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Économie rurale

Les problèmes que pose l'expansion du mouvement coopératif


Roger Montagne

Citer ce document / Cite this document :

Montagne Roger. Les problèmes que pose l'expansion du mouvement coopératif. In: Économie rurale. N°62, 1964. pp. 101-
108;

doi : https://doi.org/10.3406/ecoru.1964.1874

https://www.persee.fr/doc/ecoru_0013-0559_1964_num_62_1_1874

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Conclusions Générales

LES PROBLÈMES QUE POSE L'EXPANSION

DU MOUVEMENT COOPÉRATIF

Maître de conférences
par R. MONTAGNE
à l'E.N.S.A. de Montpellier

Les analyses précédentes peuvent être trant le secteur secondaire de la transformation.


regroupées autour du thème : « Les problèmes que pose Citons les coopératives de vinification ou de
l'expansion du mouvement coopératif agricole ». distillation, de conditionnement de, fruits, de
Cette expansion se définit à partir de la célèbre loi conserverie, d'abattage...
de Colin Clarck sur les trois cycles de la vie — à un troisième stade de son développement, la
économique : coopération s'efforce alors de pénétrer le secteur
— au départ, les coopératives agricoles se sont tertiaire qui est essentiellement celui de la
simplement intéressées au secteur primaire de distribution. C'est la coopérative de vente qui
la production. A ce stade, la coopération libère permet à l'agriculteur producteur du primaire, de
l'agriculteur de servitudes et de contraintes devenir aussi producteur du tertiaire.
techniques et économiques : servitudes Pour aller à la conquête de son marché,
physiques du métier (vendanges, battages...), l'agriculteur utilise la voie naturelle de la coopération
servitudes techniques du risque, grâce à l'assurance agricole. Mais cette logique conquérante ne va pas
mutuelle, servitudes financières de l'usure, par sans poser de multiples problèmes; On peut classer
le Crédit agricole mutuel. en deux groupes les obstacles au développement
— à un second stade, la coopération s'efforce coopératif, en distinguant les problèmes internes
d'élargir l'acte de production agricole en des problèmes externes.

LES PROBLEMES INTERNES

DE L'EXPANSION COOPERATIVE

Ces problèmes ont un triple aspect : ils La faiblesse chronique du revenu agricole
concernent les capitaux, les hommes et l'orientation du
développement. Sur le plan macro-économique, ce manque de
capitaux découle de la faiblesse chronique du
CAPITAUX ET FINANCEMENT revenu agricole qui a pour conséquence normale la
réduction ou le ralentissement des investissements
L'ampleur et la diversité des tâches auxquelles du secteur.
s'attaquent les coopératives agricoles nécessitent
des capitaux de plus en plus importants. Construire Les difficultés de l'autofinancement sont
des silos ou des cuves, implanter des stations inévitables dans tout milieu socio-professionnel déprimé.
frigorifiques exigent des moyens techniques et financiers L'aide ne peut alors venir que de l'extérieur : Etat
considérables. Trop souvent, la coopération ou autres secteurs.
agricole est freinée dans son essor par la pénurie des Au cours des deux premiers plans français, les
moyens de financement. L'explication de cette besoins de la reconstruction économique du pays
lacune est double : étaient tels que les pouvoirs publics avaient dû
choisir l'essor des secteurs non agricoles. Avec le ment, avant même de déterminer les dividendes
troisième plan, les données se sont peu à peu annuels qui seront servis aux actionnaires ; la
modifiées. D'une part, le Fonds de modernisation et retenue, il est vrai, n'est pas ici à fonds perdu.
d'équipement a attribué des moyens financiers plus L'incorporation des réserves au capital social est toujours
substantiels que par le passé, aux coopératives possible.
agricoles. D'autre part, l'essor prodigieux du Les actionnaires cherchent moins un revenu
Crédit mutuel agricole a mis à la disposition des annuel élevé qu'une valorisation constante de leurs
responsables coopératifs des prêts à moyen et à long mises de fonds initiales.
terme de mieux en mieux adaptés aux besoins, et
particulièrement avantageux. Sans une bonne
collaboration avec le système mutuel du Crédit, le La valeur des parts sociales ne suit pas les
développement de la coopération agricole serait fluctuations monétaires
brutalement compromis. Une seconde difficulté propre à la coopération
Le rapport de M. Costabel évoque les. craintes agricole réside dans le caractère de valeur
que la débudgétisation des investissements invariable de là part sociale.
agricoles laisse entrevoir. Sans doute, toute mesure Pour éviter- tout risque de spéculation sur les
restreignant les fonds publics attribués au Crédit titres, les parts sociales conservent toujours la
mutuel agricole, jouera le rôle de frein à même valeur monétaire. En cas de sortie d'une
l'expansion coopérative. Certes, il est nécessaire et logique coopérative, le sociétaire ne peut obtenir un
que l'Etat contrôle les investissements coopératifs remboursement qu'à la valeur nominale de
et qu'il autorise seulement ceux qui sont conformes souscription. Il ne peut, en bonne doctrine coopérative,
aux objectifs du Plan. récupérer une «mise supérieure à: celle versée au
Une faudrait pas cependant que la seule notion départ. Mais en :cas d'inflation, il est
de rentabilité de l'opération envisagée l'emporte inévitablement victime dé la dépréciation monétaire. Aussi,
systématiquement sur son utilité. une revalorisation ' législative ou automatique des
parts pourrait aider à surmonter l'insuffisance
C'est un problème essentiel pour le devenir de chronique d'accumulation; du capital des coopératives.
la coopération agricole. Pourquoi ne pas permettre d'incorporer au capital,
les réserves qui seraient créées à cet effet ? Il
Les difficultés institutionnelles suffirait de poser 1 comme règle, la restitution de la
Sur le plan micro-économique, les difficultés du mise, en valeur d'achat équivalente à celle du jour
financement vont être aggravées par le mécanisme de versement. La spéculation serait écartée du
institutionnel de la coopération agricole. C'est en secteur coopératif, sans pour autant spolier le coopé-
rateur. Celui-ci ne percevrait pas davantage qu'il
,

grande partie un problème de statut juridique que


l'on peut ramener à trois points : n'a mis réellement, mais il ne retrouverait jamais
moins que sa mise initiale. Il suffirait de ménager
une sorte « d'échelle mobile de la valeur réelle des
Le mécanisme de la ristourne * annuelle * freine parts » associée, et un droit de revalorisation
V auto-financement régulière du capital de l'affaire.
Dans toute coopérative, les excédents annuels de Les règles actuelles du statut sont trop souvent
gestion sont ristournés aux sociétaires. La part utilisées comme un moyen de propagande
mise en réserve est minime. En pure doctrine anticoopérative pour ne pas- être remises en cause sur
coopérative, elle n'est pas incorporable au capital ce point ;
social ni partageable entre les sociétaires. Depuis
1961, le législateur a, cependant admis le principe Le. capital ne provient que des adhérents u
du remboursement des parts sociales et celui du
partage de l'actif social net constitué par l'épargne Les conditions de formation du capital sont très
et le travail personnel des sociétaires. étroites, puisque la participation est limitée aux
seuls agriculteurs sociétaires. Au » contraire, dans
Ce mécanisme de la ristourne annuelle est une l'entreprise capitaliste, là participation est offerte à
des grandes différences du coopératisme et du tous.; les souscripteurs éventuels. Par la voie des
capitalisme. Trop souvent un sociétaire ne mesure
.

valeurs mobilières, l'industrie a pu se développer à


l'efficacité de. sa « coopérative qu'en fonction des partir d'un financement dont une bonne part lui
sommes ristournées. Il ne comprend pas que cette
.

était étrangère. Dans la coopérative agricole, seuls


redistribution annuelle peut se révéler contraire aux
<

les agriculteurs désireux d'adhérer peuvent


intérêts mêmes de l'institution, qui est privée ainsi
.

souscrire des j parts. Si l'exclusivisme d'adhésion est


d'une source d'auto-financement avantageuse. naturel dans une, société de personnes, il conduit à
Il suffit d'évoquer les sommes énormes que ; les un certain corporatisme au niveau de la création
firmes industrielles affectent à ^ leur r du capital social. La question est actuellement
>

— 102 —
posée : faut-il réviser les conditions de souscription a; fait le vide. L'agriculture a été- « écrémée »de
coopérative - ? La réponse ne paraît pas ses élites, elle constitue une population. vieillie. Il
systématiquement favorable, car même avec une liberté n'est pas étonnant alors que l'on se heurte à mille
totale de souscription, il semble que la. rentabilité des difficultés pour susciter dans un village les
« actions agricoles » apparaîtra, en général trop vocations nécessaires.
faible pour attirer des capitaux privés ; ceux-ci 500 000 postes de gestionnaires* administrateurs
trouveront , facilement ,, à : s'investir .dans d'autres existent en France dans les organisations
secteurs, à meilleur compte. professionnelles de 'types coopératif, mutuel, ou syndical ;
Nous ne le répéterons jamais assez : le trop souvent, dans chaque village ou dans chaque
financement de l'expansion coopérative agricole ne département, les mêmes hommes sont à la tête des
pourra être réglé correctement qu'avec l'aide de. l'Etat divers, organismes. En effet, les jeunes, même
et du Crédit mutuel agricole. attirés, par. les responsabilités de la gestion, hésitent à
s'engager- dans l'action parce qu'ils ne sont pas
rémunérés pour remplir leur tâche d'administrateur
LES HOMMES, et que ; leur , situation personnelle ou familiale ne
DEUXIEME GOULOT D'ETRANGLEMENT

>

.
leur permet pas de délaisser leur exploitation ; et
la possibilité a été évoquée de les rémunérer pour
La rareté, des capitaux n'est pas le seul goulot éviter certain « paternalisme coopératif » qui laisse
d'étranglement dû développement coopératif * les postes aux gens âgés et nécessairement fortu-,
agricole. Ce dernier se heurte à un autre facteur nés. Le cumul .provient moins du désir
limitant; d'accaparement que de la carence en candidats.
Dans les coopératives de. base surtout, les
Une formation valable personnes de moins de 40 ans acceptent de plus en

.
plus difficilement de prendre des responsabilités. En
Les besoins en hommes se situent à un doublé ce domaine, l'aspect désastreux de l'exode rural
niveau, parce que la structure même dés apparaît surtout sur le plan qualitatif. Un seul
coopératives suppose la juxtaposition et la collaboration de remède : l'éducation de masse et la promotion
deux organes : d'une part les agriculteurs, qui professionnelle permanente en milieu rural, seules
désignent parmi eux les administrateurs et président capables de préparer à la coopération agricole les
.

responsables, d'autre part, des services techniques cadres paysans indispensables.


et économiques de plus en plus étoffés, confiés à Le développement coopératif exige des
des directeurs, des cadres et des salariés. investissements matériels, mais plus encore des
Or, pour ces deux catégories, il faudrait recruter investissements intellectuels importants, comme l'a souligné
des personnes ayant une formation valable. Jusqu'à dépuis longtemps le professeur Malassis.
aujourd'hui, les agriculteurs n'ont pas été préparés
à exercer des fonctions totalement différentes des L'ORIENTATION
tâches traditionnelles de leur exploitation. En outre, DU MOUVEMENT COOPERATIF
la formation des techniciens de la coopération
agricole n'a jamais été envisagée scientifiquement. Le Malgré les obstacles financiers ou humains
rapport de M. Sélariès indique les efforts auxquels il se heurte, le mouvement coopératif
:

appréciables entrepris par de multiples institutions agricole se développe. Mais cet essor risque de conduire
publiques ou professionnelles depuis quelques années. à certaines déviations, génératrices, à leur tour, de
nouvelles difficultés.
Le manque de candidats Deux dangers menacent alors l'orientation du
mouvement :
En supposant que les problèmes de formation
soient correctement réglés, la coopération agricole
se heurte à une nouvelle difficulté : l'intégration La déviation mercantile
des hommes préparés à remplir les tâches qui les Quand une coopérative agricole a pleinement
attendent. Or, elle subit, ici encore. les lourdes réussi, les succès font : oublier aux sociétaires les
.

conséquences, en milieu agricole, de certains buts généraux fixés par les promoteurs. On voit
phénomènes essentiels de la croissance économique. seulement dans l'institution un moyen commode de
Tout d'abord, la faiblesse persistante du revenu se procurer un financement avantageux, de
agricole ne permet pas facilement d'attirer dans le bénéficier d'un système fiscal privilégié ou d'encaisser
secteur coopératif les techniciens, ingénieurs, dé substantielles ristournes. Le cycle est à son terme
'

juristes ou économistes qui sont séduits par les postes quand la coopérative est passée dans le secteur
plus lucratifs offerts 'dans le privé. Ensuite, au capitaliste. A ce stade, on refuse de nouveaux
niveau des présidents et administrateurs, l'exode rural adhérents, on « ferme la porte », et le paiement de divi-

— 103 —
dendea est substitué à l'ancien versement de . la des coopératives pour, diminuer leur peine physique
ristourne. Ce danger n'est pas particulier aux et profiter, grâce aux groupements, des progrès
coopératives agricoles, il n'est pas illusoire. Ainsi, lés techniques réservés aux entreprises puissantes.

!
« Lunetiers de Paris », modeste coopérative ouvrière C'est l'histoire, entre autres, des coopératives de
à l'origine, sont devenus une puissante société vinification améliorant la qualité moyenne du
anonyme entre les mains des héritiers des ouvriers produit obtenu et déchargeant le producteur des soucis
fondateurs. de la transformation. Aujourd'hui, l'évolution des
Cette déviation tuera la coopération agricole si goûts du consommateur - augmente sans cesse la
les agriculteurs oublient certaines bases doctrinales demande de produits transformés ou élaborés, et
de l'institution. Dès que l'on cherche dans cette l'agriculteur suivra ce mouvement par
dernière des avantages pécuniaires immédiats, la l'intensification du secteur, coopératif.
ligne de séparation entre le secteur coopératif et le Mais l'importance des tâches confiées à la
secteur capitaliste se fait de plus en plus étroite. coopération agricole risque de donner naissance à des
La comparaison est tentante entre les fonctions du complexes énormes.' On a parlé du gigantisme
technicien rémunéré et celles du président coopératif. Ce dernier augmentera „ l'emprise des
responsable bénévole. L'institution automatique d'un techniciens qui, seuls, connaîtront bien les rouages de
salaire peut être le pas décisif vers la « mercantilisa- l'affaire et, par ce fait même, imposeront leurs vues
tion )> des tâches de gestion. au président responsable, dépassé par l'ampleur des
Le président gérera son affaire comme si elle lui problèmes.
était personnelle. Il ne respectera pas son conseil Le danger d'une déviation technique est certain ;
d'administration, il ne jugera pas utile d'intéresser si l'on n'y prend garde, le technicien gérera la
les sociétaires à participer réellement à la gestion ; coopérative comme s'il s'agissait d'une entreprise
alors l'affaire ne sera pas plus coopérative agricole ordinaire. La technique étouffera l'idéal coopératif
qu'à l'heure actuelle le Crédit Lyonnais n'est et amènera une régression de l'idéal démocratique.
Lyonnais. Il sera bientôt impossible de situer la démarcation :
.

La coopérative est prête économiquement, sinon la caisse de ' Crédit sera devenue une banque, la

.
juridiquement, à : basculer dans le secteur Mutuelle une société d'assurance, la coopérative
capitaliste. On risque de se retrouver alors dans la même une usine fournissant des services rémunérés. Le
situation qu'au départ. remède est, ici encore, dans la mise au point de
formules d'intéressement des agriculteurs à la
marche de leur coopérative.
La déviation technocratique
Des exemples célèbres peuvent être donnés qui
C'est l'application au développement delà montrent une conciliation possible entre les
coopération agricole des idées développées par Bur- exigences de l'humanisme et de la participation, et la
nham dans son célèbre ouvrage - (L'Ere des crainte de la technique et.de la technocratie
organisateurs) . (Coopérative agricole du Lauragais).
La coopération a été à l'origine une « fille de la Ceci rejoint une préoccupation déjà analysée,
misère », elle a canalisé des volontés en révolte celle de la formation et de l'éducation.
contre le sort des travailleurs dans une société Mais ces difficultés d'ordre interne ne sont pas
injuste et mécanisée (Rochdale). les seules que rencontrent les instigateurs du
Par la suite, les agriculteurs se sont groupés dans mouvement coopératif.-

LES PROBLEMES EXTERNES


DE L'EXPANSION COOPERATIVE AGRICOLE

le fonctionnement est • entravé par la règle


ENTRAVE
LE STATUT
L'ACTION
JURIDIQUE
COOPERATIVE fondamentale de l'exclusivisme.
II s'agit ici, en, fait, d'un problème, externe, car
le statut est un ensemble de règles imposées par En vertu de ce principe, le champ d'action des
coopératives agricoles se trouve limité, car elles ne
l'autorité publique. Le respect des impératifs légaux peuvent travailler qu'avec les seuls adhérents et en
ou réglementaires est souvent un. frein à utilisant leurs seuls produits. Dans un processus
l'expansion nécessaire du mouvement. d'expansion économique, ce frein entraîne , deux
La coopérative est une société de personnes dont difficultés :

104
La conquête des marchés On pourrait , faire - un parallèle suggestif avec
La première se situe au niveau de la conquête l'évolution qu'a suivie, depuis le 19e siècle, le
des marchés, et elle est essentielle pour les marché du travail. Les relations patrons-ouvriers sont
coopératives de transformation et de vente, (secteurs passées du système du « contrat, individuel de
secondaire et tertiaire). travail » à celui des « conventions collectives », d'abord
libres, et ensuite rendues obligatoires par le
Pour, se placer sur un marché étendu, des procédé de l'extension:
contrats à longue durée sont généralement nécessaires.
Or, la coopérative ne peut en garantir la bonne Une semblable évolution s'amorce actuellement
exécution, compte tenu de l'incertitude des apports en France avec les lois de 1960 et 1962 sur les
de ses adhérents et de l'interdiction de travailler groupements de producteurs et les comités économiques
avec des produits autres que. ceux des sociétaires. agricoles ; ces lois prévoient des procédures
d'extension de certaines règles à l'ensemble des
La difficulté s'aggrave pour les opérations du agriculteurs, qu'ils soient ou non membres du
commerce international qui reposent sur des groupement;
mécanismes de compensations multilatérales.
Il est souvent impossible de réaliser des LES RAPPORTS INTER-SECTORIELS
opérations directes (ou bilatérales) , car les désirs des
pays acheteurs et des pays vendeurs ne coïncident Le progrès de la Coopération agricole entraîne
pas. Un exemple récent concrétise ce fait : la des conflits avec les intérêts privés, d'autant plus
France veut vendre des automobiles à la Hongrie, hostiles qu'ils sont plus menacés (opposition des
celle-ci ne peut payer qu'avec du vin dont notre courtiers, des démarcheurs de banque, des agents
pays n'a que faire. Mais ce vin intéresse d'assurances).
l'industrie allemande du jus de fruit. Une opération On a accusé la Coopération agricole d'être un
triangulaire est possible qui s'inscrira à l'actif de la facteur de monopole : le problème est actuellement
balance du commerce français. Une Union de soulevé au niveau de la Communauté Economique
coopératives viticoles ne peut alors intervenir avec les Européenne.
seules mises en main de ses adhérents. Le problème En effet, les diverses organisations
est insoluble sur le plan du droit coopératif. En profes ion el es nationales > se sont regroupées . à l'échelle du
pratique, la difficulté a été tournée par la création Marché Commun.. Parmi les plus représentatives
de sociétés commerciales auxiliaires. Les d'entre elles, . une est -l'émanation du commerce,
sociétaires sont les adhérents de la coopérative ; le boni le ' COCCEE (Comité des Organisations
de gestion est, d'une manière indirecte, partagé Commerciales de la Communauté Economique
entre les producteurs agricoles, qui ont accompli Européenne), l'autre de la coopération agricole, le COGE-
en dehors de leur coopérative de véritables actes CA ( Comité i Général des Coopératives
de commerce. Agricoles). Or, en 1963, le COCCEE a mis en cause la
Un tel artifice juridique montre les limites coopération agricole, l'accusant d'être un
actuelles du statut, imposé naguère à' la coopération pour groupement destiné à fausser le libre jeu de la
faire face à des besoins d'un autre ordre et d'un concurrence, et par là même contraire à l'esprit
autre niveau. fondamental du traité de Marché Commun. La
controverse ne devait pas s'en tenir au simple aspect
L'extension nécessaire de la discipline aux non- doctrinal, puisqu'il était même question de saisir du
coopérateurs litige la Cour de Justice Européenne.
On connaît cet argument à la fois classique et
La deuxième difficulté provient: de l'irrégularité spécieux : l'obligation d'apport qui lie le coopéra-
du rythme du développement coopératif.', Il arrive teur à sa société est contraire à la liberté du
souvent que les efforts de discipline commerce et de l'industrie, base de l'organisation
sein' . que se. sont
imposés certains agriculteurs au de leurs économique présente.
groupements soient complètement ruinés par des
initiatives intempestives prises par les non-coopérateurs Un monopole existe-t-il en fait ?
(ainsi pour le conditionnement, la sélection
qualitative, voire les décisions de vente) . Certains La logique même du mécanisme coopératif
exemples récents (1960-62) sont devenus célèbres, en conduit au quasi-monopole puisque le producteur
particulier en Bretagne (marche de l'artichaut) . Or, adhérant à une coopérative doit lui confier la totalité de
l'adhésion à la coopérative est absolument libre. ses produits.
.

Comment concilier cette liberté . individuelle, fort L'adhésion partielle est toujours une, source de
légitime, avec les nécessités techniques de la difficultés : elle < est de plus en plus combattue. A
discipline collective, indispensable, pour pénétrer un la limite donc, dans un secteur totalement
marché ? coopératif, le commerce de gros traditionnel risquerait de
— 105 —
voir, s'échapper les approvisionnements sur lesquels Un monopole de droit ?
il a toujours compté. En : combinant les règles sur
Le mouvement coopératif n'a jamais revendiqué


la garantie- des produits d'origine. avec; celles de un monopole doctrinal.
l'obligation d'apports, la coopérative agricole peut
fausser, l'application du principe de la liberté! du D'une part, il accepte toutes les confrontations.
commerce et de l'industrie. Charles Gide a assez parlé du « secteur témoin »
servant à moraliser les pratiques des autres
Mais cet avantage est seulement potentiel; II secteurs, qu'il s'agisse d'entreprise privée ou
nécessite une confiance absolue de l'agriculteur d'entreprise publique.
dans sa coopérative, ce ; qui n'existe que dans
certains pays nordiques (Danemark, Suède). D'autre part, il respecte le principe essentiel dé
la liberté individuelle, puisque l'agriculteur n'est

.
De plus; cette règle de l'obligation d'apport est jamais contraint d'adhérer à une coopérative.
une* arme à double tranchant pour la coopérative
chargée de distribuer des produits agricoles. Elle la Ces deux grands principes permanents de la
place en position défavorable par rapport à doctrine coopérative sont exclusifs de tout monopole de
l'entreprise capitaliste. Le commerçant soumet son droit.
comportement à de seuls mobiles de rentabilité : il a Cependant quelles sont les limites à assigner au
la liberté absolue de stopper, quand il le veut, ses développement coopératif agricole ?
approvisionnements ou ses ventes.
Au contraire, la . coopérative agricole » est créée LES LIMITES
pour rendre service aux adhérents. Elle est liée par DV DEVELOPPEMENT COOPERATIF
les règles de son statut juridique. Elle' doit prendre
les apports des membres,- et eux seuls, qu'ils soient AGRICOLE
excédentaires ou insuffisants. Dans ce dernier cas Pour l'agriculteur, la coopération est le moyen
seulement une autorisation exceptionnelle lui est normal de faire pénétrer du « tertiaire »fdans son
donnée de traiter avec des non-sociétaires, afin de activité de producteur. Mais alors, quel doit être
permettre les amortissements nécessaires. Ce le coefficient de « tertiaire » susceptible de. rentrer
caractère d'entreprise de service peut' jouer contre la dans l'activité agricole ? La discussion ne se pose
coopérative au cours de son fonctionnement. La pas seulement en termes juridiques ou doctrinaux.
tendance au monopole serait une arme très efficace Elle a aussi. une portée. très réaliste. A mesure, que
entre les mains ■ d'agriculteurs parfaitement les coopératives agricoles s'avancent vers. le
organisés, alors que présentement elle est plutôt une gêne consommateur, on tend à reculer les limites de l'action
dans la bonne marche de l'entreprise. coopérative. . Mais à un moment quelconque et à -un
Il est courant aussi d'invoquer les aides que l'Etat point quelconque,, se situera la rencontre avec le
apporte au développement ) des < coopératives sous consommateur. Trois procédés sont alors possibles.
forme d'exonérations fiscales. En réalité, ces
Un super-marché paysan
avantages ne sont pas des mesures de faveur à l'égard

d'un certain type de société, mais bien des A côté de l'organisation: d'une distribution
,

encouragements aux agriculteurs eux-mêmes, à travers coopérative intégrale, un système voisin peut être
,

des groupements qu'ils ont constitués et qui sont le imaginé : par exemple, l'utilisation par la coopération
prolongement t de leur activité ; professionnelle agricole et à son profit exclusif, des structures
(société de personnes) . ,. capitalistes de la distribution.
En d'autres termes, il ne faut jamais perdre) de La grande presse nous a appris, le 7 décembre
vue les différences fondamentales entre l'économie 1964, l'ouverture * à. Rosny-sous-Bois d'un Super-
de service et l'économie de profit. Marché à i capitaux agricoles (Société! M. Ml) . . Son
Les sociétés de capitaux ne s'intéressent qu'à la capital est d'origine agricole. Il s'agit de
rentabilité des masses financières investies dans une participation financière de coopératives < et dejS.I.C.A., Le
réalisation déterminée. Alors, les capitaux souci des animateurs de ce nouveau super-marché
délaissent très vite les régions où les activités ne sont pas est> de créer un point de vente témoin.
les plus rentables : les agriculteurs sont les L'événement en : soi - serait banal s'il ne s'agissait pas de
victimes souvent naturelles de cet « écrémage ». Au l'implantation du .premier, super-marché r paysan.
contraire, la coopérative qui se crée répond avant Le but de cette initiative est de permettre aux
tout aux besoins des agriculteurs. Si l'entreprise agriculteurs : d'être présents dans la distribution' des
i

qu'elle est dans l'obligation de promouvoir, est produits alimentaires et de fournir aux f
>.

moins rentable que celle créée avec ; dés capitaux responsables agricoles Je moyen de connaître le mécanisme
de ses circuits. Il ne s'agira pas d'un circuit
<

extra-agricoles, il est. tout à fait normal que cette


activité ■ soit encouragée par ; la puissance publique exclusivement . coopératif., Les ; produits d'origine .
soucieuse de l'intérêt : général, i coopérative ne seront vendus dans les super-marchés de

— 106
la société,' que dans la mesure où ils seront De plus, les relations intercoopératives
compétitifs. A prix égal, ils devront présenter une qualité paraissent, à en croire la même source, assez peu
et un conditionnement équivalent à ceux dès développées dans la plupart des pays du monde.
produits alimentaires d'autres origines. - Cependant; comme l'a écrit le professeur
En fait, ce super-marché sera en quelque sorte Milhau, « à mesure que les coopératives agricoles
une école de vente pour les dirigeants, des s'avancent vers le consommateur et que les
coopératives agricoles. Il jouera le. rôle d'un instrument coopératives de - consommation tendent à remonter la

,
d'observation des phénomènes de la chaîne des intermédiaires la rencontre devient de
commercialisation. A son ouverture, les produits frais seront plus en plus inévitable entre les deux mouvements.
exclusivement fournis par des coopératives Cette collaboration se révèle difficile, car les deux
< mouvements représentant' des intérêts


agricoles : viandes, fruits et légumes,: charcuterie,
volail es. Pour les autres produits, le directeur du Super- contradictoires, cherchent la ligne de moindre résistance et ont
Marché a- précisé, qu'il. était partisan de grandes tendance à ne pas s'affronter., Cependant, l'unité
marques soutenues par la publicité. doctrinale et morale de la coopération les pousse
Voici donc une tentative absolument nouvelle au à la rencontre, et il semble que la conciliation des
sein.de l'économie distributive française/ Les intérêts est possible sur certains plans, par exemple
promoteurs de l'expérience pensent ouvrir deux autres celui de la qualité. Pour avoir un produit meilleur,
marchés du même type dans la banlieue parisienne les consommateurs accepteront de payer une prime
au cours du premier trimestre de 1965; Ils estiment de qualité qui constituera pour les producteurs une
même que pour mener à bien .leur. tentative,, leur prime et un stimulant - : la voie du progrès est la
soviété devrait disposer au moins de cinq unités de voie royale; où les deux mouvements peuvent;
vente . comparables à celle qui a , été ouverte le marcher de front sans se gêner ».
7 décembre 1964.. Un fait. est certain* : dans de nombreux pays, les
liaisons intercoopératives, s'établissent.- Ainsi,
INTERLAIT à Genève, STANALAIT à Liège.
La rencontre des coopératives agricoles et de En France, enfin, un protocole a été signé en
consommation octobre 1959 entre la Fédération nationale des
coopératives agricoles exportatrices d'une part, et la
Est-il logique pour la coopération agricole de Fédération nationale des coopératives de
vouloir monter de toute pièce son propre réseau de consommation et la Société générale des coopératives ' de
distribution ? Pourquoi ne pas profiter d'un réseau consommation d'autre part.

déjà constitué depuis longtemps : celui des


coopératives de consommation.
La possibilité d'un dialogue avec les autres
Economiquement, la rencontre des deux secteurs
mouvements coopératifs est, sans conteste, assez difficile.
L'un et l'autre représentent des intérêts Enfin, il serait peut-être possible de rechercher
contradictoires : la coopération agricole cherche à valoriser un équilibre et une division du travail entre les
au maximum le produit qui lui est confié, la intérêts privés et les intérêts coopératifs.
coopération de consommation cherche à le distribuer au
consommateur au moindre coût. Cela suffit à Porter un produit, même élaboré, chez le
expliquer pourquoi les relations pratiques sont encore consommateur, ou le tenir dans un magasin à la
assez peu nombreuses entre les deux groupements. disposition du client, sont des fonctions commerciales,
très éloignées des fonctions de production agricole.
Dès 1927-1929, ce problème avait déjà préoccupé
la Société des Nations qui avait entrepris une Peut-être la mise en place d'un réseau dense et
enquête. Les données recueillies viennent d'ailleurs efficace de Coopératives Agricoles pourrait-elle
d'être rajeunies par une récente publication de aider à trouver une bonne répartition des tâches.
l'Alliance Coopérative Internationale (I960). Tout comme le syndicalisme ouvrier a rééquilibré
D'après celle-ci il n'y a ni monopole, ni part les forces en présence sur le marché du travail, la
prédominante de la coopération de consommation pour Coopération agricole introduira . plus d'équité dans
les denrées alimentaires, dans aucun pays du la distribution des produits de la terre. A ce stade,
monde. Ainsi, pour la France, les principaux sans doute, des formules d'interprofession sont
produits agricoles vendus par les coopératives de possibles et souhaitables. Mais les mettre en place
consommation sont le lait et les produits laitiers, les prématurément risquerait de renouveler la vieille
fruits et légumes, les œufs et le riz. Or, ces histoire du « Pot de terre et du Pot de fer »...
coopératives ne vendent que 6 % du total du riz vendu La coopération agricole, en effet, est la voie
dans le pays. Le lait et les produits laitiers ne étroite, mais nécessaire, qui seule pourra permettre
représentent que 9 % du commerce de détail de à l'agriculture de s'adapter à l'évolution
ces coopératives, les fruits et légumes 8 %. économique moderne, qu'il s'agisse de résister à l'intégra-

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tion capitaliste, ou de mettre en place une véritable nant amené à suivre à son tour les rythmes
économie contractuelle. accélérés de la société industrielle.
Alors qu'à l'origine la coopération agricole n'est Le fonds du problème est clair : comment
apparue que sous une forme de réaction défensive, l'agriculture réalisera-t-elle une semblable insertion ?
de nos jours, elle doit proposer de véritables Deux possibilités se dessinent :
éléments de collaboration inter-professionnels. — ou bien, de plus en plus laminée entre ses
A une tentative d'intégration reposant sur un fournisseurs et ses acheteurs, elle subira
effet de domination de l'une des parties, on peut passivement une intégration imposée de l'extérieur qui
proposer une intégration qui rétablit l'égalité de la réduira à un simple rôle de fournisseur à la
force des gros contractants. Il faut alors instaurer commande de matières brutes ;
un véritable pouvoir de discussion des producteurs. — ou bien, au prix d'un grand effort, elle voudra
Présentement, hormis la coopération agricole, il demeurer une activité économique responsable.
n'existe en agriculture aucune force suffisamment Elle se donnera une discipline démocratique
organisée pour ouvrir un dialogue efficace avec dans des groupements coopératifs puissants et
l'Etat ou les autres secteurs. efficaces. Elle sera alors en mesure d'entamer
ce dialogue sans lequel on voit mal (ou peut-
En parallèle, on peut rappeler le rôle que les être trop bien) ce que serait une Economie
syndicats ouvriers ont joué depuis 1884 sur le concertée.
marché du travail. Si une plus grande justice a été
introduite dans ce secteur, c'est parce qu'il existait Mais les problèmes que soulèvent ces nouveaux
un syndicalisme ouvrier organisé et efficace. rapports débouchent directement sur toute
l'organisation socio-économique. Cette dernière implique
Intégration, économie contractuelle, économie l'agriculture dans un nouveau Contrat Social qui,
concertée seront des leurres si la coopération à travers une planification souple mais
agricole n'est pas capable de se consolider, de se indispensable, s'efforcera d'harmoniser les intérêts des divers
renouveler et de se prolonger. , groupes socio-professionnels.
L'économie moderne construit, en effet, un L'époque est arrivée ou le malheur des uns ne
monde inter-dépendant. Il s'agit d'une évolution doit pas être la condition nécessaire du bonheur
irréversible, valable pour tous les secteurs. des autres. Si nous rentrons un jour dans une
L'agriculteur qui pendant des siècles avait vécu période plus morale que celle que nous vivons
selon les grands rythmes naturels qu'il transmettait aujourd'hui, c'est tout naturellement que la Coopération
aux autres secteurs économiques, se voit agricole y trouvera sa place.

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