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Liminaire :
du concept au paradigme
2 Anthropologie du projet
4 Anthropologie du projet
On peut ainsi dire qu’à lui tout seul le projet est plus qu’un simple
concept. Par ses sous-entendus, par la recherche d’idéalisation qu’il
incarne, il se transforme vite en jugement affirmant le gain, l’avan-
tage que les individus et les groupes entendent en retirer. Il devient
ainsi une référence symbolique qui comporte plus qu’une simple
valeur anticipatrice et régulatrice de l’action, susceptible d’être
cernée méthodologiquement. Tel qu’il est utilisé dans le contexte
technologique actuel, il apparaît d’abord comme un régulateur
culturel qui implique une approche anthropologique. C’est une
telle approche qui sera tentée ici ; elle doit nous permettre d’identi-
fier les différentes fonctions que remplit tout projet dans notre
culture par rapport à ce qui peut se passer dans d’autres cultures.
Parler d’une anthropologie du projet, c’est finalement s’interro-
ger sur la façon dont les individus, les groupes, les cultures vivent
le temps. Sommes-nous en présence d’un temps brisé depuis
l’apparition de l’objet technique ? Celui-ci dans sa production
comme dans sa manipulation jouerait alors le rôle d’un accéléra-
teur du temps linéaire. Ou bien, par-delà cette cassure constatée,
est-il possible de retrouver une certaine unité de temps qui ne
condamne pas le temps traditionnel à l’inefficacité, le temps tech-
nologique à l’activisme ?
On peut finalement se demander si cette opposition entre un
temps à projet et un temps sans-projet, aujourd’hui accentuée, n’a
pas été une donnée permanente des différentes cultures qui se sont
succédé. « Le présent ne me plaît jamais ; l’avenir me laisse indiffé-
rent, seul le passé me paraît beau », écrit par exemple Fernand
Gregh en 1896 dans la Revue blanche. Pour lui le temps existentiel,
ce temps vécu de chaque jour, harcelant, dévorant, ne peut qu’évo-
quer l’inquiétude de sa destinée ; calmer cette inquiétude ou la fuir
se fera de nombreuses manières ; il préfère quant à lui prendre
refuge dans son passé. Certains restent sensibles à ce temps existen-
tiel qui colle à la vie personnelle de tout individu, qu’il le veuille
ou non. D’autres lui préfèrent le temps opératoire car la vie presse
l’homme. Ce temps opératoire qui se marie si bien avec la culture
technologique n’est cependant pas l’apanage de l’ère industrielle.
Depuis longtemps les hommes ont été soucieux du temps efficace
au sein de l’action à mener. Et paradoxalement la vision passéiste
de Gregh n’a-t-elle pas été précédée par d’autres perspectives,
celles-là plus futuristes. Ainsi déjà Hésiode, pour mener à bien les
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sur les raisons qui font si bien coïncider concept et figure au niveau
de notre modernité, comme ils ne l’avaient jamais autant fait aupa-
ravant. Certes la modernité est d’abord l’expression d’un héritage,
comme l’ont bien montré chacun de leur côté G. Balandier (1974)
et J. Habermas (1981). Comprendre pourquoi elle trouve dans le
projet un mode d’expression privilégié, c’est chercher à mettre au
jour toute une archéologie du projet qui nous montrera facilement
deux dérives constitutives de cette modernité, exprimées dans deux
utilisations contrastées du projet : une dérive rationalisante qui a
permis la lente affirmation des conduites d’anticipation soucieuses
de toujours mieux maîtriser l’avenir, une dérive plus existentielle
faite d’interrogation sur le sens d’une évolution individuelle et col-
lective et le type de finalité qu’elle incarne, exprimant par là une
recherche inquiète d’un inaccessible idéal.