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psychés en référence à l’une de ses divas, Nico et à sa chanson :

I’ll Be Your Mirror.

Sur ces satins usés, gît la question de la surface où se meut


Aïcha Hamu. Son espace est le glacis des peintres anciens.
Alors toujours cette question de la peinture et encore cet
écho… Vélasquez et sa Vénus .
Le miroir comme surface, le satin comme aire sur laquelle
quelque chose se révèle. Une toile qui n’en est pas une, une
Vénus qui n’en est pas une, une peinture qui n’en est pas une,
un dessin qui n’en est pas un non plus. Citations. C’est un re,
un énième. L’usure sur satin convoque le rapport au dessin.
Cependant, selon les termes de l’artiste, on parle de « non
dessin », dans le sens où il n’est pas académique. En effet,
les images sont projetées sur le tissu. La technique même du
© 2009
dessin est évincée : le support est une toile et la projection
« Va(r)nish Dead People » rappelle la camera obscura des peintres.
Sur la blancheur, la série Shakes joue de tremblement,
dessins parkinsoniens qui se décalent en surface du papier.
« Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle…» Là encore, le dessin est un moyen de recomposer des images,
Seulement voilà, le miroir ne répond plus. Un filtre opaque au même titre que l’a été la chronophotographie au début
s’est emparé de sa surface polie. Il y en a trop des belles. Elles du 20ème siècle, et qui a inspiré le célèbre Nu Descendant
fleurissent – et fanent – sur tous les médias, tous les supports. l’Escalier  de M. Duchamp.
Ecrans en tous genres, cinéma, télévisions, téléphones dernier
cri, Mac, PC ou plasma, voici que toutes les surfaces se mettent La broderie est une surface aussi, sorte de métaphore de la
à diffuser leur reine et leur princesse. Le miroir en a eu assez, peinture. Sans Titre , propose des broderies sur un matelas
dépassé par les évènements, à moins… qu’il n’ait décidé, en une forme surajoutée, reprise des Anthropométries
derechef, de quitter ce vieil objet désuet pour se faufiler dans d’Yves Klein. Plusieurs remarques quant à cette œuvre : le
ces écrans, ces affiches, ces publicités. Toutes ces façades qui matelas lui-même est déjà orné d’un motif floral faisant échos
exploitent la crédulité et la vanité. Tous ces vernis… au walldraw de l’artiste et à cet univers baroque qui lui, résonne
Ideal Chorus , le satin blanc élimé dessine des interprètes avec la peinture et la décoration. Le matelas est accroché au
chantants, bouches ouvertes. Ce groupe idéal rassemble mur et ce renversement fait penser aux actes des peintres
diverses chanteuses aux carrières et styles hétéroclites, pour du Nouveau Réalisme (dont Yves Klein est l’instigateur) ; ou
certaines déjà décédées, en un chœur idéal ne pouvant qu’être encore à la figure emblématique de Pollock et de ses dripping
complètement dissonant. Le tissu est abîmé au moyen d’une avec ce geste symbolique du renversement de la toile. Il est
aiguille, délicatement, pour ne pas le traverser ; l’usure laisse clair qu’Aïcha Hamu cite les Nouveaux Réalistes, en marquant
apparaître un léger volume pelucheux dessinant les visages toujours cette impossibilité de peindre par la présence de la
de ces personnalités, encadrées dans des psychés. Oh, vanités mort, de la décomposition : la toile virginale de Kandinsky
fantomatiques… L’échos de leurs voix à travers ce vernis s’est transformée en un matelas où l’acte d’amour entre le
délavé : monochrome blanc, peinture désenchantée de divas peintre et la peinture a été consommé. Date de péremption.
désincarnées ne survivant que dans cette improbable mise en Cette œuvre hurle la mort de la l’art pictural symbolisée ici
scène aphone. La vision du motif est une part importante de par la broderie qui se transforme en asticots grouillants sur
ce travail ; selon l’angle de vue, le regardeur perçoit les images un cadavre, celui de la mariée… Le « ici et maintenant » est
en un positif/négatif et non en une picturalité mimant la chair, remplacé par « ce fut ici et ça n’est plus ». C’est l’angoissante
sorte d’apparition sur la lisse surface chatoyante du tissu. Le question : suite à Duchamp, comment décemment peindre
rapport à la carnation disparaît, le corps n’est présent que par encore ?
sa représentation, plate et superficielle. Le cadre des miroirs,
baroque au demeurant, fait allusion aux lourds cadres dorés Cet acte érotique, puisque l’érotisme est un « isme » de l’art,
de la peinture classique. Et puisque tout le travail d’Aïcha est le corollaire de la mort qui ensemble forment le vernis
Hamu opère de subtils renvois entre ce qui est montré et leur glacé de l’œuvre d’Aïcha Hamu. Hyphen qui représente
représentation, il est vraisemblable que l’artiste ait choisi ces des chamans en transe nous parle de ce double aspect de

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l’érotisme, également partagé par G. Bataille qui gardait du Pop Art dans ce lien à la publicité, aux images phares et au
toujours avec lui la terrible photographie d’un supplicié média de diffusion dont l’Internet semble être un aboutissement.
chinois, entre mort et extase. Il disait y voir l’expression Cependant, c’est un Pop Art délavé. « Plus blanc que blanc »,
parfaite de l’éros. C’est ce qui est convoqué dans ces images, Brillo , la lessive de Warhol a fait son œuvre, voici les années
frôlant l’invisible et touchant à la connexion entre les vivants 90 !
et les morts, la jouissance et la souffrance… La publicité, la tradition, la mode, la star, la femme, le chic, le
glamour, le graphisme, le kitch sont les critères de sélection de
De cet érotisme inséparable de la question de l’attraction, ces images empruntées au « déjà-vu ». Il y a dans toute l’œuvre
Aïcha Hamu exalte la séduction par un double jeu plastique un rapport aux stéréotypes : l’esthétique baroque est attirante
et iconographique. Les matières sont choisies pour leurs mais frôle le cliché, un peu comme un téléfilm plein d’effets, trop
connotations sensuelles et leur lien au corps – qui du reste, d’effets ou une excellente série Z.
est absent. Toutes les représentations de femmes convoquées
dans l’œuvre de l’artiste le sont pour cette idée du summum Consommable, consumable, customisable, ses œuvres font acte
de la séduction, de femmes fatales – et tragiques : divas, de gimmicks, Aicha Hamu sample les images de notre quotidien
actrices, mannequins. Si le travail d’Aïcha Hamu est envisagé en une mise en scène qui relave leur identité première. Dans ce
comme un lavis, le rouge lui, s’éternise, puissant évocateur préfixe re il y a l’idée de répétition, de retour à un état antérieur,
de la passion, de la beauté et de la féminité. Les bouches sont d’appuyer la notion à tel point que « re ! », dans le langage,
rouges , les étoffes de la pièce Dream That Money Can Buy est devenu un substitut à un autre « bonjour ». Ici, l’artiste
, le sont aussi. Certaines installations se déploient dans reprend des images déjà existantes, éculées, passées et qui par
des demeures et lieux luxueux. Des draps ruissellent d’une son truchement se retrouvent convoquées dans un présent et
fenêtre tel un torrent de flux menstruels. Le lit, lieu du sexe fonctionnent comme un référentiel plastique. Cette idée du re est
et de l’amour mais aussi du sommeil et de la mort, mêle sa également un clin d’œil au mix musical ou au cinématographique
signification au carmin : déflorer la jeune vierge ou princesse remake et cela tombe bien puisque ce sont les principales
est-ce s’en prendre à la peinture ? La mariée est mise à nue, sources de l’artiste. Il s’agit de remasteriser les images, de les
défraîchie, usée et non peinte, sorte de désaveu de l’artiste « re quelque chose »… Cette méthode de travail nous amène
quant à ses envies de peinture et son impossibilité même à l’idée de recomposition d’un paysage culturel analogique aux
de réalisation. Cette idée est développée différemment dans paysages que pouvaient construire les peintres dans leur atelier,
une autre œuvre Step Back . Ici encore, les strates de lecture avant l’apparition du tube de peinture.
s’accumulent entre détournement d’une facture publicitaire
aux relents Pop de Lichtenstein et ces sanglants pompons Dans son œuvre, le rapport à l’image est assez énigmatique.
textiles propres à l’univers de l’artiste. En effet, toutes séduisantes qu’elles soient, nous pouvons nous
Capté et ravi, notre regard se laisse prendre au piège que poser la question de leur raison d’être, de leur fondement ?
sont les œuvres de l’artiste. Plastiquement réussi, son travail Finalement, comment l’ombre du Comte Orlock de Nosferatu en
tente de nous y faire croire… Jusqu’à ce que nous y regardions dentelle arrive t’elle à jouxter une image de J.F.K. brodée sur
à deux fois : voici qu’apparaît la contrefaçon ! Un mauvais skaï . Le rapport n’est pas évident à la première lecture et il
raccord a été repéré, l’angle de vue vient de changer, c’est serait facile de tomber dans le piège des images et de l’artiste
une autre saisie du réel. La fausse note, l’accro en leur surface : ne sont-elles pas seulement prétexte à faire des œuvres ou
entachent ces simulacres glamour. Aïcha Hamu joue des encore d’autres images ?
images et de ce qu’elles véhiculent. Elles sont accessibles ?!
Qu’à cela ne tienne, saisissons les !

Et en effet, pour recomposer ses œuvres elle va chercher son


inspiration et glaner les icônes de son évènement plastique
dans le réservoir collectif d’images qu’est Internet. C’est dans
ce lieu atopique, utopique, qu’elle va emprunter des visuels
tous aussi ressassés les uns que les autres. Le web, espace-
dépôt, mémoire collective, encyclopédique et universelle
devient donc le vecteur conceptuel de son travail. Les
recherches historiques qu’elle effectue, l’iconographie qu’elle
se réapproprie, les logiciels gratuits dont elle se sert forgent
sa démarche artistique qui n’est pas sans rapport avec celle

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Voici l’article REVµ :

« Va(r)nish Dead People »


autour d’Aïcha Hamu.
REVu est un format hybride entre revue et objet
d’art ! REVu, un espace de création, de réflexion
Ideal Chorus, installation : usure sur satin blanc, bois, critique et analytique.
mousse, peinture, dimensions variables, 2008.
Né de rencontres, REVu, est un projet éditorial
I’ll Be Your Mirror, Nico and the Velvet Underground, 1967. plastique, artistique et critique composée autour de l’art
La Vénus au Miroir, Velasquez, huile sur toile, 122,5 x 177 contemporain.
cm, environ 1650.
Shakes, série de dessins : mine de plomb sur papier, REVu se construit autour et avec les rencontres.
Ses entrevues - parcours à entrées multiples où se
dimensions variables, 2008. croisent le dessin, la peinture, le volume et autres
Nu Descendant l’Escalier, Marcel Duchamp, huile sur toile, formes plastiques - sont l’occasion d’échange, de
146 x 89 cm, 1912. questionnement, de débat
Sans Titre, broderie au point de poste sur matelas, 140 x Ce qui nous intéresse c’est ce que disent les artistes.
200 cm, 2005. Ce que nous proposons, un article critique, analytique,
Anthropométrie de l’Epoque Bleu (ANT 82), Yves Klein, une revue hybride où, sur deux faces, dialoguent l’œuvre
pigment pur, résine synthétique sur toile, 155 x 281 cm, 1960. et le texte.
Hyphen, série : empreintes d’images sur transcryl entre Nous ne nous voulons pas sentence - cette veine critique
deux plaques de verre encadrées, 72,5 x 93 cm, 2008. n’est définitivement pas la notre.
The Love and Terror Cult, vidéoprojection, dimensions Pour autant, notre engagement vis à vis de l’art et des
variables, 2007. artistes est bien réel : notre volonté de nous tenir à l’écart
du milieu marchand de l’art (la revue est disponible en
Dream that Money can Buy, installation : usure sur satin une centaine d’exemplaires à votre libre disposition et nos
rouge, 2008. écrits, via notre site), notre ligne directrice d’indépendance,
nos choix esthétiques mais aussi, simplement, notre
Step Back, impression sur papier marouflé, tissu, 290 x 200 existence (associative) face aux différents monstres et
cm, 2008. piliers, commerciaux ou non, du monde de l’art actuel.
REVu est un univers diaphane, délicat, qui se pose - un
Boîte de Savon Brillo, boîtes de contre-plaqué avec regard - sur l’œuvre d’un l’artiste.
sérigraphie et acrylique, 43,2 x 43,2 x 35,6 cm chacune, 1964.
C’est une édition confidentielle qui demande une
Nosferatu, dentelle noire, 1200 x400 cm, 2004. attention de votre part, lecteurs. Cette attention, c’est
Shooting (the Single Bullet), broderie sur skaï, capiton, votre regard, votre curiosité, vos impressions. Cette
mousse, bois, 70 x 167 x 15, 2008. attention, c’est ce qu’a toujours demandé l’art ; c’est la
condition pour l’appréhension d’une œuvre. De cet égard
nait le dialogue qui donne à l’art son sens : sa formidable
capacité d’éveiller en vous, en nous, le trouble, les
émotions, les réflexions, les questionnements, ... quant à
notre contemporanéité.

Association REVµ - 6 rue Cerisaie, 92700 Colombes

http://www.e-revu.org
e-mail : contact@e-revu.org
rev.u@free.fr

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