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Les dyslexies
Ce document est la propriété exclusive de Doris Colorado (doris.colorado@udea.edu.co) - 29-08-2019
De quoi s’agit-il ?
O n regroupe sous le terme « troubles
neurodéveloppementau x », les
déficiences intellectuelles, les troubles
difficultés persistantes, dans l’appren-
tissage et/ou dans l’automatisation des
mécanismes nécessaires à la maîtrise
sûr, trouble et difficultés psychoéduca-
tives peuvent se cumuler chez certains,
compliquant singulièrement la prise
du spectre de l’autisme et les troubles de l’écrit (lecture, orthographe). en charge et le pronostic tant scolaire
dys, de loin les plus nombreux. Ces La durabilité du trouble (peu d’évo- que social.
derniers résultent de petites anomalies lution ou pas d’amélioration nette Les troubles dyslexiques touchent 5 à
ou atypies cérébrales, le plus souvent en 3-4 mois) permet de le distinguer 10 % de la population scolaire (selon
d’origine génétique. Cependant, les clairement des retards d’acquisition. des intensités diverses), dont trois fois
« dys » sont aussi plus fréquentes chez Le terme « dyslexie » implique que le plus de garçons que de filles. Ils se
les enfants ayant subi des altérations trouble se manifeste chez des enfants rencontrent avec la même fréquence
cérébrales in utero ou dans la période normalement scolarisés, dont les ano- dans tous les milieux sociaux, mais
périnatale (prématurité, complications malies d’accès à la lecture ne peuvent leur repérage est plus fréquent dans
cérébrales lors de l’accouchement…). être imputées ni à une déficience intel- les milieux favorisés où l’échec est
Elles se traduisent par des troubles des lectuelle, ni à un trouble du spectre inattendu aussi bien pour l’enseignant
apprentissages. de l’autisme, ni à un déficit sensoriel que pour les parents. Dans les quartiers
L’association de deux dys n’est pas (auditif, visuel), ni à un trouble psy- défavorisés, les recherches ont montré
rare : une dyslexie peut s’accompa- chologique ni à un environnement que nombre d’enfants dyslexiques ne
gner de dyscalculie, de trouble défi- psychoéducatif défavorable. Dans ce sont pas repérés car ils ne sont pas
citaire de l’attention, de trouble du dernier cas, on parle de « difficultés » différenciés des faibles lecteurs (1). Ils
développement de la coordination ou en lecture (et non de « trouble ») ou de sont alors privés d’aides ciblées, ou
dyspraxie, etc. faibles lecteurs (et non de dyslexiques). bien celles-ci leur sont proposées trop
Reconnue comme un handicap par En effet, la prise en compte des « dif- tardivement. n
l’OMS depuis 1993, la dyslexie désigne ficultés » ne ressort pas du domaine
(1) Joel Fluss, Daisy Bertrand, Johannes Ziegler et
un ensemble de troubles qui touchent méd ic a l ma is bien de pol it iques
Catherine Billard, « Troubles d’apprentissage de la
spécifiquement l’acquisition du lan- sociales, d’aides psychoéducatives et lecture : rôle des facteurs cognitifs, comportementaux
gage écrit. Ils se caractérisent par des de renforcements pédagogiques. Bien et socioéconomiques », Développements, 2009/1.
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de la lecture sont les capacités d’analyse
phonémique (analyse des sons de la
langue orale) et le niveau de connais-
sance des lettres, auxquelles s’ajoutent les
capacités de mémoire à court terme. Ces
prédicteurs permettent de repérer préco-
Que nous apprennent
cement (dès la grande section de mater-
nelle) les enfants susceptibles d’avoir des
les recherches récentes ?
difficultés d’apprentissage de la lecture,
avec une fiabilité élevée (1). »
Le diagnostic de dyslexie (bilan ortho-
À partir des années 1980-2000, l’essor
des neurosciences cognitives et de
l’exploration cérébrale fonctionnelle per-
entre certaines aires visuelles du cerveau
et les aires préexistantes du langage ;
- « recyclage » de certaines zones visuelles
phonique) nécessite d’explorer en outre mettent d’élucider les mécanismes céré- (initialement dévolues à la reconnais-
le langage oral, la lecture de mots régu- braux sous-jacents à de nombreuses sance des visages et à l’orientation de
liers – qui respectent le code des cor- tâches cognitives et de concevoir les traits) qui se spécialisent progressive-
respondances entre sons de parole et modèles développementaux de nom- ment dans la reconnaissance de mots.
lettres ou groupes de lettres (ex : jupe, breux apprentissages. Ces recherches ont Cette « aire de la forme visuelle des mots »
domino, fourmi ou strapontin) – et des mis au jour les processus neurophysiolo- (encore appelée « la boîte aux lettres
mots irréguliers qui font exception au giques qui sous-tendent l’acquisition de du cerveau ») traite d’une part la forme
code (ex : femme, album, doigt). Ce bilan l’écrit (1), les réorganisations cérébrales abstraite des lettres, et non leur forme
vérifie en outre la vitesse et la précision induites par cet apprentissage (dans les concrète, leur casse ou leur police ; ainsi,
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(exactitude) de la lecture, ainsi que la langues alphabétiques* et logogra- on n’est pas gêné par des modifications
compréhension de mots, de phrases, phiques*), et les différences fonction- de taille, de police ou de CasSE. D’autre
de textes. nelles observées tant chez les dyslexiques part, l’aire de la forme visuelle des mots
À partir de la fin du CE1, le trouble est (enfants et adultes) que chez les analpha- traite de la succession ordonnée des
évident : la lecture reste lente, labo- bètes et les illettrés (2). lettres, ce qui permet de distinguer, au
rieuse, peu précise (erreurs sur cer- Ces travaux ont induit deux évolutions premier coup d’œil, lion de loin ou cirque
tains mots), épuisante et peu efficace majeures : la différenciation de types de crique.
(compréhension floue, erronée ou lacu- de dyslexies d’une part, et, d’autre part, Les jeunes dyslexiques peuvent donc
naire, mémorisation faible ou nulle la compréhension fine de l’évolution rencontrer des obstacles à différents
de ce qui est lu). L’enfant ne peut pas des stratégies de lecture au cours de niveaux, déterminant divers types de
utiliser la lecture pour apprendre : sans l’apprentissage (3). dyslexies : le déficit peut se situer au
prise en charge adaptée, le trouble dif- l Les différents types de dyslexies : niveau du langage oral (déficit phonolo-
fuse progressivement à l’ensemble de La plasticité cérébrale permet à l’appren- gique), ou bien au niveau neurovisuel (4)
la scolarité. C’est là tout l’enjeu d’un tissage de réorganiser les connexions (médiocre constitution de la « boîte aux
diagnostic précoce : permettre à ces cérébrales et/ou de créer de nouveaux lettres du cerveau », ou encore trouble
enfants tout à fait intelligents de faire réseaux de neurones. C’est le cas lorsqu’on visuo-attentionnel) ou bien au niveau de
leurs apprentissages dans des condi- apprend à lire. En effet, lire consiste à la création d’une connexion fiable entre
tions satisfaisantes. n accéder aux aires du langage par voie aires visuelles et aires langagières. On
visuelle, ce qui nécessite d’importantes peut donc désormais préciser la nature
(1) Pierre Barrouillet et al., Dyslexie,
dysorthographie, dyscalculie : bilan des données
modifications dans l’hémisphère gauche : de la dyslexie et proposer des interven-
scientifiques, Inserm, 2007. - création d’interconnexions inédites tions précisément ciblées.
Déchiffrer, faire correspondre lettres enfantine) pour récupérer la réorganise. Ainsi, le déchiffrage (et lui
et groupes de lettres aux sons du signification d’un mot qu’il connaît seul) est à l’origine de la création
langage (le b-a, ba), est la première oralement de longue date (« tulipe » : la d’une nouvelle aire cérébrale, l’aire de
stratégie, obligée, pour accéder aux fleur). Cette première stratégie la forme visuelle des mots (« boîte aux
langues alphabétiques. Cela n’a rien (passer par les sons, ou voie de lettres du cerveau »). Celle-ci apparie
de spontané et doit être expliqué, médiation phonologique) permet de directement une suite ordonnée des
travaillé et entraîné (grande section de lire tous les mots (même nouveaux ou lettres (t-u-l-i-p-e) et sa signification,
maternelle, CP). Après avoir sonorisé inconnus). Simultanément, dans sans passer par les sons (voie
la suite de syllabes qui composent le l’hémisphère gauche, l’aire cérébrale d’adressage). Cette nouvelle capacité
mot (ex : « tu..li..peu » !), l’enfant doit dévolue à la reconnaissance de permet alors de lire de façon plus
ensuite les assembler, les récapituler l’orientation de traits et à la rapide et plus fiable, distinguant d’un
(« redire vite ! » selon la formulation reconnaissance des visages se seul coup d’œil trier de tirer. n M.M.
l Les processus qui sous-tendent convergent : le déchiffrage est la voie atteindre cette lecture fluide et rapide,
l’apprentissage de l’écrit unique et obligée pour construire la automatisée et compréhensive. Leur
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Simultanément ont été mis en évidence lecture directe (fluide, rapide, exacte) ; lecture reste lente, laborieuse, épui-
les mécanismes qui provoquent ces « L’enseignement systématique et précoce sante et émaillée d’erreurs, ce qui per-
réorganisations neuronales au cours des correspondances grapho-phoné- turbe beaucoup la compréhension de
de la phase d’apprentissage. On a ainsi miques* est celui qui aide le plus efficace- textes : ces jeunes ne peuvent pas lire
montré que l’attention portée à la sil- ment les élèves. Lorsque cette méthode est et comprendre, lire et mémoriser, lire
houette, à la forme visuelle globale d’un introduite plus tardivement, son impact et apprendre. Simultanément, ils pré-
mot écrit (lecture « globale », mots « éti- est plus faible. » sentent une dysorthographie rebelle,
quettes ») stimule uniquement l’hémis- Progressivement le lecteur habile lit de très gênante scolairement mais aussi
phère droit (5). Seul le déchiffrage (le plus en plus par « voie directe » (adres- socialement. n
b-a ba, l’accès au sens d’un mot écrit via sage) et n’utilise plus le déchiffrage que
les correspondances entre les groupes pour des mots nouveaux ou inconnus de (1) Voir Stanislas Dehaene, Les Neurones de la
de lettres et les sons), puis sa subvoca- lui (noms propres, mots rares) (encadré lecture, Odile Jacob, 2007.
lisation (le fait de « s’entendre » récapi- ci-dessus). (2) Stanislas Dehaene, « Les mécanismes cérébraux
de la lecture », cours au Collège de France, 2006-2007.
tuler l’ensemble du mot pour accéder L’apprentissage de l’écrit est consi-
(3) Franck Ramus, « Que se passe-t-il dans la boîte
à sa signification), seule cette stratégie déré comme acquis et réussi lorsque noire pendant que l’enfant apprend à lire ? », in Alain
conduit, peu à peu, à construire dans la lecture est automatique et irrépres- Bentolila et Bruno Germain (dir.), Apprendre à lire pour
l’hémisphère gauche « la boîte aux sible, c’est-à-dire lorsqu’on ne peut pas les nuls , First, 2016.
lettres des mots » où la suite de lettres s’empêcher de lire les mots écrits qui (4) Traitement cérébraux (neurologiques) de l’image
rétinienne, au-delà de l’œil.
est directement appariée, adressée, à sa « tombent » sur la rétine !
(5) Yulyia Yoncheva et al., « Attentional focus during
signification. Les jeunes dyslexiques, du fait de leur learning impacts N170 ERP responses to an artificial
Tou t e s le s é t ud e s s c ie nt i f iq u e s particularité cérébrale, ne peuvent pas script », Developmental Neuropsychology, 2010/4.
exercices (sous forme ludique) visant à du médecin scolaire, et plan personnalisé subie dans la résignation ou la révolte
améliorer la conscience phonologique de scolarisation ou PPS, après accord de selon la personnalité de l’élève. n
M OT S - C LÉ S
L ANGUE LOGOGRAPHIQUE (OU
IDÉOGRAPHIQUE) Deux sortes de dyslexie
Un logogramme est un symbole unique
(graphème) pour désigner un mot entier Il existe des types de dyslexie différents selon les troubles cognitifs
sans correspondance avec les sons du associés : soit visuo-attentionnels soit phonologiques. Illustration avec les
mot prononcé (phonèmes). Un dictées suivantes.
logogramme qui désigne une notion
abstraite est appelé idéogramme.
Certaines langues comme le chinois, le
japonais, ou les hiéroglyphes de l’Égypte
ancienne, l’écriture maya… utilisent le
principe logographique.
LANGUE ALPHABÉTIQUE Solène, 12 ans ½, très peu d’erreurs de sons : si on lit à haute voix, on retrouve bien le
Langue dans laquelle les sons de la langue texte oral. Noter le son /o/ écrit « ou » (probable confusion avec « au » !)
orale (phonèmes) sont transcrits par des
lettres ou groupes de lettres (graphèmes).
Dans certaines comme l’allemand,
l’espagnol, l’italien, chaque son de la langue
est toujours représenté par la même lettre.
Pour d’autres plus complexes, comme
l’anglais ou le français, un même son peut
être retranscrit de plusieurs manières (-in
ou -ain ou -ein ; f- ou ph-…).
LES CORRESPONDANCES GRAPHO - Justin, 10 ans, nombreuses erreurs de sons : le texte dicté devient incompréhensible.
PHONÉMIQUES , ou correspondances
systématiques entre les phonèmes et Texte dicté : Un corbeau perché sur l’antenne d’un bâtiment tient en son bec une souris blessée.
graphèmes, constituent le principe des Rendus furieux par cet oiseau cruel, des enfants lancent des cailloux pour l’obliger à s’envoler.
langues alphabétiques.