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Historique

Les principes de la théorie économique islamique constituent les référents de l’activité


financière. Ils sont issus de plusieurs sources dont l’ensemble constitue la Charia et sont
respectés par toutes les institutions financières islamiques, qu’ils s’agissent des banques ou des
autres établissements financiers. Ces institutions financières ont été les premières organisations
économiques fonctionnant en conformité avec la Charia. Avant d’examiner ces différents
points, un bref rappel de l’histoire et de l’évolution de la finance islamique nous conduira
jusqu’à la situation actuelle

HISTORIQUE ET ÉVOLUTION DE LA FINANCE ISLAMIQUE


L’industrie de la finance islamique s’est développée fortement au cours de ces trente dernières
années, cependant son origine est très ancienne. Les pratiques financières se basent sur les textes
sacrés ; en conséquence elles existaient dès leur élaboration, au temps du prophète Mahomet.
Ce n’est que tardivement qu’elles se sont formalisées.
Depuis les premières créations d’établissements financiers islamiques le système est jalonné
d’étapes intéressantes et on assiste à une évolution continue. Nous découperons cependant son
histoire en deux périodes : celle antérieure à l’an 2000, durant laquelle les activités financières
islamiques croissent fortement mais restent cantonnées dans les pays musulmans, puis celle du
début du XXIe siècle durant laquelle la finance islamique devient alors un phénomène mondial.

Le système financier islamique avant l’an 2000


Les pratiques financières islamiques ont été utilisées par les commerçants depuis des siècles
dans les pays musulmans mais parallèlement les banques, dans ces pays, offraient des produits
standards de la finance classique (dite finance conventionnelle). Ce n’est qu’à partir de l’année
1940 environ que quelques expériences d’utilisation des techniques traditionnelles, par des
économistes et banquiers, ont vu le jour en Malaisie et au Pakistan, puis en Égypte.

L’expérience qui a eu lieu en Égypte en 1963 est souvent présentée comme le point de départ
du système. Un Égyptien, Ahmad Al Naggar, créa dans la petite ville de Mit Ghamr une banque
d’épargne dont les fonds récoltés étaient destinés à financer des projets agricoles. Elle attira de
nombreux dépositaires mais le succès de cet organisme fut accueilli avec beaucoup de suspicion
par les autorités égyptiennes et, en 1972, le gouvernement socialiste du président Nasser
nationalisa cette banque qui devint la Nasser Social Bank. Elle perdit sa spécificité
C’est ensuite, dans les années 1970, lors de la forte augmentation du prix du pétrole - il fut
multiplié par douze – que le système financier islamique s’est officiellement développé. Les
dépôts de fonds s’accumulant dans les pays du Golfe, des établissements furent créés pour gérer
ces dépôts selon les principes de la Charia.

Le premier établissement fut la Dubaï Islamic Bank (DIB) en 1975, puis la Koweit
Finance House (KFH) en 1977, la Bahreïn Islamic Bank (BIB) en 1979, la Qatar
Islamic Bank (QIB) en 1982. La première implantation qui attira l’attention de certains
banquiers occidentaux fut la création à Genève, en 1981, du groupe Dar al Maal al Islami (DMI)
par différents fondateurs, dont le prince Mohamed Ben Fayçal. Le
DMI, enregistré aux Bahamas, dont le capital était équivalent à environ un milliard de dollars
US avait une dimension à la fois financière, politique et religieuse. À côté du conseil
d’administration, un conseil de la Charia était chargé d’assurer la conformité de l’activité de
l’établissement aux préceptes de l’Islam. Le groupe DMI implanta un réseau d’agences dans
une vingtaine de pays. Ses actifs lui permettaient d’avoir des projets ambitieux, notamment
celui de mise en place d’un système mondial de finance islamique comportant des banques, des
sociétés d’investissements, des compagnies d’assurances.

Mais rapidement deux autres groupes, créés en Arabie saoudite, sont venus le concurrencer : le
groupe Al Rajhi et le groupe Al Baraka. Le premier, spécialisé au départ dans les opérations de
change et de transfert de fonds, obtint le statut de banque en 1984. Il devint alors surtout
l’établissement spécialisé dans le financement des PME en Arabie saoudite. A contrario, le
groupe Al Baraka déploya dès le départ une activité internationale en implantant un réseau dans
les pays musulmans du Sud de l’ex-URSS, du Moyen-Orient et du Maghreb.

Un événement marquant de l’histoire du système financier islamique fut la création de la


Banque Islamique de Développement (BID) en 1975. Implantée à Djeddah, elle fut créée par
quatre pays membres fondateurs : l’Arabie saoudite, la Libye, les Émirats Arabes Unis et le
Koweït, sous les auspices de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI).Son objet est
d’être la banque de développement pour le mode musulman et à ce titre elle participe à de
grands projets. C’est pendant cette période que des pays, constitués en républiques islamiques
procédèrent à l’islamisation complète de leur système financier : le Pakistan en 1979, le Soudan
et l’Iran en 1983.

Dans les années 1990, on assiste à un autre événement marquant : l’ouverture de départements
spéciaux ou « fenêtres islamiques » par les banques conventionnelles implantées dans les pays
musulmans, par exemple, dans l’Arab Banking Corporation (ABC) et la Gulf International
Bank (GIB), toutes deux basées à Bahreïn. Ces banques entendaient également attirer la
clientèle musulmane en offrant des produits et services islamiques. Puis d’autres banques de la
région ont suivi la même voie.À la suite de cela, les banques occidentales présentes dans le
monde musulman ont également créé des fenêtres islamiques, comme la banque néerlandaise
ABN AMRO et la City Bank au Bahreïn.

Notons que pendant cette période la finance islamique est peu présente, voire absente des pays
du Maghreb, sauf une banque en Mauritanie (la BAMIS) et une filiale d’Al Baraka en Algérie.

L’étape suivante verra l’ouverture de banques et de fenêtres islamiques en dehors du monde


musulman.

L’évolution du système financier islamique après l’an 2000

Jusqu’en 2000 le système financier islamique était plutôt considéré par le monde de la finance
conventionnelle comme une « niche de marché », à la fois exotique et peu compétitive. On ne
lui destinait pas un avenir radieux. Puis vint le 11 Septembre 2001 que l’on peut considérer
comme une date charnière, même si la croissance ultérieure du système n’est pas que la
conséquence de ce qui s’est passé ce jour-là.L’événement du 11 Septembre a été un déclencheur
car les ressortissants des pays du Golfe, qui avaient déposé leurs fonds dans des pays étrangers,
craignant le gel de leurs avoirs, les ont en partie rapatriés. Ce mouvement de fonds a coïncidé
avec une augmentation du prix du pétrole et une augmentation du volume de sa production.
L’effet conjugué de ces événements fut l’accumulation d’une masse de liquidités qui a été à
l’origine de la progression de la finance islamique.

Des statistiques paraissent régulièrement dans la presse économique et financière sur la taille
actuelle de l’industrie financière islamique. Le marché serait de plus de 1 000 milliards de
dollars US, le nombre des établissements financiers serait supérieur à 450, le taux de croissance
oscillerait entre 12 et 15 % selon les années. La finance islamique serait présente dans plus de
60 pays. Ces chiffres doivent être considérés avec prudence car souvent la source n’est pas
indiquée, ni la date de l’évaluation et surtout l’élément mesuré n’est pas toujours précisé. Ainsi,
pour ce qui concerne la valeur de l’actif des banques islamiques, il est très important de préciser
si les éléments hors-bilan sont ou non inclus. Le taux de croissance du marché, mesuré par le
volume des transactions, est sans doute compris entre 10 % et 15 %, ce qui est bien supérieur à
celui de la finance conventionnelle.
L’évolution du système financier islamique depuis l’an 2000 se traduit notamment par la
création de nouveaux produits et de nouveaux établissements, l’internationalisation de l’activité
et par des mesures diverses qui ont accompagné son expansion

De nouveaux produits
Parallèlement au développement des produits islamiques déjà offerts aux particu-liers et aux
entreprisesde nouveaux produits ont été créés. Parmi eux, citons les soukouks, sortes
d’obligations créées en 2001-2002 dans trois États : la Malaisie, le Qatar et Bahreïn. Il s’agissait
essentiellement de titres souverains. Puis la BID a émis des soukouks en 2003. Ce produit a
même séduit les pays occidentaux. Les soukouks constituent le produit qui a connu la plus forte
croissance. En 2011, on évalue le montant des émissions à environ 85 milliards de dollars US,
dont 20 % de soukouks souverains. Ils sont surtout émis en Malaisie.

Les produits d’assurance ont connu également un développement important. L’illicéité de la


pratique de l’assurance selon la formule traditionnelle avait freiné son démarrage. Les sociétés
pratiquant l’assurance (takafoul) basée sur le principe de la mutualité ont été créées et leur
expansion est allée de pair avec celui de la finance islamique.
Pendant cette période, le succès des produits, anciens et nouveaux, a entraîné l’accroissement
du nombre d’établissements financiers. Ainsi à Bahreïn, appelé parfois le « Wall Street du
Moyen-Orient », le nombre de banques a considérablement augmenté. Il est passé de 8 en 1990
à 27 en 2010.

L’internationalisation de l’activité
L’activité financière islamique est devenue mondiale. Ainsi lorsqu’en 2004 un land allemand,
le Saxe-Anhalt, procède à une émission de soukouks, l’émission a lieu en Allemagne, la
souscription essentiellement au Moyen-Orient.L’internationalisation s’est traduite d’abord par
la création de départements islamiques par les banques occidentales dans les pays musulmans.
Les grandes banques occidentales ont voulu profiter des capitaux disponibles dans les pays du
Golfe.L’étape importante suivante fut la création de banques islamiques dans les pays
occidentaux. La première, l’Islamic Bank of Britain (IBB), créée au Royaume-Uni en 2004, est
entièrement consacrée à la finance islamique. Depuis, d’autres banques islamiques ont été
créées au Royaume-Uni. Londres est devenu le pôle occidental de la finance islamique. D’autres
pays occidentaux, surtout ceux dont la population comporte une forte proportion de musulmans,
comme les USA, la France, désirent suivre la voie par l’ouverture de fenêtres islamiques ou la
création de banques islamiques. « Nous allons développer sur le plan réglementaire et fiscal
tout ce qui est nécessaire pour rendre les activités [de finance islamique] aussi bienvenues ici à
Paris qu’à Londres et sur d’autres places » (Ch. Lagarde, ministre de l’Économie et des
Finances, Forum Paris Europlace du 2 juillet 2008). Actuellement, rien ne s’oppose à ce que
des produits financiers islamiques soient commercialisés en France mais le démarrage est lent.
Il a commencé en 2011 par le lancement des premiers comptes courants compatibles avec les
principes de la Charia par la banque Chaabi, filiale de la Banque populaire du Maroc, et une
offre de crédit immobilier à court terme

Au Maghreb, quelques banques islamiques existent, ainsi une filiale du groupe Al Baraka
fonctionne depuis 1981 en Algérie, depuis 1983, en Tunisie. Depuis, d’autres établissements
ont été ouverts, ils doivent se conformer à la loi bancaire nationale existante.

Des fonds d’investissements ont également créé des antennes islamiques dans les pays
musulmans.

On assiste de plus en plus à des opérations de financement conjoint par des banques
conventionnelles et des banques islamiques, notamment lorsqu’il s’agit de financer de grands
projets d’infrastructures dans les pays en développement

Des mesures d’accompagnement


La croissance et l’internationalisation de l’activité islamique vont de pair avec certaines
mesures qui sont à la fois la cause et la conséquence de ces phénomènes.

Énonçons quelques-unes de ces mesures qui seront examinées ultérieurement : la création


d’agences de notation et d’indices spécifiques d’évaluation, l’adaptation de la réglementation,
l’organisation de manifestations professionnelles, l’offre de programmes de formation.

Les grandes agences de notation publient des indices de référence pour les investisseurs. Citons
les principaux : le Dow Jones Islamic Market Index, le Standard and Poor’s Shari’a Indice, le
FTSE Global Islamic Index. Une agence de notation, l’Agence Internationale Islamique de
Notation (AIIN), a été créée avec le soutien de la BID, de l’Agence Monétaire de Bahreïn
(banque centrale) et d’autres organismes. Elle est basée à Bahreïn.

Des réglementations spécifiques sont élaborées par les autorités concernées des pays d’accueil
ou par des organismes internationaux : les organismes de régulation de la profession bancaire,
de contrôle des marchés, de normalisation des systèmes comptables, de réglementation
fiscale…

Des professionnels de la finance, regroupés éventuellement en associations, organisent


régulièrement des forums et conférences qui permettent de progresser dans la standardisation
des produits et dans la création de nouveaux produits. Le premier forum français de la finance
islamique a été organisé à Paris en décembre 2007 par la Chambre de Commerce franco-arabe
et Secure Finance
Jusqu’à ces dernières années la formation à la finance islamique était dispensée sous forme de
cours isolés ou de séminaires, désormais des programmes de formation diplômants sont
proposés par différents établissements.

Parmi les formations universitaires de longue durée dans des établissements français, citons :
le diplôme d’université (DU) « Master en finance islamique » de l’École de Management de
Strasbourg (Université Robert Schuman), créé en janvier 2009, le diplôme d’université (DU) «
Master Principes et Pratiques de la finance islamique », créé en juin 2009 à l’Université Paris-
Dauphine. L’ESCP-Europe propose aux étudiants de l’option Finance la possibilité de suivre
un enseignement de finance islamique à l’École supérieure des affaires de Beyrouth (ESA).
Cette dernière, en partenariat avec le SII (Securities and Investment Institute) de Londres, a mis
en place le programme IFQ (Islamic Finance Qualification) en 2006, et récemment un Executive
Master in Islamic Management (XIFM) en partenariat avec l’Université d’Effat (Arabie
saoudite) et la Rotterdam School of Management.

Mentionnons l’existence en France de programmes de courte durée. Le COFFIS (Comité


Français de la Finance Islamique) délivre le CIB (Certificate of Islamic Banker), diplôme du
CIBAFI (General Council for Islamic Banks and Financial Institutions), organisme regroupant
plus de 120 institutions financières islami-ques et dont le programme phare est le CIB. Le
cabinet Averroes Consulting and Promethics propose un programme « Audit Evaluation
certified Charia ».

Parmi les programmes étrangers, de plus en plus nombreux, citons quelques formations, de
niveau Master, parrainées par les banques centrales de leur pays et, à ce titre, ont un niveau de
qualification reconnu professionnellement : le BIBF (Bahreïn Intitute of Banking and Finance),
fondé à Manama (Bahreïn) en 1981 ; INCEIF (International Centre for Education in Islamic
Finance), établi à Kuala Lumpur en 2006, délivre également un diplôme de niveau Doctorat, le
CIPA (Certified Islamic Professionnal Accountants) et le CSAA (Certified Shari’a Adviser and
Auditor) de l’AAOIFI

Enfin, dans le domaine de la recherche, une chaire de finance islamique a vu le our à Harvard
en 2002, une chaire « Éthique et Normes de la Finance » est née en 2011 d’un accord-cadre de
coopération signé entre l’Université de Paris Panthéon-Sorbonne et l’Université du roi
Abdulaziz de Djeddah.

Ouvrage : La finance islamique Ed. 2

Author: Causse-Broquet, Geneviève

Publisher: RB édition
LES SOURCES DU FINANCE ISLAMIQUE

Le système économique islamique s’appuie sur la Charia, ensemble de règles qui régissent la
vie économique et sociale. La Charia prend sa source dans le Coran ainsi que dans l’exégèse
(la Sounna) du prophète Mahomet. Ce sont les sources primaires. Les docteurs de la loi (les
Oulémas) ont ensuite précisé, et continuent à préciser, ces règles. Ce sont les sources
secondaires.

Les sources primaires

L’Islam, mot arabe signifiant « soumission à Dieu », se traduit par un ensemble de règles de
conduite décidées par Dieu pour le bien de l’humanité, telles que transcrites dans le Coran et la
Sounna.

Le Coran est le livre saint des musulmans. Il contient les révélations faites au prophète
Mahomet par l’archange Gabriel19. Écrit entre 610 et 632 de notre ère, il comporte 114
chapitres (sourates), chaque sourate contenant un certain nombre de versets (ayats). Le Coran
aborde différents thèmes : l’unicité de Dieu, thème central, et les règles à suivre dans les
rapports avec Dieu et avec les autres hommes. Il n’est pas structuré par thème, le classement
n’est pas chronologique, en conséquence le même thème peut être abordé dans des sourates
différentes20
19. La majorité des musulmans le considère comme « la parole incréée » participant de
l’essence même de Dieu, à ce titre elle ne tolère aucune interprétation. Elle s’oppose à « la
parole créée », c’est-à-dire révélée, donc liée aux circonstances de l’époque de la révélation
20. Il en résulte que les versets ont parfois un contenu contradictoire (ce qui s’explique par le
fait qu’il a été écrit sur une période de 23 ans), d’où l’existence de versets abrogés et le besoin
de recourir éventuellement à des interprétations

La Sounna représente l’ensemble des actes et paroles du Prophète dans certaines circonstances
de l’existence. Fondée sur la pratique du Prophète, elle sert de guide aux croyants en complétant
le Coran. Elle est composée de hadiths ou témoignages écrits par les compagnons du Prophète
après sa mort

La consignation des faits et gestes du Prophète se fit après sa mort selon différentes techniques
regroupées sous le nom de ijtihad (processus durant lequel les efforts relatifs à la transmission
furent déployés). Elle dura une certaine période du début du IXe siècle, jusqu’à ce que l’on a
coutume d’appeler « la fermeture de la porte de l’ijtihad ».
Le Coran et la Sounna constituent les bases de la Charia. Ils donnent lieu à interprétation
continue par les docteurs de la loi (les Oulémas).

Les sources secondaires


Ce sont les interprétations de cas non résolus par les sources primaires. Le terme d’Ijtihad est
le terme donné à cette activité d’interprétation basée sur différentes méthodes, le plus souvent
l’analogie (qiyas). Si la solution proposée aboutit à un consensus de la communauté (Ijma), elle
fait jurisprudence (fiqh) et acquiert alors force de loi.

L’ensemble de ces sources constitue la Charia. Les règles qui la composent pourront donner
lieu à des interprétations et applications différentes selon les pays. Étant donné l’absence
d’autorité supérieure reconnue par tous les musulmans, la conjugaison des courants de l’Islam
(Chiite et Sunnite), des écoles de pensée d’obédience sunnite (Malekisme ; Hanafisme,
Chaafisme, Hanbalisme) 21et d’obédience chiite (Jaafarisme), ainsi que des modèles de société
en vigueur dans les pays, aboutit à des interprétations différentes et des applications plus ou
moins souples.
21. Cf. sur ce point Siagh (2003), Saïdane (2011)

Certains pays privilégient la jurisprudence, d’autres se limitent à une approche littérale des
textes (approche dite littéraliste).
Chambour (2007) indique que la première réglementation relative à la finance islamique est la
loi ottomane – Al Majalla – datant de 1876. Selon l’auteur, les jurisconsultes de l’époque se
sont basés sur la jurisprudence hanafite, moins stricte que celle des autres écoles, et sur la loi
française. Ils se sont abstenus de faire allusion à la pratique de l’intérêt

On considère actuellement que la réglementation dans les pays du Sud-Est asiatique est plus
souple qu’en Arabie saoudite. Dans le sultanat d’Oman, l’ouverture de banques islamiques n’a
été autorisée qu’en 2011. Jusqu’à une période récente les pays du Maghreb ne permettaient pas
l’ouverture de banques islamiques. La mosquée Al-Ahzar du Caire a émis en 2002 une fatwa
qui autorise l’intérêt sous certaines conditions et le Conseil supérieur de l’Université Al Ahzar,
qui fait autorité en matière religieuse en Égypte, a décrété licite les intérêts sur les dépôts
bancaires

Parmi les règles qui composent la Charia, on distingue ce qui a trait à la dévotion et ce qui a
trait au comportement en société :
 le Fiqh al Badat concerne « les cinq piliers » de l’Islam : l’unicité de Dieu (le témoignage
de sa foi), la prière, le jeûne, l’aumône (la zakat) et le pèlerinage à La Mecque,
 le Fiqh al mu’amalat est relatif aux règles afférentes au droit de propriété, au travail, à
l’allocation des ressources, à la distribution du revenu, au rôle de l’argent ; il organise
donc la vie économique et sociale dans les pays d’Islam.
Principes et interdictions de la finance islamique.
L’activité financière islamique s’est développée en faisant revivre les produits anciens et en
créant de nouveaux produits. Lors de l’adaptation et de la création de produits, la contrainte a
été d’éviter les interdictions découlant de la théorie économique et sociale islamique. On
dénombre en général les cinq interdictions suivantes : interdiction de l’intérêt (riba), du gharar
(incertitude, tromperie, risque), de la thésaurisation, de la spéculation (maysir), et des activités
déclarées illicites. Nous insisterons sur les deux premières qui constituent les bases du système
financier islamique

Les principes de la finance islamique

Le partage des pertes et des profits

Le partage des pertes et des profits fait partie des principes de base des affaires islamiques. La
logique derrière ce partage des pertes et des profits (PPP) est la suivante : un contrat ne peut
pas être constitué de telle sorte que toutes ses clauses soient au bénéfice d’une seule partie
prenante du contrat (Anas, 2011). Par exemple, dans le cas d’un apporteur de capital et d’un
entrepreneur désirant financer son projet, la morale islamique considère que puisque l’apporteur
prête une partie de son capital, celui-ci a le droit de percevoir une partie des bénéfices qui
résulteraient du succès du projet et inversement, il n’est pas possible que le prêteur réclame la
totalité des profits générés par le projet (Guéranger, 2009). Ce principe permet la création
d’une relation de partenariat entre le prêteur et l’apporteur du capital puisque ce dernier, étant
potentiellement bénéficiaire des profits générés par le projet, en plus de s’engager dans celui-
ci, contribue également à sa réussite (Badaj & Radi, 2017). De plus, avant de s’engager dans
le projet, le prêteur apprend à connaître l’entrepreneur et s’assure ainsi de la légitimité du projet
entrepris.
A la base du partenariat, il n’y a donc aucune garantie par rapport au montant apporté mais
plutôt un pourcentage déterminé et assuré sur les rendements du projet qui est fixé dès le début
de la relation. C’est notamment par ce mode de fonctionnement des financements que la finance
islamique remplace l’intérêt, qui comme nous le verrons plus en détail, est interdit en finance
islamique. Dans le cas où le prêteur est une banque et que le capital apporté est de l’argent que
les déposants ont placé à la banque en vue de le faire fructifier, ces déposants peuvent être
considérés comme étant des investisseurs recevant un dividende lorsque la banque dégage des
profits ou des pertes. Par conséquent, dans ce type de contrat l’accent est davantage mis sur la
rentabilité potentielle du projet que sur la solvabilité de l’entrepreneur (Anas, 2011).

La présence d’un actif sous-jacent


L’autre principe de base des affaires islamiques est le suivant : les opérations de financement
doivent nécessairement être liées à un actif sous-jacent. Alors que dans le système financier
conventionnel les banques et institutions financières utilisent l’argent comme moyen d’échange
permettant de créer de la valeur, la finance islamique considère que l’argent ne peut en soi pas
constituer l’objet d’un échange (Jouaber-Snoussi, 2012). L’argent est uniquement un moyen
d’échange puisqu’une unité d’argent a exactement la même valeur qu’une autre unité d’argent ;
il n’est donc pas possible de générer des bénéfices en échangeant cet argent puisque l’argent
n’a pas d’utilité ni de valeur intrinsèques (Usmani, 2002). Par conséquent toute transaction
financières doit d’être adossée à un actif sous-jacent non liquide, qui peut être matériel ou pas
(Guéranger, 2009).Nous verrons des applications de ce principe lorsque nous présenterons les
différents instruments de la finance islamique.

Les interdictions en finance islamique


L’interdiction du Riba
Le riba est le péché cardinal dans le droit islamique. La littérature le compare au meurtre, à la
fornication et à l’idolâtrie. Sa signification littérale est « accroissement ».
On assimile souvent le riba à la proscription de l’intérêt. En réalité, la notion est beaucoup plus
large : le riba ne se limite pas « au prêt à intérêt mais à toute prestation de sommes d’argent ou
de choses fongibles dues par une personne à une autre engendrant un profit réalisé par l’une des
parties sans contrepartie». L’intérêt consiste, en effet, à recevoir une rémunération du seul fait
que l’on a mis à la disposition d’un tiers une certaine somme d’argent : on est rémunéré en
l’absence de tout travail productif, sans contrepartie.

Le riba vise l’enrichissement sans cause, « un profit ou gain illicite découlant d’une
inéquivalence dans la contre-valeur des prestations réciproques au cours de l’échange de deux
ou plusieurs biens de la même espèce, du même genre et régis par la même cause efficiente».
Le riba, plus généralement, correspond à l’interdiction du gain sans effort ou sans responsabilité
et le prêt d’argent relève de cette prohibition.
Le contrat entaché de riba est appelé ribawi et sa formation est donc viciée (fasid).
Les situations étant variées, les jurisconsultes distinguent plusieurs formes de riba qui fait
l’objet d’une littérature juridique abondante. On en citera quelques unes à titre d’illustration.

Le riba porte le plus souvent sur des biens de riba (produits alimentaires, métaux précieux et
argent…). Le riba de l’excès se produit lors-que des biens de riba sont échangés contre des
biens de même nature dans des proportions différentes (poids ou valeur). Il s’apparente au riba
de solde (riba al-fadl) consistant à augmenter le prix d’un bien au moment de la remise de celui-
ci. Il existe également le riba de délai lors-que les biens ne sont pas échangés concomitamment,
qui peut entraîner un riba de report se traduisant par l’augmentation du prix dans le cas de la
prorogation du terme (riba al-nasi’a). Le riba de dette, enfin, intervient lorsqu’un intérêt est
payé, sous quelque forme que ce soit, pour compenser un prêt. Toutefois, la charia n’a pas défini
de règle générale relative au riba en dégageant une cause (illah) simple

Aussi les juristes des différentes écoles peuvent-ils avoir des opinions nuancées sur le sujet.
Pour les écoles hanéfite et hanbalite, toutes les transactions qui ne satisfont pas les conditions
de simultanéité et d’équivalence sont prohibées, surtout si elles donnent lieu à une augmentation
du prix au moment de la remise du bien ; par ailleurs, il n’est pas possible, selon elles,
d’accroître le prix d’un bien dans le cas de la prorogation du terme. Les écoles chaféite et
malikite limitent ces interdictions aux produits alimentaires et à la monnaie métal.

Cette rigueur n’étant pas favorable au développement économique, des juristes musulmans
modernes ont proposé une conception du riba fondée plus sur l’esprit que sur la lettre. Pour eux,
la raison sous-jacente de l’interdiction du riba est de prévenir les pratiques injustes et de
protéger le faible contre une exploitation de ses besoins. De ce fait, un taux d’intérêt serait
répréhensible s’il frappe un pauvre, tandis qu’il ne le serait pas s’il vise un riche car il n’y a pas,
dans ce cas, d’exploitation. Par ailleurs, il a été suggéré que le prêt puisse être assorti d’un
intérêt qui en maintienne la valeur malgré l’inflation.
Malgré la richesse de la réflexion et les potentialités qu’elle recèle, cette vision des choses n’a
pas prospéré jusqu’à ce jour et c’est le concept orthodoxe qui prévaut.

Selon lui, c’est la lecture littérale qui est la règle, les motifs sous-jacents étant moins importants.
De ce fait, il est plus facile de mettre en œuvre des fictions (hiyal) qui permettent de s’affranchir
des rigueurs des préceptes.
Faute d’une définition par compréhension, c’est donc une définition extensive que l’on doit
utiliser et les auteurs procèdent par énumération des opérations interdites. Une grande partie de
la littérature en la matière examine les pratiques financières et commerciales afin de détecter
toute trace de riba.

L’interdiction du Gharar
Le mot gharar évoque l’incertitude résultant d’une information volontairement ou
involontairement insuffisante. Ce terme recouvre desnotions différentes : aléa, incertitude,
hasard, spéculation. Cela explique que les juristes ne soient pas unanimes quant à la définition
et surtout à la portée de ce concept

Après le Riba,le Gharar constitue la deuxième grande interdiction observée en finance


islamique.Il peut être défini comme «la vente à caractère aléatoire d’éléments probables dont
la nature incertaine et risquée l’apparente aux jeux de hasard11». El-Gamal (2010)
considèreque «le Gharar regroupe les situations où l’information est incomplète ainsi que le
caractère intrinsèquement risqué et incertain de l’objet d’un contrat12».

Le concept étant désormais défini, il semble évident que le Gharar est présent dans tout type de
contrat puisqu’aucun contrat ne connaît d’issue certaine. Sur base de cette constatation il a donc
été postulé que le «Gharar mineur» n’altérait en rien la nature du contrat et dès lors que celui-
ci était accepté, par opposition au «Gharar excessif» qui lui est interdit car il est en mesure de
causer des conflits entre les parties contractantes (Nehad & Khanfar, 2016). La lecture de la
littérature sur le Gharar nous apprend que ce concept a été défini par de nombreux experts mais
malgré cette pluralité d’interprétations, les auteurs sont généralement d’accord sur certains
éléments causant la nullité des contrats.El-Gamal (2010) synthétise ces conditions comme
suit.Premièrement, cette incertitude inhérente au contrat doit être significative pour invalider le
contrat.Deuxièmement, le contrat doit nécessairement être un contrat bilatéral et non unilatéral
comme c’est le cas dansune donation ou un service gratuit. Troisièmement, cette incertitude
doit reposer sur l’objet même du contrat. Cet objet couvre tant bien la marchandise échangée
que le prix qui a été fixé pour cette marchandise, dès lors, si une quelconque ambiguïté subsiste
au sujet de ces deux composants du contrat, cela peut entraîner une annulation de ce dernier
(Al-Zuhayli, 2001). Enfin quatrièmement, le Gharar est accepté dans les cas où l’objectif même
du contrat ne saurait être réalisé sans cette incertitude. La détermination de cette distinction
entre Gharar excessif et mineur est donc le résultat d’une analyse «coûts-bénéfices» très
rigoureuse (Bouslama & Lahrichi, 2015).Comme démontré, le Gharar est donc une
interdiction centrale et essentielle au sein de la loi des contrats en Islam dont l’identification
n’est pas aussi aisée que celle du Riba. Une analyse au cas par cas est la plupart du temps
nécessaire pour déterminer à quel type de Gharar nous avons affaire. A noter que la forme de
Gharar la plus explicite est celle se rapportant aux jeux de hasard, et que celle-ci permet
l’évaluation de certaines variantes du Gharar, puisqu’elle en constitue la forme la plus extrême
(El-Gamal, 2010)

L’interdiction du Qimar(Hasard) et du Maysir(Spéculation)


Ces deux notions sont étroitement liées à celle du Gharar. Elles sont même parfois confondues
au sein de la littérature mais une distinction existe cependant entre ces deux concepts. Le Qimar
est souvent défini comme étant du Maysirà savoir quelque chose qui est obtenu sans fournir
d’efforts (Kunhibava & Shanmugan, 2010). La différence est que le Maysir va au-delà des
jeux de hasard puisqu’il correspond à tout enrichissement non justifié (Guéranger, 2009). Ces
concepts, bien que sensiblement différents, sont tout de même liés.

En effet, le Qimar,dans sa définition, est en lien avec l’incertitude, mais il faut bien noter que
tout élément de Qimar est un élément de Gharar alors que tout élément sujet au Gharar ne
correspond pas forcément à du Qimar(Diop, 2014).
Ayub (2007) nous apprend également que certains produits issus de la finance conventionnelle
sont proscrits car ils comportent des éléments de Maysir telle que l’assurance. Les contrats de
type «future» et les options sont également interdits puisque leur résultat dépend de facteurs
liés à du hasard (taux de change, survenance d’un événement, etc...).

Interdiction d’investir dans des domaines dit «Haram»

Comme nous le dit Jouaber-Snoussi (2012), la finance islamique se doit d’être socialement
responsable. Pour ce faire il convient de définir les activités qui sont «Haram» (illégales) et
«Halal» (légales). La règle de base, pour procéder à cette définition, est que toutes les activités
que Allah a créées et tous les bénéfices qui en découlent sont définis comme étant «Halal»
(Mohammed, 2013).Cette règle entraîne donc l’interdiction d’un grand nombre de secteurs
d’activités dans lesquels les musulmans ne peuvent pas investir.
Une autre distinction à effectuer est celle entre l’objet pur et impur. Si l’objet est impur, il ne
peut dès lors pas faire l’objet d’une transaction mais dans certains cas un objet pur ne peut pas
non plus faire l’objet d’une transaction (sol de lieux sacrés, etc...) (Guéranger, 2009).
Au vu de l’ambiguïté des règles énoncées dans la littérature concernant l’acceptation ou non de
certains secteurs d’activités, il est très difficile d’établir des règles claires concernant la
légitimité de ces secteurs. Les secteurs principaux dans lesquels il est interdit d’investir sont
néanmoins facilement identifiables tant la loi islamique est sans équivoque à leur propos,
comme c’est le cas pour l’alcool, le tabac ou encore la pornographie.

Author: Guéranger, François

Publisher: Dunod

Pub. Date: 2009


La définition du FI

La finance islamique pourrait être définie comme étant des services financiers et
opérations de financement principalement mis en œuvre pour se conformer aux principes de la
Charia. Cette définition va au-delà de l’assimilation de la finance islamique aux financements
«sans intérêt» car elle implique que la finance islamique vise une distribution égale et équitable
des ressources ainsi qu’une équité dans la répartition des risques.
L’objectif principal de la finance islamique est de rendre les pratiques financières
conformes à ce qui est encouragé par la Charia afin de répondre aux besoins de financement
des investisseurs qui rejettent la finance « classique » ou « conventionnelle ». Trois principes
de bases sont implicites à toute transaction financière islamique : 1) le financement ne devrait
en aucun cas entrainer la réception ni le paiement des intérêts car l’exigence des intérêts fixes
garantissant un retour prédéterminé est considérée abusive et économiquement improductive.
2) La transaction ne devrait pas impliquer le financement d’une activité interdite par la Charia.
3) L’opération doit éviter le Gharar qui pourrait se traduire par une incertitude excessive, risque
ou spéculation concernant une opération financière.
Un des aspects les plus importants en finance islamique est la pratique de partage des
risques. En effet, la finance islamique encourage le partage de risques et des bénéfices entre les
contractants. Le degré de partage varie en fonction de la nature du contrat. En ce sens, la finance
islamique est plus proche de l’activité du capital risque.
La majorité des institutions financières islamiques comporte un Sharia Board : un
comité de conseillers religieux qui donne son avis sur l’acceptabilité de nouveaux instruments
financiers et qui effectue des audits en assurant que les activités exercées et les produits offerts
sont conformes aux principes religieux.

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