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Badillo P.-Y., « L’écologie des médias ou l’impérieuse nécessité de développer la recherche sur
les médias », chapitre introductif in Écologie des médias, Éditions Bruylant, Bruxelles, 2008,
ISBN 978-2-8027-2464-3,pp. 1-27.
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RESUME/ EXTRAITS :
LES MEDIAS AU CŒUR DES SOCIETES CONTEMPORAINES
L’information est depuis au moins plusieurs décennies un sujet majeur. Les médias ont pris une
importance croissante que nul ne conteste. Pour autant, l’étude des médias et de leur évolution dans
leur globalité, dans leur environnement, c’est-à-dire l’écologie des médias, reste un domaine de
recherche encore relativement vierge. C’est ce domaine que nous allons tenter de défricher dans le
présent ouvrage.
…L’expression « écologie des médias » est, quant à elle, relativement récente et trouve son origine
dans deux traditions culturelles très différentes. D’une part, comme le rappelle Michel Mathien
(chapitre 1), c’est Abraham Moles qui a développé à partir de 1971 le concept d’écologie de la
communication. L’analyse de Moles est à la fois originale et représentative d’une tradition française
humaniste. D’autre part, ainsi que le souligne Serge Proulx (chapitre 3), la notion d’« écologie des
médias » a surgi durant la décennie 1970 sur la Côte est des États-Unis, notamment sous l’influence
de Neil Postman. L’expression « écologie des médias » a été utilisée pour la première fois par Neil
Postman en novembre 1968 au congrès annuel du National Council of Teachers of English à
Milwaukee dans l’état du Wisconsin. Une association baptisée « Media Ecology Association » s’est
d’ailleurs développée suite aux travaux fondateurs de Neil Postman. En page d’accueil du site Web de
cette association figure la définition suivante de l’écologie des médias donnée par Neil Postman :
« L’écologie de médias examine la façon dont les médias affectent la perception humaine, la
compréhension, les sentiments et les valeurs ; et comment notre interaction avec les médias facilite
ou empêche nos chances de survie ».
À ces deux origines s’ajoutent évidemment toute l’influence des recherches en écologie proprement
dite avec le développement de l’approche systémique ainsi que les travaux sur la complexité (Edgar
Morin).
Mots clés: medias; écologie; pollution informationnelle; information; journalisme
Abstract:
Information, media and journalism are nowadays a very important stake inasmuch as media are
influencing our live, our mind. Information flows are disseminating everyday through more and more
channels. Three main streams have to be recalled, about media ecology. Pioneers works of Abraham
Moles, but also works of Neil Postman. From a more general point of view, we have also to mention
Edgar Morin work about complexity and ecology.
Key words: media; ecology; informational pollution; information; journalism
Bibliography
Amartya Sen, Un nouveau modèle économique – Développement, justice, liberté –, Odile Jacob
Poches, Paris, 2003
Robert Park, Ernest Burgess, Roderick McKenzie, The city, the University of Chicago Press, Chicago,
London, 1968, 5e éd..
James Jerome Gibson, The Ecological Approach to Visual Perception, Lawrence Erlbaum Associates
Inc, US, 1979 ; nouvelle édition : 1986
PAR
PATRICK-YVES BADILLO
1
Leigh Van Valen, « A new evolutionary law », Evolutionary Theory, 1973, 1, pp. 1-30.
entre deux logiques : d’une part la logique de la liberté, fondement de nos
démocraties et d’autre part, en « contraste » avec la première logique, la logique
économique et financière.
Les médias portent donc dès l’origine les valeurs de la démocratie. Même, et
surtout s’il peut y avoir des controverses ou des interrogations, le rôle des
médias du point de vue de la démocratie est plus que jamais mis en exergue.
Récemment la Banque Mondiale a reconnu aux médias, et en particulier à la
presse, un rôle spécifique pour favoriser le développement équitable :
« J’ai toujours été convaincu que la liberté de la presse, loin d’être un luxe, est au
cœur même de la notion de développement équitable. Les médias peuvent en effet
dénoncer la corruption et contribuer à moraliser la vie politique en braquant le feu des
projecteurs sur l’action des pouvoirs publics »5.
Le rapport de la Banque Mondiale montre que le rôle des médias est
significatif pour assurer une bonne gouvernance, pour favoriser les réformes
dans les pays ou encore pour améliorer le fonctionnement des marchés. Les
médias jouent un rôle clé pour transmettre les informations ayant trait à
l’éducation ou à la santé.
2
John Milton, 1644. Le poète anglais dans un ouvrage de référence, l’Areopagitica, réclame au Parlement la
liberté de la presse ; cité par Jacques Leprette et Henri Pigeat, Liberté de la Presse. Le paradoxe français, PUF,
Paris, 2003, p. 5.
3
Déclaration des Constituants, Jeu de Paume, 1789.
4
Cité par Ben H. Bagdikian, The New Media Monopoly, Beacon Press, Boston MA, 2004, p. 74.
5
James Wolfensohn, président du Groupe Banque Mondiale, in Banque Mondiale, Le Droit d’Informer – Le rôle
des médias dans le développement économique –, De Boeck, Bruxelles, 2005, p. 5.
6
Association Mondiale des Journaux, rapport 2001.
Les questions économiques et financières sont plus que jamais cruciales. En
outre, les médias ont un poids économique relativement faible dans toutes les
économies.
Les médias sont donc face à un paradoxe. Les médias, facteur fondamental
de nos démocraties, sont peu importants en termes quantitatifs dans l’ensemble
de l’économie. De plus les médias sont soumis à des pressions financières,
économiques fortes qui peuvent interférer avec leur autonomie éditoriale.
Confrontés aux difficultés économiques les médias concentrent leurs activités.
La concentration des médias est un enjeu non seulement économique, financier
mais aussi un enjeu politique compte tenu du rôle primordial de la presse et les
médias vis-à-vis de la démocratie. Ainsi la Commission présidée par Alain
Lancelot a été chargée de réfléchir à la concentration des médias en France 7.
7
Commission Lancelot, Les problèmes de concentration dans le domaine des médias, Rapport au Premier
Ministre, Paris, 2005.
8
Commission Lancelot, op. cit., p. 42.
Le rapport note aussi que
« l’essentiel de la baisse était acquis dès 1960 pour les quotidiens nationaux ; la
diminution a été plus progressive dans la presse régionale ».
Cependant, il n’y a pas que le nombre de titres qui baissent mais il y a aussi
une chute très importante du lectorat : il faut rappeler qu’en 1916 Le Petit
Parisien vendait à 3 millions d’exemplaires alors qu’aujourd’hui les deux
principaux journaux de la presse quotidienne nationale, Le Monde et Le Figaro,
ensemble, vendent trois à quatre fois moins. Bien évidemment, tandis que la
presse quotidienne nationale est en difficulté, de nouvelles « espèces » se
développent comme, par exemple, la presse spécialisée grand public qui passe
de 754 titres en 1985 à 1595 titres en 2001 ; de même, la presse spécialisée
technique professionnelle augmente de façon sensible sur la même période
passant de 1109 titres à 1504 titres.
….
Dans cette perspective, la concentration des médias suit un processus
écologique, lié à la fois à l’évolution et à la sélection naturelle des médias. Ainsi
l’on peut trouver dans cette approche écologique un certain nombre de clés
intéressantes pour décrypter la dynamique des médias :
- d’une part la compréhension de l’évolution de la concurrence sur le marché
avec une première phase de monopole, puis de concurrence avant d’aboutir à
une phase de concentration,
- d’autre part la compréhension de la dynamique des espèces avec la vie, et la
disparition progressive de certaines espèces, tandis que d’autres espèces
apparaissent et se développent.
9
Rappelons que cette expression est remise en cause par nombre d’auteurs.
Le choc technologique : la numérisation
ou l’expansion permanente du « milieu » des médias
10
Francis Balle, Médias et Société, Montchrestien, Paris, 2003, 11e éd., p. 232.
11
L’expression est de Ben H. Bagdikian ; cf. notamment son récent livre : The New Media Monopoly, op. cit.
le démantèlement d’ATT a constitué une onde de choc pour le monde entier et
tous les secteurs économiques, tandis que la dérégulation des médias est en
cours.
Toutefois on doit noter que des mesures avaient déjà été prises dans les
années 1980. Ces mesures concernaient peu les questions de propriété,
contrairement aux propositions de la FCC faites en 2003, mais annonçaient déjà
12
Rappelons que la Federal Communications Commission (FCC) a été créée en 1934. Elle est chargée de la
régulation à la fois des secteurs de la radiodiffusion sonore et télévisuelle et des télécommunications. C’est une
« agence indépendante du pouvoir exécutif et directement responsable devant le Congrès américain (…). La
FCC se compose de cinq membres, dont trois au plus peuvent appartenir au même parti. Pour qu’ils entrent en
fonctions, leur nomination par le président doit être approuvée par le Sénat à la majorité des deux-tiers. Leurs
mandats sont d’une durée de cinq années, échelonnés de telle sorte qu’un seul d’entre eux prend fin chaque
année. » (Direction du Développement des Médias, Etude comparative des règles en matière de propriété des
médias et du degré de concentration des médias dans quatre états membres de l’Union Européenne et aux Etats-
Unis d’Amérique, Paris, juillet 2005).
la philosophie de la dérégulation en accroissant la liberté dans les
programmations. En 1981, sous l’administration Reagan, la durée des licences
de télévision avait été étendue à 5 ans contre 3 ans auparavant ; la limite
concernant le nombre de stations de télévision qu’une seule entreprise pouvait
posséder était passée de 7 en 1981 à 12 en 1985. En 1985 les règles portant sur
le volume de publicité par heure et sur les minima de programmes autres que
ceux de divertissement avaient été supprimées. En 1987 la FCC considérait
qu’elle n’avait plus à faire appliquer la « Fairness Doctrine » ; il s’agissait
auparavant de l’obligation pour les stations de représenter la diversité des
opinions et d’apporter un service public à leur communauté en informant sur les
questions essentielles.
17
in USA today, 21 janvier 2003, notre traduction.
18
FCC, « FCC sets limits on media concentration », News, June 2, 2003, p. 5, notre traduction.
19
FCC, op. cit.
20
Par exemple, pour les marchés où existent cinq stations ou davantage, une entreprise aurait pu posséder deux
stations, mais seulement l’une d’entre elles aurait pu faire partie des quatre stations les plus importantes.
En mars 2003 il y avait aux États-Unis 1340 stations de télévision commerciale.
Parmi ces stations Viacom en possédait 39 (2,9%) et Fox 37 (2,8%)21. Ces
chiffres peuvent paraître faibles, mais, évidemment, il faut surtout se référer à
l’audience : Viacom touche presque 40% des ménages téléspectateurs
américains, selon les critères de la FCC qui prennent en compte ce qu’on appelle
le « UHF discount » (une réduction de 50% pour calculer l’audience lorsqu’il
s’agit de stations UHF) [sans cette réduction, le chiffre serait de 45%] ; Fox
atteint 38% des ménages téléspectateurs américains, toujours selon les critères
de la FCC [45% sans la réduction UHF] ; Paxson 34% [65%] avec 69 stations.
Les propositions de la FCC ont été critiquées par des entreprises des médias
qui auraient souhaité un processus de dérégulation encore plus poussé. Ainsi
alors que la réglementation de la radio n’était pas fondamentalement touchée22,
Clear Channel a mis en titre de son site Web au mois de juin 2003 : « Clear
Channel criticizes FCC Decision » en considérant que
« Tandis que la FCC est censée agir dans l’intérêt du public, aujourd’hui elle a
manqué totalement la cible »23.
Un argumentaire complet était fourni : Clear Channel critiquait notamment la
nouvelle définition du marché local de la radio (limites géographiques
considérées comme fixées arbitrairement) et considérait que la FCC voulait re-
réguler la radio. En outre, elle reprochait à la FCC d’appliquer les mêmes règles
de limite de propriété aux marchés de petite taille et aux grosses agglomérations
comme New York, Los Angeles, Chicago qui ont accès à 90, voire plus, stations
radio.
21
Source : FCC.
22
En 2003 la FCC n’a pas proposé de modifier les règles générales concernant la radio, règles qui avaient été
fixées en 1996, mais la FCC voulait changer la méthodologie pour définir un marché local en matière de radio.
23
http://www.clearchannel.com/ ; site consulté en 2003, notre traduction.
24
Indiquons simplement que des limites auraient été fixées pour les marchés où existaient peu de stations ; en
revanche, sur les marchés avec 9 stations TV ou davantage, aucune réglementation n’aurait été imposée.
l’ouverture considérable de certains marchés locaux qu’aurait représentée
l’application de ces nouvelles règles. Les grands groupes tels que News
Corporation, AOL Time Warner, Viacom… auraient pu acquérir des journaux,
des chaînes de télévision et des stations de radio locales, majoritairement
détenues par des groupes indépendants. Notons que des éditeurs de journaux tels
que Tribune Co., qui publie le Los Angeles Times, le Chicago Tribune et 10
autres quotidiens, et Gannett, qui possède USA Today et 99 autres quotidiens,
auraient aussi pu saisir les opportunités pour accroître leurs propriétés dans le
domaine de la télévision locale.
Dans les jours et semaines qui suivirent le 2 juin 2003, date de la publication
des propositions de la FCC, un grand nombre de commentaires ont souligné les
risques de concentration croissante des médias. Ainsi a-t-on pu lire dans
Business Week :
« En réalité les combinats journaux-TV seront l’aspect le plus controversé du
paysage. Beaucoup d’observateurs s’inquiètent du fait que de telles fusions pourraient
mettre en cause les quelques voix concurrentes dans beaucoup de villes et cités »25.
Certaines critiques sont allées plus loin en considérant que la liberté de presse
était en jeu26. Le problème de la qualité des productions a été aussi soulevé. Un
fait dramatique a illustré un autre risque : le 18 janvier 2002 un train transportant
des matières dangereuses a déraillé dans le Dakota du Nord en pleine nuit et les
autorités ont voulu avertir la population du danger du nuage toxique par la radio.
Or Clear Channel Communications possède 6 des 7 stations commerciales de la
ville qui était concernée, Minot. Et malheureusement personne n’a répondu au
téléphone lorsque la police a cherché à joindre les stations. Cette affaire est très
inquiétante dans la mesure où elle illustre le risque d’une diminution de ce qu’on
appellerait en France la prise en compte de l’intérêt général par un média qui a
une position de quasi monopole.
25
Catherine Yang, Joseph Weber, « Where media merger mania could strike first if the FCC eases its rules, look
for local newspaper-TV deals », Business Week, 9 juin 2003, notre traduction.
26
Citons, par exemple, Matthew Benjamin, « Fewer voices, fewer choices? Debate rages over an FCC plan to
relax ownership rules on big media », in U.S. News & World Report, Washington, 9 juin 2003.
En 2003 les débats sur ces thèmes ont été vifs et nombreux aux États-Unis.
On estime que deux ou trois millions d’Américains ont envoyé des lettres de
protestation aux régulateurs. Mais, un an après, la cause motivait peu : la
campagne pour les élections présidentielles s’est déroulée sans que les médias
ou les candidats aient évoqué le sujet. Pourtant, depuis le 2 juin 2003 diverses
péripéties politiques et juridiques se sont enchaînées sur ce sujet. Ainsi en juillet
2003 la Chambre des Députés a bloqué la décision concernant le nouveau seuil
de 45% de l’ensemble du marché national de la télévision qu’aurait pu atteindre
une seule entreprise. En septembre 2003 le Sénat a lui aussi bloqué les
changements de réglementation des médias. La United States Court of Appeals
for the Third Circuit a suspendu en septembre 2003 l’application des nouvelles
règles, puis, en juin 2004, a rendu une décision rejetant ces règles et imposant à
la FCC de réviser sa décision. Entre-temps, en novembre 2003, un accord entre
des représentants républicains du Sénat et la Maison Blanche a réduit à 39% le
seuil maximal de propriété concernant la télévision. Ce nouveau seuil permet à
Viacom et News Corporation de conserver toutes leurs stations (avec la prise en
compte du « UHF discount »27). La Chambre des Députés et le Sénat ont entériné
cette modification respectivement en décembre 2003 et janvier 2004. Depuis les
élections américaines de novembre 2004, les débats ont connu une pause tant au
niveau médiatique qu’en termes politiques. En mars 2005 un nouveau président
a pris la tête de la Federal Communications Commission à la place de Michael
Powell : il s’agit d’un proche de George Bush, Kevin Martin. Différentes
entreprises médiatiques et associations ont par ailleurs fait appel des décisions
de la United States Court of Appeals for the Third Circuit auprès de la Cour
Suprême mais en juin 2005 la Cour Suprême a refusé de prendre en compte les
appels. La FCC a publié un texte en juin 2006 qui fait le bilan de la situation
mais ne propose pas de nouvelles règles et en novembre 2006 elle a annoncé
avoir lancé dix études économiques sur la propriété des médias28.
On est donc dans une sorte de phase d’attente. Les nouvelles règles
proposées par la FCC ne sont pas entrées en application. La cause semble
néanmoins entendue : la FCC s’était fixé pour objectif sur la période 2003-2008,
dans le domaine des médias, de
« réviser les réglementations concernant les médias de telle sorte que les règles de
propriété des médias favorisent la concurrence et la diversité d’une manière globale et
soutenable du point de vue légal, et facilite la migration prévue vers des modes
numériques de distribution »29.
27
Les stations UHF continuent à être traitées commes si elles touchaient seulement 50% des ménages sur le
marché où elles opèrent.
28
Pour un bilan de la situation du point de vue des services du Congrès américain on pourra consulter : Charles
B. Goldfarb, « FCC Media Ownership Rules: Current Status and Issues for Congress », CRS Report for
Congress, Congressional Research Service, Updated December 13, 2006.
29
FCC, Strategic Plan FY 2003-FY 2008, notre traduction.
Sans doute le délai va-t-il dépasser les prévisions, peut-être aussi d’autres
règles que celles proposées en 2003 apparaîtront-elles. Mais le processus de
dérégulation se poursuivra. Les gros dossiers de la FCC concernent aujourd’hui
les fusions entre opérateurs de téléphone, la téléphonie par Internet, la télévision
numérique et les lois sur la concentration des médias.
30
Cette évaluation a été faite par Patrick Le Floch en 1997 et repris dans le livre de Patrick Le Floch et Nathalie
Sonnac, Economie de la presse, Paris, La Découverte, 2000, rééd. 2005, p. 19.
diffusion cinématographique, la vidéo… Le film Titanic a pu être cité comme un
exemple de synergies : ce film a été produit conjointement par la Twentieth
Century Fox (appartenant à News Corp.) et Paramount (appartenant à Viacom) ;
la filiale de News Corp, Harper Collins, a publié un livre et la chaîne de
télévision Fox a fait un document télévisé sur la réalisation du film. Par analogie
avec la biologie on peut introduire l’idée de symbiose des médias ou de relations
symbiotique. La symbiose est l’association de deux organismes pour un bénéfice
mutuel.
31
Nous renvoyons le lecteur aux livres sur l’économie des médias pour une description plus complète du
contexte économique dans lequel s’insèrent les entreprises des médias. Cf. notamment : Pierre Albert, La presse
française, Les Etudes de la Documentation française, La Documentation française, Paris, 2004 ; Jean-Marie
Charon, Les médias en France, La Découverte, Paris, 2003 ; Patrick Le Floch et Nathalie Sonnac, op. cit. ;
Michel Mathien, Economie générale des médias, Ellipses, Paris, 2003 (cf. en particulier le chapitre 2) ; Nadine
Toussaint-Desmoulins, L’Economie des Médias, PUF, Que sais-je, Paris, 2006, 6e éd.
32
Peter O. Steiner, « Program Patterns and Preferences. The Workability of Competition in Radio
Broadcasting», Quarterly Journal of Economics, mai 1952, Vol. 66, n° 2, p. 194.
33
Harold Hotelling, « Stability in Competition », Economic Journal, 1929, Vol. 39, n° 1, p. 41.
Programme Programme
A B
Nombre de téléspectateurs préférant A 200
Nombre de téléspectateurs préférant B 60
Hypothèse: les éditeurs tirent leurs revenus de la publicité, ce revenu est
proportionnel à l’audience
1 seul opérateur O1 disposant de deux canaux offrira A et B
Si un concurrent O2 apparaît et obtient un canal de télévision, chaque
opérateur dispose alors d’un canal. Chacun des concurrents cherchera à
offrir le programme A qui permet de viser un marché de 100
téléspectateurs chacun ; celui qui diffuserait le programme B serait
perdant !
Le câble aux États-Unis est à la fin des années 1940 un nouveau média très
marginal. Dans les années 1960 le câble affirme ses potentialités mais est affecté
par le freeze effect que l’on peut traduire par l’effet de glaciation ayant conduit
au gel du câble par la FCC (citons le fait que les réseaux câblés ne pouvaient
importer des émissions provenant d’autres réseaux câblés ou encore que les
majors du cinéma américain ne donnaient pas accès à leurs films). Le
développement du câble aux États-Unis est donc complètement limité par le
cadre réglementaire contraignant défini par la FCC. Pourtant on assiste durant la
décennie des années 1970 à une première progression spectaculaire du câble. À
la fin des années 70 le câble compte en effet près de 16 millions de ménages
abonnés. Ce n’est que le début d’une progression permanente, puisque le
nombre de ménages abonnés au câble va progresser de façon continue pour
dépasser les 70 millions de ménages au début des années 2000.
34
Les chiffres proviennent de la FCC (Federal Communications Commission) http://www.fcc.gov/ . Notons que
pour la suite de l’ouvrage nous noterons G$ pour signifier milliards de $.
les parts de marché des 10 premiers opérateurs ; les résultats sont saisissants :
alors qu’en 1977 ou encore en 1987 le marché est « relativement » réparti entre
un assez grand nombre d’acteurs, en 2001 le marché est concentré autour de
quelques opérateurs. Cette concentration s’accroît encore en 2006. Le
traditionnel indicateur d’Herfindahl (somme des carrés des parts de marchés des
quatre plus gros opérateurs ; cf. graphique 6.3 ci-après) traduit de façon
quantitative une telle évolution : l’indice qui mesure la concentration est
multiplié par plus de 10 sur la période étudiée (1977-2006) !
100
90
80
parts de marché
70
60
50 ref sans
concentration
40
1977
30
20 1987
10
2001
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 2006
les 10 premiers opérateurs
0,2
0,15
0,1
0,05
0
années 1977, 1987, 2001 et 2006
160
140
120
100
80
60
40
20
0
Nouveaux
Informatique
Electronique
Services de
Câble (Time
(Microsoft)
General
Equipements
grand public
(Amazon)
Electric
(Samsung)
Logiciels
de télécom
(Verizon)
médias
télécom
Warner)
(Nokia)
(HP)
Le graphique 6.6 ci-après met en lumière plusieurs phénomènes :
- le chiffre d’affaires exceptionnel de GE ;
- la place des cinq Big Five aux États-Unis (Time Warner, Walt Disney, News
Corp, Bertelsmann et Viacom) ;
- le fait que les grands groupes français ne peuvent rivaliser avec GE ; mais ils
ont un classement honorable par rapport aux Big Five : Bouygues (31 G$),
Vivendi (24 G$) ou Lagardère (16 G$) ont une envergure comparable à ces
Big Five ;
- il faut cependant noter que lorsque l’on s’intéresse à certaines activités
circonscrites aux médias (par exemple, TF1 au sein de Bouygues, ou Canal
Plus au sein de Vivendi ou encore la Socpresse au sein de Dassault), alors
l’écart entre les acteurs français et américains devient plus flagrant ; on peut,
par exemple, comparer d’une part NBC, ou l’ensemble ABC-EPSN-Disney
(du groupe Disney) qui a un chiffre d’affaires de l’ordre de 15 G$ avec TF1
(3,4 G$), Canal Plus (près de 2 G$). Il y a bien entendu des phénomènes de
taille du marché domestique et les groupes français sont logiquement en
position faible par rapport aux groupes américains ;
- en réalité c’est la question du périmètre des groupes qui détermine le
résultat ; une remarque majeure s’impose alors dans la méga industrie de
l’information et de la communication : les médias sont relativement faibles
par rapport à d’autres industriels qui sont susceptibles d’entrer sur leur
marché : ainsi il apparaît que le leader de la presse américaine, Gannett, est
bien faible en termes de chiffre d’affaires (près de 7,5 G$) par rapport aux
grands industriels de la méga industrie de l’information et de la
communication (comme Samsung, Verizon…)… La même remarque prévaut
pour le leader de la radio aux États-Unis, Clear Channel, qui a un chiffre
d’affaires de 3,6 G$. On peut aussi noter la faiblesse relative du groupe de
Berlusconi, Mediaset, qui a un chiffre d’affaires de 4,4 G$. Enfin les
nouveaux médias et Internet, symbolisés par l’un de leurs leaders, Amazon,
reste d’une taille encore modeste (mais en progression très rapide) par
rapport aux grands acteurs de la méga industrie de l’information et de la
communication. Mais vis-à-vis des grands acteurs des « anciens » médias le
chiffre d’affaires d’Amazon est important : Amazon (8,5 G$) dépasse d’ores
et déjà le leader de la presse américaine (Gannett) !
Graphique 6.6 : La hiérarchie des médias : du chiffre d’affaires (en G$ en
2005/2006) de General Electric à celui de la Socpresse : un écart de 1 à 100
160
140
120
100
80
60
40
20
0
GE (NBC, USATV)
CANAL PLUS
TF1
Time Warner (AOL,
Bouygues (TF1)
Journaux (Gannett)
Bertelsmann
Walt Disney (ABC,
mediaset
Vivendi (CANAL PLUS)
TV (Fox)
internet (nouveaux médias
Viacom
Lagardere
Socpresse
Newscorp (Fox…)
amazon)
Il est vrai que les médias sont contrôlés en France par quelques grands
groupes. Il faut rappeler qu’Hachette Filipacchi Médias est détenu par
Lagardère, que La Tribune est détenue par LVMH, et que Le Point est détenu
par le groupe Pinault. On peut aussi faire référence au rachat en 2004 de 60%
d’Editis par Wendel Investissement (fonds dirigé par Ernest-Antoine Seillière)
pour 660 millions d’euros au groupe Lagardère. Editis inclut notamment Le
Robert, Bordas, Nathan, Plon-Perrin, Robert Laffont, Julliard, Nil, Omnibus, La
Découverte, Presses de la Cité, Belfond, Pocket 10/18…
Il faut aussi rappeler que la taille des groupes de presse français se situe très
loin de celle des gros groupes américains ou même européens. On peut se
demander, dès lors, si le paysage de la presse française, après une phase de
recomposition à l’intérieur du pays, ne risque pas d’être modifié encore plus
profondément par des attaques venant de groupes multinationaux.
36
Bertrand d’Armagnac, le Monde du 22 janvier 2005.
37
Sur les trois années 2003-2004-2005 le cumul des résultats nets de GE atteint les 48,5 G$ !
Electric a pris le contrôle majoritaire de Vivendi Universal Entertainment après
avoir bénéficié du feu vert des autorités de régulation européenne et américaine.
En mai 2004, neuf mois après la cession de Vivendi Universal Entertainment
(qui regroupait les actifs américains de cinéma et de télévision de Vivendi
Universal) au groupe NBC (filiale de General Electric) est né officiellement un
nouveau géant des médias : NBC Universal. Ce géant a un chiffre d’affaires de
13 milliards de dollars, un excédent brut d’exploitation de 3,3 milliards de
dollars et compte 15 000 employés.
38
Boris Cyrulnik (entretien avec), « Manifeste pour la résilience », Spirale, no 18, 2001/2, p. 79.
39
Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, Paris, 1999, cité in Jean-François Toussaint, Stratégies
Nouvelles de Prévention. Rapport d’étape, ministère de la santé et des solidarités, 11 septembre 2006.
40
David Croteau et William Hoynes, The Business of Media – Corporate Media and the Public Interest –, Pine
Forge Press, a Sage Publications Company, Thousand Oaks, California, 2001, p. 166.
de la quasi-totalité de la chaîne de l’information et d’occuper à certains moments
tout l’espace médiatique informationnel. L’exemple du film Titanic cité supra
montre les synergies entre grands médias, mais aussi illustre un phénomène
d’invasion par ces grands médias. Produit par des filiales de deux des Big Five –
News Corp et Viacom –, Titanic a donné lieu à un livre publié par une filiale de
News Corp ; la chaîne de télévision Fox du groupe News Corp a été également
impliquée. De nombreux produits, cd-roms, T-shirts, chocolat… ont été
également commercialisés à cette occasion. Par ailleurs, dans un catalogue
commun appartenant à trois des Big Five – News Corp, Viacom, et Bertelsmann
– il apparaissait que sur 400 titres seulement quatre traitaient des questions de
politique courante. Un grand nombre de titres étaient dédiés au cinéma et la
télévision. Il apparaît aussi que dans les émissions de télévision des réseaux
américains 20% des programmes sont dédiés au cinéma, aux programmes de
télévision, à la musique, aux livres produits par les firmes « parentes » du
conglomérat. Selon une autre estimation 90% du contenu du prime time est
autoproduit par les conglomérats. Dans le même temps le budget de la publicité
pèse de plus en plus sur le contenu, selon une étude émanant d’une école de
journalisme. Un mur s’est établi entre le journalisme et le commerce. Les
médias préfèrent financer des initiatives à bas coût plutôt que du travail
d’investigation coûteux et à risque. Il faut couvrir ce qui est facile à faire, bon
marché et « politiquement correct » pour les médias41.
Nous avons repris ici volontairement certaines des critiques les plus
radicales. À l’évidence l’analyse de la « qualité » de l’information est un champ
de recherche fondamentale et pourtant il en est encore à ses balbutiements. Au-
delà d’exemples il faudrait notamment faire des analyses systématiques et
réfléchir sur les critères d’évaluation. D’importantes questions éthiques se
posent : la concentration va-t-elle à l’encontre de la liberté de la presse ?
Comment assurer la diversité de l’information, la qualité des productions par les
médias ? Comment prendre en compte l’intérêt général dans un contexte de plus
en plus libéralisé ? L’affaire « Minot », que nous avons évoquée dans ce texte,
illustre l’ampleur des questions éthiques lorsqu’elles sont confrontées à des
contraintes économiques…
41
James Fallow, Breaking the News, Pantheon Books, New York, 1996, cité par David Croteau et William
Hoynes, op. cit.
42
David Targy, rapport sur la presse quotidienne, bureau d’études Xerfi, Le Monde du 6 avril 2004.
Dans cette perspective, mentionnons un point de vue original de Patrick
Éveno dans une tribune du journal Le Monde (29 mars 2005, p. 13). Sous le titre
« Vive la concentration des médias », cet auteur souligne que :
« En économie comme en politique, la concentration des entreprises est une menace,
parce qu’elle peut conduire à la constitution d’un oligopole préjudiciable à la liberté
d’accès au marché et à la consommation ; cette menace est encore plus préoccupante
dans le secteur des médias, nécessaires à la vie démocratique et la diffusion de la
connaissance et de la culture ; toutefois, en France, la concentration des médias est un
faux problème ».
L’auteur rappelle que les médias français sont faibles par rapport à leurs
concurrents à l’échelle internationale et conclut :
« Arrêtons d’agiter de pseudo-épouvantails et affrontons les vrais problèmes ; la
diversité n’est pas en péril à cause d’une prétendue concentration, elle est en péril parce
que les journaux, notamment les quotidiens, ne sont plus rentables depuis des années,
parce qu’ils n’ont pas su constituer autour d’eux les groupes multimédia d’une taille
suffisante pour affronter les chocs de la conjoncture, des évolutions des marchés. Plutôt
que de penser les médias en termes politiques, il vaudrait mieux les penser en termes
d’économie d’entreprise, de taille critique, de rentabilité. Les quotidiens français ne
retrouveront pas de sitôt une rentabilité enfuie depuis longtemps. Il vaudrait mieux
réfléchir à la question principale : comment faire pour rentabiliser les groupes de presse,
afin qu’ils attirent des capitaux qui cherchent des profits et non de l’influence, afin que les
quotidiens prospèrent, afin qu’ils puissent investir sur le Net pour y développer de
nouvelles formes d’audience ? »
L’analyse de Patrick Éveno est intéressante dans la mesure ou elle peut
conduire à une nouvelle interrogation : si la concentration atteint aux États-Unis
un stade tel que la qualité de l’information est menacée, en France n’aurait-on
pas besoin de « champions nationaux » dans le secteur des médias pour résister à
la puissance des conglomérats américains ?… Les chiffres récents que nous
avons fournis dans ce chapitre étayent, nous semble-t-il, l’argumentaire de
Patrick Éveno. Le rapport Lancelot43 indique aussi que parmi
« les principaux groupes présents sur le marché national, le seul à avoir développé
des activités significatives n’est pas français : il s’agit de Bertelsmann qui contrôle les
groupes RTL (radio), M6 (Télévision) et Prisma (Magazines) ».
Cette remarque est utile : l’analyse de la concentration devrait non seulement
intégrer des critères quantitatifs de parts de marché mais aussi des critères
mesurant une présence pluri média. Le rapport a aussi démontré à partir du
modèle de Steiner (présenté supra) que la déconcentration n’était pas forcément
synonyme de la pluralité des médias.
43
Commission Lancelot, op. cit., p. 45.
de marché, à des prix d’oligopole et à des pratiques commerciales restrictives,
dans les médias le processus de fusion et de concentration met en danger le bien-
être de la société dans sa globalité :
« Alors que les stations de diffusion ont encore des licences pour favoriser « l’intérêt
public », les informations dans les médias géants [medias empires] sont réduites à l’info-
tainment »44.
Le lecteur trouvera dans l’ouvrage de David Croteau et William Hoynes une
analyse complète du rôle spécifique des médias non seulement comme
fournisseurs de l’information aux citoyens, mais aussi comme éducateurs
informels ou encore comme promoteurs de l’intégration sociale45.
44
Dell Champlin et Janet Koedler, « Operating in the public interest or in pursuit of private profits ? News in the
age of media consolidation », Journal of Economic Issues, Juin 2002, Volume 36, n° 2, p. 462, notre traduction.
45
David Croteau et William Hoynes, op. cit., pp. 25-34.
46
Dominique Wolton, L’autre mondialisation, Flammarion, Paris, 2003, p. 42. La partie du texte qui est ici en
caractères normaux est en italiques dans le texte de Dominique Wolton.
d’audit Arthur Andersen, mais aussi, comme l’a stigmatisé le chef du bureau
d’analyse économique et financière du Financial Times, de l’incapacité des
médias à chercher une information fiable et pertinente dans le domaine
financier.
Cependant une véritable crainte existe : les médias sont déstabilisés dans leur
environnement et dans leur milieu. Ils n’entreront pas facilement en
« résilience ». Ils n’auront pas la capacité, ni la possibilité de retrouver leur état
initial. La mutation est en œuvre. Selon un rapport du Commissariat Général du
Plan47, le risque d’une série de rachats et d’un processus de concentration pour
les médias français existe. Le rapport commence même par décrire une fiction,
un scénario catastrophe décrivant un tel processus accéléré. Au-delà de la fiction
le rapport met en garde les prochains gouvernements :
« L’histoire des médias français pourrait devenir rapidement la conquête de la
communication par quelques géants du multimédia »48.
47
Sylvie Bernard, Bertrand Benyamin (Chefs de projet), Des Médiattitudes. Prospective sur la stratégie de
l’Etat dans les mutations des médias, Commissariat général du Plan, Paris, juin 2005.
48
Op. cit., p. 7