MAGAZINE CHANTILLY, 

DOMAINE EN PÉRIL,  ATHLÉTISME : LE GUÉPARD 
MINÉ PAR UN DÉFICIT ABYSSAL BLANC ET SON ANTILOPE

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SAMEDI 14 AOÛT 2021 - 77E ANNÉE - NO 23825 - 4,70 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

A droite, la course à la présidentielle s’accélère
▶ A huit mois du scrutin, ▶ Trois prétendants sont ▶ Les deux autres sont ▶ Mme Pécresse, que ▶ D’autres prétendants
la droite, malgré ses connus, dont Xavier Ber­ Philippe Juvin, maire (LR) « Le Monde » a suivie en pourraient se déclarer,
divisions, veut croire en trand, qui veut s’imposer de La Garenne­Colombes « tournée » dans le sud du comme Laurent Wauquiez
ses chances de perturber comme le candidat de son (Hauts­de­Seine), et la pré­ pays, souhaite l’organisa­ ou l’ancien commissaire
le duel annoncé entre ex­famille politique, sans sidente de la région Ile­ tion d’une primaire pour européen Michel Barnier
Macron et Le Pen passer par une primaire de­France, Valérie Pécresse départager les candidats PAGE S 10- 11

AFGHANISTAN Algérie
La Kabylie 
LES TALIBANS  transformée 
PRENNENT  en brasier
DEUX VILLES  Selon le dernier bilan offi­

MAJEURES
ciel, au moins 41 civils et
28 militaires sont morts
ces derniers jours dans
les incendies, d’origine
▶ Kandahar et Herat criminelle, semble­t­il,
sont tombées, qui ravagent le nord
Kaboul est menacée du pays, en particulier
la région de Tizi Ouzou
▶ Les Etats­Unis et le PAG E 3
Royaume­Uni envoient
des troupes pour éva­
cuer leurs ressortissants Deux­roues
PAGE 2 Macron suspend le
contrôle technique
Des combattants talibans
obligatoire
à Herat, le 13 août. AFP PAG E 11

Justice
Les tribunaux
Planète
La microalgue
Préhistoire
Les drôles
Economie
poursuivent leur toxique de voyages de La ville de Paris  849
lent apprentissage
du numérique
qui inquiète
le Pays basque
Kik le mammouth,
il y a 17 000 ans
face au défi du 
PAGE 12 PAG E 7 PAGE 6 réchauffement Zone lombaire
soie et CaChemire renforCée

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PAGE S 8- 9
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Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 4,90 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021 international | 3

En Algérie,
la Kabylie
transformée
en brasier
Les bénévoles s’organisent pour
venir en aide aux sinistrés touchés
par des incendies ayant causé
la mort d’au moins 69 personnes

REPORTAGE tience. Depuis le parvis qui sur­

plombe la route menant à Aït
tizi ouzou ­ envoyée spéciale
Mesbah, elles observent avec in­

S
ur le boulevard Krim­Bel­
kacem, à Tizi Ouzou, en
Kabylie, des dizaines de
volontaires se sont préci­
pités pour vider les camions char­
gés de packs d’eau, de denrées ali­
mentaires et de matelas. Les dons,
entreposés à même le sol, sont ré­
partis dans des camionnettes qui
fileront ensuite vers les villages de
haute Kabylie et les quartiers de la
ville où ont été accueillies les fa­
milles évacuées des zones mena­
cées par les flammes. « Nous avons
lancé un appel sur les réseaux so­
ciaux et depuis les dons affluent de
tous les coins d’Algérie », explique
Samir Halit, président d’une asso­
ciation de quartier du centre­ville.
L’homme aux yeux rougis par la
fatigue précise que les bénévoles
ont « pu couvrir 988 villages de la
région en deux jours ».
Depuis le 9 août, le nord de l’Al­
gérie est touché par des incendies
d’une rare violence – « d’origine
criminelle », a déclaré le ministre
de l’intérieur, Kamel Beldjoud –,
qui ont déjà causé la mort d’au
quiétude les quelques véhicules
de pompiers et de gendarmes qui
montent vers le village. « La région
est trop vaste, ces hélicoptères ne
suffisent pas », commente Djamila
A., une habitante d’Aït Mesbah, les
yeux rivés vers le ciel. L’Etat a dé­
ployé « au moins deux grands héli­
coptères Mi­26 de l’armée et quatre
hélicoptères de la protection civile.
Tous font de la lutte anti­incen­
die », précise Akram Kharief, spé­
cialiste des questions de défense,
joint par téléphone.
Ces moyens semblent dérisoires
pour les villageois touchés par les
flammes qui se sentent abandon­
nés par les autorités. Comités et as­
sociations locales ont pris le relais
pour organiser les secours et l’éva­
cuation des villages. « Personne ne
nous a prévenus pour nous dire
de partir. Ce sont les villageois qui
ont donné l’alerte car les feux
avançaient », poursuit Djamila A.
« On a seulement eu le temps de
prendre nos papiers d’identité et
notre livret de famille », intervient
une autre femme, accompagnée
Des bénévoles et des pompiers fuient les flammes dans le village d’Aït Mesbah (Algérie), le 12 août. SOFIANE BAKOURI POUR « LE MONDE »
les habitants qui tentent de cir­
conscrire les feux, mais les vents
forts attisent les flammes et font
monter de larges colonnes de fu­
mée qui noircissent le ciel et pro­
voquent une fine pluie de cendre.
« J’ai soigné plusieurs jeunes qui
avaient des blessures légères et des
irritations aux yeux », explique Ra­
zika Kareb, infirmière qui gère le
poste médical installé dans l’une
des pièces de la zaouïa. A l’aide
d’un pharmacien de la commune,
cette femme de 40 ans, elle aussi
originaire d’Aït Mesbah, fait l’in­
ventaire des médicaments dont
elle dispose. « J’ai tout ce dont j’ai
besoin pour les urgences », dit­elle
en montrant le sérum physiologi­
que, l’alcool, les pansements et le
tulle gras fournis par des associa­
salle des fêtes abritent un grand
nombre de sinistrés.
« Depuis le 9 août, nous avons ac­
cueilli les gens de Larbaa Nath Ira­
then et maintenant de Beni
Douala, il y a une cinquantaine de
femmes et autant d’hommes. Les
cas de Covid ont été isolés dans des
chambres à part, explique Anaïs
Kesraoui, une biologiste bénévole
d’une vingtaine d’années. Des
gens ont perdu leur maison. Une
des femmes âgées a perdu ses deux
enfants. On a dû l’emmener à l’hô­
pital à la suite du choc. »
« C’était terrible, inoubliable. Les
enfants sont traumatisés », raconte
une habitante de Larbaa Nath Ira­
then dont la maison a été « englou­
tie par les flammes ». Le 11 août,
c’est dans cette commune compo­
sée de 25 villages et située dans le
centre­est de la wilaya de Tizi
Ouzou qu’une foule en colère a
battu à mort puis brûlé un trente­
naire qu’elle accusait d’être un py­
romane. La scène filmée et diffu­
sée sur les réseaux sociaux a cho­
qué et provoqué l’indignation au
sein de l’opinion algérienne.
Dans un communiqué, rendu
public jeudi, le ministère de la jus­
tice a annoncé l’ouverture d’une
enquête « afin de révéler l’identité
des auteurs et de les traduire de­
vant la justice ». Abdelmadjid Teb­
boune a annoncé le même jour
l’arrestation de 22 personnes ac­
cusées d’être des pyromanes,
dont onze à Tizi Ouzou. 
safia ayache
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

moins 69 personnes, 41 civils et
28 militaires, selon les bilans offi­
ciels. Jeudi 12 août, la protection
civile algérienne faisait état de
cent départs de feu dans quinze
wilayas (régions) du pays, dont 38
rien que dans la province de Tizi
Ouzou, à cent kilomètres à l’est de
la capitale, Alger.
Sentiment d’abandon
Cette région de Kabylie, connue
pour ses nombreux villages per­
chés au sommet des montagnes
boisées, s’est transformée en bra­
sier. « C’est catastrophique, je n’ai
jamais vu des feux comme
ceux­là », lâche Mahmoud Hessas,
qui habite Aïn Bouyahia, un vil­
lage de la commune de Beni
Douala, à vingt minutes au sud­
est de Tizi Ouzou. « Nous avions
pris l’habitude de gérer les feux
mais, cette fois, c’est incontrôla­
ble », confie, hébété, cet homme
d’une cinquantaine d’années qui
se remémore l’incendie meur­
trier de 1993. A l’époque, le feu
avait ravagé des centaines d’hec­
tares d’oliveraies et causé la mort
de trois personnes de la région.
Dans la zaouïa – sanctuaire reli­
gieux – d’Akal Aberkane, à la sortie
de Beni Douala, Mahmoud Hessas
coordonne avec plusieurs béné­
voles l’accueil de centaines d’habi­
tants d’Aït Mesbah, un village de
8 000 âmes encerclé par les flam­
mes. Des femmes, vêtues de la
fouta kabyle, une étoffe aux cou­
leurs orangées nouée autour de la
ceinture, prennent leur mal en pa­
Mer
Méditerranée
Tizi Ouzou Larbaa Nath Irathen
Alger
Beni Douala
Aïn Bouyahia Sétif
KABYLIE
Principaux incendies depuis le 10 août
de son fils et de son mari.
Depuis le début des incendies,
plusieurs villageois ont tenté de
retourner sur les lieux, en vain.
« On pense que la situation est
maîtrisée mais chaque fois les feux
repartent », ajoute Djamila A., ré­
fugiée à la zaouïa. Ici, les sinistrés
peuvent se reposer et profiter des
repas préparés par les bénévoles.
« Heureusement, tout est mis à no­
tre disposition. J’ai même pu voir
un médecin. Ça nous permet de te­
nir mentalement », poursuit cette
femme aux cheveux noirs qui se
dit soulagée qu’il n’y ait pas eu de
pertes humaines dans son village.
Sur la route sinueuse qui tra­
verse des pans de montagne calci­
nés, les cortèges de camions­citer­
nes font des allers­retours inces­
sants. L’été, caniculaire, est mar­
qué par des pénuries d’eau. De
nombreux jeunes de la région,
foulard sur le nez et pelle à la main,
s’entassent à l’arrière des camion­
nettes. Ils se rendent dans les villa­
ges toujours menacés pour aider
Critiquées pour
leur gestion des
feux, les autorités
algériennes ont
sollicité l’Union
européenne
pour l’envoi
de Canadair
ALGÉRIE
Constantine
TUNISIE
ALGÉRIE
50 km
Source : Copernicus EMS
UN JOYAU »
tions et des particuliers.
« Enfants traumatisés » « LE MONDE
Jeudi, vingt tonnes de médica­
ments ont été offertes aux hôpi­
taux de la wilaya par le groupe
pharmaceutique public Saidal. Au
centre hospitalier universitaire de
Tizi Ouzou, déjà surchargé par les
nombreux cas de Covid­19, des
tentes blanches ont été dressées
pour accueillir les blessés. Les
grands brûlés, au nombre de
vingt­quatre dont neuf enfants,
ont été transférés vers deux struc­
tures spécialisées d’Alger, tandis
que d’autres sont pris en charge à
l’hôpital de Sidi Belloua, à quel­
ques kilomètres de Tizi Ouzou.
Une équipe médicale, composée
de près de trente médecins spécia­
lisés, s’est déplacée vers la Kabylie,
a annoncé le ministère de la santé.
Critiquées pour leur gestion des
feux, les autorités algériennes ont
finalement sollicité l’Union euro­
péenne pour l’envoi de Canadair,
dont le pays ne dispose pas. La UN FILM DE RYUSUKE HAMAGUCHI
France a mis à disposition trois
avions dont deux bombardiers
d’eau, entrés en action jeudi après­
midi. Dans une allocution diffu­
sée dans la soirée par la télévision
publique, le président Abdelmad­
jid Tebboune a fait savoir que deux
autres avions du même type et en
provenance d’Espagne étaient at­
tendus vendredi. Le chef de l’Etat a
appelé à « l’unité nationale ».
« A plusieurs reprises, les autori­
tés ont émis des appels d’offres et
des commissions. La question de
l’acquisition de Canadair date des
années 1980, mais il n’y a jamais
eu de décisions prises. La seule ac­
tion concrète a été l’achat d’héli­
coptères bombardiers d’eau
en 2012 », souligne Akram Kharief.
D’APRÈS LA NOUVELLE DE HARUKI MURAKAMI
En attendant, les gestes de soli­
darité se multiplient. Des boîtes,
sur lesquelles sont notés les noms
des villages touchés par les feux,
AU CINÉMA LE 18 AOÛT
sont disposées au milieu des rou­
tes de Tizi Ouzou pour inciter les
automobilistes à faire des dons.
Les particuliers mettent à disposi­
tion leur appartement pour aider
des familles devenues sans abri,
tandis que les propriétaires d’une
 0123
4 | international SAMEDI 14 AOÛT 2021

En Inde, la Cour suprême essaie L’espion était le gardien

de l’ambassade britannique
de moraliser la vie politique
La justice veut obliger les partis à publier la liste des candidats faisant L oin du cyberespionnage moderne ou de la surveillance
électronique, l’intrigue a des relents de guerre froide,
avec des mallettes échangées et des documents secrète­
ment vendus aux Russes par un Britannique travaillant
l’objet de poursuites, alors que 43 % des députés sont mis en examen comme gardien à l’ambassade du Royaume­Uni en Allema­
gne. Le suspect a été arrêté, mercredi 11 août, par les autorités
allemandes à Postdam, au sud­ouest de Berlin.
David S., 57 ans, est soupçonné, selon le parquet fédéral
new delhi ­ correspondante res pour apporter les amende­ 29 % de parlementaires devant ré­ allemand, d’avoir « travaillé pour un service secret étranger
« Un député sur ments nécessaires afin que l’impli­ pondre d’accusations graves. depuis au moins novembre 2020 ». Il aurait transféré « au

L
a Cour suprême indienne
veut nettoyer la vie politi­
que et lutter contre le phé­
nomène de criminalisa­
tion qui s’est considérablement
amplifié au cours des vingt der­
nières années. Mardi 10 août, la
plus haute juridiction du pays a
infligé une amende, certes très
symbolique, à huit partis qui
avaient refusé de publier la liste de
leurs candidats faisant l’objet de
poursuites pénales lors des élec­
tions régionales au Bihar, en no­
vembre 2020. Le Bharatiya Janata
Party, le parti du premier ministre
Narendra Modi, et le Congrès, lea­
der de l’opposition, devront payer
chacun 100 000 roupies, soit plus
de 1 100 euros. « Personne ne peut
nier que la menace de la criminali­
sation du système politique indien
s’accroît de jour en jour », ont re­
levé les magistrats.
C’est une des spécificités de la
politique indienne que de comp­
ter de nombreux candidats et
élus, tous partis confondus, impli­
qués dans des « criminal cases ». La
Lok Sabha, la Chambre basse du
Parlement, compte 233 députés,
soit 43 % de l’assemblée, mis en
examen dans des affaires pénales.
Les chefs d’accusation peuvent
aller jusqu’au meurtre, en pas­
sant par la corruption, le viol, le
kidnapping ou la simple partici­
pation à une manifestation non
autorisée. Les mises en examen
peuvent aussi constituer une
arme politique pour museler les
opposants. En 2014, un candidat
dans le Tamil Nadu, un militant
écologiste, comptait 382 poursui­
tes, liées à ses actions en faveur
de l’environnement !
Selon Milan Vaishnav, universi­
taire et auteur d’un livre sur le
crime en politique (When Crime
Pays, Yale University Press, 2017),
cinq est cité pour
des infractions
potentiellement
graves,
allant jusqu’au
meurtre »
MILAN VAISHNAV
universitaire
« si bon nombre de ces affaires con­
cernent des accusations mineures,
un député sur cinq est cité pour des
infractions potentiellement gra­
ves, allant de l’agression physique
au meurtre », et passible de plus de
cinq ans d’emprisonnement.
L’un des curriculum vitæ les
plus remarquables concerne Ka­
meshwar Baitha, ancien député
du Jharkhand de 2009 à 2014, avec
53 affaires pénales pendantes, un
record pour un élu. Il comptait
notamment 17 charges pour
meurtre. Lorsqu’il gagna son
siège en 2009, il croupissait en
prison et ne fut libéré qu’en 2011.
En février 2020, la Cour suprême
avait ordonné aux formations po­
litiques de publier les noms de
leurs candidats poursuivis et le dé­
tail des charges, dans les quaran­
te­huit heures suivant leur sélec­
tion. Aucun parti ne s’est
conformé à l’injonction. « La na­
tion continue d’attendre et perd pa­
tience. Nettoyer le courant pollué
de la politique ne fait manifeste­
ment pas partie des préoccupa­
tions immédiates des législateurs »,
observent les magistrats dans une
décision de 71 pages qui fustige la
« profonde inertie » des partis.
« A maintes reprises, écrivent­ils,
la Cour a appelé les législateurs du
pays à se montrer à la hauteur de
la situation et à prendre des mesu­
cation de personnes ayant des
antécédents criminels dans la vie
politique soit interdite », mais
« tous ces appels sont tombés dans
l’oreille d’un sourd ».
Il n’est pas certain, toutefois, que
la publication des noms des candi­
dats douteux freine véritablement
la criminalisation de la vie politi­
que. « La mesure peut être contre­
productive, en leur donnant plus de
visibilité, analyse Gilles Verniers,
professeur de science politique à
l’université Ashoka, près de New
Delhi. En Inde, les meilleurs candi­
dats ne sont pas nécessairement
des profils de bons législateurs,
mais ceux perçus comme étant les
plus aptes à mater les opposants, à
contrer la faiblesse des institutions
publiques et à faciliter l’accès à des
services ou des ressources. Faire ap­
pel à des candidats poursuivis dans
des affaires pénales, c’est, pour les
électeurs, s’assurer d’avoir comme
élu un homme fort, en capacité de
veiller sur leurs intérêts. »
« Candidats fortunés »
Pour Milan Vaishnav, l’argent
constitue la principale raison
pour les partis politiques de s’ap­
puyer sur des candidats véreux.
L’inflation des coûts des campa­
gnes électorales a eu un effet d’en­
traînement. « La compétition est
tellement féroce que les partis re­
crutent des candidats fortunés et
capables de lever des fonds », pour­
suit Gilles Verniers. Ce phéno­
mène de criminalisation de la vie
publique s’est enraciné dès l’indé­
pendance, en 1947, mais il n’a
cessé de s’amplifier, et la rhétori­
que anticorruption de Narendra
Modi n’y a rien changé. En 2009,
le nombre d’élus à la Lok Sabha
poursuivis dans des affaires péna­
les était de 30 %. Il est passé de
34 % en 2014 à 43 % en 2019, dont
Les régions ne sont pas épar­
gnées. En Uttar Pradesh, l’Etat le
plus peuplé d’Inde, 8 % des mem­
bres de l’Assemblée législative
élus en 1984 avaient pris leurs
fonctions alors qu’ils faisaient
l’objet d’une enquête pénale.
En 2012, cette proportion s’élevait
à 45 %. Dans l’Etat voisin, au Bihar,
la commission électorale in­
dienne a estimé à 469 le nombre
de candidats douteux présentés
par les dix partis en compétition
aux dernières élections régiona­
les, en novembre 2020.
La Cour suprême demande aux
formations politiques la publica­
tion complète des antécédents ju­
diciaires de leurs candidats dans
un journal local et national, mais
aussi sur leurs propres sites en li­
gne. La commission électorale de­
vra, quant à elle, prendre des me­
sures concrètes, comme la créa­
tion d’une application téléphoni­
que permettant d’afficher le
profil complet des candidats en
lice. Cette mesure devrait s’ac­
compagner de la création d’une
cellule distincte de la commis­
sion, chargée de contrôler la
conformité de tous les partis poli­
tiques ; tout manquement devrait
être porté à l’attention de la Cour
suprême sans délai.
Les magistrats ont cependant
refusé des mesures plus drasti­
ques. L’avocat à l’origine de la sai­
sine de la Cour suprême avait pro­
posé que la commission électo­
rale puisse exclure les partis poli­
tiques qui ne se conformeraient
pas aux dispositions. Une me­
sure, selon la Cour suprême, qui
irait trop loin et empiéterait sur le
pouvoir législatif. La haute juri­
diction a préféré en appeler « à la
conscience des législateurs » pour
agir et assainir la vie politique. 
sophie landrin
moins une fois » des documents « obtenus dans le cadre de ses
activités professionnelles à un représentant des services secrets
russes » en échange « d’un montant d’argent inconnu ». L’arres­
tation fait suite à une enquête conjointe des autorités
britanniques et allemandes. Le domicile et le bureau de David
S. ont été perquisitionnés.
Depuis l’annonce du coup de filet, quelques éléments ont
commencé à fuiter. Le Britannique était employé localement
et ne faisait pas partie des services diplomatiques. Cressida
Dick, qui dirige Scotland Yard, a déclaré jeudi sur la radio LBC
que ses services enquêtaient « depuis plusieurs mois » sur cette
affaire. « C’est un bon exemple de travail international. Nous
avons travaillé de manière étroite avec les autorités alleman­
des, le BKA [le parquet allemand], les procureurs et bien sûr le
gouvernement britannique. »
« C’est un rappel, les Russes, en plus
de leur fort investissement dans le cy­
« C’EST UN RAPPEL,   berespionnage, n’ont jamais aban­
LES RUSSES  donné les vieilles techniques, analyse
Peter Ricketts, ancien conseiller à la
N’ONT JAMAIS  sécurité de l’ex­premier ministre
David Cameron et aujourd’hui mem­
ABANDONNÉ  bre de la chambre des Lords. Autrefois,
ils utilisaient l’idéologie pour convain­
LES VIEILLES  cre de transférer des secrets. Aujour­
TECHNIQUES » d’hui, ils doivent payer. »
M. Ricketts relativise cependant
PETER RICKETTS l’ampleur de l’affaire, estimant qu’il
ancien conseiller à la est improbable que cet homme,
sécurité de David Cameron simple officier de sécurité, ait eu
accès à des documents classés confi­
dentiels. « Il faut mettre les choses en perspective. Ce n’est pas
une violation majeure de données, comme cela a pu être le cas
avec Edward Snowden, par exemple. » L’inquiétude tourne
plutôt autour de la sécurité de l’ambassade du Royaume­Uni
elle­même. Le gardien aurait pu révéler les mesures de protec­
tion du bâtiment, par exemple.
David Clark, qui était conseiller de l’ancien ministre des af­
faires étrangères travailliste Robin Cook, au début des années
2000, ne partage pas cette opinion rassurante. « Il serait faux
de penser qu’il n’avait pas d’accès simplement parce qu’il était
en bas de la hiérarchie, explique­t­il au Guardian. Si vous
pouvez accéder à la personne qui broie les documents ou que
vous pouvez recruter la personne qui vide les poubelles, vous
pouvez obtenir des documents. »
Le procès du suspect devrait avoir lieu en Allemagne plutôt
qu’au Royaume­Uni, les faits s’étant déroulés dans ce pays.
« Actuellement, ce sont les Allemands qui gèrent », a expliqué
Cressida Dick. 
éric albert (londres, correspondance)

Les liaisons contrariées de Biden avec l’Ukraine C HINE

Pékin refuse
une nouvelle enquête
de l’OMS
Le compromis américain sur le gazoduc russe Nord Stream 2 pèse sur la relation entre les deux présidents La Chine a rejeté vendredi
13 août la demande de l’Orga­
nisation mondiale de la santé
(OMS) d’une nouvelle enquête

A près six mois de tentati­

ves infructueuses, le pré­
sident ukrainien, Volody­
myr Zelensky, a finalement ob­
tenu une audience, le 30 août, à
Washington, auprès de son ho­
mologue américain, Joe Biden. La
Maison Blanche n’a accordé son
invitation qu’après avoir trouvé
un terrain d’entente avec Berlin,
pour lever les sanctions américai­
nes contre le gazoduc russe Nord
Stream 2. Un soufflet diplomati­
que pour Kiev, qui considère ce
projet russe comme hostile et
dangereux pour ses intérêts.
Selon M. Zelensky, le gazoduc,
qui contourne le territoire ukrai­
nien, représente une « grave
menace pour la sécurité » de son
pays. « Nord Stream 2 va priver
l’Ukraine de ses approvisionne­
ments en gaz, ce qui signifie
nous priver d’au moins 3 milliards
de dollars [2,5 milliards d’euros]
par an… Nous n’aurons rien à
verser à l’armée ukrainienne »,
affirmait le président ukrainien
devant un groupe de sénateurs
américains, le 2 juin.
Moscou nie toute dimension
politique au projet de gazoduc.
Mais le discours tenu à la télévi­
sion d’Etat russe présente par­
fois le projet sous un autre
jour. Une présentatrice vedette
déclarait ainsi en 2019 : « On
termine le Nord Stream 2, puis on
écrase l’Ukraine ! »
Aujourd’hui, la construction du
gazoduc, qui relie directement les
territoires russe et allemand en
traversant le lit de la mer Baltique,
est quasi achevée. M. Biden a jus­
tifié la levée des sanctions améri­
caines par « l’impossibilité » de
l’arrêter, ainsi que par le désir de
« réparer » les relations avec l’Alle­
magne, très attachée au projet en
raison de ses besoins gaziers. Sou­
cieuse toutefois de ménager Kiev,
la chancelière allemande, Angela
Merkel, a annoncé qu’elle se ren­
drait en Ukraine le 22 août pour y
rencontrer M. Zelensky.
M. Biden a choisi d’ignorer son
homologue ukrainien à plu­
sieurs reprises durant sa tournée
européenne, notamment lors du
sommet de l’OTAN. Kiev réclame
une intégration à l’Alliance mili­
taire transatlantique pour garan­
tir sa sécurité. « Biden voulait ré­
gler le problème du gazoduc
avant la visite de Zelensky, afin de
ne pas avoir affaire au sujet bila­
téral le plus irritant », analyse
Alyona Getmanchuk, directrice
du groupe de réflexion sur les af­
faires internationales New Eu­
rope Center, établi à Kiev.
Ce n’est pas le seul dossier « irri­
tant ». Durant la campagne prési­
dentielle américaine de 2020,
l’Ukraine a été au centre d’une
campagne de désinformation vi­
sant Joe Biden, à travers son fils
Hunter. Ce dernier était accusé
par Donald Trump, avec Rudy
Giulani, alors avocat de l’ex­prési­
dent à la manœuvre, de corrup­
tion lorsqu’il siégeait au conseil
d’administration de la compa­
gnie gazière ukrainienne Bu­
risma. A l’époque, Volodymyr Ze­
lensky avait paru empêtré malgré
lui dans cette affaire qui a laissé
des traces. Elle a, notamment,
rendu l’actuelle Maison Blanche
encore plus exigeante envers l’ad­
ministration ukrainienne sur les
questions de réforme, de gouver­
nance des entreprises publiques
et de lutte contre la corruption.
« Pas de lune de miel »
« Cette histoire a eu un impact
négatif sur l’instauration de la
confiance entre Kiev et l’adminis­
tration Biden, car elle a transformé
l’Ukraine en problème politique
interne aux Etats­Unis, et non en
problème de politique étrangère
américaine comme c’était le cas
auparavant. Biden ne veut certai­
nement pas être considéré comme
un homme politique ayant un
conflit d’intérêts en Ukraine », sou­
ligne Mme Getmanchuk. « Ze­
lensky, contrairement à d’autres
dirigeants étrangers, n’a pas eu de
lune de miel avec l’administration
Biden, ajoute­t­elle. Au début, Bi­
den semblait même réticent à par­
ler à Zelensky au téléphone. »
De leur côté, les dirigeants
ukrainiens déplorent que la
question du Nord Stream 2 ait été
décidée dans leur dos. Mais ils ne
jettent pas l’éponge. La Fédéra­
tion ukrainienne des sociétés de
l’industrie pétrolière et gazière
vient de signer un contrat de
1,2 million de dollars avec le
cabinet d’avocats américain
Arent Fox pour des services
juridiques et de lobbying à
Washington, révèle le Kyiv Post le
5 août, s’appuyant sur des docu­
ments publiés par le ministère
de la justice américain. Un tout
récent rapprochement avec la
Chine est peut­être le signe que
Kiev cherche, aussi, un nouveau
levier sur Washington.
A l’initiative de M. Zelensky, le
président ukrainien a eu son
premier entretien téléphonique,
le 13 juillet, avec son homologue
chinois, Xi Jinping. Officielle­
ment pour des livraisons de
vaccins chinois. Pékin, de son
côté, a multiplié les efforts (le
plus souvent contrecarrés, sous
pression américaine) pour ac­
quérir des actifs dans le secteur
de l’aéronautique ukrainienne et
remporter des marchés publics
dans l’infrastructure.
De passage à Washington le
6 août, le ministre des affaires
étrangères ukrainien, Dmytro
Kuleba, a tenu à couper court aux
spéculations : « L’Ukraine ne se
tourne pas vers la Chine. Nous
faisons partie du monde occiden­
tal (…), mais le commerce avec
la Chine est une réalité objective,
et ce malgré la politique de prin­
cipe menée par les Etats­Unis à
l’égard de la Chine dans le do­
maine de la sécurité. »
M. Kuleba a demandé des
gestes forts de soutien à son
pays : « Il est temps pour les alliés
américains et européens de défi­
nir enfin une feuille de route claire
pour l’adhésion de l’Ukraine à
l’OTAN et à l’UE. »
« Zelensky attend évidemment
de Biden des propositions sur un
ensemble de garanties de sécurité
pour l’Ukraine. C’est devenu en­
core plus crucial pour l’Ukraine
après la décision sur Nord
Stream 2, qui est perçu dans le
pays avant tout comme une ques­
tion de sécurité. Dans un premier
temps, il pourrait s’agir de la
signature d’un accord­cadre de
défense stratégique bilatéral.
Zelensky pouvait également s’at­
tendre à ce que l’administration
Biden soit moins dogmatique sur
les réformes. L’Ukraine est sur la
bonne trajectoire même si elle
n’avance pas très vite », résume
Mme Getmanchuk.
Kiev et Washington n’ont clai­
rement pas les mêmes priorités,
car, pour la spécialiste, « Biden
semble convaincu que le principal
défi de sécurité pour Kiev est la
corruption, et non la Russie ». 
emmanuel grynszpan
sur son territoire afin de
rechercher les origines du
SARS­CoV­2. « Nous sommes
opposés à la politisation de la
recherche des origines (…) et à
l’abandon du rapport con­
joint [entre la Chine et l’OMS,
publié après la visite d’experts
internationaux en janvier] », a
fait savoir Ma Zhaoxu, vice­
ministre des affaires étrangè­
res. « Nous soutenons une re­
cherche basée sur la science »,
a­t­elle ajouté. – (AFP.)
C ANADA
Vers des élections
législatives anticipées
Au pouvoir depuis 2015, le
premier ministre canadien,
Justin Trudeau, s’apprête
à donner le coup d’envoi
d’une élection anticipée pour
un scrutin le 20 septembre,
malgré la menace d’une
quatrième vague de Covid­19.
Selon les médias locaux, il
devrait se rendre, dimanche
15 août, dans le bureau de la
gouverneure générale Mary
Simon pour lui demander de
dissoudre les Communes. Re­
conduit au pouvoir en octo­
bre 2019 pour son deuxième
mandat, Justin Trudeau, qui
dirige le Parti libéral – en tête
dans les sondages –, est, de­
puis, à la tête d’un gouverne­
ment minoritaire. – (AFP.)
 PLANÈTE
6|
Sur les traces 
de Kik le 
mammouth
Des chercheurs ont retracé
l’itinéraire d’un pachyderme
mort il y a dix­sept mille ans grâce
à l’autopsie de l’une de ses défenses
L
es chercheurs aiment
bien donner des petits
noms aux ancêtres dont
ils examinent les restes.
Il y avait Lucy, l’australopithè­
que, Ötzi, l’homme des glaces,
voici désormais Kik le mam­
mouth laineux. Kik parce que ses
défenses et un morceau de son
crâne ont été découverts près de
la rivière Kikiakrorak, dans l’ex­
trême nord­ouest de l’Alaska, il y
a une dizaine d’années.
Le pachyderme n’avait pas pour
autant emporté ses secrets dans
la mort car, à dix­sept millénaires
de distance, une équipe interna­
tionale de scientifiques a accom­
pli la prouesse de retracer ses
pérégrinations lointaines, dans
une étude qui fait la couverture
du numéro de Science daté du
13 août. Un travail qui lève le voile
sur le mode de vie finalement
peu connu de cet animal emblé­
matique de la préhistoire, dont
l’espèce est aujourd’hui éteinte.
Kik ne tenait évidemment pas
de journal de bord mais il possé­
dait une sorte de balise Argos in­
terne, et tout le mérite de cette
étude a consisté à la faire parler. Il
faut faire un petit détour par la
technique pour mieux saisir la
saveur de cet article et l’ampleur
de la tâche effectuée. Les cher­
cheurs ont souhaité s’appuyer
sur ce que l’on appelle des analy­
ses isotopiques. Les isotopes dési­
gnent des formes différentes d’un
même élément chimique, qui ne
Sur la Côte d’Opale, la lutte contre l’érosion influe sur la biodiversité
Dans la baie de Wissant, une digue, construite pour enrayer le recul du trait de côte, pourrait affecter l’environnement et les espèces locales
P lus de 300 mètres : voilà ce
que la mer a, en l’espace de
soixante­dix ans, grignoté
par endroits dans la baie de Wis­
sant, sur la Côte d’Opale (Pas­de­
Calais). Cet espace naturel, bordé
de dunes et classé Grand Site de
France, qui s’étend sur une dou­
zaine de kilomètres au sud de
Calais, subit de plein fouet l’éro­
sion. Le recul du trait de côte, qui
s’explique en partie par le réchauf­
fement climatique, de 4 à 5 mètres
en moyenne chaque année, y est
l’un des plus rapides du littoral
français. Selon les données dispo­
nibles sur le portail gouverne­
mental GéoLittoral, près de 20 %
du trait de côte naturel est en recul
à l’échelle nationale, et environ
30 km2 de terres ont disparu en
l’espace de cinquante ans au ni­
veau des secteurs en recul.
Au centre de cette baie, derrière
un cordon dunaire désormais
très réduit, se trouvent le marais
de Tardinghen – un réservoir de
biodiversité inscrit à l’inventaire
national du patrimoine naturel
pour son intérêt écologique, fau­
nistique et floristique – et quel­
ques habitations. L’érosion me­
nace l’ensemble. Dans un dossier
envoyé en novembre 2020 à ses
administrés, le maire de la com­
mune, Thibaut Segard, assurait
comportent pas le même nombre
de neutrons dans leur noyau.
Ainsi, parmi les divers isotopes
du strontium, deux sont fort inté­
ressants – le 86 et le 87 – car le
ratio entre les deux varie sensi­
blement selon les régions. « Il dé­
pend du type de géologie qu’on a
sous ses pieds, explique le Fran­
çais Clément Bataille, professeur
adjoint à l’université d’Ottawa et
coauteur de l’étude de Science.
Chaque région a une géologie dif­
férente, des roches différentes et
des âges de roches différents. Le
strontium contenu dans les roches
est transmis au sol, puis aux plan­
tes qui y poussent, puis aux ani­
maux qui les mangent. »
Cartographie isotopique
Cet élément se fixe dans les par­
ties minéralisées du corps (os,
dents) et, comme les défenses
des éléphantidés ont la bonne
idée de pousser de manière con­
tinue tout au long de leur vie
(5 à 6 centimètres par an dans le
cas du mammouth laineux), il
est possible de retracer les allées
et venues de leur propriétaire
tout au long de son existence. A
deux conditions toutefois :
primo, de disposer de bonnes
cartes des ratios isotopiques et,
secundo, de pouvoir extraire très
finement les ratios du strontium
des défenses. Géologue et spécia­
liste des sciences de l’environne­
ment, Clément Bataille a levé la
première exigence en établissant
que, « sans aménagement », le
marais « deviendra[it] la plage
entre maintenant et cinq ans au
maximum ». Il évoquait aussi les
habitations « en sursis » et présen­
tait sa « solution provisoire » pour
« retarder au maximum l’entrée de
l’eau de mer » dans la zone : la
pose, devant la dune, d’un li­
néaire de défense. Fin juin, mis­
sion accomplie : les 500 mètres de
modules de bois sont là, remplis
de sable et de galets, alignés le
long de la dune sur des hauts de
plage préalablement terrassés.
Pourtant, si le dossier d’aména­
gement, financé par la commu­
nauté de communes de La Terre
des 2 Caps, a reçu un avis favora­
ble des services de l’Etat, le dispo­
sitif ne fait pas l’unanimité. « On
est sur un site Natura 2000, c’est­
à­dire une zone de protection spé­
ciale pour les oiseaux », pointe
Nathan Legroux, chargé d’études
faune au sein du Groupe ornitho­
logique et naturaliste (GON) du
Nord ­ Pas­de­Calais. La doctrine
« éviter, réduire et compenser
l’impact sur l’environnement »
doit donc – ici encore plus
qu’ailleurs – y être appliquée, ce
qui implique en premier lieu
d’« éviter d’intervenir en période
de nidification sur des sites d’im­
portance », fait­il valoir.
Analyse des défenses de Kik le mammouth dans un laboratoire de l’université d’Alaska. JR ANCHETA
une cartographie isotopique à
partir du strontium mesuré dans
des os et des dents de rongeurs
– qui se déplacent très peu – par­
tout en Alaska.
Pour satisfaire à la seconde
condition, il a fallu autopsier une
des défenses de Kik. Celle­ci a
été sciée en deux dans le sens de
la longueur, exactement comme
on ouvre un concombre. Une
opération rendue complexe par
la forme courbe de la dent. Une
fois cette étape passée, les
chercheurs ont effectué, par
ablation laser, une myriade de
mini­prélèvements à l’intérieur
de cette défense. Réduits en pou­
dre, ils étaient aussitôt analysés
dans un appareil appelé spectro­
mètre de masse, qui séparait le
strontium 86 de son frère 87.
Quelque 340 000 mesures ont
ainsi été réalisées, dont l’analyse
a pris un an, qui permettent de
suivre Kik en Alaska, semaine
après semaine, de son enfance à
sa mort, il y a 17 100 ans.
« On ne savait rien sur les dépla­
cements des mammouths, recon­
naît Clément Bataille. On partait
d’une feuille blanche. La chose qui
L’association s’inquiète notam­
ment pour le grand gravelot, es­
pèce protégée qui compte seule­
ment de « 100 à 150 nids » au ni­
veau national. Ce petit limicole
tout en rondeurs, qu’on voit par­
fois sur la plage trottinant à vive
allure à la recherche de nourriture,
a en effet élu domicile dans la baie.
Au moins deux nids cette année,
rapporte Nathan Legroux, soulagé
de constater que les travaux n’ont
pas conduit à leur destruction.
Mais la proximité de la nouvelle
digue, à « une centaine de mètres »
tout au plus du site de nidification,
l’inquiète : comment la zone va­t­
elle évoluer ? Les grandes marées
vont­elles creuser les pourtours de
la digue et endommager le site de
nidification, déjà exposé au déran­
gement et au piétinement ? Sans
La situation du
grand gravelot,
qui compte
seulement de
« 100 à 150 nids »
au niveau
national, suscite
l’inquiétude
nous a le plus surpris, c’est la taille
de l’aire : il se déplace sur un terri­
toire gigantesque puisqu’on le
suit sur quasiment toute la lon­
gueur de l’Alaska. »
Les voyages de Kik n’ont pas la
même amplitude ni les mêmes
destinations pendant les diffé­
rentes phases de sa vie. Pendant
sa jeunesse, il se cantonne avant
tout dans le bassin du fleuve
Yukon, vers ce qui est
actuellement le détroit de Béring
(qui n’existait pas lors de cette
époque glaciaire où l’on passait à
pied sec de Sibérie en Alaska). En
se basant sur les mœurs des élé­
phants actuels, qui vivent dans
des sociétés matriarcales où les
femelles d’une même famille se
déplacent ensemble avec leur
progéniture, il est probable qu’il
vivait en troupeau.
Mort à 28 ans
Tout change lorsque Kik a 16 ans.
Ses déplacements prennent de
l’ampleur et il n’hésite pas à s’en­
foncer dans le cœur de l’Alaska,
voire à remonter jusqu’à l’océan
Arctique. « Il peut parcourir
700 kilomètres d’un coup, note
compter que les modules vont
empêcher la formation de nou­
veaux bancs de galets, propices à
la nidification, et « très rares » dans
le Nord et le Pas­de­Calais.
Nathan Legroux regrette par
ailleurs qu’aucune étude d’im­
pact sur l’environnement n’ait
été menée avant le déploiement
d’un « projet d’une telle ampleur
sur une zone Natura 2000 », esti­
mant que, outre le gravelot,
d’autres espèces ont potentielle­
ment pu être affectées. Sollicité à
plusieurs reprises par Le Monde
au cours du mois de juillet, le
maire de Tardinghen n’a pas sou­
haité s’exprimer sur ce sujet.
« Pas d’infraction »
A l’Office français de la biodiver­
sité (OFB), Paul­Emilien Toucry,
adjoint au chef de service départe­
mental du Pas­de­Calais, confirme
qu’il n’y a pas eu dans ce projet de
« dépôt de demande pour évaluer
officiellement » l’impact potentiel
sur la biodiversité. Mais « il y a eu
des précautions de prises », note­
t­il, ajoutant que le maire lui avait
assuré avoir « pris des mesures
pour rester à distance des espèces
qui avaient été identifiées ».
La police de l’environnement,
qui s’est rendue sur place à deux
reprises en juin, n’a en effet « pas
« Il pouvait
parcourir 700 km
d’un coup, ce qui
est surprenant
pour un animal
aussi énorme »
CLÉMENT BATAILLE
géologue
Clément Bataille, ce qui est sur­
prenant pour un animal aussi
énorme. Il faut un stimulus
puissant pour cela, peut­être un
stimulus de reproduction mais
cela peut aussi être dû à des
questions de ressources alimen­
taires. » Lorsque les éléphants
mâles atteignent l’âge adulte, ils
sont rejetés du troupeau, vivent
souvent en solitaires et sont en
général bien plus mobiles que les
femelles. Les données recueillies
avec Kik pourraient indiquer un
comportement analogue chez
les mammouths.
Ceux­ci devaient avoir une lon­
gévité d’une soixante d’années,
constaté d’infraction en ce qui
concerne l’aspect espèces proté­
gées ». Car, même s’il est « évident
que la zone où ont été implantés
les modules aurait pu devenir une
zone potentielle de nidification
pour le grand gravelot », la régle­
mentation ne permet de proté­
ger que les « zones qui sont effecti­
vement de l’habitat d’espèces pro­
tégées » ou d’empêcher « des at­
teintes directes » à ces espèces,
rappelle M. Toucry. Toutefois,
dans le cadre de démarches com­
plémentaires liées à l’occupation
du site, l’OFB « va quand même
évaluer s’il n’aurait pas été néces­
saire de déposer un dossier au
préalable, dans lequel il y aurait
eu une évaluation de l’impact des
travaux sur l’habitat ou la proxi­
mité des espèces protégées ».
Le Conservatoire du littoral, qui
possède et assure la protection de
quelques centaines d’hectares
dans la baie – dont une partie du
marais de Tardinghen –, a pour sa
part rendu un avis favorable à la
réalisation de l’ouvrage, rapporte
Mélanie Calcoen, chargée de mis­
sion travaux à la délégation
Manche­Mer du Nord. Ce feu vert
a été accordé « à la condition que
ces modules bois soient installés de
manière temporaire », précise­t­
elle, évoquant des réserves émises
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
voire davantage. Mais Kik est
mort à seulement 28 ans, en
pleine fleur de l’âge. Un été, il
s’est aventuré à l’extrême nord­
ouest de l’Alaska, au­delà de la
chaîne montagneuse des Brooks,
comme il l’avait déjà fait aupara­
vant. Mais, contrairement aux
autres fois, il y est resté pendant
tout l’hiver, sans doute dans des
conditions météorologiques ter­
ribles. « Dans la défense, on voit
un déséquilibre de l’azote qui
monte très vite, ce qui indique
qu’il est sous­nourri, explique
Clément Bataille. Après avoir
épuisé ses graisses, il se met à
consommer ses propres protéi­
nes » pour tirer de l’énergie.
Que s’est­il passé ? Kik a­t­il été
blessé, malade, coincé au
septentrion, au­delà du cercle
arctique ? Il survit encore un an,
en se déplaçant peu, et succombe
à la fin de l’hiver suivant. « A force
de travailler sur ses données, con­
clut le chercheur français, j’avais
fini par vivre un peu avec lui et
j’étais triste de le voir rester dans
le Nord. J’avais envie de lui dire
“Reviens !”. » 
pierre barthélémy
en matière d’« intégration paysa­
gère ». « Le Conservatoire du littoral
promeut la naturalité des systèmes
défensifs en évitant les modes de
protection “durs” et incite à recher­
cher des solutions fondées sur la
nature et la renaturation, plus du­
rables », rappelle la responsable.
Xavier Douard, chargé de mis­
sion pour le site des Caps chez
Eden 62, le syndicat mixte qui
gère les terrains du Conservatoire
du littoral, estime quant à lui
improbable que le linéaire de dé­
fense « contribue à préserver la
biodiversité du marais », puisqu’il
ne « garantit pas, sur le moyen
terme, la pérennité du cordon
dunaire », la mer pouvant passer
sur les côtés, voire au­dessus en
cas de tempête. Mais, pour le res­
ponsable, l’arrivée d’eau de mer
dans le marais ne serait « pas inin­
téressante » d’un point de vue éco­
logique : « Aujourd’hui, on a une
biodiversité liée à un marais d’eau
douce ; demain, s’il y a des intru­
sions marines, on aura un système
lagunaire qui va se mettre en place
avec une transformation des habi­
tats, mais aussi l’arrivée d’autres
espèces ». Un avis partagé par
Nathan Legroux, pour qui le site
deviendrait alors « absolument
exceptionnel pour les limicoles ». 
sylvie burnouf
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
Une algue toxique sème le trouble au Pays basque
« Ostreopsis siamensis » cause maux de gorge, toux et irritations cutanées. Les plages sont sous surveillance
L
es plages du Pays basque
vont rester sous haute
surveillance tout l’été :
des campagnes de prélè­
vement et d’analyses d’eau de
mer sont programmées jusqu’à
fin septembre afin d’y détecter
l’éventuel retour de micro­orga­
nismes toxiques. Le 8 août, Biar­
ritz, Saint­Jean­de­Luz et Bidart
ont dû interdire l’accès des leurs
aux baigneurs, car une semaine
plus tôt des surfeurs avaient si­
gnalé la présence d’algues déga­
geant une forte odeur nauséa­
bonde. Certains d’entre eux se
plaignaient de maux de gorge, de
nez et d’yeux qui coulent, de toux,
voire de fièvre, ainsi que d’irrita­
tions cutanées. Les jours suivants,
un riverain et plusieurs maîtres­
nageurs sauveteurs ont rapporté
à leur tour des symptômes simi­
laires, tandis que des efflorescen­
ces beiges et moussues sont appa­
rues à la surface de l’eau.
La préfecture des Pyrénées­At­
lantiques et l’agence régionale de
santé de Nouvelle­Aquitaine ont
néanmoins autorisé la réouver­
ture, dès le lundi 9 août, d’une
part parce qu’aucun cas grave n’a
été signalé, d’autre part parce que
la microalgue repérée s’est révé­
lée ne pas être exactement celle
que les autorités redoutaient
dans un premier temps.
Des analyses du laboratoire en­
vironnement de l’Institut fran­
çais de recherche pour l’exploita­
tion de la mer (Ifremer), sis à An­
glet (Pyrénées­Atlantiques), ont
bien confirmé une nette concen­
tration de phytoplancton du
genre Ostreopsis devant la côte
basque, originaire des eaux chau­
des des Caraïbes. Mais il s’agit fi­
nalement de Ostreopsis siamen­
sis, un dinoflagellé a priori moins
toxique que Ostreopsis ovata, l’es­
pèce initialement soupçonnée.
Cette dernière est connue pour
causer de fortes fièvres et des dé­
tresses respiratoires sévères. Tous
deux produisent une toxine ana­
logue à la redoutable palytoxine –
un poison qui peut être mortel –,
mais à dose nettement plus faible.
Les symptômes observés sur les
côtes françaises restent bénins et
disparaissent rapidement.
Voilà pour la relative bonne
nouvelle. Cependant, l’épisode
actuel ne paraît pas de très bon
Les symptômes
observés sur les
côtes françaises
restent bénins
et disparaissent
rapidement
I NT E M P É RI E S
Nouvel épisode de pluies
diluviennes en Chine
Des pluies torrentielles surve­
nues dans le centre de la
Chine ont fait au moins
21 morts, a annoncé, ven­
dredi 13 août, la télévision pu­
blique, après des inondations
dévastatrices au mois de
juillet, qui avaient déjà tué
plus de 300 personnes. Les
intempéries dans la province
du Hubei ont provoqué des
glissements de terrain, dé­
truit des centaines d’habita­
tions et entraîné l’évacuation
de près de 6 000 personnes,
selon le bureau provincial de
gestion des situations d’ur­
gence. D’énormes précipita­
tions, jamais vues en six dé­
cennies, avaient frappé, le
20 juillet, le centre du pays,
engloutissant notamment
une partie du métro de la
métropole de Zhengzhou.
En trois jours, il était tombé
l’équivalent de près d’une
année de pluie. – (AFP.)
planète | 7
augure : nouvelle venue au Pays désormais surveillée de l’Italie à dans une eau calme par temps de dans lesquels environ deux cents
basque, la microalgue Ostreopsis l’Espagne, et a donné lieu à plu­ grosse chaleur », observe­t­elle. La
L’augmentation algues sont impliquées.
siamensis est­elle en train de se sieurs interdictions de baignade, question du rôle du changement des températures Les experts n’ont pas trouvé de
concentrer de manière durable, des Alpes­Maritimes aux Bou­ climatique dans l’émergence des preuve suffisante pour conclure
au risque de présenter des ris­ ches­du­Rhône. microalgues tropicales nuisibles
favorise à l’augmentation générale et uni­
ques sanitaires répétés ? « Nous Cette nouvelle donne s’est rapi­ en Europe se pose évidemment. la prolifération forme de leur fréquence et de
devons l’étudier pour savoir si elle dement imposée chez les usagers leur distribution sous l’effet du
est en train de s’acclimater à la de la mer. La fondation Surfrider « Phénomène multifactoriel »
d’algues changement climatique, contrai­
côte Atlantique, assure Amzil Europe l’a intégrée dans son ré­ En 2019, dans leur rapport spécial planctoniques rement à une idée répandue.
Zouher, responsable du labora­ seau de surveillance des spots fré­ sur l’océan et la cryosphère, les ex­ Toutefois, ils constatent que cer­
toire phycotoxines de l’Ifremer à quentés par les adeptes des sports perts du Groupe d’experts inter­ taines toxines ont particulière­
Nantes. On trouve peu de choses à nautiques dès 2010. « Au début, gouvernemental sur l’évolution blié pour la première fois les ré­ ment prospéré : celles responsa­
son sujet dans la littérature scien­ nous faisions nous­mêmes des du climat soulignaient que l’aug­ sultats de sept ans de travaux sur bles d’intoxication diarrhéique
tifique, même si elle a déjà été re­ prélèvements pour faire procéder mentation des températures, qui les efflorescences d’algues nuisi­ pour avoir consommé des mol­
pérée en Catalogne et au Maroc. » à des analyses, puis les pouvoirs réduit la solubilité de l’oxygène bles. Les chercheurs ont analysé lusques contaminés ont quadru­
Dans les Pyrénées­Atlantiques publics s’en sont chargés, témoi­ dans l’eau, favorise certes l’eutro­ les milliers d’événements surve­ plé ; celles entraînant l’amnésie
aussi, sa présence a été signalée gne Sara Hatimi, responsable du phisation et la prolifération d’al­ nus entre 1985 et 2018. ont été multipliées par sept ; les
en 2018, en quantité trop faible projet qualité de l’eau en Méditer­ gues planctoniques, mais avec le Désormais, des bases de don­ paralysants, par six.
pour avoir des conséquences chez ranée au sein de Surfrider. Nous renfort des apports massifs nées recensent les mortalités de De surcroît, ils évoquent des
les humains, puis en septem­ avons conçu un livret pédagogi­ d’azote et de phosphore venus de mammifères marins, de pois­ « tendances contrastées » dans le
bre 2020, à Hendaye, où quelques que décrivant le goût métallique la terre. « Le phénomène est sans sons, de mollusques, des épisodes monde, qu’ils ont partagé en
baigneurs avaient déjà été incom­ typique Ostreopsis ovata et préve­ doute multifactoriel. Le change­ d’afflux de « morve de mer », de neuf régions, parmi lesquelles
modés, rapporte le chercheur. nant le public de ses effets. A notre ment climatique y a sa part », ré­ coloration de l’eau et, bien sûr, six ont enregistré « une tendance
Son équipe s’est donc fait livrer connaissance, il n’y a jamais eu de pond sobrement Amzil Zouher, d’impacts sur la santé humaine significativement en hausse du
des échantillons afin de mener décès. » Sara Hatimi a été surprise depuis son laboratoire de Nantes. par ingestion, voire par simple in­ nombre d’événements », notam­
des observations approfondies par la fermeture des plages au Le 8 juin, sous la houlette de halation ou contact de la peau : ment en Europe ainsi qu’en Mé­
mêlant étude au microscope élec­ Pays basque. « En Méditerranée, l’Unesco, la Commission océani­ diarrhée, atteintes respiratoires et diterranée. 
tronique, séquençage ADN et ana­ les blooms se produisent plutôt que intergouvernementale a pu­ neurologiques parfois mortelles, martine valo
lyses chimiques. Objectif : mesu­
rer l’impact de cet organisme sur
le reste de la faune marine. L’Ifre­
mer pourrait rendre un diagnos­
tic d’ici à fin 2021.
Mortalité d’oursins
Les scientifiques savent déjà que
le phytoplancton du genre Os­
treopsis est composé d’espèces
benthiques. Ces organismes se
développent au fond des mers sur
plusieurs variétés de macroal­
gues sur lesquelles ils se fixent
grâce à un mucus – les nappes
mousseuses que l’on a pu obser­
ver près du rivage basque. Lors­
qu’il y a une forme de saturation,
il leur arrive d’être poussés par un
coup de vent dans la colonne
d’eau et de se retrouver en surface
dans des fleurs d’eau ou dans l’air.
Leurs toxines peuvent alors être
transportées en aérosol et attein­
dre les promeneurs.
« Nous observons le comporte­
ment de Ostreopsis ovata en Médi­
terranée depuis longtemps, ex­
pose Amzil Zouher. Cette microal­
gue y est présente depuis les an­
nées 1970, mais en concentration
faible. Et puis, en 2005, dans le
golfe de Gênes, en Italie, une efflo­
rescence a contaminé des em­
bruns marins : près de deux cents
personnes ont ressenti des syndro­
mes respiratoires fébriles. Une
vingtaine a été hospitalisée. »
Depuis lors, d’autres blooms
sont survenus sur le littoral fran­
çais jusqu’au large de Marseille,
provoquant des irritations cuta­
nées et des muqueuses chez des
“
plongeurs sous­marins notam­
ment, et causant par ailleurs des
mortalités d’oursins. La présence
récurrente de l’algue nuisible est
Au nom de la France, le patrimoine niçois, né de l’invention
du tourisme, figure désormais parmi les 49 sites français inscrits
par l’UNESCO au patrimoine mondial. Cette inscription couronne
I N CE N D I E S douze ans de démolition de béton hideux, de verdissement et
Les feux en voie d’être de requalification de nos espaces publics, de restauration des
maîtrisés en Grèce
Les violents incendies qui ont bâtiments les plus emblématiques de deux siècles d’histoire (1760-1939).
ravagé plus de 100 000 hecta­ Par leur qualité, leur quantité, leur diversité, leur originalité,
res en Grèce depuis la fin
juillet sont maîtrisés, a as­
comme par l’identité de leurs commanditaires et de leurs créateurs,
suré, vendredi 13 août, un politiques célèbres, entrepreneurs inventifs, créateurs audacieux,
porte­parole des pompiers, venus de toutes les cultures de la planète, ces bâtiments, ces jardins,
à la faveur des précipitations
tombées sur plusieurs ré­ ces espaces sont à la fois l’âme de Nice et désormais
gions et de la chute des tem­ une part de celle de l’humanité tout entière. Les préserver,
pératures. Les équipes de les valoriser, vous les faire partager sera notre bonheur.
”
pompiers restent toutefois
en alerte face aux risques de
résurgence sur l’île d’Eubée,
Christian Estrosi Jean-Jacques Aillagon
frappée la plus durement par Maire de Nice Ancien Ministre
ces feux, et dans la région Président de la Métropole Président de la Mission
Ville de Nice - PM/LM/JH - © iStock - VDN - 08/21
d’Arcadie, sur la péninsule du Nice Côte d’Azur Nice Patrimoine Mondial
Péloponnèse. Des centaines
d’habitations et de petites en­
treprises ont été détruites du­
rant ces incendies provoqués
par des températures canicu­
laires. Le premier ministre,
Kyriakos Mitsotakis, a évoqué
une catastrophe environne­
mentale sans précédent, qu’il
a directement reliée au chan­
gement climatique. – (AFP.)
8 | planète & économie
URBANISME
Paris face aux défis
du changement
climatique
L’Atelier parisien d’urbanisme a dressé un état
des lieux complet de la capitale en 2020.
L’analyse des données environnementales
permettra d’adapter le nouveau plan local
d’urbanisme aux enjeux du réchauffement
T
oute révision du plan local d’ur-
banisme (PLU) a son lot de figu-
res imposées. Le portrait de la
capitale apparu depuis quelques
semaines sur le site de l’Atelier
parisien d’urbanisme (APUR)
sous la forme d’une bibliothèque d’une cen-
taine de cartes et graphiques, est de celles-là. Il
s’agissait de dresser un état des lieux du terri-
toire avant d’écrire la nouvelle règle, promise
d’ici à 2024, qui devra dire comment cons-
truire et aménager Paris pour que la ville
émette le moins de dioxyde de carbone possi-
ble (le bâtiment est responsable de 25 % des
émissions de gaz à effet de serre) et reste viva-
ble malgré le réchauffement planétaire.
Le résultat de l’immense travail documen-
taire mené par l’agence d’urbanisme est
d’abord une photo complète de Paris et de
ses habitants, prise en 2020, et accessible au
plus grand nombre. Pour la première fois, en
effet, le diagnostic territorial est publié en
ligne, et non pas uniquement disponible en
version papier dans les mairies d’arrondisse-
ments, comme c’était le cas lors de la der-
nière révision du PLU, en 2006. Une époque
où l’open data (les données ouvertes) com-
mençait à peine à être théorisé.
THÉMATIQUES DEVENUES CRUCIALES
Chacun peut donc à loisir plonger dans ces
cartes, zoomables à la parcelle, et ausculter
la capitale sous tous ses angles, à travers l’un
des multiples prismes proposés (la densité,
les revenus, le type d’habitat, la présence de
commerces, le nombre de lieux d’innova-
tion, les rues les plus sonores, etc.), à l’échelle
d’un arrondissement, d’un quartier, d’une
rue, et même d’une cour d’immeuble. Les
grandes transformations de la ville au cours
des quinze dernières années sont aussi
représentées : l’apparition du tramway sur
les boulevards des maréchaux, le réaména-
gement des grandes avenues, la création des
VILLE DE PARIS La végétalisation de la capitale, un enjeu de rafraîchissement
POPULATION (2021) : 2 142 366 hab.
SUPERFICIE : 105,4 km2
LOGEMENTS SOCIAUX (2020) : 21,9 %
Estimations Insee
67 % des bâtiments ont été
construits avant 1914
1,38 million de logements, dont
1,14 million en résidence principale
32 % des emplois d'Île-de-France,
18 % des habitants
pour seulement 1 % de la surface
Cartographie Le Monde :
Mathilde Costil, Sylvie Gittus-Pourrias,
Véronique Malécot et Victor Simonnet
Sources : Diagnostic territorial
du Plan local d’Urbanisme, 2021, APUR
quartiers Chapelle international et Rosa
Parks, au nord, la fermeture des quais sur la
rive droite de la Seine, pour ne citer qu’elles.
Cet état des lieux met aussi l’accent sur des
thématiques environnementales jusqu’alors
reléguées au second plan, voire inexplorées,
mais devenues aujourd’hui cruciales, les
experts du groupe intergouvernemental sur
l’évolution du climat l’ayant encore rappelé,
ce lundi 9 août. Quand la dernière refonte du
PLU, voulue par l’équipe de l’ancien maire
(2001-2014) Bertrand Delanoë au début des
années 2000, insistait sur la résorption de
l’habitat insalubre, la création de logements
sociaux, le rééquilibrage entre l’est et l’ouest
de la capitale, c’est la crise climatique qui sert
aujourd’hui de fil rouge.
Une série de cartes, jusqu’alors peu con-
nues, permet de nourrir la réflexion et d’ali-
menter les échanges qui auront lieu cet
automne lorsque sera présenté puis débattu
le projet politique du PLU : le projet d’aména-
gement et de développement durable, le
PADD. Ainsi, par exemple, la modélisation
des effets d’îlots de chaleur urbains fait res-
sortir les lieux où les températures peuvent
être beaucoup plus élevées en été (avec des
différences atteignant 8 0C à 10 0C) car ces
espaces sont, notamment, beaucoup trop
minéraux. Ce sujet est étudié depuis plu-
sieurs années par l’APUR, mais il prend toute
son importance à mesure que les étés cani-
culaires deviennent la norme et non plus
l’exception. Or, savoir quels quartiers sont
les plus concernés (les moins végétalisés) ou
quel type de rues (là où, par exemple, pas-
sent les tuyaux du réseau de chaleur urbain)
permet de réfléchir aux remèdes.
Par un phénomène d’évapotranspiration,
les végétaux rafraîchissent l’air et peuvent
diminuer ces effets de chaleur. Encore faut-il
qu’ils soient suffisamment nombreux et
développés. « On a fait comme on a pu pour
mettre du vert dans une ville très bâtie.
Plantations le long
des voies déjà existantes
et à reconstituer
Voies où il existe
un potentiel de plantation
Taux de végétation,
à l'îlot, inférieur à 20 %
1 km
Lors des pics de chaleur, des écarts de température
très importants dans la capitale
Les climats des villes sont plus chauds que ceux
des zones naturelles environnantes. Cette différence
est modélisée par les îlots de chaleur urbains (ICU).
Plusieurs facteurs peuvent les expliquer : minéralisation
des sols, forme des bâtiments, activités humaines sources
d'émissions de chaleur... Lorsque ces éléments se cumulent,
l'ICU est marqué. A l'inverse, la présence de végétation
ou de sources d'eau permet un rafraîchissement
et de modérer l'ICU.
Modélisation
de l’îlot de chaleur urbain
en début de soirée, le 15 août 2015
plus frais plus chaud
1 km
Le soutien des jardins
privés arborés
Les jardins des hôtels particuliers,
ou encore ceux très arborés
de certains ministères, comme l’hôtel
Matignon (7e arrondissement),
contribuent au rafraîchissement
des alentours. Préserver
et renforcer les espaces de pleine terre
à la parcelle est un des enjeux
de la révision du PLU.
Aujourd’hui, comment fait-on le pas de plus ?
LA DERNIÈRE Au sol, sur les toits, sur les espaces publics ? On
REFONTE DU PLAN bâtit différemment ? » : toutes ces questions
que soulèvent Christiane Blancot et Paul
INSISTAIT SUR Baroin, architectes et directeurs des études à
l’APUR, sont celles auxquelles la nouvelle rè-
L’HABITAT INSALUBRE gle d’urbanisme devra répondre.
OU LA CRÉATION DE « RENFORCER LA NATURE »
LOGEMENTS SOCIAUX. Désimperméabiliser la ville, préserver et
favoriser les créations de parcelles de pleine
AUJOURD’HUI, terre, est aussi un des gros sujets du futur
PLU. Les sols sans asphalte tempèrent davan-
C’EST LA CRISE tage, favorisent le développement de la
CLIMATIQUE QUI SERT biodiversité, et allègent la pression sur les
réseaux d’assainissement puisque les eaux
DE FIL ROUGE de pluie s’y infiltrent. Or, la carte pointilliste
des sols perméables rappelle que ces der-
niers ne représentent, hors bois, qu’à peine
5 % des espaces publics parisiens, et 1,26 % de
la superficie totale de la capitale. « La règle
actuelle définit le nombre de mètres carrés
qu’il est possible de construire sur chaque
adjoint de la maire de Paris : « La végétalisation
« d’atteindre 40 % de son territoire perméables
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
Des avenues plus ou moins
chaudes selon leur orientation
Certaines grandes avenues, orientées
est-ouest, sont très sensibles à l’effet
d’îlot de chaleur urbain comme
l’avenue de la Grande-Armée, l’avenue
des Ternes ou encore le boulevard
Bessières. Les arbres ne suffisent
pas à protéger les trottoirs nord,
très exposés en journée.
Bois
de Boulogne
XVIe
Le rôle amplificateur
des conduites d’eau chaude
Certaines rues, comme la rue Cabanis
ou la rue d’Alésia (notamment
sur son tronçon ouest),
dans le 14e arrondissement, ne sont pas
très ensoleillées, mais la présence,
sous les trottoirs, de conduites
du réseau de chauffage, qui alimente
les immeubles en eau chaude,
augmente la température environnante.
parcelle. Le nouveau PLU sera beaucoup plus
exigeant, poursuit l’architecte Paul Baroin. Il
devra aborder la question de la gestion des
eaux, celle de la manière dont on renforce la
nature pour ce qu’elle rend comme service,
comment on réduit la chaleur. »
Le sujet de la performance énergétique des
bâtiments sera pris en compte, la manière
dont ceux-ci fonctionnent, quelles sont la
nature et l’origine des matériaux, égale-
ment. La majorité municipale insiste beau-
coup, dans ses discours, depuis un an, sur le
recyclé, les circuits courts, le biosourcé (issu
du vivant), etc. Si l’enjeu d’adapter Paris au
changement climatique occupe le devant de
la scène, la future règle d’urbanisme devra
continuer à dire la manière dont la capitale
peut évoluer malgré le peu de foncier dispo-
nible, dire où les équipements publics ou les
logements sociaux peuvent s’implanter,
pour que chacun ait une place dans cette
ville promise comme plus respirable. p
emeline cazi
Renforcer la place du végétal sera l’un
des grands piliers du PLU « bioclimatique »,
a promis Emmanuel Grégoire, le premier
aura une part de centralité et non
une dimension accessoire. » L’Atelier parisien
d’urbanisme (APUR) a recensé les espaces
où pourraient être plantés de nouveaux
arbres dans l’idée de rafraîchir la ville, de
renforcer les corridors de biodiversité, mais
aussi d’embellir le paysage. Certaines avenues
pourraient retrouver leur double alignement
d’arbres, souvent disparu avec l’essor
de l’automobile. Aujourd’hui, 647 km de voies
sont plantées, soit 38 % des 1 700 km de
chaussée parisienne. La Ville ambitionne
et végétalisés d’ici à 2040
et d’augmenter de 2 %
l’indice de canopée [qui
mesure la part de la
projection au sol des
couronnes des arbres
sur une zone donnée]
d’ici à 2030 ».
 FRANCE
0123
10 | SAMEDI 14 AOÛT 2021

PRÉSIDENTIELLE  2022

A droite, vacances 
studieuses
pour éviter une
rentrée fratricide
Désigné, fin juin, pour trouver un moyen
de départager les candidats, le maire
d’Antibes, Jean Leonetti, tente de rallier tous
les prétendants à une primaire commune

U
n été décisif. Requinquée
par ses victoires aux élec­
tions régionales et départe­
mentales de juin, la droite
veut croire qu’il est possible
de desserrer l’étau entre le
président de la République, Emmanuel
Macron, et la présidente du Rassemblement
national, Marine Le Pen, si elle parvient à se
rassembler derrière un candidat unique. A ce
stade, aucun des présidentiables issus des
rangs du parti Les Républicains (LR) n’accé­
derait au second tour de l’élection en 2022,
selon les sondages. Mais, « sur le terrain, on
sent une perte de crédibilité de Le Pen et un re­
jet de Macron », observe le député des Alpes­
Maritimes Eric Ciotti, persuadé qu’il existe
désormais un « espace » pour la droite.
« Après, quand on demande qui et comment,
ça devient plus compliqué », soupire l’élu.
Trois candidats se trouvent d’ores et déjà
sur la ligne de départ. Le président de la ré­
gion des Hauts­de­France, Xavier Bertrand,
parti le premier en mars dans l’espoir de
s’imposer comme le candidat naturel de son
ancienne famille politique sans passer par
un processus de départage. La présidente de
l’Ile­de­France, Valérie Pécresse, qui plaide
pour une primaire ouverte. Et le maire LR de
La Garenne­Colombes (Hauts­de­Seine),
Philippe Juvin, par ailleurs chef des urgences
de l’hôpital Georges­Pompidou.
De son côté, le président de la région Auver­
gne­Rhône­Alpes, Laurent Wauquiez, a pris
l’été pour réfléchir. Comme chaque année, il
fera l’ascension du mont Mézenc, entre
Ardèche et Haute­Loire, le 29 août. « J’aime
beaucoup Mézenc mais c’est au diable ! Je
viendrai seulement s’il se passe quelque
chose », lui a glissé son ami, l’eurodéputé LR
pathisants de droite et du centre, pour tester
l’image des prétendants, avant de réunir le
congrès de LR le 25 septembre. Selon le baro­
mètre Elabe pour Les Echos et Radio Classi­
que, publié le 5 août, Xavier Bertrand reste
un peu plus populaire (31 % d’opinions positi­
ves) que Valérie Pécresse (26 %) ou Laurent
Wauquiez (22 %). Mais les trois présidents de
région se retrouvent dans un mouchoir de
poche chez les sympathisants de droite.
Missionné fin juin par le président du Sé­
nat, Gérard Larcher, et Christian Jacob, pour
trouver un moyen de départager les candi­
dats, le maire d’Antibes, Jean Leonetti,
consulte assidûment depuis le début de l’été.
Il a vu Valérie Pécresse le 28 juillet et reçu
Laurent Wauquiez. Il doit voir Xavier Ber­
trand le 17 août. L’ancien président par inté­
rim de LR en 2019 s’entretiendra une nou­
velle fois avec tous les candidats déclarés ou
susceptibles de l’être d’ici à la fin du mois. Il a
également rendez­vous avec Nicolas Sarkozy
en septembre. « Jusqu’au bout pour réussir, je
Après un été en campagne,
Pécresse espère bousculer
mettrai de l’huile dans les rouages et du miel
dans les propos », assure­t­il.
« NOUS N’AVONS PAS DROIT À L’ERREUR »
Le 20 juillet, Jean Leonetti a réuni cinq des
présidentiables – Pécresse, Wauquiez, Bar­
nier, Retailleau et Juvin – à Paris, aux côtés de
MM. Jacob et Larcher. Seul Xavier Bertrand
manquait à l’appel. « Echangeons librement
la hiérarchie des sondages
mais je ne veux pas qu’en sortant, on ait
l’impression que nous avons tenu une réunion
Lancée dans un « sprint » de déplacements, l’ancienne
anti­Bertrand », a prévenu d’emblée le maire
d’Antibes. Las. Sa mise en garde a ouvert les
ministre veut imposer une primaire à Xavier Bertrand
hostilités. « D’accord mais c’est le seul qui n’est
pas là aujourd’hui et se met en dehors du jeu, a
attaqué Michel Barnier. Il faut organiser des marseille ­ envoyée spéciale Pécresse déclare sa candidature à lection, de cette confiance, pour
primaires, c’est aux Français de choisir ! » « Pas la présidentielle huit jours plus m’autoriser à penser à la suite, con­

Brice Hortefeux. M. Wauquiez l’a rassuré,
sans dévoiler ses intentions. Pour l’ancien
patron de LR, retiré dans sa région depuis sa
démission brutale au lendemain de l’échec
du parti aux européennes de 2019, l’équation
est délicate. Fortifié par son score aux régio­
nales, il sait que son image reste abîmée. « Ses
cicatrices se referment doucement. Est­ce qu’il
voudra les rouvrir avec une deuxième cla­
que ? », interroge un proche.
UNE « MACHINE À PERDRE »
L’ancien commissaire européen et négocia­
teur du Brexit, Michel Barnier, réfléchit,
quant à lui, au meilleur timing pour se décla­
rer. Il a déjà recruté une partie de son équipe
de campagne, dont un « binôme » paritaire
pour la diriger, ainsi qu’un chargé de com­
munication. Il s’emploie à récolter les 250 si­
gnatures exigées pour l’éventuelle primaire.
Le sénateur Bruno Retailleau pourrait, lui
aussi, participer. Même Eric Ciotti, qui a
prévu de rassembler « 2 000 personnes » le
28 août à Levens (Alpes­Maritimes), n’exclut
rien, désireux de voir l’aile droite de LR repré­
sentée. « Ils se neutralisent tous les uns et les
autres », s’inquiète le député François
Cornut­Gentille, soutien de Michel Barnier.
Même si ce processus est prévu dans les
statuts du parti, le président de LR, Christian
Jacob, veut tout faire pour éviter une pri­
maire – une « machine à perdre ». Il doit lan­
cer fin août une première enquête d’opinion
avec l’IFOP sur un échantillon de 15 000 sym­
question que le parti soutienne quelqu’un qui
a quitté LR et refuse de se plier aux règles », a
renchéri Laurent Wauquiez.
Si, à l’issue de cette réunion, MM. Larcher,
Jacob et Leonetti ont salué une « démonstra­
tion d’unité » entre des participants soucieux
du « rassemblement », rien pour autant n’a
été acté, ni réglé. Même si le maire d’Antibes
veut croire que la primaire devient inélucta­
ble. « Il n’y a pas trente­six solutions de dépar­
tage », dit­il, persuadé qu’une « primaire effi­
cace permettra de valoriser le vainqueur et de
faire émerger une équipe ». Mais M. Bertrand,
reçu le lendemain au Sénat par les trois hom­
mes, a maintenu sa position : il ne se pliera à
aucune règle de départage interne, considé­
rant qu’une présidentielle est une rencontre
entre un homme et un peuple. « J’ai compris !,
a­t­il d’ailleurs ironisé d’emblée. Leonetti est
pour la primaire et Jacob est contre… » « Tu ne
gagneras pas tout seul », l’a prévenu le trio.
Conscient de la délicatesse de sa mission,
M. Leonetti veut croire qu’un terrain d’en­
tente est possible, dès lors que tous les prota­
gonistes « acceptent l’idée du rassemble­
ment ». « On doit faire triompher nos idées, qui
sont majoritaires en France, résume­t­il. Nous
n’avons pas droit à l’erreur et de perdre une
nouvelle fois. Nous serions impardonnables. »
Le processus demande du temps, admet­il
toutefois. Pour sa loi sur la fin de vie, votée à
l’unanimité en 2005, il avait œuvré un an et
demi. Là, il n’a même pas deux mois. 
solenn de royer
L
e soleil baigne d’une lu­
mière crue la splendide
vallée des temples. Le
14 juillet, jour de son an­
niversaire, Valérie Pécresse mar­
che dans les ruines d’Agrigente,
sur la côte sud­ouest de la Sicile,
accompagnée par son mari. Son
portable vibre, c’est Xavier Ber­
trand. Le président de la région
Hauts­de­France vient d’appren­
dre que son homologue d’Ile­de­
France s’apprête à rassembler ses
soutiens le 22 juillet, au pavillon
Baltard, à Nogent­sur­Marne (Val­
de­Marne). « C’est quoi ce mee­
ting ?, s’inquiète Bertrand.
– Xavier, je ne te cache rien, ré­
pond Pécresse. La semaine pro­
chaine, je fais voter 80 % de mon
programme, comme je m’y étais
engagée, puis je réunis mes mili­
tants pour les remercier, après la
campagne. Mais je vais aussi jouer
ma carte. J’ai des choses à dire, à
proposer.
– Je n’irai pas à la primaire, tu le
sais, coupe son interlocuteur.
– Si on est proches l’un de l’autre
dans les sondages, il faudra bien
un mode de départage », rétorque­
t­elle.
De retour d’Italie, où elle a pris le
temps de la réflexion, Valérie
tard, dans Le Figaro, puis sur TF1 le fie­t­elle au Monde. C’est l’école
soir. Elle a décidé d’accélérer. Fin Guy Drut : une haie après l’autre. »
août, le parti Les Républicains (LR) Alors que le président des Hauts­
lance un sondage pour tester le de­France, qui devance ses rivaux,
potentiel des présidentiables de la déclarés ou non, de plusieurs
droite et du centre auprès de points dans les sondages, passe
15 000 sympathisants. Conforta­ l’été sous les radars médiatiques,
blement réélue à la tête de sa ré­ Mme Pécresse multiplie les dépla­
gion, Pécresse a des handicaps à cements depuis la Corrèze, où sa
combler, notamment une image famille se trouve en vacances. Elle
trop francilienne et un supposé était le 12 août dans les Deux­Sè­
manque de détermination, quand vres, sera le 15 au Croisic – pour la
Xavier Bertrand, qui se prépare de­ Fête de la mer –, le 16 à Brest, le 24 à
puis longtemps, s’est déclaré très Bordeaux et Royan, le 26 à Nancy
tôt, dans l’espoir de rendre sa can­ et Metz. L’occasion de cajoler les
didature incontournable à droite. grands élus de droite et de tester
« On a pu douter de ma détermina­ ses idées. Elle terminera sa tour­
tion mais j’avais besoin de cette réé­ née estivale le 28 août à Brives, où
elle fera sa rentrée politique.
A droite toute sur le régalien
« SI TOUT LE MONDE VIENT  La présidente du mouvement
d’idées Libres ! – créé en 2017,
SUR NOTRE TERRAIN,  avant qu’elle ne quitte LR au len­
demain des européennes
C’EST PEUT­ÊTRE  en 2019 – assure que son projet
QUE C’EST LE BON.  est prêt. Sous les habits du « gaul­
lisme social », un leitmotiv libéral
LES IDÉES DE DROITE  classique : « libération des éner­
gies », « débureaucratisation » du
SONT MAJORITAIRES  pays, « réforme big bang » de l’Etat.
La candidate, qui croit en la survi­
DANS LE PAYS » vance du clivage droite­gauche,
VALÉRIE PÉCRESSE note que le président de la Répu­
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
blique, Emmanuel Macron, a « ré­
cupéré » les mots et les idées de sa
famille politique sur de nom­
breux sujets, tandis que la prési­
dente du Rassemblement natio­
nal (RN), Marine Le Pen, tente de
gommer sa radicalité en se rap­
prochant de la droite républi­
caine. « Si tout le monde vient sur
notre terrain, c’est peut­être que
c’est le bon, relève la candidate. Les
idées de droite sont majoritaires
dans le pays. Nos solutions sont les
bonnes pour la France. »
« Candidate de substitution »
Sans surprise sur le plan économi­
que et social, Pécresse se posi­
tionne à droite toute sur le réga­
lien. Elle prône un « choc d’auto­
rité », se pose en « femme d’ordre ».
C’est l’une des premières à avoir
réagi à l’assassinat du prêtre ven­
déen lundi 9 août, soulignant la
« cascade de défaillances » ayant
conduit au « drame ». Quelques
jours plus tôt, à Marseille, devant
une poignée de sympathisants LR
réunis dans un café du quartier
Saint­Victor, elle se félicite d’avoir
vu l’ex­candidat RN en PACA,
Thierry Mariani, s’inspirer du
« bouclier de sécurité » – une série
de mesures, dont la vidéosur­
veillance – mis en place en Ile­de­
France. « Donc, on fait mieux et
plus efficace que le RN », insiste­t­
elle, en répétant que « la sécurité, le
respect et l’autorité » seront « le
nœud » de la présidentielle.
En route pour les calanques, ven­
dredi 6 août, l’ancienne ministre
du budget de Nicolas Sarkozy
revendique cette posture mar­
tiale : « Je suis très forte sur l’auto­
rité, insiste­t­elle. C’est dans mon
caractère, j’ai été juge [au Conseil
d’Etat] pendant huit ans, une véri­
table vocation ». Ce « virage sécuri­
taire » est perçu favorablement par
un certain nombre de responsa­
bles LR, dont l’eurodéputé Brice
Hortefeux, selon lequel cette ligne
régalienne « résonne agréable­
« SI VALÉRIE EST  on note que celle qui vante la
DERRIÈRE [DANS LES  « fierté d’être français » a « au
SONDAGES], ELLE NE FERA  sens du combat », contrairement à
PAS PERDRE SON CAMP.  estivales « terre à terre » postées
MAIS SI ELLE EST DEVANT,  ner dans les couloirs du palais.
ELLE NE LÂCHERA PAS »
ÉRIC PAUGET
député LR des Alpes-Maritimes
ment aux oreilles des électeurs » de
droite. Mais cette antienne est
jugée convenue, voire datée, par
d’autres. « La question pour la
droite aujourd’hui, c’est qu’a­t­on à
dire en dehors des grilles de lecture
d’il y a vingt ans ? », interroge le
député LR François Cornut­Gen­
tille, qui aurait préféré que l’assas­
sinat du prêtre vendéen ouvre une
« vraie réflexion sur la psychiatrie
en France », plutôt que ces « éter­
nelles invocations sur la sécurité et
la justice ».
Mais pour la candidate, pousser
les feux sur les thématiques réga­
liennes est un moyen de se diffé­
rencier d’Emmanuel Macron,
dont elle dénonce le manque de
détermination. « Sur le régalien,
Valérie est plus à droite que Ma­
cron, assure son directeur de cam­
pagne, Patrick Stefanini, ex­lieute­
nant de François Fillon en 2017. Et,
surtout, elle est dans le concret,
comme elle l’a montré en augmen­
tant très fortement le budget sécu­
rité de sa région. » Contrairement
à Xavier Bertrand, qui tente
d’incarner une droite populaire,
l’ancienne élève de la très chic
Sainte­Marie de Neuilly, d’HEC et
de l’ENA, a longtemps été perçue
comme Macron­compatible, sur
le fond comme sur la forme.
« Valérie Pécresse appartient au
même univers socio­culturel que
Macron », observe Jérôme Sainte­
Marie, président de PollingVox. Le
Valérie Pécresse,
lors d’une visite
des calanques,
près de Marseille,
vendredi 6 août.
OLIVIER MONGE POUR « LE MONDE »
spécialiste de l’opinion rappelle
que le tweet envoyé fin juillet par
la présidente d’Ile­de­France
après la mort d’un cheminot à
proximité des voies, présentant
ses condoléances à la famille mais
semblant se désoler en même
temps de l’interruption du trafic,
a « choqué », au même titre que les
propos de Macron sur « ceux qui
réussissent et ceux qui ne sont
rien » en 2017. « Ce tweet maladroit
a mis des mots sur une impression
diffuse, une image “banlieue
ouest” », poursuit M. Sainte­Ma­
rie, pour qui Pécresse n’est « pas
une candidate d’opposition mais
de substitution ».
Consciente de l’écueil, la prési­
dente d’Ile­de­France a pris soin,
fin juillet sur BFM­TV, d’écarter
l’hypothèse d’une nomination à
Matignon en cas de réélection de
Macron. Elle s’efforce également
de durcir ses critiques à l’endroit
d’un « président solitaire » qui con­
centre tous les pouvoirs, sans ré­
former en profondeur la France.
« Le macronisme, c’est un immobi­
lisme », répète celle qui assure
vouloir « tout changer ». « Avec
moi, les choses sont claires, on con­
naît le cap, poursuit­elle. Je fais ce
que je dis et inversement. »
Marquer sa différence, sans
pour autant braquer les électeurs
du chef de l’Etat qu’elle espère at­
tirer à elle, tandis que Bertrand,
qui a largement battu son adver­
saire d’extrême droite aux régio­
nales, courtise plutôt ceux du RN.
« L’électorat de droite qui est allé
vers Macron peut revenir vers la
droite, veut croire le conseiller ré­
gional d’Ile­de­France, Geoffroy
Didier. Pécresse, ce n’est pas la
droite anti­Macron, c’est la droite
mieux que Macron. » Dans l’en­
tourage du président, où l’on sur­
veille de près la situation à droite,
moins compris quelque chose du
Xavier Bertrand, dont les vidéos
sur les réseaux sociaux, font rica­
« Vaccinée » contre les divisions
Favorable à une primaire large­
ment ouverte, Pécresse veille, en
revanche, à ne dire aucun mal de
ses rivaux, y compris Bertrand, qui
refuse de se plier au futur proces­
sus de « départage ». Le 5 août, à
Issoire (Puy­de­Dôme), une octo­
génaire « bon chic » – selon un té­
moin de la scène – interpelle ainsi
la candidate, en campagne en
Auvergne : « Quand je vous ai vue à
la télévision, je me suis dit : “Il faut
qu’elle se présente. Elle a l’intelli­
gence du cœur (…) Mais pas Xavier
Bertrand” ! » Pécresse remercie et
sourit avant de se tourner, désolée,
vers Brice Hortefeux, qui l’accom­
pagne : « Si on me met en opposi­
tion avec Xavier, on est mort tous
les deux ! » De là à penser que Ber­
trand et Pécresse feront un ticket à
la fin, il n’y a qu’un pas que beau­
coup franchissent à droite. « Si Va­
lérie est derrière [dans les sonda­
ges], elle ne fera pas perdre son
camp, assure le député LR des Al­
pes­Maritimes Eric Pauget. Mais si
elle est devant, elle ne lâchera pas. »
L’ancienne ministre de Sarkozy
répète qu’elle est « vaccinée »
contre les divisions de la droite.
En 2012, elle a même songé à arrê­
ter la politique au moment de la
guerre entre François Fillon et
Jean­François Copé, qui se dispu­
taient l’UMP. Une « violence » in­
supportable. Et un « moment de
dégoût ». Pécresse veut croire que
le contexte d’aujourd’hui n’a rien
à voir non plus avec la primaire de
2016, qui a vu s’affronter des can­
didats (Sarkozy, Fillon, Juppé) ani­
més par trente ans de haine et de
« ELLE APPARTIENT AU 
MÊME UNIVERS SOCIO­
CULTUREL QUE MACRON. 
ELLE N’EST PAS UNE 
CANDIDATE D’OPPOSITION  demande du président de la
MAIS DE SUBSTITUTION »
JÉRÔME SAINTE-MARIE
président de PollingVox
rancœurs. « On a pris le risque de la
division car on était sûr de gagner,
analyse­t­elle. Ce n’est pas le cas
aujourd’hui. Nous sommes des
challengers. Avec Xavier, nous
sommes de la même famille, nous
avons les mêmes valeurs. On se re­
trouvera à la fin. »
Dans cette compétition, celle qui
répète qu’Angela Merkel est un
« modèle » joue sans fard la « carte
femme », lassée de s’entendre dire
qu’elle serait « parfaite à Mati­
gnon ». Elle répond qu’elle préside
la première région d’Europe, arra­
chée à la gauche, et qu’elle a mené
à bien la réforme des universités,
« la plus difficile » du quinquennat
Sarkozy. « Au XXIe siècle, les fem­
mes ne sont pas condamnées à être
numéro 2 », conclut­elle. « Elle est
très méthodique, très déterminée,
et elle ne lâche jamais rien », vante
Geoffroy Didier.
Pas d’« obsession » présidentielle
Longtemps, la chiraquienne a
agacé Nicolas Sarkozy, qui l’a pour­
tant nommée ministre en 2007,
puis promue pendant son man­
dat. « Pécresse a le melon, elle ne
passe plus sous l’Arc de triomphe, il
faut lui rappeler qu’elle s’occupe des
bus, hein », avait­il ironisé devant
un élu UMP au lendemain de la
première victoire de l’ex­députée
des Yvelines à la tête de l’Ile­de­
France, en 2015. Mais en lui remet­
tant la Légion d’honneur en 2019,
l’ancien président a loué son am­
bition. « Tu n’a plus besoin de te
créer une carapace. Présente­toi
telle que tu es, et les Français t’aime­
ront », a­t­il lancé. Touchée, l’inté­
ressée ne nie pas avoir dû se proté­
ger contre la violence politique.
« J’étais une chiraquienne en Sarko­
zie, je savais que rien ne me serais
pardonnée », dit­elle.
Récurrentes, les critiques sur son
côté « versaillais » ou « bonne
élève » la font lever les yeux au ciel.
Elle envoie promener la première :
« Quel responsable politique se
trouve tous les jours en Seine­Saint­
Denis [où elle a installé le siège de
la région] ? ». Et assume la
deuxième : « Oui, je suis une bonne
élève, j’ai bossé pour en arriver là, et
alors ? » Mais contrairement à
d’autres, qui nourrissent depuis
toujours une ambition présiden­
tielle, elle dit ne jamais avoir eu
cette « obsession ». « Je suis comme
beaucoup de femmes pour qui
existe une forme d’autocensure, un
plafond de verre mental, explique­
t­elle. J’ai envie de le briser. »
Ses stratèges, qui ont dessiné ce
« sprint » estival, envisagent tous
les scénarios. Le bon : « Valérie fait
une percée et rattrape Xavier qui,
en voyant arriver sur lui le peloton,
a un coup au moral et marque le
pas. » Et le mauvais : « Si dans les
sondages organisés par LR, elle
sort la moins bien placée, c’est un
problème… » La voie reste incer­
taine. « On est dans période totale­
ment inédite, résume l’un de ses
soutiens, je n’ai jamais connu ça. A
moins d’un an de la présidentielle,
les règles du jeu ne sont toujours
pas définies. C’est comme si l’on
conduisait une voiture sur une
route glacée, en risquant la sortie
de route à tout moment. » 
solenn de royer
Deux­roues : Macron
suspend le contrôle
technique obligatoire
Annoncée mercredi, cette mesure, qui devait
entrer en vigueur en 2023, avait provoqué
la colère des fédérations de motards
L e décret a tenu vingt­qua­
tre heures. Le lendemain de
l’annonce de son instaura­
tion, le nouveau contrôle techni­
que des deux­roues a été « sus­
pendu jusqu’à nouvel ordre » sur
République, a rapporté, jeudi
12 août, le ministère des trans­
ports à l’Agence France­Presse.
Exigé par l’Union européenne
et appliqué dans de nombreux
pays voisins, ce contrôle bisan­
nuel avait été instauré mercredi.
Le décret publié dans le Journal
officiel prévoyait une entrée en
vigueur en 2023. Cette mesure
annoncée au cœur de l’été avait
provoqué la colère des fédéra­
tions de motards.
Après une discussion jeudi
matin avec le chef de l’Etat, le mi­
nistre délégué chargé des trans­
ports, Jean­Baptiste Djebbari, « a
convenu avec les fédérations de se
retrouver à la rentrée pour échan­
ger largement sur les différents
sujets les concernant », a fait sa­
voir une porte­parole du minis­
tère. « Après avoir découvert cette
mesure, le président de la Répu­
blique a décidé que ce n’était pas le
moment d’embêter les Français,
a expliqué un conseiller de l’exé­
cutif. Avec la crise sanitaire, le
passe, on leur demande déjà beau­
coup. On peut être pour la sécurité
sans embêter les Français dans
leur quotidien, a priori sans adhé­
sion de leur part. »
Lutte contre la pollution
Ce nouveau contrôle technique
devait concerner tous les véhicu­
les motorisés à deux, trois et
quatre roues, scooters de 50 cm3
et voitures sans permis. Comme
pour les voitures, pour qui il a été
instauré en 1992, le contrôle
technique aurait dû être réalisé
dans un centre agréé et renouvelé
tous les deux ans, ou avant toute
revente du véhicule.
Une directive européenne de
2014 prévoyait la mise en place à
partir du 1er janvier 2022 d’un
contrôle technique pour les véhi­
cules motorisés à deux et trois
roues d’une cylindrée supérieure
à 125 cm3, pour lutter contre les ac­
cidents et la pollution. Le texte cite
plusieurs dizaines de points de
contrôle concernant les freins, les
pneumatiques, l’éclairage ou le
bruit. La plupart des pays euro­
péens ont déjà mis en place ce
contrôle technique pour les mo­
tos, selon la Fédération euro­
péenne des associations de
motocyclistes. Seuls la Finlande,
l’Irlande et les Pays­Bas ont adopté
IMMIG RATIO N
Un migrant meurt
dans la Manche
Une personne est décédée,
jeudi, en tentant de rallier
l’Angleterre à bord d’une em­
barcation qui a fait naufrage
au large de Dunkerque.
Il s’agit du premier migrant
trouvant la mort dans
le détroit du Pas­de­Calais
en 2021. En 2020, six person­
nes avaient péri et quatre
en 2019. – (AFP.)
FÉMINICIDE
Corse : un sexagénaire
a tué son épouse
à Porto-Vecchio
Un homme de 63 ans a tué
sa femme avec une arme à
feu, jeudi après­midi à Porto­
Vecchio (Corse­du­Sud). « Un
voisin a entendu une détona­
tion (…) et a découvert mon­
sieur, un fusil à la main, qui
france | 11
des mesures alternatives pour ré­
duire le nombre d’accidents.
Au printemps, plusieurs mil­
liers de motards avaient mani­
festé à travers la France, récla­
mant à l’Etat de déroger à cette di­
rective européenne. Les motards
avaient également manifesté leur
désapprobation de la réforme du
stationnement à Paris, qui pré­
voit notamment de le rendre
payant dès 2022 pour les deux­
roues motorisés thermiques.
« Le ministre souhaitait l’apaise­
ment », s’est félicité Jean­Marc
Belotti, coordinateur de la Fédéra­
tion française des motards en co­
lère. « On ne propose rien, on ne
veut juste pas de contrôle techni­
que », a­t­il lancé, alors qu’un ren­
dez­vous est prévu « début sep­
tembre » avec le ministère. « On va
voir si on peut apporter des solu­
tions en termes de sécurité rou­
tière, mais ça risque de leur coûter
un peu de sous », a insisté le
motard, citant notamment le
dédoublement des glissières de
sécurité, qui permettrait d’éviter
de graves blessures.
L’association Ras le scoot avait
salué, jeudi matin, cette décision
qui venait « rompre avec des
années d’hésitation des pouvoirs
publics jusqu’alors tétanisés face
au lobby motard ». « C’est une
honte absolue ! », a réagi jeudi sur
Twitter l’association après l’an­
nonce du rétropédalage gouver­
nemental : « Comment est­ce pos­
sible qu’une minorité puisse faire
reculer Emmanuel Macron, au
détriment des millions de victimes
de nuisances diverses et contre la
directive européenne de 2014 ?
Nous condamnons fermement
cette volte­face. » Ce contrôle
était « une évidence tant il paraît
inimaginable de laisser circuler
sur les routes des véhicules sus­
ceptibles de mettre en danger
les autres usagers », a souligné
l’association.
Cette mesure aurait permis de
« garantir moins de bruit et moins
de pollution », a aussi regretté l’ad­
joint Europe Ecologie­Les Verts à
la mairie de Paris, David Belliard,
sur Twitter. « La France doit verser
une amende de 10 millions d’euros
pour inaction face à la pollution de
l’air, mais Macron préfère faire des
cadeaux à dix mois de l’élection. »
Le Rassemblement national, qui
avait critiqué la mesure, s’est au
contraire félicité du revirement
gouvernemental. « C’est une
victoire du bon sens et de la mobili­
sation contre cette mesure techno­
cratique », a écrit Marine Le Pen,
aussi sur Twitter. – (avec AFP.) 
venait d’abattre son épouse
d’un seul coup de feu », a re­
laté Carine Greff, procureure
de la République d’Ajaccio.
Les gendarmes de la brigade
de recherche ont interpellé
le sexagénaire. – (AFP.)
S OC IAL
Le chômage quasi
stable au deuxième
trimestre
Le taux de chômage est
resté quasiment stable
au deuxième trimestre
(– 0,1 point), pour s’établir
à 8 % de la population active
en France (hors Mayotte),
selon les chiffres publiés
vendredi par l’Insee.
La France compte 2,4 mil­
lions de chômeurs, soit
16 000 personnes de moins
sur le trimestre, entre fin
mars 2021 et fin juin 2021.
– (AFP.)

12 | france
La justice entre dans l’ère du zéro papier
A Blois, policiers, gendarmes, magistrats et greffiers sont passés à la procédure pénale numérique
blois ­ envoyé spécial
C
ela fait des années que
magistrats et greffiers
en sont revenus des
grandes promesses de
révolution informatique au mi­
nistère de la justice. Mais cette
fois, des améliorations concrètes
se propagent grâce à la procédure
pénale numérique (PPN). « Nos
étagères ne débordent plus de dos­
siers papier », s’extasie encore
Thomas Quenard, greffier au bu­
reau d’ordre, un service du par­
quet de Blois. « Il arrivait qu’on
perde la trace d’un dossier, si on
avait oublié de noter quand un
magistrat le transmettait à un
autre bureau », observe­t­il. Dé­
sormais, un mot­clé dans l’ordi­
nateur suffit.
Le chemin est encore long avant
une disparition totale du papier
dans les procédures judiciaires,
mais il est engagé. Au tribunal ju­
diciaire de Blois, les greffiers ont
troqué leur imprimante indivi­
duelle pour un deuxième écran
d’ordinateur. « Nous faisons des
économies de papier… et de
temps », affirme M. Quenard.
A un kilomètre de là, à l’hôtel de
police sur les bords de la Loire, Es­
telle Ducatillon, enquêtrice, a
aussi ses deux écrans. Avec deux
nouveaux accessoires essentiels à
sa mission d’officier de police ju­
diciaire, une tablette sur laquelle
la victime, le témoin ou le mis en
cause signera le procès­verbal
(PV) d’audition, et un boîtier qui
lui permet, avec sa carte profes­
sionnelle et un code à six chiffres,
de signer électroniquement le fi­
chier. Une manipulation qui le
rendra traçable et infalsifiable
tout au long de la procédure.
Lancé fin 2018 par les ministè­
res de la justice et de l’intérieur, le
projet de procédure pénale nu­
mérique avait pour ambition de
faire communiquer entre eux les
systèmes d’information de la jus­
tice, de la police et de la gendar­
merie. La numérisation est enga­
gée depuis longtemps, mais la
chaîne était rompue à chaque
étape. Lorsque Mme Ducatillon
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tapait un PV, elle devait ensuite
l’imprimer pour le signer page
par page, puis le scanner avant
qu’il puisse être transmis par
courriel au procureur. La procé­
dure était dématérialisée, mais
pas numérisée.
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116 pages
En partenariat avec
Au tribunal de Blois, désigné site
pilote avec celui d’Amiens, la pre­
mière procédure entièrement nu­
mérique est arrivée au parquet en
octobre 2019. « C’était Monsieur G.
pour des infractions routières, une
CRPC­défèrement [comparution
sur reconnaissance préalable de
culpabilité à l’issue d’une garde à
vue] », se souvient, comme si cela
s’était passé la veille, Frédéric Che­
vallier, le procureur de la Républi­
que. « Il a eu cinq mois avec sursis,
avec une obligation de soins et une
interdiction de fréquenter les dé­
bits de boisson. Une heure et demie
s’est écoulée entre son défèrement
au parquet et la sortie du bureau
du juge qui a homologué la CRPC.
En temps normal, cela aurait pris
des heures. »
L’outil, limité aux poursuites
correctionnelles, est déployé pro­
gressivement, actuellement dans
26 des 164 tribunaux judiciaires.
Mais tous les avocats connectés
aux juridictions peuvent d’ores et
déjà transmettre ou recevoir les
pièces de procédure pénale. « Au
sortir du premier confinement de
2020, ce besoin s’est fait sentir et
nous avons ouvert une plate­
forme de transmission dématéria­
lisée des procédures. En un an, plus
de 400 000 procédures pénales
ont été déjà transmises aux avo­
cats », détaille Hafidde Boulakras,
le directeur de projet PPN au mi­
nistère de la justice, qui ne s’atten­
dait pas à un tel succès.
Tout n’est pas fluide pour
autant. Les gendarmeries ne peu­
vent toujours pas envoyer les pro­
cédures nativement numériques
Avec ce système,
chacun a accès
au dossier
en même temps
et peut préparer
l’audience
de chez lui
aux tribunaux, pour un problème
de décret attendu depuis dix­huit
mois. « Depuis le 3 novem­
bre 2020, toutes les unités de gen­
darmerie du département tra­
vaillent en nativement numéri­
que, mais après, on doit imprimer
la procédure, ajouter une attesta­
tion de conformité signée du com­
mandant d’unité, et transmettre
la procédure papier au parquet »,
explique le colonel Samuel Jo­
guet, commandant du groupe­
ment de Loir­et­Cher.
Résultat, moins de 20 % des
quelque 15 000 procès­verbaux
reçus dans l’année par les servi­
ces du procureur de Blois sont
numériques. « Il suffira d’appuyer
sur un bouton », se rassure le colo­
nel Joguet qui mesure déjà le bé­
néfice de la procédure pénale nu­
mérique. Alors qu’un enquêteur
de la gendarmerie gère en
moyenne 300 procédures par an
dans le département, le nouveau
logiciel de rédaction des procédu­
res de la gendarmerie nationale
permet de limiter le papier.
Les agrafeuses ont disparu
« Après l’audition d’une personne,
on peut lui envoyer directement le
PV par email. Dans une enquête, la
boîte de dialogue avec le com­
mandant d’unité lui permet de
nous faire part de ses demandes
ou observations », explique l’ad­
judant­chef Pascal Maroto. Cela
remplace les allers­retours des
dossiers avec des mémos.
Côté police, il faut encore se dé­
patouiller avec un logiciel lent et
obsolète en attendant l’arrivée de
Scribe, dont le développement a
pris plusieurs années de retard.
Ainsi, ce lundi 5 juillet, Mme Du­
catillon est bloquée en raison
d’une panne de près de deux
heures du système au niveau na­
tional… Mais les agrafeuses et les
tampons ont quasiment disparu
des bureaux.
Fini les banettes pleines de dos­
siers en souffrance ! Ce qui an­
goisse le commissaire division­
naire Yves Gallot, directeur dé­
partemental de la sécurité publi­
que du Loir­et­Cher. « La PPN
diminue l’impact de la grosseur
du portefeuille d’enquêtes en
cours. Quand l’enquêteur arrive à
son bureau le matin, il ne voit plus
la pile de dossiers augmenter ou
diminuer, et quand le chef passe
dans le couloir, il ne voit pas le re­
tard s’accumuler. »
Pour l’heure, le procureur de
Blois se réjouit d’un « système qui
recentre chacun sur son métier ».
Au tribunal, les services du siège
et du parquet ont accès au même
écran sur lequel s’affichent les
procédures du jour. C’est le jour­
nal de réception de la nouvelle
procédure pénale où apparais­
sent les dossiers avec l’orienta­
tion donnée par le parquet au ser­
vice enquêteur : classement sans
suite, rappel à la loi, CRPC, convo­
cation au tribunal par officier de
police judiciaire, etc.
« Chaque service du parquet et
du tribunal pioche la procédure
qui le concerne et la télécharge ;
plus besoin d’un service courrier
qui fait le tri des dossiers arri­
vants », explique M. Chevallier.
Les dossiers numériques arri­
vent classés par thème (acte d’en­
quête, garde à vue, plainte, an­
nexe…) ce qui permet au magis­
trat de trouver immédiatement
ce dont il a besoin. Dans les dos­
siers papier, les pièces étaient
classées par ordre chronologi­
que, indépendamment de leur
importance respective.
« La préparation de l’audience
des comparutions immédiates
était une course contre la montre
avec du stress et des tensions car
tout le monde avait besoin du dos­
sier en même temps : le président,
le magistrat du parquet et l’avocat.
Les greffiers passaient leur temps à
désagrafer, photocopier, réagra­
fer », relate M. Chevallier. Désor­
mais, chacun a le dossier et peut
même préparer l’audience de
chez lui. Au tribunal, les avocats
se font prêter une tablette sur la­
quelle est accessible l’intégralité
du dossier de leur client.
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
« L’enquêteur
ne voit plus la
pile de dossiers
augmenter
ou diminuer »
YVES GALLOT
directeur départemental
de la sécurité publique
de Loir-et-Cher
Le dossier poursuit sa vie jus­
qu’au juge de l’application des
peines. Il a désormais accès à l’in­
tégralité du dossier et ne se
contente plus des pièces que le
greffe correctionnel estime né­
cessaires à son office. Ce qui faci­
lite le débat contradictoire avec la
personne condamnée et son avo­
cat. A chaque étape, magistrats
du parquet ou du siège et gref­
fiers utilisent eux aussi la signa­
ture électronique pour authenti­
fier les décisions, jugements et
ordonnances.
Archivage plus efficace
Dans un domaine moins noble
de la procédure, d’ailleurs appe­
lée les « petits x », mais qui repré­
sente pourtant des volumes con­
sidérables, la procédure pénale
numérique règle définitivement
le sujet. Il s’agit des quelque
2,5 millions d’affaires non pour­
suivables enregistrées chaque
année dans les commissariats et
les gendarmeries. Du vol de vélo
sans témoin ni caméra de vidéo­
surveillance à proximité, au ré­
troviseur arraché, de nombreu­
ses plaintes, parfois déposées
pour de simples raisons d’assu­
rances, ne font l’objet d’aucune
investigation.
Ces plaintes devaient néan­
moins être transmises, non sans
avoir été auparavant dupliquées
et archivées, au parquet qui à son
tour les compostait et les archi­
vait. Bien malin celui qui s’y re­
trouvait lorsqu’un citoyen appe­
lait des mois plus tard pour avoir
des nouvelles de sa plainte, ou s’il
fallait retrouver des infractions
similaires commises dans un pé­
rimètre donné. Ces « petits x », si­
gnalés comme tels par les agents
dès le recueil de plainte, sont dé­
sormais automatiquement bas­
culés dans les archives du par­
quet sans intervention de sa part.
Cela sera le cas dans l’ensemble
des tribunaux du pays dès la fin
de l’année 2021.
Pour le justiciable, en dehors de
la signature avec un stylet sur une
tablette, peu de changement. Sauf
l’espoir de voir certaines procédu­
res s’accélérer. Pour un acte d’en­
quête à faire dans un autre dépar­
tement ou si une procédure
change de juridiction, les com­
missions rogatoires et autres
transferts de dossier étaient en­
voyés par la poste et n’était plus
une priorité pour personne. Bien­
tôt, l’enquêteur de Marseille man­
daté par un juge de Rennes aura
accès en temps réel au dossier
constitué par la gendarmerie de
Vitré (Ille­et­Vilaine).
Pour cette révolution tran­
quille, le ministère de la justice
n’a pas cherché à concevoir ou à
faire concevoir un système d’in­
formation pharaonique, comme
le projet Portalis lancé en 2015
sur la procédure civile. « Nous
proposons des briques aux juri­
dictions après les avoir dévelop­
pées une à une selon la méthode
agile en tenant compte des re­
tours d’expérience », relate Ha­
fidde Boulakras. Une méthode
qui fait ses preuves.
Cela explique sans doute l’aban­
don d’un grand projet pourtant
inscrit dans la loi de 2019 de pro­
grammation et de réforme de la
justice. L’idée était de créer une
juridiction unique nationale
pour traiter de façon numérique
les injonctions de payer. 
jean­baptiste jacquin
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
JM France maintient son été musical face à la crise
Fondée en novembre 1944, l’association œuvre pour l’accès des jeunes à la musique, tous genres confondus
REPORTAGE
champs­sur­marne
(seine­et­marne)
L
a météo se fait capri­
cieuse, à Champs­sur­
Marne (Seine­et­Marne),
en cet après­midi de
juillet. Le ciel nuageux du matin a
laissé place au crachin, puis aux
trombes d’eau. « Normalement,
j’entre sur scène depuis l’extérieur,
mais, là, je sens que je vais glisser…
Bon, on va essayer de ne pas se
casser une jambe ! » Avec opti­
misme, la chanteuse et comé­
dienne Clémence Desprez prépare
sa troisième représentation de la
journée à l’accueil de loisirs Le
Nesles. Dans le cadre de « Mes va­
cances musicales », une initiative
de l’association JM France, elle pro­
pose Un chant de cailloux, conte
musical mêlant théâtre d’objets et
intermèdes chantés. Ukulélé, ac­
cordéon et boîte à rythmes : l’ar­
tiste est suréquipée. « Mon instru­
ment, c’est ma voix. Mais, comme je
suis seule aujourd’hui, je devais
m’accompagner ! »
Avec une moyenne de deux
mille spectacles par an, JM France
(anciennement Jeunesses musi­
cales de France, dont le nom a
changé en 2014) est à ce jour le
plus gros producteur, créateur et
diffuseur de spectacles à destina­
tion du jeune public « prioritaire­
ment issu de territoires reculés ou
défavorisés », comme le revendi­
que l’association. Forte de son an­
cienneté – elle a été créée en no­
vembre 1944 –, la structure
s’appuie sur mille bénévoles et
quatre cents partenaires culturels
répartis sur tout le territoire.
Dans les zones les plus reculées,
les artistes se glissent dans les
salles polyvalentes et établisse­
ments recevant du public, pour y
donner des concerts de musique
actuelle, classique ou du monde,
calibrés pour un auditoire
souvent frileux. « Il y a encore
beaucoup d’autocensure, de jeunes
qui pensent que cela n’est pas pour
eux, regrette Vincent Niqueux, di­
recteur de JM France. Nous souhai­
tons donc proposer des spectacles
exigeants d’un point de vue artisti­
que, mais à la mesure du jeune pu­
blic. S’il ne peut venir au spectacle,
alors le spectacle vient à lui ! »
Covid­19 oblige, l’association a
revu sa copie en mars 2020 pour
s’adapter aux impératifs sanitai­
res. Soutenue par le ministère de
la culture pour 500 000 euros (en
Marisa Monte, beauté et volupté
La chanteuse brésilienne publie un somptueux album, « Portas »
CHANSON
S tar cinq étoiles dans son
pays et au Portugal, admirée
surtout des connaisseurs en
France, la chanteuse brésilienne
Marisa Monte n’avait pas publié
d’album sous son seul nom depuis
O Que Você Quer Saber de Verdade,
en 2011. Sans pour autant se retirer
des affaires puisque, dans l’inter­
valle, la gracieuse Carioca a livré
un live, une compilation, des ar­
chives et surtout ranimé en 2017
Tribalistas, trio formé avec le
Pauliste Arnaldo Antunes et le
Bahianais Carlinhos Brown.
Apparu en plein désert discogra­
phique estival, Portas tombe à
point nommé pour apporter
beauté et volupté, espoir et bien­
veillance dans un contexte anxio­
gène et apocalyptico­climatique.
Dès les premiers accords de piano
de la chanson­titre, délicatement
déposés sur un lit de guitare sèche,
une radieuse ballade enchaînée
sur la soul cuivrée de Calma, avant
que l’arrangeur Arthur Verocai dé­
L’accordéoniste
Sophie Aupied,
en mai, dans
le cadre de
l’opération
« Mes vacances
musicales »,
à Saint­Firmin
(Hautes­Alpes).
JM FRANCE
sus de sa subvention annuelle de
900 000 euros), JM France a inau­
guré deux dispositifs. Le premier,
« Mon concert en classe », permet
aux écoles d’inviter un ou une
artiste pendant une journée, l’in­
tervenant passant de classe en
classe pour donner un concert
d’une demi­heure.
Quelques mois plus tard, « Mon
été musical » a adapté ce modèle
aux centres d’accueil et de loisirs
en proposant des concerts suivis
d’ateliers, dans le sillage des « Va­
cances apprenantes » instaurées
par le ministère de l’éducation, en
juin 2020. Reconduite à la rentrée,
l’opération devient « Mes vacan­
ces musicales ». Depuis le premier
confinement, plus de trois cents
interventions ont ainsi eu lieu
dans le cadre scolaire et plus de
cinq cents en période de congés,
concernant au total plus de dix
mille enfants. « Le Covid­19 nous a
permis de nous réinventer, com­
mente Mathilde Moury, respon­
sable communication et mécé­
nat. Sans la crise sanitaire, ces
projets n’auraient pas vu le jour. »
A raison de trois ou quatre re­
présentations par jour, ces dispo­
sitifs « Covid compatibles » ont
conquis les artistes travaillant
pour l’association, majoritaire­
ploie des cordes panoramiques as­
sociées à des claves pour Deja vu.
L’auditeur en manque de chant,
de couleurs orchestrales et d’har­
monie dans la musique populaire
actuelle est déjà transporté d’aise.
Mélodies addictives
Riche et généreux, Portas offre
seize chansons qui mériteraient
chacune qu’on s’y arrête. Ce que la
MPB (musica popular brasileira),
née de l’héritage de la révolution
de la bossa­nova, à la fin des an­
nées 1950, peut offrir de meilleur.
Des mélodies addictives et une
production sophistiquée, à la­
quelle veille Marisa Monte, dont
la délicatesse des détails se révèle
à chaque réécoute.
La pandémie, catastrophique au
Brésil, a contraint les musiciens du
monde entier à réétudier leur mé­
thode de travail, mais cela n’a pas
empêché cette perfectionniste de
convoquer à distance un nombre
invraisemblable de participants
entre Rio, Lisbonne, Los Angeles et
New York. Des fidèles comme Seu
culture | 13
« Si le jeune
public ne peut
venir au
spectacle, alors
le spectacle vient
à lui ! »
VINCENT NIQUEUX
directeur de JM France
plus travaillée ! », regrette­t­elle. Le
public, lui, est conquis.
A l’issue de la représentation, les
questions fusent. « Pourquoi tu
avais peur en arrivant ? Il y a
quelqu’un derrière la porte ? » « Et
toi, qu’est­ce que tu t’es imaginé ? »,
leur répond­elle, souriante. « Ces
moments d’échange sont très im­
portants pour moi, explique­t­
elle. Les enfants sont sans filtre, je
sais immédiatement ce qui leur a
plu. Cela me permet d’améliorer le
spectacle et d’en proposer, à terme,
une version plus longue. »
Malgré le succès de ses initiati­
ves, JM France espère regagner le
chemin des salles de spectacle à la
rentrée. « Ce qu’on fait actuelle­
ment intermittents du spectacle. énergie, entrer sur scène en imaginaire en manipulant un ment, on ne peut pas dire que ce
« La crise sanitaire a été très diffi­ feignant d’être poursuivie par emballage plastique. soit un pis­aller, mais nous sommes
cile à vivre, je n’ai plus rien fait avec une bête sauvage, puis siffloter de « Ce matin, les enfants se le sont impatients de donner à nouveau
ma compagnie pendant plusieurs sa voix de mezzo Personal Jesus, passé de main en main durant des concerts, insiste M. Niqueux.
mois. Sans contact avec le public, du groupe britannique Depeche tout le spectacle. C’est vous dire s’il La salle, ses fauteuils rouges, son
mon travail n’avait plus de sens », Mode, avant d’enchaîner sur un a fait chaud ! », s’amuse­t­elle. ambiance… C’est une expérience à
se rappelle Clémence Desprez. dialogue absurde avec un tas de Mais, dans le feu de l’action, la vivre. » A ce jour, avec l’opération
« C’est une belle opportunité pour cailloux. Pour garder l’attention chanteuse oublie un passage du « Mes vacances musicales », plus
nous, confirme le percussionniste de l’auditoire, elle met également spectacle : une chanson de la de deux cents interventions ont
François Hagenmuller, qui tourne les spectateurs à contribution, les Renaissance « remixée façon eu lieu ou restent programmées. 
avec sa formation depuis plu­ invitant à bruiter un feu de camp électro ». « C’est celle que j’avais le anissa bekkar
sieurs années pour JM France. On
peut faire plusieurs dates en
quelques jours, cumuler rapide­
ment les cachets et faire nos heures
d’intermittence : ce n’est pas évi­
dent dans le contexte actuel. »
Cahier des charges strict
L’AMOUR FOU : LE FILM L’OBS
Pour les artistes, même chevron­
nés, le défi est néanmoins de
taille. L’association a un cahier ★★★ ★★★
des charges strict. « Ils doivent LE MONDE TÉLÉRAMA PREMIÈRE
trouver l’équilibre entre qualité ar­
tistique et sens de la pédago­
gie. Nous leur demandons un véri­
table projet adapté au jeune
public, insiste M. Niqueux. Et,
croyez­moi, il est très exigeant. »
Habituée à se produire avec sa
compagnie Miettes de Margoula,
Clémence Desprez n’a eu que
deux semaines pour écrire et
mettre en scène son spectacle. Il
faut la voir déployer toute son
Jorge (pour le duo Pra Melhorar)
ou Carlinhos Brown, mais aussi le
fils de son complice, Chico Brown.
C’est ce qu’exigent la variété dans
sa plus grande noblesse, le
rhythm’n’blues auriverde, les
chansons d’amour faites avec
amour et les élans romantiques.
Au cœur de l’album, quatre mer­ LES FILMS PELLÉAS PRÉSENTE
veilles successives : la bluette dé­
complexée de Totalmente Seu ; la
nocturne jazz d’Em qualquer Tom ;
la bossa façon Tom Jobim d’Espa­
çonaves et la ritournelle angélique
de Fazendo Cena. Vagalumes a des
airs de la Carmen de Bizet, ce qui ne
surprend pas chez celle qui nourrit UN FILM DE DANIELLE ARBID
autant de passion pour l’art lyri­
que que pour Carmen Miranda. D’APRÈS L’OUVRAGE D’ANNIE ERNAUX © GALLIMARD, 1992
Sans oublier la samba, avec cet Ele­
gante Amanhecer associant un ca­
vaquinho à une batterie de per­
cussions jouées par Pretinho da ACTUELLEMENT AU CINÉMA
Serrinha. La vie est là, avec l’éva­
sion. Que demander d’autre ? 
COURAMAIUD © PHOTO : MAGALI BRAGARD
bruno lesprit
Portas, 1 CD Phonomotor
Records/Sony Music.
14 | télévision
Sous le soleil de Stéphane De Groodt
Philosophant avec Charles Pépin, l’ancien pilote de course devenu comédien et auteur revient sur son parcours
FRANCE INTER
À LA DEMANDE
ÉMISSION
M
ais quelle belle idée
d’avoir invité Sté­
phane De Groodt,
et quel bonheur de
passer un peu de temps avec ce
magicien des mots, à la voix douce
malgré le débit hyperrapide que
seul Antoine de Caunes maîtrise
aussi bien que lui ! Mais repre­
nons. Fils d’un ingénieur et d’une
femme au foyer qui s’occupe
d’enfants handicapés dans des
associations, dernier de la fratrie,
Stéphane De Groodt souffre de
dyslexie. Parcours scolaire chaoti­
que et emplois divers et variés, de
barman à responsable marketing
en passant par GO (gentil organi­
sateur) au Club Méditerranée.
Et puis, déjà, la vitesse – il sera
longtemps pilote automobile
professionnel. Jusqu’en l’an 2000,
où il décide de basculer pleine­
ment du côté clair de la force : Sté­
phane De Groodt devient comé­
dien à temps plein.
Créateur de la série File dans ta
chambre et de la chronique « Re­
tour vers le futur » dans les émis­
sions que Maïtena Biraben pré­
senta sur Canal+ (« Le Supplé­
ment » et « La Matinale »), on l’en­
tend aussi à la radio. C’est sur
France Inter, dans la série d’été
(« Sous le soleil de Platon ») ima­
Un brillant vaudeville dans la campagne anglaise
Aux caractéristiques classiques de la comédie, le cinéaste britannique Stephen Frears a ajouté un soupçon de cruauté et de violence
OCS MAX
SAMEDI 14 – 22 H 05
FILM
T amara Drewe (adaption
du roman graphique épo­
nyme de Posy Simmonds)
peut n’apparaître que comme un
excellent divertissement, mais la
comédie réalisée en 2010 par le ci­
néaste britannique Stephen
Frears est plus que cela : une lon­
gue pause exquise dans la campa­
gne anglaise.
Tamara Drewe est le nom d’une
belle jeune fille qui vient s’instal­
GRILLE N° 21 - 187
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V IX. Encouragement au cirque. Est pas-
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 21 - 186
HORIZONTALEMENT I. Réabonnement. II. Ermite. Patio. III. Capterait. Vu.
IV. Othe. Flairer. V. Noirs. Ite. Lm. VI. Gaëls. Suée. VII. UFO. Miel. ARN.
VIII. Eludes. Oô. Et. IX. Toril. Silène. X. Epine-vinette.
VERTICALEMENT 1. Reconquête. 2. Erato. Flop. 3. Amphigouri. 4. Bitera.
Din. 5. Ote. Sémélé. 6. Nerf. Lis. 7. Alise. Si. 8. Epiât. Loin. 9. Maties. Olé.
10. Et. Ua. Et. 11. Nivelèrent. 12. Tourmentée.
Stéphane De Groodt, lors la projection de son film « Chacun chez soi », au 23e Festival
international de l’Alpe­d’Huez, le 16 janvier 2020. JEAN-PIERRE CLATOT/AFP
ginée par Charles Pépin qu’on
peut l’écouter à l’envi.
Rappelant quelques fulgurances
dont son invité a le sensitif secret
(« A voir l’océan aussi beau, je me
dis que la mer veille ») et accompa­
gné de quelques archives et d’un
peu de musique (Alain Bashung),
le philosophe (auteur notamment
des Vertus de l’échec, Allary édi­
tions 2016) lui demande de
ler dans une jolie maison du Dor­
set. Les lecteurs de Thomas
Hardy auront reconnu la région
d’élection de l’auteur de Tess
d’Uberville. Et le film de Frears est
apparenté au second degré à
l’une de ses œuvres, Loin de la
foule déchaînée.
Tamara Drewe (Gemma
Arterton) revient dans son vil­
lage, Ewedown, pour y faire reta­
per la maison dans laquelle elle a
grandi. Elle embauche le bel Andy
Cobb (Luke Evans) pour effectuer
les travaux. De l’autre côté de la
prairie, les Hardiment, Nicholas
7 8 9 10 11 12
réfléchir à cette belle question :
« Que peuvent, au juste, les mots
quand ils sont justes ? » « Les mots
ont pris soin de moi, répond sim­
plement Stéphane De Groodt. Ils
ont été comme un pansement, ils
m’ont aidé à pe/anser. »
Et pour penser, il a besoin de
mouvement : que cela soit pren­
dre une douche ou marcher. Car il
s’agit d’abord et avant tout de se
(Roger Allam), auteur de romans
policiers à succès, et Beth (Tamsin
Greig), fermière organique, tien­
nent une retraite pour écrivains.
Entre le romancier qui pratique
une forme irritante de fausse mo­
destie (« Vous savez, je travaille un
peu comme à l’usine »), le bel
homme à tout faire, la journaliste
narcissique, l’épouse crédule, le
scénario tisse une série de men­
songes, de passions éphémères
qui finissent par s’enchevêtrer.
Surtout après l’arrivée dans la mê­
lée de Ben Sergeant (Dominic
Cooper, brillant acteur comique),
HORIZONTALEMENT
I. Quand les affaires tournent au
racket. II. Plus utile au métallier qu’au
raseur. Ne supporte pas l’étroitesse.
III. Facilite le placement. Passée dans
la descente. IV. Causâmes quelque
trouble. Amérindien du Mexique.
V. Regardèrent avec attention. Déchif-
frée n’importe comment. VI. Se dé-
place souvent en train. Cogne sous
l’effet du ressac. VII. Pratiquait des ré-
ductions. Peintre suisse. VIII. En liber-
té. Son école a accueilli Zénon et
Xénophane. Arrives chez nous.
sé de dada au surréalisme. Points en
opposition. X. Grand coup de barre
physique et moral.
VERTICALEMENT
1. Chez les chrétiens, elle peut rache-
ter. 2. Très mauvais, voire horrible.
3. Sans les interventions des
hommes. Piégé. 4. Richement et sa-
voureusement préparée. 5. Cours
de Russie. Dans l’erreur. Doit tout
au hasard. 6. Fournisseurs pour sour-
ciers. 7. Plume américaine née en
France. Donnent leurs appréciations.
8. Les armes de Chanteclerc. Deux
doigts de sherry. 9. Conjonction.
Passage à la campagne 10. Mettra à
l’abri pour un temps. 11. Produit
de l’intelligence. On l’a vu traîner
à la Bastille. 12. Garnis et ajoure
l’ouverture.
mettre en marche, à l’aventure.
« Quand on tente l’aventure, il n’y a
jamais d’échec. Et quand on se
trompe de chemin, on découvre des
choses magnifiques », dit celui qui,
au « signifiant », préfère souvent
« le sensible, le sincère ». C’est le
plaisir de goûter plutôt que celui
de savoir ce qu’il y a dans un plat.
Le plaisir du jeu, des mots et de
leur polysémie : « J’aime me rendre
batteur dans un groupe pop et
personnage récurrent des « unes »
de tabloïds. Le rôle des Parques a
été confié à une paire d’adolescen­
tes rendues infernales par l’ennui
campagnard, qui influent sur le
destin des personnages à coups
d’e­mails frauduleux.
Maître de la transparence
Tamara Drewe est peuplé de per­
sonnages aux traits à peine forcés,
interprétés par une procession
d’acteurs britanniques (dont un
certain nombre se sont illustrés
dans diverses séries télévisées) ca­
SUDOKU
N°21­187
7 5
8 2
4 1
3 6
4 1 5 8 Chaque chiffre ne doit
9 8 2 seule fois par ligne,
7 6 9 1 3
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Chaque jeudi,
le meilleur
de la presse
étrangère
CHEZ VOTRE MARCHAND
DE JOURNAUX
disponible et me laisser cueillir. »
Lui qui ne goûte guère au cynisme,
qu’il bannit de ses écrits, travaille
un peu, beaucoup, passionné­
ment, passe des heures et des
nuits à trouver les bons mots, ceux
qui résonnent, ceux qui touchent.
Pariant toujours sur l’intelligence
de celles et ceux qui écoutent, il ne
s’interdit rien, multiplie allitéra­
tions, métaphores qu’il file à toute
allure. Car, de son débit, il faudra
bien reparler tout de même.
« Notion de la mort »
Alors, bien sûr, on pourrait
convoquer d’autres comédiens
coureurs automobiles : Steve Mc­
Queen, Paul Newman ou encore
Jean­Louis Trintignant. Mais il
faudrait ajouter ce qu’il confie
d’ailleurs sans peine, avec pudeur
et justesse, qui semblent aller de
pair chez lui : « Dans toutes les
strates de ma vie, il y a de la
vitesse : en amour, quand j’écris,
quand je parle, c’est mon rythme.
C’est que très tôt j’ai eu la notion de
la mort. » Alors, et en attendant
que les Parques viennent nous
couper l’herbe sous le pied, filons
réécouter encore et encore ce
comédien poète. 
émilie grangeray
Sous le soleil de Platon : La Magie
des mots, avec Stéphane
De Groodt, une émission
de Charles Pépin (53 min).
pables de prendre tous les virages,
dramatiques ou comiques, sans
jamais perdre le contrôle.
Les dialogues et les situations
relèvent d’abord du vaudeville
brillant, au fait des travers de
l’époque. Stephen Frears orga­
nise cette agitation. Personne ne
sait chanter, l’air de rien, comme
Stephen Frears, maître de la
transparence.
Au fil des séquences, on sent
que remontent à la surface les ca­
ractéristiques communes à pres­
que tous les films du réalisateur :
l’amertume et la cruauté, la vio­
1 4
6 3
9 Très difficile
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
par colonne et par
carré de neuf cases.
FRANCE
VACCINATION : FALLAIT-IL MANŒUVRE TECHNO — SINGAPOUR
PASSER EN FORCE ?
VIVRE
AVEC LA
CANICULE
De l’Ouest américain à la Sibérie,
en passant par la Grèce,
l’italie ou l’Irak, la planète est
en surchauffe. Comment s’adapter
aux chaleurs extrêmes?
Les pistes de la presse étrangère
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
NOTRE
SÉLECTION
SAME DI 14 AOÛT
Canal+ Sport
Football : Premier League
13.25 Le très populaire championnat
d’Angleterre reprend et Canal+
propose deux affiches en direct.
En début d’après-midi, Manchester
United-Leeds, à Old Trafford. Puis, les
Canaris de Norwich face à Liverpool
à 18 h 25. Joli programme.
Histoire TV
Greco, peintre de l’invisible
20.50 Documentaire espagnol de
Miguel Angel Trujillo et Cristina Otero
(2014). Un remarquable voyage
autour de l’œuvre monumentale
du Greco (1541-1614), né à Héraklion
et mort à Tolède. Entre ombres
et lumières, portrait d’un artiste
exceptionnel.
Ciné + Club
Il Divo
20.50 Film de Paolo Sorrentino
(2008) avec Toni Servillo, Anna
Bonaiuto. Une approche inattendue
et insolente pour tracer le portrait
de Giulio Andreotti, leader de la
Démocratie chrétienne, qui régna
plus de quarante ans sur l’Italie.
LCP-Public Sénat
Sartre, l’âge des passions
21.00 Téléfilm de Claude Goretta
(2006) avec Anne Alvaro, en Simone
de Beauvoir, et Denis Podalydès, qui
se glisse littéralement dans la peau
de Sartre. L’action, elle, se concentre
entre 1958 (référendum de De
Gaulle) et 1964 (refus du prix Nobel).
lence, même, viennent déranger
l’ordonnancement comique.
On dirait décidément que le film
est visité par le fantôme de Tho­
mas Hardy, spécialiste en pas­
sions rurales et meurtrières.
Frears est trop adroit pour laisser
ces éléments délétères gâcher
l’euphorie des spectateurs. Mais il
ne rechigne pas à ruiner la vie de
certains de ses personnages. 
thomas sotinel
Tamara Drewe, de Stephen
Frears. Avec Gemma Arterton,
Roger Allam (RU, 2010, 109 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
1 8 6 7 5 4 9 3 2
4 3 9 6 1 2 7 8 5 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
2 7 5 3 9 8 6 1 4 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
6 2 8 9 7 1 5 4 3 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
9 4 7 8 3 5 1 2 6
5 1 4 2 6 8 7 9 abojournalpapier@lemonde.fr.
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5 9 4 2 8 7 3 6 1
7 6 3 1 4 9 2 5 8 Courrier des lecteurs
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paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
AFGHANISTAN — LA CHINE À LA
CULTIVE L’ALIMENTATION DU FUTUR Présidente :
Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
Bretagne 4,60 £, Grèce 5,20 €, Italie
530 DA, Allemagne 5,40 €, Andorre
5,20 €, Japon 850 Y, Maroc 41 DH,
5,00 €, Espagne 5,20 €, Grande-
Afrique CFA 3400 F CFA, Algérie
5,00 €, Canada 7,75 $CAN, DOM
PaysBas 5,20 €, Portugal cont.
5,20 €, Suisse 6,70 CHF, TOM
No 1606 du 12 au 18 août 2021
850XPF, Tunisie 7,20 DT.
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France : 4,50 €
67-69, avenue
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93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021 carnet | 15
Danièle Fleury, Laurence des Cars, Célia, Cyril, Sa famille,
son épouse, présidente de l’Etablissement public ses enfants, Ses amis,
Antoine et Simon, du musée d’Orsay et du musée de Jean-Éric, Olivier, Dominique (†),
ses fils l’Orangerie-Valéry Giscard d’Estaing Laurent (†), Benoît, ont la tristesse de faire part du décès
en vente et leurs épouses, Et l’ensemble des équipes de ses frères, de
actuellement Le Carnet Ses petits-enfants, l’établissement, Les familles Martin et de Mesmay,
Ses nièces, Madeleine PARAT,
rendent hommage à ont la tristesse de faire part du décès
Ses cousins,
K En kiosque Vous pouvez nous faire Ses belles-sœurs et beau-frère, de survenu le 8 août 2021,
Michel LACLOTTE, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.
HORS-SÉRIE
parvenir vos textes ont la douleur de faire part du décès historien d’art
Jérôme de MESMAY,
de et conservateur général honoraire Une cérémonie religieuse sera
INCLUS
«La bataille du riz»
de A à Z
soit par e-mail : du patrimoine,
survenu le 9 août 2021, célébrée le lundi 16 août, à 9 h 30,
à l’âge de soixante-huit ans.
l’album complet

carnet@mpublicite.fr André FLEURY, directeur de l’équipe en l’église de Saint-Chéron (Côtes-

professeur émérite de préfiguration d’Armor).
(en précisant impérativement à l’Ecole nationale supérieure du musée d’Orsay (1978-1986). Jérôme a rejoint son épouse,
votre numéro de téléphone du paysage de Versailles,
Élisabeth de MESMAY, Marly-le-Roi.
chevalier
et votre éventuel numéro
s née MARTIN,

75 ande Far
numéro
de l’ordre du Mérite agricole, Michel Laclotte a joué un rôle décisif
anniversair
e
Danielle Varache,
West d’abonné ou de membre dans la création du musée d’Orsay et de
née Caillat,
son développement. Il fut à l’origine décédée le 2 avril 2010.
de la SDL) survenu le 31 juillet 2021, son épouse,
de la conception même du musée,
Hors-série à Jullouville. Une cérémonie aura lieu le lundi Nathalie, Eric et Jean-Marc,
du périmètre de ses collections, de son
soit sur le site : Agronome (P60) André Fleury a
programme muséographique et de sa 16 août, à 10 h 45, en l’église Saint- ses enfants,
programmation culturelle, à l’ambition Séverin, Paris 5e. Laurent, Sandra et Aline,
https://carnet.lemonde.fr enseigné à l’INAPG et à l’ENSH avant profondément polyphonique. On lui son gendre et ses belles-filles,
d’être nommé à l’ENSP en 1994 où il a
HORS-SÉRIE
Aragon-Triolet
doit également une politique active Nils, Adrien et Clément,
Patrick Yeni,
Balzac

L’équipe du Carnet
Chateaubriand
Cocteau
Colette occupé l’unique poste de « professeur d’acquisition, ouverte notamment ses petits-enfants
président du conseil national du sida
Dumas

d’agriculture périurbaine » créé par

Giono
Hugo

à tous les foyers internationaux Et toute sa famille,

80 reviendra vers vous
Loti

et des hépatites virales,

Mallarmé

le ministère de l’Agriculture et de de création de la seconde moitié du

Mauriac
Proust
Saint-Exupéry

MAISONS
Sand…

Les membres du conseil

D’ÉCRIVAINS dans les meilleurs délais la Forêt. Passionné par les relations XIXe siècle.
Et son secrétariat général,
ont l’immense tristesse de faire part
pour l’été — complexes entre la ville et du décès de
pour vous confirmer l’agriculture, il en a fait le premier Jean-Luc Martinez,
la parution. thème de recherche de cette école, président-directeur, ont la très grande tristesse de faire
repris par d’autres centres de Les équipes du musée du Louvre, part du décès de leur collègue, Jean-Michel VARACHE,
recherche INRA. Il est le vrai fondateur
Hors-série carnet@mpublicite.fr des recherches en agriculture urbaine expriment leur grande émotion à Sandrine MUSSO,
en France. Très apprécié des l’annonce du décès de docteure en anthropologie sociale survenu le 5 août 2021,
https://carnet.lemonde.fr
agriculteurs autant que des autres et ethnologie, à l’âge de soixante-quinze ans.
0123 acteurs des territoires, il aura été à maîtresse de conférence
Sauver AU CARNET DU «MONDE» Michel LACLOTTE, de l’université d’Aix-Marseille,
l’origine de la plupart des projets agri-
HORS-SÉRIE JEUX

la planète historien de l’art, La cérémonie religieuse a été

en jouant avec urbains d’Île-de-France la société directeur du musée du Louvre chercheure au centre Norbert Elias, célébrée le jeudi 12 août, en l’église de
le Petit Prince
Naissances urbaine et les pouvoirs publics ayant de 1987 à 1994, Louveciennes (Yvelines).
relayé les résultats de ses travaux pour survenu le 7 août 2021,
Baptiste et Flavie répondre à des questions de sécurité à l’âge de quarante-huit ans. Cet avis tient lieu de faire-part.
LE TENIER alimentaire et de santé publique. qui a profondément marqué de son
partagent avec empreinte le musée, en tant que Ils s’associent à la douleur de sa 50 ter, rue Henri-Beque,
Il a été inhumé le 4 août, à conservateur en chef du département famille et de ses proches. 78160 Marly-le-Roi.
Jeanne, des Peintures puis premier directeur
Granville (Manche).
la joie de faire part de la naissance de de l’établissement public. Historien
de l’art brillant et engagé, ardent
Hors-série Agathe, Mme Danièle Fleury, défenseur de la création du musée Société éditrice du « Monde » SA
37, rue Théodore-de-Banville, Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
d’Orsay et du Grand Louvre, il était Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
le 3 août 2021, à Saint-Malo. 91120 Palaiseau. convaincu que la beauté des Directrice de la rédaction Caroline Monnot

Collections Michele ZIEGLER et Michael MILLER, Odile Grau,

collections et le dialogue des arts
pouvaient stimuler la création
artistique.
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard,
Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Alexis Delcambre,
Marie-Pierre Lannelongue, Harold Thibault
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
PRÉSENTE
ont la vive joie et le doux plaisir son épouse, Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
d’annoncer la naissance du petit Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Il s’est éteint le 10 août 2021,
Cécile et Thierry Daubignard, Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
jour anniversaire de l’ouverture du Rédaction en chef Laurent Borredon, Laetitia Clavreul, Michel Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie),
François-Marie et Joséphine Grau, musée du Louvre en 1793 sous la Sabine Ledoux (chef d’édition), Christian Massol, Franck Nouchi (Débats et Idées)
Lion,
Hélène et Olivier Thierry, Révolution. Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Nicolas et Claire Grau, Infographie Delphine Papin
le 12 août 2021. ses enfants, Le musée lui exprime toute sa Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
gratitude et s’associe à la douleur de Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
sa famille et de ses proches. Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
« Il se couche comme un lion, qui le Camille et Clément, Noémie, Adrien,
fera se lever ? » Victoria, Quentin, Julie, Alexandre,
Rémi (†), Julien, Alix, Chloé, Annaëlle,
lion.e.miller@gmail.com
L’AGENCE BARNETT ET CIE
par Maurice Leblanc
ses petits-enfants,

Décès ont la tristesse d’annoncer le décès

Dès mercredi 4 août, de
Les Éditions du Seuil
le volume n° 17
L'AGENCE BARNETT ET CIE ont appris avec une profonde tristesse Gérard GRAU,
le décès de Ecole centrale Paris 50,
ENSPM 1952, Ph. D. Caltech 1957,
ancien directeur de recherche
AU CŒUR DE LA MYTHOLOGIE

La grande encyclopédie de référence

Isabelle CREUSOT,
survenu le lundi 9 août 2021.
Après plus de trente ans à œuvrer
pour le rayonnement des auteurs
et conseiller scientifique
à l’Institut français du pétrole
Le journal papier livré chez
(IFP Energies nouvelles),
ancien directeur vous et le numérique
de l’Institut océanographique
de Paris,

169 € pour 6 mois

qu’elle aimait tant, sa disparition est ancien président
une perte immense pour la maison. du comité national français
de géodésie et géophysique,
Nous nous associons à la douleur
de sa famille. ancien président
et membre d’honneur
de European association exploration
Françoise Banat-Berger, geophysicists (EAEG),
cheffe du service interministériel chevalier
Dès le mercredi 4 août, des Archives de France, de l’ordre national du Mérite,
le volume n° 10 officier
AMON-RÊ a la tristesse de faire part du décès de dans l’ordre des Arts et des Lettres,

survenu le 10 août 2021, dans sa

M. Michel DUCHEIN,
inspecteur général honoraire
HISTOIRE de FRANCE
LE CHEF-D’ŒUVRE DE JULES MICHELET à la direction des Archives de France,
officier de la Légion d’honneur,
commandeur
de l’ordre national du Mérite,
chevalier de l’Empire britannique,
décédé à l’âge de quatre-vingt-
quatorze ans.
quatre-vingt-quatorzième année.
La cérémonie religieuse aura lieu
le jeudi 19 août, à 10 h 30, en l’église
Saint-Germain de Saint-Germain-en-
Laye.
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Cet avis tient lieu de faire-part. promo.lemonde.fr/quotidien-numerique-6-mois
133, bis rue Léon-Désoyer,
78100 Saint-Germain-en-Laye. BULLETIN D’ABONNEMENT 173EMQAD6M
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Elle partage la tristesse de sa Les familles d’Eimar de Jabrun,

de Kermabon, de Margerie, Boullet Je m’abonne à l’offre Quotidien + numérique du Monde Nom :
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Les familles Laclotte, Brochu et
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douzième année, le 10 août 2021, Digicode N° Nominative Collective Escalier N° le week-end
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lieu le mardi 17 août 2021, à partir de Les obsèques auront lieu dans portabilité des données et à la limitation des traitements, que vous pouvez exercer à l’adresse suivante, en joignant une photocopie de votre pièce d’identité : LE MONDE – DPO – 67/69,
avenue Pierre-Mendès-France - 75707 Paris Cedex 13. Pour plus d’informations, consultez notre Politique de confidentialité sur le site www.lemonde.fr ou sur le site de la CNIL www.cnil.fr
15 heures, au crématorium de Reims. l’intimité familiale.
 0123
16 | SAMEDI 14 AOÛT 2021

C
e 5 août 1962, Brigitte Bardot
profite de l’étirement des BRIGITTE BARDOT, EN TOUTE LIBERTÉ 5 | 6  Sur le tournage du
journées d’été dans sa maison
de Bazoches (Yvelines) quand
« Mépris », en 1963, en Italie, l’actrice, devenue star,
la radio annonce que Marilyn s’aperçoit vite que le réalisateur la filme en cherchant
Monroe a été retrouvée
morte à son domicile. Un « suicide proba­ à retrouver sa femme, Anna Karina. Ce rôle sera
ble », selon le médecin légiste, dû à une over­
dose de barbituriques. Brigitte Bardot se dé­
l’une des dernières grandes apparitions de BB
compose et, prenant conscience du fil invisi­ avant son choix de quitter le cinéma
ble qui la relie à la star hollywoodienne, se
tourne vers Jean­Max Rivière, son ami et le
compositeur de ses chansons, et lui de­

Avec Godard, dans

mande : « Que vais­je devenir ? »
Bardot croise Marilyn Monroe le 29 octo­
bre 1956 dans les toilettes du cinéma Empire,
sur Leicester Square, à Londres, à l’occasion
d’un gala annuel, où des personnalités du ci­
néma sont présentées à la reine. BB doit l’in­

la peau d’une autre

vitation à la productrice anglaise de Rendez­
vous à Rio (1955), un film obscur dans lequel
elle tient un petit rôle au côté de Dirk
Bogarde. Elle répond d’autant plus favorable­
ment à la proposition que ses camarades de
Paris Match l’ont avertie que Marilyn serait là.
A cette époque, la vedette française vient
de découvrir le premier montage de Et Dieu…
créa la femme, de son époux Roger Vadim,
qui sortira un mois plus tard. Elle s’y trouve
« pas mal ». « Pas mal » au sens où elle pense
qu’elle ne pourra jamais soutenir la compa­
raison avec la vedette des Hommes préfèrent
les blondes. Dans la salle de l’Empire, l’écri­
vain Arthur Miller, le mari de Marilyn Mon­
roe, remarque cette Française au visage sor­
tant de l’ordinaire. « Il y avait une fille plutôt
petite, à l’air timide, avec de longs cheveux ra­
menés sur la tête ; comme elle se tenait der­
rière moi, j’ai pu saisir son nom », raconte le
dramaturge, frappé par son étrange « chou­
croute » – des cheveux en abondance, sa­
vamment déstructurés, s’élevant haut sur le
visage. La « choucroute » est bannie par Va­
dim pour Et Dieu… créa la femme afin de per­
mettre à ses cheveux – il lui demande de les
teindre en blond – de rester en liberté,
comme son personnage.
Dans les toilettes de l’Empire, au milieu de
femmes soucieuses de corriger un détail,
Bardot ne regarde que Marilyn. Blonde dans
une robe dorée, la mèche rebelle coulant sur
son cou, indifférente au protocole, laissant
la trace persistante du parfum N° 5 de Cha­
nel. « Il émanait d’elle une fragilité gracieuse,
une douceur espiègle », remarque Bardot. El­
les ne se parlent pas, mais une fragilité les
rapproche. Marilyn est une actrice surdouée
dont le talent indiffère. Bardot affiche un
manque de confiance inversement propor­
tionnel à son talent. Quand Antoine Bour­
seiller lui propose le rôle de Célimène dans
Le Misanthrope, de Molière, au Théâtre na­
tional populaire de Chaillot, à Paris, la comé­
dienne se révèle extraordinaire lors des ré­
pétitions, soutient le metteur en scène. Mais
la peur de sortir de sa zone de confort la fait
renoncer. Si Monroe n’a pas mené sa car­
rière au bout, Bardot, elle, n’exprimera ja­
mais tout son potentiel.
En 1962, la fragilité de Bardot s’articule
autour d’une question : que vais­je devenir ?
A la fin de l’été, son compagnon d’alors, le
comédien Sami Frey, participe, avec Anna
Karina, épouse de Jean­Luc Godard, aux ré­
pétitions de Pour Lucrèce, de Jean Girau­
doux. Godard est là, qui prévoit de faire la
captation de la pièce pour la télévision. Très
vite, les deux couples prennent l’habitude
de se retrouver, après le travail, dans une
brasserie, place de l’Alma.
L’amitié tissée après plusieurs soirées per­
met à BB de poser à Godard des questions
qu’elle n’aurait pas imaginées dans un autre
contexte. Elle sait que le metteur en scène
prépare une adaptation du Mépris, le roman
d’Alberto Moravia, publié en 1954, un projet
pour lequel le réalisateur est en quête des
deux acteurs principaux pour incarner un
couple qui se déchire. Soudain, Bardot com­
prend ce qu’elle souhaite devenir. Et ce qu’elle
désire, elle finit toujours par le réclamer.
« C’est vrai ? Vous voulez tourner Le Mépris ?
– Oui.
– J’ai toujours trouvé ce livre formidable, le
meilleur de Moravia !
– Vous accepteriez d’être la vedette ?
– Oui. »
Godard rêve de Bardot depuis Et Dieu… créa
la femme, trouvant qu’elle incarne la moder­
nité. L’actrice est du reste adoubée par les
Jeunes­Turcs de la Nouvelle Vague. Entre Go­
dard et Truffaut, c’est même à celui qui lui
écrit la plus convaincante lettre d’admira­
tion. Lorsque les Cahiers du cinéma publient,
en août 1959, le scénario d’Une femme est une
femme, qui sera, après A bout de souffle, le
deuxième film de Godard, ce dernier choisit
de l’illustrer avec une photo de Bardot. C’est
pourtant un mannequin qu’il a repéré et
dont Coco Chanel a trouvé le pseudonyme,
Anna Karina, qui endossera le rôle.
« LA TROUILLE DE LA DIRIGER »
Car entre­temps, ayant tourné avec Claude
Autant­Lara et Henri­Georges Clouzot, l’ac­
trice devient l’emblème d’un cinéma estam­
pillé « qualité française » par Godard et Truf­
faut, autrement dit un cinéma ranci, qu’il
faut dessouder. La formule du premier, pour
dire que son envie lui est passée, est claire :
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021 | 17

« Etant donné que Bar­ villa Malaparte, près

dot est devenue ce Godard parle peu, de Capri, avec son im­
qu’elle est… » Elle est
surtout devenue une
ne regarde mense escalier brûlé
par le soleil. D’emblée,
star incontournable, personne dans Bardot se met en re­
et Godard n’a plus le trait. Elle arrive à
choix. Si Le Mépris est les yeux… Il pétrifie Rome avec trois jours
un film franco­italien,
c’est un producteur
Bardot, qui, de retard, établit ses
quartiers dans un pa­
américain installé en sans le savoir, lais de la Renaissance
Europe, Joseph E. Le­ avec ses parents, son
vine, qui avance la ma­ le terrorise compagnon Sami
jeure partie des fonds. Frey, sa maquilleuse,
Bardot est la pièce ma­ sa doublure, sa coif­
jeure de sa stratégie : la plus grande star euro­ feuse et sa costumière.
péenne dirigée par le réalisateur emblémati­ Ce retrait est lié à un traumatisme. Bardot
que de la Nouvelle Vague. Sans elle, plus de se calfeutre où qu’elle aille depuis ce 12 no­
Mépris. Ce long­métrage reste une produc­ vembre 1961, jour où elle reçoit une lettre de
tion modeste à son échelle, mais un pari im­ l’OAS, organisation terroriste proche de l’ex­
portant pour Godard. L’essentiel du budget trême droite, qui défend l’Algérie française :
va d’ailleurs dans la poche des acteurs, à si l’actrice ne lui verse pas 50 000 francs, elle
commencer par celle de Bardot, dont le ca­ songera à « entrer en action ». En février 1962,
chet d’un million de dollars représente la une bombe de l’OAS explose au domicile
moitié du coût du film. d’André Malraux, à Boulogne, blessant griè­
En 1962, Godard rejoint l’actrice dans son vement une fillette de 4 ans. Bardot commu­
appartement parisien, avenue Paul­Doumer, nique la lettre à L’Express, un hebdomadaire
dans le 16e arrondissement. Elle remarque le en pointe contre la guerre d’Algérie, ajoutant
borsalino de taille réduite vissé sur son qu’elle refuse tout chantage et n’a aucune
crâne, couvrant tout juste sa tonsure appa­ « envie de vivre dans un pays nazi ». La France
rente. Un chapeau dont hérite Michel Piccoli, découvre une actrice sous un jour nouveau,
le partenaire de Bardot dans Le Mépris. Alter le président de Gaulle aussi – ils sont alors les
ego du cinéaste, l’acteur français doit incar­ deux Français les plus connus dans le monde
ner un scénariste séduisant et à l’esprit fai­ entier. Depuis cet incident, la vedette vit à Pa­
ble, acceptant l’offre d’un producteur améri­ ris sous surveillance policière. Mais pas en
cain de réécrire un texte adapté de L’Odyssée, Italie, au grand dam de son père.
le poème d’Homère, mis en scène par un réa­ Ce qui attend surtout Bardot à Rome, c’est A gauche :
lisateur allemand, mais réalisant, une fois ar­ une horde de paparazzis. Jean­Luc Godard Brigitte Bardot
rivé en Italie, que son épouse le délaisse. use alors d’une stratégie imparable : les et Michel Piccoli,
Avec Godard, l’actrice découvre un maintenir à distance tout en les intégrant à la sitôt le tournage déplacé vers le sud de l’Ita­ la partie la plus sauvage et solitaire de l’île, dans « Le Mépris »,
homme aux antipodes de son monde. Il fabrique du film. Le cinéaste assigne à l’un de lie, puis à Capri, les paparazzis se réduisent une maison que cet écrivain, mort en 1957, de Jean­Luc Godard,
parle peu, se cache derrière des lunettes fu­ ses proches, Roland Tolmatchoff, la mission au nombre de trois. Bardot s’en étonne. Elle voulait « triste, dure, sévère ». C’est une sorte sorti en 1963.
mées, ne regarde personne dans les yeux. Il délicate de devenir le garde du corps de BB. y voit même une perte de son influence. de bunker planté sur un rocher à pic au­des­ Ci­dessus :
pétrifie Bardot. Mais, sans le savoir, elle le « Puisque tu la connais, tu t’en occupes », lui Dans la relation complexe entre une star et sus de la mer, tourné vers le midi et l’Orient. avec le réalisateur,
terrorise. « Jean­Luc mettait souvent ses in­ intime Godard. Tolmatchoff et Bardot ont les médias, le mépris est chose impossible. « Une maison qui est le spectre, l’image se­ pendant le tournage.
terlocuteurs mal à l’aise. Avec Bardot, il a fait fait connaissance dix ans plus tôt, en 1952, à Le plateau du film dessine une lutte de crète de ma prison », ajoutait Malaparte. C’est DILTZ/BRIDGEMAN IMAGES
pire, et il a réussi, masquant très bien sa Genève, lors d’une tournée en Suisse des pe­ clans. Dans celui de Godard, le directeur de du haut de ce promontoire que Camille Javal
trouille de la diriger », explique Jacques Ro­ tits rats de l’école de danse Bourgat, dont elle la photo, Raoul Coutard (qui apparaît dans le (Bardot) signifie à son mari la fin de leur his­
zier, le réalisateur d’un des bijoux de la Nou­ faisait partie. « J’accompagnais un ami qui légendaire générique lu par Godard), le di­ toire. Il arrive parfois qu’un chef­d’œuvre pa­
velle Vague, Adieu Philippine (1962). Ce der­ avait des vues sur elle, raconte Roland Tol­ recteur de production Philippe Dussart, tiente d’être achevé. Regarder Bardot dans la
nier a le temps de les observer, Godard le matchoff. Au moment où il s’apprêtait à la Michel Piccoli et Fritz Lang, qui tient le rôle lumière délicate et mélancolique de la villa
chargeant de réaliser deux courts­métrages faire monter dans sa voiture, Bardot m’a re­ du metteur en scène de L’Odyssée. En face, Malaparte, c’est assister à la touche finale
sur le tournage du Mépris, Paparazzi et Le gardé en lui disant : “Pourquoi vous et pas l’acteur américain Jack Palance (en produc­ d’un tableau – le film – dont il manquait l’élé­
Parti des choses : Bardot et Godard. lui ?” Le lendemain après­midi, nous avons teur de l’adaptation d’Homère), détesté de ment fondamental.
Ils ont besoin l’un de l’autre, mais Bardot et partagé son lit à l’hôtel. » tous, dans le film comme sur le plateau. Au
Godard n’ont aucune envie de faire connais­ Godard comprend vite que le cirque des pa­ milieu, Bardot constitue un archipel à elle RARE MOMENT DE QUIÉTUDE
sance. Le cinéaste a juste pour objectif de lui parazzis menace son tournage. Ils escaladent seule, au point d’être filmée comme un Un épisode surprenant survient lors de la
faire abandonner, pour les besoins du film, les murs et les balcons, se cachent sous les ta­ corps étranger par Godard. première semaine de tournage du Mépris.
sa fameuse choucroute et de faire baisser le bles et les banquettes. « Brigitte pleurait beau­ Dans la scène culte d’ouverture, magnifiée BB tient à visiter le Musée du Vatican. Ro­
niveau de sa jupe au­dessous du genou. coup, au point de mouiller ma chemise. Sami par la musique de Georges Delerue, Bardot land Tolmatchoff l’accompagne. L’actrice
« Pour mes cheveux, je fais comme je veux », Frey tournait en Espagne et ne la rejoignait exhibe son corps nu allongé dans un lit, les connaît un de ses rares moments de quié­
pose Bardot en préalable. « Ecoutez, Bri­Bri, il pas aussi souvent qu’elle le souhaitait », ra­ fesses en évidence, enveloppé d’une lumière tude dans une chapelle Sixtine encore épar­
faut baisser votre truc sur la tête de quinze conte Roland Tolmatchoff. L’idée est d’offrir orangée et sourde. Godard offre au regard le gnée par le tourisme mondialisé. Elle con­
centimètres », répond Godard, qui avance Bardot sur un plateau à trois cents journalis­ rêve des paparazzis, ou plutôt le rêve de cen­ temple de longues heures, sans baisser la
alors cet argument de séduction : « Si je mar­ tes, afin de les calmer. L’actrice se présente en taines de millions de personnes à travers le tête, le plafond, trouvant en Michel­Ange
che sur les mains pour vous, est­ce que vous veuve à l’Hôtel Excelsior : robe noire, yeux monde. Mieux, l’actrice multiplie les ques­ l’artiste d’un monde idéal où elle aurait sou­
baisserez la hauteur de vos cheveux d’un cen­ surlignés de la même couleur, cheveux atta­ tions impudiques à un Piccoli fasciné et in­ haité trouver sa place. LIVRES
timètre pour chaque mètre que je ferai ? » chés avec une broche du même ton, discret terdit : « Qu’est­ce que tu préfères : mes seins Bien plus tard, en 1985, pour les besoins du
collier autour du cou. Elle est entourée d’Al­ ou la pointe de mes seins ? Et mes genoux, tu Reader’s Digest, l’écrivain Marcel Cohen ren­
EN VEUVE À L’HÔTEL EXCELSIOR berto Moravia, de Jean­Luc Godard et du pro­ les aimes, mes genoux ? Et mes cuisses.. et mes contre BB et lui demande ce qui, à ses yeux, a
Persuadée que son interlocuteur bluffe, Bar­ ducteur Carlo Ponti. Ses réponses aux ques­ fesses, tu les trouves jolies, mes fesses ? » manqué à sa gloire durant sa carrière. Elle ré­ Initiales B.B. Mémoires,
dot accepte le pari. Sec, bon sportif, ayant tions sont d’une élégance froide calculée. Ce corps morcelé par les mots ouvre un pond sans hésiter : « J’aurais tant aimé qu’un de Brigitte Bardot
cette manière inhabituelle de se déplacer « Quel fut votre premier cachet ? film sur la souffrance amoureuse. Mais pas grand peintre fasse mon portrait. » Sous­en­ (Grasset, 1996)
pour faire avancer les choses, Godard ar­ – Un cachet d’aspirine. celle qu’imaginait Bardot en lisant Moravia. tendu, les tableaux réalisés par Marie Lau­
pente le salon de l’actrice, la tête à l’envers. – Quel fut le plus beau jour de votre vie ? Elle ne peut que constater le quiproquo : en rencin, quand Bardot était encore une en­ Brigitte Bardot, plein la
Dans Le Mépris, la chevelure de Bardot se – Une nuit. la filmant, Godard cherche à retrouver Anna fant, puis par Kees van Dongen, ne sont pas vue, de Marie-Dominique
trouvera bridée par un bandeau sombre, ou – – Quel est l’être le plus stupide que vous ayez Karina, au point de lui demander de calquer de ce calibre. Ni quelques plans magiques du Lelièvre (Flammarion,
sacrilège – couverte d’une perruque noire. rencontré ? sa démarche sur celle de son épouse et de lui Mépris, qui portent pourtant cette ambition. 2012)
Mais elle tient tant à ce rôle… – Vous, de me poser une question aussi bête. infliger une perruque brune pour un effet de Marcel Cohen lui parle alors des portraits
Sa relation avec le texte du Mépris relève de – Quel est votre film préféré ? mimétisme. Les gros mots de l’actrice à imaginaires que le peintre espagnol Anto­ Brigitte Bardot,
l’intime. Elle l’a lu comme on lit une lettre – Le prochain. l’écran sont ceux de Karina dans la vie. La ve­ nio Saura réalise d’elle dans les années 1960. la femme la plus belle
d’amour qui lui aurait été adressée. Du reste, – Qu’aimez­vous faire dans la vie ? dette du Mépris réalise, au gré des allers­re­ « Je lui ai envoyé les catalogues de Saura, in­ et la plus scandaleuse
Alberto Moravia dépeint son personnage – Rien. tours du cinéaste entre l’Italie et Paris ou trouvables, signés de la main de l’artiste. » Cet au monde, d’Yves Bigot
principal, Emilia, comme si le buste de la Bar­ – Que pensez­vous de l’amour libre ? l’Espagne pour rejoindre son épouse, que ce envoi restera sans réponse. Ces portraits de (Don Quichotte
dot de 1962 avait été posé sur sa table. « Ses – Je ne pense jamais quand je fais l’amour. film raconte autant la relation amoureuse la vedette, à la fois femme et monstre, quasi­ Editions, 2014)
épaules, ses bras, son cou étaient les plus – Qu’est­ce qui vous séduit le plus chez un exsangue du cinéaste que le couple brisé ment réduite à une charogne, ne peuvent lui
beaux que j’aie jamais vus, ronds, pleins, élé­ homme ? imaginé par Moravia. plaire. Marcel Cohen aurait aussi pu men­ Et Dieu créa les femmes,
gants… Elle avait une bouche charnue, fraîche, – Sa femme. Bardot n’a pas l’habitude d’être étrangère à tionner les huit admirables portraits psy­ Brigitte, Françoise,
rieuse avec des dents d’une blancheur lumi­ – A quoi attribuez­vous votre célébrité ? son rôle. Elle goûte peu ce registre. Son légen­ chédéliques qu’Andy Warhol réalise d’elle, Annabel et les autres,
neuse, et qui paraissait toujours humide et – Regardez. » daire phrasé ressemble soudain à une grève en 1974, à la demande de son troisième de Jean-Claude Lamy
éclatante ; ses très grands yeux… d’une expres­ Bardot prend congé et quitte la salle. La du langage. Elle est ailleurs. Alors Godard la mari, Gunther Sachs. L’artiste pop est parti (Albin Michel, 2011)
sion sensuelle étaient, dans les moments pression est tombée. filme comme un sphinx. Cette actrice à la­ d’un portrait non moins célèbre du photo­
d’abandon, étrangement battus et égarés. » Jacques Rozier débarque sur Le Mépris quelle il avoue ne rien comprendre devient graphe Richard Avedon, en 1959 – ce dernier Godard, biographie,
Lorsque Claude Brulé, le scénariste des alors que s’achève la partie romaine du tour­ un fantôme ambulant. Seul Fritz Lang, épaté a réduit le visage de l’actrice à celui d’une d’Antoine de Baecque
Liaisons dangereuses, de Roger Vadim, et de nage. « Jean­Luc nous a présentés en disant par sa grâce, lui confie son éblouissement, poupée sans affect. (Grasset, 2010)
Rocco et ses frères, de Luchino Visconti, deux juste : “Brigitte Bardot, Jacques Rozier.” » Pa­ expliquant, comme le raconte Michel Vian­ En 1962, juste après la mort de l’actrice,
films sortis en 1960, couvre, pour le maga­ parazzi s’impose comme le titre idéal de son ney dans un reportage à Capri pour L’Express, Warhol réalise un tableau en diptyque de Le Roman de Godard,
zine Elle, le tournage de Godard à Capri, il de­ court­métrage, filmant les motards en qu’elle éveille chez lui des vocations chevale­ Marilyn Monroe pour installer sa mytholo­ de Michel Vianey
mande à l’actrice si elle comprend l’attitude Vespa – l’un conduisant et provoquant les resques. « Un jeune homme doit avoir envie gie : le même visage reproduit cinquante (Marest éditeur, 2020)
d’Emilia dans le roman, ce mépris sourd stars dans la rue pour de la sauver des autres, fois, d’un côté vingt­cinq aux couleurs élec­
dont la jeune femme enveloppe son mari, au les faire disjoncter, comme la Lorelei », ex­ triques, de l’autre vingt­cinq en noir et blanc
point de l’étouffer. Bardot répond : « Oui, je la l’autre, derrière, appa­ plique le réalisateur – la vie et la mort d’une icône. Warhol cerne
comprends très bien. » Claude Brulé insiste : reil à l’affût. « Vous sa­ « Le mépris, une de M le maudit. Pour le fil invisible qui relie les deux actrices : la
« Tu sais vraiment ce que c’est, le mépris ? Tu vez, sourit Rozier, per­ elle, ce n’est pas le su­ même idée de la duplication et le désir de
méprises les gens ? » La star lâche : « C’est un sonne, en France, ne con­ fois qu’il est là, jet : « Vous vous trom­ cerner une femme moderne. Et pourtant,
sentiment terrible, parce qu’on ne peut pas y naissait alors le terme
remédier… La jalousie, par exemple ; on peut “paparazzi”. Je croyais c’est fini… pez, mais je vous aime
bien », répond l’actrice
Marilyn s’apparente à une image publici­
taire bariolée déjà gravée dans l’histoire,
prouver à quelqu’un qu’on ne l’a pas trompé ; même que cela signifiait Un homme au cinéaste allemand, quand la seconde apparaît naturelle. Vi­
mais le mépris ! Une fois qu’il est là, c’est fini… “paperasse” en italien. avec lequel elle se dé­ vante. En 1974, BB est bien vivante, mais
Un homme qu’on méprise, on ne peut plus C’est le nom d’un des per­ qu’on méprise, couvre une passion morte pour le cinéma. Une nouvelle vie
s’arrêter, parce qu’il ne pourra jamais prouver sonnages de La Dolce partagée pour les ani­ s’ouvre à elle, à écrire. 
qu’il ne mérite pas ce qu’on pense de lui. Moi, Vita, Paparazzo, pour le­ on ne peut maux. samuel blumenfeld
j’en veux à ceux que je méprise : je leur en veux quel Fellini a confec­
de me forcer à les mépriser. » tionné un pluriel afin de
plus s’arrêter » Godard offre au
moins à l’actrice un Entretiens Jean­Max Rivière, Roland
Le tournage du Mépris débute le désigner ces photogra­ BRIGITTE BARDOT écrin qui lui sied : la Tolmatchoff, Jacques Rozier, Marcel Cohen
22 avril 1963 à Rome. Il se déplacera ensuite phes d’un nouveau au magazine « Elle », villa de Curzio Mala­
vers le Sud, à Sperlonga, pour s’achever à la genre. » Curieusement, sur le tournage, à Capri parte, construite dans Prochain article L’adieu au cinéma

18 |
Matthieu et Louis Chedid,
dans les loges
de l’Olympia, à Paris,
après le concert
de Louis, le 26 juin.
JULIEN MIGNOT POUR « LE MONDE »
L
e 23 mai 2011 à Rennes, le
31 janvier 2014 à Issy­les­
Moulineaux (Hauts­de­
Seine), le 15 mai 2019 à L’Is­
le­Jourdain (Gers)… Depuis
une dizaine d’années, Mat­
thieu Chedid est lancé dans une tour­
née au long cours d’un genre un peu
particulier. Celle­ci s’effectue sans
instruments, costumes ou décors.
Pas besoin non plus d’une lourde
sonorisation ou de rangées de spots.
L’entrée est gratuite, mais le public y
est généralement clairsemé.
Le musicien de 49 ans, dit ­M­, déjà
récompensé par 13 Victoires de la mu­
sique – un record qu’il partage avec
Alain Bashung –, répond le plus sou­
vent possible présent quand il s’agit
d’inaugurer une école, un centre cul­
turel ou une rue au nom de sa grand­
mère, la poétesse Andrée Chedid
(1920­2011). « Ce n’est pas un devoir, ce
n’est pas une mission, c’est une trans­
mission, explique­t­il. Quand il y a de
la beauté, de la lumière, on a envie de
la partager… L’œuvre d’Andrée, c’est un
trésor en nous. » Ce « nous » désigne la
famille Chedid, un clan d’artistes où
figurent aussi Louis, son père, Emilie
et Anna, ses sœurs, Joseph, son frère,
et Billie, sa fille.
« Sans être mystique, je la sens tou­
jours avec moi », dit Matthieu Chedid,
au sujet de cette grand­mère qu’il
appelait Mamouch (à prononcer
Mamoutch). Quand elle se rendait
aux concerts de son petit­fils, Andrée
Chedid avait souvent droit à des mar­
ques de sympathie. « Je me souviens
d’un concert à l’Elysée­Montmartre [à
Paris] où, cinq à dix minutes après le
dernier rappel, ça applaudissait en­
core dans la salle, ça n’arrêtait pas, ra­
conte le musicien. Alors je reviens, et
là, je vois que le public tourne le dos à
la scène. En fait, les gens acclamaient
ma grand­mère… »
« JE DIS AIME »
A la fin des années 1990, ovation­
nait­on vraiment les poétesses dans
les salles de spectacles parisiennes ?
Réponse : oui, quand elles écrivaient
des tubes pour de jeunes artistes en
pleine éclosion. C’est ce qui s’est
produit, presque par hasard, entre
Andrée et Matthieu Chedid avec la
chanson Je dis aime, qui est devenue
le titre le plus emblématique de ­M­.
Au début de cette histoire, il y a une
émission de radio « Un été d’écri­
vains », sur France Inter, animée par
Brigitte Kernel. En 1998, Andrée est
l’invitée principale et la production a
demandé à l’un de ses proches, Mat­
thieu, de faire une intervention sur­
prise et de lui poser une question à
l’antenne. C’est là que le musicien,
qui a sorti un premier album remar­
qué, Le Baptême, en 1997, demande à
sa grand­mère : « Mamouch, est­ce
que tu me ferais une chanson ? »
Alors qu’elle n’osait pas se mêler des
créations de son fils, Louis Chedid, la
poétesse est ravie de pouvoir prendre
la plume pour Matthieu, avec lequel
elle a tissé des liens très étroits. Elle
« partage avec ce petit­fils un goût
pour l’effervescence des mots conju­
gués aux maux existentiels », estime
l’universitaire libanaise Carmen
Boustani, dans Andrée Chedid. L’écri­
ture de l’amour (Flammarion, 2016).
« Quand elle nous parlait, on se sentait
toujours au même niveau qu’elle, dit
Matthieu. Il n’y a jamais eu entre nous
le côté bêtifiant qu’on retrouve parfois
dans les rapports entre une grand­
mère et un enfant. Les mots qui vien­
nent quand je repense à elle, c’est
“émerveillement” et “enthousiasme”. »
Invitée par Matthieu à tisser un
texte en lien avec cette lettre M qu’il
a choisie pour nom de scène, Andrée
Chedid s’installe dans sa cuisine et
se lance immédiatement. « Et là,
d’un premier jet, sans brouillon, j’ai
LES CHEDID, UNE DYNASTIE D’ARTISTES 5 | 6
Promoteur infatigable de l’œuvre
d’Andrée, sa grand-mère poétesse,
-M- a aussi entraîné dans son sillage
tous ses frères et sœurs
Matthieu Chedid,
le trait d’union
composé les paroles dans la journée, dit : “Tu avais raison, ce n’est pas un
raconte­t­elle dans Entre Nil et Seine. poème, c’est une chanson”. Et en effet,
Entretiens avec Brigitte Kernel (Bel­
fond, 2006). (…) J’étais tellement heu­
c’est la phrase la moins poétique de ce
texte, mais c’est celle que le public
reuse ! Le plaisir pousse à écrire vite. » reprend le plus. »
Elle envoie alors ses vers, par fax, à
Matthieu, qui se trouve dans le sud « LE PROTECTEUR »
de la France, chez son père. Je dis aime, qui a donné son nom au
Une vingtaine d’années plus tard, deuxième album de ­M­, sorti
cette fois chez lui, un corps de ferme en 1999 et vendu à plus de
joliment rénové en Seine­et­Marne, le 500 000 exemplaires, est un « con­
musicien se saisit de l’une des guitares centré de Chedid » qui ne se limite pas
accrochées au mur du petit salon où il à Andrée et à son petit­fils. Le clip de
reçoit et rejoue les premiers accords la chanson a été réalisé par Emilie, la
de Je dis aime : « Là où c’était dingue, sœur aînée de Matthieu. Les violons
c’est que le texte collait complètement que l’on entend en introduction du
à la musique que j’avais composée. Les morceau suivent les notes jouées in­
couplets, ça passait tout seul ! » tuitivement sur un piano par Joseph,
­M­ fredonne alors le refrain de la le petit frère qui n’avait alors pas
chanson – « Je dis Aime/Et je le sème/ 15 ans. « Ce texte est génial, il raconte
Sur ma planète/Je dis M/Comme un toute notre famille, cet héritage, s’en­
emblème… » – puis explique : « Là, il thousiasme Emilie Chedid. J’adore
me manquait une phrase. A l’époque [il l’idée que nous soyons des vecteurs,
avait 26 ans], je n’avais pas conscience que l’on continue de raconter ce qu’on
de la préciosité des mots et c’est moi nous a raconté. »
qui ai ajouté “la haine je la jette”. Un an Après cette première collaboration
plus tard, Andrée m’a fait remarquer avec sa grand­mère (il y en aura deux
qu’elle n’avait pas écrit ça, mais elle m’a autres, pour les chansons Bonoboo
et En piste), Matthieu multiplie les
hommages publics à la poétesse.
« Depuis Je dis aime, je n’ai pas fait un
seul concert sans parler d’elle, et j’ai
dû en faire plus de 350 ! », raconte­t­il.
Le musicien ne rate aucun de ses
anniversaires sur les réseaux so­
ciaux et prend aussi parfois la plume
pour préfacer les rééditions de ses
recueils de poésie.
Au­delà de la promotion de l’œuvre
d’Andrée Chedid, Matthieu est perçu
comme le trait d’union du clan Che­
did. « Matt, c’est notre ciment, il har­
monise cette famille, estime Anna, sa
petite sœur, qui mène une carrière
remarquée sous le nom de scène
Nach. Il aime rassembler les gens. Il a
ce truc de pilier. C’est grâce à son éner­
gie qu’on fait tout ça. L’alchimie, c’est
lui. » Marianne Chedid, la première
épouse de Louis et mère de leurs qua­
tre enfants, souligne le rôle impor­
tant de Matthieu au moment de leur
séparation. « Les enfants trinquent
dans ces cas­là, dit­elle. Quelques an­
nées de la petite enfance d’Anna et de
Joseph [nés respectivement en 1987
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
et 1986] ont été compliquées et, dans
ce contexte, Matthieu a été incroya­
ble. C’est le protecteur de la famille. »
Au milieu des années 1990, Mat­
thieu investit la maison familiale de
Voigny, en Seine­et­Marne, transfor­
mée en vaste lieu de création. C’est ici
qu’il réalise Le Baptème, son premier
album, sorti en 1997. Tous ceux qui
passent, à commencer par les mem­
bres de la famille, se retrouvent à faire
des chœurs sur une chanson ou
impliqués dans un projet de clip.
« J’emmenais Anna et Joseph là­bas,
raconte Marianne Chedid. Pour eux,
c’était le paradis. » Joseph, qui est
également devenu auteur­composi­
teur, conserve un souvenir ému de
cette période : « Mon frère, c’était mon
héros. Il me sortait de mon quotidien,
de la séparation, de la solitude. »
Parfois, c’est aussi à des milliers de
kilomètres de la Seine­et­Marne que
­M­ joue les rassembleurs pour la
famille Chedid. A l’occasion d’une
tournée en Chine, il convie sa tante, la
peintre Michèle Koltz­Chedid, sœur
de Louis, qui est passionnée par ce
pays. A quelle porte frapper pour sor­
tir des commentaires dithyrambiques
sur Matthieu Chedid ? Celle des amis ?
Le musicien Mathieu Boogaerts est de
ceux­là. Il le rencontre en 1986 dans le
cadre d’un concert commun de jeu­
nes groupes d’Ile­de­France. Matthieu
Chedid joue alors avec les Parisiens
des Poissons rouges, où figurent
Pierre Souchon, le fils d’Alain, et Julien
Voulzy, celui de Laurent.
« TU NE VEUX PAS T’ÉNERVER ? »
Mathieu Boogaerts fait, lui, partie des
banlieusards du groupe Made in Ca­
ment. Ce dernier avertit d’abord : « Je
ne supporte pas la complaisance entre
artistes. » Puis poursuit : « Matthieu
est un mec doux, gentil, drôle, qui n’a
pas bougé d’un centimètre. Il a tou­
jours la même bonhomie. Il y a des
gens qui se sont embrouillés avec lui,
ça m’arrivera peut­être un jour, mais je
ne vois pas comment on peut faire. »
Les deux Mat(t)hieu, Chedid et Boo­
gaerts, ont fondé un groupe ensem­
ble (Tam Tam), avant de creuser le
sillon de carrières individuelles. « Ce
personnage de ­M­, ça l’a libéré d’un
truc, car il était aussi assez timide, un
peu enveloppé, mal dans sa peau,
ajoute Mathieu Boogaerts. Dans tou­
tes ses chansons, il y a ce côté “Amu­
sons­nous ! Lâchons les chiens !”
“Soyons humains !”. C’est pour ça qu’il
a du succès. A un moment, il a en quel­
que sorte tué le père en disant “Moi
aussi, je peux le faire”. »
En fouillant dans leur mémoire,
Louis et Matthieu peuvent, en effet,
retrouver trace de petits différends
ou de moments d’affirmation indivi­
duelle susceptibles de faire grincer
une relation père­fils. Dans les an­
nées 1990, Louis a, par exemple, mis
son veto à la signature d’un contrat
avec une maison de disques qui rêvait
de sortir un album des trois « fils
de » : Chedid, Souchon et Voulzy.
« Il a été le casseur d’ambiance, tout le
monde était à fond, raconte Matthieu.
Très vite, j’ai compris que c’était une
protection. » Matthieu a aussi le souve­
nir de vacances en Corse où Louis, in­
quiet de voir son fils « trop gentil », lui
demandait : « Tu ne veux pas t’éner­
ver ? » « C’est vrai que j’étais d’une doci­
lité à toute
épreuve »,
concède­t­il, sou­
« Matt, c’est riant. Plus récem­
notre ciment, ment, en 2015,
quand les Chedid
il harmonise ont décidé de faire
une tournée en
cette famille. famille, il est ar­
rivé à Louis de
L’alchimie, reprocher à Mat­
c’est lui » thieu d’en faire un
peu trop sur scène.
ANNA CHEDID, DITE « NACH » Mais jamais de
autrice-compositrice- quoi créer des rup­
interprète tures définitives
au sein d’un clan
qui, a contrario,
étonne par son harmonie. « Avec Mat­
thieu, on se dit les choses, on n’est pas
dans le non­dit, dont j’ai moi­même
beaucoup souffert, explique Louis. Les
gens adoreraient qu’on se déteste. On
est désolé, mais ce n’est pas du tout le
cas. Oui, parfois, on s’engueule, mais
comme des gens qui s’aiment. » 
gabriel richalot
Prochain article Des lendemains qui
chantent chez les Chedid
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
Thomas Seeley, la ruche façon Darwin
FRED PÉAULT
Une controverse
australienne sur
les Aborigènes
UN PAYS, UN LIVRE
Comment vivaient les Aborigènes
avant l’arrivée de colons britanniques
en 1788 ? Etaient­ils des chasseurs­
cueilleurs ou des agriculteurs ? La ques­
tion n’a rien d’anodin dans un pays où
la colonisation a été justifiée par le prin­
cipe de la Terra nullius, un « territoire
sans maître » dès lors qu’il n’est pas ex­
ploité. En 2014, Bruce Pascoe avait dé­
chaîné les passions en affirmant dans
son ouvrage Dark Emu (« l’émeu noir »,
Magabala Books, non traduit) – du nom
du dromaiidé qui peuple le bush austra­
lien – que les Aborigènes possédaient
les signes d’une société agricole.
L’auteur s’appuie sur les journaux de
bord des premiers colons européens
pour raconter comment les peuples
autochtones semaient, récoltaient, irri­
guaient et stockaient leurs récoltes. Il dé­
crit des méthodes de pêche sophisti­
quées ou des habitats regroupés sous
forme de villages. Conclusion : ils
n’étaient pas de « simples » chasseurs­
cueilleurs. Ce livre a vu s’affronter, de fa­
çon attendue, les ultraconservateurs, dé­
nonçant une réécriture de l’histoire, et
les progressistes, saluant un ouvrage qui
éclairait d’un jour nouveau des cultures
souvent caricaturées. La polémique vient
de rebondir avec le livre Farmers or Hun­
ter­Gatherers ? The Dark Emu Debate
(« Agriculteurs ou chasseurs­cueilleurs ?
Dark Emu en débat », Melbourne Univer­
sity Press, non traduit), de l’anthropolo­
gue Peter Sutton et de l’archéologue Ke­
ryn Walshe. Ces chercheurs de renom,
spécialistes des peuples premiers austra­
liens, s’écartent des postures politiques
pour camper sur le terrain scientifique.
Un récit tendancieux
Leur jugement est sévère. Dark Emu est
selon eux le résultat d’un « travail de re­
cherche peu approfondi, qui déforme et
exagère de nombreux points (…) et ignore
de larges pans d’informations qui ne sou­
tiennent pas les opinions de l’auteur ».
Les chercheurs soulignent le « manque
d’une réelle expertise » de l’écrivain.
Bruce Pascoe, d’ascendance britannique
et aborigène, fut enseignant, agriculteur
ou encore chercheur en linguistique. Les
deux scientifiques regrettent son choix
de retenir pour seules sources des jour­
naux rédigés par des colons peu au fait
des traditions autochtones, et l’accusent
d’avoir tronqué plusieurs citations afin
de servir sa thèse.
Enfin, ils lui reprochent de desservir la
cause des peuples premiers en adoptant
une lecture « eurocentrée » de l’histoire,
qui hiérarchise les cultures en plaçant les
sociétés agricoles au­dessus de celles de
chasseurs­cueilleurs. Selon Peter Sutton
et Keryn Walshe, les Aborigènes avaient
été exposés à des sociétés agricoles, mais
n’en avaient pas adopté le mode de vie,
car il ne correspondait pas à leurs croyan­
ces ni à leurs pratiques. « Ils avaient déve­
loppé leur propre façon de gérer et d’utili­
ser leur environnement, qui allait au­delà
de simplement chasser ou cueillir mais qui
n’impliquait pas de jardinage ou d’agricul­
ture. Ils fonctionnaient d’une manière éco­
logique et travaillant avec leur environne­
ment, plutôt que, comme souvent, contre
lui », concluent les deux experts.
Dark Emu a remporté plusieurs prix lit­
téraires prestigieux, s’est vendu à plus de
250 000 exemplaires et a été adapté pour
les enfants en 2019. Reste à savoir désor­
mais si Farmers or Hunter­Gatherers ?
aura le même succès… 
isabelle dellerba
(sydney, correspondance)
DES ABEILLES 
ET DES HOMMES 5 | 6
Héraut d’une
apiculture
« naturelle »,
cet universitaire
américain,
aux méthodes
de recherche
singulières,
considère que
le modèle à suivre
est celui de l’abeille
sauvage plutôt que
« domestiquée »
D
ans les congrès inter­
nationaux d’apiculture,
il faut jouer des coudes
pour assister à ses con­
férences, et ses livres, quoique du
genre pointu, sont des best­sellers.
L’universitaire américain Thomas
D. Seeley a percé plus d’un secret
de la société des insectes à miel.
Habile vulgarisateur convaincu
que ces histoires sont trop belles
pour rester l’apanage d’un cercle
restreint de scientifiques, ce pro­
fesseur de neurobiologie à l’uni­
versité de Cornell, dans l’Etat de
New York, est aussi devenu le
chantre d’une nouvelle apiculture,
centrée sur Apis mellifera (l’abeille)
et non plus sur Homo sapiens.
Thomas Seeley, 69 ans, n’a ja­
mais cessé d’arpenter les forêts
profondes qui entourent Ithaca,
dans l’est de l’Etat de New York.
C’est ici que, à l’âge de 10 ans, il sur­
prit au cours d’une balade un es­
saim vrombissant sur le point de
prendre possession d’une cavité
creusée au sommet d’un noyer.
Cette première rencontre a fa­
çonné son rapport à l’abeille.
Là où d’autres s’enferment dans
un laboratoire pour séquencer un
génome, ou scrutent les parois vi­
trées d’une ruche expérimentale,
il préfère confronter l’état de la
science à ses observations effec­
tuées in situ. Par inclination per­
sonnelle, mais aussi parce qu’il a
forgé son aura de « beewhisperer »
(« l’homme qui chuchote à l’oreille
des abeilles ») sur cette aptitude à
s’ancrer dans la sacro­sainte réa­
lité du terrain pour donner à voir
la vraie vie des abeilles.
Ruches-tests
Vêtu d’une chemise de bûcheron,
d’un pantalon de toile, de chaus­
sures de marche, sa casquette de
base­ball vissée sur le crâne, il a dû
déployer des trésors d’ingéniosité
pour remonter la piste des abeilles
forestières vers leur logis. Ou sus­
pendre des ruches­tests bien haut
entre deux arbres pour éviter que
les ours ne viennent se servir.
L’un des premiers faits d’armes
du professeur Seeley est d’avoir
mis au jour l’énigme de la « danse
tremblante » de ces insectes. De­
puis les travaux
de l’éthologue
autrichien Karl
L’un des von Frisch
premiers faits (1886­1982),
sait que les
on
d’armes abeilles com­
muniquent en­
du professeur tre elles en exé­
Seeley est cutant des dan­
ses. De retour à
d’avoir mis la ruche, une
éclaireuse ayant
au jour l’énigme découvert un
de la « danse acacia en fleur
effectue, devant
tremblante » ses congénères,
des boucles en
de ces insectes forme de 8 dont
la vitesse et l’orientation définis­
sent la localisation de la zone de
floraison ainsi que son abondance.
En revanche, von Frisch s’est
toujours demandé pourquoi, de
retour sur les rayons de cire, il arri­
vait que les ouvrières se trémous­
sent non plus en frétillant mais en
tremblotant. Le chercheur autri­
chien, Prix Nobel 1973 de physio­
logie et de médecine, avait pro­
posé une récompense à quicon­
que résoudrait cette énigme.
En 1991, neuf ans après la dispa­
rition de von Frisch, Thomas
Seeley a trouvé l’explication : en
frissonnant de la sorte, la buti­
neuse cherche à inciter davantage
de congénères à venir prendre li­
vraison du nectar ou du pollen
qu’elle rapporte de ses pérégri­
nations. Comme une banque
aurait besoin d’un renfort de gui­
chetiers face à un brusque afflux
de dépôts, explique­t­il. Chez les
abeilles, aussi, faire la queue, c’est
perdre son temps.
Seeley s’est aussi illustré en
renouvelant le parallèle dressé de­
puis l’Antiquité entre le fonction­
nement d’une colonie et la société
des hommes. Derrière son
ouvrage au titre délibérément
anthropomorphiste (La Démocra­
tie chez les abeilles, Quæ éditions,
2017), il compare une ruche à un
« super­organisme ». Un cerveau
collectif dont chaque individu
constitue un neurone et qui déci­
derait, après délibération, de se
débarrasser de la vieille reine ou
d’étendre le nid à couvain (les
larves) plutôt que de constituer
des réserves de miel.
L’« intelligence en essaim »
(swarm intelligence) – principe
également invoqué lorsqu’il s’agit
de coordonner le vol de dizaines
voire de centaines de drones – pro­
cède d’une organisation non hié­
rarchisée, où la reine fait office de
souverain constitutionnel plutôt
que de monarque absolu. Une
société capable de s’adapter à des
situations complexes mais igno­
rant les contestations ou les
échappatoires individuelles. Un
modèle heureusement non dupli­
cable à l’échelle de l’homme.
GIACOMO NANNI
Au milieu de ces analyses parfois
arides, le talent de Seeley consiste
à faire poindre quelques­unes de
ses précieuses observations de ter­
rain. Il revendique ainsi avoir dé­
codé le cri légèrement strident
qu’émet la reine pour battre le rap­
pel des troupes juste avant l’envol
de l’essaim hors de la ruche. Un cu­
rieux pépiement, qu’il se fait un
malin plaisir d’imiter.
Au fil des années, Thomas
Seeley – qui a donné son nom à
une abeille solitaire d’Amérique
centrale (Neocorynurella seeleyi) –
s’est émancipé de son statut de
conteur scientifique pour enfiler
l’habit de l’apiculteur et se faire
l’avocat d’un rapport différent en­
tre l’homme et ses ruches. Paru
en 2020, son dernier livre, L’Abeille
à miel (Biotope éditions), suggère
de s’inspirer du mode de vie des
abeilles sauvages qu’il épie depuis
tant d’années. Leur observation
au long cours, assure­t­il, permet
de conclure qu’elles sont plus rési­
lientes et résistantes que leurs ho­
mologues domestiques.
Grande diversité génétique
Ces abeilles qui prospèrent à
l’écart de l’homme vivent dans des
espaces relativement réduits
(en 1975, pour étayer cette obser­
vation, l’universitaire et un de ses
collègues n’hésitent pas à abattre
21 arbres pour passer au crible les
colonies qu’ils hébergeaient) et
donc mieux isolés que les trop vas­
tes ruches conçues pour maximi­
ser artificiellement les récoltes.
Selon lui, leur grande diversité
génétique a permis de générer des
espèces plus robustes et résistan­
tes aux ravages du varroa, redou­
table acarien venu d’Asie. Aussi
préconise­t­il de suivre les précep­
tes de ce qu’il baptise une « apicul­
ture darwinienne » en laissant pré­
valoir la sélection naturelle. Ce qui
impose, entre autres, d’opter pour
des ruches de petite taille espacées
d’au moins trente mètres, de re­
noncer à l’efficace traitement chi­
mique antivarroa ou de ne pas
faire obstacle à la fièvre d’essai­
mage du printemps, quand une
partie de la colonie risque de
| 19
s’échapper, com­
promettant la récolte
de la saison.
Ce discours s’adresse aux ama­
teurs éclairés. « Une petite mino­
rité, plus soucieuse d’aider les
abeilles que de les exploiter, admet
Thomas Seeley, interrogé par Le
Monde. Je les envisage comme des
tuteurs d’abeilles plutôt que
comme des apiculteurs ; la diffé­
rence entre les deux groupes étant
la même qu’entre ceux qui obser­
vent les oiseaux et les éleveurs de
poulets. » « Aux Etats­Unis, s’indi­
gne­t­il, les vastes exploitations
apicoles savent qu’elles imposent
une existence misérable aux
abeilles, mais elles persistent parce
que cela leur est profitable. »
Etienne Bruneau, administra­
teur délégué du Cari, influente as­
sociation belge regroupant cher­
cheurs et simples apiculteurs, se
félicite de cette dichotomie qu’il
juge féconde. « Seeley traite du
bien­être animal et s’inscrit à con­
tre­courant des consensus habi­
tuels. C’est un pionnier, qui sort des
sentiers battus avec en plus un ar­
gumentaire scientifique respec­
tueux des équilibres naturels »,
s’enthousiasme­t­il.
Plus mesuré, Yves Le Conte,
directeur de recherches à l’Institut
national de la recherche agrono­
mique (Inrae), se dit impres­
sionné par « la finesse et le bon
sens de l’approche » de Thomas
Seeley, mais souligne le fossé qui
sépare l’universitaire et un milieu
guère habitué à ce genre d’inter­
pellation. « Son concept est un peu
délirant à manier pour les profes­
sionnels, et j’en connais qui ne sont
pas du tout emballés par ses thè­
ses, dit­il. En fait, Seeley est moins
intéressé par les apiculteurs que
par l’abeille et ses interactions. »
Après avoir lancé le pavé dans la
mare de l’« apiculture darwi­
nienne », le très flegmatique Tho­
mas Seeley s’est replongé au cœur
de ses essaims. « Il y a encore telle­
ment, tellement à observer et à dé­
couvrir sur la vie des abeilles », con­
fie­t­il. Par exemple ? « Comment
font les faux bourdons (mâles) et
les reines pour se retrouver dans les
sites de reproduction aériens ? Se­
lon quels mécanismes une colonie
décide­t­elle d’élever une nouvelle
reine ? Comment s’organise la spé­
cialisation des tâches entre buti­
neuses en quête d’eau, de pollen et
de nectar ?… » 
jean­michel normand
Prochain article « Apis » versus
« Apis »
 0123
20 | SAMEDI 14 AOÛT 2021

Un guide de haute montagne

Salomon, sur le mont Moriah. Parmi cel­
SUR LA PISTE DU « MONT ANALOGUE » 5 | 6 les­ci, le roman de René Daumal figure en
Le roman de René Daumal bonne place. Son grand­père, apiculteur,
n’était­il pas pétri de culture maçonni­
est devenu un outil presque que ? « En 1981, dans la loge que je fréquen­
aussi courant que le piolet, tais à Montpellier, un frère m’a parlé du
Mont Analogue. J’avais 22 ans. Cela fait
autant chez les alpinistes partie des outils que l’on se transmet, entre
maçons », se souvient le journaliste Jean­
chevronnés que chez Philippe de Tonnac.
les simples randonneurs Enthousiasmé par la « recherche
d’authenticité » du Rémois, il en signe une
biographie, en 1998 (René Daumal, l’ar­
change, Grasset). Plusieurs pages sont

E
n 1982, Arthur von Boennighau­
sen fait l’ascension du Petit Gre­
pon, qui culmine à 3 751 mètres,
dans les Rocheuses, aux Etats­
Unis. Là­haut, il trouve une jarre renfer­
mant un livre bleu, accompagné d’une
note manuscrite : « Bravo ! Quand vous
arrivez au sommet… continuez de grim­
per ! » Le message est signé Royal Robbins
(1935­2017), un fameux alpiniste améri­
cain. Quant au bouquin, il s’agit du Mont
Analogue, le roman inachevé de René
Daumal (1908­1944), paru en 1952. Cette
trouvaille bouleverse Arthur, qui se dé­
crit comme poète, ingénieur, agent im­
mobilier, inventeur et alpiniste : « J’ai tel­
lement aimé le livre que j’ai décidé d’en
écrire la suite, sur mon blog », affirme
l’Américain de 66 ans, depuis son ranch,
dans le Colorado.
Avec le temps, l’aura de l’écrivain rémois
n’a cessé de croître auprès des amateurs
d’altitude. Au Mexique, un club d’alpi­
nisme s’appelle Monte Analogo. Sur les
hauteurs du nord de l’Italie, une menui­
serie et un centre socioculturel ont em­
prunté leur nom au néologisme forgé par
Daumal, « péradam ». Un peu plus à l’est, à
Trieste, l’association Monte Analogo
mêle art et montagne : « Pour nous autres
alpinistes, c’est un livre mythique, qui passe
de sac à dos en sac à dos », raconte le prési­
dent, Marko Mosetti,
66 ans.
Bernard Amy a dé­
« Il n’y a rien couvert le roman à la
de tel que Librairie des Alpes, à
Paris, dans les an­
la montagne nées 1970. Il y pense
souvent, comme ce
pour jour où, dans un
apprendre « état de grâce », il
s’extirpe d’une tem­
la lenteur pête sur les cimes de
Patagonie. « C’est une
et le calme » référence pour tous
RENÉ DAUMAL les grimpeurs épris de
écrivain littérature, explique
le Français, 81 ans. En
plus d’avoir beau­
coup d’humour et de
culture, on sent que cet auteur connaissait
la montagne. »
Dans Souvenirs du Mont Analogue (Four­
nel, 2018), l’alpiniste s’imagine marchant
sur les traces des héros daumaliens, ex­
plorant à son tour ce massif mystérieux
dont la base est accessible et le sommet
inaccessible : « Quand j’écris, j’éprouve la
même difficulté à progresser que quand
j’escalade la roche, poursuit­il. Cette corres­
pondance, Daumal la suggère admirable­
ment. Son ascension est d’abord mentale. »
Dans les cercles francs­maçons, les
références à la montagne sont légion – à
commencer par l’érection du Temple de
consacrées à sa découverte du Dauphiné,
en août 1927, à l’invitation de l’écrivain
tchèque Richard Weiner (1884­1937). « Il
n’y a rien de tel que la montagne pour
apprendre la lenteur et le calme », confie­il
à sa femme, Vera, en 1937. Car Daumal, en
piteux état, est venu se refaire une santé à
l’endroit même où, dix ans plus tôt, il a
été initié à l’alpinisme. « C’est après ce
nouveau séjour dans le Dauphiné que naî­
tra en lui le désir d’écrire ce que la monta­
gne lui a appris », précise le poète Billy
Dranty, lui aussi fin daumalien. Rédigé à
partir de 1939, entre deux cures en alti­
tude, où il soigne sa tuberculose, Le Mont
Analogue regorge d’aphorismes pentus :
« Je ne parlerai pas de la montagne, mais
par la montagne » – un espace, relève­t­il,
qui lie les mortels et les Dieux dans la plu­
part des religions.
Fascination pour les sommets
L’extrême plasticité de son écriture nour­
rira quantité d’artistes, de l’Espagnole
Remedios Varo (1908­1963) à la Britanni­
que Tacita Dean ou à l’Australien Imants
Tillers, respectivement âgés de 55 et
71 ans. Leur point commun ? Une cer­
taine fascination pour les sommets.
Antoine Proux reçoit au 26e étage d’une
tour, au nord de Paris. Depuis sa pre­
mière lecture du Mont Analogue, quand
il étudiait les Beaux­Arts, à Tours, la der­
nière phrase du livre l’obsède : elle
s’achève non par un point, mais par une
virgule. « J’y vois une accroche et une
respiration, comme une faille dans la
roche où s’agripper, avant de reprendre
l’ascension », indique le plasticien de
37 ans. En 2017, dans le cadre de la Nuit
blanche, à Paris, il conçoit un immense
mur d’escalade, dont chaque prise cor­
respond à une virgule du roman. « On a
gravi l’équivalent de trois chapitres, jus­
qu’à 3 heures du mat’… »
L’atelier de Charles Hascoët est situé René Daumal,
dans une barre d’immeubles voisine, en montagne que pour Daumal. C’est le cas explicite les ressorts : avec les nouvelles dans les Alpes,
surplomb du périphérique. Il y a deux de la Française Stéphanie Solinas, 43 ans : technologies et le tourisme de masse, « le dans les années
ans, peu avant la mort de son père, il relit adepte de « randonnées cérébrales », elle mystérieux n’existe plus, tout se sait, tout 1940. Image
Le Mont Analogue, découvert aux Beaux­ dévoilera des photographies de sommets se voit – même les montagnes les plus extraite du livre
Arts de Paris. « Pour moi, c’est une allégorie embrumés, prises en Islande. sacrées. Ce qui nous a plu dans ce roman, « Les Monts
très puissante sur la dette : comment être à c’est l’idée que l’accession au sommet est Analogues de
la hauteur de ceux qui nous ont précédés ? « Le mystérieux n’existe plus » un mirage. Le plus important est ce qu’on René Daumal »
Faut­il les honorer, s’en affranchir ? Com­ Quant à l’Italien Alex Cecchetti, 44 ans, il décide de faire ensemble ». à paraître
ment s’élever, sans eux ? » Ces questionne­ prépare pour 2022 une performance Raccord avec son confrère, le Pyrénéen en octobre.
ments lui inspirent, en 2020, un tableau : dans les Dolomites, baptisée Sentiero Clément Vuillier, 32 ans, apprécie « le COLLECTION PARTICULIERE/
il figure un randonneur à l’arrêt, lesté par (« Sentier »). Auprès des dessinateurs mélange d’humilité et d’ambition » de EDITIONS GALLIMARD
l’accablement. « J’ai fait lire Daumal à mon épris de hauteurs, Daumal fait pareille­ Daumal devant les éléments. Et de citer
père, ça nous a rapprochés, comme quand ment figure de guide. Il y a quelques une formule saillante de l’écrivain : « L’al­
je faisais de l’escalade avec lui, ado », rem­ années, six auteurs se réunissent dans un pinisme est l’art de parcourir les monta­
bobine le plasticien de 36 ans. chalet des Hautes­Alpes, pour prolonger gnes en affrontant les plus grands dangers
La toile sera montrée dans le cadre de Le Mont Analogue. En résulte Le Mont avec la plus grande prudence. » 
l’exposition collective « Monts Analo­ Eugolana (Arbitraire, 2015), une bande aureliano tonet
gues », du 17 septembre au 23 décembre, à dessinée à lire de bas en haut, où chaque
Reims. La plupart des artistes retenus récit est « encordé » au suivant. Pierre Prochain article Un puits de sciences
affichent un penchant aussi vif pour la Ferrero, 35 ans, coordinateur du projet, en et de prescience

À PARIS, LE CINÉMA DE SÉRIE B DESCEND À LA CAVE

C’est l’une des salles de cinéma
STUDIO indépendantes les plus discrètes
GALANDE du Quartier latin, à Paris, nichée
un peu à part, au numéro 42 de
Mon lieu la petite rue Galande. Le lieu est
reconnaissable par sa façade
culturel boisée et coiffée d’un bas­relief
du XIVe siècle représentant
préféré Saint Julien l’Hospitalier navi­
guant sur la rivière au bord de
Mathieu laquelle il avait, selon la légende,
Macheret construit son hospice.
Le Studio Galande, inauguré en
janvier 1973, constitue un refuge
pour ses spectateurs qui, après
être passés à la caisse, descen­
dent un escalier et débouchent
dans la cave en guise de salle de
projection, 83 places au comp­
teur et rangs serrés de fauteuils
à battant. Une grotte : on s’y
engouffre, on s’y terre, on vient
s’y mettre à l’abri de la ville.
J’y suis venu pour la première
fois à l’âge de 14 ans, un samedi
vers 22 heures, quand une file de
spectateurs turbulents, certains
costumés, voire travestis, envahit
le trottoir. Depuis près de qua­
rante ans, un même film, The
Rocky Horror Picture Show (1975)
de Jim Sharman, tient l’affiche
des vendredis et samedis soir,
animé par deux compagnies en
alternance qui interagissent avec
le film autour de l’écran et dans la
salle. Cette comédie musicale ten­
dance glamrock, devenue culte
lors des séances de minuit à New
York, a vu se former autour d’elle
des petites communautés de fans
qui, connaissant le film par cœur,
se retrouvent dans les salles pour
entonner les chansons, réciter les
répliques et remplir les vides par
des blagues d’initiés.
Style délirant
Tout néophyte, comme je le fus,
se retrouve intégré d’office à
cette assemblée pratiquant l’hu­
mour carabin, et dont les rituels
sont réglés comme du papier à
musique : jeter du riz ou de l’eau
dans la salle à des moments
bien précis du film, quand les
héros se marient ou quand il
pleut. Dans un style délirant et
très « camp » [dérision queer], le
film raconte l’histoire de deux
jeunes mariés bien proprets qui,
par une nuit d’orage, échouent
dans un manoir au beau milieu
d’une orgie entre convives tra­
vestis et transsexuels venus
d’une autre planète.
Sous ses airs de pochade, le
« Rocky », comme ses fans l’ap­
pellent affectueusement, abrite
surtout un vibrant hommage
aux films de série B américains
et à leur poésie surréaliste, ainsi
qu’une joyeuse invitation à la
débauche. Je fus alors galvanisé
par ce qui se passait non seule­
ment sur l’écran, mais aussi dans
la salle, comme si le film se dou­
blait en direct de sa relecture
potache, brisant là aussi la bar­
rière qui sépare le spectateur du
spectacle. S’exprimait là non pas
un second degré moqueur à
l’égard du kitsch gratiné du film,
mais une sorte d’amour dérai­
sonnable envers cet objet ingrat
mais profondément attachant.
Le Studio Galande, où conti­
nuent d’avoir lieu ces agapes bon
enfant, conserverait toujours
pour moi, de par sa présence dé­
robée au cœur de Paris, cette aura
délicieuse de licence et de désor­
dre – quelque chose d’une maison
close, mais diablement ouverte. 
ma. mt.
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021
ET SI, LE 15 JUIN 1940, PÉTAIN AVAIT DÉMISSIONNÉ ?
C’EÛT ÉTÉ UNE AUTRE HISTOIRE… 5 | 6  Le maréchal, vice-président du conseil des ministres, plaide
pour la signature d’un armistice avec les Allemands victorieux. Dans cette uchronie,
la majorité du gouvernement s’y oppose et continue la guerre depuis l’Afrique du Nord
A
rrivé depuis la veille à Bor­
deaux pour fuir l’avance
allemande, le gouverne­
ment s’apprête à se réunir,
ce 15 juin 1940, pour son
conseil des ministres quo­
tidien, chaque jour plus dramatique. Paul
Reynaud, qui préside ce dernier, rencontre
d’abord le général Maxime Weygand, com­
mandant en chef de l’armée.
LES FAITS
Après la rupture de la ligne de la Somme,
les 9 et 10 juin, Weygand avait affirmé que
si la métropole était envahie la France ne
pourrait plus continuer la guerre. Ce à quoi
Reynaud avait répondu avec fermeté : « Le
problème de la continuation de la guerre est
d’ordre politique et relève des décisions du
gouvernement. » Le 12 juin, Weygand avait
réclamé au gouvernement de demander
l’armistice (une option évoquée dès le
25 mai en conseil) et reçu le soutien du ma­
réchal Pétain, vice­président du Conseil.
Paul Reynaud avait encore écarté l’idée, au
nom des accords avec le Royaume­Uni, qui
interdisaient toute négociation séparée.
Dès le 31 mai, Reynaud avait proposé de
continuer la guerre depuis l’Afrique fran­
çaise du Nord (AFN), option soutenue par
Georges Mandel, ministre de l’intérieur,
Raoul Dautry, ministre de l’armement, et
Charles de Gaulle, sous­secrétaire d’Etat à
la défense. Cette option, dite du « grand
transfert », supposait que l’armée de mé­
tropole capitule. Un « déshonneur » écarté
par Weygand : « L’empire ? Mais c’est de l’en­
fantillage ! Lorsque j’aurai été battu, l’Angle­
terre n’attendra pas huit jours pour négo­
cier », dit­il à de Gaulle le 8 juin. Le 13 juin,
Pétain déclare à son tour : « Il est impossible
au gouvernement français, sans émigrer,
sans déserter, d’abandonner le territoire
français. (…) L’armistice est à mes yeux la
condition nécessaire de la pérennité de la
France éternelle. » Il impliquerait surtout
que ce soit le gouvernement et non l’armée
qui assume la responsabilité de la défaite…
Malgré cette hostilité, les échelons infé­
rieurs de l’armée s’activent pour achemi­
ner vers les ports du Sud les élèves offi­
ciers, les spécialistes des arsenaux, les ar­
mements sortis d’usine, les recrues à
l’entraînement. Le général Vuillemin,
commandant l’aviation, et l’amiral Darlan,
son homologue de la marine, préparent le
départ de leurs avions et de leurs navires.
Le général Doumenc, chef d’état­major, or­
ganise des lignes de résistance sur les
cours d’eau qui traversent l’ouest de la
France (Loire, Cher, Indre, Creuse), dans le
Massif central et sur les affluents du
Rhône, où pourront se replier successive­
ment les unités en retraite. Des « groupes
mobiles » sont reconstitués avec les der­
niers blindés et véhicules disponibles pour
contre­attaquer les pointes ennemies dans
les intervalles des grandes unités en re­
traite. Loin d’être une foule de fuyards, l’ar­
mée livre des combats acharnés sur la
Loire, dans le Perche ou dans le Dauphiné.
Interrogée le 12 juin par de Gaulle sur les
moyens de transport depuis les ports mé­
ridionaux, l’amirauté répond ne pas avoir
le tonnage disponible suffisant au­delà de
20 000 hommes par semaine à partir du
13 juin. De Gaulle s’envole alors pour Lon­
dres pour demander l’aide de la Royal
Navy. Hommes et matériel commencent à
s’agglutiner à Marseille, Toulon, Sète, Port­
Vendres, Bordeaux, Bayonne, où sont
amarrés paquebots, transports et escortes.
« L’AFRIQUE
DU NORD EST
EN MESURE
DE RÉSISTER AUX
ENTREPRISES DE
L’ENNEMI », SELON
UN RAPPORT
DU REPRÉSENTANT
DE LA FRANCE
AU MAROC
L’HISTOIRE ALTERNATIVE
LE GOUVERNEMENT DÉCIDE
DE CONTINUER LA GUERRE
Le 15 juin, alors que les Allemands sont en
Normandie et dans la Beauce, qu’ils ap­
prochent de la Loire et foncent à travers la
Bourgogne vers la frontière suisse (pour
couper la retraite des troupes qui tien­
nent la ligne Maginot), Reyaud lit à
Weygand la note d’analyse de ses con­
seillers : « L’Allemagne est victorieuse sur
terre. C’est là un fait dont la douloureuse
portée n’a pas besoin d’être soulignée [une
allusion à la capitulation]. Il ne doit pas
nous faire oublier cependant les atouts que
nous conservons. Notre flotte est intacte.
(…) Il est indispensable de conserver la
flotte et l’empire et de transporter dans nos
possessions africaines tout ce qui pourra
être sauvé de nos forces terrestres. »
Weygand rétorque : « Jamais je n’accepte­
rai de jeter la honte de la capitulation sur
les drapeaux de l’armée française. »
Le président du Conseil lui demande
alors de démissionner. Le vieux général,
tremblant d’indignation, s’exécute et se
rend aussitôt dans le bureau de Pétain
pour l’en aviser. Celui­ci, furieux, en­
voie aux ministres qui lui sont favora­
bles (Paul Baudouin aux affaires étran­
gères, Yves Bouthillier aux finances, Ca­
mille Chautemps, vice­président du
Conseil) un message leur demandant
d’appuyer l’armistice. Mais Chautemps,
prudent, avise Reynaud de cette démar­
che. Reynaud demande alors au prési­
dent de la République, Albert Lebrun, de
convoquer exceptionnellement au con­
seil, qui doit se tenir une heure après, les
présidents de l’Assemblée (Edouard Her­
riot) et du Sénat (Jules Jeanneney), qu’il
sait favorables à la poursuite de la guerre.
Le conseil s’ouvre dans le grand salon de
la préfecture de la Gironde vers 14 heures,
dans une ambiance glaciale. Reynaud
annonce le remplacement de Weygand
par Doumenc, chargé de retarder au
l’avance ennemie vers les ports d’embar­
quement jusqu’à l’heure tragique de la ca­
pitulation. Doumenc estime qu’il sera
possible de tenir jusqu’au 5 juillet, ce qui
donne trois semaines pour évacuer le
maximum de forces. L’ordre de transfert
de l’armée de l’air et de la marine – sauf
les unités nécessaires à la défense des
ports – sera donné à l’issue du conseil.
Pétain prend la parole. La France oc­
cupée, dit­il, subira la botte allemande
sans qu’aucune autorité la protège ; l’in­
fime partie de l’armée repliée au­delà de
la Méditerranée dépendra du Royaume­
Uni pour se ravitailler et pour s’armer car
les ressources de l’empire sont insuffisan­
tes ; Hitler lancera ses troupes à travers
l’Espagne pour attaquer le Maroc tandis
que Mussolini attaquera la Tunisie. Enfin,
il est impossible d’improviser l’évacua­
tion de forces et de moyens suffisants
pour mettre sur pied une armée digne de
ce nom en AFN. Surtout, le Royaume­Uni,
confronté à un ennemi victorieux oc­
cupant les côtes de la Manche, traitera
avec l’Allemagne aux dépens de l’Empire
français. « Ne nous [ont­ils] pas déjà trahi
à Dunkerque ? », s’exclame le Maréchal.
Reynaud fait alors part au conseil d’un
rapport du général Charles Noguès, com­
mandant en chef des armées en AFN.
« L’Afrique du Nord, avec ses ressources ac­
tuelles, les renforcements d’aviation, et
avec l’appui de la flotte, est en mesure de
résister aux entreprises de l’ennemi. » Le
rapport détaille les forces disponibles :
202 000 hommes de troupes d’opération,
200 chars modernes, quelques vieux avi­
ons. C’est suffisant, dit­il, pour neutraliser
préventivement le Maroc espagnol au cas
où Franco s’allierait avec Hitler, et pour
contenir Mussolini s’il s’avisait d’attaquer
la Tunisie. A plus forte raison si cette ar­
mée se trouvait sans délai renforcée par
les 800 avions et par la flotte qui ont
quitté la métropole. Reynaud détaille en­
suite les livraisons d’armement améri­
cain déroutées vers l’AFN : 400 chasseurs
au rythme de 60 par mois, 350 bombar­
diers, 130 avions de l’aéronavale et des
milliers de fusils­mitrailleurs et de ca­
nons produits dans les usines américai­
nes sous licence française…
Herriot et Jeanneney prennent la parole.
En gagnant l’AFN, le Parlement et le gou­
vernement emmèneront avec eux l’exis­
tence politique de la France démocratique
QUENTIN FAUCOMPRÉ
L’UCHRONIE
Aussi appelée « histoire
alternative », l’uchronie
consiste à exploiter,
selon les représentations
des acteurs de l’époque,
d’autres potentialités d’un
événement, ou les différentes
lectures contemporaines
de celui-ci, pour montrer que
l’histoire aurait pu s’écrire
différemment.
| 21
en lutte contre le fascisme. Elle aura sa
place à la table des vainqueurs, « car, si elle
a perdu une bataille, elle n’a pas perdu la
guerre ! Elle a un vaste empire derrière elle.
Elle peut faire bloc avec l’Empire britanni­
que, qui tient la mer et continue la lutte.
Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser l’im­
mense industrie des Etats­Unis. Cette
guerre est une guerre mondiale. Nous
aurons tous les moyens nécessaires pour
écraser un jour nos ennemis ». Et l’AFN sera
la base de la reconquête.
C’est alors qu’une sonnerie de télé­
phone retentit. Au bout du fil, à Londres,
c’est de Gaulle, aux côtés de Jean Monnet,
qui dirige le Comité de coordination éco­
nomique franco­britannique, et du pre­
mier ministre britannique, Winston
Churchill. Le cabinet de ce dernier, dit­il, a
décidé de renforcer la coopération avec la
France sous la forme d’une Union franco­
britannique. Les deux gouvernements in­
cluront chacun un ministre représentant
l’autre nation : de Gaulle à Londres et le
général Spears à Bordeaux (puis à Alger).
Chaque gouvernement disposera des
moyens militaires et économiques de
l’Union pour servir la stratégie commune,
définie par le Conseil suprême interallié.
L’armée française pourra, par exemple,
commander directement aux unités na­
vales et aériennes britanniques – que le
Conseil suprême met immédiatement à
la disposition du « grand transfert ».
L’Union franco­britannique envoie ce
jour au gouvernement espagnol une note
l’informant que, s’il laisse les armées alle­
mandes franchir sa frontière, l’Espagne se
trouvera en état de guerre avec l’Union, et
les Canaries seront aussitôt occupées.
La majorité du gouvernement ayant ap­
prouvé les dispositions proposées par
Reynaud, les ministres qui ont voté con­
tre, Pétain en tête, donnent leur démis­
sion. Baudouin est remplacé par le con­
seiller au cabinet de Reynaud Roland
de Margerie, et Reynaud cumule les fi­
nances. Les ordres sont aussitôt envoyés.
Entre le 16 et le 25 juin (quand les Alle­
mands atteignent la Gironde, bloquant
Bordeaux) et le 5 juillet (quand ils appro­
chent de Marseille), 800 avions et 24 con­
vois de transport assurés par plus de
200 navires français et britanniques, fai­
sant la navette avec l’AFN, auront trans­
porté 100 000 hommes et des milliers de
tonnes de matériel et d’armement.
Le 21 juin, le paquebot Massilia quitte
Bordeaux pour Casablanca avec les dépu­
tés et les sénateurs au complet (seul Pierre
Laval reste introuvable). Le 23, deux des­
troyers britanniques embarquent, à Port­
Vendres, le gouvernement, qui s’installe à
Alger le 25, et y reprend ses activités.
LA VRAIE FIN
Le 15 juin, après avoir entendu un exposé
de Weygand et de Darlan sur la situation
militaire, le conseil des ministres délibère
sans trancher. Reynaud veut consulter
Londres et Washington sur les scénarios
évoqués. Le 16 juin, Herriot et Jeanneney
viennent plaider pour le « grand trans­
fert ». Le conseil est ajourné jusqu’à
17 heures. Entre­temps arrivent les messa­
ges de Washington – qui soutiendra la
France si elle continue la guerre, mais
sans intervenir militairement –, puis celui
de Londres – la France peut demander les
conditions d’un armistice, mais celui­ci
ne devra pas inclure la flotte. Ce dernier
message est aussitôt annulé par un coup
de téléphone de De Gaulle : Londres pro­
pose une union politique franco­britanni­
que – ce qui exclut tout armistice. Rey­
naud, découragé, laisse Pétain et ses collè­
gues ironiser sur la proposition anglaise
et, profitant d’une suspension de séance,
donne sa démission au président Lebrun.
Cette dernière reprend à 22 heures, et Le­
brun propose la présidence du Conseil à
Pétain, qui sort une liste de ministres de
sa poche. Le 17 juin au matin, Pétain de­
mande au gouvernement allemand, par
l’intermédiaire de l’ambassadeur d’Espa­
gne, les conditions d’un armistice. 
antoine reverchon
Prochain article Et si, le 30 août 1954, la
France avait voté pour la Communauté
européenne de défense ?
22 | idées 0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021

Déguiser un refus de vaccination en militantisme pour

la défense de l’hôpital nous semble de la mauvaise foi
Un collectif de médecins, infirmiers, aides­ en charge des autres pathologies. Des
retards qui, parfois, grèvent lourdement
soignants, psychologues des secteurs hospitaliers la survie des patients, en particulier en
publics et privés, mais aussi de médecine de ville, oncologie.
C’est pourquoi, indépendamment de la
entend protester contre l’instrumentalisation de la crise déjà existante de l’hôpital et de la
crise de l’hôpital public par les manifestants hostiles santé en France, il devient urgent et vital
qu’une solution efficace permette de
à la vaccination obligatoire et au passe sanitaire sortir de la situation que nous
connaissons depuis un an et demi. Or, la
vaccination est actuellement la seule qui
Sans entrer ici dans le débat autour du
caractère obligatoire, se faire vacciner
contre le SARS­CoV­2 est un acte citoyen,
éthique et responsable. L’un n’empêche
pas l’autre : défendre l’hôpital et, plus
largement, un accès à des soins de
qualité pour tous n’empêche en rien de
se faire vacciner contre le SARS­CoV­2. Au
contraire, les deux s’inscrivent dans une
logique de protection des plus précaires
et des plus fragiles.
A ceux d’entre eux qui se cachent
derrière l’idée que l’on a détruit leurs
conditions d’exercice depuis des années,
pour aujourd’hui les pousser, sous
prétexte de santé publique, à une
vaccination dont ils ne veulent pas, nous
répondons ceci : si sortir de la pandémie
n’est pas une condition suffisante pour
reconstruire l’hôpital public, elle n’en est
pas moins une condition nécessaire.
Nous n’avons aucune chance de

C
es derniers jours ont été marqués
par des manifestations contre la
vaccination obligatoire et le passe
sanitaire. A cette occasion, nous
avons relevé, chez les manifestants,
comme sur les réseaux sociaux, ce qui se
voudrait être un argument pour appuyer
l’idée que se faire vacciner ne servirait à
rien : la défense de l’hôpital public.
La justification serait la suivante : les
gouvernements successifs détruisent
l’hôpital public depuis des années ; le
nombre de lits et les moyens se sont
effondrés, tout cela au mépris de la santé
publique ; commençons donc par
réhabiliter l’hôpital et les conditions de
soin pour mieux gérer les pandémies
avant de forcer à la vaccination, disent les
manifestants. Nous, médecins, infirmiers
et soignants, nous inscrivons fermement
en faux face à cette logique.
Tout d’abord, nous sommes étonnés de
voir que tant de personnes ont
subitement à cœur la défense de
l’hôpital public. En effet, nombre d’entre
nous ont prêché dans le désert durant
des années et se sont sentis très seuls
lors des mouvements organisés par les
professions médicales et paramédicales.
Ces opérations n’ont que peu mobilisé
en dehors du monde médical, quand il
s’est agi de lutter contre de nouvelles
mesures d’austérité imposées à l’hôpital
ou contre la dépossession des moyens de
décisions des soignants − pensons à la loi
HPST (Hôpital, patients, santé et
territoire) en 2009.
A croire que ce subit intérêt pour la
cause de l’hôpital public n’est en réalité là
que pour affubler des oripeaux de
l’éthique un refus de se vacciner bien
difficile à justifier.
« Acte citoyen, éthique et responsable »
Nous, soignants, vivons de l’intérieur,
depuis un an et demi maintenant, la
crise du Covid­19, qui n’a fait que révéler
de façon suraiguë ce que nous savions
déjà : trop de lits ont été fermés. Il n’y a
plus suffisamment de moyens humains
et matériels à l’hôpital et, fondamen­
talement, la logique de flux tendu ne
peut pas s’appliquer à un secteur straté­
gique comme la santé, qui doit être capa­
ble d’absorber rapidement une crise
sanitaire d’ampleur.
Les secteurs de soins les plus mobilisés
sont à bout de souffle, affectés depuis
longtemps par les hémorragies de
personnels. En conséquence, la
pandémie a considérablement éprouvé
ces équipes de soin qui ne demandent
qu’une seule chose : sortir de la crise.
Nous constatons par ailleurs, trop
souvent, les ravages de la pandémie en
termes de retard de diagnostic et de prise
existe et qui permette d’éviter de bloquer
le système de soin.
Déguiser un refus de vaccination en mi­
litantisme pour la défense de l’hôpital
public nous semble au mieux de la bêtise,
au pire de la mauvaise foi. Nous refusons
que la cause que nombre d’entre nous
défendent depuis longtemps − et qui
nous tient à cœur − devienne un argu­
ment pour refuser un acte qui relève non
seulement de la solidarité, mais aussi de
la santé publique et du soulagement des
équipes de soin.
SI SORTIR DE LA
PANDÉMIE N’EST PAS
UNE CONDITION
SUFFISANTE POUR
RECONSTRUIRE
L’HÔPITAL PUBLIC, ELLE
N’EN EST PAS MOINS
UNE CONDITION
NÉCESSAIRE
Temps de passer à l’action
La défense de l’hôpital ne peut donc être
un argument contre la vaccination : c’est
tout l’inverse. Comment refuser de
participer à une campagne qui aurait
comme premier effet de soulager les
équipes de soin, tout en prétendant
défendre leurs conditions d’exercice − en
particulier quand la nouvelle perspective
d’un plan blanc, et donc d’un autre
renoncement aux congés pour les
soignants, menace ? Cela n’a aucun sens.
Vous avez été nombreux, en 2020, à nous
manifester votre soutien et à nous
applaudir chaque soir. Il est aujourd’hui
dans vos moyens de faire quelque chose
de concret et de simple pour nous
soulager : vous faire vacciner. Après les
mots et les encouragements, il est temps
pour vous tous de passer à l’action.
Les quelques soignants en refus de
vaccination qui le manifestent à grand
bruit ne sont pas représentatifs, loin de
là, de l’ensemble du corps soignant
majoritairement vacciné. La plupart
d’entre eux, quels que soient leurs rangs
et fonctions, n’ont pas de compétence
particulière dans les domaines de
l’infectiologie, de l’immunologie ou de la
santé publique et s’y opposent sur des
considérations non médicales. Dans ce
domaine précis, leurs arguments ne
tiennent, en effet, pas un instant.
défendre correctement nos conditions
de travail et des soins de qualité accessi­
bles à tous entre confinements, sur­
charge de travail plus importante que
d’habitude, crise économique, burn­out
et cascades d’arrêts de travail. Nous,
signataires de cette tribune, espérons
que, quelle que soit la façon dont nous
sortirons de cette crise pandémique,
toutes les personnes prêtes aujourd’hui
à défiler et à se mobiliser contre la
vaccination – slogans pour la défense de
l’hôpital public à l’appui – seront bientôt
présentes à nos côtés quand il s’agira de
se mobiliser à nouveau pour réclamer
des moyens matériels et humains et une
politique d’investissement pour les
hôpitaux publics.
C’est ensemble que, par le vaccin, nous
vaincrons la pandémie ; ensemble aussi
que nous ferons advenir le temps de la re­
conquête du service public hospitalier. 
Premiers signataires :
Jean Carlet, médecin, ancien
président de la Société européenne
de réanimation (Paris) ;
Jean-Daniel Flaysakier, médecin
(Tours) ;
Sarah Kilani, médecin (Lannion)…

Ce n’est pas le principe du passe sanitaire à l’hôpital qui pose

une question éthique, mais ses modalités de mise en œuvre
A la fois pour protéger les hôpitaux de toute contamination et pour garantir l’accès aux soins pour tous, le législateur a raison de placer en premier
l’intérêt général, défendent François Crémieux et Jean-Luc Jouve, deux responsables de l’Assistance publique­Hôpitaux de Marseille

L
e Conseil constitutionnel a
validé, jeudi 5 août, l’ap­
plication du passe sani­
taire dans les hôpitaux, y
compris pour les patients. Le
législateur avait pris la précau­
tion de restreindre l’application
de cette mesure aux personnes
accueillies « pour des soins pro­
grammés », de ne pas y sou­
mettre les « cas d’urgence », et de
renvoyer la loi à un décret pour
en préciser les conditions d’ap­
plication. Malgré ces précau­
tions, le débat est vif dans le mi­
lieu hospitalier pour déterminer
si l’application du passe sani­
taire aux patients serait « éthi­
que » ou contraire aux valeurs
fondamentales des soignants et
de l’hôpital public.
Valeurs de solidarité
Si cette crise sanitaire a pu avoir
un effet bénéfique, ce sera
d’avoir donné une grande visibi­
lité à des enjeux éthiques le plus
souvent réservés à un petit nom­
bre d’experts. Le passe sanitaire
pour les patients vient s’insérer
entre deux impératifs d’appa­
rence contradictoire.
D’un côté, la préservation du
rôle protecteur des lieux de
soins, qui commande d’appli­
quer le passe sanitaire à l’entrée
des hôpitaux afin de réduire le
risque de transmission du Co­
vid­19, notamment pour ceux
déjà fragilisés par la maladie et
présentant plus de risques de
formes graves. Pour cela, les ges­
tes barrières sont essentiels,
mais limiter le nombre de per­
sonnes pouvant transmettre le
virus y contribue aussi.
C’est au nom des valeurs du
« prendre soin » et, plus générale­
ment, des valeurs de solidarité
entre chaque individu et le
groupe (les autres patients, les
professionnels, la société) que
ceux qui estiment que l’intérêt
général doit primer sur la seule
somme de nos intérêts ou avis
particuliers sont favorables au
passe sanitaire. Ils ont raison.
D’un autre côté, l’accès aux
soins pour tous conduit ses op­
posants à refuser le passe sani­
taire pour les patients au nom
des mêmes valeurs du soin, de la
solidarité et de l’hospitalité.
D’autant qu’ils rappellent – à
juste titre – que l’acceptation ou
le refus de la vaccination, voire
des tests PCR, diffèrent selon le
niveau d’accès à une informa­
tion claire, mais aussi en fonc­
tion des inégalités sociales.
Le passe sanitaire risquerait
donc d’éloigner de l’hôpital les
patients les plus fragiles, ceux
requérant des soins psychiatri­
ques ou les plus précaires. Ainsi,
se trouvent unis contre le passe
sanitaire pour les malades à l’hô­
pital ses opposants de principe,
mais aussi de nombreux profes­
sionnels de santé, qui estiment
que leur mission de service pu­
blic, notamment à l’égard des
plus précaires, serait mise en
cause par cette mesure. Ils ont
aussi raison.
Démarche pragmatique
Puisqu’on ne peut ni ne rien faire
ni à la fois faire et son contraire,
le raisonnement éthique impose
un choix. Et face à ces deux im­
pératifs, empêcher les hôpitaux
d’être des lieux de contagion et
garantir aux personnes malades
IL SERA PLUS FACILE
D’ÊTRE AUTORISÉS
À DÉROGER POUR
DES RAISONS
MÉDICALES À
UNE OBLIGATION
QUE DE DEVOIR
FAIRE L’INVERSE
l’accès à l’hôpital, une démarche
éthique – et tout simplement
pragmatique – dicte de choisir
l’une des deux options puis,
dans sa mise en œuvre, de la
pondérer afin de tenir compte
des exigences éthiques de
l’autre. D’une part, le législateur
est le premier garant de notre
intérêt collectif et, d’autre part, si
chaque individu peut défendre
son intérêt ou son choix indivi­
duel, fût­il opposé à la vaccina­
tion et au passe sanitaire, aucun
de nous ne peut à titre individuel
s’ériger en garant de l’intérêt col­
lectif. La loi a donc eu raison de
hiérarchiser les deux impératifs,
de placer en premier celui qui
porte l’intérêt général et donc le
principe du passe sanitaire.
C’est dans la mise en œuvre du
passe sanitaire qu’il nous faudra
tenir compte de l’autre obliga­
tion éthique et garantir le res­
pect du droit de chacun à être
soigné. D’une part, le décret ou
ses circulaires d’application de­
vront préciser – comme la loi
l’esquisse avec les situations
d’urgence – un cadre de déroga­
tion possible, en précisant au
mieux les situations et la ma­
nière de concilier le principe gé­
néral de passe sanitaire avec des
exceptions légitimes. D’autre
part, aucun texte d’application
ne prévoira tout. Ils devront
donc aussi en référer à la con­
fiance dans la décision d’une
équipe médicale et hospitalière
qui devra, face à un malade, con­
naissant sa maladie, son histoire
de vie, ses enjeux de santé, les
raisons de son opposition à la
vaccination ou au test, décider
de l’accueillir ou considérer que
rien ne justifie l’exception.
De manière très opérationnelle,
il est possible de poser le principe
du passe sanitaire au moment de
toute prise de rendez­vous puis
de prévoir, à l’arrivée du patient,
que celui ou celle qui n’a ni
preuve de vaccination ni test PCR
récent suive un parcours identi­
fié et puisse bénéficier d’un test
rapide, se voir proposer la vacci­
nation et, le cas échéant, la pour­
suite de ses soins « hors passe sa­
nitaire » s’ils sont nécessaires
dans une relative urgence ou s’il
y a un risque que leur report con­
duise à une perte de lien entre le
malade et l’équipe.
Dispositifs individualisés
Au­delà des dispositifs indivi­
dualisés, les textes doivent pré­
voir que les hôpitaux et les équi­
pes aient la liberté d’organiser le
dispositif au mieux pour des fi­
lières de soins particulières, cel­
les, par exemple, qui accueillent
les personnes à la rue ou en si­
tuation de grande précarité ou
celles venant recourir à des soins
psychiatriques. L’alternative qui
aurait conduit la loi à ne pas ins­
taurer le passe sanitaire et à lais­
ser aux équipes la responsabilité
de restreindre une liberté indivi­
duelle au nom de l’intérêt collec­
tif aurait constitué un évitement
de responsabilité de la part du lé­
gislateur et mis les soignants en
position impossible : il sera plus
facile d’être autorisés à déroger
pour des raisons médicales à une
obligation que de devoir faire
l’inverse et imposer au plus
grand nombre une règle que le
législateur n’aurait pas prévue.
Ce n’est donc pas le principe du
passe sanitaire pour les patients
qui viennent à l’hôpital qui pose
une question éthique, mais ses
modalités de mise en œuvre et
notre capacité à organiser prag­
matiquement le juste équilibre
entre l’intérêt général et l’accès
aux soins pour tous. 
François Crémieux
est directeur général
de l’Assistance publique - Hôpi-
taux de Marseille (AP-HM)
Jean-Luc Jouve est président
de la commission médicale
d’établissement de l’AP-HM
0123
SAMEDI 14 AOÛT 2021 0123 | 23

La solidarité mondiale LA POLOGNE 

EN DANGER  Le passage en force de cette loi a donné sanctions financières, pour s’engager à res­

est plus que jamais

lieu à une bataille parlementaire et à une pecter des décisions de la Cour de justice
D’ISOLEMENT rébellion de l’opposition au lendemain du de l’UE, lui enjoignant de renoncer aux
limogeage par le premier ministre de son nouvelles procédures disciplinaires visant

nécessaire pour lutter

adjoint, membre d’un petit parti hostile au les juges. Le président du PiS et homme
texte, marquant l’éclatement de la coalition fort du pays, Jaroslaw Kaczynski, avait sem­
qui gouverne la Pologne. Ce nouveau tour blé reculer. La bataille qu’il a menée pour
de vis du régime polonais place une nou­ l’adoption de la loi sur les médias montre

contre le Covid-19
velle fois Varsovie en porte­à­faux avec les qu’il n’en est rien.
principes de l’Union européenne (UE). La Face à ces entorses croissantes aux princi­
Commission de l’UE a dénoncé « un signal pes démocratiques, l’impuissance de l’UE
préoccupant pour la liberté d’informer et le apparaît manifeste. Adopté en décembre, le
pluralisme médiatique ». Fait nouveau, il ac­ mécanisme de sanction conditionnant l’at­
croît également les tensions avec l’allié tribution des fonds du plan de relance
Six envoyés spéciaux de l’Organisation américain, qui, par la voix de son secrétaire européen n’intègre malheureusement pas
d’Etat, Antony Blinken, a exprimé sa « pro­ explicitement le pluralisme des médias à
mondiale de la santé, dont David Nabarro,
expliquent qu’il est essentiel d’aider les pays
les plus vulnérables à vacciner leur population D ans la dérive qui l’éloigne des prati­
ques démocratiques et du respect
de l’Etat de droit, le régime polo­
nais, dirigé par le parti de droite nationa­
liste Droit et justice (PiS), a franchi une nou­
fonde préoccupation ».
Cette nouvelle dégradation confirme la
double stratégie du gouvernement polo­
nais visant à mettre au pas les deux contre­
pouvoirs que sont la justice et les médias.
l’Etat de droit, dont il constitue pourtant
une manifestation essentielle.
L’isolement croissant de la Pologne et sa
dérive, qu’accroît le départ de la branche la
plus modérée de la coalition du gouverne­

L
a planète assiste à la diffu­
sion de variants de plus en
plus infectieux du SARS­
CoV­2, et, dans la course
menée pour garantir un accès
équitable aux vaccins, une poi­
gnée d’Etats ont pris de l’avance,
vaccinant leur population et lais­
sant derrière eux de nombreux
pays beaucoup plus vulnérables.
L’impatience et la lassitude
s’emparent des populations, ce
qui est compréhensible. Ce­
pendant, l’assouplissement des
mesures de santé publique,
comme le port du masque et la
distanciation physique, risque de
velle étape inquiétante, mercredi 11 août,
avec l’adoption par la Diète polonaise, dans
des conditions de légalité douteuses, d’une
loi sur l’audiovisuel disposant que les mé­
dias du pays ne peuvent être détenus à plus
de 49 % par des entités non européennes.
LE « MOI D’ABORD » En pratique, le texte n’affecte qu’une
AFFICHÉ PAR chaîne, très populaire en Pologne, du
groupe américain Discovery, et qui ne mé­
CERTAINS PAYS FAIT nage pas ses critiques à l’égard du gouver­
nement du premier ministre, Mateusz Mo­
COURIR DE PLUS rawiecki, et donne la parole aux opposants
boycottés par les médias publics.
EN PLUS DE RISQUES
Fonds monétaire international,
l’Organisation mondiale du com­
Le PiS, au pouvoir depuis 2015, après avoir
neutralisé le Tribunal constitutionnel, a
tenté de purger la Cour suprême et a intro­
duit une procédure permettant de sanc­
tionner les juges pour le contenu de leurs
décisions. En parallèle, il a transformé les
médias publics en instruments de propa­
gande, fait racheter les journaux régionaux
par une société pétrolière d’Etat contrôlée
par des affidés du parti et arrosé les médias
qui lui sont favorables de publicités d’Etat.
La Commission européenne avait donné
à Varsovie jusqu’au 16 août, sous peine de
ment, sont préoccupants d’abord pour les
citoyens polonais. Mais ils le sont aussi
pour l’UE et, désormais, pour les Etats­
Unis, directement visés par le texte adopté
mercredi. Européens et Américains doi­
vent utiliser tous les moyens de pression
en leur possession, comme le versement
des fonds du plan de relance et l’implanta­
tion des forces de l’OTAN, pour amener le
gouvernement de la Pologne à respecter le
socle des valeurs des démocraties, sous
peine d’une marginalisation accrue du
pays vis­à­vis de ses propres alliés. 

perpétuer la transmission. Le
cocktail que composent les nou­
veaux variants plus infectieux et
l’attitude du « moi d’abord » affi­
chée par certains pays font courir
Le troisième référendum
merce et la Banque mondiale
pour solliciter une augmentation
des financements de 50 milliards
de dollars (42,6 milliards d’euros),
afin de pouvoir vacciner 40 % de la

de plus en plus de risques aux
non­vaccinés et à ceux qui n’ont
reçu qu’une seule dose de vaccin.
La situation mondiale est pé­
en Nouvelle-Calédonie
population mondiale d’ici à la fin
de l’année et 60 % pour la mi­
2022. Un tel investissement est dé­
risoire au regard des milliers de

n’est qu’une étape

rilleuse et nous, les envoyés spé­
ciaux du directeur général de l’Or­
ganisation mondiale de la santé
(OMS), lançons un appel en faveur
d’un engagement renouvelé pour
une approche globale contre la
pandémie. Deux éléments de no­
tre action doivent aller plus vite.
Les gouvernements et les fabri­
cants apportent leur soutien aux
efforts déployés par les Etats
membres de l’OMS pour accélérer
milliards de dollars de pertes éco­
nomiques et de coûts imputables
à la pandémie.
L’OMS continue de s’employer à
mettre à la disposition du monde
entier des vaccins et d’autres
outils efficaces et sans danger.
Cela va de l’octroi d’une autorisa­ Un collectif de parlementaires, à l’initiative du sénateur Philippe Folliot, considère que
tion d’utilisation d’urgence pour
onze vaccins jusqu’au lancement le dernier acte de l’accord de Nouméa ne signe pas une fin mais un début pour le territoire
du dispositif pour accélérer l’accès
aux outils de lutte contre le

la mise en place d’une capacité de
fabrication de vaccins et la vacci­
nation des plus vulnérables. Ils
soutiennent aussi les individus et
les populations qui continuent à
suivre scrupuleusement les mesu­
res de santé publique essentielles.
Accélérer d’ici à décembre
Le premier point passe par la mise
en œuvre immédiate d’appels
pour que les vaccins soient utili­
sés au mieux. Ainsi, près de 3 mil­
liards de doses ont été distribuées
dans le monde, mais seules
90 millions d’entre elles sont pas­
sées par le programme Covax. Or
60 pays au moins dépendent de
ce mécanisme pour les vaccins et
les taux de vaccination y sont en
moyenne inférieurs à 3 %. La
communauté internationale doit
mettre en œuvre une stratégie
aux niveaux mondial, régional et
national dans le cadre de laquelle
les vaccins vont en premier lieu
aux plus vulnérables, de manière
à ne pas exposer les agents de
santé, les personnes âgées et les
personnes souffrant d’affections
sous­jacentes à un risque de déve­
lopper une forme grave. Il faut
aussi soutenir l’appel de l’OMS à
vacciner au moins 10 % de la po­
pulation de chaque pays d’ici à
septembre et à accélérer d’ici à dé­
cembre, pour que 40 % de la popu­
lation soit vaccinée fin 2021.
Pour atteindre cet objectif,
250 millions de personnes supplé­
mentaires doivent être vaccinées
dans les pays à revenu faible ou in­
termédiaire, en priorité tous les
agents de santé et les plus fragi­
les. Ces objectifs sont en phase
avec l’initiative prise par l’OMS, le
David Nabarro est professeur
en santé mondiale.
Retrouvez la liste complète
des signataires sur Lemonde.fr
Covid­19, en passant par la possi­
bilité, pour les pays en développe­
ment, d’avoir les moyens de fabri­
quer les vaccins sur place. L’inves­
tissement dans la capacité de
fabrication et de diagnostic, la ca­
pacité de séquençage du virus, la
surveillance renforcée des cas
sont des éléments essentiels pour
maîtriser cette pandémie.
Les pays qui ont les plus grands
stocks de vaccins ne devraient pas
les thésauriser et insister pour
couvrir l’ensemble de leur popula­
tion, alors que d’autres pays doi­
vent s’en passer. Ce faisant, ils
n’agissent pas au mieux de leurs
intérêts, car la circulation intense
du virus dans les pays dépourvus
de vaccins augmente la possibilité
de voir apparaître des variants
plus contagieux et plus dange­
reux, avec la menace de rendre les
vaccins actuels moins efficaces.
Parallèlement à cela, le monde
ne doit pas perdre de vue le se­
cond point, à savoir que toute la
population renouvelle son enga­
gement à se protéger et à protéger
les autres en continuant de res­
pecter le port du masque, la dis­
tanciation physique, la ventilation
et les autres mesures qui freinent
la propagation du virus. Il est pri­
mordial d’instaurer la confiance
et de donner aux gens les moyens
de sentir qu’ils font partie de la ri­
poste pour les encourager à conti­
nuer, même plus d’un an après le
début de la pandémie.
Il y a urgence à sauver des vies.
Le monde a l’obligation morale de
le faire. La solidarité mondiale est
plus que jamais nécessaire. L’OMS
prône activement une double ap­
proche pour garantir que les plus
vulnérables se font vacciner et ap­
pliquer des mesures de santé pu­
blique qui ont fait leurs preuves,
mais aussi interpeller les pays qui
pourraient en faire davantage :
cela profitera au monde entier et
permettra de sauver des vies. Per­
sonne n’est en sécurité tant que
tout le monde ne l’est pas. 
A
près de riches discussions,
menées à Paris depuis le
26 mai, et réunissant autour
d’une même table les déléga­
tions de partis opposés sur le sort de
la Nouvelle­Calédonie, le ministre des
outre­mer, Sébastien Lecornu, a an­
noncé, mercredi 2 juin, que le troi­
sième référendum prévu par les ac­
cords de Nouméa, datés de 1998, se
tiendrait le 12 décembre.
Cette date promet enfin, si ce n’est
un dénouement, un cap, une perspec­
tive à tous les Néo­Calédoniens, ainsi
que l’espoir d’améliorations notables
de leurs conditions de vie. Elle leur
promet de pouvoir se tourner vers
l’avenir, car les conséquences de ce ré­
férendum conduiront nécessaire­
ment à des réformes profondes.
Il marquera sans nul doute un
tournant dans l’histoire du Caillou,
ainsi que dans les relations qu’entre­
tient la France avec ce territoire du
Pacifique, marquées, trop encore
sans doute, par les événements.
Pour autant, nous ne devons pas
voir cette décision du corps électo­
ral néo­calédonien comme une fin.
Même si elle conclura bel et bien la
séquence commencée en 1988 −
avec les accords de Matignon­Oudi­
not − et prolongée par l’accord de
Nouméa [signé en 1998], visant à en
IL FAUT
IMPÉRATIVEMENT
QUE L’INTÉRÊT
DE SES HABITANTS
PRIME SUR
LES RANCŒURS
PASSÉES ET SUR LES
POSITIONS RIGIDES
finir avec la guerre civile, à rétablir le
dialogue entre les mouvances indé­
pendantistes et loyalistes présentes
sur place, et à parvenir à un consen­
sus démocratique.
En effet, comme l’a également an­
noncé le ministre, ce référendum va
ouvrir la porte à une nouvelle colla­
boration d’une durée de dix­huit
mois.
Si le oui à l’indépendance l’emporte,
ce laps de temps permettra à la Nou­
velle­Calédonie d’asseoir ses nouvel­
les institutions, de rédiger sa Consti­
tution en tant que nouvel Etat souve­
rain, et de définir quels partenariats –
économiques, notamment – pour­
ront être envisagés avec la France.
Si le non l’emporte, ce sera l’occa­
sion, pour la France, de réviser le sta­
tut accordé à cette collectivité, de
poursuivre le dialogue avec les indé­
pendantistes afin de trouver des
compromis acceptables, et de mener
les réformes économiques et sociales
dont ce territoire a tant besoin.
Deux ans de transition
Profondément attachés à toutes les
questions qui agitent les outre­mer,
nous ne pouvons que soutenir et en­
courager de façon inconditionnelle,
comme l’ensemble de nos collègues
parlementaires, ce processus démo­
cratique. L’avenir du Caillou est entre
leurs mains, et il faut impérative­
ment que l’intérêt de ses habitants
prime sur les rancœurs passées et sur
les positions rigides. De grands pas
vers le retour à un dialogue apaisé,
propice au débat et à une déci­
sion éclairée, ont été réalisés ces der­
niers mois.
Afin de protéger cet équilibre fragile
des discussions, nous, parlementai­
res de la République, attachés à nos
outre­mer, souhaitons nous rendre
sur place, en délégation, à l’automne
2021, pour poursuivre les échanges
avec l’ensemble des acteurs concer­
nés par l’avenir de ce territoire et les
soutenir dans leur démarche.
Les enjeux sont de taille pour la
Nouvelle­Calédonie, qui doit s’enga­
ger sur la voie d’un destin commun à
l’ensemble de ses habitants, alors
même que les tensions entre les deux
camps sont encore vives ; mais
aussi pour notre pays car, depuis le
Brexit, c’est le seul de l’Union euro­
péenne qui possède des territoires
dans le Pacifique.
Nous voilà donc à l’aube de deux
ans de transition. Deux ans pour don­
ner à la Nouvelle­Calédonie l’assu­
rance d’avoir été entendue, aidée,
soutenue, et à sa population celle
d’avoir été reconnue comme une en­
tité à part entière, avec ses particula­
rités, sa culture, son passé et ses di­
visions qu’il nous appartient dé­
sormais, à tous, de contribuer à
résoudre.
L’accord de Nouméa présentait ce
troisième référendum comme un
point final, autrement dit un saut
dans l’inconnu, même un saut dans
le vide, tant l’incertitude politique,
économique et sociale est grande sur
ce territoire. Nous ne pouvions pas
abandonner ainsi les populations lo­
cales, exaspérées par l’immobilisme
dans lequel les plonge cette crise, et
qui n’a que trop duré.
La nouvelle ère néo­calédonienne
s’ouvre aujourd’hui, et le troisième
référendum n’est qu’une étape, une
simple page dans ce nouveau chapi­
tre, que nous devons écrire de con­
cert. C’est ce processus que nous
soutenons et qui nous mènera, nous
l’espérons, vers des relations
empreintes de respect mutuel et
de sérénité. 
Philippe Folliot est sénateur
(Alliance centriste) du Tarn,
membre de la délégation
sénatoriale à l’outre-mer
et du conseil consultatif
des Terres australes et
antarctiques françaises (TAAF)
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des signataires sur Lemonde.fr
A LA POURSUITE DU RÊVE