Vous êtes sur la page 1sur 10

URGENCES

2007 Chapitre 24
co-fondateurs
Le premier épisode délirant
aux urgences

A. MATHUR

1. Introduction
Le premier épisode délirant constitue une urgence médicale associée à une
morbidité et une mortalité s’il n’est pas pris en charge et traité rapidement. Il
s’agit d’un syndrome aspécifique et non pas d’un diagnostic, associant des
signes et des symptômes cliniques qui peuvent être secondaires à une affection
organique ou constituer un trouble psychiatrique. Par excellence, il s’agit d’une
situation où médecin urgentiste et psychiatre ont chacun leur rôle à jouer, et où
l’examen clinique revêt une importance majeure.
Sa symptomatologie recouvre les manifestations suivantes : des idées délirantes,
des hallucinations, un discours désorganisé, un comportement désorganisé ou
catatonique. Dans les différentes classification actuelles, le premier épisode déli-
rant, s’il s’avère effectivement primaire, c’est-à-dire sans étiologie organique, a
comme terminologie « trouble psychotique aigu » selon la CIM-10, ou « trouble
psychotique bref » selon le DSM-IV (1, 2). Tout comme la « bouffée délirante
aiguë » utilisée dans la nosographie française, ces termes correspondent à un
accès psychotique de survenue brutale et limitée dans le temps. Ce diagnostic
sera confirmé ou infirmé selon l’évolution à plusieurs semaines ou mois.
Même si la majorité des patients se présentant aux urgences avec un premier
épisode délirant présentent un trouble psychiatrique primaire ou un trouble lié
à la prise de toxiques, une cause médicale sous-jacente doit être recherchée. Un

Correspondance : Service universitaire d’urgences psychiatriques, Hôpital Purpan, place du Dr Baylac,


TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 9, France.
Tél. : 05 61 77 73 15. E-mail : mathur.a@chu-toulouse.fr

LE PREMIER ÉPISODE DÉLIRANT AUX URGENCES 193


URGENCES
2007
co-fondateurs
syndrome confusionnel tout particulièrement ou d’autres manifestations clini-
ques peuvent orienter vers une cause organique.
S’il s’agit d’une manifestation d’un trouble psychiatrique débutant, le passage
aux urgences représente une opportunité d’initier rapidement un traitement et
d’introduire des soins spécifiques au patient, quelle que soit l’évolution à plus
long terme (3). En effet, un nombre croissant d’études semble indiquer qu’il est
possible, avec une bonne prise en charge de ce premier épisode, d’effectuer une
prévention secondaire et de diminuer la mortalité et la morbidité associées aux
troubles psychotiques (4). En d’autres termes, l’évolution à moyen et long terme
doit guider la démarche du praticien afin de favoriser une alliance thérapeutique
durable avec le patient et son entourage.

2. Évaluation
2.1. Diagnostic différentiel
En raison du risque vital que constitue une affection somatique se présentant
avec une symptomatologie psychotique, il nous a semblé important de lister les
différents diagnostics à évoquer. Le diagnostic psychiatrique doit être retenu en
dernier. De fait, le médecin urgentiste sera le premier médecin en contact avec
le patient. Certains éléments permettent d’orienter plutôt vers une cause
organique (tableau 1).

2.1.1. Étiologies organiques ou toxiques


Même si elles sont certainement plus l’exception que la règle, dans le cas d’un
premier épisode psychotique, elles doivent être évoquées car mettant en jeu le
pronostic vital et nécessitant un traitement prompt (5). Les étiologies étant
nombreuses et diverses, c’est l’histoire des troubles et l’examen clinique qui
dirigeront le médecin urgentiste.
Parmi celles-ci, les intoxications ou sevrage sont certainement en tête. Cepen-
dant, les épisodes psychotiques aigus induits par une substance seraient insuffi-
samment repérés aux urgences, trop souvent diagnostiqués comme des troubles
psychiatriques primaires (6). De plus, la distinction entre un trouble induit et une
comorbidité simple (abus de substance) n’est pas évidente, alors que la consom-
mation de toxiques est fréquente dans cette population (à prédominance jeune
et mâle). Trois facteurs prédictifs ont été retrouvés pour une psychose induite par
une substance : l’usage de substance par un parent, le diagnostic de dépen-
dance à une drogue quelconque et des hallucinations visuelles (7).
Au total, on retrouve :
• Causes toxiques : intoxication alcoolique, prise de corticoïdes, barbituriques,
benzodiazépines, anticholinergiques, L-Dopa, cocaïne, amphétamines, opiacés,
éphédrine, intoxication aux métaux lourds, sevrage d’alcool, benzodiazépines,
barbituriques.

194 ■ DÉTECTION PRÉCOCE DES TROUBLES PSYCHIATRIQUES : RÔLE DES URGENCES


URGENCES
2007
co-fondateurs
Tableau 1 – Signes cliniques aidant à diagnostic

Signes cliniques Étiologie probable Commentaire

Apparition des symptômes Organique/toxique La schizophrénie débute le plus souvent


en dessous de 13 ans entre 15 et 30 ans.
ou au dessus de 40 ans

Début brutal (heures, jours) Organique/toxique Attention cependant, un épisode


maniaque peut se déclencher très
rapidement.

Longue période de prodrome Primaire

Évolution aigu versus Organique/toxique Le trouble bipolaire peut présenter des


chronique exacerbations aiguës avec des périodes
de stabilisation entre deux.

Antécédents personnels Primaire Il y a souvent des antécédents familiaux


ou familiaux de troubles en cas de schizophrénie ou de trouble
psychiatriques de l’humeur. Leur absence est en faveur
d’une cause organique.

Désorientation temporo- Organique/toxique Plus fréquent en cas de syndrome


spatiale confusionnel, mais peut exister
dans la psychose.

Trouble de la conscience Organique/toxique En faveur d’un épisode confusionnel.

Antécédents d’abus Organique/toxique Une consommation importante


de toxiques ou utilisation ou rapidement croissante peut être
actuelle significative sinon les toxiques peuvent
être simplement coexistants.

Hallucinations visuelles Organique/toxique


vs. auditives

Troubles de la mémoire Organique/toxique Courants en cas de démence avancée.


d’apparition récente

• Causes traumatiques : commotion ou contusion cérébrale, hématome sous-


dural.
• Causes médicales :
– cérébrales et cérébro-vasculaires : ischémies, infarctus, hémorragie, vascu-
lite cérébrales. Insuffisance cardiaque, encéphalopathie hypertensive, hypo-
tension ;
– endocriniennes : hyper- et hypothyroïdie, hyper- et hypoparathyroïdie,
hyper- et hypocortisolémie, diabète sucré, diabète insipide, phéochromocy-
tome, syndrome carcinoïde ;
– hépatiques : insuffisance hépatique, porphyrie ;
– pulmonaires : hypoxie, hypercapnie ;
– hématologiques : polycythémie ;

LE PREMIER ÉPISODE DÉLIRANT AUX URGENCES 195


URGENCES
2007
co-fondateurs
– rénales : insuffisance rénale, tumeur ou infection ;
– infectieuses : encéphalite, en particulier HIV, méningite, syphilis, abcès
cérébral, neuropaludisme, pneumonie, infection urinaire, septicémie ;
– métaboliques : troubles ioniques et de la régulation glycémique ;
– néoplasiques : tumeurs cérébrales (en particulier au niveau de l’hippo-
campe), cancer du pancréas, syndrome paranéoplasique ;
– neurologiques : épilepsie partielle complexe et temporale, troubles démyé-
linisant, sclérose en plaque, maladie de Huntington, de Parkinson, de Wilson
et d’Alzheimer ;
– nutritionnelles : déficience en vitamines B1 et B12, déshydratation.

2.1.2. Troubles psychiatriques


Seule l’évolution sur plusieurs mois confirmera le diagnostic en rétrospective.
L’épisode peut être unique ou récidiver à quelques reprises. Le diagnostic sera
alors celui de trouble psychotique aigu (classification CIM-10), trouble
psychotique bref (classification DSM-IV), ou d’une bouffée délirante aiguë selon
la nosographie française.
Si l’évolution se poursuit vers un affection chronique, ce premier épisode se
révélera être le début d’une schizophrénie ou d’une autre forme de psychose
chronique, ou bien un épisode thymique dans un trouble bipolaire.

2.2. Conduite à tenir


Face à un patient présentant un premier épisode psychotique, avec souvent une
réactivité affective importante et un entourage désemparé, angoissé, du moins
surpris, la démarche diagnostic doit être rigoureuse et systématique. Elle sera
évidemment adaptée à l’état clinique du patient. Un patient trop angoissé ne
pourra pas se laisser examiner sans certains aménagements (présence d’un
entourage rassurant par exemple, ou traitement anxiolytique au préalable). Par
ailleurs, de nombreux patients arriveront aux urgences après s’être agités au
domicile, ce qui aura été le motif de l’hospitalisation, ou s’agiteront à l’arrivée.
Les soignants devront toujours garder en tête le vécu du patient qui peut se
sentir très angoissé, méfiant, suspicieux. Généralement, il n’a aucune critique de
ses propos et ne ressent pas la nécessité de recevoir des soins.

2.2.1. Approche
Le premier entretien doit avoir lieu dans un cadre calme, sans être trop isolé. En
raison du potentiel élevé d’agitation, la prudence s’impose : laisser la porte
ouverte et se tenir à côté, proposer au patient de s’asseoir, se tenir à une dis-
tance minimale d’un membre et avoir à proximité des membres de la sécurité ou
du moins pouvoir faire appel rapidement. Si le patient refuse de vous parler,
selon son état d’angoisse ou d’agitation, demander à un deuxième médecin de
faire l’entretien ou bien lui proposer un traitement immédiatement et faire l’éva-
luation plus tard. L’informer de toutes les démarches que vous faites, et deman-

196 ■ DÉTECTION PRÉCOCE DES TROUBLES PSYCHIATRIQUES : RÔLE DES URGENCES


URGENCES
2007
co-fondateurs
der sa permission avant de l’examiner ou de lui prendre les signes vitaux. Ne pas
oublier que l’expérience est probablement terrifiante pour le patient lui-même.

2.2.2. Examen clinique


L’anamnèse est l’élément le plus important dans l’évaluation du patient
présentant un premier épisode délirant. Un complément d’informations auprès
de sa famille ou partenaire, ou des services qui l’ont amené aux urgences, ainsi
qu’auprès de son médecin traitant, est très utile et à obtenir le plus rapidement
possible. Les renseignements les plus importants à obtenir sont la présence ou
non d’antécédents personnels et familiaux de troubles psychiatriques, les
antécédents médicaux et la prise de médicaments, la consommation de toxiques,
ainsi que la chronologie de l’apparition des troubles et la présence éventuelle
d’un événement « déclencheur ».
Le médecin ne manquera pas de noter la présentation générale du patient, son
niveau d’attention, la qualité du contact, son hygiène personnelle, la qualité
d’interaction dans la relation, le contact visuel, des odeurs ou haleine
particulières, des signes de transpiration ou de sécheresse de peau, le langage,
le niveau de conscience et les fonctions cognitives, en particulier la présence ou
non d’un état confusionnel.

2.2.3. Traitement en cas d’un patient agité, non coopérant ou menaçant


L’évaluation devra être ajustée aux circonstances. Si possible, les antécédents
seront recueillis auprès de l’entourage. L’examen physique, qui pourrait être mal
perçu par le patient, sera différé une fois qu’il aura été calmé.
En raison du risque élevé d’agitation et du niveau élevé d’anxiété du patient, il
est recommandé de proposer rapidement un traitement afin de permettre la
poursuite de l’évaluation. Le traitement sera d’abord proposé per os : une
benzodiazépine type lorazepam (Temesta®) ou clonazepam (Rivotril®) ou un
antipsychotique de deuxième génération, par exemple risperidone (Risperdal®)
ou olanzapine (Zyprexa®) à faible dose en première intention (8). Le but est que
le patient bénéficie d’un traitement lui procurant une tranquillisation efficace
avec un minimum d’effets secondaires et de sédation.
En cas de refus du traitement et d’agitation, un traitement doit être rapidement
donné dans des conditions de sécurité maximales pour le patient et pour les soi-
gnants, c’est-à-dire avec un nombre de soignants suffisant (9). Si nécessaire, une
contrainte physique sera mise en place, celle-ci sera motivée uniquement par un
souci de sécurité pour le patient ou pour les soignants/autres patients et devra
durer le temps minimum nécessaire, ce qui implique des réévaluations fréquen-
tes de l’indication. Elle ne sera pas mise en place sans traitement. Les traitements
possibles sont de la classe des benzodiazépines ou des neuroleptiques. Pour les
agitations d’étiologie inconnue, la loxapine (Loxapac®), associée ou non à une
benzodiazépine, est recommandée par la Conférence de consensus française (9).
Les Anglo-Saxons recommandent actuellement l’utilisation d’antipsychotiques

LE PREMIER ÉPISODE DÉLIRANT AUX URGENCES 197


URGENCES
2007
co-fondateurs
atypiques (en France il n’y a que l’olanzapine qui soit disponible en forme injec-
table) ou de benzodiazépine seule. Après le souci lié à la sécurité du patient, les
choix thérapeutiques doivent être faits dans le souci de créer une alliance théra-
peutique. Il faut aussi garder en mémoire le fait que l’utilisation de neurolepti-
ques classiques avec leur potentiel d’effets secondaires types antipyramidaux
peut être un obstacle pour une adhésion future au traitement en cas de mau-
vaise tolérance (10).

2.2.4. Examens spécialisés et complémentaires


Il n’y a aucun consensus international sur les examens nécessaires pour exclure
une origine physique à une symptomatologie psychiatrique (11). Un examen
physique guidé par l’histoire du patient ainsi qu’un examen neurologique sont
recommandés par tous. Certains éléments sont indicateurs d’une origine organi-
que (tableau 1).
Il est cependant généralement admis que, lors d’un premier épisode psychoti-
que, comparativement à une rechute chez un patient ayant des antécédents psy-
chiatriques, le bilan pratiqué doit être plus large, et le seuil de demande
d’examens relativement bas (12).
Une formule sanguine complète, une glycémie, un ionogramme sanguin incluant
la calcémie, une saturation artérielle en oxygène, un test de grossesse chez les
femmes en âge de procréer sont généralement recommandés avec, selon la
clinique, un test HIV et/ou sérologie syphilis. Les tests thyroïdiens doivent
idéalement être faits. La recherche de toxiques dans le sang et les urines est aussi
recommandée (12, 13).
La tomodensitométrie cérébrale (voir l’IRM cérébrale) fait aussi l’unanimité,
surtout, mais pas exclusivement, s’il y a des signes de traumatismes crâniens ou
des signes neurologiques focalisés, ainsi que chez les patients plus âgés, HIV
positifs, et sans antécédents familiaux de troubles.
L’EEG doit être fait si l’histoire clinique évoque une comitialité temporale. Il est
parfois difficile d’en faire le diagnostic car les épisodes psychotiques peuvent être
indépendants de l’activité comitiale et ne sont pas accompagnés d’une
confusion. De plus, le prodrome précédant la crise épileptique peut comprendre
une aura visuelle mimiquant des hallucinations visuelles.
Une ponction lombaire n’est recommandée qu’en cas de forte suspicion de
méningite.
Un ECG doit faire partie du bilan préalable en vue de l’administration possible
d’agents psychotropes pouvant provoquer des troubles du rythme. Les nouveaux
antipsychotiques sont concernés.

2.2.5. Examen psychiatrique


Une fois le bilan organique complété, l’examen psychiatrique pourra être effec-
tué. Le psychiatre recherchera les symptômes psychotiques, les mécanismes et

198 ■ DÉTECTION PRÉCOCE DES TROUBLES PSYCHIATRIQUES : RÔLE DES URGENCES


URGENCES
2007
co-fondateurs
thèmes du délire, les hallucinations et leur nature, ainsi que le retentissement
affectif, en particulier l’anxiété, l’humeur (les critères éventuels pour un épisode
manique ou dépressif), les idées suicidaires et le degré d’adhésion au délire. La
bouffée délirante, telle qu’elle est classiquement décrite, se caractérise par un
délire polymorphe, variable dans ses thèmes (toute puissance, filiation, persécu-
tion, influence) et ses mécanismes (hallucinations, illusions, interprétations, auto-
matisme mental), avec une réactivité affective importante et des fluctuations
thymiques rapides et intenses. Le degré d’adhésion est souvent important. Il peut
être accompagné de phénomènes de déréalisation et de dépersonnalisation (14).

Si le devenir du premier épisode délirant est impossible à prédire, certains signes


sont plutôt de bon ou de mauvais pronostic. Les éléments symptomatiques
suivants ont été identifiés comme des éléments pronostiques défavorables, c’est-
à-dire associés avec une évolution vers une schizophrénie : moindre intensité des
symptômes avec un monomorphisme ou une pauvreté, émoussement des
affects, attitude de retrait ou d’isolement, bizarreries du comportement,
discordance ou désorganisation de la pensée, apragmatisme. Une attitude de
retrait ou d’isolement, des difficultés de contact avec l’entourage, une mauvaise
insertion familiale, professionnelle ou scolaire rapportées par le patient ou son
entourage sont aussi des éléments de mauvais pronostic (15).

3. Traitement
Il est évident que, si une cause organique est retrouvée, celle-ci sera traitée dans
les meilleurs délais. Dans le cas d’une symptomatologie psychotique « pri-
maire », les recommandations internationales concordent pour affirmer que,
plus le traitement est précoce, meilleur est le pronostic, en particulier en cas
d’entrée dans un processus schizophrénique. Nombre d’auteurs ont publié
récemment, démontrant que la durée de la période de « psychose non traitée »
est défavorablement liée à l’évolution à long terme (9, 11, 16).

Il est donc recommandé d’initier un traitement spécifique aux urgences, en


choisissant en priorité un produit pour sa bonne tolérance, et en l’accompagnant
d’informations pour le sujet et l’entourage afin de maximiser l’adhésion et les
chances du sujet à poursuivre un traitement et un suivi spécifiques. Les premiers
épisodes psychotiques répondent plus favorablement au traitement et à des
doses plus faibles que d’éventuels épisodes ultérieurs (3).

Actuellement, les antipsychotiques, en raison de leur meilleure tolérance et du


plus faible risque de dyskinésie tardive qu’ils posent à long terme, sont préconi-
sés en première instance et à des posologies très faibles, par exemple rispéridone
2 mg/jour ou olanzapine 7,5-10 mg/jour (4, 15, 18). Ces posologies ne seront
généralement pas suffisantes pour améliorer les troubles du sommeil et du
comportement de la phase aiguë, raison pour laquelle l’association à un traite-
ment anxiolytique type benzodiazépine est recommandée (4). Quelle que soit

LE PREMIER ÉPISODE DÉLIRANT AUX URGENCES 199


URGENCES
2007
co-fondateurs
l’évolution finale de ce premier épisode, un traitement préventif d’un à deux ans
est recommandé (19).

4. Pronostic et évolution
La prudence diagnostique est de mise, l’évolution la plus défavorable, c’est-à-
dire vers une schizophrénie, étant l’exception plus que la règle. Même si certains
éléments sémiologiques permettent d’évoquer un pronostic, il n’y a que
l’évolution à moyen ou long terme qui donnera le diagnostic définitif.
L’évolution d’un premier épisode aigu se fait schématiquement :
– dans 25 % des cas vers une résolution complète et définitive ;
– dans 25 % des cas vers des récidives à plus ou moins long terme, chaque
accès ayant la même valeur qu’un épisode unique ;
– dans 50 % vers un trouble chronique dont un tiers de schizophrénie, un tiers
de psychoses non schizophréniques et un tiers de troubles bipolaires (17).

5. Orientation : hospitaliser ou ne pas hospitaliser ?


La question de l’hospitalisation se posera dès que la démarche diagnostique aura
abouti et que le patient sera stabilisé. L’hospitalisation s’impose en cas de
critères de dangerosité soit pour le patient, soit pour l’entourage. Si l’entourage
est défaillant ou trop dépassé par la crise, il sera également recommandé de
proposer une hospitalisation (7, 15, 18). Si nécessaire, la possibilité de faire une
hospitalisation sous contrainte sera évoquée.
En dehors des indications ci-dessus, les sociétés savantes recommandent un
traitement ambulatoire dès la sortie des urgences, celui-ci devant être organisé
rapidement et pouvoir assurer un niveau de soins d’une intensité suffisante. Il
aura l’avantage, outre celui de maintenir le patient dans son milieu habituel,
d’éviter le caractère potentiellement traumatique d’une hospitalisation dans un
cadre traditionnel (8, 19, 20). Si une hospitalisation doit se faire, elle sera
organisée préférentiellement dans un lieu séparant les jeunes patients des
patients « chroniques », le moins stigmatisant possible, et en impliquant le plus
possible l’entourage familial et amical afin de ne pas isoler le patient (21).
En pratique, à l’heure actuelle en France, une grande majorité des patients sont
hospitalisés en raison du manque de structures ambulatoires adéquates.

6. Information et soutien
Le patient et son entourage seront mieux armés et motivés à poursuivre un
traitement et un suivi si la prise en charge aux urgences s’est passée dans de
bonnes conditions. Les études confirment le haut niveau de détresse et de
désarroi que vit l’entourage dans ce moment de crise. Pourtant, ce dernier joue
et jouera un rôle majeur dans l’intégration du patient chez lui et dans son

200 ■ DÉTECTION PRÉCOCE DES TROUBLES PSYCHIATRIQUES : RÔLE DES URGENCES


URGENCES
2007
co-fondateurs
adhésion au traitement. Il est recommandé de soutenir cet entourage en
l’informant et en l’associant aux décisions thérapeutiques dans la mesure du
possible, surtout pour l’orientation. Une des caractéristiques difficiles à supporter
est l’incertitude de l’évolution et du diagnostic final qui sera porté à l’épisode
aigu. Un infirmier psychiatrique sera particulièrement bien placé pour jouer ce
rôle de soutien.

7. Conclusion
Tout comme l’état d’agitation auquel il peut être associé, le premier épisode
délirant doit faire l’objet d’un examen somatique par le médecin urgentiste en
premier intention afin d’éliminer une étiologie somatique, au potentiel grave. Au
domicile, le SAMU ou le SMUR sont souvent mobilisés et doivent accompagner
le patient au urgences pour effectuer le bilan. Ni l’urgentiste ni le psychiatre ne
devront négliger les possibilités d’une cause toxique. Si le patient se révèle
présenter un syndrome psychotique primaire, ce passage aux urgences sera
considéré comme l’opportunité d’initier un traitement à court et à moyen terme,
en tentant de créer une alliance thérapeutique. Le traitement sera initié le plus
rapidement possible, toujours dans l’optique de favoriser une poursuite des soins
après la sortie des urgences, quelle que soit l’évolution finale de l’épisode. En
effet, comme seule l’évolution clinique à moyen terme donnera le diagnostic
final à l’épisode aigu, un traitement d’au moins une année est recommandée.

Références bibliographiques
1. ICD-10. International Statistical Classification of Diseases. 10e édition. Genève :
WHO ; 1992.
2. American Psychiatric Association. DSM-IV. Diagnostic and statistical manual of men-
tal disorders. Fourth Edition. Washington DC : American Psychiatric Association
Press ; 1994.
3. Correl CU, Mendelowitz AJ. First psychotic episode – a window of opportunity.
Seize the moment to build a therapeutic alliance. Current Psychiatry Online 2003 ;
2 : 4.
4. International Early Psychosis Association Writing Group. International practice guide-
lines for early psychosis. Br J Psychiatry 2005 ; 187 Suppl l48 : 120-4.
5. American College of Emergency Physicians. Clinical policy for the initial approach to
patients presenting with altered mental status. Ann Emerg Med 1999 ; 33 : 251-80.
6. Schanzer BM, First MD, Dominguez B, et al. Diagnosing psychotic disorders in the
emergency department in the context of substance use. Psychiatric Serv 2006 ; 57 :
1468-73.
7. Caton CLM, Drake RE, Hasin DS, et al. Différence entre troubles psychotiques pri-
maires dans leur phase précoce accompagnés d’un usage concomitant de substance
toxique et psychoses induites par une substance. Arch Gen Psych 2005 ; 62 :
137-45.

LE PREMIER ÉPISODE DÉLIRANT AUX URGENCES 201


URGENCES
2007
co-fondateurs
8. American Psychiatric Association. Practice guidelines for the patient with schizo-
phrenia 2004.
9. Société francophone de médecine d’urgence. L’agitation en urgence (petit enfant
excepté). Recommandations du jury. Texte long. Conférence de consensus. JEUR
2003 ; 16 : 137-58.
10. Sturis I. Nursing intervention and the treatment of the acutely psychotic patient in
the emergency department. J Amer Psych Nurses Assoc 2002 ; 8 : S36-9.
11. Currier G, Allen MH, Serper MR, et al. Medical, psychiatric, and cognitive assess-
ment in the psychiatric emergency service. In : Allen MH. Emergency Psychiatry.
Washington DC, London : American Psychiatric Publishing Inc ; 2002. p. 35-74.
12. Williams ER, Shepherd SM. Medical clearance of psychiatric patients. Emerg Med
Clin North Am 2000 ; 18 (2) : 185-98.
13. Kelks N. The acutely psychotic patient. Assessment and initial management. Austra-
lian Family Physician 2006 ; 35 : 3 : 90-4.
14. Guelfi JD, Boyer P, Consoli S, Olivier-Martin R. Psychiatrie. Paris : Presses Universi-
taires de France ; 1987.
15. Daléry J. Les formes de début de la schizophrénie. Quelles sont les caractéristiques
cliniques permettant d’évoquer une schizophrénie lors de l’apparition d’un premier
épisode psychotique aigu ? In : Schizophrénies débutantes. Conférence de Consen-
sus. Fédération française de psychiatrie. John Libbey Eurotext 2003 : 9-17.
16. Norman RMG, Lewis SW. Duration of untreated psychosis and its relation to clinical
outcome. Br J Psychiatry 2005 ; 187 : 21-3.
17. Metzger JY, Dragoï A. Devenir des psychoses délirante aiguës. In : Confrontations
psychiatriques psychoses aiguës. Paris : Adventis ; 2002 : 43 : 133-60.
18. National Collaboration Centre for Mental Health. National Institute for Clinical
Excellence guidelines : Schizophrenia. London : The Royal College of Psychiatrists
and the British Psychological Society ; 2003.
19. Schizophrénies débutantes : recommandations du jury. In : Schizophrénies débu-
tantes. Conférence de Consensus. Fédération française de psychiatrie. John Libbey
Eurotext 2003.
20. McGorry P, Killackey E, Lambert M, Lambert T. Summary Australian and New Zea-
land clinical practice guideline for the treatment of schizophrenia. Australasian Psy-
chiatry 2003 ; 11 : 136-49.
21. Douki S, Taktak MJ, Ben Zineb S, et al. Les stratégies thérapeutiques face à un pre-
mier épisode psychotique. L’encéphale 1999 ; 15 suppl III : 44-51.

202 ■ DÉTECTION PRÉCOCE DES TROUBLES PSYCHIATRIQUES : RÔLE DES URGENCES

Vous aimerez peut-être aussi