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DE L'ANALOGIE SCIENTIFIQUE

Author(s): Jules Sageret


Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 67 (JANVIER A JUIN 1909), pp. 41-
54
Published by: Presses Universitaires de France
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DE L'ANALOGIE SCIENTIFIQUE

II convient tout d'abord de répondre aux objections que peut


soulever le titre même de cet article. D'après le langage courant,
« analogie » et « scientifique » sont deux mots qui s'accouplent fort
mal, le second comportant les idées de détermination et de préci-
sion dont le contraire même caractérise le premier. De « pures
analogies » signifient en effet des rapprochements que l'homme
de science considère comme vains. Mais de quel terme nous
servir pour le sujet qui nous occupe ici? Nous entendons étudier
les rapports scientifiques entre les phénomènes ou entre les choses.
- Parlez donc de rapports, - dira-t-on. Nous le ferions si nous
n'avions exclu certains rapports, comme ceux qui existent entre
un corps et son milieu : chocs, cohésion, attraction et répulsion
mutuelles, influence exercée par la température et la pression
sur le volume des masses gazeuses, etc. Nous ne voyons pas
d'autre moyen de désigner l'espèce de ces rapports qu'en les appe-
lant « non-analogiques ». Nul ne s'aviserait de proclamer une ana-
logie entre la température ou la pression et le volume d'une masse
gazeuse; cela n'aurait pas de sens. Et s'il peut y avoir analogie
entre un objet et son milieu, on a conscience de laisser toute
analogie de côté quand on s'occupe des réactions du milieu sur
l'objet et de l'objet sur le milieu. Or, toute réaction n'est-elle pas
un rapport? Il est vrai que des analogies se basent sur les rapports
non-analogiques eux-mêmes. Ainsi la loi de Mariotte, qui est un
rapport non-analogique, montre une analogie entre tous les gaz,
car tous les gaz éloignés de leur point de liquéfaction suivent, à peu
de chose près, la loi de Mariotte.
Le terme d' « analogie » répond donc bien à un besoin. Satisfe-
rait-on ce besoin autrement? Les essais qui se présentent à l'esprit

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ne le font guère penser. Nous devons rejeter « ressemblance » et


« similitude » , « ressemblance » parce que ce mot s'applique davan-
tage à l'ordre morphologique, « similitude » parce que la science
ne se borne pas à grouper les choses et les phénomènes rigoureu-
sement semblables, sous peine d'être un amas inorganisé de con-
naissances fragmentaires.
Une des principales opérations de l'esprit humain est la compa-
raison (en elle réside, on peut le dire, toute la science). Or, la
comparaison se fait à des fins quantitatives ou qualitatives. Dans
le premier cas, elle aboutit à la mesure, dans le second à l'analogie.
Nous ne donnerons pas d'autre définition de celle-ci. On remar-
quera seulement que l'existence et la nature des rapports non-
analogiques se trouvent ainsi mis en relief. Que compare-t-on, par
exemple, quand on étudie la dilatation linéaire des corps? pas du
tout des longueurs avec des températures, mais des longueurs
entre elles pendant que la température varie ; or c'est là une mesure,
une comparaison quantitative. Mais, une fois trouvées les lois de
dilatation des corps, on peut comparer ces lois entre elles; on con-
state alors que presque tous les corps augmentent de volume avec
la température, analogie entre les corps en général, qu'un même
coefficient de dilatation est commun à tous les gaz « parfaits »
analogie entre tous les gaz, et les comparaisons opérées ont été
qualitatives.
En dehors de Tordre scientifique cette distinction entre compa-
raisons quantitatives et qualitatives est naturellement plus difficile
à saisir. On entrevoit cependant un parallèle à la mesure dans le
jugement de valeur par lequel nous évaluons les choses en bonté
ou en beauté suivant un étalon métrique fort mal défini. Et de
même qu'en physique les lois de variations des grandeurs donnent
lieu à des analogies quand on compare ces lois entre elles, de
même en poésie, quand on compare dans leurs résultats généraux
les mesures faites avec les mètres de valeurs. Rien n'est plus banal,
par exemple, que d'établir une analogie entre la rose et la femme .
C'est principalement une analogie de position. Deux progressions
de charme établies, l'une pour le règne végétal, l'autre pour le
règne animal, ont respectivement comme terme supérieur la rose
et la femme.
Les analogies devaient sans doute, à l'origine de la pensée

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humaine, se mélanger les unes avec les autres de telle sorte que les
poétiques servaient dans le langage rationnel, tout aussi bien que
les rationnelles dans le langage poétique. Celui-ci seul, aujour-
d'hui, conserve pleine liberté de pratiquer cette confusion. Il peut
à loisir, si l'on met à part la recherche de la nouveauté, considérer
les vertus comme des parfums, entre autres licences, analogie
qui provient d'une même position occupée par la vertu et le
parfum sur deux échelles de valeur; en cela cette analogie est
sentimentale, mais elle a aussi quelque chose de grossièrement
scientifique parce qu'elle note l'invisibilité matérielle qui caracté-
rise également la vertu et le parfum. Il n'en va pas de même des
analogies scientifiques, soustraites en droit, sinon en fait, à l'em-
pire du cœur.
Ce serait le lieu de mettre en évidence les caractères qui rendent
les analogies scientifiques, ou non scientifiques, mais nous avons
maintes fois traité cette question, notamment à propos de la curio-
sité scientifique. Qu'il suffise de rappeler le point suivant : est
scientifique ce qui est objectif , général et constant. De là exclusion
de l'anthropomorphisme. Ne seront pas scientifiques les analogies
entre les phénomènes naturels et Faction de l'homme sur les
choses, entre le finalisme qui caractérise nos œuvres et l'évolution
de l'univers. Nous avons remarqué cependant des analogies qui,
tout en ayant le caractère scientifique, se trouvaient bannies de la
science comme stériles. Telles sont certaines analogies numériques
des Pythagoriciens. L'expérience seule permet d'éprouver la fécon-
dité des analogies scientifiques.
Ce que l'on peut ajouter à cet égard, c'est que, parmi les analogies
scientifiques, il y en a de plus ou moins scientifiques. Le degré
auquel ce caractère leur est attribuable peut s'apprécier parfois
assez clairement. Il se mesure par l'étendue de leur solidarité réci-
proque. Une analogie sera d'autant plus scientifique qu'elle se
trouvera liée à un plus grand nombre d'autres analogies. Nous le
voyons notamment dans les classifications zoologiques. On pour-
rait grouper les animaux, suivant leur couleur, en animaux blancs,
gris, bruns, rouges..., mais l'analogie de couleur, tout en étant
générale, assez constante et très objective, sera rejetée d'une voix
unanime, paree qu'elle est indépendante de toute autre analogie.
Il y aura progrès si l'on divise les animaux en animaux qui mar-

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chent, qui rampent, qui volent, qui nagent, car l'analogie de la


locomotion ne va pas sans celle des organes moteurs. Elle est
même accompagnée de ressemblances extérieures très frappantes
qui induisent, par exemple, les gens peu avertis à faire de la baleine
un poisson. Mais si, non content d'observer que la baleine est pisci-
forme, on s'avise de la disséquer, on la trouve plus voisine de
l'homme que du requin. L'analogie locomotrice est donc solidaire
d'un très petit nombre d'autres analogies. Il n'en va pas de même
avec la classification savante actuelle des animaux en vertébrés et
invertébrés, des vertébrés en mammifères, reptiles, oiseaux, pois-
sons. Une analogie comme celle qui donne leur nom aux mammi-
fères, l'analogie du mode de nourriture des tout jeunes animaux,
entraîne un grand nombre d'analogies, celle de l'appareil circula-
toire et des organes de reproduction entre autres. Un grand pas
de plus a été fait avec le triomphe du transformisme préparé par
Buffon, Gœthe, Oken, consommé après les travaux de Lamarck,
Etienne Geoffroy Saint-Hilaire et Darwin. Quand bien même on
prouverait que l'origine des êtres vivants est due à des créations
distinctes et définitives, l'hypothèse transformiste subsisterait dans
une de ses principales conséquences qui est relative à la classiti-
cation. Cette hypothèse conduit en effet à mettre en évidence une
analogie tout à fait générale entre le groupement des êtres vivants
actuels et passés et un arbre généalogique. Répartir les animaux
et les plantes en espèces, genres, familles, sous-ordres, ordres,
classes, embranchements, était fort bien trouvé, mais cette systé-
matique, si adaptée qu'elle soit au degré plus ou moins grand de
généralité des caractères organiques, reste artificielle par certains
côtés. Elle suggère une fausse idée de régularité militaire. Elle
décrit la foule des êtres vivants comme on décrirait une armée à la
parade, chaque unité étant d'une composition invariable et séparée
par un intervalle constant des unités de même ordre. Cette assi-
milation erronée, qui n'existe sans doute dans l'esprit d'aucun
naturaliste, se trouve impliquée dans leur langage trop rigide.
Quand on voit le nom de « familles » donné à telles catégories ani-
males et végétales, on ne peut se défendre d'imaginer une grandeur
de différences qui resterait la même d'une famille à la famille voi-
sine tout le long de l'échelle zoologique. Or autant que ces diffé-
rences sont accessibles à la mesure, elles apparaissent au contraire

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très inégales, à tel point que dans telle série d'êtres vivants les
différences entre genres voisins équivalent aux différences entre
familles voisines dans telle autre série. L'analogie généalogique des
transformistes corrige ce grave inconvénient. Elle remplace l'idée
de collection par l'idée de parenté. Certaines branches de l'arbre
généalogique sont tombées; ces branches portaient plus ou moins
de rameaux, de là l'inégalité des intervalles qui séparent les
rameaux connus. L'analogie généalogique est donc scientifique au
plus haut degré, puisqu'elle relie toutes les analogies les plus
scientifiques entre êtres vivants.

II

Une des premières opérations de l'esprit humain où soit inter-


venue l'analogie a consisté à reconnaître les' caractères généraux.
L'adjectif s'introduisit dans le langage. Il ne sera pas nié que son
emploi supposât un rapprochement implicite entre un grand
nombre d'objets : on leur trouvait des analogies. Le fait d'avoir
reconnu, entre beaucoup de corps, une analogie qui les fit qualifier
de « pesants », contenait en germe les expériences de Galilée. Toute
généralisation implique de l'analogie. Or, déjà, il n'y a pas de fait
scientifique sans généralisation.
Le fait scientifique a, d'autre part, une valeur scientifique
variable qui se mesure au nombre ou à l'extension des analogies
coexistant avec lui. Ainsi le fait de la chute des liquides et des
solides, que connut le premier homme raisonnable, était déjà
un fait scientifique. En éliminant la résistance de l'air, Galilée
rendit ce fait plus scientifique, puisque l'analogie porta, non plus
seulement sur la chute, mais sur la vitesse de chute. Un nouveau
pas fut rendu alors possible, le pas que fit Newton quand il vérifia
que la lune, en passant de l'apogée au périgée, se rapprochait de
la terre suivant les lois cinématiques des corps abandonnés à Fac-
tion de la pesanteur : extension de l'analogie du domaine terrestre
au domaine universel. Mais ce n'est pas tout : des expériences de
Galilée allait sortir la dynamique, la possibilité de généraliser
encore la pesanteur en la rattachant à la notion de force. De là,
entrée de tous les phénomènes mécaniques sous une analogie qui
ne comprenait jusque-là que les gravifiques.

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C'est ainsi que le progrès de la science dans la voie synthétique


se confond avec l'agrandissement du domaine des analogies. Il
n'en va pas de même tout d'abord dans la voie analytique. On sait
que les lois sont toujours approximatives. Le progrès analytique
consiste à augmenter de plus en plus l'approximation. C'est prin-
cipalement affaire de mesure, de technique expérimentale, où le
but poursuivi est rétablissement d'un rapport quantitatif. Mais
que se passe-t-il quand la précision plus grande des mesures oblige
à remplacer l'expression primitive A d'une loi par l'expression B?
Bien souvent l'expression A, vérifiée par des expériences gros-
sières, avait pour elle la simplicité, et on la conservait surtout à
cause de cela. On se dit alors, en adoptant B, qu'il serait bon
d'y laisser figurer A, et on cherche une troisième expression C,
telle que B soit fonction de A et de C. Il semble que ce procédé
mérite d'être condamné comme arbitraire, parce qu'il doit toujours
réussir, sauf habiletés mathématiques. Mais si précisément l'intro-
duction de C met en lumière une analogie, elle n'est plus œuvre
vaine. C'est ce qui s'est passé pour la loi de Mariotte A, reconnue
inadéquate aux phénomènes et remplacée par les courbes B de
Regnault. Celles-ci étaient une expresión de la loi de compressi-
bilité des gaz que Ton ne parvenait pas d'ailleurs à traduire en un
autre langage, même algébrique. Le physicien hollandais Van der
Wals imagina de diviser le volume des gaz en deux parties dont
l'une obéissait à la loi de Mariotte, le volume total se comportant
comme l'indiquaient les courbes de Regnault. C'était bien intro-
duire une expression G telle que B fût fonction de A et de C.
Jusqu'ici, pur arbitraire. Van der Wals pouvait même être accusé
de se laisser aller, comme il suit, au préjugé dangereux de la raison
suffisante : - dans tout gaz il y a du gaz parfait qui se comprime
suivant la loi de Mariotte, parce qu'il n'y a aucun motif pour qu'il
se comprime autrement. - Mais, bien entendu, l'émincnt physicien
ne s'en est pas tenu là. Il se base, pour diviser en deux le volume
d'un gaz, sur l'hypothèse moléculaire qui suppose bien en effet
deux volumes : celui de l'espace intermoléculaire et celui des
molécules elles-mêmes. La loi de compressibilité, telle qu'elle est
formulée par Van der Wals, se vérifie avec une très grande
approximation, non seulement pour les gaz éloignés de leur point
de liquéfaction, mais pour les gaz tout près de devenir liquides

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et même devenus liquides. 11 y a là une confirmation de la théorie


moléculaire qui reliait déjà si remarquablement un vaste ensemble
expérimental. Cette théorie n'est autre chose que la mise en relief
d'analogies générales entre tous les corps. L'extension des domaines
analogiques peut donc, en fin de compte, résulter du progrès de
l'approximation quantitative,
En somme, les conquêtes de la science sont les conquêtes de
l'analogie. Gomment celle-ci procède-t-elle pour accroître son
empire? Elle ne peut le faire, cela va de soi, sans l'expérience, ou
l'observation, mais l'expérience et l'observation scientifiques, à leur
tour, sont dirigées, elles répondent à un plan préconçu, sans quoi
elles seraient comme les investigations d'un homme qui ne sait pas
même ce qu'il cherche. Or ce plan préconçu est fondé sur des
analogies. Imaginons un chimiste primitif qui, ayant à sa dispo-
sition les seuls produits naturels, entreprenne de les mettre en
contact les uns avec les autres de toutes les manières possibles,
il aura quelques milliers de chances contre une de ne pas trouver
une chimie, parce que nulle analogie ne le guidera. Encore notre
exemple est-il chimérique. Pour avoir l'idée d'essayer le contact
des corps, il faut croire que quelque chose peut résulter de ce
contact. Comment ferait-on cette supposition sans avoir été témoin
d'une réaction entre deux produits naturels, d'où, par analogie, se
déduise la possibilité d'autres réactions? Or on sait que de telles
réactions, suffisamment rapides pour frapper un homme dépourvu
de science acquise, sont pratiquement inexistantes dans la nature.
Aussi bien la chimie n'est-elle pas la fille du chimiste primitif tel
que nous l'avons imaginé par manière d'illustration.
Quand bien même l'expérience et l'observation sont dues au
hasard, elles ne prennent de valeur qu'avec le secours de l'ana-
logie. C'est au hasard, on le sait, qu'est due la découverte des
rayons X, mais rien sans doute n'en fût résulté pour la science
si Rontgen n'avait aussitôt repris, suivant un plan déterminé,
l'œuvre du hasard. Voyant une analogie entre la lumière et les
rayons X, l'impression des plaques photographiques, il fut conduit
à en chercher d'autres : réflexion, réfraction, polarisation, dont il
constata d'ailleurs l'absence. Il n'en est pas moins vrai que l'ana-
logie lui avait servi de guide dans ses travaux.
Ce qui précède rend inutile de développer le rapport qui existe

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entre l'hypothèse et l'analogie. L'hypothèse, qui consiste toujours


à induire d'une analogie connue d'autres analogies inconnues,
est l'instigatrice nécessaire de l'expérience et de l'observation
scientifiques.
Quant à la théorie, on peut la définir comme une manière de
formuler des analogies générales. Et de môme qu'une analogie
constatée n'est jamais fausse, on peut dire que les théories scienti-
fiques sont toujours conformes à la vérité; elles ne changent pas,
elles s'étendent. Cet agrandissement se produit quand les analogies
générales dont elles sont l'expression se réunissent à d'autres sous
une ou plusieurs analogies plus générales encore.
Théorie scientifique, hypothèse, expérience, observation, fait
scientifique, généralisation, progrès synthétiques et analytiques,
tout en un mot, dans la science, se trouve lié directement ou indi-
rectement à l'analogie.

III

Une question fort délicate se pose à propos des analogies : où


est la limite entre la certitude scientifique et l'hypothèse? Car il y a,
en toute affirmation de la science, une part d'hypothèse, si on veut
s'exprimer en pleine rigueur. L'affirmation de la science consiste
en effet, quand des analogies apparaissent, à en annoncer d'autres
qui n'apparaissent pas encore ou même n'apparaîtront pas du tout.
D'un simple coup d'œil qui vous montre la forme et la couleur
d'un objet, vous induisez sans hésitation que cet objet sera pesant,
et même vous énoncerez avec une assurance imperturbable le
nombre qui représente en mètres par seconde l'accélération de sa
chute dans le vide, décimales exactes comprises. Vous pourrez
bien montrer par une expérience la justesse de vos prévisions, vous
pourrez à la rigueur répéter cette démonstration pour cent objets
par jour, mais non pour mille objets différents queje pourrai vous
désigner par jour aussi. Dira-t-on que vous faites une hypothèse
neuf fois sur dix? Non, bien qu'au pied de la lettre métaphysique
ce soit vrai. La certitude scientifique s'acquiert même à bien meil-
leur compte. De ce que vous voyez dans le spectre produit par
l'incandescence d'un corps telles ou telles raies, vous affirmez dans
ce corps la présence d'un métal dont vous certifiez un grand

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nombre de propriétés chimiques et physiques. Ce métal est rare,


nous ne pourrons nous procurer, faute d'argent, aucun minerai
où il soit contenu en quantité suffisante, ce qui, en fait, nous
empêche pour toujours de contrôler vos dires, et cependant vous
ne serez pas réputé avoir émis une hypothèse. Des expériences
répétées deux ou trois fois ont montré que l'analogie des raies
spectrales accompagnait certaines autres analogies physiques et
chimiques. La constatation de la première suffira dès lors pour que
Ton s'estime certain de l'existence des secondes. On se passe
du contrôle de l'expérience, mais on le sait accessible à certains
laboratoires riches et bien outillés. Il n'en faut pas plus. Il en faut
beaucoup moins encore. La présence, dans le spectre solaire, des
raies spectrales de la plupart des substances terrestres, nous fait
tenir pour bien démontré que ces substances appartiennent aussi
à la masse du soleil. Ici pourtant, nul contrôle n'est possible,
aucun savant ne se trouve en mesure, pour le moment, de prélever
sur le soleil quelques grammes d'échantillons pour les soumettre à
l'analyse et voir par là si, à raies pareilles, les corps de là-haut ont
les mêmes propriétés physiques et chimiques que ceux d'ici-bas.
D'une manière abrégée, nous dirons qu'un groupe d'analogies véri-
fiées a suffi pour nous faire connaître un autre groupe d'analogies
inaccessibles dans l'espace.
Celles qui sont inaccessibles dans le temps deviennent aussi, par
un procédé tout pareil, l'objet de la certitude scientifique. On nous
dit qu'il a existé, voici de cela quelques milliers de siècles, des
animaux tels que le ptérodactyle, l'iguanodon, le brontosaure,
l'icthyosaure, le mégalosaure, l'atlantosaure. Les uns volaient, les
autres avaient quatre hautes pattes égales comme nos quadrupèdes
actuels, ou deux pattes longues qui leur servaient à marcher et
deux pattes courtes comme nos kangourous, ou présentaient
d'autres caractères qu'on ne retrouve chez aucun des reptiles actuels.
C'est cependant parmi les reptiles que la science, d'un accord una-
nime, classe lesdits animaux. Quels vestiges nous ont-ils cepen-
dant laissés? Rien que des squelettes plus ou moins complets. De
ce que ces squelettes présentent des caractères communs avec ceux
des reptiles actuels, on en a déduit une communauté d'organisa-
tion générale, relativement aux organes respiratoires, circulatoires,
reproducteurs. Une analogie a suffi pour qu'on affirmât des analo-

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gies inaccessibles dans le temps. Et Ton n'estime pas que l'existence


des reptiles des terrains secondaires, en tant que reptiles, soit
hypothétique.
A la vérité, on s'appuie, dans les inductions analogiques que nous
venons de citer comme exemples, sur une analogie plus générale
encore : celle de l'Univers avec lui-même dans l'espace et dans le
temps. La substance, disons-nous, les phénomènes et leurs lois,
sont au fond les mêmes ici et dans la voie lactée, aujourd'hui et il
y a un million de siècles. Joignez à cela l'affirmation d'une certaine
continuité. Mais celle-ci dérive encore de l'analogie précédente :
analogie de l'Univers avec lui-même dans le temps. Le temps qui
nous est accessible ne nous montre pas dans notre système solaire
de bouleversements très généraux et très brusques ; nous en con-
cluons qu'il n'y en a pas eu non plus et qu'il n'y en aura pas dans
les temps voisins de ce temps accessible. Outre cette analogie
générale, des analogies plus partielles se sont manifestées en faveur
de nos inductions sur les raies spectrales et les squelettes fossiles
secondaires. Les aérolithes ainsi que la densité des astres déduite
de la gravitation universelle témoignent d'une analogie entre les
corps célestes et terrestres. Des raies observées dans le spectre
solaire n'existaient pas dans les spectres des matières que nous
connaissions; on finit par découvrir un corps, l'hélium, qui four-
nissait précisément ces raies. En paléontologie on a trouvé aussi
quelques « ponts » jetés, non plus sur l'espace, mais sur le temps.
La glace fossile de Sibérie nous a conservé des mammouths dans
l'état où ils étaient au moment de leur mort, les dessins des pre-
miers hommes nous représentent encore certains animaux disparus
depuis longtemps, plusieurs espèces actuelles ont été contempo-
raines des dinosauriens, enfin on a découvert vivant, au cœur de
l'Afrique, V okapi; cet animal, ou du moins un animal très voisin,
était considéré d'après les données des fouilles géologiques comme
propre à l'époque tertiaire. Ces quelques « ponts » permettaient
d'aller, pour ainsi dire, justifier dans le passé les inductions analo-
giques tirées de l'observation des squelettes.
Malgré tout, on voit là combien la certitude scientifique est
éloignée, non point de la certitude mathématique, qui ne peut
guère à notre sens se comparer avec elle, mais de la certitude
théorique, ou, si l'on veut, métaphysique. Celle-ci exige l'identité.

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J. SAGERET. - L'ANALOGIE SCIENTIFIQUE SI

Elle exige, avant d'affirmer le groupement des phénomènes sous


une loi ou des objets sous une espèce, d'abord la constatation de
toutes les analogies qui donnent lieu à ce groupement et ensuite
que chaque analogie soit une similitude rigoureuse. La certitude
scientifique, au contraire, se contente de voir chaque analogie
poussée jusqu'à une similitude approchée, et en outre il lui suffit
d'une partie des analogies.
Quand nous disons : - il y a dans le spectre du soleil des raies qui
coïncident avec celles du fer, - nous ne savons pas si ces coïnci-
dences subsisteraient avec une exactitude absolue après un perfec-
tionnement considérable de nos spectroscopes. Nous savons plutôt
le contraire. Il est avéré déjà que certains spectres d'étoiles sont
déviés dans leur ensemble, fait interprété par la composition de la
vitesse de rapprochement ou d'éloignement des étoiles avec celle
de la lumière. Or le soleil tourne, ce qui approche de nous certaines
portions de sa sphère tandis que d'autres s'éloignent, mouvements
compliqués encore par leur composition avec ceux de la terre. En
outre le spectre du fer varie avec la température, peut-être avec la
nature de la source calorifique qui le produit. Les raies considérées
n'en resteront pas moins attribuées au fer, parce que les coïncidences
sont estimées suffisantes. Maïs en supposant les coïncidences
rigoureuses, pourquoi n'y aurait-il pas un corps possédant à la
fois les raies du fer et des propriétés physiques et chimiques tout à
fait différentes de celles du fer? Pourquoi un corps particulier au
soleil n'aurait-il pas, par exemple, quelques raies du fer, quelques
raies de l'hydrogène et quelques raies du calcium? On ne peut
répondre qu'une chose : - C'est d'une telle improbabilité que nous
ne pouvons pas le croire. Les analogies sont trop grandes pour
qu'on puisse les attribuer au hasard. - Même réponse, ou à peu
près, en ce qui concerne les doutes relativement aux reptiles dino-
sauriens de l'époque secondaire. - Pourquoi des animaux à sque-
lette reptilien n'auraient-ils point, par exemple, un placenta et des
organes de lactation? - Parce que les analogies entre squelettes
sont trop solidaires des analogies entre organes de reproduction.
Par contre, toutes les analogies ne suffisent pas. Admettons
comme prouvé qu'il y a sur la planète Mars de l'eau, de l'air, un
régime météorologique voisin de celui de la terre, l'animal martien
n'en restera pas moins hypothétique. Comme nous ignorons les

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conditions physiques et chimiques, les conditions de durée, qui


donnent naissance à la vie organique, nous n'avons pas assez
d'analogies à notre disposition pour affirmer ou nier la présence du
plus humble microbe sur Mars.
La certitude scientifique, en un mot, dépend du poids des analo-
gies. A grand poids, certitude, à poids léger, hypothèse.
Cela ne semble guère satisfaisant tout d'abord. La certitude
se trouvant reliée à l'incertitude d'une manière continue, sans
qu'on puisse montrer où l'une finit, où l'autre commence, il semble
que le scepticisme soit la seule attitude raisonnable. Nous le vou-
lons bien, à condition que le sceptique étende ses exigences de
rigueur à la vie ordinaire. S'il le fait avec tant soit peu de
conscience, il devra se taire et demeurer inactif ou s'étonner de
l'absurde confiance que témoignent à chaque instant ses paroles,
ses actes et ses pensées. Prenons-le au début d'une journée. 11 se
réveille dans l'obscurité. Où est-il? Chez lui, à tel étage de telle
maison, tel numéro, telle rue, à Paris, il se le rappelle parfai-
tement. Pure hypothèse. Ne se peut-il que sa prétendue vie, depuis
qu'il a été à Marseille, soit un rêve? Une vérification s'impose. Il
tate le mur à la tête de son lit et reconnaît par le simple toucher
une tenture qui masque une porte. C'est une analogie unique dont
se contenteraient les gens ordinaires pour affirmer toutes les autres
analogies propres à l'identification du lieu, si besoin était. Le
sceptique voudra davantage. 11 faudra qu'il vérifie, dans toutes les
pièces, la présence, aux mêmes endroits, de tous les objets que lui
rappelle sa mémoire, et encore, deux appartements ne peuvent-ils
être pareils? Il sortira donc, il examinera l'escalier, l'entrée de la
maison, la rue, le quartier, la ville entière. Et quand il aura passé
sa journée à ce travail de vérification très incomplet, il n'aura
aucune raison pour ne pas recommencer le lendemain, le surlen-
demain, tous les jours de sa vie.
Voilà à quelles conséquences insupportables chacun de nous
serait exposé s'il fallait douter sérieusement de la valeur de l'in-
duction analogique. C'est par l'induction analogique que nous
affirmons la permanence des choses, c'est-à-dire leur existence.
Quand nous reconnaissons un livre d'un simple coup d'œil, cela
veut dire que des analogies de forme et de couleur entraînent à leur
suite l'affirmation d'une énorme quantité d'autres analogies. Et,

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J. SAGERET. - L'ANALOGIE SCIENTIFIQUE 53

sans doute, nous vérifions maintes et maintes fois par l'expérience


la valeur de nos inductions analogiques, mais combien de fois la
vérification est-elle impossible, sans pourtant que nous doutions!
Des empreintes de pas sont un témoignage suffisant du passage
d'hommes que nous n'avons point vus et que nous ne verrons
jamais. Nous reconnaissons une inscriplion sur une pierre comme
faite par l'homme, en l'absence de tout témoignage et quand bien
même nous ignorerions la langue et récriture de cette inscription.
Nous sommes guidés en cela par des analogies qui rapprochent
entre eux les travaux humains comparés aux effets des forces
naturelles. Peut-on dire que ces analogies aient plus de précision
que les analogies de raies spectrales ou de squelettes que nous
avons considérées plus haut? Elles entraînent cependant la cer-
titude.
Mais cette certitude a des degrés variables qui la relient insen-
siblement au doute. Certaines traces sur des pierres seront telles
que nul n'y verra une inscription, d'autres seront une inscription
pour tout le monde, au sujet d'autres encore les avis seront par-
tagés. Il en est ainsi des matières de nos jugements quelles qu'elles
soient. Une page d'un auteur plus ancien, retrouvée textuellement
dans un auteur plus récent, donne la certitude d'un plagiat, une
phrase non. Nous reconnaissons une personne avec certitude,
comme nous pouvons douter de son identité, mais sans que nul
puisse dire combien il faut d'analogies constatées entre l'image
gravée dans notre mémoire et l'image vue pour qu'on soit en deçà
ou au delà de la limite qui sépare le cloute de la certitude. On
dirait la même chose de tous les objets. Notre vie active entière est
faite de reconnaissance, d'inductions analogiques : nous reconnais-
sons nos aliments quand nous mangeons, le terrain quand nous
marchons, nos outils quand nous travaillons, notre langage quand
nous parlons. Et ces inductions entraînent une certitude parfai-
tement solide bien que des degrés insensibles puissent la relier au
doute.
Les inductions analogiques de la science sont de la même nature
et souvent plus rigoureuses que les précédentes. La certitude
scientifique a donc une valeur égale à la certitude qui nous fait
affirmer l'existence de notre propre personne, des objets extérieurs,
de leurs propriétés familières. L'erreur que Ton commet en traitant

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54 REVUE PHILOSOPHIQUE

la science d'incertaine est au fond une erreur de langage. On


oublie que le langage est pratique et expérimental. Les mots
n'expriment pas un absolu. Quand nous disons tous - nous
sommes certains - il est sage de se demander ce que nous signi-
fions par là et non de bâtir une définition rigoureuse d'où il ressor-
tira nécessairement que notre langage ne répond à rien. Il suffit
de concéder à celui-ci une relation avec notre pensée réelle pour
voir que la certitude scientifique vaut la certitude sans épithète.
Ces deux certitudes sont basées le plus souvent sur des rapports
analogiques. Et peu importe que nous ne puissions pas dire où
commence et où finit la portée efficace de ces rapports. L'expé-
rience prolongée de l'humanité nous a enseigné qu'il y en avait
de parfaitement valables et lesquels; c'est tout ce qu'il nous faut.
Jules Sageret.

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