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Anthropologie du projet - Quadrige - Dynamic layout 145 × 200

Liminaire :
du concept au paradigme

Les conduites d’anticipation s’imposent aujourd’hui dans leur


grande variété comme un fait majeur de notre temps. Les figures
en sont multiples (projet, prévision, planification, prévention,
précaution…) et se diversifient sous l’impulsion des avancées scien-
tifiques et technologiques. Ces dernières n’ont-elles pas favorisé
voici plusieurs décennies le recours aux néologismes pour traduire
leur ambition : prospective et futurologie ont permis par exemple
d’enrichir les modes de désignation de l’avenir qui étaient jusqu’ici
à notre disposition : à travers un tel souci de savoir pour prévoir,
il s’agit d’explorer l’avenir pour le domestiquer. Cette emprise de
l’avenir sur nos adaptations quotidiennes n’a d’égal que son corol-
laire, la maîtrise de plus en plus grande que nous cherchons à
développer sur l’espace terrestre et sidéral pour l’aménager et
mieux l’habiter.

Entre culture traditionnelle et culture technologique

Ce double souci d’un temps prospectif à maîtriser et d’un


espace potentiel à assujettir exprime les traits dominants de notre
modernité. En effet, sous des latitudes variées et jusqu’à des temps
récents, voire encore actuellement, de très nombreux individus ont
mené un mode de vie que nous pourrions qualifier de traditionnel,
marqué par la sédentarité et le souci de conserver les valeurs cultu-
relles héritées du passé. Ce mode de vie témoignait d’une forte
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capacité d’intégration, au sein du groupe d’appartenance, des


classes d’âges, des sexes et des catégories sociales.
De tels individus dans leurs communautés de vie se sont com-
portés comme des gens du hors-projet ou simplement comme des
sans-projet. Souvent par fatalisme religieux, ils étaient peu désireux
d’être reliés au temps, notamment au temps futur ; ils montraient
au contraire une remarquable capacité à vivre et à symboliser pré-
sentement une grande diversité de relations humaines
Dans beaucoup de pays occidentaux, cette vie traditionnelle a
quasiment disparu, refluant des villes et des villages pour se concen-
trer dans quelques îlots. Toutefois, il n’est pas rare d’observer la per-
sistance d’une telle vie traditionnelle aux abords mêmes des grands
centres urbains de nombreux pays du tiers ou du quart monde, dans
ces villages de banlieues, frontières entre deux univers.
Les villageois y prennent le temps de vivre, de discourir, de
faire leurs achats, de régler les problèmes de vie collective, en
un mot d’entrer en relation. De ce lieu d’observation que consti-
tue l’artère principale du village suburbain, on peut voir se
détacher là-bas, barrant l’horizon, la métropole aux multiples
lumières que l’eau d’une lagune fait miroiter. Vision féerique
que celle du centre-ville avec ses tours de verre directement
importées de Manhattan, elles-mêmes tout illuminées, avec ses
avenues sillonnées par les éclairs incessants de voitures qui
rentrent du travail. Image fascinante de deux mondes qui se
côtoient par la force des choses durant la journée et se séparent
au coucher du soleil. D’un côté, un temps concentré et précipité
bruisse de multiples activités ; les « peaux noires, masques
blancs », ne cessent de vivre comme des mutants culturels, écha-
faudant des projets de mobilité professionnelle qui les ache-
minent vers les postes de responsabilité. D’un autre côté, les
« peaux noires, masques noirs » vivent un temps dilaté ; bon gré
mal gré se sentant destinés à être des non-mutants, ils
recherchent dans la densité du moment présent, à la lumière
de leurs lampes tempête, des raisons de vivre. Ces tours du
centre-ville, quand vont-elles descendre jusqu’au village, anéantir
sa fière indépendance et l’obliger à vivre autrement ? Seul lien
entre la ville et le quartier villageois, la route qui vient terminer
son goudron à l’entrée du village, et unit de façon quelque peu
factice deux mondes, deux façons de vivre le temps, un temps
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puissant projeté vers ce qu’il n’est pas, soucieux de son efficacité,


un temps affaibli, un peu laissé-pour-compte mais jaloux de son
présent et qui veille sur ses morts.
Cette première image en évoque une autre, celle de pérégrina-
tions à travers des villages de la brousse qui n’ont pas, comme le
village suburbain, besoin d’un cordon sanitaire pour se protéger
de la vie urbaine et industrielle. La vie traditionnelle reste dépen-
dante de ce qui la dépasse : la nature et le caprice des dernières
pluies, les circuits de commercialisation problématiques des pro-
duits agricoles. Face à un temps saccadé, concentré, agité, elle
maintient un temps dilaté, quasi immobile : en un mot, elle
cherche à vivre « autrement » le temps sans vouloir le précipiter à
sa guise.
Les sociétés traditionnelles sont souvent sans projet voire même
hors projet parce qu’elles éprouvent une certaine précarité dans
leur mode d’existence, qui les empêche d’anticiper. Cette précarité
n’est pas propre aux seules sociétés traditionnelles. On la retrouve
chez les exclus et les marginaux de nos sociétés industrialisées :
marginaux et exclus qui peuvent être aussi des hors-projets dans la
mesure où les contraintes du moment présent les empêchent de
prendre le recul nécessaire à l’anticipation.
D’ailleurs existe-t-il encore aujourd’hui un milieu traditionnel
homogène ! Ainsi l’école primaire implantée dans n’importe quel
village, produit importé similaire de nos écoles européennes,
entend opérer chez les élèves qu’elle encadre une rupture par rap-
port à l’espace et au temps de leur culture d’origine. Cette rupture
entraîne comme conséquence l’introduction des jeunes scolarisés
dans une culture du projet ; ces jeunes doivent, avant tout,
apprendre à savoir ce qu’ils vont faire plus tard, à anticiper ce
qu’ils souhaitent pour demain, même si les événements refusent
ultérieurement de prendre en compte pour une large part leur
désir.
Tout ceci ne doit pas nous faire regretter les sociétés sans projet.
Si le souci de cohérence de ces dernières est obsédant, il ne le
cède en rien au caractère fascinant de nos sociétés technologiques
lesquelles sécrètent des projets à longueur de temps. Le problème
n’est donc pas d’opposer deux types de cultures mais sans doute
de saisir le fil conducteur invisible qui nous permettrait de passer
de l’une à l’autre.
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Une référence aujourd’hui obligée

En opposition avec les sociétés traditionnelles, nos cultures tech-


nologiques parlent de plus en plus de projet : pour s’en convaincre,
il n’est que de faire attention au vocabulaire utilisé 1. On peut
certes se demander si le recours au terme de projet procure une
aide pour les individus dans la détermination de leurs intentions.
Et lorsqu’il passe de la phase de conception à la phase de réalisa-
tion, le projet constitue-t-il un guide efficace à l’action, surtout
lorsqu’on mesure les décalages, voire les failles, qui séparent bien
souvent ce qui a été projeté de ce qui sera par la suite concrétisé ?
Qu’en est-il du projet d’orientation ou d’insertion des jeunes, du
projet d’aménagement d’une région consigné dans un schéma
directeur, du projet de développement d’une nation précisé dans
un plan ?
Nous pourrions multiplier les références aux situations
concrètes qui recourent au projet ; dans leur grande variété, elles
présentent au moins une constante : très souvent le projet a une
connotation positive : il apparaît comme naturellement bon, d’où
cette valorisation systématique. Le projet fait partie de cette catégo-
rie de concepts, tel celui d’identité, qui abondent dans notre culture
langagière, auréolés de positivité. De tels concepts ne peuvent être
compris si on ne prend soin d’abord d’élucider leurs sous-entendus.

1. Entre autres indicateurs de l’actualité du projet, nous pouvons évoquer le


nombre grandissant de références bibliographiques incluant le terme projet que
la Bibliothèque nationale enregistre dans ses catalogues d’ouvrages :
— de 1882 à 1959 : 4 références ;
— de 1960 à 1969 : 395 références ;
— de 1970 à 1979 : 575 références ;
— de 1980 à 1989 : 1314 références ;
— de 1990 à 1999 : 2143 références,
ayant trait notamment aux :
— projet pédagogique ;
— projet architectural ;
— projet technico-industriel ;
— projet économique,
ainsi qu’à ce qu’on pourrait appeler la méthodologie du projet (principalement
sa gestion et son évaluation).
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On peut ainsi dire qu’à lui tout seul le projet est plus qu’un simple
concept. Par ses sous-entendus, par la recherche d’idéalisation qu’il
incarne, il se transforme vite en jugement affirmant le gain, l’avan-
tage que les individus et les groupes entendent en retirer. Il devient
ainsi une référence symbolique qui comporte plus qu’une simple
valeur anticipatrice et régulatrice de l’action, susceptible d’être
cernée méthodologiquement. Tel qu’il est utilisé dans le contexte
technologique actuel, il apparaît d’abord comme un régulateur
culturel qui implique une approche anthropologique. C’est une
telle approche qui sera tentée ici ; elle doit nous permettre d’identi-
fier les différentes fonctions que remplit tout projet dans notre
culture par rapport à ce qui peut se passer dans d’autres cultures.
Parler d’une anthropologie du projet, c’est finalement s’interro-
ger sur la façon dont les individus, les groupes, les cultures vivent
le temps. Sommes-nous en présence d’un temps brisé depuis
l’apparition de l’objet technique ? Celui-ci dans sa production
comme dans sa manipulation jouerait alors le rôle d’un accéléra-
teur du temps linéaire. Ou bien, par-delà cette cassure constatée,
est-il possible de retrouver une certaine unité de temps qui ne
condamne pas le temps traditionnel à l’inefficacité, le temps tech-
nologique à l’activisme ?
On peut finalement se demander si cette opposition entre un
temps à projet et un temps sans-projet, aujourd’hui accentuée, n’a
pas été une donnée permanente des différentes cultures qui se sont
succédé. « Le présent ne me plaît jamais ; l’avenir me laisse indiffé-
rent, seul le passé me paraît beau », écrit par exemple Fernand
Gregh en 1896 dans la Revue blanche. Pour lui le temps existentiel,
ce temps vécu de chaque jour, harcelant, dévorant, ne peut qu’évo-
quer l’inquiétude de sa destinée ; calmer cette inquiétude ou la fuir
se fera de nombreuses manières ; il préfère quant à lui prendre
refuge dans son passé. Certains restent sensibles à ce temps existen-
tiel qui colle à la vie personnelle de tout individu, qu’il le veuille
ou non. D’autres lui préfèrent le temps opératoire car la vie presse
l’homme. Ce temps opératoire qui se marie si bien avec la culture
technologique n’est cependant pas l’apanage de l’ère industrielle.
Depuis longtemps les hommes ont été soucieux du temps efficace
au sein de l’action à mener. Et paradoxalement la vision passéiste
de Gregh n’a-t-elle pas été précédée par d’autres perspectives,
celles-là plus futuristes. Ainsi déjà Hésiode, pour mener à bien les
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travaux des champs, recommandait-il d’agir au bon moment et de


se soucier d’accomplir les actions dans un certain ordre : « Au lever
des Pléiades, filles d’Atlas, commencez la moisson, les semailles à
leur coucher. » 1
Temps existentiel, temps opératoire sont deux modalités d’un
même temps, le temps vécu. Sans exclure la première, nous consta-
tons qu’aujourd’hui la culture technologique privilégie la seconde.
Ce qui ne laisse pas de nous interroger : pourquoi valoriser à ce
point le temps opératoire et à travers lui le concept du projet ? De
quels enjeux une telle perspective est-elle porteuse ? En quoi plus
spécialement aujourd’hui le projet constitue-t-il une référence
obligée ?
Quoi qu’il en soit, à travers les nombreux changements dont
nous sommes les témoins et parfois les acteurs, nous nous sentons
entraînés vers un temps prospectif. Et la meilleure façon de s’adap-
ter à ce temps prospectif est d’anticiper, de prévoir l’état futur.
S’ébauche alors le projet, qui devient pour tous une nécessité, c’est-
à-dire, malgré ses ambiguïtés, un mode d’adaptation privilégié qui
évite aux individus de tomber dans l’une ou l’autre des formes
de marginalité que sécrètent les fonctionnements sociaux de l’ère
postindustrielle : la situation de « sans-projet » ou encore celle de
« hors-projet ».

Plus qu’un concept, une figure emblématique


de notre modernité

Apte à désigner les nombreuses situations d’anticipation que


suscite notre modernité, le projet n’en reste pas moins cette figure
aux caractères flous exprimant à travers le non-encore-être, pour
reprendre l’expression de E. Bloch, ce que les individus
recherchent confusément, ce à quoi ils aspirent, c’est-à-dire le sens
qu’ils veulent donner à leur insertion momentanée, aux entreprises
qu’ils mènent. Comment cerner une telle figure destinée à rester
toujours en pointillés puisqu’elle se détruit par le fait même qu’elle

1. Cf. Les travaux et les jours, versets 383 et 384.


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se réalise ? Mais paradoxalement elle ne prend consistance qu’en


se matérialisant, au moins verbalement : il n’y a de projet qu’à
travers une matérialisation de l’intention, qui en se réalisant cesse
d’exister comme telle.
Au-delà de ce jeu paradoxal, nous devons souligner l’ambiva-
lence dont est porteur tout projet. Ce dernier désigne d’abord une
classe d’objets très actuelle : celle des objets en devenir que cultive
la modernité. En ce sens, le projet peut se définir comme concept
doué de propriétés logiques à expliciter dans leurs connexions avec
l’action à conduire. Mais en même temps le projet nous apparaît
comme figure renvoyant à un paradigme symbolisant une réalité
qui semble préexister et nous échapper : celle d’une capacité à
créer, d’un changement à opérer. Le projet serait alors l’avatar
individuel et collectif d’un désir primitif d’appropriation. Une telle
figure se donne constamment comme intermittente : toute réalisa-
tion du projet devient réalité et donc destruction de la figure qu’il
incarne. Ce projet-figure, nous aurons à en esquisser les contours,
dans la façon par laquelle il impose un certain type de présence,
renvoie toujours à une double absence : celle d’un ordre à évincer,
celle d’un ordre à faire advenir, l’un et l’autre fruit de cette absence
fondatrice que tout désir exprime.
Il nous faut revenir à ce sujet sur la connotation positive qui
entoure le projet. Cette connotation souffre à notre connaissance
de peu d’exceptions : citons toutefois l’expression ancienne mais
peu utilisée aujourd’hui de « l’homme à projets », personnage
hypomaniaque activiste que l’on retrouve dépeint chez différents
auteurs, Bossuet et Florian au XVIIe siècle, plus près de nous Sartre,
Bataille et Cioran. Nous pouvons ici mieux comprendre la signifi-
cation surtout valorisante du projet si nous mettons en relation la
figure qu’il incarne avec l’expression d’un idéal qui est toujours le
produit du narcissisme inscrit dans l’individu ou l’organisation.
Alors la figure que nous évoquerons pourra selon les circonstances
prendre différentes significations : depuis celle d’un simple avatar,
jusqu’à celle d’un autre idéalisé ou, mieux, sublimé, en passant par
celle du substitut.
Peut-on dire alors que le projet oscille entre concept et figure,
exprimant à la fois une réalité survalorisée par la culture technolo-
gique et une idéalisation caractéristique de ce qui fait toute condi-
tion humaine ? Une telle question nous amène à nous interroger
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sur les raisons qui font si bien coïncider concept et figure au niveau
de notre modernité, comme ils ne l’avaient jamais autant fait aupa-
ravant. Certes la modernité est d’abord l’expression d’un héritage,
comme l’ont bien montré chacun de leur côté G. Balandier (1974)
et J. Habermas (1981). Comprendre pourquoi elle trouve dans le
projet un mode d’expression privilégié, c’est chercher à mettre au
jour toute une archéologie du projet qui nous montrera facilement
deux dérives constitutives de cette modernité, exprimées dans deux
utilisations contrastées du projet : une dérive rationalisante qui a
permis la lente affirmation des conduites d’anticipation soucieuses
de toujours mieux maîtriser l’avenir, une dérive plus existentielle
faite d’interrogation sur le sens d’une évolution individuelle et col-
lective et le type de finalité qu’elle incarne, exprimant par là une
recherche inquiète d’un inaccessible idéal.

Une réalité à élucider

Cette référence obligée aux anticipations temporelles et spa-


tiales propres à l’environnement des sociétés technologiques nous
apparaît aussi comme une propriété caractéristique de l’ordre
humain. Alors comment faire le partage des choses : simple reflet
de la culture moderne ambiante, signe annonciateur d’un nouveau
lien social, caractéristique universelle de la condition humaine à
travers une utilisation intempestive et floue d’un concept ? Nous
sommes là en présence d’une réalité qui demande à être élucidée.
Est-ce la même réalité qui traverse le projet d’orientation du jeune,
le projet d’entreprise, la gestion par projet et le projet architectu-
ral ? Quels fils conducteurs peut-on isoler et mettre en évidence
dans la variété des situations à projet ? Le projet est-il un véritable
concept nomade qui circule dans différents registres ? La question
finalement à nous poser qui va guider la présente étude est de
savoir si, au-delà des apparences, le projet reste aussi nomade
qu’on le prétend.
Certes on pourra invoquer pour le comprendre l’individualisa-
tion croissante des comportements dans nos sociétés, spécialement
depuis l’époque des Lumières. Par ailleurs la fragilisation du temps
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vécu apparaît comme un autre fait tout aussi incontestable, sans


doute d’ailleurs en lien avec le précédent : la rupture d’avec l’héri-
tage passé, le caractère transitoire des engagements, la culture de
l’immédiateté en sont les traits saillants entre autres indicateurs.
Cette individualisation des conduites et cette fragilisation du temps
sont certainement à mettre en relation avec la lente émergence de
la figure du projet, comme souci dominant, une figure qui tente
de s’imposer dans de nombreuses sphères de notre existence et
nous force à nous interroger sur la signification à accorder à une
culture faite simultanément de volontarisme et d’anticipation :
anticipation d’un espace à aménager, anticipation d’une société
meilleure, anticipation d’un individu perfectible, anticipation d’un
temps désiré ; volontarisme et anticipation se mettent au service de
l’autonomie recherchée de l’individu et du groupe avides de prou-
ver leur capacité à gérer des changements orientés, dans un envi-
ronnement turbulent ; c’est là une ambivalence troublante, au
moins telle qu’elle nous est donnée à observer ; le projet, expression
du transitoire et de l’éphémère au service de réalisations ponc-
tuelles et efficaces, se veut en même temps recherche de perma-
nence et de globalité, recherche de sens à travers l’explicitation de
finalités régulatrices non sujettes à révisions périodiques. La culture
du projet apparaît donc comme éclatée et conflictuelle, même si
ce projet se donne la plupart du temps comme une figure valorisée
aux connotations très largement positives.
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