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Armand Colin

LE LIBRE-ÉCHANGE EURO-MAGHRÉBIN : UNE ÉVALUATION MACRO-ÉCONOMIQUE


Author(s): Gérard Kébabdjian
Source: Revue Tiers Monde, Vol. 36, No. 144 (Octobre-Décembre 1995), pp. 747-770
Published by: Armand Colin
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23592016
Accessed: 21-10-2015 09:08 UTC

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LE LIBRE-ECHANGE EURO-MAGHREBIN :
UNE ÉVALUATION MACRO-ÉCONOMIQUE

par Gérard Kébabdjian*

La Tunisie vient de signer le 12 avril 1995 un accord qui doit aboutir


dans douze ans à la constitution d'une zone de libre-échange avec
l'Union européenne. Ce qui n'était jusque là qu'une idée de la Commis
sion des communautés, et une offre qui revenait de façon récurrente
depuis cinq ans, a trouvé là sa première concrétisation. Les négociations
avec le Maroc, engagées chronologiquement les premières, sont provi
soirement bloquées en raison d'un contentieux sur les zones de pêche.
Même si l'Algérie n'est pas actuellement concernée du fait de la situa
tion politique qui règne dans ce pays, l'initiative européenne a vocation
à s'adresser à tous les pays du Maghreb. Cette initiative est importante
à plus d'un titre.
La logique qui préside à la création d'une zone de libre-échange
(zle) entre l'Union européenne (ue) et le Maghreb marque une révision,
peut-être irréversible, dans la philosophie de l'organisation des échanges
commerciaux héritée de la période qui a suivi l'indépendance. Les dis
cussions sur un accord de libre-échange ne constituent d'ailleurs qu'un
volet d'une négociation plus globale devant déboucher sur une redéfini
tion de l'ensemble des accords de coopération de 1976 fixant le cadre
institutionnel, encore en vigueur, des relations économiques et finan
cières de l'Europe avec le Maghreb. Du point de vue du commerce exté
rieur, l'enjeu est en fait de mettre fin au traitement discriminatoire préfé
rentiel dont bénéficiaient les pays du Maghreb de la part de l'Europe et
de soumettre plus étroitement les échanges commerciaux aux impératifs
d'une logique de marché conforme aux tendances de l'économie mon
diale. Il est vrai que ce système préférentiel apparaît aujourd'hui profon
dément érodé à la suite des récents accords du gatt (signature de l'Acte

* Université de Paris 8.

Revue Tiers Monde, t. XXXVI, n° 144, octobre-décembre 1995

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final de l'Uruguay Round à Marrakech), organisation à laquelle les


pays du Maghreb ont décidé d'adhérer dans les années 80.
La création d'une zle euro-maghrébienne est également importante
pour sa valeur de banc d'essai dans la stratégie européenne de création
d'une zle pour l'ensemble de la Méditerranée, une stratégie encore hési
tante mais à laquelle semblent tenir les instances européennes : elle est
devenue la pièce maîtresse de l'ordre du jour de la Conférence ministérielle
euro-méditerranéenne de Barcelone qui se propose de jeter les bases d'un
cadre multilatéral nouveau entre l'Europe et la Méditerranée.
L'objectif du libre-échange régional semble rencontrer un écho peu
enthousiaste, mais intéressé, de la part des « pays tiers méditerranéens »
(ptm). Le fait même d'envisager la possibilité d'un accord de libre
échange est symptomatique de la réorientation stratégique des politi
ques dans ces pays qui étaient de tradition plutôt protectionniste et, il y
a encore peu de temps, engagés dans des stratégies de développement
autocentré. Ces politiques n'ont pas eu, loin s'en faut, les succès
escomptés. Beaucoup de ptm avaient d'ailleurs dû adopter des pro
grammes d'ajustement structurel (pas) qui avaient infléchi leurs politi
ques de développement. Le choix de la zle peut être interprété comme
la poursuite de ce virage et la recherche d'une nouvelle voie de déve
loppement où l'industrialisation repose explicitement sur l'ouverture
extérieure.
L'émergence de zones continentales de libre-échange fait partie,
depuis la fin des années 80, de la nouvelle donne de l'économie mon
diale dans la partie riche de la planète de sorte que le « régionalisme
continental » est devenu une véritable contrainte de la politique com
merciale des petits pays à économie ouverte condamnés à choisir leur
bloc de rattachement privilégié. Mais, pour les pays en développement,
cette contrainte se double d'un défi car, d'un côté comme de l'autre, on
mesure très mal les effets qui sont à attendre de la création d'une zone
de libre-échange entre pays de niveau inégal de développement. Sur le
plan analytique, l'évaluation des impacts d'une zone de libre-échange
sur le pays à niveau de développement le plus faible reste un objet de
recherches malgré la mise au point d'une méthodologie opérationnelle
et des travaux économétriques récents.
Cet article explore les problèmes macro-économiques posés par cette
création à l'aide des résultats d'une étude de simulation sur la Tunisie
réalisée pour le ministère de l'Economie nationale de ce pays. Une inter
rogation simple commande l'analyse, celle de savoir si les pays du
Maghreb ont finalement intérêt à conclure un accord de libre-échange
avec l'Union européenne. La conclusion à laquelle on parvient est qu'il
y a lieu d'en douter.

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La première section part des études quantitatives déjà conduites sur


les effets de la création d'une zle entre un pays en développement et une
zone développée (il s'agit principalement du cas du Mexique dans le
cadre de I'alena, Accord de libre-échange nord-américain) et s'inter
roge sur la pertinence de la transposition aux pays du Maghreb. La
deuxième section explicite l'importance des effets macro-économiques
associés aux variantes de politique économique susceptibles d'accompa
gner la mise en œuvre d'une zle pour les pays du Maghreb. La troi
sième section souligne l'importance du comportement de l'investisse
ment étranger. Enfin, la dernière section fournit quelques repères
macro-économétriques à partir de simulations réalisées à l'aide d'un
modèle « d'équilibre général calculable » construit pour la Tunisie.

1. ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE
ENTRE PAYS DE NIVEAU INÉGAL DE DÉVELOPPEMENT :
ENSEIGNEMENTS ET INCERTITUDES

Enseignements à partir du cas mexicain

Les effets potentiels de I'alena sur l'économie mexicaine ont été exa
minés à partir de simulations mettant en œuvre des modèles d'équilibre
général calculable1. Cette méthodologie est actuellement seule dispo
nible pour évaluer quantitativement les effets globaux d'un changement
de politique économique dans un pays en développement2. Les simula
tions montrent que le Mexique doit bénéficier de la création d'une zle
du fait de la croissance de ses exportations3 .Cette conclusion a été criti
quée par une mise en cause du modèle théorique. Nous verrons, pour
notre part, qu'il n'est pas nécessaire, concernant les pays du Maghreb,
de sortir de la logique des modèles d'EGC pour contester les effets posi
tifs de la création d'une zle pour le pays le moins développé.
Nous retiendrons cependant des études quantitatives menées outre
Atlantique le rôle crucial des hypothèses complémentaires. Les simula
tions faites à partir des modèles d'egc montrent, en effet, que les

1. EGC ; voir Schubert, 1993, et Zantman, 1995.


2. On citera parmi les études nord-américaines : Bachrach et Mizrahi (1992) ; Brown et al. (1992) ;
Hinojosa-Ojeda et Robinson (1992) ; McClery (1992) ; Roland-Holst et al. (1992) ; Sobarzo (1992).
3. Dans le cas le plus simple où les modèles EGC sont utilisés en statique comparative sur le long terme.
Il serait évidemment important de disposer de résultats sur la faisabilité en dynamique. Le processus transi
tionnel peut faire disparaître les gains, et même conduire à des pertes globales. Par exemple, les problèmes
d'ajustement à court et à moyen terme peuvent se traduire par une baisse cumulative des investissements, et
donc une perte de croissance à long terme. Les modèles d'EGC utilisés dans la pratique étant en général sta
tiques, ces aspects sont rarement explorés.

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impacts sur la zone la moins développée dépendent de façon cruciale


d'hypothèses qui sont extérieures au modèle. Celles-ci sont relatives
aux mouvements de capitaux, notamment les investissements directs1
et aux politiques économiques d'accompagnement suivies par les pou
voirs publics.
Pour ce qui concerne les mouvements de capitaux, il est très difficile
sinon impossible de fixer avec certitude le cas de figure le plus réaliste en
raison de l'absence d'une modélisation satisfaisante des investissements
extérieurs. Il n'y a pas d'autre solution que de simuler les effets associés à
des flux d'entrées de capitaux fixés de façon exogène. Par la suite, nous
montrerons que les scénarios sont très contrastés en nous fiant au « bon
sens » pour évaluer une fourchette raisonnable à l'intérieur de laquelle
pourraient se situer les entrées de capitaux suscitées par la création d'une
zle entre i'ue et les pays du Maghreb. Pour ce qui est des politiques d'ac
compagnement, les simulations effectuées en Amérique du Nord ne prê
tent pas assez attention à la possibilité de variantes de politiques macro
économiques dans l'accompagnement du processus d'ouverture
extérieure ; dans la plupart des cas, elles y associent implicitement une
politique « passive » de caractère récessionniste. Le fait que le gouverne
ment décide ou non d'augmenter la fiscalité pour compenser les pertes de
recettes résultant de l'abaissement tarifaire, qu'il décide ou non une baisse
compensatrice des dépenses publiques, que le change soit appelé à s'ajus
ter de façon spontanée à la suite du choc du démantèlement ou que les
pouvoirs publics engagent une politique de stérilisation en matière de
change... sont des hypothèses cruciales, susceptibles de modifier le sens des
résultats et du bilan à attendre de la création d'une zle pour le pays à
niveau faible de développement. Les simulations effectuées à l'occasion de
i'alena font comme si les Etats n'avaient pas de politique économique, ou
plutôt comme si cette politique devait se fixer par une logique comptable
étroite imposant aux dépenses publiques de s'ajuster aux recettes, le
change étant de son côté parfaitement flexible et n'offrant aucune marge
de manœuvre à la politique économique.
Les modèles d'egc offrent la seule maquette utilisable à ce jour pour
évaluer macro-économiquement les effets de la création d'une zle et il
est possible d'utiliser cet instrument pour effectuer des simulations com
binant hypothèses de démantèlement tarifaire et variantes de politiques
macro-économiques (celles comptablement cohérentes avec le démantè
lement, mais elles sont nombreuses). C'est cette méthodologie qui est
appliquée concernant les pays du Maghreb.

1. Variable explicitement prise en compte dans certaines simulations et dont la croissance améliore
significativement le bilan pour le Mexique, comme le soulignent Berthélemy et Girardin, 1993.

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Spécificités du cas maghrébin

Pour plusieurs raisons, les enseignements concernant I'alena sont à


relativiser dans le cas de I'ue et des pays du Maghreb. En effet, l'accord
de 1976 donne, malgré des entraves secondaires, un libre accès des pro
duits d'exportations maghrébins sur le marché européen. L'adhésion de
la Grèce en 1981, de l'Espagne et du Portugal en 1986, c'est-à-dire
l'élargissement de l'Europe communautaire à des pays directement
concurrents des pays du Maghreb, constitue l'événement marquant qui
a conduit au protocole additionnel de 1987, accord qui, tout en révisant
« à la baisse » les avantages préférentiels accordés à ces pays, a globale
ment joué dans le sens de la préservation de leurs parts de marché dans
un contexte concurrentiel plus tendu.
Dans l'ensemble, les pays du Maghreb bénéficient d'un libre accès aux
marchés des produits manufacturés1. Les seules véritables barrières sont
relatives aux produits agricoles (calendriers pour les fruits et légumes, et
dans le cas de la Tunisie, l'huile d'olive). Or ceux-ci ont été exclus de la
négociation avec les pays du Maghreb (principalement sous l'influence
des pays du sud de l'Europe communautaire producteurs de biens simi
laires). Par conséquent, la création d'une zle limitée aux produits non
agricoles n'est pas susceptible de promouvoir directement les exportations
des pays les moins développés tandis qu'elle doit stimuler les exportations
européennes en direction de ces pays. Alors que l'économie européenne
est pratiquement ouverte aux importations de biens manufacturés en pro
venance du Maghreb, les pays d'Afrique du Nord ont une industrie à pro
téger. L'asymétrie de la négociation commerciale est particulièrement
accusée dans le cas de la Tunisie puisque I'ue n'a pratiquement aucune
contrepartie commerciale à offrir contre le démantèlement de l'ensemble
du dispositif de protection mis en place par ce pays.
Dans le cas d'espèce UE/Maghreb, une zle ne permet donc d'espérer
ni un gain commercial direct en exportations ni un gain macro-écono
mique certain, alors même que les effets devraient se révéler massifs en
raison du degré d'ouverture de ces économies et de l'importance des
taux d'importations en provenance de I'ue (54 % pour le Maroc, 61 %
pour l'Algérie et 71 % pour la Tunisie, en 1992). D'où une situation
relativement originale, issue de l'histoire des relations entre l'Europe (la

1. A part quelques exceptions comme les pantalons, les tissus de coton, les sardines en conserve, et quel
ques produits plus mineurs. En fait, il s'agit principalement de contingements, ou de limitaions volontaires,
concernant les produits textiles (AMF), des barrières non tarifaires qui sont appelées à disparaître à la suite
des accords de l'Uruguay Round. Cependant ces limitations ont été peu contraignantes si on en juge par
l'existence de quotas d'importations sous-utilisés, ou surutilisés sans sanction.

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France) et le Maghreb, où les pays les plus petits et les moins dévelop
pés, qui sont des économies très ouvertes, sont appelés à un démantèle
ment unilatéral de leur système de protection tarifaire.
La situation du Mexique par rapport à l'ensemble Etats-Unis -
Canada n'est donc pas directement comparable. Cette considération
n'est pas de pure forme car le lancement de l'idée d'une « zone de libre
échange » Europe/Maghreb semble, pour une part, un effet d'imitation
lié à l'initiative américaine et à la panne des idées économiques de I'ue
concernant la Méditerranée. La remarque ne vise nullement à disquali
fier une stratégie qui cherche à renouveler les relations Europe-Maghreb
en s'appuyant sur le libre-échangisme régional ; elle vise à souligner la
nécessité d'inscrire la logique de cette démarche dans l'histoire et la géo
graphie du bassin occidental de la Méditerranée.
Sur le plan économique, plusieurs éléments doivent entrer en compte.
Un premier aspect a été précisé : les pays du Maghreb bénéficient déjà de
relations commerciales privilégiées avec « leur Nord ». Un second aspect
tient au fait que se sont développées, entre les pays du Maghreb et I'ue, des
structures de « coopération » et de « partenariat » ayant vocation à aller
plus loin que le libre-échangisme commercial, couvrant notamment les
domaines financiers (protocoles), techniques, scientifiques, culturels, etc.
Il existe, de plus, un réseau dense d'accords d'association entre I'ue et son
espace géographique naturel au sud et à l'est de la Méditerranée. Neuf
pays ont engagé un processus d'association avec I'ue. Il s'agit de l'Egypte,
de la Jordanie, d'Israël, du Liban, de la Syrie, de la Turquie, de Chypre, de
Malte et (avant la guerre civile) de l'ex-Yougoslavie. Dans certains cas, les
accords ont abouti à la signature d'accords d'Union douanière (Turquie,
1995 ; Chypre, 1972 ; Malte ; 1970), voire à l'engagement d'un processus
d'adhésion (Chypre, Malte)1.
Cette observation amène à une remarque : Il sera à l'avenir de plus
en plus difficile de raisonner sur les relations économiques euro-maghré
bines comme un ensemble ayant sa logique propre du fait de l'élargisse
ment inévitable de l'espace pertinent à l'ensemble méditerranéen. Le
projet récent de zle pour tous les ptm (Conférence de Barcelone) rend
même un peu obsolète la question d'une zle Europe/Maghreb. L'évolu
tion vers une plus grande « banalisation » des rapports Europe/Magh
reb est en tout cas largement amorçée. En 1992, la Commission des

1. Le cas de Chypre est particulièrement intéressant pour les pays du Maghreb. Chypre a, en effet,fran
chi en 1988 une étape importante en signant un accord qui l'engage à éliminer les barrières douanières à
l'égard des produits en provenance de la CEE et à appliquer le tarif extérieur commun de la CEE dans un
délai de dix ans. On ne comprend d'ailleurs pas très bien les raisons pour lesquelles la formule retenue pour
les négociations avec les pays du Maghreb a été la formule du libre-échange et non celle de l'Union doua
nière (les pays du Maghreb ont, semble-t-il, un net intérêt commercial à préférer la seconde formule à la
première).

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Communautés européennes (Communication au Conseil et au Parle


ment européen ; Commission, 1992) avait déjà souligné la dilution des
avantages accordés aux pays du Maghreb en raison de l'élargissement
de la CEE à l'Espagne et à la Grèce, de la multiplication des accords, de
la nouvelle donne liée à la volonté de l'Europe de s'ouvrir sur les peco
(pays d'Europe centrale et orientale). On ajoutera que le dernier cycle
du GATT (Uruguay Round) a fini par aboutir à une issue favorable, ce
qui conduit non seulement à diminuer le caractère préférentiel du sys
tème tarifaire dont bénéficiaient les pays du Maghreb, mais encore à
faire craindre que les effets soient pour eux globalement négatifs'.
La signature d'un accord de libre-échange avec l'Europe ne ferait
que consacrer une volonté commune de placer les relations commer
ciales sous les règles standard du jeu économique. Reste à préciser les
impacts économiques d'un tel choix.
La seule étude disponible, outre celle qui sera présentée plus loin
(Tunisie), est une simulation faite pour la Banque mondiale par Ruther
ford, Rutström et Tarr (1993) concernant le Maroc2. Le modèle d'EGC
utilisé comporte 39 secteurs et est statique. Les simulations apparaissent
assez pauvres dans la mesure où les variantes étudiées sont en nombre
réduit et ne tiennent pas compte des investissements extérieurs ; elles
supposent, de plus, que le gouvernement remplace les droits de douane
par des relèvements des taux de tva de façon à maintenir constantes les
recettes fiscales. Le principal résultat auquel parviennent les auteurs est
que l'effet global est positif pour le Maroc, bien que faible. Le gain en
« bien-être » (évalué comme un surcroît de revenu) se monte à 1,5 %
du pib (au total) dans le cas de la création d'une zle avec la seule CEE,
et peut augmenter jusqu'à 2,5 % dans le cas d'une ouverture douanière
à l'égard de tous les pays. On notera la modestie de ces chiffres eu égard
aux importants transferts d'activité impliqués par la création de la zle.
L'effet positif résulte de la croissance des exportations d'un nombre
minime de secteurs : dans l'agriculture, du fait de la disparition des quo
tas d'importations de la cee (agrumes et légumes principalement) ; dans
l'industrie, le secteur des phosphates. La plupart des autres secteurs se
révèlent durement touchés par la déprotection, en particulier ceux des
céréales, de la viande, des produits laitiers et du sucre. Le gain global
(modéré) est le solde de ces deux évolutions divergentes.

1. C'est la conclusion à laquelle parvient l'étude de Fontagné et Péridy (1994) : la baisse des marges de
préférences européennes à l'égard des pays du Maghreb (au profit d'autres pays) devrait se traduire par une
perte de revenu de 2,5 % du PIB (Maroc) à 9 % du PIB (Tunisie).
2. Fin 1994, s'est achevée une étude d'impact nouvelle sur le Maroc et la Tunisie qui n'a pu être intégrée
ici ; les résultats des simulations corroborent cependant les conclusions auxquelles nous sommes parvenus.
Cf. Tapinos, 1994.

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Le bilan est donc très douteux si on raisonne sur une zle excluant
les produits agricoles de la négociation, comme le stipule le mandat
donné à la Commission par le Conseil européen et comme l'indiquent
les termes de l'accord signé avec la Tunisie. La pertinence du diag
nostic doit toutefois être appréciée à la lumière du fait que les données
qui président à l'estimation (la « matrice de comptabilité sociale » au
sens des modèles d'EGC) datent de 1980, ce qui fragilise sérieusement
la portée de l'ensemble de l'exercice. Pour notre part, nous tirerons de
cette analyse une conclusion « en creux » : le caractère modeste du
gain, voire l'effet négatif avec exclusion des produits agricoles, si on
raisonne « toutes choses égales par ailleurs » et en « évolution
spontanée ».
La spécificité des pays du Maghreb implique une étude quantitative
prenant en compte différents scénarios possibles. La question seconde,
mais finalement la plus importante, est celle de savoir s'il existe, parmi
tous ces scénarios, une configuration permettant d'identifier une bonne
stratégie dans laquelle les coûts de la transition sont maîtrisés et les
effets positifs éventuels de la création d'une zle sont valorisés. Ceux-ci
proviennent nécessairement des importations de biens (et des éventuelles
entrées de capitaux extérieurs, comme on le verra plus loin) et non direc
tement des exportations, comme dans le cas nord-américain. Cette donnée
conduit à une politique d'accompagnement spécifique. La baisse du prix
des intrants importés est, en effet, le vecteur principal par lequel les pays
du Maghreb peuvent espérer tirer profit de la création d'une zle sur le
plan industriel et commercial. Cette baisse résulte mécaniquement de
l'abaissement des droits de douane et est susceptible d'améliorer la pro
fitabilité et la compétitivité des économies du Maghreb. Parallèlement,
la déprotection de ces économies est susceptible de stimuler la producti
vité du fait de la concurrence accrue par les produits importés. Les
exportations pourraient donc être activées via l'amélioration des coûts
et des conditions de l'offre. Ces effets d'offre restent cependant lointains
et problématiques (en raison des problèmes de reconversion, notam
ment de main-d'œuvre). A court terme, la rationalisation par la concur
rence extérieure impliquera des baisses d'activité et des disparitions iné
vitables d'entreprises. Le bilan global n'est donc pas sans ambiguïté
puisqu'un solde positif suppose que les secteurs bénéficiant d'un avan
tage comparatif connaissent une croissance suffisante pour compenser
les abandons d'activité dans les secteurs condamnés par la concurrence
extérieure.
La nature de la politique d'accompagnement suivie est donc cen
trale. Cette considération rejoint non seulement la question de la poli
tique des investissements publics et plus généralement de la politique

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de l'offre (notamment en vue d'attirer les capitaux extérieurs qui cons


tituent une des conditions de la promotion des exportations des pays
du Maghreb), mais également celle de l'ensemble de la politique
macro-économique suivie par les pouvoirs publics pour mettre en
œuvre le démantèlement tarifaire. Aussi est-il nécessaire de prendre en
compte différentes simulations selon les variantes sur la demande glo
bale, c'est-à-dire de ne pas faire comme si le niveau et la structure de
la demande globale étaient mécaniquement déterminés par les condi
tions de l'offre.

2. LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE, PREMIÈRE VARIABLE CRUCIALE

Les effets de demande doivent être conjugués avec les effets d'offre
(effets-coûts) pour déterminer l'impact final. A niveau d'activité
inchangé, les effets d'offre peuvent être jugés « positifs » car ils doivent
se traduire par une action dans le sens d'une baisse des coûts de pro
duction, soit directement par celle des prix des biens d'équipement et
des intrants importés, soit indirectement par l'amélioration de la pro
ductivité moyenne, soit encore par la baisse du coût du travail liée à
celle des prix des biens de consommation importés. Le problème est
que l'hypothèse d'un niveau d'activité inchangé ne peut être admise.
Les effets d'offre, qui sont principalement des effets sectoriels et des
effets de caractère micro-économique, peuvent avoir plus ou moins
d'importance selon les variantes de politique économique envisagées
car il existe des marges de manœuvre importantes dans la mise en
œuvre d'une stratégie de libéralisation du commerce extérieur. L'ou
verture au libre-échange a une dimension macro-économique, notam
ment par ses implications sur la demande globale. Les impacts qui lui
sont associés en termes de politique économique ne sont généralement
pas pris en compte, peut-être parce que les utilisateurs habituels des
modèles d'EGC se rattachent à une tradition peu ouverte à l'étude des
effets des politiques macro-économiques, notamment des politiques de
régulation de la demande. Du point de vue de l'analyse quantitative,
cette prise en compte peut se faire par le jeu des variables exogènes.
Les modèles d'EGC, en tout cas celui utilisé ici, comportent deux varia
bles exogènes utilisables à cet effet : les dépenses publiques et le déficit
courant extérieur (ainsi que le taux de change), d'où la possibilité de
simuler le démantèlement tarifaire conjointement avec des politiques
d'accompagnement interne et externe.

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Les politiques d'accompagnement internes

Nous pouvons distinguer les politiques d'offre et les politiques de


demande. Les premières (politique d'investissements dans les infra
structures, politique de formation, ou toute autre politique visant à
faciliter les adaptations impliquées par l'ouverture à la concurrence
extérieure) sont économiquement indépendantes du choix de créer
une zle. Elles sont destinées à répondre aux défis que ne manqueront
pas de soulever les problèmes d'ajustement posés par la création
d'une zle. Ceux-ci sont liés : 1 / à la « mise à niveau » des secteurs de
la production manufacturée qui seront exposés à la concurrence exté
rieure et qui correspondent à des secteurs présentant un avantage
comparatif effectif, ou émergent1 ; 2 / à la disparition progressive des
activités manufacturées ne correspondant pas à un avantage compara
tif, activités que la déprotection aura pour conséquence de mettre en
crise ; 3 / à la promotion des exportations et à l'augmentation des
parts de marché en Europe. Bien que les politiques d'accompagnement
doivent être considérées comme nécessaires pour assurer une bonne
transition, on peut les mettre de côté car elles ne sont pas la contre
partie logique de la création d'une zle.
Les politiques relatives à la « demande » ne peuvent, en revanche,
être négligées. Elles concernent directement le niveau d'équilibre macro
économique. Dans le contexte de la création d'une zle, la politique
macro-économique ne peut être considérée comme un « exogène pur ».
En effet, le démantèlement tarifaire implique que soit spécifiée sa poli
tique de mise en œuvre du point de vue des contreparties de la demande,
ce qui ouvre un large champ de possibilités sur le plan de la politique
macro-économique susceptible d'être suivie. Il est par exemple très diffé
rent que l'abaissement douanier, qui se traduit par une diminution des
recettes fiscales, ait pour contrepartie une baisse des dépenses publiques
ou un relèvement de la fiscalité (directe ou indirecte) avec maintien des
dépenses publiques. Il est très différent que les pouvoirs publics choisis
sent de s'engager dans la voie du démantèlement tarifaire avec une
volonté de maintenir le taux de change ou avec une volonté de déprécier
(ou d'apprécier) la valeur de la monnaie, etc. Le bilan global dépend de
façon cruciale de la politique budgétaire, de la politique monétaire et de
la politique du change accompagnant le démantèlement tarifaire. Les
modèles d'EGC (qui sont des « modèles d'offre » conformément à leur

1. Fontagné et Péridy, 1995, montrent notamment que le Maroc et la Tunisie voient émerger une nou
velle spécialisation et des avantages comparatifs croissants dans les industries électriques.

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Le libre-échange euro-maghrebin 757

filiation,plutôt néo-classique) peuvent, bien qu'associant une seule série


d'impacts à la création d'une zle entre pays de niveau inégal, être utili
sés pour étudier, en simulation, les effets de l'action combinée de l'abais
sement tarifaire et de différentes variantes de politiques (budgétaire,
monétaire et de change). Puisque les effets de la création d'une zle ne
peuvent être mécaniquement fixés en l'absence d'hypothèses sur le com
portement des pouvoirs publics, nous sommes condamnés à nous don
ner des hypothèses plausibles. On établira donc les impacts macro-éco
nomiques sous différents scénarios et on obtiendra plusieurs simulations
des impacts et non une seule.
Aux effets-coûts (globalement positifs pour les pays du Maghreb
dans un contexte de plein-emploi et de mobilité parfaite du travail)
font face des effets-demande qui présentent un bilan plus complexe à
établir. Pour les déterminer, il est nécessaire de faire des hypothèses
complémentaires en matière de politique macro-économique. L'une
d'elles, cruciale, est de savoir si on suppose ou non que l'abaissement
des droits de douane se trouve fiscalement compensé par les relève
ments de TVA nécessaires au maintien des recettes fiscales — qui n'im
plique d'ailleurs pas que les taux soient nécessairement augmentés (en
raison de la croissance éventuelle de l'assiette d'imposition). Quoi qu'il
en soit, supposons que la consommation et l'investissement publics se
maintiennent. Les variables stratégiques sont alors les importations,
les exportations et la dépense privée intérieure. Dans de nombreux
cas, les effets macro-économiques sont ambigus. Par exemple, si le
maintien des dépenses publiques a impliqué une hausse de la TVA, il
est difficile de savoir si l'effet-prix de l'abaissement tarifaire est macro
économiquement positif ou négatif sur la consommation privée.
La TVA se trouve entièrement acquittée par les acheteurs, tandis que
les droits de douane ne le sont que partiellement. Quelle que soit
l'hypothèse retenue, les prix intérieurs doivent diminuer du fait de la
baisse des prix des importations ; cet effet joue dans le sens d'une
stimulation de la consommation privée. Mais, de l'autre côté, les
ménages subissent une pression fiscale plus lourde qui joue dans le
sens contraire. L'effet total est indéterminé. L'indétermination peut
par exemple être levée si on se place dans le scénario « évolu
tion spontanée » (pas de variations des entrées de capitaux extérieurs)
et « politique macro-économique implicite passive » (à taux de fisca
lité intérieurs inchangés, la variation des recettes fiscales se traduit par
un ajustement des dépenses publiques du même montant). Les effets
sont alors récesssifs du fait de la contraction de la demande globale
qui est provoquée par la politique suivie en matière de dépenses
publiques.

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758 Gérard Kébabdjian

Concernant l'investissement, les effets sont plus explicites dans la


mesure où une part importante des investissements des pays du
Maghreb est importée et que la production domestique y est peu com
pétitive. La baisse des prix des biens d'équipement doit alors se traduire
par une augmentation de la demande d'investissement avec satisfaction
par l'offre extérieure, donc par augmentation des exportations. Pour
expliciter les effets macro-économiques de l'abaissement tarifaire, il faut
donc faire des simulations quantitatives, et cela conduit à une large
gamme d'effets possibles selon les hypothèses faites sur la politique éco
nomique. Dans le cas de petites économies ouvertes comme celles du
Maghreb, l'extérieur constituera de plus l'agent principal du bouclage
macro-économique. Mais là aussi différentes configurations d'ajuste
ment sont possibles selon le niveau des entrées de capitaux (dont l'inves
tissement direct).

La diversité des ajustements extérieurs possibles

Soit un cas imaginaire, peu réaliste, mais qui présente l'intérêt d'ex
pliciter les enchaînements macro-économiques. Imaginons que la
variable de bouclage soit les entrées de capitaux en supposant, cas
d'école, qu'une économie du Maghreb peut s'offrir un endettement illi
mité en maintenant constant son taux de change à l'égard de l'extérieur.
L'hypothèse est absurde mais présente des vertus pédagogiques. Que se
passe-t-il ? Il doit en résulter : 1 / Une baisse des prix intérieurs (de la
demande intérieure) du fait de la baisse des prix des biens importés.
2 / Une explosion des importations du fait de l'absence de contrainte
extérieure, un déficit commercial massif et une entrée nette de capitaux
du même montant (dans le cadre du modèle d'EGC où la balance des
capitaux est la contrepartie passive de la balance des opérations cou
rantes). 3 / Une augmentation de la consommation et de l'investisse
ment intérieurs. 4 / Un bond en avant de la production intérieure, sti
mulée par l'entrée de capitaux et notamment par l'investissement direct,
donc une croissance vertigineuse du revenu intérieur. 5 / Une stagnation
des exportations du fait du développement du marché intérieur et de
l'orientation de la production en direction des débouchés intérieurs qui
s'élargissent plus fortement que les débouchés extérieurs. 6 / Un solde
budgétaire qui doit, selon toute vraisemblance, se révéler largement
excédentaire malgré la baisse des droits de douane (effet croissance qui
augmente les rentrées fiscales).
On peut envisager l'autre cas dans lequel le déficit commercial et
donc les entrées de capitaux ne pourraient augmenter ; le solde com

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Le libre-échange euro-maghrebin 759

mercial resterait fixé à son niveau initial et tout l'ajustement se ferait


par la valeur du change. Que se passerait-il 7 1/ Une baisse des prix
intérieurs du fait de la baisse du prix des biens importés. 2 / Une
légère croissance due à l'effet de richesse engendrée par cette baisse des
prix. 3 / Une dépréciation du change nominal pour assurer le bouclage
macro-économique (la dépréciation est ici l'équivalent du déficit exté
rieur dans la configuration précédente). 4 / Une légère dépréciation du
taux de change réel (le solde commercial reste constant par hypothèse,
il se produit une légère croissance donc une augmentation des impor
tations ; le change réel doit donc se déprécier pour que les exporta
tions augmentent du même montant). 5 / La constance du solde com
mercial implique donc une augmentation simultanée des importations
et des exportations (qui augmentent principalement en raison de la
compétitivité-change).
Les réalisations peuvent, en fait, être considérées comme des scéna
rios de mélange des deux configurations de base qui viennent d'être
explicitées. Dans le « scénario intermédiaire type », les ajustements
non ambigus sont les suivants : 1 / Il se produit en partie un déficit
extérieur (donc une entrée de capitaux) et en partie une dépréciation
du change. Cependant, plus faible est la dépréciation du change, plus les
entrées de capitaux doivent être importantes. 2 / L'augmentation des
importations s'accroît avec les capitaux extérieurs. 3 / L'augmentation
des exportations est d'autant plus faible que l'on se rapproche de la
configuration d'ajustement par les capitaux extérieurs (et d'autant plus
élevée que l'on se rapproche de la configuration d'ajustement par le
change). On peut résumer le comportement des principaux agrégats
(dont le sens de variation ne dépend pas de la valeur des paramètres)
dans l'encadré 1.
La prise en compte des politiques budgétaires de l'Etat complique le
schéma précédent en faisant intervenir un effet supplémentaire. Il paraît
difficile de donner sans ambiguïté le sens de variation des grands agré
gats précédents. Une étude économétrique paraît ici s'imposer. Notons
cependant que, dans les configurations extrêmes, les signes peuvent sou
vent être déterminés. Ainsi, dans la configuration d'ajustement par les
capitaux extérieurs seuls et si on suppose une politique de diminution
des dépenses publiques du montant de la baisse des recettes douanières,
le budget doit enregistrer un solde excédentaire considérable. Tant que
les entrées de capitaux extérieurs restent supérieures à un certain mon
tant, l'effet positif de l'abaissement douanier sur les recettes de l'Etat
demeure ; puis, quand les entrées de capitaux deviennent trop faibles,
l'effet devient négatif.
Tous les effets présentés dans l'encadré 1, partie A, sont non ambi

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ENCADRÉ 1. — Effets théoriques de l'ajustement par l'extérieur
à la suite d'un choc de démantèlement tarifaire

Le signe (-) indique une variation à la baisse par rapport à l'année de base et le
signe (+) une variation à la hausse.
Le tableau A indique le sens de variation de l'effet entre les deux configurations
extrêmes, c'est-à-dire le comportement variantiel de l'effet lorsque les entrées de capitaux
(exogène) sont de moins en moins importantes (en se déplaçant de gauche à droite) et
donc lorsque les ajustements de change sont de plus en plus importants.
Les signes des effets et les sens de variation du tableau A ne dépendent pas des
valeurs des paramètres du modèle (sauf pour le PIB). L'importance numérique des effets
dépend évidemment des valeurs des paramètres.
On donne, à titre indicatif, dans le tableau B les valeurs numériques tirées des simu
lations présentées dans la section 4 (variations par rapport à la base 1990) et qui sont
relatives à la Tunisie.

Configuration
d'ajustement Configuration
par les capitaux d'ajustement par
extérieurs seuls
exterieurs le change seul

Tableau A

Variations du solde de la balance


des operations
opérations courantes
avec l'extérieur
l'exterieur

Variations du change 0
(en % par rapport àa 1990)

Variations des importations -


''
(en valeur par rapport aà 1990) ^ +
'r
Variations des exportations +
(en valeur par rapport aà 1990) 0

Variation du PIB +4- _


(en % par rapport aà 1990) ?

Variation des prix de -


la demande intérieure
interieure
-
(en % par rapport aà 1990)

Tableau B

Variations du solde de la balance r - 140 MDT


des operations
opérations courantes
avec l'extérieur
l'exterieur - 46 060 MDT
mdt

Variations du change 0,0%


-
(en % par rapport aà 1990) 7,9 %

Variations des importations 33 750 mdt


MDT

(en valeur aà 1990) 754 mdt


MDT
par rapport

Variations des exportations 582 mdt


MDT
(en valeur aà 1990) 1 mdt
MDT
par rapport

Variation du pib 318,1 %


(en % par rapport aà 1990) 4,6 %

Variation des
Variation des prix de
prix de X -- 2,8
2,8 %
%
la demande intérieure
interieure
-
(en % par rapport aà 1990) 3,9 %
//

Les deux données suivantes permettront au lecteur de mieux mesurer la valeur des
chiffres : le PIB de la Tunisie se montait approximativement à 10 milliards de dinars
en 1990 ; 1 DT vaut à peu près 1 dollar ; MDT : milliers de dinars tunisiens.

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Le libre-échange euro-maghrebin 761

gus, sauf un : l'effet sur l'activité économique. Celui-ci est toujours posi
tif dans la configuration d'ajustement par les capitaux extérieurs, mais
on ne sait pas quel est le signe de l'effet lorsque l'on se rapproche de la
configuration d'ajustement par le change. Il est possible que l'on rentre
très rapidement dans la zone des effets ayant un signe négatif, même si
l'effet est nettement positif lorsque l'on reste proche de la configuration
d'ajustement par les capitaux extérieurs seuls. Le signe dépend de l'im
portance relative de l'effet-importations sur l'effet-exportations. Seule
l'étude quantitative permet de lever l'indétermination. On verra dans la
partie économétrique que l'effet est pratiquement toujours positif pour
la Tunisie (mais, comme on le verra plus loin, l'ajustement implique
alors une dépréciation importante du change et une dégradation specta
culaire des comptes publics).

3. L'INVESTISSEMENT EXTÉRIEUR,
SECONDE VARIABLE CRUCIALE

Pour des pays comme ceux du Maghreb, la création d'une zle avec
I'ue implique des coûts d'ajustement, donc la nécessité d'un financement
pour assurer la transition et rendre ainsi le bilan de l'opération éventuel
lement positif. Le diagnostic sectoriel vient conforter le diagnostic
macro-économique : une croissance des investissements est nécessaire
non seulement pour assurer les améliorations de compétitivité rendues
impératives par le nouveau contexte concurrentiel, mais également pour
assurer un niveau de demande intérieure favorable à la croissance. Cette
relance des investissements passe par l'apport de capitaux extérieurs. La
variable stratégique est ici l'investissement privé. Une politique de pro
motion des investissements directs extérieurs fait donc partie intégrante
du dispositif à mettre en œuvre sur le plan de la politique économique.
La question qui reste posée est celle de savoir si la création d'une zle est
par elle-même en mesure de provoquer un retournement significatif dans
les flux d'entrées de capitaux. Malgré l'absence de théorie, quelques
pistes peuvent être suggérées.
Un élément essentiel qui ressort des travaux récents est le rôle cru
cial de la « crédibilité ». Une libéralisation commerciale qui s'inscrit
dans un traité de droit international, comme un accord de zle avec
I'ue, peut être l'indication que le gouvernement a tourné le dos aux
politiques passées, et s'est engagé de façon irrévocable dans une poli
tique d'ajustement macro-économique (Rodrik, 1989). L'ouverture
commerciale serait ainsi un moyen de signaler au secteur privé la

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762 Gérard Kébabdjian

volonté du gouvernement de mener une politique qui corresponde aux


prescriptions des institutions financières internationales, donc un
moyen de nature à conforter la solvabilité du pays et la rentabilité
anticipée des investissements projetés par les opérateurs étrangers
(Rodrik, 1992).
La Tunisie, par exemple, a choisi la voie de la libéralisation depuis
maintenant plusieurs années (adhésion au GATT en 1986 et adoption
d'un pas) ; il en va de même pour le Maroc. La création d'une zle
avec I'ue peut être interprétée comme la poursuite et la consolidation
durable d'une orientation dont la crédibilité restait à prouver. L'adhé
sion au GATT, ou l'adoption d'une politique d'ajustement structurel,
n'ont en effet jamais vraiment contraint la politique commerciale des
pays en développement. L'application des politiques préconisées par le
FMI ou la Banque mondiale peut ne durer que le temps d'obtenir de
ces institutions et des autres bailleurs de fonds les financements
désirés. De même, les tarifs déposés au GATT peuvent donner lieu à
des relèvements en vertu de différents titres de l'accord, comme la
Tunisie en a utilisé l'opportunité à la fin de 1993. Toute politique éco
nomique est en principe réversible lorsque l'Etat qui la met en œuvre
est un Etat souverain, ce qui est manifestement le cas des Etats du
Maghreb.
Les choses sont un peu plus complexes lorsqu'il s'agit de la signa
ture d'un traité international. Revenir sur un traité de libre-échange
inséré dans un accord de coopération destiné à remplacer celui
de 1976 serait à la fois difficile et très coûteux politiquement. Les opé
rateurs privés ne peuvent ignorer cet aspect de quasi-irréversibilité.
L'absence de certitude sur la cohérence temporelle des politiques sui
vies par les gouvernements des pays du Maghreb pourrait d'ailleurs
expliquer pourquoi les entrées de capitaux se sont réalisées jusqu'à
présent sous forme de mouvements de portefeuille facilement réversi
bles plutôt que sous la forme d'investissements directs. L'intégration
des pays du Maghreb dans un espace unifié avec I'ue apporterait le
supplément de crédibilité qui fait jusqu'à présent défaut pour favoriser
une forte entrée <Xinvestissements directs, donc de capitaux qui choisis
sent de devenir illiquides.
Ces considérations nous amènent à une évaluation pour le cas tuni
sien. Les entrées de capitaux susceptibles d'être provoquées par la créa
tion d'une zle peuvent être estimées à l'intérieur d'une fourchette com
prise entre 500 millions et 1,5 milliard de dt (dinars tunisiens) 1990 (en
année pleine pour l'année horizon du démantèlement tarifaire,
soit t + 12) à partir d'une étude des effets d'appel consécutifs à la rup
ture de politique économique de 1986 (nouveau gouvernement, adhé

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Le libre-échange euro-maghrebin 763

sion au GATT, adoption d'un pas...). Ces valeurs ne sont pas irréalistes
au plan macro-économique (elles représentent respectivement 15 % et
44 % de la fbcf de 1992) mais supposent un véritable big bang dans le
comportement des investissements étrangers compte tenu de la faiblesse
de leur niveau actuel.

4. simulations A PARTIR D'UN MODÈLE

D'ÉQUILIBRE GÉNÉRAL CALCULABLE1

Les simulations sont en « statique comparative » entre une année


de base 1990 (année la plus récente compte tenu des données disponi
bles)2 et l'année hypothétique de réalisation d'une zle entre la Tunisie
et i'ue : le processus intermédiaire de transition est supposé ne pas
avoir d'épaisseur temporelle et n'est pas spécifié. Les simulations pré
sentées ici reposent toutes sur l'hypothèse que la consommation
publique est une variable exogène fixée à sa valeur de 1990. On sup
pose conjointement que les dépenses de fonctionnement de l'Etat
s'ajustent aux recettes fiscales au travers du niveau de l'investissement
public car elles doivent être traitées comme une variable quasi incom
pressible. On suppose de plus que toutes les barrières à la circulation
des produits agricoles ont été levées.
Soit un premier scénario dans lequel la fiscalité intérieure n'est pas
modifiée et où les entrées de capitaux extérieurs restent constantes. Ce
schéma correspond à une « évolution spontanée » sans mesure d'accom
pagnement de la part des pouvoirs publics ni effet d'appel sur les capi
taux extérieurs. L'effet global sur l'activité économique se révèle alors
quasiment nul (0,7 % du pib). Le tableau 1 regroupe les principaux
résultats de la simulation.
On se place en fait sous l'hypothèse d'une politique macro-écono
mique récessive car les dépenses publiques diminuent (il s'agit évidem
ment d'une baisse des investissements publics puisque la consommation
publique reste constante par construction). L'effet négatif lié à la politique

1. Cette partie repose sur l'étude faite pour le ministère de l'Economie tunisienne par Ennaifer et
Kébabdjian (Comete Engineering, 1994). Le modèle d'EGC utilisé est issu du modèle générique établi par
Drud, Grais et Payatt (1985), qui est lui-même une variante du modèle construit par Dervis, De Melo et
Robinson (1982) pour la Turquie. Le modèle de Drud, Grais et Payatt a été appliqué à la Tunisie par Bous
selmi, Delacuwé, Ennaifer et Monette (1987). Une première version du modèle était fondée sur une « matrice
de comptabilité sociale » datant de 1983. Elle a été actualisée par Ennaifer avec certaines données de 1990
pour les besoins de l'étude de simulation demandée par le gouvernement tunisien. Le modèle a été simulé sur
l'optimisateur GAMS (General Algebric Modeling System) développé par Drud et Kenderick.
2. Le PIB de la Tunisie se montait à approximativement 10 milliards de dinars en 1990 ; un DT valait à
peu près un dollar.

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764 Gérard Kébabdjian

Tableau 1. — Scénario du démantèlement sans mesures d'accompagnement


ni entrées additionnelles de capitaux

Données
Donnees de Données
Donnees de
l'année
l'annee de base l'annee finale
l'année
(en millions (en millions Variation
Variables de dt) de dt) (en %)

piB aux
pib prix du
marché
marche 10 798 10 874 + 0,7
Emploi total* 3 800 3 907 + 2,8
Importations totales 5 473 5 922 + 8,21
Exportations totales 4 660 5015 + 7,6
Deficit commercial
Déficit -813 -907 + 11,5
Recettes fiscales 2 041 1 774 -13,1
3 616 3 410 - 5,7
Depenses publiques
Dépenses
Demande interieure
intérieure 11 611 11 781 + 1,5
Investissements 2 976 2 900 - 2,6
Prix interieurs
intérieurs 1,00 0,97 - 3,00
Taux de change/uE** 1,00 1,09 + 9,00
dt : dinar tunisien.
DT
*
L'emploi est exprime
exprimé par la masse salariale correspondante (ime
(une variation de la masse salariale
représente un changement du volume de l'emploi car le salaire nominal est fixe
repr6sente fixé dans le modele).
modèle).
** Valeur de l'ECU
par rapport au dinar tunisien (dt).
(DT).

macro-économique se trouve donc juste compensé par le surcroît de crois


sance obtenu par l'augmentation des exportations (notamment agricoles
et partiellement de produits manufacturés en raison de l'amélioration de
compétitivité du fait de la baisse du prix des intrants importés et de la
dépréciation du change). Le déficit commercial s'accroît avec la forte aug
mentation des importations due à l'élimination des droits de douane. Le
gain net est ici inexistant. Il serait néanmoins erroné d'en conclure que la
création d'une zle présente, au pire, un bilan nul. L'effet total résulte de la
croissance d'un certain nombre de secteurs (secteur exportateur par
exemple) et simultanément du déclin d'un certain nombre d'autres sec
teurs (les secteurs fragilisés par la concurrence extérieure). L'ajustement
suppose donc résolus les délicats problèmes de reconversion industrielle,
notamment de formation et de mobilité de la main-d'œuvre.
On peut préciser que la situation des finances publiques se dégrade :
baisse de 40 % de l'épargne publique (d'où la diminution des dépenses
d'investissement) car les droits de douane baissent de 63 % alors que les
autres recettes fiscales n'augmentent que de 2 %. Dans ce scénario, il
n'existe pas d'effet de croissance pouvant susciter des rentrées fiscales
compensatrices : la baisse des dépenses publiques (de l'ordre de 6 % )

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Le libre-échange euro-maghrebin 765

provoque un effet récessif de demande qui annule sur l'activité écono


mique les effets bénéfiques d'offre du libre-échange.
Des simulations instructives consistent alors à envisager des relève
ments de taux de tva pour parvenir à limiter la baisse des dépenses
publiques (dépenses d'investissement).
Le tableau 2 montre que non seulement l'état des finances publiques
ne s'améliore pas, mais qu'il se produit un effet globalement négatif sur
l'activité économique (baisse du pib de plus de 1 %). Tout relèvement
des taux de tva supérieur à 10 % se traduirait par des effets négatifs
encore plus accusés que ceux décrits ici, des effets négatifs croissants avec
l'alourdissement des taux de tva. Le résultat s'explique assez facilement
puisque les politiques macro-économiques deviennent plus récessives à
mesure que la fiscalité s'alourdit : la hausse des taux de tva diminue
l'assiette de la fiscalité et les recettes budgétaires diminuent, ce qui
diminue les dépenses publiques réalisables, donc le niveau d'activité,
donc les recettes fiscales, etc. Ce cercle vicieux fait penser à une sorte de
courbe de Laffer, mais le contexte est évidemment ici très différent de
celui qui préside à sa formulation habituelle.

Tableau 2. — Scénario du démantèlement sans entrées additionnelles


de capitaux et avec une hausse de 10 % de la TVA (hors énergie)

Donnees de Donnees de
l'annee de base l'annee finale

(en millions (en millions Variation


Variables de dt) de dt) (en %)

pib aux prix du


marche 10 798 10 673 - 1,2
Emploi total* 3 800 3 838 + 1,0
Importations totales 5 473 5 673 + 3,7
Exportations totales 4 660 4 852 + 4,1
Deficit commercial -813 -821 + 1,0
Recettes fiscales 2 041 1 812 -11,2
3 616 3 408 - 5,7
Depenses publiques
Demande interieure 11 611 11 494 - 1,0
Investissements 2 976 2 772 - 6,9
Prix interieurs 1,00 0,98 - 2,20
Taux de change/uE** 1,00 1,05 + 5,40
dt : dinar tunisien.
*
L'emploi est exprime par la masse salariale correspondante (une variation de la masse salariale
represente un changement du volume de l'emploi car le salaire nominal est fixe dans le modele).
** Valeur de l'ecu
par rapport au dinar tunisien (dt).

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766 Gérard Kébabdjian

Il est clair que seuls les effets de croissance sont susceptibles d'assu
rer une base soutenable au choix du libre-échange en Tunisie. Par
exemple, nous venons de montrer que face au processus de démantèle
ment tarifaire, le maintien des recettes fiscales et des dépenses publi
ques est essentiel ; or la politique macro-économique associée à cet
objectif implique de ne pas chercher à résoudre le dilemme en aug
mentant les taux de TVA mais d'espérer une augmentation plus que
proportionnelle des rentrées fiscales provenant de l'élargissement de la
base d'imposition. Les effets de croissance seraient inexistants si les
entrées de capitaux extérieurs ne devaient pas augmenter, tel est le
constat amer de l'exercice présenté.
Envisageons maintenant les scénarios dans lesquels on suppose une
croissance exogène des flux d'entrées de capitaux extérieurs. Les simula
tions suivantes montrent que le bilan s'améliore progressivement à
mesure que ces entrées s'accroissent (cf. tableau 3).

Tableau 3. — Scénario du démantèlement


avec entrées additionnelles de capitaux (en provenance de I'VE)

+ 500 millions + 1 000 millions + 1 500 millions


de DT de DT de DT

En va En va En va
Annee
Année En riation En riation En riation
Variables de base niveau (en %) niveau (en %) niveau (en %)

PIB aux prix du


marché
marche 10 798 11 579 7,2 12 289 13,8 12 935 19,8
Emploi total* 3 800 4 081 7,4 4 256 12,0 4418 16,2
Importations totales 5 473 6 625 21,0 7 329 33,9 7 994 46,1
Exportations totales 4 660 4 971 6,7 4 936 5,9 4 877 4,7
Déficit commercial
Deficit -813 -1653 103,3 -2 393 194,3 -3 116 283,3
Recettes fiscales 2 041 1 940 -4,9 2 107 3,2 2 263 10,9
Dépenses
Depenses publiques 3 616 3 658 1,2 3 882 7,4 4 137 14,4
Demande intérieure
mterieure 11 611 13 232 14,0 14 682 26,4 16 052 38,2
Investissements 2 976 4 024 35,2 5 143 72,8 6 212 108,7
Prix interieurs
intérieurs 1,00 0,97 -3,0 0,97 -3,0 0,97 -3,0
Taux de change/UE** 1,00 1,07 7,0 1,07 7,0 1,06 6,0

DT : dinar tunisien.
*
L'emploi est exprimc
exprimé par la masse salariale correspondante (une variation de la masse salariale
représente un changement du volume de l'emploi car le salaire nominal est fix£
reprfesente fixé dans le module).
modèle).
** Valeur de l'ECU
par rapport au dinar tunisien (DT).

Comme il était prévisible, ce sont seulement les entrées de capitaux


susceptibles d'être produites par la création d'une zle qui sont en
mesure de rendre globalement positif le bilan sur l'activité économique
d'une politique commerciale extérieure de libéralisation complète des
échanges. Ce résultat rejoint une appréciation plus générale sur l'intérêt

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Le libre-échange euro-maghrebin 767

douteux qu'il y aurait pour la Tunisie à s'ouvrir au libre-échange avec


l'Europe si les investissements extérieurs ne devaient pas croître
signifïcativement.
Le déficit extérieur se creuse avec l'investissement extérieur, ce qui
est une évidence comptable (une entrée plus importante de capitaux
veut dire un déficit plus important de la balance des opérations cou
rantes, déficit qui se traduit mécaniquement par une croissance du défi
cit commercial) ; l'effet-croissance présente donc un coût : la croissance
du déficit extérieur.
On notera un effet moins intuitif : la croissance des exportations est
d'autant plus faible que les entrées de capitaux sont importantes,
c'est-à-dire que l'effet-croissance est plus important. L'explication tient
au développement du marché intérieur. La croissance conduit les entre
prises à se tourner plutôt vers le marché intérieur que vers le marché
extérieur, ce qui diminue la propension à exporter. La situation des
finances publiques s'améliore avec l'apport de capitaux extérieurs du fait
des rentrées de TVA. A titre indicatif, on peut fixer autour de 600 mil
lions de dt 1990 le montant des entrées de capitaux supplémentaires qui
seraient nécessaires pour que les recettes fiscales restent constantes à la
suite de l'abaissement tarifaire, donc avec maintien des dépenses publi
ques et sans augmentation des taux de TVA, l'effet-croissance arrivant à
stabiliser le niveau des rentrées fiscales.
Présentons enfin deux cas d'école permettant de mieux éclairer la
logique des enchaînements macro-économiques à l'œuvre avec le choc
du démantèlement. Les deux simulations reposent l'une sur l'hypothèse
d'un ajustement extérieur complet par les entrées de capitaux (donc
toutes les variables exogènes extérieures, dont le taux de change, sont
fixées à leur valeur initiale sauf les entrées de capitaux), l'autre sur la
seule variable de change.
Si on contraint l'ensemble de l'ajustement macro-économique à se
boucler sur les seules entrées de capitaux (en fixant le taux de change à
sa valeur initiale), le pib se trouverait multiplié par trois, ce qui est ver
tigineux. On constate que, dans cette hypothèse, les exportations ne
variraient pratiquement pas. Ce cas illustre, presque à la caricature, le
freinage des exportations dû aux entrées de capitaux extérieurs et à la
croissance du marché intérieur.
Terminons par une mise en garde. Les simulations précédentes repo
sent sur des hypothèses théoriques relativement sévères qui interdisent de
donner une signification trop stricte aux résultats chiffrés. Les modèles
d'EGC supposent notamment l'absence de rigidités ou de discontinuités
dans la mobilité des facteurs de production, hypothèse qui, pour de fortes
variations par rapport aux valeurs initiales, peut se révéler irréaliste. On

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768 Gérard Kébabdjian

doit donc interpréter les résultats comme des maximum en termes de per
formances dans la croissance. L'exercice livre néanmoins des enseigne
ments intéressants : la création d'une zle, même sous les hypothèses les
plus favorables, n'est pas en mesure de provoquer de façon mécanique un
gain net de revenu pour le pays étudié (la Tunisie) ; l'orientation de la poli
tique économique, ainsi que les effets indirects sur les entrées de capitaux
extérieurs, peuvent seuls être en mesure de rendre l'opération positive ;
dans tous les cas de figures, les pouvoirs publics doivent s'attendre à cer
taines évolutions inévitables et y adapter la politique macro-économique :
baisse des prix intérieurs, dépréciation de la monnaie nationale, déficit
accru de la balance commerciale.

Tableau 4. — Deux scénarios d'ajustement par l'extérieur

Ajustement par

Taux de change
Apport extérieur illimite
exterieur illimité (flottant avec l'UE)

Varia Varia
Annee
Année En tion En tion
Variables de base niveau (en %) niveau (en %)

PIB aux prix du


marché
marche 10 798 45 146 318,1 11 292 4,6
Emploi total* 3 800 12 365 225,3 4 021 5,8
Importations totales 5 473 39 225 616,7 6 227 13,8
Exportations totales 4 660 4 661 0,0 5 242 12,5
Déficit commercial
Deficit -813 -34 564 4 151,4 - 21,2
985,0
Recettes fiscales 2 041 9 719 376,1 1 847 -9,5
Depenses publiques
Dépenses 3 616 15 373 325,2 3 536 -2,2
Demande intérieure
interieure 11 611 79 709 586,5 12 278 5,7
Investissements 2 976 54 651 1 736,1 3 186 7,0
Prix interieurs
intérieurs 1,00 0,96 -3,9 0,97 -2,8
Taux de change/UE** 1,00 1,00 0,0 1,08 7,9

DT : dinar tunisien.
*
L'emploi est exprime
exprimé par la masse salariale correspondante (une variation de la masse salariale
représente un changement du volume de l'emploi car le salaire nominal est fixe
represente fixé dans le modele).
modèle).
** Valeur de l'ECU
par rapport au dinar tunisien (DT).

CONCLUSION

Il est possible de tenir pour acquis un certain nombre de points forts


concernant les effets à attendre de la création d'une zone de libre
échange pour les pays du Maghreb. La donnée fondamentale est la

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Le libre-échange euro-maghrebin 769

dimension asymétrique de la création d'une zone de libre-échange entre


les deux ensembles. La création d'une telle zone signifie pratiquement
un démantèlement unilatéral de la protection des pays du Maghreb à
l'égard des produits européens, sans contrepartie correspondante de la
part de l'Union européenne puisque la presque totalité des produits
manufacturés sont déjà en accès libre sur le marché européen. Tous les
effets permettant d'augmenter les exportations sont problématiques,
alors que la création d'une zle se traduira de façon quasi certaine par
une augmentation des importations.
Les effets commerciaux positifs qui pourraient être attendus de la
création d'une zone de libre-échange ne peuvent donc qu'être indirects,
tout au moins pour ce qui concerne les produits manufacturés. Ces effets
positifs indirects existent ; ils résultent : 1 / de la baisse du prix des
intrants importés de I'ue (biens d'équipement et biens intermédiaires)
pour la production tournée vers le marché national ou vers l'exporta
tion ; 2 / des améliorations de compétitivité engendrées par la déprotec
tion de l'économie nationale, c'est-à-dire par les hausses de productivité
provoquées par une concurrence extérieure plus vive.
Ces effets peuvent être globalement significatifs au point de rendre
positif le bilan de la création d'une zle si deux conditions sont réunies :
la mise en œuvre du démantèlement douanier à l'aide d'une politique
macro-économique non récessive ; une croissance des investissements
extérieurs. Celle-ci est décisive : la principale conclusion de l'analyse est
que le pari de l'ouverture commerciale se révélerait très difficile à tenir
sans une entrée significative de capitaux extérieurs, dont l'arrivée peut
être provoquée par l'annonce de la création d'une zle, mais qui n'est
pas certaine. Il est donc essentiel que les gouvernements des pays du
Maghreb tentés par l'aventure du libre-échange avec l'Union euro
péenne accordent une attention spéciale à la politique des investisse
ments extérieurs qu'ils comptent conduire.

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