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Des arbres et des hommes!

Dominique Rézeau - L’Île d’Yeu, 28 mars 2021 n°11

«RAMEAUX EN MAINS, FORMEZ VOS CORTÈGES JUSQU’AUPRÈS DE L’AUTEL »


(psaume 118)

SI LES ARBRES sont relativement rares sur l’île d’Yeu – et nous en prenons soin comme
de la prunelle de nos yeux -, leur présence a tout de même évolué depuis le XIXe siècle.
L’image que donnait alors les géographes de la végétation et en particulier des arbres
sur l’île est à première vue désolante :

Le sol nu, d'un gris terne, des pierres éparses entre des plaques d'herbe courte et
rare, tout cela donne à ces lieux solitaires une apparence désolée qui rappelle l'aspect
attristant des hauts plateaux des montagnes. L’ile d'Yeu est peu cultivée et
absolument nue, sauf en quelques parties d’étendue médiocre… On a songé à
ressusciter l'ancienne forêt qui se trouvait autrefois à la pointe Gauthier et dont toutes
les chartes font mention. Mais le succès n'a pas récompensé ces efforts. Si la plantation
de pins dans le port de la Meule a parfaitement réussi1, d'autres tentatives n'ont donné
que de médiocres résultats. Tous les arbres sont inclinés du côté N-E par la force des
vents, et meurent au bout de quelques années. Il n'y a guère que les saules du
ruisseau de Saint-Hilaire, situés dans un bas-fond, et un certain nombre d'ormeaux
sur le bord des flaques d'eau qui aient résisté à la violence des vents. Quelques
plantations d'yeuses et de verniers du Japon ont rapidement péri. Le reste de l'île est
dénudé ou couvert de bruyère. (L’Île d’Yeu, C. GUY, 1892).
Un article de la revue « YEU DEMAIN » dresse
un portrait « arboricole » plus actuel, même s’il se
concentre sur les « yeuses » ou « chênes
verts ». Après avoir disparu, comme l’indique
Camille GUY, ce sympathique végétal qui verdit nos
paysages en toute saison a semble-t-il « pris trop
de place ». La disparition progressive de
l’agriculture et de l’élevage au XXe siècle ont
favorisé son développement et il peuple désormais
les « friches » caractéristiques de l’île : Il est
souvent considéré (à cause de son autre nom :
yeuse) comme l’arbre emblématique de l’île d’Yeu
à protéger. Et pourtant, agriculteurs, éleveurs,
naturalistes défenseurs de la biodiversité n’hésitent
pas à le trouver invasif, dominant, et destructeur du sol, donc à réguler. Le bulletin
« écologique » conclut : Alors ami ou ennemi, le chêne vert ? Si nous apprenons à contrôler
son développement et à le réguler, il continuera à nous réjouir et demeurera notre ami !

Notons au passage que la maison de retraite créée à Port Joinville, il y a 50 ans déjà, a pris
le nom de « Chênes verts » : belle appellation pour cette résidence où nos anciens, toujours
verts et solides comme des chênes, coulent un paisible séjour au milieu de leur île sans être
déracinés !

Certes, il y a « chêne et chêne ». Nos modestes yeuses ne


prétendent pas égaler les chênes majestueux qui ont été
sélectionnés dans la forêt de Bercé, dans la Sarthe, pour la
reconstruction de la future flèche de Notre-Dame de Paris.
Ni ceux de Bourgogne choisis pour en reconstruire la charpente,
faite au XIIe siècle de 1300 chênes provenant des forêts de
France. Bois noble longtemps utilisé pour la construction des
bateaux et navires de la Royale, pour le mobilier de luxe, pour
les fûts où vieillit le marc, pour les buffets d’orgue, etc. Image
de la solidité et de la résistance, quoique… le chêne est (hélas)
aussi un excellent bois de chauffage2 tout comme il peut être
déraciné par un vent violent.

L'Arbre tient bon ; le Roseau plie. Le vent redouble ses efforts,


Et fait si bien qu'il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine.
(La Fontaine)

1
Cette modeste plantation de La Meule a été récemment à l’origine d’une
œuvre originale d’un sculpteur sur bois, qui a redonné vie aux arbres
morts en les transformant en personnages des légendes islaises. La
fameuse « Gargourite » a disparu malheureusement l’an dernier, sans
espoir de retour…
2Lors d’une de leurs incursions sur l’Île d’Yeu, les Anglais brûlèrent un jour

la vénérable charpente de l’église de Saint-Sauveur pour se chauffer. D’où


la coutume de demander à nos paroissiens d’Outre-Manche en saison
estivale une modeste contribution aux frais d’entretien de l’église !
L’arbre de la liberté

A partir de 1792 toutes les communes de France furent tenues de planter « l'arbre de la
liberté » qui symbolise aussi la vie, la continuité, la croissance, la force et la puissance. Il est
devenu au cours du XIXe siècle un des symboles de la République française
avec Marianne ou la semeuse. Il figure depuis 2002 sur les pièces
françaises d’un euro et de deux euros.

Le premier de ces arbres des


temps nouveaux fut l’œuvre d’un
curé de la Vienne, qui fit
transplanter un chêne de la forêt voisine au milieu
de la place de son village. Il nous fait penser au curé
de l’Île d’Yeu à la même époque, Amable Cadou, qui
prêta serment à la constitution civile du clergé et
trouva dans la Révolution une agréable occasion de
se porter malade plutôt que de dire la messe, et enfin
de convoler en « justes » noces avec sa bien-aimée.
Liberté, liberté chérie… notre curé assermenté ne manqua pas certainement de bénir à son tour
avec enthousiasme l’arbre de la liberté dressé par les habitants du Bourg de Saint-
Sauveur, puis celui de l’égalité aussitôt dressé par ceux du Port. L’arbre fut coiffé du bonnet
de l’égalité et les citoyens de l’île invités à chanter la Marseillaise « comme un hommage digne
de la liberté et pour graver dans l’âme (sic) des concitoyens le saint (sic) amour de la patrie et
l’horreur des tyrans ». Las… cet évènement hautement républicain allait se terminer en tragi-
comédie. Le canonnier improvisé chargé de saluer l’arbre de la liberté devait perdre la vie en
bourrant son canon. « Mort pour la patrie » le pauvre homme fut d’ailleurs la seule victime de
l’Île d’Yeu durant la période révolutionnaire, tandis que la guerre de Vendée faisait rage sur le
continent. Sagesse des gens des îles, « révolutionnaires, ma non troppo » !
L’arbre de vie
Lors de la plantation d’un arbre de la liberté place des Vosges à Paris, en 1848, Victor Hugo
n’hésite pas à quaifier la croix du Christ de premier « arbre de la liberté » : C'est un beau
et vrai symbole pour la liberté qu'un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple,
comme l'arbre dans le cœur de la terre ; comme
l'arbre elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel;
comme l'arbre, elle grandit sans cesse et couvre les
générations de son ombre. Le premier arbre de la
liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu
même sur le Golgotha. Le premier arbre de la
liberté, c'est cette croix sur laquelle Jésus-
Christ s'est offert en sacrifice pour la liberté,
l'égalité et la fraternité du genre humain. »

L’arbre de la vie « où Dieu saignait comme un fruit


mûr », c’est l’arbre décrit par Péguy comme une
lourde croix, sa vraie croix, cette lourde croix de bois,
de vrai bois, sa croix de supplice, une lourde croix
bien charpentée.

Par le Bois qui a chanté le chant des noces


Du Dieu vivant épousant l’humanité,
Jésus Christ, nous te bénissons.
Par le Bois qui fait lever en pleine force
Le Fils de l’homme attirant le monde entier,
Salvador DALI, 1951 Jésus Christ, nous te glorifions.
Par le Bois où s’accomplit le Sacerdoce
Du seul Grand Prêtre, immolé pour le péché,
Dieu vainqueur, ton Église t’acclame.

VOICI LE BOIS DE LA CROIX


QUI A PORTE LE SALUT DU
MONDE !

MARIE AU PIED DE LA CROIX


Il lui avait fait faire son chemin de croix, à sa mère.
De loin, de près. D’assez loin, d’assez près. Elle avait
suivi. Un chemin de croix beaucoup plus douloureux
que le sien. Car il est beaucoup plus douloureux de
voir souffrir son fils. Que de souffrir soi-même. Il est
beaucoup plus douloureux de voir mourir son fils. Que
de mourir soi-même.(Charles Péguy)

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