camionnettes 210. »
En fait l’accord entre les deux fédérations intervient le 1er août. Son texte paraît dans
l’Humanité du 3 août 1934 : « La Fédération socialiste du Pas-de-Calais […] et la Région
communiste du Nord […] décident, conformément au Pacte d’unité intervenu entre les deux
partis, d’organiser cinq manifestations ou meetings communs avec les objectifs communs :
Démonstration de masse contre le fascisme, contre le verdict de Saint-Omer, contre les
décrets-lois, contre la guerre, pour la défense des libertés démocratiques (liberté de réunion,

210
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5568, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 25 juillet 1934.

76
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
de manifestation, etc.…) et la libération de tous les antifascistes emprisonnés, pour la
dissolution de la Chambre et la R.P. Ces démonstrations auront lieu à Calais et à Boulogne,
le 11 août ; à Béthune, le 12 août ; à Lens, le 19 août : à Lillers, le 2 septembre211. » Le reste
du texte de l’accord porte sur les modalités pratiques des meetings unitaires : présidence
conjointe, un orateur de chaque parti, partage des frais, interdiction des brochures critiques
contre l’autre parti dans les meetings… Meetings unitaires et manifestations communes sont
également prévus dans le Nord à Tourcoing, Cambrai, Valenciennes et Douai.

Sur la côte, les initiatives prévues à Calais et Boulogne rassemblent moins que prévu.
Ainsi, la réunion publique commune organisée salle de l’Elysée à Calais le 11 août
conformément à l’accord départemental rassemble 600 personnes, majoritairement
communistes. Havesnes, l’orateur socialiste, « déplore la partialité de la justice française qui
a acquitté à Saint-Omer, les assassins du communiste Fontaine. Il termine en préconisant
l’unité d’action qui seule, fera aboutir les revendications des travailleurs212. »
Le même soir, toujours sur la côte, ce sont 350 personnes qui sont réunies à Boulogne-sur-
Mer, pour un meeting commun organisé dans la Salle des Concerts et placé, comme beaucoup
de meetings, sous la présidence d’honneur de Thaelmann, le chef du parti communiste
allemand alors emprisonné par les nazis : « Masselin, secrétaire-adjoint de la Fédération
Socialiste du Pas-de-Calais, rappela les incidents d’Hénin-Liétard provoqués par les bandes
fascistes dont les assassins ont été injustement acquittés par la justice bourgeoise. Cet orateur
insista surtout sur le coût moral de l’entente, pleine de promesses fécondes a-t-il affirmé, des
socialistes et communistes de France. Il souhaite ardemment que cette unité d’action pour la
lutte contre le fascisme et la guerre soit un commencement de réalisation d’une fusion
organique des deux partis ouvriers qui n’auraient jamais dû se combattre, comme ils l’ont
fait ces temps derniers, pour des questions de tendances diverses ou moyens d’actions
différents 213. »

Dans le bassin minier, les manifestations remportent un grand succès. Malgré le temps
maussade et les averses intermittentes, on compte 3 000 manifestants à Douai le 12 août214.
Partis de la place Carnot, les manifestants socialistes et communistes se dirigent vers
l’hippodrome pour un meeting unitaire « aux cris répétés de "Vivent les Soviets", "A bas le
fascisme", "Libérez Thaelmann", "Unité d’action". […] Ramette exalta la grève des mineurs
polonais de Leforest et la cita en exemple aux travailleurs. […] Les mots d’ordre de lutte et
d’unité d’action contre la guerre et le fascisme ont été acclamés215. »
Le même jour, la municipalité communiste de Montigny-en-Gohelle organisait une
manifestation publique à l’occasion de l’inauguration du square André Marty. L’ancien

211
L’Humanité, 3 août 1934
212
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5547, rapport de l’inspecteur de police spéciale Roman au
commissaire spécial de police de Calais, 11 août 1934.
213
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5547, rapport du commissaire spécial adjoint Iamare au
commissaire spécial de police de Boulogne-sur-Mer, 12 août 1934.
214
Le Populaire, 13 août 1934
215
L’Humanité, 13 août 1934

77
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
animateur des mutineries de la Mer Noire est alors l’un des élus les plus populaires du Parti
communiste. Si Marty a perdu son siège de député en 1932, il siège depuis 1929 au Conseil
municipal de Paris. Inaugurer à Montigny-en-Gohelle un square André Marty vingt ans après
la Première Guerre mondiale marque à l’évidence la prégnance du combat pacifiste et
antimilitariste des communistes et rappelle leur engagement pour soutenir la Révolution russe
et l’URSS. Dans le rapport qu’il adresse au préfet du Pas-de-Calais, le sous-préfet de Béthune
soutient que la manifestation « n’a pas eu le succès escompté par les organisateurs. Beaucoup
de sections du secours rouge invitées n’ont pas répondu à l’appel. Dès le matin, des
banderoles étaient tenues en divers points de la ville. On y lisait : 6 000 francs de retraite à
50 ans et 25 ans de service ; à bas le fascisme et la guerre impérialiste ; à bas l’expulsion
fasciste d’Olzanski ; Gloire au vaillant lutteur Joseph Fontaine ; Nous voulons le châtiment
du meurtrier de Fontaine ; Nous avons sauvé Dimitrov, il faut sauver Thaelmann. A 14h, le
cortège se forma au lieu-dit le Dahomey, il y avait, les sociétés comprises, environ 500
manifestants ; il se déroula en ville de 14h30 à 15h30. Un arrêt eut lieu devant le square
André Marty pour jouer l’Internationale, puis, à cause du mauvais temps, les discours furent
prononcés au dancing du lac216. »
A Lens, la manifestation unitaire du 19 août est « un grandiose succès » pour l’Humanité :
« Depuis la démonstration en faveur de Sacco et Vanzetti, jamais cette cité minière n’avait
assisté à un pareil rassemblement des forces prolétariennes. C’est au minimum 10 à 12 000
travailleurs qui, à 16 heures, se rassemblèrent place Cantin. Ce sont d’abord les communistes
et les socialistes d’Avion, qui, en groupes compacts, parviennent au lieu du rendez-vous. Puis,
arrivent les antifascistes d’Hénin-Liétard, de Montigny-en-Gohelle, de Noyelles-Godault, de
Billy-Montigny, de Sallaumines et de tant d’autres localités […]. Les camarades de combat
de notre regretté Joseph Fontaine ont répondu à l’appel ! […] il n’eût pas été bon qu’un
camelot du roi, un membre des jeunesses patriotes ou de la Solidarité française osât s’exhiber
217

Dans son rapport au préfet, le sous-préfet signale que : « La manifestation d’action commune
organisée à Lens par les partis socialiste et communiste le 19 août s’est déroulée dans le
calme. Six mille personnes environ y ont pris part. A noter cependant l’absence de nombreux
militants socialistes et confédérés218. »

Jusqu’à la fin de l’année 1934, il n’y a pas un meeting ouvrier sans que les orateurs ne
rappellent l’affaire Joseph Fontaine et ne s’indignent du verdict de Saint-Omer.
Après les manifestations unitaires de l’été 34, la mobilisation ne faiblit pas. Le meeting
d’unité d’action organisé à Lens le 20 octobre, salle de l’Alhambra, rassemble 2 500

216
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 14 août 1934.
217
L’Humanité, 20 août 1934
218
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 25 août 1934.

78
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
personnes et le sous-préfet de Béthune signale dans son rapport que Paul Faure y a été
particulièrement applaudi219.
Le 11 novembre 34 doit, pour les organisations ouvrières, constituer un temps fort de
mobilisation contre le fascisme. Deux jours après la démission du cabinet d’union nationale
présidé par Gaston Doumergue, le 8 novembre 1934, le sous-préfet de Béthune témoigne des
inquiétudes des forces de gauche qui préparent le rendez-vous du 11 novembre : « La crise
ministérielle a inquiété l’opinion publique. Si les socialistes SFIO et les communistes sont
satisfaits de la démission du cabinet Doumergue, les éléments modérés sont anxieux et
souhaitent que l’appel au calme lancé par le président démissionnaire soit suivi par le Pays.
[…] Les partis avancés craignent de voir s’instaurer le fascisme et se déclarent prêts à la
riposte dans le cas où les groupements de droite chercheraient à s’emparer du pouvoir. Les
unitaires sont à l’affût d’incidents, - et en créeront même, au besoin – soit dans les mines, soit
dans d’autres industries, pour amener les confédérés, partisans assez tièdes du front unique,
à se joindre à eux. Dans la région de Lens, on se prépare à la manifestation organisée par le
front commun à Lille le 11 novembre220. » Le même rapport évoque une conférence organisée
par le comité antifasciste de Liévin le 4 novembre avec un intervenant membre du comité
central de la Ligue des Droits de l’Homme, Robert Bayet.
A la fin du mois de novembre, un millier d’auditeurs assistent à un meeting de la SFIO le 28
novembre 1934, à la Salle des Fêtes d’Hénin-Liétard. A la tribune, Raoul Evrard est assis à
côté de la veuve de Joseph Fontaine, présidente d’honneur du meeting, entourée de Mouquet,
Fallour et Carpentier, les militants communistes et socialistes qui ont été condamnés pour
coups et blessures par le tribunal correctionnel de Béthune. Les députés socialistes Albert
Rivière et Alfred Basquin sont présents. Cyprien Quinet représente la CGTU. André Pantigny
« s’élève violemment contre le régime et souligne la carence de la police. A Hénin-Liétard,
dit-il, la police, avertie par les militants socialistes que les camelots étaient armés, a répondu
qu’elle ne pouvait rien faire. » L’avocat et député du Nord Léo Lagrange, désignant Mme
Fontaine souligne que « la seule victime, la voilà, qui vient d’être déboutée de tout alors que
l’assassin de son mari, Fritsch, se promène en liberté221. » Malgré la présence d’un millier de
spectateurs, Raoul Evrard regrette que l’auditoire ne soit pas plus nombreux.

Analysant à la fin de 1934 dans son rapport au ministre de l’Intérieur les progrès du front
unique depuis les événements du 6 février 1934, les événements dans la région liés à l’affaire
Joseph Fontaine et l’accord national d’unité d’action du 27 juillet 1934, le préfet du Pas-de-
Calais se montre dubitatif : « Les partis socialiste et communiste se sont également mis
d’accord, dans certains centres ouvriers pour l’action antifasciste conformément au pacte
conclu à Paris entre les dirigeants des Comités Centraux le 27 juillet 1934, quelques réunions
communes ont été tenues. Mais l’union des deux partis n’est qu’occasionnelle et en réalité

219
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 10 27 octobre 1934.
220
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 10 novembre 1934.
221
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5568, rapport de l’inspecteur Mesmer au préfet du Pas-de-
Calais, 28 novembre 1934.

79
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
peu solide. Les élus socialistes et les vieux militants de ce parti ne montrent aucun
enthousiasme à s’allier avec les communistes. Par ailleurs, dans l’arrondissement de Béthune
où le Parti communiste compte la grosse majorité de ses forces, l’action du Parti socialiste
est étroitement liée à celle du syndicat confédéré des mineurs dont les chefs sont absolument
opposés à la réalisation de l’alliance avec les unitaires. Aussi les chefs socialistes ont-ils
refusé, jusqu’ici, d’organiser les larges manifestations d’unité d’action réclamées par les
communistes222. »
C’est le même sentiment qui domine à la lecture du rapport remis par le commissaire spécial
de l’arrondissement d’Arras au Préfet du Pas-de-Calais sur la situation des syndicats de son
secteur : « La propagande de la CGTU est des plus actives, notamment chez les mineurs et les
cheminots. […] Cette campagne est ardente et inlassable dans tous les puits miniers. A noter,
cependant, que si elle donne quelques résultats parmi l’élément français, elle est à peu près
inopérante chez les travailleurs étrangers qui, à la suite des refoulements et expulsions
prononcés pour propagande révolutionnaire, sont devenus circonspects. On doit également
souligner que si les unitaires souhaitent ardemment l’unité, les Cégétistes ne paraissent pas
la désirer, tout au moins chez les vieux militants et dirigeants et surtout dans le sens proposé
par les premiers. Ils sentent très bien qu’ils seraient vite fondus dans la masse unitaire et que
leur tendance disparaitrait. Les chefs freinent le plus possible et, à mon avis, la réalisation de
l’unité chez les mineurs est rien moins que certaine223. »

Du côté de la CGTU, on s’inquiète en effet de ce qui est analysé comme une offensive
patronale et gouvernementale contre la Main d’Œuvre Immigrée comme l’explique une
circulaire adressée par la fédération CGTU des mineurs aux secrétaires des syndicats
unitaires : « Nous assistons actuellement à une recrudescence de l’offensive patronale et
gouvernementale contre les travailleurs immigrés. Cela est dû en particulier au
développement du courant d’unité d’action pour la lutte revendicative, qui incite le patronat
et les pouvoirs publics à tenter de dresser les ouvriers les uns contre les autres, et dans notre
corporation les ouvriers français contre les immigrés, pour pouvoir mieux appliquer sa
politique de rationalisation à outrance et de fascisation. En s’attaquant brutalement aux
travailleurs immigrés dans les mines, en procédant à des refoulements de masse et des
expulsions importantes, patronat et gouvernement voudraient laisser entendre que les
mineurs français travaillent davantage. C’est là un mensonge monstrueux et les refoulements
des travailleurs immigrés ne pouvaient apporter qu’un renforcement de la rationalisation et
déjà, les mineurs ont pu s’en rendre compte au cours de ces derniers mois. […] c’est
pourquoi l’on renforce la propagande chauvine et nationaliste dans nos bassins miniers […]
Ne pas s’appliquer à défendre pied à pied les ouvriers immigrés contre les attaques
patronales et gouvernementales, c’est non seulement oublier le caractère d’internationalisme
prolétarien de nos organisations révolutionnaires, mais plus encore, aider le capitalisme
dans son plan d’offensive générale contre les mineurs et plan d’offensive fasciste contre nos

222
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5221, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 23 décembre 1934.
223
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5304, rapport du commissaire spécial d’Arras au Préfet du
Pas-de-Calais, 15 décembre 1934.

80
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
organisations révolutionnaires. […] nous sommes dans l’obligation de constater que trop
souvent la réaction n’a pas été suffisamment rigoureuse de la part de nos organisations et de
ses militants quand un travailleur immigré était frappé d’expulsion. Nous n’avons pas réagi
avec assez de force contre les refoulements parce que là encore on pensait que le renvoi de
plusieurs milliers d’étrangers aurait atténué tant soi peu le chômage dans les mines […] de
ce fait, on laissait implanter les méthodes fascistes dans nos bassins miniers. […] Il nous faut
au plus vite réagir et briser net l’offensive fasciste du patronat et du gouvernement d’Union
Nationale224. »
Cette circulaire du 18 septembre 1934 est adressée aux responsables locaux de la fédération
CGTU des mineurs deux jours après l’arrestation à Hénin-Liétard de Thomas Olszanski225,
que le tribunal de Béthune condamne le 20 septembre à un mois de prison pour infraction à un
arrêté d’expulsion226.

B. De la répétition des cantonales à la victoire du Front Populaire :

Dans le contexte qui est celui de cette année 1934, les élections cantonales du mois
d’octobre inquiètent les autorités. Ainsi, le sous-préfet de Béthune explique dans un rapport
au préfet du Pas-de-Calais qu’une réunion publique contradictoire des conseillers municipaux
communistes de Carvin, à la veille d’une réunion publique royaliste nécessite de prendre des
mesures préventives : « Les conseillers municipaux communistes de Carvin organisent pour
demain, samedi, à 18 heures, à la Maison du Peuple, une réunion publique. Ils y rendront
compte de leur mandat municipal. La contradiction leur sera apportée par M. Jacques
Poinsot, élève à l’Ecole Coloniale, qui sera accompagné de quelques-uns de ses camarades
des Jeunesses Patriotes. Le commissaire ne demandait qu’un renfort de dix gendarmes à pied.
Je lui ai fait observer qu’en cette période d’élections cantonales où les polémiques reprennent
assez vives, il est nécessaire de prévoir des forces suffisantes pour parer à tout événement
fâcheux. […] j’ai l’honneur de vous confirmer ma demande de quinze gendarmes à pied et dix
gendarmes à cheval, qui devront être rendus demain, samedi, à 17 heures, à la caserne de
Carvin. […] il serait prudent de ne pas toucher aux brigades d’Oignies, Leforest et Pont-à-
Vendin qui, en cas d’urgence, constitueraient une réserve utile. Le lendemain, dimanche, a
lieu, vous le savez, une réunion royaliste à Carvin. Je serai peut-être amené à vous proposer
de maintenir à cette occasion les forces qui s’y trouveront depuis la veille227. »

Du côté des communistes, on s’organise pour la campagne des élections cantonales. Une
circulaire du rayon communiste d’Hénin-Liétard signée par Nestor Calonne et adressée à tous
les secrétaires de cellule explique ainsi : « Notre secrétariat de rayon s’étant réuni hier a

224
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, circulaire de la fédération nationale unitaire des
travailleurs du sous-sol et similaires sur l’offensive patronat et gouvernementale contre la MOI et l’arrestation
de Thomas Olszanski, 18 septembre 1934.
225
Le Matin, 17 septembre 1934
226
Le Populaire, 21 septembre 1934
227
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au Préfet du Pas-
de-Calais, 5 octobre 1934.

81
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
décidé, après examen de ses tâches immédiates d’informer toutes les cellules du rayon du
plan de campagne et de propagande qu’il compte réaliser en même temps que le
renforcement de notre Parti. La campagne électorale va s’ouvrir sous peu. Pour diriger cette
campagne, il faut un comité élargi à tout le canton. Tous les camarades susceptibles de
prendre la parole doivent être proposés comme membres de ce comité. Aidés de la région et
du centre comme nous le sommes, nous devons progresser sérieusement, sinon enlever le
siège. Chaque cellule devra au plus tôt faire circuler ses listes de souscriptions, car déjà
notre rayon a fait une commande de 300 F à 400 F. […] Chaque cellule devra tenir en liaison
constante les jeunes, organiser ses groupes de cinq pour la sécurité de ses militants. Si nous
savons réaliser ce travail sérieusement, nous pouvons espérer atteindre notre objectif qui est
de battre tous les candidats fascistes et ainsi marquer un pas vers leur disparition de notre
secteur228. »
A l’issue du premier tour, le 7 octobre 1934, les communistes sont en passe de remporter leur
pari. Henri Leclercq, le conseiller général sortant SFIO du canton de Carvin obtient 5 568
voix et 35,61 % et est mis en ballottage, Cyprien Quinet obtenant pour sa part 5 220 voix et
33,38 %. En octobre 1928, Henri Leclercq avait été élu au premier tour avec 8 082 voix
contre 2 773 à Cyprien Quinet. En six ans, le candidat SFIO a perdu 2 514 voix et le candidat
communiste en a gagné 2 447. Si les communistes ne sont pas parvenus à enlever le siège,
leur progression est sérieuse, conformément à leurs objectifs. Le second tour de l’élection
cantonale a lieu le 14 octobre 1934. Henri Leclercq obtient 9 974 voix loin devant le candidat
de concentration républicaine Duhomez, qui passe de 3 354 voix au premier tour à 4 875 voix
au second tour. Si le candidat modéré obtient plus de 1 500 voix supplémentaires, ce sont plus
de 4 700 voix supplémentaires qui se sont reportées sur Henri Leclercq après le désistement
de Cyprien Quinet en sa faveur229.
Mais des élections cantonales partielles doivent avoir lieu en avril 1935, suite au décès
d’Henri Leclercq. Un an après l’affaire Joseph Fontaine, c’est Cyprien Quinet, le dirigeant
communiste de la fédération CGTU des mineurs, qui devance le député socialiste Raoul
Evrard au premier tour. Evrard se désiste en faveur de Quinet qui est élu au second tour.
L’Humanité salue « les 3 000 ouvriers socialistes qui ont su faire néanmoins le geste
nécessaire d’unité d’action, montrant ainsi qu’ils ne voulaient pas suivre ceux qui
chercheraient à la rompre. […] la victoire de l’unité d’action s’est affirmée. Elle doit
permettre un rapprochement plus étroit encore des frères de lutte ouvriers communistes et
socialistes230. »
Il faut cependant noter qu’au sein-même du Parti communiste, le positionnement de Cyprien
Quinet semble contesté. Le dirigeant de la CGTU avait intégré le comité central du PCF
comme suppléant lors du 7ème congrès qui s’était tenu du 11 au 19 mars 1932 à Paris. Les
procès-verbaux des réunions du Comité central témoignent de son implication puisqu’il
intervient dans le débat lors des séances des 14-16 juillet 1933, puis les 20-22 janvier 1934 –
une réunion qui voit le Comité central du PCF prendre position contre la proposition de

228
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 2361, circulaire du rayon d’Hénin-Liétard du Parti
communiste aux secrétaires de cellule, 5 septembre 1934.
229
Voir en annexes, tableaux 4 et 5
230
L’Humanité, 15 avril 1935

82
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Doriot de front unique -, les 1er et 2 novembre 1934, lors de la session des 15-16 février 1935
et enfin lors de celle du 1er au 2 juin 1935231. Le procès-verbal de cette dernière réunion
signale le vote en faveur d'une commission d'enquête sur les agissements de Quinet dans le
canton de Carvin Nord.
L’année suivante, Cyprien Quinet ne fait plus partie de la liste des membres suppléants du
Comité central. Son nom ne figure pas dans la liste votée par les délégués lors du 8ème
congrès du Parti communiste qui se tient du 22 au 25 janvier 1936 à Villeurbanne. Il ne
faudrait sans doute pas surinterpréter cette absence : de fait en 1936, la région Nord est bien
représentée au Comité central du Parti communiste avec la réélection de Martha Desrumeaux
et d’Arthur Ramette et l’entrée d’Henri Martel dans l’instance dirigeante du parti. Membre du
bureau de la fédération CGTU du sous-sol, Henri Martel remplace en fait Cyprien Quinet. Le
désaveu de Cyprien Quinet est d’autant plus relatif qu’il est choisi comme candidat pour les
législatives de 1936 dans la circonscription de Carvin-Hénin-Liétard. En fait, la prise de
position du Comité central du PCF à la suite des élections cantonales et de la victoire de
Quinet témoigne surtout de la complexité du processus du rassemblement populaire initié par
l’Internationale communiste, conforté par les mobilisations antifascistes, mais qui s’inscrit
dans des territoires comme le Pas-de-Calais marqués par une concurrence politique forte entre
le PCF et la SFIO et la crainte toujours présente d’une dérive opportuniste des élus que
conquiert le Parti communiste qu’il s’agit de contrôler afin d’éviter une réédition du scénario
qui a mené à l’exclusion de Jacques Doriot.

Cyprien Quinet, dirigeant de la fédération


CGTU des mineurs en 1934 est élu
conseiller général du canton de Carvin en
1935 et député en 1936.

Du reste, l’unité entre socialistes et communistes est toujours problématique, comme


le note le préfet du Pas-de-Calais dans son rapport au ministre de l’Intérieur sur les préparatifs
du 1er mai 1935 : « Les socialistes, déçus par l’élection du communiste Quinet comme
conseiller général du canton de Carvin, restent sourds aux appels que leur adressent les
communistes pour réaliser le front unique. De son côté, le syndicat confédéré des mineurs a

231
Réunions du Comité central du PCF 1921-1977, état des fonds et des instruments de recherches, tome 1
(1921-1939), Archives Départementales de Seine-Saint-Denis & Fondation Gabrier Péri, 2013

83
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
repoussé toutes les propositions des unitaires tendant à l’organisation de manifestations
communes. Ceux-ci agiront donc seuls232. »
De fait, les prévisions du préfet s’avèrent exactes : « A Billy-Montigny et Hénin-Liétard, des
patrouilles de gardes mobiles ont surveillé le départ des ouvriers et ouvrières qui vont
travailler chaque jour dans la région lilloise. A leur vue, les rares communistes qui rôdaient
aux abords des gares se sont rapidement éloignés. […] A Hénin-Liétard où la même division
s’est produite, les confédérés ont écouté les discours prononcés de la mairie par MM. Raoul
Evrard et Jouhaux. A ce moment, les unitaires ont abandonné le cortège et se sont réunis à la
salle de l’Alcazar. Là, Daniaux, Marouzé et Quinet ont critiqué la municipalité et qualifié la
manifestation qu’elle avait organisée, de "défilé de carnaval"233. »
Il faut dire que la manifestation du 1er mai intervient en pleine campagne électorale pour les
élections municipales que le PCF et la SFIO abordent en ordre dispersé comme le regrette
Marcel Gitton dans les Cahiers du bolchevisme : « Nous avions pensé, au lendemain des
élections d’octobre, pouvoir faire un pas en avant dans le développement de l’unité d’action.
Notre intention était, en accord avec le Parti socialiste, de travailler à la constitution d’un
vaste front populaire pour le pain, la paix et la liberté. A cet effet, nous avions élaboré un
programme de revendications immédiates intéressant toutes les couches sociales de la
population laborieuse et susceptible ainsi d’en faciliter le rassemblement pour l’action
économique et antifasciste. […] après trois mois de discussions, nous en étions toujours au
même point234. »
Il n’est donc pas question de liste d’union des partis ouvriers aux élections municipales de
1935, y-compris à Hénin-Liétard. En 1929, la liste d’Adolphe Charlon avait été élue au
premier tour. L’élection de Cyprien Quinet aux élections cantonales est un coup de tonnerre
pour les socialistes héninois qui comprennent que le Parti communiste est en passe de
remporter les élections municipales. En avril 1935, un numéro spécial du bulletin municipal
héninois est consacré au bilan et à la rétrospective de l’équipe Charlon235.
La première de couverture est une adresse « à nos concitoyens » et défend le bilan de l’équipe
socialiste : « Nous avons pu réaliser complètement le programme de reconstitution de notre
ville. Nous y avons ajouté de nombreuses améliorations intéressant toute la population […].
La crise financière […] se fait lourdement sentir sur nos finances municipales, et nul ne sait
quand cela finira. Malgré les conséquences de la crise, nous avons heureusement équilibré
normalement nos budgets. […] Des économies ont été faites. D’autres seront obligatoirement
appliquées dans l’avenir, quels que soient les Administrateurs que vous allez élire. Le
changement d’homme ne modifiera pas la situation difficile qui ne dépend pas de la gestion
municipale, mais de la crise constatée non seulement à Hénin-Liétard, mais dans toutes les
communes de la région et de la France. Que faire ? Il faut avoir le courage de le dire. Serrer
le plus possible dans tous les rouages sans, pour cela, risquer l’arrêt de l’organisation dans

232
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5328, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 24 avril 1935
233
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5328, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 2 mai 1935
234
Les Cahiers du bolchevisme, 15 janvier 1935
235
Archives Municipales d’Hénin-Beaumont, 128 W2, Bulletin municipal n°39, avril 1935

84
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
les services normaux. Cela sera obligatoire, nous le répétons, pour n’importe quel Conseil
municipal. […] Nous ne pouvons rien vous promettre, attendu que nous sommes sous la
menace d’événements plus forts que nous. »
En dernière page du bulletin municipal figure un appel du maire Adolphe Charlon au ton
dramatique : « La ville d’Hénin-Liétard est à la veille d’un grand tournant dangereux » est-il
ainsi affirmé en titre. Sans jamais nommer ses adversaires communistes, Adolphe Charlon
déplore dès les premières lignes l’élection d’un conseiller général communiste : « Les
Héninois qui avaient les avantages d’avoir chez eux, député, conseiller général et une
Administration ancienne, qui a fait ses preuves, peuvent tout renverser. Si cela doit être, ils
l’auront voulu, car il leur est possible encore de se ressaisir en réfléchissant. » Face au risque
de la défaite, Adolphe Charlon présente sa candidature comme une forme de sacrifice
personnel. C’est par « dévouement » qu’il aurait accepté de se représenter : « En ce qui me
concerne personnellement, je suis fier de pouvoir rappeler que j’ai pu, pendant 34 ans, servir
la population par la Mairie, dans des époques souvent troublées, délicates et même fort
pénibles. Durant trois mandats, je crois avoir utilisé mes connaissances professionnelles à
l’avantage de tous nos concitoyens, quels qu’ils soient, et je ne crains nullement la
comparaison de nos travaux et de nos organisations devant l’avenir. J’avais décidé, il y a six
ans, de ne plus solliciter le renouvellement de mon mandat en 1935. Je comptais, dans le
calme de la continuation de notre Administration, confier la charge à un camarade
expérimenté et dévoué ; mais aujourd’hui comme pendant la guerre, mon devoir exige de ne
pas fuir devant le danger. Aussi, je me représente par dévouement encore, et si je suis
infériorisé, je partirai à côté de mes amis et camarades, avec leur sympathie jusqu’au
bout236. »
Le texte d’Adolphe Charlon est particulièrement fort et les termes utilisés ne sont sans doute
pas choisis au hasard. S’adressant à des électeurs qui ont pour la plupart connu la guerre et
l’occupation, Charlon se présente en rempart qui refuse de fuir devant le « danger »
communiste. Implicitement, les communistes sont comparés aux envahisseurs allemands. Un
an après l’affaire Joseph Fontaine, Hénin-Liétard est loin du front unique. L’unité qui s’est
faite dans les manifestations contre les ligues n’est plus de mise en période de campagne
électorale.
Malgré les efforts des socialistes, il y a ballottage et la liste communiste devance même la
liste socialiste du maire sortant avec 1 815 voix contre 1 806. C’est un camouflet pour les
socialistes qui l’emportent cependant au second tour à la faveur d’une alliance avec la liste
républicaine arrivée en 3ème position. Les socialistes obtiennent 2 295 voix et 26 élus et les
communistes, qui ont progressé entre les deux tours, 2 079 voix et un élu d’opposition avec
Nestor Calonne237.

236
Archives Municipales d’Hénin-Beaumont, 128 W2, Bulletin municipal n°39, avril 1935
237
Voir en annexes, tableau 6

85
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
3000

2500

2000

1500

1000 SFIO
PCF

500 Droite

L’évolution du rapport de forces électoral


entre la SFIO, le PCF et la droite à Hénin-
Liétard (1925-1935)

Comme on le voit sur le graphique de l’évolution du rapport de forces électoral entre la SFIO,
le PCF et la droite à Hénin-Liétard, la progression du vote communiste a été constante de
1925 à 1935 passant de 666 voix aux municipales de 1925 à plus de 1 800 voix aux
municipales de 1935 pour un nombre d’inscrits comparables. En gagnant près de 1 200 voix
en dix ans, les communistes ont presque triplé leur score. Sur la même période, la SFIO passe
d’une moyenne de 2 600 voix en 1925 à un peu plus de 1 800 voix en 1935, soit 800 voix de
moins dont on peut penser qu’elles se sont reportées sur le Parti communiste.
Dans les communes voisines d’Hénin-Liétard, les communistes arrivés en ballottage favorable
sont battus à Carvin et perdent la municipalité de Noyelles-Godault face à « une coalition
réactionnaire qui mena une campagne abominable payée par la Compagnie des Mines de
Dourges238. »

L’affaire Joseph Fontaine n’est pas oubliée pour autant et dans une ville traumatisée
par les événements de 1934, le Conseil municipal est unanime à voter un vœu pour la
dissolution des ligues fascistes lors de la séance du 29 juin 1935 : « Le Conseil Municipal

238
L’Humanité, 13 mai 1935

86
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
émet le vœu que le gouvernement prenne toutes mesures utiles pour le désarmement et la
dissolution des ligues fascistes, dont l’activité est un danger pour les libertés républicaines et
démocratiques ». Deux semaines plus tard, c’est une réunion extraordinaire du conseil
municipal qui se tient à l’Hôtel de ville d’Hénin-Liétard, le jour de la grande manifestation du
14 juillet 1935 qui rassemble 500 000 manifestants à Paris : « Fermement résolu […] à faire
cesser l’agitation dangereuse créée dans le pays par une faction fasciste armée qui tente
d’abattre la démocratie », le conseil municipal « se déclare entièrement solidaire du grand
rassemblement organisé le 14 juillet 1935 dans toute la France par le Front Populaire pour
la libération de la Nation de l’emprise des factieux239. »
L’invocation des « libertés républicaines et démocratiques » et de « la Nation » par les élus
héninois témoigne d’une volonté de réappropriation de la nation républicaine et de ses
symboles que les organisations de gauche entendent disputer aux ligues nationalistes. Ainsi,
lors du fameux rassemblement parisien du 14 juillet 1935, le physicien Jean Perrin, engagé à
la Ligue des Droits de l’Homme depuis l’affaire Dreyfus, s’exclame : « Ils vous ont pris
Jeanne d’Arc, cette fille du peuple abandonnée par le roi que l’élan populaire venait de
rendre victorieuse, et brûlée par les prêtres qui depuis l’ont canonisée. Ils ont essayé de vous
prendre le drapeau de 89, ce noble drapeau tricolore des victoires républicaines […], ce
drapeau qui tout à l’heure à nouveau coiffé du bonnet phrygien de 92, va flotter au-devant de
nos troupes, symbole des libertés que vous avez conquises, à côté de ce drapeau rouge,
devenu celui de l’Union soviétique, et qui, lui, symbolise l’espérance des malheureux […] Ils
ont enfin essayé de nous prendre cette héroïque Marseillaise, ce chant révolutionnaire et
farouche qui fit trembler tous les trônes d’Europe. » Désormais, le combat progressiste et le
patriotisme semblent étroitement reliés et ainsi, la cérémonie « inscrit l’antifascisme dans une
problématique nationale où le fasciste est l’autre, l’étranger240. »
Jean-Marie Fossier, dont nous avons déjà cité le témoignage et qui était à l’époque maître
d’internat se souvient des meetings antifascistes des années 1934-1935 : « Intervenaient dans
ces meetings des orateurs du parti, parmi lesquels Gabriel Péri, ou des tribuns du comité de
lutte antifasciste, comme Octave Rabaté. Ces derniers apportèrent d’ailleurs un ton tout à fait
nouveau dans nos manifestations. Ainsi, furent évoqués tous les combats de la tradition
démocratique et jacobine de notre pays241. »
La riposte antifasciste, dans le bassin minier et dans la région du Nord, n’a pas seulement
rapproché les organisations ouvrières, elle a produit une mutation du discours qui amène le
PCF à réinvestir les valeurs et les symboles de la République.

La fin de l’année 1935 est marquée par l’unification syndicale qui finit par aboutir, malgré les
réticences des ex-confédérés. De fait, lors des élections des délégués-mineurs de 1935, « les
unitaires l’emportent largement dans le Douaisi (17 élus sur 21) et le bassin d’Anzin (16 élus

239
Archives Municipales d’Hénin-Beaumont, 1 W19, Registre des délibérations du Conseil Municipal d’Hénin-
Liétard (1932-1936)
240
Vincent CHAMBARLHAC et Thierry HOHL, 1934-1936. Un moment antifasciste, Montreuil, Éditions La ville
brûle, Collection Mouvement réel, 2014.
241
Jean-Marie FOSSIER, Nous sommes restés des hommes. Mes combats 1933-1945, Geai bleu éditions, Lille,
2011.

87
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
sur 23) et, pour la première fois, devancent les réformistes dans le Pas-de-Calais (32 sièges
sur 62 et 11 000 voix contre 7 000)242. » Les réticences des dirigeants réformistes de la CGT
devant la perspective de la réunification s’expliquent par leur peur de perdre leur majorité au
sein de la future fédération des mineurs réunifiée.
Dans un rapport adressé au ministre de l’Intérieur, le préfet du Pas-de-Calais souligne que
« L’unité syndicale ne se trouve réalisée, à ce jour, dans mon département, que pour quelques
syndicats de cheminots, des postiers et pour celui des mineurs. Le congrès de fusion des
unions départementales se tiendra d’ailleurs à Calais le 22 courant. C’est seulement après ce
congrès que deviendra effective la fusion de la majorité des organisations ouvrières. […] En
ce qui concerne la corporation des mineurs de beaucoup la plus importante et la mieux
organisée de mon département, l’unité syndicale est un fait accompli depuis le 1er décembre.
Avant cette fusion, le syndicat confédéré comptait, dans les douze concessions minières du
bassin houiller du Pas-de-Calais, 259 sections dont 53 de travailleurs polonais et 69
d’ouvriers pensionnés groupant ensemble 29 532 syndiqués. L’apport du syndicat unitaire a
été de 20 sections groupant ensemble 3 418 membres. Le Syndicat unifié compte donc à ce
jour 279 sections et 29 350 adhérents. Toutefois, si l’on tient compte que dans l’effectif du
Syndicat unitaire se trouve 4 à 500 chômeurs de toutes autres professions que celle de
mineurs qui ne seront pas admis dans le syndicat unifié, on peut conclure que l’effectif de ce
dernier sera approximativement de 28 850 membres. […] Les tendances des membres du
bureau ne sont pas changées, l’ancien Conseil d’Administration du syndicat confédéré ayant
été réélu à une forte majorité243. »

Le Front populaire est confronté l’année suivante, aux élections législatives des 26 avril et 3
mai 1936244. C’est Cyprien Quinet qui est élu député de la circonscription face à Raoul
Evrard. A l’issue du premier tour de scrutin, Cyprien Quinet devance le député sortant avec
6 865 voix contre 5 380 au candidat socialiste, 2 824 à Arthur Caullet, candidat de
« concentration républicaine » et 1 473 à Martin, le candidat du Parti Démocrate Populaire245.
Evrard se désiste en faveur de Quinet : « Le Comité électoral du Canton de Carvin remercie
sincèrement les 6 865 électeurs qui se sont affirmés le 26 avril sur le nom de M. Cyprien
Quinet, candidat du Parti communiste. Son candidat étant largement en tête, il est, pour le
scrutin de ballotage, le candidat du Front Populaire chargé de battre les représentants de la
réaction et du fascisme. Le dimanche 3 mai, c’est en masse compacte, fraternellement unis,
que les électeurs socialistes et communistes, à qui viendront s’adjoindre tous les républicains
sincères, se rendront aux urnes pour le triomphe de la candidature de M. Quinet. Contre le
fascisme et la guerre, par la discipline républicaine, le canton de Carvin restera acquis aux
idées de Paix et de Progrès. Pour une France libre, forte et heureuse, les électeurs de la 5e

242
Frédéric SAWICKI, Le bassin minier, bastion de la gauche, in La Remonte, Lille, Presses Universitaires du
Septentrion, 2002.
243
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5304, rapport du préfet du Pas-de-Calais au ministre de
l’Intérieur, 19 décembre 1935.
244
Voir en annexes, tableau 7
245
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 27 avril 1936

88
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
circonscription de Béthune éliront triomphalement M. Quinet, candidat du Front
Populaire246. »
Au second tour, Cyprien Quinet ne rassemble pas toutes les voix qui s’étaient portées sur
Raoul Evrard, mais obtient tout de même 10 170 voix contre 5 822 à Arthur Caullet qui ne
pouvait compter que sur les reports de voix des électeurs du PDP et la mobilisation des
abstentionnistes du premier tour effrayés par une victoire communiste247. Le score moins
élevé que prévu obtenu par Quinet laisse penser qu’un certain nombre d’électeurs socialistes
ont préféré voter à droite plutôt que voter communiste. Celui qui a intégré entre-temps, en
décembre 1935, le bureau d’une fédération des mineurs CGT réunifiée est le seul député
communiste élu dans le Pas-de-Calais, illustrant par-là la progression du PCF aux dépens de
la SFIO à Hénin-Liétard et dans les environs. Pour Yves Le Maner, la stalinisation « faisait
accéder certains militants (Ramette, Quinet, Cadras) à une sorte de vedettariat régional, les
transformant d’une certaine façon en petits Thorez248. »

La carte du vote communiste aux législatives


d’avril 1936 fait apparaître les bastions du
bassin minier lensois et douaisien.

246
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 28 avril 1936
247
Le Journal de Roubaix, 4 mai 1936
248
Yves LE MANER, Les communistes du Nord et du Pas-de-Calais de l'agonie du Front Populaire à la guerre
(1938-1939). Seconde partie : Forces et faiblesses du communisme du Nord à la veille de la guerre, in Revue du
Nord n°278, juillet-septembre 1988, pp. 547-568

89
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
La personnalité de Cyprien Quinet, qui accède à la faveur de son élection au conseil général et
de son arrivée au bureau de la fédération CGT des mineurs réunifiée à une sorte de vedettariat
régional voulu par le Parti communiste expliquerait donc les bons résultats du Parti
communiste à Hénin-Liétard et dans la circonscription d’Hénin-Carvin en 1936.
Cette analyse est confirmée par une étude affinée des résultats électoraux comparés du PCF et
de la SFIO. On constate en effet qu’entre 1924 et 1936, sur les 14 communes du groupe de
Courrières qui recoupent pour partie la circonscription d’Hénin-Carvin, Hénin-Liétard se
caractérise par des scores moyens du Parti communiste (15,7 % en 1924, 25,4 % en 1928) et
des scores non négligeables de la droite (14,4 % en 1919, 21,3 % en 1924, 20,2 % en 1928 et
24,7 % en 1936). Ville de taille moyenne où il existe un électorat modéré, Hénin-Liétard fait
partie des zones de force de la SFIO qui obtient 44,5 % des voix aux législatives de 1928. On
assiste à un basculement lors des législatives de 1936, Raoul Evrard obtenant 28 % des voix
contre 37,4 % à Cyprien Quinet. Il faudra attendre l’après-guerre pour qu’Hénin-Liétard
redevienne un bastion socialiste dans la deuxième moitié des années cinquante249.
On peut donc se demander dans quelle mesure cette progression du PCF à Hénin-Liétard et
plus largement dans le bassin minier n’est pas, au moins en partie, le résultat de l’activisme
antifasciste déployé par le PCF dans le Nord et le Pas-de-Calais depuis 1934, activisme
antifasciste qui atteint son point d’orgue au moment de l’affaire Joseph Fontaine.
C’est la thèse de Danielle Tartakowsky qui souligne dans son ouvrage sur les manifestations
de rue en France que : « Le parti communiste doit au rapport de contemporanéité qu’il
entretient avec la crise de l’après-guerre, qui produit ailleurs le fascisme, d’être la force
politique la mieux à même de s’opposer à lui sur ce terrain, essentiel, de la conquête des
masses et de leur mise en mouvement. […] Les ligues développent, pareillement, une
importante activité. […] Les droites mobilisent la culture politique affirmée en février 1934 et
remportent une victoire aux effets pervers. La riposte s’opère à partir d’une double culture
politique : l’antifascisme (de classe), structuré depuis 1932, exprimé par le parti communiste,
la CGTU et Amsterdam-Pleyel et la culture républicaine revendiquée par la CGT et la SFIO.
Le 9 février et le 12 encore, ils s’incarnent dans deux rapports distincts à la rue. Le
retournement stratégique opéré par le parti communiste en mai 1934 permet de les intégrer
en un ensemble qui les transcende et les transforme. […] La culture de front populaire naît
du précipité. Elle vaut à la gauche française de désormais se définir par une double référence
à la culture de classe et à la culture démocratique250. »
Pour l’historienne, c’est la dynamique antifasciste, à travers les manifestations de rue, à Paris
comme en province, qui a permis au Front populaire de se construire en mouvement de masse
avant d’être une expérience gouvernementale.

L’activisme antifasciste est consubstantiel de l’identité du Front populaire comme le


résultat des élections cantonales d’octobre 1937 tend à le confirmer, cette fois au profit de la

249
Jean-Louis THIEBAULT et Christian-Marie WALLON-LEDUCQ, Trois aspects des comportements politiques
septentrionaux, in Revue du Nord, tome 64, n°253, Avril-juin 1982. Sociabilité et mémoire collective, pp. 603-
635.
250
Danielle TARTAKOWSKY, Les manifestations de rue en France (1918-1968), Paris, Publications de la
Sorbonne, 1997

90
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
SFIO. De fait, Cyprien Quinet étant devenu député, c’est Henri Darras, l’ancien maire de
Noyelles-Godault, qui est le candidat communiste, face à André Pantigny et à un candidat du
Parti social français (PSF) du colonel de La Rocque, Delelis251. Au premier tour de scrutin,
Pantigny devance Darras avec 7 357 voix contre 5 799 au candidat communiste et 3 261 voix
au candidat du PSF252. Henri Darras se désiste en faveur d’André Pantigny qui obtient 11 826
voix au second tour ; Delelis est nettement battu et n’obtient que 3 808 voix, soit 24 % des
suffrages exprimés253.

9000

8000

7000

6000

5000 SFIO
PCF
4000
Droite
3000
Centre
2000

1000

0
Législatives Législatives Cantonales Cantonales Législatives Cantonales
1928 1932 1934 1935 1936 1937

L’évolution du rapport de forces électoral entre la


SFIO, le PCF, la droite et le centre dans le canton
et la circonscription de Carvin (1928-1937)

Comme on le voit sur le graphique, les élections cantonales de 1937 marquent un coup d’arrêt
pour le PCF qui n’avait cessé de progresser dans la circonscription de Carvin depuis 1928. Ce
coup d’arrêt est cependant à relativiser : avec près de 5 800 voix, Henri Darras en 1937 fait
mieux que Cyprien Quinet en 1934. Au-delà du contexte politique de l’année 1937 marqué
par le départ de Blum et son remplacement par Camille Chautemps, l’évolution du rapport des
forces entre SFIO et PCF dans le canton de Carvin peut s’expliquer par la personnalité des
candidats. Henri Darras, que les rapports de police décrivaient comme un « orateur médiocre
et peu dangereux », venait de perdre la municipalité de Noyelles-Godault face à la droite lors
des municipales de mai 1935. Face à un candidat communiste moins populaire que Cyprien
Quinet, la désignation d’André Pantigny à la place de Raoul Evrard comme candidat SFIO

251
Voir en annexes, tableau 8
252
L’Humanité, 12 octobre 1937
253
L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, 19 octobre 1937

91
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
illustre un changement de génération. André Pantigny, on l’a vu, fait partie de la nouvelle
génération qui arrive aux commandes de la fédération socialiste dans les années trente et
incarne la ligne antifasciste de la SFIO. L’Action française l’a accusé d’être le responsable de
la manifestation du 11 avril 1934. Symbole de la ligne antifasciste et activiste de la SFIO,
André Pantigny l’emporte contre son concurrent communiste dans une élection au scrutin
uninominal où la personnalité et la notoriété des candidats en lice restent des facteurs
cruciaux.

C. L’affaire Joseph Fontaine dans la mémoire collective :

L’affaire Joseph Fontaine a constitué un « moment politique » local, au cœur d’une


année 1934 marquée par la montée du fascisme en France et en Europe et une riposte ouvrière
qui aboutit, deux ans plus tard, à la victoire du Front populaire et à l’élection, à Hénin-Liétard
d’un député communiste.
Pour plusieurs raisons, l’écho de l’affaire Joseph Fontaine s’estompe peu à peu dans la
deuxième moitié des années 30. Les grèves de mai-juin 1936, mobilisent les militants ouvriers
satisfaits par la dissolution des ligues fascistes qu’ils n’avaient cessé de revendiquer. La
montée des périls avec le déclenchement de la guerre d’Espagne est dans tous les esprits :
Hénin-Liétard accueille des enfants de républicains espagnols. Aux côtés de Maurice Thorez,
Nestor Calonne fait partie de la délégation française qui se rend à Moscou pour la réunion du
Présidium de l’Internationale communiste en août 1937. A cette date, le PCF est l’objet de la
plus grande vigilance de la part des instances de l’Internationale en raison de l’expérience du
Front populaire qui a amené le Parti communiste à se repositionner sur une ligne de défense
républicaine. La présence de Nestor Calonne au sein de la délégation française s’explique par
plusieurs raisons. Responsable du rayon d’Hénin-Liétard, Calonne est un proche de Thorez,
qui est natif de Noyelles-Godault et a exercé des responsabilités au niveau de la fédération
communiste du Pas-de-Calais. Calonne est également une figure de la lutte antifasciste. Par
ailleurs, son séjour en URSS est l’occasion pour Calonne de répondre à la polémique initiée
par Kléber Legay, responsable de la CGT qui a témoigné sur ce qu’il a vu en URSS et dont
l’ouvrage agite la CGT réunifiée. Dès 1937, Nestor Calonne s’engage dans les Brigades
internationales. Le conseiller municipal d’opposition communiste est démis de son mandat
après la signature du pacte germano-soviétique, dénoncé par la majorité municipale socialiste
héninoise : « Le conseil municipal d’Hénin-Liétard voue au mépris public tous les élus
communistes, allant du mandat municipal au mandat sénatorial, qui n’ont pas eu le courage
de réprouver le pacte criminel conclu entre Staline et Hitler254. »
Arrêté en février 1940, interné dans l’Isère puis à Digne, Calonne s’évade en janvier 1941 et
rejoint la résistance communiste dans le Pas-de-Calais. Il organise la grande grève des
mineurs du puits du Dahomey, qui éclate à Montigny-en-Gohelle en mai 1941. A la libération,
Calonne est élu maire d’Hénin-Liétard et député de la deuxième circonscription du Pas-de-
Calais.

254
Archives Municipales d’Hénin-Beaumont, 1 W20, Registre des délibérations du Conseil Municipal d’Hénin-
Liétard (1936-1940)

92
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Comme Nestor Calonne, le socialiste André Pantigny s’engage pour l’Espagne républicaine.
En 1938, il mène jusqu'à Barcelone un convoi de cinq camions de vivres et de médicaments
pour venir en aide aux républicains espagnols. Dès juillet 1940, il est actif dans la Résistance
et vit dans une semi-clandestinité. Il fait du renseignement, distribue des tracts, participe à des
journaux clandestins, organise des sabotages et fait plusieurs voyages pour rencontrer les
chefs de la Résistance en zone libre. Il devient au début de 1943 le chef départemental du
mouvement Libération-Nord. Il est arrêté le 12 juillet 1943 à la gare de Tourcoing par deux
policiers français qui croyaient avoir affaire à du marché noir. Après avoir été torturé par la
Gestapo, il est incarcéré à la prison de Loos-lez-Lille jusqu'au 27 mai 1944. Incarcéré un
temps à la prison de Gross-Strehlitz, il arrive, en compagnie de plusieurs autres résistants, au
camp de concentration de Gross-Rosen le 30 octobre 1944 et il y meurt le 4 décembre 1944.
Jean-Marie Fossier, qui était de toutes les manifestations antifascistes en 1934-1935, s’engage
dans les Brigades internationales. Commissaire politique, il combat notamment sur le front de
Saragosse avant de rentrer en France en novembre 1937. Il participe à la réorganisation du
PCF clandestin après le pacte germano-soviétique, mais est arrêté et emprisonné à Saint-
Brieuc en novembre 1940. Il réussit à s’évader et devient responsable des FTP dans la région
de Dunkerque. Arrêté en 1942, condamné à 15 ans de travaux forcés, il est déporté à Huy,
puis part avec le train de Loos le 1er septembre 1944 en déportation à Sachsenhausen. Il arrive
en janvier 1945 à Buchenwald où aux côtés de Marcel Paul, il organise la résistance à
l’intérieur du camp. Le 11 avril 1945, à la tête du bataillon « Hoche », il s’empare de la gare
du camp. A la libération, Jean-Marie Fossier devient rédacteur en chef du nouveau quotidien
communiste, Liberté.
Fernand Turbant figure parmi les victimes de la répression. Devenu secrétaire régional du
sous-sol CGT en 1938-1939 pour le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme, la Seine-Inférieure,
l’Aisne et l’Oise, Fernand Turbant avait refusé de désavouer le pacte germano-soviétique et
fait partie des organisateurs de la grève des mineurs de mai-juin 1941. Arrêté le 22 juin 1941
par la police française et interné comme otage à la caserne Négrier de Lille, il est fusillé le 26
septembre 1941 en représailles à un vol d’explosifs commis dans la nuit du 22 au 23
septembre 1941 et à des attentats contre des trains de transport militaires et des trains français
dans le courant de la nuit suivante, ainsi que dans la journée du 25 septembre attribués par les
autorités allemandes à des « bandits armés, certainement des communistes255».

255
Claude PENNETIER, Jean-Pierre BESSE, Thomas POUTY et Delphine LENEVEU Delphine (ss. dir), Les fusillés
(1940-1944), Editions de l’Atelier, 2015

93
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

Avis du général Niehoff en date du 26


septembre 1941 annonçant l’exécution de
vingt otages. L’Héninois Fernand Turbant
figure parmi les victimes.

Cyprien Quinet, lui, est condamné par le tribunal correctionnel d’Arras le 6 septembre 1939 à
trois mois de prison pour avoir distribué des tracts justifiant le pacte germano-soviétique.
Déchu de son mandat de député le 20 février 1940 comme la plupart de ses collègues
communistes, il s’engage dans la Résistance après son évasion du centre de séjour surveillé de
Saint-Sulpice en février 1941. Reconnu en novembre 1943, il est à nouveau arrêté et
condamné à un mois de prison en janvier 1944. Il est remis aux Allemands fin juin 1944,
transféré vers Compiègne et déporté à Dachau où il meurt le 2 novembre 1944, dévoré par des
chiens256.
Son adversaire malheureux, l’ancien député SFIO Raoul Evrard participe dès 1941, au nom
du Comité d'action socialiste de la zone nord, à une mission destinée à unifier les efforts
d'organisation de la Résistance dans les deux zones. Il ne cessera de militer pendant la guerre.
Le 29 février 1944, sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Gestapo, il meurt à Paris d'une crise
cardiaque, à l'âge de 64 ans.

256
Jean-Marc BERLIERE et Franck LIAIGRE, Liquider les traîtres : La face cachée du PCF, 1941-1943, Robert
Laffont, Paris, 2007

94
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
C’est dans la toponymie que l’on retrouve l’écho de l’affaire Joseph Fontaine. Si le
militant communiste n’a pas de rue à son nom à Hénin-Liétard, trois communes voisines
Noyelles-Godault, Drocourt et Beaumont-en-Artois - qui a fusionné en 1971 avec Hénin-
Liétard - lui attribuent une rue.
A Noyelles-Godault, la municipalité communiste dirigée par Henri Darras inaugure une rue
Joseph Fontaine dès le 20 juin 1934, une initiative contestée à en croire le rapport du sous-
préfet de Béthune daté du 23 juin : « A Noyelles-Godault, même échec pour l’inauguration de
la rue Joseph Fontaine. La municipalité communiste, qui avait fait venir 15 sociétés sportives
ou musicales, est fortement critiquée par les habitants. Certains ont manifesté leur
mécontentement le soir même en arrachant la plaque Joseph Fontaine et des banderoles
rouges257. »

Sur les traces de son père : l’engagement de Pulchérie Fontaine

La famille de Joseph Fontaine continue d’occuper une place dans le dispositif


communiste héninois. La propre fille de Joseph Fontaine, Pulchérie Fontaine, est ainsi une des
grandes figures de la résistance communiste héninoise. Née le 12 juin 1906, Pulchérie
Fontaine a 37 ans, lorsqu’elle est jugée devant la section spéciale du tribunal de Douai le 13
novembre 1943 pour activités communistes. Les sections spéciales sont des juridictions
d’exception qui avaient été institués auprès de chaque cour d’appel pour les autorités de
Vichy après l’attentat du métro Barbès du 21 août 1941 pour juger les militants communistes
et anarchistes.
De fait, pendant l’occupation, Hénin-Liétard est un foyer de la résistance contre les
Allemands. Après une première cessation de travail le 21 février 1941, un mouvement de
grève particulièrement important touche tout le bassin minier du Pas-de-Calais et mai et juin
1941. Partie du puits du Dahomey de Montigny-en-Gohelle, à la limite avec Hénin-Liétard, la
fosse 7-7 bis des mines de Dourges dans laquelle travaillait Joseph Fontaine, la grève s’étend
en cinq jours à l’ensemble du bassin minier. Au total, plus de 100 000 mineurs se mettent en
grève. Des manifestations de ménagères encadrées par des militantes communistes comme
Emilienne Mopty sont organisées jusqu’aux grands bureaux de la Compagnie des Mines de
Dourges. La répression est féroce, le bilan se solde par plus d’une centaine d’arrestations, des
exécutions et la déportation de 270 personnes. Michel Brulé, mineur de vingt-huit ans qui
dirigeait les jeunesses communistes de Montigny-en-Gohelle avant la guerre, doit passer dans
la clandestinité. Il se cache à Hénin-Liétard chez les époux Hoquet, un ménage de vieux
communistes qui habite chemin de la Buisse : « Dans le grenier de cette maison est installée
la ronéo des jeunes communistes. Chaque jour, elle tourne et c’est Pulchérie Fontaine qui
tape les stencils. Là aussi sont entreposées des armes que les jeunes ont découvertes ; elles y
sont nettoyées, remises en état. Là aussi sont données des cours pour l’utilisation de ces

257
Archives Départementales du Pas-de-Calais, M 5573, rapport du sous-préfet de Béthune au préfet du Pas-
de-Calais, 23 juin 1934.

95
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
armes et de ces explosifs. Un jour, il y aura une dénonciation. Le refuge est cerné par la
police. Michel Brulé est aperçu sur le toit de la maison, alors qu’il tendait de s’échapper258. »
Condamnée par la section spéciale de Douai, Pulchérie Fontaine est emprisonnée à Cuincy
avant d’être transférée à Rennes où elle est écrouée le 9 février 1944. Pulchérie Fontaine est
remise aux autorités allemandes le 5 avril 1944 avec 67 autres détenues. Au total, 245
détenues de la Maison centrale de Rennes sont remises aux Allemands entre avril et mai 1944
en trois convois qui quittent la gare de Pantin pour le camp de concentration de Ravensbruck.
Pulchérie Fontaine fait partie du convoi qui part pour Ravensbruck le 18 avril 1944259. A
Ravensbruck, elle retrouve Martha Desrumeaux : « Elles se souviennent des années 1934 et
1935 où il fallait se battre contre les émules des nazis, les fascistes français. Le père de
Pulchérie avait été tué à coups de revolver à cette époque par un industriel lillois d’Action
française et Martha allait fréquemment rendre visite à la veuve, à Hénin-Liétard260. »
Les parcours de Nestor Calonne, de Pulchérie Fontaine ou d’André Pantigny sont
emblématiques de l’imprégnation antifasciste du Parti communiste et du Parti socialiste dans
le bassin minier du Pas-de-Calais qui conduit les militants à s’engager très tôt dans la
Résistance.

Deux ans après les élections municipales de mars 1945 qui ont amené le PCF au
pouvoir à Hénin-Liétard, on retrouve ainsi Pulchérie Briquet, la fille de Joseph Fontaine, sur
la liste municipale de Nestor Calonne en 1947. La liste communiste obtient 4 583 voix et onze
élus, devant la SFIO qui obtient 3 905 voix et 9 élus et la liste du MRP qui obtient 2 874 voix
et 7 élus. L’alliance SFIO-MRP conduit à la chute de Nestor Calonne et à l’élection d’un
maire socialiste qui s’entoure de plusieurs adjoints MRP. Les onze élus communistes, dont
Nestor Calonne et Pulchérie Briquet, passent dans l’opposition. Pulchérie Fontaine a alors 39
ans lorsqu’elle intègre le conseil municipal aux côtés de Nestor Calonne. Membre du comité
fédéral du Parti communiste du Pas-de-Calais, membre du conseil national de l’Union des
Femmes Françaises, l’organisation liée au PCF et présidée par Jeannette Vermeersch pour le
travail en direction des femmes, elle devient une des grandes figures du parti communiste
héninois de l’après-guerre, aux côtés de Blanche Volanti, résistante et déportée durant la
Seconde guerre mondiale. Pulchérie Fontaine reçoit la légion d’honneur pour faits de
résistance. Elle est décédée en 1992. Sa tombe se trouve au cimetière de Beaumont.
Contrairement à Blanche Volanti, elle n’a pas de stèle ni de plaque à Hénin-Beaumont.
Les plus anciens du Parti communiste se souviennent encore de Pulchérie Fontaine. C’est le
cas d’André Deshayes, ancien élu communiste d’Hénin-Liétard après-guerre : « J’ai été élu
sur la liste communiste en 1953. Nous avons été battus par l’alliance de la liste centriste
d’Henri Senez avec la liste SFIO de Fernand Darchicourt et nous nous sommes retrouvés
dans l’opposition. Nous étions sept ou huit conseillers d’opposition, je ne me souviens plus. A
l’époque, ce n’était pas le même mode de scrutin, on pouvait encore rayer des noms sur la
liste. Pulchérie Fontaine était déjà élue d’opposition dans le mandat précédent. J’ai fait un

258
Jean-Marie FOSSIER, Nord-Pas-de-Calais Zone interdite (mai 1940-mai 1945), Editions sociales, Paris, 1977.
259
Yves BOIVIN, Les condamnées des Sections spéciales incarcérées à la Maison centrale de Rennes déportées
les 5 avril, 2 mai et 16 mai 1944, monographie, janvier 2004.
260
Jean-Marie FOSSIER, Nord-Pas-de-Calais Zone interdite (mai 1940-mai 1945), Editions sociales, Paris, 1977.

96
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
mandat avec elle. Nous nous réunissions pour écrire nos tracts dans la cabine d’aiguillage
qui surplombe la voie ferrée261. » André Démarez, ancien membre du comité fédéral de la
Fédération du Pas-de-Calais du PCF et journaliste au quotidien communiste Liberté se
souvient lui aussi de Pulchérie Fontaine : « J’ai bien connu la fille de Joseph Fontaine,
Pulchérie Fontaine. C’était une femme admirable. Elle était aux côtés de Blanche Volanti
dans la résistance, on lui a décerné la légion d’honneur262. »
Fils d’un militant et résistant communiste, René Thierry ajoute : « Ma grand-mère tenait un
magasin dans la cité Darcy, rue des Margodillots. Je me souviens bien de Pulchérie Fontaine
qui était une de ses clientes régulières. Elle habitait au fond de la cité Darcy. A la Libération,
mon père a été élu avec elle, dans l’équipe de Nestor Calonne aux côtés d’Alfred Daniaux qui
était premier adjoint263. »
Pulchérie Fontaine a en effet été décorée de la médaille militaire par décret du 17 avril 1985
paru au Journal Officiel le 21 avril 1985 en qualité d’ « ancien sergent des Forces Françaises
de l’Intérieur, déportée-résistante », avant de recevoir la légion d’honneur par décret du 10
juillet 1991 paru au Journal Officiel le 13 juillet 1991264.
Quatre décennies plus tard, Danièle Rouzé, petite-fille de Pulchérie Briquet et arrière-petite-
fille de Joseph Fontaine, est candidate sur la liste présentée par le Parti communiste menée par
Jean-Bernard Deshayes aux élections municipales de 1989 et de 1995.

Une plaque commémorative, érigée après la Seconde guerre mondiale, est fleurie
chaque année, à la date anniversaire de la mort de Joseph Fontaine, par le Parti communiste.
Les derniers témoins ont aujourd’hui disparu et étaient trop jeunes pour se souvenir avec
précision des événements de l’année 1934. Ainsi, l’historien local Henri Claverie, âgé à
l’époque de 14 ans, évoque les Croix de Feu au lieu de l’Action française et croit savoir que
Joseph Fontaine serait mort par hasard : « il revenait avec un panier avec ses pigeons, il a vu
un attroupement place Carnot, il est rentré dans le couloir, il ne savait pas ce que c’était et il
s’est fait tuer265. »
Joseph Fontaine a droit à deux lignes dans le Dictionnaire Biographique du Mouvement
Ouvrier Français, le fameux dictionnaire Maitron, qui signale dans la notice d’un de ses
homonymes qu’il ne faut pas le confondre « avec le militant communiste homonyme qui fut
tué le 11 avril 1934 à l’âge de cinquante-sept ans à Hénin-Liétard lors d’une échauffourée
entre antifascistes et Camelots du Roi ».
Ce n’est pas le cas de sa fille, Pulchérie Fontaine, qui n’a ni notice dans la nouvelle série du
Maitron, ni plaque, ni rue à son nom au contraire d’autres résistants locaux et d’anciens élus
décédés dont les noms ont été retenus par la municipalité d’Hénin-Beaumont pour baptiser un
lycée professionnel (Henri Senez), une salle municipale (Marie-Louise Krupa, Anicet Copin,
Clément Picque…) ou encore un stade (Octave Birembaut).

261
Entretien avec André DESHAYES, 28 avril 2015.
262
Entretien avec André DEMAREZ, 17 mai 2015.
263
Entretien avec René THIERRY, 3 janvier 2016.
264
Archives de la grande chancellerie de la légion d’honneur
265
Interview d’Henri CLAVERIE par Patrick BOUQUET, http://pabqt.free.fr/

97
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

La plaque commémorative érigée après-


guerre place Carnot est fleurie chaque
année par le Parti communiste.

Pour expliquer cette absence, on peut reprendre ici l’analyse de Catherine Lacour-Astol sur la
Résistance féminine dans le Nord de la France : « au regard du sang versé par les hommes,
dont la mort, assimilée à une "belle mort" au champ d’honneur, dit l’engagement, le prix
98
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
payé par les femmes pour la victoire paraît dérisoire. Aussi, l’accès à la reconnaissance
passe-t-il pour les résistantes par la mise en avant de la répression subie266. »
L’absence de Nestor Calonne est encore plus surprenante. Conseiller municipal de 1935 à
1940, maire d’Hénin-Liétard de 1945 à 1947, député puis sénateur de 1945 à 1958, Nestor
Calonne est incontestablement une grande figure de la vie politique héninoise. Retiré de la vie
publique après avoir voté contre la révision constitutionnelle de 1958, Calonne est décédé à
Nice en 1979. Nestor Calonne figure dans le Maitron ainsi que dans le Dictionnaire des
parlementaires français, mais étrangement, la municipalité d’Hénin-Beaumont qui aurait pu
donner son nom à une rue ou à un bâtiment public ne l’a jamais fait. Pourtant, au moment du
décès de Nestor Calonne, le Parti socialiste et le PCF sont engagés dans la stratégie d’union
de la gauche et présenteront d’ailleurs une liste d’union dès le premier tour des élections
municipales de 1983 menée par le socialiste Jacques Piette.
Nestor Calonne est le seul des anciens maire d’Hénin-Liétard à ne pas avoir de rue ou
d’édifice public à son nom alors qu’on a donné le nom d’Adolphe Charlon à un centre
hospitalier, de Julien Splingart, éphémère maire SFIO de la ville nommé par le conseil local
de libération à une résidence, de Fernand Darchicourt, député-maire et conseiller général
SFIO de 1953 à 1968 à un boulevard et à un lycée tandis qu’un autre boulevard était baptisé
du nom de Jacques Piette, maire et conseiller général d’Hénin-Liétard de 1969 à 1989.
Jean-Marie Saudemont, petit-fils de Nestor Calonne que nous avons rencontré nous confie :
« Mon grand-père est le seul ancien maire à ne pas avoir de rue à son nom. Personne n’est
jamais venu voir ma mère pour ça. Ma mère, c’était sa fille. Les communistes et les
socialistes ne s’aimaient pas, à l’époque… D’ailleurs, je me souviens d’une anecdote qui
remonte à l’époque de Jacques Piette. J’avais sollicité un rendez-vous pour travailler en
mairie. Jacques Piette ne m’a pas reçu personnellement – il était souvent à Paris – mais un
de ses adjoints qui m’a dit qu’il n’y avait pas de boulot pour moi. Et comme je sortais de son
bureau, il a ajouté "en plus, ton grand-père a été maire !"267 »
Les conseillers généraux socialistes des années trente, Henri Leclercq et André Pantigny ont
chacun une rue qui porte leur nom à Hénin-Beaumont, tout comme Raoul Evrard qui a été
député de 1919 à 1936, mais le carvinois Cyprien Quinet, pourtant conseiller général et
député de la circonscription et victime, comme Pantigny, de la répression nazie, n’a pas de rue
à son nom.
On peut formuler l’hypothèse que dans un secteur marqué par une vive concurrence entre
socialistes et communistes, l’importance du « moment antifasciste » a été reléguée par les
différentes équipes socialistes qui se sont succédées après-guerre à la tête de la municipalité
d’Hénin-Liétard puis d’Hénin-Beaumont, face aux nouveaux enjeux de la guerre froide qui
ont réactivé les oppositions entre socialistes et communistes. Il en résulte de fait un véritable
« déni de mémoire » au détriment des personnalités communistes engagées dans les luttes
antifascistes des années trente et dans la Résistance qui en a été le prolongement.

266
Catherine ASTOL-LACOUR, Le genre de la Résistance. La Résistance féminine dans le Nord de la France, Paris,
Les Presses de Sciences Po, coll. « Histoire », 2015.
267
Entretien avec Jean-Marie SAUDEMONT, 6 août 2015

99
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

CONCLUSION
Au lendemain des événements parisiens du 6 février 1934, l’affaire d’Hénin-Liétard
constitue une étape essentielle, à l’échelle du bassin minier du Pas-de-Calais, du
rassemblement des gauches face à ce que les organisations ouvrières perçoivent comme un
péril fasciste. L’activité de ligues nationalistes anciennes, comme l’Action française, ou plus
récentes, comme les Jeunesses Patriotes ou la Solidarité française, inquiètent les organisations
ouvrières dans un contexte de crise économique qui frappe en premier lieu les travailleurs
étrangers.
La mort d’un mineur communiste au cours d’une contre-manifestation contre la présence de
l’Action française a suscité l’indignation à gauche et a débouché sur une manifestation
unitaire de grande ampleur réunissant des socialistes et des communistes qui se méfient
encore les uns des autres mais qui, deux mois plus tard, seront tous pareillement indignés par
le verdict d’acquittement prononcé par les assises de Saint-Omer. En ce sens, l’affaire
d’Hénin-Liétard constitue un « petit 6 février » local aux dimensions régionales et même
nationales.
Il convient de bien mesurer l’inquiétude et l’émotion réelles des antifascistes. Pour
Chambarlhac et Hohl, « l’antifascisme est alors, au revers des interprétations en
manipulation, l’investissement de l’espace public, des rues et des places pour donner une
visibilité à ce qui n’est pas immédiatement normé, à savoir l’émotion devant le danger,
l’émotion devant l’inacceptable268. »
Dans toute la région du Nord, des manifestations antifascistes sont organisées qui contribuent
à rapprocher militants communistes et socialistes, syndicalistes confédérés et unitaires, mais
la marche vers le Front populaire est laborieuse, dans un bassin minier où la division
syndicale est ancienne. Malgré les divisions persistantes entre elles, les organisations
ouvrières, soutenues par les municipalités socialistes et communistes, sortent victorieuses de
l’affrontement avec les ligues nationalistes pour le contrôle de la rue. Chassées de la rue,
empêchées de tenir des réunions publiques dans les municipalités ouvrières, les ligues
entament leur reflux.
Dans son article sur « l’affrontement simulé des années 1930 », l’historien Serge Berstein
évoquait une « guerre civile-simulacre » : « L’affrontement, qui, au début des années trente
(et particulièrement en 1934), oppose les tenants du pouvoir fort à ceux de la République
parlementaire, est de ceux qui ne se justifient guère. […] Aussi la guerre idéologique ne peut-
elle se livrer qu’en diabolisant l’adversaire et en caricaturant ses intentions. […] Pour la
gauche, les ligues sont tout naturellement un "fascisme français", La Rocque le Mussolini
national et le 6 février 1934 l’équivalent parisien de la "marche sur Rome". Ce qui aurait pu
être un débat sur la forme de régime la plus adéquate à résoudre les problèmes d’une France
en difficulté devient ainsi une guerre de religion contre des idéologies totalitaires dont les
modèles se trouvent à l’étranger. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a aucun rapport
entre la réalité des camps en présence et l’étiquette que l’adversaire leur accole, mais il
268
Vincent CHAMBARLHAC et Thierry HOHL, 1934-1936. Un moment antifasciste, Montreuil, Éditions La ville
brûle, Collection Mouvement réel, 2014.

100
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
n’importe. L’ennemi est ainsi commodément désigné : il est le mal contre lequel s’impose la
guerre sainte idéologique, celle dans laquelle aucun compromis n’est possible sauf à trahir
les valeurs fondamentales269. »

L’affaire Joseph Fontaine illustre le propos de Serge Berstein. Comme le 6 février


1934, le drame d’Hénin-Liétard constitue un épisode d’une « guerre civile larvée » qui oppose
les ligues nationalistes et les organisations ouvrières. Cette « guerre civile larvée » n’est pas la
première que connaît la Troisième République. Déjà, à la fin du XIXe siècle, l’affaire Dreyfus
avait vu s’opposer nationalistes antidreyfusards défenseurs de l’honneur de l’armée et
républicains attachés aux libertés publiques et à l’égalité entre tous les citoyens. La guerre
civile larvée des années trente se joue sur fond de scandales financiers et de crise économique.
Elle oblige chacun des deux camps irréconciliables à construire des coalitions pour se
défendre et combattre l’ennemi : « rassemblement populaire » des antifascistes contre « front
national » des ligues nationalistes.
Pour autant, l’analyse des événements de l’année 1934 doit conduire à nuancer le propos.
Tout au long de l’année 1934, on assiste à une violence de basse intensité qui s’explique par
plusieurs facteurs : les précautions prises par les autorités, municipalités ouvrières qui
interdisent les réunions nationalistes ou arrêtés d’interdiction de manifester émanant de la
préfecture limitent les risques de bagarres politiques. Si dans les tracts et les journaux, les
mots se font violents à l’encontre des adversaires « fascistes » ou « rouges », la violence
physique reste limitée.
Les formes de l’affrontement politique expliquent que la violence soit restée une violence de
basse intensité. De fait, les organisations ouvrières ripostent à ce qu’elles analysent comme
une menace fasciste par la manifestation de rue. Si la manifestation de rue est une lutte
symbolique pour le contrôle de l’espace public, la manifestation est aussi un rituel politique
encadré et pacifique dont l’objectif est de convaincre l’opinion publique. La constitution de
milices d’autodéfense est étrangère aux cultures socialiste et communiste.
Par ailleurs, les affrontements politiques entre antifascistes et nationalistes s’inscrivent dans
une perspective électorale qui explique pour partie les hésitations des socialistes et des
communistes du bassin minier du Pas-de-Calais à s’allier avec leur concurrent. Les élections
s’enchaînent chaque année : cantonales de 1934, municipales de 1935, législatives de 1936…
A gauche, l’activisme antifasciste et à droite, la peur des « rouges » permettent de mobiliser
l’électorat. La « guerre civile larvée » des années trente atteint son paroxysme en 1934, mais
la victoire du Front populaire aux législatives de 1936 radicalise l’électorat d’une droite
nationaliste qui se recompose avec la création par Jacques Doriot du PPF et par les Croix de
Feu du colonel de La Rocque du Parti Social Français.
Au sein de la CGT réunifiée, le clivage entre socialistes et communistes n’a jamais disparu et
renaît à l’occasion de l’échec et de la répression des grèves de novembre 1938 contre le
gouvernement Daladier.

269
Serge BERSTEIN, « L’affrontement simulé des années 1930 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 5/1985, p.
39-54.

101
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Militant, mineur, père de famille et syndicaliste, Joseph Fontaine est érigé par le Parti
communiste en martyr de la classe ouvrière à un moment où le Parti communiste s’engage
dans le rassemblement populaire qui le mènera aux succès électoraux de mai 1936 et c’est
dans la circonscription d’Hénin-Liétard, ébranlée par l’affaire Joseph Fontaine, que le premier
député communiste du Pas-de-Calais, Cyprien Quinet, est élu.
Danielle Tartakowsky souligne que « Chez les antifascistes, la dynamique unitaire amorcée
par et dans la rue participe de redéfinitions stratégiques qui permettent, en juillet 1934, au
Parti communiste et à la SFIO de ratifier un pacte d’unité d’action antifasciste. Les
interactions entre mobilisation collective et stratégies partisanes s’amplifient avec et après
les élections municipales de mai 1935. La perpétuation des manifestations politiques et
revendicatives vaut au Front populaire de se construire comme un mouvement de masse avant
d’être une expérience gouvernementale, qui sera marquée jusqu’à son terme par cette culture
de mobilisation270. »
L’antifascisme met les militants en mouvement. Il crée une dynamique qui profite au Parti
communiste, mais il n’efface pas, loin de là, l’opposition ancienne et structurante entre
réformistes et révolutionnaires dans le bassin minier du Pas-de-Calais, qui remonte aux luttes
des années 1900 entre réformistes du « Vieux syndicat » des mineurs d’Emile Basly et
révolutionnaires du « Jeune syndicat » de Benoît Broutchoux.
Il y a d’ailleurs correspondance entre les zones de force de la CGTU et du PCF et les bastions
qui étaient ceux du « Jeune syndicat ». Ainsi Frédéric Sawicki note que : « L’hypothèse la
plus sérieuse pour expliquer le développement du communisme dans le Pas-de-Calais renvoie
à la continuité entre les zones d’implantation du guesdisme et du syndicalisme
révolutionnaire et du communisme, du moins à ses débuts. Cela concerne au premier chef les
communes de la compagnie de Courrières, tristement célèbre en raison de la catastrophe qui
a fait plus de 1000 victimes en 1906. La grève quasi insurrectionnelle qui s’en est suivie y a
favorisé le développement du syndicalisme révolutionnaire. Même si la répression a contraint
de nombreux militants à l’exil, notamment aux Etats-Unis, l’autorité du Vieux syndicat y a été
plus durablement amoindrie. Lorsque les guesdistes conduisaient déjà l’opposition au Vieux
syndicat, la transition a encore été plus rapide. De fait, dès les années vingt, Avion, Harnes,
Méricourt, Rouvroy, Montigny-en-Gohelle deviennent des places fortes du communisme,
qu’elles sont encore aujourd’hui, à l’exception de la dernière. Il est à noter que cette
implantation renvoie probablement également aux politiques différentielles des compagnies,
inégalement paternalistes et répressives, ce qui a favorisé la concentration des “rebelles”
dans certains sites miniers plutôt que d’autres271. »

Les victoires électorales du PCF face à la SFIO dans la circonscription d’Hénin-Liétard sont
cependant circonscrites dans le temps. Après les victoires du communiste Cyprien Quinet aux
cantonales de 1935 et aux législatives de 1936, l’année 1937 voit la SFIO reprendre le canton
de Carvin alors qu’au plan national, le Front populaire commence à se fissurer.

270
Danielle TARTAKOWSKY, Les droites et la rue, histoire d’une ambivalence, de 1880 à nos jours, Paris, La
Découverte, 2014.
271
Frédéric SAWICKI, Le bassin minier, bastion de la gauche, in La Remonte, Lille, Presses Universitaires du
Septentrion, 2002.

102
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
L’affaire d’Hénin-Liétard nous éclaire mieux sur la mise en œuvre en province du
rassemblement populaire. Des manifestations du 6 février 1934 à la victoire électorale de la
coalition du Front populaire en mai 1936, le chemin n’est pas linéaire ni tracé d’avance. Si les
directions du PCF et de la SFIO signent en juillet 1934 un pacte d’unité d’action pour le
combat antifasciste et la défense des libertés démocratiques, sa mise en œuvre concrète, à
l’échelle locale, ne se fait pas sans résistances, du côté des communistes comme du côté
socialiste. Jusqu’aux municipales du printemps 1935, PCF et SFIO, qui prennent des
initiatives communes contre le fascisme, continuent de s’affronter avec vigueur sur le terrain
électoral à l’occasion des élections cantonales d’octobre 1934 et des municipales de mai 1935.
Pendant toute cette période, comme on l’a vu, les autorités sont très dubitatives sur les
chances du front unique SFIO-PCF de perdurer. Tous les rapports de police transmis au préfet
soulignent l’antagonisme entre socialistes et communistes et les réticences de la CGT devant
la perspective d’une réunification avec la CGTU. Si quelques sections syndicales s’unissent
effectivement, le mouvement reste très limité dans le département du Pas-de-Calais.
Il faudra attendre le lendemain des municipales de 1935 et la grande manifestation parisienne
du 14 juillet 1935, qui associe socialistes, communistes et radicaux pour que le rassemblement
populaire en prévision des législatives de 1936 d’une part et la réunification syndicale CGT-
CGTU deviennent réalité.
L’historien Gilles Vergnon évoquait la prégnance d’un « antifascisme jaurésien » et
républicain, celui des socialistes et des radicaux, face à l’antifascisme de classe revendiqué
par le Parti communiste. Dans le Pas-de-Calais, les événements du printemps 1934 et les
tiraillements observés entre socialistes et communistes sont le reflet de ces deux conceptions
de l’antifascisme. Conséquence concrète du pacte d’unité d’action de juillet 1934 conclu entre
la SFIO et le PCF, la pratique du désistement réciproque au second tour en faveur du mieux
placé réactive les réflexes de défense républicaine de la fin du XIXe siècle. En ce sens,
l’antifascisme rompt l’isolement du Parti communiste de la période « classe contre classe » et
l’intègre dans le camp de la gauche.

L’affaire d’Hénin-Liétard peut également apporter quelques éléments de réponse sur la


question du rôle respectif des partis communistes nationaux comme le PCF et du centre qu’est
alors l’Internationale communiste dirigée par Dimitri Manouilski puis Georges Dimitrov dans
la mise en œuvre de la stratégie du Front populaire. Lors du 13e plenum de l’Internationale
communiste, en décembre 1933, la justesse de l’orientation « classe contre classe » est
réaffirmée. Serge Wolikow souligne que « De l’été 1934 à celui de l’année suivante, l’IC
opère des modifications sans précédent dans son discours et sa tactique. L’émergence du mot
d’ordre de Front populaire, emblème du changement, ne saurait être réduite à un simple
épisode conjoncturel. Le centre de gravité du mouvement communiste se déplace alors de
l’Allemagne vers la France qui devient le laboratoire de la nouvelle politique. […] la
promotion de Georges Dimitrov à la tête de l’IC symbolise une sorte de cours nouveau. […]
Dimitrov impulse, avec l’approbation tacite, mais réservée de Staline, une orientation
explicitement antifasciste et unitaire. L’évolution de la situation politique française contribue
sans doute à précipiter les décisions de l’IC. Les critiques lancées par Doriot, au début de
1934, contre le sectarisme et la politique anti-unitaire du Parti ne sont pas sans écho auprès

103
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
de certains militants qui, l’année précédente, se sont engagés dans des pourparlers avec les
socialistes et qui ont, en février, manifesté à leurs côtés pour dénoncer l’action de l’extrême
droite contre les libertés démocratiques. […] Bientôt, les dirigeants de l’IC recommandent à
Thorez une politique largement unitaire impliquant des pourparlers avec les dirigeants
socialistes en vue d’actions communes contre le fascisme. Le PCF devient l’objet de toutes les
attentions du Komintern. La conférence nationale du Parti, fin juin 1934, met ainsi l’accent
sur la nécessité d’une riposte antifasciste élargie, fondée sur l’action commune avec les
socialistes en vue de défendre les libertés démocratiques. Ce premier changement est impulsé
par Manouilski et Dimitrov. […] Désormais, la direction du PCF peut apparaître comme la
force politique soucieuse de l’unité antifasciste. La signature, en juillet 1934, d’un pacte
d’unité d’action avec le Parti socialiste est un événement dont l’importance inédite doit être
bien appréciée. […] A l’automne 1934, l’apparition du mot d’ordre de Front populaire est
une initiative dont le centre d’impulsion n’est plus à Moscou mais à Paris272. »
Un an plus tard, lors du 7e congrès de l’Internationale communiste, le 3 août 1935, Maurice
Thorez explique aux délégués :
« À la fin de l'année 1933, un gros scandale financier ayant éclaté, les groupements fascistes
tentèrent de l'utiliser pour mener campagne contre le Parlement et contre le parti radical qui
se trouvait au gouvernement. […] Ils menèrent une violente campagne de presse ; ils
tentèrent de multiples manifestations. Le 6 février 1934, les chefs fascistes et réactionnaires
lancèrent leurs troupes à l'assaut de la Chambre des députés. Ils ne purent réussir dans leur
entreprise. La riposte de la classe ouvrière fut prompte et efficace. Dès le 6, notre Parti avait
organisé des contre-manifestations. Le 7, les faubourgs alertés étaient en pleine
effervescence. Le gouvernement Daladier démissionna; l'ancien président de la République,
Doumergue, fut appelé au pouvoir. Toutes les manifestations furent interdites. Le parti
socialiste renonça à une manifestation qu'il avait annoncée pour le 8, place de la Bastille. Le
Parti communiste, passant outre à l'interdiction de la police, maintint la manifestation qu'il
avait fixée au 9 février place de la République. […] Ce fut le signal et l'exemple. Le 12
février, la grève générale, déclenchée par la CGT sous la pression de la CGTU et du Parti
communiste, faisait sortir des entreprises 4 millions et demi d'ouvriers. Les manifestations
groupèrent pour la première fois, sur une grande échelle, des communistes, des socialistes,
des unitaires et des confédères. On compta plus d'un million de manifestants dont 200 000 à
Paris. […]
Mais Doumergue est au pouvoir. C'est l'Union nationale, une formation politique au service
du grand Capital. Le gouvernement impose de lourds sacrifices aux travailleurs. Il favorise
les agissements criminels de bandes fascistes qui essayent de gagner en influence après leur
demi-échec de février. Dans tout le pays, les tentatives de parades fascistes ou de réunions
provoquent de vigoureuses contre-manifestations ouvrières. Une douzaine de travailleurs
sont tués dans la bataille contre les fascistes armés et protégés par la police. Mais chaque
victime tombée pour la cause rend plus farouche et plus ardente la volonté des ouvriers qui
ne cèdent pas et gagnent du terrain. Dans l'intervalle, le Pacte de lutte commune contre le

272
Serge WOLIKOW, L’Internationale communiste (1919-1943). Le Komintern ou le rêve déchu du parti mondial
de la révolution, Editions de l’Atelier, Paris, 2010

104
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
fascisme est signe entre le Parti communiste et le parti socialiste. Les classes moyennes
commencent à subir l'attraction de la classe ouvrière unie.
Aux élections cantonales, en octobre 1934, le Parti communiste remporte un éclatant succès
et limite l'avance des partis de droite favorables au fascisme. Doumergue est contraint de
démissionner. Alors, face au progrès de l'influencée communiste et au développement de
l'unité d'action, les groupements fascistes redoublent d'activité. Certains sont demeurés à
l'état de sectes, de bandes mercenaires, sans grande influence dans les masses. Les Croix de
feu, au contraire, se sont développés et ils multiplient leurs exercices de guerre civile. […]
Les menaces insolentes de la Rocque, les répétitions de futures expéditions punitives eurent
pour résultat de rapprocher les radicaux du Front populaire. Ils donnèrent leur adhésion au
rassemblement du 14 juillet. […] Il y a actuellement un piétinement et parfois même un recul
de l'influence du fascisme en France. On assiste à des polémiques entre les différents
groupements fascistes, à des dissensions dans plusieurs de ces groupements. Les fascistes
français ne sont pas parvenus à unifier entièrement leur mouvement. Les Camelots du roi se
disputent avec les Jeunesses patriotes; les Francistes et la Solidarité française polémisent
dans leur presse avec les Croix de feu, etc. »
Maurice Thorez ne cite pas l’affaire d’Hénin-Liétard, mais c’est sans doute à Joseph Fontaine
qu’il pense lorsqu’il évoque la « douzaine de travailleurs tués dans la bataille contre les
fascistes armés » à l’occasion de contre-manifestations ouvrières. En ce sens, on peut estimer
que l’affaire d’Hénin-Liétard a constitué un véritable « laboratoire du Front populaire ». C’est
ce que confirment d’autres analyses locales, comme celle de Dimitri Manessis sur les
affrontements du 10 juin 1934 à Grenoble entre antifascistes et forces de l’ordre pour
empêcher la tenue d’un défilé nationaliste organisé par Philippe Henriot273. Pour Dimitri
Manessis, « Sans préfigurer totalement l’« antifascisme jaurésien » évoqué par Gilles
Vergnon, les événements antifascistes grenoblois de juin 1934 posent les jalons, dans
l’action, d’une unité populaire, syndicale et enfin politique. Ils font apparaître des
chronologies locales qui peuvent parfois être en décalage avec celles d’autres niveaux
(nationaux ou internationaux), donnant ainsi tout leur intérêt à des études « par le bas » sur
le mouvement communiste ou de façon plus générale sur le mouvement ouvrier. Des
parallèles peuvent également être établis sur les formes de l’action antifasciste de cette
période, avec des événements analogues se déroulant à l’étranger, comme la « bataille de
Cable Street » à Londres, où, le 4 octobre 1936, la British Union of Fascists d’Oswald
Mosley est empêchée de défiler par la mobilisation des populations d’un quartier ouvrier de
la capitale britannique. »
A Hénin-Liétard, comme à Roubaix ou à Grenoble, le front populaire est né « en bas » dans
les manifestations antifascistes du printemps 1934 avant qu’ « en haut », le PCF ne signe un
accord formel avec la SFIO voulu et approuvé par l’Internationale Communiste.

Par la suite, la défense de l’Espagne républicaine mobilise et rassemble les


antifascistes et à cet égard, il est symptomatique de retrouver Nestor Calonne et André
Pantigny, dont on a rappelé le rôle qu’ils ont joué dans les événements de l’année 1934,

273
Dimitri MANESSIS, « Grenoble 1934 : les barricades de l’unité », ANR PAPRIK@2F, 30 septembre 2014

105
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
s’engager tous deux aux côtés des républicains espagnols. Si l’unité syndicale retrouvée ne
résiste pas à la signature du pacte germano-soviétique, la dynamique antifasciste à l’œuvre à
la suite du drame d’Hénin-Liétard trouve son prolongement dans l’engagement précoce des
militants ouvriers et tout particulièrement des communistes dans la Résistance durant
l’Occupation. Les socialistes se divisent face à l’occupation, les réflexes anticommunistes
conduisant une partie des dirigeants socialistes et cégétistes à collaborer, alors que
l’expérience des luttes antifascistes et du soutien à l’Espagne républicaine expliquent l’entrée
précoce en résistance de militants socialistes comme Pantigny.

Après 1945, le souvenir de Joseph Fontaine, inscrit dans l’espace urbain héninois au
travers d’une plaque et de rues en sa mémoire, porté par sa famille, en particulier par sa fille
Pulchérie Fontaine, héroïne de la Résistance et figure communiste de l’après-guerre, a perduré
jusqu’à aujourd’hui et continue de marquer la mémoire de la gauche locale, d’autant plus que
celle-ci est aujourd’hui confrontée, dans un contexte de crise des industries de la reconversion
et de montée du chômage à une poussée de l’extrême droite qui a pris désormais le visage du
Front national.
Désormais à la tête de la commune d’Hénin-Beaumont et de deux des trois cantons de la
circonscription d’Hénin-Carvin depuis les élections départementales de 2015, le Front
national, soucieux de prouver sa respectabilité, a sobrement fait déposer une gerbe de fleurs
sur la plaque de Joseph Fontaine à l’occasion du 80ème anniversaire de sa mort tandis que
socialistes et communistes surmontaient leurs divisions pour lui rendre un hommage commun.
Quatre-vingts ans après les événements héninois de l’année 1934, l’affaire Joseph Fontaine
reste incontestablement un objet d’histoire et un enjeu de mémoire local.

106
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

Annexes

Résultats électoraux (1925-1937)

Tableau 1 :

Elections municipales des 3 et 10 mai 1925


Arrondissement de Béthune – Commune
d’Hénin-Liétard
1er tour
Inscrits 4 960
Votants 4 508
Exprimés
Liste Adolphe Charlon 2 622 à 2 338
(SFIO)
Liste PCF 666 (en moyenne)
Liste de concentration 1 300 (en
républicaine moyenne)
Résultat : La liste Charlon (SFIO) obtient 25 élus

Tableau 2 :

Elections municipales des 5 et 12 mai 1929


Arrondissement de Béthune – Commune
d’Hénin-Liétard
1er tour
Inscrits 5 436
Votants 4 865
Exprimés
Liste Adolphe Charlon 2 695 à 2 465
(SFIO) (Soit 2 584 en
moyenne)
Liste du Bloc ouvrier et 1 198 (en moyenne)
paysan (PCF)
Liste de défense des intérêts 1 076 (en moyenne)
communaux
Résultat : La liste Charlon (SFIO) obtient 27 élus

107
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Tableau 3 :

Elections législatives des 2 et 9 mai 1932


Arrondissement de Béthune – Canton de Carvin
1er tour 2ème tour
Inscrits 18 071 Inscrits 18 070
Votants 16 241 Votants 15 957
Exprimés 16 010 Exprimés 15 819
Raoul Evard (SFIO) 6 865 Raoul Evard (SFIO) 7 014
Cyprien Quinet (PCF) 4 647 Cyprien Quinet (PCF) 4 428
Fernand Vendeville 4 498 Fernand Vendeville 4 377
(Concentration républicaine) (Concentration républicaine)
Résultat : Raoul Evrard (SFIO) est réélu député

Tableau 4 :

Elections cantonales des 7 et 14 octobre 1934


Arrondissement de Béthune – Canton de Carvin
1er tour 2ème tour
Inscrits 18 494 Inscrits 18 494
Votants 15 847 Votants 15 172
Exprimés 15 635 Exprimés 14 853
Henri Leclercq (SFIO) 5 548 Henri Leclercq (SFIO) 9 974
Martin 1 793
(Démocrate populaire)
Cyprien Quinet (PCF) 5 200
Duhomez 3 354 Duhomez 4 875
(Concentration (Concentration
Républicaine) Républicaine)
Résultat : Henri Leclercq (SFIO) est réélu conseiller général

108
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Tableau 5 :

Elections cantonales partielles des 7 et 14 avril 1935


Arrondissement de Béthune – Canton de Carvin
1er tour 2ème tour
Inscrits 18 468 Inscrits 18 467
Votants 16 202 Votants
Exprimés 16 054 Exprimés 13 718
Raoul Evrard (SFIO) 5 462
Delille 2 020
(Démocrate populaire)
Cyprien Quinet (PCF) 6 247 Cyprien Quinet (PCF) 9 420

Duhomez 2 214 Duhomez 3 296


(Concentration (Concentration
Républicaine) Républicaine)
Résultat : Cyprien Quinet (PCF) est élu conseiller général

Tableau 6 :

Elections municipales des 5 et 12 mai 1935


Arrondissement de Béthune – Commune d’Hénin-Liétard
1er tour 2ème tour
Inscrits 5 722 Inscrits 5 722
Votants Votants 5 102
Exprimés Exprimés 5 063
Liste Adolphe Charlon 1 806 Liste Adolphe Charlon 2 295
(SFIO) (SFIO)
Liste Nestor Calonne (PCF) 1 815 Liste Nestor Calonne 2 079
(PCF)
Liste de défense des intérêts 1 150
communaux
Liste Demoer 370
(Démocrate populaire)
Résultat : La liste Charlon (SFIO) obtient 26 élus ; la liste Calonne (PCF) obtient 1 élu.

109
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Tableau 7 :

Elections législatives des 26 avril et 3 mai 1936


Arrondissement de Béthune – Canton de Carvin
1er tour 2ème tour
Inscrits 18 691 Inscrits 18 691
Votants Votants
Exprimés Exprimés
Raoul Evard (SFIO) 5 380
Martin 1 473
(Démocrate populaire)
Cyprien Quinet (PCF) 6 865 Cyprien Quinet (PCF) 10 170
Arthur Caullet 2 824 Arthur Caullet 5 822
(Union nationale) (Union nationale)
Résultat : Cyprien Quinet (PCF) est élu député

Tableau 8 :

Elections cantonales des 11 et 18 octobre 1937


Arrondissement de Béthune – Canton de Carvin
1er tour 2ème tour
Inscrits Inscrits
Votants Votants
Exprimés Exprimés
André Pantigny (SFIO) 7 351 André Pantigny (SFIO) 11 826
Henri Darras (PCF) 5 799
Delelis (PSF) 3 261 Delelis (PSF) 3 808
Résultat : André Pantigny (SFIO) est élu conseiller général

110
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Index des noms cités

Jean BRACKERS D’HUGO : avocat royaliste, militant de l’Action française (pages 24, 30)

Benoît BROUTCHOUX : dirigeant du Jeune syndicat et militant antimilitariste avant la


Première guerre mondiale (page 18)

Marcel CACHIN : directeur de l’Humanité, député de la Seine, membre du bureau politique


du PCF dans les années trente (pages 35, 60)

Nestor CALONNE : dirigeant du rayon PCF d’Hénin-Liétard, membre des brigades


internationales et résistant ; maire d’Hénin-Liétard puis sénateur après 1945 (pages 17, 18,
49, 58, 80, 95, 98)

Paul CARPENTIER : militant des Jeunesses Socialistes (pages 54, 58, 78)

Adolphe CHARLON : maire d’Hénin-Liétard de 1919 à 1940 (pages 11, 14, 15, 83)

Pierre COURTIN : responsable de la section SFIO d’Hénin-Liétard (pages 28, 29, 32)

Alfred DANIAUX : ouvrier-mineur, trésorier de la cellule communiste n°1 d’Hénin-Liétard


et secrétaire de l’union locale CGTU dans les années trente ; adjoint de Nestor Calonne à la
suite des élections de 1945 (pages 37, 82, 95)

Henri DARRAS : maire PCF de Noyelles-Godault (pages 17, 18, 89, 91)

Léon DAUDET : directeur politique de l’Action Française ; député de Paris dans les années
vingt (pages 29, 30)

Désiré DELANSORNE : maire républicain d’Arras (page 71)

Albert DELVALLEE : avocat communiste ; élu conseiller général du canton d’Arleux en


1937 (pages 48, 49, 56)

Martha DESRUMEAUX : militante et résistante communiste nordiste (page 82, 94)

Jacques DORIOT : dirigeant du PCF exclu en 1934 ; député de la Seine de 1925 à 1937 et
maire de Saint-Denis : fondateur du Parti populaire français (pages 5, 82, 100)

Léon ESCOFFIER : avocat socialiste, maire et député SFIO de Douai (pages 56, 57, 62)

Just EVRARD : dirigeant de la fédération SFIO du Pas-de-Calais (pages 29, 49)

111
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Raoul EVRARD : dirigeant de la fédération SFIO du Pas-de-Calais, député, résistant (pages
14, 15, 78, 81, 89, 91)

Joseph FONTAINE : mineur en retraite, militant communiste (pages 23, 48)

Pulchérie FONTAINE : fille de Joseph Fontaine, militante communiste et résistante ; élue au


conseil municipal aux côtés de Nestor Calonne en 1947 (pages 93, 94, 95)

Eugène FRITSCH : représentant commercial, militant de l’Action française (pages 50, 54,
56)

Marcel GITTON : dirigeant de la CGTU, membre du bureau politique du PCF au début des
années trente ; député de la Seine de 1936 à 1940 puis collaborateur (pages 21, 35, 83)

Philippe HENRIOT : député nationaliste ; secrétaire d’Etat à l’information sous Vichy


(pages 41, 60, 70)

Octave HUGOT : entrepreneur en briqueterie, responsable du groupe Action française


d’Hénin-Liétard (pages 24, 29, 48)

Léo LAGRANGE : avocat socialiste et député SFIO du Nord (page 78)

Henri LECLERCQ : adjoint au maire d’Hénin-Liétard et conseiller général SFIO (pages 13,
14, 34, 41, 81)

Georges MAROUZE : secrétaire du rayon communiste d’Hénin-Liétard au début des années


trente puis secrétaire régional du Secours Rouge International ; membre des brigades
internationales et résistant (pages 17, 29, 32, 57 ,82)

Henri MARTEL : membre du bureau de la fédération CGTU du sous-sol et du comité central


du PCF dans les années trente ; conseiller municipal de Waziers, député PCF de Douai (page
82)

Thomas OLSZANSKI : syndicaliste et militant communiste franco-polonais, responsable de


la Main d’Œuvre Immigrée pour le Pas-de-Calais (pages 37, 80)

André PANTIGNY : instituteur, dirigeant de la fédération SFIO du Pas-de-Calais, membre


des brigades internationales, résistant (pages 20, 28, 67, 89, 91)

Cyprien QUINET : dirigeant de la fédération CGTU des mineurs, conseiller général et


député de la circonscription d’Hénin-Carvin, résistant (pages 17, 81, 82, 88, 89, 92)

112
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
Arthur RAMETTE : secrétaire de la région Nord du PCF, membre du comité central et du
bureau politique du PCF dans les années trente ; député PCF de Douai (pages 60, 63, 82)

Jean RENAUD : dirigeant de la Solidarité française (page 71)

Roger SALENGRO : maire et député SFIO de Lille, ministre de l’Intérieur en 1936 (page
70)

Jean THERY : ancien officier aviateur, militant de l’Action française (pages 50, 64)

Maurice THOREZ : secrétaire général du PCF depuis 1930 et député de la Seine (pages 16,
64, 100)

Fernand TURBANT : militant antifasciste, résistant (pages 47, 58, 91)

Blanche VOLANTI : résistante communiste déportée (page 94)

113
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

Sources et bibliographie

Sources manuscrites

Archives Municipales d’Hénin-Beaumont :

1 W19 : Registre des délibérations du Conseil Municipal d’Hénin-Liétard (1932-1936)


128 W2 : Bulletins municipaux (1925-1935)

Archives Départementales du Pas-de-Calais :

M 304 : Elections cantonales partielles de 1935


M 2361 : Rapports sur l’activité et la propagande communiste dans le Pas-de-Calais
M 5221 : Enquêtes de 1932 et 1934 sur l’état du Parti communiste, du Parti socialiste et
l’activité du front unique dans le Pas-de-Calais.
M 5304 : Enquêtes de 1932 et 1934 sur l’état de la CGT et de la CGTU dans le Pas-de-Calais.
M 5328 : Rapports sur le 1er mai dans le Pas-de-Calais (1932-1936)
M 5547 : Cabinet du préfet. Affaires diverses concernant l’arrondissement de Boulogne-sur-
Mer (1934-1936)
M 5568 : Cabinet du préfet. Affaires diverses concernant l’arrondissement de Béthune (1934-
1936)
M 5573 : Cabinet du préfet. Rapports hebdomadaires sur la situation générale du département
(1934)
2 U 87 : Liste des jurés et arrêts de la cour d’assises de Saint-Omer (1934)
2 U 343 : Dossier de procédure du procès d’Eugène Fritsch et Jean Théry à la cour d’assises
de Saint-Omer

Sources imprimées

Quotidiens régionaux :

- Le Bonhomme du Nord : Edition du 2 mai 1934

- L’Egalité de Roubaix-Tourcoing (édition de Roubaix-Tourcoing du Réveil du Nord) :


Editions du 1er juillet 1930, 3 mai 1932, 9 mai 1932, 12 avril 1934, 13 avril 1934, 15 avril
1934, 16 avril 1934, 17 avril 1934, 28 avril 1934, 29 avril 1934, 5 juin 1934, 16 juin 1934, 17
juin 1934, 21 juin 1934, 22 juin 1934, 23 juin 1934, 24 juin 1934, 26 juin 1934, 27 juin 1934,
29 juin 1934, 30 juin 1934, 5 juillet 1934, 20 août 1934, 8 octobre 1934, 15 octobre 1934, 15
avril 1935, 6 mai 1935, 13 mai 1935, 27 avril 1936, 28 avril 1936, 4 mai 1936, 19 octobre
1937.

114
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
- Le Journal de Roubaix : Editions du 12 avril 1934, 13 avril 1934, 14 avril 1934, 16 avril
1934, 5 juin 1934, 21 juin 1934, 22 juin 1934, 23 juin 1934, 28 juin 1934, 29 juin 1934, 5
juillet 1934, 4 mai 1936.

Quotidiens nationaux :

- L’Action Française : Editions du 11 avril 1934, 12 avril 1934, 13 avril 1934, 14 avril 1934,
15 avril 1934, 16 avril 1934, 17 avril 1934, 23 mai 1934, 27 mai 1934, 5 juin 1934, 6 juin
1934, 11 juin 1934, 12 juin 1934, 17 juin 1934, 18 juin 1934, 21 juin 1934, 22 juin 1934, 23
juin 1934, 24 juin 1934, 26 juin 1934, 27 juin 1934, 4 juillet 1934, 5 juillet 1934.

- La Croix : Editions du 13 avril 1934, 22 juin 1934, 23 juin 1934, 24 juin 1934.

- L’Echo de Paris : Editions du 12 avril 1934, 21 juin 1934, 22 juin 1934, 23 juin 1934, 24
juin 1934.

- L’Homme libre : Editions du 12 avril 1934, 22 juin 1934, 23 juin 1934.

- L’Humanité : Editions du 1er juillet 1930, 19 juin 1931, 12 avril 1934, 13 avril 1934, 14
avril 1934, 15 avril 1934, 16 avril 1934, 17 avril 1934, 18 avril 1934, 29 avril 1934, 2 mai
1934, 3 mai 1934, 9 mai 1934, 11 mai 1934, 16 mai 1934, 26 mai 1934, 5 juin 1934, 6 juin
1934, 7 juin 1934, 17 juin 1934, 18 juin 1934, 21 juin 1934, 22 juin 1934, 23 juin 1934, 24
juin 1934, 25 juin 1934, 26 juin 1934, 27 juin 1934, 29 juin 1934, 1er juillet 1934, 3 août
1934, 13 août 1934, 20 août 1934, 15 avril 1935, 13 mai 1935, 12 octobre 1937.

- L’Intransigeant : Editions du 13 avril 1934, 22 juin 1934, 23 juin 1934.

- Le Matin : Editions du 12 avril 1934, 13 avril 1934, 23 juin 1934.

- Le Petit Journal : Editions du 12 avril 1934, 13 avril 1934, 23 juin 1934.

- Le Petit Parisien : Editions du 12 avril 1934, 21 juin 1934, 22 juin 1934, 25 juin 1934.

- Le Populaire : Editions du 12 avril 1934, 13 avril 1934, 14 avril 1934, 16 avril 1934, 17
avril 1934, 18 avril 1934, 25 mai 1934, 26 mai 1934, 16 juin 1934, 21 juin 1934, 22 juin
1934, 23 juin 1934, 24 juin 1934, 25 juin 1934, 28 juin 1934, 29 juin 1934, 30 juin 1934, 2
juillet 1934, 5 juillet 1934, 13 août 1934, 20 août 1934, 16 avril 1935.

- Le Temps : Editions du 13 avril 1934, 23 juin 1934.

Autres publications :

115
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
- Les Cahiers du bolchevisme : Editions d’octobre 1928, du 15 février 1934, 15 janvier
1935, 15 mai 1936
- Regards : Editions du 20 avril 1934, 29 juin 1934

Bibliographie

Articles de revues et chapitres d’ouvrages :

BECKER Jean-Jacques et KRIEGEL Annie, Les inscrits au "Carnet B". Dimensions,


composition, physionomie politique et limite du pacifisme ouvrier, in Le Mouvement social,
n°65, octobre-décembre 1968.
BERSTEIN Serge, La France des années trente allergique au fascisme. A propos d'un livre
de Zeev Sternhell, in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°2, avril 1984, pp. 83-94.
BERSTEIN Serge, L’affrontement simulé des années 1930, in Vingtième Siècle. Revue
d'histoire, n°5/1985, p. 39-54.
BERSTEIN Serge, Consensus politique et violences civiles dans la France du XXe siècle, in
Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°69, janvier-mars 2001, pp. 51-60.
BERSTEIN Serge, Pour en finir avec un dialogue de sourds, in Vingtième Siècle. Revue
d'histoire, n° 95, juillet-septembre 2007, p. 243-246.
BURRIN Philippe, Poings levés et bras tendus. La contagion des symboles au temps du
Front populaire, in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 11, 1986, p. 5-20.
DESCHODT Jean-Pierre, La preuve par le carnet B, in Les Cahiers du Centre de
Recherches Historiques [En ligne], 45 | 2010
DROUART Julien, Les ligues de droite dans la rue lilloise (1932-1936), in Revue du Nord,
avril-juin 2007, n°370.
KMIECIAK Jacques, Leforest, 1934. Grève à la mine, Nouvelle Vie Ouvrière, 19 septembre
2014.
LAHOUSSE Gilles, De la Solidarité française au parti du faisceau français : un exemple de
radicalisation politique, pp. 43-54, in Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 58, 1998.
LAZAR Marc, Damné de la terre et homme de marbre. L'ouvrier dans l'imaginaire du PCF
du milieu des années trente à la fin des années cinquante, in Annales ESC, septembre-octobre
1990, n°5.
LE MANER Yves, Les communistes du Nord et du Pas-de-Calais de l'agonie du Front
Populaire à la guerre (1938-1939). Seconde partie : Forces et faiblesses du communisme du
Nord à la veille de la guerre, in Revue du Nord n°278, juillet-septembre 1988, pp. 547-568.
MANESSIS Dimitri, « Grenoble 1934 : les barricades de l’unité », ANR PAPRIK@2F, 30
septembre 2014
MARGAIN Constance, « La ligue des combattants du Front rouge (RFB) : une organisation
du Parti communiste allemand », ANR PAPRIK@2F, 10 janvier 2014.
MARLIN François, Le réflexe antifasciste. Les comités de lutte contre le fascisme et la
guerre dans le Loiret (1934-1936), in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°58, avril-juin
1998, pages 55-69.

116
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
NORA Pierre, Les deux apogées de l’Action française, in Annales ESC, janvier-février 1964,
n°1, pp. 127-141.
PREVOTAT Jacques, La ligue d’Action française dans le Nord entre les deux guerres
(1919-1939). Approches politiques et religieuses, Revue du Nord, avril-juin 2007, n°370.
PROST Antoine, Les limites de la brutalisation. Tuer sur le front occidental, 1914-1918, pp.
5-20, in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 81, Janvier-Mars 2004.
SAWICKI Frédéric, Le socialisme dans le Pas-de-Calais : une fédération « militante et
ouvrière », in Les réseaux du parti socialiste, sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin,
1997.
SAWICKI Frédéric, Le bassin minier, bastion de la gauche in La remonte, le bassin minier
du Nord-Pas-de-Calais entre passé et avenir, Lille, Presses universitaires du Septentrion,
2002.
SOUCY Robert, « Enjeux - La Rocque et le fascisme français », in Vingtième Siècle. Revue
d'histoire 3/2007, n° 95, p. 219-236.
TARTAKOWSKY Danielle, « Manifestations ouvrières et théories de la violence : 1919-
1934 », Cultures & Conflits [En ligne], 09-10 | printemps-été 1993.
THIEBAULT Jean-Louis et WALLON-LEDUCQ Christian-Marie, Trois aspects des
comportements politiques septentrionaux, in Revue du Nord, tome 64, n°253, Avril-juin 1982.
Sociabilité et mémoire collective, pp. 603-635.
VAVASSEUR-DESPERRIERS Jean, Les tentatives de regroupement des droites dans les
années trente, in Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, numéro 109-3, 2002.
VERGNON Gilles, Communisme et antifascisme (1922-1935) : l’apport d’archives croisées,
in Archives et communisme(s) : l'avant-guerre (1919-1943), Publications des Archives
Nationales, 2016.
VIDAL Georges, Violence et politique dans les années 1930 : le cas de l'autodéfense
communiste, Revue historique, n° 640, 2006, pp. 901-922.
WINOCK Michel, En lisant Robert Soucy, in Vingtième Siècle. Revue d'histoire 3/2007 (n°
95), p. 237-242.
WOLIKOW Serge, Les gauches, l’antifascisme et le pacifisme pendant les années 1930, in
Histoire des gauches en France, BECKER Jean-Jacques et CANDAR Gilles (ss. dir.),
Editions La Découverte, 2005.

Dictionnaires et corpus de recherche :

MAITRON Jean (ss. dir.), Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier, 4ème période
1914-1939, Editions de l’Atelier, 1981-1997
PENNETIER Claude, BESSE Jean-Pierre, POUTY Thomas et LENEVEU Delphine (ss.
dir), Les fusillés (1940-1944), Editions de l’Atelier, 2015
NAHON Guillaume et WOLIKOW Serge (ss. dir), Réunions du Comité central du PCF
1921-1977, état des fonds et des instruments de recherches, tome 1 (1921-1939), Archives
Départementales de Seine-Saint-Denis & Fondation Gabriel Péri, 2013

Ouvrages généraux :
117
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

AUDIGIER François et GIRARD Pascal (ss. dir), Se battre pour ses idées. La violence
militante en France des années 1920 aux années 1970, Paris, Riveneuve éditions, 2011.
BERLIERE Jean-Marc et LIAIGRE Franck, Liquider les traîtres : La face cachée du
PCF, 1941-1943, Robert Laffont, Paris, 2007
BERSTEIN Serge, Le 6 février 1934, collection Archives, Gallimard, avril 1975.
BOUCHENOT Matthias, Tenir la rue. L’autodéfense socialiste 1929-1938, Editions
Libertalia, collection « Ceux d’en bas », mai 2014.
CHAMBARLHAC Vincent et HOHL Thierry, 1934-1936. Un moment antifasciste,
Montreuil, Éditions La ville brûle, Collection Mouvement réel, 2014, 144 pages.
COURTOIS Stéphane et KRIEGEL Annie, Eugen Fried, le grand secret du PCF, Paris,
Editions du Seuil, 1997.
DELY Renaud, ASKOLOVITCH Claude, BLANCHARD Pascal et GASTAUT Yvan,
Les années 30 sont de retour, petite leçon d’histoire pour comprendre les crises du présent,
Flammarion, 2014.
DOBRY Michel (ss. dir), Le mythe de l’allergie française au fascisme, Paris, Albin Michel,
collection Idées, 2003.
MARGAIRAZ Michel et TARTAKOWSKY Danielle, L'avenir nous appartient, une
histoire du Front populaire, Paris, Larousse, 2006.
MOSSE George L., De la grande guerre aux totalitarismes. La brutalisation des sociétés
européennes, Paris, Hachette Littératures, 1999.
ORY Pascal, Du fascisme, Editions Perrin, 2003.
PROST Antoine, Autour du Front Populaire, Aspects du mouvement social au XXe siècle,
Seuil, L’Univers Historique, avril 2006.
TARTAKOWSKY Danielle, Les manifestations de rue en France (1918-1968), Paris,
Publications de la Sorbonne, 1997.
TARTAKOWSKY Danielle, Les droites et la rue, histoire d’une ambivalence, de 1880 à
nos jours, Paris, La Découverte, 2014.
VERGNON Gilles, L’Antifascisme en France. De Mussolini à Le Pen, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2009.
VIGNA Xavier, VIGREUX Jean et WOLIKOW Serge (ss. dir.), Le pain, la paix, la
liberté, Expériences et territoires du Front Populaire, Editions sociales, 2006.
WIEVIORKA Annette, Maurice et Jeannette. Biographie du couple Thorez, Fayard, Paris,
2010.
WOLIKOW Serge, L’Internationale communiste (1919-1943). Le Komintern ou le rêve
déchu du parti mondial de la révolution, Editions de l’Atelier, Paris, 2010

Ouvrages régionaux :

ASTOL-LACOUR Catherine, Le genre de la Résistance. La Résistance féminine dans le


Nord de la France, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Histoire », 2015.
DEJONGHE Étienne, LE MANER Yves, Le Nord-Pas-de-Calais dans la main allemande
(1940-1944), Lille, Editions La Voix du Nord, 1999.
DESRUELLES Michel, Hénin-Liétard, 1919-1939, La Renaissance, septembre 2006.

118
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine
FOSSIER Jean-Marie, Nord-Pas-de-Calais Zone interdite (mai 1940-mai 1945), Editions
sociales, Paris, 1977.
FOSSIER Jean-Marie, Nous sommes restés des hommes. Mes combats 1933-1945, Geai
bleu éditions, Lille, 2011.
HILAIRE Yves-Marie, LEGRAND André, MENAGER Bernard et
VANDENBUSSCHE Robert, Atlas électoral Nord-Pas-de-Calais (1876-1936), Publications
de l’Université de Lille III, 1977.
HILAIRE Yves-Marie, GILLET Marcel (ss.dir), De Blum à Daladier, Le Nord-Pas-de-
Calais 1936-1939, Presses universitaires du Septentrion, 1979.
LABOUYRIE André, L’agglomération de Boulogne-sur-Mer et le Parti Communiste
Français (1921-1939), juin 2011.
LESCUREUX Christian et LECOMTE Claude, Communistes en Pas-de-Calais, Editions
France Découvertes, novembre 1998.
VANDENBUSSCHE Robert, La Résistance dans le Nord-Pas-de-Calais, Editions De
Borée, 2012.
VISSE Jean-Paul, La presse du Nord-Pas-de-Calais au temps de l’Echo du Nord (1819-
1944), Presses universitaires du Septentrion, 2004.

Travaux universitaires :

BOIVIN Yves, Les condamnées des Sections spéciales incarcérées à la Maison centrale de
Rennes déportées les 5 avril, 2 mai et 16 mai 1944, monographie, janvier 2004.
FERRETTE François, Le Comité de la 3e Internationale et les débuts du PC français (1919-
1936), mémoire de maîtrise, université de Paris I, 2005.
MARCY Antoine, La gestion municipale à Hénin-Liétard de 1929 à 1939, d'après les
registres de Délibérations du Conseil municipal d'Hénin-Liétard, mémoire de maîtrise,
université de Lille III, 1967.
NOËL David, Le mouvement ouvrier dans l’arrondissement de Douai durant l’entre-deux-
guerres (1919-1939), mémoire de maîtrise, université de Lille III, 2002.
PARENT Sylvain, Socialistes et communistes dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais
(1920-1940), mémoire de DEA, université de Lille III, 2004
VIVARD Doriane, La reconstruction à Hénin-Liétard après la Première guerre mondiale,
mémoire de maîtrise, université d’Artois, 1998.

119
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

TABLE DES ILLUSTRATIONS


Page 12 : Adolphe Charlon. Source : Le Grand Echo du Nord de la France, 21 mai 1935.

Page 20 : Nestor Calonne. Source : Assemblée nationale, http://www.assemblee-nationale.fr

Page 22 : André Pantigny. Source : Histo Libercourt, http://kiba01540.canalblog.com/

Page 25 : Joseph Fontaine. Source : Regards, 20 avril 1934.

Page 32 : La place Carnot à la fin des années vingt. Source : Images d’hier et d’aujourd’hui.
De Hénin-Liétard à Hénin-Beaumont, collection personnelle de Patrick BOUQUET,
http://pabqt.free.fr/

Page 35 : La famille de Joseph Fontaine devant le Palais des Fleurs. Source : Regards, 20
avril 1934.

Page 46 : Un pistolet browning 10/22. Source : Wikipedia / http://www.adamsguns.com

Page 60 : Eugène Fritsch et Jean Théry devant la cour d’assises de Saint-Omer. Source :
Regards, 29 juin 1934.

Page 61 : Léon Escoffier. Source : Wikipedia / Bibliothèque Nationale de France.

Page 63 : La veuve de Joseph Fontaine lors du procès de Saint-Omer. Source : Regards, 29


juin 1934.

Page 64 : Arthur Ramette. Source : Wikipedia / Bibliothèque Nationale de France.

Page 83 : Cyprien Quinet. Source : Assemblée nationale, http://www.assemblee-nationale.fr

Page 86 : Graphique : l’évolution du rapport de forces électoral à Hénin-Liétard (1925-1935)

Page 89 : Vote communiste aux élections législatives du 26 avril 1936. Source : HILAIRE
Yves-Marie, LEGRAND André, MENAGER Bernard et VANDENBUSSCHE Robert, Atlas
électoral Nord-Pas-de-Calais (1876-1936), Publications de l’Université de Lille III, 1977.

Page 91 : Graphique : l’évolution du rapport de forces électoral dans le canton et la


circonscription de Carvin (1928-1937)

Page 94 : Avis d’exécution de vingt otages, dont l’Héninois Fernand Turbant, signé par le
général Niehoff le 26 septembre 1941.

120
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

Page 98 : La plaque commémorative à la mémoire de Joseph Fontaine, place Carnot.

121
« La première victime du fascisme » : retour sur l’assassinat de
Joseph Fontaine

TABLE DES MATIERES


Remerciements

Sommaire

Introduction p. 5

Première partie : Un drame à Hénin-Liétard

A. Hénin-Liétard, 1934 p. 12

B. Le drame du 11 avril p. 22

C. Une ville et une région ébranlées p. 33

Deuxième partie : L’enquête et les procès

A. L’enquête p. 45

B. Les procès p. 53

C. Des verdicts qui ne passent pas p. 63

Troisième partie : Après l’affaire

A. L’union est un combat p. 76

B. De la répétition des cantonales à la victoire du Front Populaire p. 81

C. L’affaire Joseph Fontaine dans la mémoire collective p. 92

Conclusion p. 100

Annexes p. 107

Sources et bibliographie p. 114

Table des illustrations p. 120

Table des matières p. 122

122

Vous aimerez peut-être aussi