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LUC-ACTES ET LA NAISSANCE DU DIEU UNIVERSEL

Daniel Marguerat, Emmanuelle Steffek

Institut protestant de théologie | « Études théologiques et religieuses »

2012/1 Tome 87 | pages 35 à 55


ISSN 0014-2239
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ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES


87e année – 2012/1 – P. 35 à 55

LUC-ACTES ET LA NAISSANCE
DU DIEU UNIVERSEL

On sait que le livre des Actes des apôtres raconte l’essor du premier christia-
nisme dans le monde gréco-romain. De Jérusalem à Rome, il déploie une
géographie où transparaît le Dieu universel. Mais comment se construit cette
mondialisation du Dieu de Jésus ? De quelles racines, de quelles impulsions,
de quels refus se nourrit-elle ?Recourant aux outils de la narratologie, Daniel
MARGUERAT et Emmanuelle STEFFEK* cherchent l’intrigue qui conduit à l’offre
universelle de la Parole. On verra comment Luc, sans jamais couper le lien
avec le judaïsme, profile la nouveauté chrétienne. Alors qu’on a tant dit que
l’universalisme se déployait dans le livre des Actes, l’Évangile de Luc préfigure
déjà subtilement une ouverture que le second tome de l’œuvre adressée à
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Théophile va concrétiser. À sa manière, c’est-à-dire narrativement, Luc nous
livre un petit traité sur l’identité du christianisme.

Un constat de François Bovon sera notre point de départ : « L’Évangile de


Luc et le livre des Actes sont les textes du Nouveau Testament qui, curieuse-
ment, sont les plus ouverts sur l’universalisme et les plus favorables à Israël.
Leur auteur décrit avec la même tendresse les racines juives de l’Église et
l’expansion géographique de l’évangile1. » Ce constat, qui conserve toute sa
validité, signifie qu’un apport spécifique de Luc au sein du Nouveau Testament
est de penser l’universalisme du salut. Question : comment expliquer ce para-
doxe, dans la théologie lucanienne, d’une ouverture à l’universalisme et d’un
respect du particularisme d’Israël ? L’un remplace-t-il l’autre ? Comment se
gère leur tension ? Et comment se construit l’universalité du salut au cours des
cinquante-deux chapitres de l’œuvre de Luc (Lc 1-Ac 28) ?

*
Daniel MARGUERAT est professeur honoraire de l’université de Lausanne. Emanuelle STEFFEK est
chercheuse externe affiliée à l’IRSB, Université de Lausanne.
1
François BOVON, Luc le théologien, Genève, Labor et Fides, coll. « Le Monde de la Bible 5 »,
20063, p. 452 (nous avons légèrement retouché la typographie de la citation pour harmoniser l’emploi
de la majuscule du mot Évangile avec le reste de l’article. NDLR).

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La théologie de Luc se déployant en narrativité, nous avons choisi de


suivre le déroulé du macrorécit en observant comment la dimension univer-
selle du salut se construit du début de l’Évangile à la fin des Actes. Car la
spécificité de l’universalisme lucanien du salut est qu’il vient progressivement
au langage, passant de l’annonce et de la préfiguration (l’Évangile) à l’actua-
lisation (Actes). C’est en effet dans la disposition du récit et la stratégie narra-
tive mise en œuvre que se révèlent les positions théologiques du narrateur2.

I. ÉVANGILE DE LUC : LE SALUT POUR ISRAËL D’ABORD

Il est communément admis que, dans l’Évangile de Luc, le salut est à


quelques exceptions près réservé à Israël. Fidèle à son calendrier historico-
salutaire, l’auteur de Luc-Actes refuse de brûler les étapes : l’annonce du Règne
de Dieu, dans un premier temps, est destinée à Israël. Son élargissement à tous
les peuples se produira progressivement – ce que montrera le livre des Actes.
Nous ferons cependant apparaître que dès le seuil du troisième Évangile,
des signes discrets annoncent que le salut ne sera pas exclusivement réservé à
Israël, mais que les nations aussi en deviendront les bénéficiaires (section 1).
En outre, les deux récits d’envoi en mission (Lc 9 et Lc 10) préfigurent cette
progressive ouverture du salut aux non-juifs, une ouverture légitimée par Jésus
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dans sa prédication inaugurale à la synagogue de Nazareth (section 2). Quant
à la figure des Samaritains, Luc la construit comme un modèle d’anticipation
(section 3).

1. Des signes discrets

Le récit de l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste est rédigé dans un


style à forte coloration biblique (1, 5-25). L’histoire se déroule au Temple de
Jérusalem, où le prêtre Zacharie, père de Jean, est désigné pour « offrir l’encens
à l’intérieur du sanctuaire du Seigneur » (1, 9). La mission de Jean, telle que la
décrit l’ange apparu à Zacharie, sera de « ramener beaucoup de fils d’Israël au
Seigneur leur Dieu » (1, 16), afin de « former pour le Seigneur un peuple
préparé » (1, 17). De même, après la naissance de l’enfant, le cantique de
Zacharie (1, 67-79) semble indiquer que le rôle prophétique du Baptiste sera
exclusivement destiné au salut d’Israël. Sa fonction, précise le narrateur en

2
Dans cette contribution pensée en commun, Emmanuelle STEFFEK a rédigé la première partie (Lc),
tandis que Daniel MARGUERAT a écrit la seconde (Ac). Nous la dédions au bibliste italien Gérard Rossé,
en gratitude pour sa constante amitié et en reconnaissance pour ses travaux sur l’Évangile de Luc et le
livre des Actes ; ils nous inspirent et nous émerveillent par leur riche documentation.

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1, 77, est de « donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon des
péchés » (c’est nous qui soulignons).
Pourtant, une subtile ouverture vers les nations se fait jour lors de la
présentation au Temple de l’enfant Jésus dans le cantique de Syméon (2, 29-35),
cet homme « juste et pieux » (2, 25) : Syméon remercie Dieu d’avoir préparé

d’Israël ton peuple » (v. 31-32). Les non-juifs font ainsi leur entrée dans la
le salut « face à tous les peuples : lumière pour la révélation aux païens et gloire

sphère de salut de Dieu, qui se présente au vieil homme sous la forme de Jésus
enfant. Dans sa louange, Syméon mentionne l’humanité entière en allant du
général au particulier, de « tous les peuples » à « ton peuple Israël », en passant
par le terme intermédiaire « les païens ». De manière surprenante, mais signi-
ficative, les nations sont citées dans le cantique de Syméon en premier lieu,
avant Israël !

Une histoire du salut universel

Le cantique de Syméon fonctionne comme une annonce anticipée du salut


offert à tous les peuples, tout en englobant Israël dans la formule « tous les
peuples ». S’il est accordé aussi aux païens, le salut n’est jamais retiré à Israël.
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Un peu plus loin dans le récit, la citation d’Ésaïe 40, 3-5 en Lc 3 confirme
l’intention de l’auteur d’indiquer en filigrane la portée universelle du salut.
Alors que dans la présentation du ministère du Baptiste, Matthieu et Marc ne
citent que le verset 3 d’Ésaïe 40 (Mt 3, 3 ; Mc 1, 3), Luc choisit de poursuivre
la citation jusqu’au verset 5 : « et tous verront le salut de Dieu » (Lc 3, 6)3.
L’expression « le salut de Dieu » ne se rencontre qu’à deux reprises en

du récit, Luc a donc ménagé un arc narratif, manifestant que son œuvre est à lire
Lc-Ac : ici (Lc 3, 6) et à la fin du livre des Actes (28, 28). Entre ces deux bornes

comme l’histoire du salut déployé en faveur de tous. Prédit par Jean le


Baptiste, et avant lui par les prophètes, ce salut est incarné par Jésus mais
refusé par la majorité des juifs, pour être en finale offert aux païens, qui, « eux,
écouteront » (Ac 28, 28). Le dernier mot n’est cependant pas prononcé sur le
sort d’Israël, comme nous le verrons plus loin4 : l’universalisme n’exclut pas
pour autant du salut le peuple choisi.

l’universalité du salut (Ac 2, 21 : « Et quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » [c’est nous
3
L’auteur à Théophile procédera de même en Ac 2, lorsqu’il cite Jl 3, 1-5, incluant la mention de

qui soulignons]).
4
Voir infra.

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2. Une double mission

Luc est le seul des Synoptiques à rapporter non pas un, mais deux récits
d’envoi en mission : le premier relate l’envoi des Douze (Lc 9, 1-6.10), le
second présentant celui des soixante-douze disciples (Lc 10, 1-20). Pourquoi
Luc a-t-il ressenti le besoin de rapporter deux récits d’envoi en mission ? Il
convient, avant de répondre, de se pencher sur la prémisse que l’évangéliste a
posée en amont de ces deux épisodes : Jésus légitime lui-même, au seuil de
son activité, l’annonce de la Bonne Nouvelle aux non-juifs. Il s’agit de la
prédication inaugurale dans la synagogue de Nazareth (Lc 4, 16-28).
Jésus a lu le texte d’Ésaïe 61, 1-2 (« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce
qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres… »)
et en a tiré la conclusion : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous
qui l’entendez » (4, 21). L’effet de sa déclaration est double5. La réaction est dans
un premier temps plutôt favorable (4, 22) : les gens lui rendent témoignage

sa bouche » (4, 22). Martureô a ici le sens de « manifester une opinion favora-
(martureô) et « ils s’étonnaient (thaumazô) du message de la grâce qui sortait de

ble » (cf. Ac 22, 5) et thaumazô peut signaler un étonnement teinté d’admiration.


Mais Jésus poursuit son discours et parle du mauvais accueil d’un prophète dans
sa patrie (4, 23-27) ; il cite comme précédent l’exemple d’Élie et d’Élisée, qui ont
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préféré pour l’un venir en aide à une veuve étrangère (1 R 17), pour l’autre
guérir un lépreux non juif (2 R 5). Ce commentaire de Jésus déclenche le
deuxième temps de la réaction des auditeurs juifs (4, 28-30) : rejet et violence à

les nations. À l’intention du lecteur, les deux exemples vétérotestamentaires cités


l’égard de celui qui ose insinuer que la Bonne Nouvelle est accueillie plutôt par

par Jésus ouvrent une brèche dans l’exclusivisme israélite du salut. Le lecteur
peut s’en souvenir en découvrant la succession des deux récits d’envoi en
mission qu’a ménagée le narrateur quelques chapitres plus loin. Nous y venons.
Le premier récit (Lc 9, 1-6.10) suit, dans les grandes lignes, le texte de Marc
(Mc 6, 6-13)6. Mais une différence, apparemment anodine, suggère que Luc
infléchit déjà ici le récit dans un sens universaliste. Cet infléchissement porte
sur le pouvoir conféré aux Douze : alors qu’en Mc 6, 7, il s’agit de maîtriser des
esprits impurs, Luc préfère parler de « démons » (Lc 9, 1). Pourquoi relever
cette divergence ? Parce que Luc réserve l’appellation « esprit impur » au
champ géographique d’Israël. Dès que la mission en débordera, il ne l’utilisera
plus, préférant parler de démons. La dernière utilisation de l’expression

rejet ensuite. Voir infra.


5
Luc reprendra maintes fois ce schéma dans les Actes : accueil favorable dans un premier temps,

STEFFEK, De Jésus à Jean de Patmos. L’annonce de l’Évangile dans le Nouveau Testament, Lyon, Oli-
6
Sur le récit de l’envoi en mission dans l’Évangile de Marc, voir Élian CUVILLIER, Emmanuelle

vétan, 2010, p. 52-55.

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« esprits impurs » figure en Ac 8, 7, lors de la mission en Samarie, donc aux


marges du judaïsme. Choisissant d’évoquer des démons plutôt que des esprits
impurs, Luc ne signale-t-il pas déjà que la mission des Douze débordera rapi-
dement l’espace géographique et ethnique d’Israël ?
Le second récit d’envoi en mission (Lc 10, 1-20) est presque trois fois plus
long que le premier. L’essentiel de cet épisode tient dans le long discours de Jésus
(v. 2-16), imposant si on le compare aux trois versets du premier récit d’envoi en
mission. Pourquoi Luc ressent-il le besoin de mentionner l’envoi en mission de 72
« autres disciples » ? L’auteur à Théophile, qui aime tisser des liens entre son récit
et la Bible hébraïque, s’inspire ici de la Table des peuples issus des descendants
des fils de Noé, telle qu’on la trouve en Genèse 107. Dans la tradition vétérotesta-
mentaire, le nombre 72 (ou 70) évoque l’idée de la totalité de la race humaine. En
Gn 46, 27 par exemple, il est dit que la maisonnée de Jacob qui descendit en
Égypte comptait 70 âmes8. L’envoi de 72 disciples revêt donc la dimension uni-
versaliste indiquée par la liste des nations de Genèse 10.
En résumé, on voit que fidèle au slogan paulinien « le juif d’abord, puis le
Grec » (Rm 1, 16), Luc met en scène un premier envoi en mission, qui ne concerne
que les Douze et ne s’adresse qu’à Israël ; la mission aux non-juifs, préfigurée par
l’envoi des 72, vient dans un second temps9. Notons aussi que c’est Jésus qui
envoie en mission ; elle n’est donc pas une initiative personnelle des disciples, ni
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une activité à option, mais un mandat confié par lui aux disciples. Dans le livre des
Actes, Luc insistera sur le rôle primordial de l’Esprit et de l’agir divin dans
l’impulsion missionnaire et l’ouverture aux nations.

3. Les Samaritains, préfiguration du salut universel

Trois passages de l’Évangile de Luc évoquent la figure des Samaritains10 :


9, 51-56 ; 10, 29-37 et 17, 11-18. Curieusement, la destinée de cette figure

7
Une partie de la tradition manuscrite lit 70 et non 72 : la version hébraïque du récit de Gn 10
mentionne en effet 70 nations, alors que la Septante en comptabilise 72. Comme Luc suit probablement
la version grecque, la majorité des commentateurs retient le nombre de 72.
8
Sur la liste des peuples de Gn 10, on consultera Nahum M. SARNA, Genesis, Philadelphie, The
Jewish Publication Society, coll. « The JPS Torah Commentary », 1989, p. 69.
Sur la mission en Lc-Ac, voir Élian CUVILLIER, Emmanuelle STEFFEK, De Jésus à Jean de Patmos,
op. cit., p. 95-123.
9

Samarien und die Samaritai bei Lukas. Eine Studie zum religionshistorischen und traditionsgeschicht-
10
Sur les Samaritains dans l’Évangile de Luc, l’étude la plus complète reste celle de Martina BÖHM,

lichen Hintergrund der lukanischen Samarientexte und zu deren topographischen Verhaftung, Tübin-

(Lc 17, 18) dans l’œuvre de Luc », in L’étranger dans la Bible et ses lectures, Paris, Cerf, coll. « LeDiv
gen, Mohr Siebeck, coll. « WUNT 2.111 », 1999. Voir aussi Pierre HAUDEBERT, « Le Samaritain-étranger

213 », 2007, p. 185-194.

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narrative est exactement à l’inverse de ce qui se passe avec les juifs en Lc-Ac.
Les juifs, on l’a vu, commencent par accueillir favorablement l’annonce de
l’évangile avant de le rejeter (Lc 4, 16-30) ; le récit des Actes répétera à l’envi
ce scénario. Les Samaritains, eux, commencent par refuser d’accueillir Jésus (9,
51-56), avant d’être érigés en modèle de comportement (10, 29-37) et de foi
(17, 11-18).
Une lecture superficielle de l’épisode du non-accueil des Samaritains, en
Lc 9, 51-56, donne à penser que ceux-ci sont stigmatisés par Luc. Toutefois, si
d’aucuns sont réprimandés dans cette histoire, ce ne sont pas les Samaritains
mais Jacques et Jean qui proposent à Jésus de faire tomber sur eux le feu du
ciel ! Les Samaritains n’ont pas accueilli Jésus, mais ils ne sont pas châtiés
pour autant. Du reste, tant dans l’Évangile que dans les Actes, jamais ceux qui
refusent la Bonne Nouvelle ne sont l’objet d’un châtiment. La punition des
incrédules ne sera mise en récit – abondamment – que dans la littérature apocryphe,
dès le IIe siècle.
Le portrait du Samaritain dans la parabole de Lc 10, 29-37 est plus explici-
tement positif. Si Luc n’évoque pas la foi de cet homme, encore moins le salut
susceptible d’en découler, il le qualifie à l’aide de verbes manifestant la sollicitude :
le Samaritain a pitié du voyageur blessé (v. 33), il prend soin de lui (v. 34),
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il est miséricordieux (v. 37).
Le récit de la guérison des dix lépreux (17, 11-19) franchit un pas de plus.
Il associe le salut au comportement du lépreux samaritain qui, après sa guéri-
son, rend gloire à Dieu (v. 15) et rend grâces à Jésus (v. 16). La sentence de
Jésus au v. 19 (« ta foi t’a sauvé ») reprend mot pour mot ce qu’il avait dit à la
femme pécheresse (7, 50) et à la femme à la perte de sang (8, 48). Il est à noter
que le Samaritain est ainsi aligné sur des Israélites de second rang : une femme
pécheresse et une femme en état d’impureté ; mais le Samaritain de Lc 17 est

que le narrateur Luc invite son lecteur, sa lectrice à discerner la préfiguration


aussi un être impur, puisque lépreux. C’est dans cette coalition des marginaux

d’un salut qui ne peut pas encore déborder les frontières d’Israël, mais englobe
à l’intérieur d’Israël ceux que les purs rejetaient en dehors de l’espace de
sainteté.
Bilan. Les textes que nous avons passés en revue s’accordent à montrer que
Luc, avec une discrète insistance, fait entrevoir un salut ouvert en définitive à
tous sans distinction, juifs ou non-juifs, pécheurs ou justes, hommes ou femmes.
Mais le calendrier de l’histoire du salut ne doit pas être bousculé : avant la
résurrection, Jésus est destiné au peuple choisi. Le centurion de Capharnaüm
verra son esclave guéri, mais après avoir confessé à Jésus son « indignité » de
païen inapte à accueillir dans sa maison un fils d’Abraham (Lc 7, 6).
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II. ACTES : LE DIEU DE TOUS ET DE CHACUN

Passant de l’Évangile au livre des Actes, le lecteur voit l’universalité du

de faire comprendre comment l’universalité du salut s’est inscrite dans


salut passer de la virtualité à la réalité. L’objectif majeur du livre des Actes est

l’histoire au travers de la mission des témoins du Christ. Tout l’effort de Luc


vise à montrer que l’extension du salut à l’universalité humaine est à la fois
une œuvre divine, à laquelle l’Esprit saint concourt puissamment, et le résultat
du labeur et des souffrances des envoyés. Agir divin et efforts humains se sont
combinés11 pour faire naître une Église qui rassemble hommes et femmes de
toutes provenances. On lit en Ac 14, 27 cette expression forte : Paul et

non-juifs, rapportent aux croyants d’Antioche « tout ce que Dieu avait réalisé
Barnabé, de retour du premier voyage missionnaire où ils ont évangélisé les

avec eux et surtout comment il avait ouvert aux païens une porte de foi » (c’est
nous qui soulignons). Pareille formule de synergie (ce que Dieu a réalisé avec
eux) ne se lit pas ailleurs dans le Nouveau Testament.
L’auteur des Actes est un historien : il décrit comment, par étapes succes-
sives, la Parole a acquis son envergure universelle ; l’universalité du salut est
l’aboutissement d’un parcours, que le récit déploie narrativement (section 1).
Mais l’auteur des Actes est aussi un théologien : il fait voir quel est le fonde-
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ment théologique de cette universalité (section 2) et l’articule à la christologie
(section 3). Demeure un problème résiduel dans le rapport à Israël : la validité
de la Torah, sur laquelle Luc tient une position inhabituelle (section 4).

1. Le parcours du Dieu universel

Luc aime signaler d’entrée de jeu les thèmes fondamentaux de son récit.
On peut donc s’attendre à ce qu’il affiche tout de suite l’horizon universel de
l’évangélisation chrétienne. C’est le cas, en effet, dans la déclaration du
Ressuscité à ses disciples qui, au seuil des Actes, énonce le programme du
livre : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur
vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la
Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (1, 8). Le parcours que trace cette
parole est à la fois géographique et théologique. Il déroule la géographie de la

Samarie avec Philippe (Ac 8), puis se déploie via Antioche (Ac 11, 19-26) en
mission, qui partant de Jérusalem (Ac 1-7) s’étend en Judée alentour, atteint la

Asie Mineure, en Grèce et jusqu’à Rome sous la direction de Paul (Ac 13-28).

11
Sur ce thème, voir Daniel MARGUERAT, Le Dieu des premiers chrétiens, Genève, Labor et Fides,
coll. « Essais bibliques 16 », 20114, p. 201-218.

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L’universalité comme promesse

Mais ce programme géographique est simultanément un programme


théologique : enracinée à Jérusalem, l’annonce du salut gagne le judaïsme
marginal de la Samarie (8, 4-25), puis se déplace avec les Hellénistes vers le
centre missionnaire d’Antioche (11, 19-26) ; c’est de là qu’elle sera adressée
non plus aux juifs seulement, mais aux nations, au cours de la spectaculaire
mission de Paul et de ses collaborateurs. L’itinéraire de Jérusalem (Ac 1) à
Rome (Ac 28) signifie un décentrement de l’évangélisation chrétienne. Même
s’il ne nie à aucun moment ses racines jérusalémites, Luc situe l’avenir du
christianisme là ou il achève son récit : à Rome, au cœur de l’empire romain12.
On est en droit de s’étonner, toutefois, que le livre se termine à Rome alors

extrémités de la terre » (1, 8). L’eschaton tès gès désignerait-il métaphorique-


que le Ressuscité promettait à ses disciples d’être ses témoins « jusqu’aux

ment Rome, comme l’ont pensé des commentateurs13 ? Pour un admirateur de


l’empire comme l’auteur des Actes, la capitale impériale constitue le centre du
monde plutôt que ses confins ! Le procédé est à la fois plus subtil et plus
signifiant. En arrêtant son récit à Rome, Luc fait entendre que le programme
missionnaire construit par le Ressuscité demeure inachevé ; il est encore à

une promesse d’universalité qui surplombe la chrétienté. Dit autrement : l’uni-


poursuivre, non dans le monde du récit mais dans le monde du lecteur, comme

versalité que désigne le Christ à ses disciples constitue l’horizon, jamais atteint,
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de son Église. La chrétienté est assignée à un déploiement universel de l’évan-
gile qui demeure pour elle une promesse, un défi, et non un acquis dont elle
aurait la maîtrise.

Au commencement, la Pentecôte

Le mandat du témoignage délivré aux disciples s’accompagnait d’une


promesse : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui
viendra sur vous » (1, 8). La promesse se réalise à la Pentecôte (2, 1-13).
L’irruption de l’Esprit crée un événement qui n’est pas l’antithèse de Babel
(Gn 11), puisque la diversité des langues n’est pas remplacée par une langue
unique ; le miracle de Pentecôte consiste bien au contraire en ce que l’Esprit fait
entendre l’évangile dans la diversité des langues du monde. L’Esprit saint ne

promesses faites aux pères, et Rome où se joue son avenir. Voir Daniel MARGUERAT, La première his-
12
Luc installe l’identité chrétienne dans une tension entre Jérusalem, lieu de ses racines et des

toire du christianisme (Les Actes des apôtres), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, coll. « LeDiv 180 »,
20032, p. 97-122.
Par exemple Gerd LÜDEMANN, Das frühe Christentum nach den Traditionen der Apostelge-
schichte, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1987, p. 32.
13

42
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2012/1 LUC-ACTES ET LA NAISSANCE DU DIEU UNIVERSEL

crée pas un esperanto spirituel, mais permet que le même évangile soit compris
dans la pluralité des langues. L’universalité qui s’annonce ici n’impose pas une
uniformité, mais ouvre un rapport commun à l’évangile dans l’irréductible
diversité des cultures.
L’envergure universelle de cette miraculeuse communication se dit par
l’énumération des peuples présents dans la foule : « Parthes, Mèdes et Éla-
mites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et
de l’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et de la Libye cyré-
naïque, ceux de Rome en résidence ici, tous, tant juifs que prosélytes, Crétois
et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de
Dieu » (2, 9-11). On s’est beaucoup interrogé sur l’origine de cette liste des
peuples et le sens de ce répertoire14. Il ressemble effectivement à la Table des
nations de Gn 10, déjà mentionnée à propos de l’envoi en mission des 72
disciples (Lc 10), qui dresse la liste des descendants de Noé et de leurs terri-
toires. Le plus important est de relever le parcours qu’il suggère au lecteur : en
trois vagues successives (quatre peuples, puis quatre provinces romaines, puis
quatre régions), il dresse l’image du monde vu de Jérusalem. Les trois cycles
en effet suivent chacun un mouvement circulaire autour de la Ville sainte. C’est

foule est composée de juifs et de prosélytes, il restreint ce microcosme au


donc une image du monde qu’a voulu dresser Luc, mais en précisant que la

judaïsme de la diaspora. En d’autres termes, l’universalité de la Pentecôte n’est


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encore qu’interne au judaïsme.
Pourquoi cette restriction au judaïsme dans l’empire romain ? Luc, nous
l’avons dit, est historien et théologien. Comme historien, il sait que l’extension
universelle de la mission chrétienne ne fut pas immédiate, mais a résulté d’un
processus évolutif. Comme théologien, il maintient qu’Israël est le premier
destinataire de la venue du Messie. Mais, en même temps, il tient à faire savoir
que, dès le commencement, l’universalité était préfigurée. C’est pourquoi, si
l’explosion spirituelle de la Pentecôte est destinée au judaïsme exclusivement,
le discours interprétatif de Pierre, qui suit l’événement, fait résonner déjà des

ainsi qu’à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre
échos universels : « C’est à vous qu’est destinée la promesse, et à vos enfants

lui [Jésus] ; car aucun autre nom, sous le ciel, n’est offert aux hommes, qui soit
Dieu les appellera » (2, 39). Et plus loin : « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en

nécessaire à notre salut » (4, 12 [dans les deux cas c’est nous qui soulignons]).
Or, ces accents massivement universalistes évoquent immanquablement
l’espérance prophétique de la restauration eschatologique d’Israël, avec le

14
Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres (1-12), Genève, Labor et Fides, coll. « CNT 5a »,
2007, p. 76-80.

43
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DANIEL MARGUERAT, EMMANUELLE STEFFEK ETR

côte annonce ainsi in nuce l’essor mondial de la Parole tout en réalisant


rassemblement attendu des exilés de toutes nations sur le mont Sion15. Pente-

l’antique promesse du pèlerinage eschatologique des exilés à la Ville sainte.

L’ouverture symbolique

La première communauté se développe à Jérusalem sous l’égide des apôtres,


récoltant la faveur du peuple, mais essuyant l’hostilité des autorités religieuses.
La crise éclate autour d’Étienne, le protomartyr lynché par le sanhédrin (Ac 7).
Philippe l’évangéliste fait une percée en Samarie (Ac 8, 4-25), mais l’ouverture
décisive en direction des non-juifs est réalisée par Pierre lors de sa rencontre
avec Corneille, l’officier romain de Césarée Maritime (Ac 10).
L’histoire est rocambolesque. Corneille est un non-juif, pieux mais impur,
étranger à l’Alliance de Dieu avec Israël (10, 1-2). Or, une succession d’évé-
nements miraculeux va mettre en présence l’apôtre et le soldat païen. Pour
provoquer la rencontre des deux hommes, le narrateur a orchestré une cascade
d’interventions surnaturelles : une apparition angélique à Corneille, une extase
à Pierre et un message de l’Esprit. La stratégie narrative est évidente : le
lecteur doit saisir le caractère extraordinaire de cet événement, mais surtout il
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doit réaliser que cette extension inouïe du salut aux nations ne résulte pas d’une
initiative des apôtres, mais d’une intervention de Dieu qui force l’histoire à
entrer dans son plan.
Corneille reçoit en vision la visite d’un ange lui annonçant : « Tes prières et tes
aumônes sont montées en mémorial devant Dieu » (10, 4). Corneille entend
l’impensable : le ciel, qui devrait être fermé à un non-juif, est ouvert à sa croyance
et à ses œuvres ; c’est l’annonce voilée du salut. Simultanément, Pierre est
l’objet d’une extase où une foule d’animaux descend du ciel dans une voile et un
ordre divin lui est donné : « Sacrifie et mange ! » (10, 13). L’apôtre refuse avec

transgresser la kashrout. Troisième intervention divine : l’Esprit enjoint à Pierre


énergie de toucher à ce méli-mélo d’animaux purs et impurs, qui lui ferait

de se rendre chez Corneille. C’est alors, rendu dans la demeure de cet homme
impur, que l’apôtre déchiffre théologiquement le sens de son extase : « Je me rends
compte en vérité que Dieu est impartial, et qu’en toute nation, quiconque le craint
et pratique la justice trouve accueil auprès de lui » (10, 34).

restauration eschatologique d’Israël : Dt 30, 4-5 ; Jr 38, 8 ; 2 Esd 11, 8-9 ; 2 M 2, 18. Simon BUTTICAZ
15
La formule « de toute nation qui est sous le ciel » (2, 5) est l’expression codée de l’attente de la

d’Israël) et un universalisme centrifuge (à l’image de l’expansionnisme romain) : L’identité de l’Église


a bien montré la tension interne au récit d’Ac 2 entre un universalisme centripète (la restauration

dans les Actes des apôtres. De la restauration d’Israël à la conquête universelle, Berlin, de Gruyter, coll.
« BZNW 174 », 2011, p. 109-116.

44
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2012/1 LUC-ACTES ET LA NAISSANCE DU DIEU UNIVERSEL

Pierre est puissamment conduit, contre son gré, à admettre l’incroyable : la


barrière millénaire entre le pur et l’impur, revêtue pour Israël d’une fonction

mental de cette barrière protectrice est énoncé par l’auteur de la Lettre d’Aristée,
identitaire puisqu’elle maintient la sainteté du peuple, tombe. Le rôle fonda-

un juif hellénistique du IIe siècle avant J.-C. : « Le législateur (Moïse), doué


par Dieu d’une science universelle, nous a entourés d’une clôture sans brèche
et de murailles de fer, pour éviter la moindre promiscuité avec les autres peu-
ples, nous qui, purs de corps et d’âme, libres de vaines croyances, adorons le

éclats la « clôture sans brèche » : tout être humain trouve désormais accueil au-
Dieu unique et puissant » (139). Or, le message qui retentit ici fait voler en

près de Dieu, indépendamment de son statut religieux, de sa pureté ou de son


impureté, de sa race, de son histoire ou de son sexe. Luc a choisi les mots qu’il
prête au prince des apôtres pour énoncer sa déclaration du Dieu universel : dire

(lambanein prosôpon), emprunte une vieille formule de la Septante pour


que Dieu n’est pas partial, littéralement qu’il « ne regarde pas à la face »

signifier l’impartialité et l’incorruptibilité de Dieu16. La continuité voulue du


vocabulaire avec la Bible hébraïque indique que derrière cette révélation
bouleversante se tient le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
L’auteur des Actes a superbement raconté cet épisode où, par une divine
surprise, la fin du séparatisme millénaire d’Israël a été promulguée. Désormais,
les missionnaires chrétiens vont annoncer que le Dieu de Jésus Christ est le
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Dieu de tous et de chacun. Le vecteur privilégié de cette évangélisation nouvelle
est Paul, converti brutalement sur le chemin de Damas, mandaté par Dieu pour
être « l’instrument que je me suis choisi pour répondre de mon nom devant les
nations païennes, les rois et les Israélites » (9, 15).

Le scénario de la rupture

Le premier discours de Paul à ses coreligionnaires juifs est une homélie


prononcée à la synagogue d’Antioche de Pisidie (13, 13-52). Encore une fois,
le narrateur Luc a minutieusement construit cet épisode pour en faire une scène
paradigmatique de la mission paulinienne à Israël. Au cours de son homélie,
Paul souligne que la venue de Jésus et sa résurrection s’inscrivent à la suite des
gestes par lesquels Dieu a libéré son peuple et lui a donné les dirigeants (juges,
rois) dont il avait besoin. Et c’est de la descendance de David que « Dieu, selon
sa promesse, a fait sortir Jésus, le sauveur d’Israël » (13, 23).

pour dire que Dieu est un juge impartial et incorruptible (Dt 10, 17 ; Jb 34, 19 ; Si 35, 13), ou pour avertir les
16
Luc use d’un néologisme néotestamentaire basé sur une formulation de la Septante. L’AT grec l’utilise

juges humains de ne pas privilégier les riches au détriment des pauvres et des faibles (Lv 19, 15 ; Dt 1, 17 ;
16, 19). Le NT en fait un usage essentiellement judiciaire : Dieu est le juge impartial qui jugera chacun selon
ses œuvres (Col 3, 25 ; Ep 6, 9 ; 1 P 1, 17) ; Dieu rétribue sans partialité le juif comme le Grec (Rm 2, 11).

45
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DANIEL MARGUERAT, EMMANUELLE STEFFEK ETR

La suite des événements est alors hautement instructive. Dans un premier


temps, les juifs d’Antioche de Pisidie se déclarent intéressés d’en savoir plus,
et demandent à Paul et Barnabé de revenir au sabbat suivant. Une semaine
après, « presque toute la ville s’était rassemblée pour écouter la parole du
Seigneur » (13, 44) ; c’est alors que les choses se gâtent. « À la vue des foules,
les juifs furent remplis de jalousie et ils contredisaient les dires de Paul par des
blasphèmes » (13, 45). Que s’est-il passé, qui a fait basculer la synagogue de
l’intérêt à l’hostilité ? Simple jalousie devant le succès populaire de Paul ?
L’expression « à la vue des foules » en dit plus : les juifs s’offusquent de voir

qui déclenche leur colère. L’universalité de la mission chrétienne est la pierre


la parole de Dieu offerte aux non-juifs. C’est l’offre de l’évangile aux païens

de touche qui provoque le refus violent de l’évangile. Un autre terme confirme

zèlos, qui désigne le zèle, l’application. Ce n’est pas par sentiment d’envie que
que l’enjeu se trouve là : ce qui a été traduit par « jalousie » est le terme grec

les juifs d’Antioche récusent la vérité de Paul, mais en fonction du zèle sacré
qui les anime envers le Dieu des pères.
Le drame d’Antioche de Pisidie est programmatique dans la mesure où il
installe, au sein du macrorécit, ce qui deviendra un stéréotype de la mission
paulinienne. Il met en place le schéma suivant : Paul commence l’évangélisa-
tion d’une ville en prêchant à la synagogue ; sa prédication déclenche une
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opposition ; l’effet est contrasté : succès auprès de craignant-Dieu ou de païens,
fuite (avec ou sans violence) hors de la ville. Avec des variantes, ce cycle
dramatique se répète d’un bout à l’autre de la mission paulinienne : à Iconium
(14, 1-7), à Thessalonique (17, 1-9), à Bérée (17, 10-14), à Corinthe (18, 1-18),
à Éphèse (18, 19-21 ; 19, 8-10) et jusqu’à Rome (28, 16-31)17.
Pourquoi le narrateur a-t-il répété ce scénario avec une régularité frisant la
monotonie ? Pourquoi montre-t-il Paul revenant opiniâtrement à la synagogue,
alors qu’avec Barnabé il a déclaré aux juifs d’Antioche : « Puisque vous
repoussez [la parole de Dieu] et ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh
bien ! nous nous tournons vers les nations » (13, 46) ? Cette redondance est le

nien : l’évangile « est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du juif
signe d’une conviction théologique. Elle traduit narrativement le slogan pauli-

d’abord, puis du Grec » (Rm 1, 16 [c’est nous qui soulignons]). Le retour


incessant de Paul à la synagogue concrétise narrativement la priorité que
l’apôtre reconnaît à Israël pour le salut. Le narrateur fait dès lors comprendre
à ses lecteurs que le refus de l’évangile ne sera pas l’effet d’une négligence des
missionnaires chrétiens, mais le choix de juifs résistant à leur prédication.

17
Dossier textuel chez Simon BUTTICAZ, L’identité de l’Église dans les Actes des apôtres, op. cit.,
p. 261-277.

46
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2012/1 LUC-ACTES ET LA NAISSANCE DU DIEU UNIVERSEL

Encore une fois, c’est sur la question de l’ouverture universelle que juifs et
chrétiens se séparent selon le livre des Actes18.

Paul, le pasteur universel

À la fin de son récit, Luc revient sur la question d’Israël et sur l’universa-
lité – preuve que cette question est au cœur de son souci théologique. Paul est
en résidence surveillée à Rome (28, 16). Il convoque les notables juifs, qui ac-
ceptent de s’entretenir avec lui. L’issue de la discussion est incertaine : les uns
se laissent convaincre, d’autres refusent. C’est alors que Paul dresse, à l’aide
de la citation d’Es 6, 9-10, le constat de son échec à convaincre l’ensemble
d’Israël que Jésus est le Messie qui lui était destiné. « Sachez-le donc : c’est aux
païens qu’a été envoyé ce salut de Dieu ; eux, ils écouteront » (28, 28).
Avec Israël, la porte n’est pas claquée, mais désormais l’annonce de la
Parole ne se tournera plus prioritairement vers eux. La dernière image offerte
par le récit est celle de Paul en pasteur exemplaire, recevant chez lui « tous
ceux qui venaient le trouver, proclamant le Règne de Dieu et enseignant ce qui

(28, 30-31). À la proclamation du Dieu de tous et de chacun, liée au nom de


concerne le Seigneur Jésus Christ avec une entière assurance et sans entraves »

Jésus Christ, correspond une prédication adressée à tous et à chacun. Le droit


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d’Israël au salut n’est pas récusé, mais son exclusivité.

2. Où l’universalité prend racine

Théologien, l’auteur des Actes ne fait pas que raconter par quel processus
historique le christianisme est né à l’universalité. Il en a pensé les fondements.

La promesse de l’Écriture

Quelques citations d’Écriture – peu nombreuses, on verra plus loin pourquoi


– viennent accompagner l’avènement du christianisme à l’universalité.

18
Michael WOLTER, dans un bel article, a souligné le lien tissé par Luc dans les Actes entre
l’expansion universelle de la mission et le processus de séparation entre chrétiens et juifs : « Lukas
schildert diesen Trennungsprozess im zweiten Buch seines Geschichtswerks nun so, dass er ihn als

werk als Epochengeschichte », in Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung.


Bestandteil der Ausbreitungsgeschichte des Christuszeugnisses erzählt. » (« Das lukanische Doppel-

Festschrift E. Plümacher, Leiden, Brill, coll. « AJEC 57 », 2004, p. 253-284, citation p. 263). Sur la
question des relations entre juifs et chrétiens dans les Actes, on lira Daniel MARGUERAT, La première
histoire du christianisme, op. cit., p. 211-244.

47
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DANIEL MARGUERAT, EMMANUELLE STEFFEK ETR

Dans un discours de Pierre après la Pentecôte, l’apôtre met en avant le fait


que la venue du Messie Jésus est destinée au peuple d’Abraham. Il insiste :
« C’est vous qui êtes les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a conclue
avec vos pères, lorsqu’il a dit à Abraham : “Dans ta descendance, toutes les
familles de la terre seront bénies.” C’est pour vous d’abord que Dieu a suscité,
puis envoyé son serviteur pour vous bénir en détournant chacun de vous de ses
méfaits » (3, 25-26). La priorité d’Israël pour le salut (« c’est pour vous

familles de la terre seront bénies dans sa descendance : le salut de la terre


d’abord ») est la conséquence de la promesse faite à Abraham que toutes les

entière passe par le peuple choisi. La formule scripturaire de la bénédiction


abrahamique est connue ; on peut la lire notamment en Gn 12, 3 et 22, 18. Dans
l’ordre du récit, nous n’en sommes pas encore à l’ouverture (il faut attendre
Ac 10). L’universalité du salut n’est pas la pointe de l’argumentation, mais
cette universalité s’inscrit plutôt dans la promesse fondatrice du peuple saint et
répond à sa vocation originaire. Toutefois, la priorité israélite pour le salut n’est
pas affirmée sans réserve. La « bénédiction octroyée dans l’envoi du serviteur
de Dieu est soumise au repentir des méfaits (cf. v. 26b). Ensuite, elle n’est plus
exclusivement réservée à Israël. [...] l’inclusion des païens dans

encore à l’agenda de la mission chrétienne19 ». On peut dire que, déjà, l’exclu-


l’Israël recomposé est obliquement suggérée, même si elle ne figure pas

sivisme d’Israël s’effrite pour se restreindre à une préséance dans l’histoire du


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salut.
Lors de la crise qui intervient entre la synagogue et Paul à Antioche de
Pisidie, les envoyés chrétiens réagissent par un geste symbolique de rupture. Ils
secouent contre la ville la poussière de leurs pieds, signifiant par ce geste
prophétique la volonté de ne rien avoir en commun avec ceux qui les expulsent.
Mais une déclaration de Paul vient commenter le geste. « C’est à vous qu’il
était indispensable d’annoncer en premier la parole de Dieu ; puisque vous la
repoussez et ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous
tournons vers les nations. Car ainsi nous l’a prescrit le Seigneur : “Je t’ai placé
en lumière des nations, pour que tu sois [un moyen de] salut jusqu’aux confins
de la terre” [Es 49, 6] » (13, 46-47). À cet instant symbolique, la déclaration est
explicite : (a) Israël avait priorité dans l’annonce du Christ ; (b) le refus ne vient
pas des envoyés, mais des juifs ; (c) désormais, l’évangile sera offert aux
non-juifs ; (d) ce déplacement actualise la prophétie d’Es 49, 6. L’éclairage
scripturaire n’est pas anodin. Cet extrait du deuxième chant du Serviteur de
YHWH (Es 49, 1-6) énonce la vocation du peuple d’être l’instrument du salut de
toutes les nations de la terre. Ici, Paul et Barnabé endossent cette déclaration.

19
Simon BUTTICAZ, L’identité de l’Église dans les Actes des apôtres, op. cit., p. 137-138.

48
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2012/1 LUC-ACTES ET LA NAISSANCE DU DIEU UNIVERSEL

La métaphore « lumière des nations », dans la prophétie de Syméon en Lc 2, 32,


visait Jésus ; elle applique ici à l’évangélisation de Paul et Barnabé la vocation uni-
verselle d’Israël20. Or, le jeu d’écho intertextuel avec Lc 2, 32 renferme un double
enseignement. D’une part, il signifie que la prédiction de Syméon trouve ici sa
réalisation : le salut préparé face à tous les peuples est à la fois « lumière pour la
révélation aux païens et gloire d’Israël », et c’est un « signe contesté » (Lc 2, 32.34).
D’autre part, Luc offre du virage pris par l’évangélisation chrétienne une double
explication : l’extension de la mission aux païens résulte du rejet d’une part réfrac-
taire du judaïsme, mais elle participe en même temps d’une nécessité historico-
salutaire inscrite au cœur même des Écritures d’Israël21. En rejetant l’offre du salut
aux nations, la part rebelle du judaïsme récuse en réalité sa vocation propre.
On ajoutera à ces deux citations d’Écriture les mots d’Am 9, 12, cités à
l’occasion de l’assemblée de Jérusalem qui valide la mission de Paul auprès
des nations : « Dès lors, le reste des hommes cherchera le Seigneur avec toutes
les nations qui portent mon nom » (Ac 15, 17).
Mais on constate que si ces échos scripturaires accompagnent l’infléchisse-
ment de l’évangélisation chrétienne en direction des païens, il ne l’expliquent pas
et ne le justifient pas. Ils viennent apporter la preuve que cette orientation nouvelle
n’est pas en contradiction avec (quelques passages de) l’Écriture, il lui apportent
une légitimation secondaire, mais ne la fondent pas22. Pour trouver le fondement
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de l’universalisation chrétienne, il faut chercher ailleurs que dans l’Écriture.

L’effet de la résurrection

C’est du côté de la christologie qu’il faut chercher la source de l’universalité


de Dieu, et plus précisément dans l’affirmation de la résurrection. Pour cela,
revenons à l’événement symbolique où se décide l’ouverture du salut aux non-juifs :
la rencontre de Pierre et Corneille (Ac 10).

Avis contraire chez Jacques Dupont (« Je t’ai établi lumière des nations [Ac 13,14.43-52] », in
Jacques DUPONT, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres, Paris, Cerf, coll. « LeDiv 118 », 1984,
20

p. 343-349) et Pierre GRELOT (« Note sur Actes XIII, 47 », RB 88, 1981, p. 368-372). Pour ces auteurs,
la métaphore fôs [tôn] ethnôn est christologique ici comme en Lc 2, 32 et, pensent-ils (mais à tort), en
Ac 26, 23. Or, l’application aux deux envoyés est signalée par le pronom personnel hêmin en 13, 47a
(« ainsi nous l’a prescrit le Seigneur »), qui aligne la décision de se tourner vers les païens sur la voca-
tion universelle du serviteur de YHWH attestée par Es 49, 6.

pretation of Scripture (Acts 13:42-52) », in Bart J. KOET, Five Studies on Interpretation of Scriptures
21
Voir Bart J. KOET, « Paulus and Barnabas in Pisidian Antioch : A Disagreement over the Inter-

in Luke-Acts, Louvain, Leuven University Press/Peeters, coll. « SNTA 14 », 1989, p. 97-118.


22
Nous ne partageons pas l’affirmation de Marcel DUMAIS, pour qui Es 49, 6 cité en Ac 13, 47 pose

des apôtres », SNTU, série A 18, 1993, p. 113-131, citation p. 121). L’argumentation de l’homélie
« le fondement théologique de la mission universelle » (« Le salut universel par le Christ selon les Actes

(13, 16-41) n’est aucunement fondée sur la citation ésaïenne, qui légitime la réorientation de la mission
plutôt qu’elle ne fournit la source de l’universalisme du salut.

49
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DANIEL MARGUERAT, EMMANUELLE STEFFEK ETR

Nous avons esquissé plus haut la cascade d’événements surnaturels par lesquels
Dieu programme la mise en présence des deux hommes. Intéressons-nous au
discours de Pierre chez Corneille (10, 34-43), car c’est là que l’apôtre déchif-
fre théologiquement ce qui se passe. Son argumentation a toujours étonné les
commentateurs, car elle justifie l’universalité du salut sans aucunement recou-
rir à l’Écriture. On aurait précisément attendu que Luc, friand d’enraciner la
nouveauté chrétienne dans la continuité de l’histoire d’Israël, recoure à
l’Ancien Testament pour signifier que cette nouveauté accomplit l’attente
d’Israël. Mais il n’en est rien. Luc ne disposait-il pas de textes pertinents pour
argumenter ? Sa manière d’utiliser l’Écriture pour appuyer la résurrection de

estimons plutôt que ce silence vétérotestamentaire traduit la conviction


Jésus atteste qu’il n’était pas à court d’arguments scripturaires23. Nous

théologique que l’universalité chrétienne est le fruit de Pâques. C’est l’événe-


ment pascal, dont par ailleurs Luc répète que son auteur n’est autre que le Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui a conduit les chrétiens à ouvrir l’alliance
de salut à ceux qui en étaient originellement privés24.
Pierre n’argumente pas à partir de l’Écriture, mais à partir du kérygme
christologique. Le passage qui suit fait clairement le lien, en effet, entre le
témoignage apostolique de la résurrection et l’universalité du salut. L’argu-
mentation est la suivante : être témoin que Jésus a été relevé des morts (comme
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le sont les apôtres), c’est annoncer qu’il est le Juge eschatologique de l’huma-
nité entière et que désormais, le pardon des péchés est accordé à quiconque –
juif ou non – croit en lui. « Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait
dans la région des juifs et à Jérusalem. Lui qu’ils ont exécuté en le pendant au

pas à tout le peuple, mais à des témoins élus d’avance par Dieu, à nous, qui
bois, Dieu l’a réveillé au troisième jour et lui a donné de devenir visible, non

avons mangé et bu avec lui après qu’il a été relevé des morts ; et il nous a
enjoint de prêcher au peuple et de rendre témoignage qu’il est celui que Dieu

quiconque croit en lui reçoit l’effacement des péchés par son nom » (10, 39-43
a établi juge des vivants et des morts. De lui, tous les prophètes témoignent :

[c’est nous qui soulignons]).


Pierre fait tout d’abord état d’une donnée commune aux évangiles cano-
niques25 et à Paul, à savoir que le Ressuscité n’est pas apparu en public mais à

23
On s’en convaincra à la lecture d’Ac 2, 22-36 ; 3, 13-26 ; 13, 32-41.

apôtres », in André GAGNÉ, Alain GIGNAC, Sylvette PAQUETTE LESSARD, éd., Le Vivant qui fait vivre.
24
Sur ce qui suit, on lira Daniel MARGUERAT, « La résurrection et ses témoins dans les Actes des

Esprit, éthique et résurrection dans le Nouveau Testament. Mélanges offerts à la professeure


O. Mainville, Montréal, Médiaspaul, coll. « Sciences bibliques », 2011, p. 261-280, surtout p. 273-276.
25
L’évangile apocryphe de Pierre (vers 150) présente notoirement la première attestation littéraire
d’une apparition du Ressuscité à un public étranger aux disciples ou aux sympathisants de Jésus ; en
l’occurrence, le Christ sort du tombeau à la vue des soldats chargés de garder la tombe (EvP 38-45).

50
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2012/1 LUC-ACTES ET LA NAISSANCE DU DIEU UNIVERSEL

ses intimes, pour confirmer la légitimité de leur témoignage. Or, de ces témoins
choisis, l’intimité vécue avec le Ressuscité est affirmée de curieuse façon : ils
ont mangé avec lui et bu avec lui. Si le lecteur remonte en amont dans le récit
lucanien, il pensera au « manger » du Ressuscité en Lc 24, 41-43, ou plutôt au
repas du début des Actes (1, 4) ; le manger de Lc 24, qui vient au-devant de
« l’incrédulité de joie » des disciples, est en effet plus démonstratif que convi-
vial. Mais pourquoi rappeler la commensalité pascale ? C’est ici que le lecteur
doit avoir le regard fin. Quel est en effet l’enjeu dans la rencontre de Pierre et
de Corneille ? L’apôtre déchiffre l’extase qu’il a reçue à Joppé comme une in-
vitation à accueillir Corneille et les siens sans égard au fait qu’ils ne partagent
pas la pureté du peuple saint. La foi en Jésus autorise désormais quiconque à
recevoir le pardon des péchés. L’injonction divine faite au judéo-chrétien Pierre
de boire et de manger avec la maisonnée de Corneille signifie le partage du
salut. Or, cette concrétion symbolique de l’universalité du salut s’autorise d’un
« manger-avec » (sunefagomen) et d’un « boire-avec » (sunepiomen) le

Pierre, lui reprochant cette transgression de la kashrout, brandira le même


Ressuscité (10, 41). La dénonciation des frères de Jérusalem à l’encontre de

verbe : « Tu as mangé avec eux (sunefages) ! » (11, 3). Or, pour se justifier de
cette audacieuse commensalité, Pierre ne s’adosse pas à une exégèse de l’Écri-
ture, mais à une lecture de la résurrection. C’est la foi de Pâques qui fait entrer

une menace d’impureté, mais le bénéficiaire d’un accueil illimité. Pâques est
les chrétiens dans une dynamique salutaire où autrui n’est plus pour le croyant
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pour l’Église la date de naissance d’une théologie conséquente du Dieu
universel. Pour le garantir, le témoignage apostolique relaie et surplombe le
témoignage des Écritures.
L’articulation que nous venons de déceler entre l’affirmation de la résur-
rection et l’universalité du salut se retrouve au long des discours des Actes26.

3. La médiation christologique du salut universel

Par quelles médiations le salut universel devient-il opérant ? Comment les


humains peuvent-ils se l’approprier ? Luc a pensé la médiation à l’aide de deux
concepts : le « nom du Seigneur » et la foi au Christ.

26
Comparer Ac 4, 10-11 et 4, 12 ; 9, 4-5 et 9, 15 ; 13, 32-37 et 13, 38-39 ; 17, 31 et 17, 30 ; 26, 15-
16a et 26, 16b-18 ; 26, 23a et 26, 23b.

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DANIEL MARGUERAT, EMMANUELLE STEFFEK ETR

Être sauvé par le nom de Jésus Christ

Luc, plus que tout autre auteur du Nouveau Testament, s’est servi dans les
Actes de l’antique notion du Nom divin27. Cette notion remonte à une anthro-
pologie archaïque, où le nom équivaut en quelque sorte à la personne. Repré-
sentatif de la personne, le nom dégage une sphère de puissance. Dans la Bible
hébraïque, connaître le nom de Dieu permet de lui rendre un culte et de
s’assurer de sa protection. Toutefois, au sein d’un judaïsme qui prie « Dieu,
sauve-moi par ton nom » (Ps 54, 3), proclamer le « nom de Jésus Christ » est
apparu comme un acte dangereux, blasphématoire même. Les démêlés des apôtres
avec le sanhédrin en Ac 3-5 restituent ce souvenir. Parler de Jésus Christ comme
du Nom qui sauve fut cependant l’une des formulations théologiques précoces des

(cf. Ph 2, 9-10). La formule dans ou par le nom de Jésus Christ est une christolo-
premiers chrétiens, ce dont l’hymne pré-paulinien de Ph 2, 6-11 est un bon témoin

gisation de la formule de la Septante dans ou par le nom de Dieu.


Dans les Actes, à part trois mentions appliquées à Dieu (2, 21 ; 15, 14.17),

Le baptême a lieu dans le nom de Jésus Christ28. Les témoins enseignent ou


le Nom y est toujours la forme représentative de la présence agissante du Christ.

prêchent dans le nom de Jésus29. Les apôtres guérissent dans ou par le nom de
Jésus Christ30. C’est dans les Actes aussi que l’on rencontre l’expression la plus
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nette de cette concentration christologique de la théologie du Nom. Les apôtres
se déclarent heureux d’avoir été « jugés dignes d’être bafoués pour le Nom »
(5, 41). « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en lui ; car aucun autre nom, sous le
ciel, n’est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut » (4, 12).

Par la foi

L’ancrage christologique du salut est également assuré au niveau anthropo-

quiconque moyennant qu’il accorde sa confiance en Jésus Christ. La foi est le


logique. Et Luc, ici, s’avère être un bon disciple de Paul : le salut est offert à

dénominateur commun du salut universel. Pierre, encore lui, le signifie expli-


citement lorsqu’il commente le premier miracle de guérison intervenu entre les
mains des apôtres, la guérison du boiteux à la Belle Porte du Temple (3, 1-10).

Jacques DUPONT, art. « Nom de Jésus », DBS 6, Paris, Letouzey et Ané, 1960, col. 514-541 ; John A. ZIESLER,
27
Les Actes mentionnent le nom (onoma) dans son acception théologique en 34 occurrences. Voir

« The Name of Jesus in the Acts of the Apostles », JSNT 4, 1979, p. 28-41.
28
2, 38 ; 8, 16 ; 10, 48 ; 19, 5 ; cf. 22, 16.
29
4, 17-18 ; 5, 28.40 ; 9, 27-28.
30
3, 6.16 ; 4, 7.10.30 ; 19, 11-20.

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Après avoir affirmé que ce n’est pas « par notre puissance ou notre piété
personnelle que nous avions fait marcher cet homme » (3, 12), il déclare que
« grâce à la foi au nom de Jésus, ce Nom vient d’affermir cet homme que vous
regardez et que vous connaissez ; et la foi qui vient de Jésus a rendu à cet
homme toute sa santé, en votre présence à tous » (3, 16). La formulation est
compliquée, car l’auteur tente d’enfermer dans une même phrase deux vérités :
d’une part, l’origine de la puissance guérissante est à chercher dans le nom de
Jésus Christ et non dans une performance humaine, fût-elle apostolique ;
d’autre part, c’est la foi agissante au nom de Jésus qui a été le vecteur actif de
cette puissance. Même si l’auteur ne spécifie pas à qui appartient la foi, il faut
comprendre ici la foi de Pierre et Jean dans le nom de Jésus, et non la foi du
malade guéri31.

4. Et la Loi ?

On attendrait que Luc, dans le sillage d’une bonne théologie paulinienne, lie
l’universalité du salut par la foi à la disqualification sotériologique de la Torah,
pour laquelle l’apôtre des Gentils a si fortement bataillé (Ga 2, 16-21 ; 3, 1-4,
31 ; Rm 3, 21-31 ; 7, 1-8, 4). C’est effectivement ce qui se passe lorsqu’il place

die, ce theologoumenon que d’aucuns ont baptisé le « météorite paulinien » :


sur les lèvres de Paul, lors de son homélie à la synagogue d’Antioche de Pisi-
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« Sachez-le donc, frères, c’est grâce à lui [Jésus] que vous vient l’annonce du
pardon des péchés, et cette justification que vous n’avez pas pu trouver dans la
loi de Moïse, c’est en lui qu’elle est pleinement accordée à tout homme qui
croit » (13, 38-39). Le vocabulaire n’est pas totalement paulinien32, mais la
pensée l’est : la justification du pécheur, impossible selon la Loi, est octroyée
gratuitement par le moyen de la foi. Depuis le Christ, la Torah n’est plus la
médiation du salut.
La surprise vient d’ailleurs. Elle surgit des protestations répétées de Paul
qui, devant ses interlocuteurs juifs, affirme une loyauté indéfectible envers la
Torah. Le lecteur assiste, dans la dernière partie du livre des Actes, à l’apolo-
gie répétitive de sa fidélité à la Loi et aux coutumes mosaïques : « Je n’ai péché
ni contre la Loi des juifs, ni contre le Temple, ni contre César » (Ac 25, 8 ; cf.
21, 24-28 ; 22, 3 ; 24, 14 ; 28, 17). Comment interpréter une aussi cinglante

en réponse à la méprise de la foule dénoncée au verset 12. Voir Daniel MARGUERAT, Les Actes des
31
L’argument principal est contextuel : c’est du rôle des apôtres qu’il est question dans le discours,

apôtres (1-12), op. cit., p. 130-131.


32
Fréquent dans les Actes (2, 38 ; 5, 31 ; 10, 43 ; 13, 38 ; 26, 18), aphesis [tôn] hamariôn
n’apparaît pas dans les lettres proto-pauliniennes, mais dans les épîtres deutéro-pauliniennes (Col 1,
14 ; Ep 1, 7) ; voir aussi He 9, 22 ; 10, 18.

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DANIEL MARGUERAT, EMMANUELLE STEFFEK ETR

contradiction ? Et si Luc fut – ce que nous croyons – un élève de Paul33,


comment peut-il défendre aussi massivement l’attachement aux coutumes
mosaïques de celui qui, face aux Galates, s’est véhémentement élevé contre le
retour à la circoncision et au calendrier rituel du judaïsme34 ?
On peut, bien entendu, invoquer l’écart historique : lorsque Luc écrit, trente
ans après Paul, son aiguë critique de la Torah n’est plus d’actualité ; la
chrétienté est en train de rompre ses liens avec le judaïsme, et l’imposition de
la ritualité juive aux chrétiens d’origine païenne n’est plus un danger aussi
menaçant. Mais, plus profondément, on sera attentif aux registres différents sur
lesquels se placent les déclarations lucaniennes35. Sur le plan sotériologique, à
lire 13, 38-39, l’axiome ne souffre pas de compromis : le salut est accordé par
la foi au nom de Jésus Christ ; la Loi n’a plus pour qualité de livrer accès à
Dieu. La protestation de loyauté à l’égard des coutumes mosaïques répond à un
tout autre objectif : elle veut montrer que les judéo-chrétiens n’ont pas rompu

continuité historico-salutaire entre christianisme et judaïsme36. Fondamentale-


avec l’ancienneté des coutumes juives. L’enjeu est ici la reconnaissance de la

ment, c’est-à-dire théologiquement, l’obéissance à la Loi scelle l’appartenance


commune du christianisme et du judaïsme à l’histoire de Dieu avec son peuple.
L’observance des coutumes, conformément au décret apostolique d’Ac 15,
20.29, concrétise cette continuité pour les judéo-chrétiens. C’est donc en tant
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que judéo-chrétien que Paul souscrit aux rituels prescrits par la Loi.
Faut-il imaginer ici que Luc se livrerait à l’apologétique de Paul contre des
attaques judéo-chrétiennes l’accusant de rompre avec la Torah ? Cette hypo-
thèse, souvent répétée, est à coup sûr valable dans les décennies qui ont suivi

33
Nous ne soutenons pas pour autant l’hypothèse historique d’un Luc compagnon de Paul. Des
indices à la fois historiques, littéraires et théologiques plaident en faveur d’une composition de
Luc-Actes dans les années 80-90, parallèlement aux Pastorales. Dire que Luc fut élève de Paul signifie
qu’il s’inscrit dans sa tradition de pensée et que, sociologiquement, il appartenait au cercle ou à l’école

Les Actes des apôtres (1-12), op. cit., p. 18-20.


qui perpétuait la mémoire de l’apôtre et poursuivait son œuvre missionnaire. Voir Daniel MARGUERAT,

34
Ga 1, 6-9 ; 5, 1-12 ; 6, 12-15.

étude « Paul et la Torah dans les Actes des apôtres », in Daniel MARGUERAT, éd., Reception of Pauli-
35
Pour un examen détaillé du rapport de Paul avec la Loi dans les Actes des apôtres, on lira mon

nism in Acts. Réception du paulinisme dans les Actes des apôtres, Louvain, Peeters, coll. « BEThL
229 », 2009, p. 81-100 ; ou « Paul and the Torah in the Acts of the Apostles », in Michael TAIT et Peter
OAKES, éd., The Torah in the New Testament. Papers delivered at the Manchester-Lausanne Seminar
of June 2008, Londres, Clark, coll. « LNTS 401 », 2009, p. 98-117.
36
Il n’est donc pas adéquat de réduire la Loi à l’état de résidu culturel, comme le voudrait Karl

Realität in der Apostelgeschichte », in Wolfgang HAASE, éd., Aufstieg und Niedergang der römischen
LOENING : « Das Evangelium und die Kulturen. Heilsgeschichte und kuturelle Aspekte kirchlicher

Welt, vol. II 25, 3, Berlin/New York, de Gruyter, 1985, p. 2604-2646, surtout p. 2621-2627.

54
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2012/1 LUC-ACTES ET LA NAISSANCE DU DIEU UNIVERSEL

la rédaction des Actes. Nous pensons plutôt, avec Jürgen Roloff37, que la
figure de Paul revêt pour Luc une dimension identitaire : en lui se configure une
identité chrétienne qui allie continuité et rupture avec Israël, et le récit de la
conversion à Damas (Ac 9 ; 22 ; 26) concrétise bien cette dialectique de
l’enracinement de la foi nouvelle dans la tradition d’Israël en même temps que
la nouveauté dont elle se nourrit38.
La continuité qu’il tient au cœur de Luc de souligner entre la chrétienté et
Israël a donc une raison foncièrement théologique. Elle a aussi une dimension
culturelle : une religion, pour les Romains, vaut par l’antiquité de ses tradi-
tions. Cicéron est capable de dire : « En supposant la superstition, on ne détruit

traditions des ancêtres en conservant les rites et le culte » (De divinatione


pas la religion : je veux que cela soit bien compris. Car le sage doit protéger les

2, 148-149). Déserter la loi des pères est une inconvenance que dénonce éga-
lement Celse, cité par Origène39. Luc n’a pas été insensible à ce motif, et c’est
pourquoi il a tenu à ce que Paul affiche son attachement aux coutumes des pères
(Ac 22, 3 ; 28, 17). C’est pourquoi aussi, malgré son portrait vif et polémique
des « juifs » campés comme les ennemis des chrétiens, prêts à toute malversa-
tion pour leur nuire, Luc ne cache pas son admiration pour l’antiquité de la Loi,

tachement à la Loi reçoit donc une fonction identitaire : il fonctionne au béné-


pour la piété d’Israël (cf. Lc 1-2 !) et l’importance de ses valeurs éthiques. L’at-
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fice du christianisme comme l’attestation d’une religion respectable40, héritant
du meilleur de ce qu’a produit la vénérable tradition d’Israël.
Antiquité et ouverture à l’universalité : ces deux traits façonnent aux yeux
de Luc l’identité du christianisme et lui assurent son avenir.
Daniel MARGUERAT, Emmanuelle STEFFEK

ihr theologisches Ziel », EvTh 39, 1979, p. 510-531.


37
Jürgen ROLOFF, « Die Paulus-Darstellung des Lukas. Ihre geschichtlichen Voraussetzungen und

Daniel MARGUERAT, « L’image de Paul dans les Actes des Apôtres », in Michel BERDER, éd.,
Les Actes des Apôtres. Histoire, récit, théologie, Paris, Cerf, coll. « LeDiv 199 », 2005, p. 121-
38

154, surtout p. 135-154. Voir aussi Odile FLICHY, La figure de Paul dans les Actes des Apôtres. Un phé-
ACFEB,

nomène de réception de la tradition paulinienne à la fin du premier siècle, Paris, Cerf, coll. « LeDiv
214 », 2007, p. 55-122.
39
Le philosophe païen reproche en effet aux juifs convertis d’avoir « déserté la loi de vos pères » ;

dre les lois établies dès l’origine dans chaque région » (Contre Celse 2, 4 ; 5, 25).
« c’est un devoir de garder ce qui a été décidé pour le bien commun […] ; il y aurait impiété à enfrein-

the Law in Luke-Acts », JSNT 26, 1986, p. 9-52 ; « Law and Custom: Luke-Acts and Late Hellenism »,
40
Ce point de vue a été bien documenté dans les travaux de F. Gerald DOWNING, « Freedom from

in Barnabas LINDARS, éd., Law and Religion, Cambridge, Clarke, 1988, p. 148-158 et 187-191.

55

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