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KRESLEY

COLE

MAFIA & SÉDUCTION – 1

Le professionnel

Traduction de l’anglais (États-Unis)


par Sylvie Del Cotto
Kresley COLE

Le professionnel

MAFIA & SÉDUCTION – 1


Collection : Love Addiction
Maison d’édition : J’ai lu

Traduction de l’anglais (États-Unis) par Sylvie Del Cotto

The Professional : Part 1 : Kresley Cole, 2013


The Professional : Part 2 : Kresley Cole, 2014
The Professional : Part 3 : Kresley Cole, 2014
Pour la traduction française :
© Éditions J’ai lu, 2017
Dépôt légal : décembre 2016

ISBN numérique : 9782290114506


ISBN du pdf web : 9782290114520

Le livre a été imprimé sous les références :


ISBN : 9782290139004
Présentation de l’éditeur :
Espérant retrouver la trace de ses parents biologiques, Natalie Porter engage un détective privé, dont elle demeure bientôt sans nouvelles. La
réponse à ses questions, c’est le troublant Aleksandr Sevastyan qui va la lui apporter. Chef de la mafia russe, tueur à gages professionnel,
Aleksandr a pour mission de l’escorter jusqu’à son père véritable. Son arrivée à Moscou éveille alors les convoitises les plus perfides. Mais le
petit jeu voluptueux qui s’installe entre Natalie et son impitoyable garde du corps n’est-il pas plus dangereux encore ?

Biographie de l’auteur :
Kresley Cole est une auteure de renom, connue pour ses romances paranormales, et a reçu deux RITA Awards. Avec sa série Mafia
& Séduction, elle se lance dans l’écriture de romance contemporaine sexy.

Couverture : © PeopleImages / Getty Images


The Professional : Part 1 : Kresley Cole, 2013
The Professional : Part 2 : Kresley Cole, 2014
The Professional : Part 3 : Kresley Cole, 2014

Pour la traduction française :


© Éditions J’ai lu, 2017

Kresley Cole
Diplômée d’un master d’anglais, ancienne athlète et coach sportif, elle s’est reconvertie dans l’écriture, où elle a pleinement trouvé sa voie et
une tout autre forme de célébrité. Récompensée à deux reprises par le prestigieux RITA Award pour sa célèbre série de romance
paranormale Les ombres de la nuit, elle est lue dans le monde entier. Vampires, Valkyries, loups-garous sont, entre autres, des créatures
qu’elle aime à faire vivre dans ses histoires sombres et sensuelles, toujours pimentées d’une pointe d’humour.
Du même auteur
aux Éditions J’ai lu

Dans la collection Crépuscule

LES OMBRES DE LA NUIT

1 – Morsure secrète (no 9215)


2 – La Valkyrie sans cœur (no 9314)
3 – Charmes (no 9390)
4 – Âme damnée (no 9554)
5 – Amour démoniaque (no 9615)
6 – Le baiser du roi démon (no 9714)
7 – Le plaisir d’un prince (no 9888)
8 – Le démon des ténèbres (no 10144)
9 – La prophétie du guerrier (no 10521)
10 – Lothaire (no 10709)
11 – MacRieve (no 10881)
12 – Sombre convoitise (no 11075)
13 – Poison éternel (no 11414)
La Convoitée et L’Intouchable (no 10228)

LES DACES

Le prince d’ombre (no 11192)

Dans la collection Aventures et Passions

LES FRÈRES MACCARRICK

1 – Si tu oses (no 10621)


2 – Si tu le désires (no 10704)
3 – Si tu me déçois (no 10791)

En semi-poche

CHRONIQUES DES ARCANES


1 – Princesse vénéneuse
2 – Le chevalier éternel
Ce livre est chaleureusement dédié
à Lauren McKenna,
mon éditrice hors pair.
Dix ans, trois genres, vingt-deux livres.
Je n’aurais jamais réussi sans vous.
« Si tu t’enfuis, je te rattraperai.
C’est mon métier. »
Aleksandr Sevastyan,
dit « Le Sibérien »,
homme de main de la Bratva,
ancien boxeur professionnel

« Je pars pour la Russie, sur un territoire dirigé


par des gangsters. Avec un homme de main
immoral plus brûlant que le soleil.
Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de grave ? »
Natalie Marie Porter,
étudiante en dernier cycle
Prologue
De : NataliePorter@huskers.unl.edu
Envoyé le : Samedi 2h51 PM
À : caseworker03@russian-ancestry-DNA.com
Objet : Le suspense a assez duré…
Cher monsieur Zironoff,
Désolée de vous contacter de nouveau, mais j’étais tellement contente d’apprendre que vous aviez découvert une possible
correspondance ADN le mois dernier. Ça fait six ans que je cherche mes parents biologiques, et j’aimerais beaucoup avoir de vos
nouvelles, même si la piste n’a pas abouti. J’ai essayé de vous joindre par téléphone mais votre messagerie est pleine. Je n’ai pas
les moyens de tout recommencer avec un autre détective. Pourriez-vous avoir la gentillesse de me répondre ?
Cordialement,
Natalie Porter

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De : NataliePorter@huskers.unl.edu
Envoyé le : mercredi 1h14 AM
À : caseworker03@russian-ancestry-DNA.com
OBJET : RÉPONSE EXIGÉE !
Cher Monsieur Zironoff,
Je commence à m’inquiéter, alors merci de me répondre cette fois. Vous m’avez donné beaucoup d’espoir, j’ai cru que j’allais
bientôt retrouver mes parents. Je peux vous envoyer mes dernières économies au besoin. Tout ce que vous voudrez.

Mais j’ai besoin que vous me répondiez.
Cordialement,
Natalie

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Envoyé le : jeudi 1h15 AM
À : NataliePorter@huskers.unl.edu
OBJET : Message non délivré
L’adresse suivante a échoué : caseworker03@russian-ancestry-DNA.com
Boîte de réception PLEINE
1

— Problèmes avec sa mère. Infidèle compulsif. Aucun sens de l’humour. Éjaculateur précoce.
Dès qu’un garçon entrait dans le bar du campus, je partageais ma première impression avec mes
copines éméchées.
J’avais le coup pour évaluer les mecs – j’étais une « manalyste » au quotidien. Mon secret ? Repérer
la faille, et je mettais toujours dans le mille.
Autour de la table, les filles – plusieurs amies de ma colocataire et deux des miennes – me
regardaient comme si j’étais un pitre, leur amuseur de foire. Avec moi, on buvait tout le temps à l’œil.
Après la semaine que je venais de passer, remplir mon ventre vide de sel, de tequila et de citron vert
me faisait tourner la tête.
Jessica, ma meilleure amie, s’est penchée vers moi.
— Méfie-toi, à force de faire la difficile, tu vas emporter ta virginité dans la tombe. Comme une
verrue, a-t-elle chuchoté.
Mieux que personne, elle savait que je ne la donnerais pas à n’importe qui – et pourquoi.
— Ça, c’est un coup bas, Jess, ai-je répondu posément.
L’une comme l’autre, il en fallait beaucoup pour nous froisser. Rien que pour ça, nous étions les
colocataires idéales.
Sinon, nous étions le jour et la nuit. Elle, toute en jambes, le teint mat, des yeux bleus pétillants et des
cheveux noirs courts, et moi, la petite avec une grosse poitrine et une longue chevelure rousse encadrant
un visage au teint de porcelaine.
Accro au travail et aux études, je visais un doctorat d’histoire. Après des années de tâtonnements,
Jess avait fini par emprunter la voie de son option du lycée – arts du loisir –, arguant que l’université
était une « arnaque pour paumés ». Entre deux semestres, elle partait en voyage le lendemain dans les îles
grecques, avec sa famille pleine aux as.

Une nouvelle tournée de tequila est arrivée, cette fois de la part d’un trio d’étudiants appartenant à
une fraternité, installés à quelques tables de nous. Nous avons levé nos verres, puis nous avons
consciencieusement léché, tapé et avalé. La tequila, pas les garçons.
Certaines femmes auraient vu en ces crétins au charme superficiel des potes potentiels, voire
d’amusants coups d’une nuit. Pour ma part, ce n’étaient que des promesses de migraines. Leurs phrases
d’accroche faciles m’ennuyaient à mourir.
À ma décharge, je n’ai pas toujours été comme ça.
— Nat, on attend ton verdict sur les étudiants ! a crié notre copine Polly.
Originaire du Nebraska, elle avait le physique d’une fille de ferme venue de la campagne de Lincoln,
à quelques kilomètres de celle de ma famille. Enfin, de notre ancienne ferme puisque ma mère l’avait
vendue l’an dernier.

— Trop facile, ai-je bougonné, ayant déjà évalué le trio.
Le premier suivait les résultats sportifs à la télé tout en donnant des petits coups avec sa jambe. Le
deuxième, une épave, était dans un état d’ébriété qui exaspérait même ses amis. Le troisième, habillé et
coiffé avec un soin frisant le fanatisme, ne cessait de vérifier son apparence dans le miroir derrière le
comptoir.
— De gauche à droite, d’accord ? Joueur invétéré, soûlard assidu et… comment dire ? Le troisième
est mal monté.
J’ai soupiré. Eh oui, trop facile. Ça n’avait plus rien de drôle. Je me trouvais dans le bar de Lincoln
où j’allais régulièrement, avec les mêmes personnes que d’habitude. Demain, je prenais mon service de
bonne heure dans un restaurant, et plus tard dans un autre, et lundi j’avais des cours à donner et d’autres à
prendre. Ces dernières semaines, je plafonnais à cinq heures de sommeil par nuit en moyenne. Qu’est-ce
que je faisais ici ?
Je dormirai quand je serai morte, probablement.
— J’ai choisi ma proie de la soirée, a déclaré la belle Jess. Le Mal-monté est pour moi.
Fidèle à elle-même, elle en conquerrait un et rentrerait chez lui. De cette façon, elle pouvait partir
dès qu’elle n’avait plus rien à en tirer.
— C’est le genre qui compense ses défauts de fabrication avec sa bouche. Croyez-en mon expérience,
a-t-elle expliqué.
— Fais gaffe, ma belle, ai-je dit, ou tu vas te retrouver avec un admirateur de plus collé à toi comme
un chewing-gum sous une semelle.
— C’est pas de ma faute si c’est le Triangle des Bermudes, s’est-elle défendue en indiquant son
entrejambe. Quand les hommes s’aventurent par ici, ils ont tendance à s’attarder.
Je me suis tapoté le menton.
— Tiens, j’ai cru que tu voulais dire que tu engloutissais tous les marins de passage.
Elle a pouffé de rire.
— Pas faux !
Maintenant, nous pouvions en rire, mais j’avais assisté aux suites de ses aventures : des cadeaux
désespérés, des appels téléphoniques dans la nuit, des garçons qui l’espionnaient et la suivaient…
À quoi bon toutes ces tragédies ? Toutes ces angoisses ? Fréquenter, aimer, coucher, on accordait trop
d’importance à tout ça. Dès que j’essayais de l’expliquer à Jess, elle me répondait avec un sourire
cachottier.
— Un jour, un homme t’éblouira. J’espère seulement être là pour voir ça.
Quand les rires se sont taris, Polly a indiqué la porte d’un geste vague.
— Et lui ?
— D’accord.
Expirant d’ennui – mérite tes verres, la comique de service – je me suis tournée vers l’entrée. Et là,
j’ai découvert le type le plus manifestement infréquentable que je n’avais jamais vu.
Ses yeux, d’un vert doré pétillant, ressortaient sous ses épais cheveux noirs. Il les portait mi-longs,
les pointes titillant son encolure. Son nez grec avait probablement été cassé, et une fine cicatrice courait
en travers de ses lèvres. Un bagarreur ?
Pourtant, ça ne collait pas avec ses vêtements luxueux : un manteau noir et une chemise taillés sur
mesure, un pantalon gris foncé, des chaussures et une ceinture en cuir noir. Avec Jess, j’en savais assez
sur la mode pour reconnaître un tissu de qualité quand j’en voyais un. Sa tenue devait coûter plus cher que
toute ma garde-robe.
Pendant qu’il commandait un verre au comptoir, j’ai noté ses bagues, trois à une main, une au pouce
de l’autre main, et un tatouage peu commun qui ressortait de son col raide comme la justice. Son style
était un mélange de privilégié et de loubard des rues.
Il était grand, élancé mais musclé, et faisait à peine trente ans même s’il avait le visage soucieux d’un
homme plus âgé. Avec ses traits taillés à la serpe, il était d’une beauté brute sans être classique.
Une certaine lassitude émanait de lui, mais il semblait également en alerte constante. Bizarre. Mon
manalyste s’embrouillait. Ça ne collait pas !
Je sentais mes amies m’observer, mais j’étais à court de mots.
— Je… je ne reçois rien.
Était-il un fauteur de troubles, un riche play-boy ou bien les deux ? Je devinais aussi quelques touches
européennes, ainsi que de vifs dangers sous-jacents.
Il m’évoquait un livre d’histoire rédigé dans une langue inconnue. Fascinant.
Jess m’a pincé la taille, reportant mon attention sur son sourire satisfait.
— Tu peux refermer la bouche, cochonne. (Sur un ton condescendant, elle a ajouté :) Bienvenue dans
mon monde, celui où les premières rencontres se déroulent au ralenti et la chanson « Enfin toi » joue en
boucle.
Ah, non merci ! Pas d’angoisses et de surmenage pour moi. Alors pourquoi mon regard s’était-il
reporté sur lui ? Jess ne me laisserait pas tranquille sur ce coup-là.
— Pas facile, celui-là, hein ? Dans le genre croisement entre le boxeur et le top model. Il doit toutes
les faire tomber comme des mouches. Mais avec l’attention que tu lui accordes, ça le rend rare et
merveilleux, il est un peu comme la licorne du bar. Ça mérite une enquête approfondie, tu crois pas ?
Je pouvais toujours aller l’interroger, l’étudier, et classer l’affaire. J’étais assez ivre pour
l’envisager.
— Tu penses que je devrais aller me présenter ?
Elle a hoché la tête.
— À moins que tu ne sois complètement cruche. Allez, fonce la tête haute, tu es mignonne à croquer
ce soir.
Le style de Jess était SEXY GLAM ! Et le mien ? Plutôt « On me prend comme je suis ou on peut
m’oublier ». Mais ce soir, je portais une jupe en daim qui épousait mes hanches et un joli haut rouge –
l’un des vêtements de Jess en avance sur la mode, coupé court. Pour une fois, mon soutien-gorge mettait
ma poitrine en valeur.
J’avais mis cette tenue parce que mes vêtements habituels – jean et col roulé – se trouvaient dans la
pile de linge sale qui débordait du panier. Je portais les bottes noires que Jess m’avait offertes pour lui
montrer que j’appréciais son cadeau.
Je me suis levée, recoiffée et j’ai tiré sur ma jupe, invitant Jess à me donner une tape
d’encouragement sur les fesses. En passant devant leur table, le mal-monté et le soûlard ont levé leur
verre dans ma direction, stimulant ma confiance en moi.
J’étais à mi-chemin du Dur à cuire quand il a posé son regard sur moi. Son regard s’est enflammé, et
la salle m’a immédiatement semblé plus petite, plus chaude. J’ai résisté à l’envie de m’éventer. Pour la
première fois de ma vie, je me sentais légèrement… émoustillée.
Quand je me suis glissée à côté de lui, il s’est franchement tourné vers moi. De près, il était encore
plus intimidant, encore plus séduisant. Plus grand aussi.
Ses yeux envoûtants avaient la couleur de l’ambre, ses iris étaient cernés de noir.
Tout en remarquant d’autres détails – cicatrices sur les phalanges, doigts tatoués sous les bagues,
mâchoire carrée et joues fraîchement rasées – je percevais la chaleur qui émanait de sa carrure
imposante. Puis j’ai senti son parfum pour la première fois.
Frais, masculin, entêtant.
Dis quelque chose, Nat. J’ai dû lever la tête pour le regarder.
— Euh, salut, je m’appelle Natalie.
Je lui ai tendu la main. Il l’a ignorée. D’accord… j’ai dégluti.
— Je peux vous offrir un verre ?
Avait-il commandé une vodka avec glace ? Il n’était pas du genre à boire du whisky soda.
Il a penché la tête pour m’observer – de la même manière que j’examinais les hommes. Sans un mot.
Peut-être qu’il ne parlait pas anglais. Les étudiants étrangers étaient nombreux à fréquenter l’université
locale.
— Boire ? ai-je dit en montrant son verre auquel il n’avait pas touché et mimant une gorgée.
Devant son air impassible, j’avais l’impression de parler à un mur. Le feu aux joues, j’ai marmonné.
— Bon, c’était sympa. On a bien discuté, mon pote.
Avec un sourire mortifié, j’ai tourné les talons… Une main rugueuse m’a prise par le coude, ses
bagues froides rencontrant ma peau. Le contact était si électrique que j’en ai frissonné.
— Attendez, a-t-il dit.
Avais-je perçu une pointe d’accent ? Mon cœur a bondi dans ma poitrine. Il est peut-être… russe. Je
me suis retournée avec un sourire sincère.
— Seriez-vous russe ? Zdrav-stvooi-tee.
Bonjour.
Il me tenait toujours par le coude. Comment sa main pouvait-elle être aussi chaude ? J’ai repoussé
l’idée qu’elle se pose sur d’autres parties de mon corps, diffusant leur chaleur sur…
— Alors comme ça, vous parlez ma langue ?
Bingo ! Un Russe !
— Un peu, ai-je répondu avec ravissement. (Je pouvais lui poser des questions sur son pays, en
apprendre plus sur ma terre natale !) J’ai pris deux ou trois cours.
Ou cinq. Ma maîtrise imposait la pratique courante d’une seconde langue vivante, et j’avais choisi le
russe.
Son regard a erré dans la salle. Sur ses gardes, il semblait craindre qu’on le frappe à tout instant. Il a
croisé mon regard.
— Parmi tous les hommes présents dans ce bar, c’est vers moi que vous êtes venue ? (Son anglais
était très bon, malgré un fort accent.) Vous cherchez les ennuis ?
Avec une assurance forcée, j’ai répondu d’une voix taquine.
— Peut-être bien.
Ma voix était essoufflée – je n’avais pas repris ma respiration depuis qu’il avait posé la main sur
moi.
— Et j’en ai, des ennuis ?
Il a baissé les yeux, surpris de me tenir toujours par le bras. Furieux, il m’a brusquement lâché le
bras.
— Non, mon chou. Vous n’en avez pas.
L’air désabusé, il a pivoté sur lui-même et quitté le bar.
J’ai fixé la porte, en proie à la stupéfaction.
Qu’est-ce qui lui prenait ? J’avais bien senti que je l’intéressais !
Et pourtant, il avait réagi comme un vampire face à un fichu rayon de soleil.
2

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu l’as mordu ? Tu as froissé sa virilité ? Fais-moi sentir ton haleine. »
J’étais restée au bar le temps que les filles me taquinent, parce que c’était mérité et que j’étais une
chic fille. En général, j’essayais de ne pas me prendre au sérieux – après tout, je me qualifiais de
« manalyste ». Ma devise : tourner en dérision tous ceux qui se la jouent.
Quelques verres plus tard, j’avais fait mes adieux et, titubante, je m’étais mise en route vers chez
nous, à cinq rues de là.
Les étudiants étaient sortis en masse pour relâcher la pression avant les examens de fin de semestre.
C’était une fraîche nuit d’automne dominée par la pleine lune. J’ai resserré les pans de ma veste sur moi.
À l’approche de la moisson, l’odeur du maïs mûr embaumait l’air – pour une fille de la ferme comme
moi, c’était une période excitante.
Mélancolique, j’ai suivi du regard un couple, main dans la main. Même si je n’avais aucune tolérance
envers les hommes et les histoires de cœur dramatiques, je n’aurais pas dit non à un hiver dans les bras
chauds de quelqu’un.
À quelqu’un qui remarque que j’ai les mains froides et qui les réchauffe entre les siennes.
Ne pense pas au Russe, ne pense pas…
Trop tard. Je m’imaginais mal traverser gaiement le campus avec un type dans son genre. Pourtant, il
y avait un truc avec lui.
Je me suis soudain sentie observée. Me passant la main dans la nuque, j’ai jeté un œil autour de moi.
Rien à signaler, hormis des étudiants envahissant les rues, entrant et sortant des bars bondés.
Probablement un effet de la tequila. Ou du stress, après cette semaine surchargée. En termes de
sécurité, la seule menace du campus était sa morosité ambiante.
Rejetant mon malaise, j’ai pêché mon téléphone dans mon sac pour vérifier mes e-mails. Rien de
Zironoff. Je commençais à croire que mon détective privé m’avait roulée. Ce ne serait pas le premier à
m’arnaquer. Venais-je de gaspiller une année de pourboires avec cet enfoiré ?
Dans un e-mail, ma mère s’inquiétait que je travaille trop. Si jamais elle découvrait ma démarche,
elle le prendrait personnellement, et nous n’avions pas besoin d’un nouveau sujet de conflit.
Arrivée devant chez moi, j’ai remonté l’allée qui serpentait dans notre jardin. Nous partagions un joli
petit pavillon des années 1950, propriété des parents de Jess. Elle l’appelait le Baisodrome, parfaite
indication de son niveau de maturité.
Je suis entrée et j’ai enlevé ma veste en me dirigeant vers la cuisine. Une boisson énergisante glacée,
ma méthode secrète pour éviter la gueule de bois, m’attendait.
Quand un bruit m’est parvenu de l’avant de la maison, j’ai poussé un cri d’ivrogne.
— Jess, c’est toi ? Tu es déjà là ? Qu’est-ce que tu fais ?
Pour une fois, elle avait peut-être décidé de rentrer seule ? Nous allions pouvoir compatir l’une pour
l‘autre.
Faute de réponse, j’ai haussé les épaules. Le Baisodrome émettait plus de craquements et de
grincements qu’un film porno.
J’ai refermé le frigo. La moitié de la porte était recouverte de photos sur papier glacé découpées dans
les magazines de mode de Jess. Ma moitié était décorée de cartes postales. Elle les envoyait de toutes les
destinations exotiques qu’elle visitait à chaque congé. Malgré les invitations répétées de sa famille et mes
rêves de voyage, je travaillais constamment. Je n’avais jamais quitté le Midwest.
Je n’avais jamais vu la mer, encore moins la tour Eiffel.
Si on m’avait donné un dollar à chaque fois que je contemplais ces cartes en me promettant « un
jour… », je n’aurais pas besoin de combiner trois boulots.
Après avoir avalé ma dose de boisson énergisante, je me suis dirigée vers ma chambre en nouant mes
cheveux sur le dessus de ma tête avant de prendre un bain. Un instant plus tard, je m’adossais dans la
baignoire entourée de vapeur quand, à travers mon état d’ébriété, j’étais frappée par une nouvelle
déception.
Pour la première fois, j’avais abordé un homme. Mon premier râteau. Maintenant, j’avais des raisons
de me demander comment les hommes faisaient pour continuer à draguer, malgré le risque d’être rejeté.
J’ai repensé à tous ceux que j’avais repoussés : avais-je zigouillé leur audace et, indirectement, leurs
charmes ?
Une question me taraudait : pourquoi ce Russe était furieux ? Et qu’est-ce qui, chez moi, l’avait
rebuté à ce point ? Je n’étais pas une reine de beauté comme Jess, mais dès que je montrais un bout de
sein, je suscitais un certain intérêt de la part des garçons.
Intriguée, j’ai passé les mains sur mes jambes. Elles étaient musclées par toutes les heures que je
passais debout à servir dans les restaurants, tout comme mes bras qui portaient les plateaux.
Mes mains ont longé mes hanches. Je devais admettre qu’elles étaient larges mais j’avais la taille
fine. Et mes seins ? Assez gros, ils rebondissaient sous l’eau, et les bouts de la couleur du corail
pointaient à l’air libre. J’avais affiché mes atouts ce soir, et ce Russe ne les avait même pas remarqués.
Si jamais je lui avais plu, qu’aurais-je ressenti quand ses mains brutales auraient malaxé ma
poitrine ? À cette idée, j’ai été submergée par un tel désir que j’en restais hébétée. Mes tétons se sont
durcis davantage. Quand le clapotis de l’eau les frôlait, mon souffle se coupait.
Je lui avais parlé moins de deux minutes, je l’avais vu à peine dix minutes et il me faisait autant
d’effet ?
Qu’il aille au diable ! Il pouvait me dédaigner autant qu’il voulait, mais pas m’empêcher de
fantasmer. Tout en me répétant Va te faire foutre, le Russe, j’ai glissé ma main entre mes cuisses en
visualisant ses épaules larges, sa mâchoire carrée, sa bouche. Ses yeux dorés aux paupières mi-closes.
Même dans l’eau, je sentais mon sexe mouiller. Mon index a longé mes lèvres, les a écartées. Mon
clitoris gonflé était ultra-sensible.
Soupirant de désir, j’ai commencé à me caresser par petits cercles. J’ai fermé les yeux, mes genoux
se sont écartés pour se caler contre les parois de la baignoire. De ma main libre, j’ai pétri mes seins,
passant le pouce sur mes tétons dressés.
J’ai hésité à aller chercher l’un de mes fidèles vibromasseurs sous mon lit. Mais tandis que
j’imaginais le Russe couvrir ma poitrine de baisers tout en me dévorant de son regard de braise, j’ai
décidé que je pouvais me passer de mon jouet.
Aucun homme ne s’était jamais aventuré entre mes cuisses mais j’imaginais sans peine la tête brune
du Russe plonger à cet endroit pour me lécher. Après une nouvelle caresse, je me suis mise à onduler
dans l’eau en haletant. Ses lèvres seraient fermes sur ma peau brûlante pendant qu’il me dévorerait
fougueusement. Il me voudrait de plus en plus mouillée, et je me plierais à ses envies.
Dans ce fantasme, mon clito excité ne pulsait pas sous mon doigt mais sous sa langue avide.
Proche de l’orgasme, mon corps s’est crispé comme s’il se ramassait sur lui-même, comme une étoile
sur le point d’exploser. De ma paume ouverte, j’ai caressé mes mamelons tendus, provoquant une
nouvelle décharge exaltante. J’allais jouir, encore une ou deux autres caresses… Je me suis forcée à
ouvrir les yeux pour regarder mon corps se tortiller, emporté par le plaisir. Du coin de l’œil, à travers la
buée, j’ai cru voir le Russe…
Dans l’encadrement de la porte, il me couvait de son regard pénétrant.
Son torse large se soulevait, ses dents mordillaient sa lèvre.
Tendu comme s’il s’apprêtait à me sauter dessus.
J’ai plissé les yeux pour le distinguer à travers la vapeur. C’était sûrement le fruit de mon esprit
embrouillé. Avais-je autant bu que ça ? Les orteils recourbés, j’étais toute proche de la jouissance. Alors
que, dans mon imagination, je croisais son regard envoûtant, mon doigt a sournoisement décidé
d’effleurer une dernière fois mon clito de cette manière qui me faisait frémir.
Il a expiré d’un coup sec, ses grandes mains s’ouvrant et se refermant en rythme. À son expression, il
me menaçait de me sortir de l’eau pour me dévorer par petits bouts.
Il semblait si près, mais… il était réellement dans l’embrasure de ma salle de bains !
Le Russe était entré chez moi par effraction et m’épiait. Sale pervers !
Je me suis redressée d’un bond, prête à hurler mais il ne m’en a pas laissé le temps.
— Couvrez-vous, Natalie, a-t-il dit durement, sourcils froncés. Nous devons parler.
Il s’est éloigné en jurant en russe.
Me couvrir ? Parler ?
Les tueurs en série qui traquent les filles la nuit ne disent pas ça !
Déconcertée, je n’arrivais même pas à crier. Ma bouche remuait mais aucun mot n’en sortait. J’ai
maladroitement enjambé la baignoire en attrapant une serviette que j’ai nouée autour de moi. Malgré la
confusion, j’ai retenu mon souffle au moment où le tissu éponge a effleuré ma poitrine.
J’ai rapidement cherché une arme des yeux, saisi le couvercle du réservoir des toilettes, et l’ai porté
sur mon épaule à la façon d’une batte de base-ball. En sécurité dans la salle de bains, j’ai crié :
— Je ne sais pas ce que vous faites chez moi, mais vous devez partir tout de suite. Sinon j’appelle
les flics !
— C’est votre père qui m’envoie, a-t-il répondu depuis la chambre.
J’ai chancelé, mon arme de fortune glissant le long de mon épaule. D’après son accent russe – et la
chronologie des événements – il devait s’agir de mon père biologique.
— Mon père est mort il y a six ans, ai-je tout de même rétorqué.
— Je ne parle pas de celui-là, vous le savez très bien.
Sans réfléchir, j’ai demandé :
— Que savez-vous à son sujet ? Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous entré par effraction ?
— Entré par effraction ? a-t-il répété en soufflant de manière exaspérée. Vous gardez une clé sous un
caillou en plastique. N’importe qui l’aurait trouvée, a-t-il ajouté sur le ton de la réprimande. Votre père
est un homme très important – et riche. Il m’a désigné pour être votre nouveau garde du corps.
— Mon garde du corps ? Pourquoi en aurais-je besoin ?
— Tous ceux qui sont issus d’une famille dont la fortune dépasse les dix chiffres (j’ai étouffé un cri)
ont besoin d’être protégés.
— Vous voulez dire qu’il est… milliardaire ?
Il se moquait de moi ? Ou alors c’était peut-être en roubles.
— Exact. Il s’appelle Pavel Kovalev. Il a découvert votre existence très récemment, par
l’intermédiaire de votre détective privé.
Maintenant, je connaissais le nom de mon père.
Au départ, c’était ma curiosité maladive qui m’avait poussée à chercher mes parents biologiques.
Puis je m’étais dit que je la tenais peut-être d’eux.
Après cela, j’avais imaginé un couple d’une bonne quarantaine d’années, rempli d’interrogations à
propos de cet enfant qu’ils avaient confié à un orphelinat russe vingt-quatre ans plus tôt. Cela m’avait
incitée à prendre un emploi supplémentaire pour continuer à creuser cette piste. De cette façon, je ne
cherchais pas seulement dans mon propre intérêt ; c’était aussi pour leur bien.
Mais à l’écouter, il ignorait mon existence. J’ai froncé les sourcils.
— Mon détective ? Zironoff ? Il n’a répondu ni à mes e-mails ni à mes appels téléphoniques.
— On lui a fait savoir que nous nous chargions personnellement de la suite.
— Ah.
Merci de m’avoir tenue au courant, abruti. Au moins, cette fois, je ne m’étais pas fait avoir. Non,
j’avais même… atteint mon but.
Au bout de six années de recherches.
J’ai vacillé sous le coup du choc et des restes de tequila. J’ai replacé le couvercle du réservoir des
toilettes avant qu’il ne me tombe sur la tête comme une enclume de dessin animé.
— Si vous êtes mon garde du corps, pourquoi m’avez-vous espionnée dans mon bain ?
Je me suis emparée de mon peignoir rose et l’ai prestement troqué contre ma serviette.
Silence absolu. Prise de panique, j’ai craint que cet homme – une nouvelle source de réponses qui
ravivait ma curiosité – ait disparu aussi rapidement qu’il était venu.
— Vous êtes là ?
En essayant d’oublier que mon peignoir était trop court – et qu’il m’avait surprise au mauvais
moment – j’ai passé la tête dans la chambre ; aucun signe de lui. Je me suis avancée prudemment.
— Vous n’avez pas répondu à ma question. Hé, que faites-vous dans mon placard ?
Il est sorti de mon dressing.
— Où est votre valise ?
— Quel est le rapport ?
Je ne possédais pas de valise. En quittant le domicile familial, j’avais entassé mes affaires dans des
panières à linge et des cartons.
Son regard s’est attardé sur mon peignoir, puis sur certaines parties de mon anatomie. Se
ressaisissant, il a empoigné mon sac d’étudiante, et déversé mes livres sur le sol. L’histoire de la
sexualité, Les limites d’Éros, Une épine dans la chair.
— Eh, le Russe, qu’est-ce que vous fichez ?
S’il avait remarqué les titres – mon domaine d’études était l’histoire des femmes et du genre – il n’a
pas paru troublé.
Il m’a lancé le sac vide que j’ai maladroitement rattrapé.
— N’emportez que le strict nécessaire. Tout le reste vous sera fourni.
Ahurie, j’ai considéré mon sac et relevé les yeux.
— Je ne ferai rien tant que vous ne m’aurez pas dit où je suis supposée aller, et pourquoi ça ne peut
pas attendre demain. Pour autant que je sache, vous pourriez être trafiquant d’esclaves !
— Et je m’y prendrais de cette façon, à votre avis ?
Il a expiré avec une sorte d’impatience mêlée de surprise, comme si personne n’avait osé le
contrarier avant moi – comme s’il avait déjà joué ce scénario à cent autres filles et que chacune avait
docilement préparé ses bagages.
— Je m’appelle Aleksandr Sevastyan. Appelez-moi Sevastyan.
Sébastien avec un v, en quelque sorte.
— Je travaille pour votre père depuis toujours. Kovalev a hâte de vous rencontrer. Je ne l’avais
jamais vu aussi impatient, a-t-il ajouté comme à lui-même.
— Qu’est-ce qui prouve que je suis sa fille ? Zironoff a pu se tromper.
— Nyet, a-t-il protesté de manière catégorique. Vous avez donné votre ADN. Kovalev avait déjà fait
analyser le sien. Il n’y a pas d’erreur.
— Puisqu’il a tellement hâte de me rencontrer, pourquoi n’est-il pas venu en personne ? Pourquoi ne
pas me téléphoner, tout simplement ?
— Je le répète, c’est un homme très important en Russie, et en ce moment, il est retenu par des
affaires dont il est le seul à pouvoir s’occuper. Il me fait entièrement confiance.
Sevastyan s’est rapproché de la fenêtre, a jeté un œil entre les lamelles du store avec la même
méfiance qu’au bar.
— Si vous préparez vos affaires et prenez l’avion avec moi, il vous rejoindra dans sa propriété des
environs de Moscou dans moins de quatorze heures. C’est le souhait de votre père – et je l’exaucerai.
Ma manalyse était peut-être faussée, mais mon détecteur de mensonges n’avait rien à signaler. Contre
toute attente, je commençais à le croire.
La réalité s’imposait peu à peu.
— Mais je travaille demain.
Sauf que je n’avais plus besoin de travailler autant si mes recherches avaient abouti.
— Et j’ai cours !
À peine avais-je terminé ma phrase que je me suis sentie idiote. Qu’est-ce que ce Russe tatoué et
dominateur pouvait comprendre à l’importance des études ? Il devait bien s’en moquer.
À ma surprise, il a dit :
— Vos études sont importantes pour vous. Nous le comprenons, mais votre père veut que vous partiez
en Russie maintenant. Pas le mois prochain ni même la semaine prochaine. Vous partez ce soir.
— Il obtient toujours ce qu’il veut ?
— À tous les coups. (Il a vérifié l’heure à sa montre luxueuse.) Notre avion décolle dans une heure.
Je vous expliquerai tout sur le chemin de l’aéroport.
L’aéroport ? Un avion ? Moi qui n’avais jamais pris l’avion, je pouvais atterrir en Russie dans moins
d’une journée. Ne pense pas aux cartes postales, ne pense pas…
Même Jess n’était jamais allée en Russie !
J’ai redressé le dos.
— Mais pourquoi se presser ? Et grande nouvelle, je n’ai pas de passeport ! Comment vais-je entrer
en Russie ?
— Je vais m’arranger, ce n’est pas un problème.
Sevastyan a éteint ma lampe de chevet, plongeant la chambre dans la pénombre.
— Je ne vois pas comment faire sans !
J’ai lancé un œil à ses tatouages, ses doigts marqués par des cicatrices et le doute m’a assaillie. Non,
impossible…
— Ça vous fait beaucoup de choses à assimiler d’un coup. Mais tout est différent pour vous
maintenant, Natalie. Certaines règles… ne s’appliquent plus.
J’ai carré les épaules.
— Ça ne suffit…
— Je vais aller à l’essentiel, m’a-t-il interrompue. Je quitte cette maison dans cinq minutes. Vous
pouvez venir avec moi habillée et votre bagage prêt, ou partir dans ce petit peignoir (son regard perçant
m’a enveloppée, s’attardant sur mes seins tendus sous la soie) sur mon épaule. À vous de choisir.
Son ton et son attitude ne laissaient aucun doute sur ses intentions. M’enlever. Ce garde du corps d’un
milliardaire en roubles allait accomplir sa mission, point final. J’ai tout de même osé poser une autre
question.
— Comment se fait-il que vous n’ayez pas mentionné ma mère ?
Quand il a plissé les yeux, j’ai de nouveau eu l’impression que peu de personnes avaient osé le
défier.
— Quatre minutes.
J’ai croisé les bras sur ma poitrine.
— Je ne peux pas vous suivre comme ça, Sevastyan. J’ai besoin de réponses.
— Je promets de vous les fournir sur le chemin.
Pire scénario possible : si je n’appréciais pas ses explications, je pouvais lui échapper à l’aéroport
et courir me réfugier dans les bras d’un agent de sécurité.
Sevastyan est venu se placer devant moi. La lumière tamisée adoucissait ses traits presque trop
masculins. Sa mâchoire carrée et son nez droit légèrement dévié lui donnaient un air espiègle. Mais
globalement, il était terriblement attirant, d’autant plus qu’il dégageait un sentiment de danger.
— Il va falloir me faire confiance, petite, a-t-il dit en me prenant délicatement par le menton.
À son contact, une vague de chaleur m’a donné le vertige. Je me suis rassurée en me disant que c’était
dû à l’alcool, ou que la fatigue me rattrapait. Ou alors que c’était dû à l’orgasme avorté dans le bain.
— Vous savez que je n’ai pas l’intention de vous faire de mal, a-t-il murmuré. Sinon, j’aurais pu
rester avec vous au bar, et vous emmener dans un petit coin tranquille. (Mon souffle s’est accéléré.) Vous
seriez partie avec moi ?
Sans hésiter.
Il s’est penché pour ajouter à mon oreille.
— Natalya. Vous m’auriez suivi n’importe où.
— Euh… hmmm…
J’essayais toujours de me remettre de la sonorité de mon nom accentué de tonalités râpeuses quand
j’ai senti son haleine chaude. Ses lèvres avaient effleuré mon oreille. Si son musc et sa chaleur me
bouleversaient, son souffle sur ma peau faisait trembler mes jambes.
Impassible, il s’est redressé.
— Alors arrêtez de faire semblant d’hésiter.
— P… pardon ?
— Vous vous êtes décidée à l’instant où vous avez entendu les mots Russie, père et avion.
Il a pincé les lèvres, faisant blanchir sa fine cicatrice.
— Ce n’est pas vrai…
— Le temps est écoulé, mon chou.
Il s’est baissé pour passer un bras sous mes fesses, et m’a hissée sur son épaule comme un sac de
pommes de terre.
3

— Posez-moi ! Vous n’avez pas le droit ! ai-je hurlé en me tortillant sur l’épaule de l’homme de
Neandertal qui franchissait la porte de ma maison. L’air frais s’est engouffré sous mon peignoir,
refroidissant des parties de mon intimité rarement exposées. Il a tenu mes fesses d’une main plus ferme.
— C’est pourtant ce que je suis en train de faire, a-t-il répondu avec naturel, la respiration régulière.
J’ai continué à me tordre dans tous les sens, même si c’était vain.
— Posez-moi, s’il vous plaît. Nous allons retourner à l’intérieur – tu parles, je vais m’enfuir – et je
ferai ma valise, comme vous l’avez dit.
Trois passants descendaient le trottoir, des types massifs sans cou, habillés de blousons d’étudiants.
Des joueurs de l’équipe de football américain de l’université ! Bouche bée, ils se sont arrêtés.
La tête à l’envers, le sang battait dans mes tempes. J’ai ouvert la bouche pour appeler à l’aide – puis
j’ai hésité. Croyais-je Sevastyan ? Étais-je confrontée à un garde du corps autoritaire et arrogant ou me
faisais-je kidnapper ? Si je criais, les bouledogues lui casseraient la figure, et ça ne m’aiderait pas à me
rendre en Russie.
J’ai été privée de cette décision, tout comme de la précédente. Sevastyan s’est tourné face à eux en
secouant lentement la tête. Son expression a suffi à convaincre les armoires à glace de changer de
direction.
Pendant qu’ils détalaient, je tambourinais le dos de Sevastyan avec mes poings. Stupéfaite, j’ai
touché un holster. Il était armé ! À peine remise de cette révélation, il me déposait sans délicatesse sur le
siège avant d’une élégante Mercedes.
Il a refermé la portière, j’ai saisi la poignée mais il avait déjà enclenché la sécurité à distance.
À travers la vitre de sa portière, il m’a lancé un regard d’avertissement. Il savait qu’il devait
déverrouiller les portières pour monter en voiture, et que ce serait l’occasion de m’échapper. Un peu
comme on débloque un niveau dans un jeu vidéo. Je n’avais plus qu’à synchroniser nos gestes, et faire
preuve de bons réflexes…
Merde ! Il a ouvert sa portière, et enclenché le verrouillage automatique avant que je n’aie ouvert la
mienne.
Son corps imposant s’est glissé dans l’habitacle.
— J’espère que vous aurez plus de chances la prochaine fois.
— C’est du kidnapping !
— Vous connaissez mes intentions. Je vous ai laissé du temps. (Il a démarré et a rejoint la route.)
Comprenez-moi bien, Natalie, je fais exactement tout ce que je dis. Toujours.
Il a enchaîné les virages avec souplesse, comme s’il connaissait aussi bien cette ville que moi.
— Et là, je vous dis que je vous emmène auprès de votre père, en Russie.
— Comment pensez-vous me faire franchir les contrôles de sécurité de l’aéroport dans cette tenue ?
(J’ai indiqué mon peignoir d’un geste vague.) Je n’ai même pas mon sac à main !
— Nous partons d’un aéroport privé. À l’atterrissage à Moscou, on vous apportera des vêtements
neufs dans le jet.
Des nouveaux vêtements ? Un jet ? Sérieusement ?
Son regard s’est posé sur mes jambes, mes cuisses à moitié dénudées. Ce seul regard m’a fait rougir.
Malgré moi, j’ai revu sa façon de me mater dans le bain.
Un prédateur affamé lorgnant sa proie.
Comme si j’étais déjà capturée, prête à être dégustée. J’ai frémi.
— Vous avez froid ? Vous avez l’air… glacée.
Glacée ? Parce que mes tétons pointaient ? D’accord, j’avais froid mais j’accusais aussi le
contrecoup de ma tentative de masturbation. Être au bord de l’orgasme, plongée dans les méandres du
plaisir…
En un sens, j’étais dans le même état en cet instant. Tendue, perdue, la peau picotant sous l’effet de sa
proximité et de ses regards.
Comme je ne répondais pas, il a allumé le chauffage. L’air chaud a soufflé sur ma poitrine et ses
pointes ultrasensibles. J’ai failli pousser un petit cri en sentant le siège se réchauffer sous mes fesses.
Dans l’espace étroit de l’habitacle, son parfum enivrant m’est parvenu plus nettement.
Les stimulations s’enchaînaient. Avait-il remarqué que je frémissais ?
— Attachez votre ceinture, a-t-il ordonné au moment de nous engager sur l’autoroute, la voiture
montant à cent trente km/h.
Son ton ne me plaisait pas du tout. Il me rappelait les ordres qu’on me donnait sans cesse quand je
travaillais comme serveuse.
— Sinon quoi ? (J’ai plissé les yeux.) J’ai rêvé, ou vous m’avez appelée « mon chou » tout à
l’heure ?
— Quand je vous dis de faire quelque chose, c’est dans votre intérêt d’obéir, mon chou.
Sans prévenir, il a tendu le bras devant moi et bouclé ma ceinture, frottant brutalement son avant-bras
sur mes seins et m’enivrant de son parfum. Je me suis trémoussée sur le siège chaud, sidérée par son
arrogance.
Je me suis rappelé la fois où j’avais été verbalisée pour ébriété sur la voie publique après un match
de football américain. Je m’étais exhortée intérieurement à me ressaisir, à recouvrer mes esprits afin de
convaincre le policier d’annuler la lourde amende. Arrête de glousser, Nat, et réponds au gentil agent !
Ne l’appelle pas « monsieur le lopicier », imbécile. Ne touche pas son badge tout brillant, ne… ça
suffit, Nat !
Je me sentais dans le même état : sous influence.
Sevastyan me perturbait d’une manière irrépressible. Je subissais une attirance déconcertante, une
connexion inexplicable.
Et ça avait beau être une très mauvaise idée, je continuais à vouloir toucher son badge – d’une façon
métaphorique, bien sûr.
Non, je devais me concentrer sur les informations que je voulais obtenir de sa part.
— Vous tenez toujours vos promesses, Sevastyan ?
— Envers vous et votre père seulement.
— Vous avez promis de me donner des réponses.
Il a serré le volant, ses bagues sexy creusant le cuir.
— Quand nous serons dans l’avion.
— Pourquoi pas maintenant ? J’ai besoin d’en savoir plus sur mes parents.
Sans daigner répondre, il contrôlait le rétroviseur, aux aguets.
Je me suis souvenue de sa façon de vérifier la rue à travers le store de ma chambre.
— D’où vient cette paranoïa ? Nous sommes à Lincoln, dans le Nebraska. Il ne s’est jamais rien
passé de plus inquiétant que l’enlèvement d’une étudiante innocente, en peignoir, par un salopard russe.
Sur le compteur, la vitesse ne cessait de grimper.
— Est-ce que… nous sommes suivis ?
Nouveau coup d’œil dans le rétroviseur.
— Pas à cet instant précis.
— Ce qui sous-entend que nous l’avons été à un moment donné – ou que nous le serons plus tard ?
(Ça dépassait l’entendement.) Suis-je en danger, d’une manière ou d’une autre ?
Mes questions à propos de mes parents s’évanouissaient à mesure que des menaces immédiates
surgissaient.
— Un enlèvement contre rançon est toujours à craindre, a-t-il répondu de mauvais gré.
J’ai plissé les yeux.
— J’ai du mal à y croire. On dirait que vous évoquez un problème chronique, ou théorique. Pourtant,
vous être entré chez moi par effraction et vous avez exigé que l’on parte dans les cinq minutes, ce qui
évoque plutôt un problème concret et pressant. Alors que s’est-il passé entre le moment où je vous ai vu
dans le bar et celui où vous êtes entré chez moi ?
Regard en biais.
— Je vois que vous êtes aussi maligne que votre père.
— Répondez-moi. Que s’est-il passé ?
— Kovalev m’a donné l’ordre de vous mettre dans l’avion. Donc c’est sans appel.
Une pensée m’a soudain traversé l’esprit.
— Depuis combien de temps êtes-vous mon garde du corps, Sevastyan ?
— Pas longtemps, a-t-il dit évasivement.
— C’est-à-dire ?
Il a haussé les épaules.
— Un peu plus d’un mois.
Et je ne m’étais rendu compte de rien.
— Vous m’avez suivie partout ? Depuis tout ce temps, vous m’observez ?
Un muscle de sa mâchoire s’est crispé.
— Je veillais sur vous.
Dans ce cas, il me connaissait mieux que je ne le pensais. Qu’est-ce qu’un homme comme lui pouvait
penser de moi ? Il a quitté l’autoroute à une sortie obscure.
— Attendez ! ai-je crié. Où allons-nous ? Il n’y a pas d’aéroport par là. Même pas pour les sociétés
privées.
— J’ai dû faire préparer un nouveau point de départ.
Nouveau ? Je m’étais promis de me réfugier dans les bras d’un agent de sécurité si ses réponses me
déplaisaient. Je n’avais obtenu aucune réponse, et maintenant, je doutais sérieusement de trouver refuge
auprès d’un quelconque agent.
Au bout de quelques kilomètres, il a bifurqué vers un chemin de terre qui coupait un champ de maïs
en deux. Nous avons longuement roulé avant que j’aperçoive une clairière devant nous, et ce qui
ressemblait à une piste de décollage pour les avions qui pulvérisaient les récoltes. À une extrémité, un jet
attendait, ses faisceaux lumineux clignotant, ses moteurs diffusant de la chaleur dans l’air de la nuit.
Prêt à m’emmener en Russie. C’était… réel.
Sevastyan s’est garé non loin du jet, mais n’a pas ouvert sa portière.
— Je comprends votre inquiétude, a-t-il dit d’une voix radoucie. Je répondrai à toutes vos
interrogations quand nous aurons décollé. Mais vous devez me croire, Natalie, vous ne regretterez pas de
m’avoir suivi. Vous allez beaucoup aimer votre nouvelle vie.
— Nouvelle vie ? ai-je bafouillé. Qu’est-ce que vous racontez ? Il se trouve que j’aime ma vie
actuelle.
— Vraiment, mon chou ? Vous l’avez cherché, a dit Sevastyan. Longuement. Quelque chose vous y
poussait.
J’ai détourné le regard à défaut d’être en mesure de protester.
— Vous n’aurez plus jamais besoin de travailler, vous allez pouvoir acheter tout ce que vous voulez.
Voyager dans le monde entier, visiter tous ces lieux que l’on voit sur les cartes postales qui sont
accrochées sur votre réfrigérateur.
Mon rêve.
— Ça fait beaucoup de changements, et je n’aime pas prendre de décisions hâtives.
— Est-ce que ça vous rassurerait de savoir que Kovalev est un homme bon, et qu’il veut rattraper
toutes les années perdues avec vous ?
— Si nos rôles étaient inversés, franchiriez-vous le pas ?
Il a hoché la tête sans hésiter. Comme je devais toujours ne pas avoir l’air convaincue, il a ajouté :
— Quand j’ai commencé à travailler pour l’organisation de Kovalev, j’étais certain que ma vie serait
meilleure s’il en faisait partie. Je n’ai jamais regretté mon choix.
Contrarié, il a lancé :
— Restez là.
Il est descendu de voiture et a rejoint l’avion en quelques longues enjambées. Le pilote – un grand
blond musclé en uniforme – l’a rejoint au pied de l’escalier. Ils ont échangé quelques mots avec
animation, en faisant de grands gestes. J’ai saisi les rythmes de la langue russe, mais les vrombissements
des moteurs m’empêchaient de comprendre leurs propos.
Par habitude, j’ai examiné l’homme et noté que sa ceinture usée était plus serrée d’un cran qu’à son
habitude, et que ses chaussures étaient soigneusement cirées. Maladie récente ? Tendance dépressive ?
Puis sur ses mains, les mêmes tatouages que sur les doigts de Sevastyan.
Ce détail a renforcé ma suspicion. J’avais suffisamment étudié tous les aspects de ma terre d’origine
pour avoir quelques connaissances sur la Russkaya Mafiya, et notamment qu’ils appréciaient ce genre de
tatouages.
Honnêtement, était-il possible qu’un milliardaire implanté dans cette région du monde ne soit pas lié
au crime organisé d’une manière ou d’une autre ? Sans compter que Sevastyan m’avait enlevée avec
l’intention de me faire entrer dans le pays sans passeport. Comment réussir ce tour de force sans glisser
quelques pots-de-vin aux autorités ?
Avais-je travaillé dur, sacrifié tant et mené mille recherches pour finalement me lier à un gangster ?
Pendant que le pilote déchargeait sa colère, mes pensées affluaient.
Puis, sans un mot, Sevastyan a fait un pas menaçant ; le pilote a reculé en levant les mains.
En un seul pas, il avait effrayé ce pilote au physique massif. Peut-être que Sevastyan aurait pu
affronter ces trois sportifs. Il était dangereux.
Et il voulait m’entraîner dans son monde.
Fie-toi à la logique, Nat. Si Kovalev était un mafieux, rien de bon ne pourrait naître d’un départ
précipité en pleine nuit à destination de ma terre natale.
Me sentais-je en danger ? Peut-être. Avais-je suffisamment confiance en Sevastyan pour me sentir
protégée ? Pas plus que je n’avais confiance en moi-même.
À ce moment-là, j’ai pris la décision de décliner la proposition de « nouvelle vie » qu’un homme
étrange à l’autre bout du monde avait envisagée pour moi. Si Kovalev voulait me parler, il n’avait qu’à
prendre le téléphone !
Et Sevastyan ? J’éprouvais toujours cette attirance stupéfiante envers lui, cette étrange connexion.
Mais je devais l’ignorer.
J’ai profité qu’il était occupé pour entrouvrir ma portière et me faufiler à l’extérieur. J’ai resserré les
pans de mon peignoir autour de moi tout en me rapprochant prudemment du champ de maïs.
Naturellement, la nuit où j’avais besoin d’échapper à la mafia, la lune était aussi brillante qu’un
projecteur. Au moins, le champ m’offrait une bonne couverture. À la veille des tornades, les tiges étaient
hautes et denses, les feuilles développées.
J’y étais presque. Mon souffle formait des nuages de buée. Presque…
— Natalie, a hurlé Sevastyan, ne courez pas !
Je me suis élancée à toute vitesse, m’enfonçant entre les rangées de tiges.
4

Les feuilles de maïs me fouettaient le visage et s’accrochaient dans mes cheveux. Mes pieds nus
frappaient la terre meuble.
Combien d’avance avais-je réussi à prendre ? Se rapprochait-il déjà de moi ?
— Arrêtez-vous, Natalie !
J’ai laissé un cri s’échapper. Mon Dieu, il était rapide ! Si avant je me faisais l’impression d’être une
proie, maintenant j’en étais bel et bien une. Il me pourchassait, décidé à me capturer ! J’ai poussé plus
fort sur mes jambes, accélérant ma course…
Je courais maintenant à un rythme effréné. Il s’est élancé vers moi et m’a saisie par la taille. Au
dernier instant, il a pivoté sur lui-même pour parer à la chute tout en nous faisant retomber sur le dos, sur
des épis de maïs.
— Salopard ! Lâchez-moi !
Je me suis débattue mais ça revenait à s’acharner sur un étau en acier.
Sans me laisser le temps de réagir, il m’a plaquée sur le dos, sur une couche de feuilles.
— Laissez-moi !
J’ai tambouriné son torse de mes poings.
Imposant et furieux, il a calé ses hanches entre mes jambes, immobilisant mes poignets d’une seule
main.
— Ne m’échappez plus jamais.
La lune brillait au-dessus de lui, soulignant les traits crispés de son visage. Il semblait se débattre
contre sa colère en faisant appel à un contrôle de soi inébranlable.
— Lâchez-moi !
Malgré les odeurs familières de terre et de récoltes et le froid, j’ai perçu son parfum : agressif et
d’une virilité brute. Sa chemise s’était ouverte dans l’action, et je voyais sa peau, le coin d’un tatouage
dépassant du tissu.
— Sevastyan, lâchez-moi. S’il vous plaît.
À ces mots, il a légèrement desserré les doigts.
— Je ne veux pas vous faire de mal, a-t-il dit d’une voix rauque. Seulement vous protéger.
Il se passait tant de choses derrière ce masque neutre, et je parvenais à en déchiffrer si peu.
Sous le clair de lune, ses pommettes saillantes projetaient des ombres sur ses joues creuses. Ses
cheveux mi-longs brillaient comme les plumes d’un corbeau, leurs pointes retombant sur sa mâchoire. Ils
ondulaient d’une manière qui m’hypnotisait presque.
— Vous devez rester avec moi, a-t-il articulé, le regard fixé sur mes lèvres, sourcils froncés.
Il avait l’air de lutter contre l’envie de m’embrasser.
M’embrasser ? Quoi ? La confusion a commencé à l’emporter sur la panique. Je n’avais aucun point
de comparaison pour m’aider à sortir de cette impasse, parce que je ne m’étais jamais retrouvée dans une
situation similaire.
Une situation chargée de désir qui échappait à mon contrôle.
J’étais entraînée dans une histoire dangereuse avec un mystérieux inconnu, et pourtant je n’éprouvais
aucune peur. Seulement… de l’impatience. Et je me soupçonnais de souffrir d’un manque de contrôle.
Est-ce que le danger m’excitait ? La tension entre nous a semblé évoluer alors que, avec la fluidité
d’un moteur qui passe à la vitesse supérieure, mon trouble s’est changé en chaleur embrumée. J’ignorais
être capable de ça ! Qui suis-je ?
Baissant les yeux, j’ai reluqué la bosse qui se dessinait sur son pantalon. Je ne le laissais pas
indifférent ! Il m’avait peut-être rejetée dans le bar, mais il ne pouvait pas dissimuler l’érection qui
exigeait d’être libérée.
Devant cette image, l’excitation a embrouillé mes pensées comme des volutes de fumée s’immisçant
dans ma tête. Je savais que le désir faisait perdre ses repères et, en cet instant, j’en faisais l’expérience.
— Sevastyan ?
Notre connexion m’a frappée, un mélange de désir et de besoin.
— Qu’attendez-vous de moi ?
Pas de réponse. Je n’entendais que nos respirations.
Dans cette position, il pouvait ouvrir sa braguette et me pénétrer d’un coup, me plaquant sur le sol de
tout son corps. Des animaux dans la boue.
Lui. En moi. Ici.
Cette seule idée faisait vibrer mon corps d’un besoin si violent que je redoutais de le laisser me faire
tout ce qu’il souhaitait. La virulence de mon excitation me mettait encore plus sur les nerfs que toute cette
situation. Je n’avais aucun contrôle avec lui, je devais m’enfuir !
J’ai fermement secoué la tête.
— Vous allez me lâcher. Tout de suite.
Sous son emprise, je me suis tortillée pour lui échapper, enfonçant mes talons nus dans le sol pour me
dégager. J’ai à peine libéré un pied.
Il me regardait comme si j’étais folle de le défier. Alors pourquoi n’avais-je pas peur de lui ? En
réalité, j’étais furieuse – contre lui, contre mon corps incontrôlable. J’ai de nouveau poussé sur mon
talon en me propulsant en arrière.
De sa main libre, il a saisi mon poignet et m’a ramenée sous lui, me forçant à écarter davantage les
cuisses.
Il a baissé les yeux, les a écarquillés avant de les plisser attentivement.
Quand j’ai senti l’air froid entre mes jambes, j’ai remarqué que mon peignoir s’était ouvert à la
ceinture. À partir de la taille, ma nudité était exposée. Ma toison rousse tranchait sur ma peau blanche
luisante sous le halo de la lune.
J’étais trop stupéfaite pour réagir, paralysée par son regard. Ses paupières sont devenues lourdes, ses
narines ont frémi. Son torse large peinait à s’emplir d’oxygène. Je n’avais aucun moyen de cacher mon
intimité. J’ai tordu les bras pour libérer mes poignets – jusqu’à ce que je voie son expression.
Sombre, affamée, excitée. Dangereuse. Encore une fois, je me suis sentie comme une proie qu’il
n’avait plus qu’à déguster.
Ma fureur s’évanouissait. Quand je me suis détendue sous lui, il a imperceptiblement hoché la tête
comme s’il était satisfait, et sa main libre s’est posée sur ma hanche nue. Peau contre peau. Il a gémi. Sa
main diffusait sur ma peau une chaleur électrique qui me faisait frissonner. N’avais-je pas imaginé ses
mains viriles malaxant chaque partie de mon corps ?
Tremblante, j’ai regardé son pouce bagué quitter ma hanche pour s’aventurer vers mon bas-ventre. Il
a longé mes boucles du bout du doigt. Son geste était tellement inattendu, tendre, que je n’ai pas pu
m’empêcher de gémir.
Il me touchait avec… respect.
Son contrôle infaillible avait disparu. Au lieu de ça, il semblait perdu.
Probablement autant que moi, en cet instant.
Son membre a bougé dans son pantalon, attirant ainsi mon attention. À la vue de sa longue érection,
mon sexe s’est crispé de désir.
— Sevastyan ? ai-je murmuré en ondulant le bassin. Qu’est-ce que vous me faites ?
Envoûtée, j’étais en proie à un sentiment de vide et de désespoir.
Pour la seconde fois de la soirée, je filais droit vers l’orgasme.
Toujours fasciné par mon sexe, il a articulé d’une voix éraillée quelques mots en russe, sur le fait que
je ne pouvais pas m’attendre à ce qu’il se voile la face. Que personne ne devait exiger qu’il se refuse ça.
Je n’avais jamais été aussi troublée de toute ma vie.
— Vous… vous allez m’embrasser ?
Avec un accent plus marqué que précédemment, il a répondu :
— Vous aimeriez qu’un homme dans mon genre vous embrasse ?
La bague de son pouce a scintillé quand il a esquissé une caresse paresseuse.
Bonne question. La réponse a jailli sans que je m’en rende compte.
— On peut toujours essayer.
— Vous croyez que je m’arrêterais à un baiser ?
— Vous supposez que c’est ce que je voudrais ?
Ma réponse a semblé le ramener à la raison. Comme sous l’effet d’une brûlure, il a éloigné ses mains
d’un air dégoûté.
— Couvrez-vous, m’a-t-il exhorté une nouvelle fois.
Il était aussi furieux que moi un peu plus tôt, sans que je sache pourquoi.
J’ai tiré sur les pans de mon peignoir pendant qu’il se remettait sur ses pieds.
Quand il m’a pris la main et a tiré sur mon bras pour m’aider à me relever, j’ai recouvré mes esprits
– comme si la Natalie que je connaissais depuis toujours avait décidé de nous rejoindre.
Quelle mouche m’avait piquée ? J’ai rajusté mon peignoir d’une main tremblante. J’avais laissé cet
homme, cet inconnu, me toucher, allant jusqu’à rouler des hanches pour en réclamer davantage.
S’il avait tenté de me pénétrer sur le sol, je l’aurais… sûrement laissé faire.
Tenant mon bras d’une main ferme, il m’a tirée à sa suite.
— Si vous essayez encore de m’échapper, je vous rattraperai. Voilà ce que je ferai.
(Il m’a regardée droit dans les yeux.) Et ensuite, je vous allongerai sur mes genoux et je fouetterai vos
fesses rebondies jusqu’à ce que vous compreniez la leçon.
J’ai titubé, mais il m’a traînée plus loin. Tout en avançant, il a jeté un regard vers mes seins qui
rebondissaient.
Seins nus sous la soie. Un fantasme incarné.
— Je ne m’enfuirai pas si vous ne me forcez pas la main ! Je ne veux pas partir avec vous. Je sais ce
que vous êtes. Vous êtes de la mafiya. Donc mon père aussi.
Nie-le. Moque-toi de moi.
Sevastyan a serré les dents et a accéléré le pas.
Sans démentir. Mon père, cet homme, ce pilote, ils étaient tous mafieux.
— Vous ne pouvez pas m’obliger à aller le voir… Aïe !
Une douleur aiguë m’a transpercé le pied. J’avais marché sur des ronces.
Sans ralentir le pas, il m’a soulevée comme si j’étais aussi légère qu’une plume.
Je n’avais pas d’autre choix que de passer les bras autour de son cou.
— Attendez… je ne veux pas me retrouver coincée dans ce genre d’histoire !
Ma bouche n’était qu’à quelques centimètres de son cou, de sa pomme d’Adam qui rebondissait.
J’absorbais sa chaleur, je sentais les battements de son cœur. Même s’il ne courait plus, son rythme
cardiaque s’est nettement accéléré lorsque j’ai murmuré :
— Sevastyan, s’il vous plaît.
— Vous êtes déjà coincée, a-t-il dit sur le ton d’une condamnation.
Nous avons émergé du champ.
— Pozhaluista, nyet, ai-je murmuré dans un élan de désespoir.
S’il vous plaît, non.
— Natalya, je ne vous laisserai pas partir. Je ne peux pas. Vous devez vous faire une raison.
En nous voyant approcher, le pilote a haussé les sourcils à mon intention. J’imaginais sans mal ce
qu’il s’imaginait. J’étais dans les bras de Sevastyan, les cheveux emmêlés, les mamelons dressés.
Devant le sourire en coin du blond, Sevastyan a lancé en russe :
— Tu reluques sa fille ? Je devrais lui donner tes yeux pour ça.
Le pilote a dégluti tandis que je retenais un cri d’horreur. Dans un moment de clarté, j’ai compris que
Sevastyan était capable de commettre un acte aussi barbare.
Me tenant toujours dans les bras, il a monté les marches. Merde, non ! Pas ça.
Le pilote nous a suivis, et a appuyé sur un bouton pour fermer la porte extérieure. Le temps qu’il
s’installe dans le poste de pilotage, la porte s’était refermée dans un sifflement.
J’étais piégée.
5

Tandis que Sevastyan me déposait sur l’un des quelques sièges, je cherchais désespérément mes
mots, rendue muette par l’ahurissement et la fureur. Il m’avait obligée à monter dans cet avion contre ma
volonté. Il me kidnappait.
J’aurais aimé lui dire « vous n’allez pas vous en tirer comme ça », ou même « vous paierez pour ce
que vous me faites ». Mais je pressentais que ce ne seraient que deux mensonges.
— Nous partons, a-t-il annoncé d’une voix neutre. Attachez votre ceinture.
Malgré ma colère noire, cette fois, je ne comptais pas protester. Dans mon esprit, un jet privé était
l’équivalent d’un bébé avion. Et cette piste d’atterrissage pour avions pulvérisateurs n’était-elle pas
particulièrement courte ? Je ne connaissais absolument rien en pilotage, mais il y avait de quoi
s’interroger.
Tremblante, tout en m’attachant dans mon siège, j’ai examiné l’intérieur luxueux. Douze sièges, un
canapé douillet, un grand écran, une console média, et une table extensible. L’équipement était constitué
de bois poli.
La mafia exige le meilleur dans tous les domaines.
En alerte, Sevastyan regardait par le hublot. Je me suis demandé comment il serait s’il se détendait.
Assis, peut-être ?
— Je suis en danger. C’est exact ?
Sans quitter la nuit du regard, il a haussé les épaules avec détachement. J’ai pris ça pour un oui.
Avant que je n’aie pu creuser, les moteurs se sont bruyamment emballés. J’ai serré les accoudoirs comme
si ma vie en dépendait, mes ongles s’enfonçant dans le cuir tendre. Quand nous avons commencé à rouler,
je me suis surprise à dire à Sevastyan :
— C’est la première fois que je prends l’avion.
Notre vitesse a augmenté si rapidement que j’étais plaquée dans mon siège. Le jet filait sur la piste.
Au-dehors, le champ de maïs défilait en accéléré. Sevastyan a finalement pris un siège sur le canapé, en
face de moi.
— Mais j’ai déjà pris le train.
Il a étendu son bras sur le dossier du canapé.
— C’est la même chose.
— Vous rigolez ?
— Pas d’humeur, mon chou, a-t-il répondu, l’air sombre.
— Il faut vraiment que vous arrêtiez de m’appeler…
Le nez de l’avion se soulevait ! J’ai fermé les yeux.
Mais il a décollé avec une fluidité étonnante. Quand la pression s’est relâchée et que j’ai compris que
nous étions dans les airs, j’ai prudemment rouvert les yeux et débouché mes oreilles. Peu à peu, j’ai
détendu les doigts autour des accoudoirs.
Plusieurs points attiraient mon attention. Je voulais en même temps regarder disparaître les lumières
de Lincoln, la pleine lune au bout de l’aile droite, et Sevastyan qui essayait de se détendre.
Mon mystérieux compagnon l’a emporté. Il a étendu ses longues jambes devant lui et fait rouler sa
tête sur le côté. Plus tôt, il avait reboutonné sa chemise. Manifestement, la folie qui s’était emparée de
nous dans le champ avait disparu.
Une fois que l’avion a atteint sa vitesse de croisière, les lumières de la cabine se sont tamisées, me
rappelant que j’étais séquestrée par un homme plus grand que nature – qui m’avait en outre épinglée au
sol et tripotée quelques minutes plus tôt.
Alors que j’ouvrais la bouche pour demander des explications, il m’a devancée.
— Comme promis, je vais répondre à vos questions. Mais vous devez vous rafraîchir avant cela.
J’ai suivi son regard fixé sur mes cheveux, et mes doigts ont trouvé une feuille. J’ai baissé les yeux et
découvert mes jambes sales et mes pieds nus. J’étais rarement embarrassée, mais là j’avais les joues en
feu.
— Il y a des douches dans les deux suites.
Menton redressé, j’ai détaché ma ceinture, je me suis levée avec un air indifférent et dirigée vers
l’arrière.
— Quand je reviens, préparez-vous à un interrogatoire, ai-je lancé par-dessus mon épaule.
— Je ne bouge pas, Natalie, a-t-il répondu sèchement.

Un quart d’heure plus tard, je suis revenue dans la cabine principale propre, sobre, et vêtue d’une
chemise de Sevastyan.
Après une douche dans un vaste espace en marbre bien fourni en produits de toilettes raffinés, j’étais
retournée dans la chambre pour détailler mon peignoir déchiré. Le dos ressemblait à une œuvre d’art
moderne, une palette de verts, de jaunes et de noirs. Et elle embaumait le maïs, une odeur douce et
entêtante. Immettable.
J’avais examiné la suite et remarqué un bagage de luxe. Celui de Sevastyan. Puisqu’il ne s’était pas
gêné pour m’enlever, je pouvais bien lui emprunter des vêtements. J’avais frissonné en enfilant sa
chemise amidonnée et en m’enveloppant dans son odeur nette, le vêtement me couvrant du cou jusqu’au-
dessus du genou.
Rien ne faisait barrage entre ma peau et le tissu, si bien que ça ne m’a pas étonnée que l’excitation
m’emporte de nouveau. Sous la douche, ma peau était hyper sensible…
Maintenant, Sevastyan me déshabillait du regard, de la tête aux pieds, avec l’air de ne pas y croire.
Je me suis renfrognée à mon tour. J’avais tout prévu.
— Je vous l’emprunte le temps d’avoir les vêtements neufs que vous m’avez promis, d’accord ?
Quand je me suis assise en face de lui, il s’est pincé l’arête du nez.
— Mal à la tête à cause de la pression ?
— On peut dire ça, a-t-il répondu sans me regarder.
— Je n’imagine pas la pression que vous devez ressentir, ai-je dit en toute sincérité. Ça vous arrive
souvent d’enlever des gens ?
Regard noir.
— Ma question est justifiée, sachant que vous et mon père trempez dans le crime organisé.
Sans se laisser décontenancer, il a rétorqué :
— Pourquoi persistez-vous à croire ça ?
— Vos tatouages. Ceux du pilote. J’ai fait suffisamment de recherches sur votre pays pour savoir deux
ou trois trucs sur la Russkaya Mafiya et leur amour du tatouage. Ce serait de loin la pire conclusion de
ma longue recherche. (Je me suis tapoté le menton en réfléchissant.) Et pourtant totalement dans l’esprit
de la malchance qui me poursuit ces dernières semaines…
— Ce serait pire que de ne jamais rencontrer Kovalev ? a demandé Sevastyan avec un certain
agacement. Vous parlez de sujets que vous ne comprenez pas, jeune fille. Mais ça va venir…
6

— Des sujets que je ne comprends pas ? Comme le crime ?


Regard fixe et dur.
— Oh, mon Dieu, c’est vraiment un mafieux.
Cette idée m’a donné mal au cœur. Pourquoi avais-je loué les services de ce détective ? Mon père
biologique était un gangster.
— Dans quoi m’avez-vous embarquée ?
— Vous avez voulu le retrouver, a rétorqué Sevastyan.
— Vous n’êtes pas vraiment garde du corps, hein ? Vous êtes probablement son… son quoi ? Son
tueur à gages professionnel ? Son homme de main ? (J’ai eu un rire nerveux.) C’est pour ça que vous avez
des cicatrices sur les phalanges – c’est à force de battre des gens à mort, hein ? Et dans quels genres
d’affaires Kovalev est-il impliqué au juste ? (J’ai cédé à l’emportement.) Une guerre de territoire contre
un gang rival ?
Il en fallait beaucoup pour m’énerver mais quand je perdais mon sang-froid, ça faisait mal. Devant
son silence, j’en ai conclu que j’avais mis dans le mille. Une guerre des clans. Ma destination.
— Vous avez fini ? a-t-il demandé au bout d’un instant.
— Dites-moi.
— Votre père fait partie de la Bratva, la fraternité. C’est une sorte d’aristocratie criminelle. Il en est
le vor v zakone, le chef de l’organisation, celui qui ne reçoit d’ordres de personne.
La fierté qui perçait dans sa voix a renforcé ma nausée.
— Alors ça fait de moi une putain de princesse de la mafiya ? C’est pour cette raison que je suis en
danger, n’est-ce pas ?
— Votre père est engagé dans des conflits. Ses adversaires aimeraient beaucoup le renverser. Un
autre vor qui pourrait s’en prendre à vous pour affaiblir Kovalev. Ou se servir de vous pour faire
pression sur lui.
— Une fois de plus, ça ressemble à un problème chronique.
Sevastyan m’a dévisagée comme s’il cherchait les mots justes.
— Quand j’ai quitté le bar, j’ai appris que deux hommes très dangereux avaient décollé de Moscou
quelques heures plus tôt, en direction des États-Unis – envoyés par l’ennemi le plus virulent de Kovalev.
Il y a de grandes chances pour qu’ils viennent ici.
Merde. La petite princesse mafiya avait des ennuis.
— Vous m’emmenez droit vers l’origine du conflit ! Faites demi-tour, et laissez-moi disparaître ! Je
peux filer vers l’ouest, me perdre pour de bon.
Il m’a jeté un regard et a dû remarquer que je frôlais la crise de panique.
— J’ai été envoyé pour assurer votre sécurité. Tant que vous faites ce que je vous dis, vous n’aurez
rien à craindre. Et une autre raison nous a obligés à partir cette nuit. Si vous retournez en Russie, ces
hommes vont vous suivre – au lieu d’aller interroger vos proches.
— Ils feraient du mal à maman ? À Jess ?
L’inquiétude m’a assaillie.
— Sans hésitation. À moins qu’ils n’apprennent que vous avez quitté Lincoln – ce que nous leur
ferons savoir à Moscou.
— Je dois les avertir ! Juste au cas où.
Sevastyan allait-il me laisser les contacter ?
— Il y a un téléphone dans la cabine à côté de vous.
— Qu’est-ce que je peux leur dire ?
— Ça dépend de la confiance que vous avez en eux. Ils ne doivent en parler à personne. Vous avez
cinq minutes.
Vu comme il avait réagi la dernière fois qu’il avait dit ça, je n’ai pas perdu de temps à débattre. Le
combiné dans ma main moite, j’ai composé le numéro de ma mère. Que pouvais-je lui dire ? Nos
relations étaient déjà tendues.
Ces dernières années, la maladie de mon père avait été une épreuve difficile pour elle, pour nous
deux, et après sa mort, nous nous étions éloignées l’une de l’autre. Puis, l’été dernier, elle s’était
remariée, et elle était partie vivre à la campagne avec son nouveau mari. J’étais heureuse pour elle. Elle
et son petit mari possédaient une caravane. Apparemment, c’était un véritable choix de vie. Ils assistaient
à des « rassemblements » avec d’autres passionnés.
Je suis tombée sur le répondeur. Par chance, elle était sur la route pendant une semaine. J’ai laissé un
message, en m’efforçant de paraître naturelle.
— Salut, maman, j’appelle juste pour prendre des nouvelles. Amuse-toi bien au… rassemblement, ai-
je dit mal à l’aise devant Sevastyan. Je t’embrasse.
À la quatrième sonnerie, Jess a répondu d’une voix irritée.
— Je suis en train de me faire brouter le minou. Y a intérêt à ce que ce soit une bonne…
— Jess ! Je n’ai que deux minutes pour te parler.
— Nat, c’est toi ?
— Oui, écoute-moi. Tu ne dois pas rentrer à la maison ce soir.
— Pourquoi je ne peux pas aller au Baisodrome…
Jess a laissé sa phrase en suspens, et a poussé un cri étouffé.
— Oh, c’est pas vrai ! Tu t’es branché le type du bar ? La licorne !
Sevastyan a arqué un sourcil. Il avait tout entendu, évidemment.
— Façon de parler.
Je ne portais rien d’autre que sa chemise, le corps vibrant encore de son contact, mais pas par choix !
— Oh, oh, notre petite Nat va se faire déflorer ce soir, a chantonné Jess d’une voix mielleuse.
J’ai écarquillé les yeux, et dardé un regard vers Sevastyan.
— Ferme-la, Jess ! Écoute, voilà ce qui se passe : ce mec a été envoyé pour me ramener en Russie
parce que mon père biologique est une sorte de mafieux baron du crime.
Sans se laisser démonter, elle a lancé :
— En fait, ça explique pas mal de choses sur toi. (Elle s’est adressée à sa conquête de la nuit.) Je ne
t’ai pas dit d’arrêter.
— Tu veux bien être plus attentive ? Je suis à bord d’un jet à destination de Moscou…
— Tu me fais marcher !
— … et des truands ennemis risquent de passer à la maison. Tu pourrais éviter d’y aller jusqu’à ton
retour de voyage ?
— Tu veux dire que je vais être obligée d’acheter des nouveaux vêtements et des bagages pour la
Grèce ? Mes parents vont autant croire en cette excuse qu’en toutes les autres. (Retrouvant son sérieux,
elle a demandé :) Es-tu en sécurité ?
J’ai scruté le visage de Sevastyan à la recherche de la réponse.
— Si je ne t’ai pas appelée dans une semaine…
Alors quoi ? Informe l’ambassade ? Quel espoir avais-je d’être délivrée de la mafia rouge ?
— Je t’appellerai dans une semaine.
— Sois prudente, bébé. Oh, et dis à la licorne que si jamais il t’arrive malheur, je lui broie le crâne,
compris ? Comment on dit « profaner ton cadavre pourri » en russe ?
Sevastyan a tapoté sa montre.
— Faut que je te laisse. Message reçu. Et prends soin de toi, toi aussi.
J’ai raccroché et je me suis tournée vers lui.
— C’est le matin en Russie. Vous pourriez me donner le numéro de votre chef pour que je lui
explique deux ou trois choses ?
Au sein de votre organisation, le service clientèle nécessite quelques remaniements.
— Lui faire part de mes réflexions, ai-je ajouté.
— Kovalev participe à un congrès.
Devant mon air peu convaincu, il a expliqué.
— Une réunion au sommet des vory.
— Vous ne croyez pas que ma venue ne fasse qu’aggraver le problème ?
— Nous avons des hommes sur place, des agents de sécurité. La propriété de votre père est une
forteresse.
Une enceinte réservée à la mafia ? J’imaginais un monolithe gris et miteux de l’ère soviétique. À
l’intérieur, le décor serait un fatras de babioles chamarrées onéreuses, sélectionnées sur la base d’un
manque de goût. Et Kovalev… Je l’imaginais en brute épaisse en survêtement, portant tellement de
chaînes en or que son cou ressemblait à un jeu d’anneaux à empiler. Il devait avoir des tigres blancs et
des toilettes incrustées de diamants.
Beurk. J’ai froncé les sourcils.
— Il n’était pas prévu que vous m’emmeniez de force ?
Il a secoué la tête.
— Si ces crétins ne s’étaient pas rendus aux États-Unis, vous auriez continué à m’espionner de loin ?
— J’aurais continué d’assurer votre protection jusqu’à ce que votre père puisse venir vous voir en
personne.
— Si vous étiez mon unique garde du corps, quand dormiez-vous ?
— Pendant que vous étiez en cours ou au travail. Quand je savais que vous n’étiez pas seule pour un
petit moment.
En conséquence, il avait encore moins dormi que moi. Il a incliné la tête.
— J’aurai tout le temps de dormir quand je serai mort, non ?
Exactement ce que je pensais.
— C’est une lourde responsabilité que Kovalev vous a confiée – il a remis la vie de quelqu’un entre
vos mains.
— Je ferais tout ce qu’il me demande.
— Un tel dévouement est-il courant au sein de votre… organisation ?
— Il est comme un père pour moi depuis longtemps. Je lui dois ma vie, a-t-il dit sur un ton qui
laissait penser qu’il ne développerait pas.
— Alors, d’une certaine façon, vous êtes un peu mon grand frère.
Il m’a regardée de travers. Cette remarque ne lui plaisait pas du tout.
— Je n’ai que sept ans de plus que vous.
J’ai rejeté cette information.
— Et ma mère ?
— Je vais devoir laisser à Kovalev le soin de vous en parler. Ce n’est pas à moi de vous raconter ça.
— Vous pouvez au moins me dire si elle est toujours vivante.
J’ai cru voir une lueur de pitié traverser son regard. J’ai assumé le pire, le chagrin m’écrasant
violemment. Toutes ces années d’interrogation… Maintenant, tout portait à croire que je ne la connaîtrais
jamais.
Repoussant mes larmes, j’ai poursuivi.
— J’ai des frères et sœurs ?
— Aucun.
— Des grands-parents ?
Mes parents étaient assez âgés quand ils m’ont adoptée, et mes grands-parents étaient décédés
pendant mon enfance.
Il a secoué la tête.
— Seulement votre père et des cousins lointains que vous allez rencontrer.
Il s’est levé et a marché vers un comptoir en marbre au milieu du salon. Il a appuyé sur un bouton et
un panneau s’est rétracté pour révéler un minibar rempli de bouteilles et des verres. Il a rempli deux
verres en cristal. Une vodka sur glace pour lui et une limonade pour moi.
— Pourquoi pas un lait chaud ? ai-je dit avant de boire, sûrement parce que c’était agréable.
Il est retourné s’asseoir et a retracé le bord de son verre du bout du doigt, sans boire une seule
gorgée. Comme au bar, il ne touchait pas à son verre.
— Je n’ai pas votre tequila préférée.
— Préférée ? Je bois ce qu’on m’offre, par souci d’économie.
Mon commentaire l’avait-il amusé ?
— Vous n’aurez plus ce genre de soucis, je peux vous le garantir.
Il s’attendait donc à ce que je vive sur l’argent mal gagné de ma famille.
— J’ai du mal à croire que ces types puissent s’en prendre à moi.
— Ils ciblent les proches. Quand Kovalev a débuté dans la Bratva, le code d’honneur interdisait à ses
membres de fonder une famille, et même tout lien affectif en dehors de la fraternité. La famille est une
faiblesse dont l’ennemi se sert pour vous atteindre.
Pendant que j’essayais d’oublier un monde aussi brutal, Sevastyan a poursuivi :
— C’est pour cela que Kovalev a placé votre mère à l’écart. Il ignorait qu’elle était enceinte. Il n’a
rien su avant que vous ne le cherchiez.
— Vous avez dit que nos ADN correspondaient. Mais pourquoi a-t-il fait un test ?
— Il y en a eu d’autres avant vous, d’autres qui ont affirmé qu’il était leur père. À l’origine, je me
suis rendu dans le Nebraska pour vérifier si ce n’était pas une arnaque. (Le regard perdu dans son verre,
il a ajouté :) Kovalev n’a jamais désiré que ce soit vrai avant vous.
— Pourquoi ça ?
Il a relevé les yeux vers moi.
— Les autres ne couraient qu’après l’argent, des sans-cœur dont la seule ambition était de rester au
chômage. Vous jonglez entre trois boulots tout en terminant une maîtrise avec des félicitations. Vous avez
même appris à parler russe. Vous vouliez le trouver, mais vous n’en aviez pas besoin. Tout du moins pas
d’un point de vue financier.
Était-il aussi admiratif que j’en avais l’impression ? Cette idée m’a fait chaud au cœur. Puis je me
suis souvenue que mon ADN me rattachait à un capo.
— Il a pu y avoir une erreur dans les analyses ADN. Une erreur administrative, peut-être.
Il a porté son verre à ses lèvres, puis a baissé son bras sans boire.
— Vous ressemblez trop à sa mère pour que ce soit envisageable.
Je ressemblais à ma grand-mère. Je me suis laissé attendrir, mais pas assez pour oublier mes
réticences.
— Alors que fait mon père ? Quels genres de crimes ? Il trafique des filles ? Des armes, de la
drogue ?
Il m’a regardée comme si ma question était le summum de l’absurde.
— L’essentiel de ses affaires a trait à l’immobilier et au bâtiment. Mais il agit également en tant que
médiateur auprès des gangs, et il vend des services de protection aux entrepreneurs. Il tire de bons
revenus en faisant chanter des hommes politiques. Pas de filles, pas d’armes, pas de drogues. C’est en
partie pour ça que nous avons des problèmes – il interdit ces activités sur son territoire.
— Par crainte que la valeur de ses biens immobiliers ne chute ?
Il avait l’air de commencer à perdre patience.
— Parce que ça affaiblirait la qualité de vie des gens qu’il protège.
Ça, c’était surprenant.
— Bon, possible que ce ne soit pas un truand diabolique et de sinistre réputation. Mais je n’ai
toujours pas envie d’être mêlée à ça. Tout ce que je veux, c’est décrocher mon doctorat, faire carrière.
Avec un diplôme d’historienne. Bien que je n’aie pas spécialement envie de devenir professeur ou
écrivain. Avais-je poursuivi mes études parce que c’était une solution de facilité ?
— Vous pensez que votre père veut vous arracher à votre vie ? Prenez-vous-en à Zironoff. Sans lui,
vous seriez en train de dormir dans votre lit.
— Mon détective privé ? Quel rapport avec lui ?
Une nouvelle fois, il a porté son verre à ses lèvres et l’a reposé sans boire.
— Ce petit truand a demandé de l’argent à Kovalev contre son silence. Mais nous avons découvert
qu’il avait déjà parlé de votre existence à nos ennemis, et qu’il avait vendu le compte rendu de vos
habitudes à bon prix. Il vous a délibérément mise en danger.
J’ai dégluti.
— Qu’avez-vous fait de Zironoff ?
Son regard s’est durci.
— Il a abusé de votre confiance, a pris l’argent que vous aviez durement gagné, et s’est servi de votre
sang pour faire chanter un vor. Il a mis en danger la vie que j’ai fait vœu de protéger. Dites-moi, Natalie,
ne méritait-il pas d’être puni pour le mal qu’il a causé ? N’est-il pas normal qu’on l’empêche d’en faire
plus ?
Je devinais la suite. Sevastyan avait fait taire Zironoff, en bon exécuteur de la mafia. Un tueur
professionnel.
Il a soutenu mon regard avant de poursuivre :
— Comprenez-moi bien, jeune fille. J’éliminerai toute menace à votre encontre, sans aucune pitié.
Combien d’hommes avait-il tués dans sa vie ? Et pourquoi n’avais-je toujours pas peur de lui ? En
vérité, je me sentais même protégée.
— Zironoff vous a trahie, vous avez failli perdre la vie à cause de lui mais vous ne voulez rien
entendre. (Il a soupiré, las.) J’ai hâte de vous entendre crier au scandale, du haut de votre bonne morale
américaine.
J’ai essayé de faire appel à mes principes. Mais Zironoff était allé trouver un groupe de dangereux
voyous et s’était servi de mon rêve de retrouver mes parents. Il avait divulgué des informations
confidentielles que je lui avais confiées en sachant que je risquais d’être assassinée.
J’ai haussé les épaules.
— Do svidaniya, Zironoff.
Adieu.
Sevastyan a levé les yeux vers moi, et m’a observée avec bienveillance, un sourire en coin.
Son sourire discret a décuplé les battements de mon cœur. S’il s’avisait à sourire de toutes ses dents,
j’aurais probablement un infarctus. Il faisait chaud, d’un coup.
— Sinon, vous avez un surnom dans la mafia ? Du genre Alex le Boucher ou Al le Requin, par
exemple ?
— Je viens de Sibérie. On m’appelle le Sibérien. Rien de plus.
— Simple et élégant, ça va avec tout. Vous venez de ce « milieu » ou c’est un choix d’orientation que
vous avez fait durant vos études ?
Long regard dur.
— Bon, et quel est le nom de Kovalev ?
— Les aînés l’appellent l’Horloger.
— Parce qu’il remet les pendules à l’heure ? À coups de poing ?
— Votre père aussi est adepte de l’ironie. Vous avez énormément de points communs.
J’ai penché la tête sur le côté.
— Vraiment ? Vous avez appris beaucoup de choses à mon sujet, on dirait ?
— Je sais tout sur vous, vos études, vos finances, vos amis, vos sorties. Je sais que vous avez grandi
dans un foyer stable et que vous avez été élevée par un couple attentionné, ce qui a grandement rassuré
Kovalev. Je sais que vous êtes déterminée et intelligente. Peut-être trop pour votre bien.
Je me suis souvenue d’avoir eu l’impression d’être observée dans la soirée.
— Vous m’avez suivie quand je suis sortie du bar.
À peine quelques heures plus tôt.
— Exact.
— Vous étiez déjà entré chez moi avant ce soir ?
Avait-il trouvé ma collection de vibromasseurs sous le lit, ou remarqué que la moitié des marque-
pages de mon navigateur étaient des sites pornos ?
— Bien entendu. Je ne laisse rien au hasard.
Son comportement était cent pour cent professionnel, même alors qu’il admettait avoir régulièrement
porté atteinte à ma vie privée. Ma vie entière exposée sous ses yeux.
— Des découvertes dont vous souhaiteriez me parler ? ai-je demandé, dents serrées.
— Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas rapporter tous les détails à Kovalev, a-t-il répondu avec un
petit sourire. L’arsenal que vous conservez sous votre matelas, par exemple.
Mon arsenal ? La honte.
— Ni ce que je vous ai surprise en train de faire dans votre bain.
Maintenant que je ne craignais plus pour ma vie, la gêne m’envahissait. Sevastyan m’avait surprise en
train de jouer avec mes trésors cachés.
— Pour commencer, pourquoi avez-vous ouvert la porte de ma salle de bains ?
— J’ai entendu du bruit. (Il a haussé un sourcil.) Un gémissement. J’ai imaginé le pire.
— Vous semblez doué pour me mettre à mon désavantage. Quand nous serons à Moscou, je pourrais
fouiller votre appartement ? Regarder sous votre lit ? Et si je vous regardais vous masturber ?
Il s’est crispé comme s’il avait reçu un coup de poing dans le ventre.
— Faites attention à ce que vous dites, mon chou.
Il a serré son verre si fort que j’ai craint qu’il se brise.
— Sinon vous me plaquerez au sol dans un champ de maïs et me tripoterez ?
Il a serré les dents comme s’il luttait pour garder son sang-froid.
— Ça n’aurait jamais dû arriver.
Arrête de te chamailler avec lui, Nat. Va te coucher. Étais-je intriguée ou excitée par cet homme au
point d’être prête à tout, même à me battre ?
— Si vous ne vous étiez pas enfuie…
— Ah non, ne rejetez pas la faute sur moi !
— Une rouquine à moitié nue allongée sous moi, ondulant des hanches. Je ne suis pas fait de glace.
J’ai arqué un sourcil.
— Ah, non ?
— Pas dans ce domaine, s’est-il défendu. Même si vous n’êtes pas du tout mon genre, j’étais troublé.
De son index, il a fait tourner sa bague de pouce. J’avais déjà remarqué qu’il faisait ce geste quand il
était mal à l’aise. Un signe révélateur ? Ça pourrait se révéler utile.
— N’importe quel homme l’aurait été, alors ne cherchez pas à y voir autre chose.
— Pas du tout votre genre.
Pourquoi étais-je vexée ?
— Vous n’êtes pas le mien non plus, le Sibérien.
Mauvaise idée de railler un assassin. Je me suis levée.
— Vous semblez déterminé à m’humilier et à vous chamailler avec moi. Ça ne m’intéresse pas.
J’ai tourné le dos et longé l’allée.
— Réveillez-moi à l’arrivée.
— La seule chose que j’aie dite à Kovalev à propos de votre vie privée, c’est que vous n’avez pas
d’amoureux à quitter. Je ne préciserai pas que vous mouriez d’envie d’y remédier ce soir, a-t-il crié dans
mon dos.
Me raidissant, je me suis retournée à la porte d’une des suites.
— Pourquoi étiez-vous en colère au bar ?
Il a fini par boire sa vodka cul sec, ce qui m’a donné des frissons pour une raison qui m’échappait.
— Je n’aimais pas voir la fille d’un grand homme s’offrir à moi, ni chercher les ennuis.
— M’offrir à vous ? Vous êtes dingue ? Je me suis présentée et j’ai voulu vous offrir un verre. (La
colère m’envahissait.) Et j’espère vraiment que vous n’allez pas me faire l’affront de me traiter de salope
parce que là, je vais m’énerver pour de bon.
C’était dans ce genre de situation que ma virginité m’embarrassait.
Il s’est levé pour venir vers moi. Je retenais un peu plus mon souffle à chacun de ses pas. Qu’allait-il
faire ? Je l’ignorais – l’excitation s’opposait à l’inquiétude.
Il me dominait de toute sa hauteur, orteil contre orteil, si bien que je me suis tordu le cou pour
soutenir son regard. Dès qu’il se mettait en colère, ses yeux se durcissaient et luisaient comme de l’ambre
froid. Sinon ils étaient pareils à de l’or fondu, comme maintenant…
— Parmi tous les hommes du bar, vous m’avez choisi, jeune fille, non sans raison. Ce n’était pas pour
parler de vos cours.
Sa voix était éraillée, son accent plus affirmé. Mon corps a réagi de la même manière que s’il m’avait
touchée.
— Je vous ai choisi parce que vous étiez mystérieux. Je déchiffre facilement les hommes mais pas
vous. Ça a attisé ma curiosité.
Il a posé la main sur le mur au-dessus de ma tête, m’enveloppant de sa chaleur. Il s’est penché pour
me murmurer à l’oreille.
— Quand une femme me choisit, c’est parce qu’elle veut du sexe. Elle voit les cicatrices, les
tatouages, et elle devine qu’elle en aura pour son compte.
Choquée, je me suis sentie fondre.
— C’est ce que vous attendiez de moi, Natalya ?
Son souffle chaud effleurait mon oreille, faisant durcir mes tétons. J’ai changé de pied d’appui en
serrant mes cuisses l’une contre l’autre.
— Ce… n’est pas pour ça que je suis allée vous parler.
D’accord, c’était peut-être pour ça.
— Petite menteuse. Vous croyez que je ne sais pas reconnaître le désir d’une femme ? (Il s’est écarté
pour me dévisager.) Comme vous n’avez pas eu ce que vous vouliez, vous avez opté pour un bon…
bain… chaud.
J’ai dégluti, le souffle court.
— Vous pensiez à moi pendant que vous vous touchiez ?
— Je ne vous le dirai pas, ai-je répondu entre deux respirations.
— Vous venez de le faire, mon chou.
Il s’est redressé comme si le charme était rompu. En jurant, il a tourné les talons.
— Allez vous coucher maintenant.
J’ai suivi son dos large du regard tandis qu’il allait se servir une autre vodka. Jurant à mon tour, j’ai
claqué la porte de la cabine derrière moi. Cet homme allait me rendre folle avant même que je ne sois
arrivée dans mon pays natal !
Exaspérée, j’ai rabattu le couvre-lit d’un geste sec et me suis glissée dans le lit somptueux. Dans tous
mes états, j’ai fixé le plafond, regrettant d’être contrainte de porter sa chemise.
Je détestais que ça m’excite.
Pourquoi lui ? Pourquoi étais-je forte sur tous les plans et faible avec lui ? Après tant d’années à me
préserver pour l’homme de ma vie, j’aurais donné ma virginité à Sevastyan dans la gadoue.
Lycéenne, je n’aurais jamais imaginé que je serais toujours vierge à vingt-quatre ans tant le sexe
m’intriguait. Et pourtant, ce n’était pas faute d’avoir fait des rencontres.
Mais les garçons alcoolisés que j’avais fréquentés étaient lourdauds et empressés. Aucun ne m’avait
donné envie d’aller plus loin. Le sexe n’était pas pour moi, à ce qu’il m’avait semblé. Ou pas avec les
garçons que j’avais rencontrés.
Le problème quand on grandit dans une petite ville et qu’on fréquente une toute petite école ? Le
choix était limité.
Quand je suis allée à l’université, j’ai cru que j’avais touché le gros lot. J’étais émerveillée de vivre
parmi autant d’hommes de tous les styles. Ma curiosité n’avait pas faibli et j’étais certaine de perdre ma
virginité avant les premières vacances.
Pour m’y préparer, j’avais tout appris sur le sexe en avalant quantité de livres, en partageant la
chambre de Jess et, bien sûr, en menant mes expériences intimes solitaires. Aussi en commençant à
m’intéresser au porno de qualité.
J’étais sortie avec plusieurs garçons, mais inévitablement, à un moment donné, leur comportement me
faisait changer d’avis.
L’un m’avait doigté comme s’il creusait un tunnel jusqu’en Chine.
Un autre avait éjaculé prématurément dans le préservatif pendant qu’il le déroulait puis, honteux, il
n’avait plus donné signe de vie.
Un autre me voulait sur lui, dominatrice alors que je pouvais presque affirmer que je préférais le
contraire.
(Soupçons confirmés par ma récente expérience dans le champ de maïs ?)
Était-ce trop demander que de vouloir un homme attirant, dominateur, compétent au lit, et qui ne
terminait pas avant de commencer ?
Quand j’ai eu vingt ans, je me suis dit qu’après une si longue attente, autant me préserver jusqu’au
jour où j’éprouverais un désir explosif, aveuglant pour un homme qui réponde à toutes mes attentes. Mais
ça n’était jamais arrivé.
Jusqu’à ce soir.
Sevastyan remplissait tous les critères – et pourtant il m’avait lancé que je n’étais pas son genre.
Bon, était-ce trop demander que de vouloir un homme qui réponde à mes attentes et qui m’apprécie –
et qui ne soit pas une ordure ?
Soupirant, j’ai tourné la tête vers les hublots, admirant la lune et les étoiles plus près que jamais.
J’étais à bord d’un avion qui volait vers l’inconnu. Vers « ma nouvelle vie ».
Zut, je devais me sortir Sevastyan de l’esprit et penser à demain. Quelques heures plus tôt, je
désespérais de trouver mes parents biologiques. Et à présent, j’allais à la rencontre de mon père. Allait-il
m’apprécier ? Allait-il me plaire, malgré ses activités ?
Je devais peut-être envisager ce voyage en Russie comme un petit congé sabbatique, une simple
parenthèse dans ma vie. Comme les vacances de Jess. Demain, je pouvais téléphoner pour justifier mes
absences en cours et demander à une copine de donner mes cours à ma place. Mes emplois de serveuse
étaient tellement éreintants et merdiques que je ne gâcherai pas un appel longue distance pour eux.
Oui, tout le monde a besoin d’une pause de temps en temps.
Le vrombissement des moteurs me berçait, et mon indignation se dissipait peu à peu. J’avais
l’impression de flotter sur un matelas moelleux, dans des draps de soie aussi légers que l’air. Je me
croyais trop énervée pour dormir mais je me suis rapidement endormie.
Et j’ai rêvé de Sevastyan.
Dans un rêve saisissant, il me soulevait hors du bain, me portait nue et trempée jusqu’au lit. Là, il
suivait chaque goutte d’eau avec sa bouche avant de s’installer entre mes cuisses…
— Natalya, a-t-il grondé devant mon sexe – son souffle chaud et sa langue mouillée. Natalya. Il a
levé le visage, léché ses lèvres attirantes, et demandé : vous rêvez de moi ?
Hein ? Un rêve ? J’ai ouvert les yeux. Face à moi, Sevastyan m’observait.
7

La lune éclairait son beau visage abîmé. Mon cœur a bondi dans ma poitrine.
— Sevastyan ?
Il était couché à côté de moi, la tête appuyée sur sa main, dans une position qui contrastait avec la
tension qu’il dégageait.
Il avait ôté sa chemise. J’ai failli gémir devant son torse nu aux muscles saillants. Sa peau lisse était
ornée de tatouages inquiétants. Sur le haut de ses pectoraux, de grandes étoiles à huit branches
s’imbriquaient dans des jeux d’ombres. Deux dômes russes décoraient son bras musclé. Sur l’autre, une
bande à motifs encerclait son biceps.
Ces dessins et la puissance de son corps étaient envoûtants.
— Qu’est-ce que vous faites au lit avec moi ?
Et pourquoi n’ai-je jamais peur de vous ?
Sa respiration s’est accélérée. Il m’a fait penser à un élastique étiré au maximum, prêt à claquer.
— Je vous ai entendue gémir. Je suis entré et je vous ai vue onduler le bassin sous les couvertures.
J’ai rougi et détourné le regard, le posant malgré moi sur son ventre plat, la ligne de poils sombres
qui partait de son nombril. J’ai éprouvé l’envie folle d’y frotter mon nez.
— Et moi qui vous croyais impudique. Vous avez les joues en feu.
Je me suis obligée à lui faire face.
— Vous avez expliqué ce que j’étais en train de faire. Et vous alors ?
— Je vous observais et je bandais de plus en plus fort.
Il a rapproché ses hanches de mon flanc pour me faire sentir sa généreuse érection.
Quel salopard ! N’oublie pas qu’il est sujet aux sautes d’humeur.
— Vous pouvez me laisser maintenant. (J’étais fière d’avoir ce ton résolu.) Je vais m’efforcer de ne
plus vous déranger.
Il m’a ignorée.
— Vous faites… vous faites ces bruits. Vos gémissements. Dès que je les entends, je perds la tête.
— Vous avez bu.
— Nemnozhka. (Un peu.) Je me suis rejoué cette scène de vous dans le bain, vous caressant avec ces
doigts.
Il a sorti ma main droite de sous les draps – que j’agrippais comme une barre de sécurité dans le
grand huit – et a pressé mes doigts sur son visage.
— J’aurais juste aimé que vous terminiez devant moi.
Moi aussi ! Ça m’aurait peut-être évité de crouler sous le désir en cet instant, tombant un peu plus
sous son charme.
Il a porté son regard sur mon visage, puis plus bas.
— De quoi rêviez-vous pour qu’ils soient aussi tendus ?
J’ai suivi son regard vers les pointes de mes seins dressées sous ma chemise.
— Dites-moi, mon chou, étiez-vous en plein rêve érotique ?
Avant, je n’arrivais pas à lui résister. Maintenant, dans ce lit, bercée par sa voix séduisante, j’étais
sans défense. Non ! Sois forte, Nat.
— Pourquoi vous vous entêtez à m’appeler « mon chou » ?
— Parce que vous donnez envie de vous croquer, peut-être.
— Je vois.
J’ai frissonné, même si c’était une blague.
— Racontez-moi ce rêve.
— Pourquoi donc ? Pour que vous me regardiez de cet air dépité et glacial ?
— C’est le contraire de ce que je ressens en ce moment.
J’ai dégluti quand il a commencé à déboutonner la chemise, écartant légèrement les pans sur mes
seins.
— Qu’est-ce que vous faites ?
En mon for intérieur, je les voulais nus, exposés à son regard, suscitant son désir.
Quoi ? Je faisais une parenthèse, non ? Pourquoi ne serait-il pas ma passade de vacances ?
Il a saisi le bord rigide de la chemise et l’a frotté légèrement contre mon sein gauche. Oh, mon
Dieu…
— J’ai seulement aperçu vos seins quand vous étiez dans le bain. Vous savez que je salivais tellement
j’avais envie de les sucer ?
Il avait désiré poser ses lèvres sur ma poitrine. Cette image m’a laissée confuse.
Il s’est remis à frotter le tissu sur ma peau.
— Arr… arrêtez ça.
Les pointes étaient si contractées que c’en était presque douloureux.
— Oui, dites-moi d’arrêter et de vous laisser tranquille. Frottement. Dites-moi que je vous fais peur,
et que je n’ai pas le droit de vous toucher. Frottement.
J’ai ravalé un gémissement.
— Vous ne me faites pas peur. Et si je ne veux pas que vous me touchiez, c’est uniquement parce que
vous n’irez pas jusqu’au bout et que, côté sexe, j’ai été assez torturée comme ça.
En comptant cette fois-là, j’avais été proche de l’orgasme trois fois – et à chaque fois à cause de lui.
Il a eu un petit rire sexy.
— Moi, je vous ai torturée ? Je devrais peut-être vous montrer ce qu’est la vraie torture. Alors peut-
être que vous vous déchaînerez pour m’attirer dans votre lit.
Son ton était menaçant ; alors pourquoi mon sexe se contractait d’anticipation ?
— C’est ce que vous voulez ?
— C’est à ça que je m’attendais de votre part. Mais si vous me demandez de partir, je vous laisserai.
— Répondez-moi, Sevastyan. C’est ce que vous voulez ?
Au lieu de répondre, il a repris les frottements. À court de mots, je me suis léché la lèvre inférieure.
— Vous me perturbez trop ! Comme vous refusez de me répondre, je vais tout vous dire. Je vous
trouve très attirant, même assez irrésistible. Je crois que vous avez raison, je suis allée vers vous au bar
pour coucher avec vous.
Il a entrouvert la bouche puis il a secoué la tête fort, comme s’il voulait déloger une idée qui venait
d’émerger.
— Vous ne l’auriez pas fait si vous me connaissiez mieux. Je suis un homme de main, un tueur à
gages, et je suis désolé que ce soit un homme dans mon genre qui vous attire.
— Mais je vous attire aussi. Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
— Si vous saviez ce que j’ai en tête, vous seriez moins accueillante. Vous n’aimeriez pas être dans
mon lit. J’ai des goûts particuliers, j’exige qu’on m’obéisse.
— Obéir ? Que je fasse tout ce que vous me demandez ?
Je n’avais rien de mieux pour le titiller ? Il a hoché la tête, les yeux pétillants.
Pourquoi trouvais-je cela d’un érotisme intolérable ? Je n’appréciais pas qu’on me donne des ordres
au travail. Mais dans ces circonstances – au lit avec un homme dominateur – l’idée m’excitait.
— Pourquoi exiger l’obéissance ?
— Je n’aime pas les surprises. Si vous faites ce que je demande, il n’y en aura pas.
Je me suis mordillé la lèvre le temps de réfléchir.
— Et quels sont ces goûts particuliers ?
— J’ai besoin de faire des choses dévergondées à votre corps, Natalya. Et je sais que je ne peux pas,
a-t-il dit avec une pointe de tristesse.
Dévergondées ? Très excitant.
— Pourquoi pas ?
— Vous m’êtes interdite. Plus qu’aucune femme.
Parce que j’étais la fille du chef ? C’était pour cela qu’il était adepte de la douche écossaise avec
moi ?
— Nous sommes seuls dans cette cabine. Personne n’en saura rien. Nous devrions peut-être passer à
l’acte pour nous le sortir de l’esprit avant d’atterrir.
Il a semblé soupeser ma proposition.
— Avez-vous déjà cédé le contrôle de votre corps à un homme ?
Le souffle court, j’ai fait non de la tête. Je m’étais souvent interrogée sur les rapports de domination,
et cet homme pouvait satisfaire ma curiosité. C’était l’avantage des passades : on pouvait se lâcher, faire
tout ce qu’on n’osait pas faire sans subir de conséquences.
Pas vrai ?
Avais-je assez de cran pour essayer ? Quand j’avais douze ans, le garçon de la ferme voisine m’avait
mise au défi de sauter d’un pont ferroviaire dans une crique. Sur la rambarde au-dessus des rails, j’étais
terrifiée, je tremblais comme une feuille. Mais je m’étais forcée à avancer le pied dans le vide. À me
laisser tomber en chute libre.
J’avais hurlé jusqu’en bas. Puis j’étais remontée à la surface en battant furieusement des jambes et
j’avais rejailli au-dessus de l’eau, triomphante, devant le garçon qui affichait un grand sourire
impressionné.
Ma récompense. La terreur n’avait pas été vaine. Revivrai-je la même chose cette nuit ?
— Pourriez-vous m’obéir aveuglément, Natalie ?
Aurais-je de nouveau le courage de sauter dans le vide ? Honnêtement ? Je devais essayer pour le
savoir. J’ai posé la main sur son torse, caressé son tatouage. Ses muscles se sont tendus sous ma main.
Quand mon pouce a frôlé son mamelon plat, il a inspiré d’un coup sec.
— Vous savez ce que j’attends de vous, quel homme je suis, et vous continuez à m’aguicher ? Je vais
vous donner un avant-goût qui va vous faire regretter. Nous passerons rapidement à autre chose parce
qu’après ça, vous allez me craindre…
8

Le craindre ? J’ai dégluti bruyamment. Osais-je relever le défi ?


— Écartez les cuisses ! m’a-t-il ordonné en se redressant.
J’étais toujours sous influence, mais sous la sienne à présent. J’ai timidement écarté les jambes.
Il s’est placé entre mes cuisses. Empoignant les pans de la chemise, il l’a violemment déchirée. Mes
seins ont tremblé sous son regard de prédateur.
J’étais entièrement nue, sans défense, et son comportement aurait dû me rendre nerveuse. Au lieu de
ça, je devais me concentrer pour garder les hanches immobiles.
— Si vous en voulez plus, mettez les mains sous votre nuque.
J’ai cligné des yeux.
— Quoi ?
Me mettre dans une position plus vulnérable ?
— Faites-le, et ne les bougez pas. Sdavaisya.
L’abandon.
— Je… je ne sais pas.
— Ce n’est pas une question.
J’hésitais mais la curiosité et l’excitation m’incitaient à obtempérer.
J’ai croisé les mains derrière la nuque.
— C’est bien.
Il m’a longuement observée d’un air possessif. Ses mains ont glissé vers ma taille. Quand ses doigts
m’ont effleurée, j’ai réalisé qu’il était beaucoup plus imposant que moi et que tous les hommes avec
lesquels j’étais sortie. Me trouvait-il trop petite ?
Ses paumes calleuses ont frotté mes flancs, et il m’a déclaré ideal’naya. Parfaite ou plus
précisément, rien à changer.
J’ai soupiré de plaisir.
— Je croyais que vous n’aimiez pas mon physique.
Consterné, il a relevé la tête.
— Quand vous ai-je donné cette impression, mon chou ?
— Pas mon genre ? Vous vous souvenez ?
— Je le pensais – littéralement. Vous êtes différente des femmes que j’ai connues. De jour comme de
nuit, a-t-il ajouté à lui-même.
Je l’ai imaginé avec des beautés classiques froides, de type nordique. J’étais un avorton en
comparaison. Dès qu’il a posé les yeux sur mes seins, ce sentiment a disparu.
Les saisissant à pleines mains, il les tenait presque entièrement dans ses grandes paumes. Il les a
malaxés d’un geste habile, sans toucher les tétons, avec la juste mesure de brusquerie. Cambrée, j’adorais
ça.
Il a continué à les pétrir jusqu’à ce que mon corps le réclame, même s’il semblait déterminé à
repousser le moment.
— Qu’est-ce que vous me faites ?
— Je vous torture sexuellement.
Il a pressé mes seins. Ils ont commencé à gonfler, la peau échaudée rougissant. Les bouts se
dressaient, offrant une image sensuelle excitante. Mon regard allait de ma poitrine à son visage débordant
de désir. Il continuait à masser, à faire gonfler ma chair.
Son souffle a caressé mes seins excités, et je me suis tortillée, aux prises avec un parfait mélange de
désespoir et de délice. Quand j’ai senti les draps trempés sous moi, j’ai compris que j’allais jouir.
Surprise, j’ai écarquillé les yeux. Un simple contact sur mon sexe pouvait me procurer un orgasme.
Alors que je pensais bien connaître mon corps, il empruntait des voies inhabituelles, comme s’il le
connaissait mieux que moi.
Sans relâcher son emprise, il s’est penché pour tourmenter mes seins de son souffle. Évitant de les
toucher, il a dardé sa langue sur les côtés pour les couvrir de baisers, tout autour des pointes.
S’il les touchait, je hurlerais. S’il ne les touchait pas, je hurlerais aussi.
— Sevastyan, embrasse-les !
Je haletais de détresse, me tortillant, esclave d’une excitation intolérable. J’ai croisé les doigts sous
ma nuque, mais j’ignorais combien de temps je résisterais à l’envie de me toucher.
— Fais quelque chose.
— Comme ça ?
L’air sombre, il a soufflé sur un bout, puis sur l’autre. Un cri s’est échappé de mes lèvres, mon dos
s’arc-boutant à la recherche d’une stimulation dont il me privait.
Il m’a forcée à me rallonger, pressant durement mes seins.
— Tu dois te soumettre.
Ce mot m’a fait trembler, a fait pulser mon clitoris. Puis j’ai craqué. Décroisant les doigts, j’ai baissé
la main vers mon entrejambe.
— Ah, ah.
Il m’a prise par les hanches, m’a fait rouler sur le côté, exposant mes fesses à son regard.
— Qu’est-ce que tu…
Il maintenait mon cou d’une main, et m’a fessée de l’autre. Assez fort pour me surprendre.
— Si tu ne m’obéis pas, je te punis. Compris ?
Il m’a fessée plus fort.
Il m’avait prévenue que je le craindrais. Chaque tape me mettait davantage en alerte. J’ai dégluti
malgré sa main qui me tenait par la gorge.
— Compris ?
Sa main a claqué sur mes fesses. Pas ce qu’on pouvait appeler un geste d’amour, celle-ci non plus.
— Aïe ! Oui !
— Dis : « J’ai compris, Sevastyan. »
— J’ai compris, Sevastyan.
Mais je ne comprenais pas. Ses yeux brillaient d’excitation, sa poitrine se soulevait lourdement. Le
bout de son sexe mouillait son pantalon. Me frapper l’excitait autant que ça ?
Qu’en était-il de moi ? Obéir était une chose, mais là c’était corporel. Pourtant, je mouillais comme
jamais, mes fesses picotant si délicieusement que j’attendais impatiemment le prochain coup.
Je n’y comprenais rien. Comment pouvais-je désirer ce que j’aurais dû redouter ?
— Tu n’aimes pas qu’un homme te donne une correction ? a-t-il dit entre deux respirations.
Mon corps hurlait « Si ! » mais ma raison résistait. La vérité ?
— Je ne sais pas.
Il m’a lancé un regard noir.
— Tes mains, Natalya.
Quand je les ai nouées derrière ma tête, il m’a rallongée sur le dos. Tenant mes seins, il a baissé la
tête, la bouche tout près du téton.
Suce-le. Fais-moi jouir.
— S’il te plaît, ta bouche. Ta langue.
Je parvenais à peine à formuler mes pensées.
— Si tu étais ma femme, ils auraient des piercings. Je t’obligerais à porter mon or.
Piercing. Ma femme. Obliger. Son or.
Chaque mot reflétait son besoin de dominer. Il parlait de me faire percer les tétons. L’imaginer
suffisait à faire onduler mes hanches à la rencontre de son sexe, en quête de jouissance. Mais il gardait ce
beau renflement hors de ma portée.
Ses mains chaudes continuaient à presser. Alors que je pensais que mes seins ne pouvaient pas
grossir davantage, ni devenir plus roses, plus sensibles, alors que dans un geste d’abandon, je remuais
des hanches, il a frotté son menton mal rasé sur une pointe.
— Sevastyan ! S’il te plaît, s’il te plaît…, je répétais en boucle, emportée par un plaisir insensé.
— Tu serais prête à me donner quoi pour que je les suce ?
Facile. Tout.
— Tu deviendrais mon esclave ? Je te mettrais un bandeau sur les yeux, tu serais à ma merci. Je me
servirais de ton corps de toutes les manières possibles, a-t-il dit d’une voix éraillée par la passion.
Tant qu’il continuait à me mettre dans cet état – les fesses en feu, les seins gonflés, obnubilée par ma
chair embrasée…
— Oui, oui !
— Le cuir te mordrait les seins, te piquerait entre les cuisses.
Je me suis arquée.
— D’accord !
Il a resserré son étreinte.
— C’était censé être une punition, pour toi et pour moi. Mais tu adores ça, putain. Tu en as besoin,
même si tu ne le sais pas vraiment.
Ma tête roulait de droite à gauche et je murmurais en boucle :
— J’aime ça, j’en ai besoin.
— Pose les mains sur ta bouche, pour étouffer ton cri.
Mon quoi ? Sans chercher à comprendre, je me suis exécutée.
— Seigneur, aidez-nous, a-t-il marmonné en russe.
Il a aspiré mon sein gonflé entre ses lèvres fermes, dans la chaleur de sa bouche.
Sa langue humide aguichait la pointe pendant que ses dents la grattaient…
L’orgasme, violent, brûlant, saisissant, m’a transpercée. J’ai fondu sous l’assaut des vagues de plaisir
qui contractaient mon sexe vierge. Les parois se serraient violemment. Mon bassin donnait des ruades
pendant que j’écrasais les mains sur ma bouche pour étouffer mes cris d’extase.
La jouissance était si forte que des larmes coulaient sur mes tempes.
Il a sucé mon autre sein, et les vagues m’ont de nouveau submergée pendant que je convulsais
intérieurement.
L’extase…
L’orgasme passé, il m’a lâchée et s’est agenouillé. J’ai essayé tant bien que mal de reprendre mon
souffle et de recouvrer mes pensées, mais en vain ; j’ai souri timidement.
Tandis qu’il contemplait mon corps, les lèvres retroussées, il semblait pris de colère. Comment était-
ce possible ?
Les seins lourds, je me suis agenouillée péniblement. Mes tétons mouillés pulsaient contre son torse
musclé.
— Encore, ai-je murmuré.
Son corps tremblait. Pourquoi ne me poussait-il pas sur le lit pour me pénétrer d’un coup ?
Ma main a sillonné son corps. Quand j’ai pris son sexe chaud dans ma main, il a poussé un
gémissement. Tandis que je retraçais son contour avec mes doigts, j’ai rencontré la tache humide laissée
par son excitation, et j’ai frissonné.
— Encore.
— Putain, a-t-il grommelé.
— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Il m’a attrapée par les cheveux, les a enroulés autour de son poing.
— Ty ne dolzhna byla byt’ takoy.
Tu n’étais pas censée être comme ça.
Tirant ma tête sur le côté, il a planté ses lèvres sur les miennes. Il m’a embrassée avec sa brutalité
habituelle, donnant des coups de langue sensuels dans ma bouche. Les bras noués autour de son cou, je me
suis pressée contre son torse.
Sa peau était brûlante, son cœur battait à tout rompre. Quand nos mamelons se sont effleurés, il a
gémi dans ma bouche et renforcé son baiser.
Langues emmêlées, souffles unis. Lentement, délicieusement, assourdissant. Je me suis retrouvée à me
frotter outrageusement contre lui.
Toutefois, il s’est écarté de moi.
— Tu ne sais pas ce que tu fais, mais je t’apprendrai.
Je l’ai entendu se débraguetter. Il m’a tiré les cheveux de manière à me mettre à quatre pattes. De son
autre main, il a libéré sa hampe. Encore plus grosse que je ne l’avais imaginée. Exquise.
Son membre veiné vibrait sous mon regard captivé. Il durcissait en pulsant. Une goutte de liquide
perlait sur son gland, brillant au clair de lune, et j’en salivais.
Impatiente, sa main tremblait dans ma chevelure. S’il voulait me repousser en m’effrayant, pourquoi
ne pas me forcer à le prendre dans ma bouche ? Pourquoi ne pas me l’enfoncer dans la gorge ?
Il a marmonné quelques mots en russe d’une voix éraillée peu compréhensible. Il évoquait le besoin
de me rejeter, l’échec.
Je voulais tendre l’oreille, demander des explications mais cette goutte me tentait. Incapable de m’en
empêcher, je me suis penchée et j’ai léché son gland, goûté son excitation, ravivant la mienne.
Un son guttural a jailli de son torse. J’ai levé les yeux, vu sa tête rejetée en arrière, les muscles de
son torse tendus. Ses bras tremblotaient.
J’avais déjà fait des fellations, mais je n’étais pas experte. Pourtant j’avais toujours pensé que
l’enthousiasme compensait le manque de talent. Encouragée par sa réaction, je l’ai aspirée dans ma
bouche, retraçant ses veines avec ma langue.
Il a commencé à remuer le bassin à un rythme sensuel, enfonçant sa hampe entre mes lèvres. Tout en
m’immobilisant la tête, il possédait tranquillement ma bouche.
De sa main libre, il a passé les phalanges sur ma joue, sur le lobe de mon oreille. Comme si c’était
plus fort que lui.
Une main réclamait mon obéissance en me tenant par les cheveux, tandis que l’autre caressait mon
visage pour m’en remercier.
Le contraste était perturbant. Cet homme était affolant. Et il avait un goût si sublime que je me suis
prise à le cajoler… avec amour.
— Belle petite Natalya, avec ta bouche gourmande, a-t-il grommelé en caressant ma joue. Je t’ai
imaginée faire ça.
J’ai passé les lèvres sur la longueur de son membre.
— Pendant que tu me surveillais ?
Il a grommelé pour toute réponse. Pendant que je vivais ma vie, ce magnifique Russe fantasmait sur
ma bouche. Quelle idée excitante !
Quand j’ai sucé plus fort, j’ai senti un afflux de semence perler sur son gland, et j’en ai voulu plus.
Tendant la langue, j’ai pris son bout en son centre moelleux.
— Ahhh ! a-t-il crié, ses hanches s’agitant pour emplir ma bouche de son sexe.
Son gland a buté contre le fond de ma gorge. J’aurais pu avoir des haut-le-cœur mais le désir était
trop fort. Il voulait que je me soumette : ma bouche et ma gorge se détendaient pour l’accueillir
totalement.
— Avale-moi entièrement.
Il a donné un autre coup de reins. Quand ma bouche a touché sa braguette et que j’ai gémi pour en
réclamer davantage, il a répété :
— Putain.
J’étais trop excitée pour m’interroger. Emportée par le plaisir, j’ai glissé la main vers mon intimité
trempée, et caressé mon clitoris avec le talon de ma paume.
— Ah, non, Natalya.
Il m’a repoussée, puis a détaché sa ceinture et baissé son pantalon. Je n’en ratais pas une miette.
Les muscles puissants de ses cuisses. Ses testicules lourds, foncés, parfaits.
J’ai tendu la main pour les saisir, et ses hanches se sont animées sans vergogne.
En un mouvement fluide, il s’est allongé sur le dos et m’a retournée pour positionner mon entrejambe
au-dessus de sa tête, son membre dressé devant mon visage.
Allait-il me lécher dans cette position… pendant que je… ?
— Juste un peu. Pour me guérir, a-t-il murmuré en russe.
J’ai senti son souffle sur mes plis trempés. Ses doigts ont écarté mes lèvres, et j’ai senti son regard
braqué sur ma partie la plus intime.
— Tu es si belle.
Sa langue habile a touché ma chair.
Le bonheur absolu.
— Oh mon Dieu, ai-je haleté pendant qu’il léchait avidement. C’était la première fois qu’on me
faisait ça. J’ai geint en me demandant comment j’avais fait pour vivre sans.
Il a saisi son membre et l’a penché vers moi.
— Suce, a-t-il ordonné entre deux coups de langue.
Au moment où je l’ai pris entre mes lèvres, il a agrippé mes fesses pour me rapprocher de sa bouche.
Il me dévorait comme un festin, et ne s’interrompait que pour me lancer des ordres.
— Plus fort.
Et quand il m’a fessée, je me suis cambrée à la manière d’une chatte en chaleur.
J’ai creusé les joues, et senti ses dents gratter mon clitoris, son doigt cerclant mon ouverture. Avide
d’être pénétrée, j’ai écarté davantage les cuisses et me suis figée. En réponse, il m’a de nouveau frappée
pour me rappeler de continuer à sucer.
Il me contrôlait entièrement, et j’en demandais toujours plus.
Quand son doigt s’est enfoncé en moi, j’ai rejeté les fesses en arrière, frottant mon clito sur sa bouche
en me trémoussant. À mesure qu’il s’aventurait en moi, emplissant mon sexe étroit, son membre durcissait
en pulsant.
Sa langue serpentait sur mes lèvres, son doigt opérait des va-et-vient, et il grognait comme s’il était
au paradis.
— Putain, jeune femme, putain. Tu es toute serrée. Toute mouillée.
Il a aspiré mon clito entre ses lèvres et m’a sucée.
J’ai basculé vers l’orgasme. Cette fois, mon cri était étouffé par son membre. Quand j’ai joui autour
de son doigt, il s’est mis à me sucer de manière débridée dans un élan vengeur, son cri faisant vibrer mon
clitoris.
Emportée par une succession de vagues de plaisir, ma vision s’est embrouillée. Trop sensible pour en
supporter davantage, j’ai relevé la tête pour m’écarter de lui.
En réaction, il m’a fouetté les fesses de sa main.
— Non, c’est trop !
— Je veux que tu le supportes.
Il s’est remis à me lécher et j’ai frémi en me tortillant au-dessus de sa langue. J’ai cru qu’il faisait
preuve de clémence quand il a sorti son doigt mais il a immiscé sa langue à l’intérieur.
— Sevastyan !
Il a pressé sa bouche contre mon sexe.
— Prends mon sperme dans ta bouche. Je vais te la remplir.
J’ai gémi tant j’étais impatiente de le combler. Son gland entre mes lèvres, j’ai caressé son sexe sur
toute la longueur.
Il soulevait le bassin pour s’adapter aux mouvements de ma main, les talons enfoncés dans le matelas.
Sur le point de jouir, ses cuisses frémissaient contre mes oreilles.
— Je veux que tu avales tout, a-t-il ordonné avec un accent si marqué que je le comprenais
difficilement. Toi, Natalya.
— Hmmm.
Je n’ai rien pu dire d’autre alors que sa semence inondait ma langue, et que je prenais conscience
qu’il allait m’arracher un nouvel orgasme.
Il a pris mon sexe à pleine bouche.
— Jusqu’à la dernière goutte, mon chou, a-t-il grommelé.
L’idée d’avaler sa semence m’a propulsée vers un nouvel orgasme, mon sexe se trempant encore pour
sa bouche avide. Il l’a dégusté en poussant des gémissements étouffés. Pendant qu’il me léchait, sa hampe
s’est gonflée entre mes lèvres, le sperme affluant vers le gland.
Quelle pression il devait ressentir alors que cette giclée de sperme remontait le long de son membre !
Au bord de l’éruption…
— Imagine la même chose dans ton vagin.
Sa langue m’a pénétrée complètement juste au moment où il a éjaculé, son liquide crémeux
réchauffant l’intérieur de ma bouche.
Tout en libérant sa semence, il continuait à me pénétrer avec sa langue et a poussé un cri. J’ai joui une
nouvelle fois, mes yeux roulant en arrière. Délirante de plaisir, j’ai bu son sperme chaud et j’ai tout
avalé.
Jusqu’à la dernière goutte.
9

Sevastyan m’a repoussée en crachant des jurons. Il a bondi du lit comme s’il était en flammes pendant
que je me réfugiais contre la tête de lit.
Que venait-il de se passer ?
Pendant qu’il renfilait son pantalon, j’ai rabattu le drap sur moi. À moins que je ne sois toujours en
plein rêve, j’étais certaine d’avoir frotté mon sexe contre son visage tout en enfonçant son pénis dans ma
gorge.
Qui suis-je cette nuit ? Alors qu’il blasphémait en rangeant son beau membre ramolli dans son
pantalon, mes pensées me trahissaient.
Je ne sais pas qui elle est mais j’ai hâte de la retrouver.
Au lieu d’être pétrie d’angoisse, mon corps baignait dans le bien-être.
— Nous n’aurions pas dû.
Il avait de nouveau l’air dégoûté, par lui-même cette fois.
J’aurais pu comprendre différentes émotions : la confusion, l’émerveillement. Mais pas le dégoût.
J’étais ahurie, mais dans le bon sens, comme après une poussée de fièvre dont je serais ressortie plus
forte. J’étais différente. Avant, je savais tout du sexe sans en avoir jamais expérimenté le pouvoir – celui
que l’on ressent face à un homme maître de lui-même qui n’a pas résisté à mes charmes. De la même
manière que mes réactions m’avaient échappé.
Il a scruté mon visage. Que cherchait-il ? Un dégoût égal au sien ? Des regrets ?
La peur qu’il n’avait pas réussi à susciter ?
Plus il se sentait mal, mieux j’allais. Question d’équilibre, probablement. Tant pis s’il n’était pas
capable de l’accepter.
— Alors maintenant tu vas t’emporter et me dire de me couvrir ?
Pour faire bonne mesure, j’ai laissé le drap retomber en étirant mes bras au-dessus de ma tête.
Histoire de lui remémorer les seins qu’il venait de sucer et les tétons qu’il voulait faire percer.
Il s’est frotté le visage.
— C’était une erreur.
— Bien sûr que non. C’était merveilleux.
Dans ce lit, l’homme de mes rêves venait de me bouleverser, de me faire jouir comme jamais – trois
fois de suite – et ma fellation avait été plus qu’acceptable. Je commençais à croire que j’étais née pour
sucer.
Par le hublot, j’ai vu une image magnifique. La lune brillait au-dessus de l’océan. L’océan ! Ce début
de vacances était prometteur !
Il s’est assis au bord du lit, les coudes en appui sur les genoux.
— Ça te rend heureuse que je me sois servi de toi ?
Peut-être pas si prometteur que ça. Amusée, j’ai haussé les sourcils.
— J’ai joui trois fois, et toi une. Lequel de nous s’est servi de l’autre, le Sibérien ?
Il a ouvert la bouche de surprise. J’avais réussi à lui clouer le bec.
Ce soir, j’avais compris quelque chose. J’avais toujours cru qu’en perdant ma virginité, je céderais
une partie de moi. Mais avec un homme comme Sevastyan, j’en ressortais gagnante.
J’avais eu assez de plaisir pour court-circuiter mes pensées et en garder un souvenir indélébile.
Aussi, je commençais à me dire que si un homme m’inscrivait à son tableau de chasse après avoir couché
avec moi, je dirais à ce sale macho qu’il n’était qu’un parmi tant d’autres et je l’enverrais au diable.
— C’était une imprudence qui ne doit jamais se répéter, a déclaré Sevastyan.
— Parce que je suis interdite ? Kovalev ne va pas t’assassiner ou je ne sais quoi à cause de ça,
j’espère ? ai-je demandé en fronçant les sourcils.
— Non, évidemment. Ce n’est pas un tyran meurtrier.
— Alors où est le problème ?
— J’ai profité de sa fille. J’ai du mal à croire que j’aie pu te toucher, a-t-il ajouté, les joues roses.
— Il se trouve que j’en ai aimé chaque seconde.
Moi, Natalie Porter, déclare avoir plané en recevant des fessées. Et ça ne me posait aucun problème.
Je me sentais comme un téléphone qui aurait téléchargé une nouvelle appli sans avoir été réinitialisé.
Quand j’avais joui avec lui, j’avais connu une anomalie passagère, clignoté puis redémarré dans un
regain de vigueur.
Il m’avait remise à zéro, modifiant définitivement ma conception du sexe.
— Sevastyan, ne fais pas d’un bon moment une mauvaise action.
Aguiche-le…
Il m’a considérée avec suspicion.
— Tu étais serrée. Très serrée. Tu ne peux pas être vierge.
J’ai haussé les épaules en le défiant du regard.
— On dirait que tu ignores des choses à mon sujet.
Sidéré, il a craché « Blyad’ ! ». Ce mot signifiait pute, mais les Russes l’employaient pour dire « Oh,
merde ! ».
— Ça n’a pas grande importance.
De toute façon, mon hymen n’était plus intact. Mon arsenal s’en était chargé.
— Alors pourquoi tu es sous contraceptif ?
Il avait remarqué le patch sur ma hanche.
— Pour différentes raisons.
Principalement pour régulariser mon cycle menstruel. Mais il ne m’écoutait pas.
— C’est déjà mal de traiter une femme expérimentée de cette manière. (Il s’est levé d’un bond, et
s’est mis à arpenter la cabine.) Mais c’est pire de piller une fille vierge !
— Piller ? À quelle époque vis-tu ? C’était à prévoir, étant donné que nous n’avons pas de chaperon
et que ton outil est vigoureux.
Il m’a lancé un regard mauvais.
— Moi, je ne suis pas de la vieille école, mais ce n’est peut-être pas le cas de tout le monde.
— Tout le monde ? Mon père, par exemple ?
Il a résolument hoché la tête.
— Je croyais que tu le connaissais bien. Assez pour me prédire une vie extraordinaire.
— Je le connais bien. Mais il n’a pas eu de fille avant toi. J’ignore comment il va le prendre.
— Et si je n’étais pas sa fille ?
— Tu l’es.
Il s’est passé la main dans son épaisse chevelure.
— Réponds à ma question.
Il a tourné la tête et m’a regardée d’un air bestial qui m’a prise de court.
— Si tu ne l’étais pas, je serais engouffré en toi en ce moment. Devstvennitsa ili net.
Vierge ou pas.
Au lieu de satisfaire mon appétit, ça l’a aiguisé.
Récapitulatif : depuis un mois, il fantasmait sur moi. Il mourait d’envie de coucher avec moi même si
j’étais vierge. Il semblait apprécier certains aspects de ma personnalité. Il continuait de me désirer. Idem
de mon côté, mais en pire.
— Mais ça ne doit plus se reproduire, a-t-il ajouté sur un ton sans appel.
Allais-je être privée de sexe à cause du règlement tordu de la mafia ? À genoux, je me suis
rapprochée du bord du lit, appréciant son regard admiratif posé sur mes seins.
— J’ai envie que ça se reproduise. Et j’ai l’habitude d’obtenir ce que je veux. Si tu n’as pas la force
de me résister, c’est ton problème.
Mis au défi, il a plissé les yeux et s’est rapproché de moi sans avoir l’air de s’en rendre compte.
— Si tu me tentes, je serais moins tendre avec toi.
Il se trouvait tendre ?
J’ai frissonné de désir, et il a fulminé :
— Tu dis que je te trouble ? Toi, tu me stupéfais. Tu penses me vouloir, moi, ou seulement le plaisir
que je te procure ?
— Je veux avoir l’occasion de le découvrir.
— Je pensais que tu avais compris et que ton instinct était aiguisé avec les hommes.
J’ai écarquillé les yeux.
— Je n’en crois pas mes oreilles. Mon instinct est infaillible !
— Tu ne comprends donc pas ? Ton père est décidé à décrocher la lune pour toi. Même si je le
voulais, un homme comme moi ne fera jamais partie de ton avenir.
Il s’est tourné vers la porte.
— C’est étrange, ai-je dit à son dos.
Il s’est immobilisé sur le seuil, sans se retourner.
— Qu’est-ce qui est étrange ?
J’ai penché la tête sur le côté.
— Que tu croies que je ne déciderai pas de qui fait partie de ma vie.
Les épaules contractées, il a claqué la porte derrière lui.
10

— Mon réveil !
Je me suis redressée d’un bond, consciente d’être en retard pour le travail, en me demandant
pourquoi mon réveil n’avait pas sonné.
— Je vais être en retard !
Me frottant les yeux, j’ai progressivement réalisé que j’étais dans l’avion, que je n’avais pas rêvé
tous les événements de la nuit.
Ce qui s’était passé dans ce lit n’était pas un rêve.
Je me suis tournée vers la porte, où Sevastyan accrochait des housses de vêtements, une valise à ses
pieds.
— Détends-toi, Natalie. Tu n’as plus de soucis de ce genre.
J’étais nue, seulement recouverte d’un drap en travers de mes cuisses, mes cheveux emmêlés
retombant sur mes seins, tandis qu’il avait revêtu un impeccable costume trois pièces gris et un manteau
long. Il convenait à merveille à sa carrure.
— Tu es splendide, ai-je bredouillé.
À l’image de l’homme idéal qui m’avait envoyée au septième ciel ; qui avait changé l’axe de rotation
de mon univers. On aurait dit que j’avais toujours cru que l’échelle du plaisir était graduée de un à dix, et
qu’un homme m’avait murmuré d’une voix sensuelle « Tu ne savais pas qu’elle s’étire à l’infini ? ».
Puis cet homme, que nous appellerons Sevastyan, me l’avait prouvé. Ça méritait certainement un
rappel, non ?
Les joues rosies, il n’a pas répondu à mon compliment.
C’est comme ça, Nat.
— Nous avons atterri ? C’est fou que j’aie autant dormi.
J’ai remarqué que les rideaux étaient tirés. Était-il revenu les fermer pendant que je dormais ?
— Qu’est-ce que j’ai raté ? J’ai dormi comme une bûche…
Combien de temps avais-je dormi ? En vérité, je me sentais reposée pour la première fois depuis des
semaines. Après un bref inventaire de mon état physique, j’ai noté quelques douleurs, mais aux bons
endroits.
— Le ciel est couvert, tu n’aurais pas vu grand-chose.
Quand je me suis penchée pour jeter un œil au-dehors, il a détourné le regard.
Le ciel était gris, l’aéroport anodin. Une limousine était garée sur la piste, près du jet. Une voiture
digne de la famille royale britannique.
— Il y a des vêtements pour toi. Ils devraient tous t’aller, a-t-il précisé.
J’ai fait un sourire narquois.
— Parce que tu es entré chez moi en douce et que tu as noté la taille de mes vêtements ?
Il a plissé les yeux.
— Et j’ai personnellement confirmé tes mensurations, a-t-il dit avant de me laisser seule.
C’est le moins qu’on puisse dire, ai-je pensé en allant me doucher. Un instant plus tard, j’ai trouvé du
café frais et des viennoiseries chaudes près de mon lit. J’ai bu mon café, avec beaucoup de sucre et de
lait de soja. Exactement comme je l’aimais. Bien sûr, il connaissait mes goûts puisqu’il s’était immiscé
dans ma vie privée.
Mettant de côté mon agacement, j’ai inspecté les housses et la valise. Jess aurait eu un orgasme
devant la sélection. Même moi, j’admirais les pulls et les pantalons de créateurs, la souplesse des bottes
en cuir.
Et la lingerie ? Des ensembles élégants sans être trop aguicheurs – malgré la dentelle transparente et
les rubans coquins. Le genre que les fermières du Nebraska ne portent pas. Sauf que je n’étais plus dans
le Nebraska.
Après examen, j’ai arrêté mon choix sur un ensemble en soie couleur pêche. Un pull d’un beau
cachemire vert jade, près du corps, et un pantalon à pont noir. En temps normal, je ne portais pas de
pantalon moulant mais le pull m’arrivait presque à mi-cuisses, et n’afficherait rien de déplacé. J’ai
complété ma tenue d’une paire de bottines qui épousaient mes pieds.
J’ai considéré mon reflet dans le miroir, surprise par la couleur de mes joues. Mon regard était clair,
le vert de mes yeux plus vif. J’avais l’air… aimée.
Presque un regard d’ingénue.
Si une séance d’échauffement avec Sevastyan avait cet effet sur moi, je n’osais pas imaginer ce que
coucher avec lui me ferait. Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir.
J’ai rangé les autres vêtements puis sorti ma valise de la cabine moitié en la portant, moitié en la
faisant rouler. Si je m’étais attendue à ce que Sevastyan me complimente sur ma tenue, j’avais rêvé.
— Ne porte pas tes bagages.
Après que j’ai lâché la valise comme si elle était brûlante, il m’a entraînée vers la sortie.
En haut de l’escalier, j’ai pris le temps d’inspirer à fond pour m’imprégner de l’odeur du pays. Je
n’ai senti que le carburant et le froid perçant.
— Tiens, ton manteau, a dit Sevastyan en anticipant mes besoins.
En fourrure, long jusqu’aux pieds. Complètement décadent.
— Je ne porte pas de fourrure, ai-je rétorqué fermement, tout en caressant les poils soyeux.
— En Russie, c’est comme ça.
Je m’apprêtais à protester quand il a ajouté :
— Il appartenait à ta grand-mère. Il a été ajusté à ta taille.
Ma grand-mère l’avait porté ? À court d’arguments, je l’ai enfilé sans m’étonner qu’il m’aille. En
descendant les marches, la chaleur m’a enveloppée.
— Pourquoi Kovalev me fait-il un si beau cadeau ?
Il ne me connaissait même pas.
— À qui d’autre revient ce manteau si ce n’est à la petite-fille de son propriétaire ?
Dit comme ça…
Un chauffeur quelconque m’a ouvert la portière, et Sevastyan m’a aidée à m’installer à l’arrière.
Dans la voiture, un écran opaque nous séparait de l’avant. Les vitres teintées étaient si épaisses
qu’elles devaient être blindées. Sevastyan était assis en face de moi – le plus loin possible. Tandis que
nous quittions l’aéroport, il évitait de me regarder, concentrant son attention à l’extérieur.
— Où vit Kovalev ?
— En banlieue, au bord de la rivière Moskova. À une heure de route environ.
Nous allions être coincés ensemble dans cette voiture pendant une heure ? Avec lui dans son costume
de top model ?
Lorsque nous avons emprunté une grande route, j’ai détaché mon regard de lui pour découvrir ce
nouveau pays. Le front collé à la vitre, j’étais curieuse d’admirer le paysage. Malheureusement, nous ne
dépassions que des entrepôts qui auraient aussi bien pu être américains. Seul l’alphabet cyrillique les
différenciait.
— Nous allons traverser Moscou ?
— Pas aujourd’hui.
— Je ne vais pas voir la ville ?
— Nyet, Natalie.
Un non ferme et définitif.
— Pas un seul clocher à bulbe ? ai-je dit d’une voix déçue.
J’ai toujours apprécié la beauté de ces dômes typiques de la Russie, aux couleurs vives et osées –
avant même de voir les deux exemples tatoués sur son biceps.
— Peut-être, a-t-il répondu sur un ton énigmatique.
Le silence régnait. Les zones industrielles se succédaient sur de longs kilomètres. Le trajet était un
enfer peu ordinaire.
— J’ai chaud. Je peux entrouvrir la fenêtre ?
— Hors de question.
J’ai croisé les bras. Si j’avais eu une fleur, j’aurais détaché ses pétales en récitant : il me veut, il ne
me veut pas. La nuit dernière, j’étais persuadée qu’il souhaitait me connaître mieux. Aujourd’hui, j’en
doutais.
— J’aimerais qu’on parle de ce qui s’est passé la nuit dernière.
Après avoir jeté un regard vers la petite cloison, il a chuchoté.
— Nous étions d’accord pour en rester là.
Il semblait essayer de s’en convaincre.
— Nous ne nous sommes mis d’accord sur rien du tout. Tu l’as suggéré et j’ai refusé. Et puis toi aussi
tu y penses encore.
— Qu’est-ce qui te fait croire ça ? a-t-il demandé d’une voix rauque.
— Tu te dandines sur ton siège et tu gardes ton manteau fermé malgré la chaleur. Je parie que tu
bandes sous tes vêtements.
Il n’a pas nié.
— C’est obligé que tu y penses, parce que je n’arrive pas à l’oublier.
— Essaie, a-t-il dit avec détachement, se détournant de nouveau de moi.
— C’est difficile quand chaque mouvement me rappelle ce que tu m’as fait.
Et la douleur secrète est délicieuse, devais-je admettre.
— J’ai mal aux fesses comme si j’avais passé deux jours à cheval.
Pour rien au monde, je n’effacerais cette expérience ni les picotements. Regardant fixement par la
fenêtre, il ourlait les lèvres avec une satisfaction toute masculine.
Ce grand sourire à couper le souffle… Affichait-il sa fierté parce que je continuais de sentir les effets
de sa correction ?
Son visage était toujours aussi indéchiffrable. Il devait réellement savourer ce qu’il m’avait fait.
S’il éprouvait une fraction de mon attirance envers lui, comment pouvait-il se refuser une seconde
fois ? À moins qu’il ne vive régulièrement des expériences similaires. L’idée d’une autre m’a mise en
rage.
— J’imagine que tu fais ça tout le temps avec des tas de femmes ? Je ne suis qu’une parmi tant
d’autres.
— Tu n’es pas comme les autres femmes que j’ai connues.
Ça, il me l’avait déjà dit. De jour comme de nuit.
— Comment ça ?
Aucune réaction.
— Dis-moi.
Il a haussé les épaules. Fin de la conversation.
Très bien.
— Je dois te parler de détails pratiques. Maintenant que nous avons réglé mon problème de garde-
robe…
— Ce n’est pas réglé. C’était à peine pour la journée. Tu vas recevoir une nouvelle garde-robe
complète.
Je regrettais mon manque d’intérêt pour la mode. Et, bon, pour l’argent aussi.
— Je vais pouvoir téléphoner ? Je dois avertir mes professeurs.
— Je les ai tous contactés par e-mail. J’ai expliqué que tu avais une urgence familiale et que tu
devais partir en voyage. Pour une durée indéterminée.
— Tu n’as pas osé !
Il a arqué les sourcils.
En somme, il avait suspendu mes études. Même si je m’étais déjà organisée pour les cours à rattraper,
son autoritarisme me restait en travers de la gorge.
— Tu as toujours été sérieuse et responsable. Ce serait suspect que tu disparaisses sans prévenir, a-t-
il fait remarquer.
— Ils n’y croiront pas.
— Ils y croiront puisque les e-mails ont été envoyés depuis ton adresse.
— C’est ce que tu faisais pendant que j’étais dans mon bain ! Je t’ai entendu entrer plus tôt dans la
soirée.
Il n’a pas nié.
Alors comme ça, il était devant mon ordinateur, à chambouler ma vie, quand il m’avait entendue
gémir et qu’il avait décidé de vérifier ça aussi. Il n’avait donc aucune limite !
Il s’était passé tellement de choses entre-temps que ma sortie au bar avec mes amies semblait
remonter à plusieurs semaines ; probablement parce que ma vie avait changé de manière plus radicale en
vingt-quatre heures qu’au cours des six dernières années – depuis le décès de mon père, quand j’avais
réalisé que la vie était courte et précieuse. Depuis que je m’étais lancée dans ma quête.
Ma nervosité est revenue au galop.
— Bon, et je vais loger où ? Pour combien de temps, a priori ?
Sevastyan m’a lancé un regard perplexe.
— Tu vas vivre chez Kovalev. Une fois que tout sera sécurisé, tu pourras aller et venir à ta guise.
— Je suis supposée vivre avec un inconnu ?
Je n’avais même pas eu le temps de faire des recherches sur Internet.
— Vous ne risquez pas de vous marcher sur les pieds. Tu resteras sur sa propriété le temps que
les dangers soient éliminés. À moins que tu ne décides de t’y installer définitivement.
Résider volontairement avec un inconnu ? Dans une enceinte soviétique lugubre ?
— Mais combien de temps ça va prendre d’éliminer ces menaces ? Deux semaines ? Deux mois ?
— C’est ta vie dans un avenir plus ou moins proche.
Mes vacances venaient d’être prolongées – tout ça à cause d’un père que je n’avais jamais vu.
— Parle-moi de ce qu’aime Kovalev.
Il a à peine ébauché un sourire en coin.
— Il ne ressemble pas du tout à l’image que tu as de lui.
Avais-je noté un léger dégel chez le Sibérien ?
— Tu l’aimes sincèrement. C’est plus qu’une question de loyauté inhérente à l’organisation.
Il a hoché la tête.
— Kovalev est la meilleure personne que je connaisse. Je le respecte comme nul autre.
— Comment vous êtes-vous rencontrés ?
— À Saint-Pétersbourg. Par hasard, a répondu Sevastyan en faisant tourner sa bague de pouce.
— Ah oui, ça explique tout.
Extraverti comme un Russe.
— Demande à Kovalev de te raconter, si tu y tiens.
Possible que je le fasse.
— Que suis-je censée faire de mes journées, maintenant que tu m’as radiée de la fac et fait perdre
mes emplois ? Je vais avoir du mal à passer d’une vie hyperactive à l’oisiveté.
J’avais déjà plus d’énergie que d’ordinaire.
— Tu vas rencontrer ton père. Profiter des commodités de Berezka.
— Le petit bouleau ? C’est le nom de sa résidence ?
— Da.
Nous sommes retombés dans le silence. Le paysage devenait plus sauvage, plus arboré et découpé en
vastes propriétés. Nous longions des portails de plus en plus élaborés.
Je réalisais que je laissais l’angoisse prendre le dessus. J’avais fait des histoires pour un manteau. En
fourrure. Celui de ma grand-mère.
Et si je me mettais à dire des inepties ? Et si j’agaçais Kovalev ? Je parlais rarement sans réfléchir
mais quand ça m’arrivait, j’y allais fort.
Et s’il doutait que je sois sa fille et que ce soit une mise à l’épreuve ? Je n’avais que la parole de
Sevastyan pour me rassurer. Pouvais-je vraiment lui faire confiance ?
— Natalie, détends-toi. C’est quelqu’un de bien.
Il s’est penché vers moi et m’a pris les mains. Juste au moment où j’avais décidé que Sevastyan était
peu fiable, il se montrait compréhensif. J’étais en proie à un fort sentiment d’insécurité. Et il faisait
preuve de compassion.
Il a froncé les sourcils.
— Tu as les mains froides.
J’ai baissé les yeux sur ses mains qui réchauffaient les miennes.
Exactement comme j’avais imaginé l’homme de ma vie, ce grand inconnu, dans mes rêves.
Je l’ai regardé en clignant des yeux ; notre nuit me paraissait irréelle.
— Il n’y avait pas des gants dans tes affaires ?
— Je n’ai pas tout regardé.
— Ne sois pas nerveuse. Tu vas très bien t’adapter, a-t-il affirmé.
— Comment tu peux en être aussi sûr ?
— Tu as été parfaite jusqu’ici.
La voiture a ralenti. Il a lâché mes mains et s’est éclairci la voix.
— On est arrivés.
11

Des chiens de garde et des mitraillettes. Pourquoi étais-je surprise ?


Au début de l’allée, deux tours en pierre blanche à deux niveaux se rejoignaient en arc au-dessus des
portails en fer. Des hommes en uniforme étaient postés devant l’entrée, armes en main, flanqués de chiens
menaçants.
Notre chauffeur a baissé sa vitre pour parler au gardien qui essayait de m’apercevoir. La fille perdue
depuis longtemps devait éveiller la curiosité.
Un moteur a vrombi à l’ouverture des portes. Quand elles se sont refermées derrière nous, Sevastyan
s’est légèrement détendu, comme au décollage.
— Eh bien, c’est un tout autre monde, ai-je expiré, surprise.
— La sécurité a été renforcée pour ton arrivée. Kovalev ne prend aucun risque. Mais ça ne doit pas
t’effrayer. Nous veillerons à ce qu’il ne t’arrive rien.
— Je n’ai pas peur, mais c’est la première fois que je quitte les terres agricoles du Midwest. Et ça,
c’est…
— Je sais, mon chou.
J’ai surpris son regard sur mes cuisses, sur lesquelles j’avais mes mains croisées, et j’ai cru qu’il
était tenté de me donner la main. Mais il n’a rien fait.
L’allée serpentait dans un vaste parc, composé d’une succession de collines sur lesquelles on aurait
pu aménager un terrain de golf. Le soleil filtrait à travers les nuages bas.
J’essayais de tout examiner, de mémoriser ma découverte des lieux, mais Sevastyan détournait mon
attention du paysage.
Alors que nous avons franchi un charmant pont de bois, j’ai remarqué qu’il me scrutait. Jaugeait-il ma
réaction ?
Les arbres devenaient plus nombreux, et la forêt dense se teintait des couleurs de l’automne. Les
feuilles des bouleaux et d’autres espèces d’arbres éclataient de tons orange, roux et doré – doré comme
les yeux de Sevastyan.
À l’approche d’une immense bâtisse construite au bord d’un lac, je me suis écriée :
— C’est ici ?
Les murs et les colonnes étaient couleur ivoire, le toit de tuiles surmontait trois dômes de cuivre,
patinés en vert.
— Des dômes ! C’est magnifique !
Tout le contraire d’un monolithe glauque de l’ère soviétique. Le reflet de la demeure dans le lac aux
eaux translucides paraissait irréel. J’étais sous le charme, prête à prendre possession des lieux…
— C’est la fantaisie du lac, l’ancienne église de la propriété. (Devant mon air étonné, il a précisé :)
Maintenant c’est l’endroit où les invités prennent le thé.
— Wouah.
Nous sommes passés devant une écurie qui devait contenir cinquante box.
— Il y a combien de chevaux ?
— Des dizaines. Kovalev adore les animaux.
Qui veut un tigre blanc ? Il gardait peut-être des ours en cage.
Au sortir d’un virage, une demeure est apparue devant nous. Ou plutôt, un palace.
J’étais bouche bée.
— Maintenant, nous y sommes, a dit Sevastyan.
Depuis le bâtiment principal à trois étages, deux ailes s’étiraient au-delà de mon champ visuel.
C’était de la taille d’une résidence urbaine mais en plus charmant. La fantaisie du lac était assortie à la
demeure, reprenant les mêmes couleurs et types de colonnes. Le soleil de fin d’après-midi déversait ses
rayons sur la scène.
— Je… c’est…
— C’est l’ancienne résidence d’un tsar. Il y a vingt ans, elle était en mauvais état. Elle a failli être
rénovée et transformée en musée et en un monument symbole de la Russie. Kovalev l’a achetée et l’a fait
restaurer avec soin.
— C’est un lieu historique, alors. (Mon cœur battait à tout rompre.) Tu ne m’avais pas dit que je
logerais… au cœur de l’Histoire.
La limousine s’est garée devant l’entrée, près d’une rangée de voitures de luxe de toutes sortes de
marques et de styles. Sans laisser le temps au chauffeur d’ouvrir ma portière, je me suis précipitée à
l’extérieur, suivie par Sevastyan. J’ai levé la tête.
— Spectaculaire, ai-je bredouillé.
Il a hoché la tête avec satisfaction.
— Horosho.
Bien.
— Vous devez être Natalie Porter !
Un jeune homme, de mon âge environ, est sorti par les grandes portes en cuivre. Quand le soleil a
éclairé son visage, j’ai entrouvert la bouche. Il était… très beau. Ses cheveux courts blond foncé étaient
en bataille, ses traits d’une symétrie parfaite. Ses yeux gris pétillaient de malice et d’intelligence.
Je venais à peine de recouvrer l’usage de la parole que j’étais de nouveau bouleversée.
— C’est Filip Liukin, a annoncé Sevastyan sur un ton désapprobateur.
Si Sevastyan était attirant et d’un charme brut, Filip était d’une beauté aveuglante.
— C’est ton cousin, a-t-il précisé alors que je cherchais mes mots.
Dommage.
— Cousin éloigné, s’est empressé d’ajouter Filip avec un accent britannique.
Son sourire charmeur laissait apparaître ses fossettes et ses dents impeccables. Il a donné une tape
sur l’épaule de Sevastyan.
— C’est bon de te revoir, bratan !
Sevastyan l’a regardé d’un air qui dissuaderait quiconque de le toucher.
— Ne m’appelle jamais « frère ».
Oh là ! Filip avait dû toucher la corde sensible.
— Tu as compris, a répondu Filip sans se laisser démonter. Ça fait plaisir que tu sois de retour. Je
sais que tu es content d’avoir bouclé cette longue mission.
Aux yeux de tous, n’étais-je que la mission de Sevastyan ? Une lourde tâche qui l’avait retenu à
l’étranger pendant un mois ? Je n’étais pas que ça pour lui, si ? Peut-être que je me souvenais mal de ses
réactions à mon égard. Toute la journée, il avait été tantôt froid tantôt chaleureux et il y avait de quoi se
poser des questions.
Filip m’a tendu les bras.
— Viens par-là, cousine !
Blessée de me considérer comme une mission, j’ai laissé Filip m’enlacer. En m’écartant, j’ai jeté un
œil à Sevastyan. Dents serrées, le muscle de sa mâchoire tressaillait. Il n’appréciait pas, comme s’il était
jaloux.
J’ai reporté mon attention sur Filip, sans avoir à me forcer.
— Tu habites ici ?
— Quasiment. Puisque tu seras à Berezka, j’ai l’intention de passer plus de temps ici. Personne ne
m’avait dit que tu étais aussi belle.
Mon radar s’est mis en marche, mais je n’arrivais pas à me faire une opinion sur lui. Je n’étais pas
très à l’aise, mais mon jugement devait être influencé par l’attitude de Sevastyan envers lui. J’ai changé
de sujet.
— Ton anglais est parfait.
Celui de Sevastyan aussi, mais contrairement à Filip, il avait un accent.
— Tu as grandi à l’étranger ?
— Oui, j’ai étudié en Angleterre. J’ai eu mon MBA à Oxford. Et maintenant je suis rentré en Russie.
J’essaie d’actualiser les opérations de ton paternel, de les mettre au goût du jour, a-t-il ajouté avec
affection avant de me donner le bras. On y va ?
Étais-je passée de main en main, de Sevastyan à Filip ? Je débordais d’enthousiasme en arrivant, et
maintenant j’étais perturbée. J’ai quand même réussi à sourire.
— Oui.
— Je l’emmène à l’intérieur.
Sevastyan a posé une main possessive sur mon épaule, projetant une onde de plaisir dans mon corps.
J’ai été tentée de m’abandonner contre lui. Filip ne s’est pas départi de son sourire.
— C’est bon, je m’en occupe. Tu dois être fatigué après cette longue surveillance.
Sevastyan n’a pas répondu. Pas la peine. En un regard mauvais, Filip a cédé.
— Ne t’emballe pas, le Sibérien, a-t-il gloussé avec jovialité. J’ai à faire de toute façon. On se voit
ce soir, cousine.
Il est parti en direction des voitures.
— Où est ta voiture ? a crié Sevastyan.
— Au garage, a répondu Filip sans ralentir le pas.
Je l’ai suivi des yeux car j’avais du mal à détacher mon regard de lui. C’était comme observer le
passage d’une comète.
Quand je me suis tournée vers Sevastyan, il grinçait des dents.
— Sois prudente avec lui. Les apparences sont parfois trompeuses.
— Si je ne te connaissais pas, je croirais que tu es jaloux.
— Ce n’est pas la question, a-t-il dit en faisant tourner sa bague de pouce. Viens.
Il a indiqué le seuil d’un geste.
À l’intérieur, l’opulence m’a subjuguée. Un escalier majestueux partait gracieusement d’un immense
hall d’entrée. Le marbre scintillait sous nos pieds. Des statues délicates étaient disposées dans les
alcôves, des paysages peints ornaient les murs. Au lieu du bric-à-brac clinquant que j’avais imaginé,
l’endroit était raffiné et de bon goût.
Quand nous avons confié nos manteaux à un domestique en uniforme, j’ai eu l’impression d’avoir
perdu une épaisseur protectrice. Nous avons emprunté une longue galerie aboutissant à deux portes
massives en bois.
— C’est son bureau, a-t-il dit en s’arrêtant devant.
Pleine d’appréhension, je me suis tournée vers les portes. Jusqu’à cet instant, l’idée de rencontrer
mes parents biologiques était un rêve lointain, un projet saugrenu. J’ai arrangé mes cheveux et ajusté mon
pull.
— Viens. Tu vas vraiment l’apprécier, Natalie.
Je me suis sentie imprégnée par sa force.
— Et lui, il va m’apprécier ? ai-je demandé d’une petite voix.
Il a tendu la main vers la poignée en regardant devant lui.
— On tebya polyubit, a-t-il murmuré.
Il va t’aimer.
12

Mes attentes inspirées du Parrain – une pièce lugubre, lambrissée de bois sombre et emplie de nuages
de fumée de cigare – se sont évanouies. Le bureau de Kovalev était lumineux et aéré. Le soleil de la fin
de journée entrait en abondance par les nombreuses fenêtres.
Le long des murs, une collection d’horloges anciennes tintait joyeusement. D’autres, dans différents
états de réparation, étaient dispersées sur un établi.
Kovalev était réellement horloger ? J’espérais que Sevastyan ait oublié mes commentaires idiots
dans l’avion.
Je le vis sur la droite ; il était au téléphone. Pavel Kovalev n’était pas du tout ce à quoi je m’étais
attendue. De petite corpulence, il avait des cheveux noirs grisonnant sur les tempes et des joues roses. Au
lieu d’un survêtement, il portait une élégante veste de sport bleu marine sur une chemise bleue qui
soulignait ses yeux pétillants. Pas de chaîne en or.
Kovalev, le mafieux russe, ressemblait plus à un Père Noël mince et élégant qu’au Parrain. Il n’aurait
pas pu être plus éloigné de l’image que je m’étais faite de lui.
— Natalie !
Il a rapidement raccroché. Son regard bleu s’illuminant, il s’est empressé de venir m’accueillir. Il
devait mesurer un peu plus d’1,75 mètre et avoir une soixantaine d’années. Les bras grands ouverts, il
affichait un sourire contagieux.
Bien que nous partagions notre ADN, c’était un étranger. Comment devais-je l’appeler ? Monsieur
Kovalev ? Père ? Papounet ? Je me suis avancée d’un pas incertain, dardant un regard vers Sevastyan qui
a imperceptiblement hoché la tête. Un encouragement ?
— Salut, ai-je fini par dire.
Minable.
Kovalev m’a tapoté les épaules, et m’a embrassée sur les deux joues.
— Tu es le sosie de ma mère.
Il a pointé le doigt vers le portrait d’une femme souriante, accroché au mur. En effet, je lui
ressemblais. Ma grand-mère.
— Comment s’est passé le voyage ?
C’était déconcertant, riche en découvertes et épouvantable par moments.
— C’était… inattendu ?
Il m’a regardée d’un air penaud.
— Je te présente mes excuses, trésor. (Son anglais était aussi excellent que celui de Sevastyan – et
avec le même accent.) Je suppose qu’Aleksandr t’a parlé de nos problèmes actuels. (Il a couvé Sevastyan
d’un regard fier.) Il parle en mon nom.
Je me souvenais de cette expression, qui signifiait qu’il avait tant confiance en lui qu’il savait que
Sevastyan dirait exactement la même chose que lui dans n’importe quelle situation.
— Vraiment ?
J’ai cru voir Sevastyan rougir. Pensait-il à son « imprudence » ?
— Tout à fait. Il est comme un fils pour moi, la seule personne à qui je confierais la responsabilité
d’aller chercher ma… fille. Je ne me lasse pas de ce mot.
Lorsque son regard s’est embrumé, j’ai cru que j’allais craquer pour ce Père Noël mafieux.
— Sevastyan a veillé à ma sécurité, l’ai-je assuré. Et le voyage s’est bien passé, rien de spécial.
Prends ça, le Sibérien.
— Bien, très bien. Tu as faim ? Tu veux que nous prenions le thé ?
— Bonne idée.
— Je vais vous laisser, a dit Sevastyan, rigide et professionnel. Il faut qu’on parle ensuite, Paxán.
Kovalev a froncé les sourcils, l’air pensif.
— Bien sûr, fils.
Sevastyan a tourné les talons avant de sortir.
— Il vous admire, ai-je dit. Il paraît qu’il est avec vous depuis tout jeune.
— Oui, il avait à peine treize ans quand je l’ai trouvé.
— Trouvé ?
Comment pouvait-on perdre Sevastyan ? Kovalev a acquiescé mais s’est abstenu de développer.
— Un garçon très vif, et surtout très loyal.
— Comment il vous a appelé en sortant ?
— Paxán ? C’est le petit nom qu’il m’a inventé en mélangeant « Parrain » à « vieil homme ». C’est
affectueux, malgré ce que tu pourrais croire. Tu pourrais peut-être me tutoyer et m’appeler comme ça
aussi, le temps que nous apprenions à nous connaître. Pour l’instant ?
Jusqu’à ce que je l’appelle Bátja ? Papa ? Dans sa voix, une note d’espoir m’a émue. J’ai souri.
— D’accord, Paxán, juste pour l’instant.
Il m’a indiqué deux sièges élégants, et s’est assis en face de moi. Des domestiques en tenue ont
aussitôt apporté un service à thé et un plateau en argent à plusieurs niveaux. Des sandwichs au saumon et
au concombre étaient disposés sur le dessus. Du caviar et des blinis emplissaient le second niveau, du
fromage, des poires et du raisin, le troisième. Des scones et des pâtisseries étaient joliment disposés dans
le bas.
Il a servi le thé pendant que je remplissais mon assiette. Le thé était fumé, corsé. Il l’a sucré avec de
la confiture d’orange, et je l’ai imité. Le mélange était délicieux.
Nous avons discuté du climat du Nebraska, de la Russie et de ses derniers déplacements aux États-
Unis (voyages d’affaires à Brighton Beach et Las Vegas). Nous bavardions avec aisance – jusqu’à ce que
la conversation vire au sérieux.
— Tu dois te poser des questions à propos de ta mère.
J’ai hoché la tête.
— Sevastyan ne m’a pas dit grand-chose. Il préférait te laisser faire.
— Elle s’appelait Elena Petrovna Andropova.
Subitement, il a semblé vieilli, accablé par les regrets.
— D’après ce que j’ai appris, elle est décédée peu après ta naissance.
— Des complications à l’accouchement ?
Elle était morte à cause de moi ? Il s’est empressé de poursuivre.
— Tu ne dois pas t’en vouloir. Elle n’a pas eu accès aux soins appropriés. Tout le pays était en crise
à l’époque.
Avait-elle eu le temps de me prendre dans ses bras ?
— J’ai toujours cru qu’elle m’avait abandonnée.
— Pas du tout. Moi non plus je ne t’aurais pas abandonnée, si j’avais été informé de ta naissance.
Nous avons été… séparés.
— À cause du code de la Bratva ?
— Da. Je ne savais pas. J’aurais enfreint le code, j’aurais retourné ciel et terre pour avoir une fille
comme toi !
J’avais beau me trouver plutôt chouette, d’où venaient ces sentiments ? Du seul lien biologique ? Ou
des rapports de terrain de son homme de main ?
— Tu es tellement… sûr de toi. Je sais que les liens de sang sont importants pour certaines personnes
mais tu dois comprendre que d’autres liens le sont aussi à mes yeux.
— Bien sûr ! Pourtant j’ai l’impression de bien te connaître après les éloges qu’Aleksandr m’a faits
sur toi. C’est très rare qu’il donne son approbation, et jamais sans réserve.
Des éloges ? Sans réserve ?
— Que t’a dit Sevastyan ?
Allais-je être à la hauteur ?
— Il m’a dit que tu étais une étudiante brillante, récompensée par de nombreuses bourses. Il m’a
envoyé des exemplaires des articles que tu as rédigés pour des journaux. Nous les avons tous lus.
J’ai soudain regretté de ne pas m’être plus appliquée. Et je ne pouvais pas m’empêcher de
m’interroger sur l’opinion de deux gangsters sur mes sujets : l’image des femmes, la représentation des
genres et de l’homosexualité à travers l’histoire. Le temps viendrait sûrement d’en discuter avec eux.
— J’ai également vu des photos de toi plus jeune dans des foires agricoles et des vidéos plus
récentes de toi chantant au karaoké avec tes amis.
J’avais oublié que Jess avait posté cette vidéo tournée à l’époque où je pensais que l’enthousiasme
primait sur le manque de talent. Tu t’es fait la même réflexion hier soir, andouille. Les joues en feu, j’ai
bu une gorgée de thé pour cacher ma consternation.
— Tu es naturellement douée pour chanter, a-t-il dit avec ironie.
J’ai ri dans ma tasse. Je découvrais son sens de l’humour malicieux avec ravissement.
— Sevastyan m’a dit que tu combinais trois emplois avec des études à temps plein. Je sais que tu
travaillais si dur que tu rentrais chez toi en titubant tellement tu étais épuisée, a-t-il ajouté gravement.
Mal à l’aise, j’ai rougi. Il me faisait passer pour une orpheline de roman. J’avais un but, et j’avais
tout fait pour le réaliser. Rien de plus.
— Honnêtement, j’étais peut-être simplement ivre. C’est tout à fait possible.
Il s’est enfoncé dans le silence. Seuls résonnaient les tic-tac des horloges. Il a rejeté la tête en arrière
et a éclaté de rire.
Il avait un rire merveilleux, qui sortait du cœur. Je me suis prise à rire avec lui.
Une fois calmé, il s’est essuyé les yeux.
— Tu es un trésor, Natalie.
J’ai répondu d’un grand sourire.
— À propos de mes emplois, Paxán, ne va pas t’imaginer que mes parents ne pourvoyaient pas à mes
besoins. Ils l’ont toujours fait mais je ne voulais pas que ma mère connaisse mes projets.
— Alors pour protéger ta mère adoptive et m’apporter une grande joie, tu as travaillé jusqu’à
l’épuisement. Tu m’as donné une leçon importante.
J’ai levé les sourcils.
— Le pouvoir peut prendre plusieurs formes, non ? Une organisation comme la mienne est puissante.
Mais une jeune femme déterminée et courageuse l’est tout autant. Tu m’as trouvé, a-t-il ajouté en faisant
écho aux propos de Sevastyan.
Je concevais que mes efforts l’impressionnent mais pour moi, ces six dernières années étaient… ma
vie.
— En parlant d’organisation (j’ai inspiré profondément), comment as-tu, euh, commencé ?
Autant régler ce point.
— Pas par choix, c’est certain ! Je voulais devenir maître horloger. (Il a indiqué sa collection d’un
geste.) Comme mon père avant moi, et son père avant lui.
Je descendais d’une lignée d’horlogers ? Sympa !
— Quand j’étais jeune, ma famille tenait une boutique à Moscou, l’un des nombreux commerces du
marché noir. Nous vivions confortablement, mais des brigadiers – les sbires d’un vor – ont jeté leur
dévolu sur nous. Ils ont exigé de l’argent en échange de leur protection contre les gangs qui sévissaient
partout. Ils nous ont réclamé une somme exorbitante. Nous n’avions pas les moyens, mais ils ont trouvé
d’autres manières de nous faire payer.
— Que s’est-il passé ?
Son regard est devenu lointain.
— Mon père est mort ce soir-là. Ma mère a survécu quelques années avant de succomber à… au mal
qu’on lui a fait.
Mon ventre s’est serré si violemment que j’ai failli vomir. Un sentiment nouveau m’a submergé, un
élan protecteur envers ces personnes – doublé d’une colère noire. Je devinais la fin de son histoire : à
l’évidence, il avait vaincu ce vor et pris sa succession. Mais je voulais entendre comment il s’y était pris.
Avec tous les détails.
Je souhaitais revivre sa vengeance. Étonnant… peut-être que j’étais précisément à ma place, en
pleine guerre des gangs.
— Qu’as-tu fait ?
— Je n’étais qu’un adolescent, a-t-il repris. Mais guidé par ma mère, une femme fière et combative,
nous avons vengé mon père et déjoué ce gang pour mieux les écraser.
Oui, mais…
— Comment ?
Il a expiré, et m’a fait un triste sourire.
— Ne parlons pas de choses déplaisantes. Sache seulement que nous avons gagné ce jour-là. Mais
peu de temps après, un autre gang est venu réclamer de l’argent, à nous et à tous nos voisins et amis. Ma
voie était claire. Je pouvais laisser des chacals nous dépouiller, ou payer mes propres brigadiers pour
assurer notre protection. Les commerçants du quartier me donnaient ce qu’ils pouvaient et je me suis
développé.
— Je suis contente que tu les aies vaincus, Paxán. Je suis contente que tu aies vengé tes parents, ai-je
déclaré sur un ton aussi neutre que possible.
Il a semblé se réveiller.
— J’avais peur que tu n’acceptes pas mes activités.
— Tu veux que je te dise quelque chose de bizarre ? Que tu ne me racontes pas comment tu t’y es pris
m’ennuie plus que la nature de tes activités.
— Quel trésor, a-t-il dit avec tendresse.
Puis il a redressé le dos et a poursuivi dans un regain d’optimisme.
— Parlons de sujets plus légers, de l’avenir. Ce soir, j’ai prévu d’organiser un banquet en ton
honneur. Tu vas rencontrer toute l’organisation, tous nos commandants de brigades. Et ton cousin Filip
aussi.
— Je l’ai croisé en arrivant.
Kovalev a paru surpris.
— La plupart des jeunes femmes sont sous le charme la première fois qu’elles le rencontrent.
Ça aurait pu s’appliquer à moi si je n’en pinçais pas pour Sevastyan.
— Filip est le fils de mon cousin éloigné et meilleur ami, mort récemment. Une dure épreuve pour ce
pauvre garçon. Ta présence lui fera le plus grand bien…
La suite de la conversation s’est déroulée dans la bonne humeur. Kovalev et moi nous sommes trouvé
des points communs : nous n’aimions pas les comédies burlesques, nous adorions les animaux et les films
de gangsters.
— Toutefois, ils ne sont pas toujours réalistes, a-t-il fait remarquer, me rappelant que je discutais
avec un patron du crime.
Il m’a raconté des anecdotes sur ma mère – elle aimait jardiner, et les plantes en général. Elle aurait
été heureuse que je grandisse dans une ferme. Il m’a proposé de faire une partie d’échecs le lendemain
matin, et promis de m’apprendre l’horlogerie.
Toutes les horloges ont sonné cinq heures.
— Je passe un excellent moment, mais je devrais te laisser t’installer avant le banquet.
— Ah oui…
Le banquet, la barbe. Je préférais passer plus de temps avec mon père. Il a ajouté sur le ton de la
confidence :
— Je regrette de l’avoir organisé, j’aurais préféré un dîner tranquille pour poursuivre notre
conversation.
Il avait aussi peu envie que moi que je m’en aille.
— Aleksandr pourra se joindre à nous, a-t-il précisé au moment où l’on a frappé à la porte.
Quand on parle du loup…
13

— Tu arrives à point nommé, fils. Tu voudrais bien conduire Natalie à ses appartements ? a dit
Kovalev.
— Je pensais que tu voulais l’emmener.
— Non, non, allez-y tous les deux. À ce soir, chère Natalie.
Son baiser, sur le dessus de la tête, m’a semblé naturel.
Je souriais en sortant du bureau avec Sevastyan. Le Sibérien avait raison. Je ne savais pas de quoi je
parlais, Kovalev était merveilleux.
— Tu as passé un bon moment, a-t-il avancé en montant le grand escalier.
— Comme tu l’avais dit, Paxán est génial.
Mes préjugés étaient ridicules, et j’avais porté un mauvais jugement sur Sevastyan. Je devais peut-
être accepter les erreurs de ma manalyse – elle devait avoir des limites géographiques.
Sevastyan a haussé les sourcils.
— Tu l’appelles par ce nom affectueux ?
— C’est lui qui me l’a demandé, me suis-je défendue.
— Mais tu le fais, malgré ses activités ? a-t-il rétorqué.
Alors que je m’étais préparée à rencontrer un baron stéréotypé de la mafia, j’avais eu la chance de
tomber sur un criminel qui aurait préféré être horloger. Il m’avait donné des raisons de fermer les yeux
sur certaines choses.
— Tu avais raison, Sevastyan. Je comprends mieux maintenant. (J’ai soutenu son regard.) Et je suis
très heureuse que tu m’aies obligée à monter dans cet avion.
À plus d’un titre…
J’ai cru voir son regard se réchauffer mais il a tourné la tête, m’entraînant dans un couloir décoré
d’œuvres d’art. Nous devions nous diriger vers l’autre aile.
Nous nous sommes arrêtés devant des doubles portes blanches.
— C’est ta suite, a-t-il dit en les ouvrant sur un vaste salon, tout aussi luxueux que le bureau de Paxán
mais en plus féminin.
La décoration était manifestement destinée à une fille. À une Russe très riche.
— C’est ravissant. Mais, euh, je dors où ?
Il a traversé la pièce, me laissant le suivre. Nous avons dépassé un bureau adjacent équipé d’un
ordinateur dernier cri puis une salle de télévision avec écran géant avant d’atteindre la chambre.
— Le rêve de toute nana, ai-je marmonné en entrant.
— Excuse-moi ?
— C’est fou !
J’ai tournoyé dans la pièce, admirant l’imposant lit à baldaquin, l’armoire peinte à la main aussi
vaste qu’un ascenseur, les draperies ornées de pompons en soie gros comme mon bras. Des tapis
orientaux réchauffaient le sol en marbre. Au plafond, les moulures élaborées étaient rehaussées d’or. Le
vert jade – ma couleur préférée – était la couleur dominante.
— Paxán ne l’a pas fait décorer pour moi, dis-moi ?
— Si, bien sûr. Tu es sa fille. Il a pris grand plaisir à essayer d’imaginer ce qui te plairait.
— Et tu savais que le vert était ma couleur préférée.
Il a penché la tête sur le côté.
Le fait qu’il m’ait espionnée me dérangeait moins qu’avant.
— Que tu m’aies épiée a au moins certains bons côtés, hein ?
— Il y a des vêtements pour toi dans les penderies, a-t-il précisé en ignorant ma remarque.
— Les penderies ?
— Évidemment.
— Et qui a choisi les vêtements ?
— Une styliste. Elle est à ton service, si tu as besoin d’autre chose.
Près d’une extravagante composition florale, j’ai remarqué un dossier en cuir et plusieurs cadeaux.
Dans le porte-documents étaient rangées ses cartes de crédit et la liste des numéros de téléphone de
Kovalev, du manager de la propriété, des écuries, de ma styliste, du service d’entretien et de la cuisine.
— Il vaudrait mieux que j’attende Paxán pour ouvrir mes cadeaux, non ?
— Mon intuition me dit qu’il y en aura d’autres.
Le premier paquet comportait un smartphone qu’il avait dû dénicher dans le futur. J’allais pouvoir
assurer Jess que j’étais toujours en vie avec une semaine d’avance – et éventuellement ma mère aussi.
Même si j’ignorais ce que j’allais lui dire.
Les autres emballages, venus de chez Cartier, Harry Winston, Mikimoto et Buccellati, étaient
pleins de bijoux incroyables : un ras-de-cou à trois rangées de perles, des boucles d’oreilles en saphir, un
collier à franges d’émeraudes ovales avec le bracelet assorti. Ce bracelet était tellement lourd et épais
qu’il devait repousser les balles, comme celui de Wonder Woman.
Je me suis tournée vers Sevastyan.
— Il y en a pour un million de dollars de bijoux, ai-je blagué.
Il a levé les mains dans un geste d’impuissance.
— Oh, non, j’ai vu juste ! ai-je soufflé.
J’ai pris une inspiration tremblante. C’était incroyable, et bouleversant. Je vivais désormais dans un
palais. Demain, au lieu d’aller en cours, je jouerai aux échecs avec mon père milliardaire.
C’était « ma nouvelle vie dans un avenir proche ».
J’ai marché jusqu’aux portes du balcon et les ai ouvertes pour prendre l’air. J’ai admiré la vue ; la
brume tombait sur les jardins bien entretenus et des lumières éclairaient toute la propriété.
Lorsque Sevastyan m’a rejointe sur le balcon, notre connexion m’a saisie. Toutefois, il restait distant
avec moi.
— Ce bâtiment, c’est quoi ? ai-je demandé en indiquant un manoir à deux étages encastré dans l’angle
de cette aile.
À l’image de la fantaisie du lac, ses couleurs et son architecture étaient dans le ton du palais. Une
Mercedes noire était garée dans l’allée, semblable à celle qu’il avait louée à Lincoln.
— Chez moi.
— Tu vis sur la propriété ?
— Da. Mais j’ai aussi un appartement à Moscou, a-t-il souligné en faisant probablement allusion à
mes différentes remarques, par exemple au projet de fouiller son logement ou encore de le regarder se
masturber.
J’ai dégluti, et levé les yeux vers lui en me posant des questions. À quoi pensait-il en ce moment ?
Comment s’était-il fait cette cicatrice en travers des lèvres ? Qui lui avait cassé le nez ?
Quelqu’un avait déjà embrassé son nez légèrement dévié ?
— Cet endroit a dû te manquer quand tu traînais dans Lincoln ?
Il a haussé les épaules.
— Je dois redescendre.
Je l’ai suivi dans la suite.
— De quels sujets extrêmement urgents dois-tu discuter avec Paxán ?
— J’ai des affaires privées à traiter avec lui, Natalie, a-t-il répondu par-dessus son épaule.
— Tu vas lui parler de nous, c’est ça ? ai-je demandé avec suspicion.
Il a brusquement tourné la tête vers moi.
— Nous ? Il n’y a pas de « nous », a-t-il répondu avec une telle ardeur que j’ai tressailli.
— Tu sais ce que je veux dire.
— Je vais avouer que je me suis mal comporté envers toi. Je lui dois ça.
Kovalev m’avait beaucoup touchée mais en vérité, je le connaissais peu. Quel prix paierait-il pour
cette entorse à la règle ?
— Il va mal le prendre ?
J’imaginais difficilement Kovalev s’emporter, mais j’avais autant de mal à croire qu’il faisait chanter
les politiques.
— Toi, tu ne risques rien. Quant à moi, il ne peut pas être plus en colère que je ne le suis déjà contre
moi.
Il commençait à m’agacer. J’ai marché vers lui.
— Tu sais, je viens d’arriver, et tout est merveilleux avec Paxán. Pourquoi faire des vagues pour si
peu ? Je me suis retenue de te tenter. Tu n’es pas réellement tombé dans mes filets.
Il est resté impassible.
— S’il te plaît, j’aimerais que tu évites de faire tout un plat d’un moment insignifiant.
Il est venu se placer devant moi.
— Insignifiant ? Peut-être pour deux adultes expérimentés. Mais tu as très peu d’expérience, non ?
Sa respiration s’accélérait en rythme avec la mienne. La tension rendait l’atmosphère électrique. J’ai
senti son parfum enivrant au moment où je me suis souvenue de ce qu’il m’aurait fait si je n’avais pas été
vierge, et de son aveu : Au lieu de satisfaire mon appétit, ça l’a aiguisé.
Menton redressé, j’ai bombé le torse dans une posture de défi.
— Ce n’est pas parce que je n’ai jamais couché avec personne que je suis une sainte.
Il a incliné la tête sur le côté, survolant mon visage du regard comme s’il essayait de me deviner, en
vain. Je connaissais ça.
— Si ma virginité te dérange autant, c’est facile à régler, ai-je dit.
Il a serré les poings.
— Avec un autre homme, tu veux dire ?
Rassérénée par sa jalousie, je lui ai rafraîchi la mémoire.
— Tu as eu l’occasion de le faire.
Quand j’étais mouillée et ouverte pour lui. Par curiosité, je me suis demandé de quelle manière il
m’aurait déflorée. J’osais à peine imaginer les tours qu’il m’aurait réservés. J’ai laissé échapper un long
soupir.
— Tu peux toujours, me suis-je surprise à dire.
Il a reculé d’un pas comme si j’étais atteinte d’une maladie contagieuse.
— Si je veux en parler à Paxán, c’est éventuellement pour éviter que ça se reproduise.
— Tu es donc certain de ne plus en avoir envie ?
— Oui, a-t-il affirmé en triturant sa bague de pouce.
Possible que ce geste soit également synonyme de mensonge.
— Je n’étais qu’une mission pour toi, Sevastyan ?
— C’est tout ce que tu peux être pour moi, a-t-il répondu en fixant un point sur ma droite.
— Tu regrettes qu’il t’ait envoyé me chercher aux États-Unis ?
Il m’a regardée en face.
— À chaque seconde.
Il ne jouait plus avec sa bague.
14

Ding-dong.
Ma suite était équipée d’une sonnette à l’entrée ? Tout en me dépêchant d’aller ouvrir, je me suis
demandé si Sevastyan venait me chercher. Ses dernières paroles m’avaient blessée sur le moment, mais
j’avais fini par me dire qu’il s’efforçait d’être un homme de main fiable, capable de garder ses distances
avec la femme interdite.
L’esprit en ébullition, j’avais exploré ma suite tout en me préparant pour la soirée. Après m’être
prélassée dans une baignoire plus grande qu’une piscine, j’avais examiné tous mes vêtements, chaussures,
sacs à main et produits de beauté.
Si la lingerie livrée dans l’avion avait été trop sexy, celle de ma garde-robe était variée. J’avais misé
sur l’audace – bas, string en soie noire et soutien-gorge à balconnet assorti – au cas où Sevastyan
s’excuse et admette que l’interdit était son truc (on a le droit de rêver !).
Pour le banquet, mon choix s’était arrêté sur une robe portefeuille moulante en soie bleu roi. La
couleur faisait tirer mes yeux sur le bleu.
J’avais relevé mes cheveux, exhibant mon ras-de-cou en or massif et mes pendants d’oreilles. Peu
portée sur le maquillage, j’avais simplement mis du mascara et du brillant à lèvres.
J’ai lissé ma robe avant d’ouvrir.
— Filip ?
— Je vais t’escorter à la fête.
Il était habillé à la dernière mode, d’un pantalon slim et d’une veste près du corps. Avec sa cravate
négligemment nouée, il semblait avoir commencé la fête sans nous.
— Tu es ravissante, cousine.
Il m’a fait le baisemain.
Si ç’avait été Sevastyan, j’aurais sauté au plafond. Mais Filip ne faisait jaillir aucune étincelle entre
nous.
— Merci, Filip.
Dans le couloir, il m’a donné le bras.
— Tu es déçue que ce soit moi qui sois passé te prendre ?
— Quoi ? Non, ai-je menti.
— Je crains que notre sombre ami Sevastyan ait refusé de venir te chercher.
— Vraiment ?
Ouille.
Toutefois, c’était compréhensible. Puisqu’il regrettait de m’avoir rencontrée, pourquoi ne
m’éviterait-il pas ? Il avait même rajouté qu’il n’y avait pas de « nous » qui tienne.
Filip m’a considérée en fronçant les sourcils.
— Je ne l’ai jamais vu aussi froid avec une jolie fille. Mais tout compte fait, on ne peut pas le lui
reprocher.
— Comment ça ?
Mes talons noirs s’enfonçaient dans les épais tapis du couloir menant à l’escalier.
— Il était l’héritier principal du patron avant ton arrivée.
J’ai haussé les épaules, même si ce n’était pas la raison de sa froideur. Active ton manalyste, Nat.
En vérité, je ne savais rien de lui. Filip a poursuivi.
— Tu plais tellement à Kovalev qu’il a appelé ses avocats aujourd’hui pour modifier son testament.
Depuis une heure, tu es officiellement une héritière milliardaire.
— Comment le sais-tu ?
Nous avons commencé à descendre l’escalier. Il m’a fait un grand sourire.
— J’ai des relations, cousine.
Pourquoi modifier aussi rapidement son testament ?
— Je n’ai rien demandé. Je ne veux pas de l’argent de Kovalev.
Rien que de penser à la gestion d’une telle fortune et aux responsabilités qui allaient avec, mon
collier m’étranglait.
J’aimais mener une vie simple ; les gens riches ne vivaient pas de cette façon.
— Je n’ai pas l’intention de prendre l’héritage de Sevastyan.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, Natalie. Je m’excuse de t’avoir vexée, a-t-il dit l’air mortifié.
— Désolée, Filip, je suis très sensible, je réagis trop vivement, ai-je confié. En vérité, l’argent
m’effraie.
— Ce genre de problème n’est pas si grave, tu ne crois pas ? Ne t’en fais pas, Kovalev va tout gérer.
C’est un homme réfléchi et attentionné. Il fera tout son possible pour te mettre à l’aise.
— Je n’en doute pas. Tu ne t’entends pas très bien avec Sevastyan, on dirait, ai-je ajouté pour
changer de sujet.
Filip a pris un air exaspéré.
— Il se comporte comme un chien de garde enragé avec Kovalev. Ça n’a rien d’étonnant quand on
sait qu’il l’a sorti de la rue.
C’était là qu’il l’avait trouvé ? L’idée que, jeune homme, il ait vécu dans la rue me brisait le cœur.
Pas étonnant qu’il soit difficile à cerner. Il tenait autant de la rue que d’un monde privilégié.
— Il n’aime pas que quelqu’un d’autre que lui s’approche de Kovalev. Je trouverais cela admirable
s’il ne s’en servait pas contre moi, a-t-il précisé avec un charmant haussement de sourcils.
Une fois au rez-de-chaussée, Filip m’a guidée vers un hall lumineux.
— Et pourquoi Sevastyan ne t’apprécie pas ?
— Il m’en veut d’avoir fait des études. Il n’est pas allé à l’école, tu sais. Il déteste tout ce qui le lui
rappelle. C’est son fardeau.
Alors que pensait-il de mes diplômes ? Avait-il ressenti un quelconque sentiment de culpabilité en
interrompant mes études ?
— Méfie-toi de lui, cousine.
Le même conseil que Sevastyan m’avait donné au sujet de Filip.
— Pourquoi ?
Il a détourné le regard.
— Il a de… gros problèmes personnels.
— Mais encore ?
Il a baissé la voix.
— Il a fait de la prison et il en est fier. Il a ces deux tatouages sur les bras, des symboles mafieux
pour les séjours en taule. Une fois, c’était dans un camp en Sibérie. Ça laisse des traces.
J’étais sans voix. J’avais vu ces tatouages, mais sans en connaître le sens.
Toutefois, ce que j’apprenais sur son passé douteux n’atténuait pas mon attirance. En fait, les
révélations de Filip donnaient plus d’épaisseur à Sevastyan, et j’avais envie de l’en dépouiller lentement.
Ce soir, après le banquet, je ferai une recherche sur ces tatouages. Et même sur tout ce monde.
— Et ne parlons pas de son étrange relation à l’alcool.
— C’est-à-dire ? ai-je demandé, même si je l’avais déjà constatée. La veille, il avait bu, mais
seulement après avoir retardé le moment.
— Observe-le ce soir et tu comprendras. Assez parlé de lui. Si tu as besoin de quoi que ce soit, je
suis là, d’accord ? (Il m’a tapoté le bras.) Tu es la fille de Kovalev, et je lui dois ma vie.
— Vraiment ?
Il a hoché la tête.
— J’allais mal il y a six mois, après la mort soudaine de mon père. Kovalev m’a tendu une bouée de
sauvetage.
— Je suis désolée pour ton père. Et merci d’être là.
Des rires et des voix me sont parvenus de la pièce au bout du hall. J’avais hâte de rejoindre les
invités, mais Filip m’a arrêtée à l’entrée.
— Je suis très heureux que tu sois là, Natalie. C’est plaisant d’avoir quelqu’un d’occidentalisé par
ici. Et qui ne me reproche pas de n’avoir jamais fait de prison !
Il a posé les mains sur mes épaules en me souriant, d’une façon qui aurait fait fondre la plupart des
femmes.
— Kovalev doit se rendre en ville demain après-midi. Je pourrais te faire visiter la propriété…
Avant que j’aie eu le temps de me décaler, les portes se sont ouvertes sur le Sibérien. Mon cœur a
bondi. Me cherchait-il ?
Il s’est arrêté net, l’air menaçant. Qu’est-ce que j’ai encore fait ? J’ai réalisé que Filip et moi avions
l’air d’être sur le point de… nous embrasser. J’ai tourné la tête vers l’immense salle à manger et les
invités. Une trentaine de brigadiers.
Tous les regards se sont portés sur Filip et moi, et les conversations ont cessé.
Ça devait être terrible quand des dizaines de gangsters russes étaient scandalisés par le
comportement d’une seule personne. Sauf que je n’avais rien fait.
Au moins pas avec Filip.
Lorsque Sevastyan a serré les poings, je me suis éloignée des deux hommes. Carrant les épaules, le
menton fier, je me suis dirigée vers Kovalev, mes talons résonnant anormalement fort dans le vestibule
silencieux.
Il était assis au bout d’une longue table couverte de splendides bougeoirs, de vaisselle en porcelaine
et d’argenterie. Comme son regard incertain allait de moi à Filip, je lui ai fait un sourire enjoué.
— C’est extraordinaire, Paxán. Merci.
Mon attitude innocente a semblé apaiser les invités qui ont repris leurs conversations.
Kovalev m’a avancé une chaise à sa droite.
— J’ai raté quelque chose ? a-t-il demandé à voix basse.
— Rien du tout, ai-je murmuré.
Filip a pris place à côté de moi.
— Plutôt gênant, non ? a-t-il marmonné en riant.
Sevastyan est revenu s’installer à table, en face de moi, avec son habituelle expression
indéchiffrable. Il serrait les dents.
Kovalev m’a présentée à nos compagnons de table, des hommes entre vingt et quarante ans – Yuri,
Boris, Kirill, Gleb, puis j’ai perdu le fil. Sous leur dureté apparente, ils semblaient traiter Kovalev
comme un héros. Seules deux femmes étaient présentes, Olga et Inya, des amies de longue date de deux
brigadiers.
Après les présentations, une multitude de serveurs ont commencé à apporter des plats, tandis que
d’autres versaient de la vodka dans des petits verres en cristal. Plus habituée à servir qu’à être servie, je
me suis efforcée de me détendre.
— Portons un toast, a crié Kovalev en levant son verre. À mon adorable fille, qui m’a trouvé contre
vents et marées, qui a travaillé dur et s’est battue pour obtenir ce qu’elle voulait.
— La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, a ajouté Filip.
Les invités ont levé leur verre. Je les ai imités avant de le porter à mes lèvres pour boire une
gorgée…
Ils ont tous bu cul sec, puis se sont tournés vers moi. Je me suis souvenue qu’en Russie, c’était
grossier de reposer un verre à moitié bu sur la table. Dans un haussement d’épaules, j’ai vidé le mien.
Acclamée par l’assemblée, j’ai souri largement, jetant un œil à Sevastyan qui me fixait.
Plus tôt, j’aurais juré qu’il était jaloux de Filip, mais dans ce cas pourquoi n’avait-il pas pris la peine
de venir me chercher dans ma chambre ?
Quoi qu’il en soit, je refusais qu’il assombrisse ma soirée. Je me trouvais dans un authentique
banquet russe, à boire de la vodka avec mon père et… son clan élargi. Je me trouvais dans mon pays
natal, bien installée dans l’ancienne résidence d’un tsar.
J’ai levé les yeux, émerveillée par les fresques au plafond. Cette salle à manger ressemblait en tout
point à celle d’un tsar. Je n’avais jamais autant senti l’histoire. Cela allégeait mon regret d’avoir été
forcée de suspendre mes études.
Ce soir, ma bonne humeur était à toute épreuve.
Un autre toast a suivi.
— Za vas, Natalya Kovaleva !
À toi. Cette fois j’ai vidé mon verre en même temps que les autres. J’ai savouré l’alcool qui me
réchauffait agréablement.
Quand un zakuska – un assortiment d’amuse-gueules – a été servi, Filip s’est penché vers moi.
— Ça s’appelle un za-kus-ka.
— Natalie a appris le russe, elle sait sûrement comment ça s’appelle, a fait observer Sevastyan.
Je lui ai lancé un petit regard reconnaissant. Il m’évitait une explication ennuyeuse à chaque plat.
Mais Filip ne s’est pas départi de son entrain.
— C’est une simple question d’hospitalité, Sevastyan. Accompagner une invitée, passer la prendre
dans sa chambre, entre autres.
Merci de me le rappeler.
Les deux hommes se sont mesurés du regard. La tension a été rompue par l’arrivée d’huîtres
recouvertes de caviar du delta de la Volga. Un plat de poisson a suivi.
J’ai pris une bouchée de sole cuite à la perfection et poussé un soupir de plaisir. Sevastyan me fixait.
J’ai bu une autre vodka. Il me fixait.
J’ai écouté l’histoire que Filip semblait décidé à me murmurer. Sevastyan serrait le poing à côté de
son assiette. Il pouvait m’assurer autant qu’il voulait qu’il n’y avait rien entre nous, et pourtant…
Les actes en disent plus long que les mots, le Sibérien. Son regard fixé sur moi me réchauffait autant
que la vodka.
Quand les serveurs ont apporté le plat suivant, Kovalev a fait une annonce.
— En l’honneur de la région de Natalie, le Nebraska.
Un soufflé de maïs ! Je lui ai fait un grand sourire.
— J’adore ça.
Ma voix commençait à trahir mon état d’ébriété.
J’ai senti le regard noir de Sevastyan se poser de nouveau sur moi. Repensait-il au champ de maïs ?
Quand il m’avait plaquée au sol, dans la terre ? Croisant son regard, j’ai avalé un autre verre.
— Tu ne manges pas, Aleksandr ? lui a demandé Kovalev.
Il s’est raidi.
— Le contrecoup du voyage, probablement.
— Ou de l’âge, a lancé Filip.
— Je l’assume, a calmement répondu Sevastyan.
— Doucement, les garçons, a joyeusement déclaré Kovalev avant de s’adresser à moi. Je pense que
Filip, si intelligent soit-il, a tendance à oublier que le Sibérien a longtemps été boxeur professionnel à
mains nues.
J’ai haussé les sourcils. Lors de notre première rencontre, j’avais deviné que c’était un bagarreur.
Cela expliquait ses cicatrices aux doigts, son nez cassé. Aussi, je l’avais souvent vu serrer les poings.
Pour un boxeur, c’était une victoire par défaut.
Quand je songeais à tous les hommes qui avaient dû frapper son noble visage, j’avais envie de le
toucher, de caresser sa peau. Je tentais de l’imaginer sur un ring, composant avec la douleur, quand un
autre plat a été servi.
Le dessert. Des pommes au four, des pastillas de fruits – un délice russe d’inspiration turque – et des
sirniki, une crêpe au fromage trempée dans du miel. Dès que la première pastilla a touché ma langue, j’ai
roulé des yeux de plaisir.
Après le dessert, l’alcool coulait à flots et les rires fusaient. C’était mal vu de ne pas terminer une
bouteille de vodka, si bien que tout le monde avalait poliment verre sur verre. Hormis Sevastyan. Après
les toasts, il n’avait pas touché son verre.
Paxán racontait des histoires hilarantes à propos des hobbies auxquels il avait essayé de
s’adonner. La voile ? Le bateau n’était plus qu’un récif artificiel. La reproduction équestre ? Un jour, il
retrouverait ce coquin d’étalon qui s’était enfui.
Je riais aux larmes, puis j’ai avoué que je l’avais imaginé avec des tigres blancs et un ours – et des
toilettes incrustées de diamants. Les rires de Kovalev ont redoublé.
Gleb m’a fait répéter une phrase russe impossible à prononcer. J’ai fait rire tout le monde mais, en
chic fille, j’ai esquissé une petite révérence. Même l’air renfrogné habituel de Sevastyan s’est détendu. Il
semblait vaguement fasciné, comme si j’étais une créature qu’il découvrait dans son cadre naturel.
À chaque fois que je me convainquais que je n’arriverais plus à le sortir de sa réserve, il me laissait
apercevoir l’homme sous sa façade d’homme de main.
Je m’amusais tellement que j’aurais voulu arrêter le temps mais, trop vite à mon goût, une vieille
pendule a sonné les douze coups de minuit.
Paxán s’est levé.
— Eh bien, mes amis, ma famille (il m’a souri ainsi qu’à Sevastyan) je vais vous demander de bien
vouloir m’excuser.
— Un dernier verre, ont crié les invités.
Il a secoué la tête.
— Ayez pitié d’un vieil homme ! Et continuez à vous amuser, c’est un ordre.
Sevastyan et moi nous sommes levés en même temps pour accompagner Paxán.
— Restez assis, tous les deux. Faites la fête. Je vous verrai demain.
J’ai suivi Paxán des yeux. Je craignais de ne pas le revoir. J’avais l’impression qu’il risquait de
disparaître. Sevastyan m’a lancé un regard rassurant comme s’il me comprenait. Ça m’a aidée.
Les verres n’étaient jamais vides. Il était tard mais ça m’était égal. Je n’avais pas à aller travailler, ni
à affronter mes étudiants de première année et leurs excuses pour rendre leurs devoirs en retard.
Le seul point négatif ? J’aurais aimé que Sevastyan me parle, qu’il me drague. Me touche. Je voulais
poursuivre ce qu’il m’avait montré la nuit passée.
Je désirais coucher avec lui.
J’en mourais d’envie.
Mon acharnement n’était un mystère pour personne ; devais-je le poursuivre inlassablement ?
À ma droite, Filip et des brigadiers se sont lancés dans un débat animé sur les voitures les plus
rapides. Pour moi, c’était l’occasion de passer à l’action. J’étais suffisamment imbibée pour trouver mon
projet d’aguicher Sevastyan brillant.
Ne tenant pas compte qu’il n’aimait pas les surprises, j’ai enlevé un escarpin et tendu le pied vers ses
jambes. Lorsque j’ai touché l’intérieur de sa cuisse, juste au-dessus du genou, il s’est crispé. Sans me
trahir, il m’a lancé un regard mécontent.
Était-ce une bonne idée de jouer avec un homme de main ? La vodka disait : « Mais oui, touche son
badge ! » J’ai remonté mon pied le long de sa cuisse. À mesure que je me rapprochais de son sexe, sa
respiration s’accélérait. Il a secoué la tête avec virulence.
Avec un sourire suggestif, j’ai plongé mon index dans un pot de miel et l’ai sucé en le défiant du
regard.
Il a entrouvert les lèvres. Repensait-il à son membre dans ma bouche ?
Plus haut, plus haut…
Contact.
Il était brûlant, dur comme l’acier. Narines frémissantes, il a penché la tête. Son torse est resté figé un
instant.
Les paupières lourdes, j’ai longé son membre avec le pied, frémissant lorsqu’il a pulsé. Je mouillais,
trempant le string que j’avais choisi pour lui. Le bout de mes seins durcissait dans les demi-bonnets de
mon soutien-gorge.
Quand je l’ai caressé sur toute la longueur, il m’a lancé un regard d’avertissement, même si ses yeux
brillaient de désir. C’était un rapport de force, un combat de coqs. Caresse. Il refusait de réagir ; je
refusais d’abandonner. Nouvelle caresse. Lequel clignerait des yeux en premier ?
Pour vérifier si je pouvais le faire jouir avec mon pied, j’ai renforcé la pression. Les muscles de ses
épaules et de ses bras se sont tendus. Il devait être en train de serrer les poings sous la table.
Ses yeux promettaient une punition brûlante et aboutie.
Les miens devaient la réclamer.
Si je me retirais dans ma chambre, me suivrait-il ? Je serais la première à cligner des yeux. J’ai ôté
mon pied et remis ma chaussure. Le débat sur les voitures de sport touchant à sa fin, je me suis levée en
faisant semblant de bâiller.
— Je suis fatiguée. Sûrement à cause du voyage, ai-je dit en évitant de regarder Sevastyan. Bonne
nuit, tout le monde. Je suis très heureuse de vous avoir rencontrés.
— Mais il reste des bouteilles à terminer, a protesté Filip avec un clin d’œil appuyé.
Oh, non, et s’il me suivait ?
— Reste et amuse-toi. À demain, ai-je lancé pour l’en dissuader.
Son visage s’est éclairé.
— À demain après-midi, alors. C’est un rendez-vous.
Un rendez-vous ? C’était un malentendu, d’autant que je ne voulais pas lui donner de faux espoirs.
Comme tout le monde nous regardait, j’ai laissé couler.
J’ai salué l’assemblée d’un signe de la main et quitté la pièce. J’ai lentement marché jusqu’à ma
suite, prenant le temps d’admirer les peintures à l’étage, tout en espérant que Sevastyan me rejoigne.
Il est arrivé, remontant le couloir à grandes enjambées, avec la démarche typique d’un homme de
main de la mafia. L’air assassin.
Dans son cas, c’était parfois à prendre au premier degré.
15

Je reculais à mesure que Sevastyan se rapprochait d’un pas inquiétant.


Il m’a attrapée par le bras et m’a traînée dans le couloir.
— Ça t’a amusée de jouer avec moi ? a-t-il grondé à voix basse.
Il a ouvert une petite porte, m’a tirée à l’intérieur, et l’a refermée derrière nous. Ça sentait le linge
propre et l’encaustique.
La remise des domestiques ? Dans la résidence d’un tsar ? Les rendez-vous galants avaient dû se
succéder entre ces murs, au fil du temps.
Il a allumé une lumière pâle, et m’a poussée dans le fond.
— Tu m’as excité pour ensuite programmer un rencard avec Filip devant moi ?
Mes fesses ont buté contre une étagère de linge. Il m’a coincée, les mains de part et d’autre de mes
hanches, emplissant mes sens de son odeur envoûtante.
— Nous sommes donc interchangeables, Filip et moi ?
— Je ne l’apprécie pas de cette façon.
— Ah oui ? a fait Sevastyan d’une voix lourde de colère. J’ai pourtant vu le contraire au début du
dîner. Quand il allait t’embrasser.
— En quoi ça te regarde ? Tu ne veux plus de moi, tu te souviens ?
— Ça me regarde depuis que tu as caressé mon sexe sous la table jusqu’à ce que le besoin
m’étrangle. Ça me regarde parce que tu m’as avalé tout entier il y a moins de vingt-quatre heures.
Sans prévenir, il a remonté ma robe sur mes hanches.
J’ai aspiré de l’air.
Il a examiné mon string, mes bas noirs, et suivi le bord en dentelle de ses doigts.
— Pour qui tu portes ça ?
J’ai redressé le menton.
— Pour toi.
— Tu prévois donc qu’on soit ensemble ? Après que je t’ai dit non ? Ce soir, tu t’es amusée à jouer
avec le feu. Mais accepteras-tu de te brûler les ailes ?
— Pardon…
J’ai laissé échapper un cri étouffé lorsqu’il m’a soulevée pour me déposer sur une étagère.
— Je vais te montrer ce que j’ai ressenti.
Il s’est calé entre mes cuisses.
— Comment ça ?
Sans répondre, il a ouvert sa braguette et sorti son sexe gonflé de désir. Son gland était trempé. Mon
corps a été parcouru de frissons électriques lorsque sa hampe s’est tendue vers mon sexe, lancée dans sa
propre chasse.
J’avais aimé prendre ce sexe dans ma bouche, laisser couler sa semence sur ma langue ; et je désirais
recommencer.
— Laisse-moi t’embrasser comme hier soir.
Je me suis trémoussée pour descendre de l’étagère mais il m’a retenue, son érection pressée sur la
soie de mon string. Tout contre mon clitoris excité. Sa chaleur, même à travers le tissu humide, m’a
arraché un gémissement.
— M’aguicher t’a fait mouiller ? Tu aimes me provoquer jusqu’à me faire perdre mes moyens ?
— Oui, ai-je geint.
Ses mains calleuses ont pétri le haut de mes cuisses, de plus en plus haut. Ses pouces ont glissé sous
le tissu et écarté mes lèvres autour de son gland.
— Voilà ce que ça fait.
Il a avancé le bassin de manière à se frotter à travers les vêtements, la soie séparant nos sexes.
Dans un râle, j’ai rejeté la tête en arrière.
— Non, pas ça, a-t-il lancé, attirant mon regard. Tu vas me regarder comme quand tu jouais avec moi,
Natalya. Comme si tu en mourais si je ne te pénétrais pas tout de suite. (Après un frottement, mon corps a
vibré.) Tes yeux me suppliaient de te prendre sur la table, en levrette. C’est bien ce que tu voulais me
dire ?
Il répétait ses mouvements par intermittence.
— Oui ! Je le veux maintenant.
Je n’étais déjà plus très loin de jouir.
— Mon Dieu.
Il bougeait ses hanches, faisant glisser son pénis contre ma vulve. Un afflux de fluide a recouvert son
extrémité. Il l’a essuyé sur la soie et s’est repositionné.
Le frottement et la chaleur me faisaient perdre la tête.
— N’arrête pas, s’il te plaît !
— Je devrais arrêter, te laisser comme tu m’as laissé… (Il s’est penché pour tonner à mon oreille :)
sur le point d’exploser, de jouir tout habillé. Si près que je te voulais ; malgré les conséquences, je
voulais que tu me fasses jouir dans une pièce bondée.
Quand j’ai frissonné, il a enfoncé un peu plus ses pouces.
— Ouvre ta robe.
J’ai dénoué la ceinture, écarté les pans et dévoilé mon soutien-gorge.
— Très joli, a-t-il commenté en continuant à se frotter. Enlève-le maintenant.
Je l’ai remonté d’un coup sec pour lui montrer mes seins lourds. Ils ont rebondi au coup de reins
suivant.
— Joue avec, a-t-il grogné.
Je les ai aussitôt pris à pleine main.
— Adorable Natalya. (Il a roulé du bassin ; la soie était trempée.) Tu vas me mouiller à travers ton
string ?
Il a passé deux doigts sous son sexe trempé avant de le ramener contre moi.
J’ai gémi.
— Pourquoi tu ne me pénètres pas ?
— N’oublie pas que c’est une punition. Et que tu n’es pas pour moi. Montre-moi tes tétons qui
durcissent.
Après un frottement plus cruel, j’ai tiré dessus.
— Plus fort.
J’ai obéi, et gémi lorsque ses doigts ont rencontré ma fente, l’ont ouverte, me pénétrant presque.
— Dedans, Sevastyan. Je veux tes doigts en moi.
— Tu t’es déjà pénétrée avec un de tes vibromasseurs ?
Mon visage s’est empourpré, réaction ridicule dans cette situation. Mais j’ai répondu honnêtement.
— Oui, j’aime ça.
Dans un grognement, il a accéléré ses mouvements.
— Alors pourquoi rester vierge ?
— Pas rencontré le… bon, ai-je bredouillé entre deux halètements.
— Et tu crois l’avoir rencontré maintenant ?
Accélérant la cadence, il a ondulé d’avant en arrière sur mon clitoris mouillé.
— Sevastyan !
Je pouvais presque imaginer que son membre me pilonnait. Il irait à fond pour me forcer à jouir
autour de son pénis. Jusqu’à m’obliger à inonder son gros membre de liquide miel.
— Ah, je vais…
La main sur ma bouche, il étouffait mes cris. Il a insinué deux doigts entre mes lèvres pour me faire
goûter mon suc.
— Suce, a-t-il ordonné.
La tête rejetée en arrière, j’ai sucé en imaginant que je tenais son sexe dans ma bouche. Sous ses
mouvements impitoyables, j’ai commencé à jouir. J’ai crié, sucé, en espérant que ça ne s’arrête jamais.
Mon sexe se crispait, chaque vague orgasmique me procurait un plaisir presque insupportable – et
renforçait mon désir d’être remplie…
Quand j’ai atteint les limites de ma sensibilité, il s’est détaché de moi et a relevé mes genoux vers
mes seins nus. Adossée contre le mur, les chevilles sur ses épaules, il a baissé mon string sur mes
cuisses. Le regard concentré sur ma chair gorgée de plaisir, il a empoigné son énorme sexe et a
commencé à se masturber.
— Regarde-moi jouir sur toi, m’a-t-il exhortée d’une voix rauque, le cou et les muscles des bras
tendus.
L’idée qu’il éjacule a ravivé mon excitation, et mon sexe a frémi sous son regard.
— Putain, je te vois !
Ravalant un cri, il a libéré plusieurs jets de sperme.
Quand sa semence chaude est retombée sur mes lèvres, j’ai gémi, écartant les cuisses pour
l’accueillir.
— Tu en veux encore, petite gourmande ? a-t-il sifflé, les dents serrées.
Il a pressé son sexe, faisant couler un filet blanc sur le haut de mon sexe. Il a continué à pomper
jusqu’à ce que plus rien ne sorte de son membre vibrant.
Étourdie, j’ai tendu les mains vers lui pour l’embrasser. Il les a repoussées.
— Ah, ah.
Il m’a caressé l’intérieur des cuisses avec sa paume, étalant sa semence comme pour m’en imprégner.
Comment ça pouvait être aussi sensuel ? Comme toujours, j’ignorais ce qui se passerait ensuite.
Malgré un regain d’excitation, docile, je l’ai laissée m’enduire sans bouger.
Après avoir replacé mon string, il a donné une bonne claque à mon entrejambe détrempé. Je me suis
plaquée contre sa paume pour en réclamer une autre.
— Tu me sentiras demain, a-t-il dit avec son air de satisfaction virile.
Dominateur, coquin et sexy. Qui d’autre aurait pu m’exciter autant que lui ? J’avais besoin de nouer
mes bras autour de lui, de lui murmurer qu’il me faisait perdre la tête.
Déjà rhabillé, il était prêt à partir, à me laisser comme ça.
— Tu ferais mieux de te concentrer sur un homme facile à manipuler. À ce propos, amuse-toi bien
demain avec Filip.
Quand il a atteint la porte, j’ai secoué la tête pour clarifier mes pensées.
— C’est tout ce que tu as à dire ?
— Ne t’avise pas de m’aguicher à nouveau. Je ne joue qu’aux jeux dont je dicte les règles, a-t-il
déclaré sans se retourner.
— Des règles, le Sibérien ?
Maintenant que le désir ne m’aveuglait plus, je n’appréciais pas son arrogance.
— Tu peux toujours les dicter, ne serait-ce que pour me regarder les enfreindre.
— Si tu me cherches encore, mon chou, tu n’apprécieras pas les conséquences.
Il est sorti, refermant la porte derrière lui.
Note personnelle : Taquiner Sevastyan à la première occasion pour découvrir les
« conséquences ».
Dans cette remise, toujours chaude et mouillée par ses soins, j’ai pris deux décisions : Aleksandr
Sevastyan serait mon premier amant. Et je le laisserai croire qu’il dictait les règles.
16

— Vous ne seriez pas Sevastyan, par hasard ? ai-je lancé avec sarcasme en tombant sur lui au rez-de-
chaussée une semaine plus tard. Je ne vous aurais pas croisé dans la remise, l’autre jour ?
Entre-temps, je n’avais pas avancé d’un pouce dans mon projet de faire l’amour avec lui, si bien que
j’avais fini par le mettre de côté. C’était inévitable puisqu’il refusait de me parler, en dehors de quelques
politesses d’usage.
Il a arqué un sourcil, m’emboîtant le pas alors que je me dirigeais vers le bureau de Paxán.
J’ai froncé les sourcils en le regardant. En sept jours, nous ne nous étions pas retrouvés seuls une
seule fois. Il n’était jamais loin mais toujours distant, à mon plus grand désespoir.
Le lendemain de notre interlude dans la remise, je m’étais réveillée en souriant, pressée de le revoir.
J’avais téléphoné à Jess pour lui parler de lui, de tout. Elle s’était concentrée sur un détail : « Nat,
toujours vierge ? » Je lui avais assuré que ce n’était plus pour longtemps.
J’étais arrivée au petit déjeuner en sautillant. Et découvert qu’il avait repris ses distances, me saluant
à peine. Je sentais encore les effets de son acte et lui m’avait déjà rayée de son esprit.
J’avais supposé que si nos écarts dans l’avion l’avaient mis mal à l’aise, me pousser dans un placard
devait lui sembler terrible. J’avais essayé de le prendre à part dans l’espoir de le faire parler. Rien.
La déception m’avait assaillie, virant peu à peu à la colère.
J’avais supporté sept nuits sans lui. Je m’étais avouée vaincue. Mon entichement s’évanouissait.
— Tu as besoin de quelque chose ? lui ai-je demandé tranquillement.
C’était maintenant qu’il allait s’intéresser à moi ?
Malgré sa tenue chic – pantalon gris foncé et pull noir près du corps – il paraissait fatigué.
— Tu t’entends bien avec Kovalev, a-t-il noté d’une voix neutre.
— C’est facile de bien s’entendre avec lui.
Nous nous entendions comme larrons en foire, appréciant les mêmes blagues, livres et nourritures.
Nous étions plus proches de jour en jour.
Nous parlions tantôt en anglais, tantôt en russe. Dans les deux langues, il était espiègle et plein
d’esprit, et nous riions souvent aux larmes. Notre relation était tout le contraire de celle que j’avais eue
avec mon père. Malgré son amour pour nous, Bill Porter était un homme réservé. Nous travaillions
ensemble sur ses tracteurs dans un silence confortable.
Avec Kovalev aussi, j’étais à l’aise, mais d’une autre manière.
Tous les matins, nous jouions aux échecs dans le pavillon ouvert au bord de la rivière Moskova.
Sevastyan restait en retrait, négociant généralement des affaires par téléphone, tendu et aux aguets.
Les menaces imminentes – qu’ils refusaient tous de m’expliquer – se tassaient.
— Avec toi aussi, c’est facile de bien s’entendre, m’a répondu Sevastyan.
Sérieusement ?
— Qu’en sais-tu ?
Il a haussé les épaules.
— Je vois comment tu es avec lui.
Parfois, quand Paxán et moi riions, je remarquais qu’il nous observait. Au début, il semblait surpris.
Maintenant, il nous regardait avec satisfaction.
Pourtant, certaines fois, je l’avais surpris avec une autre expression – qui s’intensifiait de jour en
jour. Comme s’il attendait quelque chose de moi.
Un chasseur se préparant à l’attaque.
Même Filip l’avait noté.
— Quand tu regardes ailleurs, il t’observe comme un harceleur.
J’avais pouffé.
— Un harceleur s’intéresserait de près à moi !
Quelque chose grondait en Sevastyan comme si le compte-à-rebours d’une bombe était lancé. Mais
que mijotait-il ?
— Tu prends tes marques ? a-t-il demandé.
Est-ce qu’il allait me parler de la météo maintenant ? Je l’ai arrêté en posant une main sur son bras.
— Alors comme ça, on papote, le Sibérien ?
J’ai presque eu l’impression qu’il essayait, à sa manière taciturne et bourrue, de me draguer. Il a
baissé les yeux sur ma main, et je l’ai retirée.
— Ça te plaît ici ? a-t-il repris plus discrètement. Assez pour rester ?
Nous nous sommes arrêtés devant une fenêtre léchée par la pluie. Un crachin tombait dans le jardin.
Depuis mon arrivée à Berezka, le temps hivernal ne nous laissait aucun répit. Les ombres des gouttes ont
dégouliné sur le visage de Sevastyan, me donnant une folle envie de les embrasser l’une après l’autre.
J’ai tremblé intérieurement.
— Pourquoi toi, Paxán et Filip pouvez sortir, et moi jamais ?
Il s’est gratté le menton.
— Si jamais il t’arrivait malheur… nous ne voulons pas courir le risque. Tu as tant envie de partir
que ça ?
— Eh bien, je dois admettre que je m’ennuie à mourir quand Paxán travaille. Je n’ai pas l’habitude
d’avoir tout ce temps libre.
Ni autant d’énergie. J’avais désespérément besoin d’en dépenser quand Filip avait proposé que nous
fassions des longueurs dans la piscine olympique intérieure. Nous y allions ensemble tous les jours.
— Mais Filip fait tout son possible pour m’occuper.
Les muscles de ses mâchoires ont frémi. Il a esquissé un pas vers moi. Comme toujours, la tension
était palpable. J’ai levé les yeux vers lui, m’apercevant qu’il fixait mes lèvres.
— Je t’ai conseillé d’être prudente avec lui.
— Mais pourquoi ?
Une fois mon manalyste éteint, j’avais commencé à me sentir bien avec Filip. Malheureusement, je
n’éprouvais que de l’amitié pour lui.
Pourquoi ne tombais-je pas amoureuse d’un garçon comme lui ? Il ne faisait pas de mystères, il était
facile à vivre et me traitait comme une princesse.
Le contraire de Sevastyan.
Si j’étais avec Filip, je ne me serais pas informée sur le BDSM, juste au cas où, étudiant tout, du
châtiment corporel au déni de jouissance en passant par les rituels de soumission-domination.
Sevastyan avait évoqué l’obéissance et la discipline. Ce style de vie, ces équipements et tout l’attirail
l’intéressaient ?
Les barres de punition et les fouets, les menottes et les cannes, les pinces à sein et les serre-
testicules…
Après qu’il m’a fessée, j’avais regardé des vidéos montrant des femmes couchées sur les genoux
d’hommes qui les frappaient comme des créatures rebelles qui avaient besoin d’une correction.
J’en étais restée indignée !
J’avais imaginé Sevastyan m’obligeant à m’installer en travers de ses genoux pour recevoir un
châtiment similaire. Un jour, il m’avait menacée de passer à l’acte. Et juste après m’être masturbée, je
m’étais de nouveau sentie scandalisée !
Jusqu’à ce que je me masturbe une deuxième fois. Mais c’était avant que je m’avoue vaincue.
— À quoi penses-tu ? m’a-t-il demandé en me dévisageant.
J’ai réalisé que je respirais fort, les joues brûlantes.
Il a posé la main sur mon poignet, provoquant des décharges dans mon bras. Quand il a froncé les
sourcils, j’ai cru qu’il allait m’embrasser.
Malgré tout, j’en avais envie…
Yuri est sorti du bureau de Paxán.
J’ai brusquement reculé, ramené mes cheveux derrière mes oreilles, me retenant de siffloter.
Lorsqu’il est passé devant nous, j’ai essayé d’ignorer l’AK-47 sanglé dans son dos. Au bout d’une
semaine, toutes ces armes continuaient de me gêner. Quand les brigadiers prenaient des pauses, ils
posaient négligemment leurs fusils à côté de leurs tasses de thé.
Je me répétais C’est rien, ignore-les.
Sevastyan a salué Yuri d’un geste du menton. Passe ton chemin. Alors que les brigadiers vénéraient
Paxán, ils semblaient tous craindre Sevastyan. Je les avais surpris à parler du Sibérien en chuchotant.
J’ai recouvré mes esprits dès que nous nous sommes retrouvés seuls. Je n’avais pas lieu d’être
embarrassée par un homme qui me rejetait. Inutile de récompenser son attitude merdique.
Jess avait un mode opératoire face aux hommes qui se comportaient mal : sois la plus folle des deux.
En ce qui me concernait, je préférais les tuer à coups de gentillesse.
Quand il s’est apprêté à parler, j’ai tapoté son bras.
— On a bien discuté, mon gars ! On devrait remettre ça la semaine prochaine.
Je me suis éloignée, le laissant perplexe.

Un quart d’heure plus tard, Paxán et moi étions assis dans le pavillon, devant un thé, des
gourmandises et notre échiquier. Le feu crépitait dans l’âtre. Comme toujours, Sevastyan travaillait à
bonne distance tout en scrutant les environs.
Nous grignotions en poursuivant notre partie.
— Tu sais qui est un as des échecs ? Aleksandr, a dit Paxán en fixant les pièces du jeu.
— Ah, bon ? ai-je fait avec détachement, jetant toutefois un regard à Sevastyan.
En pleine conversation, il faisait les cent pas sous le crachin. Il a marché jusqu’au hangar à bateaux –
ou à yachts, compte tenu de la merveille de 60 pieds rangée à l’intérieur.
Je n’y connaissais rien en bateaux mais celui-ci était probablement le navire des méchants dans
Casino Royale. Paxán avait promis de m’emmener voguer jusqu’au golfe de Finlande dès que le temps –
et les menaces – le permettrait.
— Tu devrais jouer contre Aleksandr un jour.
J’ai haussé les épaules. Je m’efforçais d’étouffer ma fascination, pas de l’alimenter.
Pourtant, la conversation de Sevastyan, qui est parvenue à mes oreilles depuis le hangar, m’a
intriguée.
— Il parle… italien ?
— Ah, oui, a fièrement répondu Paxán. Il parle couramment quatre langues. C’est un… comment dit-
on ? Un autodidacte.
J’ai hoché la tête. Le boxeur bourreau, exécuteur redouté et tueur à gages professionnel était un
autodidacte. Ma fascination a gagné en vigueur.
La barbe.
— Si seulement j’arrivais à l’intéresser à l’horlogerie.
Paxán avait commencé à m’apprendre, et passionnée, je me débrouillais plutôt bien.
— Alors, tu es décidée à t’installer ici définitivement ?
Même s’il ne me pressait pas, je sentais qu’il avait très envie que je reste.
— Ah, tu sais, si au moins tu me faisais des petits cadeaux, si tu me gâtais un peu… ai-je dit
sèchement.
J’avais reçu d’innombrables bijoux, une nouvelle garde-robe complète, une Aston Martin Vanquish
rouge qui faisait saliver Filip et même un pur-sang, une adorable jument gris pommelé du nom d’Alizay.
J’attendais le beau temps pour l’emmener en balade.
Il a répondu sur le même ton.
— Tu vas bientôt te plaindre que l’œuf de Fabergé était trop luxueux.
— Rien qu’un peu, ai-je dit en riant.
Il a gloussé avec moi.
— C’est plus fort que moi. J’ai plein d’argent et beaucoup d’années à rattraper. Rien que les cadeaux
d’anniversaire… (Il a penché la tête sur le côté.) Des fois, j’aimerais que tu sois plus intéressée par
l’argent.
Le cadeau que j’adorais le plus était le moins cher : un portrait encadré de ma mère, Elena. Je
regrettais tant de ne pas l’avoir connue !
Elle avait les cheveux blond vénitien, des yeux verts qui brillaient et un sourire faussement timide. Je
ressemblais peut-être à ma grand-mère mais je me trouvais aussi des points communs avec Elena.
Quand je m’étais émerveillée devant cette délicate attention, Paxán m’avait informée que l’idée
venait de Sevastyan. Étonnant.
— J’apprécie, mais au fond de moi, je suis une fille de la ferme. J’aime la simplicité. Et puis c’est
pour toi que je suis ici, pas pour les cadeaux.
Je ne m’étais pas résignée à lui demander de modifier son testament. Le sujet était morbide, et je
craignais de le vexer.
— Mais la vie à Berezka est agréable, non ?
J’ai porté le regard vers le paysage irréel. La pelouse verte s’étendait jusqu’aux berges de la rivière.
De fines gouttes de pluie s’écrasaient sur la surface comme des notes de musique. Des loutres jouaient
dans le courant. Tous les jours, Paxán me montrait des espèces animales locales. « Regarde, une
hermine ! » Ou une musaraigne, un chien viverrin ou un grèbe huppé.
— C’est magique ici, ai-je admis.
— Que puis-je faire pour te convaincre de rester ?
Comme je voyais peu ma mère, je pouvais aussi bien lui rendre visite deux fois par an. Elle était
actuellement en croisière autour du monde. Par mesure de précaution, le syndicat de Kovalev le lui avait
fait « gagner ». Au téléphone, je ne lui avais rien dit du tout, préférant faire une révélation de cet ordre de
visu.
Ma mère accepterait que je vive ailleurs, mais Jess… et mes études ?
— Ce serait une remise en question de vivre ici, avec la fac et tout ça.
Je pouvais considérer ma maîtrise comme mon diplôme final, un doctorat ne m’étant pas nécessaire.
Pourtant, j’avais l’impression d’abandonner.
— Il y a plusieurs universités réputées dans la région.
L’espoir dans sa voix me tuait. Je savais qu’il avait l’habitude de parvenir à ses fins, comme
Sevastyan, mais Paxán faisait l’effort de me donner des raisons de rester et je le respectais davantage
pour ça.
— Je vais déjà me renseigner sur la procédure d’inscription dans une nouvelle université, ai-je dit
prudemment.
Je commençais à me soupçonner d’avoir peur de l’engagement. Si je m’étais toujours trouvée
indécise, à présent je tergiversais sans parvenir à un choix.
Quand on possède une maîtrise et qu’on repousse le moment de s’engager dans la vie professionnelle,
qu’est-ce qu’on fait ? On passe un doctorat ! On reste dans le même cocon. On reprend les cours une
semaine après la fin de l’année précédente.
C’était peut-être pour cela que l’argent me dérangeait autant. En un sens, c’était le symbole d’une
infinité de choix.
D’ailleurs, je n’avais même pas choisi d’aller en Russie.
— À toi de jouer, dorogaya moya.
Ma chérie. J’ai joué sans entrain.
— Et les menaces, Paxán ? Comment ça se passe avec l’autre organisation ?
— Nous traversons une période difficile. Avant, les voleurs avaient un certain sens de l’honneur.
Maintenant, les régions placées sous mon contrôle sont submergées par un élément qui terrorise la
population.
— De quoi s’agit-il ?
— Je vais te donner un exemple. Mon rival, Ivan Travkin, a construit un parking au milieu de mon
territoire. Personne ne l’utilisait, personne n’en avait besoin, alors les hommes de Travkin ont brisé le
pare-brise de tous les véhicules garés en dehors du parking pour obliger les gens à payer le stationnement
tous les jours. Ils sont venus me trouver pour que je fasse arrêter ça et j’ai envoyé Sevastyan. Il a mis un
terme à cette opération, par la force.
J’imaginais sans peine ce que le légendaire Sibérien avait fait.
— Pendant des années, Travkin a cherché des chemins détournés pour tuer mon syndicat de mille
mauvais coups. Mais quand il a appris ton existence, il a envoyé ses deux exécuteurs les plus efficaces
aux États-Unis. (Ses yeux pétillants de père Noël sont devenus durs et froids.) C’est une déclaration de
guerre.
De guerre. Quoi d’étonnant à ce que je m’inquiète constamment pour lui ? Et pour Sevastyan, son
général de première ligne ?
— Quand nous l’aurons emporté, tout sera différent. Nous pourrons aller et venir librement. (Son
expression s’est radoucie.) Je te montrerai le pays où tu es née, la ville de ta mère. Nous retrouverons
tous tes cousins !
— Ça me plairait énormément. Hormis ce voyage, je ne suis allée nulle part.
Il m’a regardée bizarrement, avec culpabilité, comme s’il était fautif.
— J’y remédierai dès que possible. En attendant, on n’est pas si mal à Berezka, si ?
Comme magnétisés, mes yeux se sont tournés vers Sevastyan. Il n’était plus au téléphone mais il était
resté sur la berge, à scruter les environs. J’ai bu une gorgée de thé pour rassembler mes pensées.
— Alors l’attirance est réciproque ? a malicieusement dit Paxán.
J’ai failli m’étrangler.
— Aleksandr m’a parlé de vous deux.
Tremblante, j’ai posé ma tasse.
— Qu’est-ce qu’il a dit ?
— Après votre arrivée, il est venu me confier qu’il avait… débordé de son rôle.
Et si Sevastyan avait des ennuis à cause de moi ?
— C’est entièrement de ma faute, me suis-je empressée de dire. Avant de savoir qui il était, je l’ai
abordé dans un bar – c’était la première fois que je faisais ça. Et plus tard, j’ai insisté. Il a refusé, arguant
que j’étais ta fille mais j’ai insisté.
— Je ne suis pas furieux, ma chérie ! J’aime Aleksandr comme mon fils et je ne veux que ce qu’il y a
de mieux pour lui. Il a trente et un ans, et je désespérais de le voir se poser. Il n’est jamais sorti deux fois
avec la même femme.
— S’installer ? Euh, pourquoi tu dis ça ?
Sevastyan aurait mentionné ce projet ? Avec moi ? J’étais partagée entre la joie perverse et la
tentation de m’enfuir à toutes jambes.
— Qu’est-ce qu’il a dit ?
Paxán a croisé les doigts en cloche.
— Quand nous avons commencé à croire que tu étais réellement ma fille, il était heureux d’avoir une
sœur. Mais ensuite…
Perplexe, il a laissé sa phrase en suspens.
— Ensuite ?
— Il t’a vue. Il était aux États-Unis depuis moins d’une semaine quand il m’a téléphoné. De sa
manière réservée, il m’a demandé de le remplacer parce que son intérêt pour toi n’était pas ce qu’il aurait
dû être.
— Comment ça ? ai-je demandé le plus calmement possible, mon cœur bondissant dans ma poitrine.
En plus d’être surprise, un sentiment de pouvoir s’emparait de moi. Sevastyan luttait pour se
contrôler avec moi ! Il avait voulu renoncer à sa mission pour éviter de décevoir l’homme qu’il admirait.
— Aleksandr m’a confié que son intérêt envers toi était… obscur.
Obscur ? C’est le mot qu’il avait employé ? Paxán a froncé les sourcils.
— Et, bon, profond.
Celui-ci était plus étonnant.
Obscur et profond… comme un harceleur. Probablement parce qu’il m’épiait à l’époque, par devoir
professionnel. Toutefois, ça me faisait réfléchir.
— Alors il n’a pas d’ennuis ?
— Honnêtement, la situation n’est pas idéale. Si vous veniez me trouver main dans la main pour
m’annoncer vos fiançailles, je vous offrirai un mariage comme la Russie n’en a jamais vu. Mais si on
apprenait que mon homme de main en qui j’ai le plus confiance avait… batifolé avec toi, ce serait
mauvais.
J’ai dégluti, consciente qu’il considérait nos moments d’intimité comme une bagatelle.
— Tu serais en colère ?
— Seulement parce que tu serais en danger. Si ça continue entre vous, ça finira par se savoir. On dira
que je ne sais pas tenir mes hommes, je perdrai en respect et Aleksandr aussi, parce qu’il sera jugé
déloyal envers moi. Malheureusement, nos affaires – et notre sécurité – sont basées sur le respect. Les
assauts de Travkin nous fragilisent. Il s’en servirait pour ébranler mon autorité au sein de l’organisation.
— Je ne pense pas que Sevastyan et moi risquons de recommencer à, euh, batifoler.
Malgré notre connexion inexplicable, je ne l’intéressais plus. Pourquoi, je l’ignorais. Rien n’avait
changé, hormis qu’il avait appris à me connaître. Dur à encaisser.
— Je n’aurais jamais abordé le sujet si je n’avais pas remarqué ton intérêt pour lui. (Il a eu l’air
troublé). Je ne veux que votre bonheur, à l’un et à l’autre. Mais je ne suis pas convaincu qu’il soit
l’homme qu’il te faut.
— Pourquoi ça ?
— Aleksandr est toujours dans l’extrême.
Il a soufflé avec lassitude et enveloppé Sevastyan d’un regard fier teinté de perplexité.
— Extrêmes loyauté, violence, vigilance. Je le connais depuis presque vingt ans, et je l’ai vu avec
quantité de belles femmes (la jalousie a pointé le bout de son vilain nez !), mais il n’a jamais réagi
comme avec toi. Ses intentions sont obscures et ce n’est pas une bonne chose.
Paxán n’avait pas clairement répondu à ma question.
— Tu me conseilles de garder mes distances ?
— Je me retrouve dans une position inconfortable. Dois-je faire entrave à son bonheur pour assurer
le tien ? Ou dois-je espérer que vous soyez heureux ensemble ? Des couples comme le vôtre étaient
fréquents à mon époque. Ça s’explique, non ? Un bras droit fiable et une fille adorée ?
Des couples ? Le bonheur à deux ? C’était inquiétant et… permanent. Ma peur de l’engagement était à
son comble.
— Ce sont des grands mots, je le connais à peine.
— Aleksandr t’a raconté comment nous nous étions rencontrés ?
— Il m’a renvoyée vers toi.
Paxán a haussé les sourcils.
— C’est étonnant. Il est très secret.
— Il a dit que tu l’avais recueilli quand il était enfant. Tu veux bien me raconter comment tu l’as
trouvé ?
Paxán a hoché la tête.
— Je traversais les bidonvilles de Saint-Pétersbourg en voiture, avec le projet de m’implanter dans
la ville. J’ai remarqué un homme dans une ruelle, il frappait un garçon qui devait avoir à peine treize ans.
Ce n’était pas rare, après la chute du communisme. Des milliers d’enfants vivaient dans les rues, et la
plupart étaient sévèrement maltraités.
Sevastyan avait été un enfant maltraité ? J’ai eu un pincement au cœur. Je l’ai regardé, un homme
adulte, grand et vaillant.
— Mais ce garçon, a repris Paxán, se relevait tant bien que mal, il se défendait en carrant les épaules.
Pourquoi ce garçon ne s’est pas effondré dans le caniveau ? Pourquoi se redressait-il à chaque coup ? Je
n’ai jamais vu personne en recevoir autant. L’homme a fini par perdre ! Quand le garçon l’a frappé, le
seul coup qu’il lui a envoyé, le bonhomme s’est écroulé, et le garçon a détalé. Je devais découvrir
pourquoi il avait tout encaissé. Alors j’ai suivi le filet de sang qu’il laissait à son passage pour le lui
demander. Tu sais ce qu’Aleksandr m’a répondu ?
Subjuguée, j’ai secoué la tête.
— Pozor bolnee udarov, il m’a dit d’une voix étouffée.
La honte fait plus mal que les coups.
J’ai dégluti. Il était comme ça à treize ans ?
— Extrême, non ? Chaque vor prend un protégé, ramène un jeune homme prometteur au bercail. Je
n’en voyais pas l’intérêt avant de le rencontrer.
— Il venait d’où ? Il était orphelin ?
Comme moi, brièvement.
Il a semblé réfléchir à sa réponse.
— Peut-être qu’il se confierait à toi si vous passiez du temps ensemble, si vous appreniez à vous
connaître.
C’était bien le problème. Dès que nous étions seuls, nous courions le risque de nous emballer.
Probablement la raison pour laquelle Sevastyan m’évitait.
— Paxán, sois franc avec moi, ai-je dit en rougissant de plus belle. Que se passerait-il si nous
recommencions à… batifoler ?
Mal à l’aise, il a tiré sur son col, peu habitué à avoir une fille.
— Ça t’ennuie si je poursuis en russe ?
Je l’ai invité à continuer dans sa langue. Avec un nombre incalculable d’euphémismes, il m’a
expliqué que si nous consumions notre relation, Sevastyan lierait obligatoirement son sort au mien –
tissant un lien, plus ou moins éternel, même sans se marier.
Tout est devenu clair. Pas étonnant qu’il ait pris ses distances. Il redoutait la suite. Son attirance était
une chose, mais s’engager en était une autre.
Sans désirer un tel arrangement, j’avais du mal à admettre qu’il évite de s’attacher à moi.
Les deux jours suivant l’incident du placard, j’avais trouvé des excuses à sa froideur. Il était occupé
ou soucieux. Quelle idiote.
Il n’était pas le genre à me réchauffer les mains si j’avais froid.
Paxán s’est massé les tempes.
— J’imagine que je gâche tout. Tu es très jeune. Trop jeune pour être donnée à un autre.
— Donnée ? ! ai-je répété d’une voix suraiguë.
C’était la coutume dans ce monde, celui dans lequel je vivais à présent.
Son regard s’est perdu dans le vague.
— Toutefois, avec les menaces actuelles, tu ferais probablement mieux de chercher un homme prêt à
donner sa vie pour toi.
— Tu pourrais m’en dire plus sur Travkin et ces menaces ? Nous sommes tous en danger ?
Paxán, pour éviter de m’inquiéter, restait vague.
— La situation est compliquée, et votre destin n’est peut-être pas d’être ensemble. Il y a des zones
d’ombre en lui, a-t-il répondu en ignorant ma question.
— Des zones d’ombre ?
Paxán s’est concentré sur moi.
— Je sais que tu plais à Filip aussi. Vous êtes du même âge, vous avez plus de points communs.
— Il ne m’attire pas de cette façon. Je le regrette en un sens, mais c’est comme ça.
— Pas attirée ? Par Filip ?
— Non.
— C’est… surprenant. Il faudrait attendre un peu, vous laisser plus de temps…
Sevastyan a monté les marches du pavillon, les épaules crispées. Les deux hommes ont échangé un
regard, et Paxán s’est immédiatement levé.
— Ma chérie, des affaires urgentes m’appellent.
— Des choses dont je devrais être informée ? ai-je demandé sur un ton neutre.
Sevastyan était sur ses gardes parce qu’il était extrêmement vigilant ou parce que le danger
était imminent ?
Paxán m’a embrassée sur la tête d’un air absent.
— Rien d’ingérable.
Derrière lui, l’agitation de Sevastyan m’a rappelé le tic-tac d’une bombe. Il a posé son regard sombre
sur moi – un avertissement indéchiffrable, destiné à moi seule.
Tôt ou tard, le compteur arriverait à zéro.
Que se passerait-il alors ?
17

— J’exige des réponses, Filip.


Aux écuries, nous attendions le palefrenier. Au bout d’une semaine de pluie, le temps s’était enfin
calmé, et j’avais proposé une balade à Filip.
— J’ai besoin d’en savoir plus sur ces menaces.
Le climat était de plus en plus tendu à Berezka et personne ne m’expliquait rien. Même lorsqu’un
photographe était venu tirer mon portrait – pour mon faux passeport russe.
— Simple précaution, m’avait assuré Paxán. Il faut toujours être prêt à quitter le pays.
Pour partir en voyage ou en fuite ?
Depuis notre conversation, je m’efforçais de chasser Sevastyan de mes pensées. Il m’arrivait de
surprendre son regard fixé sur moi, mais hormis pour me saluer, il ne m’adressait pas la parole.
Toutefois, la tension était palpable entre nous, à l’image de l’ambiance générale sur la propriété.
Dans un cas comme dans l’autre, elle grandissait sans promesse d’éclaircie.
— Ne t’inquiète pas pour ça, Nat.
Il était très stylé avec ses bottes, son pantalon de cavalier foncé et sa veste à carreaux. Seul un
homme aussi beau pouvait se permettre ce mélange de mode et de m’as-tu-vu. Sous son allure chic, il
avait les traits tirés.
— Ton père est un homme intelligent. Il a toujours une longueur d’avance sur l’ennemi, même avec un
acharné tel que Travkin.
J’ai ajusté mon manteau sur mesure et mes gants chauds. Malgré le soleil, il faisait froid. En Russie,
le vent d’automne était vraiment mordant.
— J’aimerais être utile.
J’avais modifié la brève biographie de Kovalev dans Wikipédia, ajoutant « prétendument » à chaque
phrase et une partie « Contributions aux œuvres de charité ». Comment l’organisation avait-elle fait pour
vivre sans moi ?
Sur Internet, Aleksandr Sevastyan n’apparaissait nulle part. Il existait une famille importante du même
nom, mais ils exerçaient dans le commerce légal et même en politique.
Filip m’a redressé le menton.
— Tu l’es. Tu rends le vieil homme heureux. Vous êtes plus proches de jour en jour. Tout le monde
s’en rend compte. Laisse les hommes s’occuper de ça.
Je me suis raidie, puis j’ai réalisé qu’il blaguait. Il avait l’esprit plus moderne que quiconque ici, et
il aimait me taquiner.
— Tu es ravissante quand tu t’offusques. Tu es tellement féminine. (Il a penché la tête sur le côté.) Tu
sais, tu serais douée pour faire chanter qui tu veux. Ce serait une manière de t’impliquer dans les affaires
de la famille, cousine.
— Essaierais-tu de changer de sujet ?
— Est-ce que ça marche ? a-t-il demandé avec un sourire angélique.
Il a attrapé ma queue de cheval, l’a enroulée autour de son doigt. Alors que j’allais me décaler, il l’a
brusquement lâchée. Il aimait tester les limites quand il flirtait avec moi.
Comme il flirtait tout le temps, il collectionnait les rebuffades. J’en étais venue à me demander s’il
connaissait le fameux code d’engagement du milieu. Ses attentions, presque désespérées, ne
correspondaient pas à sa personnalité.
— Tu ne peux rien me dire ?
— Je ne m’occupe que de l’administratif. Sevastyan ne me permet pas d’approcher du cercle interne.
— Moi non plus.
Nous étions des étrangers les observant par la fenêtre.
Quand Filip s’est passé une main lasse sur le visage, j’ai remarqué que son poignet était nu. Comme
Paxán et Sevastyan, il possédait une montre coûteuse, mais je ne l’avais pas vue dernièrement.
— Il se passe quelque chose dans ta vie en ce moment, ai-je hasardé en fixant ses yeux gris innocents
– trop innocents pour être honnêtes ?
— Rien du tout, cousine.
— Où est ta montre, alors ? ai-je demandé sans parvenir à garder ma langue dans ma poche.
N’avais-je pas décidé d’arrêter de tout analyser ? D’abandonner les préjugés ? Oui mais, zut, mon
radar signalait un joueur. Sa voiture serait toujours au garage depuis deux semaines ?
Il a détourné le regard.
— J’ai oublié de l’enlever pour nager, l’autre jour.
— Laisse-moi deviner. Elle aussi, elle est en réparation ?
La voiture et la montre auraient été mises au clou ? Mon cousin serait-il un joueur sur la paille ?
— En réparation, tu as tout compris.
Devant son air serein, je me suis dit que j’avais assez de soucis pour éviter de me tracasser pour ses
travers.
— Dis-moi si je peux t’aider, d’accord ?
— OK. Tu es une chouette fille, cousine. Tu le sais, j’espère ?
Le palefrenier est arrivé avec nos montures. Avec sa robe grise brillante et ses jambes noires, Alizay
était magnifique. La sellerie raffinée soulignait ses lignes. Dans le Nebraska, nous pratiquions plutôt
l’équitation classique mais, par chance, j’avais appris à monter à l’anglaise.
Je l’ai regardée dans les yeux, y voyant le reflet de mon adoration. Finalement, peut-être que j’aimais
le luxe, au moins en matière de chevaux.
Le palefrenier a amené une troisième monture.
— Tu as un invité ? ai-je demandé à Filip, en notant un fusil rangé dans l’étui de la selle.
— Le fichu Sibérien, a-t-il marmonné en levant les yeux au ciel.
Sevastyan est entré dans l’écurie au même instant, sa grande carrure projetant une ombre dans l’allée.
Il portait un jodhpur noir moderne, et une veste de sport imperméable si rembourrée qu’il aurait pu jouer
au rugby.
Le style de Filip était le must du chic, et celui de Sevastyan, sur mesure et inabordable.
Ses gants et sa tenue cachaient ses tatouages mais sa cicatrice en travers de ses lèvres et la dureté de
son visage contredisaient son allure de gentleman.
Il venait vers nous d’un pas athlétique. Les muscles puissants de ses cuisses s’étiraient à chaque pas,
me rappelant leur contact contre mes oreilles lorsque je l’avais avalé…
Concentration, Natalie.
— Tu nous accompagnes ? ai-je demandé, embarrassée par ma voix étranglée.
— Kovalev veut te voir, a dit Sevastyan à Filip.
— J’emmène Natalie en promenade, a-t-il répondu avec aisance. Je le verrai après…
— Immédiatement.
Filip a serré les lèvres.
— Nat, rentrons à la maison. Nous sortirons après mon entrevue avec Kovalev.
Et si le temps tournait à la pluie ? Je ne me suis pas donné la peine de cacher ma déception.
— Je l’accompagne, a dit Sevastyan.
Pourquoi proposait-il d’être seul avec moi ? Probablement parce qu’il avait réussi à dominer son
attirance, et se sentait à l’abri. Et pourquoi ne travaillait-il pas ? Les problèmes étaient-ils réglés ?
La curiosité, ma botte secrète, m’incitait à m’interroger.
Entre les deux hommes, la tension était palpable.
— Toi ? Tu vas te balader avec ta petite sœur ? Quel gentil grand frère… Mais ça ne lui dit rien, a
ironisé Filip avant de m’inviter à le suivre d’un brusque « Viens, Natalie ».
Je n’aimais pas ce ton autoritaire. Pourtant, j’aimais que Sevastyan me donne des ordres dans
l’intimité.
Même après tout ça, il me manquait toujours. Quel mal y avait-il à partir en balade ?
— J’attends ça depuis deux semaines, me suis-je défendue.
Incrédule, Filip nous a regardés tour à tour.
— Tu veux aller faire du cheval avec lui ?
— Ona so monoi, a lancé Sevastyan.
Elle est avec moi.
Filip a assimilé ses mots, puis un troublant éclat de colère est apparu sur son visage et a empourpré
ses joues.
— Toi ? Avec lui ?
Ses sous-entendus passaient mal. En cet instant, on aurait dit que l’homme qui m’ignorait depuis des
semaines et l’homme au visage d’ange s’affrontaient pour déterminer lequel pissait le plus loin.
Sur moi.
— J’ai juste envie de faire du cheval, Filip.
Il serrait si fort les dents qu’elles risquaient de se casser.
— Je t’attends à la maison, m’a-t-il finalement dit.
Après un dernier regard noir à Sevastyan, il est parti.
Inquiète, je me suis tournée vers Sevastyan qui suivait Filip des yeux.
— Tu veux me dire ce qui se passe entre vous ?
— Nyet.
Ce mot, dans sa bouche, pouvait également se traduire par « Fin de la conversation, Natalie ».
— Pourquoi tu ne travailles pas aujourd’hui ? Les conflits avec Travkin sont résolus ?
Il a secoué la tête.
— Nyet.
Fin. Je n’étais pas membre de l’organisation, je ne saurai rien.
Il a passé sa main gantée sur l’encolure de sa monture.
— Tu veux aller faire du cheval, alors je t’accompagne.
L’étalon était nerveux et Sevastyan n’avait pas un tempérament de cavalier. La recette de la
catastrophe ?
— Tu montes souvent ?
— Malheureusement, le travail m’en empêche.
— Nous ne sommes pas obligés de faire cette promenade.
Pour toute réponse, il m’a aidée à enfourcher Alizay.
— OK…
Ses mains s’étaient-elles attardées autour de ma taille ? Fascinée, je l’ai regardé se hisser en selle et
faire tourner son cheval.
En réalité, mes réticences étaient infondées. Il avait beau avoir grandi dans la rue, il chevauchait
comme s’il était né en selle, l’allure fière.
Une fois de plus, ses contradictions me subjuguaient. En sortant de l’écurie, j’étais tellement
accaparée par lui que j’ai à peine remarqué l’aisance d’Alizay.
Mais comment ne pas l’admirer ? Il était captivant, le soleil d’automne jouant dans ses cheveux noirs.
Et perché sur un cheval, sa beauté était envoûtante.
Un tel physique le prédisposait à deux activités commençant par un B, l’une étant la bagarre.
M’efforçant à ne plus le regarder, j’ai admiré la propriété. Une brise fraîche caressait les feuilles
mortes tombées des bouleaux, autour des étables.
Dans un silence agréable, nous avons longé les jardins impeccables, le terrain de tennis, les maisons
des invités et le garage, en direction d’un paysage plus sauvage. Un renard, deux martres et de nombreux
écureuils mouchetés ont croisé notre chemin.
Quand nous avons traversé un ruisseau gazouillant, Alizay a poussé un hennissement agacé. Je n’avais
jamais eu de monture aussi délicate, mais cette balade tranquille ne lui suffisait pas. J’ai tapoté son col.
— Elle a envie d’y aller plus fort.
Je me suis mordu l’intérieur de la joue. N’aurais-je pas pu trouver une phrase moins suggestive ?
Autant pointer mon entrejambe directement tant que j’y suis.
— Alors allons-y plus fort.
Sevastyan a tapoté la croupe d’Alizay, l’envoyant au galop.
Il m’a rapidement rattrapée, et nous avons longuement galopé, l’air vivifiant emplissant mes
poumons. Je laissais échapper des rires, et Sevastyan souriait presque. Si jamais il me souriait
franchement, je chuterais de cheval.
Je me suis prise à me demander comment serait notre vie, ensemble. Dans des moments de folie, je
parvenais presque à nous projeter en couple. Ce ne serait jamais monotone.
Non, ce serait sombre. Et intense. J’ai dégluti. De toute façon, la balle n’était plus dans mon camp.
Mes sentiments étaient clairs, et il n’avait rien fait.
Pas encore ? Ou était-ce une sortie platonique ? Il avait affirmé à Filip que j’étais avec lui. Le temps
de la promenade à cheval ? Plus longtemps ?
Nos montures allaient au même rythme, côte à côte. À l’approche de la forêt de bouleaux, nous avons
ralenti l’allure. J’aimais voir les feuillages s’agiter autour de nous, soulevés par la brise comme de petits
cerfs-volants.
— C’est magnifique.
— Je venais explorer ce coin quand j’étais gamin.
— Ça devait être un endroit merveilleux pour un enfant.
Surtout après l’enfance qu’il avait eue. Avait-il pansé ses plaies ici, passant d’une misère immonde à
cette terre d’abondance ?
De la solitude à un père, Kovalev ?
— Paxán voulait que je me sente chez moi ici, alors il m’a fait lire tout ce qui a été écrit sur ce lieu.
Une lumière vaporeuse filtrait à travers les branches et dansait sur son visage. Le doré de ses yeux
était si lumineux que le soleil semblait les allumer de l’intérieur.
— Raconte-moi ce que tu as appris, ai-je dit dès que j’ai retrouvé ma voix.
À sa manière bourrue, il m’a décrit la construction et la rénovation de Berezka. Mais à mesure qu’il
parlait des gens et des terres, il s’animait, exprimant toute sa passion pour cet endroit.
Il m’a surprise à le fixer.
— Quoi ?
Ses pommettes avaient pris des couleurs. Depuis que je savais qu’il avait été boxeur professionnel, je
rêvais de toucher son visage. Et depuis que Paxán m’avait raconté qu’il avait subi des violences, je
rêvais de l’embrasser du front au menton.
— Tu adores cette propriété.
Il a haussé les épaules mais sa fierté était manifeste.
— Pas toi ? (J’ai hoché la tête.) Alors pourquoi tu n’as pas décidé de rester ?
— C’est une grande décision. Vivre à l’étranger, changer d’école.
Je savais que rien ne rendrait Paxán plus heureux, et je désirais lui faire ce cadeau. Mais pas au prix
de mon propre bonheur.
— Tu dois croire que je n’aimais pas ma vie d’avant, mais elle me plaisait. J’aimais même travailler,
comme toi. Sans être une péquenaude, j’aime la vie simple. (Nous nous sommes arrêtés.) Assez parlé de
moi. Pourquoi tu ne me racontes pas plutôt comment tu es arrivé ici ?
Selon Paxán, il était possible qu’il se confie à moi.
Il m’a dévisagée.
— Ton père t’a raconté mon histoire.
— Seulement votre première rencontre. J’aimerais entendre la suite.
Si nous continuions sur cette voie, en apprenant à nous connaître, tomberais-je amoureuse de lui ?
Pouvait-il tomber amoureux de moi ?
— Je suis douée pour écouter, ai-je dit.
Nous nous sommes regardés dans les yeux. Il s’apprêtait à parler quand la colère a envahi ses traits.
— Pourquoi as-tu proposé à Filip de faire du cheval avec toi ?
— Pourquoi pas ? ai-je répondu, prise de court.
— Tu aurais pu me proposer. (Il a détourné le regard.) Sauf si tu tenais à passer du temps avec lui
loin de tout le monde.
J’ai levé les yeux au ciel.
— Si c’était le cas, ça ne te regarderait pas. Nous ne sommes pas ensemble, tu te souviens ? Je l’ai
pris à cœur.
— Mon avertissement aussi, tu l’as pris à cœur ? Je t’ai prévenue de te méfier de lui.
Sa colère éveillait la mienne.
— Il m’a dit la même chose à ton sujet.
— Filip plaît aux femmes. Ça ne veut pas dire qu’il le mérite.
— Je m’entends bien avec lui. Il ne m’ignore pas, et il me fait rire, ai-je souligné. Et son visage
d’ange n’est pas désagréable.
Il a serré les poings autour de ses rênes. Son cheval a grogné.
— Je ne veux plus te voir seule avec lui.
Sa jalousie était si délicieuse que j’ai décidé d’en rajouter.
— Pourquoi ? Tu as peur que je jette mon dévolu sur lui au lieu de toi ?
Un éclat bestial a traversé son regard.
— Ça n’arrivera jamais.
— C’est pour ça que tu m’accompagnes en promenade ? Pour lui barrer la route ?
— Oui.
Mes orteils se sont enroulés dans mes bottes.
— Pourquoi ?
— Je sais ce que Filip avait en tête aujourd’hui. (Devant mon air interrogateur, il a précisé.) Il avait
prévu de te séduire.
— Comment tu le sais ?
— C’est ce qu’aurait fait n’importe quel homme sensé.
Il a soutenu mon regard. Était-ce sa façon de me faire comprendre que c’était son intention ?
Retombais-je sous son charme ?
J’ai écarté une mèche de mon visage en feu.
— Es-tu un homme sensé ?
Dis oui, dis oui.
Le tonnerre a grondé.
Comme si nous sortions d’une rêverie, nous avons brusquement relevé la tête. Dans ces bois, nous
n’avions pas remarqué le ciel noir.
— Rentrons.
Non, je veux que cette balade à cheval dure toujours ! Sevastyan se montrait possessif et jaloux, et
flirtait même avec moi – de sa façon laconique d’homme de main. Encore ! Quelques minutes de plus,
qu’est-ce que ça changerait ?
— La pluie ne nous fera pas fondre.
J’avais à peine terminé ma phrase que les nuages drapaient la cime des arbres, nous étouffant comme
une couverture. Une goutte est tombée sur mon visage, puis une seconde. Le ciel s’assombrissait.
Une bourrasque glacée nous a fouettés, projetant des feuilles sur nous.
— Reste près de moi, a ordonné Sevastyan.
Il s’est élancé, et je l’ai suivi à toute allure, zigzaguant entre les arbres.
Un éclair a zébré le ciel au-dessus de nos têtes, la bruine froide me piquait le visage. Mais c’était si
exaltant que je me sentais vivante. Il y avait longtemps que mon cœur n’avait pas battu aussi fort.
La dernière fois ? Dans une remise à balais, deux semaines plus tôt.
Quand la foudre est tombée sur un arbre proche, Alizay a pilé et fait un pas de côté.
— Doucement, ma belle…
L’appréhension m’a saisie. Dans la course, ma queue de cheval s’est détachée. Entre les feuilles et
ma chevelure, je ne voyais rien. Le tonnerre se rapprochait, plus tonitruant que dans le Nebraska.
Sevastyan a fait demi-tour pour venir me chercher. Il s’est emparé de mes rênes pour obliger Alizay à
le suivre au trot.
Après un nouvel éclair, la foudre est tombée plus près de nous. La bruine était devenue une pluie
battante, et de grosses gouttes glaciales s’écrasaient sur ma tête. La température était en chute libre. Ma
respiration formait de la buée entre les rideaux de pluie.
Sevastyan a plissé les yeux en direction des écuries puis nous a guidés dans l’autre sens.
— Les écuries sont de l’autre côté ! ai-je crié.
— Je vais te mettre à l’abri de la foudre, a-t-il répondu en encourageant son cheval.
Dans les films, se faire surprendre par la pluie en bonne compagnie est toujours un moment sensuel.
J’étais gelée, certaine de ressembler à un chat trempé, et je craignais d’être électrocutée. Pour couronner
le tout, mon pantalon me rentrait dans les fesses.
Lorsque nous sommes sortis des bois, la pluie était si dense que je distinguais à peine les bâtiments
au loin. En approchant, j’ai fini par discerner une maison aussi grande que celle que je partageais avec
Jess. De construction grossière, avec ses murs aux poutres apparentes et son toit en bois, elle était
différente des autres structures de Berezka.

Un abri pour les chevaux était accolé à la maison. Le temps de descendre de cheval, à l’abri, mes
jambes étaient si raides que Sevastyan a dû me rattraper.
— Entre, a-t-il crié en me stabilisant sur mes pieds.
Je l’ai laissé s’occuper des chevaux, et je suis entrée dans la bâtisse aveugle. J’ai enlevé mes gants
trempés et, tout en me réchauffant les mains, j’ai regardé autour de moi. La lumière entrant par la porte
éclairait une pièce rustique.
Un banya. Un sauna. Comme dans les livres !
Les Russes tenaient à leurs saunas. Les banyas avaient leurs rituels et leurs codes sociaux. Créer la
meilleure vapeur, à base de très fines gouttelettes, était un art.
La première pièce, l’accueil précédant le bain, était équipée de portemanteaux, de serviettes, de
draps et d’onctions. Plus loin se trouvait le sauna à proprement parler. Des bancs en bois s’étiraient le
long des murs. Un bassin bleu était niché à l’extrémité. En face se trouvaient la chambre de combustion et
le caisson à pierre.
Un seau d’eau et une échelle étaient posés à côté des pierres. Des veniks – fagots de branches et de
feuilles sèches – étaient suspendus à un rail, à la façon de minuscules balais. Humidifiés, ils servaient à
fouetter la peau pour stimuler la circulation.
Étrangement, la chambre de combustion était allumée, et diffusait de la lumière. Les pierres
dégageaient de la chaleur, rendant l’atmosphère chaude et humide. L’endroit embaumait le cèdre et, plus
discrètement, les veniks de bouleau, odeur rappelant un mélange de thé des bois, de forêt et de cuir.
J’étais coincée dans un banya avec l’homme le plus séduisant de tous. Avec lequel je ne pouvais pas
coucher sans risques. Un homme que je n’étais pas supposée fréquenter.
Grelottant, je me suis tournée vers la porte, prête à affronter l’orage. Tête baissée, Sevastyan est
entré, son fusil à la main.
— Où vas-tu ?
Lorsqu’il a fermé la porte, j’entendais à peine le tonnerre dans le sauna isolé, même s’il faisait
trembler le sol et les murs.
Dans ce cocon humide et peu éclairé, nous étions coupés du monde.
Tout en secouant ses cheveux, il a calé son arme contre le mur et bloqué la porte à l’aide d’une barre.
Pourquoi la verrouiller ?
— Nous devons rentrer. Ou demander qu’on vienne nous chercher, ai-je dit en claquant des dents.
Il a ôté ses gants tout en marchant vers un placard encastré. Des verres ont cliqueté puis, se
retournant, il m’a tendu un verre de vodka.
— Bois.
J’ai pris le verre d’une main hésitante. J’avais beau avoir besoin de me réchauffer, je tenais à éviter
de me retrouver dans un sauna avec lui – à boire de la vodka.
— Natalie, bois. Tu ne te rends pas compte à quel point tu es transie de froid.
Mes dents ont claqué de plus belle. Renfrognée, j’ai vidé mon verre. Quand je l’ai posé sur une
étagère, à l’envers, il a hoché la tête de satisfaction et m’a prise par la main pour m’entraîner vers le feu.
Il l’a alimenté et a versé de l’eau sur les pierres.
La vapeur s’est élevée en nuages sifflants. Elle nous enveloppait en caressant mon visage.
— Si nous restons ici, il pourrait se passer des choses, ai-je bredouillé.
Des choses interdites.
Par exemple, nous déshabiller entièrement, et lécher les gouttelettes sur le corps de l’autre.
— Des choses ?
Il est venu vers moi en enlevant son manteau.
J’ai reculé d’un pas.
— Tu sais, entre nous.
Ça faisait tellement longtemps, pourquoi succomber maintenant ?
Il a haussé les sourcils, les flammes et la vapeur donnant à son regard une lueur maléfique.
— Tu ne peux pas te contrôler avec moi ? a-t-il demandé d’une voix rauque.
Résiste, Nat.
— Peut-être que si, mais je n’ai pas à te le prouver en restant dans un sauna avec toi.
Il s’est encore approché.
— Qu’est-ce que tu fais, Sevastyan ?
— Je te débarrasse de ces vêtements mouillés, a-t-il répondu avec assurance.
Quoi ? Le compte à rebours était enfin à zéro ? Le souffle court, je me suis remémoré sa fébrilité, ses
regards perçants et sa tension croissante comme s’il était sur le point de passer à l’action.
C’était donc ça ?
Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi aujourd’hui ? Et dans quelle… perspective ?
J’ai repensé à tous ses regards d’avertissement incompréhensibles. Avais-je le courage d’affronter
les conséquences, quelles que soient ses intentions ?
— Et si je refuse de me déshabiller ?
— Mon chou…
Maintenant, ce surnom me rappelait ce qu’il avait dit : j’ai envie de vous croquer. Le regard
suggestif, il a tendu la main vers ma veste.
— Tu dois savoir une chose.
Comment un simple regard enflammé pouvait me couvrir de frissons ?
— Quoi ?
— Ce n’était pas une question.
18

— Attends !
J’ai trébuché en m’éloignant de Sevastyan qui avançait vers moi à travers le nuage de vapeur.
Passer un moment dans un sauna, nue, avec un homme de main qui m’était interdit mais qui me faisait
saliver ? Que pouvait-il arriver de mal ?
Sevastyan ne s’était que trop bien préparé à profiter de la tempête. Le feu avait été allumé avant notre
arrivée. Il m’avait mise sur la piste en évoquant des tentatives de séduction… je me posais des questions.
— Qu’est-ce qui te prend, le Sibérien ? Je connais les règles, nous ne sommes pas censés folâtrer.
— Je n’ai aucune intention de folâtrer avec toi, a-t-il murmuré sur le ton de la promesse.
J’ai froncé les sourcils.
— Mais c’est pour cela que tu m’évitais dernièrement, non ? Tu ne veux pas te retrouver avec moi sur
les bras. Explique-moi.
Il était tout près à présent.
— C’est simple. Tu es gelée et je peux te réchauffer.
Comme je tentais de l’esquiver, il a levé les mains pour montrer qu’il ne me forçait pas.
J’ai levé les yeux au ciel. Il n’en avait pas besoin !
— Pour cela, je dois faire monter la température du sauna.
Il est reparti vers le feu, attisant les flammes et produisant plus de vapeur. Il s’est assis sur un banc et
a entrepris de se dévêtir, avec naturel.
J’étais subjuguée par ses mains baguées qui déboutonnaient sa chemise. Sans savoir si c’était la
vodka ou l’excitation qui me réchauffait le plus, je n’avais plus froid.
Quand il a ôté le tissu mouillé, les muscles de ses bras et de ses épaules ont roulé, le mouvement
faisant ressortir ses tatouages.
D’après mes recherches, les deux étoiles signalaient un aristocrate du crime, un homme qui avait
atteint les échelons supérieurs de la Bratva. Ceux de ses doigts désignaient son passé de voleur et
d’assassin. Mais dans l’avion, j’avais également vu des cicatrices – l’une provenait vraisemblablement
d’une blessure par balle sur le flanc, et l’autre, le long de son bras, ressemblait à la marque d’un couteau.
Autant de rappels de ses souffrances. Pourtant, ses cicatrices n’enlevaient rien à son charme ; au
contraire.
Il a résolument levé le menton. Le salopard était conscient de ses charmes.
De sa virilité.
De ses atouts sexuels.
Je me suis surprise à aller vers lui, mes mains pressées de toucher sa peau humide. Quelle femme lui
résisterait ?
Une femme mieux que moi.
Sans m’en rendre compte, je me suis assise sur le banc, à un mètre de lui.
— Je ne veux pas ça, me suis-je sentie obligée de dire.
Il a haussé les sourcils, l’air de dire Ah, vraiment ?
— Enlève ta veste.
Je me suis exécutée, en déglutissant. Sous mon chemisier en soie ivoire transparent, mes seins tendus
et mes auréoles corail étaient visibles à travers le soutien-gorge en dentelle blanche.
— J’ai peur, ai-je admis quand il a poussé un râle satisfait.
— De moi ?
J’ai secoué la tête.
— J’ai peur du poids de nos actes. À ce que j’ai compris, si nous continuons à batifoler, tu seras
coincé avec moi jusqu’à la fin de tes jours. Ça revient à me passer la bague au doigt, en somme. Surtout si
nous couchons ensemble.
— C’est à moi de m’en inquiéter.
Peut-être qu’ils avaient exagéré en parlant d’engagement éternel, comme le font les parents : « Si tu
sors avec les cheveux mouillés, tu vas attraper la grippe. »
Si tu couches avec un homme de main, tu prends perpète.
Sevastyan ne prendrait pas le risque d’être condamné à rester avec moi pour l’éternité, si ? De plus,
si je restais vierge, je serais certainement exemptée des règles de la mafiya.
Possible que je me raccroche à la première excuse venue pour faire durer ce moment. L’air chargé
d’humidité le rendait irréel. N’était-ce pas plus facile de faire preuve d’audace dans un monde onirique ?
— Qu’attends-tu de moi, Sevastyan ?
Il a allongé mes jambes sur ses genoux, m’obligeant à me tourner vers lui.
— Tu as confiance en moi, milaya moya ?
Ma douce.
J’ai dit adieu à une de mes bottes et au bas qui allait avec.
— Je me demande pourquoi, mais oui.
Adieu à la seconde.
Il s’est penché pour déboutonner mon chemisier de ses doigts tatoués. J’envisageais toujours de le
repousser, puis j’ai senti son parfum viril.
Fin de la partie. J’étais droguée.
En réponse à sa demande muette, j’ai enlevé mon chemisier, gardant mon soutien-gorge qui accentuait
mes seins plus qu’il ne les cachait.
Son regard s’est posé sur ma poitrine, et il s’est passé la paume sur la bouche.
— Tu peux tout arrêter, Natalya, a-t-il dit d’une voix apaisante. Dis-moi ce que tu veux.
J’ai fixé sa bouche, et spontanément, j’ai dit la vérité.
— Encore.
Il a pris mon visage en coupe, passé les pouces sur mes pommettes.
— Alors je vais te satisfaire autant que moi, car tu en as besoin.
J’ignorais le sens de sa phrase mais je retenais la nécessité, l’impératif. Aussi vital que respirer.
— Mais je ne peux pas coucher avec toi.
Il m’a lâchée, et ses yeux se sont rétrécis sous le coup de la colère.
— Tout ce qui t’intéresse, c’est assurer tes arrières ? Sois tranquille, je ne te pénétrerai que si tu me
supplies. Mais si tu n’as pas la force de me résister, c’est ton problème, a-t-il dit, reprenant mes mots
dans l’avion.
Pas de sexe si je ne suppliais pas ? Je pouvais me retenir de l’implorer. Alors je serais réellement
maîtresse de la situation.
— Qu’as-tu en tête si ce n’est pas de coucher ensemble ?
— Je vais te donner des ordres et tu devras les suivre à la lettre.
Chacun de ses mots semblait enrobé de luxure.
Son désir était si impérieux ! L’idée de répondre à ses « demandes particulières » a abattu mes
dernières résistances. Mon corps succombait, ma volonté faiblissait.
Il voulait me donner des ordres ; je les attendais.
Il m’a fait asseoir sur ses genoux, nos visages tout proches l’un de l’autre, nos souffles se mêlant. Il a
mordillé ma lèvre inférieure, et l’a apaisée avec sa langue. Quand il m’a embrassée à pleine bouche,
vaincue, j’ai soupiré en me rendant à son baiser sensuel.
Pendant que nos langues se titillaient, j’étais vaguement consciente que mon pantalon avait disparu.
La rencontre de mes seins nus et de sa peau brûlante m’excitait. S’il était toujours en pantalon, je n’avais
plus que mes sous-vêtements.
Cessant de m’embrasser, il m’a soulevée.
— Allonge-toi.
Mon premier ordre. Le banc, en lattes vernies, était large d’une soixantaine de centimètres. C’était
suffisant pour m’allonger, mais le confort ne devait pas être le premier souci de Sevastyan. Nerveuse, j’ai
avalé ma salive en me couchant.
Il s’est penché pour tirer sur ma culotte. Puis il m’a regardée longuement.
Ses yeux dorés luisaient d’une intensité bestiale qui faisait battre mon cœur.
J’ai suivi son regard qui errait sur mon corps en me demandant ce qu’il voyait de bouleversant. Ma
peau rouge d’excitation, mouchetée de brume, semblait pailletée. Mes hanches impatientes ne cessaient
de s’agiter.
Il me désire profondément, sombrement. Ce qui m’énervait auparavant m’excitait follement à
présent.
— Ferme les yeux, Natalie. Ne les ouvre pas. Et reste là.
— Sevastyan…
— Je donne les ordres, tu obéis. Sdavaisya.
Succombe.
L’anxiété s’est emparée de moi – bientôt chassée par l’impatience. Quand j’ai fermé les yeux, il est
sorti de la pièce. Je l’entendais dans la première salle. Parti chercher de la vodka ?
Tout en me demandant ce qu’il préparait, j’ai perçu un changement. Assaillie par les sensations, je me
suis détendue. Les gouttelettes de vapeur se rassemblaient partout sur mon corps, des filets coulant sur les
côtés de mon buste et emplissant mon nombril. À chaque souffle de vapeur, mes tétons se crispaient
davantage. L’odeur du feu assaillait mes narines.
Ma chevelure retombait en cascade au bout du banc. Je me suis mordu la lèvre quand le tonnerre a
éclaté dans le bois et fait trembler le banc, la vibration allant de mes talons à ma tête.
Tous mes sens étaient aiguisés.
De plus en plus mouillées, mes lèvres gonflaient entre mes jambes. J’avais envie d’écarter les
cuisses, de m’ouvrir à lui. Il avait dit qu’il trouvait mon intimité belle, il en avait léché tous les reliefs
avec un appétit insatiable.
J’avais besoin de lui ! Que faisait-il ? La curiosité me taraudait…
Critch.
Je me suis tendue. Un bruit de tissu déchiré.
Critch… Critch… Critch.
J’ai cru entendre de l’eau couler.
Quand ses pas se sont rapprochés, j’ai lutté contre la tentation d’entrouvrir un œil.
— Tu as fait ce que je t’ai dit ?
— Oui, ai-je répondu d’une voix tremblante.
— C’est bien.
Ses phalanges ont longé ma joue. Je m’offrais tout entière, et c’était mon visage qu’il caressait.
— Euh, qu’est-ce que tu faisais ?
J’imaginais ses yeux suivre les mouvements de ses doigts.
— Certaines préparations. Relève les bras au-dessus de ta tête.
Hésitante, je les ai étirés. Il a saisi mes poignets d’une main. Je tremblais lorsqu’il a noué le tissu
autour.
19

— Sevastyan, je ne suis pas sûre.


Il m’avait demandé d’être docile, et promis de me faire des choses vicieuses.
Allais-je de nouveau m’aventurer dans ces eaux ? Plonger vers lui ?
— Tu peux m’arrêter à tout moment, Natalie.
On ne s’arrête pas en pleine chute…
— Mais si tu m’obéis, je promets de te faire jouir comme jamais.
Puisqu’il tenait toujours ses promesses, il prévoyait de me donner un orgasme plus fort que dans
l’avion et dans le placard. Je ne voyais pas comment c’était possible, mais j’avais toutes les raisons du
monde d’obtempérer.
Alors que je tremblais d’impatience, il a ligoté mes poignets et les a attachés à un pied du banc.
Je l’ai senti bouger. Penché au-dessus de moi, il a frotté son gland sur la peau de mon ventre. Il était
nu ? J’avais désespérément envie de le voir entièrement nu ! Pourtant, je serrais les paupières, résistant
au besoin de les soulever.
Il a passé le bras sous mes genoux et les a relevés, mes pieds reposant sur le banc.
— Écarte les genoux.
Quand je l’ai fait, la brume a effleuré mon sexe gonflé de désir.
Il a inspiré d’un coup sec, et j’ai su qu’il admirait mon entrejambe. J’ai été tentée de fermer les
jambes.
— Ya sptryu na to shto prenodlezhit mne, a-t-il murmuré dans un râle.
Je regarde ce qui m’appartient. En cet instant, j’étais totalement à lui.
Allait-il m’attacher les jambes ? Je le désirais, comme je voulais qu’il me fasse toutes ces choses
immorales.
Au lieu d’enrouler un tissu autour de mes chevilles, il a noué une bande autour d’un genou. Que
faisait-il ? Il fixait la bande à la tête du banc ?
Quand il a relié mon autre genou, j’ai pris conscience que mes deux jambes largement écartées étaient
suspendues en l’air, maintenues par une longue bande de tissu. Si je tirais sur la jambe droite, la gauche
serait relevée et écartelée. À la façon d’une balance.
Comment lui dire d’arrêter ? Que c’était trop ?
— Regarde-moi ça. Tes boucles rousses, et tes lèvres roses gonflées, en contraste avec ces cuisses
blanches. Quelle beauté.
Sous son regard, mon sexe s’est crispé et il a inspiré.
— Tu sais que j’ai rêvé de cette scène ? Mon adorable Natalya ligotée pour moi. Et de tout ce que je
te ferai.
Ma résistance s’est évanouie dans un geignement.
— Ouvre les yeux.
— D’accord.
Devant sa nudité, mes yeux se sont écarquillés. Le feu enveloppait son corps de lumière, dansait sur
ses muscles saillants. Des gouttelettes ruisselaient sur son torse, traçant des sillons autour de ses tendons.
J’ai ouvert la bouche, mes lèvres s’humidifiant à l’idée d’explorer sa peau luisante.
Les muscles de ses épaules et de ses pectoraux s’affinaient vers ses abdos bien dessinés. Son membre
se dressait entre ses hanches étroites. Il pulsait, le bout et la fente délicieusement couverts de perles de
liquide.
Pendant que je l’admirais, mon bas-ventre a répondu d’un élancement.
— Mon Dieu.
Je désirais ardemment cette hampe enfoncée au fond de moi. Mais je ne pouvais pas l’avoir.
La douleur était si vive que j’avais besoin de presser les jambes l’une contre l’autre ou de me
caresser le clitoris pour la soulager. Quand j’ai tiré sur mes liens, j’ai compris pourquoi il m’avait fixé
les jambes de cette façon. Réduite à l’immobilité, je me débattais, offrant une scène qui redoublait son
excitation. Les yeux brillants d’admiration, il a entrouvert les lèvres.
J’ai réussi à détacher mon regard de son visage, et noté ses autres tatouages. Sur un genou, une étoile
similaire à celle du torse. Le symbole de celui qui ne se plie à la volonté de personne.
Regarder son corps était comme fixer le soleil.
— Je veux te montrer le besoin contre lequel je lutte.
Il a pris son pénis dans son poing, passé le pouce sur l’extrémité miroitante.
— Te montrer la force de mon désir pour toi.
De l’autre main, il a pris la dernière bande de tissu. Même abrutie par le désir, je devinais la suite. Il
a glissé la main sous ma tête pour me bander les yeux.
— Mais tu ne dois rien voir.
— Attends !
Il me ligotait et me réduisait également à la cécité ?
Il a serré le nœud.
— Tu sentiras mieux comme ça. Fais-moi confiance, je sais m’occuper de toi. Dis-moi que tu me fais
confiance.
— Je te fais confiance, ai-je dit après un moment d’hésitation.
— Bien, maintenant cambre le dos et reste dans cette position.
Tout en soulevant le bassin, j’ai entendu de l’eau clapoter. Une louche qui touchait le bord d’un
seau ?
L’eau a ruisselé sur ma poitrine. Elle était presque trop chaude alors que mes seins la guidaient vers
mon sexe.
Le filet a inondé mon clitoris, s’est immiscé dans mon ouverture frémissante. Une caresse intime,
liquide. J’ai gémi en peinant pour garder le dos cambré.
Un autre filet a chatouillé ma gorge, s’enroulant comme un collier.
J’ai commencé à transpirer. C’était si chaud…
— Ahh !
L’eau glacée a léché mes seins. Il était passé du brûlant au glacé. J’ai lutté pour maintenir ma position
pendant qu’il répandait de l’eau sur mes seins.
Il en a ensuite versé sur l’intérieur de mes cuisses. La chair de poule. La transpiration. Des frissons.
Je haletais, emportée dans un tourbillon de sensations auxquelles je ne savais plus comment réagir.
Et maintenant du froid, directement entre mes jambes.
— Sevastyan !
Je me suis tortillée inutilement.
— Allonge le dos. Ouvre la bouche.
Tremblante, je m’exécutais aveuglément. De l’eau froide a caressé ma langue. J’ai rapidement bu,
réalisant que j’avais soif.
— Encore ?
— Oui.
L’eau n’avait jamais été si délicieuse.
Du bout du doigt, il a étalé un filet d’eau sur mes lèvres. J’ai sucé son doigt, avalé l’eau avant qu’elle
ne disparaisse.
Puis plus rien, hormis des sons. Les crépitements du feu. Mon souffle haletant, sa respiration
saccadée. Le temps s’écoulait…
Contre mes lèvres, le bout de son sexe. Il bordait mes lèvres, l’eau s’écoulant sur toute la longueur de
son membre. Je pouvais voir Sevastyan faisant couler de l’eau sur son sexe vers ma bouche offerte…
J’ai redressé la tête pour l’aspirer mais il tenait son gland sensuel hors de portée de ma langue.
Poussée par le besoin de l’engloutir, j’ai tenté de libérer mes poignets… mais il me tourmentait en
frottant l’extrémité de sa hampe sur mes lèvres avant de s’écarter.
Nouvelle caresse, nouvelle louche d’eau fraîche. Rien d’autre n’existait en dehors de Sevastyan.
Puis l’absence. Aucun contact. J’étais prête à crier quand j’ai retrouvé son doigt. Je l’ai sucé,
enroulant ma langue autour pour lui montrer ce que je ferais avec son sexe. Il a dû recevoir le message
puisqu’un grognement s’est échappé de sa gorge.
Il m’a privée de son doigt.
— Pourquoi tu me chauffes comme ça ? me suis-je exclamée.
— Ma petite gourmande en veut encore ?
— Tu sais bien que oui !
Une pression sur mes lèvres. Les siennes ?
Il a donné des coups de langue sur ma bouche avide. J’ai gémi, mais il a continué de m’embrasser
lentement, la main sur ma joue. Il a semé des baisers légers sur mes lèvres, ma joue, mon menton et le bas
de mon visage, avant de revenir à ma bouche impatiente d’accueillir sa langue.
Le baiser le plus tendre, le plus romantique de ma vie.
Comme s’il me chérissait.
Il m’avait ligotée pour jouer avec mon corps, puis donné un baiser d’amoureux. Il me rendait folle !
Tandis qu’il m’embrassait à pleine bouche, j’ai tiré sur les liens pour prendre sa tête entre mes mains,
enfoncer mes doigts dans ses cheveux de manière à garder nos bouches unies.
Je craignais de perdre la raison avant la fin de la journée. Et éventuellement ma virginité. Pouvais-je
être certaine qu’il attende que je le supplie pour me pénétrer ? Oui. Mais avais-je confiance en la
promesse que je m’étais faite de ne pas le supplier ?
Je n’aurais peut-être pas la force de lui résister.
Il s’est écarté, a dégagé mes cheveux de mon front et ajusté le bandeau sur mes yeux.
— Adorable petite Natalya.
— Comment fais-tu pour garder ton sang-froid ? ai-je bredouillé.
— Je t’ai promis que tu jouirais plus fort que jamais. Je respecte mes promesses. Ouvre la bouche
maintenant.
Je l’ai fait en me léchant les lèvres, dans l’attente de ce qu’il avait prévu pour moi.
Son pénis. Sans l’eau. Afin que je le savoure pleinement. J’ai léché avec ferveur son gland gonflé, la
fente mouillée.
Quand il a disparu, je me suis de nouveau agitée.
— Non !
D’une main, il m’a prise par la gorge. De l’autre, il a tripoté mon téton.
— Ne bouge pas.
J’ai réussi à me calmer. Une autre sensation sur ma bouche. De la peau plissée. Quand j’ai compris
ce qu’il me donnait, j’ai gémi contre ses testicules, ma langue savourant les plis. Prise d’excitation, j’en
ai aspiré un entier entre mes lèvres tout en cherchant à saisir l’autre.
Il a poussé un long râle.
— Petite gourmande, a-t-il répété.
Une fois encore, il m’a privée de sa peau, de son sexe, de sa bouche. Il m’a privée du monde qu’il
avait créé, et dans lequel il était tout. Qu’allait-il faire ensuite ? Quel contact envisageait-il ?
Sa bouche s’est posée sur mon sein, semant des baisers tout autour. Allait-il me titiller comme dans
l’avion, en évitant les bouts sensibles ?
Mais tout en léchant la masse rebondie, il a pincé les deux tétons. Durement.
Puis encore plus fort, les pointes se contractant douloureusement. Délicieusement aussi.
— Ça te plaît ? a-t-il demandé d’une voix rauque.
— Oh, mon Dieu, ai-je gémi quand il a tiré dessus… pour ensuite les lâcher brusquement.
Il s’est penché pour envelopper un sein avec sa bouche et sa langue, suçant doucement pour chasser la
douleur. Quand il s’est écarté, j’ai tendu la poitrine vers lui pour l’inviter à sucer l’autre sein.
Avec un rire malicieux, il a exploré mon buste avec ses lèvres, laissant mes seins irrités et trempés –
et moi, au bord de l’orgasme.
Il a atteint mon nombril, et tracé des cercles autour du bout de la langue. Il l’a embrassé comme s’il
buvait son contenu. Tout en explorant plus bas avec sa bouche, il a posé les mains sur le haut de mes
cuisses et étiré mon sexe. Comme dans le champ de maïs.
— J’ai imaginé une autre fin à cette première nuit. Dans mon fantasme, tu voulais que je te pénètre là,
sous la lune.
D’un geste assuré, il a écarté mes lèvres. Trempées, elles ont frémi.
Son doigt a retracé ma fente mouillée, me faisant frissonner.
— Ty takaya nezhnaya. (Tu es si douce.) Et si belle.
Mes hanches se soulevaient pour exposer mon sexe privé de lui.
— Comment veux-tu que je n’aie pas envie de te dévorer à la moindre occasion ?
Il a empoigné mes fesses. Les doigts en éventail, il m’a portée à sa bouche comme une coupe, puis a
passé la langue sur toute la longueur de ma vulve.
— Oh, oui !
Sans cesser de me lécher, il a insinué un doigt dans mon ouverture. Puis un second, mais ils ont
disparu tous deux, trop vite…
— Tu veux savoir ce qu’est le paradis, pour moi ?
Ses doigts ont plongé dans ma bouche pour me les faire sucer.
Mon goût ! Mon goût était le paradis pour lui. Et ça m’excitait ? Une fois encore, il m’a privée trop
tôt de ses doigts.
Concentré sur mon sexe, il a frotté son nez entre mes jambes puis tiré sur mon clitoris avec ses lèvres,
le cajolant avec douceur. Je tremblais de la tête aux pieds. Il m’avait emprisonnée, repoussant mon
orgasme avec une cruauté habile.
Quand il s’est mis à sucer plus fort, le bouton s’est gorgé de désir au point de battre contre sa langue.
Presque… presque…
Il l’a lâché dans un bruit de succion.
— Non, continue !
Sa sensibilité était si intolérable qu’il semblait diffuser de la vapeur.
Il a soufflé dessus, comme si c’était son jouet. Il s’amusait avec, le titillait avec ses dents.
— Tout petit, succulent, a-t-il dit d’une voix rocailleuse. Et il va te pousser à faire des choses pour
moi que tu n’aurais jamais imaginées.
J’avais les orteils enroulés, les poings serrés. Depuis combien de temps me plongeait-il dans cet état
de manque ? J’avais perdu la notion du temps.
— C’est trop !
Comment un plaisir sans borne pouvait être aussi atroce ?
Enfin, il a repris ses caresses. Devais-je lui dire que j’allais bientôt jouir ? Comme pour tout le reste,
il me déposséderait de mon orgasme. Ne le montre pas…
— Si tu jouis avant que je te donne la permission, tu seras punie.
Frustrée, je me suis contorsionnée. Déni d’orgasme, exactement ce que j’avais lu.
— J’ai besoin de jouir. S’il te plaît.
— Dis-le en russe. J’adore l’entendre.
— Pozhaluista !
— Profite de mes baisers. (Son souffle saccadé a longé mes lèvres écartées.) Mais ne jouis pas.
Sa langue vigoureuse sur mon clitoris m’a arraché un cri de désespoir. Trop tard. Je ne pouvais plus
me retenir. La vague m’emportait…
— Tu jouis ?
Grognant d’agacement, il a sucé plus fort tout en léchant pour m’emporter au bout de l’orgasme.
Ligotée et écartelée, je me tordais en soulevant frénétiquement le bassin à la rencontre de sa bouche.
Putain, il me lèche férocement. Il m’arrachait un orgasme plus puissant que tout.
Fidèle à ses promesses.
Comme auparavant, je me suis sentie… réinitialisée.
Allongée, j’accusais le contrecoup d’un plaisir ahurissant – sans pour autant être assouvie. Au lieu
d’apaiser le feu, la jouissance avait rendu l’excitation supportable, juste assez pour clarifier mes pensées.
Assez pour apprécier ce qu’il me faisait. Ma position soumise. Mon impuissance. Et sa domination.
Dans les tout derniers frémissements, il continuait de me savourer.
— Le goût de ta jouissance… je pourrais te lécher pendant des heures, a-t-il dit d’une voix tendue.
Mais tu as joui sans y avoir été autorisée, moya plohaya devchonka.
Vilaine fille. Dans le sens de méchante… ou de coquine.
Je l’étais, pour lui.
Il a relevé la tête.
— Je vais devoir tout recommencer, te remettre au supplice. Tu es prête à recevoir ta punition ?
En mon for intérieur, je savais qu’il m’avait tendu un piège dans le but de me punir, que ça se
terminerait toujours de cette façon – parce qu’il jouait.
Mais jouait-il plus gros que je ne pouvais me le permettre ?
20

— Je suis prête.
Je crois. Je n’ai pas reconnu ma voix enrouée. Irritée par les cris de plaisir ?
J’ai entendu un froissement et, derrière le bandeau, j’ai écarquillé les yeux. Un venik ? L’un de ces
petits balais feuillus ? Qu’allait-il en faire ? Il a dissipé mes interrogations en le passant sur ma poitrine.
Les feuilles mouillées caressaient le contour de mes seins ; leur texture était presque désagréable
sur mes pointes dressées. Dans un cri, je me suis arc-boutée…
Il m’a fouetté le sein.
— Sevastyan !
Puis l’autre.
— Qu’est-ce que tu…
Encore ! La douleur s’est intensifiée, mais mes seins ont durci davantage comme pour l’inviter à
recommencer. Il s’est hâté de répéter son geste. Plusieurs fois.
J’ai failli lui demander d’arrêter mais tout ce que j’avais connu avec lui était trop bouleversant pour
que je passe à côté. Alors j’ai serré les dents et accepté de souffrir pour lui.
Tandis que je m’efforçais d’accepter le fait qu’il me… fouettait, les feuilles mouillées me frappaient
sans répit, les claquements résonnant dans le sauna.
Le souffle court, je tremblais sous la douleur qui se nuançait d’un plaisir inédit. Comment pouvais-je
vouloir ça ? J’avais fini par apprécier ses fessées dans l’avion, mais qu’un accessoire malmène mes
seins, c’était un cran au-dessus.
Alors pourquoi me soulevais-je pour aller chercher les coups ?
Il a continué jusqu’à ce que mes seins tendus me fassent mal, que mes mamelons pulsent autant que
mon clitoris un peu plus tôt.
Mais je ne pouvais pas jouir de cette façon. Il évitait tout contact avec mon entrejambe, annonçant des
punitions à venir. Je le savais. Mes parois se contractaient dans le vide.
— Touche-moi, Sevastyan ! J’ai besoin de jouir.
— Tu veux que je te pénètre ?
J’ai gémi, oubliant un instant pourquoi nous ne devions surtout pas passer à l’acte.
— Oh, mon Dieu… non… je ne peux pas…
Privée de toute pensée cohérente, je cherchais mes mots.
— Si je te prends, je ne te lâche plus, a-t-il lancé d’une voix mal contrôlée. Comprends-moi bien. Si
je suis ton premier amant, je serai également le dernier. (La note définitive de sa phrase m’a fait
frissonner.) Et je tuerai tous les hommes qui essaieront de toucher ce qui m’appartient.
Définitif.
— Supplie-moi de te pénétrer.
Il a fouetté mon sein droit.
J’étais piégée !
Je l’imaginais prêt à me capturer, à m’enchaîner pour toujours. Le chasseur sur le point d’attaquer.
C’est ce qu’il attendait.
Pourquoi maintenant ? Pourquoi moi ?
— Implore-moi, Natalya.
Mais je n’arrive pas à penser !
— N… non.
Silence.
— Qu’est-ce que tu as dit ?
— Je ne peux pas. Sauf si je sais qu’il n’y aura rien de plus entre nous. Aucune attache.
— Tu contrôles la situation, je te l’ai dit. (Sur un ton maussade, il a ajouté :) Mais moi, je te contrôle.
Je peux te forcer à me supplier.
— Je sais, ai-je murmuré.
Mon aveu a semblé apaiser sa colère.
— Alors pourquoi nier ce qu’il y a entre nous, milaya ?
— C’est trop. Je ne peux pas.
— Alors je ne ferai rien tant que tu ne m’auras pas supplié. Je joue pour gagner. Il dicte les règles.
Pour moi, ce n’est pas simplement du plaisir.
Le venik a fouetté ma peau.
— Sevastyan, je… je ne sais pas pendant combien de temps je vais supporter ça.
Alors que j’étais sur le point d’implorer sa clémence – ou de m’évanouir – j’ai senti une pression
entre mes jambes. Un objet chaud et arrondi s’est calé à l’entrée de mon sexe. Malgré tout, allait-il me
pénétrer ?
Non… ce n’était pas son… était-ce le manche de la louche ? J’ai gémi.
— Tu ne peux pas.
J’étais sans voix ; il avait commencé à l’enfoncer lentement.
— Tu le fais contre ma volonté ?
Homme diabolique !
— Je t’ai promis un plaisir immense, mais tu as rejeté ma méthode la plus efficace. Jouis maintenant,
mon chou. Tu as dit que tu avais besoin d’être pénétrée.
Oui, et je le voulais tout au fond, mais il entrait à peine en moi, et les va-et-vient étaient lents. Il
évitait mon clitoris – une punition d’un nouveau genre. Pourtant, j’allais jouir.
Il m’a frappée. Tout en me pénétrant avec le manche, il fouettait mes seins. Je ne savais plus quelle
stimulation m’était la plus précieuse.
Je recherchais réellement la douleur qu’il me procurait.
— Plie-toi à ma volonté.
Sa voix tendue m’excitait. Dans un regain de ferveur, il a accéléré les mouvements dans mon vagin
pris de spasmes. Je perdais la tête.
— Quand je t’ordonnerai de jouir, obéis.
Il me pilonnait au rythme saccadé de mes sanglots. L’intensité me faisait tourner la tête. J’étais en
larmes, euphorique.
— Sevastyan, mon Dieu, s’il te plaît.
Un gémissement passionné s’est échappé de ma gorge.
— Ah, tes cris ! Jouis pour moi. Maintenant.
J’ai aussitôt joui. Tout au fond, les contractions m’ont arraché des hurlements tandis que je tirais sur
les lanières sous le coup des crampes qui m’assaillaient.
Dans les affres du plaisir, je me suis entendue lui confier plusieurs choses : que j’avais rêvé qu’il me
fasse l’amour. Que je désirais ardemment le prendre dans ma bouche. Que je m’étais masturbée en
fantasmant sur lui.
Chaque aveu était ponctué par ses râles.
Quand la vague de plaisir – plus stupéfiante que le premier orgasme – est passée, je n’avais plus
toute ma tête, et j’étais à bout de souffle. Je tentais d’assimiler toutes les sensations.
Il a délicatement embrassé ma cuisse et extrait le manche, me laissant vide une fois de plus. Pourtant,
au lieu de me contenter, il avait attisé mon désir. Où cette folie allait-elle m’emmener ? Comment
parvenait-il à faire de moi une créature irréfléchie ?
S’il restait maître de ses actes, j’étais esclave des sensations. Son esclave.
Ne m’avait-il pas prévenue qu’il voulait faire de moi son esclave ?
Je l’ai senti détacher mon bandeau.
— Regarde-toi, a-t-il ordonné.
J’ai baissé les yeux en clignant des paupières. Je ne me reconnaissais pas. La peau blanche zébrée de
marques rouges et moite de sueur. Des mèches rousses serpentant sur des seins alourdis, enroulées autour
des mamelons tendus de façon obscène ? Ce petit clitoris si gonflé qu’il dépassait du mont de Vénus ?
Cette inconnue incarnait un besoin pervers. Elle paraissait avoir été utilisée comme un objet. Comme
Sevastyan l’avait annoncé.
Non, ce n’était pas une étrangère. C’était bien moi.
En enlevant le bandeau de mes yeux, il m’avait révélée à moi-même, une nouvelle moi dont j’ignorais
l’existence. J’ai observé mes seins malmenés avec émerveillement, presque hypnotisée.
Son gémissement a attiré mon attention.
Lui aussi s’était révélé. Son corps avait changé autant que le mien. Ses muscles étaient d’une grosseur
impressionnante, chargés de tension sous sa peau luisante de brume. Mais le meilleur était la vision de
son sexe splendide. Sa hampe engorgée implorait de s’enfoncer dans de la chair chaude. Sous l’éclat des
flammes, son gland violacé brillant d’humidité m’a fait saliver.
Il était… un dieu à la peau brunie par le feu.
Quand j’ai réussi à arracher mon regard de son corps, j’ai contemplé son visage. Sur ses lèvres
pincées, sa fine cicatrice était d’un blanc vif. Ses cheveux humides étaient ébouriffés, ses joues
empourprées. Son noble visage était déformé par la tristesse.
Une tristesse due au plaisir qu’il m’avait donné.
Une lueur de folie crépitait dans ses yeux brûlants. Un désir ancré au fond de lui qui faisait écho au
mien.
Avec son fort accent, il n’a dit qu’un seul mot.
— L’obsession.
J’ignorais s’il parlait de moi ou de lui, si c’était une question ou une réponse. Supposant que ce mot
lui était venu spontanément à l’esprit, j’ai répondu de la même façon :
— La révélation.
Il a froncé les sourcils, et sifflé :
— Oui.
Quand il s’est penché pour détacher mes poignets, son sexe a frotté contre mon ventre irrité et déposé
un filet humide sur ma peau. C’était comme une tentation, un rappel de ce que j’avais refusé, et qui a
relancé mon désir. Mais intérieurement, je bouillais autant que lui.
— Nous n’avons pas terminé, a-t-il promis.
Il a seulement desserré le lien – juste assez pour que je puisse éventuellement me libérer ? – et s’est
écarté. Adossé au mur, il a commencé à se masturber.
J’étais subjuguée par cette image érotique, celle d’un dieu vibrant de désir qui se donnait du plaisir.
Puis j’ai compris qu’il prévoyait encore de m’en priver.
— Non, arrête !
Prise de fureur, j’ai lutté pour me libérer tandis qu’il me couvait du regard.
Jamais il ne me quittait des yeux.
Tandis qu’il se caressait lentement, une perle s’est formée sur son gland. Mes yeux ont suivi son
parcours jusqu’à sa main, et j’ai été prise de l’envie de crier. Paniquée, je n’arrivais pas à me détacher.
— S’il te plaît, arrête !
J’étais prête à tout pour l’avoir. Je débordais d’envie. J’ai mordu ma lèvre pour me ramener à la
raison.
Il a continué à me torturer. Alors que j’étais tout près de lui, il restait inaccessible. Il me tuait.
— Attends-moi !
Le désir me rendait malade, enfiévrée.
— J’ai besoin de toi !
— Ce que tu éprouves… c’est ce que je ressens en permanence. Depuis la première fois que je t’ai
vue.
Comment avait-il survécu aussi longtemps ?
Mais nous n’étions plus obligés de le supporter. J’ai griffé les bandes de tissu, libéré mes mains.
Sans détacher mon regard de lui, de son poing et de ses muscles protubérants, j’ai arraché les nœuds qui
m’entravaient les genoux.
— Par pitié, arrête…
J’étais enfin libre.
Sourcils froncés, il a gémi d’impatience et de… douleur.
Je pouvais le soulager. Dévore-le. Bois-le. Malgré mes muscles endoloris, je me suis mise debout.
J’ai plongé à genoux devant lui, les ongles enfoncés dans ses pectoraux, et j’ai aspiré son sexe dans
le fond de ma gorge.
Son rugissement a fait trembler la pièce avec la même force que le tonnerre. Tandis qu’il hurlait,
la tête levée vers le plafond, j’enroulais ma langue autour de son sexe avec adoration. Je m’empalais la
gorge avec son gland imposant. Chaque goutte de sperme m’arrachait un gémissement.
J’ai griffé son torse, puis serré ses fesses d’une main et tenu ses testicules dans l’autre.
Il a enfoncé les doigts dans mes cheveux. Il a murmuré des mots en russe d’une voix méconnaissable.
Il m’ordonnait de continuer à le sucer avec ma petite bouche gourmande. M’informait qu’il tuerait pour
me posséder. Déclarait que mon corps lui appartenait, à lui seul. Ses aveux me propulsaient vers la
jouissance.
— Attends-moi… attends de sentir mon sperme sur ta langue.
Ses testicules se sont contractés dans ma paume à l’approche de l’orgasme. Le renflement de son sexe
s’est gonflé à l’extrême entre mes lèvres. Son sperme était prêt à jaillir.
— Regarde-moi, milaya.
Le regardant par en dessous, je l’ai vu figé, le visage torturé, le corps saisi dans une image de
perfection. Les yeux dans les yeux, je l’aguichais avec ma langue. Le temps était suspendu.
Un râle est monté dans ma poitrine au moment où un jet chaud a explosé dans le fond de ma gorge. Il
s’est mis à me pilonner furieusement. Tenant ses fesses à deux mains, j’ai senti ses muscles se contracter
pendant qu’il se déversait dans ma bouche.
— Tu es à moi, a-t-il articulé entre deux mouvements.
Avec son sperme sur ma langue – ma permission – j’ai porté la main à mon clitoris moite pour me
caresser langoureusement.
Un orgasme explosif, des contractions exquises. Mes doigts malaxaient pour prolonger le plaisir.
Putain ! Les joues baignées de larmes, je l’avalais, le buvais jusqu’à ce qu’il soit vidé et fébrile tout en
massant mon sexe au point qu’il soit trop irrité pour en tolérer davantage.
J’ai continué à le sucer doucement, la joue posée contre sa cuisse. Avec une tendresse infinie, il m’a
caressé le visage. Maintenant, j’étais comblée.
Quand son sexe satisfait a glissé hors de ma bouche, une goutte de semence a coulé sur mon menton. Il
l’a essuyée du pouce. Avec une expression émerveillée, il l’a déposée sur ma langue.
Les yeux levés vers lui, j’ai sucé son pouce sous son regard assombri par la domination.
Il me possédait profondément, brutalement, éternellement.
Il me regardait comme une chose prise au piège, à sa merci.
Éternellement…

Oh, non, qu’avais-je fait ?
21

Confrontée à la réalité, je me suis redressée, les jambes tremblantes.


Je devais échapper à cet homme qui contrôlait mieux mes émotions et mes désirs que moi-même. Il
m’avait définitivement changée en me montrant ce que je n’oublierais jamais.
Des sensations dont je ne me déferais pas.
Je n’avais pas choisi de devenir son esclave ; c’est ce qu’il avait fait de moi.
J’avais presque couché avec lui. J’avais failli m’engager. Pourtant je ne le connaissais pas. Je ne
savais rien de son passé, de sa famille, ni même de ses loisirs.
J’ignorais si nous étions compatibles, en dehors du sexe.
— Non, Natalie. Ne te réveille pas encore, a-t-il dit en me tendant la main.
Ma facette la plus sombre ne souhaitait pas se réveiller. Indécise, j’ai posé la main sur mon front. La
chaleur, et les plaisirs qui bouleversaient ma vie me donnaient le vertige.
Quand il m’a prise par la main pour m’entraîner vers la petite piscine, je me suis laissé faire. Il m’a
soulevée et nous a fait entrer dans l’eau.
La température m’a fait frissonner mais j’en avais besoin. J’étais en surchauffe, manifestement. Il m’a
remise sur mes pieds dans l’eau qui m’arrivait à la taille, puis s’est penché pour m’embrasser sur les
lèvres.
Je l’ai repoussé, mais il m’a gardée dans ses bras, savourant ma bouche, sa langue m’incitant à
m’abandonner…
Absorbée par un nouvel élan de bien-être, je me rendais à peine compte qu’il me lavait, m’explorait.
Sa grande paume me caressait entre les jambes. L’autre massait mon sein. Sans hâte, comme s’il avait tout
son temps.
Quand j’ai commencé à me refroidir, il m’a portée hors du bassin. Avant que je n’aie pu protester, il a
commencé à m’essuyer. Je voulais lui dire d’arrêter, de me laisser tranquille. De me laisser assimiler tout
ce que je venais de vivre.
Mais ses râles, pendant qu’il s’occupait de moi, détournaient mes pensées. Il m’a essuyé les seins, a
délicatement frotté mes boucles entre mes jambes. Son membre, de nouveau en érection, oscillait à
chaque mouvement.
Allions-nous tout recommencer ? Je n’apprenais donc rien ? Pendant tous ces moments d’intimité, je
n’étais pas moi. J’étais Natalya. Et cette dévergondée sans cervelle ne se gardait pas de refaire les
mêmes erreurs.
J’ai pivoté, et je suis partie chercher mes vêtements.
— Je dois me rhabiller. Nous devons nous rhabiller.
— Ne fais pas ça, a-t-il chuchoté dans mon dos.
— Encore un ordre ?
Je me suis emparée d’un peignoir pour moi, et je lui ai lancé une serviette.
Sentant que j’étais sur le point de m’emporter, il l’a enroulée autour de sa taille.
— Tu regrettes ? a-t-il demandé avec stupeur. Tu ne peux pas. Je ne te laisserai pas faire.
Comme s’il ne m’avait pas suffisamment choquée pour la journée, il m’a prise dans ses bras.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Il s’est assis sur un banc, avec moi sur ses genoux, tenant l’arrière de ma tête d’une main protectrice.
Ce n’était que justice, après qu’il m’avait brisée.
Cachée par la vapeur, j’ai failli fondre en larmes.
— Comment peux-tu me changer autant ? lui ai-je murmuré à l’oreille. Comment ?
À certains moments, j’avais cru perdre la raison.
— Je t’ai seulement montré une autre facette de ta personnalité.
Agrippée à lui comme à une bouée de sauvetage, j’ai enfoui le visage dans le creux de son épaule.
— Pourquoi tu me montres ça ?
Il n’a pas répondu.
Je me suis écartée pour le regarder dans les yeux, et je n’ai pas pu résister à l’impulsion d’embrasser
son visage. Mes lèvres se sont posées sur l’arête déviée de son nez, sur son menton, puis elles ont
exploré la ligne de ses joues creuses. Il me serrait tout contre lui, dégustant mes baisers, mes marques
d’affection.
— Que veux-tu de moi ? ai-je demandé entre deux baisers.
Silence.
— Pourquoi as-tu parlé d’obsession ?
Il a tourné la tête sur le côté.
Je me suis libérée de ses bras, et j’ai cherché mes sous-vêtements.
— Tu m’exaspères !
J’ai trouvé ma petite culotte près du feu, à moitié sèche. Je l’ai enfilée.
Mon soutien-gorge… où diable était-il passé ? Trouvé. Je lui ai tourné le dos pour enlever mon
peignoir, et mettre mon soutien-gorge.
— Bon dieu, Natalie, je ne sais pas quoi dire pour te réconforter.
Je me suis tournée vers lui.
— Évidemment. Nous sommes des étrangers ! Je ne te connais pas !
Je me suis dandinée pour faire glisser mon pantalon moite sur mes jambes.
— Qu’est-ce que tu veux savoir ?
Parmi toutes mes questions, comment choisir la première ?
— Ces tatouages, sur tes genoux. Ils signifient que tu n’écoutes personne, c’est bien ça ? (D’après
mes recherches.) Cela implique que tu es toi-même un vor.
— Peu importe. J’écoute Kovalev.
Sevastyan était autant au sommet de la hiérarchie criminelle que mon père. Autre détail que
j’ignorais.
— Tu n’as rien d’autre à dire ?
J’ai repéré mon chemisier et je me suis jetée dessus.
— Je parle difficilement de moi.
Mes doigts se sont immobilisés sur les boutons.
— Eh bien, c’était difficile pour moi de te laisser m’attacher ! Mais je t’ai fait confiance.
— Tu serais prête à tout effacer ? Tout l’après-midi, si tu pouvais ?
Il a ramassé ses vêtements, et a entrepris de se rhabiller.
— Je ne sais pas. Je ne comprends pas, ni ça ni toi, ai-je avoué.
J’ai rejeté mes cheveux mouillés en arrière, et les ai noués sur ma nuque.
— Tu m’ignores pendant des semaines, et d’un coup tu sors le grand jeu. Pourquoi aujourd’hui ?
— Paxán pensait, et j’étais d’accord, que ce serait trop éprouvant pour toi, ici.
Je n’avais jamais subi une pression pareille.
— Quand je lui ai confié que j’avais dépassé les limites avec toi, il m’a demandé de te laisser
respirer pendant deux semaines. Il a dit que tu étais jeune, et que je devais te laisser trouver tes marques.
Alors je lui ai donné ma parole que je te laisserai tranquille.
— Deux semaines ?
C’était ça, le compte-à-rebours.
C’était mon quatorzième jour à Berezka. Le compteur était à zéro.
— J’ai reçu l’ordre de ne pas t’adresser la parole dans le Nebraska. J’étais condamné à garder mes
distances.
Je n’avais pas imaginé qu’il ait dû attendre de faire ma connaissance durant ce mois à m’espionner.
Je savais qu’il fantasmait sur moi pendant sa mission. Ça devait être frustrant de regarder sans pouvoir
toucher.
Et maintenant, tu es en colère contre lui, tu te souviens ?
— Je crois que Paxán s’attendait à ce que Filip te plaise. Peut-être que moi aussi.
Pas surprenant si Sevastyan s’était mis en colère lorsqu’il avait cru nous surprendre sur le point de
nous embrasser.
— Et maintenant, que faisons-nous ?
Il a enfilé son pantalon.
— Maintenant, j’en ai assez de te laisser tranquille.
Sérieusement ? Pendant que je le dévisageais, j’ai entendu du bruit à l’extérieur. Une camionnette ?
— Sevastyan, il y a quelqu’un ?
Il s’est assis pour enfiler ses bottes.
— Pendant que je m’occupais des chevaux, j’ai téléphoné au palefrenier pour qu’il passe nous
prendre dans deux heures.
— Deux heures ? Il va se douter de ce qu’on a fait ! Nous allons sortir d’ici, suivis par un nuage de
vapeur, et il comprendra. Ou il croira savoir, et il le dira à tout le monde ! Même si nous n’avons pas
couché ensemble, c’est ce que tout le monde va croire.
— Exact.
J’ai écarquillé les yeux.
— Tu l’as fait exprès. Pour me forcer la main. Nous n’avons pas couché ensemble, mais nous aurions
aussi bien pu le faire.
— L’idée d’être avec moi te déplaît tant que ça ?
— Je t’ai dit que je n’aimais pas prendre de décisions importantes sous la pression.
— Alors nous avons de la chance que la décision ait déjà été prise.
J’étais ahurie.
— J’ai tout monté pour obtenir ce que je veux.
Son expression se résumait à Ton corps m’appartient et tu le sais aussi bien que moi.
— Je n’ai pas caché que j’étais prêt à tout pour te posséder. Puisque c’est la seule façon, tant pis.
Je me suis raidie. J’étais loin d’approuver. Il était tellement plus froid, plus indifférent qu’un instant
plus tôt. Parce qu’il a gagné. C’est du moins ce qu’il croit.
— Que se passera-t-il quand l’excitation du jeu s’estompera ? Et pourquoi moi plutôt qu’une autre de
ces belles femmes que tu as fréquentées ? Enfin quoi, tu as plus de trente ans et tu n’as jamais souhaité te
fixer avant aujourd’hui.
— Les dés sont jetés, Natalie. Tout ira bien tant que tu me feras confiance, a-t-il préféré répondre.
Le palefrenier a crié à l’extérieur.
Sevastyan a enfilé sa chemise moite, puis a pris sa veste.
— Je vais annoncer à ton père que nous sommes ensemble. Quand il te parlera, dis la même chose.
Simple. Net. Définitif.
Une nouvelle vie, dans un nouveau pays, un nouveau monde, avec un homme que je connaissais à
peine. Je n’étais pas convaincue qu’elle soit meilleure que ma vie d’avant.
— Te faire confiance et tout se passera bien ? En gros, tu sais ce qui est mieux pour moi. Ou pire, tu
sais tout mieux que moi.
— Dans ce cas précis, oui. Tu n’as pas l’expérience nécessaire pour savoir que ce qui s’est passé ici
– comme dans la remise et dans l’avion – est l’exception, pas la règle.
Je me suis hérissée.
— Tu es en train de dire que tu sais mieux que moi, c’est ça ?
— Tu es une fille intelligente. Tu vas repenser à tout ça et parvenir à la même conclusion que moi.
Il s’est approché et m’a embrassée sur la joue et dans le cou.
— Et ta conclusion est…
Depuis quand savait-il que mon cou était sensible ? Un point précis dans mon cou…
Il a posé les lèvres sur ce point précis, et mes genoux ont ramolli.
— Eto ne izbezhno dlya nas.
Toi et moi, c’est inévitable.
Concentre-toi, Natalie !
Comment pouvais-je le désirer alors que son autoritarisme était inadmissible ?
— Un astéroïde qui percute la Terre, c’est inévitable. Ou un volcan en éruption. Les catastrophes sont
inéluctables.
Il m’a scrutée un instant.
— Non, tout ce qui est puissant est inévitable, a-t-il dit en me prenant la main pour m’entraîner vers
le monde réel.

Arrivés devant l’entrée principale de Berezka, Sevastyan m’a accompagnée jusqu’aux portes. J’étais
vivement consciente de l’activité qui régnait autour de nous. C’était moi ou les jardiniers avaient cessé de
ratisser pour nous observer ?
Deux brigadiers ont surgi de la maison. Ils se sont arrêtés net devant mon allure débraillée. L’air
menaçant de Sevastyan les a renvoyés à leurs affaires.
— Je parlerai à Paxán après le dîner, m’a-t-il annoncé.
J’étais toujours abasourdie.
— Je n’ai rien accepté. Ni toi d’ailleurs.
— Fais-moi confiance, mon chou.
Il a recourbé le doigt sous mon menton et m’a embrassée à la vue de tous.
Précisément son plan. J’ai cru que c’était un bref baiser d’au revoir, un droit de péage à régler de
mauvaise grâce avant de me ruer à l’intérieur.
Au lieu de ça, Sevastyan semblait décidé à raviver mon désir. Il m’a embrassée fougueusement,
léchant ma bouche avec passion. C’était un baiser obscène avec pour seul objectif d’anéantir ma
résistance.
Efficace.
Ses mains sont descendues vers mes hanches, me pressant contre lui pendant que sa bouche me
dévorait. Nos langues entrelacées, j’ai agrippé ses épaules pour me baigner dans sa chaleur.
Comme d’ordinaire, ses baisers avaient le pouvoir de figer le cours de mes pensées, de m’emplir de
l’impression que tout allait pour le mieux – même si c’était truqué.
Il s’est écarté, me laissant haletante et fébrile, et m’a lancé un sourire en coin.
— Tu peux te voiler la face autant que tu veux, tu m’as définitivement accepté.
Il émanait de lui une satisfaction toute masculine. Sa posture évoquait un champion olympique sur le
podium.
Le mâle triomphant.
C’était de là que provenait l’impression d’avoir perdu ?
Quand j’ai ouvert la porte d’une main tremblante, il m’a tapé sur les fesses. Déroutée, je lui ai lancé
un regard par-dessus mon épaule, autant surprise par son geste que par son côté joueur.
— Va te réchauffer, Natalie. Et détends-toi, c’est pour le mieux.
Il m’a laissée là, les lèvres irritées et en proie aux tourments. Perdue dans mes pensées, j’ai monté
l’escalier…
J’arrivais sur le palier quand Filip a surgi devant moi. La fureur assombrissait son regard.
— Tu t’es bien amusée avec le chien de garde ?
22

— Je m’inquiète tellement pour toi ! s’est exclamée Jess au téléphone, dans la soirée.
Moi aussi, je m’inquiétais pour moi depuis que Filip s’était emporté quelques heures plus tôt.
— C’est vrai ? Comment ça se fait ?
— Bah, je ne sais pas ; peut-être parce qu’un voyou mafieux veut me piquer ma meilleure amie ?
Ah, ça.
— Alors pourquoi tu n’as pas essayé de me joindre ? Je t’ai donné mon nouveau numéro.
— Comment on appelle la Russie depuis la Grèce ? Aussi compliqué que de résoudre la putain de
théorie de la relativité. Mais j’ai essayé deux ou trois fois. Après un coup d’ouzo. Sérieusement, tu
n’imagines pas comme ton histoire me stresse. J’ai passé mon séjour à m’empiffrer pour me calmer les
nerfs.
J’ai froncé les sourcils.
— Tu ne t’empiff…
— De chair fraîche, Natalie. J’ai croqué des hommes pour me calmer. Voilà, tu m’as forcée à le dire.
Contente ?
— Hourra !
— Andouille.
— Salope.
Malgré mon humeur maussade, je me suis surprise à sourire franchement.
— J’en conclus que tu as passé de bonnes vacances.
— Évidemment ! Mais ne parlons pas de moi. Dis-moi comment tu vas.
Sur quel plan ?
— Parfaitement bien.
— Des détails ! Raconte-moi ton aventure au pays des gangsters.
Par où commencer ?
Assise devant mon miroir, j’ai fixé mon reflet. J’étais de nouveau moi-même – sans trace de
Natalya – mais si je creusais un peu, mon regard était moins… naïf.
— C’est plus qu’une aventure. Kovalev veut que je m’installe ici.
N’importe quelle femme serait prête à tout pour vivre dans un endroit comme celui-ci, apprendre à
connaître son père et étudier dans une nouvelle université.
Être avec un homme aussi splendide et attirant que Sevastyan.
Jess est restée silencieuse un instant.
— Tu l’envisages sérieusement ?
— Je subis, euh, une certaine pression dans ce sens.
Je lui ai parlé des deux dernières semaines, de la quantité astronomique de cadeaux, de ma phobie
croissante de la fortune, et du danger latent.
— Tu n’as pas dit un mot sur la licorne bagarreuse.
— Je crois qu’on peut considérer que nous… vivons une histoire.
Comment expliquer nos rapports troublants ? La nature complexe de Sevastyan ?
— Avec lui, tout est extrême, ai-je dit en reprenant Paxán. Il est extrêmement séduisant, compliqué et
énervant. Par moments, j’ai l’impression d’être amoureuse mais à d’autres, je me dis que je devrais
m’enfuir. En bref, je suis extrêmement confuse.
Je lui ai présenté les grandes lignes de notre relation et l’ampleur de ma détresse, puis j’ai décrit
notre moment très « chaud » dans le banya.
— C’est hyper érotique ! Tu me fais mouiller.
— Tu pourrais être sérieuse, un peu ? Ça ne te choque pas un minimum, ces histoires de bondage et
de fouet ?
— Rien de ce qui peut se passer entre deux adultes consentants ne m’étonne.
Elle s’est concentrée sur son détail préféré.
— Tu es toujours vierge ? Nat, ça devient ridicule. Tu penses avec ton vagin ?
— Non !
— C’est bien le problème.
— Jess, j’espérais que tu me donnes un vrai conseil. J’ai peur que cette expérience m’ait changée.
Mais le truc, c’est que je crois… que lui aussi.
— Tu t’es vraiment retenue ?
— En quelque sorte. Il m’a dit que s’il était mon premier amant, il serait aussi le dernier.
Elle a toussé.
— Ça manque un peu de légèreté.
— Exactement. Je me disais que c’était l’amourette de vacances idéale mais les lois de la mafiya
sont assez rigides.
— Si je comprends bien, ça signifie que de toute ta vie, tu ne pourrais coucher qu’avec un seul mec.
— C’est terrible, dit comme ça. Tu as couché avec combien de garçons, Jess ? Sérieusement.
— Quatre-vingts ? L’équivalent de la population d’une petite ville du Midwest, peut-être ? Une
horde ?
— Tu en regrettes certains ?
— Bah non. Chacun d’eux m’a apporté quelque chose de particulier.
Je devais admettre que Sevastyan m’apportait énormément. Mais tout de même…
— Je ne me trouve pas très progressiste d’avoir joui dans ces conditions. Il m’a donné des ordres et,
en gros, il m’a fourrée comme une dinde.
— C’est visuel, Nat. Je ne mouille plus du tout maintenant. Bref, dans l’école féministe d’où je viens,
on dit « Ce que madame aime, madame le fait si ça lui chante ». Arrête-moi si je me trompe, mais tu as
pris ton pied comme tu le voulais.
J’ai soupiré.
— C’est vrai.
Je n’avais jamais éprouvé autant de plaisir, alors pourquoi ne voyais-je pas le bon côté ? Apaisée sur
ce point, je suis passée à un plus gros souci.
— Je comprends pourquoi Sevastyan refuse de parler de lui – il a eu une enfance difficile, c’est le
moins qu’on puisse dire –, mais je ne connais rien de lui. Si je l’avais rencontré sur Internet, je le
connaîtrais mieux alors qu’il est mon potentiel, futur… obligé, ou je ne sais quoi. J’aimerais juste avoir
le temps de faire le tri dans mes sentiments. Jess, demain je dois voir Paxán, et la pression m’étouffe.
L’argent, les menaces, l’homme de main – je vais finir par m’arracher les cheveux.
— Je ne t’ai jamais vue aussi angoissée.
Ça ne m’arrivait jamais.
— J’ai accepté cette vie (plus ou moins) et je dois assumer si j’ai merdé.
En un sens, ce microcosme criminel était indépendant, avec ses limites et ses coutumes, et maintenant
j’étais liée à eux. J’ai tenté d’expliquer.
— Je suis entrée dans ce monde, et il a ses propres codes. Peu importe ce que j’en pense. J’ai
tacitement accepté de les respecter. En plus de ça, j’ai été clairement avertie des conséquences. Mais j’ai
quand même enfreint les règles.
— Rappelle-toi de quelle façon tu es arrivée dans leur monde ! Un Russe t’a prise sur son épaule et
t’a enlevée, à la maison ! Il t’a plaquée au sol dans un champ de maïs, t’a charmée avec son membre,
mais tu as plus ou moins résisté. Et là, il t’a forcée à monter dans un avion de la mafiya. Alors ne me
raconte pas que tu as accepté des lois à la con.
Charmée avec son membre ? Assez bien trouvé.
— Mais j’ai joué leur jeu.
Subjuguée par Sevastyan et Berezka. Embobinée par les éclats de rire avec mon père…
— Tu veux que je te dise ? On s’en fiche de leur baratin, a déclaré Jess. Tu as vingt-quatre ans, Nat.
Laisse les engagements à vie à ceux qui ont moins d’années devant eux. Les quinquagénaires, par
exemple. Quiconque impose à une fille de ton âge de prendre un tel engagement part du principe que tu ne
vivras pas vieille. (Elle a repris son souffle.) Désolée, j’avais oublié que tu pouvais te faire buter à tout
moment.
J’ai dégluti.
— Je devrais peut-être envisager les choses sous cet angle. Faire comme s’il ne me restait plus qu’un
mois à vivre. Malgré tout, j’aimerais passer plus de temps avec Sevastyan.
Mais pas nécessairement tout mon temps, jusqu’à la fin de ma vie.
— Tu t’entends ? Ouvre les yeux et prends un peu de recul. Sauve-toi, je te rejoindrai en Europe. Tu
te réjouiras d’avoir évité le pire. Ensemble, nous échapperons aux timbrés et briserons des cœurs.
— Si seulement.
Dès que j’imaginais la réaction de Sevastyan si je m’enfuyais, j’entendais sa promesse : Si vous
essayez encore de m’échapper, je vous rattraperai. Voilà ce que je ferai. Et ensuite, je vous allongerai
sur mes genoux et je fouetterai vos fesses rebondies jusqu’à ce que vous compreniez la leçon.
Maintenant, je savais qu’il le pensait réellement. J’ai frissonné.
— Je suis coincée ici pour l’instant.
— Imaginons que tu acceptes l’homme de main et que les menaces passent. Tu serais heureuse là-
bas ?
La grande question.
— M’installer dans un nouveau pays pour être avec un homme que je connais peu et aller dans une
nouvelle école, ça fait beaucoup de variables d’un coup. Beaucoup de choix à faire, ai-je fait remarquer.
Mais ce n’est pas tout…
Je lui ai parlé de Filip.
Dans l’après-midi, je n’avais pas trouvé le moment de lui demander ce que Paxán lui voulait avant
qu’il me lance :
— Sevastyan avait les mains baladeuses, devant l’entrée. Autant qu’il annonce vos fiançailles.
Filip semblait bouleversé, comme si ce développement dans notre relation l’affectait réellement.
Toutefois, je n’avais pas senti de sentiments plus profonds de sa part. Oui, il avait flirté avec moi, mais il
aurait dragué un rocher parfumé.
— En quoi ça te concerne ? avais-je demandé en le soupçonnant d’avoir bu.
— Je tiens à toi. Vraiment.
Il s’est passé la main sur le visage, attirant l’attention sur ses yeux injectés de sang qui lançaient des
éclairs.
— Sevastyan t’a piégée. Il s’est fichu de toi. Maintenant il fanfaronne avec son sourire arrogant et ses
cicatrices. Évidemment, il est plus riche d’un milliard. Tu es tellement naïve ! Tu n’es même pas son
genre. Tu le sais, au moins ?
Oui, je le savais.
— C’est absurde, Filip. Je ne te dois pas d’explications mais sache que Sevastyan veut être avec moi.
Toutefois, il ne m’avait pas donné la raison de me choisir plutôt qu’une autre. Il avait seulement dit
qu’il ferait tout pour que je reste avec lui.
— Tu as été manipulée par un escroc, un taulard endurci, un malfrat. Bravo, cousine !
Il m’avait plantée sur le palier après m’avoir lancé un regard qui m’avait fait froid dans le dos. Je
m’étais précipitée dans ma chambre et je n’étais pas descendue pour dîner.
Croyais-je ses allégations à propos de Sevastyan ? Non. Mais les accusations de Filip confortaient ce
que je savais déjà : je ne connaissais pas Sevastyan.
— Quelle charogne, a décrété Jess en rejetant d’emblée Filip. En temps normal, je dirais que tu as
besoin de quelqu’un auprès de toi, d’une amie qui te remette les idées en place. Mais je sais comment tu
réagis quand on te force la main.
— C’est-à-dire ?
— Tu te rebelles. Tu es gentille jusqu’à ce que l’heure ne soit plus à la gentillesse.
— Tu parles comme une héroïne de roman.
— J’ai trouvé cette réplique dans la romance torride que je viens de lire. Et alors ?
C’était son hobby. Pour une fille qui aimait autant l’idée de l’amour, ses goûts en matière de lecture
étaient logiques. De temps à autre, elle m’en imposait un.
— Tu voulais un conseil d’amie, Nat ? Le voilà : ne fais rien de définitif. Et tu as intérêt à ne rien
faire du tout si tu ne veux pas me voir débarquer chez toi.
23

Comme je m’y attendais, Paxán m’a convoquée le lendemain matin. Je n’avais pas dormi, et même
après deux tasses de thé fort, je marchais au radar.
J’avais passé une grande partie de la nuit à faire les cent pas en me demandant comment je m’étais
mise dans ce pétrin. Après avoir rejeté la faute tour à tour sur moi-même et sur Sevastyan, je m’étais
arrêtée sur lui.
Il avait plus d’expérience que moi, et était clairement impitoyable. Mais comment avait-il réussi à me
manipuler aussi facilement ? Et à quelles fins ?
Paxán allait exiger une décision. Il invoquerait la loi.
En me rendant dans son bureau, j’avais l’impression d’aller à la potence, mes bottes claquant sur le
marbre. J’ai arrangé le col de mon pull vert, puis frotté mes mains moites sur les cuisses de mon jean. Ma
seule certitude : j’étais lasse et fatiguée d’être confuse.
Je suis passée devant Gleb, l’adjoint qui portait son pistolet dans un étui ouvert. Comme Sevastyan. Il
m’a saluée d’un hochement de tête, mais sans mot amical comme les brigadiers en avaient l’habitude.
Son attitude m’a fait repenser à l’avertissement de Filip, avant qu’il me tourne le dos.
« Tous les brigadiers parient sur ton mariage avec le Sibérien. J’aurais dû miser qu’il réussirait à te
mettre le grappin dessus. Mais tu as affirmé qu’il n’y avait rien entre vous ! Et pendant tout ce temps, tu
m’as laissé croire que je te plaisais. »
Voilà que maintenant, j’étais le sujet d’un pari. Paxán avait raison. Mes écarts avec Sevastyan avaient
porté préjudice à ma réputation. Si tu vis dans le pays du crime, obéis à ses lois…
Je suis entrée dans le bureau, prise de court par l’expression aimable de Paxán. Il travaillait sur une
horloge, adorable avec ses lunettes grossissantes.
— Bonjour, dorgaya moya ! Du thé ? a-t-il proposé en vrai gentleman. Ça ne te ferait pas de mal, on
dirait.
Il a enlevé ses lunettes et rangé ses outils.
Après m’avoir servie, il m’a fait signe de le rejoindre à côté de son bureau. Il a ouvert un livre en
papier glacé, sur une page précise.
— J’aimerais te montrer quelque chose. Tu as déjà vu cet animal ?
Il a montré la photo d’un loup noir aux yeux ambrés, prêt à bondir d’une congère.
— Magnifique créature, non ? C’est un loup de Sibérie.
J’ai distraitement hoché la tête.
— Ce loup est plus solitaire que les autres. Certains chassent seuls dans la nature. Mais comme
d’autres de leur espèce, ils restent toute leur vie avec la même femelle. Ils sont terribles mais leur loyauté
est éternelle.
J’ai posé ma tasse.
— Nous ne parlons pas des loups, si ?
Il a secoué la tête.
— Plus je vous imagine ensemble, Sevastyan et toi, plus votre couple va de soi. Hier soir, il m’a dit
que vous étiez parvenus à un accord ?
Son espoir me tuait. Je ne voulais pas le décevoir.
— Je… peut-être. Mais je ne suis plus très sûre de moi.
— Je vois, a-t-il dit avec tristesse. Pourtant les actions ont des conséquences, ma chérie. Le côté
positif, c’est que votre engagement serait durable.
Mais je ne pourrais jamais le rompre. J’allais étouffer.
— Mais… mais…
J’ai tiré sur le col de mon pull en me mettant à marcher de long en large.
— Je ne le connais pas, ou pas assez. Je ne dis pas que je ne voudrais jamais rien vivre de plus avec
lui, mais je ne peux pas m’engager. Pas encore.
Jess avait raison. Ne fais rien de définitif. Pas d’engagement à vie. Ces hommes attendaient trop de
moi. C’était trop lourd. Je ne pouvais pas être coincée à cause du code d’éthique de la mafiya.
— Je ne pourrais pas juste sortir avec lui ? Aux États-Unis, ça se passe comme ça !
— Ici aussi, sauf lorsqu’on est la fille d’un parrain et qu’on fréquente son bras droit durant une guerre
de territoire.
Vu sous cet angle… Bon dieu, je savais que j’avais merdé. Mais ça ne m’empêchait de chercher une
échappatoire.
— Sevastyan et moi n’avons, euh, pas consumé notre union.
Devant mon air paniqué, Paxán a semblé troublé.
— Je ne t’obligerai pas à prendre une décision qui ne te convient pas. Il a dû mal interpréter tes
intentions. Tu ne devrais pas être punie pour cela. Mais dans ce cas, je n’ai pas d’autre choix que de vous
séparer.
Il me proposait une solution de secours, et comme une femme au bord de la noyade, je l’ai saisie.
— Qu’entends-tu par là ?
— Je vais devoir l’envoyer ailleurs, loin de toi. Au moins le temps que les choses se tassent.
— Mais c’est chez lui ici. Il adore Berezka.
— Il possède d’autres propriétés. C’est une période difficile. Les choix le sont aussi.
Difficile ? Soit je m’engageais avec un homme qui restait un mystère, soit il était envoyé en exil. Un
choix lugubre, oui !
J’avais le tournis. Les larmes me sont montées aux yeux.
— Je ne veux pas qu’il parte. C’est moi l’étrangère ici. C’est à moi de partir.
— C’est absurde ! s’est-il exclamé en me prenant par les épaules. Tu es ma fille ! Tu es chez toi. Ce
sera toujours chez toi.
J’ai levé les yeux vers lui, surprise que mon père d’ordinaire si mesuré se laisse emporter par les
émotions.
Décontenancé par sa propre réaction, il m’a lâchée et a reculé d’un pas.
— Prends une décision, Natalie, a-t-il déclaré avec une sévérité que je ne lui connaissais pas.
La nausée me retournait le ventre.
— Si je dois choisir tout de suite…
Trop de pression, de confusion. Je me suis hâtée de poursuivre.
— Alors je ne veux pas m’engager définitivement avec Sevastyan. Envoie-le ailleurs s’il le faut, mais
je ne peux pas continuer comme ça !
J’ai aussitôt regretté ma décision – avant même de voir que Sevastyan venait d’entrer.
Juste avant de se figer, il souriait, ses lèvres sensuelles dévoilant ses dents blanches, plus beau que
jamais. Dans ma poitrine, quelque chose a remué, s’est tordu. Était-il heureux d’entendre nos voix, de
prendre part à la conversation ?
J’avais chassé ce merveilleux sourire de son visage.
Quand il a compris, le muscle de sa mâchoire a tressailli. Il a serré les poings, et ses doigts tatoués
ont blanchi.
J’ai blêmi, et devant son expression, j’ai poussé un cri silencieux. Même Paxán est allé vers lui d’un
pas protecteur.
Aleksandr Sevastyan semblait prêt à tuer.
24

Le visage fermé, Sevastyan a quitté la pièce.


— Je vais en discuter avec lui, tout ira bien, m’a assuré Paxán malgré son inquiétude manifeste.
Je me suis élancée à la suite de Sevastyan.
— Non, c’est à moi de lui parler, ai-je crié par-dessus mon épaule.
J’ai accéléré le pas dans le couloir, poursuivant ma course dans la galerie.
— Sevastyan, attends !
Le dos raide, il n’a pas ralenti. À présent, je paniquais pour une raison opposée. Et si j’avais trouvé
celui qui avait tout à m’offrir ? Et si j’avais tout gâché ? Je l’ai suivi jusqu’au perron, devant la maison.
La dernière fois que nous nous étions trouvés là, il m’embrassait avec possessivité, me déclarant à
lui. Maintenant, il s’éloignait de moi, en direction de sa Mercedes – pour disparaître.
J’ai redoublé l’allure. Au moment où il ouvrait sa portière, j’ai attrapé son bras.
Il s’est dégagé.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Tu as entendu des phrases… hors de leur contexte.
— Alors dis-moi que tu n’étais pas en train de me faire expulser de cette fichue baraque, celle que
j’habite depuis dix-huit ans.
— C’est moins grave que ça en a l’air. En fait, je ne l’aurais pas laissé te chasser.
Sa froideur s’est renforcée.
— Tu ne l’aurais pas laissé faire ? Tu n’es là que depuis deux semaines, et tu te prends déjà pour une
princesse.
J’ai vigoureusement secoué la tête.
— Paxán m’a donné deux options : m’engager définitivement avec toi, ou te demander de partir. Tu ne
me parles jamais de toi, mais tu t’attends à ce que je m’engage aussi rapidement ? Je te connais à peine.
— Tu en sais suffisamment. Tu sais qu’il y avait quelque chose entre nous.
Avait.
— Oh, zut, si tu voulais bien me laisser t’expliquer…
Il s’est brusquement tourné vers moi.
— Je comprends très bien. Tu veux que je te fasse jouir. Tout ce que tu veux, c’est que je couche avec
toi, mais ça s’arrête là. Il n’y a que le sexe qui t’intéresse.
Je me suis frappé le front.
— C’est injuste !
Je ne me sentais pas acculée ; j’étais malmenée.
— Je n’ai rien demandé, je ne veux pas de toute cette pression !
— Cette conversation est terminée. La situation est claire.
Il a ouvert sa portière, s’est glissé derrière le volant et m’a claqué la portière au nez.
— Espèce de salaud !
Pendant qu’il démarrait, j’ai cogné du poing sur la vitre et donné un coup de pied dans la voiture.
Souviens-toi de la règle de base : sois la plus folle des deux !
— Tu m’as arrachée à ma vie et tu m’imposes de répondre à tes attentes ? (J’ai donné un autre coup
de pied.) Va te faire foutre !
Je me suis baissée à sa hauteur.
— Va te trouver une bécasse soumise qui saura te donner ce que je ne peux à l’évidence pas te
donner.
Il m’a adressé un sourire cruel.
— J’en ai l’intention, mon chou.
Dans un rugissement mécanique, il a disparu.

J’avais une tête à faire peur.
Je me sentais nulle. Cette journée pluvieuse et maussade touchait à sa fin, l’obscurité enveloppant
Berezka. Assise devant mon miroir, je me pinçais les joues en me regardant de travers.
Pour égayer mon apparence, j’avais mis un petit haut bleu péplum, très chic avec une jupe en fine
laine de mérinos et des bottines souples.
Ça n’arrangeait rien, mais je ne pouvais pas faire mieux.
Résignée, je suis allée trouver Paxán dans son bureau.
Ma pâleur et mes cernes ne le surprendraient pas, après une trentaine d’heures d’insomnie, de
confusion et de fureur. Depuis le départ de Sevastyan, la veille, j’étais passée par tous les états possibles.
La veille, le dîner avait été atroce sans lui. Ces deux dernières semaines, il ne m’avait pas adressé la
parole, mais au moins je sentais sa présence, sa force et sa protection.
Paxán et moi étions dans tous nos états. Par politesse, il éteignait toujours son téléphone pendant les
repas, mais la veille, il avait vérifié chaque message, chaque appel. Il était désemparé, peu habitué à être
en conflit avec son fils adoptif.
Avec un pincement au cœur, je m’interrogeais sur tout ce qu’il endurait. En plus des menaces et de
l’agitation, il devait supporter l’histoire dramatique de sa fille et de son homme de main. N’était-ce pas
trop lui demander ?
Pour couronner le tout, mes rapports avec Filip étaient tendus. Il avait dû savoir ce qui se passait
puisqu’il s’est joint au dîner. Dommage qu’il ait été ivre et peu bavard. Son comportement avait laissé
Paxán dubitatif.
La fin de la soirée avait été tout aussi lugubre. J’avais passé la nuit à guetter le retour de Sevastyan. Il
n’était pas rentré, et il passait probablement la nuit dans le lit d’une autre femme.
À l’aube, prise de colère, j’avais agrippé la rambarde de mon balcon. Il s’était attendu à ce que je ne
fasse aucun faux pas – bien que je n’aie aucune référence pour me guider. Cette colère avait le mérite de
clarifier mes pensées. J’avais tout foiré ; il couchait avec une autre, nous privant de toute chance de
réconciliation.
Il s’était retiré de mon arbre des possibles. C’était une sorte de décision en soi.
Celle-ci étant prise, j’en avais formulé d’autres. C’est dans cet état d’esprit que je suis allée trouver
Paxán.
Tout en dévalant l’escalier, je me suis demandé si j’allais croiser Sevastyan. Il rentrerait
certainement dans la soirée, ne serait-ce que par loyauté envers son supérieur.
En parlant du loup… je suis entrée dans la galerie menant au bureau de Paxán en même temps que lui.
Nous allions au même endroit ?
— Tu es rentré ? ai-je demandé d’une voix éraillée par la fatigue.
— Je travaille toujours avec lui, a-t-il répondu à voix basse, alors que nous nous arrêtions de
concert. Je ne vais pas disparaître au moment où il a le plus besoin de moi.
Nous étions enfin sur la même longueur d’onde.
— Il faut qu’on parle.
Il a penché la tête vers moi, de la même manière que dans le bar, le premier soir. Les pupilles
dilatées, le regard lourd de sous-entendus.
— Tu crois que je veux qu’on parle de… toi et moi ? C’est de l’histoire ancienne.
Il a plissé les yeux.
— Tu es en colère contre moi ?
Complètement furieuse ! Mais je devais me contenir si je voulais présenter calmement ma nouvelle
proposition.
— Tu ne manques pas de culot, Natalie.
— Je… Moi ? C’est moi qui suis culottée ? (Adieu mon sang-froid.) Écoute, espèce de queutard, tu
n’as plus le droit de me parler sur ce ton. Tu as perdu ce privilège suite à ton comportement d’hier.
— Mon comportement ? Éclaire mes lanternes.
— Tu as saisi quelques phrases hors contexte, tu t’es emballé et tu as filé noyer ton chagrin entre les
bras – ou les cuisses – d’une autre femme.
Il s’est rapproché de moi.
— Tu es jalouse.
J’ai levé les yeux au ciel.
— Pas ça. Notre passade est bien terminée. Tu lui as tordu le cou.
— Alors de quoi voulais-tu me parler ?
Dans l’obscurité, la pluie tapotait les fenêtres du couloir, projetant des ombres animées sur son
visage. Celui que j’avais tendrement embrassé. Reste concentrée, Nat.
— Je me fais du souci pour Paxán. Il a déjà assez à faire sans qu’on en rajoute.
— Je suis d’accord. Qu’est-ce que tu suggères ? a dit Sevastyan.
— Je suggère que nous allions lui dire que tout est clair entre nous, que nous saurons nous tenir. Nous
lui dirons qu’il n’y a plus rien entre nous, et tu pourras continuer à vivre ici. Je pense que ça le rassurera
si nous faisons front commun.
Je n’ai pas laissé Sevastyan protester.
— Ce n’est pas ouvert à discussion.
J’ai repris mon chemin jusqu’au bureau. Il m’a doublée pour ouvrir la porte.
— Je n’ai pas passé la nuit avec une autre, a-t-il lancé par-dessus son épaule.
— Je devrais te croire ? ai-je bredouillé, mon cœur bondissant dans ma poitrine.
Pour la deuxième fois en deux jours, je me surprenais à espérer qu’il dise oui.
— Ça m’est égal que tu ne me croies pas.
Je ne l’avais jamais vu aussi froid. Pourtant, je le croyais. Dans ce cas, il restait dans mon arbre des
possibles. Tout n’était peut-être pas perdu avec lui ?
— J’ai été pris par des problèmes d’ordre professionnel, a-t-il ajouté.
Autrement dit, il n’avait pas eu le temps d’aller voir ailleurs. Tout est fichu entre nous !
— Quel con, ai-je marmonné.
J’ai pénétré dans le bureau avec un grand sourire.
— Bonsoir, tous les deux. Aleksandr, ça fait plaisir de te voir ici. Et avec Natalie !
— Nous pouvons bavarder une minute ? ai-je demandé, me retenant de faire la grimace devant ses
yeux pétillants.
Il devait croire que nous venions lui annoncer autre chose que notre amitié.
— Bien sûr. Asseyez-vous.
Sevastyan s’est installé sur un petit siège, la cheville ramenée sur un genou. À l’autre bout, je me suis
assise au bord du coussin, prête à aller droit au but.
— Paxán, nous voulons te dire que notre conduite ne sera plus inconvenante.
Incrédule, il a haussé un sourcil à l’intention de Sevastyan. Décontracté, le Sibérien a étiré le bras sur
le dossier. Toutefois, je le sentais tendu.
J’ai poursuivi.
— De cette façon nous pouvons tous deux rester à Berezka sans que ça pose problème. Je sais que la
présence de Sevastyan te rassure, qu’il veille à la sécurité… il en sera de même pour moi.
J’ai annoncé la suite avant de changer d’avis.
— Ce n’est pas tout. J’aimerais m’installer définitivement ici. Quand les dangers seront écartés, je
ferai transférer mon dossier à l’université locale.
Sevastyan s’est raidi. De surprise ? De colère ? Quoi ?
Bien sûr, Paxán était aux anges.
— Tu es sûre ?
Il a lancé un regard entendu à Sevastyan, comme s’il n’avait jamais douté de ma décision. J’ai
fermement hoché la tête. Durant ma longue nuit d’insomnie, j’avais compris que mes hésitations limitaient
ma vie. J’avais enterré mon passé, et conclu que je devais être plus téméraire à l’avenir. Oui, je m’étais
adaptée aux impertinences que j’avais découvertes avec Sevastyan mais désormais, je serais maîtresse de
mon destin.
L’immense joie de Paxán m’a bouleversée. J’avais appris une chose à son sujet : il était facile de le
rendre heureux.
— C’est bien, a-t-il simplement dit, les yeux larmoyants.
J’ai discrètement vérifié la réaction de Sevastyan. Il était de plus en plus crispé, et ça m’était égal.
— Ça se fête ! a déclaré Paxán. Tu mérites un véritable accueil dans ta maison à présent. Nous avons
de bonnes nouvelles pour toi aussi…
Il a tourné la tête vers la porte sans terminer sa phrase.
Sevastyan était déjà debout, les yeux tournés dans la même direction. Filip se trouvait dans
l’embrasure.
Son visage angélique était déformé par la souffrance. Sa main gauche était bandée, sanguinolente. De
l’autre main, il pointait une mitraillette sur nous.
— Si ce n’est pas touchant !
25

Blême, Paxán s’est levé en même temps que moi.


— Filip, qu’est-ce que tu fais ? Ce n’est pas une arme à brandir dans un bureau.
Elle était trop lourde pour lui, d’autant qu’il n’avait qu’une seule main valide. Son bras tremblait.
— Surtout sans le cran de sécurité.
Filip a regardé l’arme osciller dans sa main. Du bout du canon, il nous a visés tour à tour.
— Tu vas me suivre, a-t-il ordonné à Paxán. Et je toucherai la prime offerte par Travkin.
Quoi ? Filip opérait pour l’ennemi ? Et il y avait une prime ? C’était ça, le risque sécuritaire
imminent dont personne ne voulait me parler ! Travkin avait mis à prix la vie de mon père.
— Pose cette arme et parlons, a répondu Paxán avec un calme apparent.
— Pas le temps. (Levant sa main bandée, il avait la voix brisée.) Au prochain tour, mes créanciers
seront moins cléments. Ils ne me laisseront pas trois doigts.
Ils l’avaient… mutilé ? J’ai plaqué la main sur ma bouche par peur de vomir. Il avait mis sa montre et
sa voiture au clou, et ça n’avait pas suffi. Je m’étais interrogée sur l’ampleur de ses dettes, sans imaginer
que ce soit aussi grave.
— Laisse partir Natalie, est intervenu Sevastyan.
— Elle n’y est pour rien, a ajouté Paxán avec aisance, malgré son effroi.
Quand Filip a braqué la mitraillette sur moi, Paxán a retenu son souffle.
— Natalie est la raison de mes problèmes. J’étais un héritier ! Puis tout le monde a su que tu lui
léguais tout. (Les larmes se sont mises à couler sur ses joues meurtries.) Mais mes créditeurs ont appris
que je la courtisais, et comme ils savent que je plais aux femmes, l’argent affluait. (Il a visé Sevastyan.)
Jusqu’à ce qu’ils apprennent que l’héritière était avec l’homme de main. Alors ils ont réclamé leur dû.
— Nous en avons parlé il y a deux jours, a protesté Paxán. Je t’ai demandé si tu avais besoin d’aide.
C’était le sujet de leur fameuse discussion ?
— Je n’avais besoin de rien, mais il a fallu qu’il passe à l’attaque le même jour !
Il a craché tout près de Sevastyan.
— Arrangeons cette histoire, a dit Paxán en détournant l’attention de Filip vers lui. L’argent n’est pas
un problème. En mémoire de ton père, je m’engage à régler toutes tes dettes.
— Tu ne comprends donc rien. Il m’en faut plus.
Les larmes continuaient de couler. L’arme tremblait violemment entre ses mains prises de crampes.
— La prime de Travkin représente plus d’argent que je n’en aurai jamais.
— Prends-moi à la place, a menacé Sevastyan. J’ai une certaine valeur aux yeux de l’ennemi.
— Je suis venu chercher le parrain.
Paxán a dégluti.
— Enlève ton doigt de la gâchette, Filip, et je te suivrai.
— C’est moi qui donne les ordres ! Fais sortir ton bouledogue, qu’on discute de ta précieuse fille.
— Hors de question, a lancé Sevastyan.
— Tu te moques de ce qui t’arrivera, hein ? Si je menaçais plutôt ta petite Natalie ?
Filip m’a visée.
Je fixais le canon de la mitraillette, trop terrifiée pour décider si je devais garder les yeux ouverts ou
les fermer.
L’arme vibrait dans sa main affaiblie… C’était une simple question de temps…
— Si tu la blesses, ta vie s’arrête aujourd’hui, a promis Sevastyan d’une voix glaçante. Je te donne
une chance de quitter cette pièce vivant.
Le courage de Filip s’étiolait.
— Je… je n’ai pas le choix.
Il a levé la main vers son front, puis s’est mis à geindre au souvenir de ses doigts amputés.
— Laisse-moi juste l’emmener, Sevastyan, a-t-il répondu sur un ton enjôleur.
— Jamais. Ça ne se terminera pas comme tu l’as imaginé. Tu ne le sais pas encore mais il n’y aura
pas de prime.
— Qu’est-ce que tu me chantes ? Pourquoi il n’y aurait pas de récompense ?
— J’ai abattu Travkin il y a quelques heures.
J’ai observé Sevastyan. Travkin était mort ? C’était la bonne nouvelle que Paxán voulait
m’annoncer ?
— Tu mens !
Devant le regard fou de Filip, j’ai paniqué.
— Filip, ne fais pas ça. Ce n’est pas trop tard. Nous pouvons encore tout arranger.
Du coin de l’œil, j’ai vu Sevastyan se rapprocher de lui, se plaçant entre moi et Paxán.
— Ne bouge plus, Sevastyan ! a crié Filip. Je vais tirer, je le jure, je vais tirer.
Il a agité l’arme d’une main tremblante…
Sevastyan a bondi sur moi au moment où les balles ont ricoché sur les murs. Les horloges ont
explosé, le verre éclatant en mille morceaux, les carillons sonnant comme les cloches d’une église. J’ai
hurlé, puis ma chute a étouffé mes cris. Couché sur moi, Sevastyan me tenait la tête. De son autre main, il
tenait un pistolet fumant.
Entre les nuages de plâtre, j’ai aperçu Filip couché sur le dos. Une balle dans le ventre, il se tordait
de douleur. Les oreilles bourdonnant, j’entendais ses cris. Et autre chose…
La respiration de Paxán. Laborieuse. Non ! J’ai voulu me relever mais Sevastyan m’en empêchait.
— Tu es blessée ? s’est-il enquis.
Comme je secouais la tête, il a bondi sur ses pieds et s’est élancé vers Filip.
Pendant qu’il le désarmait, je me suis ruée vers Paxán. Allongé sur le sol, le sang s’écoulait d’une
blessure au torse.
Sevastyan a arraché la mitraillette de la main de Filip, puis a fait le tour de la pièce par sécurité.
— Natalie, fais pression sur la plaie !
Il a claqué la porte du bureau.
Agenouillé aux côtés de Paxán, j’ai appuyé sur sa plaie des deux mains.
— Ça va aller, ça va aller.
J’étais sous le choc… Comment pouvais-je l’aider ?
Grimaçant de douleur, il m’a fait une mine penaude.
— Ce n’est pas… ce que j’avais prévu.
— Ne parle pas. S’il te plaît, ne dis rien.
Mes doigts baignaient dans une mare de sang. La vie s’échappait de son corps.
— Garde tes forces.
Sevastyan est tombé à genoux de l’autre côté de Paxán. Il a posé les mains sur les miennes, nouant nos
doigts pour renforcer la pression.
J’allais craquer. Sa blessure ne pouvait pas lui être fatale. Pourquoi se comportaient-ils comme si
c’était la fin ?
Que savaient-ils des blessures par balle que j’ignorais ?
Tout.
Paxán a fait un faible sourire à Sevastyan.
— Tu sais que je ne l’aurais pas supporté si tu m’avais sauvé plutôt qu’elle. Je suis fier de toi, mon
fils.
La scène se rejouait dans ma tête. Quand les balles avaient volé, Sevastyan se tenait entre Paxán et
moi. Il avait fait un choix en me plaquant au sol au lieu de Paxán.
— Arrêtez ça, tous les deux ! Paxán, tiens bon. Tu vas t’en sortir !
— Sois tranquille, dorogaya moya.
Rassemblant ses forces, il a tendu la main pour me caresser le visage, avant que son bras ne retombe.
Il a tourné les yeux vers Sevastyan.
— Tu es lié à elle, lui a-t-il dit en russe. Tu es responsable de sa vie, fils. Toi seul. (Il a posé la main
sur nos doigts enlacés.) Elle t’appartient.
Sevastyan a répondu d’un bref hochement de tête. Une pression supplémentaire.
Avec difficulté, Paxán a tourné la tête vers moi.
— Aleksandr te protégera. Il t’appartient désormais.
J’ai baissé les yeux vers nos mains jointes, trempées de sang – un serment signé de notre sang.
— Ma courageuse fille.
Mes yeux se sont emplis de larmes.
— Ne fais pas ça ! Bátja, s’il te plaît, accroche-toi.
Il a souri malgré la douleur, trouvant encore la force d’être heureux.
— Bátja ? Je savais que tu m’appellerais papa un jour.
La lumière de ses yeux s’estompait. Perdait-il la vue ?
— J’aurais seulement aimé passer plus de temps avec vous deux. Je vous aime. Donne-lui une plus
belle vie… comme si j’étais toujours là, a-t-il dit à Sevastyan.
Des bulles de sang se sont échappées de sa bouche. Son regard est devenu vide, son torse…
immobile.
— Non, ne meurs pas !
Je sanglotais, mais c’était trop tard.
Pavel Kovalev, mon père, était décédé.
26

— Natalie, lève-toi !
Mes oreilles bourdonnaient de nouveau. Sevastyan se tenait près de moi, mais ses mots étaient
lointains.
Il a pris ma main rouge de sang et m’a hissée sur mes pieds.
— Ce n’est pas possible, ai-je marmonné en trébuchant à sa suite, le verre brisé des horloges de
Paxán crissant sous mes semelles.
Mon père ne pouvait pas être mort.
Sevastyan m’a entraînée vers Filip qui se tordait de douleur, le sang s’échappant de son ventre
blessé.
— Je ne voulais pas ça, a murmuré Filip d’une voix brisée. Je suis venu… parce que les autres
étaient… déjà en chemin. Ça serait arrivé. Quoi que… je fasse. La prime… est énorme.
Débordante de haine, j’ai séché mes larmes.
— Monstre ! Comment tu as pu faire ça ?
— Je te promets, je suis juste venu pour Paxán. (Il a tendu sa main estropiée vers moi.) Si je ne
savais pas pour Travkin… je ne dois pas être le seul. Ils… vont venir.
— Comment ça ?
— Travkin voulait aussi… ta tête.
Dans un hurlement furieux, Sevastyan m’a placée derrière lui, et tiré dans la tête de Filip.
Deux morts. Assassinés sous mes yeux.
Oppressée, je n’arrivais plus à reprendre mon souffle. Comme si le monde était à feu et à sang, et que
les flammes, de plus en plus proches, m’encerclaient. Comme si personne ne m’entendrait si je hurlais. Je
manquais d’air lorsque Sevastyan m’a saisie par le bras.
— Viens, Natalie !
L’arme au poing, il m’a traînée vers une porte, dans le fond du bureau.
— Nous ne pouvons pas laisser Paxán comme ça.
J’ai tourné la tête vers son corps inerte. Ses yeux éteints. Pourquoi ne les avais-je pas fermés ?
Idiote.
— Nous devons nous occuper de lui ! ai-je insisté.
Sevastyan s’est contenté de me tirer plus durement.
— Je t’emmène loin de Berezka. Nous ne pouvons faire confiance à personne ici.
J’étais sans voix, prise de vertiges. Il m’a fait entrer dans un garage que je n’avais jamais vu, et m’a
poussée dans une berline de couleur sombre.
Le brouillard.
La voiture descendait l’allée détrempée par la pluie qui fouettait la nuit.
Les doigts souillés de Sevastyan serrés autour du volant.
Les projections de boue sur le pare-brise, le grincement des essuie-glaces.
Le roulis de l’arrière de la voiture.
Je restais pétrifiée.
Sevastyan n’a ralenti qu’à l’approche de la rivière, où il a pilé devant le hangar à bateaux.
— Tu vas rester ici et verrouiller les portes, a-t-il ordonné en ouvrant la boîte à gants. Le verre
résiste aux balles. N’ouvre pas les portières.
Il a sorti un pistolet, l’a armé, a ôté le cran de sécurité puis me l’a tendu. Comme je ne le prenais pas,
il l’a posé sur la console.
— Si quelqu’un réussit à entrer, sers-toi de l’arme. Vise le torse et tire.
Sevastyan repartait affronter le danger ? Le monde s’écroulait. Si je le perdais lui aussi…
— Où vas-tu ? Ne me laisse pas ! Partons en voiture !
Il a secoué la tête.
— J’ignore qui surveille les portails, et on pourrait nous attendre à la sortie. Nous devons partir par
la rivière. (À bord du bateau de Casino Royale ?) Je vérifie le hangar et je reviens te chercher.
— Sois prudent, ai-je crié lorsqu’il a ouvert la portière, en brandissant son arme.
Il m’a regardée bizarrement.
— Ne t’en fais pas, ton protecteur va revenir.
Il s’est enfoncé dans la nuit pluvieuse, se rapprochant d’un pas agile du hangar.
Sur le côté, j’ai aperçu les étincelles d’un coup de feu. Une détonation étouffée.
Le dos de Sevastyan était recourbé vers l’arrière, comme s’il avait été frappé à l’épaule.
Pas par un poing. Par une balle.
Le tonnerre a étouffé mon hurlement. Le temps que mes yeux s’adaptent, Sevastyan et un autre homme
se battaient pour s’emparer d’une arme.
À la lueur des phares, j’ai reconnu le brigadier Gleb. De toutes ses forces, Sevastyan lui a assené un
coup de poing en plein visage. Gleb a chancelé.
S’il luttait, Sevastyan n’était pas trop gravement blessé. Il a arraché le pistolet des mains de son
adversaire affaibli, et l’a frappé.
— Vous êtes combien comme ça ? a-t-il rugi.
Le visage de Gleb s’est fendu d’un sourire macabre. Sa réponse a plongé Sevastyan dans une rage
folle, et son poing a volé.
Je grattais mes mains tachées de sang tout en regardant Sevastyan battre un homme à mort. Un éclair a
subitement éclairé l’attaque bestiale.
Je n’avais jamais vu personne se bagarrer comme Sevastyan. Jusqu’au bout. C’était lui dans toute sa
cruauté, plus réel que jamais. C’était un exécuteur, programmé pour tuer.
Quand Gleb s’est effondré, inconscient, Sevastyan l’a accompagné dans sa chute, tombant à genoux
pour l’annihiler. Il semblait habité par un démon. Le visage de Gleb était réduit en bouillie. À chaque
coup, le sang en jaillissait comme d’une mare sous la tempête.
Il ne s’arrêtait plus. J’ai ouvert la portière et titubé vers lui.
— Sevastyan, nous devons partir ! ai-je crié sous la pluie battante. Arrête !
Il a levé la tête vers moi, les phares se réverbérant dans ses yeux. J’y ai vu de la folie, mais aussi un
appel. Comme s’il m’implorait de l’arracher à son ennemi.
Entre deux coups de tonnerre, j’ai cru entendre un bruit d’os brisés.
Puis un autre son plus terrifiant.
Des coups de feu lointains. L’écho d’un champ de bataille. Les fidèles et les traîtres lancés dans une
guerre ouverte ? Sevastyan l’a entendu aussi. Son visage exprimait toute son envie de se joindre au
combat.
S’il lui arrivait malheur… Et si je perdais Sevastyan et Paxán au cours du même bain de sang ?
Je me suis souvenue des mots de Paxán : violence extrême. Vigilance extrême.
— Tu as dit que tu tenais tes promesses, Sevastyan. Tu as promis de me protéger.
Quand il m’a regardée entre ses cils détrempés, je me suis noyée dans ses yeux luisants. Une plongée
à deux. J’ai tendu une main tremblante.
Hébété, il s’est levé comme s’il était incapable de résister à mon appel.
27

— Laisse-moi examiner ton bras ! lui ai-je dit pour la dixième fois, déterminée à le répéter autant de
fois que nécessaire.
Les vêtements de Sevastyan avaient fini par sécher sur lui, mais il refusait de lâcher la barre du yacht.
Depuis des heures, les moteurs étaient poussés à plein régime tandis que nous longions la rivière vers une
destination inconnue.
Raidi par la fatigue, il s’est assis sur le banc du capitaine, dans la luxueuse cabine de pilotage. Les
lumières de la console éclairaient ses traits tirés, son beau visage au regard insondable.
Il s’était placé en bouclier devant moi quand on m’avait tiré dessus. Il avait tué pour me défendre.
Lors de notre première nuit, il m’avait dit : « J’éliminerai toute menace à votre encontre, sans aucune
pitié. »
Il l’avait fait.
Les lueurs du tableau de bord soulignaient les traces de sang séché sur sa joue, dans son cou, et le
tissu déchiré autour de sa blessure.
Était-ce son sang, ou celui de Gleb ?
Celui de Paxán ?
— Juste une écorchure. J’ai connu pire.
Je le savais, j’avais vu les cicatrices.
— Tu ne voudrais pas faire une pause ? Nous ne sommes pas assez loin maintenant ? ai-je proposé,
encouragée par sa réponse.
Ce bateau était équipé pour fuir. Dans une cabine du pont inférieur, j’avais trouvé de faux passeports
– aux noms de Natalya et Roman Sevastyan, un couple marié –, des caisses de vêtements pour nous deux,
et des liasses de billets. De simples mesures de précaution.
Mais le pire s’était produit.
Dans une autre cabine, j’avais également déniché des affaires de Paxán. Après les événements de la
nuit, leur présence m’avait paru… d’un optimisme naïf. Les larmes m’avaient piqué les yeux mais j’avais
tenté de les ravaler, d’être forte.
J’avais tenu bon le temps de faire ma toilette et de me vêtir d’un pantalon et d’un pull. Mais
maintenant, alors que je devinais le chagrin de Sevastyan, mes yeux s’embuaient de nouveau de larmes.
En dehors de moi, il était le seul témoin vivant de ce que le monde avait perdu cette nuit.
— Il faut nettoyer ta blessure. Ensuite tu te reposeras.
— Plus tard. Tu n’es pas encore à l’abri, a-t-il ajouté sans me regarder.
— À qui parlais-tu, tout à l’heure ?
Après m’être changée, je l’avais entendu dire dans un russe concis au téléphone :
« Je ne t’ai jamais rien demandé. Règle ça. » Puis, à voix basse : « Tu comprends l’importance de ce
que je te confie ? » Avant de raccrocher, il avait ajouté « N’imagine pas que c’est l’occasion de penser
plus loin. »
Pourquoi son accent avait-il changé ? Ça ressemblait à un dialecte. Sibérien, peut-être ?
— Tu veux bien me parler, Sevastyan ? J’ai des tas de questions, je n’en peux plus d’être aussi
perdue.
Il a expiré.
— Pose-les.
— Que va devenir le corps de Paxán ?
Ma voix s’est brisée.
Il a continué à fixer l’horizon.
— Si ceux qui défendent Berezka gagnent, ils s’en occuperont… Ils prendront soin de lui. Quand
j’estimerai que tu peux y retourner, nous organiserons… l’enterrement.
Je sentais nettement qu’une partie de lui était morte. Comment pouvait-il en être autrement ? Il avait
choisi de me préserver, au prix de la mort de son héros.
Il avait sacrifié son sauveur pour me sauver.
Il devait être en proie à un horrible conflit. Alors que mon chagrin, si profond soit-il, était pur.
Sevastyan semblait s’effondrer lentement.
J’ai tendu la main vers son bras valide.
— Je ne connaissais Paxán que depuis deux semaines. Si je l’aimais déjà autant, j’ose à peine
imaginer ce que tu ressens. Je suis désolé que tu aies dû faire ce choix.
— Il n’y avait pas de choix à faire, a-t-il répondu, même si son visage reflétait un vif sentiment de
culpabilité. Tu as entendu ses derniers mots.
J’avais essayé de les oublier. Il m’avait donnée. Un décret consacré par le sang.
J’ai changé de sujet.
— Tu peux au moins me dire où nous allons ?
— Aucune idée. Je ne sais pas à qui nous pouvons faire confiance. Tout a changé. Même si Travkin
est mort, le danger persiste tant que les intéressés ne savent pas que la prime est annulée. Le serpent
continue de se tordre quand on lui coupe la tête.
Travkin. Son nom me fouettait les nerfs. J’avais soif de vengeance envers ce voyou sans visage. Je
l’incriminais cent fois plus que Filip. Mon cousin n’avait été qu’un instrument de mort, une déception, un
ingrat ; c’était Travkin qui avait fait feu.
— Tu l’as vraiment tué ?
Sevastyan a hoché la tête.
Dans ce cas, même depuis sa tombe, Travkin avait causé la mort de mon père.
— Comment tu t’y es pris ? Il devait être entouré d’une armée de soldats.
— Par surprise, a craché Sevastyan, l’air menaçant.
— Tu ne me diras rien de plus ? ai-je demandé, incrédule. Tu savais que Travkin avait aussi mis ma
tête à prix ?
Il s’est enfin tourné vers moi.
— Je l’ai appris cinq minutes avant de pénétrer dans son repaire habituel et de l’abattre d’une balle
entre les deux yeux.
J’ai dégluti en le visualisant entrer naturellement dans l’antre du monstre. Pour moi.
— Tu aurais pu te faire tuer.
Il a reporté son regard sur le cours d’eau.
— Tu as besoin de te reposer, Natalie. Tu as subi un choc. Installe-toi en bas.
— Je n’aime pas être en bas. C’est la première fois que je mets les pieds sur un bateau comme celui-
ci.
Plus nous nous éloignions de Berezka, plus le fleuve était agité. Le martèlement des vagues contre la
coque me terrifiait. J’étais certaine qu’elle finirait par se fendre comme une coquille d’œuf.
— Je ne me suis jamais retrouvée au large, sans voir la terre ferme.
Étrangement, même si je ne distinguais plus le rivage, ni même les lumières dans le lointain, je
sentais toujours le monde en proie aux flammes autour de moi. La proximité de Sevastyan atténuait cette
sensation.
La houle s’est amplifiée.
— Ce n’est pas un bateau, c’est un navire. Et tu es en parfaite sécurité ici, a-t-il marmonné.
— Peu importe.
Je me suis installée sur le spacieux banc, à côté de lui, ma cuisse contre la sienne. Si j’avais besoin
de rester près de lui, c’était probablement à cause de tout ce que nous avions traversé ensemble. Nous
avions besoin l’un de l’autre parce que nous avions laissé des morceaux de nos cœurs à Berezka.
Au bout d’un certain temps, j’ai perdu la lutte contre mes larmes. Pendant que je pleurais en silence,
Sevastyan regardait fixement l’obscurité.

Boum, boum, boum.
Je me suis réveillée dans une cabine, au chaud sous les couvertures. Je me souvenais vaguement de
m’être plusieurs fois réveillée en sursaut contre Sevastyan, avant de sombrer dans le sommeil. Il m’avait
installée là ? Et il m’avait déshabillée, avant de me vêtir de l’un de ses tee-shirts ?
Il faisait toujours nuit, mais j’ignorais combien de temps j’avais dormi. En Russie, les nuits étaient
longues en cette saison.
Nous n’avancions plus ; Sevastyan se reposait peut-être.
Ou il faisait son deuil.
Boum. Boum.
Je suis partie en quête de l’origine des bruits. Tout en me rapprochant de leur source, je me suis
demandé comment ça allait se passer entre Sevastyan et moi aujourd’hui. Allait-il s’attendre à ce que
nous nous conformions aux dernières volontés de Paxán ?
Les respecterai-je, acceptant mes liens avec Sevastyan ? Je me suis souvenue de ce que j’avais
ressenti à l’idée de le perdre.
Comme si des barbelés m’enserraient le cœur.
Boum. Boum.
Les bruits m’ont conduite jusqu’à une autre cabine. J’ai frappé, et comme Sevastyan ne répondait pas,
j’ai entrouvert la porte. L’eau de la douche coulait dans la salle de bains adjacente. Les tambourinements
provenaient de l’intérieur.
Prise d’angoisse, je me suis hâtée d’entrer et je suis restée sous le choc.
Nu sous le jet, le regard fou et les lèvres retroussées, Sevastyan tapait du poing sur les parois en
pierre de la cabine. La cascade d’eau brûlante fouettait son torse pendant qu’il frappait un ennemi
invisible.
Il avait résisté aux pressions, mais à présent il se fissurait – comme le roc qu’il rouait de coups.
— Qu’est-ce que tu fais ? ai-je crié.
Comment pouvait-il supporter ses poings en sang ? Malgré le tissu noué maladroitement autour de sa
blessure, son bras saignait aussi. Le sang s’accumulait dans les creux de ses muscles.
— Arrête, s’il te plaît !
Il a continué.
— Assez !
J’ai ouvert la porte et je me suis glissée dans la cabine de douche, saisissant son bras meurtri à deux
mains.
Ce tueur, violent et incontrôlable, ne m’inspirait aucune peur. Même quand il m’a brusquement fait
face, ses cheveux noirs fouettant sa joue. Il était à couper le souffle. Réel. Brut.
À moi, a murmuré une petite voix dans ma tête.
Notre connexion s’est imposée, aussi aveuglante qu’un faisceau de lumière.
— Va-t’en, a-t-il craché, les dents serrées.
Les yeux noirs, son visage était accablé de chagrin.
Je pouvais l’apaiser.
— Je ne te laisserai pas dans cet état.
— Pourquoi ? Je ne suis rien pour toi. Tout ce qui compte, c’est ce que je sais faire.
Parlait-il de plaisir ? De protection ? Ses mots, quand il m’a quittée suite à notre dispute, me sont
revenus : Il n’y a que le sexe qui t’intéresse avec moi.
— C’est faux, Sevastyan.
Il m’a dévisagée. Que cherchait-il ? Ma permission ? De la compréhension ? Il a posé les mains sur
le mur, de part et d’autre de ma tête, m’enfermant entre ses bras.
Ses étoiles tatouées étaient à la hauteur de mes yeux, à quelques centimètres. Elles semblaient
m’inviter à nouer les bras autour de lui, à embrasser son torse.
L’embrasser, encore et encore, pour chasser sa peine.
Hésitante, je me suis penchée et j’ai passé les lèvres sur l’un de ses tatouages. Il a sursauté, comme si
je l’avais frappé, mais il m’a laissé faire. Je me suis risquée à embrasser légèrement son cou. Il restait
immobile, comme une statue qui aurait renfermé une âme d’exécuteur farouche.
J’ai frotté le nez le long de sa mâchoire ; j’ai écarté ses mèches de cheveux, embrassé sa joue
émaciée.
Lorsque j’ai uni nos bouches, il a libéré un souffle tremblant, puis s’est écarté. Un désir ardent
embrasait son regard, celui qui appelait le mien.
— Que veux-tu de moi, Natalie ?
Comment le formuler ? Je veux t’embrasser de manière à te faire oublier ton chagrin un instant, te
serrer contre moi car j’ai constamment besoin de sentir ton corps. En d’autres termes…
— Je veux que tu me fasses l’amour.
Auparavant, je n’avais pas couché avec lui par peur de l’avenir et des conséquences. Je n’étais pas
certaine de vivre assez longtemps pour apprécier le premier, alors pourquoi m’embêter avec les
conséquences ?
Interdit, il a arqué les sourcils.
— Que veux-tu de moi ? ai-je demandé.
Lorsqu’il a empoigné l’encolure de mon tee-shirt trempé, j’en ai eu le souffle coupé.
— Je veux ce qui m’appartient.
Il a déchiré le tissu d’un coup sec. Nue, je tremblais.
Pendant qu’il me dévorait du regard, un gémissement anxieux s’est échappé de mes lèvres.
Sevastyan me regardait comme si je représentais la différence entre la vie et la mort. J’ai posé les
mains sur ses étoiles tatouées, il a pris mon visage entre ses mains. Nous sommes restés un instant front
contre front.
Quand il m’a enfin embrassée, j’ai ouvert la bouche, et savouré son baiser les yeux fermés. Je
raffolais de son goût, je désirais m’imprégner de la chaleur de sa bouche.
Comme toujours, j’étais frappée par ses contradictions. Il était tendre et charnel. Ses pensées
restaient un mystère, mais son corps trahissait sa retenue : ses muscles contractés, son souffle court, ses
mains tremblantes.
Gémissant, il a léché ma langue comme pour m’annoncer des baisers plus intenses. Me dire qu’il
allait prendre possession de cette partie de moi, et que le reste de mon corps suivrait.
Qu’il allait me conquérir.
Et quand j’ai succombé, il m’a dégustée comme s’il suffoquait et que j’étais l’oxygène le plus pur.
28

Sevastyan m’embrassait jusqu’à m’étourdir, alanguie contre son corps ferme. Je me suis agrippée à
lui lorsqu’il a remonté mon genou contre sa hanche.
Son sexe vibrait contre mon ventre à la façon de mes joujoux, et je mouillais dans l’attente de
l’accueillir.
De sa main libre, il a saisi mon sein puis il a léché sa pointe raidie. J’ai gémi lorsqu’il l’a prise entre
ses lèvres, sans cesser de la taquiner avec sa langue, décuplant la tension dans mon bas-ventre. Il a cajolé
mon autre sein, léchant et suçant, mes deux tétons irrités se tendant pour le réclamer.
Sa main est descendue pour prendre mon intimité en coupe. Il a insinué son majeur entre mes lèvres
écartées, m’arrachant un gémissement.
— Oui, oui…
Quand il a senti que j’étais toute mouillée, un râle a jailli de son torse, puis un deuxième doigt a forcé
le passage.
Il a aspiré ces doigts dans sa bouche. Paupières baissées, il a suçoté mon liquide. Ses doigts ont
replongé en moi, et il a encore sucé. Il me buvait goutte par goutte.
Sentir ses doigts m’emplir puis le vide me torturait.
— Viens, Sevastyan, s’il te plaît…
Il les a enfoncés davantage.
— Tu as besoin de ça.
Il a poursuivi ce va-et-vient jusqu’à ce que je griffe ses épaules.
Étourdie, je me sentais délirante. Je luttais pour lui faire perdre son sang-froid, de la même manière
que j’étais sur le point de céder. Mes mains parcouraient son corps mouillé, mes doigts exploraient
tendrement ses muscles sublimes.
Descendant un peu, mon pouce a frôlé ses tétons plats, suscitant une brève inspiration. Puis mes
ongles ont suivi la bande de poils drus menant au trésor, et sa main s’est crispée autour de mon genou.
J’ai atteint sa verge.
— Vas-y, a-t-il ordonné dans un râle.
J’ai tendu mes hanches vers sa hampe tout en la guidant vers mon entrée. Quand nos sexes se sont
rencontrés, il a ravalé un juron, et trembloté dans ma main. Haletant, j’ai passé son extrémité le long de
mes lèvres gonflées, frémissantes d’impatience.
— Toute mouillée, prête pour moi, a-t-il grondé.
Pendant que je frottais le dôme de sa hampe sur mon clitoris, son corps trépignait de besoin.
— Arrête de me chauffer. Ça fait trop longtemps.
Il a posé la main sur la mienne, a guidé l’extrémité de son pénis à l’orée de mon sexe, et a pressé
légèrement.
Dès que j’ai réalisé que j’allais perdre ma virginité, l’inquiétude m’a assaillie. Il était beaucoup plus
gros que tout ce qui m’avait pénétrée. Ça va faire mal.
Il a écarté nos mains puis s’est enfoncé plus en avant, son gland m’écartant lentement. Ses lèvres,
affamées et insistantes, ont absorbé mon cri muet, tandis qu’il m’emplissait peu à peu. À chaque
centimètre, il m’étirait un peu plus. Jusqu’où pouvais-je le supporter ?
Sensible à mon élan de panique, il s’est retiré. Il m’a couvée du regard en cherchant à deviner ma
réaction. Même s’il n’y avait plus d’eau chaude depuis un moment, je me suis mise à transpirer. Il était
trop gros, mes parois me brûlaient. Je me suis hissée sur la pointe des pieds pour gagner du temps.
Il a secoué la tête lentement.
— Prends-le.
Il m’a maintenue fermement par la hanche. J’ai rassemblé mon courage et me suis détendue.
— Ma gentille amante, a-t-il murmuré en reprenant la capture inévitable de mon sexe.
La douleur, malgré la taille de son membre, était supportable. Quand j’ai atteint mes limites, il s’est
de nouveau immobilisé. Je sentais son désir fou, son impatience de me pilonner sans répit, mais il
parvenait à contrôler ses assauts les plus bestiaux.
Au point que les muscles de son cou se tendaient et tremblaient sous l’effort.
Au point que sa hampe pulsait dans mon vagin à chaque battement de cœur.
— Moya, a-t-il grommelé d’une voix éraillée.
Mienne. En cet instant, je l’étais entièrement. J’étais unie à lui, empalée, sans aucune échappatoire. Je
dansais au bord du cratère d’un volcan prêt à cracher sa lave, devant un barrage sur le point de céder.
— Moya.
Il a écarté ses hanches et les a ramenées vers moi. La douleur s’est estompée, aussitôt remplacée par
une légère sensation incroyable…
Il a recommencé.
Émerveillée, mes yeux se sont fermés. L’extase. La plénitude. La connexion. Au petit mouvement
suivant, j’ai respiré.
— Oh, mon Dieu.
— Tu aimes ça, mon chou.
J’adorais.
— Je ne savais pas…
Mes mains se sont détendues autour de ses épaules, descendant couvrir son dos sculpté de caresses.
— Ma femme est trempée.
Quand il a roulé des hanches, j’ai enfoncé les ongles dans ses fesses fermes. J’ai commencé à onduler
à son rythme.
— Tu en veux encore ?
— Oui, oh, oui !
Il m’a soulevée d’un bras.
— Enroule les jambes autour de ma taille.
Une fois installée, il a tenu mes fesses à deux mains, me forçant à m’empaler sur son érection inondée
de miel. Sa hampe me pénétrait différemment. Les yeux écarquillés, j’ai accusé un pincement passager
puis le plaisir a grimpé en flèche.
— Abandonne-toi, Natalya.
Dans un cri, j’ai cédé. J’étais à lui sans aucune réserve. Ses yeux dorés surveillaient mon
émerveillement alors qu’il prolongeait l’exploration, son érection s’épaississant davantage. Quand mes
seins ont frotté contre son torse, j’ai serré les bras autour de lui pour mieux le sentir.
Il était en moi, mais je voulais qu’il m’enveloppe entièrement.
Son corps tatoué possédait le mien, contrôlait mon plaisir, l’intensifiait de toutes les manières
possibles. Le marbre du mur intact était lisse contre mon dos. Je glissais le long de ce mur, son sexe
vibrant glissait entre mes parois.
Je me rapprochais déjà de l’orgasme.
— Tu me serres tellement fort, c’est trempé et chaud… tu vas me voler mon sperme avant que je sois
prêt.
Était-il aussi près que moi de jouir ? Même dans cette position, j’ai commencé à répondre à ses
coups de reins, me tortillant autour de son pénis, frottant mon clitoris excité contre lui.
Il a serré les dents.
— Arrête, milaya, ou je vais jouir.
Impossible, j’étais sur ma lancée. Nous l’étions tous les deux. J’ai pressé les jambes autour de sa
taille afin de rebondir plus vite, plus fort. L’eau s’accumulait au point de rencontre de nos corps, mes
mouvements enfiévrés projetant des éclaboussures.
Il a écarté les doigts sur mes fesses.
— J’ai dit… arrête.
Il me maintenait d’une main ferme, mais son emprise redoublait mon excitation.
— Oh, mon Dieu, mon Dieu ! ai-je haleté.
— Gémis pour moi, mon chou. Je raffole de tes petits cris.
Mes gémissements sont devenus des cris alors que l’orgasme me happait.
— Sevastyan !
— Je veux te sentir jouir fort. Fais couler ma semence.
J’ai basculé dans l’extase, mes parois pressant son membre. Dans un hurlement, il s’est figé. Je
savais qu’il me sentait tremper son pénis à chaque contraction, exigeant qu’il me donne tout.
Immobile, il laissait les spasmes me submerger par vagues tandis que je répétais son nom, ma tête
roulant de droite à gauche.
Il a empoigné mes cheveux pour me forcer à le regarder.
— Ty moya, a-t-il soufflé.
Tu es à moi.
La tête rejetée en arrière, il a poussé un cri en éjaculant. Les jets m’inondaient comme une marée
brûlante. Alors il a donné des coups de boutoir pour prolonger sa jouissance, la libération lui arrachant
des cris.
Ensuite, il m’a serrée si fort que c’en était douloureux. J’en avais besoin, je voulais qu’il renforce
son étreinte. Nous sommes restés ainsi un long moment, le cœur battant, ondulant doucement du bassin. Le
temps était suspendu. Quand l’eau est devenue trop froide, il m’a portée hors de la douche, un bras sous
mes fesses, son érection se relâchant dans mon vagin.
N’avais-je jamais rêvé qu’il m’emmène au lit, toute mouillée ? Sans séparer nos corps, il s’est assis
au bord en me tenant sur ses genoux. Il m’a embrassée dans le cou, cajolant la peau frémissante d’une
manière qui me faisait fondre. Il a mordillé ma lèvre, l’a sucée tendrement.
Quand il a baissé la tête pour lécher les gouttes sur mes mamelons dressés, je me suis cambrée en
criant, étourdie par la sensation de son sexe qui durcissait de nouveau en moi.
Il m’a soulevée, et m’a positionnée dos à lui.
— Je veux mieux te voir.
Il s’est caressé pour m’empaler une nouvelle fois.
— Me… me voir ?
Il a calé ses jambes entre les miennes, m’écartant avec ses genoux.
— Regarde-toi.
J’ai levé les yeux. Nos corps mouillés se reflétaient dans le miroir devant nous – comme si deux
autres personnes étaient présentes dans la chambre.
— N’importe quel homme tuerait pour toi.
J’avais les joues en feu, le regard brillant de passion. Derrière moi, il semblait encore plus imposant,
tandis que j’apparaissais blanche, petite, voluptueuse. La teinte foncée de son sexe ressortait sur ma chair
rose qui l’aspirait avidement.
Lorsqu’il a pris mes seins, j’ai regardé ses mains massives sur ma peau laiteuse, le chiffon noué
autour de son bras à l’aspect sculptural. Il ressemblait à un dieu ténébreux, à un guerrier après un combat.
C’est ce qu’il était.
Il m’a soulevée de manière à révéler sa hampe veinée luisante de mon orgasme et de sa semence. Une
goutte a coulé de ma vulve.
— Tu vois mon sperme en toi ?
— Oui, je le vois.
Son essence chaude et riche. La preuve de nos actes. Prise de tremblements, j’ai gémi. Dans le
miroir, j’ai regardé mes seins rebondir en rythme avec ma respiration saccadée.
— Je n’ai jamais joui dans une autre, a-t-il soufflé dans le creux de mon cou.
Comment ça ? Jamais ? Parce qu’il s’était protégé, probablement.
— Tu le sens à l’intérieur ?
J’ai hoché la tête.
— C’est très chaud, brûlant. Ça me donne envie de plus.
Il a tourné mon visage pour que nous nous regardions dans le miroir, que je le voie me regarder. Il me
couvait d’un regard vainqueur. Son regard était… sinistre.
— En un sens, je t’ai marquée.
J’ai frissonné à cette idée. Je m’étais attendue à souffrir, à subir sa violence, sous la douche et encore
maintenant. Il m’avait fouetté les seins, fessé si fort que les douleurs avaient duré jusqu’au lendemain. Le
souvenir de ces délicieuses tortures m’a fait mouiller.
Toutefois, cet assaut impitoyable de mes cinq sens était tout autant la démonstration de sa domination.
Il se contrôlait, me contrôlait.
— Tu es à ta place.
— À ma place ? ai-je murmuré.
— Contre moi (il a mordillé mon cou), autour de moi. Unie à moi.
La connexion.
— Oui, oui.
Il me tenait par la gorge.
— Tu m’appartiens.
Son autre main s’est faufilée jusqu’à mon clitoris humide.
Le souffle coupé, j’ai écarté les jambes, prête à perdre de nouveau la tête.
— Je t’avais dit que si j’étais ton premier amant, je serais aussi le dernier, m’a-t-il rappelé en me
massant par petits cercles. Je t’avais dit que je tuerais celui qui oserait toucher ce qui m’appartient. Tu
me comprends ?
Malgré la confusion, j’ai éprouvé une certaine réticence. Je comprenais qu’il souhaitait me posséder.
Furieusement, brutalement. Mais pour combien de temps ? À quel point ?
Que restera-t-il de moi quand il aura eu son compte ?
Comme j’hésitais, il a brusquement sorti son sexe de mon entrejambe. Je restais seule, perdue.
— Quoi ? Pourquoi ? ai-je bredouillé, envahie par une sensation de vide.
Il m’a positionnée sur ses genoux, son érection devant mon mont de Vénus. Il se dressait comme une
idole à vénérer, me faisant saliver et onduler des hanches. Sans pouvoir me retenir, j’ai frotté mon sexe
contre son membre trempé.
— Prends-le dans ta main.
Je l’ai fait.
— Caresse-le. Apprends. Mon sexe est le seul dont tu n’auras jamais besoin – le seul que tu ne
connaîtras jamais.
Captivée, je l’ai pris à deux mains, le masturbant devant le miroir.
— Oh, Sevastyan…
— Si tu le veux, supplie-moi.
Je l’ai pressé dans mes poings.
— S’il te plaît, donne-moi ton sexe.
— Pourquoi ?
Pourquoi ? Franchement…
— J’ai l’impression que je mourrais sans lui.
— Dis-moi à qui appartient ton corps exquis ?
Appartient ? En cet instant, il était réellement à lui, il en faisait tout ce qu’il voulait. Il m’a soulevée,
m’a guidée au-dessus de sa hampe, n’enfonçant que le bout. J’ai gémi, me tortillant tandis qu’il retenait ce
que je désirais ardemment. Très bien !
— Il t’appartient.
— Qui est ton maître ? a-t-il demandé, augmentant la mise.
Une fois de plus, il me forçait à me soumettre encore plus.
Pourtant, résister semblait… impensable. Comme résister à l’inéluctable ?
— Tu es mon maître, ai-je murmuré.
— Bien.
Une lueur triomphante a brillé dans ses yeux. Satisfait, il a enfoncé les talons dans le sol et a poussé
son bassin à ma rencontre.
— Sevastyan ! ai-je crié.
Sans ralentir, il semblait avoir atteint les limites de sa grande maîtrise de soi.
Pris de frénésie, il s’est mis à me pilonner sauvagement. Dans le miroir, je voyais ses yeux rivés sur
mes seins. Son membre luisant disparaissait, englouti par mon sexe avide. Il allait de nouveau m’inonder
de sa semence.
Mes orteils se sont enroulés. Prise de frissons, j’ai gémi. Plus fort, plus loin…
La jouissance.
Arc-boutée, j’ai hurlé en m’abandonnant aux sensations que je ressentais.
Il a tiré sur mes cheveux pour dégager mon cou, le mordre durement et gronder férocement.
— Ty svodish’ menya s uma !
Tu me rends fou !
J’ai senti sa verge frémir, puis un flot brûlant… des jets successifs tandis que je gémissais son nom –
d’une voix chargée de soumission.

Après que je me suis écroulée dans ses bras, alanguie et comblée, Sevastyan m’a gardée contre lui. Il
a profité de l’occasion pour soulager la morsure dans mon cou d’un tendre baiser.
Son sexe a rapidement durci à nouveau. J’étais épuisée, mais le sentir gonfler en moi une nouvelle
fois m’excitait tant que j’étais prête à recommencer.
Pourtant, il m’a soulevée de manière à dégager sa hampe, et à m’allonger sur le lit.
— Je ne veux pas te faire mal. J’avais oublié que c’était ta première fois.
Je sentais déjà les premières douleurs. Mieux valait faire une pause.
Il s’est allongé sur le dos, m’attirant à côté de lui. Nichée dans ses bras, j’ai posé la tête sur son
torse. Son cœur battant contre mon oreille, j’ai retracé son tatouage, fascinée par cet homme. Toutefois,
j’étais troublée.
J’avais imaginé offrir quelque chose au moment de perdre ma virginité. Avec Aleksandr Sevastyan,
je craignais d’avoir tout cédé.
Mais la fatigue me rattrapait.
— J’ai l’esprit traversé par mille pensées, a-t-il grommelé d’une voix endormie.
Il initiait une conversation ? Il confiait ses pensées ?
— Dis-moi-en au moins une.
— Demain, peut-être, a-t-il prudemment répondu. Dors.
— Rien qu’une.
Il a poussé un soupir.
— Mon besoin de toi… il doit te déconcerter.
J’ai dégluti. C’était vrai.
— Pourquoi ? ai-je cependant demandé.
Il a posé la main sur la mienne, examiné nos mains pendant un moment angoissant.
— Parce que même moi, ça me perturbe.
29

Je me suis redressée d’un coup, réveillée par mon cri et par le bruit de pas lourds se rapprochant de
la cabine.
— Natalie ?
J’étais à bord d’un bateau. Juste un cauchemar.
Dans mon sommeil, j’avais revécu les rafales de balles. Entendu les horloges chères à Paxán
exploser, songeant que leur perte le bouleverserait.
Puis j’avais rêvé que Sevastyan était mort près du hangar à bateaux, son corps imposant à terre. La
pluie martelait son visage inanimé, son regard fixe…
Lorsqu’il a surgi dans la cabine, je gémissais agenouillée, la main tendue vers lui.
Il m’a serrée dans ses bras, m’a prise sur ses genoux tout en se laissant tomber sur le lit.
— Je suis là, a-t-il murmuré en me pressant contre son torse. Chut, milaya moya.
Il m’a frotté le dos de sa grande main chaude pour m’apaiser. J’avais besoin de lui ; de sa force, de
sa chaleur.
Dans ses bras, bercée par les battements de son cœur, je me suis demandé comment j’avais pu le
trouver sinistre.
Quand il devenait tendre, je ne trouvais plus de raison de regretter mon cadeau de la nuit. Tandis
qu’il couvrait mes cheveux de baisers, je me sentais plus proche de lui que de quiconque.
Comment avais-je pu regretter de lui donner tout ce que je pouvais… Des voix, au-dehors, m’ont
extirpée de ma torpeur.
— Où sommes-nous ? ai-je demandé.
— Amarrés près de Saint-Pétersbourg. (Il a renforcé son étreinte.) Tu veux m’en parler ?
Inutile de demander si j’avais rêvé.
— J’ai… tout revécu, ai-je dit d’une voix étranglée. Et tu étais mort.
— Je suis là, Natalie. Tu as traversé des épreuves difficiles. Tu n’étais pas préparée à ces horreurs.
— J’ai senti que Filip allait mal, mais j’ai ignoré mon instinct. J’aurais dû en parler.
Sevastyan a secoué la tête.
— J’ai partagé mes craintes avec Paxán mais c’était un ami très fidèle. Il avait l’impression d’avoir
des dettes envers Filip, il n’écoutait pas mes conseils. J’aurais dû insister, lui faire entendre raison.
J’ai eu un rire amer.
— Nous nous en voulons, alors que c’est Filip qui est à blâmer. Ou Travkin.
Sevastyan a murmuré dans un souffle :
— Je voudrais assassiner Travkin une deuxième fois.
— Pourquoi es-tu allé l’abattre dans son repaire ? Pourquoi ne pas avoir attendu ?
— Dès qu’il a mis ta tête à prix, il s’est condamné. Personne ne te fera jamais de mal. Personne…
Sa main s’est immobilisée dans mon dos. Il s’est crispé tout autour de moi.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Suivant son regard, j’ai vu mon reflet dans le miroir de la commode. Des hématomes de la forme de
ses doigts marquaient ma hanche et mes fesses.
— Je t’ai fait ça ? a-t-il demandé d’une voix rauque.
Dans ses yeux, j’ai vu une lueur inédite. De la peur.
Tout ce qui pouvait l’effrayer, c’était lui-même.
Il m’a délicatement posée sur le lit, et s’est levé.
— Je t’ai fait des bleus, a-t-il dit, anéanti.
J’ai tenté de le rassurer.
— C’est rien. Ma peau marque facilement. Et puis c’est dans la nature de la bête, non ? Ce n’est pas
la première fois que ça doit t’arriver.
Après tout, il avait fouetté et ligoté des femmes avant moi.
En lutte contre ses émotions, il ne s’est pas détendu.
— Non, pas de ma main.
Parce qu’il n’avait jamais passé deux nuits avec la même femme ? Quand Paxán m’avait dit ça,
j’avais cru qu’il exagérait. Mais il était probable qu’il ne soit jamais resté jusqu’au matin.
Je l’ai senti s’éloigner.
— Je vais très bien. Tu aimes bien que j’aie mal aux fesses, lui ai-je rappelé. En quoi est-ce
différent ?
— C’est autre chose, maintenant.
Il m’a tendu un peignoir.
— Maintenant que quoi ? ai-je insisté, piquée par la curiosité.
— Nous en parlerons plus tard. Une longue journée nous attend.
Il évitait mon regard, se renfermait comme une huître. Maintenant que nous avions fait l’amour, je
m’attendais à passer à une nouvelle étape de notre relation. À communiquer. Mais nous n’avions pas
progressé d’un pas.
— Dans le banya, tu ne voulais pas que je me réveille. Et toi ? Tu reprends tes distances et j’ignore
pourquoi.
— J’ai quelque chose pour toi. (Il a sorti une enveloppe de la poche de sa veste et me l’a donnée.)
C’était dans la cabine de Paxán, dans son coffre-fort.
Le dos était scellé à la cire rouge. J’ai reconnu son écriture élégante sur le devant.
Pour ma fille.

Il m’avait dit qu’il ne se lasserait jamais de prononcer ce mot.


— Lis-la, et prépare tes bagages pour cinq nuits. Nous partons bientôt. Je te laisse lire tranquille.
J’ai déchiré l’enveloppe dès que je me suis retrouvée seule.
Ma très chère Natalie,
Si tu lis cette lettre, c’est que je n’ai pas eu de chance.

Dans ces quelques mots, j’entendais son ton ironique, je l’imaginais les écrire en soupirant.
Néanmoins, tu es avec Aleksandr, et cette idée me console. Il pourrait mourir pour toi.

Il avait failli.
Aussi loyal soit-il, il y a des parts d’ombre en lui. Depuis son premier hiver à Berezka, il n’a jamais parlé de son enfance,
mais je sais qu’elle a été atroce. Je ne l’ai jamais poussé à se confier parce que je sentais qu’il tenait à tourner la page.
C’était une erreur de ma part.
Dorogaya, il est aussi complexe qu’une horloge, avec un mécanisme brisé au fond de lui. Il porte aussi des cicatrices à
l’intérieur, et tant qu’il ne fera pas assez confiance à quelqu’un pour révéler son passé, il ne sera jamais complet. Incite-le à
partager ses fardeaux avec toi.

Comment ? Si Sevastyan n’avait toujours pas appris à s’ouvrir jusqu’à maintenant… Non pas que je
m’attendais à ce qu’il sache s’y prendre. Depuis l’âge de treize ans, il vivait dans un monde d’hommes,
au milieu d’armes et de criminels. Et qui savait ce qu’il avait vécu avant cela…
Tu es une femme riche à présent. Quand tu seras en sécurité, visite le monde entier et réalise tes rêves.
J’espère de tout mon cœur qu’Aleksandr et toi réussirez à bâtir un avenir commun sur des fondations solides. Mais si vous
n’y parvenez pas, ma courageuse fille, poursuis ton chemin. La vie est trop courte. C’est un homme averti qui te le dit.

Je voyais flou à cause des larmes, mais son humour noir imprégnait chaque mot. Plus jamais, nous ne
rigolerions ensemble.
Tu es la plus grande surprise de ma vie, et mon trésor le plus précieux. J’ai passé trop peu de temps avec toi. Je n’en
aurais jamais eu assez.

Avec tout mon amour,
Bátja

Les yeux embués de larmes, j’ai relu plusieurs fois la lettre, jusqu’à ce qu’elle devienne comme une
mélodie, puis je l’ai rangée dans la poche intérieure de ma valise. Tout en préparant mes bagages, j’ai
réfléchi à son conseil.
Je n’avais jamais cru aux femmes qui jouent les infirmières et tentent de changer les hommes. Dans
mon esprit, il y avait suffisamment d’hommes disponibles, et il valait mieux en chercher un en bon état.
Toutefois, pour encourager Sevastyan à se confier, je n’étais pas obligée de le changer. Le mieux était
d’apprendre à le connaître. Une sorte d’enquête savante.
Notre relation nécessitait des améliorations, et ce n’était pas dans mon tempérament de baisser les
bras.
Voulais-je être avec lui au point de me battre ? Oui. Je le souhaitais depuis notre première rencontre.
Il fallait que j’essaie.
Je suis sortie de la cabine au moment où il raccrochait le téléphone. En conversation avec la même
personne qu’hier soir ?
— Ça va ?
Sa façon de faire référence à la lettre.
— Oui. Paxán m’a écrit un bel adieu.
Il a hoché la tête.
— Je viens d’apprendre que la situation s’arrange. La nouvelle de l’annulation de la prime s’est
répandue, et Berezka est de nouveau sécurisée. Ton père sera enterré dans deux semaines.
— Je vois. (Une boule dans la gorge, j’ai avalé ma salive.) Nous rentrons ?
— Pas encore. J’ai loué une voiture. Nous allons au sud de Paris. Il y a une propriété sécurisée dans
la ville.
— Mais si le danger s’estompe…
— Je suis certain que le danger est retombé, mais pas assez pour risquer ta vie.
— De qui proviennent les nouvelles ? D’un adjoint ?
— D’un certain Maksim.
Ce nom m’était familier.
— Comment tu le connais ? (Il n’a pas répondu.) Laisse-moi deviner. Tu l’as rencontré dans le nord.
Par hasard.
— En quelque sorte, a-t-il répondu en faisant furieusement tourner sa bague de pouce.
Comme le Sibérien obscur qu’il était.
— Je le connais depuis toujours. J’ai confiance en lui, jusqu’à un certain point, du moins.
Il a continué à triturer sa fichue bague.
— Mouais.
Je n’avais pas le sentiment qu’il mentait ouvertement, mais il contournait la vérité. Dans l’immédiat,
j’étais trop lasse pour insister. Aussi, j’ai été soulagée qu’il aille chercher mon bagage.
Nous avons récupéré la voiture, une berline Mercedes semblable à la sienne. Avant de démarrer,
Sevastyan a marqué une pause. Sans me regarder, il a pressé le levier de vitesse, frotté sa paume sur le
volant. Puis il s’est décidé à parler.
— Un homme bien conclurait que tu étais confuse hier soir, traumatisée, et que tu n’étais pas
responsable de tes actes. Un homme bien te renverrait à ta vie d’avant, maintenant que tout a changé.
— Mais tu ne te considères pas comme un homme bien ?
Il m’a fait face.
— Pas le moins du monde, mon chou.
Cette réponse ressemblait autant à une promesse qu’à une menace.
Que répondre à ça ? Globalement, il déclarait qu’en bon égoïste, il ne me laisserait jamais partir. Il
me l’avait répété durant la nuit, pendant qu’il s’occupait divinement bien de moi.
Dans l’immédiat, je préférais en rester là. La lettre de Paxán avait confirmé mes pressentiments. Je
devais en apprendre plus sur Sevastyan.
Toutefois, qu’étais-je prête à faire pour y parvenir ?
Il a démarré. Tandis que nous roulions, j’ai tourné les yeux vers lui, consciente d’être en route vers
l’inconnu. Le voyage, l’homme. Sur les deux plans, j’étais spectatrice. J’attendais que Sevastyan change
de vitesse, mette le clignotant pour annoncer qu’il me manifesterait un peu de confiance.

Et pendant tout ce temps, les feux de détresse clignotaient…
30

— Incroyable, ai-je soufflé en admirant Paris depuis le balcon couvert de la maison de Sevastyan.
Sa « propriété sécurisée » était une demeure de quatre étages du début du XIXe siècle, avec une vue
idéale sur la tour Eiffel, l’apogée de tous mes rêves de voyage. Elle s’élevait, la pointe disparaissant
sous des nuages bas.
— Content que ça te plaise, a-t-il dit du vaste salon.
Si Berezka était somptueuse, cette résidence l’était presque tout autant, en plus moderne. Assis devant
un feu de cheminée, il m’a servi un verre de vin.
J’ai laissé échapper un soupir devant l’élégance de son costume trois-pièces qui lui allait à la
perfection. Je me réjouissais de m’être bien habillée. Ce matin, quand j’avais appris que Paris n’était
plus qu’à quelques heures de route, j’avais troqué ma tenue confortable contre des bas, des petits talons,
une jupe crayon et un chemisier cintré en soie prune.
Nous avions passé ces cinq derniers jours à rouler vers Paris, l’occasion de découvrir le sud de la
Russie, la Pologne, l’Allemagne et le nord de la France.
Le soir, nous descendions dans de beaux hôtels, et faisions l’amour pendant la moitié de nos courtes
nuits. S’il m’aimait sans répit, il me traitait comme une poupée de porcelaine.
Au cours de ces jours, j’avais découvert de nouvelles contradictions. Il s’y connaissait en vin, me
faisant goûter des bouteilles rares, mais sans jamais boire avec moi. Quand nous dînions dans de grands
restaurants, ses manières de table étaient impeccables et il se comportait en véritable gentleman – avec un
revolver à la ceinture.
En plus du russe, de l’anglais et de l’italien, il parlait couramment le français, et se débrouillait en
allemand – mais j’échouais à le faire parler de sujets importants.
Il refusait de s’ouvrir. Plus nous nous éloignions de la Russie, plus il était distant avec moi. Je
commençais à comprendre que Paxán avait raison : un mécanisme interne était brisé.
Notre chagrin nous avait rapprochés. En fait, nous évitions de mentionner Paxán et Berezka.
Il est venu m’apporter mon verre de vin sur le balcon.
— Cette maison t’appartient ? ai-je demandé.
— Je l’ai achetée à un prince saoudien.
Ça expliquait pourquoi elle était sécurisée et dotée d’une entrée privée. Un gardien et des
domestiques vivaient sur place.
— Ça ne doit pas être donné.
— J’ai de l’argent, milaya, a-t-il répondu avec une pointe d’amusement.
C’était pour cela que Paxán m’avait tout légué ?
Au début du voyage, Sevastyan m’avait dit qu’une fois que les choses se seraient tassées, nous
devrions aborder la question de mon héritage, mais je n’étais pas pressée. Dès lors, nous n’avions plus
évoqué l’argent ou les dépenses.
Il m’a rejointe devant la balustrade, situation qui m’a rappelé le jour où j’ai découvert Berezka de
mon balcon. Sauf que maintenant, Sevastyan n’était plus distant, au moins physiquement. Il m’a placée
devant lui, le dos contre son torse, et a enroulé les bras autour de moi. Le menton calé sur ma tête, il me
serrait fort.
— Quand l’as-tu achetée ? ai-je demandé.
— C’est assez récent.
Une autre réponse vague à classer avec les autres. Je me suis mordu la langue. Parfois, je la mordais
si fort qu’elle saignait.
Depuis la nuit sur le bateau, aucune évolution n’était à noter quant aux émotions – ou à l’intimité.
Il m’avait réclamée, possédée, complimentée dans des instants de plaisir indescriptible. Ensuite, il
me laissait explorer son corps comme il avait exploré le mien. Des nuits de découvertes stupéfiantes… Je
m’endormais en le caressant.
Mais il ne répondait jamais à ses besoins. Je surprenais son regard sur mes poignets – il avait besoin
de les ligoter. Il dorlotait et suçait mes seins, mais sans jamais les mordiller ou les pincer trop fort.
La veille, dans une station-service allemande, pendant qu’il était au téléphone – encore – j’en avais
profité pour filer à la boutique. J’avais acheté un magazine de bondage, rangé dans le présentoir à côté de
l’huile de moteur !
Dans la voiture, il avait demandé avec détachement.
— Qu’est-ce que tu as trouvé ?
Je l’avais ouvert sur une page que j’avais cornée, et j’avais montré l’une des images qui m’avaient
intéressée : une femme nue attachée par les poignets et les chevilles à ce qui devait être un chevalet de
sciage capitonné.
Elle portait des pinces à téton très affriolantes. On aurait dit que quelqu’un avait placé une baguette
de chef d’orchestre au-dessus et en dessous des pointes, et vissé les fines barres entre elles. Me
souvenant de sa façon de me pincer les seins dans le banya – et comme j’avais adoré ça – je voulais la
même chose. Rien que d’y penser, mes tétons se raidissaient.
Sevastyan avait observé l’image les yeux écarquillés, ses phalanges devenues blanches autour du
volant.
— Tu crois que tu as envie de ça ? m’avait-il demandé d’une voix rauque.
J’ai hoché la tête.
— Tu as de l’expérience dans ce domaine, non ?
— Assez pour nous deux. C’est pour ça que nous ne tomberons plus jamais aussi bas.
Aussi bas ?
— Tu dois savoir – puisque apparemment, tu es le seul amant que je n’aurais jamais – que je veux
tout essayer au moins une fois. Question de curiosité.
Il avait dégluti, la gorge nouée.
— Quoi, par exemple ?
J’avais pris un ton détaché.
— J’ai adoré que tu me fouettes avec le venik.
Quand les picotements s’étaient mus en brûlure, et la chaleur en extase.
— Allons plus loin, essayons une pagaie, ou ça.
Je lui avais posé une publicité pour un martinet sur les genoux.
La sueur avait perlé au-dessus de la lèvre de mon Sibérien.
— Ou ça.
Je lui avais montré la photo d’une femme nue et bâillonnée, attachée à un pilori. Derrière elle, un
homme habillé lui frappait l’entrejambe avec une dogging bat, sorte de marque-page terminé par des
lanières en cuir souple.
— Ça doit être… électrisant.
Sevastyan m’avait arraché le magazine des mains en jurant et l’avait lancé sur la banquette arrière.
Au lieu de se garer sur le bas-côté pour me dévorer, comme je l’avais cru, il avait refusé d’en parler. À
croire qu’il ne s’était rien passé.
Grosso modo, notre relation était rachitique sur le plan émotionnel, et en passe de devenir frustrante
sur le plan sexuel. Deux très gros obstacles…
Maintenant, devant les lumières scintillantes de la ville, il m’a tournée vers lui.
— À quoi penses-tu ?
— Au trajet en voiture. Au magazine.
Il m’a lâchée, s’est écarté de moi. Il a posé les bras sur la rambarde.
— Je refuse d’en discuter.
Je me suis renfrognée, pétrie d’agacement et de déception. Toutefois, si je me fiais à sa réaction dans
la voiture, je pouvais peut-être abattre sa résistance. L’amener à perdre son sang-froid. Pourquoi pas ?
Bien sûr, il y aurait un prix à payer. Étais-je prête à m’engager dans une relation BDSM avec lui ?
J’étais tentée, ne serait-ce que pour la définir.
À l’heure actuelle, tout était changeant, sans aucun équilibre. Or je découvrais que j’aimais la
stabilité. J’avais eu une enfance heureuse, dans une ferme avec des parents fiables et présents. J’avais
aimé trouver ma place dans une seule école. Naturellement, Sevastyan avait un passé différent, mais
j’avais besoin de plus…
— Parle d’autre chose, Natalie, sinon le silence va durer.
— Très bien. Parlons d’autre chose. Par exemple, de quelles façons tu as gagné autant d’argent ?
J’ignorais qu’il possédait une fortune personnelle, mais en tant que vor, c’était logique. Il avait donc
vécu à Berezka par choix, pour rester auprès de Paxán. Cette idée m’a serré le cœur.
— Tu ne veux pas me le dire ?
— Je… me suis battu.
Il est devenu silencieux. Sentant que ce n’était pas suffisant, il a repris.
— Quand j’étais gamin, je participais à des combats clandestins de la mafiya. Ça rapportait.
— J’imagine que tu as gagné beaucoup d’argent.
— Je n’ai pas perdu un seul combat, a-t-il dit presque avec regret, avant d’ajouter à voix basse : je
suis spécifiquement fait pour me battre, depuis toujours.
— Comment ça ? Forte densité osseuse ? Extrême résistance à la douleur ? ai-je avancé en me
souvenant que Paxán n’avait jamais vu personne supporter les coups comme Sevastyan, même à treize
ans.
Il a poursuivi, ignorant ma question.
— Il y a quelques années, j’ai pris conscience que je ne pouvais pas me battre toute ma vie. J’ai
proposé une idée de business à Paxán. Il m’a encouragé à utiliser mes gains pour développer mon
commerce.
— Quel genre d’affaires ?
— Une astuce pour importer de la vodka bon marché.
— La Russie n’est pas le pays de la vodka bon marché ?
— C’est beaucoup moins coûteux de l’acheter aux États-Unis, mais nos taxes sur l’alcool importé
sont très lourdes. J’ai trouvé une idée pour la faire passer à la douane.
— Laquelle ? ai-je demandé, fascinée.
— Ajouter du colorant alimentaire bleu clair. Ensuite nous avons étiqueté les tonneaux en tant que
liquide à essuie-glaces. Une fois en Russie, il suffisait de dissiper la couleur.
Je lui ai souri largement.
— Très malin.
Il a haussé les épaules, mais je voyais que mon jugement l’enchantait.
— Ça m’a rapporté des millions, et ce n’est pas fini, a-t-il dit modestement. (Il a expiré, le regard
perdu dans le vague.) J’aide à faire entrer de l’alcool bas de gamme dans le pays. Ironique.
— En quoi est-ce ironique ?
— On arrête les questions, a-t-il répondu en reportant son attention sur moi.
J’ai incliné la tête sur le côté. J’avais remporté une victoire : il ne m’avait jamais autant parlé de lui.
Devais-je le laisser tranquille ? Oui, venais-je de décider lorsque son visage s’est marqué de désir, un
air qui me faisait fondre.
— J’aimerais te montrer quelque chose.
Il m’a emmenée à l’étage, puis dans l’entrée d’une suite grandiose. Nos sacs étaient posés côte à côte.
— C’est notre chambre ?
Partager des chambres d’hôtel au cours d’un voyage, c’était normal, mais désormais, je vivais avec
un homme.
Chez lui.
— Ça ne te plaît pas ?
La chambre était décorée dans des tons sourds, bleu foncé et crème. La courtepointe de l’immense lit
était douillette mais raffinée, les murs tapissés avec goût.
Le mobilier combinait harmonieusement les notes masculines et féminines. Une commode
sophistiquée était réservée aux produits de beauté et aux bijoux – que je n’avais plus – et une ottomane en
cuir usée semblait provenir du salon d’un duc. Pourtant, l’ensemble était équilibré.
— C’est charmant. C’est ce que tu voulais me montrer ?
Il a secoué la tête, et m’a guidée vers la porte massive d’un bureau adjacent. À l’intérieur, un bureau,
un lit de camp, des placards, et plusieurs écrans reliés à des caméras de surveillance.
— Une pièce de survie ?
— Exactement.
Les images montraient toutes les parties de la maison.
— Toute la maison est sous surveillance ?
— Une caméra cachée donne sur l’extérieur aussi.
Sur les images, des Parisiens marchaient dans une petite rue, la plupart regardant directement la
caméra.
— J’ai accès à toutes les images sur mon téléphone.
Sevastyan a brandi son appareil, ouvert une appli et m’a fait une démonstration.
— Même quand je ne suis pas là, je peux veiller sur toi.
Me surveiller en permanence ?
— Les images sont enregistrées ? ai-je demandé sur un ton innocent, mais il avait deviné où je
voulais en venir.
— C’est faisable. On peut aussi les regarder en direct.
Il est allé chercher une télécommande dans la chambre. Un panneau a coulissé sur un immense mur
d’écrans.
Il a allumé un téléviseur sur une image nette de la chambre. La caméra devait être incrustée dans les
moulures face au lit.
Il a enlevé sa veste de costume, et est allé s’asseoir contre la tête de lit.
— Déshabille-toi.
Il a appuyé sur un bouton, divisant l’écran en deux images, une de la chambre et une de la rue. Les
passants semblaient être avec nous, le regard braqué sur la pièce.
— Déshabille-toi pour eux, a-t-il ordonné, le regard sombre.
Un jeu. Le premier depuis que nous couchions ensemble.
J’ai lâché mes cheveux, et secoué la tête pour les étaler sur mes épaules. Son regard a coulé sur ma
chevelure, suivi chaque boucle.
Avec nonchalance, j’ai déboutonné mon chemisier. Sa main est descendue vers son érection qui
tendait déjà son pantalon.
Je me suis retournée en ôtant mon haut, et dos à lui, j’ai ouvert ma jupe. Le bruit de sa braguette a fait
écho au mien. Je le voyais sur l’écran, les yeux fixés sur mes fesses pendant qu’il se caressait.
Il m’excitait comme personne. L’idée qu’il nous enregistre a redoublé mon excitation. J’avais perdu
toute ma timidité durant nos nuits d’amour, sous son regard enfiévré, ses gestes respectueux.
Il aimait mon corps et ne s’en cachait pas. Alors pourquoi me sentir intimidée ?
— Tu aimerais qu’ils te voient ? a-t-il demandé pendant que je me trémoussais pour enlever ma jupe.
— Peut-être.
J’ai ôté mon soutien-gorge.
— Ma petite exhibitionniste. Tu es voyeuse aussi ?
Sa voix suffisait à faire durcir la pointe de mes seins.
— Il y a des chances, ai-je répondu en songeant à mon addiction au porno.
— Garde tes talons et tes bas. Je vais te prendre comme ça.
J’ai frissonné et enlevé mon string, le dernier vêtement dont je sois autorisée à me défaire. Inspirée
par sa respiration saccadée, j’ai baissé le morceau de dentelle sur mes chevilles, et dégagé mes pieds.
— Retourne-toi, que je voie ce qui m’appartient, m’a-t-il exhortée.
Comme toujours, toute allusion à sa domination me faisait frémir. Je me suis retournée lentement. J’ai
exposé ma nudité, bien qu’il soit toujours habillé.
Il semblait subjugué. Emportée par son contentement, j’ai carré les épaules et me suis déhanchée.
— Ça te plaît, le Sibérien ?
— Tout ça rien que pour moi. Viens là.
Avec un sourire aguicheur, j’ai marché vers le lit, et l’ai rejoint à quatre pattes.
— Chevauche-moi.
J’ai calé les genoux de part et d’autre de ses hanches, les mains en appui sur la tête de lit. Mon sexe
se trouvait à la hauteur de son visage. Dans cette position, nous nous sommes longuement fixés. Son
expression me défiait de détourner le regard tandis qu’il passait la langue sur ma fente. Il a aspiré mon
clitoris dans sa bouche, me coupant le souffle.
Il a enfoui son visage entre mes cuisses, sans cacher qu’il me respirait. J’ai passé les doigts dans ses
cheveux ébouriffés, et mon bassin est allé à la rencontre de sa bouche sensuelle.
Il a léché mon bourgeon, l’a savouré jusqu’à la douleur. Nos gémissements se répondaient pendant
qu’il me mangeait bruyamment – léchant et suçant ouvertement au point de tremper entièrement mon
entrejambe.
J’ai senti une goutte couler le long de ma cuisse, jusqu’au bord en dentelle de mon bas. Dans un râle,
il a léché la dentelle et a fait grimper mon excitation en flèche. Il a rallongé le dos.
— Joue avec tes seins. Fais-les rouler entre tes mains.
Pendant que je les massais, il a écarté mes jambes, s’attardant sur mon bourgeon au point que mes
jambes tremblent et que mes orteils s’enroulent dans mes escarpins.
— Oh, Sevastyan, je vais jouir.
Au tout dernier moment, il s’est arrêté après un tendre baiser.
Confuse, j’ai baissé la tête.
— Mais… tu ne peux pas arrêter.
— C’est ce que je viens de faire pourtant, mon chou.
Il m’a allongée sur le lit, malgré mes protestations… qui ont cessé dès qu’il a commencé à se dévêtir.
Il a fait vite, comme s’il craignait de rater une seconde de plaisir.
Je l’admirais, hypnotisée par son corps animé, tout en muscles et en sauvagerie. Chaque creux et
renflement avait connu mes lèvres. Son bras écorché par la balle était presque guéri, une nouvelle preuve
de son courage à ajouter à ses nombreuses cicatrices.
Une autre marque à chérir.
Il s’est positionné entre mes jambes, dirigeant son membre vers mes boucles mouillées. Même après
toutes nos expériences, j’étais émerveillée dès que son gland plongeait entre mes lèvres. Conscient de la
taille de son pénis, il était délicat mais je n’avais que quelques jours d’expérience.
— Toujours mécontente ? a-t-il grommelé en s’enfonçant.
J’ai cambré le dos dans un soupir.
— Tout va bien.
Pendant qu’il me pénétrait, je m’agrippais au couvre-lit de part et d’autre de ma tête. Son regard est
passé de mes mains à mes yeux, pour revenir à mes mains. Quand il a étiré mes bras derrière ma tête,
poignets croisés, il a tenté de se contrôler mais j’ai senti sa hampe pulser.
— Ne te retiens pas, Sevastyan.
— Je ne me retiens pas.
— Tu n’as pas envie de me malmener ? Arrête de me donner du plaisir aux dépens du tien !
Il m’a regardée comme si j’étais folle.
— Tu crois que je ne prends pas de plaisir comme ça ? J’ai déjà envie de jouir !
— Alors brutalise-moi, j’en ai besoin.
— Tu ne sais pas ce que tu dis, a-t-il rétorqué en m’embrassant, déposant mon miel sur ma langue.
Il a caressé mes seins et baissé la main vers mon sexe. Son pouce a malaxé mon clitoris pendant que
je gémissais dans sa bouche.
Quand il a pris une inspiration, ma tête a roulé vers l’écran. Je le voyais d’en haut, savourant l’image
de son corps puissant déterminé à me combler. Son dos luisait de sueur, les muscles fermes de ses fesses
se contractant quand il plongeait entre mes cuisses. Je voyais sa hampe disparaître dans mon vagin, ses
lourds testicules se crisper.
Au contact de son torse sur mes mamelons, mon miel a coulé de mon sexe. Il a saisi mes fesses à deux
mains. Ses doigts les recouvraient entièrement, me tenaient à sa merci.
Au moment où je me suis demandé s’il sentait que je mouillais abondamment, il a murmuré :
— Tu es trempée. Ma femme avait besoin de sexe, hein ?
J’avais appris que le plaisir lui déliait la langue, et qu’il aimait que je lui réponde.
— J’en ai besoin depuis ce matin dans la voiture. Je n’ai pas cessé d’imaginer ce que tu ferais si je te
suçais en roulant.
Ses doigts se sont enfoncés dans mes fesses, son majeur frôlant mon anus. C’était bon. Il serait facile
de récolter mon miel s’il enfonçait ce doigt. Il a pressé plus fort, écarté mes fesses d’une manière qui m’a
propulsée vers l’abîme.
Alors que je l’imaginais s’aventurer entre mes fesses, sa verge pilonnant mon entrejambe, je me suis
tortillée pour attirer ses doigts.
— Arrête, mon chou. Tu me donnes des idées.
Dans les films pornos, les jeux anaux étaient toujours débridés. Songer qu’il devinait mes envies…
— Tu sais que je veux tout essayer…
— Tu veux que je te sodomise ? a-t-il soufflé.
Dit comme ça…
— D’accord !
— Ce n’est pas pour toi, ma belle. Je te ferais mal.
Avant j’étais une cochonne. Ou une gourmande. Maintenant sa tendresse me rendait folle.
J’en avais assez ! La frustration abattait toutes mes barrières.
— Je vais juste l’imaginer, alors. Fantasmer que tu m’obliges à me pencher sur le lit… les jambes
écartées ; que tu me relèves les fesses pour me préparer à ton sexe.
— Oh !
Déchaîné, il a plongé tout au fond de moi. Il avait furieusement besoin de sauvagerie – autant que
moi ! J’avais déjà prévu de le pousser à bout. Mais jusqu’où étais-je disposée à aller ?
— Mes bras seraient attachés dans mon dos, je serais bâillonnée, ai-je poursuivi d’une voix rauque.
Tu m’interdirais de bouger, tu m’ordonnerais de me détendre. (Plus je parlais, plus les mots me venaient
facilement.) Tu enfoncerais un doigt dans mes fesses, m’ouvrirais avec un deuxième.
— Bon dieu !
Une autre poussée brutale. Mes mots le propulsaient vers l’orgasme – et moi aussi. Le bagarreur
était-il enfin vaincu ?
— Tu étalerais du lubrifiant sur ton érection, sur ton gland gonflé, et je serais obligée de te laisser me
sodomiser.
Son souffle s’accélérait, son bassin se démenait.
— Tu serais toute serrée, brûlante.
Poussée par sa réponse, j’ai continué.
— J’aurais peur, j’essaierais de t’échapper…
— Je fouetterais tes belles courbes pour te forcer à te soumettre. Rien ne m’empêcherait d’enfoncer
ma queue à fond entre tes fesses.
J’ai gémi, craignant de jouir alors que je voulais prolonger le moment.
— Tu commencerais à bouger… je perdrais la tête… parce que c’est toi, et que tu me posséderais
entièrement.
— Tes adorables hurlements seraient étouffés par le bâillon.
— Mon Dieu, oh, mon Dieu.
Ses hanches glissantes de transpiration frottaient contre l’intérieur de mes cuisses, les poils de ses
jambes grattaient mes mollets, et toutes ces sensations se combinaient.
Je haletais, sur le point de jouir.
— Je libérerais mon sperme chaud en toi, je t’inonderais… pour que tu n’oublies jamais à qui tu
appartiens…
J’ai explosé en me cambrant. Frottant mes seins contre lui, j’ai succombé à l’extase en me serrant
autour de lui.
Je jouissais encore quand il a courbé le dos, soulevé son torse. Les muscles de ses bras et de son cou
se sont tendus pendant qu’il continuait de me pilonner. Sa puissance était impressionnante, autant que le
pouvoir qu’il avait sur moi.
— Natalya ! a-t-il crié en éjaculant.
Son membre a pulsé en projetant des jets de semence au fond de moi, en m’emplissant de son liquide
chaud.
Pour que je n’oublie jamais à qui j’appartiens.
Il s’est effondré sur moi, le corps parcouru par les derniers tremblements – pendant que j’étais de
nouveau remise à zéro.
À peine capable de bouger ou de réfléchir, j’ai promené mes ongles sur son dos humide tandis qu’il
semait des baisers dans mon cou.
J’avais perdu la notion du temps mais dès que j’ai retrouvé mes esprits, j’ai réfléchi à ce qui venait
de se produire, me demandant combien de temps son besoin resterait inassouvi. S’il ne satisfaisait pas
ses désirs les plus secrets avec moi, finirait-il par se tourner vers une autre femme ?
Et moi ?
Je n’avais jamais imaginé que l’on puisse jouir aussi fort et être autant déçue. Durant notre première
nuit ensemble, dans la cabine de l’avion, il m’avait dit que je n’étais pas censée être ainsi.
Mais je l’étais.
J’avais aussi des penchants particuliers. Maintenant, je me rendais compte que nous étions bien
assortis. Autrefois, il avait été l’homme de mes rêves, celui qui souhaitait m’éveiller.
Désormais, il était un mirage.

Plus tard dans la soirée, nous étions couchés sur le côté, face à face dans la pénombre.
Les portes-fenêtres ouvertes laissaient entrer les bruits de la vie nocturne parisienne. Le cuisinier
avait préparé un repas raffiné que nous avions dégusté au lit, entre deux élans sensuels.
J’ai retracé un tatouage sur son torse.
— Sevastyan, pourquoi es-tu aussi doux avec moi ?
Il a haussé les épaules.
— Il va me falloir une réponse verbale.
Mon ton a dû l’alerter.
— La plupart des femmes cherchent un homme tendre, non ?
— Et alors ?
— Très bien. Tu ne veux pas que je te dorlote ?
— Jusqu’à un certain point. Pas tout le temps. (J’ai pincé les lèvres.) C’est difficile à expliquer.
J’aimerais que tu sois comme au début, les trois premières fois. Que tu sois toi-même.
— Et si j’étais vraiment comme ça ?
— Je n’y crois pas, surtout après ce soir.
— Tous les couples fantasment et ils ne font pas tout ce qu’ils disent pour autant.
La barbe, il était fuyant.
— Pourquoi fantasmer sur ce qu’on peut avoir ?
Il m’a regardée dans les yeux.
— Je ne te ferai jamais de mal. Change de sujet.
Découragée, j’ai rapidement compris que c’était une excellente entrée en matière.
— Nouveau sujet : toi.
Il a soupiré.
— Tu sais que j’ai du mal à parler de moi.
— Probablement parce que tu n’essaies jamais. J’ai envie de te connaître, Sevastyan. Aussi bien que
tu me connais. Et ce n’est pas trop demander, dans ces circonstances.
Il a dégluti. Il s’était placé en bouclier pour me protéger contre des tirs. Il avait bravé les assauts de
Gleb et sécurisé notre fuite. Et il redoutait de s’ouvrir à moi ?
Comment lui faire comprendre que je ne le jugerai pas, que je ne détalerai pas en hurlant ?
— Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je suis plutôt ouverte d’esprit. J’aimerais que tu te confies.
— Pourquoi ?
— Parce que nous sommes ensemble. Et chaque secret partagé est une pierre qui renforce les
fondations de notre couple. Tiens, et si on commençait par des questions simples ? Quand tu ne veux pas
répondre, dis « je passe ».
— Vas-y, a-t-il brusquement répondu.
— Quelle est ta couleur préférée ?
— Avant c’était le bleu. (Il a enroulé une mèche de mes cheveux autour de son doigt.) Maintenant
c’est le rouge.
— Qu’aimes-tu lire ?
Il a répondu sans quitter mes boucles des yeux.
— Les essais historiques. Sur les femmes et le genre.
Rusé.
— As-tu fait de la prison ?
— Deux fois. Pas longtemps. Paxán m’a fait libérer assez rapidement.
Le chagrin a brièvement assombri son visage. Je me suis obligée à poursuivre.
— Les tatouages, sur tes genoux… tu es un vor ?
Il a lâché ma mèche de cheveux.
— Oui.
Pas d’explication, pas de révélation.
— Tu es le nouveau vor de l’organisation de Paxán maintenant ?
— Ça dépend. Je manque encore d’informations sur ce point.
Il recommençait à se fermer.
— Tu as des frères et sœurs ?
— Non.
— De la famille encore en vie ?
— Personne.
— Comment étaient tes parents ?
— Je passe.
— Es-tu disposé à me dire quoi que ce soit sur ton passé ? Tu sais, je n’ai pas besoin de savoir tout
ce que tu as fait dans ton métier, mais j’aimerais en savoir plus sur ton enfance.
— Pourquoi est-ce important pour toi ?
— Je suis historienne, Sevastyan. Je tiens à connaître ton histoire. (J’ai cherché une autre question.)
Quand as-tu découvert tes penchants particuliers ?
Il a haussé les épaules.
— C’est derrière moi.
— Ne dis pas ça, ai-je murmuré. Tu m’as éveillée à cet univers (j’ai tressailli) et maintenant je veux
plus. Je ne peux pas faire machine arrière, Sevastyan.
— Il le faudra bien puisque tu n’auras pas d’autre homme que moi.
Il reconstruisait ses barrières.
— Ne recommence pas à te fermer.
Il a passé un doigt sous mon menton, avec tendresse.
— Comment pourrais-je me refermer alors que je ne me suis pas ouvert ?
Pendant qu’il se levait pour se rhabiller, j’ai affronté la dure vérité : pour lui, se confier revenait à
sauter d’un pont. En fin de compte, je tombais amoureuse d’un homme qui ne m’ouvrirait jamais son
cœur.
31

La pression.
Elle m’accablait à Berezka, mais depuis une semaine, elle était devenue celle de deux personnes qui
se désirent même si elles ne se conviennent plus.
En réalité, il était différent au lit mais sur le plan émotionnel, il restait le même.
Je la sentais croître en lui et en moi. Devant nous, un précipice menaçant.
Une fois de plus, je passais la matinée seule à la maison. Deux heures plus tôt, Sevastyan était sorti
précipitamment, pour une destination secrète, après avoir reçu un message. Une réunion non expliquée
de plus.
Elles avaient lieu tous les jours, voire deux fois par jour. Je m’étais dit qu’il traitait à distance les
affaires du syndicat.
Après tout, une organisation de plusieurs millions de dollars avait récemment perdu son chef, et
Sevastyan croulait sous les responsabilités. Je pouvais supporter ses absences, mais les secrets
m’agaçaient. Quand me ferait-il confiance ?
Et s’il cherchait à me protéger ? Le déni était-il plausible ? Dans ce cas, je ne savais rien.
J’étais une étrangère qui épiait par la fenêtre, comme à Berezka.
Il m’avait emmenée visiter la ville deux ou trois fois, mais il était préoccupé, à l’affût de potentiels
dangers. Cependant, Paris était une ville merveilleuse, et j’avais pu découvrir les sites magiques que
j’avais cochés dans mon guide de voyage.
J’étais montée en haut de la tour Eiffel et de l’Arc de Triomphe. J’avais acheté des souvenirs sur les
Champs-Élysées.
Il avait beau dire que les menaces qui pesaient sur moi s’estompaient de jour en jour, il n’était pas
suffisamment rassuré pour me laisser sortir sans lui. Aussi, dès qu’il avait rendez-vous avec je ne sais
qui, j’étais coincée là.
Quand je l’avais informé que j’avais besoin d’un nouveau téléphone, il m’en avait rapporté un. Quand
j’avais voulu faire du shopping, il avait simplement recommandé l’essentiel de ce que j’avais laissé à
Berezka : les vêtements, les produits de beauté, les chaussures et, bien sûr, la lingerie.
Il avait même commencé à m’offrir des bijoux.
— C’est à moi de payer, non ? avais-je protesté.
— Tu crois que je n’ai pas les moyens de subvenir aux besoins de ma femme ? avait-il répondu,
crispé.
Bien que nous ayons une femme de ménage, un cuisinier, un chauffeur/majordome/concierge qui
pouvaient tout nous fournir, d’un nouveau patch contraceptif à mon parfum préféré de crème glacée, je
vivais dans une prison dorée.
Comme toujours, je regardais les images dans la pièce de survie, les passants vaquant à leurs
occupations quotidiennes. C’était ma pièce préférée. Je crois que j’aimais surtout espionner les gens.
J’imaginais leurs histoires, spéculais sur leurs conversations.
Ou alors je devenais folle.
Dans un gémissement, j’ai posé la tête entre mes mains. Ma vie dépendait d’un homme qui m’avait
donné un aperçu de ma véritable nature pour m’en priver aussitôt. Un homme qui ne se confiait pas à moi.
Un homme qui restait un inconnu.
Nous étions en deuil – chacun de notre côté – et vivions dans des mondes à part. Quand il était là, il
passait son temps au téléphone avec le mystérieux Maksim. J’avais surpris des phrases énigmatiques,
« Protège-la au prix de ta vie » ou « Elle est avec moi ».
Avec Jess, j’avais vidé mon sac et expliqué à quel point Paxán me manquait, même si Sevastyan était
le seul à pouvoir réellement comprendre. J’avais même parlé de Filip à mon amie. Son point de vue :
« S’il était toxique de son vivant, il le reste une fois mort. Je t’interdis de penser à lui. Tu as de la chance
d’être encore en vie. »
Ce n’était pas de la chance, c’était grâce à Sevastyan.
Jess avait laissé éclater sa joie en apprenant que nous couchions ensemble.
« Tu t’es débarrassée de ta verrue ! Tu viens d’entrer dans la partie la plus amusante de ta vie. »
Amusante ? Pas vraiment. Si Sevastyan et moi voulions une relation viable, nous avions des efforts à
faire. Mais lorsque j’abordais son passé ou ses pensées ou, pis encore, ses sentiments, il devenait muet.
Aucune véritable intimité. Aucun pas vers le partage.
De plus, si je continuais de prendre du plaisir dans ses bras, j’étais de moins en moins satisfaite. Il
redoutait de me faire mal ou de me laisser des marques, et les limites qu’il s’imposait le mécontentaient
autant que moi.
Tôt ou tard, il assouvirait ses besoins les plus intimes avec une autre, à moins que je ne parvienne à
l’amadouer. Sevastyan avait déclaré qu’il serait mon seul amant, mais pas que la réciproque était vraie.
Comme si le temps était compté, je devais l’appâter avant qu’il ne m’échappe.
Décalage émotionnel et insatisfaction sexuelle. Deux obstacles grossissant en parallèle.

Je me suis levée de mon poste de contrôle et dirigée vers le lit. En m’étirant sur le couvre-lit, je me
suis demandé s’il m’observait.
J’ai frissonné. Et si je lui montrais ce qu’il ratait chaque fois qu’il me laissait là ?
Il m’avait déjà regardée en train de me masturber, mais c’était à mon insu. Maintenant, même s’il ne
m’épiait pas, je pouvais le prétendre. J’avais tout à y gagner.
En proie à l’excitation, j’ai ôté mes chaussures, mes bas, mon chemisier et ma jupe, ne gardant que
mes sous-vêtements en tissu transparent couleur chair.
Allongée sur le dos, j’ai lentement malaxé mes seins, les serrant l’un contre l’autre puis les pétrissant
durement, comme il désirait les traiter.
Dans un soupir, j’ai enlevé mon soutien-gorge, et je l’ai fait tourner autour de mon doigt avant de le
lancer vers la caméra. Seins nus, j’ai aguiché la pointe de mes seins, les pinçant comme lui au début. De
mon autre main, j’ai sillonné mon buste et insinué les doigts sous ma petite culotte. J’ai préféré la garder
pour qu’il voie mes doigts me caresser au travers.
Le téléphone a sonné sur la table de chevet.
Adressant un sourire en coin à la caméra, j’ai décroché.
— Tu tombes mal, bébé. Tu pourrais rappeler plus tard ?
Il semblait m’appeler depuis la voiture.
— Arrête ça, espèce de sorcière, a-t-il grondé en russe ; afin que le chauffeur ne comprenne pas ? Je
suis là dans cinq minutes. Attends-moi.
Pour le défier, j’ai caressé mon clitoris en ondulant des hanches.
— Sinon quoi ? Nous ferons chambre à part ?
— Ne me cherche pas, mon chou.
Je l’ai mis sur haut-parleur pour me caresser.
— Tu me laisses seule à la maison. Que veux-tu que je fasse d’autre ? Tu ne veux pas connaître mes
fantasmes ? C’est toi, qui me fais des choses ignobles. Ah, c’est vrai, tu as arrêté.
— De quoi parles-tu ?
— Dans l’avion, tu m’as dit que dès qu’une femme te voyait, elle savait qu’elle en aurait pour son
compte. Je ne vois rien de tel.
Prends ça !
Je l’entendais presque grincer des dents pendant que je continuais de me masturber.
— Natalie, je t’interdis de te faire jouir.
— C’est dans le règlement ? J’ai raté le passage sur les interdits dans notre couple. Sois beau joueur,
Sevastyan. Demande-moi si je suis mouillée. Non ? Alors je vais te montrer.
J’ai remonté mes genoux sur ma poitrine, puis descendu mon slip sur mes chevilles. J’ai allongé les
jambes, genoux écartés pour exposer mes boucles trempées tout en continuant à me prodiguer des
caresses lascives.
Il a inspiré entre ses dents serrées.
— Arrête ça immédiatement.
— Sinon tu me puniras ? Si un dominant comme toi ne tolère pas autant de désobéissance, arrête de
regarder.
— Je n’arrêterai jamais de te regarder. Tout a commencé alors que je t’épiais.
— C’est exact. C’est la deuxième fois que tu te rinces l’œil pendant que je me masturbe.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Bon dieu, ne me pousse pas à bout.
— Mais c’est précisément ce que je fais.
Le moment était venu de sortir le grand jeu.
Avais-je le cran de poursuivre ? Avais-je encore le choix ? Je misais tout.
— Et si je faisais… ça ?
Je me suis mise à quatre pattes devant la caméra de manière à tout lui montrer. J’ai écarté les genoux,
tendant ma petite culotte entre mes chevilles.
— Doux Jésus.
Sa réaction, sa vulnérabilité manifeste – et mon exhibitionnisme – me faisaient chavirer, comme si
mon excitation avait pris son élan pour mieux s’emballer. Apparemment, j’étais exhibitionniste – et mon
sang bouillonnait tant j’aimais ça.
Ce n’était plus un jeu. J’avais besoin de jouir.
Quand j’ai soulevé le bassin à la rencontre de mes doigts, il a poussé un cri étranglé, puis a craché
quelques mots au chauffeur. Probablement pour qu’il accélère, puisque des coups de klaxons ont retenti.
— Tu n’imagines pas ce que tu me fais.
Abandonnée au plaisir, je pétrissais, pétrissais…
— Enfonce-toi un doigt pour moi. Sois gentille, donne-toi du plaisir comme ça.
J’ai promené mon index de mon clitoris à l’orée de mon sexe, traçant des cercles entre mes lèvres. Sa
respiration accélérée emplissait la pièce et alimentait mon excitation. Je me suis pénétrée, massant mes
parois intimes…
— Tu vas voir, a-t-il lancé avant de raccrocher.
Quelques secondes plus tard, je l’ai entendu entrer dans la maison, ses bottes foulant les marches.
Une pensée m’est venue pour la toute première fois : j’ai des raisons d’avoir peur.
32

Mes doigts ont quitté mon sexe. Je venais de me redresser, en appui sur les coudes, lorsque sa carrure
s’est imposée dans l’encadrement de la porte.
J’ai retenu mon souffle devant son air grave, ses poings serrés, son regard voilé par le désir sexuel.
Son érection tendait son pantalon et formait une auréole humide sur le tissu. J’ai laissé échapper un
gémissement.
Il semblait… abattu. Comme la première fois qu’il m’avait surprise dans le bain. Comme s’il désirait
me dévorer par petits bouts.
Il a marché vers le lit de sa démarche de prédateur, détachant sa ceinture de ses grandes mains – plus
menaçant que jamais.
Je me suis armée de courage devant ses bras tendus.
Il m’a saisie par la taille, me retournant sur le ventre, puis il a baissé son pantalon sur ses cuisses.
Pareil à un animal, il m’a empalée d’un coup sec.
Alors que je jouissais déjà, son sexe a dû forcer le passage, sa brutale intrusion stimulant mon
orgasme.
— C’est ce que tu veux ?
Il a tiré mes épaules en arrière, m’obligeant à me cambrer au moment où il s’engouffrait à fond.
Mon cri a été étouffé par son rugissement victorieux, tandis qu’il donnait de francs coups de boutoir.
Sa brutalité éveillait la mienne, si bien que j’exigeais un nouvel orgasme, à la hauteur de toutes les
frustrations que j’avais accumulées. Après des frictions intenses, inconnues, j’ai commencé à griffer ses
cuisses pour l’encourager. J’en voulais encore.
Dans cette position, mes sens étaient surchargés. Le bruit de nos peaux qui claquaient l’une contre
l’autre. Le ballottement de mes seins. Ses testicules qui butaient contre mon clitoris mouillé à chaque
coup de reins.
— C’est assez brutal pour toi ? a-t-il tonné entre deux assauts.
Sur le dernier, plus débridé, mes dents ont claqué et mes bras ont flanché. Je suis tombée allongée sur
le ventre, les fesses tendues vers lui, seulement capable de recevoir ses poussées impitoyables.
L’idée qu’il manipule mon corps sans énergie, tel un jouet réservé à ses désirs, m’a projetée au bord
de l’abîme.
J’ai haleté son nom, redoutant presque la violence de la libération. La pression augmentait. Mais
jusqu’où ?
— C’est ce que tu voulais ? De la violence ? a-t-il craché en m’envahissant durement. Alors montre-
moi que tu aimes ça ! Jouis encore, mon chou… Jouis autour de mon sexe dur.
Il a ordonné, j’ai obéi.
Mon sexe s’est crispé autour de sa hampe, si fort que les muscles étaient douloureux. Quand
l’orgasme m’a emportée, et que j’ai saisi sa portée, j’ai poussé un hurlement bestial.
Mon cri a duré jusqu’à ce que je manque d’air. Jusqu’à ce que ses rugissements se joignent aux miens
et que sa chaleur m’inonde, ses hanches tapant contre mes fesses dans les derniers mouvements
libérateurs.
Je restais étourdie, oubliant même de respirer. Je me rassemblais joyeusement.
Il s’est écroulé sur moi, murmurant mon nom, le visage enfoui dans mes cheveux. Ses lèvres ont
effleuré ma nuque, son souffle séchant ma respiration.
Brusquement, il s’est contracté, comme s’il se réveillait. Il s’est sorti de moi en jurant, et s’est levé.
J’ai lentement réussi à m’asseoir.
— Je ne voulais pas ça.
Il a enfilé son pantalon. Il se comportait comme si nous avions mal agi, alors que ç’avait été
extraordinaire, parfait, exaltant.
Il a pointé un doigt accusateur vers moi.
— Tu insistes, tu insistes. Tu ne sais pas qui tu provoques.
J’ai écarté mes cheveux de mon visage.
— Justement, je veux savoir !
Devant son silence, je suis allée chercher mon peignoir. Il était temps que je m’impose.
— Sevastyan, il faut que ça change, ai-je affirmé en serrant ma ceinture.
— De quoi tu parles ?
— Je suis malheureuse. Dans notre relation, notre vie sexuelle…
— Tu veux rire ? Je te fais grimper aux rideaux. Et tu te dis insatisfaite ?
— Je veux explorer ce que tu m’as à peine fait découvrir. Dans l’avion, tu as dit que je n’étais pas
censée être comme ça, mais je le suis.
Il s’est figé.
— Tu ignores qui tu es. Tu as vingt-quatre ans et tu n’as pas connu d’autre homme.
— C’est toi qui as dit que j’aimais ça, que j’en avais besoin. Tu avais raison ! Je suis faite de chair et
de sang, de sang chaud… pas de porcelaine comme une poupée. Pourquoi es-tu différent avec moi ?
— Tu es sous ma protection. Tu m’appartiens, a-t-il simplement répondu.
— Dis-moi que tu ne crois pas au mythe de la maman ou de la putain ? Que je suis soit à placer sur un
piédestal soit une salope ?
Il a haussé les épaules, sans nier. Merde. Je me suis massé les tempes. Mais non, il ne voit pas les
choses de cette façon.
Je savais que ce genre de convictions était irréversible. Ces dommages ne se réparaient pas,
contrairement à une horloge cassée. Pas chez mon tendre amoureux. Malgré toute la magie de mon
entrejambe. Même avec des torrents de larmes.
— Bon, ni toi ni moi ne trouvons notre compte dans cette relation. Nous devrions envisager de faire
une pause.
Il a fait volte-face. Devant son agressivité, j’ai reculé d’un pas.
— Tu m’appartiens. Il n’y a pas de pause.
Du bras, il a balayé le dessus de la commode, projetant le maquillage et les bijoux à travers la
chambre.
Prise de peur, j’étais prête à courir m’enfermer dans la pièce de survie. Puis je me suis souvenue que,
malgré ses défauts, il ne me ferait jamais de mal.
— Alors aide-moi à améliorer nos rapports ! ai-je réclamé en ignorant ses poings serrés.
Il a posé la main sur sa gorge comme s’il suffoquait.
— Il y a ce besoin en moi – une bête qui rugit. J’ai besoin de te faire des choses. De te contrôler, de
te donner des ordres, de te punir. Pour te rendre folle. (Il s’est passé les mains dans les cheveux.) J’ai
satisfait ces pulsions avant toi, mais ça n’était jamais vital. Pourtant, maintenant, avec toi…
— Maintenant quoi ?
— C’est comme une maladie qui me ronge. J’ai beau lutter, je n’arrive pas à la combattre. Et toi, tu
me tentes ? a-t-il hurlé. Tu ne me laisses pas tranquille !
— Alors cesse de lutter ! ai-je braillé.
J’ai marché vers lui, pris son visage entre mes mains. Sur la pointe des pieds, j’ai planté mes yeux
dans les siens.
— Je suis là, Sevastyan. Je suis prête, consentante. J’ai besoin de toi.
Je suis amoureuse de toi.
Sans savoir pourquoi, j’ai gardé ces mots pour moi. Peut-être parce que je ne m’attendais pas à ce
que ce soit réciproque. Il parlait de possession, de contrôle, d’obsession. Mais jamais d’amour.
— Pourquoi lutter contre ce que nous désirons tous les deux ?
Avec une étonnante douceur, il a écarté mes mains. Il s’est dirigé vers le bureau de la pièce de survie.
Il a sorti une lettre d’un tiroir à double fond dont j’ignorais l’existence, et me l’a mise entre les mains.
— Tu n’es pas la seule à avoir reçu une lettre.
Poussée par la curiosité, je l’ai ouverte. Mon père lui avait aussi écrit un mot d’adieu ? Le papier
était froissé. Combien de fois Sevastyan l’avait-il relue ? Demanderait-il à lire la mienne, qui restait
cachée dans ma valise ?
Je l’ai parcourue, les yeux écarquillés :
Elle est précieuse, Aleksandr. Traite-la comme un trésor, et surtout, respecte-la… La vie de ma Natalie est entre tes mains…
Elle est fragile, elle a été déracinée de force, arrachée à sa vie protégée, obligée à vivre dans le danger qui est la nature même
de notre milieu. Seuls comptent son bonheur et sa sécurité…

Bouleversée, j’ai levé les yeux vers Sevastyan Tout était clair à présent.
— C’est à cause de cette lettre que tu es comme ça avec moi ?
Son sauveur, celui avec lequel il avait le sentiment de ne pas avoir été à la hauteur, le mentor qui
l’avait guidé pendant plusieurs décennies avait laissé des dernières instructions à son homme de main
aveuglément fidèle.
— Sevastyan, je respecte les volontés de Paxán. Sincèrement. Mais cette lettre ne doit pas influencer
notre relation.
Je la lui ai rendue. Il l’a saisie d’une main tremblante.
— Comment peux-tu dire ça ?
— Nous devons construire notre vie à deux.
— Cette lettre me rappelle ce que tu es. Juste après l’avoir lue pour la première fois, j’ai vu… les
bleus sur tes fesses. Je n’avais pas eu l’intention de te discipliner, pas comme dans mes fantasmes
pervers.
— Sevastyan, laisse-moi…
— Il était ton père. Et le mien aussi. Il comptait sur moi pour te traiter comme un trésor. Il ignorait
cette partie de ma vie. Je me suis appliqué à la garder secrète. Sinon, il ne m’aurait jamais choisi pour
toi.
— Tu réagis comme si ces préférences étaient mauvaises et sales. Comme si elles ne concernaient
que les gens brisés.
Il a haussé les sourcils. Tiens, tiens !
— Il ne faut pas obligatoirement être brisé pour aimer certaines perversions. Regarde-moi. J’ai eu
une enfance merveilleuse, et avec toi, je ne pense qu’à ça. (Comme il ne disait rien, j’ai poursuivi.) Tu as
reçu l’ordre de me rendre heureuse. Eh bien, en ce moment, je ne le suis pas du tout.
Il a semblé accuser le coup.
— Alors ça veut dire que je dois au moins réussir à te protéger. Je refuse que mon passé t’entache.
— M’entache ? Parce que je suis tellement pure ? Désolée de te l’apprendre, mais ça m’intéressait
avant de te connaître. Quand je commandais mon « arsenal » sur Internet, tu crois que je ne reluquais pas
les autres pages du site, celles des fouets en cuir noir et des chaînes en argent ? J’étais déjà curieuse.
Le doute s’insinuait lentement dans son esprit. J’ai saisi ma chance.
— Peut-être qu’au fond de toi, tu l’as senti depuis le début.
Il a secoué vigoureusement la tête.
— N’y pense plus. Je refuse qu’on continue d’en discuter…
— Tais-toi et écoute-moi ! Je me bats pour nous et tu n’essaies même pas de m’aider. Tu me prends
pour une imbécile ?
— Mais non ! Qu’est-ce que tu dis ?
— Ce que tu décris comme une maladie, tu ne pourras pas toujours l’étouffer. Tu as déjà menacé de
trouver une autre femme quand tu as échoué à me faire abonder dans ton sens. Puisque tu me rejettes en
tant que partenaire, un jour ou l’autre, tu iras assouvir tes désirs ailleurs.
Secouant la tête, il m’a prise par les bras. Je ne l’ai pas laissé parler.
— Il t’arrive de songer que moi aussi, je pourrais aller voir ailleurs ?
Il m’a lâchée brusquement, comme s’il lançait une grenade désamorcée. Il s’est tourné vers la porte
en jurant.
En sortant, mon boxeur a enfoncé le poing dans le mur.

Seule, furieuse, je me suis habillée, puis j’ai picoré ce que je trouvais dans le réfrigérateur. Ensuite,
j’ai téléphoné à Jess qui, souffrant d’une gueule de bois, n’était pas d’humeur à bavarder. Je me suis
réfugiée dans la pièce de survie pour observer les passants sur l’écran pendant de longues heures
abrutissantes.
Ou, plus honnêtement, pour attendre le retour de Sevastyan. Et s’il était allé voir une autre femme ? Et
s’il la fouettait en ce moment même, la dominant avec son corps magnifique et sa voix fascinante ?
Les larmes me sont montées aux yeux. Je pouvais tout supporter, hormis l’infidélité, surtout après
notre dispute.
Dans un sursaut, je me suis redressée en voyant Sevastyan rentrer. J’ai cligné des yeux pour chasser
mes larmes et le regarder entrer dans la cuisine, un grand cadeau emballé dans les mains.
Il était parti me chercher un cadeau ? Folle de joie, j’ai eu le tournis.
Comme s’il se savait observé, il a levé les yeux vers la caméra en posant la boîte sur le plan de
travail. C’était un regard d’avertissement, avec une pointe de tristesse. Puis il est ressorti.
Où allait-il, et pourquoi laisser le paquet ? Était-ce un gage de paix ou un cadeau d’adieu ?
Je me suis précipitée vers l’escalier, dévalant les marches en direction de la cuisine. J’ai déchiré
l’emballage et découvert une robe ornée de perles vert émeraude. De la lingerie aussi – un bustier court
en satin noir et le string assorti. Et pour compléter la tenue, des bas et des chaussures à talons. Dans un
long écrin en velours, j’ai également trouvé des boucles d’oreilles et un pendentif en émeraude.
Abasourdie, j’ai dégluti. J’ai enfin déniché une carte dans le fond de la boîte. À mesure que je lisais
les mots tracés de sa main, mon allégresse est retombée.
21 heures, ce soir. Méfie-toi des vœux que tu formules.
33

J’ai terminé d’épingler mon chignon haut juste avant vingt et une heures, et j’ai vérifié mon allure
dans le miroir en pied.
La robe était superbe. Les perles dessinaient un motif asymétrique sophistiqué. La coupe était
flatteuse, une fente longeait la jambe droite, et mes seins pigeonnaient.
Au début, j’ai cru que le haut était trop petit, avant que je ne comprenne que ma poitrine devait
ressortir. Le pendentif s’arrêtait au bord du décolleté.
Comme ce style imposait du maquillage, j’ai mis du rouge à lèvres, du mascara et du fard à paupières
pailleté qui mettait en valeur la couleur de mes yeux. J’avais envoyé un selfie à Jess qui m’avait déclarée
totalement sexy. Elle s’était qualifiée d’hétéroflexible, très intéressée par des moments coquins avec une
rousse plantureuse.
Cependant, ne m’habillant jamais ainsi, j’appréhendais de me montrer en public. En même temps,
j’ignorais où Sevastyan m’emmenait, ou même si nous allions sortir. Cette tenue raffinée pouvait aussi
bien faire partie d’un fantasme.
J’étais terriblement nerveuse. Cette carte m’avait effrayée. Pourtant, je m’étais remémoré mon vœu
précis : explorer nos plus sombres désirs – ensemble.
Pour être partante, je l’étais.
De plus, sa concession était une tentative de me rendre heureuse. Ce qu’il me montrerait relèverait de
la thérapie de couple, du renforcement d’une équipe de deux.
Quand Sevastyan est apparu dans l’embrasure, j’en ai eu le souffle coupé. Son smoking classique à un
bouton était visiblement sur mesure. La veste soulignait parfaitement sa carrure. Le tissu était luxueux
mais la coupe traditionnelle.
Des accessoires discrets : des boutons de manchette sobres, une pochette de soie noire à fins motifs,
une cravate classique. Son allure était renversante.
Fraîchement rasées, ses joues aux contours nets étaient un appel aux caresses. Il n’avait gardé qu’une
seule bague pour la soirée, celle du pouce. Avec ses tatouages, ça formait un contrepoint hardi à son
élégance.
Même en smoking, il restait un bagarreur des rues. Bien parti pour devenir mon homme, il faisait des
efforts, si mystérieux soient-ils, pour améliorer notre relation.
Peut-être qu’avec le temps, ses sentiments pour moi s’approfondiraient aussi.
Il a détaillé mon apparence avec une minutie égale à la mienne.
— L’image même de mes attentes. (Il a reculé pour m’admirer de la tête aux pieds.) Ya potryasyon.
Je n’en crois pas mes yeux.
— Je pourrais dire la même chose.
— Viens.
La main sur ma hanche, il m’a guidée au rez-de-chaussée. Sa paume diffusait sa chaleur à travers les
perles de ma robe. Était-il nerveux ? Ou seulement enthousiaste ?
— Où allons-nous ?
— Dîner, d’abord.
Nous sortions, et je ressemblais à Jessica Rabbit, la femme fatale. Bon. C’est à prendre ou à laisser,
les Parisiens.
— Et ensuite ?
— Patience, a-t-il répondu en me pressant la hanche.
Il m’a aidée à passer ma nouvelle étole – encore de la fourrure, le Sibérien ? – puis à monter dans la
limousine qui nous attendait. Dans la voiture, la tension était palpable. J’ignorais ce qu’il pensait ou
ressentait. Mais quand je me suis dandinée, et que la fente de ma robe a révélé mes bas, il a entrouvert les
lèvres en expirant.
Notre destination était un restaurant huppé, les Plaisirs. Les clients, tous sur leur trente-et-un, se sont
arrêtés de manger à notre arrivée. Ils ont fixé Sevastyan, la fourchette suspendue au-dessus de l’assiette.
Moi aussi ils m’ont regardée.
La fille du Nebraska ne manquait pas de chien. Dans un regain d’assurance, j’ai redressé les épaules
et le menton, pour le plaisir de Sevastyan.
Nous avons dégusté un dîner léger et sensuel à la meilleure table de l’établissement. Du homard, des
fruits goûteux, de délicieuses truffes et des petits-fours. Le vin était si délicieux que je me léchais sans
cesse les lèvres.
Sevastyan a commandé une vodka avec de la glace, mais n’y a pas touché.
— Pourquoi tu l’as commandée si tu ne bois pas ? ai-je demandé, enhardie par le vin.
Il a libéré un soupir résigné, comme s’il savait que je finirais par poser la question.
— Mon père était alcoolique. Je ne veux pas en devenir un, a-t-il dit d’un ton neutre. Mais en
Russie…
— L’alcool est partout ?
— Exact. C’est peut-être aussi pour mettre ma détermination à l’épreuve.
Une confidence ! Mon cœur a bondi dans ma poitrine. Nous avancions dans la bonne direction.
Soudain, l’ironie de son commerce d’alcool bon marché m’est clairement apparue.
— Ton père est toujours vivant ?
— Nyet. J’aimerais autant parler d’autre chose. (Se radoucissant, il a précisé :) Surtout ce soir.
— Très bien. Alors… un indice sur la suite de la soirée ?
— Tu le sauras bientôt.
— D’accord, le Sibérien.
Contenant ma curiosité, j’ai bu une gorgée de vin en souriant largement.
— Tu es… heureuse avec moi, a-t-il dit, l’air surpris.
— Très.
— Parce que tu penses avoir gagné, et que j’ai capitulé.
J’ai posé mon verre.
— Tout n’est pas un jeu, Sevastyan. Je préfère que nous soyons tous deux vainqueurs.
— Pourquoi ce sourire alors ?
— Parce que tu m’as écoutée. Tu as entendu mes attentes, et je crois que tu as prévu de me satisfaire
ce soir. Tu fais des efforts, et ça me donne de l’espoir pour notre couple.
— Avant, tu n’avais que des doutes ?
Une lueur a assombri son regard.
— Sevastyan, mes doutes sont entre tes mains.
— Dit comme ça, c’est simple. Mais sache que ce soir, ça n’a rien de simple pour moi.
Pourtant, il ne reculait pas.
— Je comprends.
Il s’est renfrogné.
— Tu me demandes beaucoup. Dans plusieurs domaines de notre vie. Mais il est possible que je ne…
n’entende pas tous les besoins d’une jeune femme.
Perplexe, je ne savais pas quoi répondre. Somme toute, à part le sexe, il n’avait pas d’expérience
avec les femmes. Jamais été en couple, pas de sœurs, et pas de mère depuis l’âge de treize ans, minimum.
Connaissait-il le corps féminin ? Dix sur dix dans ce domaine. Mais sa psychologie ? Proche de zéro.
— À partir de maintenant, je vais exprimer plus clairement mes besoins. Tu sais, être moins timide,
moins fragile avec toi.
Il a paru fasciné, comme devant une créature qu’il observait pour la première fois dans son
environnement naturel. Alors que nous nous fixions longuement, j’essayais de deviner ses pensées.
Faisait-il de même ?
Il a détaché son regard pour vérifier l’heure, puis appelé le maître d’hôtel. Ils ont échangé quelques
mots en français, et l’employé est rapidement revenu avec mon étole et une petite boîte à la provenance
inconnue.
Je me suis tournée vers la sortie, mais Sevastyan m’a pris le bras.
— Par ici.
La boîte dans une main, il m’a guidée vers le fond de la salle. Sortant par une porte dérobée, nous
avons débouché dans une petite rue pavée.
— Il y a un problème ? ai-je murmuré. Un danger ?
Et allez, les mafieux vont ruiner ma soirée parfaite…
— Non, nous poursuivons seulement la soirée, a-t-il répondu d’un air énigmatique.
Mon excitation a redoublé.
— Qu’y a-t-il dans cette boîte ?
Il a regardé autour de lui.
— Je peux te la donner maintenant.
Je l’ai ouverte avec un grand sourire. À l’intérieur, un masque somptueux du même vert foncé que ma
robe, était bordé d’authentiques émeraudes. Sur les côtés, de petits volants en soie battaient comme
les ailes d’un papillon. Sous la découpe oblique des yeux, le tissu retombait en arrondi, la fioriture
formant une aile effilée.
— C’est magnifique, Sevastyan !
Je me suis joyeusement retournée pour qu’il me l’attache.
— Nous allons à un bal masqué ?
Dans le dernier roman que j’avais lu de la collection de Jess, une romance historique écrite par un
auteur au prénom incongru, les courtisans se rendaient à un bal masqué. L’héroïne française et son héros
écossais avaient passé une nuit coquine.
— En quelque sorte, a-t-il marmonné.
Avant que je n’aie pu demander de précisions, il m’a placée face à lui.
— Tu es sans égale, a-t-il déclaré sur un ton solennel qui m’a fait rougir.
Qui lui résisterait ? Une femme plus forte que moi ? Il a sorti un loup en soie de la poche de sa veste
et l’a noué autour de ses yeux.
Décontenancée, des mots ont traversé mon esprit. Sexy. Voyou. Bouillant. Orgasme spontané. Plus
sexy que jamais.
— Viens.
Tout en le suivant, je le regardais à la dérobée.
— Ce n’est plus très loin, mon chou.
Tandis que nous nous enfoncions dans la ruelle embrumée, mes talons résonnant sur les pavés, la
curiosité me rongeait.
— Nous y sommes.
Il s’est arrêté devant un petit portail cintré de style médiéval.
— Qu’est-ce qu’il y a derrière ?
— Notre destination.
Il a ouvert le portail et m’a invitée à pénétrer dans un tunnel humide. Une torche indiquait le chemin.
— Euh, nous allons là-dedans ?
— Des doutes ?
Je l’avais réclamé. J’étais prête à le suivre les yeux fermés.
— Tu ne m’auras pas aussi facilement, le Sibérien.
J’ai cru apercevoir une lueur de surprise dans son regard, comme s’il s’était attendu à ce que je me
défile.
— Donne-moi au moins un indice.
— Je suis déjà venu ici.
Pendant que nous longions le tunnel, j’ai compris que nous descendions sous la ville. Je connaissais
l’existence de catacombes sous les rues de Paris, et malgré l’envie d’explorer les lieux, je l’ai suivi.
Devant nous, une chambre circulaire était éclairée par d’autres torches. Au centre, une fontaine animée,
des flammes dansant à la surface de l’eau. Les flammes projetaient des ombres dansantes sur les murs
incurvés. Des mosaïques murales représentaient des satyres et des jeunes filles accouplés, les flammes
donnant l’impression que les satyres bougeaient sur elles.
Près d’une entrée, quatre mots étaient gravés dans une plaque en laiton brillant :

LE LIBERTIN
CLUB PRIVÉ

— C’est une sorte de club de sexe ? ai-je murmuré.
N’étaient-ce pas des lieux d’échangisme ? Mon cœur s’est serré. L’éventualité de le partager, ou
d’être partagée, m’a arrêtée net.
— Ton courage s’envole ?
— Je ne veux pas d’autres partenaires.
Il m’a plaquée contre le mur, sous une torche. La lueur des flammes a enveloppé son visage. Sous son
masque, ses yeux luisaient comme de l’or en fusion.
— Tu es ma femme. À moi. Et j’ai appris très jeune à ne pas partager ce qui m’appartient. Tu crois
que je laisserais un autre te toucher ?
J’ai redressé le menton.
— Je ne te partagerai pas non plus.
— Alors nous sommes d’accord, s’est-il réjoui. D’autres limites que je devrais connaître ?
Comme il se moquait de moi, j’ai levé les yeux au ciel.
— Emmène-moi dans ce fichu club avant que je meure de curiosité.
À l’accueil, une femme se tenait derrière un large secrétaire. Elle portait une robe habillée et un
masque de chouette. Bien que cachant une partie de son visage, sa peau mate, sa grâce et ses yeux de
biche me subjuguaient.
— Bienvenue, a-t-elle dit en me débarrassant de mon étole.
— Votre salle privée est par ici, Monsieur S.
Combien de fois était-il venu ici ?
Il lui a répondu en français avant de me guider d’une main possessive dans le creux de mes reins.
Nous avons franchi une arcade, les notes d’un orchestre classique se faisant plus distinctes. Des valets en
livrée nous ont ouvert une double porte.
Derrière les portes, des clients bien habillés emplissaient une élégante salle de bal au plafond haut.
Mesdames et messieurs, nous avons définitivement quitté la Corn Belt américaine1.
D’imposantes compositions florales embaumaient la salle. Les murs étaient parés de tapisseries
représentant des scènes érotiques. Des statues de Vénus, de véritables œuvres d’art, encadraient un grand
escalier. Sur les marches, des statues vivantes à la peau dorée tenaient des candélabres pour éclairer le
chemin.
Dans cette ambiance tamisée, faite de bougies, velours riches et de draperies soyeuses, je me croyais
dans un film historique français.
— Cet endroit date de quelle époque ? ai-je demandé dès que j’eus retrouvé ma voix.
— Plusieurs siècles en arrière.
Le cœur battant, j’ai respiré l’Histoire. M’efforçant de relever chaque détail, j’ai regardé autour de
moi avec émerveillement.
Tout en traversant des groupes de gens attirants, j’ai réalisé que personne ne s’adonnait à des
obscénités. Ils buvaient, riaient et flirtaient, mais pas plus qu’en boîte de nuit.
Toutefois, les regards se portaient sur nous. Sevastyan me semblait de plus en plus agité.
— Ça ne va pas ? ai-je demandé.
— Ils pensent que tu es disponible. Que tu n’es pas avec moi.
— Pourquoi ?
— Il te manque un collier.
— C’est excitant… dans le bon sens.
Mais bon, c’était un jeu, une fantaisie légère d’une décadence soyeuse, non ? Remarquant que la
plupart des femmes portaient un collier, j’ai fait semblant d’être fâchée.
— Pourquoi je n’ai pas droit à un collier ?
— Ça se mérite, a-t-il répondu sérieusement. Et je n’ai pas gagné le droit de t’en remettre un.
Derrière son loup, il paraissait partagé. Un homme d’âge mûr a surgi devant nous. Son masque
d’éléphant était affublé d’une trompe surdimensionnée. Très subtil, mec. J’ai ouvert la bouche mais
Sevastyan lui a lancé un regard assassin – celui qui faisait trembler les hommes les plus coriaces.
Plus personne ne nous a abordés.
La femme au masque de chouette nous attendait au pied de l’escalier. Nous l’avons suivie jusqu’au
deuxième étage, puis dans un couloir éclairé par des lampes à gaz.
— Où allons-nous, le Sibérien ?
— Patience.
Pas mon fort. Après tout, l’impatience était la petite sœur de la curiosité.
— Au fait, pourquoi tu m’as choisi un masque de papillon ?
— Tu crois qu’il y a une raison à tout ?
— J’ai cru comprendre que tu ne faisais rien sans raison.
— Possible.
— Nous y voici, a annoncé notre guide en ouvrant une porte anonyme.
Un bougeoir orné baignait la pièce d’une lumière douce. Un grand canapé rembourré en tissu
somptueux trônait au centre. Des chaises et une table anciennes composaient le salon d’un côté ; de l’autre
côté se trouvait une baignoire en cuivre. Un épais rideau de théâtre recouvrait tout un mur.
Il faisait chaud, l’odeur de la bougie imprégnait l’air. Étrangement, ça sentait aussi le neuf.
Et le cuir.
Elle a ouvert une bouteille de champagne, et rempli deux flûtes avant de nous laisser. Avant de sortir,
elle m’a fait un clin d’œil complice. Que savait-elle que j’ignorais ?
Peut-être qu’un train allait me percuter sur le pont suspendu ? Ou qu’en dessous, l’eau était plus
profonde que je ne l’imaginais.
Reste calme, Natalie. Je lui faisais confiance pour me protéger, me satisfaire, pour être ce dont j’ai
besoin.
Il m’a indiqué le canapé.
— Installe-toi.
En m’asseyant, j’ai noté qu’il était disposé face au rideau de théâtre. Allions-nous visionner un film ?
Une pièce grivoise ? Je regrettais de ne pas avoir profité du bal masqué. Dans les livres, les couples
restaient au moins jusqu’à minuit – pas dix pauvres petites minutes.
Maintenant que mes yeux s’étaient adaptés à la pénombre, je distinguais des formes drapées dans la
pièce – des silhouettes non identifiées. J’ai fouillé ma mémoire, les vidéos et les magazines BDSM, à la
recherche de repères. Cachaient-elles des poteaux, des bancs réservés aux fessées, une balançoire ?
Sevastyan allait-il me bander les yeux et me tourmenter ?
Malgré la peur, j’étais excitée. Laisse-toi faire.
Il s’est assis à côté de moi.
— C’est quoi, cette pièce ?
— Elle est à nous. C’est rare d’en avoir une.
À nous ?
— Depuis combien de temps l’as-tu ?
— Environ neuf heures. Je l’ai fait rénover et équiper selon mes spécifications aujourd’hui.
Depuis notre dispute ? Cela expliquait l’odeur de neuf. Il avait dû payer une fortune pour l’aménager
dans les temps.
Il a pris une télécommande sur le guéridon.
— Tu veux explorer Paris ? Je vais t’en montrer un nouvel aspect.
Il a appuyé sur un bouton, ouvrant le rideau sur une paroi vitrée.
Derrière la vitre…
— Oh, mon dieu, ai-je soufflé en assimilant ce que je contemplais.
Sevastyan a rattrapé ma flûte juste avant qu’elle n’éclate sur le sol.

1. « Ceinture de maïs », espace agricole majeur situé au sud de Chicago et des Grands Lacs d’Amérique du Nord. Elle compte parmi les principaux greniers du monde. (N.d.T.)
34

Le premier choc passé, j’ai compris que je me trouvais de l’autre côté d’un mur vitré. Sevastyan
m’avait amenée dans ce club privé pour assister à… une partouze.
Elle battait son plein.
Les trente ou quarante participants, tous attirants, se tenaient sur la scène centrale, une piste de cirque
ronde, parmi tout un tas d’équipements.
Des hommes et des femmes masqués étaient ligotés à des croix en X, à des piloris, ou suspendus par
des chaînes. Une femme était entravée sur une sorte de table de massage de forme humaine. Certains
étaient penchés au-dessus de sièges rouges de boudoir, les fesses tendues. Des mains agrippaient
fermement des chevilles.
J’ai porté la main à mon masque.
— Ils ne peuvent pas nous voir ?
— Ils ne voient pas de l’autre côté de la vitre, m’a assuré Sevastyan. Ils ne voient qu’un miroir, à
moins que j’appuie sur la commande. Et ils sont tous conscients d’être observés.
Dans ce cas, j’étais au paradis du voyeur.
— C’est… le pied.
— Au moins.
Une femme nue était perchée sur un trapèze, les fesses juste au-dessus de la barre, sur laquelle elle
reposait ses pieds. Le trapèze s’est abaissé de manière à ce que sa bouche arrive à la hauteur d’un homme
qui a plongé la tête entre ses cuisses, pendant qu’un costaud le prenait lentement par-derrière.
Ils n’étaient pas tous nus. Certains portaient des accessoires en cuir. D’autres de la lingerie fine :
corsets brillants, porte-jarretelles complexes, bas rayés inspirés de Moulin Rouge. Un homme était
entièrement enfermé dans une sorte de sac noir compressé par aspiration dont sortaient un tube
respiratoire et son érection – celle-ci était promptement utilisée par une femme nubile.
Je voulais examiner chaque détail, chaque geste. Les scènes semblaient extraites de mes rêves les
plus érotiques. Il m’aurait fallu dix paires d’yeux ! Ou tout enregistrer.
Dès que des seins étaient fouettés, les miens se tendaient en se soulevant au-dessus de mon décolleté.
Quand la trapéziste a joui en criant, son sexe plaqué contre la bouche de l’homme, ma petite culotte s’est
trempée.
— Il y a d’autres salles comme celle-ci ? ai-je demandé sans détacher mon regard de la piste, après
avoir noté la présence d’autres miroirs autour de l’orgie.
— Six en tout.
— Les fois où tu es venu, tu as participé ?
— À l’occasion.
Une femme était attachée sur le dos à un énorme tonneau. Les hommes faisaient la queue pour utiliser
sa bouche ou se relayaient pour la lécher. Elle semblait impossible à assouvir.
Sevastyan avait-il été l’un d’eux ?
Au moment où la jalousie m’envahissait, il m’a prise sur ses genoux et m’a obligée à le regarder.
— Et je désirais être à cette place. Avec une femme rien qu’à moi. Je parie que la plupart de celles
qui sont sur la scène nous envieraient.
— Tu préfères une seule femme à toutes ces beautés ?
La plus proche de nous, fine comme un mannequin, était à genoux. Deux hommes lui crachaient
dessus, l’un enfonçant sa hampe dans sa bouche et l’autre entre ses jambes. Ils la brutalisaient pour son
plus grand bonheur.
— Puisque tu es la femme en question, oui.
— Tu aimerais les rejoindre avec moi ?
— Je te l’ai dit, j’ai appris tout jeune à ne pas partager. Personne ne touche à ce qui m’appartient. (Il
m’a dévisagée.) Tu vas réussir à supporter ça ?
Il avait craint que ce soit trop pour moi ?
— S’ils ne peuvent pas nous voir, c’est comme regarder un film porno. J’adore ça, tout va bien.
Il m’a serrée contre son torse. Confortablement installée sur ses genoux, j’ai pris le verre qu’il me
tendait.
Siroter du champagne devant des scènes de sexe débridées tout en baignant dans son musc. Tous mes
sens étaient stimulés. En plus de la musique et des rires, les autres bruits étaient érotiques. Des
gémissements, des râles, des cris. Le claquement des fouets et des pagaies, le tintement des chaînes.
Sous mes fesses, le pénis de Sevastyan était une barre brûlante. Je me suis prise à me tortiller sur lui,
frottant mon string contre mes lèvres humides.
Même les bulles de champagne me chatouillaient la langue. Je m’imaginais le verser sur son corps, le
lécher…
Toutefois, malgré tout ce que je contemplais et ressentais, je me répétais que Sevastyan avait choisi
de m’amener ici, acheté cette salle pour moi. J’étais touchée qu’il en ait choisi la décoration.
Ses efforts étaient concrets.
Quand j’ai vidé ma flûte, j’ai à peine remarqué qu’il me la prenait des mains.
Ses doigts ont longé la fente de ma robe qui laissait voir l’ornement de mes bas.
— Écarte les jambes au maximum.
Sans quitter le spectacle des yeux, j’ai plié le genou par-dessus ses jambes. Pour écarter davantage
les cuisses, je devais me défaire de ma robe. J’avais besoin de sentir sa peau, autant que de voir chaque
union, baiser, coup de fouet et visage extatique sur la piste. Mon regard passait d’une action à l’autre.
— Tu ne sais plus où donner de la tête, a raillé Sevastyan. (De son index, il a lentement tracé des
cercles sur l’intérieur de ma cuisse.) Et ton cœur bat vite.
Le champagne et le vin, en plus du bustier qui m’oppressait, me donnaient des vertiges et bloquaient
ma respiration. Mes seins tremblotants, au-dessus du décolleté de ma robe, ont attiré son attention. De son
autre main, il a commencé à dessiner les mêmes cercles paresseux sur mes seins. Il a gratté son ongle sur
mon aréole qui, traversée par une décharge électrique, a jailli du décolleté.
Encore un peu et je jouirais.
— Sevastyan, avant que j’oublie… quoi qu’il arrive, je tiens à te remercier de m’avoir amenée ici.
— Tu me remercies ? Qu’est-ce que ça te dit de moi, Natalya ? Pour conquérir une femme, je suis
prêt à la souiller, c’est ça ?
— La souiller ? ai-je répété, incrédule, tout en observant un couple sur la droite.
L’homme était attaché à un banc pendant qu’une femme en cuissardes le frappait avec une canne. Sa
peau était luisante de sueur, ses muscles tendus, son visage béat.
— Je n’ai jamais rien vu d’aussi magnifique.
Suivant mon regard, Sevastyan a froncé les sourcils comme s’il se demandait si nous voyions la
même chose.
— Tu trouves ça magnifique ?
— Littéralement.
C’était fastueux, cérémonial.
Lorsqu’il a touché mon string trempé, un râle est monté dans sa gorge.
— Qu’est-ce qui te plaît le plus ? Les hommes ou les femmes ?
— Les deux.
Les vidéos de couples homosexuels étaient toujours très excitantes. Mais ce soir ?
La grâce.
J’ai admiré un duo dans le fond de la scène. Des femmes nues s’adonnaient à un soixante-neuf,
tellement absorbées l’une par l’autre qu’elles oubliaient qu’elles n’étaient pas seules. Celle du dessus
avait une belle peau d’ébène, et la seconde était encore plus blanche que moi. Elles composaient un
tableau irréel divin qui me resterait longtemps en mémoire.
Lorsque j’ai enfin détaché mon regard d’elles, Sevastyan m’observait. Cherchait-il à déterminer ce
qui m’excitait ?
— Tu ne regardes pas ? ai-je demandé.
— Je regarde ce qui m’excite le plus.
Décontenancée par son regard acéré, j’ai détourné les yeux et examiné la pièce. La lumière qui filtrait
par la vitre soulignait les formes drapées. Celle-ci aussi était bien équipée. Rien que pour nous.
— Nous ne sommes pas seulement là pour mater, a-t-il hasardé en jouant avec mon string.
— Tant mieux.
Je sentais que j’étais non seulement proche de découvrir sa petite faiblesse, mais aussi la mienne, et
nos fantasmes les plus secrets. Au moins, j’apaiserai ma curiosité de plus en plus infernale.
— Je vais aller loin, ce soir, Natalie, pour vérifier si c’est réellement ce dont tu as besoin. Tu vas
passer trois tests, et si tu les réussis, ce sera ta vie, selon tes désirs.
— Des tests ?
Il avait toute mon attention.
— Le premier consiste à m’obéir entièrement, et volontairement, même si mes ordres sortent de ta
zone de confort. Le second, accepter tous les instruments de mon choix. Le troisième est que tu sois
excitée par tout ce que je te ferai.
En parler suffisait à m’exciter.
— Comment sauras-tu si je suis excitée par toi et tes instruments, ou par l’orgie sexuelle ?
Il a ébauché un sourire.
— Je le saurai. Allez, on y va.
Une fois levés, il a enlevé sa veste et dénoué sa cravate. D’un geste détendu, il les a lancés dans la
pièce.
— Donne-moi tes bijoux.
Il a rangé mes boucles d’oreilles et mon pendentif dans sa poche.
— Enlève tes escarpins.
Après que je me fus déchaussée, il m’a fait me tourner pour me déshabiller.
— Tu veux toujours découvrir ce monde ?
— Oui.
J’ai dû rentrer le ventre pour lui permettre de descendre entièrement la fermeture.
— Tu en es sûre ?
— À cent pour cent.
J’étais prête à participer, à apprécier – et à faire évoluer notre relation. Nous avions deux gros
problèmes : la frustration sexuelle et le manque de partage émotionnel. Ce soir, nous réglerions le
premier, ouvrant la voie à l’amélioration du second.
Il a roulé ma robe en boule et l’a lancée vers sa veste. Ah, les hommes…
Dans mon dos, il s’est agenouillé pour me défaire de mes bas, me laissant le masque, le string et le
bustier.
Avant de se relever, il a mordillé mes fesses. J’ai frémi.
— Retourne-toi.
Quand je me suis exécutée, il a ravalé un grognement.
— Mon Dieu, tu es adorable.
Un cri grave a attiré mon attention vers la scène, mais il m’a pincé le menton pour me ramener à lui.
— Concentre-toi sur moi. Je te dirai quand tu pourras les regarder.
Donc j’allais entendre sans rien voir ? Mon imagination s’emballait déjà. Il a marché vers l’une des
formes drapées, et révélé une table sur laquelle s’étalaient un assortiment complet d’accessoires, des
pagaies et des articles de bondage. Pour la plupart, j’ignorais à quoi ils servaient.
Il est revenu avec quatre manchettes en cuir, et en a lancé trois sur le canapé. Elles étaient larges,
doublées en tissu et dotées d’un gros anneau métallique central.
Il a embrassé mon poignet droit, et a bouclé la première entrave. Pareil pour le gauche.
Se mettant sur un genou, il a posé mon pied droit sur sa cuisse. Il a caressé ma cheville en enroulant
la bande de cuir autour.
Les préparatifs, tels des préliminaires, redoublaient mon excitation. Tandis qu’il mettait la dernière
manchette en place, j’ai examiné mon corps et mes entraves en cuir. J’allais enfin vivre ça ! Quand il
s’est relevé, je me suis hissée sur la pointe des pieds pour l’embrasser tendrement.
Je l’ai regardé dans les yeux, lui montrant toutes mes émotions.
Le désir, l’affection, l’excitation… et plus encore.
— Je crois voir l’espoir dont tu m’as parlé. Ma Natalya ressent ça dans un endroit pareil ? Je me
demande ce que tu éprouves d’autre, pour moi surtout.
Trop d’émotions ! J’ai pincé les lèvres.
— J’aurai bientôt la réponse. Allez, viens.
Il m’a entraînée vers un dais, à côté de la table d’instruments. Avec une pointe d’anxiété, j’ai levé les
yeux vers la chaîne qui pendait du plafond.
Il a caressé mes bras et les a relevés au-dessus de ma tête, fixant les anneaux des manchettes à un
maillon de la chaîne. Je n’étais pas encore suspendue, mais j’étais prisonnière.
— Écarte les jambes, a-t-il ordonné en s’agenouillant.
Fais-lui confiance, Nat. J’ai timidement écarté les pieds.
— Encore.
Il a tiré sur une manchette.
Quand ma position lui a convenu, il a fixé la cheville droite à un verrou encastré dans le sol. Il a fait
de même de l’autre côté, chaque clic suscitant des frissons d’impatience le long de mon dos.
Il s’est levé et s’est reculé pour admirer son travail. Derrière son masque, ses yeux dorés me
dévoraient.
Bel et bien prisonnière, un élan de panique m’a traversée. Et si j’étais allée trop loin ?
Non. Lui céder entièrement le contrôle était le meilleur moyen de lui témoigner ma confiance. Ainsi,
en retour, il me ferait davantage confiance.
Pas vrai ?
Quand son regard s’est arrêté sur mon bustier, j’ai envisagé de lancer un œil vers l’orgie. La vitre
était devant moi, tel un portail envoûtant, mais j’étais résolue à attendre son feu vert – même lorsqu’un
fouet a claqué.
Sevastyan a entrepris de dégrafer mon bustier, de bas en haut, en prenant tout son temps. En l’enfilant,
j’avais remarqué la profusion d’attaches. Maintenant, je comprenais pourquoi. Déballer sa possession
faisait partie du rituel – et manifestement, il savourait l’instant.
Autant que moi. Bientôt ses mains remplaceraient le tissu…
Il a détaché la dernière agrafe et libéré mes seins en gémissant. Après avoir lancé le vêtement, il a
brusquement déchiré le côté de mon string.
Sous mes cris muets, il a arraché l’autre côté, laissant le tissu mouillé retomber entre mes jambes.
J’étais nue, hormis le masque, face à lui qui restait tout habillé.
Sans cesser de m’admirer de la tête aux pieds, il a tiré sur son col de chemise, faisant sauter les
premiers boutons.
— J’ai effectivement choisi ton masque pour une raison précise.
— Pourquoi un papillon ?
Il a soutenu mon regard.
— Parce que tu es insaisissable. En réalité, je ne t’ai pas encore attrapée.
Il a fait rouler le bout de mes seins entre ses doigts, jusqu’à ce qu’ils se tendent de façon obscène,
que je m’arc-boute pour le réclamer.
Avant de me laisser, il a donné une petite tape presque rassurante sur ma poitrine. Il est revenu avec
deux fines barres métalliques. Le cœur battant, j’ai reconnu les pinces du magazine, les baguettes de chef
d’orchestre – sauf que sur celles-ci, la chaîne attachée aux extrémités retomberait en boucle vers mon
nombril.
— Tu es prête pour le premier test, Natalya ?
Il a vissé les barres sur mes seins tendus, le plus loin possible des pointes.
Malgré la vive pression, j’ai tenu bon. Ne l’avais-je pas spécifiquement réclamé ? Les barres en
place, j’ai baissé les yeux, émerveillée de trouver cette vision aussi excitante. Dans les magazines, c’était
stimulant. Mais voir mes seins comme ça, c’était… sublime.
— Regarde-toi. Attachée et les tétons pincés pour mon seul plaisir. Ça fait longtemps que j’attends
ça.
— Tout est exactement comme tu l’espérais ?
— Mieux. Ideal’naya.
Imperfectible.
Comme son compliment augmentait la stimulation, j’ai exprimé une peur bien réelle.
— Sevastyan, et si je jouis avant que tu me l’ordonnes ?
— Tu seras punie.
La lueur d’impatience dans ses yeux m’a fait onduler des hanches, tirant davantage sur mes jambes
tendues. Il s’est emparé de la fine chaîne qui pendait des pinces.
— Cette chaîne se place dans ta bouche, entre tes dents. Si quelque chose te déplaît, tu n’auras qu’à
la lâcher et la soirée sera terminée. Tout simplement. Et tu sais que je fais ce que je dis.
Il était trop conciliant pour être honnête. Si j’appréciais d’avoir une sonnette d’alarme, rien ne
l’interromprait. Il ne me laisserait sûrement pas bâcler la fin !
Il a porté la chaîne vers ma bouche, et je l’ai saisie entre mes dents – renforçant la pression sur mes
tétons. Mais ça restait supportable. Je pouvais tout endurer.
— Tu peux regarder la scène maintenant, Natalie.
Son ton m’a alertée.
— Mais pour que ça continue, tu dois être vulnérable. (Il s’est placé à côté de moi.) Révélée. J’ai
promis que personne d’autre ne te toucherait. Je n’ai jamais dit que personne ne te contemplerait.
Quoi ?
— Je vais ôter le filtre de la vitre pour que tout le monde admire mon beau trophée…
35

Quoi ? Éberluée, j’ai failli lâcher la chaîne. Des dizaines de personnes allaient me voir attachée ?
Nue, les seins pincés, et offerte à je ne sais quels traitements ?
C’était une chose d’épier les couples au bord de la crique, à côté de ma ferme natale. Mais ça, c’était
un autre monde.
Impassible, Sevastyan a pris la télécommande.
— Si tu ne veux pas que je révèle cette pièce, il te suffit de lâcher la chaîne.
En réalité, il s’attendait à ce que je me dérobe, et à s’en tenir là ! De cette façon, il pourrait se vanter
d’avoir essayé, de s’être donné du mal pour me satisfaire. Il m’avait tendu un piège.
Le salaud ! Tant pis pour lui. Je portais un masque, personne ne me connaissait et je ne reverrais
jamais ces gens. C’était une occasion unique, quelques heures de fantaisie coquine.
— Lâche la chaîne ou prépare-toi à sentir leurs regards te fouiller, convoiter chaque centimètre de ta
peau blanche.
Sa tentative de me dérouter fonctionnait. Avais-je le courage de poursuivre ?
— Si tu jouis maintenant, nous rentrons à la maison.
Pareil à un diable sur mon épaule, il me tentait, me détournait de mes besoins – de nos besoins.
— Tout cela te restera comme un rêve.
Dans mon esprit, poursuivre la fantaisie revenait à avancer dans notre vie de couple. C’était mon vœu
le plus cher. Quand je voulais aussi fort quelque chose, rien ne m’arrêtait.
Même pas trente étrangers qui me mataient.
Je refusais de lâcher la chaîne. De rester sur le pont, au lieu de sauter dans le vide. Je ne pouvais plus
faire machine arrière, et je ne le regretterais pas.
Ma décision arrêtée, je me suis mise à trembler – comme une mauviette. Comme une fillette avant une
chute libre.
— Tu trembles ? a lancé Sevastyan, touchant ma joue pour vérifier si je n’avais pas de fièvre. Lâche
la chaîne, milaya. C’est tout ce que tu as à faire.
J’ai serré les dents et fièrement tourné la tête vers la vitre. Épate-moi !
Stupéfait, il a expiré. Il avait donc tout prévu pour que j’échoue. Tu n’es pas au bout de tes surprises
avec moi, petit malin.
— Très bien, ils vont voir ma femme.
J’ai senti qu’il supportait mal l’idée de m’exhiber. Pris à son propre piège ?
Je les avais lorgnés sur la piste de cirque, ils allaient me rendre la pareille. Donnant-donnant. J’ai
failli partir d’un rire hystérique.
— C’est rare qu’on soulève l’écran. Nous allons les gâter, eux et ceux des autres pièces, a dit
Sevastyan.
J’avais oublié les autres pièces, et leurs occupants cachés qui ne me donneraient rien en retour. Mais
il avait déjà appuyé sur le bouton, je ne pouvais plus changer d’avis.
Au son du bourdonnement, je me suis préparée à leurs regards.
Quand l’attention s’est posée sur moi, les participants se sont donné des coups de coude et tordu le
cou. Des animaux parqués affamés ayant senti le fumet d’un bon repas.
Mes tremblements ont empiré.
— Tu sais quoi faire. Je te cacherai de nouveau, a murmuré Sevastyan de sa voix diabolique.
Certains se retournaient en pleine action, modifiant leurs positions de manière à avoir une meilleure
vue. Tiens bon, Nat !
— Je t’ai dit que tu sentirais le cuir mordre tes seins, piquer ton entrejambe. Oui, oh oui. Tu les
laisserais regarder ta première descente dans la débauche pour moi ?
Descente dans la débauche ? Au lieu de le regarder, j’ai préféré fixer les ébats sur la piste.
— Tu dois en mourir d’envie. Pour une soumise, tu peux te montrer particulièrement agressive, s’est-
il faussement étonné.
Il n’imaginait pas à quel point. Tu vas me dominer, ce soir, le Sibérien. À quoi bon lutter ?
— Tu as pris ta décision.
Il est sorti de mon champ de vision. Pour retourner à la table d’instruments ?
Il est revenu avec un gros godemiché métallique. J’en avais vu en commandant mon arsenal sur
Internet, mais ils étaient coûteux.
— Tu veux ça, Natalie ?
Il était presque aussi gros que son sexe. Mouillée et avide d’être remplie comme je l’étais, je le
désirais ardemment. Mais que tout le monde assiste à la pénétration… ? Derrière son masque, il me
défiait du regard.
— Lâche la chaîne si tu ne veux pas le sentir en toi – pour leur plaisir.
Il a commencé à le pétrir entre ses mains pour le réchauffer. Mes hanches ont remué devant ses mains
et ses doigts tatoués massant ce phallus. Il était chaud, presque brûlant, quand il a passé l’extrémité le
long de mon ventre. Il est descendu sous mon nombril, dans mon triangle frisotté.
Le bout a frôlé mon clitoris embrasé. Quand il a posé la tête contre mon ouverture, j’ai oublié de
respirer. Totalement rigide, aussi lourd qu’un poids de musculation, il s’adaptait mal à moi.
Allait-il réellement l’enfoncer ?
Il a fait tourner l’extrémité contre mon entrée trempée, comme s’il vissait l’énorme objet dans ma
vulve.
— Prends-le. Je te le donne.
Il s’est positionné de sorte que tout le monde le voie enfoncer le pénis brillant dans mon vagin.
— Ou lâche la chaîne.
La gêne m’envahissait, aussi vive que la douleur. Mais alors que j’ai scruté la foule, j’ai vu des
bouches entrouvertes, des visages captivés, des tempos s’accélérer. La honte a fait place à la stimulation.
Une de plus.
Tout comme m’exhiber devant la caméra de notre chambre m’avait excitée, cette situation me
stimulait follement. Pendant qu’il plongeait le godemiché trempé de mon miel, m’étirant à son passage, je
m’imprégnais de leurs regards.
Sevastyan a suivi mon regard.
— Ma petite exhibitionniste. Ils convoitent ma femme à un point qui m’est presque insupportable.
Il a avancé son visage près du mien.
— Il y a un besoin en moi, celui de les détruire parce qu’ils désirent ce qui m’appartient. Ne l’oublie
jamais.
Sa jalousie maladive m’a fait mouiller de plus belle.
— Je veux l’enfoncer bien profondément, Natalya. Ouvre-toi et prends-le.
J’ai essayé de détendre mes muscles pour l’accepter.
Quand le phallus a glissé au fond de mon vagin, il a pompé quelques fois, jusqu’à ce que je bave sur
la chaîne. Il a fixé des sangles de cuir autour de ma taille pour bloquer le lourd jouet en moi. Ensuite, il a
tapé la base, m’arrachant un gémissement – en écho aux gémissements des autres.
— Tu m’es reconnaissante pour ça ?
J’ai hoché la tête, ajustant mes poignets et mes chevilles dans leurs liens pour me préparer à la suite.
Près de la vitre, un homme élancé semblait captivé par mon entrejambe tandis qu’il martelait sa
partenaire, une femme voluptueuse ligotée sur un coussin en soie posé sur le sol.
Quand j’ai roulé des hanches pour m’habituer à l’objet intrusif, l’homme a frissonné en poussant un
hurlement, et a sorti son sexe. Soutenant mon regard, les paupières lourdes de désir, il a éjaculé sur le
ventre de la femme.
Avait-il voulu que je le voie jouir ? Que je réagisse ? Interférer ?
— Allons, Nataya, a réprimandé Sevastyan. Inutile de les tenter avec ce qu’ils n’auront jamais.
L’avais-je nargué ? Eh bien, peut-être…
Sevastyan a disparu. Quelques secondes plus tard, j’ai senti des lanières de cuir longer mon dos. Un
martinet. Ma suggestion, dans la voiture.
— Tu es prête, mon chou ?
Depuis un moment. J’ai mordu la chaîne, hoché la tête. Le cuir a claqué contre l’arrière de mes
cuisses, me faisant monter les larmes aux yeux. Il m’a contournée pour jauger ma réaction, mais je l’ai
regardé avec dédain.
Il a haussé les sourcils, esquissé un sourire.
Puis il a recommencé, de plus en plus fort. Même quand je gémissais, mes fesses se tendaient pour en
recevoir d’autres. Mes réactions étaient accueillies par les gémissements du public, surtout de ceux qui
étaient aussi attachés.
Quelle soumise ne désirerait pas être dominée par Sevastyan ?
Un homme ténébreux, dangereux. Fascinant et viril.
Le mien.
Il a fait claquer le martinet contre mes cuisses, mes fesses, le haut de mon dos, puis a répété le
chemin. À chaque coup, la douleur croissait irrémédiablement, jusqu’à… ce que ça cesse.
Au lieu de spasmes agonisants, je ne sentais plus que des zones de chaleur, les récepteurs de douleur
devaient être embrouillés. Je me suis arc-boutée, décalant le lourd phallus dans mon vagin.
Quand Sevastyan frappait plus fort, les élans devenaient plus fougueux sur la piste. Je devais résister
à la violence des coups pour rester immobile. La sueur recouvrait ma peau.
— Mon adorable Natalya se cambre pour venir chercher sa punition.
Sa voix débordait d’orgueil.
Chaque centimètre de ma peau devenait trop sensible, autant que mon clitoris douloureux. Le martinet
devenait sensuel. Une caresse sexuelle. Il savait jusqu’où il pouvait aller pour renforcer mon excitation
sans l’étouffer.
Il voulait que j’endure ses instruments. Je faisais plus que les tolérer, je m’en délectais. Quand il
s’est arrêté pour évaluer mes réactions, je l’ai fixé les yeux écarquillés. Qu’est-ce que tu me fais ?
Il a plissé les yeux et, retenant son souffle, il a lancé les lanières vers mes seins pincés, les pointes
captives. La morsure du cuir sur tes seins… Je me suis tortillée, émerveillée par les sensations
exquises, le suppliant intérieurement de recommencer.
Allait-il me faire jouir de cette façon ?
Quand sa main s’est posée entre mes jambes, me malaxant brutalement, j’ai remué les hanches,
enfonçant plus avant le godemiché. Affolée par le besoin de jouir, je me moquais de savoir qui me
regardait chevaucher ses doigts, les inonder.
Il a gémi, satisfait de sentir la base du godemiché détrempée.
— Tu sais à quel point je vais te faire jouir ?
Tout excité, il ressemblait à un petit garçon avec un nouveau jouet.
— Prépare-toi, ma beauté.
Il était entièrement concentré sur moi. Je me suis remémoré son avertissement. J’ai besoin de te
contrôler, de te donner des ordres, de te punir. Pour te rendre folle.
Tous ses gestes avaient pour unique but mon plaisir ; le sien passait au second plan.
Mes réactions étaient sa principale source d’excitation.
Et son objectif était de me faire réagir comme jamais.
— Je méconnais peut-être les besoins d’une jeune femme, a-t-il craché. Mais ça, je connais. Je peux
te le donner. Le reste… ?
Qu’essayait-il de me dire ? J’ai oublié ma question lorsqu’il s’est placé devant moi, sa bouche sur
mon sein comprimé. Son soufflé accéléré caressait la pointe.
Quand il l’a léchée, j’ai cru m’évanouir de plaisir.
— Encore des coups de martinet, mon amour ?
Il a aspiré l’autre mamelon, et laissé le public admirer mes deux tétons brillants.
J’ai hoché la tête avec impatience, en proie à des besoins contradictoires aussi irrépressibles qu’une
éruption de lave : l’urgence de jouir et mon appétit insensé pour les coups.
De nouveau derrière moi, il s’est concentré sur mes fesses. Sous la violence du fouet, mes talons se
sont soulevés. Quand j’ai rejeté les fesses en arrière, à la rencontre du martinet, le godemiché s’est calé
tout au fond, me projetant au bord de l’abîme.
Jusqu’à présent, le fouet tombait avec parcimonie, mais désormais, les coups pleuvaient à un rythme
constant. La sueur trempait mes cheveux et rendait ma peau glissante. Les lanières humides du martinet
enflammaient mes terminaisons nerveuses, troublant mes pensées.
Au lieu d’éprouver de la douleur, je devenais tour à tour délirante et euphorique – et Sevastyan
alimentait mes états avec chacun de ses gestes.
J’ai commencé à voir flou. Je distinguais mal la piste de cirque. Je n’entendais plus que ses
gémissements étouffés en écho aux claquements du cuir. Mes autres sens s’étaient estompés pour
exacerber la perception des lanières du martinet, des souffles d’air précédant le choc.
Pour que j’apprécie pleinement le phallus métallique qu’il avait eu la prévoyance de me donner.
Pour que je flotte de plus en plus haut, jusqu’à planer.
J’étais… défoncée. Mes yeux partaient en arrière, mes lèvres se retroussaient de plaisir, mes dents
grinçaient sur la chaîne pour éviter qu’il me prive de ces sensations.
Amorphe, pendue au bout des chaînes, je m’envolais vers la libération. J’étais traversée par des
ondes de choc brutes et explosives. Les dents serrées, je vivais ardemment mon plaisir.
Les larmes ruisselaient sur mon visage pendant que mon vagin inondait le godemiché de liquide…
— Natalya ? Natalya ! ai-je entendu Sevastyan crier au loin.
Il m’appelle ? Où suis-je partie ? Je veux y retourner.
La dernière onde de choc passée, j’ai cligné des yeux et me suis tournée vers lui avec un sourire
rêveur.
Pour une raison ou pour une autre, mon expression a fait scintiller ses yeux.
Il a posé le front sur mon épaule, comme bouleversé par ses découvertes, comme s’il n’en avait pas
espéré autant.
— Ty sozdana dlya menya.
Tu es faite pour moi.
Il a léché ma nuque en sueur, mordillé ma peau en frottant son érection contre moi.
— Tu avais raison, je n’ai jamais rien vu d’aussi magnifique, a-t-il murmuré à mon oreille.
Il a lancé le martinet sur le côté, et parcouru mon corps de ses deux mains. Ses mains calleuses sur
ma peau irritée, j’ai replié les orteils.
Quand il a détaché la sangle du godemiché nouée autour de ma taille, mes parois se sont contractées
comme si je refusais de le rendre. Il a tiré pour le faire glisser hors de moi. Le phallus a disparu dans
mon dos.
— Tu aimes te donner en spectacle, moya plohaya devchonka. (Ma vilaine fille.) Tu veux leur en
montrer plus ?
Que pouvais-je exhiber de plus ? J’ai tout de même hoché la tête.
Je l’ai entendu remuer les instruments sur la table. À son retour, il a libéré ma cheville gauche.
Dans le public, le rythme des ébats a ralenti. Se demandaient-ils ce qu’il me réservait ensuite ?
Autour de ma jambe, il a enroulé une lanière de cuir dans laquelle il a calé mon genou à la hauteur de
ma taille. Il a attaché la sangle à la chaîne qui retenait mes poignets au-dessus de ma tête. En équilibre sur
un pied, j’étais entièrement exposée et vulnérable.
Il s’est débraguetté. Pour enfin me pénétrer ? Son membre a pulsé contre la peau incandescente de
mes cuisses.
— Tu veux qu’ils te voient ? (Il a passé son gland trempé le long de la raie de mes fesses endolories.)
Qu’ils te voient vraiment, à l’intérieur ?
Il a tendu le bras pour écarter mes lèvres. Malgré tout ce qui venait de se passer, je rougissais. Je
sentais l’air frais contre mon ouverture, leurs yeux débordants de désir, concentrés sur cette partie de mon
corps.
Cela ne m’a pas empêchée de mouiller, ni mes lèvres de gonfler contre ses doigts.
Il a pris mon sexe en coupe.
— Offre-moi ça, a-t-il ordonné. Présente-le.
Je me suis cambrée le plus possible, tendant mes fesses sous son nez.
— Très bien.
En récompense, il a pincé le bout de mes seins. J’étais aux anges.
— Tu veux qu’ils te voient encore jouir ?
Sans me laisser répondre, il a saisi d’une main mon genou relevé, et de l’autre ma hanche. Il s’est
engouffré d’un coup, par-derrière.
L’orgasme déjà proche, j’ai gémi sans lâcher la chaîne. C’était comme si je n’avais jamais eu
d’orgasme, comme si je me retenais de jouir depuis des jours.
Ses longues poussées brutales m’électrisaient. Mes seins rebondissaient, les pointes coincées
m’élançaient dès que la chaîne se tendait.
— Tu croyais que j’étais allé voir une autre femme le jour où tu m’as repoussé. (Il s’est rapproché, sa
langue goûtant ma transpiration.) Comment pourrais-je te remplacer ? Je savais déjà que c’était
impossible.
De quoi ? Il éprouvait déjà des sentiments aussi forts ?
— Suis-je irremplaçable pour toi ? Lâche la chaîne si c’est oui.
Irremplaçable ? En cet instant, il était tout. Source de douleur et d’extase, son corps divin était au
service de mon plaisir.
J’ai difficilement ouvert la bouche et, mâchoire pendante, j’ai repoussé la chaîne avec ma langue.
Elle est retombée dans un doux tintement.
Je me suis léché les lèvres et j’ai détendu la mâchoire en me demandant avec impatience ce qui allait
suivre.
Sa main a recouvert un côté de mon visage, et m’a tirée en arrière pour m’embrasser. Il me pilonnait
mais son baiser était tendre. L’association de ses coups de boutoir et des douces caresses de sa langue me
faisait perdre la tête comme jamais, même au cours de cette soirée.
Un claquement a soudain résonné, le cuir mordant mon mont de Vénus. J’ai geint dans sa bouche.
Était-ce une pagaie ? Identique à celle du magazine ?
Comme il m’immobilisait la tête, je ne pouvais pas vérifier. Il continuait de m’embrasser, pour me
faire comprendre que je n’avais pas besoin de savoir avec quoi il me tapait. J’étais là pour sentir, pour
accepter son baiser amoureux, pour jouir pendant qu’il me tourmentait et me prenait par-derrière.
L’accessoire a frappé mon sexe entier, mordant mon clitoris et mes poils pubiens sans provoquer de
réelle douleur. Juste une friction et une pression là où j’en avais fiévreusement besoin.
J’étais peut-être insensibilisée, puisque j’ondulais des hanches pour réclamer des coups, toujours
fouillée par son membre.
— Donne-moi tout, milaya, m’a-t-il exhortée, contre ma bouche.
Un autre coup. Un suivant. J’allais jouir.
— Sevastyan, encore, ai-je chuchoté.
Il a plongé tout au fond.
— Je veux t’entendre crier de plaisir.
Abandonnée, j’ai tout donné. En rythme avec la raclée, j’ai rejeté la tête en arrière et hurlé. Tirant sur
mes entraves, j’ai joui pour lui, l’inondant de crème. Secouée par des tremblements profonds, mon
fourreau emprisonnait sa hampe.
— Je sens ton suc dégouliner autour de moi, a-t-il tonné à mon oreille. Je te donne ce que tu veux !
Il m’a pilonnée sans trêve.
Son sperme brûlant a jailli tout au fond de moi. Sevastyan, d’ordinaire froid et d’une volonté d’acier,
a poussé des rugissements incontrôlables que tout le monde pouvait entendre… ça ne s’arrêtait plus.
Abandonné, frissonnant, il a libéré jusqu’à la dernière goutte.
Dans un long gémissement saccadé, le va-et-vient a ralenti, prolongeant notre orgasme. Étourdis, mes
sens ne connaissaient que lui : les tambourinements de son cœur, son soufflé tiède sur ma peau, l’union
avec son sexe chaud.
Quand ma tête a roulé en arrière contre son épaule, il a semé des baisers dans mon cou.
Un tonnerre d’applaudissements, ponctué de cris et de sifflements, m’a vaguement sortie de la
torpeur. Trop bouleversée pour réagir, je n’éprouvais pas d’embarras, étrangement. Survolant la piste du
regard, j’y ai vu des amants essoufflés, de la soie et du velours trempés par la jouissance, des bouches
et des mentons luisants.
Le regard fixé sur la vitre, Sevastyan a enroulé un bras autour de mon cou, l’autre autour de ma taille,
et m’a serrée contre lui pour leur montrer que j’étais à lui.
Sentant sa colère gronder, j’ai aventuré un regard vers son visage. Non, il n’avait pas aimé m’exhiber.
Le feu de l’action passé, il montrait les dents.
— Beaucoup trop donné de toi.
Il a tendu le bras vers la table et appuyé sur le bouton de la télécommande.
Nous étions de nouveau cachés.
36

Le tonnerre d’applaudissements s’est prolongé après que la vitre fut redevenue noire.
Pourtant, je ne pouvais rien regretter une fois que Sevastyan a fièrement déclaré :
— Mon fantasme incarné. Je n’aurais jamais dû douter que tu te connaisses aussi bien.
Il m’a prudemment lâchée, se rhabillant en venant devant moi. Il a dégagé mes cheveux mouillés de
mon front, l’air à la fois possessif et émerveillé.
Comme je frissonnais, il s’est hâté de libérer mon genou relevé et mes poignets, et s’est occupé de
détacher les pinces de mes seins. Il a dévissé une extrémité de la barre.
— Ça va faire mal, mon amour, a-t-il murmuré en dégageant mon mamelon gauche. Alors que le sang
affluait, j’ai ravalé un cri.
Il a pris la pointe meurtrie dans sa bouche, apaisant la douleur avec sa langue. Pour le droit, c’était
pire car je savais à quoi m’attendre. Dès qu’il a ôté la pince, il l’a léché.
— Ça va aller, c’est presque fini, a-t-il chuchoté.
Quand je me suis remise à frissonner, il est allé chercher un peignoir molletonné. Il l’a posé sur son
avant-bras le temps de détacher les manchettes de la chaîne du plafond. Je me suis effondrée dans ses
bras, lovée dans la douceur du peignoir.
Je tremblais pendant qu’il dénouait la menotte d’un poignet, et embrassait la peau humide. Il a répété
son baiser avec l’autre.
— Tu es libre maintenant.
Des mots lourds de sens ; j’avais déjà été libérée. Il avait qualifié ce comportement de descente.
Mais c’était tout le contraire. Avec lui, j’avais volé. Je m’étais élancée vers le ciel. En un sens, la
soumission était une ascension.
Peut-être volais-je toujours. Tout semblait atténué, adouci ; les lumières semblaient tamisées.
— Comment tu te sens ?
— J’ai un peu la tête qui tourne, ai-je répondu d’une voix éraillée. Que faisons-nous maintenant ?
Le temps viendrait où je n’arriverais pas à croire à l’expérience que je venais de vivre mais ce soir,
je ne voulais pas me poser de questions.
— Je te ramène à la maison. (Il a guidé mes bras mous dans les manches du peignoir.) J’aimerais que
tu te détendes, que tu ne te soucies de rien. Je vais te dorloter.
Ça m’allait très bien.
Il m’a cueillie dans ses bras et, blottie contre son torse, il m’a portée hors de la pièce.
Allions-nous devoir affronter ces gens ? Passer par la salle de bal ?
— Nous allons prendre une sortie privée. La voiture nous attend, m’a-t-il informée en sentant ma
tension.
Même sur la banquette de la limousine, alors que nous roulions, il m’a gardée sur ses genoux. Il a ôté
nos masques, puis a sorti une bouteille de jus d’orange frais.
— Bois.
Il l’a portée à mes lèvres. J’ai haussé un sourcil.
— Pas de lait chaud ?
— Tu n’imagines pas les efforts que ton corps a fournis ce soir. J’aimerais que tu redescendes en
douceur.
J’ai bu une gorgée – le meilleur jus de ma vie. J’ai failli l’engloutir comme un étudiant avec sa pinte
pendant une beuverie.
— Comment ça, redescendre ?
Il a léché une goutte de jus sur ma lèvre, mes paupières s’alourdissant davantage.
— Ton sang est chargé d’endorphines. C’est pour ça que tu t’es sentie…
— Défoncée ?
— Exactement. Mais tout ce qui monte finit par redescendre.
— Tu seras là pour me rattraper ?
Il a relevé mon menton.
— Vsegda.
Toujours.
Ce soir, nous avions chassé un problème. Des obstacles avaient été supprimés. Maintenant, nous
pouvions avancer ensemble.
J’ai embrassé son nez tordu, puis enfoui le visage contre son torse. Les doigts dans ses cheveux, j’ai
serré ce grand homme indomptable contre moi. Je ne m’étais jamais sentie autant chérie.
Il était mon ange gardien, mon ami, l’amant de mes rêves.
Aleksandr Sevastyan était tout.
Il a soutenu mon regard, les yeux ronds comme des pièces d’or.
— Une révélation ?
— Une obsession, ai-je murmuré.

À la maison, il m’a gardée dans ses bras, me portant à l’étage dans la salle de bains. L’éclairage était
tamisé, les jets à bulles remplissaient déjà la baignoire.
Quand il m’a dénudée et déposée dans l’eau, ses bras m’ont aussitôt manqué. Comme si la distance le
dérangeait autant que moi, il s’est dépêché de se déshabiller pour me rejoindre. Assis sur le banc
immergé, il m’a reprise sur ses genoux, mon épaule contre son torse.
— Je pourrais m’y habituer, ai-je soupiré.
Je m’étais documentée sur l’importance des soins après ces fantaisies sexuelles, mais j’ignorais que
j’en aurais autant besoin. J’avais l’impression d’avoir été réduite à une version bestiale de moi-même et
de devoir me réadapter à tout.
Je flottais aux abords d’une montée sous influence, produite par la drogue la plus pure. Il a commencé
à masser mes épaules.
— J’ai bien l’intention de m’appliquer à ce que tu t’y habitues. Ce soir, je m’occupe de toi.
J’ai senti son sexe durcir sous moi. J’ai souri – encore ? Et son massage ? Il pétrissait… c’était
absolument délicieux.
Béate, je l’ai laissé me laver les cheveux, massant mon cuir chevelu au point que je sois sur le point
de baver pour la deuxième fois de la soirée.
Il m’a rincée avec un jet, puis a étalé de l’après-shampooing. Je l’ai regardé par-dessus mon épaule.
Il était concentré, comme s’il tenait à bien faire, à me laver et à me soigner correctement. Irrésistible.
Il a surpris mon regard.
— C’est bon ?
— Horrible.
Il a eu un petit rire. Quoi, je l’avais fait rire ? Il retroussait les lèvres. Pas un franc sourire, mais
presque. Sa joie m’a rendue plus optimiste quant à notre avenir.
— Tu ne croyais pas que j’irais jusqu’au bout, pas vrai ?
— Je l’admets.
Mes cheveux étant propres, il a passé de l’huile de bain sur mon épaule, puis sur le haut de mon dos.
— Des regrets ?
— Je me suis dit que si tu étais prête à tout, alors c’était ta véritable première fois, tu le voulais
vraiment. (Son membre a pulsé contre mes fesses – rejouait-il ces scènes ?). Je t’ai emmenée sur des
terrains que je trouvais sordides. Et tu as vu de la beauté dans tout, senti de l’espoir. Finalement, ce club
est peut-être ce qu’on en fait ? Ce qu’on y apporte.
— C’est mon avis, surtout maintenant.
— Je pensais ce que j’ai dit tout à l’heure. Tu te connais bien. Je l’avais oublié.
— Comment ça ?
Il a levé mon bras, le lavant du bout des doigts à l’épaule avant de nettoyer mon aisselle sensible aux
chatouilles.
— Dans le Nebraska, je t’ai vue déterminée à réaliser ton but. Tu travaillais dur. Pour réussir, tu
donnais tout. (Il s’est occupé de mon autre bras.) J’avais envie de savoir comment tu faisais pour
t’accrocher alors que la réussite n’était pas garantie.
— Mais tu ne pouvais pas me le demander.
— Non, je pouvais seulement t’observer de loin. (Il a pris mon sein, passé le pouce sur la pointe.) Tu
as mal ?
Sous ses caresses, j’arrivais à peine à garder les yeux ouverts.
— Un peu. Rien de désagréable. Juste un rappel constant de tout ce que nous avons fait.
Il a approuvé.
— Maintenant, nous savons que tu es fougueuse, et que tu te connais bien. Pourtant tu étais vierge ?
J’ai fermé les yeux quand il a pris mon autre sein.
— J’ai connu quelques mauvaises expériences.
Il s’est raidi, et m’a lâchée.
— Des noms, a-t-il grondé.
J’ai écarquillé les yeux.
— Non, non, pas de ce genre ! Juste des aventures malheureuses, maladroites.
— Je ne comprends pas.
Je lui ai parlé du garçon qui avait éjaculé dans le préservatif.
— Il s’est sauvé après ça, et je n’ai plus jamais entendu parler de lui. J’ai perdu des semaines avec
ce type.
— Maintenant que je sais ce qu’il aurait pu connaître, je le plains presque.
Ouf.
— Je suis sortie avec un autre garçon pendant deux mois, mais à mon avis, c’était un soumis. Il y en a
eu d’autres qui ne valaient tout simplement pas la peine.
Avec le recul, je comprenais que j’avais attendu un vrai homme – plus âgé que moi, plus dominateur,
assez brutal et dangereux. En d’autres termes, pas un étudiant de base.
— Tant mieux pour moi.
J’ai passé les ongles sur son avant-bras.
— Je n’étais pas vierge par choix. Tu sais à quel point c’est compliqué d’être ouverte d’esprit sur le
campus d’une université quand on est vierge ? À mon âge ? C’était comme un petit secret honteux.
— Je suis content de t’avoir rendu service sur ce point, a-t-il déclaré avec gravité.
Souriant largement, je me suis tournée face à lui, mes jambes rabattues par-dessus sa cuisse.
— Et toi, quelle est ton histoire ?
— Mon histoire ? a-t-il demandé, déconcerté que la conversation soit passée à lui.
— Nous en sommes à échanger nos histoires de cœur.
Il a eu l’air dépité.
— Tu n’as pas vécu grand-chose en dehors du sexe, c’est ça ?
— Rien du tout.
Il a entrepris de me masser les pieds, étalant de l’huile de bain sur mes mollets engourdis.
— Comment tu trouves tes, euh, partenaires ? Pas parmi la mafiya, j’imagine ?
Il a haussé les sourcils.
— J’allais dans un bar ou une discothèque et j’attendais qu’une femme m’aborde, a-t-il expliqué
d’une voix neutre. Je restais le temps de prendre quelques verres, et il arrivait ce qui devait arriver.
Réalisant que j’avais été l’une de ces femmes, je me suis empourprée.
— Quand je t’ai abordé le premier soir, tu m’as prise pour l’une d’elles ?
Il a haussé les épaules.
— Tu n’es jamais sorti avec ces filles ? Tu n’es jamais allé au cinéma, ou prendre un café ?
Je ne l’imaginais pas dans ces situations.
— Jamais.
— Mis à part nos dîners pendant le voyage, ce soir, c’était ta première sortie à deux ?
— Oui. (J’ai caché ma surprise.) Comment je m’en suis sorti ?
Mon cœur s’est emballé.
— Dix sur dix.
Il a froncé les sourcils.
— Je n’aurais pas dû te confier ça, j’imagine.
— Non, au contraire. J’aime – tout ce que j’apprends à ton sujet – que tu me parles de toi.
— Mon premier rendez-vous, ton premier coup de martinet, a-t-il fait observer avec amusement.
— J’ai adoré cette expérience.
— Ce soir, j’ai compris que je pouvais te tourmenter et te choyer. Pour toi, je serai l’un et l’autre.
(Ses grandes mains ont longé mes jambes.) Et il reste encore beaucoup à te montrer.
Ma respiration s’est accélérée.
— Je veux tout découvrir.
— J’ai commandé du matériel. Il sera livré demain. Nous irons doucement, mais prépare-toi à tout.
— Tu connaissais déjà bien le sujet.
Bien que j’aie les cuisses écartées, il m’a simplement caressée en traçant ses habituels petits cercles.
— Depuis combien de temps fais-tu ça ?
— Un moment.
Très évasif. Sous ses caresses, je luttais pour rester concentrée.
— Tu veux bien me parler de tes intérêts particuliers ? Quand en as-tu pris conscience ?
Il s’est apprêté à répondre puis s’est ravisé.
— Dis-moi. J’aimerais savoir, d’autant que j’en ai beaucoup profité.
— Un jour, je te le dirai. Dans l’immédiat je n’ai pas envie de me replonger dans un passé aussi
lointain. (Lointain à quel point ?) Sache qu’avant toi, je participais, mais maintenant je conçois ces
moments pour ce qu’ils sont réellement.
— Autrement dit ?
Il soutenait mon regard.
— De la pratique.
— Pour moi ?
— Pour toi.
Un lent sourire a étiré mes lèvres. Absorbé par mes lèvres, il s’est assombri.
— Il y aura des règles, Natalie. (Enfin, il a insinué la main entre mes cuisses, me tenant fermement le
sexe.) C’est à moi. Je suis le seul à avoir le droit de te toucher là. J’ai l’intention de te satisfaire, mais si
tu as besoin de jouir, attends-moi, ou attends que je t’en donne l’ordre.
— Je n’ai pas le droit de me toucher devant une caméra pour toi ?
Je me suis frottée contre son érection, il a retenu son souffle.
— Je te donnerai l’ordre de refaire ça, quand je pourrai en profiter pleinement. J’étais en réunion
quand je t’ai surprise. (Il a poursuivi, la bouche dans mon cou humide.) J’ai eu une telle érection que j’ai
dû sortir précipitamment. Pendant tout le trajet, le téléphone tremblait dans ma main.
— Alors j’attendrai ton ordre, ai-je accepté dans un élan d’enthousiasme.
— Et ma permission. Tu ne dois pas jouir du tout sans avoir demandé, et reçu, ma permission.
— Je m’y ferai. D’autres règles ?
— Oui, une seule. (Il m’a pincé le menton.) Ne regarde aucun autre homme avec envie, sauf si tu veux
sa mort.
Je savais qu’il était capable de tuer pour ça.
— Tu m’appartiens à moi seul. Comme aucun homme ne possède une femme.
Son regard me transperçait, sondant mon âme. En cet instant, je me sentais plus vulnérable face à lui
seul que devant un public.
— Tu as compris ?
J’ai hoché la tête, les yeux levés vers lui.
— Horosho. (Bien.) Ça mérite une récompense.
Il m’a installée sur le banc immergé. Seule. Il s’est levé avant que je n’aie pu protester. Les gouttes
d’eau ruisselaient sur sa musculature, sur ses tatouages fascinants. La vue de son corps suffisait à tendre
mes seins endoloris, à me faire mouiller.
Il a étalé un peignoir sur le large rebord en marbre de la baignoire, et m’a aidée à me relever.
— Mets-toi à quatre pattes sur le peignoir.
Il m’a aidée à m’installer. Même hors de l’eau, j’avais l’impression de flotter. Alanguie, je l’ai laissé
me placer dans la bonne position, ma nudité exposée à son regard.
— Pose la joue sur la serviette, et tends les bras le long de ton corps. Comme ça. Écarte les jambes.
Bien. Ne bouge plus. (Il s’est positionné derrière moi.) Détends-toi et accepte ce que je vais te faire.
C’est-à-dire… ?
Il a frotté son sexe contre la raie de mes fesses. J’ai retenu mon souffle. Pas ça ?
— Tu es tellement sensible. Pourquoi ça m’étonne encore ?
Au moment où, résignée, je me cambrais à sa rencontre, il a embrassé ma fesse, mordillant et léchant
les parties meurtries par le fouet.
— Là aussi, tu vas avoir mal. (Il a prodigué la même attention à mon autre fesse.) Tu étais si
délicieuse avec ces traces rouges sur ta peau blanche. (Il a frotté le visage contre l’arrière de mes
cuisses.) J’imaginais ce que tu ressentais, et rien qu’à voir tes fesses dans cet état, j’ai failli jouir.
Son visage est descendu entre mes cuisses, vers mon sexe. Pour m’embrasser par-derrière ? Très
excitant…
Le premier coup de langue m’a arraché un cri.
— Tu sembles surprise. (Il a aguiché l’entrée du bout de la langue.) Tu croyais vraiment que je
passerais une journée sans te savourer ? Ce n’est pas sans raison que je t’appelle milaya moya. Si un jour
je n’ai pas ma dose, je deviendrai irritable.
Il m’a embrassée avec la langue, fouillant mes lèvres comme si c’était ma bouche. J’ai gémi. Je
voulais qu’il continue mais le désir m’enfiévrait.
— Sevastyan, s’il te plaît, pénètre-moi.
— Pas encore. Tu dois être prête, je ne veux pas te faire mal.
Ses pouces m’ont écartée, redoublant mon besoin de jouir.
— Ça va rentrer, ai-je haleté.
Il s’est rapproché de mon clitoris.
— Ce n’est pas assez ?
— Oh mon Dieu !
Je serrais les poings. Il a eu un petit rire diabolique.
— Détends-toi et accepte.
Sa bouche me mettait face à un conflit : je refusais de jouir sans y avoir été autorisée mais l’abîme me
tendait les bras.
— Sevastyan, je peux…
— Non.
— Je t’en prie, laisse-moi jouir.
— Comment ? a-t-il demandé.
— De quoi ?
— Comment tu veux jouir ? Sois plus précise. Et reste dans cette position si tu veux ma bouche.
Je me suis forcée à me décontracter entièrement.
— S’il te plaît, n’arrête pas. Plus fort, ai-je imploré d’une voix éraillée.
— Où ? Sois plus claire.
Il me dominait tant que pour la dixième fois de la soirée, je cherchais mes mots.
— S’il te plaît… lèche mon clito… pour me faire jouir.
— Mmm, c’est mieux.
Son jeu de pouvoir sexuel me plaisait autant qu’à lui. Tout en plongeant la tête pour lécher mon
bourgeon, il a écarté mes fesses, ses doigts proches de mon anus.
— Et… touche-moi là en même temps, ai-je dit sans croire que je demandais ça.
— Ici, mon amour ? a-t-il demandé innocemment, avant que sa langue raide ne s’immisce dans mon
sexe.
Frustrée, j’ai tapé des pieds.
— Tu sais ce que je veux dire !
— Ah oui, là.
Sa langue s’est enfoncée, suscitant autant de plaisir que de mécontentement. Je perdais la tête.
— S’il te plaît, lèche mon clito et touche mes fesses, ai-je geint.
— Alors arrête de gigoter, a-t-il lancé.
En mon for intérieur, je savais qu’il jouait avec moi. Il s’amusait et j’adorais ça. Il a aspiré mon clito
entre ses lèvres humides.
— Ah, mon Dieu…
Son pouce a trouvé le centre… j’ai explosé, mon cri me prenant au dépourvu.
— Sevastyan !
La pression entre mes fesses et autour de mon clitoris, tandis qu’il suçait et titillait, a soulevé des
vagues de plaisir… Il s’est redressé.
— Petite gourmande. Tu as joui sans ma permission ? Demain, je te punirai pour ça. Ce soir, tu m’as
satisfait, alors tu as droit à un répit.
— Tu vas me pénétrer ? ai-je imploré, essoufflée.
— Pas ce soir. (Il se caressait ?) Et te voir comme tu es, là, ça ne durerait pas bien longtemps.
— Vraiment ?
— Si je mettais un préservatif, je jouirais dedans.
Un rire m’a échappé. Quel homme affolant, fascinant !
En appui sur le front, je l’ai regardé entre mes jambes. Ses tatouages roulaient sur les muscles de ses
bras pendant qu’il caressait sa hampe.
— Si tu savais les images qui me viennent, ma beauté…
Fascinée par son ton malicieux, son regard vicieux, j’ai enroulé les orteils.
— Tu veux que je te marque avec mon sperme ?
Il a serré son sexe pour se retenir d’éjaculer. En réponse, j’ai cambré le dos pour m’écarteler. Un
instant plus tard, un ruban chaud se déversait sur mes fesses. Roulant des hanches, il pilonnait son poing,
recouvrant ma peau de sa semence.
Chaque jet était aussi brûlant que les lanières de cuir du martinet. Il a longuement crié de plaisir avant
d’être rassasié.
— Regarde comme tu es belle, a-t-il articulé, le souffle lourd.
J’ai rougi, imaginant à quoi je ressemblais : ouverte, vulnérable, les fesses rougies et zébrées de
sperme.
— Je vais graver cette image dans ma mémoire.
Il m’a contemplée jusqu’à ce que je me tortille.
— Sevastyan…
Nous nous sommes rallongés dans l’eau. Il m’a lavée tout en me couvrant de baisers et d’éloges – j’ai
tout savouré.
Il s’est levé, essuyé, et m’a sortie du bain.
Étourdie, je me suis laissé sécher, et porter jusqu’au lit. Dans les draps, il s’est allongé sur le dos et
m’a prise contre lui. Quand je me suis blottie dans ses bras, il a laissé échapper un soupir – un soupir de
pure satisfaction masculine.
L’oreille posée sur son cœur, j’étais bercée par ses battements. Depuis quand n’avais-je pas été aussi
détendue et paisible ?
Une chose était sûre, je ne m’étais jamais sentie aussi amoureuse.
— Tu m’as entièrement comblé. Je n’avais jamais éprouvé autant de fierté, a-t-il murmuré dans mes
cheveux.
Je me suis endormie avec le sourire. Ce soir, nous avions porté un coup fatal à nos obstacles.
Demain tout serait différent entre nous…
37

Rien n’a changé. Absolument rien, me disais-je en faisant les cent pas.
J’avais dormi jusqu’en début d’après-midi – dix heures d’affilée ! Je m’étais réveillée avec un grand
sourire, en me disant la vache, j’ai mal aux fesses. Puis j’avais remarqué que j’étais seule.
Sevastyan n’avait ni laissé de message ni téléphoné.
J’étais dans tous mes états. En pleine redescente de sexe, j’avais froid et la chute d’endorphine me
rendait irritable. Mes marques étaient légères mais j’avais l’impression d’être passée sous un rouleau
compresseur.
Trois heures plus tard, j’étais toujours aussi nerveuse. Son absence me stupéfiait. Les affaires de
l’organisation l’accaparaient probablement, mais il aurait pu prendre un jour de congé, non ? La logique
aurait voulu que je reste au lit, lovée dans ses bras !
Pourquoi n’est-il pas là pour moi ? Mes pas s’accéléraient en rythme avec mes pensées. Et s’il
regrettait de m’avoir emmenée au club ? Et si les remords le rongeaient ? Pourquoi je n’arrive pas à me
réchauffer ?
Et si je l’avais déçu, d’une manière ou d’une autre ?
En temps normal, je ne cédais pas à la panique. Mais après les expériences physiques et
émotionnelles extrêmes de la veille, j’étais bouleversée.
J’ai pris mon téléphone tout en me raisonnant. Je ne voulais pas passer pour une fille faible qui a
besoin d’être rassurée – tout cela parce que, la nuit précédente, elle avait été fouettée, malmenée
sexuellement, et contrainte de jouir devant des dizaines de spectateurs…
Plus tôt, je fixais le téléphone en tergiversant quand Jess avait appelé. J’avais répondu sans grande
chaleur.
— Où est-ce qu’il t’a emmenée hier soir ? J’ai tellement envie de tout savoir que j’ai réussi à appeler
la France !
Je lui ai tout raconté.
— Tu l’as vraiment laissé t’attacher ? Devant des gens ? Wouah, Natalie, je suis tellement fière de la
femme que tu es devenue ! (Elle avait marqué une pause.) Attends, tu vas me dépasser, côté sexe ? Je
veux ma carte d’abonnée au Cirque de la Queue ! Allez, espèce de cochonne, tu m’en offres une ?
Je n’étais pas d’humeur à plaisanter.
— Il n’était pas là quand je me suis réveillée. Il n’a pas laissé de mot, Jess. Pourquoi me faire le
coup du mec qui file en douce au petit matin ?
— Il doit retourner ciel et terre pour préparer le jeu suivant. Pas facile de trouver mieux que le
Cirque de la Queue.
Après avoir raccroché, j’ai essayé de me changer les idées devant les écrans de surveillance, en
vain. Je me suis remise à arpenter la pièce, foulant la moquette épaisse d’un mur à l’autre.
Je n’avais jamais autant fait de pas que depuis que je connaissais Sevastyan. Plus son absence se
prolongeait, plus mon humeur s’assombrissait. Je ne lui téléphonerai pas…
Dans un élan d’orgueil nuancé de colère, j’ai trouvé la force de lancer le téléphone sur le lit.
Glacée et courbaturée, j’ai pris une douche brûlante et ouvert les portes de ma penderie. Des jupes,
des chemisiers raffinés, des talons et des bas. S’il avait commandé la même garde-robe qu’à Berezka, il
n’avait pas omis de procéder à une sélection suggestive. Mécontente, je regrettais mes pulls et mes tee-
shirts tachés de pizzas. Parfois, dans ma prison dorée, j’aurais préféré porter un vieux jean et des
godillots.
Après une soirée de cet ordre, mon premier réflexe n’était pas d’attraper des dessous transparents…
Le soleil se couchait quand Sevastyan est rentré. J’ai immédiatement remarqué son regard fermé.
— Où étais-tu ?
Ma voix était d’un calme remarquable, considérant que j’avais envie de le tailler en pièces.
— En réunion.
Distant sans être froid, il n’était plus l’amant idéal de la veille.
— Comment s’est passée ta journée ? (Chéri !)
— Très bien.
Je l’ai fixé, en proie à la confusion.
— La mienne aussi. Merci de poser la question.
Il osait me traiter de cette façon après ce que nous avions partagé ? Quelle naïve j’étais : ce n’était
pas parce que nous avions surmonté nos difficultés sexuelles qu’il en était de même avec nos émotions.
— Bien.
Il s’est détourné en ôtant sa veste et son holster. J’avais le sentiment qu’il tentait de prendre ses
distances. Et pour rester parano, j’aurais dit qu’il était… mal à l’aise.
Maintenant que nous étions sur la même longueur d’onde ? Impossible.
— Tu m’as évitée, aujourd’hui ? ai-je demandé avec un rire forcé.
— Non, a-t-il répondu tout en faisant tourner sa bague.
38

— Tu es bien silencieuse, a fait remarquer Sevastyan.


— Je réfléchis.
Par la vitre de la limousine, je regardais défiler les rues de Paris, ses lampadaires et ses marronniers.
Il avait annoncé une surprise, sans préciser la destination.
Quatre jours s’étaient écoulés depuis le club, et nos progrès au lit se confirmaient. Toutefois, dans les
autres domaines, nous pataugions.
Cette nuit-là, nous avions atteint le sommet et depuis, nous redescendions toujours plus bas.
— Tu es pensive. (Ses doigts tatoués ont tambouriné l’accoudoir.) Je ne t’ai jamais vue comme ça.
— J’imagine que j’ai pas mal de choses en tête.
Des craintes. Elles me submergeaient.
C’était indéniable – Sevastyan m’évitait la journée.
La nuit, tout changeait. Il me gâtait, me prodiguait mille plaisirs en me donnant des ordres, en guidant
chaque instant. Il réitérait incessamment la preuve que nos vices étaient incroyablement bien assortis.
Comme promis, une collection d’accessoires avait été livrée. Elle est arrivée dans une penderie
volumineuse – un placard BDSM, globalement. S’il n’avait pas utilisé d’instruments hardcore – selon son
souhait d’y aller plus doucement –, il avait eu recours à plusieurs jouets.
Mes orgasmes semblaient le fasciner. Il testait la rapidité avec laquelle il m’amenait à jouir, le temps
pendant lequel il pouvait me le refuser, jusqu’à ce que j’implore son autorisation.
La nuit, il était parfait. Mais le jour, quand il était présent, il était silencieux et renfermé. C’était
pénible à plus d’un égard. Il s’appliquait à renforcer ma vulnérabilité, mon abandon, si bien que le
lendemain, j’étais à vif – juste au moment où il disparaissait de nouveau.
C’était comme courir pour rattraper un ballon – avec la tête.
Il a repris ses tapotements sur l’accoudoir. Ça me mettait les nerfs en pelote. La nuit au club, nous
étions en parfaite harmonie. Maintenant, il m’irritait sans cesse.
— Dis-moi à quoi tu penses, a-t-il insisté.
Très fin.
— Je peux avoir un indice sur l’endroit où nous allons ? ai-je préféré demander.
— C’est une surprise.
Un autre club ? Suis pas d’humeur, Sevastyan. Pourtant, je devais admettre qu’il avait piqué ma
curiosité.
— Pour quelqu’un qui n’apprécie pas les surprises, tu aimes en faire.
— Tu aurais préféré rester à la maison ? C’est vrai qu’il se fait tard.
J’étais tellement abasourdie que j’aurais pu demander à faire demi-tour si je n’avais pas eu besoin de
prendre l’air. De plus, un peu plus tôt, il avait changé de comportement. En rentrant de sa réunion
mystérieuse, il m’avait prise dans ses bras, sans un mot, et m’avait agrippée comme une bouée de
sauvetage. Comme s’il franchissait une ligne d’arrivée le séparant de moi.
C’était trop confus !
Il a libéré un long souffle.
— Parfois, tu es un grand mystère pour moi.
S’il continuait à pianoter l’accoudoir, j’allais lui casser les doigts en deux.
— Ça te va bien de dire ça. Et puis, je te dis tout.
— Pas ce soir.
— Possible, ai-je admis.
— Je t’ai demandé de m’informer de tes besoins. Tu étais d’accord.
Par où commencer ?
— Tu veux vraiment poursuivre sur ce terrain ?
— Oui.
Tu l’auras voulu…
— Quand tu es sorti, le lendemain de la nuit au club, j’aurais aimé que tu laisses un mot. Pour me
rassurer.
— Sur quel point ? Tu ne pouvais pas douter de mes sentiments après cette soirée.
— J’aurais apprécié un petit signe.
Tambourinements, tambourinements.
— Très bien. Quoi d’autre… ?
— Je veux savoir ce que tu fais de tes journées.
— Je suis pris par des soucis professionnels.
— Des affaires de l’organisation que tu traites avec ce Maksim ? (Il a hoché la tête.) Je sais qu’il te
renseigne sur Berezka. Tu lui parles aussi souvent que j’appelle Jess. Qui est-il pour toi ?
— Juste un allié temporaire. Il m’aide à affronter certains obstacles récents.
De nouveau, j’ai eu l’impression qu’il me cachait des choses. Me reniait, éventuellement ?
— Qu’est-ce qui t’ennuie, à part ça ?
Tambourinements, tambourinements.
— Je ne supporte plus de rester enfermée toute seule à la maison.
— C’est bien pour cela que nous sortons.
Je l’ai regardé de travers.
— Combien de temps allons-nous rester ici ? J’ai l’habitude de voir du monde, de bavarder, de rire.
D’avoir des objectifs et de m’efforcer de les réaliser. J’ai besoin d’une date butoir. Ce séjour à durée
indéterminée ne me convient pas.
— Nous rentrons en Russie en début de semaine prochaine. Tout sera différent là-bas, Natalie.
D’où me venait l’impression que j’allais souvent entendre cette phrase ?
— En quoi ?
— Tu te feras des amis. Tes journées seront bien remplies, et je te saurai en sécurité. Dans
l’immédiat, j’aimerais que tu sois plus patiente.
J’ai bougonné. Je devais pouvoir tenir deux jours supplémentaires. La limousine a ralenti.
— C’est ici ? ai-je demandé avec une impatience ridicule.
Sevastyan a sorti une bande de tissu de soie de la poche de sa veste.
— C’est une surprise, alors…
— Très bien.
Je l’ai laissé me bander les yeux. La voiture garée, il m’a aidée à descendre dans la nuit venteuse et
m’a guidée jusqu’à une volée de marches bétonnées.
— Cette fois, nous montons au-dessus du sol ? ai-je raillé.
— Ne t’y habitue pas trop, a-t-il répondu sur le même ton.
Nous sommes entrés dans un endroit agréablement chaud. Mes pas résonnaient dans le silence. Quand
il a dénoué le bandeau, j’ai cligné des yeux, m’ajustant à l’immensité de l’espace. Reconnaissant les
lieux, j’ai pivoté vers lui.
Le Musée d’Orsay ! Mon guide touristique l’évoquait brièvement et j’avais déjà vu des photos. Cette
ancienne gare avait été rénovée pour accueillir les œuvres de célèbres impressionnistes et d’autres
artistes de la même époque. La Nuit étoilée sur le Rhône de Van Gogh, ma préférée de toutes, était ici !
J’étais époustouflée de la savoir toute proche.
Autour de moi, il n’y avait pas âme qui vive. Les lumières étaient tamisées.
Nous avions tout le musée pour nous ? Mon agacement s’est calmé, remplacé par la culpabilité
d’avoir été tentée de lui briser les doigts.
— C’est pas le pied ? a sèchement dit Sevastyan.
J’ai éclaté de rire.
— C’est le moins qu’on puisse dire ! Tu t’es racheté, le Sibérien. Comment as-tu obtenu le droit
d’entrer après la fermeture ?
— Échange de bons procédés. Ce musée est plus petit et plus intime que le Louvre, mieux adapté à
une exploration nocturne. Viens.
L’une des premières sculptures était une adorable Sappho contemplative, avec sa lyre.
— Elle composait des poèmes pour être accompagnée par la lyre. C’est la première compositrice, en
quelque sorte, ai-je commenté.
L’autodidacte a paru impressionné.
— Tu connais la poésie grecque classique ?
— Quand on étudie l’histoire de la sexualité, on connaît Sappho.
Pouvais-je encore prétendre être étudiante en histoire ? Je devais peut-être suivre les conseils de
Paxán et parcourir le monde, vivre mes rêves. Avec Sevastyan ?
Tandis que nous parcourions les salles habitées par de magnifiques statues, je le regardais à la
dérobée. Malgré cette fameuse surprise, il semblait moins assuré que d’ordinaire.
Je me souvenais de sa concentration pendant qu’il me lavait les cheveux, sa détermination à bien s’y
prendre. Il affichait le même air ce soir, comme s’il devait impérativement m’impressionner.
En réalité, il était plus à l’affût de mes réactions qu’en admiration devant les œuvres d’art. Tout
comme il avait observé mon visage du même œil que la partie fine.
— L’art ne t’intéresse pas ? ai-je demandé.
— Je préfère regarder ton visage s’animer.
Irrésistible. Après ce type de réponse, comment continuer à lui en vouloir ?
L’une des dernières œuvres du rez-de-chaussée était la Femme mordue par un serpent, sculpture
grandeur nature d’une femme nue se tordant sur un parterre de fleurs. Son corps était voluptueux, ses
courbes exhibées pour l’éternité.
Malgré la sensualité qui émanait de l’œuvre, je sentais le regard brûlant de Sevastyan sur moi. Quand
j’ai levé les yeux vers lui, à son regard assombri, j’ai compris quelle silhouette il voulait avoir pour
l’éternité.
Je m’étais habituée à son regard sensuel – au lit, sous la douche, dans le club. Mais dans un musée, il
m’a troublée, autant que lors de notre première rencontre.
J’ai ramené mes cheveux derrière l’oreille par coquetterie – salut, je peux t’offrir un verre ? – et
poursuivi la visite. Nous avons monté l’escalier en silence, perdus dans nos pensées.
Mais à l’étage, j’ai longé certains chefs-d’œuvre d’un pas hâtif en direction de la Nuit étoilée. Et une
fois devant…
— Je n’en crois pas mes yeux.
À côté de moi, silencieux, il me laissait le temps de l’admirer. Les copies que j’avais vues ne
rendaient pas grâce à la texture élaborée de la toile, aux épais coups de pinceaux. Le rendu brut du reflet
des lampes à gaz sur l’eau. Chaque étoile naissait d’une superposition délicate de couleurs formant un
relief sur la toile.
Je l’ai regardée en clignant des yeux, en me demandant depuis combien de temps je la contemplais.
— C’est ma préférée de cette période, ai-je expliqué en piquant un fard.
— Pourquoi celle-là ?
— Les bateaux, la lumière sur l’eau… c’est un autre monde, comparé aux champs du Nebraska, à tout
ce que j’ai toujours connu. Je n’ai jamais vu ces teintes de bleu dans la Corn Belt. Pour une fille comme
moi, les couleurs sont exotiques, elles m’attirent.
Sans compter que j’avais secrètement observé les deux amants qui partageaient la nuit à l’arrière-
plan.
Sevastyan s’est rapproché de moi.
— Quand tu t’enthousiasmes, tes joues sont toutes rouges et tes yeux deviennent plus lumineux au
milieu de tes cheveux rouge feu. (Il a enroulé une mèche autour de son doigt.) Tes couleurs m’attirent.
J’ai laissé échapper un souffle. Quand il était comme ça, je me sentais submergée par le souvenir de
nos expériences sexuelles bouleversantes, de ses regards admiratifs et de ses compliments sincères.
Quel était mon but ? Qu’il me voie comme une partenaire, une confidente.
Il s’est écarté.
— Je parle trop librement avec toi. (À son tour, ses joues se sont empourprées.) Dès que je suis avec
toi, j’en dis plus que je ne le voudrais.
— Alors nous devrions passer plus de temps ensemble.
Il m’a prise par la main pour poursuivre la visite.
— Ou moins, a-t-il protesté.
— Ce serait si terrible que je te connaisse mieux ?
— Tu n’aimerais pas découvrir certaines choses.
Était-ce la raison de sa réserve ? Il redoutait de m’effrayer. Ce n’était pas cohérent.
Tout en admirant les œuvres suivantes, j’ai repensé à mon premier semestre à l’université. Jess et
moi devenions amies, et elle sortait avec un nouveau petit copain « prometteur ». Pourtant, un soir, il lui
avait dit d’un air mystérieux « je crois que je ne te plairais pas si tu me connaissais mieux ». À son grand
désarroi, elle l’avait plaqué. Elle m’avait expliqué « quand un homme te parle comme ça, ma biche,
crois-le sur parole ».
Nous nous étions fait une promesse : quand les hommes se dénigreraient – « Je ne suis pas assez bien
pour toi », « J’ai des problèmes d’engagement », « Je n’ai pas l’intention de me fixer » – nous les
écouterions.
Sevastyan m’avait dit qu’il n’était pas quelqu’un de bon. J’avais cru qu’il faisait allusion à ses
fonctions d’homme de main. Mais que me cachait-il ?
— Je te parlerais plus de moi si j’étais sûr de toi, a-t-il ajouté.
La ligne d’arrivée nous séparait toujours, une marque définitive sur le sol.
— Nous revoilà pris dans un cercle vicieux. J’ai du mal à m’engager parce que j’en sais trop peu sur
toi. Tu me jettes des miettes par-ci par-là. À ce train-là, rien ne sera sûr avant vingt ans.
En parlant de temps… Nous étions arrivés devant la magnifique horloge vitrée d’Orsay. Entre les
chiffres romains, j’apercevais la Seine embrumée, les lumières du Louvre et le Jardin des Tuileries.
Devant cette vue, la tension est redescendue entre nous, au profit du souvenir de mon père,
l’Horloger. Quand l’aiguille des minutes a avancé, j’ai eu les larmes aux yeux.
— Comment vas-tu, Sevastyan ?
Inutile de préciser ma question. Sous le coup de l’émotion, son visage s’est endurci.
— J’ai du chagrin, comme toi. Je pense souvent à lui.
Je lui ai pris la main.
— Je pense tout le temps à lui. Il est présent de différentes manières.
Ce soir, j’avais réfléchi à sa lettre, à ce qu’il espérait pour moi. Plus tôt dans la semaine, j’avais vu
des tigres blancs sur un panneau publicitaire, et j’avais aussitôt entendu son éclat de rire.
— Tu veux bien me raconter une histoire à son sujet ?
Sevastyan a ouvert la bouche – assurément pour refuser.
— Rien qu’une, me suis-je empressée d’ajouter. Pozhaluista.
S’il te plaît.
Il s’est éclairci la voix comme s’il allait faire une déclaration publique.
— J’étais avec lui depuis quelques mois quand il m’a emmené à une réunion au sommet. Le fils d’un
vor a fait une remarque que j’ai trouvée insultante sur Paxán. J’ai défié le garçon, plus âgé que moi – nous
étions donc condamnés à nous battre au milieu d’un entrepôt bondé. « Tu es trop intelligent pour recevoir
des coups sur la tête », m’a dit Paxán en jouant des coudes. (Sevastyan a froncé les sourcils.) Il me disait
tout le temps que j’étais intelligent. Et je lui répondais alors que j’allais « me battre intelligemment ».
J’imaginais facilement la scène : Paxán le réprimandant parmi une foule de mafieux, Sevastyan le
menton fièrement dressé – même s’il se réjouissait de son attention. Personne ne s’était intéressé à lui
avant cela ?
— Pendant que je marchais vers le ring de fortune, les hommes hurlaient autour de nous, faisaient des
paris. Je n’avais que quatorze ans, et c’était… beaucoup. Paxán s’inquiétait que je sois blessé. Je lui ai
rétorqué de ne pas se faire de souci.
— Qu’est-ce qu’il a répondu ?
— Il a soupiré et déclaré : « Autant t’y faire, fils. » La première fois qu’il m’appelait « fils ». J’ai eu
un déclic, et j’ai enfin accepté que j’avais trouvé un foyer, que c’était permanent.
Avait-il craint pendant des mois de devoir retourner vivre dans la rue ? De quitter un endroit aussi
fastueux que Berezka ? Pauvre gamin.
— Après ça, j’étais déterminé à le rendre fier de moi, à gagner.
— Et tu as gagné ?
— Il a fallu trois hommes pour me détacher de mon adversaire, quand il s’est évanoui.
À quatorze ans.
— Paxán t’a laissé continuer à te battre par la suite ?
— Je l’ai convaincu que je ne me battrais pas sans raison, seulement pour l’argent et le respect. Il
était bien obligé d’accepter.
— Tu n’es pas allé à l’école ?
— Il m’a tout appris, a-t-il simplement répondu.
Filip avait menti, il n’avait pas une dent contre ceux qui avaient fait des études. Sevastyan avait
clairement confiance en son intelligence. Et Paxán avait su consolider cette assurance.
— Toutes les semaines, il m’apportait des livres. Mathématiques, essais économiques, philosophie,
littérature russe. Et histoire. Il ne m’imposait pas de les lire mais ma récompense était d’en discuter avec
lui, généralement pendant qu’il réparait ses horloges.
Son affection était si palpable que j’ai de nouveau eu les larmes aux yeux.
— Merci de m’avoir raconté cette histoire.
Il m’avait confié une anecdote ! Chaque fois qu’il m’offrait un aperçu de son passé, je tombais un peu
plus amoureuse de lui.
Il a haussé les sourcils.
— Je crois que je n’ai jamais autant parlé.
Je n’arrivais pas à déterminer s’il blaguait. En cet instant, les nuages se sont dissipés, et la lune est
apparue. Son halo s’est reflété sur le fleuve et a illuminé les chiffres de l’horloge.
La pleine lune. Un mois était passé depuis que Sevastyan m’avait emmenée en Russie ? Depuis notre
premier baiser ?
Je me suis demandé s’il en était conscient, même s’il ne laissait jamais rien au hasard. Sevastyan
serait romantique malgré lui ?
— C’est une sorte de date anniversaire pour nous, ai-je dit d’un ton léger.
— Oui, c’est vrai, a-t-il répondu sans paraître surpris.
— Nous fêtons notre premier baiser ?
J’ignorais alors le rôle qu’il jouerait dans ma vie. Il m’a prise dans ses bras.
— J’aimerais bien, oui. Tu n’imagines pas à quel point je désirais t’embrasser.
— Tu as fait plus que ça dans l’avion.
Replongé dans ces souvenirs, il a baissé les yeux.
— J’ai eu beaucoup de chance cette nuit-là.
— Et maintenant ?
— Je me considérerai chanceux le jour où tu te diras prise. Chaque homme a ses faiblesses. Tu es la
mienne. Je l’ai accepté. Maintenant tu dois m’accepter.
Les femmes aussi ont leurs faiblesses. Et Aleksandr Sevastyan était la mienne.
— Je te veux entièrement, Natalie.
Maintenant qu’il s’était confié, nous pouvions repartir sur une base plus solide. Je lui ai souri.
— Je ne te cache rien, le Sibérien.
— Je suppose que c’est suffisant, pour l’instant. (Il a caressé ma joue.) Veux-tu revoir ta peinture ?
Nous pouvons revenir en arrière.
Revenir en arrière ? Cette fois, quand l’aiguille des minutes a avancé, je n’ai pas éprouvé de
tristesse. L’optimisme bourgeonnait en moi.
Allions-nous enfin de l’avant ?
39

— La vie à deux ne te rend pas heureuse ? m’a demandé Jess deux jours plus tard. Je croyais que
vous roucouliez depuis le musée.
— Il est encore plus distant, si jamais c’est possible.
Au réveil, il était de nouveau porté disparu. Et, surprise, il n’avait pas laissé de mot. J’avais reçu un
SMS : en réunion.
Génial, merci. J’avais cru que les souvenirs de Paxán seraient notre terrain commun. Mais il n’avait
plus voulu parler de mon père.
— Il m’a tout l’air d’être un cas désespéré, a fait remarquer Jess.
— Nous sommes supposés rentrer en Russie dans deux jours. Il a promis que tout serait différent là-
bas.
— Et ?
— Je suis méfiante. Je ne suis pas certaine de vouloir le suivre.
Dans les moments les plus sombres, je me demandais si j’en étais capable – sans sacrifier une partie
de moi.
— Comment le sexe peut être si bon alors que rien ne va ? Je sais très bien qu’aucun autre homme ne
me conviendra aussi bien que lui au lit. Je l’ai trouvé du premier coup.
— Tu ne serais pas amoureuse, Nat ?
— Je le suis, ai-je avoué. Mais c’est compliqué. Cet amour a un côté tranchant. C’est épuisant. Je ne
me souviens pas d’avoir été aussi épuisée.
Je devais peut-être échapper à son influence le temps d’assimiler tout ce qui s’était passé. Sa
personnalité était imposante, et les choses qu’il m’avait montrées l’étaient tout autant. Je devais souffrir
de surcharge affective.
Par moments, je me disais qu’une pause serait bénéfique. À d’autres, l’idée de me séparer de lui était
inconcevable.
— Tu dois aller au fond des choses, a dit Jess. Si tu veux des réponses, exige-les. Utilise un langage
qu’il comprend. Creuse jusqu’à extraire l’écharde de la patte du lion.
— Et s’il m’empêche de creuser ?
— Alors laisse sa patte se gangrener – sans toi. Il faut que ça cesse. Un dernier essai, et arrête tout.
Elle avait peut-être raison. Il s’était attendu à ce que je m’adapte à tout pendant qu’il se bornait à
rester le même. Le temps était venu d’arrêter de faire des compromis et de lui trouver des excuses.
— Tu sais que tu vas devoir te libérer, cette fois, Nat. Tu espères que je te conseille de t’accrocher
contre vents et marées, de supporter toutes ses perversions. Erreur. Parfois, l’instinct de préservation
consiste à protéger son être intime.
— C’est profond, Jess.
En réalité, c’est là que j’échouais : rester Natalie.
— D’où tu sors ça ? ai-je demandé.
— Je l’ai lu dans un fichu roman d’amour.
J’ai poussé un cri de surprise.
— Tu sais lire ?
— C’est comme ça que je t’aime ! Contente de te retrouver, Nat ! Largue la licorne noire et rentre à la
maison.
Je me suis remémoré sa réaction la dernière fois que j’avais avancé l’idée d’une séparation
temporaire. Il avait retourné la commode.
— Avec lui, c’est délicat de s’éloigner.
— N’oublie pas mon conseil de base : sois la plus folle des deux !
Après avoir raccroché, je me suis habillée tout en me préparant mentalement à l’attaque. J’aurais tout
donné pour un jean et des bottes confortables – ou n’importe quelle tenue sortie du fond de ma panière à
linge du Nebraska.
J’ai opté pour un chemisier satiné bleu cobalt et une jupe crayon noire. J’ai noué mes cheveux sur le
dessus de ma tête, et chaussé des escarpins à bouts pointus.
Il n’est rentré que tard dans la soirée. À son pas dans l’escalier, je sentais sa lassitude.
Pas seulement de l’épuisement – aussi de la distance. Pire que jamais. J’ai même vu de la rancœur
dans ses yeux. Envers… moi ? Qu’avais-je bien pu faire ?
— Il faut qu’on parle.
Il s’est défait de son arme, a fait rouler la tête sur ses épaules.
— Je ne veux pas discuter maintenant.
— Ça ne peut plus continuer. J’en ai assez de tuer le temps, enfermée ici, pendant que tu assistes à
ces réunions secrètes. J’en ai assez d’être tenue à l’écart de ta vie.
— Tu vas devoir apprendre la patience, m’a-t-il avertie.
La patience ? Il recommençait à tout me mettre sur le dos ?
— Quand vas-tu me laisser faire partie de ta vie ? Quand m’estimeras-tu suffisamment pour
m’informer de tes affaires, pour éventuellement en discuter avec moi ? Quand nous coucherons
ensemble ? Ah, non, ça, c’est déjà fait ! Quand nous vivrons ensemble ? Ça aussi, déjà fait. (Je me suis
tapoté le menton.) Voyons… Peut-être après que tu m’as fouettée et ligotée devant des gens ? Je ne vois
pas ce que nous pourrions partager de plus intime ! Et pourtant, tu refuses de partager tes journées avec
moi, ni même tes pensées !
— Peut-être jamais, a-t-il répondu Tu l’as déjà envisagé, Natalie ? Et si la réponse était jamais ?
— Si je ne suis pas ta partenaire dans ce domaine, alors je ne suis qu’une poupée, un jouet que tu
déplaces et ranges à ta guise. (Comme je faisais avec mon arsenal.) Qu’est-ce que ça me fait, à ton avis ?
Pour lui, j’étais à peine un effet personnel – son bien, comme il disait.
Tu aurais dû le croire sur parole, ma biche.
Il s’est frotté la bouche.
— Je ne sais peut-être pas te donner ce que tu attends de moi.
— Tu en es capable, mais tu refuses de le donner !
— Alors je suis le seul responsable ? Pourquoi te ferais-je des confidences alors que je te sens
t’éloigner de moi ?
— Non, non, le Sibérien. Je ne m’éloigne pas du tout – tu me fous dehors ! Si tu continues comme ça,
je me tire ! Tu as compris ?
Malgré la panique qui grondait en lui, il renvoyait l’image d’un homme plein de confiance.
— Tu ne partiras pas, ma douce. Tu es aussi dépendante de moi que je le suis de toi.
Sous influence, d’accord. Sans compter que j’étais bêtement amoureuse de lui. Pourtant, s’il n’était
pas bon pour moi, avec moi…
— C’est vrai, je suis accro. Mais il est peut-être temps de casser l’habitude…
Un raffut a éclaté au rez-de-chaussée. Sevastyan a plongé vers son étui et brandi son arme en un
éclair.
— Reste ici. Ferme à clé derrière moi.
Mon cœur battait à tout rompre.
— Qui est en bas ? Les hommes d’un autre vor ?
Il a penché la tête sur le côté.
— Non, c’est bien le problème, a-t-il répondu au bout d’un instant.
— Comment ça ? Pourquoi ?
— Je ne peux abattre que les ennemis.
40

En verrouillant la porte derrière lui, je me suis demandé pourquoi Sevastyan ne m’avait pas envoyée
m’enfermer dans la pièce de survie.
J’avais la réponse. Pour éviter que je regarde les écrans de contrôle. Donc je devais le faire.
Assise devant le bureau, je l’ai suivi dans l’escalier, d’un écran à l’autre. Quand j’ai découvert les
images du parking, j’ai écarquillé les yeux. Notre gardien était étendu sur le sol. Toutefois, il semblait
encore respirer.
Dans la cuisine, j’ai vu un homme brun de la taille de Sevastyan, pliant les doigts de sa main droite. Il
avait assommé notre corpulent employé d’un coup de poing ?
Pouvait-il être le mystérieux Maksim ? Il était aussi bien habillé que Sevastyan, peut-être en plus
classique. Bien qu’il ait frappé un homme, son costume sombre restait impeccable.
Sur l’écran en couleurs, je voyais que ses yeux étaient d’un bleu perçant. Sans parvenir à le resituer,
il m’était familier.
Il s’est emparé d’une bouteille de vodka et de verres, comme s’il attendait que Sevastyan le rejoigne.
Cependant, il a sorti trois verres. Où était le troisième homme ?
Sevastyan est entré dans la pièce. Aux aguets, il avait tout de même rangé son arme dans le creux de
ses reins.
Étrangement, l’homme n’avait pas peur de lui. Quand Sevastyan lui a parlé, il a fait un sourire en
coin, l’air agressif.
Ne sentait-il pas que Sevastyan était sur le point d’éclater ? Sa violence bouillonnait, prête à
exploser. Après un autre échange, Sevastyan a pris de longues respirations pour se calmer.
Il fallait que je les entende ! Mes talons aiguilles à la main, je suis sortie sans bruit. J’ai prudemment
descendu les marches, m’arrêtant sur le côté de la porte. Maintenant, en plus d’épier les autres, j’écoutais
leurs conversations ?
S’il m’avait parlé, je ne serais pas obligée d’espionner !
— Réponds-moi ! l’a exhorté Sevastyan en russe. Qu’est-ce que tu fiches ici ?
— C’est comme ça que tu m’accueilles ? Après tout le mal que je me suis donné pour aider ta
fiancée, tu ne me la présentes pas ?
Fiancée ? Pourquoi Sevastyan aurait-il avancé cela ? Et qu’avait-il fait pour moi ?
— Tu ne m’as pas aidé par bonté, Maksim. Tu voulais juste occuper ton esprit perturbé.
J’ai libéré un souffle. Maksim. En chair et en os.
— Un combinard au repos est un homme dangereux, a énoncé Maksim. Comme le vieux salaud nous
le disait « la vie est longue sans projets ». Quoi qu’il en soit, ça te va bien de dire ça. Tu joues à un jeu
perfide et dangereux en ce moment.
Quel jeu ? Les affaires de l’organisation ?
— Quand je t’ai demandé de l’aide, j’ai précisé que ça ne déboucherait sur rien d’autre. Tu as
accepté, a dit Sevastyan.
— Tu sous-entends que nous attendons plus de toi, Roman ? (Roman ?) Tu te lances des fleurs. Je
veux seulement rencontrer la femme qui a enfin réussi à faire s’agenouiller mon frère.
Je me suis avachie contre le mur. Maksim était le frère de Sevastyan ? Je comprenais mieux. Bruns,
grands et musclés. Les yeux de l’un étaient bleus, et de l’autre, dorés, et le nez de Sevastyan avait été
cassé mais ils se ressemblaient.
Mais ce n’était pas pour ça qu’il m’avait semblé familier. Soudain, je me suis souvenue. Sa photo sur
Internet, au cours de mes recherches sur une autre famille Sevastyan – riche et puissante.
C’était Maksimilian Sevastyan, l’homme politique.
N’avais-je pas vu qu’ils étaient trois frères ? J’ai fouillé ma mémoire. Le plus jeune devait s’appeler
Dmitri et était P-DG. d’une entreprise. Aucune information sur l’aîné, Roman.
Le nom sur son faux passeport. Sauf qu’il n’était pas faux. C’était son vrai nom. Et il était issu d’une
famille aisée et privilégiée.
Pas étonnant qu’il ait d’excellentes manières ni qu’il soit un cavalier né.
Que m’avait-il caché d’autre ? J’ai levé les yeux au plafond. Ou plutôt : que m’avait-il dit ?
Les rares bribes d’informations que j’avais réussi à lui arracher n’étaient même pas vraies ! Quand je
l’avais interrogé sur sa famille, il avait affirmé qu’il n’en avait pas. En réalité, il en avait même deux.
Il était passé d’une famille influente et respectée aux bas-fonds, à un moment de sa vie. S’il avait
vécu dans la rue, il n’y était pas resté longtemps avant que Paxán ne le trouve.
Sauf si c’était un mensonge. Il avait aussi bien pu escroquer Paxán. Me souvenant de ma vantardise,
j’ai senti mes joues s’empourprer. Mon instinct en matière d’hommes est infaillible. Je lis en eux
comme dans un livre ouvert…
— Fiche le camp, Maks. Je ne le répéterai pas.
— Tu l’as emmenée au club, la semaine dernière, mais tu refuses que nous dînions ensemble ?
J’ai plaqué la main sur ma bouche. Son frère savait pour Le Libertin ? M’avait-il vue ?
Et pourquoi diable Sevastyan m’avait-il emmenée dans un sex club fréquenté par son frère ?
— N’aie pas l’air aussi surpris. Je sais tout ce que tu fais. Tu as oublié – je suis dans le milieu de
l’information. Allez, fais descendre ma belle-sœur et présente-la-moi, ou c’est moi qui monte.
Sa belle-sœur ! Je devais mettre un terme à ces absurdités. J’ai chaussé mes escarpins, lissé mes
cheveux et je suis entrée dans la cuisine. Sevastyan s’est hâté de se placer entre nous.
— Natalie, remonte. Tout de suite.
Mes pieds étaient enracinés dans le sol.
— Je croyais que tu n’avais plus de famille. Et pas de frère.
Maksim a discrètement secoué la tête en contournant Sevastyan.
— Roman a deux frères. Je suis Maksim, le plus séduisant. Et vous, Natalie Porter, vous êtes encore
plus ravissante que je ne l’avais imaginé. Bien entendu, je vais prévoir une visite dans le Nebraska.
Comme il m’a tendu la main, je l’ai imité. Au lieu de la serrer, il l’a retournée pour poser les lèvres
sur mon poignet, là où le pouls battait, tout en plantant ses yeux bleus pénétrants dans les miens.
— C’est un plaisir.
Sevastyan n’appréciait pas du tout. Parfait. J’ai rendu son sourire à Maksim.
— Enchantée.
Sevastyan a saisi ma main et m’a tirée en arrière.
— Va m’attendre dans la chambre.
Il me chassait ? Il ne se sentait même pas coupable de m’avoir menti et d’avoir été pris la main dans
le sac ?
— Natalie va rester prendre un verre, est intervenu Maksim en remplissant les verres.
J’ai supposé qu’il n’avait pas le même rapport à l’alcool que son frère.
— Nous allons commander à manger, a-t-il ajouté, d’une manière aussi autoritaire que Sevastyan. Je
refuse de partir sans avoir fait la connaissance de ma belle-sœur.
— Je ne suis pas mariée à Sevastyan.
— Un détail. Vous le serez prochainement. Roman vous considère fiancés.
— En couple, vous voulez dire ?
— Oh, non, sur le point de vous unir par les liens sacrés et officiels du mariage.
Sevastyan partait du principe que c’était une affaire conclue ? Le salopard ne m’avait même pas
demandé ma main ! Je sentais mes poings se serrer.
Je lui avais demandé de m’informer de ses affaires. Il nous considérait fiancés mais ne me trouvait
pas digne de confiance ? Une relation plus tordue, c’était impossible.
— Je ne parierais pas là-dessus.
Sevastyan serrait si fort les dents que les muscles de sa mâchoire frémissaient. Je me suis tournée
vers Maksim.
— J’ai entendu que vous m’aviez aidée. De quelle façon ?
— Je suis dans la politique, en Russie. J’ai des relations.
Il souriait largement, enfonçant le clou avec beaucoup de charme. Toutefois, je sentais sa tristesse. Il
se cachait derrière son charme comme derrière un masque ?
— Ces temps-ci, quelques politiciens dont je fais partie partagent les mêmes ressources que les vory
de la mafiya – et également certaines tactiques. Roman savait que j’avais des hommes à disposition pour
sécuriser Berezka durant votre séjour.
— Dans ce cas, spasibo.
Merci.
— Vsegda pozhaluista, a-t-il murmuré d’une voix grave.
Avec grand plaisir. Son charisme était hors-norme. Il m’a adressé un autre grand sourire, révélant ses
dents blanches. Je me suis souvenue de la seule fois où j’avais vu Sevastyan sourire franchement. Je leur
trouvais de plus en plus de ressemblances.
— Vous appelez toujours mon frère par son nom de famille ?
— Il m’a demandé de l’appeler comme ça.
Maksim s’est tourné vers lui.
— Tu n’es plus un simple homme de main. Ta fiancée devrait pouvoir t’appeler d’un nom plus
personnel.
— Je ne suis pas sa…
Bon, laisse tomber. Ils ne m’écoutaient pas, ni l’un ni l’autre.
Ils se mesuraient du regard, Roman semblait sur le point de l’agresser. Avant que ça barde, autant que
je soutire des réponses à l’un des Sevastyan.
— Pour quelle raison vous êtes-vous vus toute la semaine ? ai-je demandé à Maksim.
— Il se sert de moi pour vous arracher des griffes de la mafiya, échanger des holdings de
l’organisation contre des associations légales de même valeur. Une sorte de partie de Monopoly à
plusieurs milliards de dollars. Il dispose des pouvoirs de l’avocat, et j’ai les moyens de faire en sorte
que ce soit réalisé de manière secrète et rapide. Alors je l’ai fait – sans obtenir ne serait-ce qu’un merci,
dois-je préciser.
Maksim a posé sur son frère un regard suggestif, mais dans le fond, il semblait amusé, comme s’il
trouvait la situation comique.
Je me suis prestement tournée vers Sevastyan.
— Tu aurais pu m’emmener à ces réunions, ou au moins m’en parler. Elles ont trait à mon héritage !
— Tu n’as manifesté aucun intérêt vis-à-vis de cet argent…
— C’est toi qui dis ça, l’a interrompu Maksim avant de s’adresser à moi. Roman aurait pu devenir
milliardaire cette semaine. Mais pour des raisons qui m’échappent, il a refusé de vous voler, de trahir les
promesses qu’il a faites à votre père. En votre nom, il s’est appliqué à dissocier l’héritage de Kovalev de
la pègre. Et une fois que ce sera fait, Roman s’imposera en tant que vor du territoire.
J’ai fixé Sevastyan les paupières étrécies.
— Je t’ai interrogé à ce sujet ! C’est une décision que nous aurions dû prendre ensemble.
Il s’était octroyé un nouveau statut sans la moindre allusion. Parce que je n’étais pas sa partenaire,
j’étais une possession.
On ne s’enquiert pas du jouet préféré de quelqu’un quand on a l’intention de discuter de ses
éventuelles opportunités professionnelles !
Il m’a lancé un regard noir.
— Natalie, monte. Immédiatement.
— Je rêve ! Tu me donnes des ordres !
Devant son frère ? J’avais les joues en feu. Pensait-il pouvoir contrôler ma vie comme dans
l’intimité ?
Après tout, pourquoi en douterait-il ? En lui faisant confiance sur le plan sexuel, je n’avais pas
arrangé notre relation – je l’avais aggravée.
Des semaines plus tôt, je m’étais demandé jusqu’où j’étais prête à aller pour mieux le connaître.
Ma réponse était définitivement : pas ça.
Je devais accepter que, malgré mes efforts, il ne changerait pas. Il resterait fermé. Et je méritais
mieux qu’un rôle secondaire et une collection de mensonges.
Je méritais de rester moi-même. Sinon, autant être seule.
Une enseigne aux néons s’allumait lentement, crépitant, clignotant, s’animant dans ma tête. Les lettres
annonçaient : Cette relation est vouée à l’échec, imbécile !
J’avais du cran, de la colère. Mon temps était précieux. Je n’allais plus récompenser son
comportement méprisable en en gaspillant plus. Je ne peux pas le réparer, Paxán.
— Ne l’écoutez pas, dorogaya moya, a dit Maksim. Ma chère. Vous devez lui apprendre que les
femmes n’ont pas d’ordre à recevoir – en dehors de certaines… situations.
Que savait-il de ma vie sexuelle ? S’ils fréquentaient le même club, partageaient-ils les mêmes
perversions ?
Tu sais quoi ? Ça ne me regarde pas.
— Roman est très exigeant, non ? a poursuivi Maksim. Exigeant, silencieux et sombre. Si ça peut
vous consoler, il n’a jamais été bavard. On ne sait jamais ce qu’il pense. Enfants, le silence était valorisé.
Ouvrir la bouche… pas du tout.
Sans me laisser le temps de m’étonner, Sevastyan a tonné.
— Zatknis’ na hui !
Ferme ta gueule ! Sur le point de péter un câble, il s’est adressé à moi.
— Sors d’ici ! Ou je te porte jusqu’à la chambre.
— J’ai été ravie de vous rencontrer, ai-je dit à Maksim.
Celui-ci m’a lancé un regard déçu comme s’il espérait que je résiste davantage.
— Je serai là-haut, ai-je précisé.
Un mensonge, pour me débarrasser de Sevastyan.
Je renonce à la vie de couple. Je vais poursuivre ma route, droit vers l’horizon.
Dans la chambre, j’ai rangé mon nouveau passeport, la précieuse lettre de Paxán et de l’argent
liquide dans un sac messager. J’ai pris mon manteau kimono, mon téléphone portable, et rien d’autre.
En sortant, j’ai éteint la caméra de la chambre. Sois la plus folle des deux.
Do svidaniya, le Sibérien.
41

— L’embarquement va commencer, m’a annoncé l’agent de sécurité français en contrôlant mon billet
et mon faux passeport.
— Je suis étonnamment rapide, ai-je répondu avec un accent tout aussi faux.
Surtout quand je suis aussi motivée.
Une heure plus tôt, je m’étais faufilée hors de la maison en passant par l’entrée des domestiques, puis
devant le gardien grommelant, et j’avais hélé un taxi. En chemin vers l’aéroport, j’avais acheté un billet
en classe économique pour le Nebraska depuis mon mobile.
J’avais choisi mon vol en fonction d’un seul critère, un départ immédiat. Ma seule crainte, que le
passeport coince.
Quand il me l’a rendu, j’ai retenu un soupir de soulagement.
— Mademoiselle, vous allez devoir courir pour attraper votre avion.
— Merci ! ai-je crié par-dessus mon épaule. Courir ? En talons aiguilles et soutien-gorge à demi-
bonnets ? Magnifique. J’ai foncé, les talons claquant et les seins rebondissant – pour le plus grand plaisir
des hommes que je croisais. Voilà pourquoi je préfère les modèles minimiseurs !
Tout en traversant le hall à vive allure, j’ai téléphoné à Jess. Elle a répondu à la première sonnerie.
— Comment s’est passée l’extraction de l’écharde ?
— Je l’ai laissé mourir au bloc.
Je lançais des regards autour de moi en me demandant combien de temps il faudrait à Sevastyan pour
remarquer ma disparition.
— Je suis à l’aéroport.
Le quitter était la meilleure solution. J’avais besoin de rentrer chez moi, de voir mes amis et ma
mère. De faire le tri dans les récents événements. De me retrouver.
— Il va te suivre ?
— Tu n’imagines pas…
Un SMS est arrivé sur mon téléphone. Je l’ai lu en grimaçant.
Ramène tes fesses sur-le-champ ou je les fouette jusqu’au sang.
— Merde, Jess ! Il sait que je suis partie. Il va se douter que je suis ici, et me suivre.
Pour me ramener chez lui.
Comment avais-je pu me mettre dans un tel pétrin ? Tout avait commencé par la quête de mes parents
biologiques. Ils étaient tous les deux morts, et j’avais sur les bras une fortune en cours de blanchiment –
ainsi qu’un ex-harceleur qui se trouvait être un assassin.
— Tu as une bonne avance sur lui, non ? m’a rassurée Jess. Et il doit y avoir des agents de sécurité à
l’aéroport.
— Si j’arrive à monter dans cet avion, tu crois que nous pourrions nous cacher dans le chalet du lac
de tes parents pendant quelques semaines ?
Mois ? Années ?
— Nous cacher ? Nat, qu’est-ce qu’il t’a fait ?
Elle semblait folle de rage.
— Pas ce que tu imagines. Mais il n’est pas celui que je croyais.
— Des squelettes dans le placard ?
— Des tas. Et je ne sais pas tout. Il a prétendu qu’il n’avait pas de famille mais je viens de rencontrer
son frère ! Un gros bonnet de la politique. Et leur famille est riche.
— Je croyais que c’était un gamin des rues.
— C’est ce qu’il prétendait. Imagine le choc. Jess, je ne connaissais même pas son prénom.
— Putain, c’est grave. C’est parti pour le chalet. Je vais préparer des cocktails pour le voyage,
passer te prendre à l’aéroport et nous filons au lac. Petite question anodine : le frère est canon ?
— Jess !
J’ai ralenti l’allure, me passant la main dans la nuque. La nuit de notre rencontre, je m’étais sentie
observée. J’avais de nouveau cette impression.
Inquiète, j’ai scruté le terminal…
Sevastyan ! De l’autre côté du contrôle de sécurité, il fendait la foule de voyageurs.
Même à présent, je le trouvais stupéfiant, avec sa puissance physique et sa détermination.
Il a scruté le couloir. En chasse. Après moi.
— Je te laisse. Le connard est arrivé.
Comment avait-il fait pour me retrouver aussi vite ?
Nos regards se sont croisés. La confusion a traversé son visage. Il ne comprenait vraiment pas
pourquoi j’étais partie ?
Dommage, Sevastyan, j’arrête tout.
Je ne pouvais qu’espérer qu’on l’arrête au contrôle. Avait-il déjà pris un billet ? Perdu l’arme qu’il
portait en permanence ?
La fureur l’a emporté sur la confusion. Il était prêt à tuer ceux qui s’interposeraient entre nous. Je
voyais la menace dans son regard. Ne t’avise pas de t’enfuir.
Je l’ai regardé l’air de dire : Cet abruti reçoit enfin les signaux. Je l’ai salué à la manière d’un
pilote, et marché vers la porte encore lointaine. Mon vol embarquait ! Si je pouvais seulement monter
dans cet avion…
À bout de souffle, j’ai enfin rejoint la lente file d’attente.
— Excusez-moi, ai-je dit à un groupe d’adorables vieilles dames devant moi. Ça vous ennuie si je
vous double ?
Elles m’ont regardée de travers. Du coin de l’œil, j’ai remarqué la foule qui s’écartait au passage
d’un grand brun. Merde, il avait franchi les portails de sécurité ! Et ma file d’attente qui avançait
lentement…
Paniquée, je me suis précipitée dans le terminal, sachant comment ça allait se terminer. Il allait me
rattraper et je devrais me débattre et hurler.
Et il ne me lâcherait jamais.
N’ayant pas d’autre choix, je me suis retournée, carrant les épaules. Le regard fou, il est arrivé devant
moi.
— Viens.
Il m’a saisie par le bras.
— Laisse-moi partir. Je ne rentrerai pas avec toi, ai-je protesté en essayant de me dégager.
— Natalie, dépêche-toi.
Les gens nous fixaient en murmurant derrière leurs mains.
— Pourquoi tu ne me laisses pas tranquille ? Me laisser seule, c’est ce que tu fais depuis des
semaines, ai-je murmuré sur un ton cinglant.
— Si tu me rejettes, j’irai en prison. C’est tout ce qui m’empêchera de te retrouver.
La barbe ! J’avais senti qu’il était prêt à tout. Dans le banya, il m’avait dit qu’il tuerait pour me
posséder. Je ne voulais pas qu’il y ait de blessés, ni qu’il retourne en prison.
— Interpol adorerait me placer en garde à vue.
J’ai lancé un regard derrière lui, vu un agent décrocher un téléphone rouge. Il alertait la sécurité ?
Une nouvelle décision de poids à prendre sous la pression : ma liberté à ce prix ?
J’ai repensé à son comportement de la nuit dernière, au lit. L’homme de mes rêves.
Zut ! J’étais capable de le quitter, mais pas de l’envoyer en prison. Pas après tout ce qu’il avait fait
pour moi.
Il m’avait sauvé la vie.
Il a resserré son emprise en me fixant comme un dément. Les pupilles dilatées, ses yeux semblaient
presque noirs.
— On ne m’arrachera pas à toi. Tu as compris ?
J’ai dégluti, espérant mal comprendre. Revoyant ce qu’il avait fait à Gleb, j’ai eu pitié des agents qui
affronteraient cet exécuteur enragé. J’étais forcée de le suivre. Pour l’instant.
— Lâche mon bras et je te suivrai.
Il m’a traînée à sa suite, ignorant une fois de plus ma demande.
— Tu ne peux pas m’obliger !
— C’est pourtant ce que je fais.
Bon, il pouvait me ramener de force. Ce n’était pas pour autant que je resterais. Il ne pouvait pas me
surveiller en permanence.
— Je rentrerai dans le Nebraska, à moins que tu ne m’enfermes dans une cage.
— Ça ne me dérangerait pas de te mettre en cage.
— Espèce de salaud !
Dès que nous sommes sortis de l’aéroport, j’ai donné plusieurs coups de talon aiguille dans son
mollet. Ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Alors j’ai attaqué sa cheville. Rien. Il m’a poussée à l’arrière
de sa limousine, et a fait signe au chauffeur de démarrer.
L’appréhension l’emportait sur la colère. La vitre de séparation était fermée, j’étais à sa merci.
Qu’allait-il me faire ?
Comme si je n’étais pas assez près de lui, il m’a forcée à m’asseoir sur ses genoux. Il m’a serrée
contre lui, ses bras costauds pareils à un étau.
En rentrant du club, il m’avait tenue de la même façon. Je m’étais sentie chérie et protégée. Mais à
présent, j’étais plus partagée que jamais. Une partie de moi m’aurait-elle trahie en lui envoyant des
signaux lorsqu’il me cherchait du regard dans la foule ? Avais-je secrètement apprécié d’être présentée
comme sa fiancée ?
Qu’est-ce qui déraille chez moi ?
Malgré mes protestations, il m’a débarrassée de mon sac et de mon manteau – encore trop de
barrières entre nous ? – et a renforcé son étreinte, inspirant l’odeur de mes cheveux comme si la
séparation avait trop duré.
— Pourquoi partir ? a-t-il demandé d’une voix distante.
— Tu sais pourquoi ! Je n’ai jamais voulu d’une relation à sens unique, ni être traitée comme un
objet ! Tu ne me confies rien, tu me lances des ordres, et tu me mens !
— Tu ne peux pas me quitter, Natalya. Je ne te laisserai jamais partir, a-t-il articulé en russe, comme
s’il ne m’avait pas entendue.
— Mon Dieu, tu m’entends ? Tu es dingue ! Tu ne peux pas me retenir contre ma volonté !
Je suis parvenue à m’écarter de quelques centimètres de manière à voir son visage. Et je l’ai aussitôt
regretté.
Un tueur à gages professionnel faisait une fixation sur moi, et mon départ avait fait ressurgir ses
troubles mentaux. Il semblait incapable d’assimiler mes propos, comme si une série d’explosions
retentissait dans sa tête. Je me suis enfoncée dans le silence, renonçant à communiquer avec lui. Mais il
n’en avait pas fini.
— Pour l’instant, je vais te punir.
J’ai dégluti.
— On retombe dans le BDSM ?
— Je t’avais prévenue que je te rattraperais si tu essayais encore de m’échapper. Je t’avais dit que je
te coucherais sur mes genoux et que je te fesserais jusqu’à ce que tu comprennes la leçon.
À sang, annonçait son SMS. Piégée entre ses bras, je me suis crispée davantage.
— Ne fais-je pas toujours ce que je dis ?
42

Sevastyan m’a gardée prisonnière de ses bras dans l’escalier menant à notre chambre. Il ne m’a
libérée qu’après avoir claqué la porte.
Ses menaces à l’esprit, j’envisageais de filer m’enfermer dans la pièce de survie. Toutefois, je ne
parvenais toujours pas à avoir peur de lui.
— Ne m’échappe plus jamais ! a-t-il tonné sans pouvoir reprendre son souffle. L’idée que tu ne sois
plus là…
Il a frappé le mur du poing, à côté du trou laissé par son dernier éclat de colère. Il a poussé un violent
hurlement au moment d’enfoncer le mur. Un animal en souffrance.
— Sevastyan, attends.
Pliant ses doigts, il a pivoté vers moi.
— Déshabille-toi.
— Non, je ne veux pas.
— À poil !
— Mais bien sûr, ai-je rétorqué en me déchaussant. Prends ça !
J’ai lancé la première chaussure à la façon d’un poignard. Raté. Il a esquivé la deuxième.
— Agresse-moi avec ton chemisier, tant que tu y es, ma douce.
— Va te faire foutre !
— Me faire foutre ?
Les pupilles écartées, il a retroussé les lèvres.
— Ça va venir.
Malgré la douleur et la fureur, il restait le même. Séducteur. Indéniable.
Il est venu vers moi en massant son érection. Il m’avait conditionnée, son érection me faisait mouiller.
Une fois devant moi, la chaleur de son corps et son parfum entêtant ont titillé mes sens.
— Je t’ordonne de te déshabiller et tu refuses ? Je crois que tu as peur que je découvre ce que tu
caches.
Ce que je cache ?
Il a agrippé ma hanche d’une main, l’autre s’immisçant sous ma jupe.
— Tu mouilles ? Si c’est le cas, je vais te fouetter. Sinon, je ne te toucherai pas.
Injuste – je ne contrôlais pas mes réactions physiques ! J’ai pressé les cuisses l’une contre l’autre,
mais il a forcé le passage.
Il a constaté que ma petite culotte était humide avec un grognement satisfait.
— Tu as très envie d’être punie.
Le désir me rendait bête au point de le désirer ? Ses lentes caresses embrouillaient mes pensées.
Devais-je prendre le plaisir qu’il m’offrait, et repousser mes projets à plus tard ? Qu’est-ce que ça
changeait qu’il me fouette ? Il l’avait déjà fait – avec un martinet. Je pouvais le supporter.
À moins que je ne lui cherche des excuses – une fois de plus ! J’ai repoussé sa main, et me suis
écartée de lui. Je n’ai fait qu’un pas avant qu’il ne me prenne par les épaules et me tire vers lui. Sa
bouche est allée à la rencontre de la mienne.
Mon cri lui a donné le feu vert.
Sa langue s’est lancée dans un jeu mesuré, sensuel, plus fort que ma résistance. Tout en déchirant
habilement mon chemisier, il m’embrassait de cette manière envoûtante et aimante, sans retenue. Comme
si la raison lui dictait de me punir, pendant que son cœur l’exhortait à m’embrasser. Ma tête me hurlait de
lui résister, mais mon cœur… succombait.
Dans un gémissement vaincu, j’ai répondu à son baiser. Il était absorbé dans l’instant, et maintenant,
je l’étais aussi. J’allais probablement m’en vouloir, mais je n’y pouvais rien.
Quoi qu’il arrive, j’aurais cédé à contrecœur et ce fardeau m’aiderait à le quitter.
Il a interrompu notre baiser pour tirer sur l’attache de ma jupe, la déchirant aussi. Il a descendu les
bouts de tissu le long de mes jambes, arrachant mes bas dans le mouvement. Son agression délurée, ses
gestes fous m’excitaient…
Il a déchiré mon soutien-gorge en m’embrassant dans le cou – léchant et suçant le point sensible, celui
qui me rendait folle.
— Dis-moi de te donner la punition qui te fait mouiller. Ou que tu ne veux plus jamais que je te
touche.
Ne plus jamais sentir ses doigts tatoués sur ma peau, jouant avec moi comme d’un instrument ?
Impossible.
Il mordillait ce point sensible dans mon cou.
— Dis-moi non ou dis-moi que tu en as envie.
— J’en ai envie, ai-je admis d’une voix étranglée.
Il a tiré sur mon string d’un geste brutal. Une fois qu’il l’a mis en pièces, il m’a lâchée et est allé
s’asseoir sur l’ottomane en cuir.
— Viens là.
Il parlait comme s’il parvenait à peine à se contrôler, et je suis allée me placer devant lui.
— Retourne-toi. Mets-toi à quatre pattes, en appui sur les avant-bras.
Comme dans la salle de bains, cette fameuse nuit ? Une position particulièrement vulnérable. Allait-il
me lécher ?
— Tout de suite, Natalie.
Son expression était indéchiffrable.
Qu’allait-il me faire ? Poussée par la curiosité, je me suis agenouillée sur la moquette.
Il a saisi mes chevilles, et m’a tirée en arrière de manière à m’allonger sur ses cuisses. Ma tête a
basculé entre ses pieds, me contraignant à me retenir avec les mains.
— Sevastyan !
— Appuie-toi sur les bras.
J’ai obtempéré, reposant les avant-bras et le front sur la moquette, les fesses en l’air.
— Enroule les jambes autour de ma taille.
J’étais forcée d’obéir. Les jambes de part et d’autre de son buste, je sentais son érection contre le
haut de mon sexe et mon bas-ventre. Dans ses menaces, il avait omis de préciser dans quelle position il
me fesserait. J’étais entièrement exposée, mon sexe et mes fesses sous ses yeux. Parfait pour le fouet,
l’exploration et la torture. M’exhiber ainsi était plus excitant que tout.
Ses mains ont frappé mes deux fesses. J’ai sifflé entre mes dents, mais les douleurs avaient disparu
depuis la nuit au club. Je pouvais supporter sa… correction.
Je ne doutais pas de la réclamer dans peu de temps.
Alors que la brûlure se changeait en picotement chaud, j’ai ravalé un gémissement.
— Ma douce Natalie en veut encore.
Voyait-il mon sexe trempé ?
Le coup suivant m’a arraché un cri. Il me punissait, et c’était un plaisir. Quand j’ai tendu les fesses
pour réclamer sa main, j’ai senti mes lèvres frémissantes s’ouvrir sous ses yeux, mon clitoris gonflant
contre sa braguette.
— Tu veux me montrer quelque chose, mon amour ? (Dans un râle, il les a écartées davantage.)
Quelle putain de beauté.
Il a plongé un doigt entre mes parois glissantes.
J’ai failli jouir spontanément – sans permission.
Il a insinué un deuxième doigt, augmentant la pression. Puis… un autre ? Sans ménagement, il
enfonçait le troisième. Je n’étais pas certaine de le vouloir, jusqu’à ce qu’il grommelle.
— Tu peux les prendre pour moi.
— Ah, oui, oui ! ai-je geint.
Pendant que je haletais, il me pénétrait avec ses doigts en poussant des râles admiratifs. En même
temps, il me fessait et frottait sa hampe contre mon sexe.
J’étais au bord de l’orgasme…
Il continuait à se balancer, à pétrir et à frapper… Je n’en pouvais plus.
— J’ai besoin de jouir.
— Pourquoi je te donnerais ça ? Tu as voulu me quitter.
Il m’a fessée.
— S’il te plaît !
Une autre fessée. Il a plaqué son membre dur contre moi.
— Puisque tu tiens tant à jouir, sers-toi de moi, gourmande.
Le besoin était si fort que, éhontée, je me suis frotté contre son membre, acceptant ses doigts trempés
et sa douloureuse correction.
— Mon Dieu, ma femme, regarde-toi.
Avant même qu’il le dise, je savais à quoi je ressemblais. Je savais que son regard assombri était
captivé par mon intimité envahie par ses doigts. Et je n’en étais que plus excitée, plus proche de la
libération.
— Je pourrais passer la nuit à te regarder.
Une fessée.
— Oh, mon Dieu… ai-je gémi, sur le point de jouir.
Il m’a brusquement privée de ses doigts.
— Ta punition n’est pas terminée.
— Sevastyan, non ! ai-je bredouillé.
Il n’avait jamais poussé aussi loin le plaisir avant de me l’ôter. Je tremblais de besoin.
Il m’a prise par les hanches pour me relever, me retenant tandis que je chancelais.
— Tu crois vraiment que je vais te laisser jouir aussi facilement ? Récompenser ta disparition ?
Sa colère, au lieu d’être apaisée, n’avait été que reportée.
— À partir de maintenant, tu vas devoir gagner le plaisir que je te donne. Attends un peu.
Il m’a placée dos au placard d’accessoires.
J’ai entendu le cuir siffler, le métal cliqueter à l’intérieur. J’étais réduite à imaginer ce qu’il
cherchait. J’ai tenté d’éveiller ma peur, mais je n’ai réussi qu’à raviver ma curiosité. Qu’allait-il me faire
maintenant ?
— Les bras derrière le dos, poignets croisés. Ne bouge pas le temps que je les ligote.
Il ne m’avait pas attachée depuis le club.
— Je ne sais pas…
— Tu prends toujours mes ordres pour des demandes, mon chou. Obéis, a-t-il tonné en frappant mes
fesses.
Me retrouver attachée, impuissante avec lui ? Comment pouvais-je autant le désirer ?
J’ai fait semblant d’hésiter puis j’ai croisé les poignets derrière le dos. Immobile, j’ai attendu qu’il
installe fermement les entraves en cuir. Un instant plus tard, une bande froide s’est posée sur ma gorge.
J’ai sursauté, mais il l’enroulait déjà autour de mon cou.
Sur le devant, elle retombait en pointe entre mes seins. L’intérieur était doublé d’un tissu soyeux.
Quand il a fermé la boucle, j’ai frissonné.
Il a attaché une bande de cuir aux poignets et l’a déroulée vers le haut.
Clic.
Il avait relié les entraves à l’arrière du collier. Lorsque je tentais de bouger les bras, le dispositif
m’étranglait. C’était plus excitant que tout.
Sans un mot, il m’a soulevée et déposée sur le lit. Je me suis décalée sur le côté pour le regarder
marcher vers le placard.
Il est revenu avec un sac noir à cordon, un bâillon-boule – et une bouteille d’huile.
— Sur le ventre, Natalya. Je vais te bâillonner, et t’ouvrir. Comme tu l’as décrit le jour de notre
arrivée.
Une pénétration anale ? Maintenant ?
— Sevastyan, tu ne peux pas faire ça. Tu es trop en colère, tu vas me blesser.
J’ai réussi à me redresser à genoux. Malgré l’excitation et la curiosité…
— Je ne vais pas te faire mal – contrairement à toi quand tu t’es enfuie, a-t-il dit d’une voix
doucereuse.
— Tu veux bien m’écouter une seconde ?
Il a lancé les accessoires sur le lit et m’a prise par les bras.
— Soumets-toi !
Il m’écrasait contre lui, la pointe de mes seins grattant sa chemise. Il m’a embrassée dans le cou,
empoignant mes fesses. Il m’a frottée contre son pénis vibrant – et l’idée qu’il me prenne par-derrière ne
m’angoissait plus.
Au lieu de ça, je débordais d’envie. Il m’a lâchée.
— Ouvre la bouche.
Il a brandi le bâillon devant mes yeux écarquillés. J’aurais pu serrer les dents. Hurler. Mais je me
suis retrouvée à entrouvrir les lèvres.
— C’est bien, milaya. Maintenant lèche en me regardant.
Lécher ? Quand j’ai levé les yeux vers lui, et passé la langue sur la boule, ses paupières se sont
abaissées de contentement. Alors j’ai recommencé.
Il a étalé la salive sur mes lèvres, retraçant leur contour, puis inséré la boule entre mes dents. Pendant
que j’essayais de m’adapter à cette nouvelle sensation, il a noué les attaches derrière ma tête.
Le bâillon, le collier et les attaches ne lui suffisaient pas. Il m’a allongée sur le ventre, puis a remonté
quelque chose d’autre sur mes jambes. Le contenu du sac ? Il me semblait sentir des lanières. Pas en cuir,
mais plutôt… élastiques ? Il les a fait remonter sur mes mollets, mes genoux jusqu’en haut de mes cuisses.
Qu’est-ce que ça pouvait être ? Maudite curiosité… Un godemiché, similaire à celui du club ?
Lorsqu’il a fixé une troisième bande autour de ma taille, j’ai senti un objet spongieux entre mes
jambes. À la première vibration, j’ai compris de quoi il s’agissait : un vibromasseur portable commandé
à distance.
Après l’avoir confortablement calé sur mon clitoris, il l’a allumé sur une vitesse horriblement lente.
— Ça va te plaire.
J’ai gémi autour de la boule du bâillon.
— Mais pas trop.
Il l’a brièvement fait pulser, l’a éteint un peu plus longtemps avant de le rallumer sur la première
vitesse.
— À genoux, a-t-il ordonné.
J’allais vraiment vivre ça ? En étais-je réellement capable ? Honnêtement, je devais admettre que je
lui faisais une confiance aveugle en ce qui concernait ma sécurité et mon bien-être physique. Les mains
dans le dos, je me suis agenouillée.
— Le visage sur le lit.
Je l’ai entendu se dévêtir derrière moi.
Il aurait pu me positionner, mais il semblait tenir à me faire participer, à ce que je me soumette à
chaque étape. Supposait-il que j’étais trop excitée pour me rebeller ?
Si c’était le cas, il avait raison.
Le cœur battant, je me suis penchée en avant, le front sur le lit, les fesses relevées. Le vibromasseur
s’est rallumé, me faisant remuer les hanches.
— Tu obtiens toujours ce que tu veux, hein ? Mais cette fois, je t’ai mis des bâtons dans les roues.
Maintenant, écarte les cuisses, a-t-il commandé en accompagnant le mouvement de ses mains.
Saute du pont, me susurrait une petite voix en même temps qu’il crachait son ordre.
— Soumets-toi, milaya.
Je ne pouvais pas lutter contre nos deux volontés. L’impatience était affolante. La seule idée de cet
acte… avec lui…
Alors que j’écartais les jambes, son gland a longé l’arrière de ma cuisse, déposant un filet humide, la
preuve de son envie.
— Tu me fais confiance pour ne pas te faire mal ?
Je n’ai pu que hocher la tête.
— Bien.
Il m’a fessée mais cette fois, sa paume était humide. De l’huile ? Il a fait couler un filet le long de ma
raie.
Quand les gouttes ont directement coulé vers sa cible, le bâillon a étouffé mon gémissement. Son
index a suivi ma fente de haut en bas, effleurant à peine la partie la plus avide de mon intimité.
À chaque passage de son doigt, il appliquait un peu plus de pression. Lorsque le vibromasseur s’est
ranimé sur mon clitoris, reprenant ses lentes caresses, il a appuyé juste assez pour m’entrouvrir. Comme
je geignais de frustration, il a pris une inspiration sifflante.
— Ma petite gourmande en veut plus ?
J’ai hoché la tête en m’arc-boutant. Lorsque le vibromasseur s’est éteint, j’ai cru fondre en larmes.
Dans cet état, je l’aurais imploré de me sodomiser.
Me tenant fermement par la taille d’une main, il a commencé à tracer des cercles sur mon ouverture,
me faisant saliver sur la boule.
J’attendais… j’attendais… à l’instant où le vibromasseur a recommencé à me malaxer, il a enfoncé la
première phalange.
Enfin ! L’exquise sensation m’a fait gémir. L’accessoire en marche, son doigt a entamé un mouvement
de va-et-vient.
— Plus fort ! ai-je crié malgré le bâillon.
— Comme tu veux. (Il a ajouté de l’huile, pénétré plus loin.) Tu croyais que j’allais te faire mal
comme ça ? Que je n’allais pas te préparer ?
Un deuxième doigt s’est engouffré en m’écartant.
Pendant un trop long moment, il a continué à pomper l’entrée. À verser de l’huile, enfoncer plus loin.
À écarter plus, éteindre et rallumer le vibromasseur.
Quand j’ai commencé à babiller et à supplier, je me suis réjouie d’être bâillonnée. S’il te plaît, je
t’en prie, par pitié. J’étais prête – depuis un moment. Lorsqu’il a dégagé ses doigts, je ne sentais aucune
sensation désagréable.
Je l’ai entendu faire couler de l’huile. Pour en enduire sa hampe ? Je l’imaginais clairement se
masser le sexe, ses grandes mains pétrissant l’extrémité enflée, la base épaissie, ses veines proéminentes.
Je me languissais de le caresser, de le lécher, tout ce qu’il voudrait, mais j’étais immobilisée. Même
sans le bâillon, ma bouche aurait été entrouverte, avide de sucer. Chaque partie de mon corps était vide et
ouverte, réceptive à ce qu’il voulait bien me donner…
Quand son gland a rencontré mon anneau, la sensation m’a fait trembler.
— Ne te ferme pas, laisse-moi entrer, a-t-il tonné.
Dans une poussée franche, il m’a pénétrée – au moment où le vibromasseur se remettait à me masser.
Une fois son gland entré, j’ai gémi de bonheur. Quel délice…
Il s’est enfoncé plus profondément, mais son membre était trop gros pour glisser aisément. Toutefois,
plus il s’introduisait, plus le plaisir m’envahissait.
— Teper’ ti prenodlizhish mne vsetselo, a-t-il grondé les dents serrées.
Maintenant, tu m’appartiens complètement.
Ses mots reflétaient toute la folie que j’avais vue dans ses yeux. J’ai tourné la tête et hasardé un
regard vers lui. Il était concentré sur le point d’union de nos corps. Si les yeux pouvaient lancer des
flammes…
Était-il autant bouleversé que moi ? Alors que j’étais attachée, vulnérable, empalée, c’est lui qui
semblait dominé par notre acte.
Il s’est retiré de quelques centimètres. Je me suis tortillée pour m’adapter à lui, je l’ai senti faire
couler de l’huile.
— Détends-toi, mon amour. Abandonne-toi à moi.
Je me suis exhortée à me décontracter au mieux.
— C’est bien.
Pour la première fois, il s’est enfoncé d’un coup, grommelant de satisfaction. La force de l’intrusion
m’a fait chanceler, tirer sur mon collier.
Bâillonnée, je ne pouvais que crier son nom – acceptant ainsi que le cuir m’enserre la gorge, que mes
bras soient immobiles et que je sois reliée à un appareil destiné à m’affoler.
Que l’homme que j’aimais me domine entièrement, et me fasse fondre.
Il a reculé les hanches et s’est rabattu contre mes fesses, engouffrant sa verge au plus profond. Après
un autre coup de reins mesuré, il a accéléré la cadence en grommelant de plaisir. Son corps en sueur
battait contre mes fesses huilées – meurtrissant ma chair qui venait d’être fouettée pour obtenir ma
soumission. J’étais conquise.
Mais il n’allait pas tarder à me faire jouir, aussi je savourais le bruit de la collision de nos corps.
Ensuite, ce serait son tour. Il m’avait dit qu’il m’emplirait de sperme…
Pourtant il s’est figé.
— Assieds-toi sur les talons.
Il m’a soulevée de manière à caler mon dos contre son torse. Un bras enroulé autour de mon buste, il
a saisi mon sein gauche d’un geste possessif, piégeant mes bras ligotés entre nous.
Sa main libre sillonnait mon ventre. Il a plaqué le vibromasseur contre mon clitoris, puis tendu deux
doigts entre mes jambes. Il les a enfoncés dans mon sexe tout en s’emballant dans mon dos.
Un cataclysme.
Il m’a arraché un orgasme du tréfonds de mon être, des cris du fond de mes poumons. Submergée par
les vagues de plaisir, mon bas-ventre était traversé par de violents spasmes.
— Je te sens !
Dans un rugissement, il m’a rejointe et a commencé à éjaculer. Ses doigts s’enfonçaient dans mes
courbes, ses hanches battant à chaque jet chaud. Je les sentais se succéder pendant qu’il répétait d’une
voix rauque :
— N’oublie jamais… à qui tu appartiens !
Il a longuement continué de me pénétrer comme s’il refusait de se départir de son nouveau trophée.
Il a fini par s’écrouler sur moi.
— Il ne reste plus rien de moi, m’a-t-il dit en russe.
43

Sevastyan m’a libérée.


Sans frotter son nez dans mon cou ni aucune marque d’affection comme il en avait l’habitude. Il s’est
seulement retiré, me laissant exténuée sur le lit, puis il a détaché les boucles et les sangles.
Les bras et la mâchoire douloureux, j’étais désemparée.
Sans un mot, il m’a portée dans la salle de bains et a allumé la douche. Dans mon esprit embrouillé,
une seule pensée ressortait. Rien n’a changé.
J’étais toujours coincée dans cette relation désespérante, dénuée de confiance et de partage. Sauf que
maintenant, il semblait plus distant que jamais.
Il ne reste plus rien de moi. Qu’avait-il voulu dire ? Qu’il avait joui si fort qu’il se sentait vidé ?
Ou que c’était tout ce que je n’obtiendrai jamais de lui ? Qu’il n’y avait rien d’autre que le sexe entre
nous ?
Après examen de mes émotions, je devais reconnaître que j’éprouvais du désespoir.
Il m’a mise debout sous la douche, avec lui, sous le jet d’eau chaude. Il a versé de l’huile de bain
dans le creux de sa main, et m’a lavée.
— Laisse-moi m’occuper de toi, murmurait-il en lavant mon corps avec la familiarité d’un vieux
couple.
Comme un mari et une femme. Deux personnes liées par une confiance mutuelle.
Son détachement se fissurait – comme s’il lui échappait – et des mots doux russes franchissaient ses
lèvres. Sans retenue, il frottait chaque partie de mon corps, abondamment, même mes fesses.
J’allais avoir des courbatures, même s’il ne m’avait pas fait mal. Pas physiquement, du moins. Les
larmes me piquaient les yeux.
Ensuite il s’est savonné sommairement.
Les larmes sont devenues plus abondantes. Je ne pleurais pas souvent, mais ça n’était jamais beau à
voir. J’ai pressé les paupières, détestant chaque larme, le tremblement de ma lèvre.
— Natalie ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu pleures ? a-t-il demandé horrifié, prenant mon
visage entre ses mains.
J’ai ouvert les yeux sans rien dire. Qu’il voie à quoi ça ressemble.
— Je t’ai… fait mal ? C’était trop.
Furieux envers lui-même, il a serré les poings.
Les larmes inondaient mes joues.
— Mon Dieu, milaya.
Il m’a enlacée, un bras autour de ma nuque. Sans relâcher son étreinte, il a donné plusieurs coups de
poing dans le marbre.
Piégée, je ne pouvais qu’attendre. Et ressentir…
Ses muscles roulant contre moi. Les tremblements de son torse à chaque respiration.
Je sentais son besoin de punir, de faire souffrir. Et pour la première fois, j’ai pris conscience que
l’ennemi invisible qu’il pourchassait… était lui-même.
— Arrête, Sevastyan, ai-je chuchoté.
À mon grand étonnement, il l’a fait.
— Je préférerais mourir que de te faire mal.
Je le croyais.
— Je n’ai pas mal. (Mes pleurs disaient le contraire.) Pas physiquement.
— Alors je t’ai fait peur. Je te fais pleurer. Dis-moi comment je peux arranger ça, et je le ferai. Tout
hormis te laisser partir. Ça, je ne le pourrai jamais.
— Tu ne pourras pas arranger les choses. Tu en as eu l’occasion, mais rien n’a changé. (Je l’ai
repoussé.) Laisse-moi tranquille.
Bien sûr, il ne l’a pas accepté. Il m’a tenue par le poignet, et m’a tirée hors de la douche. Avec une
serviette, il a entrepris de sécher mes épaules, mes bras, mon ventre. À genoux, il a frotté mes jambes
comme un trésor précieux. Il a embrassé ma hanche.
— Je n’ai pas eu autant honte depuis des décennies.
La honte fait plus mal que les coups. Mes pleurs ont redoublé.
Il a appuyé le front contre mon ventre.
— Tu me déchires, mon amour. Tu veux t’en aller, et tu as des raisons de le vouloir, mais je ne peux
pas plus te laisser partir que de cesser de respirer.
Qu’allais-je faire ? Rien n’a changé.
Je me suis dégagée et j’ai enfilé un peignoir en sortant. J’allais ouvrir ma penderie quand il m’a pris
les mains pour m’entraîner doucement vers le lit. Lorsqu’il a rabattu les couvertures sur moi, mes épaules
se sont affaissées d’épuisement.
J’avais besoin d’une courte pause. Je n’avais pas mangé de la journée, et les flots d’émotions des
dernières heures m’avaient lessivée.
Ce qu’il m’avait fait m’avait exténuée.
Cependant, quand je m’étais docilement glissée dans le lit, face à l’échec, mes larmes avaient
redoublé.
Il a renfilé son pantalon – pour être moins menaçant ? – puis a arpenté l’espace au pied du lit.
— Je ne sais pas quoi faire. Je n’en ai aucune idée, Natalie. J’ai besoin que tu m’aides à trouver une
solution.
Il est venu s’asseoir près de moi, mais mes yeux larmoyants l’ont laissé interdit. Il a reculé au bout du
lit.
— Parle-moi.
— C’est tout ce que nous faisons. Je te parle. Je me mets à nu. Tu ne partages rien de personnel et tu
en ressors indemne. Tu imagines le choc quand j’ai appris que tu avais encore de la famille ?
— J’aurais dû t’en parler. Je m’en rends compte maintenant.
— Ça ne suffit pas, c’est trop tard. Tu aimerais que nous soyons ensemble mais nous ne…
— Nous sommes ensemble.
— Alors tu ignores ce que ça signifie. Si nous avions commencé normalement – une fille normale
rencontre un type normal – les choses auraient pu être différentes. Nous aurions appris à nous connaître
en partageant des détails sur notre vie sur un pied d’égalité. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Tu
savais tout sur moi, alors que j’ignorais tout de toi. Ou seulement des mensonges. La dynamique de notre
histoire était fichue dès le premier jour.
Son souffle s’est accéléré.
— À t’entendre, on croirait que c’est terminé, sans espoir.
— Parce que ça l’est ! ai-je sangloté.
Il a passé la main sur son visage défait. Je ne l’avais jamais vu aussi décomposé. Même lorsque
Paxán était mort sous nos yeux.
— Je ne l’accepte pas.
— Je croyais que si je te faisais confiance, tu ferais de même. Mais tu refuses. Tu ne me feras jamais
confiance.
— Et si je te faisais confiance ? Tout irait mieux ?
— Non. Si je dois endurer tout ça pour n’obtenir qu’une bribe d’information à ton sujet, je passe.
C’est trop épuisant ! En plus, tu m’avais prévenue. Tu m’as clairement dit que j’attendais trop de toi. Que
la confiance ne serait jamais réciproque, et que tu ne pouvais pas me donner ce dont j’ai besoin. Quelle
idiote ! Je le savais pourtant. Quand un homme affirme qu’il n’est pas bon pour une femme, il faut
toujours l’écouter.
Idiote, Nat, tomber amoureuse d’un homme au cœur indisponible.
Quand mes larmes ont baigné mon visage, Sevastyan a semblé avoir reçu une gifle. Cet air nourrissait
ma colère. Il éprouvait des émotions – il n’était pas en bois – mais il les cachait coûte que coûte.
— Si mon destin est de te poursuivre, je le ferai. Je suis prêt à tout pour te garder.
(La tête dans les mains, il s’est bercé d’avant en arrière.) Quand tu t’es sauvée… Que j’ai imaginé ma
vie sans toi… J’ai compris…
— Quoi ?
Il a relevé la tête.
— Il n’est plus question de m’inquiéter pour toi. Tu es au centre de ma vie. (Il a froncé les sourcils.)
Non, tu es ma vie.
— Alors pourquoi tu ne me traites pas en conséquence ? Je ne connaissais même pas ton vrai
prénom ! Une fiancée n’est pas censée le connaître ? ai-je ajouté sur un ton cinglant.
— Aleksandr était le prénom de mon grand-père. J’ai changé de prénom quand j’étais jeune. Maksim
m’appelle Roman pour m’enrager.
— Pourquoi lui as-tu dit que nous étions fiancés ?
— Tu suscites déjà une attention préoccupante en tant qu’héritière. Tu seras plus en sécurité si le bruit
court que tu vas épouser un homme capable de te protéger.
Ainsi Sevastyan donnait le change pour garantir ma sécurité et tenir sa promesse envers Paxán.
— Et… j’ai prévu de t’épouser. Je le souhaite, a-t-il admis.
Son aveu a fait naître un désir similaire au fond de moi. Mais pour plusieurs raisons, ça ne marcherait
jamais.
— Tout à l’heure, tu m’as envoyée dans ma chambre comme un chien, devant ton frère.
— Tu ne dois pas le fréquenter, Natalie. Il est dangereux.
Dangereux comme il était, j’étais curieuse de comprendre d’où provenait ce jugement.
— Pourquoi ?
— Je ne peux jamais prédire ce qu’il va faire.
— Qu’est-ce qui t’a empêché de me faire part de ce que vous faisiez pour moi ?
— Le plan est risqué, il peut échouer à tout moment. Je ne dis rien tant que je ne suis pas sûr. C’est
d’autant plus vrai dans ce cas. Et puis, il vaut mieux pour ta sécurité que tu en saches le moins possible.
Déni plausible. Pour être honnête, je l’imaginais mal me dire : « J’ai une idée, ça ne marchera
probablement pas, mais je tente le coup. »
— De plus, tu aurais posé des questions sur Maksim, et j’aurais été contraint de continuer à mentir. Je
ne veux plus mentir.
— Et sur ton futur rôle de vor ? Tu ne crois pas que nous aurions dû prendre cette décision
ensemble ?
— Tu aurais pu m’en dissuader, même si je ne vois pas d’autre solution.
— Tu ne m’as même pas donné la moindre chance de me rallier à ta décision ? Je t’ai déjà étonné. Je
ne suis pas totalement illogique. Enfin, si on omet le fait que je suis avec toi.
La tristesse a assombri son regard.
— Ce n’est pas que ton opinion ne m’intéresse pas. Mais plus je te parlerais, plus tu t’attendras à ce
que je me confie.
— C’est exact. J’aurais apprécié que tu me communiques quelques faits essentiels sur ton passé !
— Si je n’ai pas voulu les révéler, c’est peut-être parce qu’ils te pousseront à me quitter. Plus je te
veux, plus je le redoute. Tu as vu ma peur.
— De quoi parles-tu ?
— Tous les soirs, j’ai été tenté de me confier. À deux reprises, j’ai bien failli. Mais le matin, je me
reprochais ma stupidité, ma faiblesse. (Il s’est détourné.) Je n’ai jamais été aussi vulnérable avec une
femme. Et peut-être… que je t’en veux de provoquer ces émotions.
— Lesquelles ?
Il a pivoté vers moi.
— Je mourrais sans toi ! Et si mon passé te fait fuir, qu’est-ce que je deviens ? Je crève ! Alors
pourquoi ai-je également besoin de te parler de mon passé ? Ça ne tient pas debout !
— C’est ton excuse pour être aussi froid ?
Après chaque nuit de bonheur, il s’était réveillé plus déterminé que jamais à m’écarter de sa vie
parce qu’il m’en voulait de l’inciter à se dévoiler ?
— Attends, que les choses soient bien claires. Tu as été horrible avec moi parce que tu me voulais de
plus en plus ?
Il n’a pas nié.
— Et voilà, tu ne me donnes aucune chance. Tu me repousses par le silence. Tu sais quoi ? Je
renonce. Si tu redoutais mes questions sur ton passé, tu vas voir ce que ça fait quand j’arrête d’en poser.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu vas pouvoir garder tes secrets. (Les larmes se sont remises à couler.) Ils ne m’intéressent plus !
— Tu veux que je me confie parce que tu crois que ça va me réparer, me guérir. C’est faux ! J’aurais
toujours ces fantômes en moi, a-t-il crié.
— Tu m’énerves, Sevastyan, je ne veux pas les chasser – je voulais les partager !
Stupéfait, il a ouvert la bouche.
— Je voulais te connaître, pas te réparer.
Il s’est ressaisi.
— Et si ces fantômes te montrent que tu n’auras jamais ce que tu attends de moi ? Que mon passé
m’empêche de t’offrir l’avenir que tu souhaites ?
J’ai essuyé mes larmes d’un revers de la main.
— Quel avenir crois-tu que je veuille ?
— Une vie avec un homme bon.
Je ne pouvais pas le contredire.
— Mais un homme se définit par son passé. Ce qui fait de moi un tueur. C’est ce que je serai toujours.
Je ne peux pas l’effacer. J’aurais beau tout essayer, tout sacrifier, il me suivra toujours. Comment veux-tu
que je t’en préserve ?
— Je connais déjà tes activités. Je les ai acceptées. Je t’ai vu tuer deux hommes. Il y a autre chose ?
Il a bondi sur ses pieds, et s’est remis à faire les cent pas. Pourquoi ne répondait-il pas ? S’il était
convaincu que ses révélations tueraient notre relation, il était coincé. Sauf s’il acceptait que ce serait fini
entre nous s’il ne répondait pas.
— Tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes ! Je n’en ai jamais parlé à Paxán, et il a fini
par m’accorder sa confiance. Par m’aimer. Pourquoi ce serait différent avec toi ? Tu ne peux pas
considérer mon passé comme une case vide ? C’est ce que je fais, moi, a-t-il murmuré amèrement.
Note personnelle : Sevastyan faisait passer son besoin de se préserver en premier.
— Je ne peux pas faire semblant. J’ai besoin de savoir.
Il s’est passé les mains dans les cheveux, et a tiré sur les pointes.
— Natalie, j’ai besoin de toi… j’ai besoin que tu me connaisses mal. Et que tu restes malgré tout.
— Je te jure que ça n’arrivera pas.
— Bon sang, il le faut !
J’ai secoué la tête, mes larmes taries.
— Sevastyan…
Il s’est tourné vers moi. Il est resté immobile, comme s’il s’attendait à ce qu’un échafaudage lui
tombe sur la tête.
— … je ne suis déjà plus là.
Je me suis levée pour m’habiller.
Il s’est tenu la gorge à deux mains comme s’il étouffait.
— Ne dis pas ça !
Dans un bond, il m’a attrapée par les épaules.
— Regarde-moi. Regarde-moi !
Ses yeux étaient noirs.
— Je vais te raconter que j’ai tué beaucoup de fils, beaucoup de pères. J’ai commencé à l’âge de
douze ans.
J’ai retenu mon souffle.
— Le premier père que j’ai tué était le mien.
44

Sa confession m’a d’autant plus choquée qu’il était pétri de honte.


Il a lâché mes épaules.
— Dis quelque chose, Natalie.
Il se préparait à ce que je sois dégoûtée de lui, sans envisager un seul instant que je pourrais réagir
autrement.
Si je le connaissais peu, un trait de caractère était frappant chez lui : sa loyauté inébranlable envers
ceux qu’il aimait. Il n’avait que douze ans au moment des faits, et il m’avait laissé entendre que son père
alcoolique n’était pas facile à vivre, aussi j’en concluais qu’il s’était défendu.
— Ton père ne t’a pas donné le choix, j’imagine.
Sevastyan m’a regardée à deux fois, étonnée que je sois toujours là.
— Comment peux-tu dire ça ? Tu n’as pas entendu ? Je viens d’avouer que je suis coupable de…
parricide ?
— J’ai vu comment tu étais avec Paxán. Tu aurais été dévoué envers n’importe quel père respectable.
Sevastyan s’est assis au pied du lit, s’est relevé brusquement pour se rasseoir aussitôt. Sa peine le
rongeait. Un mécanisme interne est cassé.
— Décris-moi les circonstances.
— J’ai amené mon père en haut des marches, à la maison, je l’ai regardé dans les yeux et je l’ai
poussé, conscient qu’il allait probablement mourir.
— Et avant ça, que s’est-il passé ?
— Les faits ne te suffisent pas ? Enfant, j’avais décidé d’être un assassin. Et je n’ai jamais arrêté.
J’ai insisté.
— Que s’est-il passé juste avant sa mort ?
Il a froncé les sourcils, troublé par ma question.
— Je… je ne suis pas allé jusque-là, quand je m’imaginais te raconter ça. Je croyais que tu t’en irais,
terrifiée.
Au lieu de ça, je me suis assise sur le lit, le dos calé contre la tête de lit.
— Raconte.
Il s’est lancé en évitant de me regarder.
— Mon père devenait violent quand il buvait. Mes premiers souvenirs sont des mouvements de
blocage. Il était massif, avec ses poings, il était… intransigeant. C’étaient des armes.
Ses premiers souvenirs ? Sevastyan, petit garçon, maltraité par l’homme qui aurait dû le protéger.
Cette image s’est gravée dans le fond de ma tête. Je suis singulièrement fait pour me battre, depuis
toujours, avait-il déclaré un jour. Paxán l’avait vu recevoir une raclée, et s’était demandé comment un
jeune garçon pouvait se relever à chaque coup. Sevastyan avait encaissé une pluie de coups par habitude.
— Tu veux bien continuer ? ai-je demandé en m’efforçant de parler posément.
— Il se considérait discipliné, se vantait qu’il ne buvait qu’à la nuit tombée. En gros, il n’arrêtait
jamais pendant les hivers sibériens. Je déteste toujours autant l’hiver. Et l’automne aussi.
— Pourquoi ?
— Ce sera toujours des périodes de tension pour moi, des saisons associées à la souffrance. Chaque
jour, le soleil se couche un peu plus tôt. L’anticipation peut être aussi difficile que tenace.
Notre histoire s’était également déroulée durant l’automne, alors que j’ignorais tout de sa lutte
intérieure.
— Et ta mère, elle était avec toi ?
— Pendant un certain temps, mais elle ne pouvait pas nous protéger contre lui. Elle est morte deux
hivers avant lui. Soi-disant en tombant dans le même escalier. Un accident tragique, ont-ils dit. Moi, je
sais qu’il l’a poussée. Il a laissé son corps là, marbré d’hématomes, abandonné comme un déchet. Dmitri
l’a trouvée le lendemain matin. Il était trop jeune pour voir ça, il était inconsolable.
Qui le supporterait, même à l’âge adulte ?
— J’aimais tendrement ma mère, mais à sa mort, la colère que m’inspirait la tristesse de mon frère
était plus forte que mon chagrin.
— Je suis désolée.
Sevastyan avait perdu sa mère à dix ans. Combien de fois lui et ses frères avaient-ils vu leur père la
maltraiter ?
— Parle-moi de la nuit où ton père est mort.
J’ai vu l’instant précis où Sevastyan a décidé de sauter du pont ; il a dégluti.
— Mon père connaissait toutes nos cachettes dans le manoir. Nous avions beau ne pas faire de bruit,
il nous trouvait toujours, se délectait de notre peur. Alors quand il était ivre, mes frères et moi allions
nous cacher dehors.
Maintenant je savais pourquoi il n’appréciait pas les surprises. Et pourquoi il était devenu furieux
quand Maksim avait révélé que le silence était récompensé.
— La dernière fois que j’ai vu mes frères enfants, j’avais seulement douze ans. Maksim en avait onze
et Dmitri, sept. Au cours des années, nous avons tous souffert de contusions, de fractures des membres et
des côtes.
Il relatait ces faits avec détachement – la maltraitance et le danger de mort réduits à des informations
contextuelles.
— Pourtant, la colère de mon père était plus vive que jamais. Nous étions en plein cœur de l’hiver,
mais nous étions obligés de nous enfuir. (Le regard perdu dans le vague, il revivait cet instant.) Je me suis
dépêché d’habiller chaudement Dmitri, puis nous sommes sortis dans la neige, en direction de l’abri le
plus proche, une cabane à outils. Nous sommes restés là pendant des heures, glacés, le regard rivé sur
notre maison. La lumière était allumée dans le manoir, les fenêtres couvertes de buée par la chaleur à
l’intérieur. Malgré la fortune familiale, nous aurions pu mourir de froid.

J’imaginais clairement la scène : trois petits garçons traumatisés, privés du refuge du manoir éclairé,
rongés par la peur du monstre qui y vivait.
— Quand les lèvres de Dmitri ont commencé à bleuir, j’ai su que je devais retourner voir si l’ordure
s’était effondrée… (Il m’a lancé un regard.) Je ne veux pas me remémorer cette scène. Je n’ai jamais pu !
Je n’ai jamais raconté cette nuit à personne.
— S’il te plaît, fais-moi confiance.
Il s’est ressaisi, se préparant à poursuivre, luttant contre ses démons pour moi.
— Il m’a vu avant que je n’aie réussi à dépasser la cuisine. J’ai couru mais mes jambes étaient
tellement raidies par le froid que mes pieds semblaient pris dans des sables mouvants. Il m’a attrapé, et a
matraqué mon visage. Mon œil était tellement enflé qu’il s’est fermé, et je voyais à peine de l’autre.
Sevastyan transpirait, son torse luisait de sueur. Se rendait-il compte qu’il serrait tant les poings que
ses phalanges étaient blanches ? J’étais tentée de le toucher, de l’apaiser, mais je redoutais qu’il
s’emmure dans le silence.
— Il voulait savoir où étaient ses autres fils. Il a juré de me battre à mort si je ne lui répondais pas.
Je me suis débattu et je me suis enfui à l’étage. Il m’a rattrapé sur le palier.
— Continue, ai-je murmuré, les larmes aux yeux.
— Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas seulement subi. J’ai rendu les coups. (Après tout ce
temps, sa voix transmettait encore sa stupeur.) Il était ahuri, mais blessé aussi. J’étais grand pour mon
âge, et tout à coup, mes poings se révélaient impitoyables. Je n’avais jamais frappé personne, même pas
Maksim en jouant. Quand mon père s’est remis du choc, son regard est devenu mortel. Je savais qu’il
allait me tuer.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? ai-je demandé, le cœur dans la gorge.
— Toutes ces années de colère sont remontées à la surface, et je… je l’ai battu. Je l’ai roué de coups.
Il a reculé jusqu’au bord des marches, chancelant. Quand nos regards se sont accrochés, j’ai éprouvé un
sentiment troublant que je n’oublierai jamais. J’ai su que ma mère avait vécu la même chose. Il l’avait
battue, la repoussant vers l’escalier. Tout aussi troublant, i… il a compris à quoi je pensais. Avec ce
fichu sourire narquois, il m’a dit : « Plus tard, tu seras exactement comme moi. Quand tu te regarderas
dans le miroir, tu verras mon visage. » L’idée m’a horrifié. Je l’ai frappé, conscient qu’il tomberait,
espérant qu’il meure. Il s’est brisé la nuque en heurtant le mur d’en bas.
Sevastyan a dardé un regard vers moi.
— Je suis là. Qu’as-tu fait ensuite ?
— Je savais qu’on m’enverrait en prison pour meurtre. Alors j’ai recouvert son corps et je suis allé
chercher mes frères. J’ai rassemblé tout l’argent que j’ai trouvé et j’ai disparu dans la nuit. J’ai réussi à
atteindre Saint-Pétersbourg. Là, je me suis fondu parmi les autres gamins.
— Paxán t’a trouvé au bout de combien de temps ?
— Un an et demi. Assez longtemps pour que je le soupçonne d’être une sorte de pervers quand il m’a
offert un refuge. Assez longtemps pour tomber de haut devant sa bonté.
— Comment as-tu survécu entre-temps ?
Il a massé un tatouage sur son doigt, celui qui représentait le vol.
— Je volais. Mais c’est devenu plus difficile en grandissant. Avec ma taille, je ne pouvais plus me
faufiler dans la foule. J’ai été arrêté plusieurs fois. (La voix brisée, il a poursuivi plus doucement.)
Quand on croisait le chemin des mauvais gangs, on ne pouvait pas se libérer. C’était… fichu.
Avait-il été attaqué par des voyous des rues ?
— Ton père t’a raconté notre première rencontre. Mais ce que je ne lui ai jamais confié, c’est que je
ne gagnais pas à tous les coups. Et quand je perdais (il a fixé ses poings), je perdais beaucoup.
Oh, mon Dieu, non. J’avais lu des livres sur ce qu’ils faisaient de leurs proies qui tentaient de
s’enfuir. C’était atroce. Qu’avaient fait ces hommes au jeune Sevastyan ?
Il a levé les yeux.
— Tu comprends ce que je veux dire ? La honte est pire que tout… ?
Mais il n’avait pas de raison d’avoir honte ! Ne le comprenait-il pas ? Ce soir, je ne parviendrais
peut-être pas à l’en dissuader mais un jour, j’y arriverais.
Son regard est redevenu lointain. Revivait-il ces atrocités ? Je ne le voulais pas. Je désirais le
réconforter.
— J’ai beaucoup perdu, a-t-il répété.
— Tu veux m’en parler ?
Il a fermé les yeux.
— Un jour, mais pas aujourd’hui. Ne me demande pas ça. (Il a rouvert les yeux.) Mais tu ne pars
pas ?
J’avais le cœur en miettes.
— Je ne partirai pas, l’ai-je rassuré.
C’était facile pour moi dont l’histoire n’avait rien de choquant – ni de notable – d’exiger ses
confidences. J’avais voulu nous placer sur un pied d’égalité, sans me rendre compte que nos histoires ne
se valaient pas.
— Tu veux me dire ce qu’il est advenu de tes frères ?
Il a paru soulagé d’échapper aux détails épineux.
— Nous n’avions pas de famille. Ils sont restés au manoir avec des tuteurs. Je ne suis pas rentré par
peur des poursuites judiciaires, mais aussi parce que je ressemblais de plus en plus à mon père. Je tenais
à leur éviter de voir mon visage. J’ai ignoré pendant des années que Maksim avait convaincu les autorités
que lui et Dmitri avaient été témoins de la chute de notre père ivre, et que leur frère aîné avait disparu
parce que le chagrin l’avait brisé. Déjà à l’époque, Maksim était doué pour faire croire ce qu’il voulait.
Sa tendresse envers son frère se sentait, en désaccord avec la froideur à laquelle j’avais assisté.
— Je pensais avoir sauvé mes frères d’un tyran abusif, qu’ils étaient libres. J’avais au moins ça pour
m’aider. (Il a pris sa tête dans ses mains.) Pourtant, cette semaine, Maksim m’a confié que leurs tuteurs
étaient… pires que notre père.
— Comment ça ?
Je devinais qu’ils avaient été abusés, eux aussi – comme si c’était leur destin, quoi qu’ils fassent.
— C’est leur vie privée, je ne dirai rien de plus.
Je me suis souvenue de la nuit au musée, de son retour à la maison. Sans un mot, il m’avait étreinte
comme une bouée de sauvetage. Venait-il d’apprendre ces horreurs de la bouche de Maksim ?
— Je comprends, Sevastyan. Mais tu ne dois pas te sentir coupable. Tu n’avais que douze ans – tu ne
pouvais pas savoir.
— Je les ai abandonnés. C’est leur point de vue, et ils m’en veulent. Moins Maksim que Dmitri, parce
que ses souvenirs sont plus précis. Mais dans le fond, ils souhaitent tous les deux que je paie pour leurs
malheurs. Pourquoi aurais-je voulu te parler d’une famille qui me hait ?
— Je me moque de savoir ce que les autres pensent de toi.
— Vraiment ? Je craignais que ça n’influence l’image que tu as de moi. Parfois, tu me regardes
comme un héros. Je ne peux pas expliquer ce que je ressens. (L’éclat de ses yeux en disait long.) Je me
demandais ce qui se passerait si tu apprenais que l’essentiel de ma vie n’était pas héroïque ? Si tu
découvrais que certains me haïssent, et que je me hais pour tous mes échecs ?
Il s’est rapproché de moi, comme j’en avais envie.
— Au moment où je devenais gagnant – au travail, dans ma vie – je risquais de te perdre.
Au lieu de répondre, je lui ai tendu ma main. Il l’a regardée sans y croire, puis l’a brusquement
acceptée. Il a pris l’autre et s’est mis à les réchauffer entre ses paumes. Les miennes étaient froides.
— Merci de t’être confié à moi, ai-je fini par dire.
— Je ne te dégoûte pas ?
— Bien sûr que non.
Je voulais le prendre dans mes bras, mais l’instant était trop fragile.
— Avec ton père, c’était une réaction d’autodéfense. Tu ne l’as pas vu, tu étais trop jeune.
Avec le temps, ses souvenirs avaient dû s’embrouiller, la culpabilité l’emportant sur la réalité : s’il
ne s’était pas défendu, il serait mort.
— Tu n’avais pas le choix, ai-je ajouté.
— Tous les jours, quand je me regarde dans la glace, c’est mon père que j’ai en face.
— Tu es différent de lui, me suis-je écrié.
Il m’a regardée de travers.
— Comment peux-tu l’affirmer si tu me connais mal ?
— Ton père aurait été rongé par les remords pendant vingt ans ? S’en voudrait-il pour des gestes
qu’il n’était pas en mesure de contrôler ?
Sevastyan a dégluti.
— Et l’autre… ?
— Je suis heureuse que tu aies survécu. Je te suis reconnaissante que tu me l’aies raconté.
Les émotions bouillonnaient en lui.
— Tu ne peux pas t’attendre à ce que je croie que tu restes de ton plein gré après que je t’ai confié ce
que j’ai fait – et subi. Encore moins grâce à mes confidences !
— Tu vas devoir y croire parce que c’est vrai. Ce que je sais sur toi m’attache à toi.
Il s’est muré dans le silence pendant une petite éternité.
— Dis-moi à quoi tu penses, Sevastyan. Ce que tu ressens.
— Ce que je ressens ? Tu viens de m’abattre, de m’assassiner. Je ne voudrais jamais d’une autre,
mais tu étais prête à renoncer à nous. (Pris de colère, il m’a lâché les mains.) Tu ne peux pas croire que
ce soit le fruit du hasard ! Paxán m’a trouvé il y a longtemps. De l’autre bout du monde, tu l’as trouvé, et
ensuite il m’a envoyé vers toi. Il y avait si peu de chances pour que je te rencontre.
Dans le banya, Sevastyan avait qualifié notre histoire d’inévitable. Je comprenais à présent d’où ça
lui venait.
Maintenant, moi aussi j’y croyais.
Il m’a prise par les deux bras.
— J’ai vécu toute cette vie sans savoir que je recherchais une rouquine intelligente et belle. Jusqu’à
ce que je la voie. Puis je l’ai observée. Pendant qu’elle vaquait à ses occupations ; elle n’imaginait pas la
torture que j’endurais à chaque instant.
J’ai retenu un cri.
— Sevastyan…
— La première fois que je t’ai vue, j’ai failli tomber à genoux. Je voulais envahir tes pensées comme
tu habitais les miennes. Quand je finissais par trouver le sommeil, je rêvais de toi, et je me réveillais en
me caressant dans les draps. (Il a serré les doigts autour de mes bras.) J’espérais un regard. Et puis, dans
le bar, tu es venue vers moi. Tu m’as manifesté de l’intérêt, et à mon grand étonnement, Paxán a accepté
que nous soyons ensemble. Il a seulement exigé que je te laisse du temps. (Il m’a lâchée et s’est mis à
marcher de long en large.) Du temps… pendant que ce maudit Filip draguait ma femme !
— Je n’ai pas choisi Filip.
— Tu ne m’as pas choisi non plus ! Pas avant que tu te retrouves seule et perdue, ébranlée par la mort
de Paxán. J’ai profité de toi cette nuit-là, et toutes les nuits qui ont suivi.
— Non, je te désirais, ai-je affirmé.
— Parce que tu ne me connaissais pas vraiment. Tu comprends maintenant pourquoi j’hésitais à te
révéler mes perversions, à te faire mal ? Je craignais de devenir comme mon père. Je luttais tellement,
mais l’idée que tu sois avec un autre… m’a mise hors de moi.
L’avais-je fait souffrir en le forçant à s’adonner à des jeux sexuels qui le perturbaient ? Après les
abus qu’il avait endurés, la question s’imposait. Il pouvait apprécier nos relations mais se sentir sale
ensuite.
Maintenant qu’il se confiait, je devais aller au bout.
— Tu veux me dire quand tu as pris conscience de tes penchants ?
— Je dois vraiment continuer de me dévoiler ? a-t-il demandé gravement.
— Oui, Sevastyan, c’est sans fin.
Il a froncé les sourcils.
— Au début, ce n’était pas sexuel.
— Je ne comprends pas.
Il a expiré.
— J’avais toujours eu mes frères à mes côtés, mais à Saint-Pétersbourg, je me suis retrouvé seul.
Avec les autres enfants, je ne pouvais pas créer de liens. Pas avec mon passé. Mais je ne supportais pas
la solitude. Déjà à cet âge, j’avais pris la décision de me marier – avec une femme qui m’appartiendrait.
J’ai essayé de l’imaginer enfant, faisant du mariage sa priorité. Pourtant, des décennies plus tard, il
ne s’était jamais marié. Il veut t’épouser, Nat…
— J’étais assez jeune pour échafauder des projets ridicules, mais assez âgé pour réaliser que j’étais
sans domicile et sans argent. Je n’avais rien à offrir. Et un an plus tard…
— Dis-moi.
Il a poursuivi à contrecœur.
— Il y avait une prostituée dans une ruelle que tous les garçons épiaient. Je voyais qu’elle faisait
semblant d’apprécier les clients, que ses cris étaient forcés – pour que la nuit se termine plus vite.
J’ai tressailli en pensant à tout ce qu’il avait vu en vivant dans la rue.
— Un soir, un homme est allé vers elle, il la touchait autrement – avec exigence, cruauté même. Il
l’obligeait à s’appuyer contre le mur pendant qu’il la fouettait. Je ne supportais pas qu’il la frappe.
J’aurais pu tuer quelqu’un qui s’en prenait à une femme. J’ai failli agresser l’homme mais quand je l’ai
regardée, elle avait le regard vitreux. Elle était essoufflée. (Sevastyan a brièvement porté son regard sur
moi.) Elle était… aux anges.
— Continue.
— Quand il a fini par la pénétrer, cette femme blasée a fondu dans ses bras. Elle n’aurait cédé sa
place pour rien au monde. Elle lui appartenait totalement.
Sevastyan s’est tourné face à moi, a soutenu mon regard pour vérifier si je le comprenais.
— Il avait quelque chose à lui offrir – quelque chose de différent des autres hommes. Je me suis dit
que si je parvenais à apprendre ces gestes, je contrôlerais une femme. Je la ferais fondre. Ce n’était pas
tant l’acte que les conséquences qui m’attiraient.
J’avais deviné que le plaisir de sa partenaire passait avant le sien durant ces jeux. Maintenant
j’apprenais que l’unique fois où il avait vu cette femme au septième ciel était gravée en lui.
— Et ensuite ?
— Je te l’ai dit, j’ai toujours eu le sentiment que c’était une pratique. Quand je t’ai rencontrée, j’ai
compris pourquoi. Mais quand mes besoins sont devenus plus brutaux, j’ai eu peur d’être attiré par la
souffrance pour de mauvaises raisons. Peut-être à cause de tout le mal qu’on m’avait fait. Ou que je
voulais la maîtriser comme l’alcool. J’étais terrifié à l’idée de te faire fuir – ou de perdre le contrôle et
de te blesser.
Et moi, je n’avais fait que l’encourager sur cette voie. Les regrets m’ont assaillie.
— Et je t’ai poussé à faire des choses dérangeantes.
Il a vigoureusement secoué la tête.
— Tu as de tels besoins… avec toi, ce n’était pas sordide. Tu l’as… purifié. Quand j’allais dans des
lieux comme ce club, je sentais de l’espoir, moi aussi.
Devant mon air dubitatif, il a précisé.
— J’avais raison à l’époque. Au club, tu avais l’air au paradis – et je savais que tu m’appartenais.
Je me suis rappelé l’étincelle dans ses yeux, sa manière d’appuyer le front sur mon épaule. Il m’avait
dit que j’étais faite pour lui.
— En rentrant à la maison, tu as enroulé tes petits doigts dans mes cheveux, tu frissonnais dans mes
bras. Tu soupirais comme si tu m’aimais. (Il a planté les yeux dans les miens.) Je ferais n’importe quoi
pour revivre ça.
Il avait vu une femme ébranlée par des souffrances mesurées, et avait intériorisé ce désir. Il voulait
seulement m’émerveiller, me faire découvrir de nouveaux plaisirs. Donc je ne le faisais pas souffrir !
Et il communiquait véritablement avec moi.
Alors que je commençais à me sentir pleine d’espoir pour nous, son regard s’est endurci.
— Mais tu n’étais pas à moi.
— Je l’étais. Je le suis ! (Exaspérée, j’ai soupiré.) Tu imagines comme c’était frustrant de tomber
amoureuse de chaque facette que tu me dévoilais – même si je croyais que tu ne m’en montrerais jamais
plus ?
— Amoureuse ? a-t-il dit, la gorge serrée.
— Oui, Sevastyan. Je veux me battre pour nous, si toi aussi tu souhaites que ça marche. Tant que tu
continueras à me parler, nous surmonterons tout.
Il m’a considérée avec méfiance, comme si ce revirement était impensable.
— Tu me donnes une nouvelle chance ?
— Si tu m’en donnes une aussi. J’ai besoin d’apprendre la patience, tu as raison.
Il s’est rapproché.
— Je sais que je ne suis pas convenable. Mais si tu m’aides, je peux m’améliorer. Je veux faire des
efforts pour nous. Natalie, comprends-moi bien : je te… le demande.
J’étais déjà dans ses bras. Dans l’élan, il m’a assise à califourchon sur ses genoux. Quand je l’ai
enlacé, il tremblait comme si un poids venait de quitter ses épaules – comme un muscle surmené enfin
autorisé à se reposer.
— Tu m’as laissée entrer, ai-je chuchoté.
Il a hoché la tête.
— Ne me referme plus jamais la porte. Tant que tu me parleras, je ne te quitterai jamais.
— Je ferai tout ce qu’il faudra.
Il m’a gardée dans ses bras pendant un long moment.
— Sevastyan, quelle est la suite ?
— Nous rentrons à la maison, a-t-il répondu d’une voix émue.
45

La Moskva était presque gelée.


Du pavillon, j’observais les loutres folâtrer sur les blocs de glace. J’avais vu une hermine, des
lièvres et un harfang des neiges. Ils débordaient d’énergie dans ce froid mordant – encore plus vif que
dans le Nebraska.
Ce pavillon était l’un de mes endroits préférés de la propriété. J’y venais lorsque Sevastyan
travaillait.
Autour de moi, la neige recouvrait Berezka d’un manteau immaculé. La neige m’aidait à oublier le
combat fatal aux abords du hangar à bateaux, la lutte destructrice pour le pouvoir.
Le décès prématuré de Paxán.
Le blanc pur me rappelait que les blessures guérissaient toujours.
La tombe de Paxán était somptueuse, et bien qu’elle soit perchée sur une colline et entourée de
bouleaux, je me sentais proche de lui.
Son enterrement avait été maussade, accompagné par des foules de personnes qui l’aimaient. Devant
les autres, Sevastyan n’avait pas montré son chagrin. Mais dans la soirée, devant moi, deux larmes
avaient coulé sur ses joues. De la part d’un homme endurci, elles en valaient des milliers.
À mesure que le temps passait, nous pensions à lui en souffrant un peu moins. J’étais reconnaissante
du peu de temps que j’avais partagé avec lui. En l’espace de quelques semaines, il avait chamboulé ma
vie.
Au loin, j’ai vu Sevastyan marcher vers moi, son long manteau gris battant ses jambes. Mon cœur a
bondi. Il en serait toujours ainsi.
Le soleil a illuminé son visage. De plus près, je constatais qu’il avait trouvé une certaine paix
intérieure. Il semblait rajeuni, moins abattu qu’au début. Il souriait plus souvent, et je parvenais même à
le faire rire de temps en temps.
— Prête à rentrer ?
Il m’a donné le bras pour me raccompagner à la maison. Nous avions fait aménager mon aile pour
nous deux, et apporter ses affaires depuis sa maison sur la propriété.
— Allons-y.
J’ai passé ma main gantée sous son bras, admirant ses joues rougies et son regard illuminé.
Depuis notre retour un mois plus tôt, Sevastyan était parvenu à dissocier l’héritage de Paxán des
affaires de la mafiya. Ensuite il avait pris sa succession en tant que vor, mais à moindre échelle. Il se
concentrait uniquement sur la protection du territoire de Paxán et de ses habitants.
Le rôle de protecteur lui allait comme un gant.
— Les cadeaux de ta mère et de Jessica sont arrivés de chez Buccellati aujourd’hui.
Des boîtes de bijoux extravagants.
D’accord, je commençais à m’habituer à avoir de l’argent.
Pour Noël, nous avions prévu de nous rendre dans le Nebraska. Je me demandais comment ma famille
et mes amis allaient trouver mon ancien exécuteur.
— Merci de m’avoir informée que les cadeaux étaient là, ai-je dit avec un grand sourire.
Parfois, il me parlait pour remplir son « quota de mots à prononcer ». Je le taquinais souvent à ce
sujet.
— Tu as repensé à tes frères ?
J’avais suggéré qu’il les appelle pour Noël, un prétexte pour renouer avec eux.
— Je… n’écarte aucune possibilité. Mais Maksim risque de croire que je suis disposé à accepter son
offre.
— Pas faux.
Si mon but était simplement d’échanger des vœux, Maksim ambitionnait d’unir ses forces à Sevastyan
afin de prendre le contrôle de, eh bien, toute la Russie.
Sevastyan n’avait rien accepté, mais ses rivaux, ayant eu vent d’une potentielle alliance, s’étaient
faits moins agressifs. En conséquence, il était moins occupé qu’auparavant.
Peut-être qu’au printemps, il pourrait déléguer ses responsabilités et m’emmener faire le tour du
monde ? Sinon, je m’inscrirais à l’université locale. Je n’avais encore rien décidé, bien entendu.
Ma seule certitude ? J’étais déterminée à ce que cet hiver soit différent pour lui, à ce qu’il l’associe à
la chaleur de notre lit, à nos jeux coquins et à nos rêves d’avenir.
— Avant que j’oublie, Jess s’est réservé la primeur de ton ancienne maison. Elle aimerait rentrer
avec nous après les fêtes de fin d’année.
En vérité, elle avait quasiment déclaré qu’elle s’installerait « dans son mini-palace personnel et
passerait le restant de sa vie à s’empiffrer de bortsch ».
— Alors c’est chez elle, a dit Sevastyan, à mon grand étonnement. Tant que je t’ai pour moi toutes les
nuits.
— Tu t’en sors bien, le Sibérien.
Pour la première fois de sa vie, il appréciait les interminables nuits d’hiver. Nous nagions, lisions,
jouions aux échecs ensemble. Enfin, nous essayions. La veille, nous avions dispersé toutes les pièces
lorsqu’il m’avait plaquée sur l’échiquier pour jouer avec mon corps.
Aucune reine n’avait jamais été aussi heureuse de se faire prendre.
Souvent, il s’allégeait d’un nouveau poids et nous discutions jusque tard dans la nuit. À chaque
confidence, l’homme aimant et honorable qu’il était devenu m’émerveillait. Il m’avait tout dit à propos de
Paxán, et je sentais à quel point la main délicate de l’horloger l’avait guidé.
Sevastyan avait toujours ses parts d’ombre, mais elles étaient devenues les nôtres.
Quant à moi, j’apprenais la patience. Pour me former, je réparais les horloges de mon bátja.
L’horlogerie est l’art de l’assiduité et du temps, non ?
— Viens là, a dit Sevastyan quand une bourrasque de vent m’a fait frissonner.
Il m’a enveloppée dans son corps imposant. Il faisait toujours ça, et aussi me réchauffer les mains dès
qu’elles se refroidissaient.
Je me suis blottie contre lui, même si j’avais chaud dans mon manteau et mon pull en cachemire – que
j’avais associés à un jean et des godillots.
Je faisais des efforts pour rester moi-même. Natalie était de retour – en plus persévérante et tolérante,
j’espérais. Et éventuellement en un tout petit peu plus sage.
— C’est vraiment merveilleux ici, ai-je murmuré alors qu’un lièvre blanc passait devant nous.
— Tu verras, c’est encore plus beau en été.
Moins il craignait de me voir partir, plus il évoquait l’avenir. Peut-être aussi parce que nous n’avions
pas tardé à nous installer ensemble.
— Peut-être que nous serons débarrassés de Jess d’ici là.
Amusé, il a souri.
Que manquait-il entre nous ? Il ne m’avait pas dit qu’il m’aimait. Il me le montrait quotidiennement,
et il m’en avait convaincue à Paris, mais j’avais besoin de l’entendre. Toutefois, c’était la seule chose
que je ne pouvais pas réclamer. Ça devait venir naturellement.
— Nous devrions aller au banya demain.
Quand il a baissé les yeux vers moi, le soleil a fait briller ses iris, pareils à de l’or fondu. Ma
nouvelle couleur préférée.
— Tu as raison, c’est important. Pour la santé.
L’atmosphère du Libertin me manquait-elle ? Pas du tout. Sevastyan m’avait fait planer à plusieurs
occasions depuis notre retour à la maison.
Le reste du temps, quand il me faisait l’amour, ses caresses et ses baisers étaient si tendres que je
n’aurais pas su dire ce que je préférais.
— Et en attendant d’aller au banya, que pourrions-nous faire de bon pour la santé ? a-t-il soufflé
d’une voix éraillée.
— La revanche aux échecs ? Ou une douche chaude à deux ?
En tant que citoyens responsables, nous ne gaspillions pas l’eau. Et pourtant, nous aimions le sexe
sous la douche.
— J’ai une idée. Mais ce serait mieux que je te montre…
Le regard suggestif, il a laissé sa phrase en suspens. Devant ses promesses érotiques, un souffle est
sorti de ma bouche.
— Nous pourrions accélérer le pas, Sevastyan ?
Il s’est arrêté et m’a prise dans ses bras.
— Ça m’ennuie de dire ça mais mon frère avait raison. Tu ne devrais pas m’appeler par mon nom de
famille.
— Comment dois-je t’appeler ?
— À toi de choisir.
— Pas facile.
Il y avait bien longtemps, il s’était rebaptisé Aleksandr. Je pouvais remodeler ce prénom à mon goût.
— J’ai peut-être déjà trouvé un nom, mais j’attends le bon moment pour l’utiliser.
— Pourquoi attendre ?
— Serais-tu impatient ? ai-je plaisanté. Bon, et toi, qu’attends-tu pour me demander en mariage ?
Il m’a fait un sourire aguicheur.
— Je ne peux plus repousser. Je sais que tu vas vouloir te marier dans le Nebraska.
Démasquée. Lors de notre première nuit, il avait mentionné que je porterais « son or ». Qui aurait cru
que je le porterais sous la forme d’une alliance ? J’ai arqué un sourcil.
— Tu ne doutes pas que j’accepte de t’épouser, hein ?
Il a ôté son gant pour caresser ma joue.
— Eto dlya nas neizbezhno, milaya.
C’est inévitable.

Ce soir-là, nous étions au lit, reprenant notre souffle après des élans fougueux. Toujours en moi,
Sevastyan continuait d’onduler lentement tout en semant des baisers sur mon visage.
Comblée, je nageais dans le bonheur près du feu qui crépitait dans la cheminée. Dehors, la neige
martelait les fenêtres et le vent soufflait, mais à l’intérieur, notre nid était douillet.
Ce soir, je trouvais qu’il n’y avait rien de plus beau que les mouvements de son corps à la lueur des
flammes – et que son inépuisable sac à malice érotique. Ses lèvres ont longé mon cou. J’ai enfoncé les
doigts dans ses cheveux, me cambrant à la rencontre de sa bouche.
Entre deux baisers, son murmure a résonné sur ma peau moite.
— Ya lyublyu tebya.
Je t’aime.
Une bûche a crépité dans l’âtre. Je souriais aux anges.
Comme je ne répondais pas, il s’est contracté. Alarmé, il a relevé la tête.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— C’est bon de l’entendre, ai-je répondu avec un grand sourire.
J’ai embrassé son nez. Il a esquissé un sourire.
— J’imagine.
— Ya lyublyu tebya, Aleks, ai-je dit de tout mon cœur.
— Aleks ?
Le regard vibrant, il a pris mon visage entre ses mains.
— Parmi tous les noms possibles, c’est celui que tu m’as choisi ?
— Il ne te plaît pas ? ai-je demandé, même s’il l’appréciait clairement.
Or fondu.
— J’aime bien.
Il m’a embrassée comme aucun autre amoureux ne saurait le faire.
Le soir où j’ai rencontré Aleks Sevastyan, j’espérais trouver un homme qui me tienne chaud pendant
l’hiver.
Je n’aurais jamais imaginé des nuits d’hiver aussi froides – ni que les bras chauds qui m’étreindraient
soient aussi forts.
Épilogue

Vous êtes cordialement invité(e) au mariage de



Natalie Marie Porter
&
Roman Aleksandr Sevastyan

Le samedi 29 décembre
À 18 heures
À Fontanelle Manse, Nebraska


Merci de répondre


Nom : Maksimilian Sevastyan
✓ Est heureux d’accepter
Au regret de devoir refuser
2 Nombre d’invités à la cérémonie

Merci de répondre


Nom : Dmitri Sevastyan
Est heureux d’accepter
✓ Au regret de devoir refuser
Nombre d’invités à la cérémonie
Note de l’auteure

Pour cette histoire, j’ai d’abord imaginé la boutique de fabrication et de réparation d’horloges des
grands-parents de Natalie. Florissantes sur le marché noir russe dans les années 1960, 1970 et 1980, ces
boutiques échappaient aux contrôles de l’État.
Durant mes recherches sur le crime organisé en Russie, dont certaines facettes ont connu une
croissance rapide en parallèle de l’économie souterraine pendant cette période, je me suis penchée sur le
passé des patrons du crime. Chacun a une histoire différente. Certains ont poursuivi de longues études,
d’autres étaient des militants politiques. L’un d’eux est même devenu producteur de télévision. Dans un
cadre aussi varié, je me suis senti le droit de dépeindre un horloger courtois mais au passé violent et
sombre, qu’il a embelli pour sa fille qu’il venait de retrouver.
Dernier point, je ne suis pas à l’origine de l’idée de Sevastyan d’importer de la vodka déguisée en
liquide à essuie-glaces. Je me suis simplement inspirée d’événements réels.

J’espère que Le professionnel vous a plu ! Merci à toutes de me lire ! Et continuez de vous amuser…

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