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C entre d ’ études stratégiques aérospatiales

Les drones aériens :


passé, présent
et avenir

Approche globale
Actes de colloque

l a d oCumentation française
Préface du général d’armée aérienne Denis Mercier
chef d’état-major de l’armée de l’air
Centre de recherche de l’armée de l’air
Centre d’études stratégiques aérospatiales

Ouvrage coordonné par :


Sébastien Mazoyer,
Jérôme de Lespinois,
Emmanuel Goffi
Grégory Boutherin,
Christophe Pajon

Ce volume rassemble les actes du colloque organisé le 17 janvier 2008


à l’Assemblée nationale, à l’occasion du 30e anniversaire du déclenchement
de l’opération Lamantin en Mauritanie. Cette manifestation n’aurait pu avoir
lieu sans le soutien actif des députés Bernard Accoyer, président de l’Assem-
blée nationale, Philippe Vittel, vice-président de la commission de la défense
nationale et des forces armées, Louis Giscard d’Estaing, vice-président de la
commission des finances, et Nicolas Dhuicq, membre de la commission de
la défense nationale et des forces armées.
Cet évènement scientifique a été préparé en partenariat avec l’univer-
sité Paris-Sorbonne et les Cercles de Brienne. Il a été conçu plus particuliè-
rement grâce aux conseils des professeurs Georges-Henri Soutou, Jacques
Frémeaux, Jean-Jacques Roche et Hervé Coutau-Bégarie et de Stéphane Morin.
Enfin, cette manifestation s’est tenue à la demande du général Stéphane
Abrial, alors chef d’état-major de l’armée de l’air, à la suite d’une proposition
de l’amicale des anciens de la 11e escadre de chasse présidée par le général
Bernard Guével. Son organisation a été assurée par le Centre d’études straté-
giques aérospatiales (CESA), dirigé à l’époque par le général Guillaume Gelée
qui s’est appuyé sur une équipe composée par le lieutenant-colonel Jérôme
de Lespinois, les capitaines Kesswarsing Somrah et Anne de Luca, les lieute-
nants Océane Zubeldia, Mickaël Aubout, Yohan Droit et Élodie Bonin-Laurent,
le sergent-chef Nathalie Deheeger et l’aviatrice Wilguy Zora.
La publication des actes de ce colloque intervient presque trois années
plus tard, mais les thèmes développés lors de cette manifestation ont toujours
paru d’actualité à l’équipe de direction du CESA.

« En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du Code de la propriété intellectuelle


du 1er juillet 1992, complétés par la loi du 3 janvier 1995, toute reproduction partielle ou totale
à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de
l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger
l’équilibre économique des circuits du livre. »
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013
ISBN : 978-2-11-009376-9
Stratégie aérospatiale
L’apparition de l’aviation militaire dans les premières années du XXe siècle
a transformé l’art de la guerre. Les opérations qui se déroulaient jusqu’ici à la
surface de la terre ou des mers se sont élargies aux espaces aériens et aux éten-
dues spatiales qui les dominent. Ce n’est pas seulement un changement physique
– le passage d’une guerre de deux à trois dimensions – mais aussi un change-
ment de nature. Car l’extension des opérations à l’air puis à l’espace permet de
jeter la guerre par-dessus les fronts et d’atteindre le cœur du pays ou des enclaves
adverses avec ses centres de décision et de production, ses infrastructures vitales,
ses zones urbaines et ses populations civiles. Cette transformation apparaît même
plus profonde que cette simple extension géographique et cette variation d’échelle.
La guerre aérienne ou spatiale constitue, en effet, la matrice d’un changement
d’essence du conflit armé qui devient de moins en moins un affrontement où l’on
recherche la destruction ou l’attrition des forces d’un adversaire, mais une guerre
où prévaut la recherche de la paralysie stratégique de celui-ci dans le champ mili-
taire mais aussi politique, économique et informationnel.
La collection « Stratégie aérospatiale » a pour ambition de contribuer au
renouveau de la pensée stratégique française en publiant des textes à caractère
historique ou prospectif, français ou étrangers, relatifs à la dimension straté-
gique du fait aérien et spatial. Il s’agit de mettre à disposition du public franco-
phone l’œuvre théorique des grands stratèges de l’arme aérienne et spatiale, soit
par le moyen de traduction d’ouvrages étrangers, de réimpression de textes deve-
nus indisponibles ou de publication de monographies originales. La collection
souhaite aussi participer au soutien des jeunes auteurs et les aider à promouvoir
leur réflexion. La collection a encore vocation à publier les actes de colloques ou
les textes relatifs à l’emploi de la puissance aérienne et spatiale dans les conflits
passés ou actuels. Les ouvrages de la collection s’adressent à un large public, civil
ou militaire, composé, en particulier, de décideurs, de chercheurs, d’étudiants, de
passionnés et de praticiens.

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Dans la collection « Stratégie aérospatiale » :
– Jérôme de Lespinois (dir.), La doctrine des forces aériennes françaises 1912-
1976, 2010.
– Robert Pape, Bombarder pour vaincre, Jean-Patrice Le Saint (trad.), à
paraître 2011.
– Camille Grand, Grégory Boutherin (dir.), Envol 2025, à paraître 2011.

Hors collection :
– Patrick Facon, Histoire de l’armée de l’air, 2009.
Préface

Voilà maintenant plusieurs années que les drones sont devenus


incontournables dans les conflits modernes où ils occupent un rôle majeur dans
la conduite des opérations. Plus récemment, ils ont conquis un autre terrain :
celui de la sphère médiatique. Mais cette notoriété nouvelle a parallèlement
conduit au développement d’un certain nombre de croyances, de craintes, voire
de fantasmes les entourant. Afin de dépasser ces images préconçues, il apparaît
aujourd’hui indispensable de répondre à cette question : à quoi correspondent
exactement les drones et plus particulièrement les drones aériens ?
Répondre à cette interrogation, bien moins aisée qu’il n’y paraît, est l’objectif
qui préside à ce cinquième volume de la collection « Stratégie aérospatiale »,
publié à La Documentation française. La démarche pédagogique qui inspire
cet ouvrage apparaît autour des trois principaux axes qui le traversent.
Tout d’abord, cet opus permet de bien comprendre l’apport opérationnel
des drones, plus simplement leur utilité. Avec une capacité de vol de plusieurs
dizaines d’heures sans interruption, assurant une couverture de zone sans nul
autre pareil, les gains opérationnels – du moins ceux d’ores et déjà identifiés –
sont nombreux. Ainsi, cette permanence en vol autorise la surveillance de
zones de crise dans la durée et l’acquisition d’une connaissance situationnelle
en temps réel, jusqu’à pouvoir fournir une vision extensive de certaines
interactions sociales, et dessiner les contours de certains modes de vie. Outre
le recueil permanent du renseignement, cette inscription dans la durée offre
aussi réactivité et efficacité. Voir de manière continue et en temps réel permet
de contracter le cycle décisionnel et d’agir au bon moment, y compris dans
l’instant pour guider la frappe d’un avion de combat, ou pour l’effectuer lui-
même comme en sont capables certains drones armés. C’est en cela que les
drones sont de véritables multiplicateurs de force.
Ensuite, suivant toujours son effort didactique, cet ouvrage tente d’ouvrir
la « boîte noire » des systèmes de drones, et donc de permettre de prendre la
mesure de leur complexité. Le terme même de « drone » renvoie en effet à une
typologie de plates-formes aux critères nombreux (altitude, poids, missions,
etc.). En approfondissant l’étude de l’objet, la notion de « système de drones »
s’avère elle-même plus complexe. Si, selon le sens commun, le vocable « drone »
évoque une plate-forme volante opérée à distance, il masque le fait que celle-ci
n’est qu’un élément d’un ensemble dont l’Homme est le cœur. Le drone, à
proprement parler, n’a en soi guère d’utilité si aucun opérateur ne peut le faire
voler ou si aucun interprète images ni aucun officier de renseignement n’est en
mesure d’exploiter les données recueillies. Réinséré dans son environnement
organisationnel, que dire de la mise en œuvre et de la sécurisation des réseaux
ou du maintien en condition opérationnelle essentielles à son emploi ? La liste
pourrait être prolongée à l’envie.

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Enfin, en faisant le pari audacieux de rassembler les contributions issues
d’horizons disciplinaires très variés, cet ouvrage offre une vision globale. La
puissance aérospatiale a en effet ceci de passionnant qu’elle peut être abordée
sous de très nombreux angles. Les drones ne font nullement exception. Qu’il
s’agisse des enjeux opérationnels, des retours d’expérience, des défis technolo-
giques mais également du facteur humain, du droit, de l’éthique, de la sociolo-
gie ou, bien évidemment, de l’histoire, cet ouvrage couvre un très large spectre
des différents discours qui peuvent être tenus sur le sujet. Une place a également
été laissée à certaines approches controversées. Cela est important. Nous ne
devons pas rejeter le débat mais au contraire l’accepter, le favoriser. À la base
de toute création de connaissances, seule cette posture permettra à chaque lec-
teur de se construire une opinion solide et éclairée. C’est aussi pour cela que,
autre qualité de cet ouvrage, des sujets souvent ignorés dans la réflexion entou-
rant les drones y sont abordés, qu’il s’agisse de la vulnérabilité des systèmes,
des interactions sociales ou encore, parmi d’autres, des emplois civils. Outils
phares de nos forces armées conçus pour surveiller de larges zones sur de lon-
gues périodes, les drones peuvent en effet également apporter une aide précieuse
aux autorités civiles dans le cadre de l’évaluation permanente de la situation
et la coordination des moyens. L’administration américaine des douanes et
des frontières dispose par exemple de drones « moyenne altitude longue endu-
rance » (MALE). La surveillance des espaces, soient-ils aériens, maritimes ou
terrestres, sera de plus en plus assurée par des drones qui pourront être opé-
rés à partir d’un centre unique, même s’ils sont engagés hors de nos frontières.
Fruit d’une collaboration entre le Centre de recherche de l’armée de l’air (CReA),
le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) et les Écoles d’officiers de
l’armée de l’air (EOAA), cet ouvrage atteste enfin du dynamisme des organismes
de recherche, d’enseignement et de formation de l’armée de l’air. Nous ne pouvons
que nous en réjouir. Plus largement, il témoigne également de la vigueur et de la
richesse de la réflexion française autour du fait aérien et des grandes thématiques
aérospatiales, cette réflexion soit-elle d’ailleurs le produit de travaux réalisés par
des chercheurs et des analystes ou l’expression d’expériences opérationnelles. Il
illustre enfin l’intérêt que porte à notre institution des experts de renommée inter-
nationale qui ont accepté de s’associer à ce projet, ce pour quoi nous les en remer-
cions, enrichissant d’autant plus les prochaines pages.
L’espoir de tout écrivain, chercheur, éditeur – ou préfacier –, est que l’ou-
vrage auquel il a contribué ou qu’il a porté sur les fonds baptismaux suscite
l’intérêt, la lecture, le débat voire qu’il s’inscrive dans une forme de durée. Il y
a peu de doutes que les premiers soient comblés. Seul le temps nous permettra
de répondre au dernier. Mais, même si le romancier Paul Auster écrivait dans
un de ses romans phares qu’« un livre est un objet mystérieux et [qu’] une fois
qu’il a pris son envol, n’importe quoi peut arriver », nous ne doutons pas que
celui-ci fera dans tous les cas date.
Je vous souhaite une bonne lecture…
Général d’armée aérienne Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée
de l’air

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Sommaire

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Table des auteurs

Ronald C. Arkin, Regents’ Professor et vice-doyen en charge de la recherche au


College of Computing à Georgia Tech. Professeur invité à la KTH Royal Institute
of Technology de Stockholm, au Sony Intelligence Dynamics Laboratoires de
Tokyo et à l’Artificial Intelligence Group du LAAS/CNRS à Toulouse.
Peter Asaro, professeur associé au Center for Internet and Society de la
Stanford Law School et cofondateur et vice-président de l’International Committee
for Robot Arms Control. Il est aussi directeur des programmes de master à la
School of Media Studies de la New School for Public Engagement de New York.
Michel Asencio, général de corps aérien (2S). Ancien directeur central de
structure intégrée pour le maintien en condition opérationnelle des matériels
aériens du ministère de la Défense (simmad), il est actuellement chercheur associé
à la Fondation pour la recherche stratégique où il a en charge l’Observatoire
des ruptures technico-militaires (ortm) et enseigne à l’université de Paris II
Assas Panthéon.
Pierre-Marie Basset, docteur en mécanique des fluides (université d’Aix-
Marseille II). Il est actuellement chercheur à l’ONERA (Salon-de-Provence). Il
a publié Contributions à l’amélioration d’un modèle de simulation de la mécanique
du vol des hélicoptères (ONERA, 1996).
William H. Boothby, Air Commodore de la RAF, docteur en droit
international (faculté de droit de Frankfurt-sur-Oder, Allemagne). Ancien
directeur adjoint juridique de la Royal Air Force, il a notamment publié Weapons
and the Law of Armed Conflict (2009) et The Law of Targeting (2012).
Guillaume Bourdeloux, lieutenant-colonel de l’armée de l’air, pilote de
chasse, ancien commandant de l’escadron 02/003 Champagne, actuellement
détaché par l’armée de l’air comme expert opérationnel chez Dassault Aviation.
Grégory Boutherin, capitaine de l’armée de l’air, docteur en droit public de
l’université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III). Il est chef de l’équipe « Prospective
et études de sécurité » du Centre de recherche de l’armée de l’air (CReA),
chercheur associé au Centre d’études de sécurité internationale et de maîtrise
des armements (CESIM) et enseigne les relations internationales à l’Institut
des sciences diplomatiques.
Christian Brun, capitaine de l’armée de l’air et docteur en histoire. Il est
chef de l’équipe « Histoire et sociologies militaires » du Centre de recherche
de l’armée de l’air.
Sylvain Bruni, diplômé du Massachusetts Institute of Technology et de
l’École supérieure d’électricité. Il est actuellement ingénieur systèmes humains
chez Aptima, Inc. à Cambridge MA.

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Stéphane Caïd, lieutenant de l’armée de l’air. Il est actuellement affecté
à la cellule « Facteurs humains du département de médecine aéronautique
opérationnelle » du Centre d’expérimentations aériennes militaires.
Cyril Carcy, colonel (air), pilote de chasse et breveté du Collège interarmées
de défense. Il a commandé l’escadron de drones 1/33 Adour, occupé le poste
d’assistant militaire du CEMAA et est actuellement affecté au Pentagone en
tant qu’officier d’échange français auprès du Strategic Studies Group de l’US
Air Force.
Mary L. Cummings, docteur en Systems Engineering de la University of
Virginia. Elle fut l’une des premières femmes pilotes de chasse de l’US Navy
dans laquelle elle servit de 1988 à 1999. Elle est actuellement Associate Professor
au sein de l’Aeronautics & Astronautics Department du Massachusetts Institute
of Technology.
Richard Desumeur, commandant de l’armée de l’air, officier mécanicien,
titulaire d’un master spécialisé en « Navigabilité des aéronefs ». Après avoir
travaillé en recherche et développement au sein de l’industrie aéronautique,
notamment sur la certification du système de drone Sperwer, puis appartenu
à la « mission navigabilité » de l’armée de l’air, il est actuellement stagiaire de
la promotion « La Fayette » de l’École de guerre.
Julien Donnot, docteur en psychologie de l’université de Provence. Il
est enseignant-chercheur au sein de l’équipe « Facteurs humains et milieux
opérationnels » du Centre de recherche de l’armée de l’air (CReA).
Solange Duvillard, commandant de l’armée de l’air, officier psychologue,
doctorante de l’université d’Aix-Marseille. Ancien chef de la division sélection
du Centre d’études et de recherches psychologiques Air (CERP’Air), elle
est enseignant-chercheur au sein de l’équipe « Facteurs humains et milieux
opérationnels » du Centre de recherche de l’armée de l’air (CReA).
Patrick Fabiani, ingénieur de l’École polytechnique et docteur en intelligence
artificielle de SupAero. Il est directeur du département de commande des
systèmes et dynamique du vol de l’ONERA.
Vincent Ferrari, docteur en psychologie cognitive de l’université de Provence.
Il dirige l’équipe « Facteurs humains et milieux opérationnels » du Centre de
recherche de l’armée de l’air.
Christophe Fontaine, lieutenant-colonel de l’armée de l’air, officier de
renseignements, diplômé de l’université Paris II, lauréat du prix René Mouchotte
en 2009, titulaire d’un master de l’EPHE, breveté de l’enseignement militaire
supérieur. Il est le commandant en second de l’escadron de drones 1/33 Belfort.
Nolen Gertz est docteur en philosophie et est chargé de cours au Delta
College de Bay City mi. Ses travaux portent entre autres sur l’éthique appliquée,
la philosophie sociale et politique et la phénoménologie. Il travaille actuellement
à la rédaction d’un ouvrage intitulé Rethinking War : Responsibility, Suffering,
and the Future of War.

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Pierre-Yves Gilles, professeur des universités. Il est directeur de l’UFR
Arts Lettres Langues et Sciences humaines de l’université d’Aix-Marseille, et
responsable du programme « Différences individuelles, régulation, counseling »,
du centre de recherche PsyCLÉ (EA 3273).
Christian Godard, général de brigade aérienne, officier mécanicien, diplômé
de l’École supérieure d’électricité. Il a servi principalement dans des unités
techniques de l’aviation de combat de l’armée de l’air et au sein d’organismes
centraux dans le domaine du soutien et du MCO aéronautique. Il est actuellement
affecté à la Direction générale des systèmes d’information et de communication
en tant qu’officier général chargé des fréquences du ministère de la Défense.
Daniel Gigan, capitaine de l’armée de l’air, doctorant en cybernétique et
auteur d’un brevet relatif à un prototype permettant d’intégrer des drones
dans la circulation aérienne en toute sécurité. Il est enseignant-chercheur au
sein de l’équipe « Facteurs humains et milieux opérationnels » du Centre de
recherche de l’armée de l’air.
Emmanuel Goffi, capitaine de l’armée de l’air, doctorant à Sciences-Po Paris.
Il est officier rayonnement et chargé d’études au Centre d’études stratégiques
aérospatiales et enseigne à l’Institut des sciences diplomatiques de Marseille.
Il est l’auteur de Les armées françaises face à la morale (L’Harmattan, 2011).
Marc Grozel, capitaine de frégate. Il est actuellement officier programme
drones de la Marine nationale et chef du détachement drones CEPA/10S. Il est
le coauteur de Drones, mystérieux robots volants (Lavauzelle, 2008).
Béatrice Hainaut, lieutenant de l’armée de l’air, titulaire d’un master de
sciences politiques (Paris I Panthéon-Sorbonne) et d’un master professionnel
« Métiers de l’Europe » (Lille II), doctorante en sciences politiques. Elle est
chercheur dans l’équipe « Prospective et études de sécurité » du Centre de
recherche de l’armée de l’air.
Joseph Henrotin, docteur en sciences politiques de l’université libre de
Bruxelles. Chargé de recherches au Centre d’analyse et de prévision des risques
internationaux (capri) et à l’Institut de stratégie et des conflits (isc), il est
rédacteur en chef de Défense & sécurité internationale.
Jean Hermetz, ingénieur de l’École nationale supérieure des arts et métiers
et de l’École supérieure des techniques aérospatiales. Il est actuellement chef
de l’unité aéronautique de l’ONERA (Toulouse).
Philippe Lagrange, professeur des universités en droit public à l’université
de Rouen. Membre de l’équipe « Recherches et études sur les Droits de l’homme
– Droit international et comparé » du Centre universitaire rouennais d’études
juridiques (EA 4703), il est également chercheur associé au laboratoire Migrations
internationales, espaces et société (UMR 6588).
Jean-Patrice Le Saint, lieutenant-colonel de l’armée de l’air, navigateur de
combat, breveté de l’École de guerre. Ancien commandant de l’escadron, il
est actuellement affecté auprès du chef d’état-major des armées, en qualité de
rédacteur chargé des affaires stratégiques. Il est le traducteur de l’ouvrage de

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Robert Pape, Bombing to Win, Airpower and Coercion in War (La Documentation
française, 2011).
Claude Le Tallec, diplômé de l’École nationale supérieure d’arts et métiers
et de l’École supérieure des techniques aérospatiales. Il est aujourd’hui chargé
de mission et anime l’activité de l’ONERA sur l’automatisation du système de
transport et de travail aériens et a récemment coordonné une étude de l’Agence
européenne de Défense sur l’intégration des drones dans l’espace aérien.
Jérôme de Lespinois, lieutenant-colonel de l’armée de l’air et docteur en
histoire (Paris-Sorbonne). Il est chargé de mission auprès du directeur du
Centre d’études stratégiques aérospatiales.
Gilles Marfisi, commandant de l’armée de l’air, pilote externe et officier
mécanicien sur le premier drone de l’armée de l’air (F-Hunter). Ancien chef
des services techniques de l’escadron d’expérimentation drones et officier
mécanicien à l’équipe de marque drones du CEAM, il est actuellement chef
du soutien technique aéronautique adjoint de la BA 709 de Cognac.
Sébastien Mazoyer, colonel de l’armée de l’air, pilote de chasse. Ancien
commandant de l’escadron d’expérimentation drones 1/330 Adour et premier
commandant de l’escadron de drones 1/33 Belfort, il est actuellement adjoint
au chef de département Médias de la Délégation à l’information et à la
communication de la Défense.
Denis Mercier, général d’armée aérienne, pilote de chasse, breveté du Collège
interarmées de défense. Ancien commandant de l’escadron 1/12 Cambrésis et
de la base aérienne 112 « Commandant Marin-la-Meslée » de Reims, du bureau
Plans de l’état-major de l’armée de l’air et des Écoles d’officiers de l’armée de
l’air à Salon-de-Provence, il est nommé chef du cabinet militaire du ministre
de la Défense et des Anciens Combattants en 2010, puis chef d’état-major de
l’armée de l’air en septembre 2012.
Stéphane Mercier, diplômé en science informatique et technologie de
l’information de Télécom Bretagne et docteur en robotique de l’Institut supérieur
de l’aéronautique et de l’espace (université de Toulouse). Il participe activement
à Artilect, le premier FabLab français implanté à Toulouse.
Bruno Mignot, colonel (air), pilote de chasse et de transport. Il commande
actuellement le Centre national des opérations aériennes. Il a publié de nombreux
articles ainsi que deux ouvrages chez L’Harmattan (Regard d’un militaire sur
la société française et Il était une fois des militaires).
Paul J. Mitchell, diplômé de la Queen’s University (Canada) et du
Massachusetts Institute of Technology. Il est actuellement ingénieur
développement contrôle au sein de General Electric Energy in Power Generation
Technology.
Gilles Modéré, général de brigade aérienne, breveté du Collège interarmées
de défense. Ancien commandant des forces aériennes du Cap-Vert et de la base
aérienne 160 de Dakar, il commande les Écoles d’officiers de l’armée de l’air
et la base aérienne 701 de Salon-de-Provence.

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Olivier Montagnier, normalien, agrégé de mécanique (2000) et docteur en
mécanique du solide (2005). Enseignant-chercheur au CReA depuis septembre
2004, il est maintenant responsable de l’équipe « Dynamique du vol » et chercheur
associé au laboratoire de mécanique et d’acoustique du CNRS.
Christophe Pajon, docteur en sciences politiques, habilité à diriger les
recherches. Il est chercheur dans l’équipe « Prospective et études de sécurité » du
Centre de recherche de l’armée de l’air, enseignant à l’IEP d’Aix-en-Provence
et à l’Institut des sciences diplomatiques (Marseille).
Jean-Jacques Patry, docteur droit public et en sciences politiques. Chargé
de mission à la Fondation pour la recherche stratégique, il assure la direction
du master « Géopolitique et sécurité internationale » de l’Institut catholique
de Paris. Il a notamment publié chez L’Harmattan L’Ombre déchirée de la
puissance aérienne.
Bruno Paupy, lieutenant-colonel de l’armée de l’air, commandant de
l’escadron de drones 1/33 Belfort de septembre 2011 à juillet 2013. Il a
commandé en opérations le détachement air français de la base de Bagram en
Afghanistan à trois reprises de 2009 à 2011, période durant laquelle le drone
Harfang y a été déployé.
Fabien Sauvet, médecin principal des armées. Ancien médecin à l’Institut
de médecine aérospatiale du service de santé des armées, il est actuellement
affecté à l’unité Vigilance du département « Environnements opérationnels »
de l’Institut de recherche biomédicale des armées de Brétigny-sur-Orge.
David Sécher, lieutenant-colonel de l’armée de l’air, officier de
renseignements. Il a servi au sein de l’escadron de drones 1/33 Adour puis
Belfort. Il est actuellement stagiaire de la promotion « La Fayette » de l’École
de guerre.
Jean-Pierre Serra, général de division aérienne, pilote de chasse et breveté
du Collège interarmées de défense. Ancien commandant de la base aérienne de
Metz, directeur adjoint du renseignement militaire, il est directeur du Centre
d’études stratégiques aérospatiales.
Noël Sharkey, professeur en intelligence artificielle et robotique. Après avoir
occupé différents postes d’enseignant et de chercheur aussi bien en Grande-
Bretagne qu’aux États-Unis (Yale et Stanford), il enseigne actuellement à
l’université de Sheffield. Il est par ailleurs cofondateur de l’International
Committee for Robot Arms Control.
Bertrand Slaski, titulaire d’un Bachelor of Arts de la Rhodes University
de Grahamstown (Afrique du Sud) et d’un master de l’université Paris XII.
Il est consultant senior à la Compagnie européenne d’intelligence stratégique.
Bradley Jay Strawser, professeur adjoint de philosophie au département
d’Analyse de défense de la US Naval Postgraduate School de Monterey ca.
Il est également chercheur associé au Oxford’s Institute for Ethics, Law, and
Armed Conflict à Oxford, Royaume-Uni. Rédacteur de nombreux articles sur

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les drones, il prépare un ouvrage collectif consacré aux aspects éthiques relatifs
à l’emploi des UAVs.
Christophe Tronche, lieutenant de l’armée de l’air et docteur en neurosciences
(université de Bordeaux I). Il est actuellement affecté à la division de la formation
au commandement des Écoles d’officiers de l’armée de l’air.
Océane Zubeldia, capitaine de l’armée de l’air et docteur en histoire de
l’université Paris-Sorbonne. Elle est officier « relations extérieures » au Centre
d’études stratégiques aérospatiales. Elle a publié une Histoire des drones (Perrin,
2012).

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Présentation

Général de division aérienne Jean-Pierre Serra


Général de brigade aérienne Gilles Modéré

Cet ouvrage constitue le fruit d’une coopération entre deux organismes de


l’armée de l’air : le Centre de recherche de l’armée de l’air (CReA) de Salon-
de-Provence et le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) implanté
à Paris. Il a pour origine d’une part l’intérêt de l’armée de l’air et des armées
pour ces engins pilotés à distance et d’autre part le constat qu’il manquait un
manuel en français exposant les différents aspects et les interactions entre les
diverses composantes de cet objet complexe constitué par le drone et ses sous-
systèmes.
La question des drones a commencé à apparaître dans la littérature de
défense à l’initiative du professeur Pierre Pascallon qui avait organisé un premier
colloque sur le sujet en janvier 1997(Quel avenir pour les drones ?, L’Harmattan,
1998). C’est d’ailleurs à cette occasion que l’armée de l’air exprima pour
la première fois publiquement un besoin de vingt drones à l’horizon 2001-
2010. Depuis plusieurs ouvrages ont été publiés dont ceux de Marc Grozel et
Genevière Moulard (Drones, mystérieux robots volants, Lavauzelle, 2008), de
Jean-Christophe Damaizin d’Arès (Drones : acteurs incontournables de notre
avenir, L’Esprit du livre, 2011), d’Océane Zubeldia (Histoire des drones, Perrin,
2012) et de Pierre Pascallon avec deux autres actes de colloques (Demain les
drones de combat et Satellites et grands drones, L’Harmattan, 2004 et 2005). Il
manquait cependant un ouvrage scientifique, récent, didactique et accessible
permettant d’aborder la question des drones dans sa complexité intrinsèque et
dans ses interactions avec une multitude d’autres domaines appartenant à des
champs disciplinaires très différents (droit, science des organisations, mécanique
du vol et des structures, ergonomie cognitive, éthique, sociologie…). Compte
tenu de l’ampleur thématique, des choix éditoriaux ont dû être faits afin de
conserver l’ouvrage dans des proportions à la fois compatibles avec une édition
en un volume unique et propres à en assurer l’accessibilité. Il a par exemple dès
l’origine été décidé d’exclure les micro et les minidrones qui obéissent à une
problématique spécifique et de s’attacher uniquement à la gamme des drones
français et étrangers allant des engins dits tactiques, jusqu’au drone HALE en
passant par le MALE. Le périmètre inclut aussi les drones civils au même titre
que les drones militaires même si ces derniers constituent le cœur de l’ouvrage.
La tâche a été accomplie par les équipes du CReA et du CESA avec
l’aide d’un comité de pilotage réunissant les représentants de l’état-major,
des commandements et des unités opérationnelles. Elles ont rassemblé les
contributions de ce volume qui soit avaient fait l’objet d’une communication lors

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de manifestations spécifiques organisées par les deux unités soit ont été rédigées
spécialement afin d’offrir la compréhension la plus complète de la question.
Alors que se préparent des choix déterminants pour la capacité de nos
armées à défendre et protéger l’indépendance de notre pays et de nos intérêts
nationaux, ce livre se veut une contribution à la compréhension de l’enjeu que
constituent les drones dans le processus de transformation de l’art de la guerre.
S’il permet en décrivant précisément l’objet, puis son emploi de poser sans
ambiguïtés les termes du débat tout en faisant justice des fausses polémiques
et des superstitions les plus courantes, nous aurons atteint notre objectif.

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Introduction

Colonel Mazoyer, lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois, capitaine


Emmanuel Goffi, capitaine Grégory Boutherin et Christophe Pajon
Lorsque le comité de pilotage de cet ouvrage s’est réuni pour la première
fois, deux orientations a priori antagonistes se sont offertes à nous. Nous
pouvions concevoir un livre concis, voire didactique et dogmatique, avec comme
principal objectif de faire de la pédagogie au profit des profanes, au risque
de susciter les reproches de quelques connaisseurs et surtout l’indifférence
des nombreuses personnes désireuses de former leur propre opinion à partir
d’approches diverses et controversées. Nous pouvions a contrario nous orienter
vers un compendium sur les drones qui aborderait ce sujet sous tous ses aspects,
des plus techniques aux plus sociologiques en passant par les plus polémiques,
à partir de contributions issues d’horizons disciplinaires variés, au risque de
rebuter de nombreux lecteurs effrayés par ce qui pourrait apparaître comme
un manque de concision ou une absence de choix.
Comme tout sujet complexe qui mérite une approche la plus objective
possible afin de ne pas se complaire d’une réponse partielle, et surtout éviter
de devenir partial, nous avons opté pour la deuxième option. Jean-Jacques
Rousseau disait : « se faire sa propre opinion n’est déjà plus un comportement
d’esclave ». À travers cet « ouvrage-outil », nous voulions ainsi offrir au plus
grand nombre, du profane au spécialiste, le moyen de construire ou faire évoluer
son point de vue à partir de la confrontation d’idées, d’exemples et d’avis. Nous
souhaitions surtout combattre nombre de préjugés, qui restent pour Voltaire
« des opinions sans jugement ».
Ce choix assumé a nécessité un effort didactique particulier, s’appuyant
sur un découpage thématique rigoureux, ainsi qu’une table des matières
concise et de nombreuses synthèses partielles pour les plus pressés. Des
index permettent de s’introduire directement au cœur du texte à partir d’un
terme technique ou d’une notion. De nombreux résumés rythment également
l’ouvrage afin d’aiguiller judicieusement le lecteur vers certaines contributions
complémentaires et l’amener ainsi progressivement à se construire un avis
personnel en cheminant à travers le large panel des contributions. De la sorte,
celui qui viendra s’informer sur certains aspects techniques pourra naturellement
être amené à consulter certains aspects organisationnels, avant peut-être d’être
redirigé vers les questions éthiques ou les perspectives d’emploi.
Ainsi, que vous veniez chercher des informations sur ce qu’est un drone
ou sur ce à quoi il peut bien servir, ou bien plus spécifiquement appréhender
les limites de son emploi, qu’elles soient techniques, opérationnelles, juridiques
ou même éthiques, vous ressortirez (nous l’espérons) de votre lecture avec la
conviction que le drone n’est qu’un élément d’un système d’arme complexe dont
l’homme est le cœur. Vous pourrez par exemple vous rendre compte que les

17
aspects organisationnels et humains évoluent au même rythme que les évolutions
techniques, et que même si les avancées technologiques permettent d’élargir
le spectre des possibilités offertes, les contraintes sociologiques, juridiques et
éthiques orientent également les décisions politico-militaires définissant les
concepts et la doctrine d’emploi de ces systèmes. Enfin, si cet ouvrage permet
de briser les fantasmes selon lesquels les drones sont voués à devenir de manière
immuable des robots qui vont remplacer à terme tous les avions habités, et qui
décideront de manière autonome qui doit vivre ou mourir sur un champ de
bataille, nous aurons réussi notre mission.
Bonne lecture à tous.

18
PREMIÈRE PARTIE

QU’EST-CE QU’UN
DRONE ?

19
20
La première partie de cet ouvrage s’attache tout d’abord à répondre à la
célèbre question de Foch : « De quoi s’agit-il ? ». Elle aborde donc successivement
les généralités sur les drones (chapitre 1), puis les aspects technologiques
(chapitre 2) et enfin les aspects humains (chapitre 3).
Le premier chapitre montre que le destin des drones aériens, c’est-à-dire
ces avions pilotés à distance, sans homme à bord, est indubitablement lié à
celui des avions habités. Imaginés dès le début de l’aviation, les premières expé-
riences ont lieu, en effet, pendant la Première Guerre mondiale et les princi-
paux problèmes liés à la stabilisation de l’appareil et le pilotage automatique
sont résolus dans les années 1920 selon les normes de l’époque. Les aviateurs
et les ingénieurs français jouèrent un rôle essentiel dans ce processus d’inno-
vation. Mais, le développement d’un avion automatique selon la phraséologie
de l’époque ne fut pas poursuivi. Le contexte politique, social, économique,
culturel ne permit pas à cette innovation de trouver sa place, peut-être parce
que la mission principale de l’aviation au-delà du bombardement est, à cette
époque, essentiellement la reconnaissance et l’observation. Ceux qui s’inté-
ressent au développement de l’avion automatique sont ceux qui ont compris
le formidable potentiel de développement de l’aviation. Ce sont les mêmes qui
soutiennent le développement d’une aviation indépendante et la création d’une
armée de l’air, par exemple Laurent-Eynac, premier ministre de l’Air en 1928
et premier à porter devant le parlement le projet de création d’une armée de
l’air en 1929. On peut donc penser que l’échec du développement des drones
dans l’entre-deux-guerres est, en partie, lié aux mêmes difficultés rencontrées
par les hommes ayant une véritable vision prospective lors de la création d’une
aviation indépendante. La résistance est également culturelle, car le dévelop-
pement des drones offre des possibilités nouvelles à l’aviation de combat qui
ne correspondent pas à l’idée que se fait la 12e direction et le STAé de l’emploi
de l’aéronautique militaire.
Ces perspectives montrent la nécessaire adéquation entre l’innovation tech-
nique et le terreau culturel. Dans les années 1920, la semence constituée par
l’innovation technique liée aux drones est tombée sur le bord du chemin, sur
des terrains pierreux ou dans des buissons d’épines et n’a pas donné de fruit.
Aujourd’hui, grâce également à une meilleure maîtrise des techniques dont
celles de l’intelligence artificielle ou de la transmission des données, elle trouve
un terrain beaucoup plus favorable lié à une nouvelle manière de faire la guerre
qui attribue une place à l’homme différente de celle des années 1920. L’homme
dont la vie mais aussi le temps sont beaucoup trop précieux pour être engagés
dans des missions dangereuses, sales ou monotones. La place de l’homme qui
avec le drone s’éloigne du vecteur aérien et donc du champ de bataille est donc
liée à ce changement dans la représentation du rôle de l’homme dans la guerre.
Si l’on dresse un parallèle entre le développement des drones et le processus
d’innovation technique et de sa diffusion économique tels qu’ils ont été étudiés
par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter, nous n’en sommes sans doute
en ce qui concerne les drones qu’au début du processus. Incontestablement,
nous sommes dans une phase d’innovations qui constitue le premier stade de la

21
courbe en S identifiée par l’économiste autrichien dans Business Cycles. Mais
cette phase n’est sans doute pas terminée, alors que nous assistons également à
l’apparition d’imitateurs « par grappe » qui diffusent l’innovation en mettant sur
le marché quantité de drones exploitant déjà les premières innovations techniques,
tandis que le processus d’innovations se poursuit apportant des améliorations
sensibles aux drones et nourrissant ainsi un cercle vertueux du développement
de l’industrie des drones. Le chapitre 2 permet de bien se rendre compte de
la « haute technicité » des systèmes de drones mais aussi de prendre la mesure
de ce flot d’innovations secondaires et d’avancées réglementaires apporté par
l’introduction des drones que cela soit dans le domaine de l’intelligence artificielle,
de la mécanique des fluides, des communications, etc. Les drones apparaissent
comme de véritables nouveaux avions, car débarrassés de l’homme, ils peuvent
s’affranchir des contraintes imposées par la résistance physique du pilote ou
des contraintes de taille ou de forme imposées par la présence du cockpit. Le
drone d’une certaine manière est susceptible de renouveler profondément le
« genre » avion, ce qui veut dire sans doute que nos Harfang et autre Predator
sont aux drones futurs ce que le vénérable Blériot VIII est au Rafale ou au F-15
actuels. L’épanouissement de cette nouvelle famille d’avions et la diversification
de leur palette d’emploi pose la question de leur classification en différentes
sous-familles. Au-delà des différentes taxinomies employées, une coupure nette
commence à apparaître entre le bas du spectre composé de drones légers, de
faible autonomie, contrôlé à partir d’une liaison directe, et le haut du spectre
avec des drones lourds disposant d’une forte autonomie et contrôlé par une
liaison satellite. Les premiers sont appelés à se multiplier tandis que les seconds
ne resteront l’apanage que des armées les plus puissantes et les mieux équipées.
Si les deux premiers chapitres illustrent parfaitement le caractère « aérien »
du drone compte tenu de ses caractéristiques techniques, mais aussi du cadre
conceptuel et culturel de son développement, le chapitre 3 montre que sa
mise en œuvre nécessite une approche aéronautique tant dans l’organisation
des unités que dans la gestion des équipages ou la formation des opérateurs
système de drones.

22
CHAPITRE 1

GÉNÉRALITÉS

23
24
Définition d’un système
de drones
Capitaine de frégate Marc Grozel

Le terme drone s’applique à de nombreux types de systèmes terrestres,


maritimes ou aériens en fonction du vecteur du système. Depuis 2006, dans tous
les acronymes utilisés, le terme véhicule a été remplacé par le terme système.
On parle ainsi d’Unmanned Aircraft System (UAS). Toutefois, le terme RPAS
(Remotely Piloted Aircraft Systems) commence à émerger pour remplacer
UAS. Il s’agit d’un mixte entre RPV et UAS visant essentiellement à confirmer,
surtout aux politiques et décideurs, que l’UAS ne vole pas seul mais qu’il y a
bien toujours un « pilote » ou un « opérateur » dans la boucle décisionnelle.
Un UAS peut se définir simplement de la manière suivante : « système dont
le vecteur, non habité et porteur d’une ou plusieurs charges utiles, opère à une
distance plus aux moins éloignée de sa station de contrôle en lui transmettant
en temps réel les informations collectées ». La station de contrôle positionnée
à terre, sur un véhicule terrestre, embarquée sur un bâtiment de combat ou un
aéronef transmet au vecteur des commandes pour lui-même et pour ses charges
utiles et reçoit en temps réel les informations de celles-ci.

La composition d’un système de drones


Un UAS se compose de plusieurs sous-ensembles fortement imbriqués et
parfois partagés. Ces sous-ensembles sont les suivants :
• le ou les vecteurs aériens (VA) ;
• les charges utiles (CU) ;
• les liaisons de données qui sont partagées entre le VA et la station de
contrôle ;
• la station de contrôle ;
• le système de mise en œuvre et de récupération ;
• les liens avec les systèmes d’information ;
• la formation ;
• le système de soutien.
Il devient dès lors évident que la valeur d’un UAS dépend énormément de
l’harmonie des performances et de la cohérence de tous ses sous-ensembles.
La valeur réelle d’un système de drones est la valeur de son ensemble le plus
faible. Cela signifie qu’un système disposant par exemple d’une charge utile
très performante mais installée dans un vecteur aérien de qualité médiocre sera
un système médiocre. De même, un système avec un excellent vecteur aérien
et des charges utiles très performantes, mais disposant de liaisons de données
limitées, sera un système limité.

25
Cette composition montre également qu’un système de drone est en fait
un système de systèmes. Toutefois, vis-à-vis des réseaux de renseignements,
des réseaux de contrôle du champ de bataille terrestre, naval ou aérien, l’UAS
peut être considéré comme un sous-ensemble, voire comme un simple capteur
particulier.

Le vecteur aérien
Le vecteur aérien est l’élément le plus visible d’un UAS. Il existe des VA de
toutes dimensions et tailles. La conception est encore assez « libre » mais des
normes commencent à émerger, notamment les codes UAV System Airworthiness
Requirements (USAR) et UAV System Airworthiness Requirements Rotary Wing
(USAR RW) qui deviennent des STANdard NAto AGreement (STANAG).
Malgré le foisonnement initial, les demandes de performances et de fiabilité
ont tendance à rapprocher de plus en plus la conception des UAV de celles
des appareils pilotés. De plus, les grandes firmes aéronautiques ont investi le
secteur comprenant bien l’intérêt de ce nouveau domaine.

Les charges utiLes


L’ensemble charge utile (CU) qui peut comprendre lui-même plusieurs
sous-ensembles est la raison d’être d’un UAS. Un UAS peut se définir comme la
mise à disposition des opérationnels d’une ou plusieurs charges utiles pendant
un temps donné sur une zone donnée.
La masse et l’énergie disponibles pour la ou les charges utiles sont des
données essentielles pour évaluer le potentiel d’un UAS et son évolutivité.
Les types CU varient énormément en fonction des missions, du type de
VA, des liaisons de données. Il est impossible de citer toutes les charges utiles
mais plusieurs grandes familles se dégagent :
• les tourelles ElectroOptique / InfraRouge (EO/IR) et de plus en plus EO/
IR/Laser (télémètre, désignateur, et pointeur) ;
• les radars Synthetic Aperture Radar / Moving Target Indicator (SAR/
MTI) pour l’imagerie radar ;
• les radars spéciaux : surveillance maritime, surveillance à travers le feuil-
lage, demain radar veille air ;
• les systèmes de guerres électroniques (ELINT/COMINT/SIGINT, etc.) ;
• les armes de tous types (missiles air/terre, air/air, etc., bombes, etc.) ;
transport de charges, etc.
Les grandes tendances sont :
• la multiplication de capteurs sur le VA y compris sur les petits, avec néan-
moins des impacts lourds en termes de coûts et de liaisons de données ;
• l’amélioration des performances ;
• l’ouverture vers de nouvelles missions : ravitaillement en vol par exemple.

26
Les Liaisons de données
Les liaisons de données sont essentielles pour un UAS. Sans liaisons de
données, il n’y a pas de contrôle du VA et pas de récupération des données
en temps réel des informations de ou des CU. Avec la liaison de données, les
opérateurs connaissent en permanence la position du VA, l’état de tous ses sous-
ensembles (moteur, CU, calculateur, etc.), mais aussi les modes dégradés qui
sont engagés. Les liaisons de données se classent en deux grandes catégories,
les liaisons SatCom et les liaisons LOS (Line Of Sight) en portée directe.
Les SatCom permettent de contrôler un VA à très longue distance hors portée
visuelle. Les VA dotés de ce type de liaison sont facilement reconnaissables à la
« bosse » contenant l’antenne satellite et son système de stabilisation, comme
ceux de la famille General Atomics Predator par exemple. Aujourd’hui ces
« bosses » sont situées sur l’avant du VA. Demain, il est probable que leur
position variera en fonction des VA et que les tailles diminueront.
Les liaisons LOS permettent de contrôler un UAV en ayant toujours le
VA en « vue électromagnétique » de l’antenne de liaison. Cette distance est
directement liée à la différence de hauteur entre l’antenne de la partie sol et
les antennes du VA, mais aussi de la gamme de fréquences. Ce type de liaison
est présent sur tous les types d’UAS, y compris sur ceux qui sont dotés de
SatCom. Ainsi un HALE comme le Northrop Grumman Global Hawk dispose
des deux ensembles.
Certaines nations ou forces armées privilégient l’emploi de systèmes de
drones sans liaison satellite, essentiellement pour des raisons de coûts et de
souplesse d’emploi. Le segment « liaison de données » comprend en fait deux
parties, la partie embarquée sur le VA et la partie sol (souvent la plus visible).
Le nombre de liaisons montantes et descendantes est très variable en fonction
de la taille du système et des niveaux de redondance ou de sécurité recherchés.
La conception d’un système de liaison de données est très complexe et
doit prendre en compte des paramètres tels que : la taille du VA, la taille des
antennes intégrables sur le VA, la taille des antennes au sol et leur intégration
sur un type de porteur (shelter, camion, navire, hélicoptère, etc.), les débits
nécessaires (directement liés au type de charge utile), les fréquences disponibles
sur les théâtres d’opérations visés, les niveaux de sécurité visés et bien sûr le coût.

La station de contrôLe
C’est à partir de ces stations que les opérateurs contrôlent le vecteur aérien,
les liaisons de données et les charges utiles. Le terme de station de contrôle est
générique et implique de plus en plus que ce sous-ensemble peut être embarqué
sur des véhicules terrestres, des bâtiments de combat, des hélicoptères et demain
des avions de combat et des sous-marins.
Toutes les stations de contrôle possèdent des grandes fonctions plus ou
moins évoluées selon les besoins du système, du VA et des CU. Les principales
fonctions sont :

27
• le contrôle du VA, les interfaces homme-machine (IHM) commencent à
se standardiser et se rapprochent de l’aéronautique ;
• le contrôle et la gestion des liaisons de données ;
• le contrôle et l’exploitation de la ou des charges utiles, en fonction des
systèmes et des capteurs ;
• la préparation et la restitution des missions ;
• le lien avec les autres systèmes de combat déployés.
Les grandes tendances actuelles sont :
• l’emploi d’architectures ouvertes pour faciliter l’intégration de nouvelles
charges utiles ;
• le passage a des Operating System (OS) réellement « temps réel » et durcis
contre les attaques informatiques comme Linux par exemple ;
• l’emploi de matériel Commercial Off-The-Shelf (COTS) afin de limiter
les coûts ;
• la capacité de contrôler plusieurs VA et CU avec une seule station de
contrôle.

Les Liens avec Les systèmes d’information


Initialement, les UAS travaillaient isolément et les résultats de leurs
recherches étaient insérés, au même titre qu’un autre type de capteur, dans les
systèmes de synthèse de la situation tactique. Avec l’avènement des actions
rapides et l’accélération du tempo des opérations pour prendre en compte et
traiter le plus rapidement les menaces, cette situation ne pouvait pas durer. Les
UAS sont de plus en plus intégrés, à un niveau plus ou moins profond, dans
les réseaux d’informations. Cette situation est largement prise en compte pour
les systèmes récents ou en cours de développement qui sont souvent considérés
comme un pôle du réseau. Cela a un impact direct sur la densité et la diversité
des connections nécessaires avec les autres systèmes. Désormais les connexions
sont une partie très importante d’un système. Un UAS moderne doit pouvoir
fournir ses informations vers le réseau en temps réel, mais il doit également être
en mesure de réagir, en temps quasi réel, à des demandes de ce même réseau.
Pour les UAS plus anciens, il existe des passerelles de traitement différé qui
permettent d’intégrer les informations aux réseaux, mais qui ont l’inconvénient
de ralentir le rythme d’actions et donc de minimiser une partie des avantages
d’un système de drone.

Le système de mise en œuvre et de récupération


Il peut prendre de multiples formes et comprendre de nombreux sous-
ensembles plus ou moins complexes : lanceur, booster, système de freinage,
de récupération automatique ou non, etc. Il peut aussi s’agir tout simplement
d’une piste (terrestre ou porte-avions) qu’il faudra bien sûr « partager » avec
les appareils pilotés. Il existe aussi des velléités, surtout américaines, de lancer
et récupérer des UAV à partir d’appareils pilotés.

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La formation
Le nombre et la nature des opérateurs sont très variables en fonction des
systèmes, des nations et même des armées au sein des nations. Globalement,
il existe un clivage, toutes nations confondues, entre les armées de l’air qui
prônent très souvent l’utilisation de pilotes comme sur les appareils classiques
et les autres armées (armée de terre et Marine) qui n’emploient pas de pilote, et
n’envisagent pas de le faire, pour ce type de système. Actuellement, il n’existe
aucune norme imposant une formation minimale pour faire voler des drones.
Aux États-Unis, des travaux sont en cours avec la FAA (Federal Aviation
Administration) pour définir une norme minimale.
Toutes les formations actuelles imposent de disposer de simulateurs
performants pour la formation initiale, mais aussi pour le maintien des
compétences ou la remise à niveau des équipages sur de nouvelles versions.
L’emploi de simulateurs dédiés s’impose aujourd’hui pour tous les nouveaux
UAS.

Le système de soutien
Le système de soutien est souvent négligé et source de problèmes. Les
UAS sont des systèmes de systèmes et, à ce titre, leur maintien en condition
peut s’avérer complexe et doit être pris en compte dès la conception. Ce n’est
malheureusement pas encore suffisamment le cas. Une véritable prise de
conscience est en cours dans ce domaine. La partie aéronautique du système
avec la prise en compte des règles de navigabilité est également concernée et
une véritable prise de conscience est aujourd’hui en cours, elle se concrétise
par une amélioration de la disponibilité mais aussi très probablement par une
augmentation des coûts.

Les différentes famiLLes de drones


La catégorisation stricte d’un système de drone n’existe pas.
Traditionnellement, le vecteur aérien est pris comme paramètre déterminant,
néanmoins, il n’est pas le seul. La masse de charge utile embarquable, le type
de liaison de données, l’endurance en vol, comme le type de missions sont
essentiels. De plus, les catégories sont en constante évolution et les limites
assez floues. Enfin, chaque pays, voire chaque armée dans le même pays (c’est
le cas des États-Unis) a tendance à créer sa propre classification. Le meilleur
critère reste la masse et le type de CU utilisable sur une zone à une distance
donnée pendant une durée donnée. Ce critère mixte (et complexe) est le seul
qui permet d’évaluer la réalité opérationnelle d’un système.
Outre les catégories liées aux caractéristiques physiques du VA, il faut
prendre en compte :
• le type de mission : renseignement de théâtre, reconnaissance, acquisi-
tion de cibles, etc. ;
• la taille des zones d’emploi ;

29
• le niveau de permanence sur zone souhaitée.
Ces paramètres ont un impact direct sur le type de liaisons de données
(directe à vue, relais, liaisons par satellite, etc.), l’intégration ou non dans des
réseaux C-4I plus ou moins complexes et finalement sur les coûts.
Un système désigné MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) par une
armée peut devenir un UAS tactique dans une autre. C’est le cas par exemple :
• du Harfang considéré comme un MALE en France et comme un UAS
tactique, sous le nom de Heron par l’IAF (Israeli Air Force) ;
• de l’UAS tactique Gray Eagle de l’US Army dérivant directement du
Predator A, un MALE.
Néanmoins, outre les micro et les minidrones, on peut considérer qu’il
existe les grandes familles suivantes :
• HALE : Haute altitude longue endurance ;
• MALE : Moyenne altitude longue endurance ;
• Tactique : Drone tactique ;
• VTOL : Drone à décollage et atterrissage verticaux ;
• UCAV : Drone de combat aussi désigné UCAS.

Les drones haLe


Ces UAS représentent le summum de la technologie en matière d’UAS. Les
VA de ce type ont des masses de plus de dix tonnes et des envergures égales ou
supérieures à celles de certains appareils de transport comme le Boeing 737
ou l’Airbus A-320.
La définition « classique » pour un HALE est la suivante :
• altitude de vol supérieure à 50 000 pieds, ces chiffres sont en évolution et
certains textes annoncent des HALE volant au-delà de 70/75 000 pieds ;
dans l’avenir ils pourraient même atteindre et dépasser les 90 000 pieds ;
• charge utile, supérieure à 400 kilos sans limite haute, certains HALE sont
annoncés avec plus de 1,2 tonne de CU et des projets avec plusieurs
tonnes de CU existent ;
• endurance, supérieure à 24 heures. Certains projets, en particulier le Very
high altitude Ultra endurance Loitering Theater Unmanned Reconnaissance
(VULTUR) de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA),
annoncent une endurance en vol de plusieurs mois ;
• liaisons de données SatCom et LOS.
Ce type de système est employé au niveau stratégique. Il permet d’obtenir
une surveillance très longue sur une zone éloignée. Les HALE permettent
dans une certaine mesure de remplacer des appareils comme le Lockheed U-2
Dragon Lady avec une capacité de transmission en temps réel des informations.
Un seul système de HALE peut être considéré comme opérationnel : le
Northrop Grumman Global Hawk, désigné RQ-4 dans la classification américaine.
Aujourd’hui, seul l’USAF possède et met en œuvre, opérationnellement ce
système. L’US Navy va déployer le système Broad Area Maritime Surveillance

30
(BAMS), le MQ-4C Triton dés 2015. En Europe, le seul HALE qui sera
opérationnel à court terme est l’EuroHawk qui dérive directement du RQ-4B.
Il est certain que de nouveaux systèmes vont émerger mais compte tenu
des coûts et des difficultés technologiques, il est peu probable qu’ils soient
nombreux. Le club des utilisateurs d’UAS HALE restera donc forcément
toujours limité. L’émergence de drones HALE chinois et russes est probable.

Les drones maLe


Les UAS MALE se positionnent juste en dessous des HALE en termes
d’endurance, de plafond opérationnel et de capacité d’emport de charges utiles.
Pour ces systèmes, il existe encore moins de définition classique que pour les
HALE. Cette catégorie a tendance à se scinder en deux : MALE « standard »
et le « maxi-MALE » :
Un MALE « standard » peut se définir par les caractéristiques suivantes :
• altitude de vol de 20 à 40 000 pieds ;
• charge utile de 150 à 400 kilos ;
• endurance supérieure à 12 heures.
Le modèle type de cette catégorie est le General Atomics (GA) RQ-1
Predator et l’Israel Aerospace Industries (IAI) Heron.
Un « Maxi MALE » peut se définir par les caractéristiques suivantes :
• altitude de vol de 40/55 000 pieds ;
• charge utile de 2/300 kilos en interne et une charge variable externe de
4/600 kilos ;
• endurance supérieure à 18 heures.
Les modèles types de cette catégorie sont le GA MQ-9 Reaper et l’IAI Eitan
qui a commencé à être déployé en opérations en septembre 2007.
Ce type de système est employé au niveau stratégique. Il permet d’obtenir une
surveillance très longue sur une zone éloignée, avec toutefois des performances
moindres que celles des HALE. Très vite ce type de système ne s’est plus limité
aux missions de reconnaissance mais est intervenu directement pour des actions
de forces sur le théâtre. Les premiers MALE à avoir employé des armes en
opérations sont très probablement le Predator avec des tirs de Hellfire, dès
2001. Aujourd’hui, le GA MQ-9A Reaper ne se contente pas d’une capacité
d’emport d’armes, il est devenu un « Hunter / Killer » avec une grande panoplie
d’armement. À la différence des HALE, ce type de systèmes est en plein essor
avec des projets européens, russes, chinois, sud-américains notamment.

Les drones tactiques


Ce segment est le plus prolifique du monde des drones. Historiquement, c’est
le premier segment abordé par le monde des drones et c’est le segment où l’on
trouve le plus d’UAS et d’utilisateurs. Comme pour les autres UAS, il n’existe
pas de véritable définition d’un UAS tactique et ce terme peut s’entendre de

31
plusieurs façons. La plus crédible définit ce type de système comme un système
mis en œuvre par une unité proche d’une zone d’opérations ou au contact ou
encore dont l’exploitation lui profite directement.
Les valeurs numériques les plus souvent prises en compte définissent un
UAS avec un ou plusieurs VA ayant une autonomie de 4 à 8 heures sur une zone
située entre 50 et 200 kilomètres de leur base de départ, une charge utile de 25 à
150 kilos et une altitude de travail de 0 à 20 000 pieds. Les autres caractéristiques
définissant un UAS tactique sont sa capacité à être mis en œuvre à partir de
petites surfaces sans aménagement préalable et sa « rusticité » bien que ce
paramètre soit très difficile à définir précisément et surtout à quantifier. Cette
vaste classe d’UAS peut être segmentée en plusieurs subdivisions en fonction
de la portée maximum des liaisons de données, leur emploi, leur taille et leur
mobilité.
Les vecteurs aériens actuels sont de formes multiples, mais la grande majorité
se présente sous la forme d’une formule aérodynamique classique à ailes fixes.
Pour les armées de terre modernes, les UAS tactiques sont aujourd’hui
des systèmes incontournables. Ils permettent d’obtenir, en temps réel, une
connaissance de la situation sur la zone d’opérations. Demain, ils permettront
d’intervenir directement sur des objectifs d’opportunité. Les UAS tactiques
permettent surtout de réagir très rapidement, en étant au plus proche de la
zone d’emploi, voire en suivant la progression des forces en mouvement. Il
existe dans ce secteur très large plusieurs systèmes de référence. Néanmoins
opérationnellement, deux UAS peuvent être considérés comme très représentatifs :
le système israélien Elbit Hermes 450 et le système américain AAI Shadow 200
(RQ-7 dans la nomenclature américaine).
Ce segment est le plus prolifique du monde des UAS. Ce phénomène
s’explique de plusieurs façons :
• historiquement, c’est le premier segment abordé par le monde des UAS ;
• ce segment nécessite des technologies relativement simples pour les modèles
de base ; toutefois, cet état de fait est en train d’évoluer avec le recours à
des technologies de plus en plus évoluées et donc onéreuses ;
• les investissements nécessaires pour en assurer le développement sont
relativement limités bien que cette situation soit en pleine évolution ;
• les UAS tactiques nécessitent des moyens limités en termes de transmis-
sion de données, ce qui a un impact direct sur les coûts mais aussi sur la
capacité d’emploi et sur l’indépendance du système vis-à-vis d’infrastruc-
tures lourdes telles que des réseaux satellites ; cette indépendance est l’une
des clefs du succès des systèmes de drones tactiques ;
• les coûts de développement, d’acquisition et en principe de mise en œuvre
sont modérés ou du moins largement inférieurs à ceux d’un MALE.
Il est probable que dans les prochaines années, le marché s’éclaircisse (ou
se simplifiera), que des regroupements industriels s’effectuent et qu’émerge
finalement un nombre assez restreint de nations et de constructeurs aptes à

32
développer, à mettre en œuvre et à soutenir, dans les règles de l’art, ce type de
système.

Les minidrones
Cette catégorie, en pleine évolution, est très souvent confondue avec celle
des UAS tactiques très courte portée. Les mini-UAS ne sont pas non plus des
appareils d’aéromodélisme mais de véritables UAS.
La meilleure définition de ce type de système est « une paire de jumelles
déportées ». Elle recouvre à la fois les qualités et les limites de ces systèmes.
Habituellement, les valeurs suivantes sont prises en compte pour les mini-UAS :
une masse maximale au décollage inférieure à 15 kilos, une hauteur d’emploi de
0 à 1 000 pieds, un rayon d’action de 5 à 20 kilomètres et une autonomie de vol
de 60 à 120 minutes. La majorité de ces UAS est lancée à la main. Les stations
de contrôle sont des ordinateurs portables. Compte tenu de leurs tailles et de
leurs coûts, la diffusion de ces systèmes a tendance à s’accélérer.
Ces systèmes sont de plus en plus employés par les forces armées pour
connaître la situation à proximité de la zone de lancement. Ils permettent
d’obtenir dans un délai très court des informations précises au-delà de la portée
des systèmes classiques. Les minidrones sont destinés à être employés dans de
nombreux types de zones et particulièrement en zones urbaines ou suburbaines.
Le nombre de mini-UAS en développement est en progression constante.
Toutefois, le nombre de systèmes ayant connu le combat est encore relativement
restreint. Comme pour les autres segments du monde des drones, cette catégorie
est majoritairement occupée par des systèmes américains (AeroVironment,
Lockheed, MCT, etc.) et israéliens (Elbit, Aeronautics), mais des nouveaux
intervenants arrivent très régulièrement. Les deux systèmes que l’on peut
considérer comme des références dans ce domaine sont l’AeroVironment
Raven et l’Elbit Skylark 1.
Ce type de système a de nombreux avantages. Les principaux concernent :
• leur facilité et leur rapidité de mise en œuvre par un nombre limité de
personnels ;
• leur coût très inférieur aux UAS tactiques en termes d’acquisition, de
MCO, de formation ;
• leur « rusticité » ;
• leur taille et leur poids qui permettent de les « intégrer » facilement dans
l’équipement standard des forces et favorisent leur mobilité tactique ;
• leur évolutivité rendue possible par l’emploi de systèmes informatiques
dérivés du monde civil avec une forte croissance des performances et des
réductions de coût.
Les systèmes de minidrones sont aussi un équipement très intéressant pour
les forces spéciales en leur permettant d’être autonomes. Ils permettent aussi à
des forces armées d’accéder au monde des UAS pour un coût relativement faible.

33
Le déploiement de mini-UAS ne fait que commencer. Les dix prochaines
années verront la majorité des forces modernes se doter de ce type d’UAS. Il
est probable qu’une certaine « standardisation » s’opèrera alors. Les missions
confiées aux systèmes de minidrones pourraient s’élargir en fonction des
progrès des techniques essentiellement en ce qui concerne l’énergie embarquée
et les capteurs, mais ces systèmes devraient rester pour quelques années
encore essentiellement dédiés à des missions de détection, reconnaissance et
identification à courte portée.
Le développement et la production d’un mini-UAS performant ne sont
absolument pas en rapport avec sa taille ou sa masse. Ce type d’UAS impose,
dès la conception, une grande rigueur, une grande implication et une grande
quantité de travaux de développement. Ces contraintes sont aussi présentes
en phase de production. Produire un système simple et rustique demande de
grands investissements (humains, techniques, matériels) que peu d’industriels
ont mesurés, initialement, à leur juste niveau. C’est l’un des défis majeurs de
ce type d’UAS.
Ces systèmes vont très probablement se développer dans l’avenir, mais la
clef de leur développement reste avant tout leur rusticité et leur coût.

Les microdrones
Les microdrones ont encore un reflet de mystère et ouvrent la porte aux
interprétations les plus fantastiques. Mis à part leur taille et leur poids, il n’existe
aujourd’hui aucune définition les caractérisant. La définition la plus souvent
admise fait référence à la description faite par la DARPA en 1997 avec une
envergure et une longueur de moins de 15 centimètres, une masse maximale
d’environ 50 grammes, une vitesse maximale de 50 kilomètres heure.
Compte tenu de leur taille, leur endurance et leur capacité d’emport ces UAS
seront toujours limitées, ce qui leur imposera des restrictions opérationnelles
importantes. Certes, des voies novatrices semblent s’ouvrir, comme par exemple
l’emploi d’essaims de drones, mais il s’agit là encore de travaux théoriques ou
d’expériences de laboratoire. Il n’existe pas vraiment d’UAS de référence. Les
projets et prototypes foisonnent. Les plus nombreux sont aux États-Unis mais
il en existe aussi beaucoup d’autres au Japon, en Europe et très probablement
dans les laboratoires plus ou moins secrets en Russie et en Chine.

Les drones vtoL


Ce type d’UAS est une véritable classe en elle-même. Elle se distingue bien
évidemment par son type de mise en œuvre : décollage et atterrissage verticaux
et sa capacité de vol stationnaire.
Il n’existe pas de définition précise, mais, à la différence des autres segments
d’UAS, le segment VTOL UAS couvre toute la gamme allant du MALE
au microdrone. Compte tenu des projets connus, en cours, il est possible de
segmenter les VTOL UAS en :

34
• micro-VTOL UAS avec des VA de 1 à 2 kilos et 5 à 30 minutes d’auto-
nomie ; ils sont encore au stade des études et des essais ;
• mini-VTOL UAS avec des VA de 2 à 50 kilos ; ces systèmes se positionnent
directement dans le segment mini-UAS avec des caractéristiques de charge
utile et d’endurance équivalentes ;
• des UAS VTOL tactiques légers avec des VA pesant jusqu’à 200-250 kilos ;
le Schiebel S-100, autrichien, est l’un des représentants de ce segment ;
• des UAS VTOL tactiques au sens large ; ils sont comparables à des UAS
comme l’AAI RQ-7 Shadow 200. Le Northrop Grumman RQ-8 Fire Scout
est le représentant typique de cette gamme ;
• des UAS VTOL endurants comparables à des MALE. Le seul représen-
tant actuel est le Boeing A-160 Hummingbird ; cette catégorie est encore
dans les limbes, mais elle pourrait émerger rapidement ;
• des UAS VTOL cargo qui sont en train d’émerger notamment avec les
essais en Afghanistan des drones Kaman issus de la grue volante KMax ;
• des drones de combat avec des UAS VTOL tactiques armés ou des pro-
jets spécifiques comme le programme américain abandonné en 2005 :
Unmanned Combat Air Rotocraf (UCAR).
Naturellement, initialement, jusqu’en 2003 environ, les utilisateurs les
plus intéressés étaient les marines avec la possibilité de récupération « simple »
sur des plates-formes de petites tailles. Cependant les applications terrestres
sont aujourd’hui de plus en plus présentes. Les systèmes de drones VTOL
offrent une mobilité tactique très intéressante (surface de mise en œuvre très
restreinte) et une grande adaptation aux combats urbains (possibilité de vol
stationnaire par exemple) qui se révèlent comme cruciaux et prenant de plus
en plus d’importance.

Les ucav
Les drones de combat ou Unmanned Combat Air System (UCAS) – le
terme précédent, UCAV, est en train de disparaître peu à peu – sont en train
d’émerger. Néanmoins, donner une définition précise n’est pas aisé car plusieurs
catégories pouvant utiliser des armes coexistent :
• le drone « suicide » comme les IAI Harpy et IAI Harop ;
• le drone de reconnaissance pouvant mettre en œuvre des armes comme
les GA Predator A, Reaper, Gray Eagle ;
• le drone de combat spécifiquement conçu pour cet emploi qui est encore
au stade de démonstrateur comme le Northrop Grumman X-47B, le Boeing
Phantom Ray, le Dassault Neuron, BAE Taranis, l’EADS Barracuda.
Toutefois, un consensus semble se dégager pour exclure du vocable UCAS
les deux premières catégories. L’UCAS peut donc se définir comme un engin
spécifiquement conçu dans le but d’effectuer des missions armées. Ces systèmes
permettent, comme les chasseurs bombardiers de la Seconde Guerre mondiale,
d’accélérer le tempo des opérations.
Dans une décennie, deux, au maximum :

35
• les drones armés seront devenus la norme et ils équiperont la majorité
des armées modernes ;
• l’apparition des UCAS est plus incertaine et sera très certainement limi-
tée à un nombre réduit de nations en raison de leur coût et de leur com-
plexité. Néanmoins, leur émergence est inéluctable.

36
Max et les « ferrailleurs »
ou l’histoire inachevée
de l’avion sans pilote
Capitaine Christian Brun

Il est parfois des réussites techniques qui ne traversent pas l’histoire


pour des raisons liées à des obstacles politiques, sociaux, culturels voire
psychologiques et non à des barrières scientifiques interdisant des avancées
significatives. Ainsi, il est courant de lire que la fin du XIXe siècle et le début
du siècle suivant ont vu la naissance de toutes les idées et expérimentations
sur la stabilisation et le contrôle du plus lourd que l’air, et sur la transmission
des commandes, c’est-à-dire de toutes les technologies indispensables dans
la conception finale d’un engin piloté sans l’intervention de l’homme. Il est
également courant de faire remonter les avancées les plus significatives, dans
ce domaine, au boom technologique de l’après-Seconde Guerre mondiale et
particulièrement à la guerre du Viêt Nam. En revanche, il est beaucoup plus
rare de voir mentionné, dans les ouvrages de vulgarisation ou même dans les
revues scientifiques spécialisées, les premières expériences, les premiers vols
réalisés par le capitaine Max Boucher dès la fin de la Première Guerre mondiale.
Mais, comment a-t-on pu oublier les premiers vols réussis en 1917-1918 et
pourquoi les essais sur ce même avion sans pilote réalisés et réussis à partir de
1921 et ce jusqu’en 1924 par Max Boucher n’ont-ils pas été poursuivis ? Essayer
de répondre à ces interrogations nous entraîne inévitablement vers d’autres
questionnements. À la lecture des sources disponibles, d’autres problèmes, que
l’on ne peut pas considérer comme des éléments de réponse, émergent. Tout
d’abord, le capitaine Max Boucher a certes des soutiens de poids dans le monde
de l’aéronautique et en particulier Laurent-Eynac, futur premier ministre de
l’Air, mais il a surtout des ennemis ou plus exactement des détracteurs au sein
de l’armée et des services techniques. Il est donc logique de se poser la question
suivante : dans quelle mesure ces inimitiés ont-elles joué dans les abandons des
expériences ordonnées par l’institution ?
Le deuxième questionnement porte directement sur les applications militaires
dans une période de fin de guerre et d’après-guerre. En effet, les visées politiques
ne sont-elles pas plus tournées vers l’apaisement et la reconstruction, que vers
des armes considérées alors, par les médias, comme des armes de destruction
massive ? L’idée même d’un avion sans pilote, encore appelé avion télécommandé,
ne correspond donc pas aux volontés nationales et internationales. Ainsi, la
deuxième question traite de l’importance de l’environnement social et politique
sur le désintérêt pour l’avion télécommandé.
Le troisième point, qui est sans doute l’élément le plus important dans cette
recherche d’explications et qui semble toujours d’actualité, concerne le rôle

37
même du pilote face à cet avion et face au pilote automatique (1). Les journaux
spécialisés de l’époque n’ont de cesse de louer ce prototype et par là même de
minimiser la place du pilote, transformant le chevalier du ciel en navigateur
et en spécialiste de la conduite automatisée. C’est, bien évidemment, sous-
estimer le poids de cette catégorie de spécialistes qui sont considérés comme
des héros au sortir de la guerre et qui vont tout faire pour conserver un rang,
une place et une autonomie totale sur la conduite de l’avion. Nous pouvons
donc poser une troisième question : peut-on affirmer que ces spécialistes ont eu
une influence significative dans l’arrêt officiel des essais sur l’avion sans pilote
et sur le pilotage automatique appliqué à des avions militaires ?
Le dernier point concerne directement le Service aéronautique et sa part
de responsabilité dans la non-volonté de poursuivre des expériences qui se sont
révélées positives et très encourageantes. Il serait très facile d’affirmer que ce
service n’a pas voulu se faire distancer par des individualités et des ingénieurs
privés et il serait tentant d’essayer de montrer qu’il a fait l’acquisition de l’avion
sans pilote afin de freiner les avancées et de mener les expérimentations dans le
secret. Mais, dans ce cas, nous ne prendrions pas en compte les priorités sur la
sécurité du pays, les obligations budgétaires, ainsi que le fait que les expériences,
certes concluantes, doivent être confirmées par d’autres expériences. Le rôle du
Service technique de l’aéronautique est ambigu mais nous nous en tiendrons,
ici, uniquement à des questionnements.
Il semble donc indispensable de retracer toutes les expériences menées sur
la stabilisation, l’avion sans pilote et le pilote automatique afin de posséder
quelques éléments de réponse sur les choix effectués par les services officiels
entre les deux guerres, choix qui vont entraîner l’abandon de l’avion sans pilote.

des premières idées aux premières expériences


C’est probablement en 1894 que le concept d’avion sans pilote voit le jour.
En effet, Octave Détable met au point, à cette date, la stabilité automatique
au moyen de cônes divergents. Un essai sera effectué en 1897 sur un planeur
de dix-neuf mètres carrés. Ainsi, pour l’inventeur de ce système, l’étape
suivante sera la réalisation de cette expérience avec un aéronef. Nous pouvons
souligner que le but de ces essais est alors d’améliorer la sécurité des vols. Il
faudra attendre 1912 pour voir cette idée se concrétiser. Le lieutenant Max
Boucher (2) demande alors à l’ingénieur de pouvoir piloter l’avion qu’il est en
train de mettre au point. Détable accepte et le premier essai a lieu sur un petit
avion en 1914. Cet essai ne sera pas concluant. La Première Guerre mondiale
stoppe alors les expériences (3). Le lieutenant, sûr de la réussite et de l’avenir

(1) Les recherches sur le pilotage automatique découlent directement des travaux portant sur la stabi-
lité et la conduite, c’est-à-dire les mêmes qui sont à l’origine des travaux menés sur l’avion sans pilote.
(2) Le capitaine Max Boucher est un officier au fort caractère, qui a été breveté pilote avant la guerre.
Il a commandé l’escadrille 18 à partir du 2 août 1914, puis l’escadrille VB 103 à partir du 23 mai 1915.
Il est à l’origine de la création de la base aérienne d’Istres. De sa propre initiative, le 31 décembre
1914, il réalise le premier bombardement de nuit avec escadrille.
(3) http ://www.corpusetampois.com/che-20-maxboucher1913auxflizot.html

38
du projet, aurait déclaré que « s’il existait cinq cents avions du type Détable, la
guerre serait bientôt terminée ».
Max Boucher, après cet arrêt, refait parler de lui en 1916, mais cette fois-ci
dans le domaine de l’artillerie aérienne. Il est commandant de l’école d’aviation
d’Avord, lorsqu’il met sur pied une série d’essais de tirs au canon de 75 à bord
d’avions Voisin. L’innovation consiste dans l’adjonction au canon monté sur
affût d’un frein récupérateur et d’un dispositif spécial permettant d’orienter
l’arme dans tous les azimuts (4). Les essais s’avèrent concluants (5). Mais quelque
temps après, malgré le fait que le capitaine Boucher ait reçu pour ces expériences
une lettre de félicitations du ministère de la Guerre, les bureaux de ce même
ministère ordonnent la cessation des expériences. En marge de ces essais et des
idées sur un avion télécommandé, il est intéressant de signaler que cet officier,
pendant son commandement, réorganise complètement l’école d’Avord. Ainsi,
cette école devient en 1916 le plus grand port aérien de l’Europe. Anecdote
significative concernant le match franco-américain sur l’aviation en général et
sur l’avion sans pilote en particulier, l’ambassadeur des États-Unis se rendit
à Avord le 14 mai 1917 pour assister à une revue de 400 avions. Après cette
visite il déclare : « Ce que j’ai vu de mieux depuis que je suis en Europe, c’est le
centre d’aviation d’Avord » (6).
Le capitaine Max Boucher reprend les expériences le 2 juillet 1917 à Avord
à 16 heures 15 exactement. Les essais ont pour but d’assurer la tenue correcte
d’un avion sans l’intervention d’un pilote ou d’un stabilisateur Sperry (7). Il
applique le système Détable sur un avion Voisin à ailes tronquées (8). Le pilote
est remplacé par un sac de sable de 95 kilogrammes (9). Grâce à un moteur plus
puissant que celui de 1914, il parvient à faire voler l’avion sur un kilomètre
sans personne à bord (10), à une altitude maximum de cinquante mètres. Il faut
souligner que le décollage et l’atterrissage se sont parfaitement déroulés. De
plus, ce vol a été effectué sous le contrôle d’un officier d’administration du
matériel et ne pouvait en aucune façon être remis en cause par les instances
militaires. Cet essai, que l’on peut qualifier de premier vol d’un drone, est le
début d’un périple qui va durer jusqu’à la fin des années 1920. En octobre de
cette même année, sûr de son idée et fort de l’expérience qu’il vient d’effectuer,
il présente, avec le lieutenant Manescau, le projet de l’avion téléguidé aux plus
hautes instances militaires (11).
Malgré les résultats plus qu’encourageants et en dépit de sa volonté et
de ses demandes, le capitaine Max Boucher est convoqué à Paris, où on lui

(4) Maurice Percheron, La direction des avions par TSF, Editions Ernest Leroux, Paris, 1921, p. 52.
(5) Le servant était le sergent Honoré Michard, premier mécanicien du capitaine Boucher.
(6) F. Honoré, « La télémécanique et l’aviation - L’avion automatique », L’Illustration, no 4 228 du
15 mars 1924, p. 243.
(7) Maurice Percheron, op. cit., p. 54.
(8) L’appareil était un Voisin 150 HP muni d’une voilure spéciale.
(9) Maurice Percheron, op. cit., p. 56.
(10) http ://avionsanspilote.pagesperso-orange.fr/detable.htm
(11) Michel Bénichou, « L’avion automatique », Le Fana de l’aviation, no 426, mai 2005, p. 32.

39
fait comprendre que s’il dépose sa démission de directeur de l’école, elle sera
acceptée. Son initiative est jugée, en effet, excessive par la hiérarchie militaire (12).
Le capitaine pose donc sa démission (13).
Sur cette expérience et sa conclusion particulière, Clément Vautel écrit le 1er
juillet 1918 dans Le Journal : « Mais pourquoi n’avons-nous rien fait ? Pourquoi
faut-il qu’on vienne nous révéler ce que nous avons sous les yeux ? Pourquoi nous
mettons-nous dans le cas de recevoir ces leçons qui, pour être amicales, sont tout
de même un peu humiliantes ? Au moins, espérons qu’elles ne seront pas perdues et
que nous cesserons d’être le pays où les gens qui n’ont jamais rien fait empêchent
les autres de faire quelque chose. » (14) L’avenir va nous montrer que ce souhait ne
se réalisera pas. Ainsi, il semble évident que ces recherches ne correspondaient
pas aux attentes d’une armée dont toutes les priorités portaient sur un conflit
difficile à gérer en 1917. Une autre explication concerne les luttes internes entre
les tenants d’une armée classique et ceux qui estiment que l’arme aérienne
est l’avenir. Nous pouvons également avancer que cette affaire montre à quel
point il est difficile, au sein même de la future cinquième arme, de « remettre
en cause » la place du pilote, même par le biais de simples expériences, celui-ci
étant considéré à cette époque comme l’un des héros du premier conflit mondial.

des résuLtats prometteurs


L’histoire se poursuit à Mondésir, près d’Étampes, en 1918. Un centre
d’expériences (15), sous la direction du capitaine Max Boucher (16), qui avait au
préalable consulté le colonel Ferrié, directeur technique de la radiotélégraphie
militaire (17), effectue des essais sur la stabilisation, les dispositifs de commande,
la protection contre les brouillages ainsi que sur la conduite simultanée de
plusieurs avions (18). Le but à atteindre est de remplacer l’action du pilote sur
les gouvernails de direction, de profondeur et de gauchissement, ainsi que
sur les commandes du moteur par des dispositifs électriques recevant leurs
mouvements d’un poste émetteur d’ondes situé hors de l’avion (19). Pour toutes
ces recherches, l’équipe dispose de deux avions Voisin VIII (20) : le LAP no 1 758

(12) F. Honoré, op. cit., p. 243.


(13) Maurice Percheron, op. cit., p. 58.
(14) Clément Vautel était un journaliste et écrivain français (1876-1954).
(15) Le groupe est composé du lieutenant Manescau, ingénieur électricien de la TSF, du lieutenant
pilote aviateur Ageorges des services de l’aviation, de l’adjudant Gérard, des sergents Michard, méca-
nicien breveté, et Hervé, sans filiste, ainsi que de six mécaniciens. Font également partie de ce groupe
le lieutenant Guéritot, ingénieur de la radiotélégraphie, et l’ingénieur Brillouin. Ce dernier a travaillé
avec l’ingénieur aéronautique Magenta sur un émetteur-récepteur permettant le guidage d’un avion.
(16) Il a l’appui de M. d’Aubigny, président de la Commission interministérielle de l’Aéronautique
civile.
(17) Maurice Percheron, op. cit., p. 15.
(18) C’est Georges Clémenceau en personne et contre la résistance des bureaux ministériels qui a
appuyé la poursuite des expériences menées en 1917. Il donne au capitaine Max Boucher l’autorisa-
tion de mettre à l’étude la direction des avions par ondes entretenues.
(19) Maurice Percheron, op. cit., p. 16.
(20) Ils sont équipés d’un moteur Peugeot d’une puissance de 220 cv.

40
et le LBP no 1 712 (21). À la fin de mars 1918, les premiers essais, effectués en
présence du sous-secrétaire d’État à l’Aéronautique, montrent qu’un avion, sur
une courte distance, peut décoller, faire un vol et atterrir sans l’intervention
du pilote à bord (22). Les résultats sont indiscutables. Les commandes ont été
immobilisées au moyen de ficelles pouvant casser si le pilote devait intervenir
en cas de nécessité. La vérification a montré que les ficelles n’étaient pas cassées.
Toutefois, le système doit être amélioré et, dans ce but, on va équiper l’avion d’un
stabilisateur Sperry à quatre gyroscopes et d’un procédé de sélection d’ondes.
L’équipe tente donc d’apporter les modifications techniques prévues
afin de poursuivre les expériences. Le 14 septembre 1918, à 18 heures 25,
sur l’aérodrome de Chicheny, les techniciens font voler, face au vent, le LBP
no 1 712 muni d’un système de commandes électriques, d’un stabilisateur
automatique Sperry et de récepteurs d’ondes hertziennes (23). Cet avion, dans
lequel se tient un pilote inerte, le sous-lieutenant Ageorges (24), est téléguidé par
le LAP no 1 758 au moyen d’un émetteur à courte portée de type E 10 (25). Il est
positionné 1 200 mètres environ en arrière de l’avion de réception. Le pilote
de l’avion émetteur est le maréchal des logis Cot et l’observateur manipulateur
est le sergent Hervé. Le pilote de secours de l’avion 1 712 ignore le parcours
qu’il doit suivre. Les deux avions se posent à 19 heures 30. L’expérience a duré
une heure et cinq minutes (26). L’avion récepteur a été manœuvré à distance
pendant 51 minutes et a donc parcouru les cent kilomètres d’un circuit prévu
et assez compliqué (27). Ce vol a été exécuté sans l’intervention du pilote (28), le
départ et le vol ont été obtenus automatiquement. L’atterrissage automatique
a été réservé, le dispositif ne pouvant être construit qu’en usine. Cependant,
tout ce dispositif, qui se rapproche de l’antenne traînante, essayée avec succès
à bord d’hydravions pour l’amerrissage de nuit, était prévu. Cette expérience
sera renouvelée quatre jours plus tard devant M. d’Aubigny, député et vice-
président de la commission de l’armée.
Le procès-verbal relatif à la première expérience a été déposé aux archives
de l’aéronautique et de la radiotélégraphie militaire. Il a été signé par MM. le
chef de bataillon aviateur de La Morlais, le chef d’escadron aviateur Chabert,
le capitaine aviateur Boucher, le lieutenant aviateur Marrot, le lieutenant
radiotélégraphiste Brillouin, le lieutenant radiotélégraphiste Manescau.

(21) Michel Bénichou, op. cit., p. 32.


(22) http ://avionsanspilote.pagesperso-orange.fr/asp_180km.htm
(23) Deux expériences ont eu lieu précédemment : la première le 30 août à 18 heures et la deuxième
le 13 septembre à 18 heures 15. Lors de cette dernière, en raison d’une panne moteur, l’avion 1712 n’a
pu effectuer qu’un vol de sept kilomètres sans l’intervention du pilote.
(24) Le sous-lieutenant Ageorges était mécanicien dans le civil. Pendant la Grande Guerre il était
pilote de Voisin à la VB 101. Il sera affecté, en novembre 1915, à Avord.
(25) Michel Bénichou, op. cit., p. 32.
(26) Maurice Percheron, op. cit., pp. 27-28.
(27) L’itinéraire indiqué était : Chicheny, Mereville, Pussay, Chicheny, Villesauvage, Chalou,
Chicheny, Pussay, Chicheny.
(28) Pierre Hémardinquer, « L’avion automatique et la direction des avions par TSF », La Nature,
no 2 594 du 22 décembre 1923, p. 387.

41
Ainsi, nous pouvons affirmer qu’il ne s’agit pas d’une simple expérience
de pilotage automatique mais bien du premier essai significatif réussi, après
celui du 2 juillet 1917 à Avord, de ce que l’on appelle aujourd’hui un Unmanned
Aerial Vehicule ou encore drone. Malheureusement, ces essais ne furent pas
poursuivis et le groupe de recherche, sans explication, a été dissous par ordre
de l’administration centrale de l’aéronautique le 26 septembre 1918 (29). Malgré
le succès et les démonstrations devant un haut responsable, l’armée n’a pas
considéré ces vols comme étant concluants et ces expériences comme pouvant
être intéressantes. L’armistice survient, et les recherches appliquées au domaine
militaire ne sont plus des priorités. Toutefois, il faut souligner que la volonté
institutionnelle de mettre fin à ces expériences, jugées parfois farfelues et par
trop irréalistes, est très forte, et la décision qui sera prise apparaît assez rapide
et violente puisque cette expérience d’Étampes a été gratifiée d’une interdiction
de poursuivre immédiate et de la dissolution de l’équipe (30). En effet, les
hautes instances ont estimé que cette série d’expériences était « suffisante pour
l’instant » (31). Laurent-Eynac, en novembre 1918, qui n’était alors que député,
demanda au sous-secrétaire d’État à l’Aéronautique de laisser le capitaine
Boucher continuer ses recherches. La réponse se solda par un refus.
D’un point de vue technique, nous pouvons souligner que pendant la guerre
les recherches ont été menées, la plupart du temps, dans la précipitation. Ainsi,
dans les derniers essais, quelques problèmes restaient à résoudre. Ces problèmes
concernaient principalement l’atterrissage automatique, qui, comme nous
l’avons vu, devait être résolu rapidement, mais aussi les manœuvres de montée
et de descente. Enfin, la stabilité de l’aéronef s’est montrée rudimentaire (32).
Le capitaine Boucher avait prévu d’autres séries d’essais. Il voulait faire
effectuer à l’avion un vol de cent kilomètres en circuit fermé avec variations
fréquentes d’altitude, dès le 5 octobre 1918. Il avait programmé, pour le 20
octobre de cette même année, le vol d’un avion sans pilote de secours avec départ
et atterrissage commandés télémécaniquement. Enfin, la dernière expérience
envisagée était le vol, dans les mêmes conditions que précédemment, de deux
avions commandés par un seul poste avec emploi d’un sélecteur d’ondes. En
outre, tous ces essais devaient être effectués avec un poste émetteur mobile
(sur avion pilote) et avec poste fixe (station radioélectrique) (33). Cette dernière
idée montre à quel point Max Boucher était alors proche de la conception du
drone actuel. De plus, il est intéressant de souligner que les résultats positifs
obtenus très rapidement lors des essais effectués en 1918 permettent de penser
que l’équipe en charge de ces expériences aurait certainement pu aboutir à des
résultats tout aussi réussis en ce qui concerne les différents projets.
Les autorités militaires prétextent alors que la présence du capitaine
Boucher est indispensable au front. Il est donc renvoyé aux armées en urgence.

(29) Maurice Percheron, op. cit., p. 32.


(30) Michel Bénichou, op. cit., p. 33.
(31) F. Honoré, op. cit., p. 243.
(32) Pierre Hémardinquer, op. cit., p. 389.
(33) Maurice Percheron, op. cit., pp. 32-33.

42
Cependant, il est maintenu quatre mois en disponibilité sans commandement. Le
sous-lieutenant Ageorges, convaincu de l’avenir des expériences menées, envoie
rapports et courriers mais n’obtient aucune réponse. Ainsi, sans préjuger des
causes de cette dissolution et des raisons qui ont poussé le ministère à arrêter
les expériences, on peut toutefois s’interroger sur le rôle du STAé, de l’armée
en général et du sous-secrétariat d’État à l’Aéronautique militaire et maritime.
En 1924, revenant sur cette affaire, Jacques Mortane écrira : « L’avion sans
pilote est l’une des plus extraordinaires conceptions des cerveaux modernes. Il
est déjà une réalité. Seule la routine de certains chefs empêcha de l’employer
pendant la guerre. » (34)

une prise de conscience de La part de L’institution


Un événement précipite la reprise des expériences et mobilise les plus
hautes instances militaires. En effet, le 29 mars 1919, Le Journal publie un
article intitulé : « L’Avion sans pilote ». Dans cet article il est mentionné :
« M. Baker, ministre de la Guerre, dans une conférence en faveur de la Ligue des
nations, vient de divulguer que l’on avait réussi à diriger à distance des avions sans
pilotes. L’invention serait américaine. Un avion sans personne à bord pourrait faire
des voyages de cent milles et atterrir en un endroit désigné par avance. Un essai,
ajoutait M. Baker, avait été fait aux derniers jours de la guerre… » Ainsi, moins
d’un an après les essais dont les résultats ont été incontestables, on attribue à
une nation étrangère des recherches exclusivement françaises (35).
En 1919, la Section technique de l’aéronautique reprend alors les essais
à son compte (36). Le sous-lieutenant Ageorges continue les expériences au
Crotoy mais, d’une santé fragile, il décède en mai 1920 à Jouy-en-Josas, et les
expériences s’arrêtent de nouveau. Il est à noter qu’à cette époque, le capitaine
Max Boucher n’est pas rappelé par le Service technique de l’aéronautique
pour mener ces expériences. À la suite de cet arrêt, l’aérodrome du Crotoy est
désaffecté, le personnel démobilisé et l’avion délaissé.
Pendant cette période, comme nous l’avons vu, des essais sont menés en
Angleterre et aux États-Unis sur l’avion automatique et sur les torpilles dirigées.
La France va perdre alors, petit à petit, son avance dans le domaine. C’est donc
à cette époque que les Britanniques, qui effectuent les mêmes expériences,
revendiquent la paternité du procédé et de la réussite du vol. C’est également
à cette époque que René Lorin publie un remarquable livre d’aéronautique
dont les idées se sont révélées exactes après le second conflit mondial et en
particulier sur l’avion sans pilote stabilisé par un gyroscope et propulsé par
un pulsoréacteur (37).

(34) Jacques Mortane, « Ce que sera l’aviation de demain », Revue Très sport, décembre 1925, p. 17.
(35) Maurice Percheron, op. cit., pp. 13-14.
(36) La reprise de ces essais a été voulue par le général Ferrié et placée sous la direction du capitaine
Volmerange.
(37) René Lorin, L’air et la vitesse : vues nouvelles sur l’aviation, Librairie aéronautique, 1919, 94
pages.

43
Il est intéressant de noter qu’à la même période, le ministère de la Marine,
qui suivait les expériences menées par le groupe de recherche de Mondésir,
réalise pour son compte une torpille maritime dirigeable. Cette application
avait été indiquée par le groupe d’expériences du capitaine Max Boucher. On
peut donc penser que cette réalisation, qui est concomitante aux décisions
entraînant la dissolution, n’est probablement pas due au hasard. De plus, au
mois de novembre 1918, un bateau sans équipage dirigé à distance par un
hydravion effectue un trajet en haute mer et est ramené sans encombre dans
le port de Toulon (38).
À la même période, le 17 février 1919, le journal L’Avenir signale, cependant,
qu’une application nouvelle a vu le jour en Grande-Bretagne. En effet, M. John
Hammond Jeune aurait mis au point un appareil permettant de diriger à
distance un engin de surface ou de plongée, bateau ou torpille, appareil qui
pourrait également assurer la conduite des torpilles aériennes sur des objectifs
terrestres. La démonstration de cette application a été réalisée avec un bateau
dans le port de Gloucester. Et le journal de signaler que des essais ont certes
été effectués en France mais que c’est la première fois que l’on enregistre une
application pratique.
Ainsi, il est assez troublant de constater que la Marine soit si performante
sur le sujet en 1918 et que la paternité de la mise en application de la conduite à
distance puisse être attribuée, par un journal français, à un étranger (39). Maurice
Percheron, avant d’entrer en scène en 1921 aux côtés de Max Boucher, essaie
de rappeler, à travers ses écrits, comment la France peut assurer sa suprématie
aérienne en tentant de tirer de l’oubli les travaux réalisés et les idées émises.
Il liste notamment, en résumant les performances réalisées et les résultats
attendus, les applications de la télémécanique en aviation. Il est donc intéressant
d’analyser les idées qui ne sont plus des principes farfelus à cette époque mais
des possibilités scientifiquement validées.
Il pose tout d’abord les bases, les principes pratiques et techniques du
bombardement. En effet, il part du principe que l’importance politique de
l’aviation dans un conflit vaut autant que son utilité militaire. Il explique que l’on
attachera de moins en moins d’importance aux duels aériens et que la plupart
des missions confiées à des avions dirigés pourraient s’avérer plus efficaces car
beaucoup plus précises. Ceci permettrait d’économiser du personnel dont la
formation s’avère longue et coûteuse. De plus, on pourrait utiliser des avions
déclassés, démodés, en se servant dans les stocks et les réserves. Si ce principe
est adopté, alors on pourra sacrifier, dans certains cas, des types d’avions
dirigés en les dotant d’un train d’atterrissage largable et qui, bien évidemment,
n’emporteraient du carburant que pour le trajet aller. Ainsi, puisque les
équipages sont inutiles, la charge d’emport pourrait être plus importante et la
nature des projectiles plus dangereuse et plus puissante. Les rotations seraient
plus nombreuses et les conditions atmosphériques ne seraient plus un obstacle.
Le vol dirigé permettrait d’accéder aux hautes altitudes, les grandes vitesses

(38) Maurice Percheron, op. cit., p. 37.


(39) Ibid., pp. 39-40.

44
deviendraient praticables et, ainsi, le rayon d’action serait doublé ou la charge
d’emport encore augmentée.
Pour l’observation, cet avion pourrait emporter des appareils photographiques
ou cinématographiques eux aussi commandés à distance. Puisque l’on pourra
se passer de l’équipage, le poids gagné par cette suppression serait alloué à un
blindage plus conséquent. L’aviation de combat ne serait pas abandonnée, et
on pourrait ainsi envisager une aviation de « combat automatique » spécialisée
dans l’attaque des ballons d’observation et des patrouilles ennemies. Des avions
camouflés, emmenant des mannequins et qui exploseraient au milieu des
groupes d’avions de bombardement, pourraient également être utilisés. Pour
les objectifs terrestres, l’ingénieur pense à des avions emportant des canons
de 75 comme ceux qui ont été essayés à Avord par le capitaine Max Boucher.
Il énonce également quelques applications pour le domaine civil. Il parle
ainsi du transport de la poste et de la petite messagerie, et des possibilités de
faire voler ces avions à des vitesses pouvant atteindre 400 kilomètres heure
à une altitude de 12 000 mètres. L’atterrissage se fera avec la prise en charge
de l’aéronef par un poste à terre. Il pense aussi à un avion sonde qui pourra,
à un millier de kilomètres des côtes, aller dans l’Atlantique rechercher des
renseignements météorologiques et ainsi prédire le temps avec une plus grande
exactitude qu’alors (40).

de La voLonté institutionneLLe à La concrétisation


En 1921, Laurent-Eynac, arrivant au sous-secrétariat d’État à l’Aéronautique,
demande alors à ce que les études sur la télémécanique appliquée à l’aviation
soient reprises (41). En effet, il s’aperçoit que les résultats obtenus à l’étranger,
dans ce domaine, sont significatifs, et que la France est sur le point de perdre
tout le bénéfice des recherches antérieures. Il contacte alors le capitaine Max
Boucher et l’ingénieur Maurice Percheron pour mener à bien ce programme (42).
Max Boucher, qui est en congé de l’armée et a créé la Société d’étude et de
construction d’appareils de télémécanique (la SECAT) dont le siège est à Neuilly-
sur-Seine, obtient ainsi un marché de l’État pour mener à bien les expériences
interrompues. Le Service technique de l’aéronautique, par l’intermédiaire de
son directeur, l’ingénieur général Fortant, devra faciliter la réalisation des
travaux (43). Il faut souligner que Max Boucher est aussi appuyé par L’Union
pour la sécurité en aéroplane, ainsi que par le général Dumesnil, directeur de
l’aéronautique militaire.
Les expériences sont effectuées entre 1922 et 1923 sous le contrôle du
capitaine Volmerange, et des ingénieurs Rosen et Bédarride délégués par le
Service aéronautique. Au printemps 1923, Laurent-Eynac est présent au camp

(40) Ibid., pp. 41-50.


(41) Laurent-Eynac est un parlementaire et sera ministre de l’Air en 1928 et en 1940.
(42) Les expériences sont menées par un certain nombre de personnes parmi lesquelles on relève les
noms de MM. de Marcay, Bernardy et Arbanère.
(43) Pierre Hémardinquer, op. cit., p. 388.

45
d’aviation de Villesauvage, ce qui en dit long sur l’intérêt porté par le sous-
secrétaire d’État sur ces essais. Il est accompagné par son chef de cabinet,
le colonel de Goÿs. Il faut souligner qu’il était déjà présent lors des essais
précédents (44). La France va-t-elle parvenir à mettre au point définitivement
l’avion automatique et par là même celui de l’avion dirigé par TSF ?
Essayons d’analyser les vols effectués tout au long de ces deux années :
l’avion est un Voisin (45) d’une puissance de 300 cv (46) piloté par le capitaine
Arbanère (47). Il était réservé aux missions nocturnes du fait de sa vitesse.
Le moteur est positionné à l’arrière. Cet avion de bombardement, qui a été
transformé en avion-canon, appartenait à l’escadrille VC 110 (Voisin canon
110) (48) et arbore l’insigne représentant une grue huppée. C’est d’ailleurs dans
cette escadrille que le sous-lieutenant Victor Laurent-Eynac, alors jeune député,
a participé au premier conflit mondial en tant qu’observateur-mitrailleur. Le
Voisin a été choisi pour sa vitesse lente, sa surface alaire, son approche au
sol en douceur et son train d’atterrissage à quatre roues qui lui interdit de
capoter. Dans les journaux spécialisés de l’époque, une nouvelle désignation
apparaît officiellement pour qualifier ce type d’appareil : l’avion automatique.
Il comporte un système de stabilisation automatique pour la navigation
normale et la marche de l’avion est assurée par neuf boutons qui commandent
un servomoteur (49). Les expériences doivent également porter sur la mise au
point d’un système extrêmement ingénieux dit horo-barométrique. Celui-ci est
destiné à permettre le pilotage absolument automatique de l’appareil suivant
un itinéraire fixé à l’avance. Un opérateur est installé dans l’avion mais, bien
évidemment, le but de l’expérience est de montrer que l’on peut se dispenser
de ses services. Il n’y eut aucune intervention humaine à partir du moment
où il s’ébranla jusqu’à l’atterrissage et au freinage (également automatiques).
Ainsi, l’avion, en 1923, fit approximativement 75 kilomètres avec, à bord, le
capitaine Arbanère. Pierre Hémardinquer, ingénieur électricien spécialiste
TSF, dans un article paru dans la revue La Nature, semble convaincu que les
avions automatiques et les avions sans pilote sont, grâce à cette démonstration,
quasiment possibles. Pour lui, bien évidemment, tout le mérite en revient à la
Société de télémécanique et particulièrement à l’ingénieur Maurice Percheron
et au capitaine Max Boucher (50). Ainsi, la contrainte principale restait, avant le
vol, la commande à distance de l’avion automatiquement stable et l’expérience
a démontré que cela était possible. Toutefois, cette commande à distance doit
être maîtrisée, notamment sur la portée et les conditions atmosphériques. Il
est certes possible de relier l’avion à un poste directeur au moyen d’un grand
nombre de fils conducteurs souples, mais cela ne résout en rien les problèmes

(44) Ibid., p. 41.


(45) Le Voisin X fut mis en service en 1918. Il était le descendant du Voisin « 13 m ». C’était une
version améliorée du Voisin VIII. Cet avion était lent et ne dépassait pas les 120 kilomètres heure.
(46) Il était équipé d’un moteur Renault 12 Fe.
(47) Pilote pendant la Grande Guerre, il a commandé l’escadrille 118.
(48) L’escadrille V 110 fut désignée VC 110 en 1916.
(49) Michel Bénichou, op. cit., p. 35.
(50) Pierre Hémardinquer, op. cit., p. 388.

46
évoqués. Une expérience a d’ailleurs été menée aux États-Unis en 1921, qui a
montré qu’un avion pouvait être dirigé par un autre appareil volant derrière
lui. Les deux appareils étaient reliés par un fil de 5 km de long. Cette solution,
bien évidemment, n’est pas intéressante puisque elle démontre uniquement
que l’on peut conduire un avion automatique en laisse (51). Ainsi, seule la TSF
semble indiquée pour diriger l’avion automatique. Cet essai réussi a démontré,
de façon pratique, que l’on pouvait automatiser un avion et le diriger à distance
avec l’aide de la transmission sans fil. La dernière phase consiste maintenant
à supprimer l’opérateur pour le remplacer par la radio mais, pour des raisons
techniques, le pilote a été conservé afin de reprendre la situation en main si
les conditions de vol l’exigeaient (52). La SECAT, voulant s’affranchir de cette
dernière contrainte, essaie de mettre en place un système de cartes perforées,
bien connu à l’époque, notamment dans le domaine des orgues mécaniques.
Des essais sont menés grâce à ce système, et en particulier sur d’autres avions.
Tout d’abord sur un Bréguet XIV (53), puis sur un hydravion Latham (54) sur
l’étang de Berre. Certes, ce que Max Boucher cherche à obtenir est compliqué
puisqu’il veut faire décoller, voler et atterrir un avion de façon entièrement
automatique. De plus, il l’avoua l’année suivante, il était également possible de
programmer le largage de bombes. Cette invention a, bien sûr, fait réfléchir sur
les applications militaires potentielles puisque son inventeur avait auparavant
défini les nombreuses applications possibles et notamment le bombardement,
les essais de prototype afin d’éviter les nombreux accidents, l’avion sonde en
haute atmosphère ou encore le pilotage automatique. Cette dernière idée est
certainement celle qui a été la mieux exploitée puisque, comparativement aux
autres, elle n’est pas sujette, à l’époque, aux critiques des pilotes qui s’insurgent
contre le remplacement à distance de l’action humaine. Ainsi, posséder cette
arme nouvelle qu’est l’avion sans pilote permettrait de donner à la France une
supériorité militaire incontestable dans le domaine de l’aviation et de posséder
l’aéronef de demain (55).
De plus, ces expériences, comme nous l’avons déjà souligné, n’ont pas
laissé indifférentes les plus hautes instances politiques de l’époque. Revenons
à M. Laurent-Eynac. Lors des essais du printemps 1923, le 4 avril, après avoir
observé le vol réussi de l’avion, il écrit : « Ce jour-là, les commandes à la main
étant bloquées et un dispositif double de clavier ayant été installé comme pour
la double commande d’un appareil école, un officier de la Section technique de
l’aéronautique est monté à bord de l’avion. Il ne savait pas piloter. J’insiste bien
là-dessus… Il a manœuvré l’appareil en pressant les boutons… de l’ascenseur !
C’est donc une preuve que la commande et la stabilité automatique de l’avion
ont été réalisées grâce à des gyroscopes agissant sur des servomoteurs au moyen
de cames et de relais. » Ainsi, pour le sous-secrétaire d’État, les résultats sont
significatifs et plus que prometteurs.

(51) Ibid., p. 42.


(52) Michel Bénichou, op. cit., p. 36.
(53) Bréguet XIV no 2 076.
(54) Michel Bénichou, op. cit., p. 36.
(55) Pierre Hémardinquer, op. cit., p. 43.

47
Le projet était donc ambitieux mais réaliste. Les journaux spécialisés de
l’époque ne s’y trompent d’ailleurs pas, puisque tous les commentaires sont
élogieux et l’on peut lire notamment dans un article du journal Les Ailes écrit par
Pierre Desbordes en 1923 : « MM. Arbanère, Percheron et Bernardy ont réalisé un
avion complètement automatique et ce résultat est assez beau pour que ses auteurs
en soient félicités .» En effet, l’avion peut être considéré comme entièrement
automatique parce que l’envol est assuré grâce à un embrayage spécial donnant
la vitesse et le gauchissement convenables, et pour l’atterrissage, une béquille
est installée sous la nacelle. Lorsque cette béquille touche le sol, elle a une triple
action : elle met progressivement les commandes des stabilisateurs Sperry au
zéro et rend ainsi l’avion horizontal, elle coupe les contacts et elle ferme les gaz.
Max Boucher, dans une communication présentée devant l’Association française
aérienne sur l’avion sans pilote en 1924, annoncera clairement que la SECAT
est en train de finaliser deux concepts, celui de l’avion semi-automatique et
celui de l’avion sans pilote. Ce dernier aura exactement les mêmes organes que
l’avion semi-automatique avec, en plus, la télécommande par TSF. Il poursuivra
en annonçant que cette télécommande, de conception tout à fait originale, a
déjà donné de bons résultats. Il terminera sa communication en expliquant que
toutes ces études et réalisations l’ont amené à rechercher un dispositif qu’il
a d’ailleurs trouvé et appelé « Sécuritas ». Ce dispositif est destiné à corriger
les maladresses ou mauvais réflexes d’un pilote tant en vol qu’à l’atterrissage.
Pourtant, malgré ces propositions, l’État arrêtera de financer les expériences
cette même année. Max Boucher mourra le 16 février 1929 sans avoir eu une
quelconque reconnaissance au sujet de ses idées et de ses essais.
À partir de 1924, année correspondant à la fin des essais menés par Max
Boucher, le ministère de la Guerre achète l’avion dit « avion sans pilote », que
l’on appellera, alors définitivement, l’avion automatique. C’est lors d’une
démonstration devant le maréchal Pétain émerveillé, que le ministre de la Guerre
a acquis l’appareil pour le compte de son département. Cette acquisition entraîne
plusieurs questions. Tout d’abord, le ministère désire-t-il réellement poursuivre
les expériences ? Ensuite, désire-t-il mener des expériences sur la stabilisation
pure, c’est-à-dire la sécurité en vol ? Veut-il continuer des expériences sur l’avion
semi-automatique, c’est-à-dire sur le pilotage automatique ? Et enfin, souhaite-
t-il poursuivre les expériences sur l’avion sans pilote ?
Nous pouvons signaler qu’à cette époque, nous nous éloignons certainement
de la volonté de mettre au point un avion sans pilote. En effet, si les premières
expériences pouvaient laisser entrevoir l’idée de la conception du « drone », nous
pensons que cette idée, même si elle n’est probablement pas abandonnée, a laissé
place à celle beaucoup plus « réaliste » d’un avion stable, certes automatique
mais habité. Nous nous approchons donc du concept de sécurité et de pilotage
automatique. On peut lire ainsi dans L’Illustration du 15 mars 1924 : « Quelle que
soit la perfection du système, il sera évidemment toujours dangereux de s’embarquer,
sans un véritable pilote à bord, sur un avion exclusivement automatique : on se
trouverait à la merci d’une défaillance du mécanisme ou d’une panne d’électricité.
Mais le clavier sera fort utile pour les gros avions de transport ; il augmentera

48
sérieusement le coefficient de sécurité et il allégera de beaucoup la besogne du
pilote, dont il diminuera la fatigue musculaire et la tension nerveuse, mais dont
la présence reste indispensable pour manœuvrer au besoin le manche à balai où
aboutira un groupe indépendant de commandes. » (56)
Dès lors, deux axes de recherches seront suivis par le Service technique de
l’aéronautique : le premier, officiel, portant sur l’avion commandé et habité, et
le second, officieux, sur l’avion sans pilote ou dirigé par ondes hertziennes. Le
ministère est d’accord pour dire que la réalisation est plus délicate sans fil que
par fil, mais la première solution semble d’ores et déjà choisie. Dans ce cas, on
peut s’interroger : pourquoi cet arrêt brutal du financement des expériences
de Max Boucher qui projetait de poursuivre les essais dans cette même voie ?
La suite montre que cette acquisition et ces volontés énoncées ne seront, en
définitive, que des façons voilées de tenir les programmes secrets.

queLques éLéments expLicatifs


Nous ne sommes probablement pas loin de la vérité si nous affirmons
que le Service technique de l’aéronautique a certainement été à l’origine de
cette décision très directive d’arrêter les expériences menées jusqu’en 1924. Il
est cependant difficile d’en exposer les raisons faute d’archives disponibles.
Mais, à la lecture de certains articles spécialisés de l’époque, nous pouvons
avancer, dans l’immédiat, deux éléments explicatifs possibles. Tout d’abord, ces
expériences interviennent dans une période où la politique internationale est
guidée par la volonté d’apaiser les tensions. La plupart des nations européennes
aspirent à une paix durable, et il semble évident que la mise au point d’une
arme de destruction massive, en 1924, ne peut pas être considérée comme un
signe positif. Au contraire, ces recherches allaient à l’encontre des principes
moraux et humanitaires qui caractérisaient cette période. La seconde raison
concerne l’image même du pilote : au sortir du premier conflit mondial, celui-ci
est considéré comme l’un des héros des batailles menées tout au long des quatre
années. Ainsi, le personnage à qui l’on a décerné le titre de chevalier du ciel,
celui qui maîtrise cette machine si difficile à conduire qu’est l’avion, ce pilote
que la presse n’a cessé d’encenser et dont elle a parfaitement su se servir à des
fins de propagande, ne peut être que frustré lorsqu’il lit dans les journaux et
les revues que prochainement l’aviation pourra se passer de lui, de ses dons
et de ses aptitudes. On aborde là un problème de reconnaissance, un obstacle
identitaire.
Voilà ce que l’on peut lire dans les journaux de l’époque sur ces expériences :
le colonel Romain, dans un article paru dans La Revue de Paris en juillet-août
1923, en page 229, estime que ce n’est pas être trop optimiste que de prétendre que
l’avion sans pilote ne va pas tarder à prendre son essor définitif. Il pose également
la question suivante : « Faut-il s’en réjouir ou faut-il le déplorer ? » Il pense en effet
qu’il est hors de doute que son utilisation guerrière en fera une arme effroyable,
capable d’anéantir des cités entières. C’est, pour lui, une torpille aérienne qui,

(56) F. Honoré, op. cit., p. 245.

49
manœuvrée de terre grâce à un système précis de radiogoniométrie, pourra aller
par tous les temps, de nuit comme de jour, déverser sans risques et à coup sûr
600 kilos d’explosifs ou de produits asphyxiants en une seule fois et effectuer
10 voyages en 24 heures. Tout cela est bien précis mais également prémonitoire
quand on sait que quelque 20 ans plus tard nous ne serons pas si éloignés de
cette réalité macabre. Et l’auteur de poursuivre par cette affirmation : « On se
demande si, de par sa puissance excessive de destruction, l’avion sans pilote ne
réalisera pas la prophétie : l’avion tuera la guerre. » Il continue en affirmant
que les inventeurs comptent pouvoir, dès l’année d’après, diriger un avion sans
pilote de la côte méditerranéenne en Corse. Il termine son article en affirmant
que grâce à cette grande et féconde invention, le pilote va devenir un véritable
navigateur dégagé des contraintes de manœuvre, pouvant observer, mesurer et
communiquer par TSF. Mais le pilote, à cette époque, veut-il réellement être
dégagé des contraintes du pilotage et souhaite-t-il, à bord d’un avion, observer,
mesurer et communiquer ? L’auteur poursuit en espérant que la France mettra
à profit son avance en la matière et qu’elle ne se laissera pas, une fois de plus,
ravir le bénéfice de l’exploitation par les autres nations.
De la même façon, on imagine très bien les réactions du grand public, dans
l’immédiat après-guerre, lorsque celui-ci lit, dans Le Matin du 27 novembre 1922,
en page 4 : « Vous pouvez entrevoir la possibilité d’envoyer sur une grande ville,
dont on connaît les coordonnées géographiques, toute une escadre de vieux avions
bourrés d’explosifs. Lorsque les avions se trouvent, sans grosse erreur, au-dessus
de l’agglomération à bombarder, ils se mettent en vrille et… Jugez de l’effet ! » Il
semble évident que ces écrits ne correspondent pas aux réalités de l’époque ou
plus exactement aux volontés politiques de certains dirigeants qui recherchent
avant tout, comme nous l’avons souligné plus haut, l’apaisement en Europe.
Toujours dans cette même veine et dans le but de montrer à quel point
ces expériences ont eu un impact national très important, on peut lire dans Le
Journal général de l’Algérie et de la Tunisie, numéro 316 du 19 octobre 1922,
en page 1, qu’en plus des essais mentionnés ci-dessus, il est prévu de mettre
au point un avion directeur, vaisseau amiral en somme, piloté par un humain
et fortement armé et blindé, qui commanderait en vol à une escadrille de 20
machines sans pilotes et les mènerait au bombardement en les guidant par ses
ondes et en les défendant par ses canons et ses mitrailleuses.
À des fins plus politiques et pour corroborer ce que nous venons de dire,
nous pouvons signaler qu’en 1923 L’Humanité s’inquiétait de l’utilisation de
l’avion sans pilote et stipulait que ce sera l’arme la plus atroce des temps futurs.
Tellement atroce, dit le journal, que les gouvernements n’oseront probablement
pas entrer dans un conflit pour éviter cette mort qui planera incessamment sans
esquive, ni riposte possibles sur le pays attaqué. Le journal s’était déjà insurgé
cette même année contre les essais de Max Boucher et du capitaine Arbanère
en spécifiant que tout ce qui pouvait tuer semblait être récupéré par l’armée.
Ainsi, la réponse officielle à toutes ces craintes, qu’il était nécessaire de
donner à travers les expériences menées, s’imposait d’elle-même aux services
ministériels : il n’était pas question de mettre au point une arme de guerre

50
susceptible d’effrayer les populations et d’engendrer des malaises dans les
milieux politiques internationaux. Mais, il n’était pas non plus question de
remettre en cause, à travers des expériences ouvertes, la liberté du pilote et,
par extension, sa fonction la plus noble, à savoir la manœuvre et la maîtrise
complètes de la machine.
Les services techniques feront donc en sorte d’éliminer toutes les polémiques
sur l’avion non habité ou encore appelé « avion dirigé hors vue », en arrêtant les
expériences ou en travaillant dans le secret. Sur les problèmes liés à la conduite
et à la place tenues par le pilote, la seule possibilité de continuer les expériences,
sans froisser la susceptibilité des aviateurs, sera de tenter d’expliquer que les
essais sur la stabilisation et donc sur le « pilote automatique » sont indispensables
pour la sécurité et que les applications se feront sur des avions commerciaux.
En effet, on prévoyait de pouvoir faire voler ce type d’avion à des altitudes de
dix à douze mille mètres. Ainsi, il pourrait s’affranchir de la résistance de l’air.
Il obéirait respectivement au poste de départ et au poste d’arrivée pendant
chaque moitié de son parcours. Il pourrait voler à une vitesse de 430 kilomètres
à l’heure. Dans ces conditions un avion, par exemple, pourrait porter le courrier
de Marseille à Yokohama en 24 heures (57). Il est intéressant de souligner que
le vol entièrement automatique est destiné, dans ce cas, à des missions non
militaires, afin probablement d’apaiser les esprits.

vers Le piLotage automatique ?


Ainsi, les expériences officielles porteront donc sur le pilotage automatique et
nous ne parlerons plus d’avion sans pilote. Mais, cette politique va-t-elle mettre
fin aux tensions et frustrations engendrées par l’avion non habité ? Avant l’arrêt
des expériences de Max Boucher, certains journalistes avaient déjà parlé de
cette piste en abordant les avantages, notamment la sécurité. Mais, le contenu
de ces écrits ne pouvait en aucune manière apaiser les tensions et atténuer les
frustrations des pilotes, même si le rôle du pilote de guerre n’est plus remis en
cause, ou du moins de façon moins directe. En effet, les journalistes spécialisés
n’ont eu de cesse de vanter les mérites de cette avancée technologique, parfois
en donnant des explications qui étaient peu flatteuses sur la fonction même du
pilote et dans tous les cas très maladroites à l’égard de celui-ci.
Ainsi, dès 1922, Jean Serryer écrivait dans Les Ailes : « À mesure que se
développera la navigation aérienne, celle-ci tendra de plus en plus à se rapprocher
de la navigation maritime. Il faudra compter de plus en plus sur les qualités
propres de la machine et de moins en moins sur les qualités d’habileté et d’adresse
du pilote. À mon avis un jour viendra où le pilote des gros avions de transport
n’aura plus à jouer que le rôle de timonier, c’est-à-dire à assurer le maintien de
l’appareil dans la bonne direction, manœuvre relativement simple qu’il effectuera
sur les indications d’un navigateur. » Il poursuit en disant que l’organe qui

(57) F. Honoré, op. cit., p. 245.

51
pourrait assurer la stabilité existe, c’est le stabilisateur Georges Aveline (58). De
plus, il ajoute : « Toutes les manœuvres que peut effectuer un pilote d’avion, le
stabilisateur automatique les accomplit de lui-même sans intervention de l’aviateur.
Ce dernier conserverait donc seulement le contrôle de la direction. » Il conclut
son article en écrivant que des essais vont être menés par le Service technique
de l’aéronautique à Villacoublay.
Dans un autre article de Pierre Desbordes, le 7 décembre 1922, il est
également écrit : « Les expériences menées à Villesauvage-Etampes, sur l’avion
dit sans pilote, vont permettre de remplacer le pilote pour un itinéraire donné,
comme on remplace le pianiste pour un morceau de musique donné par le Pianola
ou un appareil du même genre. Il est évident qu’au point de vue militaire, un tel
résultat aurait un immense intérêt. » Le journaliste fait référence ici à l’aide
apportée par le pilote automatique sur un trajet déterminé.
À la lecture de ces deux morceaux d’article et en replaçant ces écrits dans
un contexte d’immédiat après-guerre, il semble évident que de tels propos ont
été accueillis de la même manière que ceux concernant l’avion sans pilote,
c’est-à-dire avec beaucoup de colère par les aviateurs qui sortaient du premier
conflit mondial. Max Boucher, en 1924, lorsqu’il annonce qu’il a trouvé un
système qu’il a appelé « Sécuritas », n’hésite pas à mentionner que ce dispositif
va permettre de corriger les maladresses et les mauvais réflexes du pilote.
Dans cette même intervention, lorsqu’il parle de la conception par sa société
et de l’utilisation par le pilote d’un grand nombre d’instruments de bord ou
d’appareils de navigation, il dit : « On peut compter ainsi que le rôle du pilote
s’élève à celui de navigateur, les appareils réalisés devant suppléer tout ce qui existe
en lui d’automaticité ou de réflexe, son attention étant exclusivement concentrée
sur la mission à remplir ou le voyage à entreprendre. » Là aussi nous sommes
loin de la figure héroïque du pilote, de l’as de la Première Guerre mondiale.
Dans un autre article très intéressant du journal Les Ailes de 1924, Georges
Houard écrit : « Pour faire une réalité de la stabilisation automatique je crois
qu’il faudra transformer la mentalité du milieu aéronautique. On pourra mettre
en application cette technique dès que l’on aura compris que l’aviation est, avant
tout, un mode de transport individuel ou collectif qui exige la création d’appareils
réellement sûrs. On n’aura obtenu ce résultat que le jour où le pilote d’avion ne
sera plus un personnage extraordinaire dont l’audace fait frémir les gens qui ne
consentiraient jamais à prendre place à ses côtés. Je suis persuadé qu’un appareil
automatiquement stable, dans lequel le rôle du pilote se résumera à contrôler la
marche de l’appareil en direction et en profondeur, inspirera infiniment plus de
confiance à ceux qui tiennent à leur précieuse existence, que le plus maniable des
avions d’acrobatie piloté par le meilleur de nos as. »
Ces affirmations d’un spécialiste du monde aéronautique ont dû avoir un
certain impact sur les pilotes et ont probablement dû entraîner un sentiment
d’incompréhension et d’injustice de la part de tous ceux qui se sont battus

(58) C’est un dispositif de stabilisation complet qui assure la stabilité latérale, la stabilité en profon-
deur et la stabilité de direction. Il sera commercialisé sous l’appellation Mazade-Aveline du nom des
deux équipementiers. Ces deux scientifiques ont été également soutenus par M. Laurent-Eynac.

52
en 14-18. Georges Houard parle de changement de mentalité et surtout de
personnage extraordinaire. Le journaliste expose donc, pour la première fois,
la raison principale des problèmes rencontrés par le système de stabilisation,
à savoir des obstacles psychologiques et sociaux.
Il rajoute qu’il serait irrationnel de ne pas profiter d’une telle avancée,
puisque celle-ci touche directement la sécurité de tous les personnels à bord d’un
avion. Bien évidemment, cet avion serait plus facile à piloter (il parle même d’un
pilotage extrêmement facile) et c’est certainement là que le bât blesse, puisque
le pilote de cette époque ne veut pas spécialement que la direction d’un avion
puisse être assurée par un simple servant, un conducteur, un « routier » qui ne
possèderait pas les dispositions, les aptitudes, le don.
Dans la même revue, en 1924, Georges Houard pose la question suivante
aux lecteurs en parlant des expériences menées depuis 1923 sur deux limousines
Bréguet XIV et une limousine Potez équipées d’un pilotage automatique Mazade-
Aveline : « Selon vous, est-il possible qu’un avion puisse voler convenablement sans
l’intervention d’un pilote ? » Il répond ainsi : « J’ai vu cette machine, elle existe,
elle fonctionne ! Et ce qui est le plus surprenant dans cette histoire ce n’est pas
tant le formidable progrès qu’elle représente que le fait qu’un tel progrès, qu’un
pas aussi décisif dans la voie de la sécurité aérienne ait été accompli depuis
plusieurs mois sans qu’on ait fait autour de lui le bruit qu’il justifiait. Alors que
nous sommes habitués à ce que l’on nous dise les espoirs que laisse entrevoir
une invention, des mois, des années avant même que cette invention ait été
expérimentée, nous sommes ici en présence d’une découverte qui a été réalisée,
qui a donné, qui donne des résultats remarquables, qui est construite en série,
qui en un mot est industrialisée, et que cependant, le monde aéronautique lui-
même ignore. J’avoue très loyalement que, pour ma part, je ne croyais pas, il y a
seulement 8 jours, pouvoir écrire aujourd’hui cette chose énorme – et que je dis
parce que très sincèrement, c’est l’expression de ma pensée – que la stabilisation
automatique des avions est entrée dans le domaine des réalités pratiques. » (59)
Là encore, même si nous parlons de pilotage automatique et non d’avion sans
pilote, les problèmes rencontrés et sous-entendus par le journaliste sont les
mêmes : une volonté délibérée de ne pas médiatiser cette avancée et donc de
freiner les applications et la mise en service. Il termine son article en déclarant
que la 12e Direction a décidé d’équiper ses avions de bombardement d’un
pilotage automatique Mazade.

La période est à L’apaisement


Dans un autre article, Georges Houard tente de faire comprendre au pilote
qu’il ne perdra pas sa place au sein de l’avion et que le pilotage automatique
doit être perçu comme un instrument de bord et non comme un remplaçant.
Il rappelle également que l’avion stabilisé automatiquement a été injustement
confondu avec l’avion sans pilote. Il va même jusqu’à dire que cette stabilisation

(59) Georges Houard, « La stabilité automatique est un problème résolu », Les Ailes, no 178 du 13
novembre 1924.

53
automatique est contrôlée par le pilote. Et de rajouter que les idées préconçues
ne doivent pas empêcher ou retarder cette application. Il s’adresse par là aux
pilotes et l’écrit ouvertement : « La vérité est que les pilotes sont, par principe,
hostiles à l’automatisme. » Ainsi, une partie de la réponse à toutes les questions
posées jusqu’alors est avancée. Et de rajouter : « Encore une fois, il ne s’agit pas de
remplacer le pilote… Il s’agit de faciliter sa besogne, de la lui rendre moins pénible,
surtout par gros temps, en mettant à sa disposition un instrument de navigation.
Le pilote sera toujours indispensable à bord, ne serait-ce que pour contrôler le
fonctionnement des stabilisateurs, pour prendre le départ, pour atterrir… » Ces
propos, qui dénotent fortement par rapport à ce que le journaliste avançait
quelques semaines plus tôt, montrent à quel point ce problème identitaire semble
crucial à cette époque. Et le journaliste de conclure son article en affirmant
que la stabilisation automatique ne peut pas avoir d’ennemis mais tout au plus
des adversaires que l’on peut qualifier de sceptiques et que ces adversaires se
transformeront sous peu en ardents défenseurs.
En 1926, dans la même revue et dans la même veine que ce que nous
avons lu précédemment, MM. Constantin et Mazade tentent d’expliquer aux
pilotes, toujours réticents à l’égard d’une quelconque perte d’autonomie dans
l’avion, que la machine ne pourra jamais remplacer l’homme et que certaines
manœuvres comme le décollage, l’atterrissage, la navigation et la surveillance
des organes exigeront toujours, quels que soient les progrès que pourra encore
faire l’automatisme, la présence à bord et l’action d’un homme de premier ordre.
En 1927, on voit ressurgir dans cette même revue la polémique portant sur
l’avion sans pilote. L’auteur anonyme de cet article écrit : « N’a-t-on pas, voici
quelques années, dirigé des avions du sol par le moyen de la télémécanique ? Les
résultats ont été encourageants. Ne pourrait-on mettre cette technique parfaitement
au point ? Le problème est certainement soluble et peut-être assez facilement.
Cette technique étant au point, rien n’empêcherait alors de condenser les appareils
récepteurs d’une manière telle qu’ils puissent être adaptés instantanément sur
n’importe quel avion afin d’en remplacer le pilote. Le pilotage se ferait alors soit
du sol, soit du bord d’un avion voisin, véritable observatoire et laboratoire volant.
Ne disposerait-on pas alors d’un champ d’expérience illimité, dont bénéficierait la
science aéronautique, tout en épargnant la vie des pilotes ? Combien d’essais qui
sont encore scabreux ou laissés de côté pourraient, de cette façon, être entrepris
ou poursuivis sans danger ? »
Et le directeur de la revue de lui répondre : « Evidemment… Mais le problème
de l’avion sans pilote n’est pas encore résolu. Le jour où il le sera, l’aéronautique
officielle s’opposera, au nom de la Défense nationale, à ce que le procédé soit
divulgué et appliqué à un autre but que celui auquel elle le destinait primitivement.
Il est vrai que l’aéronautique officielle aura toujours la possibilité de l’utiliser
elle-même pour sa propre édification… en fermant soigneusement ce jour-là les
portes de Villacoublay ! »
Ainsi, cette réponse tend à confirmer ce que l’on avait avancé, c’est-à-dire
que des essais ont bien été menés sur l’avion sans pilote mais probablement
dans le secret et que les seules expériences officielles connues et commentées

54
par la presse ne concernent que la stabilisation et le pilotage automatique, ces
dernières expérimentations devant cacher les premières.
Pour en revenir à ces expériences officielles portant sur le pilotage
automatique, malgré toutes les précautions prises par les services techniques, le
milieu des aviateurs a fortement réagi face à cette potentielle perte d’autonomie et
ainsi, les mêmes problèmes ont probablement entraîné les mêmes conséquences.
Le Service technique de l’aéronautique freine la recherche et les essais et
écarte probablement l’ingénieur Mazade afin de mener les expériences de son
côté, en évitant toute publicité. Et c’est là la troisième explication au sujet des
difficultés rencontrées par les expériences menées depuis 1917 sur l’avion sans
pilote et sur le pilotage automatique, à savoir une volonté de mainmise totale
du Service technique de l’aéronautique sur ce type d’essais. De plus, lorsque
le STAé laisse les ingénieurs Aveline, Mazade puis Constantin mener leurs
expériences, il semble évident qu’il ne pense pas que celles-ci puissent aboutir.
Ainsi, au sortir de la Première Guerre mondiale, trois voies s’offraient
aux ingénieurs de l’époque sur les expérimentations. La première est celle de
l’avion sans pilote : comme nous l’avons vu, cette possibilité a été écartée ou,
plus exactement, si les recherches ont été menées, elles l’ont été dans le plus
grand secret. Les raisons de cet abandon tiennent essentiellement au fait que
l’époque ne s’y prêtait pas, que l’influence des pilotes et du Service technique
de l’aéronautique était trop importante face à des volontés personnelles et
non institutionnelles. Toutefois, nous ne pouvons pas écarter les explications
suivantes. L’époque, comme nous l’avons souligné, est au désarmement, à la
démobilisation et à la reconstruction. Ainsi, des choix budgétaires doivent être
faits au sein des ministères et il est évident que l’avion sans pilote n’est pas une
priorité. De plus, même si cet aéronef a montré qu’il pouvait effectuer un vol
significatif, les problèmes sécuritaires restent probablement toujours présents.
Nous sommes donc en présence, dans ce cas-là, d’un obstacle technologique
et non plus d’une barrière sociale ou psychologique.
La deuxième voie est celle du pilotage automatique. Même si les applications
ne devaient concerner que des avions de transport civils, même si le pilote devait
conserver son rôle dans les phases les plus difficiles de la direction de l’aéronef,
la toute-puissance du Service technique de l’aéronautique a voulu écarter les
velléités de certains ingénieurs et équipementiers. Il est cependant intéressant
de souligner que ce n’est, dans ce cas-là, pas un abandon, mais davantage
une mainmise sur les expériences de la part d’un organisme institutionnel. À
l’inverse de l’avion sans pilote, le système automatique deviendra une réalité,
même si quelques années de recherche ont certainement été perdues.
La troisième voie, directement liée aux recherches sur la stabilisation,
concerne les engins téléguidés, les torpilles volantes. Cette possibilité,
comparativement à d’autres pays, n’est pas une priorité en France. Pourtant,
les recherches sur l’avion sans pilote auraient pu aboutir à des avancées plus
significatives vers ce choix, mais c’est du côté de l’Allemagne et des V1 et V2
qu’il faut se tourner pour voir la concrétisation de ces recherches.

55
Les expérimentations reprennent dans Le secret
En 1925, dans le journal Les Ailes, sous la plume du journaliste Bersot, on
saluait l’exploit d’un Goliath-Farman, du Service technique de l’aéronautique,
muni de l’équipement complet de pilotage automatique Mazade, qui fit tout le
voyage entre Paris et Lyon sans intervention du pilote. Le parcours fut couvert
en 3 heures et 30 minutes (60).
Les essais vont se poursuivre durant cette même année. En effet, l’adjudant
Lair, toujours à bord d’un Goliath-Farman du Centre d’études aéronautiques
de Versailles, a montré les qualités des stabilisateurs en quittant son poste de
pilotage pendant une demi-heure. Cette démonstration a été faite devant un
représentant du STAé. De son côté, la Marine a fait, à Saint-Raphaël, des
essais sur un hydravion Latham muni de l’équipement Mazade. Les résultats
se sont avérés très satisfaisants.
Toujours en 1925, dans le journal L’Humanité du 17 février, en page 2, il est
mentionné qu’un avion sans pilote peut décoller, atterrir, se diriger et évoluer
sans l’intervention d’un pilote. C’est grâce aux commandes transmises par TSF
du sol que cet avion est autonome. De plus cet avion est capable de monter à
des hauteurs inaccessibles pour l’homme et de voler à de grandes vitesses. Enfin,
il est écrit qu’un marché vient d’être passé avec l’État pour la construction de
plusieurs appareils de ce genre. L’auteur de l’article écrit également qu’il faudra
être vigilant en ce qui concerne l’utilisation de cet avion car on pourrait prévoir
ce type d’engin pour aller bombarder des villes et des populations innocentes
en toute quiétude. Il est intéressant de souligner que cet article fait état non
pas d’expériences menées sur la stabilisation, mais bien sur l’avion sans pilote
dirigé à distance. Cet encart journalistique semble prouver que les essais sur
ce type d’avion se poursuivent, et ce dans un secret plus ou moins bien gardé.
En 1926, des expériences sont réalisées sur des Bréguet XIV à moteur Renault
300 cv équipés en avions automatiques Mazade, à Cazaux. Les expériences se
poursuivent donc sur la stabilisation et celles-ci de façon tout à fait officielle.
À la fin des années 1920, toujours dans le cadre des recherches menées sur
la stabilité en vol par le Service technique de l’aéronautique, suite à l’accident
mortel du lieutenant Guillaumot, pilote d’essai, les ingénieurs de ce service
interdisent toutes les expériences. Dorénavant, les recherches sur la stabilité
longitudinale seront effectuées à partir d’essais de maquette en girouette dans
une soufflerie (61). Louis Bonte explique que cette décision est due au fait que ces
ingénieurs, qui pourtant avaient été de brillants pilotes durant le premier conflit
mondial, ne voulaient plus courir le risque d’un nouvel accident et craignaient
certainement pour leur carrière. C’est maintenant les essais sur la stabilisation
qui sont remis en cause par le même service qui est probablement à l’origine
des problèmes rencontrés par l’avion sans pilote quelques années auparavant.

(60) Cet avion avait à son bord un équipage composé du lieutenant Jouy, de MM. Chalaman, Lari-
vière et Bédaride, plus deux mécaniciens.
(61) Louis Bonte, L’histoire des essais en vol, Collection Docavia, volume 3, Editions Larivière,
Paris, 1975, p. 44.

56
Mais, pour réaliser un mécanisme aussi complexe et aussi délicat que l’avion
automatique, la mise au point exige des vols quotidiens. En effet, le réglage à
terre serait faux, car c’est seulement en vol que l’on peut tenir compte de la
flexibilité de l’appareil et des réactions subies par les différents organes avec
l’exactitude nécessaire pour apporter la précision à laquelle s’habituent les
réflexes d’un bon pilote (62).
Les ingénieurs Ceccaldi, Tapie et Humbert, malgré les interdictions,
continuent les essais. Les expériences sont donc menées sur presque tous les
types d’avions disponibles (63). Ainsi, pendant quatre ans, ce petit groupe de
trois personnes a effectué, dans le plus grand secret – puisque, rappelons-le,
les essais ont été formellement interdits par les autorités supérieures – des vols
de mesures sur la théorie de la stabilité. Ces vols, qui n’ont pas été menés dans
la plus parfaite sérénité, n’ont pas été concluants. Ils ont, tout au plus, permis
de lister les erreurs potentielles à éviter et de mettre au point une méthode
d’essais qui permet de vérifier la stabilité en vol en toute certitude en étudiant
l’amortissement et l’amplification des oscillations de l’avion autour de son
centre de gravité (64). L’ingénieur Ceccaldi le reconnaît lui-même en qualifiant les
résultats obtenus de lamentables. Il estime que la méthode d’essais trouvée n’est
qu’une méthode empirique et qu’il est incapable de savoir si l’on est très éloigné
ou très proche de la théorie de la stabilité. Il rajoute et sous-entend toutefois
que les conditions dans lesquelles les ingénieurs ont travaillé, à savoir le secret
absolu et l’interdiction formelle de faire cette étude en vol – ce qui constitue
à ses yeux un acte d’indiscipline extrêmement grave –, n’ont probablement
pas permis des résultats plus significatifs. Un élément semble intéressant dans
ses propos et permet d’apporter, en plus des obstacles hiérarchiques dont
on a précédemment parlé, une explication sur le retard pris par la France
malgré les avancées certaines depuis 1917. Cet élément est contenu dans les
recommandations de cet ingénieur : « Comme nous n’avons pas à être fiers de
ce que nous avons fait puisque l’essentiel n’a pas été trouvé, convenons de n’en
jamais parler. De plus, lorsque cette véritable théorie de la stabilité sera trouvée
– et j’ai la conviction qu’elle le sera – nous serons sans doute ridiculisés pour
n’avoir pas été capables de faire plus que ce que nous avons fait en quatre années
de vols d’essais et de longues réflexions. » (65)
Par la suite, l’ingénieur Ceccaldi encouragea la poursuite de ce travail
en incitant les chercheurs à travailler dans le secret et à ne faire connaître les
résultats que lorsque ceux-ci auraient été certifiés. Ce secret fut tellement respecté
que les ingénieurs et les pilotes qui ont poursuivi ces expériences étaient tous
ignorants des premiers vols.
Parallèlement à cette affaire, un petit article très intéressant paraît dans le
journal L’Ouest-Éclair le 11 août 1930 intitulé : « Le mauvais temps empêche
des essais d’avion sans pilote ». Dans cet article, il est mentionné que le ministre

(62) F. Honoré, op. cit., p. 245.


(63) Les premiers essais ont été effectués sur Bréguet XIX et sur Hanriot 431.
(64) Louis Bonte, op. cit., p. 48.
(65) Ibid., p. 48.

57
de l’Air, M. Laurent-Eynac, qui a visité, le 10 août, les centres aéronautiques de
Berre et d’Istres, devait assister dans la soirée à des essais de vol d’avion sans
pilote. À cause du mauvais temps, les expériences n’ont pas eu lieu. Il devait
repartir, mais il a préféré rester jusqu’au lendemain soir afin de voir l’appareil
évoluer à Marignane. Ces évolutions seront assurées par le pilote Duclos et
l’ingénieur Bernardy. Nous reparlons donc ici de M. Laurent-Eynac, ministre
de l’Air depuis 1928, et qui s’intéresse à ces expériences depuis 1918. C’est
probablement le personnage central de cette histoire et en tout cas c’est lui
que l’on retrouve dans les périodes les plus significatives.
En 1931, le Service technique de l’aéronautique est à nouveau épinglé par
les journalistes spécialisés. L’affaire concerne les essais menés par les Allemands
sur un hydravion volant sans pilote. En effet, à l’école de l’île de Sylt, face à la
mer du Nord, près de la frontière du Danemark, un hydravion, conduit par
télémécanique du rivage, a réussi à voler sans pilote à bord. Cette expérience
a été constatée par M. Hubert Bouchet, journaliste. L’auteur pose alors la
question suivante : « Qu’avons-nous à opposer à ces recherches ? Qu’avons-nous
fait, ou plutôt qu’ont fait nos services officiels dans cette voie ? » Il épingle alors le
Service technique de l’aéronautique en parlant d’une politique singulière menée
depuis la Grande Guerre. En 1931, il ajoute qu’éliminer Maurice Mazade,
l’ingénieur du pilotage automatique, par des procédés que l’on préfère ne
pas qualifier, c’est frustrer le pays du bénéfice de recherches qui intéressaient
directement la Défense nationale. L’auteur estime que c’est un acte qui appelle
des sanctions impitoyables. Il conclut son article en disant que la sécurité du
pays ne doit plus être à la merci d’un organisme qui ne rêve que de sa gloire et
qui paraît ne pas avoir compris que son rôle ne consistait point à se servir de
l’aviation, mais à la servir. Quelques semaines après, Georges Houard affirme
exactement la même chose.
La même année, le journal Les Ailes se pose les questions suivantes :
pourquoi le STAé se tourne-t-il vers l’Allemagne et en particulier vers le
stabilisateur Boykow pour équiper le Potez 25 ? Pourquoi, en ce qui concerne la
stabilisation, ce même service n’a-t-il pas fait confiance aux ingénieurs Mazade
et Constantin ? Nous étions en avance sur les Anglais et les Allemands, et parce
que le service concerné n’est pas arrivé à mettre au point le stabilisateur, il se
tourne vers l’étranger.
Le 4 août 1934, en première page du journal Le Matin, dans un article
intitulé « Une magnifique invention donne à l’aviation française une avance
décisive », il est surprenant de lire à nouveau que l’avion sans pilote va bientôt
être mis au point. Dans cet article, il est dit que l’aviation française qui s’était
laissé distancer, grâce à un effort remarquable d’intelligence et d’invention, a
reconquis le premier rang. En effet, quatre ingénieurs français, le commandant
d’Aiguillon, MM. Aveline, Bernardy et Grenier, ont non seulement mis au
point le dispositif complet de stabilisation automatique dans les trois plans
(tangage, roulis et direction), mais par une simple pression sur les différents
boutons d’un tableau le pilote pourra aussi provoquer toutes les évolutions de

58
son appareil. De plus, le décollage et l’atterrissage automatiques de l’appareil
sont maintenant réalisables.
Il est à noter que le commandant d’Aiguillon qui est cité ici avait dit dans
un communiqué dans le journal Ouest-Éclair du 21 août 1918 : « Lorsque l’avion
se dirigera seul, sans pilote ni passagers, à l’aide des ondes hertziennes, il sera
définitivement au point, et alors la poste aérienne sera assurée 365 jours sur 365.
Mais oui, l’avion sans pilote est à la veille de marcher : des expériences sont en
cours et bientôt, je crois, aboutiront à la solution parfaite du transport postal .»
L’auteur nous parle donc de pilotage automatique, c’est-à-dire d’un pilote
transformé en navigateur et en observateur qui, grâce à quelques boutons,
pourra se libérer des contraintes physiques et gagner en sécurité. Le mérite de
cette grande découverte, dont les expériences se sont échelonnées entre 1933 et
1934 sur le terrain d’aviation d’Istres devant les ingénieurs du Service technique
de l’aéronautique, en revient donc à quatre ingénieurs français ! Chose plus
étonnante, l’auteur de cet article nous révélait en 1918 très naturellement que
l’avion sans pilote, c’est-à-dire sans personne à bord, télécommandé à distance
par la TSF, allait prochainement voir le jour. Il rajoutait à cette époque que
nous pourrions, sans témérité, entrevoir cet avion sans pilote. Il insistait en
rappelant que le courrier pourrait ainsi être acheminé de Marseille, à Dakar et
même à Natal et que de tels avions de bombardement pourraient être utilisés
en escadrilles entièrement dirigées à distance par un avion-chef positionné
derrière les lignes. Et l’auteur de saluer la performance de la science et de la
technique françaises.
Ainsi, quelque quinze ans après les premiers résultats tout aussi prometteurs
que ceux listés dans cet article et complètement oubliés, la France reprend les
idées de 1917, effectue les mêmes essais et obtient les mêmes résultats qu’en
1923. Seuls les termes techniques changent, termes tels que celui de gyropilote,
déjà utilisé à partir de 1930.
Le 29 novembre 1943, en page 2, on peut lire une chose étonnante dans le
journal La Croix. En effet, dans l’article intitulé « L’avion automatique », il
est écrit qu’il serait intéressant de réaliser l’avion sans pilote ni mécanicien à
bord, avion automatique que l’on pourrait faire voler de nuit comme de jour,
par temps clair aussi bien qu’à travers les nuages. Cet appareil, quel que soit
son coût, serait plus facile à remplacer que les pilotes de valeur. Ces écrits sont
effectivement étonnants parce que cet avion que recherche désespérément le
journaliste existe depuis plus de 20 ans et les problèmes qu’il liste un peu plus
loin, à savoir, l’envol, le guidage et l’atterrissage, ne sont plus des problèmes
en 1923 mais de simples ajustements à apporter.
À la lecture de cette histoire, nous aurions tendance à affirmer que les
expérimentations sur l’avion sans pilote n’ont pas été poursuivies en France
parce que les idées sur les applications de cet aéronef n’étaient pas compatibles
avec les volontés du moment, parce que la peur de la mécanisation de la guerre
était trop forte pour que les populations civiles, qui venaient d’en voir les effets
sur les champs de bataille, ne soient pas effrayées par des engins téléguidés

59
déversant des tonnes de bombes sur les agglomérations. On aurait également
tendance à penser que les essais sur cet avion sans pilote ont été abandonnés
parce que les aviateurs ne le voulaient pas pour des raisons identitaires,
culturelles ou sociales. Le pilote doit rester un être exceptionnel, maîtrisant seul,
grâce à ses aptitudes, la mécanique. Il n’était donc pas question de laisser un
engin sans personne à bord, et pas question non plus de le reléguer au simple
rang de servant, c’est-à-dire, et nous reprenons ici les comparaisons utilisées
par les journalistes, d’un groom qui se contenterait d’appuyer sur un bouton
pour faire décoller l’aéronef, d’appuyer sur un autre bouton pour suivre une
direction indiquée et de presser un dernier bouton pour atterrir. Nous aurions
aussi tendance à reporter la faute sur le Service technique de l’aéronautique qui
aurait alors écarté ce projet pour des raisons simplement liées à l’incompétence
des personnels de ce service et à leur volonté de poursuivre seuls et dans le
secret le plus complet les essais réalisés par Max Boucher.
Toutefois, ces trois explications, si elles sont en partie recevables, ne sont
cependant pas suffisantes. En effet, si cette période d’après-guerre n’est pas
la meilleure pour mener des expérimentations sur ce type d’appareil, c’est
probablement aussi parce que les priorités budgétaires et militaires du moment
portent sur la reconstruction et sur la démobilisation et non sur la destruction
et l’investissement. De plus, il semble évident qu’il est difficile d’expliquer aux
pilotes professionnels, et en particulier aux pilotes de chasse et de bombardement
qui sortent de la Grande Guerre et qui ont été confrontés et ont surmonté
les difficultés du pilotage et de la conduite, qu’un avion, dans un conflit du
même type, peut assurer les mêmes missions sans l’intervention permanente de
l’homme. Ainsi, il n’est pas question que le monde de l’aéronautique militaire
accepte ces avancées technologiques. La seule voie potentielle reste donc
l’aviation commerciale, pour des raisons liées à la sécurité, mais concernant
uniquement le pilotage automatique, c’est-à-dire avec un pilote à bord. Les
derniers éléments explicatifs que l’on peut apporter concernent un problème
plus difficile à traiter : le rôle joué par le Service technique de l’aéronautique.
La presse de l’époque n’est pas tendre avec ce dernier, mais sa position n’est
pas non plus facile. En effet, les essais ont certes montré que cet avion était
fiable et viable, mais le rôle d’un tel service est aussi de prévoir ses applications
et son industrialisation à partir de longues séries d’expériences. De plus, avec
ce type d’aéronef nous touchons là au domaine de la défense et il est normal
que l’institution militaire travaille dans le secret et protège des applications
susceptibles d’intervenir de façon significative dans des visées d’ordre tactique
ou stratégique. En revanche, son rôle n’est pas de faire en sorte que des avancées
technologiques potentielles soient récupérées pour être enterrées.
Ainsi, s’il est certain que l’avion sans pilote de Max Boucher peut être
considéré comme le premier drone ayant réussi à voler sur de longues distances,
s’il est également vrai que cet engin était viable et pouvait être amélioré afin
d’être complètement opérationnel, il est en revanche probable que l’arrêt
des expérimentations est due à la réunion des trois facteurs que l’on vient de
présenter. Ces raisons peuvent se résumer en un mot : la crainte. Tout d’abord la

60
crainte de perdre un statut, un rôle, une position de la part des pilotes. Ensuite,
la crainte des applications potentielles de la part d’une société en paix. Enfin,
la crainte de perdre un positionnement institutionnel de la part des services
techniques officiels.

61
62
Les systèmes aériens opérés
à distance : vers un renouveau
des rapports homme/machine
dans l’art de la guerre ?
Christophe Pajon et capitaine Grégory Boutherin

Un outil, un instrument ou une machine sont considérés, souvent, non


comme extérieurs à la sphère humaine, mais du moins comme appartenant à
un univers obéissant à des règles spécifiques. Leur invention, leur production
comme leur utilisation seraient déterminées par des contraintes physiques, des
lois naturelles extérieures à la société. Reste, toutefois, qu’il n’en est pas moins
possible de souligner la dimension humaine et sociale de ces mêmes machines à
travers, par exemple, leur histoire, permettant par là de décrire leurs évolutions
technologiques (essais, échecs, réussites), ou leur impact sur les interactions
sociales. Ces approches humaines et sociales sont d’autant plus pertinentes
en ce qui concerne les drones que ces systèmes interviennent, essentiellement,
dans un registre d’interactions sociales bien particulier qu’est celui de la guerre.
Les systèmes aériens opérés à distance n’ont de cesse d’alimenter depuis
quelques années nombre d’écrits, dépassant largement les pages des seules
revues spécialisées dans les affaires militaires pour trouver place, de manière
régulière, dans la presse quotidienne généraliste, notamment américaine (66).
Cet intérêt marqué pour les drones tient évidemment à l’intensification de leur
emploi depuis une dizaine d’années. Cette tendance a pu être particulièrement
perceptible sur les théâtres afghan et irakien comme dans de nombreuses autres
zones, que ce soit à Gaza et dans le Sud-Liban, en Géorgie ou plus récemment
en Libye. De la même manière, dans un registre d’actions plus confidentiel,
bien que largement commenté, les drones jouent un rôle majeur dans la lutte
contre le terrorisme, ces plates-formes étant opérées à des fins d’acquisition de
renseignement, comme tel est par exemple le cas au Mali (67), ou, de manière
très spécifique, pour des opérations d’éliminations ciblées à l’image de celles
conduites par les services américains au Pakistan, au Yémen ou encore en
Somalie (68).

(66) Voir par exemple les articles que le New York Times consacre régulièrement aux drones : <http ://
topics.nytimes.com/top/reference/timestopics/subjects/u/unmanned_aerial_vehicles/index.html>
(67) Voir notamment Eric Schmitt, “US Weighs Base for Spy Drones in North Africa”, New York
Times, January 28, 2013.
(68) Pour ce qui est des frappes américaines conduites dans ce cadre au Pakistan, voir l’analyse
quantitative effectuée par la New American Foundation : <http ://counterterrorism.newamerica.net/
drones>. Voir également le discours de John Brennan, alors conseiller du président Obama pour la
sécurité intérieure et le contre-terrorisme, justifiant l’emploi des drones armés dans la lutte contre le
terrorisme : Remarks of John O. Brennan, “The Ethics and Efficacy of the President’s Counterterro-
rism Strategy”, Woodrow Wilson International Center, Washington DC, April 30, 2012.

63
Ce dont il faut finalement bien avoir conscience, c’est que plus un conflit
ne se déroule, ni même ne se déroulera à l’avenir, sans que des drones ne soient
opérés.
Cette centralité des systèmes de drone tend ainsi à valider l’idée selon
laquelle ils sont des phénomènes techniques pouvant, alors, être considérés
« comme d’étranges entremêlements de choses, de relations sociales et de pensées :
les objets (…) agissent sur la matière et, simultanément, produisent du sens
et sont constitutifs du lien social, sans qu’aucun de ces aspects soit isolable ou
domine l’autre » (69). Postulant ce déterminisme réciproque du social et de l’objet
technologique, l’analyse sociale des drones passe ainsi par une tentative de mise
en évidence de ce double lien. Autrement dit les drones et leurs usages sont tout
autant déterminés par l’organisation, les valeurs, la dimension culturelle, etc.
que ces derniers ont une influence sur des manières de faire, de comprendre et
d’interagir au sein de l’univers social. En l’occurrence, dès lors que la guerre
est perçue comme un phénomène social, les systèmes opérés à distance sont à
la fois le fruit d’une représentation de la guerre et influencent la manière dont
celle-ci est conduite.
L’exposé de ces entrelacements sociotechniques se trouve alors à un
croisement disciplinaire. En effet, les sciences sociales appliquées au monde de
la Défense n’ont pas manqué, depuis longtemps, de considérer la technologie (70)
comme une, voire la, variable indépendante de l’analyse des affaires militaires.
Qu’il s’agisse de l’évolution de la guerre, des liens entre art de la guerre et
structure sociale ou encore de la transformation du métier des armes (formation,
professionnalisation, organisation), la technique, les inventions ou innovations
apparaissent comme des facteurs explicatifs parfois jugés primordiaux. Ces
derniers fourniraient même pour partie à certains les clés de compréhension des
équilibres/déséquilibres du système international, de sa dynamique ou enfin des
ressorts, de la rationalité des acteurs internationaux (71). Le développement (et
le « succès ») du concept de Révolution dans les affaires militaires (RMA) et la
littérature qui lui est associée illustrent ce type d’analyse, voire une tendance à
l’hypertrophie du facteur technologique, qui viendrait surdéterminer la conduite
de la guerre oubliant les dimensions humaines et sociales.

(69) Pierre Lemonnier, « Et pourtant ça vole ! L’ethnologie des techniques et les objets industriels »,
Ethnologie française, nouvelle série, 1996, t. 26, no 1, p. 22
(70) Proche de son étymologie, la technologie serait le discours/l’étude sur la science et les tech-
niques. Conscient du caractère polysémique du terme technologique (et de ses relations avec « tech-
nique »), la technologie désignera ici « les phénomènes considérés comme modernes, sophistiqués,
industriels, des systèmes complexes nécessitant ouvriers et machines, pétris de considérations scien-
tifiques et économiques, construits de connaissances formalisées et de savoirs objectifs » : Nathan
Schlanger, « Une technologie engagée. Marcel Mauss et l’étude des techniques dans les sciences
sociales », in Nathan Schlanger (dir.), Marcel Mauss. Techniques, technologie et civilisation, Paris,
PUF, 2012, p.  21. Voir aussi avec profit Joseph Henrotin, La technologie militaire en question. Le
cas américain, Paris, Economica, coll. « Stratégies et doctrines », 2008, ainsi que, du même auteur, la
livraison d’octobre/décembre 2012 d’Histoire & Stratégie (no 12) intitulé Mars et Vulcain. Technolo-
gie et art de la guerre.
(71) On pense évidemment aux approches réalistes et à l’évaluation de la puissance militaire, ou
encore certaines déclinaisons du dilemme de sécurité.

64
Ces approches nombreuses ne peuvent cependant servir que partiellement
pour répondre au projet d’analyse de ce double lien qui unit technique et
social. En effet, elles prennent essentiellement en considération l’impact d’une
ou de plusieurs technologies sur la sphère sociale, faisant peu de cas du rôle
du contexte social/culturel sur l’émergence, la production et l’emploi (ou la
désuétude) d’une technique ou d’une technologie. À l’extrême, certains discours
technophiles donneront ainsi l’impression d’une évidence au développement
d’une innovation selon une rhétorique circulaire mêlant capacités techniques
et fonction – “on l’a créé parce que le progrès l’a permis à ce moment-là, et
on l’a employé pour cela parce que la technologie était disponible”. C’est cette
fausse évidence qu’a cherché à remettre en cause il y a maintenant dix ans le
général Jumper, alors chef d’état-major de l’US Air Force, lorsqu’il soulignait
au sujet des drones qu’il « ne faut pas acheter quelque chose seulement pour la
nouveauté que représente l’absence d’une personne dans l’aéronef ». Poursuivant,
il expliquait que « la chose qui fait d’un Predator un véritable avantage comparatif
pour nous, est le fait que le système reste en vol durant 24 heures. Il est persistant.
Il est endurant. Il fait des choses qu’une personne ne pourrait pas faire dans un
avion (…). Et nous devons examiner cela avec attention et prudence afin de ne
pas aller chercher quelque chose qui ne favorisera pas l’accomplissement de la
mission et dont l’attractivité réside uniquement dans la nouveauté que représente
l’absence de personnel embarqué. » (72)
Cet « avantage comparatif » lié à la persistance en vol a aujourd’hui conduit
la plupart des forces armées à s’engager dans un processus d’acquisition et/ou
de développement de drones. On recense actuellement une cinquantaine d’États
mettant en œuvre ces systèmes, toutes catégories confondues, et l’augmentation
du nombre de nantis apparaît comme une tendance appelée à durer. D’après
les prévisions du Teal Group, le marché des drones devrait rester « le secteur
le plus dynamique de l’aéronautique militaire d’ici à 2018 » (73). Cela étant, il
faut tout de même avoir conscience qu’un tel dynamisme tient pour partie à
l’intérêt que les forces armées américaines accordent depuis plusieurs années
à ces systèmes (74). Dès lors que l’on s’intéresse à leur prolifération verticale,
autrement dit à l’augmentation du nombre des capacités dans les inventaires
des États dotés, on observe très nettement que les États-Unis sont largement
leader du domaine. Quelques chiffres assez illustratifs en témoignent. De 163
en 2003, le nombre de drones du département américain de la Défense (DoD)
est passé à 7 454 en janvier 2012 (pour 10 767 aéronefs habités) (75). Là encore
la tendance n’est pas appelée à s’essouffler puisqu’il est prévu que les drones

(72) Général John P. Jumper, Remarks at the Air Force Association Air Warfare Symposium, Orlando
(Flo.), 13 février 2003.
(73) Steven J. Zaloga, David Rockwell, Philip Finnegan, World Unmanned Aerial Vehicle Systems
Market Profile and Forecast, 2009 Edition, Teal Group Corporation, 2009, 364 p.
(74) Steven J. Zaloga, David Rockwell, Philip Finnegan, World Unmanned Aerial Vehicle Systems
Market Profile and Forecast, 2011 Edition, Teal Group Corporation, 2011. Sur la prolifération des
systèmes de drones, nous renvoyons à la prospective de forces faite dans ce même ouvrage par Joseph
Henrotin : « De la prolifération des systèmes de drones. L’exemple des drones MALE et des UCAV ».
(75) Voir Jeremiah Gertler, US Unmanned Aerial Systems, Congressional Research Service, 3 janvier
2012, p. 7.

65
MALE et HALE du DoD connaissent une augmentation de 45 % sur la période
2013/2022 et que le nombre de Global Hawk, Predator et autres Reaper effectue
un bond de 445 à 645 unités (76).
Outre l’indéniable apport opérationnel que procurent les drones, de surcroît
dans le schéma conflictuel bien particulier de la décennie écoulée, leur nombre
important dans les inventaires américains peut aussi apparaître comme le produit
d’une culture guerrière. Il apparaît dès lors bien nécessaire de réinscrire l’objet
technologique dans l’univers culturel qui le détermine. L’objet porte en effet
une partie de la vision du monde et des valeurs partagées au sein d’une société.
C’est ce que soulignait John C. Fuller affirmant dans son célèbre Armament and
History (77) que la guerre se transforme avec les progrès et les croyances à mesure
que ces derniers se concrétisent dans l’idée centrale de chaque cycle culturel.
Toutefois, ce dernier affirmait aussi qu’alors que les limites de la guerre
trouvaient leur origine dans la religion au Moyen Âge, fait culturel central,
ces dernières résideraient seulement dans la science. Or, la création d’un outil,
d’une technique, d’un usage n’est pas seulement le produit d’une capacité/
connaissance technique/scientifique et des contraintes physiques à une époque
ou dans un contexte donné. Il est aussi le résultat de processus sociaux,
politiques, de luttes d’influences, de corporatisme, du dépassement de verrous
« sociaux ». Enfin, il révèle, tant dans son invention que dans son usage, une
certaine structure sociale et politique (division du travail, activités valorisées
et valorisantes, rapport à l’Autre). L’adoption de certaines grilles de lecture
développées par la sociologie des sciences, l’ethnologie des techniques et la
technologie culturelle semble alors particulièrement pertinente en ce qu’elles
réintroduisent cette dimension du lien entre monde physique et monde social
que, par exemple, John C. Fuller refusait à l’époque moderne.
En s’inspirant de ces approches, l’analyse des liens (sans espoir d’exhaustivité)
qui unissent les systèmes aériens opérés à distance et le monde social peut alors
être décomposée en trois points, représentant des questions clés de ces analyses
sociales de la technologie, à savoir, d’une part, la dialectique efficacité/utilité à
l’origine du développement et du succès des drones, d’autre part, des impacts
réciproques homme/machine qu’implique la mise en œuvre de ces systèmes
et, enfin, les relations entre évolutions technologiques et nature de la guerre.

La diaLectique efficacité/utiLité à L’origine de L’émergence et


du succès des drones

Allant bien au-delà de l’effet de mode, le « boom » (78) que connaissent


les drones depuis plusieurs années s’expliquerait par une forme d’unanimité

(76) Department of Defense, Annual Aviation Inventory and Funding Plan. Fiscal Years 2013-2042,
March 2012, p.  6 ; accessible à l’adresse suivante  : <media.bloomberg.com/bb/avfile/rCLGl-
9FIO910>
(77) John C. Fuller, Armament and History : The influence of armament on history from the dawn of
Classical warfare to the end of the Second World War, London, C. Scribner’s Sons, 1945.
(78) John A. Tirpak, « The RPA Boom », Air Force Magazine, August 2010, vol. 93, n° 8, pp. 36-42.

66
sur les avantages et les apports opérationnels qu’ils offrent. Ils découleraient
essentiellement de deux principales caractéristiques de ces systèmes comme
l’explique notamment le Strategic Concept of Employment for Unmanned
Aircraft Systems in NATO : une très grande persistance en vol, ouvrant plus
largement sur la maîtrise des temps, et l’absence de personnels embarqués,
permettant d’opérer ces systèmes dans des environnements dangereux sans
exposer de vies humaines.
Ces objets technologiques verraient donc expliquer leur existence, leur
développement et leur succès au terme d’une double évaluation visant leur
efficacité et leur utilité. D’une part, ils sont efficaces car capables de produire
les effets attendus – la permanence, la protection. D’autre part, ils sont utiles
par leur contribution et leur plus-value relative dans le cadre de la réalisation
d’une activité humaine. Distinguer les deux dimensions peut sembler artificielle,
mais elle est une première étape dans la remise en cause de la frontière qui est
parfois créée entre les sphères technique et sociale.
En effet, une technique, une machine peuvent conserver toute leur efficacité
mais ne plus avoir aucune « utilité ». « L’arbalète, le moulin à eau, la locomotive
à vapeur, la moissonneuse-lieuse, etc., n’ont rien perdu de leur efficacité, mais ils
n’ont plus d’utilité – sauf à titre d’attractions historico-touristiques » (79). Ces
objets produisent toujours l’effet attendu, mais parce qu’ils ont été remplacés,
dépassés ou devenus obsolètes par l’abandon de l’activité humaine, ils sont
inutiles (Île de Pâques). Inversement, ce n’est pas parce qu’une technique, un
objet ne produit pas d’effet physique mesurable qu’il est inutile. Ainsi, les outils
nécessaires à la simulation dans le cadre de la formation des pilotes ne sont pas
efficaces au sens matériel du terme. Ils ont pourtant une utilité « sociale », en
ce qu’ils réduisent les coûts de formation ou encore les risques d’accident. On
voit alors apparaître l’ordre social dans l’évaluation des effets attendus. En effet
comme le souligne Marcel Mauss dans sa définition classique, une technique
est aussi « sentie par l’auteur comme un acte d’ordre mécanique, physique ou
physico-chimique, et poursuivie dans ce but » (80). Le système de valeurs et de
croyances d’un individu peut rendre utile et efficace aux yeux de celui-ci une
technique qui relèvera dans un autre contexte du rite, de la superstition ou de
la magie. Ainsi, certains chercheurs rapportent le cas d’un ancien pilote de la
Royal Air Force qui appliquait à son Jumbo Jet la visite de prévol qu’il avait
utilisé toute sa vie pour des avions de chasse, alors qu’il n’était plus envisageable
de secouer de la main la dérive parce qu’inaccessible depuis le sol, et que par
ailleurs cette tâche ne relevait plus de sa compétence. L’action sans efficacité
matérielle pouvait être alors qualifiée de rituel (81).

(79) François Sigaut, « La formule de Mauss », Techniques & Culture [En ligne], 40, 2003, consulté
le 15 juin 2012 ; <http ://tc.revues.org/1538>
(80) Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1950,
pp. 371-372.
(81) Caroline Humphreys, James Laidlaaw, The Archetypal Actions of Ritual  : A Theory of Ritual
illustrated by the Jain Rite of Worship, Oxford, Oxford University Press, 1994.

67
Les conditions du succès des systèmes de drones, entre technique et social,
peuvent être alors considérées comme le produit d’un dialogue utilité et efficacité,
voire entre efficacité matérielle et efficacité sociale.

permanence et réactivité : L’expression de L’utiLité des drones


L’utilité des systèmes de drones MALE et HALE a pu se voir questionner
parfois. Quels seraient leur apport et donc leur utilité dans le cadre de missions
jusqu’alors confiées à des aéronefs habités ? Comme on l’a vu précédemment,
l’utilité d’une technique ou d’un objet est largement tributaire de l’activité
humaine considérée. L’objet est alors un médiateur entre l’homme et la Nature,
la technique évoluant sous l’effet d’une volonté croissante d’amélioration.
L’utilité des drones se mesure donc à la plus-value apportée dans la maîtrise de
la nature à laquelle se confronte l’Homme, ici, celle de la guerre. Or, si la fin est
la victoire, l’imposition de sa volonté à l’adversaire, le gain tactique apporté par
les drones est évidemment d’importance, en particulier dans des engagements
contre des acteurs non étatiques dont l’une des caractéristiques premières est
la fugacité dont ils font preuve. Utiles dans l’activité guerrière, leur usage se
justifie alors par une double efficacité matérielle, évaluable matériellement : le
dépassement des limites humaines et le gain de temps (82).
Tout d’abord, ce dont les drones sont capables est sans comparaison avec
ce que peuvent réaliser des aéronefs habités : les premiers pourront voler vingt-
quatre heures là où les seconds devront « se ravitailler toutes les 90 minutes environ
avec, au bout du compte, une mission de cinq ou six heures au maximum » (83).
Ils sont efficaces en ce qu’ils permettent de dépasser (effet attendus) les limites
physiques (questions de fatigue, d’attention ou les problématiques physiologiques)
des équipages des appareils habités. La permanence en vol dont ils sont capables,
autrement dit par leur capacité à réaliser des vols de très longue durée, est le
premier des effets recherchés. En permettant finalement d’observer dans la durée,
les drones contribuent à élargir les caractéristiques de la puissance aérienne.
Si celle-ci pouvait se résumer par sa capacité à aller plus haut, plus vite et plus
loin, elle est ainsi aujourd’hui en mesure d’agir plus longtemps.
Cette capacité d’action dans le temps long permet donc l’acquisition d’une
connaissance de la situation opérationnelle, de jour comme de nuit et en temps
réel. Là est la première raison d’être de ces systèmes qui ont été initialement
conçus pour des missions ISR. Le fait de voler dans la durée, de maîtriser le
temps long, leur permet d’acquérir sur le long terme une connaissance de la
situation tactique au sol, de voir ses évolutions, et de la transmettre aux différents
acteurs, qu’il s’agisse d’autres aéronefs, des troupes au sol ou des échelons
de commandement. La permanence dont sont capables les drones offre ainsi
une vision commune de la situation. On mesure dès lors bien l’importance de

(82) Sur cette question du rapport au temps dans les opérations aériennes, voir notamment Grégory
Boutherin, Christophe Pajon, « L’ère du temps. Puissance aérienne et quatrième dimension : éléments
d’une chronostratégie », Stratégique, « Stratégie aérienne III », 2013.
(83) Frédéric Lert, « Afghanistan : drones et avions de combat au coude à coude », Défense & sécurité
internationale, hors série no 6, juin-juillet 2009, p. 69.

68
cette évolution dans la conduite des opérations. Là où l’information pouvait
auparavant être discontinue, les systèmes de drones offrent un flux continu
en temps réel. À terme, cette permanence en vol se verra d’ailleurs renforcée
dès lors que les plates-formes opérées à distance pourront être ravitaillées en
vol (84). L’action étant continue et la connaissance commune, on mesure donc
bien en quoi les drones ont permis de « démocratiser l’information sur le champ
de bataille » (85).
Enfin, si l’occupation aérienne – autrement dit la maîtrise du temps long –
apparaît comme essentielle à des fins d’ISR, il importe également de relever que
c’est elle qui ouvre un autre registre de temporalité : celui du temps court. On
aborde alors l’autre dimension de l’efficacité matérielle des systèmes de drones.
Outre les avantages qu’elle offre en termes de surveillance, la permanence
permet en effet tout également la réactivité. Celle-ci est de plusieurs ordres.
On observe d’ailleurs une nette évolution depuis le début des années 2000. En
effet, alors qu’auparavant, notamment durant la guerre du Kosovo, les vidéos
réalisées par les drones étaient transmises aux échelons de commandement
qui redistribuaient l’information aux aéronefs en vol, les drones peuvent
dorénavant directement communiquer avec d’autres plates-formes en vol. On
voit ainsi poindre de nouveaux modes de coopération permettant d’accroître
la réactivité. Ainsi, par exemple, pendant l’opération Enduring Freedom, des
AC-130 Gunship et des F/A-18 Hornet ont pu coopérer en tandem avec des
RQ-1 Predator, ces derniers illuminant des cibles au profit des premiers (86). De
la même manière, « [l] e couple “hélicoptère-drone” aurait été mis en œuvre dès
2004 par Tsahal afin d’identifier et de traiter rapidement des objectifs palestiniens.
Plus récemment, lors des opérations au Liban en 2006, des drones Searcher II
et Hermes 450 auraient transmis des données en temps réel sur des cibles à des
hélicoptères Apache et des avions de combat F-15 et F-16 » (87).
S’il existe des modes de coopération entre acteur humain et non humain
pour reprendre la terminologie de Bruno Latour, la principale évolution tient
à la mise en œuvre de ce que l’on qualifie de « permanence armée », expression
ultime de la réactivité. Au nom de l’efficacité matérielle, en l’occurrence temporelle
(temps long et court), l’Homme a été extrait de l’habitacle. Dans une activité
humaine dominée par la compétition, ce type d’efficacité répond pleinement
aux contraintes physiques de la guerre, tout ce qui permettrait d’aller plus
vite que l’adversaire étant « utile ». Le temps est au cœur des engagements.
Ainsi avec John Boyd, « [l] a maîtrise du temps devient la clé et, à ce stade, si un

(84) Des essais ont d’ores et déjà été effectués en ce sens par les États-Unis en janvier 2012 avec des
démonstrateurs d’UCAV X-47B de Northrop Grumman.
(85) Michael Hastings, “The Rise of the Killer Drones : How America Goes to War in Secret”, Roll-
ing Stone, April 16, 2012.
(86) Elisabeth Bone, Christopher Bolckom, Unmanned Aerial Vehicles : Background and Issues for
Congress, Congressional Research Service, 25 April 2003, p. 23
(87) Bertrand Slaski, « Les drones et la puissance aérienne future : l’exemple américain et ses consé-
quences », in Grégory Boutherin, Camille Grand, Envol vers 2025. Réflexions prospectives sur la
puissance aérospatiale, Paris, La Documentation française, coll. «  Stratégie aérospatiale  », 2011,
pp. 188-189. Voir également Bertrand Slaski, « Systèmes de drones et coalitions. Interopérabilité ou
intégration ? », Défense et sécurité internationale – Technologies, janvier/février 2009, no 15.

69
protagoniste des opérations cherche à accélérer le tempo, la meilleure stratégie
pour s’en défendre serait d’agir dans un temps immobile et de lui dénier par là
même toute maîtrise temporelle. Or, c’est là l’une des critiques adressées aux
forces occidentales, soit la recherche d’une action dans le temps court, là où un
adversaire irrégulier recherchera une action dans le temps long » (88). En d’autres
termes, si l’action peut nécessiter d’être conduite dans le temps court, reste
qu’au niveau stratégique, il n’en est pas moins essentiel d’appréhender le temps
dans sa globalité, dans ses différents registres, et donc de penser le temps long
de l’action tactique, opératique et stratégique.
Dès lors, attribuer aux drones la capacité d’emporter et de délivrer de
l’armement ne représente qu’une extension de leur efficacité, soit un accroissement
de la maîtrise du temps. C’est là une donnée essentielle pour comprendre le rang
aujourd’hui tenu par ces systèmes d’armes, que ce soit dans les inventaires des
forces ou sur les théâtres d’opérations modernes. Les drones armés permettent
autrement dit de compresser le temps, et en particulier le temps d’action. Ils
contribuent plus encore à contracter la boucle OODA et le cycle d’engagement
F2T2EA. De fait, en alliant permanence et réactivité, ils apparaissent comme
un élément de réponse à la fugacité des cibles particulièrement essentielles pour
conduire des frappes d’opportunité. Il en découle de fait une nouvelle manière
de conduire les opérations puisque l’on entre clairement dans le registre des
frappes non planifiées, dans le Time Critical Targeting.
À cette étape de la réflexion, l’articulation de l’efficacité matérielle des
drones et de leur utilité du point de vue de la réalisation de certaines activités
humaines semble correspondre à une logique circulaire harmonieuse. Cependant,
l’utilité des systèmes de drones ne se limite à leur efficacité matérielle, non sans
soulever certaines interrogations.

L’efficacité sociaLe des drones : des effets physiques maîtrisés


L’évolution récente des conditions de la conduite de la guerre (la fugacité de
l’ennemi et sa nature non étatique) a été présentée comme permettant d’évaluer
l’utilité et l’efficacité matérielle des drones. Leur efficacité – effet physique –
apportant un avantage décisif – temporel – dans une relation antagonique, en
particulier dans certains conflits contemporains. Cependant, l’évolution des
caractéristiques des adversaires n’est pas la seule touchant l’exercice de l’activité
guerrière. La judiciarisation et la médiatisation des conflits contraignent l’action
militaire au point de pouvoir transformer une victoire militaire en défaite
politique. L’impact des images, l’accusation d’un dommage collatéral, ou encore
le film d’un attentat peuvent agir sur les opinions publiques internationales ou
des territoires où se déroulent les opérations militaires. Or, le soutien populaire
est devenu un enjeu stratégique. Ainsi, l’utilité des systèmes d’armes, et donc
des drones, ne peut ne plus se résumer à leurs seuls effets physiques. L’efficacité

(88) Joseph Henrotin, « La puissance aérienne. Histoire, concepts, opérations », Histoire & stratégie,
septembre/octobre 2010, no 2, p. 51.

70
sociale, les effets sociaux, représentent une part non négligeable de son utilité
potentielle.
L’utilité d’un système d’armes est alors fonction de la capacité qu’il offre à
maîtriser les effets physiques et, donc, à produire l’effet attendu. Si l’utilisation
des systèmes de drones offre une plus grande connaissance de la situation au
sol et de ses évolutions, ces derniers présentent alors, de fait, un intérêt certain
en termes de maîtrise des effets ainsi qu’a pu le mettre en exergue le Concept
d’emploi des systèmes de drones aériens en relevant, à propos des drones armés,
que « la qualité des capteurs associés à une durée d’observation relativement longue
procure aux opérateurs une bonne capacité de discrimination qui permet à la fois
d’assurer une “permanence armée” et d’engager, si besoin, des cibles dans de
bonnes conditions de précision et de discrimination de nature à améliorer à la fois
l’efficacité de la frappe et de diminuer le risque de dommages collatéraux » (89). La
formule de John Warden selon laquelle « the key to Air Power is targeting and
the key to targeting is Intelligence » prend ici tout son sens. Évidemment, cette
efficacité sociale est conditionnée par une couverture de zone continue. Mais
pour véritablement bénéficier des avantages que procurent les drones, il faut
alors bénéficier de plates-formes en nombre suffisant. À défaut de disposer de
cette ressource quantitative, « la “couverture ISR” serait trouée » (90).
Ensuite, par leur capacité à participer à une connaissance situationnelle
(situation awareness) du champ de bataille, les systèmes de drones fournissent
aussi une forme d’assurance dans la qualité de la prise de décision. En effet,
comme le souligne le Strategic Concept de l’OTAN, les missions ISR « sont
et continuent d’être la mission première ». Ils sont, par exemple, en mesure de
surveiller des zones dans la durée, d’observer des comportements et de renseigner
en temps réel aussi bien les échelons de commandement que les forces au sol.
Leur apport est essentiel à la reconnaissance d’itinéraires, dans le cadre de la
lutte contre les engins explosifs artisanaux ou lors des missions d’observation
des modes de vie (Patterns of life, POL). Dans un engagement de nature contre-
insurrectionnelle, cette capacité d’observation dans la durée est fondamentale
pour mieux connaître les interactions sociales, les comportements, les modes
et habitudes de vie. C’est au regard des avantages qu’offre cette permanence
en vol que certaines administrations ont été amenées à s’intéresser aux drones,
comme le Department for Homeland Security qui les utilise pour la surveillance
de la frontière entre les États-Unis et le Canada ou le Mexique. Le Secrétaire
général adjoint des Nations Unies aux opérations de maintien de la paix, Hervé
Ladsous, a également indiqué au cours de son intervention lors de l’ouverture
de la session de fond 2012 du Comité spécial des opérations de maintien de la
paix que le département chargé de ces opérations « examinait actuellement la
possibilité d’utiliser des drones téléguidés qui permettraient de cartographier les

(89) CICDE, Emploi des systèmes de drones aériens, CIA-3.3.12_ESDA (2012), no  136/DEF/
CICDE/NP du 6 juin 2012, p. 45.
(90) Philippe Langloit, « Drones MALE, la course est lancée », Défense & sécurité internationale,
hors série no 18, juin/juillet 2011, p. 92. Sur cette question, voir Christophe Fontaine, « La France
a besoin d’orbites permanentes de surveillance de drones », Défense & sécurité internationale, mai
2012, no 81, pp. 98-100.

71
mouvements de milices armées qui menacent les populations civiles » (91). D’autres
emplois civils consistent encore à les utiliser pour surveiller des installations
électriques, à des fins de prévisions météorologiques ou pour évaluer des
dommages suite à une catastrophe naturelle.
Enfin, la deuxième caractéristique des systèmes de drones, soit l’absence
de personnels embarqués, participe de cette efficacité sociale. En extrayant
l’homme du champ de bataille, les opérateurs seront en effet potentiellement
moins soumis au stress. Ils pourront par ailleurs bénéficier des conseils d’un
officier renseignement ou d’un conseiller juridique (LEGAD) et décider de
manière éclairée. Mais est-ce bien là la seule efficacité attaché au retrait de
l’homme du champ de bataille ?

L’éLoignement de L’homme : tendance, effet attendu et utiLité ?


Comme précédemment souligné, une technique, un objet peut posséder une
utilité d’un point de vue social sans effet physique, ou scientifiquement attesté.
À l’inverse, un effet physique non attendu peut-il participer de l’utilité d’un
objet aux yeux des individus qui le mettent en œuvre ? Ce paradoxe correspond
en partie à la place de la préservation des opérateurs servant ces systèmes
opérés à distance dans la construction de leur efficacité. Cette question de
l’éloignement de l’homme du champ de bataille peut être alors analysée sous
deux perspectives : celle de l’évolution des armements et celle de l’ambiguïté
de la qualification d’efficacité sociale au regard des fins de l’action militaire.
Tout d’abord, la distanciation qui caractérise les systèmes de drones peut
être conçue comme s’intégrant dans un processus ayant débuté avec l’histoire
des armements. Avec les drones, il s’agirait d’une nouvelle étape puisque le
combattant n’est non seulement plus dans la zone de risque mais peut même
être hors du théâtre. On a sans cesse cherché à accroître la portée des armes et
par là même à éloigner les combattants du danger sans nuire à leur capacité
de frappe.
Bien qu’on ait souligné plus haut la distance prise avec certaines approches
de John C. Fuller, il est possible d’établir des passerelles entre ses conceptions
évolutionnistes et le concept de tendance de l’anthropologue d’André Leroi-
Gourhan. Ainsi pour le premier, qui classe les armes en deux groupes selon le
critère de la distance, la portée est la plus importante des qualités d’une arme.
« L’arme qui a la plus grande portée ou le plus grand rayon d’action doit être à la
base des combinaisons tactiques (…). Elle n’est pas forcément la plus puissante,
la plus précise, celle qui assène le plus de coups ou la plus facile à transporter :
c’est l’arme qui ayant la plus grande portée peut entrer la première en action et
servir de couverture aux autres armes qui peuvent alors agir selon leurs qualités ou
limitations respectives. D’ailleurs plus sa précision, l’intensité de son feu, sa facilité
de transport et son pouvoir destructif seront grands, plus cette arme dominera le

(91) Assemblée générale des Nations unies, « Le Comité spécial des opérations de maintien de la paix
ouvre sa session de fond 2012 », doc. AG/PK/209, 21 février 2012.

72
combat .» (92) L’extraction de l’homme du théâtre d’opérations ne serait donc
qu’une conséquence de l’application des progrès scientifiques et techniques
à cette recherche d’accroissement de la portée. C’est ce que tend à mettre en
évidence l’examen de ce processus à la lumière des travaux de Leroi-Gouhran.
Naturalisant l’objet, sa notion de tendance technique et de déterminisme
technique laisse à penser d’abord que les objets évoluent selon un processus
quasi biologique. Toutefois, « la tendance n’est pas une puissance souterraine
qui pousse les techniques à se transformer, indépendamment des choix humains ;
elle est un concept classificatoire, logique, elle fournit un critère logique pour la
mise en ordre des documents. Dans le cas des objets tranchants, ce critère est la
coordination opératoire entre la structure du geste et celle de la matière. Plus le
geste outillé parvient à coordonner ses opérations en adéquation avec les propriétés
du matériau, et plus l’outil sera dit évolué. Leroi-Gourhan parle de déterminisme
technique en ce sens. L’outil est la réponse à un problème précis qui n’admet qu’un
nombre limité de solutions. » (93) Le développement et l’émergence des drones
ne seraient à ce sens que l’adaptation des outils aux propriétés constantes des
conflits.
La recherche de l’efficacité technique, utile en ce qu’elle sert une supériorité
sur l’adversaire, peut alors induire la préservation du potentiel humain. Cette
conception renvoie à la compétition classique du glaive et du bouclier. L’un
des effets physiques des drones, soit la mise à distance des combattants, peut
cependant revêtir un aspect ambigu sous l’angle social. En effet, d’une part, il
semble faire écho à l’idéologie, dénuée de sens, de la « guerre zéro mort », visant
à attribuer à la puissance technologique une forme d’invulnérabilité. Les drones
répondraient alors à la volonté des populations de n’avoir à subir que peu de
pertes dans les rangs de leurs armées. Cette efficacité sociale des drones rendrait
en partie leur liberté aux décideurs politiques dans le choix de l’engagement
militaire. Cependant, par le déséquilibre que les drones introduisent en mettant
« hors de portée » une partie des individus prenant part à l’affrontement, ils
peuvent voir se réduire les avantages tirés de l’efficacité sociale évoqués plus
haut. En effet, les adversaires, comme les opinions publiques peuvent percevoir
– on est alors dans le registre des représentations – cette situation comme la
rupture d’une forme de réciprocité dans l’action guerrière. Finalement, cet effet
potentiel sur les opinions peut rentrer en contradiction avec certains aspects
de l’efficacité sociale des drones.
Ce paradoxe peut se voir renforcer si on introduit une notion souvent
étroitement liée au retrait de l’homme et présente – bien qu’à tort – dans de
nombreux discours consacrés aux drones : celle de robot. Cette dernière suscite
nombre de débats, que certaines des contributions de cet ouvrage restituent.
Cette question, et l’attribution de cette qualité aux drones relèvent tout
autant du registre technique – de l’analyse de l’automatisation de certaines
séquences d’activité à la définition de l’autonomie – du registre social (normes

(92) John C. Fuller, op. cit.


(93) Xavier Guchet, « Évolution technique et objectivité technique chez Leroi-Gourhan et Simon-
don », Revue Appareil [En ligne], 2008, no 2, p. 5.

73
juridiques et morales) que de celui de la spéculation. En effet, il n’existe pas à
l’heure actuelle de drone-robot. Cependant, la question de l’automatisation,
de la nature « d’automate » des drones dont certains effets techniques ont été
explicités (l’accélération du temps) apparaît pertinente dans l’examen de leur
insertion dans les liens sociaux et la conduite de la guerre.

L’homme et Le drone : vers une redéfinition des Liens sociaux ?


L’analyse des drones comme objet technologique a permis d’expliciter une
partie des liens qui existent entre le monde social et le monde technique auquel
appartiendraient par « nature » les drones. Cet entremêlement ne se résume
toutefois pas à la dialectique efficacité technique/efficacité sociale. En effet,
l’insertion des drones dans la conduite de la guerre, et donc dans certaines des
interactions qui constituent ce phénomène social, peut ou pourra conduire à une
recomposition des liens sociaux et de leur organisation. Cette recomposition
peut être examinée à différentes échelles – politico-stratégiques, opératives
ou tactiques – ou différentes dimensions (opérationnelles, professionnelles,
culturelles). Le rôle des drones dans cette redéfinition des liens sociaux peut
être éclairé par la mobilisation, d’une part, de la théorie de l’acteur-réseau et,
d’autre part, par le concept de chaîne opératoire.
En considérant le social comme le produit des interactions d’acteurs
hétérogènes (humains et non humains), certains sociologues des sciences
décrivent le monde comme une chaîne de traductions – chaque acteur
individuel ou collectif transmettant/traduisant un message. La succession et
la multiplication des échanges et opérations de traduction feront émerger un
acteur-réseau. L’insertion des drones, soit un nouveau « personnage » dans
cet acteur-réseau que constituent ou bien les forces armées, ou bien l’outil de
défense d’un pays ou encore un théâtre d’opérations, peut modifier l’équilibre
de ce dernier. En effet, une partie des messages, des différentes traductions
ou des actions qui étaient déléguées auparavant à des hommes (on pense par
exemple à la reconnaissance aérienne) le sont aux drones. Ceci peut induire
une modification du dialogue, du langage voire de la confiance attribuée à la
qualité de la traduction. Les travaux en ergonomie ou en psychologie cognitive
sur les interfaces et le développement d’un langage commun aux drones, à leurs
opérateurs ou à leurs utilisateurs tentent de répondre à ces défis de traduction.
D’une manière plus générale, l’organisation du réseau d’interactions peut se voir
également bouleverser. La distribution élargie des informations recueillies que
permettent les drones modifie par exemple l’ensemble des relations de pouvoir
construite autour de la ressource de pouvoir que représente la connaissance.
Cette notion de chaîne peut également servir à décrire de quelle manière
les drones, ces objets, peuvent perturber/réorganiser l’activité militaire,
analysée de manière détaillée. En adaptant le concept de chaîne opératoire,
soit « une séquence de gestes techniques qui transforment une matière première en

74
matière utilisable » (94), la réalisation des missions et opérations dans lesquelles
interviennent les systèmes de drones peuvent être déconstruites en une succession
de tâches. De fait, il est alors possible de mettre en avant l’évolution des savoir-
faire, l’apparition des nouvelles compétences, de nouvelles coordinations et
l’éventuelle remise en cause d’une division/spécialisation du travail induites
par l’immixtion des drones dans les chaînes opératoires.
Ces grilles de lecture successives ont offert l’opportunité de brosser un
premier tableau, certes impressionniste, des changements éventuellement produits
sur les relations sociales par l’usage intensif des drones. Il est impossible d’en
faire l’analyse complète ici. En utilisant de manière complémentaire les deux
approches évoquées, deux dimensions, celles de la prise de décision et de la
culture professionnelle, seront examinées.

L’insertion des drones dans La prise de décision : nouveL acteur,


nouveLLes interactions et informations

L’examen de l’efficacité des drones pris en tant qu’objet technologique a


démontré que celle-ci était en partie fondée sur l’accélération et l’accroissement
des flux informationnels. Les traits de ces échanges, volume et rapidité, générés
par les drones, représentent autant d’interactions au sens de la théorie de
l’acteur-réseau. Ces caractéristiques génèrent des transformations à la fois
dans l’organisation et la prise de décision. Le traitement et l’analyse de ces
volumes informationnels appelleraient donc à un renforcement des capacités
humaines et une réflexion sur les méthodes de leur gestion. Ces enjeux de
l’introduction des drones dans le réseau d’interactions rejoignent alors celui
plus large de l’introduction des NTIC dans la conduite de la guerre. Outre les
principes d’extraction et de capitalisation des connaissances, l’adaptation du
management des connaissances dans les doctrines de la guerre réseau centrée
a pu conduire à poser les principes de partage et d’horizontalité des échanges
au sein d’organisations marquées par le principe hiérarchique. Les drones
peuvent être pensés comme participant à ce processus.
En effet, ces nouveaux acteurs de l’acteur-réseau opérationnel par leurs
effets physiques (sur le temps et, plus précisément, sur la mise à disposition/
partage de manière quasi instantanée de l’information, comme l’éloignement des
hommes du champ de bataille) ont un impact sur l’organisation et le processus
de production de la décision. Les transformations semblent alors doubles et
dans une certaine mesure contradictoires, du point de vue politico-militaire

(94) Alban Bensa, « À propos de la technologie culturelle. Entretien avec Robert Creswell », Genèses,
24, septembre 1996, p. 127.

75
et organisationnel, et aboutissent soit à un contrôle accru du politique sur le
militaire, soit à une forme de décentralisation (95).
Dans un premier temps, si l’allonge, la « portée » des systèmes de drones
permet directement d’éloigner leurs opérateurs, elle offre également aux échelons
de commandement, notamment opératifs et stratégiques, la possibilité, la
capacité de suivre directement, en temps réel, la situation tactique. Les images
du président Barack Obama et des principaux membres de la hiérarchie militaire
et politique, réunis à la Maison blanche et assistant en direct à la mission des
Navy SEALs qui a conduit à la mort d’Oussama Ben Laden à Abbottabad
en mai 2011, sont particulièrement illustratives de cette évolution. Certes,
les responsables américains n’étaient alors que spectateurs. Cela étant, les
systèmes de drones peuvent permettre un dialogue direct, instantané, entre le
« terrain » et des instances de commandement éloignées à la fois physiquement et
hiérarchiquement et peuvent dès lors conduire à un affaissement de la pyramide
hiérarchique. Si cette transformation de l’organisation de la prise de décision
peut avoir des avantages certains, elle peut tout également entraîner une tendance
à l’immixtion croissante du politique ou des échelons hiérarchiques les plus
élevés dans la conduite directe des opérations. Les risques de désegmentation
des niveaux tactique, opératif, stratégique et politique peuvent conduire au
micromanagement comme le met en évidence Peter W. Singer, en opposant à
la notion de « caporal stratégique » celle du « général tactique ». Le danger est
alors double. D’une part, la passerelle qu’établissent les systèmes de drones, en
particulier armés, suppose en effet des transmissions de messages qui peuvent
ne pas être traduits de la même manière selon les échelons. Ces différences
d’échelles peuvent conduire à des compréhensions divergentes d’une même
situation. L’accès à l’information (en l’occurrence aux messages « portés » par les
drones) n’implique pas la capacité de les coder/décoder de manière appropriée,
c’est-à-dire de les transformer en connaissances et en actions de manière juste.
D’autre part, et intimement liées au précédent point, les rationalités, ou plus
schématiquement les motifs d’action dans les différentes sphères de décision,
peuvent être différentes. Il en suit que leurs confrontations dans le cadre de
la mise en œuvre des systèmes de drones (en particulier armés) peuvent être à
l’origine de débats, de négociations entre les acteurs. Les opérations conduites
dans les Balkans sont ainsi révélatrices des difficultés que peut engendrer
l’intervention du politique dans la désignation des cibles.
Par ailleurs, dans un second temps, les systèmes de drones, par la maîtrise
des temps qu’ils offrent, induisent une contraction de la boucle décisionnelle,

(95) Les relations entre le pouvoir politique et le pouvoir militaire sont classiquement présentées dans
la littérature de sciences politiques ou de sociologie militaire sous la forme d’une lutte/compétition.
Alors que le principe de la domination du civil sur le militaire est devenu un axiome des régimes dé-
mocratiques, le débat a glissé sur celui de la coopération, mais surtout du degré d’autonomie accordé
aux militaires. De manière particulièrement manichéenne, Samuel Huntington distinguait ainsi dans
les années 50 le contrôle objectif (autonomie du militaire dans la réalisation de ses missions au nom du
professionnalisme et de l’efficacité militaire) et le contrôle subjectif (« corsetage » du militaire par une
présence du politique à tous les échelons afin de parer à toutes dérives prétoriennes) : Samuel P. Hun-
tington, The Soldier and the State. The Theory and Politics of Civil-military Relations, Cambridge
(Mass.), Harvard University Press, 1957.

76
et favorisent incidemment une forme de décentralisation/déconcentration. Ils
répondent ainsi aux besoins d’adapter la réponse (et sa production) des forces
armées aux nouvelles caractéristiques de l’adversaire. En France, de manière
doctrinale, ce processus se voit justifier tant dans le Concept exploratoire des
opérations en réseaux que dans le Concept des opérations contre un adversaire
irrégulier. Ce dernier explicite ainsi que « [l] es maîtres mots de l’organisation du
commandement sont la déconcentration afin de disposer de forces plus réactives ».
Plus loin, le document du CICDE précise que « [l] a contraction des délais
décisionnels pour saisir ces créneaux d’opportunité nécessite un bon niveau de
délégation de l’échelon stratégique à l’échelon opérationnel, un rapprochement
d’exercice des responsabilités des niveaux opératifs et tactiques, et ponctuellement
de privilégier une compression de ces deux niveaux hiérarchiques » (96).
Comme on vient de tenter de le démontrer, l’arrivée ou l’émergence de ce
nouvel acteur que sont les systèmes de drones induit une recomposition des
interactions au sein de l’univers social que représente la conduite de la guerre.
En tant que nouvel acteur, il en crée évidemment à partir de son existence
même. Mais il en permet aussi de nouvelles entre des acteurs plus anciens.
C’est ainsi ce que révèle la question de ses effets ambivalents sur l’organisation
(qui n’est elle-même qu’une formalisation d’interactions préétablies) et sur la
prise de décision, entre autonomisation des acteurs de terrain et potentielle
accentuation du contrôle du politique sur l’activité militaire. On appréhende
mieux, on l’espère, que plus que des outils serviles, séparés du monde social,
ces objets technologiques génèrent des réorganisations des interactions sociales
par les effets physiques qu’ils produisent et les logiques qu’ils portent (on pense
en particulier aux logiques de partage, de distribution et de collaboration).
Enfin, les interactions constitutives de l’espace social auquel correspond le
champ de bataille contemporain ne se limitent aucunement à celles entretenues
par les acteurs militaires (humains ou non humains). D’autres acteurs
(population, opinion publique, médias, organisations non gouvernementales
ou intergouvernementales) y interagissent. Or, l’information, la communication
voire les perceptions de ces dernières jouent aujourd’hui un rôle important
dans l’évaluation du résultat d’une intervention militaire. Logiquement, à
travers leurs deux caractéristiques – la mise en distance des opérateurs et le
recueil/transmission en instantanée d’informations), les systèmes de drones
peuvent également participer à influencer, intervenir dans les relations (de
nature coopérative ou conflictuelle) entretenues avec ces acteurs. Leur efficacité
ambigüe à l’égard de l’opinion publique (à la fois permettant de discriminer les
adversaires des populations civiles, mais pouvant rompre une forme d’équilibre
entre les combattants) a déjà été évoquée. Par ailleurs, leur capacité à capter
de manière permanente (en continu) une action militaire pourrait transformer
cet acteur non humain en témoin en cas de mise en cause devant le tribunal
médiatique ou une instance judiciaire internationale.

(96) État-major des armées, CICDE, Concept des opérations contre un adversaire irrégulier, PIA
00.180, no 131/DEF/CICDE/NP du 22 mai 2008, p. 14.

77
Élever les systèmes de drones au statut d’acteurs peut apparaître comme
excessif. Il s’agit là de l’adaptation, certes sommaire, des principes sous-tendant
la théorie de l’acteur-réseau, et en particulier ceux de la sociologie symétrique.
S’ils sont controversés et peuvent être sujets à critique, l’angle qu’ils amènent
à adopter s’avère particulièrement heuristique. En effet, le social considéré
comme la somme et la succession d’interactions humain/non humain permet
de dépasser un déterminisme matérialiste, enfermant l’objet dans sa sphère
technique.

de L’outiL au métier… Les drones et La cuLture


professionneLLe

Une activité humaine, un acte de création, un poste ou une fonction peuvent


être analysés, « découpés » en une succession de tâches précises. De l’artisanat
aux chaînes de montage, anthropologues, ethnologues et sociologues tendent
alors à souligner les liens entretenus entre organisation/division du travail et
structure sociale voire politique. L’invention d’un nouvel outil, d’une machine
ou d’une nouvelle technique d’organisation du travail pourra induire une
modification des processus de production. Le développement du machinisme et la
taylorisation illustrent ce phénomène. Des métiers, des savoir-faire disparaîtront,
de nouvelles fonctions, nomenclatures, formations ou compétences apparaîtront,
de nouvelles hiérarchies professionnelles se feront jour.
Frisant le truisme, il est possible d’illustrer ce phénomène en affirmant
que la création des armées de l’air fut en partie déterminée technologiquement
par l’apparition et le perfectionnement de l’aéronautique militaire. De la
division fonctionnelle, par milieux et autour d’un système d’armes, naîtront
une culture, une identité, des spécialités et des formations. Plus proche de nous,
cette question de la définition d’une culture professionnelle spécifique liée à
une mission particulière, un système d’armes et des compétences associées,
est apparue avec la polyvalence du Rafale (97). Cette caractéristique du dernier
avion de chasse français remettrait en cause la distinction professionnelle entre
les pilotes réalisant des missions de combat aérien et ceux chargés des attaques
au sol. Mettant en œuvre jusqu’alors des avions distincts, ayant développé des
méthodes de travail et un rapport au temps distinct, ces pilotes, « les bleus »
et « les verts », se verraient confrontés à un brouillage de ces distinctions sous
l’effet de l’innovation technologique que représente la polyvalence du Rafale.
Sans grand risque, il est possible d’affirmer que l’introduction et le
développement de la flotte des drones devraient donc induire, outre la création
d’unités, d’escadrons de drones déjà existants, le développement de manières de
travailler, de manières de se coordonner, de gestes particuliers qui susciteront
à leur tour la naissance d’une culture professionnelle propre aux opérateurs
de drones. Par ailleurs, l’apparition de ce nouvel objet peut/pourra susciter
(97) Caroline Moricot, Gérard Dubey, « Pilote de chasse : tradition et modernité à l’épreuve de la
polyvalence des avions », in François Gresle (dir.), Sociologie du milieu militaire, Paris, L’Harmattan,
2005, pp 137-153 ; Caroline Moricot, Gérard Dubey, La polyvalence du Rafale ou l’objet total : la
relation entre une technologie nouvelle et ses utilisateurs, Les Documents du C2SD, 2006, no 81.

78
enthousiasme ou crainte selon qu’il est perçu comme remettant en cause les
ressources de pouvoir/prestige de certains groupes professionnels. La définition
des compétences associées à la mise en œuvre de ces systèmes, la formation ou
encore l’origine du recrutement (98) représentent dès lors non seulement des enjeux
opérationnels mais aussi sociaux. Enfin, la possible naissance d’un collectif
professionnel attaché aux drones viendra s’insérer dans le complexe réseau des
relations professionnelles, faites de rivalités cordiales et de hiérarchies implicites.
Au-delà de l’émergence de nouveaux métiers, spécialités ou forme de
coopération, l’extension de l’emploi des drones et leur nature automatisée (et
non autonome) peut renforcer chez certains professionnels le sentiment de
confiscation de leur emploi et une remise en cause de leurs compétences par la
« machine ». Dès sa conception, l’imposition ou la création de l’outil, dans le
cas des systèmes complexes et modernes, par des ingénieurs et des scientifiques,
peut donner l’impression aux praticiens de l’imposition de modèles, de choix
extérieurs à leur pratique. Ceci conduit à rappeler que l’adoption d’une solution
technique n’a pas pour seule origine un « verrou technique », soit le dépassement
d’une contrainte physique, mais est aussi le résultat d’échanges, de négociations
entre différents groupes humains (scientifiques, ingénieurs, décideurs politiques
ou militaires) (99). Par ailleurs, comme dans d’autres secteurs d’activités, la
délégation à des machines d’activités auparavant dévolues à des hommes peut
susciter alors des « verrous » sociaux, des résistances au changement. Ceci a
déjà pu être observé dans le milieu aéronautique lors de l’intensification des
automatismes dans la conduite des avions (100). Le pilote automatique dans
le cockpit a pu impliquer la disparition de certains membres d’équipage ou
encore un sentiment d’incertitude chez des pilotes qui voyaient remettre en
cause leur « sens de l’air ». C’est donc dans une certaine mesure leur confiance
dans les instruments ou les programmes conçus par des ingénieurs qui pouvait
être à la source de ces résistances. Elles ont été surmontées par les pilotes par
leur appropriation de ces nouveaux cockpits et surtout le développement de
nouvelles connaissances et pratiques. Celles-ci étaient liées à la connaissance
des limites et erreurs des systèmes automatisés, de la maîtrise des « vraies-
fausses pannes », etc. L’organisation des séquences automatisées du vol des
drones, le moment et la nature des interventions humaines, la planification,
la connaissance d’éventuels délais dans la prise en considération du système
de modification du plan de vol, etc., suscitent autant de gestes, de pratiques
attestant déjà d’une appropriation par les acteurs de ces systèmes automatisés.
S’il y a verrou social, celui-ci semble d’abord à découvrir au sein de la
population dans une sorte de peur souterraine alimentée par une culture

(98) Pierre Barbaroux, Grégory Boutherin, Cyril Camachon, Christophe Pajon, « Y-a-t-il un pilote
dans le drone ? Une approche en termes de compétences des opérateurs », Défense & sécurité interna-
tionale, décembre 2009, no 54, pp. 35-39.
(99) William Genieys, Le choix des armes. Théories, acteurs et politiques, Paris, CNRS Editions,
2004.
(100) Caroline Moricot, Des avions et des hommes. Socio-anthropologie des pilotes de ligne face à
l’automatisation des avions, Septentrion, 1999 ; Victor Scardigli, Marina Maestrutti, Jean-François
Poltorak, Comment naissent les avions. Ethnographie des pilotes d’essai, Paris, L’Harmattan, 2000.

79
populaire faite de littérature et de cinéma de science-fiction. Il ne s’agit pas
ici de remettre en cause la légitimité de cette représentation d’un point de
vue spéculatif ou moral, et surtout les questionnements, entre cauchemar et
émerveillement, dont on trouve les premières expressions dans la mythologie
grecque (101). Cependant, au regard des systèmes de drones actuels, le drone
autonome reste un projet et peut-être une tendance, mais non une réalité.

Les drones et La nature de La guerre


Les développements précédents ont tenté de démontrer l’intérêt qu’il y avait
à remettre en cause la représentation très répandue d’une frontière entre monde
physique et monde social, entre nature et culture. L’approche symétrique a pu
même nous conduire à considérer de manière indifférenciée acteurs humains
et acteur non humains. Évolution technologique, bouleversement social et
des métiers, les systèmes de drones apparaissent dans tous les cas toujours
potentiellement produits ou sources d’évolution, d’adaptation ou d’ajustements.
Reste alors un dernier point en suspens et retenant particulièrement l’attention
dans le cadre de cette analyse.
En effet, la place grandissante des drones dans les inventaires, l’intensification
de leur emploi sur les théâtres d’opérations, en particulier pour des missions de
frappe, et le fait qu’il s’agisse d’aéronefs « inhabités » sont autant d’éléments qui
ont conduit certains observateurs et commentateurs à percevoir les systèmes
aériens opérés à distance comme étant à l’origine d’une révolution dans la
conduite de la guerre. Le fait que les États-Unis forment depuis quelques
années plus d’opérateurs de drones que de pilotes de chasse pourrait renforcer
cette impression. Et c’est là sans parler des systèmes terrestres. Peter W. Singer
considère ainsi que ce qu’il est convenu d’appeler la « robotisation du champ
de bataille » apparaît comme « la plus profonde transformation de la guerre
depuis l’avènement de la bombe atomique » (102). De la même manière, il n’est
pas exceptionnel – dans un registre moins spécialisé, en particulier dans la
presse généraliste – que des écrits présentent les drones comme révolutionnant
la guerre (103). Mais qu’en est-il vraiment au-delà de la sémantique et du titre
de presse « accrocheur » ? La question qui se pose dès lors est de savoir si la
somme de toutes ou partie des évolutions permises par les drones modifie ou
non la nature de la guerre.
La réaffirmation aux systèmes de drones de la formule de Robert Cresswell
selon laquelle l’outil est un médiateur entre culture et nature peut fournir des
(101) Alexandre Marcinkowski et Jérôme Wilgaux, « Automates et créatures artificielles d’Héphaïs-
tos : entre science et fiction », Techniques & Culture [En ligne], 2004, 43-44 ; <http  ://tc.revues.
org/1164>
(102) Peter Singer, “War of the Machines”, Scientific American, July 2010, vol. 303, n° 1, p. 56.
(103) Voir, parmi d’autres exemples, James Dao, Andrew C. Revkin, “A Revolution in Warfare”, New
York Times, April 16, 2002 ; Nick Robertson, “How robot drone revolutionized the face of warfare”,
July 27, 2009, www.cnn.com/world ; “Attack of the Drone”, The Economist, Technology Quarterly,
Q3, September 5th, 2009; Charles Levinson, “Israeli Robots Remake Battlefield”, Wall Street Journal,
January 13, 2010, Nathalie Guibert, « Avec les robots guerriers, la guerre va changer de visage », Le
Monde, 13 et 14 novembre 2011, p. 2.

80
pistes à la construction de la réponse à cette interrogation. En effet, selon cette
conception, la nature renvoie à un univers physique, des contraintes, des lois
extérieures à l’homme et auquel ce dernier doit se soumettre. L’amélioration,
l’évolution technologique pourra être à l’origine de la transformation du geste
humain, des chaînes opératoires ou encore d’une organisation sociale, mais ne
transformera pas les caractéristiques de la matière. En d’autres termes, le passage
de la hache de pierre à la tronçonneuse n’a pas modifié les caractéristiques du
bois. L’application du même raisonnement aux systèmes de drones conduit
donc à s’interroger finalement sur le statut de la guerre, naturelle ou culturelle.
Le débat alors ouvert est évidemment ambitieux et quasiment philosophique
car renvoyant à l’essence de l’homme. Pourtant la réponse à cette interrogation
permettrait de répondre à celle de l’impact des drones sur la guerre. En effet,
si la guerre est nature, l’innovation technologique ne la transformera pas. Si
elle est culture, pétrie de social, il y a à nouveau possiblement des relations
d’influences croisées.
La réponse se doit évidemment d’être plus nuancée. L’affirmation du
caractère social de la guerre, en se rangeant modestement du coté d’un
Raymond Aron (104) ou d’un Gaston Bouthoul (105), ne conduit pas en effet pas
à souscrire à la qualification de « rupture » ou de « révolution » que signifierait
l’emploi des drones. En effet, si ces derniers peuvent et pourront induire des
modifications (on les a partiellement évoquées) dans les activités humaines,
dans la « manière de faire la guerre » ou encore dans les relations entretenues
par les parties antagonistes, ils ne viennent pas remettre en cause l’ontologie
de la guerre, faite de compétition et de fins particulières.

La guerre : une activité sociaLe (presque) comme Les autres


De très nombreuses analyses du phénomène « guerre » considèrent, en
adoptant une profondeur historique, que celui-ci est marqué par des successions
de transformations. Il serait maladroit de vouloir qualifier les sources de ces
évolutions d’endogènes ou d’exogènes, la guerre étant un élément du social et
participant de dynamiques sociales. À une échelle macrosociale, il est possible
de voir la guerre et l’organisation des moyens de la conduire à la fois comme
condition et produit de l’apparition de l’État moderne. La monopolisation de
la violence par ce dernier aurait conduit à la disparition des guerres privées.
Au côté de son « étatisation », la guerre aurait subi les effets directs et associés
de l’industrialisation à l’origine de nouvelles organisations sociales. La mise
en évidence de ces liens entre structures socio-politiques, socio-économiques et
formes de guerre renforce non seulement l’affirmation de la nature sociale de la

(104) La guerre « paraît au premier abord ne pas être proprement un phénomène social, ou, si je puis
dire, il a ce caractère unique, parmi les objets dont s’occupe la sociologie, d’être simultanément social
et asocial. Il est socialité puisqu’il y a une certaine relation sociale entre ceux qui se combattent, mais
simultanément il est négation de la socialité puisque eux qui s’opposent affirment du même coup leur
inimitié et la rupture du lien social » : Raymond Aron, « Une sociologie des relations internationales »,
Revue française de sociologie, 1963, 4-3. p. 308.
(105) « Il y a peu de phénomènes sociaux qui soient aussi répandus que la guerre » : Gaston Bouthoul,
Traité de polémologie. Sociologie des guerres, Paris, Bibliothèque scientifique Payot, 1991, p. 25.

81
guerre (s’agissant d’interactions conflictuelles entre groupes d’individus) mais
conduit aussi à induire le principe de l’existence de modifications de la guerre, en
l’occurrence sous l’effet de transformations sociales (106). L’organisation du pouvoir,
de la répartition des ressources ou encore des valeurs/croyances dominantes à
une période donnée « expliquent » ces évolutions. À titre d’illustration, on peut
citer la construction par Michael Howard proposant une suite d’évolutions de
la guerre, depuis la guerre des chevaliers, à celle des mercenaires, des marchands,
des professionnels puis des technologues (107).
Reprise pour l’histoire de l’armement, J.-C. Fuller, déjà cité, pose l’existence
de cycles culturels dont le fait dominant central (la religion, la technologie,
etc.) déterminerait la forme de guerre. Plus « radical », l’incontournable John
Keegan construit pour sa part son histoire de la guerre autour d’éléments
physiques jouant de manière successive un rôle décisif (la pierre, la chair, le
fer, le feu) (108). Plus récemment, Martin Van Creveld identifie quatre « âges »
s’ouvrant par des ruptures technologiques : celui des outils, celui des machines,
celui des systèmes et enfin celui de l’automatisation (109). On voir alors poindre
une perspective technologiste selon laquelle la guerre serait déterminée par les
caractéristiques des techniques, outils, machines utilisés. L’histoire de la guerre
et ses transformations seraient alors celle des innovations.
Ce rapide tableau doit servir à poser plusieurs conclusions qui éclaireront
l’hypothèse selon laquelle les systèmes de drones pourraient introduire une
modification de la guerre. Tout d’abord, la problématique centrale de la
réflexion conduite jusqu’à présent, soit l’existence d’une relation d’influences
croisées entre social et technique (ou technologie), se voit renforcer. Ensuite,
et incidemment, le développement, l’emploi et le succès des systèmes de drones
sont aussi les produits des transformations de la guerre. Dans une certaine
mesure, les systèmes de drones portent les modifications, les valeurs, les idées
dominantes de la société dans lesquelles les conflits auxquels ils participent se
développent. Enfin, ces machines, en tant qu’outils, influent sur les manières
de faire, comme on l’a vu, et donc peut-être sur le sens associé à l’activité
guerrière ou militaire.
Tout d’abord, comme toute une littérature sur les affaires militaires a
tenté de le démontrer, la guerre ou les formes de conflictualité connaîtraient
des transformations qui se seraient accélérées depuis la fin de l’affrontement
Est-Ouest. Certaines d’entre elles ont déjà été citées. Elles sont liées à un
accroissement de la normativité qui pèse sur les acteurs. Outre la criminalisation
universelle de la guerre à travers l’institution onusienne, l’activité militaire se
verrait de plus en plus soumise à une évaluation de ses résultats à la lumière de
son adéquation à des impératifs juridiques, moraux et médiatiques. À travers

(106) Jean Joanna, Les armées contemporaines, Paris, Les Presses de Sciences-Po, 2012, p. 21 et ss.
(107) Michael Howard, War in European History, Oxford, Oxford University Press, 2009.
(108) John Keegan, Histoire de la guerre. Du néolithique à la guerre du Golfe, Paris, Editions
Dagorno, 1996.
(109) Martin van Creveld, Technology and War. From 2000 B.C. to the Present, New York, The Free
Press, 1989.

82
leur efficacité sociale (maîtrise des effets, discrimination), les systèmes de drones
incarnent, « incorporent » ou servent les évolutions axiologiques de la guerre.
Porteurs d’un complexe de valeurs, ils traduisent également un rapport en
mutation des individus à la mort, et en particulier à celle des militaires, même
« volontaires », qu’il semble possible aujourd’hui d’interroger dans les sociétés
occidentales. Ils seraient même possible de se demander dans quelle mesure les
drones ne traduiraient pas et ne diffuseraient pas dans l’espace conflictuel une
tendance sociale à l’individualisme. La capacité de discrimination, de choisir
avec précision la cible et le moment de l’ouverture du feu afin de réduire les
risques de dommages collatéraux, semble en effet bien distincte d’une conception
totalisante du conflit, qui intégrait la société dans son ensemble dans la guerre.
Les drones portent des valeurs, permettent des comportements appropriés à une
forme d’idéologie, sans pour autant en être la source. À nouveau, c’est ce que
souligne une partie de la notion d’efficacité sociale et/ou d’utilité précédemment
examinée, la pertinence des drones est partiellement liée à certaines évolutions
de la guerre plus qu’ils n’en sont à l’origine.
Une fois remis en cause l’ordre du lien de causalité système de drones/
guerre, il est possible de se demander, en approfondissant, si les systèmes de
drones, ou plus précisément, les discours sur la « révolution » qu’induiraient ces
derniers ne sont pas symptomatiques d’un autre complexe de valeurs. En effet,
si le fait culturel dominant dans les sociétés contemporaines est bien, comme
le propose Fuller, la science, ou plus précisément la modernité, on comprend
bien de quelle manière les systèmes de drones peuvent apparaître à certains
(on pense notamment aux technologues ou encore aux défenseurs de la thèse
de la révolution dans les affaires militaires) comme initiant un bouleversement
majeur. Ce déterminisme technologique, cette idée de rupture que porteraient
les drones révèlent alors une forme d’idéologie visant à subordonner le social
et l’humain au technique, ou en adoptant à une rhétorique qui rappelle celle
d’un XIXe siècle industriel et triomphant, à une forme de « marche inexorable
du progrès technique ». De manière paradoxale, cette pensée empreinte de
modernité est contradictoire avec la pensée positiviste de certains des premiers
penseurs du social pour lesquels la guerre est incompatible avec les sociétés
industrielles. Par ailleurs, cette conception, l’intériorisation de cette quête
sans fin d’une forme de modernité attestée par les ruptures technologiques,
peut induire un cercle vicieux. Ainsi selon Mary Kaldor, « non seulement les
forces armées américaines ont perdu leur capacité à définir les caractéristiques
des matériels dont elles ont besoin, mais elles se voient imposer le rythme de
leur renouvellement, défini uniquement en fonction des intérêts des structures de
recherche et de développements » (110).
Est-ce alors à dire que les systèmes de drones n’ont aucune influence sur
la guerre ? Les développements précédents ont au contraire souligné qu’ils
entraînaient des modifications dans les interactions qui faisaient le tissu
social de l’activité militaire. Nouvelles manières de travailler, changements

(110) Mary Kaldor, The Baroque Arsenal, New York (N.Y.), Hill and Wang, 1981, p. 12, cité in Jean
Joanna, op. cit., p. 174.

83
organisationnels, nouvelles natures des échanges, accélération du temps, les
systèmes de drones induisent bien des changements. Mais il s’agit encore de
déterminer le périmètre de ces changements. S’il apparaît alors difficile de nier
l’impact de l’introduction des systèmes de drones sur l’activité militaire, les
manières de faire la guerre, de la conduire, il est semble beaucoup plus difficile
de leur attribuer une rupture paradigmatique pour reprendre la formule de
Thomas Kuhn (111).

Les drones : des outiLs révoLutionnaires dans une guerre à La


nature immuabLe

La guerre est de manière intrinsèque dans un constant processus dynamique :


les cadres culturels dans lesquels elle se développe changent, les outils qui la
servent aussi, les acteurs militaires transforment leurs pratiques, s’adaptent les
uns aux autres. Dans cet espace en perpétuelle évolution, parler de rupture ou
encore de révolutions semble ambitieux. Même lorsqu’on considère seulement
le déterminant culturel, son influence semble s’inscrire sur plusieurs millénaires,
loin des ruptures et de la succession des innovations. C’est en tout cas ce que
laisse entendre Victor Davis Hanson et son Modèle occidental de la guerre.
La manière d’appréhender « ce que doit être une guerre » est encore marquée
selon lui par le modèle antique de la guerre des hoplites (préférence pour le
choc frontal, unicité de la bataille, concentration des forces, désir de tuer son
adversaire, domination de l’infanterie et du corps à corps). « Les Américains,
en dépit de leur tradition révolutionnaire d’attaques surprises et d’embuscades
opérées par un rassemblement disparates de broussards guérilleros, sont les
plus récents prisonniers de cet héritage antique. Les forces armées américaines,
dans les dernières guerres, ont sacrifié la mobilité, la manœuvre, la grâce si l’on
veut, sur le champ de bataille pour avoir en échange l’occasion d’un assaut pur
et simple, direct, d’une attaque frontale, contre le gros des forces de l’ennemi et
la possibilité de le terrasser ; le tout dans l’espoir d’une victoire décisive sur le
champ de bataille » (112).
Si la manière de la pratiquer peut être marquée par des évolutions (portées et
induites par des outils, des machines, des usages), la guerre dans son essence, en
tant que fait social, semble plus imperméable à une révolution. Il n’est pourtant
pas rare, comme le souligne David J. Lonsdale, que des travaux académiques et
des analyses défendent l’idée selon laquelle un certain nombre de facteurs, soient-
ils technologiques, politiques ou socio-économiques, impactent directement la
nature de la guerre au point de la transformer (113). Or en adoptant une grille de

(111) Thomas. S.  Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion (Champs),
1983.
(112) Victor Davis Hanson, Le modèle occidental de la guerre, Paris, Tallandier, coll. Texto, 2007,
p. 35.
(113) David J. Lonsdale, The Nature of War in the Information Age, London/New York, Frank Case,
2004, p.  19. L’auteur illustre son propos en faisant notamment référence aux travaux de François
Heisbourg (The Future of Warfare, London, Phoenix, 1997), de John Arquilla et David Ronfeldt sur la
cyberguerre ou encore de Robert R. Leonhard (The Principles of War in the Information Age, Novato,
CA, Presidio Press, 1998).

84
lecture clausewitzienne, la guerre, si elle est « toujours changeante » dans son
caractère, reste « immuable » dans sa nature (114). Elle est et demeure « un acte de
violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté » (115).
La nature de la guerre est donc intrinsèquement liée à la dimension politique
de ses fins (116), ce sur quoi, ni le milieu, ni les moyens employés n’influent.
Ce point de vue aujourd’hui largement accepté a été repris dans bon nombre
de documents doctrinaux, dont, par exemple, dans le Fleet Marine Force Manual
1 intitulé Warfighting. Ce document définit ainsi la nature de la guerre de
manière très clausewitzienne expliquant qu’il s’agit d’« un affrontement violent
entre deux volontés hostiles, indépendantes et inconciliables, chacune essayant de
s’imposer à l’autre ». Il en arrive à la même conclusion, selon laquelle « la nature
fondamentale de la guerre est constante », quand bien même « les moyens et les
méthodes que nous employons évoluent constamment » (117). On retrouve cette
conception sous la plume du général Paul van Riper, ancien président de la
Marine Corps University, selon lequel « la nature fondamentale de la guerre n’a
pas changé, ne changera pas et, dans les faits, ne peut pas changer ». Il indique
alors que ce qui change, ce sont le caractère et la forme de la guerre et non sa
nature, « la technologie étant ce qui influence ce caractère et cette forme » (118).
Philip S. Meilinger voit dans cette conception une croyance (belief)
profondément ancrée dans le corps des Marines, voire un « penchant
institutionnel » dans la culture des Marines (119). Cette qualification de « croyance »
ou de « penchant institutionnel » rejoint certains développements précédents
sur la dimension culturelle de la guerre. Cependant, souscrire à cette hypothèse
reviendrait à contredire le principe de l’existence d’une nature de la guerre. En
réalité, il n’en est rien. Admettre le caractère immuable de la guerre (et donc sa
nature) ne doit pas forcément conduire à mobiliser un pessimisme philosophique
et/ou encore des thèses psycho-biologiques. En renversant le raisonnement,
et en s’inspirant de Georg Simmel, la guerre peut être considérée, à l’échelle
collective, comme le versant conflictuel de toute interaction sociale. Elle n’est
alors pas seulement une construction abstraite de l’esprit humain, mais une

(114) Colin S. Gray, La guerre au XXIe siècle. Un nouveau siècle de feu et de sang, Paris, Economica,
2005, pp. 14-15. De la même manière, Lonsdale distingue la « nature » de la guerre de son « caractère »
qui, selon ses termes, “is a constantly changing phenomen ” : David J. Lonsdale, op. cit., p. 19.
(115) Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Perrin, coll. Tempus, 2006, p. 37. Clausewitz explique
ainsi que la violence est « le moyen qui nous permet d’imposer notre volonté à l’ennemi, ce qui est
notre fin » (p. 38).
(116) Ainsi, pour Colin Gray, « [l] a guerre est la menace de la violence organisée ou l’emploi de
celle-ci à des fins politiques ; c’est cela sa nature » : Colin S. Gray, La guerre au XXIe siècle…, op.
cit., p. 12.
(117) Department of the Navy, Headquaters United States Marine Corps, Warfighting, FMFM-1,
March 1989, p. 13.
(118) Interview du lieutenant général Paul van Riper, “The Immuable Nature of War”, NOVA, 17
December 2003, <http ://www.pbs.org/wgbh/nova/military/immuable-nature-war.html>
(119) Philip S. Meilinger, “The Mutable Nature of War”, Air and Space Power Journal, Winter 2010,
vol. XXIV, no 4, p. 26.

85
composante incontournable de la nature sociale de l’Homme, elle est « une
donnée permanente de la condition humaine » (120).
La guerre n’a pas changé de nature avec l’apparition des armes à feu qui
augmentaient la portée létale et mettaient les servants hors de portée du feu
adverse. Elle n’a pas plus changé avec l’artillerie ou avec l’aviation. En quoi les
drones seraient-ils alors aujourd’hui porteurs de changements dans la nature
de la guerre ? Certes, ils ont un impact sur la manière de conduire la guerre,
sur ses « fondamentaux », autrement dit sur « ces éléments qui sont l’essence
même de la guerre à travers le temps et l’espace » (121). À titre de comparaison,
d’autres technologies ont ouvert de nouveaux champs d’affrontement – on pense
naturellement à l’espace et au cyberespace – sans changer la nature de la guerre.
Or, et comme n’importe quel système d’armes, s’ils peuvent indéniablement
permettre de remporter des succès tactiques et opérationnels, s’ils sont sans nul
doute des multiplicateurs de forces, n’en demeure pas moins que les drones ne
permettent pas de remporter la victoire politique. Or c’est là l’essence même
de la guerre : l’emploi de la force armée n’a d’autre finalité que d’imposer sa
volonté à l’adversaire. La guerre est, et n’est que, une affaire politique.
Il faut éviter cependant toute forme de schizophrénie, c’est-à-dire
de technophobie. Cette contradiction peut être résolue grâce à la notion
« d’instruments révolutionnaires » appliquée aux systèmes de drones. Une
technologie peut être en soi une étape marquante du progrès technique, voire à
l’origine d’une rupture dans la conduite de la guerre, sans pour autant représenter
de manière concomitante une transformation de la nature de ce phénomène
social. Les trajectoires techniques et sociales s’entremêlent, s’influencent, mais
ne se superposent pas.
C’est bien l’ambiguïté que porte en elle la notion de « révolution » que l’on
retrouve au sein des nombreux débats dans le champ des études stratégiques
autour des concepts de « révolution militaire » et de « révolution dans les affaires
militaires ». Non sans lien, les questions du changement et de l’innovation,
de l’introduction de nouveaux armements et plus généralement du rapport
qu’entretiennent les forces armées avec la technologie ont largement été
analysées depuis maintenant plus de deux décennies. Il ne s’agit pas ici de
revenir sur les termes de ces débats mais peut-être d’en limiter le périmètre.
Les révolutions militaires comprennent selon Krepinevich quatre éléments :

(120) Colin S. Gray, La guerre au XXIe siècle…, op. cit., p. 360.


(121) David J. Lonsdale, op. cit., p. 19. La question sous-jacente renvoie plus largement à la relation
entre guerre et technologie, voire aux rapports qu’entretiennent les forces armées avec cette dernière.
Sur ces aspects et les débats qu’ils soulèvent, voir notamment, parmi de très nombreuses autres réfé-
rences, Martin van Creveld, Technology and War. From 2000 B.C. to the Present, New York, The Free
Press, 1989 ; Stefan T. Possony, Jerry E. Pournelle, Francis X. Kane, The Strategy of Technology,
Electronic edition, 1997 (www.jerrypournelle.com/slowchange/Strat.html) ; Colin S. Gray, Weap-
ons for Strategic Effect : How Important is Technology ?, Maxwell AFB, Air University, Occasional
Paper, n° 21, Center for Strategy and Technology, Air War College, January 2001 ; Joseph Henrotin,
La technologie militaire en question…, op. cit. Voir également avec intérêt Max Boot, War Made
New. Weapons, Warriors, and the Making of the Modern World, New York, Gotham Books, 2006 et
David R. Mets, Airpower and Technology. Smart and Unmanned Weapons, Westport, Praeger Security
International, 2009.

86
un changement technologique, le développement de systèmes, une innovation
opérationnelle et une adaptation organisationnelle (122). Autrement dit, un
nouveau système d’armes, tel que les drones, peut être considéré comme
révolutionnaire, constitutif d’une révolution militaire, sans que cela signifie
une révolution de la guerre. La technologie n’est donc, autrement dit, pas
en elle-même porteuse de révolution. C’est bel et bien ce que les hommes en
font et « la manière dont les organisations militaires s’adaptent et façonnent la
nouvelle technologie, les systèmes militaires et les concepts opérationnels » (123)
qui conduisent à une révolution militaire. Finalement, dans une acception
générale, il est évidemment assez aisé de percevoir les drones comme une
révolution technologique : l’Homme a réussi – peu de temps, à l’échelle de la
grande Histoire, après le premier vol maîtrisé – à concevoir et à introduire dans
les forces des aéronefs inhabités capables non seulement d’effectuer des vols
de longue endurance mais également d’observer des zones et de transmettre
des flux vidéo en temps réel aux centres de commandement et de contrôle.
Si l’on considère en outre que depuis 2001 certains drones ont été armés, on
peut alors considérer les drones comme des outils révolutionnaires porteurs
d’un certain nombre d’évolutions dans la conduite de la guerre au point que
leur apparition sur le champ de bataille « a recentré l’intérêt de l’ensemble des
composantes armées pour la troisième dimension » (124).
Si la nature de la guerre est immuable, son intérêt pour elle aussi. Max
Boot écrivait en 2007 que « la nature de la guerre serait toujours déterminée par
l’interaction entre les combattants et les outils, et non par les seuls outils » (125).
Soixante ans auparavant, on pouvait lire que « le robot tend à prendre une place
de plus en plus importante. C’est lui qui donnera son aspect caractéristique à la
guerre de demain, dans laquelle, tapis dans des abris souterrains, les chefs adverses
commanderont par clavier à toute une gamme de monstres à l’“intelligence” quasi
humaine, et là-haut dans le ciel à une altitude de plusieurs kilomètres s’engageront
des batailles silencieuses au cours desquelles les météores rivaux lancés des terres
chercheront à se confondre dans un éclair fulgurant » (126).
Ces deux citations synthétisent et ouvrent vers de nouveaux horizons
la problématique de ce chapitre. Technologie et social sont tout aussi
inextricablement liés que systèmes d’armes et guerre. Cependant, les

(122) Andrew F. Krepinevich, “Cavalry to Computer  : the Pattern of Military Revolutions”, The
National Interest, Fall 1994, n° 37. Dans le même sens, Jacques Safir expliquait qu’une « révolution
dans les affaires militaires se caractérise, du point de vue militaire, par la nécessité de changements
radicaux dans la structure et la posture des forces, dans la nature du système économique et social
assurant le soubassement de ces forces armées, enfin dans le rapport entre offensive et défensive, et
la nature de la corrélation générale des forces. La révolution dans les affaires militaires se situe donc
fondamentalement à l’intersection entre l’innovation technique, l’innovation sociale et l’innovation
organisationnelle » : Jacques Safir in Jean Klein, Thierry de Montbrial (dir.), Dictionnaire de stratégie,
Paris, PUF, 2000, p. 456.
(123) Thomas A. Keaney, Eliot A. Cohen, Gulf War Air Power Survey. Summary Report, Washington
DC, US Government Printing, 1993, p. 238.
(124) Bertrand Slaski, « Les drones et la puissance aérienne future… », op. cit., p. 181.
(125) Max Boot, op. cit., p. 439.
(126) Étienne Romat, Les Robots aériens, Paris, Editions Dégigord, 1947, p. 127.

87
développements technologiques à l’œuvre laissent poindre la perspective d’une
autonomisation de certains systèmes opérés à distance. Cette dimension n’a été
qu’esquissée ici. Cette évolution pourrait faire l’objet d’analyses comparables
à celles qui ont déjà été réalisées. Mais à nouveau, il n’y a pas forcément de
rupture à mettre en évidence, mais simplement des prolongements.

88
L’aube nouvelle
de la puissance aérienne.
Drones et stratégie aérienne
Lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois

« L’armement est un facteur important mais non décisif dans la guerre.


L’Homme, non l’armement, est un facteur décisif. »

Mao Tsé-Toung

Sur le plan théorique, la stratégie aérienne se conçoit comme une stratégie


subordonnée à la stratégie générale, conçue comme la « dialectique des
intelligences employant la force pour résoudre leur conflit », selon la formule
du général Beaufre dans son Introduction à la stratégie (1963) et adaptée par
Hervé Coutau-Bégarie. Cette formule peut se décliner de deux manières en ce
qui concerne la stratégie aérienne :
• « la dialectique des intelligences employant la force aérienne pour résoudre
leur conflit », ce qui définit la stratégie aérienne par l’emploi de moyens
aériens : avions, drones, hélicoptères…
• « la dialectique des intelligences employant le milieu aérien pour résoudre
leur conflit », ce qui définit la stratégie aérienne par l’emploi du milieu
aérien, ce qui est sensiblement plus large que la précédente acceptation
puisqu’elle inclut par exemple l’emploi de missiles sol-air ou de radars afin
d’interdire ou de contrôler l’espace aérien.
La première perspective, celle de la stratégie aérienne conçue comme un
art ou une science de l’organisation ou de l’emploi des moyens aériens, est la
plus pertinente si l’on examine les liens entre les drones et la stratégie aérienne.
Ici, nous nous limiterons au cas du drone moyenne altitude longue endurance
(MALE) ou haute altitude longue endurance (HALE). Ces drones peuvent
être définis, en reprenant les textes officiels comme « un aérodyne sans équipage,
télépiloté ou programmé, utile pour des missions diverses » (1). Mais, comme
le souligne le lieutenant-colonel Fontaine, cette définition ne met pas assez
l’accent sur la complexité de ces systèmes qui, plus particulièrement pour les
HALE et les MALE, nécessitent des moyens importants pour leur mise en
œuvre à la différence des robots : « Il s’agit des stations de contrôle et de leurs
antennes associées, de moyens de réception, de traitement et de retransmission de

(1) Gérard Pernot, « Présentation générale d’un drone », in Pierre Pascallon, Quel avenir pour les
drones ?, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 19.

89
l’information en temps réel et, bien sûr, pour ce qui concerne les grands drones, de la
nécessité de disposer de canaux de communication suffisant, donc de satellites .» (2)
Il s’agit donc d’envisager la contribution des drones à la stratégie aérienne
et ce qu’ils apportent de spécifique par rapport à d’autres vecteurs aériens.
Enfin, nous examinerons en quoi les drones sont particulièrement adaptés
aux conflits actuels.

Les caractéristiques propres des drones


Traditionnellement, les vecteurs aériens ont deux particularités qui sont le
fruit de l’exploitation des caractéristiques du milieu aérien :
• l’ampleur du volume d’action ou l’allonge qui est le fruit de l’exploitation
de la continuité du milieu aérien et qui permet aux avions d’intervenir grâce
au ravitaillement en vol sur n’importe quel objectif à la surface du globe,
• la rapidité d’action qui est liée à la perméabilité du milieu aérien et per-
met des déplacements à grande vitesse.
Chaque vecteur aérien, en fonction de ses qualités propres, dispose d’un
volume d’action plus ou moins vaste et d’une rapidité plus ou moins élevée.
Jusqu’ici les drones MALE étaient caractérisés par une faible rapidité d’action
compte tenu de leur faible vitesse de déplacement (entre 220 et 360 km/h selon
les conditions), mais d’un volume d’action important du fait de leur grande
autonomie de l’ordre de 1 000 kilomètres pour les MALE ou 10 000 kilomètres
pour les drones HALE (3). Néanmoins, les drones sont en passe de disposer
d’une allonge et d’une rapidité d’action comparable aux plus performants des
vecteurs aériens militaires habités. Northrop Grumman vient ainsi de tester le
ravitaillement en vol d’un drone Global Hawk par un autre Global Hawk à plus
de 60 000 pieds d’altitude. L’autonomie d’un Global Hawk passe ainsi de 30-35
heures à plus de 120 heures (4). Cette nouvelle capacité élargit considérablement
l’ampleur du volume d’action du Global Hawk car celui-ci, propulsé par un
réacteur, a une vitesse comparable à celle d’un bon avion à hélice.
La caractéristique essentielle des drones, ce qui les distingue des autres
vecteurs aériens, réside dans l’absence d’équipage embarqué. En effet, les drones
aériens sont toujours pilotés, mais à distance. Cette absence de présence humaine
à bord du vecteur aérien permet de s’affranchir des contraintes qui pèsent
habituellement sur l’emploi des avions ou des hélicoptères. On peut regrouper
les avantages militaires qui découlent de cette caractéristique essentielle pour
la puissance aérienne en deux grandes catégories.
La première concerne le type de mission. L’absence d’équipage embarqué
permet ainsi de risquer des drones dans des missions dangereuses ou dans
un environnement contaminé ou encore dans des missions monotones/

(2) Christophe Fontaine, Les grands drones : une nouvelle arme contre les flibustiers du XXIe
siècle, Xavier Raufer et François Haut (dir.), Paris II-Assas, 2008, p. 24.
(3) ONERA, Les drones. Mieux connaître les drones, tome 1, Paris, ONERA, 2004, p. 35.
(4) “Global Hawk blaze trail in autonomous refuelling test”, Flight International, 16-22 octobre
2012, p. 16.

90
ennuyeuses comme la surveillance. C’est ce que l’on a appelé dans les années
1990 les missions 3D pour Dull, Dangerous and Dirty (monotones/ennuyeuses,
dangereuses et sales).
En ce sens, les drones constituent une nouvelle étape dans la distanciation
entre les combattants qui avait débuté avec l’apparition des armes de jet.
« L’homme s’ingénie à pouvoir tuer sans courir le danger de l’être » a écrit le colonel
Ardant du Picq dans Études sur le combat (5). L’emploi des drones y compris
lorsqu’il est armé pose des questions éthiques du même ordre que l’emploi des
arcs et des arbalètes proscrits par le deuxième concile du Latran au XIIe siècle.
Deuxième avantage pour la puissance aérienne. L’absence d’équipage
embarqué permet des missions longues. Certes, on trouve des missions longues
dans l’histoire des opérations aériennes. On pense au raid de 14 heures des
chasseurs F-111 américains lors de l’opération El Dorado Canyon en avril 1986
ou aux missions des bombardiers B-2 lors des premières heures de l’opération
Unified Protector qui effectuèrent un vol de 25 heures pour bombarder les
hangars abritant l’aviation de Kadhafi ou encore au raid récent de bombardement
des Rafale, le 13 janvier 2013, sur des objectifs aux environs de Gao qui constitue
avec un vol de 9 h 35 la mission de bombardement la plus longue effectuée par
l’armée de l’air française depuis la métropole.
Ces missions restent cependant exceptionnelles. Grâce aux drones et à
l’absence d’équipage embarqué, la puissance aérienne devient persistante,
alors que jusqu’à maintenant elle n’était qu’intermittente. Ce que le colonel
Chamagne a appelé « la fugacité de l’action » aérienne peut être complété par
la persistance de l’action dronisée (6). Les drones permettent comme pour
les ballons sphériques ou les ballons Caquot de la Première Guerre mondiale
d’occuper l’espace aérien. Cette permanence de l’occupation aérienne et cette
persistance de la puissance aérienne constituent une véritable révolution non
pas en ce qui concerne la nature de la guerre qui reste immuable mais dans le
domaine de la conduite de la guerre aérienne. Le général Jumper, ancien chef
d’état-major de l’USAF plaçait cette capacité au premier rang des atouts des
drones lorsqu’il déclarait en décembre 2003 : « Les UAV jouent un rôle dans
la course pour la domination par l’information de l’espace de bataille et ils
seront de plus en plus présents dans les futurs conflits, leur meilleur atout est
probablement leurs possibilités d’endurance et de persistance au-dessus des
cibles pendant plus de 24 heures. » (7)
Pour cette raison, il faut raisonner non pas en nombre de drones, comme
pour les avions, mais en nombre d’orbites permanentes qui constituent l’unité

(5) Ardant du Picq, Études sur le combat, Paris, Hachette, 1880, p. 15.
(6) Régis Chamagne, L’art de la guerre aérienne, Paris, L’Esprit du livre, 2004, p. 106.
(7) Cité par Michel Asencio, « Les drones et les opérations en réseau –  segmentation, missions »,
Note de la FRS, Fondation pour la recherche stratégique, 2008, no 3, p. 7.

91
de mesure de cette capacité à occuper l’espace aérien (8). Pour les Américains,
la formation de base est l’unité de quatre drones MALE qui arme une CAP
(Combat Air Patrol) : un en orbite, un sur le chemin aller pour le remplacer, un
sur le chemin retour qui a achevé sa mission et un dernier en maintenance. Ces
quatre drones permettent la persistance de l’action aérienne en maintenant la
surveillance d’un objectif H24. Le Pentagone prévoit ainsi la capacité d’armer
65 orbites de drone MALE à la fin de l’année 2013 (9).
Si par rapport aux vecteurs aériens, les drones disposent de ces deux types
d’avantages, leur emploi rencontre également quelques limites.
Le vecteur aérien est fragile, sensible à la météorologie et à l’aérologie. Le
nombre d’accidents est important. On estime que les Américains ont perdu au
minimum une centaine de drones MALE Predator ou Reaper dont une bonne
partie lors de la phase d’atterrissage qui n’est pas automatique comme sur
le Harfang français. Même si l’on ne dispose pas du nombre d’heures de vol
accumulé pour la flotte pour calculer une estimation précise, cela représente
un taux d’attrition considérable si on le rapporte aux 248 Predator acquis
jusqu’en 2009 (500 000 heures de vol jusqu’en février 2009) et aux 156 Reaper
livrés fin 2012(204 Reaper entre 2002 et 2012 inclus), soit 404 drones MALE.
On retrouve des chiffres similaires pour les drones tactiques SDTI français qui
avec plus de 2 000 heures de vol en quatre ans en Afghanistan ont subi un taux
d’attrition d’un drone toutes les 175 heures de vol, soit un drone pour 60 missions
environ (10). Ce taux d’attrition est très largement supérieur à celui de l’USAF
pendant la Seconde Guerre mondiale par exemple évalué à 10 avions perdus
pour 1 000 sorties aériennes (11). On peut cependant raisonnablement penser
que la fiabilité va s’améliorer réduisant concomitamment le taux d’attrition.
Les flux de communications sont également un facteur de vulnérabilité. À
la fin de l’année 2008, les Américains se sont aperçus que les insurgés irakiens
utilisaient des petits logiciels commerciaux pour intercepter les flux vidéo sortant
non protégés des drones Predator (12). Il est possible que la récupération, en
décembre 2011, du très secret drone RQ-170 Sentinel de Northrop Grumann
par les Iraniens a été possible grâce à une intrusion dans le module de liaison.
On oublie souvent qu’une des conditions actuelles de l’emploi des drones
reste l’absence d’opposition aérienne, c’est-à-dire la supériorité aérienne voire
de la suprématie aérienne. Comme les ballons d’observation de la Première

(8) Ce que le lieutenant-colonel Christophe Fontaine, second de l’escadron Belfort, appelle une
orbite permanente de surveillance armée multicapteurs (OPSAM). Voir « S’il vous plaît… dessine-moi
une orbite de drones… », http ://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/16/s-il-vous-plait-dessine-
moi-une-orbite-de-drones_1669602_3232.html  ?xtmc=orbite_permanente_de_drone&xtcr=1,
consulté le 29 novembre 2012.
(9) http  ://www.airforce-magazine.com/SiteCollectionDocuments/Reports/2011/May%20
2011/Day25/AircraftProctPlan2012-2041_052511.pdf, consulté le 29 novembre 2012.
(10) http  ://www.marianne.net/blogsecretdefense/Le-drone-SDTI-a-fait-son-dernier-vol-en-
Afghanistan_a669.html
(11) Richard Hallion, A short history of aircraft survivability, Monterey, Naval Postgraduate School,
15 novembre 2000, p. 14.
(12) “Insurgents Hack US Drones”, Wall Street Journal, 17 décembre 2009.

92
Guerre mondiale, les drones restent des appareils vulnérables aussi bien face à
une menace air-air qu’à un tir d’un missile sol-air. S’ils ne constituent plus les
cibles immobiles des aérostats d’autrefois, les drones demeurent des appareils
lents qui ne peuvent se défendre efficacement en combat aérien en attendant le
drone de combat (UCAV). On se souvient du combat aérien entre un Predator
armé de deux missiles air-air Stinger contre un MiG-25 irakien en décembre
2002 qui s’est soldé par la destruction du drone (13). L’US Air Force en a déduit
qu’il n’y avait pas d’avenir pour un Predator de supériorité aérienne et l’avenir
lui a donné raison. D’ailleurs, après deux survols de leur territoire par des drones
Misrad en 2004 et 2005, les Israéliens se sont adaptés à la nouvelle menace.
On peut citer des exemples fameux : celui du Heron israélien abattu en juillet
2006 par un missile sol-air syrien, le drone du Hezbollah abattu par un missile
Python-5 air-air israélien, à guidage électro-optique et infrarouge, lors de la
guerre de juillet en 2006 ou celui du drone Hermes 450 géorgien qui a filmé sa
propre destruction par un MiG-29 russe en avril 2008. Ces attaques de drones
semblent se multiplier récemment et vont sans doute se développer au fur et
à mesure que l’emploi des drones se généralise. On peut citer pour mémoire
les deux derniers incidents publics : la destruction d’un drone du Hamas par
un chasseur au-dessus du territoire israélien le 6 octobre 2012 ou encore plus
récemment, le 1er novembre, les tirs au canon d’un chasseur iranien contre un
drone MQ-1 Predator au-dessus du golfe arabo-persique.

Les drones, guerre réguLière et irréguLière


On peut imaginer ensuite l’emploi des drones dans les guerres actuelles
ou futures que l’on peut partager entre guerre réglée, mettant en œuvre ce que
l’on appelle aujourd’hui une stratégie conventionnelle, et guerre irrégulière,
domaine de stratégies alternatives.

L’empLoi des drones dans Le cadre d’une stratégie


conventionneLLe

Dans le cadre d’un conflit conventionnel, la première mission des forces


aériennes réside dans l’acquisition de la supériorité aérienne qui peut être
seulement locale ou momentanée. Or aujourd’hui et à moyen terme, les drones
en sont incapables. Comme l’écrit le général Asencio à propos de la mission
de défense aérienne : « Cette mission implique un niveau de complexité élevé,
tant dans les moyens de détection, d’identification et d’acquisition des cibles
que dans les armements et nécessite également une capacité permanente
d’adaptation en temps réel à la situation, au traitement de l’opportunité et à
l’attitude de l’adversaire. » (14)
Les drones les plus récents mis en service comme le Predator C Avenger,
déployé en décembre 2011 en Afghanistan, sont principalement des drones
d’attaque au sol avec une capacité pour emporter 1,3 tonne d’armement en

(13) Walter J. Boyne, “How the Predator grew Teeth”, Air Force Magazine, juillet 2009, p. 45.
(14) Michel Asencio, op. cit., p. 7.

93
soute et une certaine furtivité, même s’il est également armé de Stinger. Le
X-47B de Northrop Grumman qui a subi avec succès les premiers catapultages
en novembre 2012 semble plutôt conçu pour emporter des bombes. Le X-45 C
Phantom Ray de Boeing n’a pas non plus été étudié pour conduire des missions
air-air (15). Le Taranis de BAE est réputé pouvoir conduire des missions de
supériorité aérienne mais son premier vol a été constamment repoussé. Ce qui
n’est pas le cas du précurseur du drone de combat européen, le NEURON de
Dassault, qui a volé pour la première fois le 1er décembre 2012.
On peut imaginer que les futurs drones hypersoniques sur lesquels travaillent
la DARPA et l’ONERA avec des vitesses comprises entre Mach 4 et 5 ou
même supérieures et volant à des altitudes d’environ 90 000 pieds pourront
rester hors de portée de missiles sol-air (16). On peut également imaginer des
essaims de drones opérant en coopération avec des chasseurs de supériorité
aérienne habités et chargés de la protection des drones qui eux doivent mener
la mission offensive. Mais la principale menace aérienne pesant sur les drones
réside peut-être dans un autre drone. La DARPA a ainsi investi, en 2006, 11
millions de dollars dans un Peregrine UAV Killer , qui comme un faucon pèlerin
doit planer à haute altitude sur une vaste zone avant de fondre sur un drone
ennemi repéré en contrebas (17).
La principale mission qui semble pouvoir être assignée à des drones dans le
cadre d’un conflit conventionnel semble être des missions offensives soit dans
la profondeur d’un territoire en jouant sur sa furtivité et sa vitesse pour passer
à travers le réseau de défense ennemi soit sur des objectifs moins éloignés mais
fortement défendus. Mais, compte tenu de son coût, l’UCAV ne sera sans doute
pas utilisé dans des missions suicides. Comme le dit le chef d’état-major de
l’armée de l’air, « le drone de combat jetable n’est pas un bon concept puisqu’il
coûtera aussi cher qu’un avion de combat » (18). Si le drone peut être engagé
dans des missions dangereuses, sa capacité d’emport reste encore relativement
réduite. Les drones actuels les plus performants emportent 1,5 tonne d’armement.
Cela reste assez éloigné des 4 tonnes d’un chasseur-bombardier F-15 E dans
ses dernières versions ou des 16 tonnes d’un bombardier furtif B-2. Or selon
l’axiome napoléonien : « La force d’une armée s’évalue par la masse multipliée
par la vitesse » (19). Il manque donc à cette armée aérienne pilotée à distance
un drone doté d’une grande capacité d’emport. Ce devrait être, à l’horizon
2040, la place du futur bombardier stratégique américain : le Next Generation
Bomber qui pourrait être éventuellement piloté à distance.

(15) US Unamanned Aerial Systems, p. 6.


(16) Charles Foucault, « Le drone hypersonique pointe son nez », Air et Cosmos, n° 2 309, 20 avril
2012, pp. 22-23.
(17) P. W. Singer, Wired for War. The Robotics revolution and conflict in the 21st century, New York,
Penguin Books, 2009, p. 120.
(18) Guillaume Steuer, avec François Julian, « En attendant les MALE », Air et Cosmos, no 2 351,
22 mars 2013, p. 37.
(19) Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Paris, Economica, 7e éd., 2011, p. 331.

94
L’empLoi des drones dans Le cadre des stratégies aLternatives
En attendant la mise en service de ces UCAV, le quotidien de la guerre
aérienne mené par les drones est constitué par des missions conduites dans
le cadre de stratégies alternatives, en Irak, en Afghanistan, dans la corne de
l’Afrique ou au Mali.
La guerre irrégulière se traduit par l’évitement du combat frontal et une
échelle spatiale réduite (20). Elle se traduit également par la difficulté à distinguer
l’ennemi qui se cache parmi la population civile. Or pour qu’elle puisse s’exercer
légitimement, la force armée doit s’exercer à l’encontre des seuls combattants
irréguliers. Jusqu’alors, la force aérienne était moins bien placée que les forces
terrestres pour différencier l’ennemi de la population civile. L’instruction de
1958 sur l’emploi de l’aviation dans la guerre subversive dispose par exemple :

« … les forces aériennes ont très peu de contacts avec la population et


sont ainsi privées du pouvoir de discrimination indispensable à la conduite
des opérations de police et de maintien de l’ordre. Leur mission essentielle est
de coopérer avec les forces terrestres qui, par leur implantation en surface,
détiennent ce pouvoir de discrimination. Agissant dans le cadre d’opérations
combinées sous la forme classique de missions feu, renseignement ou transport,
elles orientent, couvrent et appuient les forces terrestres lorsque celles-ci sont
chargées de l’action principale. Inversement, en particulier dans les zones à
faibles densités de population, les forces aériennes peuvent être chargées de
l’action principale et recevoir l’aide complémentaire des forces terrestres. » (21)

Or aujourd’hui principalement grâce aux drones et à leur persistance, la


situation tactique peut être établie depuis les airs et retransmise en temps réel
soit à des troupes au sol grâce à des équipements comme le Rover américain,
ou le Scarabée français, et en simultané à un centre de commandement.
L’importance des missions de surveillance et de reconnaissance dans les
guerres irrégulières ressort de l’analyse de la répartition des sorties aériennes
par type de mission dans les opérations actuelles.
combined Forces air component air commander statistics
(oiF-oeF) 2010
Mission Nombre de sorties %
Intelligence, Surveillance, Reconnaissance 28 747 18 %
Airlift (US Air Force only) 63 324 40 %
Tanker 17 296 11 %
Personnel recovery sorties 9 701 6%
Close Air Support/precision Strike 39 995 25 %
Total 159 063 100 %

(20) Ibid., p. 487.


(21) « Modificatif à l’instruction provisoire pour l’emploi des forces aériennes » in Jérôme de
Lespinois (dir.), Histoire de la doctrine des forces aériennes, Paris, La Documentation française,
2011, p. 313.

95
La part des drones est essentielle dans ces missions ISR et ils représentent
l’essentiel des heures de vol. Benjamin Lambeth souligne qu’après la fin des
opérations majeures en Irak en 2003, les Global Hawk sont les plates-formes
aériennes qui ont accompli le plus d’heures de vol compte tenu de la durée de leur
mission supérieure à 24 heures. Les drones apparaissent aussi particulièrement
adaptés aux conflits actuels et parce qu’ils s’insèrent dans une nouvelle manière
de faire la guerre.

Les drones et La guerre en réseau


La permanence de la surveillance offerte par les drones constitue un des
éléments essentiels de la guerre en réseau qui permet d’obtenir en temps réel
une capacité supplémentaire d’appréhension de la connaissance de la situation
sur le terrain. Le général Asencio écrit : « Avec le concept Network Centric
Warfare (NCW), la plate-forme aérienne n’est désormais conçue que comme
un instrument – parmi d’autres – d’un maillon informationnel numérisé
incluant des aéronefs et des plates-formes de toutes sortes, des systèmes de
commandement, de contrôle ainsi que des hommes. » (22)
L’architecture du système actuel qui permet de réunir et fusionner les
informations de divers capteurs est née au milieu des années 1980 de la volonté
de l’Air Force de récupérer les renseignements recueillis par les avions espions
U-2 avant qu’ils ne retournent à leur base. Au début le programme résidait dans
la dispersion de camions qui devaient être dans la ligne de mire de l’avion espion
pour capter les informations. Puis, l’Air Force développa des transmissions
par satellites qui permettaient de communiquer avec les avions au-delà de
l’horizon visuel. Ce système fut baptisé : Distributed Common Ground System
(DCGS) et entre en service en 1994. Il fut ensuite élargi au département de
la Défense (23). Aujourd’hui, il forme l’élément principal de la guerre réseau
centrée telle qu’elle est menée par les Américains.
Les drones ne sont pas inclus dans le DCGS lorsque les Predator commencent
à opérer en 1995 dans le cadre des opérations Deny Flight et Deliberate Force
en ex-Yougoslavie. C’est l’Army à l’origine qui est responsable du programme.
À partir de 1996, l’Air Force en prend la responsabilité et les intègre dans le
DCGS donnant ainsi toute leur valeur aux drones MALE comme pourvoyeur
du Pentagone et des états-majors de données ISR en temps réel (24).
La campagne du Kosovo marque une nouvelle étape dans l’évolution de
l’intégration des drones dans la guerre en réseau. Lorsqu’ils sont engagés dans
l’opération Allied Force, les Predator équipés d’une caméra ne peuvent pas
transmettre leurs objectifs aux avions armés de munitions et de nombreux
objectifs fugaces échapent aux frappes aériennes. L’Air Force décide alors
d’équiper le MQ-1 d’un désignateur laser afin de pouvoir pointer une cible au

(22) Michel Asencio, op. cit., p. 2.


(23) David A. Deptula et James R. Marrs, “ISR Operations. The Changing Face of Warfare”, Joint
Forces Quaterly, n° 54, 3e trimestre 2009, p. 110.
(24) Walter J. Boyne, op. cit., p. 43.

96
profit d’un autre effecteur armé d’une bombe. Il effectue avec cette nouvelle
capacité son premier vol opérationnel la veille de l’arrêt des opérations
offensives. C’est ensuite pour améliorer le traitement de cibles fugaces qu’il
est équipé de missiles Hellfire (25). Tirant les enseignements de l’évolution du
Predator, General Atomic conçoit ensuite une plate-forme armée dronisée, le
MQ-9 Reaper, qui entre en service à partir d’octobre 2007.
La première guerre réellement réseau-centrée est constituée par l’opération
Enduring Freedom (OEF) en Afghanistan en 2001. La quantité de capteurs
destinés à recueillir le renseignement sur l’activité ennemie — issus des drones
mais aussi de plates-formes habitées comme les RC-135 ou les J-STARS — et
leur mise en réseau afin de fusionner les diverses informations afin d’obtenir une
représentation de la situation tactique n’avaient jamais été aussi importantes à
cette échelle. L’opération OEF forme à cet égard une rupture dans l’art de la
guerre car jamais les états-majors, les commandements et les troupes engagées
sur le terrain n’avaient disposé d’une telle connaissance de la situation tactique.
Cette connaissance de la situation amie et ennemie en temps réel offerte par
les drones qui permet le traitement de cibles d’opportunité dans des temps très
courts avec le Dynamic targeting. Benjamin Lambeth écrit : « Ces opérations
réseau centrées sont maintenant à la pointe d’un changement de paradigme en
cours dans le style de combat américain qui a peut être plus d’importance que
l’introduction du char au début du XXe siècle .» (26)
Les drones jouent encore un rôle très important dans la campagne irakienne
de 2003, peut-être d’ailleurs moins pendant la phase offensive que pendant la
phase de stabilisation où leur endurance et leur capacité multicapteurs s’avèrent
particulièrement adaptées à la guerre irrégulière. C’est grâce à la traque par
un Predator des forces spéciales que la cache de Zarqawi est repérée en juin
2006 (27). En Libye, les Global Hawk de Sigonella sont les premiers déployés
au-dessus de la Libye. Ils sont rejoints par des Predator à la fin du mois
d’avril qui opèrent 145 frappes aériennes pendant la campagne et participent
à l’opération qui permet d’intercepter le convoi de Kadhafi (28).
Ces quelques exemples illustrent le caractère central des drones dans les
plus sensibles des opérations militaires actuelles, celles où l’aspect politico-
militaire est le plus prégnant car comme l’écrit le lieutenant-colonel Fontaine :
« La technologie permet d’introduire le temps réel au plus haut niveau de
l’appareil décisionnel. Les capteurs couplés aux réseaux et via des liaisons
satellites permettent ainsi à distance, de voir, de percevoir, de diriger et de
commander. » Ce qui conduit d’ailleurs l’auteur à appeler à préserver le subtil

(25) Ibidem.
(26) Benjamin Lambeth, Airpower Against Terror, Santa Monica, Rand, 2005, pp. 29-30.
(27) Bruce Rolfsen, “AFSOCC  : Predator was involved in Zarqawi assault”, Air Force Times, 18
juillet 2006.
(28) “Air Strikes over Libya , 28 février 2012, http  ://theaviationist.com/2012/02/28/air-strikes-
over-libya/, consulté le 2 décembre 2012.

97
équilibre entre les différents niveaux de responsabilité dans la prise de décision
militaire, malgré les capacités offertes par les nouvelles technologies (29).
Compte tenu de ses qualités propres est-ce que l’emploi des drones constitue
une révolution dans le domaine de la stratégie aérienne ou dans celui de l’art
de la guerre ? Oui sans doute car par sa persistance et son raccordement aux
réseaux de commandement et de contrôle, il permet de diffuser en temps réel
la situation tactique aux unités sur le terrain et aux centres de commandement,
leur offrant ainsi une connaissance inégalée par le passé du champ de bataille.
Désormais, dans une campagne aérienne un des objectifs de la manœuvre sera
sans doute la mise en œuvre d’orbites permanentes de drones et leur protection
sera sans doute un des objectifs de l’aviation de supériorité aérienne.
Aujourd’hui, les drones MALE forment une capacité indispensable à une
armée de l’air de premier rang comme l’a souligné le ministre de la Défense
britannique Philip Hammond, en rappelant les efforts de la Grande-Bretagne
pour se doter d’un second escadron de Reaper en octobre 2012. La création
de nombreuses unités de drones dans les armées de l’air, mais aussi dans les
armées terrestres ou navales, illustre leur intérêt militaire et la rapidité de la
diffusion de l’innovation technique. Comme pour les navires militaires ou les
avions militaires, le développement d’une industrie de drones militaires sera sans
doute inséparable de l’essor d’une industrie des drones civils qui constituera
selon une vision mahanienne un des piliers de la puissance dans ce domaine. Les
perspectives dressées par le cabinet américain Teal Group donnent une image
de la croissance de ce secteur en prévoyant un doublement annuel du marché
dans les dix prochaines années de 6,6 milliards de dollars à 11,4 milliards de
dollars. 30 000 drones de tout type doivent être fabriqués (30).
Cependant, ils ne constituent pas la panacée et si les drones sous leur
forme actuelle ont prouvé leur utilité dans les conflits de ce début du XXIe
siècle, plus particulièrement en Afghanistan, en Irak, en Libye ou au Mali, il
n’est pas certain qu’ils rendent les mêmes services dans des conflits de plus
haute intensité. Dans son projet de budget 2013, le Pentagone a décidé de
ralentir le rythme d’accroissement du nombre de drones en se débarrassant
des versions les plus anciennes du RQ-4 Global Hawk et de réduire le rythme
annuel d’acquisition du MQ-9 Reaper de moitié en passant de 48 à 24 (31).
Cette décroissance, la mise au point de drones volant à plus haute altitude et
la recherche d’une plus grande endurance sur les modèles actuels indiquent
sans doute un changement de paradigme dans l’emploi des drones. Predator,
Reaper, Global Hawk, Heron ou Harfang ne représentent sans doute que les
premiers balbutiements d’une nouvelle forme de puissance aérienne.

(29) Christophe Fontaine, « Commandement et drones : quelle place pour la subsidiarité à l’heure du
temps réel ? », Revue de Défense nationale, mars 2012, pp. 109-112.
(30) Challenges, 29 novembre 2012.
(31) Winslow T. Wheeler, MQ-9 Reaper Drone: Not a revolution in Warfare, p. 1.

98
CHAPITRE 2

LES DRONES, UN SYSTÈME


TECHNOLOGIQUE

99
100
Autonomie décisionnelle
des systèmes de drones :
quelles perspectives ?
Patrick Fabiani

Un drone est un engin sans pilote à bord, conçu pour réaliser des missions
de façon plus sûre ou plus efficace qu’un engin piloté. Le reste est plutôt affaire
d’aéromodélisme. La réglementation civile sur l’usage des drones récemment
publiée en France est riche d’enseignements à ce sujet et régit les usages des
drones à des fins de travail aérien ou d’activités scientifiques ou économiques (1).
Les drones sont donc certes des aéronefs sans pilote à bord, mais surtout
des appareils destinés à avoir une utilité qui justifie la prise de risque liée à
leur utilisation. Qu’est-ce qu’un drone, sinon un « robot » aérien ? Le terme
« robot » renvoyant à la notion de « travailleur », donc de tâche ou de mission
à accomplir, à la différence de l’aéromodélisme qui est une activité de loisir.

drones ou robots aériens : queLLe autonomie de décision ?


Sur le plan de l’ancienneté, les drones n’ont pas à rougir de la comparaison
avec leurs cousins robots : les mêmes mécanismes d’horlogerie qui gouvernaient
les premiers automates ont permis le vol « autonome » des premiers drones dès
la Première Guerre mondiale. Pour l’efficacité, on a fait mieux depuis. Pour
la sécurité aussi.
Dans la définition qu’il faut retenir aujourd’hui pour un drone, compte tenu
de leurs contraintes d’intégration dans nos espaces aériens civils et militaires, un
drone est un aéronef télépiloté. En ce sens, un aéronef télépiloté est un aéronef
dont le pilote est le commandant responsable, mais est localisé ailleurs qu’à son
bord : ce n’est pas un commandant de bord, mais pour autant il existe et prend
les décisions qu’il faut. Quelle autonomie de décision dès lors pour le drone ?
Les aéronefs télépilotés existent, comme on l’a déjà dit, depuis la Première
Guerre mondiale où les premiers prototypes ont été testés en vol au-dessus des
lignes ennemies avec un comportement réglé par un mécanisme d’horlogerie.
Ces engins sont les véritables ancêtres des drones et si on ne peut leur prêter
une quelconque autonomie en matière de prise de décision, ils avaient du
moins l’intelligence d’automates plus ou moins sophistiqués. Les successeurs
de ces engins sont sans conteste les engins V1 et V2 utilisés par les forces
allemandes pour bombarder l’Angleterre lors de la Seconde Guerre mondiale.
La précision de navigation atteinte à l’époque, sans le secours du GPS, force

(1) Voir les deux arrêtés du 11 avril 2012 relatifs à la conception et mise en œuvre des aéronefs
circulant sans personne à bord d’une part et à leur utilisation des espaces aériens d’autre part (JORF
no 109 du 10 mai 2012, texte no 8, p. 8 643 et texte no 9, p. 8 655 sur http://www.legifrance.gouv.fr/).

101
le respect technologiquement parlant. Pour autant, on ne parlerait pas non
plus d’autonomie de décision pour ces engins souvent assimilés à des « bombes
volantes ».
Depuis ces engins et notamment depuis la mise en service du GPS, les drones
ont acquis des capacités de navigation autonome et avec cela certaines lettres de
noblesses. Depuis le GPS, la navigation inertielle des drones ne dérive plus, et de ce
fait les drones sont devenus capables d’assurer la conduite en mode nominal d’un
plan de vol et d’un certain nombre de tâches d’asservissement sur des objectifs
fixes ou mobiles. On peut même leur confier des tâches de déclenchement du
feu dans le domaine militaire, avec des capacités automatisées de localisation
de cible, désignation et tir. Sont-ils devenus pour autant intelligents ? Force est
de constater que non, parce que ce n’est pas ce qu’on leur demande.

ce qu’on Leur demande aux drones


Les drones sont le plus couramment utilisés sur des théâtres d’opérations
militaires et depuis plusieurs décennies, mais avec des contraintes d’utilisation
liées au contexte militaire et sans intégration dans un espace aérien civil au sens
commun. En termes de sécurité des vols et de fiabilité : on est très loin du niveau
actuel de sécurité des aéronefs pilotés de transport aérien. Les débats sont plus
mitigés si on compare ces taux de fiabilité à ceux de l’aviation générale, mais
là encore, le contexte d’emploi est largement différent et la comparaison n’est
pas très instructive. Toujours est-il que la fiabilité de ces drones et la sûreté de
leurs systèmes de contrôle doivent encore être grandement améliorées si l’on
veut pouvoir les insérer dans nos espaces aériens sans danger.
Les utilisateurs de drones cherchent le terrain d’exercice adéquat, car le
taux d’attrition de ces engins crée un risque réel de dommages collatéraux
inacceptables sous nos latitudes : l’Afghanistan ou l’Irak conviennent, le
Kosovo a convenu, la frontière américano-mexicaine a convenu jusqu’au
premier accident. Les territoires en guerre sont, de façon générale, beaucoup
plus adéquats pour l’usage de ces engins. On se soucie cependant toujours
d’efficacité, là aussi le bât blesse, car lorsqu’on perd le contrôle d’un drone, il
ne peut plus accomplir sa mission.
D’ailleurs, au risque d’en décevoir certains, les missions des drones actuels
sont encore restreintes à celles de l’aviation de la Première Guerre mondiale
et encore : observation certes, désignation d’objectifs aussi, bombardement
peu, attaque très occasionnellement… pas de combat aérien, peu de transport,
quelques acrobaties, mais uniquement en laboratoire. En matière d’applications
civiles également, on leur demande surtout d’être autonomes pour la gestion
du vol et de l’acquisition d’information.

L’autonomie des drones dictée par Les exigences de sécurité


Le drone étant construit pour être dédié à une tâche ou à une mission, il est
opéré par un opérateur, qui supervise sa mission ou son travail. On recherche

102
une plus grande efficacité en mission en déchargeant l’opérateur de certaines
tâches routinières que le drone est censé assumer : n’ont-ils pas été initialement
imaginés pour les missions militaires routinières, dangereuses ou sales, dull,
dangerous and dirty classiquement ?
Pour autant, le retour d’expérience récent aux Etats-Unis est intéressant
à plus d’un titre, puisque des drones qui ont été développés par les industriels
aéronautiques les plus chevronnés et qui ont bénéficié du meilleur retour
d’expérience en opérations militaires et de sécurité civile peuvent être victimes
de pannes de conception des systèmes et notamment des systèmes de mise en
sécurité et récupération en sécurité après pannes ou défaillances. On peut ainsi
trouver facilement dans la presse américaine des exemples récents et instructifs
de défauts de sûreté de fonctionnement de ces systèmes sur des engins de très
grande taille, avion ou hélicoptères et développés avec tout le savoir-faire, la
maîtrise aéronautique et les normes de certification applicables :
• “Navy Drone Violated Washington Airspace”, The New York Times,
August 25, 2010(http://www.nytimes.com/2010/08/26/us/26drone.html) ;
• Reliability problems (http://www.uavglobal.com/mq-1c-grey-eagle/) ;
• “Army investigating collision of two unmanned aircraft”, SUAS
News, August 12, 2012, (http://www.suasnews.com/2012/08/17967/
army-investigating-collision-of-two-unmanned-aircraft/).
Bien sûr, ce ne sont que des exemples de problèmes qui se posent aujourd’hui
et qui ont vocation à être résolus dans les années à venir. On cherche ainsi à
développer l’autonomie des drones en regard des aspects liés à la sécurité des
vols, à la conception, aux performances et à la sûreté de fonctionnement des
systèmes :
1. En termes de conception, un drone doit être adapté à sa mission en
conditions d’emploi nominales et dégradées ;
2. En termes de performances, le drone a besoin de fonctions automatiques
embarquées (« intelligence » ?) pour lui permettre de percevoir, de décider
et de s’adapter localement à l’environnement et aux autres aéronefs ou
agents, à la place du pilote déporté si besoin : atterrir sans danger, rattraper
une rafale de vent, éviter des obstacles imprévus ou d’autres aéronefs, etc. ;
3. En termes de sécurité, tout système de drones doit à tout moment res-
ter sous le contrôle des opérateurs qui le supervisent, en leur assurant une
bonne information et conscience de la situation. En cas d’urgence, le drone
doit rester dans une enveloppe de sécurité garantie pour un retour au sol
sans danger pour autrui.
Il est ainsi nécessaire d’avoir des drones plus autonomes pour pouvoir
garantir plus de sécurité, c’est probablement le facteur le plus déterminant
pour le développement de l’autonomie des drones.

notion d’autonomie et cas des drones


La notion « d’autonomie » a ainsi été attachée au terme de « drone »
de façon quelque peu abusive, en particulier dans le domaine militaire où

103
le commandement en charge des opérations intervient toujours dans toute
décision stratégique ou tactique sur l’emploi des drones (ce serait également
le cas dans le domaine civil) : seules les capacités de vol, d’exécution sûre et
fiable des tâches et de maintien en sécurité doivent être garanties et ce « même
en situation d’autonomie ».
On entend maintenant parler de « drones sous-marins » ou « drones marins »,
voire de « drones terrestres », mais c’est faire grande injustice aux robots qui
peuplent nos ouvrages de science-fiction, nos usines, nos laboratoires de
robotique et d’intelligence artificielle depuis fort longtemps maintenant. On
peut également trouver nombre d’exemples où une tâche peut être accomplie
par un drone, sans qu’il fasse preuve d’une très grande autonomie : les drones
d’épandage agricole sont opérés manuellement, car la version autonome du
Yamaha R-MaX ne doit pas se passer d’un opérateur de sécurité au bord du
champ à traiter, pour prendre en compte des rafales soudaines de vent, faire
une pause au moment du passage d’écoliers ou d’autres passants. Les drones
militaires ne font guère plus que suivre leur plan de vol et les déroutements
qu’on leur impose : si ce n’est poursuivre automatiquement une cible avec
un capteur de désignation. La prise de décision relève du commandement et
heureusement.
On peut cependant aussi trouver des missions ou des tâches, que l’on ne
peut pas encore demander à un drone faute d’une plus forte autonomie du
système. Le besoin d’automatisation des phases critiques au cours de ces tâches
ou missions apparaît clairement lorsqu’il est fortement nécessaire d’adapter
l’état de l’appareil à un environnement immédiat changeant et incertain. Dans
l’exemple d’une tâche d’appontage d’un drone sur le pont d’un navire sous houle,
il est pratiquement impossible à un opérateur déporté, qui plus est situé sur le
navire en mouvement sous l’effet de la houle, de piloter l’appontage d’un drone,
ni en pilotage à vue ou ni aux instruments. Il lui faudrait tout à la fois faire
abstraction des mouvements du navire pour mieux contrôler ceux de l’aéronef
d’une part et tenir compte des mouvements du navire pour mieux choisir le
meilleur moment pour la manœuvre finale d’autre part. Les expérimentations
américaines ont permis de conclure à une impossibilité pratique sur ce point.

appLications civiLes possibLes des drones


En matière d’applications civiles possibles des drones, la liste est certainement
très longue, trop longue et surtout peu en rapport des applications et usages
effectifs aujourd’hui. Un certain nombre de travaux de recherche, certains
financés par la Commission européenne, ont permis d’étudier les concepts
d’applications futures possibles des drones dans le domaine civil. Les drones
sont certainement une alternative technologique sérieuse à l’emploi de satellites
d’observation. Plus prometteuse serait la possibilité d’employer ces engins dans
des contextes d’intervention au sein d’ensembles d’agents plus complexes ou
comme maillons actifs d’un réseau d’informations et de décisions. Un grand
nombre de missions en milieu hostile pour lesquelles il faut actuellement

104
risquer la vie de plusieurs personnes pourraient être considérées autrement
si était faite la démonstration de la faisabilité de drones dotés de capacités
décisionnelles suffisantes.
Les missions de surveillance sont un exemple simple. Il s’agit que le système
autonome prenne en charge les tâches de pilotage et de guidage, ainsi que des
tâches de veille pour lesquelles la vigilance humaine peut toujours faillir à la
longue. Il faut qu’il en soulage véritablement l’opérateur afin que celui-ci puisse
se consacrer à la gestion de la mission. Les missions de recherche et sauvetage
de personnes en milieu hostile en sont un exemple encore plus intéressant : les
drones pourraient permettre de ne pas exposer inutilement un grand nombre
de personnes dans le but d’en sauver quelques autres et de n’intervenir qu’après
évaluation des risques.
Au rayon des applications potentielles, on trouve pléthore de propositions,
depuis la lutte anti-incendie jusqu’à la surveillance des ouvrages d’art, le tout
avec, pour le moment, une foule indistincte d’appareils candidats de toutes
formes et de toutes tailles. Où l’on trouve plus certainement une logique
promotionnelle que pragmatique de la part des fabricants. Pour paraphraser
certaine formule dure à l’oreille des chercheurs, des « drones à tout faire », tout
le monde en veut, mais les drones que l’on veut, il faudrait les faire.

des drones dans Leurs espaces aériens


Les applications potentielles sont nombreuses, mais encore très mal
définies : le marché est émergent. Des drones assez légers et de petite taille sont
disponibles : quelques kilos. Ils ne sont pas très sûrs, mais ils semblent moins
dangereux. Cependant, la simple rencontre d’un petit drone et d’un pare-brise
de véhicule pourrait engendrer un accident très grave. D’où certaines réticences
justifiées. De façon générale, les besoins opérationnels civils ne sont pas très
bien exprimés, les conditions d’emploi ne sont pas précises. La réglementation
actuelle reste donc très générale, très contraignante (« limitante ») pour garantir
la sécurité des biens et des personnes environnantes, pour le moment souvent
en interdisant les drones. Il existe aujourd’hui des drones civils de marque
Yamaha (Yamaha R-50 et R-MaX) vendus à plusieurs milliers d’exemplaires
pour l’épandage agricole sur champs de thé ou de riz au Japon et en Asie du
Sud-Est. Ils volent bas et pas loin, mais ils sont rentables et opérés de façon
routinière. Ce succès commercial notable s’est accompagné du déploiement d’un
réseau de détaillants, concessionnaires et garages où l’on peut faire réaliser la
vidange et la révision de son drone.

queLLes capacités d’autonomie sont possibLes pour Les drones ?


De manière générale, les laboratoires et bureaux d’études industriels travaillent
dans le domaine des drones dans le but de rendre ces derniers plus « autonomes »
en matière de comportement du drone ou robot, d’aide à la décision ou de prise
de décision. Il existe des drones expérimentaux et de laboratoire : l’université

105
de GeorgiaTech travaille avec des hélicoptères Yamaha R-50 depuis 1995 et
depuis 1998 avec son successeur le Yamaha R-MaX. L’université de Berkeley
et celle de Carnegie Mellon de même travaillent sur ce type d’engins et en ont
acquis de véritables petites flottes aériennes. L’équipe de l’US Army Helicopter
Division localisée dans le centre de recherche d’Ames de la NASA travaille
avec des Yamaha R-MaX depuis 1999. L’université de Linköping en Suède
s’est équipée de Yamaha R-maX en 2000. Le MIT, l’université de Stanford et
bien d’autres, travaillent sur d’autres hélicoptères de taille réduite. L’université
technique de Berlin et l’université de Séville ont développé leurs hélicoptères
modèles réduits capables de comportements adaptatifs et évolués sur sites et
espaces aériens équipés pour les expérimentations [19].
En France, l’ONERA travaille de tels drones depuis les années 1995.
L’ONERA centre de Toulouse a conduit en 2002-2007 le projet ReSSAC qui a
utilisé des drones Yamaha R-MaX pour des démonstrations (2007) d’exploration
autonome de zones (non préparées), la replanification automatique de plan
de vol et la recherche autonome de zones d’atterrissage pour des applications
de recherche et sauvetage (2). Le projet ReSSAC a donné lieu au laboratoire
du même nom (voir infra) et au projet ACTION (http://action.onera.fr/) en
collaboration avec le laboratoire de robotique et d’intelligence artificielle du
LAAS/CNRS (3).
Dans ce projet, des équipes de drones et de robots terrestres, ou des équipes
de drones et de robots maritimes (sous-marins ou de surface) coopèrent de
façon autonome et planifient eux-mêmes leurs déplacements et actions de prise
d’information pour cartographier des environnements aéroterrestres semi-
urbains à l’aide de caméras en stéréovision ou de lidar 3D ou aéromaritimes,
pour y localiser des objets mobiles ou personnes, les suivre, transmettre les
informations acquises, renseigner ainsi les stations sol de contrôle et permettre

(2) Voir P.  Fabiani, F.  Teichteil-Königsbuch, « Recherche d’une zone d’atterrissage en
environnement incertain par un hélicoptère autonome », in Processus décisionnels de Markov en
intelligence artificielle, chapitre 6, volume 2, juin 2008. http://action.onera.fr/webfm_send/393. P.
Fabiani, V. Fuertes, G. Le Besnerais, R. Mampey, A. Piquereau, F. Teichteil-Königsbuch, “ReSSAC
UAV Exploring, Deciding and Landing in a partially known environment”, in IAV 07, Toulouse, IFAC
(3-5 September 2007).
(3) Y. Watanabe, P.  Fabiani, G.  Le Besnerais, “Towards an UAV Visual Air-to-Ground Target
Tracking in an Urban Environment”, in International Council of the Aeronautical Sciences
(ICAS), Nice, France. 19-24 September 2010. Y. Watanabe, C. Lesire, A. Piquereau, P. Fabiani, M.
Sanfourche, G. Le Besnerais, “The ONERA ReSSAC Unmanned Autonomous Helicopter: Visual
Air-to-Ground Target Tracking in an Urban Environment”, in American Helicopter Society (AHS)
66th Annual Forum, Phoenix, AZ, USA, 11-13 May 2010. Y. Watanabe, C. Lesire, A. Piquereau, P.
Fabiani, M. Sanfourche, G. Le Besnerais, System Development and Flight Experiment of Vision-
Based Simultaneous Navigation and Tracking, AIAA Infotech @ Aerospace (I@A), Atlanta, GA,
USA, 20-22, April 2010. P. Fabiani, F. Teichteil-Königsbuch, “Autonomous helicopter searching for
a landing area in an uncertain environment”, Markov Decision Processes in Artificial Intelligence,
chapter 13, June 2010. M. Barbier, H. Cao, S. Lacroix, C. Lesire-Cabaniols, F. Teichteil-Königsbuch,
C. Tessier (ONERA, LAAS-CNRS), “Decision issues for multiple heterogeneous vehicles in
uncertain environments”, in  4th National Conference on Control Architectures of Robots, Toulouse
(France), April 2009. S. Lacroix, G. Le Besnerais, “Issues in cooperative air/ground robotic systems”,
in International Symposium on Robotics Research, Hiroshima (Japan), Nov. 2007.

106
une fusion d’information de cartographie, de localisation à des fins d’aide à
la décision (4).

queLLe autonomie de décision envisageabLe pour Les drones ?


Certaines démonstrations de laboratoire sont fondées sur des recherches
avancées en traitement du signal, automatique et intelligence artificielle, comme
l’intégration de capacités de traitement d’images embarquées permettant des
adaptations du vol et de la mission : détection et évitement d’obstacles ténus
(câbles) — suivi automatique de cibles mobiles —, exploration et cartographie
d’environnements peu structurés (couverts forestiers) et mal connus (villages
endommagés) — replanification de la mission à bord en fonction de la perception
ou de la cartographie de l’environnement —, coordination de plusieurs engins
pour la réalisation de tâches communes. Certains drones sont plutôt « des drones
d’intérieur », qui se trouvent très myopes et facilement éblouis à l’extérieur
de bâtiments et d’autres sont des « drones d’extérieur » qui ont bien du mal à
naviguer sans encombre entre ou dans les bâtiments qui leur masquent leur
sacro-saint signal GPS.
Le rythme des démonstrations montre l’existence d’une réelle base
technologique pour avancer dans la bonne voie. Cependant, il faut également
constater que les démonstrations réalisées ne sont jamais étoffées de garanties
satisfaisantes de reproductibilité ou de robustesse. Les prouesses accomplies sont
éphémères, rarement routinières. Or en robotique, l’effet « démo » mis à part,
la physique a tendance à prendre le pas et à l’emporter sur le système artificiel.
Les capacités d’adaptation automatique ou autonome, dont on voudrait doter
les drones, posent même de sérieux problèmes quand il s’agit de prouver que le
concept imaginé est capable de se comporter de façon déterministe par rapport

(4) A.  Degroote, S.  Lacroix, «  ROAR : une architecture orientée agents pour l’autonomie des
robots », in 18e Congrès francophone sur la Reconnaissance des Formes et l’Intelligence Artificielle
RFIA’12, Lyon (France), 24-27 janvier 2012. C. Carvalho-Ponzoni-Chanel, F. Teichteil-Königsbuch,
C. Lesire, “Multi-target detection and recognition by UAVs using online POMDPs”, in 27th AAAI
Conference on Artificial Intelligence (AAAI-13), Bellevue, Washington, USA, 14th-18th July 2013,
à paraître. H. Cao, S. Lacroix, F. Ingrand, « Planification d’une mission d’observation par allocation
de tâches hiérarchiques pour une équipe de robots hétérogènes », in 18e Congrès francophone sur
la Reconnaissance des Formes et l’Intelligence Artificielle RFIA’12, Lyon (France), 24-27 janvier
2012. T. Gateau, M. Barbier, C. Lesire-Cabaniols, “Local Plan Execution and Repair in a Hierarchical
Structure of Sub-Teams of Heterogeneous Autonomous Vehicles”, in Doctoral consortium of ICAPS
2010, Twentieth International Conference on Automated Planning and Scheduling, Toronto, Canada,
May 12-16, 2010. R. Boumghar, S. Lacroix, O. Lefebvre, “An Information-Driven Navigation Strategy
for Autonomous Navigation in Unknown Environments”, in IEEE International Symposium on Safety,
Security, and Rescue Robotics, Tokyo (Japan), Nov. 2011. N. Muhammad, S. Lacroix, “Loop closure
detection using small-sized signatures from 3D LIDAR data”, in IEEE International Symposium on
Safety, Security, and Rescue Robotics, Tokyo (Japan), Nov. 2011. C. Roussillon, A. Gonzalez, J. Solà,
J.-M. Codol, N. Mansard, S. Lacroix, M. Devy, “RT-SLAM: a generic and real-time visual SLAM
implementation”, in Proceedings of the 8th international conference on Computer vision systems,
Sophia-Antipolis (France), sept. 2011. T. Vidal-Calleja, C. Berger, J. Solà, S. Lacroix, “Large scale
multiple robot visual mapping with heterogeneous landmarks in semi-structured terrain”, in Robotics
and Autonomous Systems, vol. 59, n° 9, pp. 654-674, sept. 2011. T. Vidal-Calleja, C. Berger, J. Sola,
S. Lacroix, “Environment modeling for cooperative aerial/ground robotic systems”, in International
Symposium on Robotics Research, Lucerne (Switzerland), sept. 2009.

107
aux exigences de sécurité (à une autorité de certification ou d’autorisation
de vol par exemple). « Couvrir » tous les cas possibles, quels que soient les
événements et occurrences dans l’environnement non déterministe, complexe,
changeant et incertain du système est un vœu pieux : des outils de preuve sont
nécessaires. On parlera donc de capacités d’autonomie, ou bien d’autonomie
comme capacité du système à s’adapter seul à son environnement tout en
restant dans un cadre de comportement sûr bien défini, bien délimité et connu.
Il s’agit bien de l’autonomie que l’on attend d’une personne à qui l’on confie
une mission et que l’on veut voir réalisée sans avoir à être constamment « sur
son dos » pour contrôler, mais certainement pas de l’autonomie que l’on peut
réclamer au nom de la liberté de « faire ce que l’on veut ».
On retrouve, mais par des chemins encore à préciser, la notion de
déterminisme de comportement qui est exigée des systèmes embarqués et
fonctions avioniques critiques à bord de nos avions de transport à commandes
de vol électrique. Comment réaliser un tel déterminisme de comportement,
alors que le système de drones va devoir faire face à des événements en vol que
le pilote ne sera pas forcément à même de contrôler directement depuis le sol :
par exemple en cas de perte de liaisons de données ou de perte du signal GPS ?
On cherche donc exclusivement à doter les drones des capacités de réaction,
et donc de décision, strictement nécessaires et adaptées pour permettre un
maintien de la sécurité du vol et une sauvegarde des personnes et des biens en cas
d’événements perturbateurs ou d’aléas dans le bon déroulement de la mission.

perspectives
Outre l’avancée de la maturité de certaines technologies, dont la maîtrise est
l’apanage des industriels du domaine, un certain nombre d’avancées doivent être
accomplies au carrefour des recherches en automatique, intelligence artificielle,
traitement du signal et des images et systèmes embarqués (temps réel).
En France, l’ONERA a développé un laboratoire de drones expérimentaux
et conduit actuellement des recherches multidisciplinaires en ce sens sur la
conception, l’amélioration des performances et les moyens de garantir la sûreté
de fonctionnement et la sécurité des systèmes de drones et de leurs systèmes de
contrôle, avec des retombées également pour la sécurité et les performances des
futurs avions et hélicoptères pilotés. Il s’agit du laboratoire drone ReSSAC :
Recherche et expérimentations sur les Systèmes de drones et systèmes embarqués
Sûrs Autonomes Coopérants, basé à l’ONERA – centre de Toulouse – au
sein du pôle de compétitivité Aerospace Valley AESE : Aéronautique, espace
et systèmes embarqués. Ces recherches sont ainsi conduites au sein de la
communauté internationale des laboratoires de recherche, avec les organismes
institutionnels français et européens des domaines de la défense, de l’aviation
civile, et de l’intérieur, ainsi qu’avec les industriels du domaine, pour une future
utilisation en sécurité des drones.
Les efforts consacrés à la recherche permettront d’établir les outils permettant
de concevoir, développer, vérifier et valider les systèmes de drones futurs capables

108
de garantir le respect des exigences de sécurité et de sûreté de fonctionnement,
par leurs capacités d’adaptation, de réaction et de décision autonome, y compris
lorsque des événements ou aléas viennent perturber le déroulement nominal
de leur mission, elle-même bien définie. Pourquoi pas pour des missions de
sécurité civile et de gestion de crise ? Repérage et assistance aux personnes en
danger dans un incendie, dans une inondation, recherche et sauvetage, etc.
Les travaux de recherche actuels sont fondés sur le triple constat :
1. que doter un drone de capacités de décision embarquée est faisable et
possible même pour des missions assez complexes ;
2. que de telles fonctions d’autonomie devront être intrinsèquement liées
à un gain d’efficacité dans la mission et surtout à une amélioration de la
sécurité et de la sûreté de fonctionnement du système global (tenant compte
des rôles et interactions des opérateurs et des machines) ;
qu’il faut développer les outils pour concevoir ces fonctions d’autonomie
de façon à ce que l’on soit à la fois :
• capable de les réaliser et de les garantir « sûres de fonctionnement » dans
tous les cas,
• capable de prouver que le résultat après intégration est conforme aux
exigences initiales.

Inserer image 1 (page 98 du manuscrit)


Comportement global déterministe garanti par les travaux de
Recherche sur Systèmes Sûrs Autonomes Coopérants ReSSAC

Systèmes et fonctions embarquées automatiques sûres


Pilotage /
Supervision / Vision / Actions
Guidage / Navigation
Planification Cartographie
Sécurité
Environnement:

Liaisons de donnée sécurisées


Station sol
Pilotage /
Supervision / Vision /
Guidage / Navigation
Planification Cartographie
Sécurité

Informations, perception,
Perturbations, agressions,
Aléas, intrusions, malveillances
Evénements, défaillances, pannes,

figure 1. objectiF des travaux de recherche du Laboratoire ressac


en termes de Fonctions avioniques et systèmes embarqués critiques sûrs
permettant de garantir Le comportement gLobaL déterministe sûr et
sécurisé du système de drones (y compris des systèmes de supervision
et contrôLe au soL) Face aux inFormations, perturbations et aLéas de
L’environnement.

On peut résumer les axes de travaux aux trois suivants :


1. coopération (un drone autonome n’est jamais « tout seul », il coopère
avec humains et robots) ;

109
2. perception (un drone autonome a besoin de percevoir son environnement) ;
3. sûreté de fonctionnement (un drone très « intelligent » doit être d’autant
plus fiable et permettre qu’on le démontre).
Avec l’évolution des techniques actuelles, et celle de la réglementation, on
ne peut pas encore prétendre qu’on n’a jamais été aussi proche de faire voler
(insérer) des drones en sécurité dans les espaces aériens, mais on peut affirmer
qu’on n’a jamais été aussi proche de s’attaquer aux vrais points durs.

110
Véhicules aériens de type drone.
Différences avec un aéronef
avec pilote à bord
Pierre-Marie Basset et Jean Hermetz

Un drone est avant toute chose un objet de haute technicité. Il s’agit d’un
système au sens où il intègre différents éléments complexes distincts mais
complémentaires et formant un tout cohérent en vue de réaliser une mission.
Quatre éléments majeurs constituent un système drone : le véhicule aérien
(VA), sa charge utile, la station de téléopération (ou station sol), et les liaisons
de données. On y ajoute naturellement ses opérateurs.
Le VA est en quelque sorte le « fer de lance du système ». Il s’agit d’un
véhicule ayant certaines capacités de vol permettant de placer et maintenir,
en conditions aussi nominales que possible, une charge utile dédiée à une ou
plusieurs fonctions nécessaires à la réalisation de missions (capteurs ou autres
éléments appelés plus loin « effecteurs » auxquels est consacré un autre chapitre).
Cette partie de l’ouvrage s’intéresse au segment aérien (VA) lui-même,
i. e. l’aéronef constitué d’une cellule, de parties sustentatrices (voilures) et
propulsives, d’une génération de puissance (usuellement la motorisation, mais
aussi des batteries, bien qu’il existe des aéronefs sans moteur tels que les ballons
et planeurs), ainsi que d’une avionique embarquée permettant d’assurer le vol
automatique (sans pilote à bord), voire autonome.
Les équipements formant l’avionique embarquée propre au drone (même
s’il peut y avoir recouvrement avec une partie de la charge utile dédiée à la
mission, certains capteurs parmi les équipements de base pouvant contribuer
directement à la mission) seront ici présentés simplement au travers des grandes
fonctions qu’ils permettent d’assurer.
L’essentiel de ce chapitre concerne les spécificités des VA de type drone par
rapport aux aéronefs avec pilote à bord. Les aspects techniques communs aux
VA avec ou sans personne à bord peuvent être consultés dans de nombreux
autres ouvrages. Le présent document insiste donc sur ces spécificités qui sont
en général partagées à la fois par les drones à voilures fixes ou tournantes.

système embarqué : équipements nécessaires au voL


sans piLote à bord

Brièvement sont rappelées ici les grandes fonctions fondamentales qui


doivent être assurées par les équipements nécessaires au vol sans pilote à bord.
Il s’agit pour l’essentiel des fonctions : pilotage, guidage, navigation, voir-éviter
(« sense & avoid » en anglais).

111
Ces fonctions sont liées entre elles. Elles correspondent à un contrôle du
vol plus ou moins long terme. Le pilotage est le contrôle à chaque instant de la
dynamique du vol au travers des accélérations, vitesses et angles d’attitude de
l’aéronef. Le guidage est le contrôle de la trajectoire de l’appareil sur un hori-
zon de temps intermédiaire entre le court terme du pilotage et le long terme
de la navigation. Cette dernière recouvre le contrôle du cheminement géogra-
phique de l’aéronef au cours de son vol au moyen de points particuliers sur
une carte (point de départ, points de passage intermédiaires, point d’arrivée).
La navigation s’appuie donc sur le guidage qui lui-même implique le pilotage.

Navigation

Guidage

Pilotage

Figure 1 : Imbrication des fonctions de base.


Ces fonctions, pour être assurées, ont besoin de moyens de mesure et
d’actionneurs. Ces derniers sont des servo-commandes ou autres actuateurs
permettant d’agir sur les différentes commandes de l’aéronef.
Le pilotage repose sur les informations fournies par la centrale inertielle.
La mesure de la vitesse de l’aéronef relativement à l’air en intensité et direction
est souhaitable pour compléter les informations nécessaires au pilotage. Tout
aéronef est soumis à des forces et moments aérodynamiques qui dépendent de
sa vitesse relative à l’air. En pratique les mesures de vitesse air sont réalisées
par sonde Pitot sur les avions. Elles sont plus difficiles sur un aéronef à voilures
tournantes (giravion) à cause des perturbations générées par le souffle des rotors
(en particulier par le rotor principal dans le cas d’un hélicoptère) et à cause
des basses vitesses. En effet, en dessous d’une certaine vitesse, les tubes Pitot
ne donnent plus une information fiable. D’autres techniques ont été étudiées
faisant appel à d’autres capteurs (capteurs utilisant un autre principe que la
mesure d’une différence de pression, par exemple : vélocimétrie laser ou mesure
de passages de tourbillons au moyen de sondes à ultrason, etc.) associés ou
non à une méthode algorithmique hybridant la mesure de la vitesse air avec
d’autres mesures (celles de la centrale inertielle notamment).
La mesure de la vitesse air aux basses vitesses pour les giravions (typiquement
en dessous d’environ 45 kilomètres heure pour donner un ordre de grandeur)
est une problématique non encore résolue. Bien souvent les drones à voilures
tournantes font l’impasse sur cette mesure.

112
Le guidage et la navigation requièrent la mesure des positions en tant que
coordonnées géographiques (X, Y, Z). Elles sont évaluées bien souvent à l’aide
d’un GPS (Global Positioning System), i. e. un système de positionnement
par satellite dont il existe différents types (simple, différentiel, etc.). Cette
localisation géographique est en général complétée par la mesure de l’altitude
pression au moyen d’un baromètre voire par celle de la hauteur par rapport au
sol (par exemple au moyen d’une sonde LASER ou SONAR). Par ailleurs, on
hybride généralement la centrale inertielle (IMU pour Inertial Measurement
Unit) avec les informations GPS et une information d’altitude barométrique,
pour disposer d’un vecteur d’état (vitesses et positions) présentant des biais
les plus faibles possibles.
Outre les équipements précédents, l’évitement d’obstacles nécessite un ou
des capteurs pour détecter les obstacles fixes ou mobiles (bâtiments, végétation,
poteaux et lignes à haute tension, autre aéronef, etc.) suffisamment tôt (donc
loin en avant) pour permettre d’éviter la collision. Le type de capteur utilisé
pour cette fonction anticollision peut être par exemple une caméra frontale,
un LIDAR, un LASER ou un RADAR millimétrique… Il existe également
des solutions coopératives, mais dont l’usage est essentiellement possible dans
le trafic aérien civil (par exemple le système d’alerte de trafic et d’évitement de
collision TCAS (Traffic Collision Avoidance System).
Au-delà de ces fonctions de base, la fonction de décision autonome est
intrinsèquement liée à la notion de drone. Ce degré d’autonomie est variable
entre différents drones et peut-être modulable pour un même drone. Elle peut
recouvrir au minimum le traitement d’urgence d’une panne majeure telle que
la perte de la liaison de données ou plus largement la gestion de la mission et
de capteurs, la reconfiguration en cas de panne…
Néanmoins on peut d’ores et déjà indiquer ici que l’absence de pilote à bord
suppose que son intelligence, sa compétence et ses sens se trouvent dans une
certaine mesure remplacés ou tout au moins déportés. À ce titre, on distingue
les appareils téléopérés (RPV ou Remotely Piloted Vehicules et RPAS pour
Remotely Piloted Aerial System) des appareils automatiques, qui peuvent en
outre être dotés d’une certaine autonomie.
Dans tous les cas, le VA emporte à bord des calculateurs qui lui permettront
d’assurer une stabilisation. Le « pilote », qu’il soit à bord (donc sous forme d’un
calculateur assurant la direction du vol), ou au sol (et dans ce cas il s’agira d’un
opérateur-pilote ou télépilote), délivre un ordre de haut niveau, ou consigne
de type « prendre un cap », « tenir une pente », « maintenir une vitesse ». Le
calculateur de bord élabore, en fonction de sa connaissance de l’état du VA,
de son attitude, sa vitesse, de tous ses paramètres de vol qui sont observés par
des capteurs dédiés (sonde anémométrique, centrale inertielle, GPS, etc.), les
ordres sur les gouvernes et leur asservissement en boucle fermée pour obéir à
ces ordres de guidage de haut niveau.
Si l’on est sur un VA automatique, ce guidage est alors intégré dans une
boucle de navigation, qui vient assurer, via généralement la succession de points
de passage traduisant un « plan de vol », ou profil de mission, la conduite de
celle-ci en élaborant les ordres de guidage au fur et à mesure du déroulement de

113
cette mission. Ces ordres peuvent être préprogrammés, avant mission, ou adaptés
durant son déroulement : dans ce cas, c’est un rôle possible d’un opérateur
sol, ou bien d’une capacité d’autonomie décisionnelle embarquée du véhicule.
Cette description succincte de l’avionique, essentiellement faite ici pour
en montrer l’impact sur l’architecture générale du vecteur aérien, en montre
toute la complexité : même si un pilote exerce ce pilotage à travers des capteurs
de même nature que ceux décrits, les fonctions de guidage et de navigation,
et d’autonomie dans la gestion de la mission, lui sont généralement dévolues
(tout en étant généralement aidé par des équipements comme le FMS – Flight
Management System). Là, son absence à bord est palliée par des calculateurs qui
présentent l’avantage d’être déterministes, fiables, insensibles aux manœuvres
et, dans une certaine mesure, aux conditions environnementales, et surtout
décomposables en éléments pouvant être répartis dans la cellule. Ils n’ont en
revanche que des capacités d’initiative limitées à ce jour. En outre, d’un point
de vue installation à bord, les équipements avioniques, dans une moindre
mesure que ceux dédiés à la mission, nécessitent de la puissance électrique et
génèrent de l’énergie thermique. Cela vient s’ajouter aux bilans de puissance
et thermiques dus aux équipements de mission, lesquels sont généralement
nettement plus gourmands sur des VA de type MALE (moyenne altitude
longue endurance) ou HALE (haute altitude longue endurance), mais ces
proportions entre équipements avioniques ou mission changent notablement
pour des minidrones et encore plus pour des microdrones.

spécificités par rapport aux aéronefs avec piLote à bord


Les aéronefs de type OPV (Optionally Piloted Vehicle) peuvent opérer
sans ou avec pilote à bord. L’intérêt est d’une part de pouvoir profiter de la
possibilité de la présence d’un pilote de sécurité durant les phases de mise au
point du système et pour certaines missions, d’autre part de pouvoir adapter un
VA déjà conçu pour le vol avec pilote à bord. À titre d’exemple, on citera le cas
du Little Bird de Boeing (ou Unmanned Enhanced Little Bird - UMELB) qui est
un hélicoptère dérivé du MD530-FF à l’exception du rotor principal à 6 pales
et du moteur qui proviennent du MD600-N. Dans ce cas, la « dronisation » se
limite pour l’essentiel à l’adaptation et au complément des systèmes embarqués
dans un VA existant.
Dans tous les autres cas (hors OPV et de façon plus générale sans occupant
pilote ou passager à bord), un VA de type drone peut se distinguer d’un aéronef
conventionnel, embarquant des personnes, par les aspects de conception suivant :
• la taille : car il peut alors se décliner à différentes échelles en particu-
lier de taille réduite (mini ou microdrones) présentant l’intérêt d’une dis-
crétion ainsi que d’une facilité de transport et de mise en œuvre accrues ;
• la forme ou plus généralement la gestion du volume et de la visibilité :
le cockpit, avec ses instruments, sa verrière et toutes les contraintes asso-
ciées est supprimé ouvrant des degrés de liberté dans l’organisation topo-
logique des équipements de toute nature ;

114
• les capacités : car un drone peut s’affranchir des limites humaines qu’im-
pose la présence de personne(s) à bord (accélérations très élevées, conditions
de pression et de température, endurance ou plus généralement capacités
aux missions de type Dull-Dirty-Dangerous) ;
• le concept : certains appareils de par leur architecture ou leur concept
de vol sont plus faciles à opérer en version système de drone plutôt qu’en
version avec pilote à bord ;
• dans une certaine mesure, les règles de conception : dans le cas d’un
drone, l’attrition n’a plus le même sens, tandis que les aspects relatifs à
la certification sont essentiellement liés non aux personnes embarquées
mais uniquement aux zones survolées et à l’insertion dans le trafic aérien
civil (aspect lui-même fortement lié à la nature des missions dévolues au
drone considéré).

taiLLes
Dans le domaine des dimensions, les drones se déclinent d’un bout à
l’autre des échelles, avec dans les grands véhicules le Northrop Grumman
RQ-4 Global Hawk et ses 36 mètres d’envergure, soit de dimensions de même
ordre que celles d’un Airbus A-320, et à l’autre extrémité des aéronefs de taille
comparable aux gros insectes.
Si le premier cas correspond à un appareil tout à fait semblable, du moins
dans son apparence, à un avion piloté, bien évidemment il n’en va pas de même
pour le second : l’absence de personne à bord permet de s’affranchir de cette
contrainte de « volume minimal » et donc de concevoir des VA de taille réduite,
directement adaptés à un emploi, des contraintes de discrétion, de transport,
de mise en œuvre qui les rendent opérables par un seul opérateur comme un
outil de base tel qu’une paire de jumelles, par exemple.
Ainsi, cette taille peut en principe être adaptée à l’application souhaitée.
En pratique il existe des limites technologiques, dans le domaine des petites
dimensions, qui font l’objet de nombreuses recherches de façon à être sans cesse
repoussées. On citera notamment le rendement propulsif, où se conjugue d’une
part l’efficacité aérodynamique, peu connue à ces échelles correspondant à des
très faibles nombres de Reynolds (quelques centaines tout au plus), d’autre
part celle des organes électriques et électroniques.
Le terme minidrone est utilisé pour des VA pouvant être transportés par
une seule personne. Par exemple par un fantassin dans un sac à dos comme
dans le cas du CPX4 développé par l’INPG au cours du concours drones
miniatures 2005 sous l’égide de la DGA avec le soutien technique de l’ONERA.
Le cahier des charges de ce concours universitaire international imposait que
la dimension maximale du VA ne dépasse pas 70 centimètres. Le CPX4 est un
exemple parmi d’autres de VA de type quadricopter c’est-à-dire comportant
quatre rotors montés aux quatre extrémités d’une structure en croix.
Les termes microdrone ou nanodrone sont utilisés pour désigner des VA
de taille très réduite pouvant tenir dans une main. Ce domaine de recherche

115
de miniaturisation est fortement inspiré du biomimétisme consistant à prendre
exemple sur la nature. L’intérêt est double, d’une part se fier à la nature qui au
cours de millions d’années a sélectionné les concepts de vol les plus adaptés aux
faibles dimensions, d’autre part se fondre dans la nature : un VA ressemblant
à un oiseau ou un insecte sera d’autant plus discret.
Des drones de la taille d’une mouche appelés Robofly (« robot mouche »)
sont étudiés notamment aux États-Unis par exemple par l’université de Berkeley.
Leur poids varie autour de 50 mg (milligrammes) pour une envergure d’environ
3 centimètres. Des progrès ont été faits dans la compréhension de la dynamique
du vol des insectes. Cependant l’effort de miniaturisation est tel qu’il freine
les concrétisations et compromet leur intérêt à cause des limitations que cela
impose sur les capteurs embarqués, les liaisons de données et l’autonomie en
terme de génération de puissance.
Une taille un peu plus grande a permis plus de réussites comme l’illustre le
cas du Nano Humingbird, drone à ailes battantes inspiré de l’oiseau colibri. Il
a été développé pour répondre aux objectifs du programme Nano Air Vehicle
de l’agence étatique américaine Defense Advanced Research Projects Agency
(DARPA) imposant une taille maximale de 7,5 centimètres, une masse maximale
de 10 grammes incluant une charge utile de 2 grammes et pouvant voler du
vol stationnaire jusqu’à 10 m/s (5).

Formes
La diversité des drones montre à quel point la suppression du pilote à bord
relâche des contraintes de conception et permet une adaptation de l’architecture
du porteur à sa mission (6). En effet, la présence d’un pilote à bord se traduit
notamment en termes de contraintes de visibilité, principalement vers le sol
pour les phases de décollage et atterrissage, imposant la présence d’un cockpit,
et un positionnement généralement à l’avant du véhicule, là ou justement les
principales charges utiles, si elles sont notamment formées de capteurs orientés
vers le sol, trouveraient fort naturellement leur place (7). Un cockpit est en
outre difficile à rendre discret d’un point de vue signature électromagnétique,
tandis que le compromis entre qualité optique, visibilité et aérodynamique se
fait généralement au détriment du dernier aspect. Ainsi, son absence autorise
un design de cellule plus aérodynamique.

(5) Matthew Keennon, Karl Klingebiel, Henry Won, Alexander Andriukov, “Tailless flapping
wing propulsion and control development for the Nano Humingbird Micro Air Vehicle”, presented
at the American Helicopter Society Future Vertical Lift Aircraft Design Conference, January 18-20,
2012, San Francisco, California. Copyright © 2012 by AeroVironment Inc. Published by American
Helicopter Society International, with permission.
(6) UAS RoadMap 2005-2030, DoD, États-Unis. J. Fleming, T. Jones, J. Lusardi, P. Gelhausen,
D. Enns, “Improved Control of Ducted Fan VTOL UAVs in Crosswind Turbulence“, presented at the
AHS 4th Decennial Specialist’s Conference on Aeromechanics, San Francisco, California, January
21-23, 2004.
(7) Et dans le plan de symétrie. Même si des concepts ont été étudiés et construits par le passé, il
s’avère très difficile à un pilote de supporter les conditions d’ambiance d’un poste de pilotage décalé
de l’axe de roulis.

116
Pour les Unmanned Combat Air Vehicle (UCAV) à voilure fixe, l’absence de
pilote prend, vis-à-vis du relâchement des contraintes de forme, tout son intérêt
en autorisant des formes adaptées à des critères de discrétion électromagnétique :
forme de fuselage, fuselage et ailes noyés, entrées d’air masquées situées sur
le dessus de l’appareil, qui seraient mal alimentées si elles étaient dans le
prolongement d’un cockpit, etc. À titre d’exemple le Pegasus X-47A (figure 2)
illustre la suppression du cockpit et l’intégration ailes-fuselage dans une forme
continue (concept de Blended Wing Body). On le retrouve également dans le
Neuron de Dassault Aviation. Le cas du Humingbird A-160, drone hélicoptère
de grande endurance, est un autre exemple montrant un design du fuselage
particulièrement aérodynamique en l’absence de cockpit.

Inserer image 3 (page 105 du manuscrit)

Figure 2 : drone de combat x-47 de northrop grumman


Enfin, l’absence de pilote à bord évite ou limite l’installation d’équipements
spécifiques comme les sièges, tableaux de bord, le conditionnement d’air, la
pressurisation, l’alimentation en oxygène, ainsi que certains renforts de fuselage.
Mais c’est essentiellement en supprimant cette « charge » en avant de la cellule
que le gain est le plus important : comme dit juste auparavant, l’absence
d’équipage libère la zone avant où se positionnent avec bonheur des capteurs,
des antennes et autres moyens d’écoute qui sont ainsi dans un environnement
protégé en même temps que dégagés de tout obstacle.
À titre d’exemple, de nombreux drones actuels, de type MALE ou HALE,
présentent une architecture de type « capteurs à l’avant », dans une baie dédiée,
et motorisation arrière. La figure 3 illustre cette architecture sur le Global Hawk.

117
Inserer image 4 (page 106 du manuscrit)

Figure 3 : écorché du gLobaL hawk bLock 20(Flight international)


Cette disposition assure un positionnement idéal des capteurs, à l’avant, et un
contre-balancement, pour l’équilibre des masses, par la motorisation. La formule
aérodynamique, pour les appareils à voilure fixe, reste généralement assez traditionnelle
pour des appareils de ce type : voilure à grand allongement, gage de finesse élevée et
donc d’un excellent rendement aérodynamique pour assurer une endurance élevée, et
empennage arrière pour la stabilisation et le contrôle longitudinal.

capacités du vecteur aérien


L’expérience aéronautique permet de répondre de façon assez complète aux
exigences de missions qui sont déclinées généralement, pour la partie vecteur
aérien proprement dite, en termes classiques de performances aéronautiques de
type rayon d’action, endurance, auxquelles se rajoutent des performances plus
opérationnelles telles que vitesse ou taux de montée, capacité de manœuvre,
performances à basse vitesse.
La deuxième notion essentielle constitue bien évidemment la charge utile
elle-même, et ses contraintes d’emploi qui viennent compléter les exigences en
performances énoncées ci-avant, notamment en termes de vitesse sur trajectoire,
d’altitude de vol, de stabilité de la plate-forme. Ces différentes spécifications
guident généralement le choix de la formule aérodynamique du véhicule, d’une
part, de sa motorisation, d’autre part.
Pour le premier point, le rayon d’action et l’endurance conduisent à des
voilures à grand allongement. Une bonne stabilité et la maîtrise du comportement
à basse vitesse militent généralement pour une configuration empennée classique
(empennage en V ou en croix).
Pour le second, les critères d’autonomie et de vitesse (croisière, montée,
endurance) se conjuguent avec des notions de simplicité, de maintenance,

118
pour permettre de réaliser un choix entre une motorisation de type turbofan,
simple, efficace mais de consommation spécifique relativement élevée, ou des
solutions reposant sur des moteurs à piston, généralement turbocompressés,
pour le domaine des drones de petite capacité, ou bien des turbines pour des
MALE. Dans ce choix de motorisation, l’altitude de mission, également, joue
bien évidemment un rôle prépondérant. On notera que :
• les turbofans sont généralement issus de l’aviation classique, générale ou
d’affaire, et sont donc certifiés généralement jusqu’à 45 000 ft. Au-delà, des
essais, voire des développements spécifiques s’imposent ;
• les moteurs à piston perdent leurs performances rapidement en altitude,
nécessitant le recours à la compression à l’admission pour contrebalancer
la raréfaction de l’air. Ces compresseurs représentent des systèmes relati-
vement complexes, qu’il faut généralement compléter avec des échangeurs
pour maîtriser l’augmentation de la température de l’air. Ces échangeurs
sont en eux-mêmes des sources de traînée et de complexité.
Enfin, les drones, notamment ceux à voilure fixe de taille conséquente
(MALE et HALE), sont amenés à être opérés dans des environnements mêlant
trafic civil et militaire. De ce fait, ils doivent assurer une capacité à s’insérer
dans le trafic aérien contrôlé, et plus généralement être conformes à un certain
nombre d’exigences réglementaires, en cours d’établissement. Il est prématuré
à ce jour de préciser plus, d’un point de vue performances, les exigences que
cet impératif de compatibilité peut introduire, mais en tout état de cause la
similarité des performances avec les aéronefs évoluant dans le trafic aérien est
une bonne base de réflexion.
Au-delà de ces aspects généraux, le propos est ici de souligner les différences
de capacités i. e. performances entre les véhicules aériens habités ou de type
drone. L’absence de personne à bord permet au drone de s’affranchir des
limites humaines ce qui le rend plus apte à certaines missions (3D : Dull-Dirty-
Dangerous, voir infra), mais cela doit se traduire par la prise en compte de
certaines spécificités dans sa conception.
« Dull » : les drones sont par nature plus aptes aux missions fastidieuses,
nécessitant une grande endurance ou/et un déroulement systématique précis
mais ennuyeux, qu’il est plus efficace de confier à un robot volant qu’à un
pilote susceptible de déconcentration. On citera par exemple les missions
de surveillance sur une longue durée, les missions d’inspection de sites ou
d’ouvrages qui imposent un balayage systématique précis et répétitif… Les
conséquences sur la conception du VA concernent son autonomie accrue en
termes d’endurance (bilan énergétique minimisant la puissance requise et
maximisant la capacité énergétique embarquée), de traitement et/ou stockage
des informations acquises, de gestion des cas de pannes…
« Dirty » : il s’agit de missions pour lesquelles il est préférable de ne pas
exposer un pilote à des risques liés à la pollution de l’environnement survolé,
par exemple pour l’épandage de traitement chimique, pour l’intervention sur
des sites nucléaires… La conséquence sur le VA concerne sa protection et en
particulier celle des équipements vis-à-vis de la pollution à laquelle il est exposé

119
(renforts, blindages ou autres protections spécifiques contre la corrosion, les
perturbations électromagnétiques ou les rayonnements ionisants, etc.).
« Dangerous » : il peut s’agir de missions civiles ou militaires susceptibles
d’exposer un pilote ou un équipage à un danger comme par exemple les missions
de reconnaissance ou d’intervention en milieu hostile dans le cas d’un conflit,
la surveillance ou l’inspection de zones à risques (incendies, volcans, etc.). Les
conséquences sur le VA dépendent naturellement du risque encouru. Il faut
équiper le drone de capteurs lui permettant de mesurer les paramètres qui à
partir de certains seuils peuvent nuire à son intégrité, au fonctionnement des
équipements et à la bonne réalisation de sa mission. Par exemple, un drone peut
potentiellement être doté de capacités d’accélérations accrues, encore faut-il
les prendre en compte au moment de sa conception. Outre des structures,
matériaux, fixations et renforts permettant de supporter les forts facteurs de
charge, il faut prévoir des accéléromètres capables de fonctionner dans toutes
les situations, ainsi que des algorithmes permettant d’éviter le dépassement de
limites préétablies au moyen de boucles d’asservissement automatique. De même
vis-à-vis des autres dangers, comme par exemple les élévations de température,
etc., pour lesquels il faut prévoir de façon générale des protections à la fois
au niveau de la structure du VA, des capteurs et de l’automatique embarquée.

concepts
Même si, en théorie, il est souvent possible d’adapter un véhicule aérien
pour qu’il puisse accueillir un pilote ou un équipage, certains concepts de VA
sont plus faciles à mettre en pratique en version drone. Au-delà des différences
de forme, de taille et performances déjà évoquées, cela peut s’expliquer par une
architecture de VA peu propice à accueillir des personnes à bord. Par exemple,
un VA comprenant deux rotors coaxiaux contrarotatifs montés au-dessus et
en dessous d’une cellule centrale est plus facile à mettre en œuvre en version
drone qu’en version avec pilote à bord.

Figure 4 : concept de drone axisymétrique birotors coaxiaux

120
De même des concepts utilisant un seul système caréné enserrant à l’intérieur
un ou des rotors coaxiaux avec ou sans volets de contrôle et une motorisation
sont de façon quasi unanime déclinés sous forme de drone, l’architecture de
ces VA se prêtant guère à l’intégration d’un pilote.
Plus généralement l’avènement des drones a permis de revisiter des concepts
de VA explorés par le passé, mais qui avaient été laissés de côté face à une
difficulté technique ou faute d’un bilan positif entre d’une part leur complexité,
leur coût et leur dangerosité et d’autre part leur réel intérêt applicatif. Avec
l’avènement des drones, les coûts et risques de développement deviennent
moins prohibitifs, d’où l’engouement et le fleurissement actuel de projets. On
assiste à une « explosion » des concepts de VA et en particulier des giravions
du fait de l’intérêt de leur capacité de décollage et atterrissage verticaux, vols
stationnaires et basses vitesses.
Il s’agit d’aéronefs qui ont l’avantage de s’affranchir de moyens lourds
pour leur décollage et atterrissage (piste ou autre moyen tel que catapulte).
La grande majorité de ces aéronefs possède des voilures tournantes (un ou
des rotors), quelques-uns des voilures battantes. Outre la capacité Vertical
Take-Off and Landing (VTOL), ce type de voilure leur confère, à un coût
énergétique raisonnable, une capacité de vols stationnaires et basses vitesses
particulièrement utiles à certaines missions. Ils peuvent voler dans toutes les
directions (vols avant/arrière, latéraux, verticaux) et sont souvent dotés d’une
grande manœuvrabilité.
Le cas des « tail-sitter » illustre bien cette tendance à revisiter en version
drone des concepts explorés par le passé qui avaient posé problème en version
avec pilote à bord. Il s’agit d’aéronefs combinant des voilures tournantes pour
les décollages et atterrissages verticaux ainsi que des voilures fixes pour les
vols en translation horizontale. La transition entre les deux phases de vol est
particulièrement délicate, ainsi que l’atterrissage. Un décrochage volontaire
doit être réalisé pour amener l’axe de l’appareil d’une direction verticale à une
direction horizontale. La virtuosité du pilote pour effectuer ces manœuvres
risquées a utilement été remplacée par une automatisation complète de ces
trajectoires à la fois difficiles à réaliser et à supporter par un pilote humain.

règLes de conception
Les différents aspects évoqués précédemment (taille, forme, performances,
concepts) sont autant de « degrés de liberté » qui peuvent être adaptés au type de
mission à réaliser avec des « variations » beaucoup plus larges que pour un aéronef
avec pilote à bord. Le jeu des possibles est plus vaste. Certains constructeurs et
organismes de recherche comme l’ONERA ont développé des outils pour explorer

121
en simulation numérique ce champ des possibles (8). Il s’agit de conception
préliminaire évaluant différents concepts et prédimensionnements au regard
de différents critères : performance opérationnelle, impact environnemental,
réalisme économique…
Cette optimisation d’un VA pour un ensemble de missions doit évidement
aussi tenir compte des contraintes réglementaires en matière de certification
aéronautique.
Dans le domaine civil, l’arrêté du 21 mars 2007 ne concernait que
l’aéromodélisme. Après une consultation des usagers entre 2009 et 2010, la
DGAC a fait évoluer les textes pour une réglementation plus large et plus
précise relative « à la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune
personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises
des personnes qui les utilisent » (voir arrêté du 11 avril 2012) (9).
Dans le domaine militaire, un code de certification a d’abord été établi
pour les drones à voilures fixes (USAR : « Unmanned Aerial Vehicle Systems
Airworthiness Requirements », [0]) à partir de l’adaptation de la norme de
certification de l’EASA (« European Aviation Safety Agency ») « Certification
Specifications » CS-23 (10). La DGA en concertation avec l’industrie et
l’ONERA (groupe de travail USAR-RW pour « Rotary Wings ») a ensuite
pris l’initiative d’une telle démarche pour les drones à voilures tournantes à
partir essentiellement de la CS-27. L’harmonisation de cette première version
d’un référentiel de navigabilité des systèmes de drones à voilures tournantes
au niveau de l’OTAN a été réalisée en trois ans (2009-2012) sous le pilotage
de la France. Sa ratification est attendue pour le printemps 2013. Il deviendra
alors le STANAG 4702 (11).

(8) Pour les voilures fixes  : C. Blondeau, G. Carrier, S. Defoort, J. Hermetz, P. Schmollgruber,
“Toward multi-level, multi-fidelity, multi-disciplinary optimization at Onera”, RTO MP AVT
173 Workshop on “Virtual Prototyping of Affordable Military Vehicles Using Advanced MDO”,
Sofia, Bulgaria, 16th to 20th May 2011. Pour les giravions : P.-M. Basset, A.  Tremolet, and al.,
“C.R.E.A.T.I.O.N. the Onera multi-level rotorcraft concepts evaluation tool: the foundations,” in AHS
Future Vertical Lift Aircraft Design Conference, San Fransisco, United States, 18-20 January 2012.
(9) DGAC, Arrêté du 11 avril 2012 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans
aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui
les utilisent.
(10) OTAN-NATO, “Unmanned Aerial Vehicle Systems Airworthiness Requirements”, STANAG
4671, Edition 1, September 2009.
(11) OTAN-NATO, “Rotary Wing UAV Systems Airworthiness Requirements (USAR-RW)”,
Référentiel de navigabilité des systèmes de drones à voilures tournantes, futur STANAG 4702 Ed.1,
2013.

122
Les liaisons de données des
drones MALE
Lieutenant-colonel Gilles Marfisi

Concentré de technologies aéronautique et informatique, outils militaires à


l’avenir prometteur, les drones ont, au cours des récents conflits, progressivement
envahi l’espace aérien, offrant de nouvelles capacités tant dans le domaine du
renseignement que dans les modes d’action offensifs.

Ils ont élargi le champ des possibles, en offrant des endurances jamais
atteintes sur les zones d’opération tout en préservant le risque pour les équipages.
Mais la magie de ces plates-formes, c’est avant tout la capacité à piloter la
machine et ses capteurs embarqués depuis un cockpit déporté, situé loin des
zones de danger, tout en rapatriant, en temps réel, au sein de ce dernier, le
produit des senseurs de bord. Dans certains cas, le drone peut même délivrer
de l’armement selon un principe identique.

Inserer image 6 (page 111 du manuscrit)

Figure 1 : diFFusion muLticLients de La Fmv du drone


À l’évidence, la distance entre l’effecteur (i. e. le vecteur et ses charges utiles)
et son cockpit nécessite de disposer de liaisons de données bilatérales fiables
et convenablement calibrées pour assurer à la fois le pilotage du drone, de ses

123
senseurs et de son système d’arme depuis le sol (appelées « lien montant » ou
« télécommandes (TC) »), mais également retransmettre via un « lien descendant »,
dans le cockpit, les télémesures (TM) liées à l’état de santé du vecteur auquel
s’associe le flux d’information en provenance des différents capteurs embarqués
(FMV, image issue du SAR, flux d’informations ROEM).

En examinant de plus près les drones MALE qui évoluent à travers le


monde, force est de constater que les cellules et les motorisations employées
relèvent de l’aviation classique et s’appuient sur des recettes éprouvées. Rien de
bien innovant dans le domaine de l’aérodynamique ou de la propulsion. Tout
au plus une recherche de compromis, avec des choix techniques qui favorisent
le travail aérien à moyenne altitude, tout en optimisant la capacité d’emport
(charge utile) et l’endurance du vecteur.

L’effort d’innovation porte donc sur le calculateur de bord, véritable


centre nerveux déporté, qui a un rôle crucial dans la gestion des systèmes et
sous-systèmes de bord, mais également sur les liaisons de données, véritable
fil d’Ariane qui relie le donneur d’ordre (cockpit au sol) et le « bras armé » ou
selon « l’œil numérique » (le drone et ses capteurs).

Ainsi, le système de communication, pierre angulaire d’un système de drones,


fait l’objet d’un soin tout particulier dès la phase de définition du projet. En
effet, les choix techniques et technologiques en termes de liaisons de données
d’un avion télépiloté conditionneront indubitablement la sécurité du vol ainsi
que les capacités opérationnelles du drone en service.

architecture généraLe des data Link d’un système de drone


maLe
Pour des raisons de sécurité, les drones possèdent systématiquement deux
liaisons de données (12) parallèles. Bien qu’un lien soit suffisant pour conduire
un vol dans de bonnes conditions, le second canal, aux fonctionnalités quasi
identiques, est prêt à prendre le relai à tout instant. Sur un certain nombre
de drones, il se substitue à la liaison principale et permet la poursuite de la
mission. Pour d’autres systèmes, la liaison de secours est un moyen de préserver
le vecteur en assurant principalement le retour et le recueil du drone sur sa
base de lancement.

(12) Une troisième liaison est parfois embarquée provisoirement pour sécuriser les phases de
développement. Il arrive que cette troisième liaison soit installée de manière définitive sur les drones
MALE afin d’autoriser le vol en LOS uniquement (SATCOM sur off). Sur les Predator et Reaper
américains, le lien no 3 peut être affecté à la diffusion de la vidéo depuis le drone vers le pion de théâtre
qui se situe à portée.

124
Inserer image 7 (page 113 du manuscrit)

Figure 2 : architecture générique d’un système de Liaisons de données


pour drone maLe

Pour ce qui concerne les drones tactiques, dont l’allonge dépasse rarement
100 kilomètres, deux liaisons à portée optique — dite liaison Line Of Sight
(LOS) — suffisent amplement. La communauté des dronistes reconnaît
unanimement l’expérience des Américains et des Israéliens dans le domaine des
liaisons LOS (13). Ces derniers ont développé des systèmes de communication
simples et légers, parfaitement adaptés aux spécificités du domaine. Ils ont été
fiabilisés à l’extrême grâce aux centaines de milliers d’heures de vol accumulées
au cours des quinze dernières années par les deux constructeurs phares : Israel
Aerospace Industry (IAI) et General Atomics System Integration (GASI).
On retiendra notamment leur performance remarquable qui met en jeu des
puissances électrique et électromagnétique modérées.

A contrario, le drone MALE jouit d’une élongation pouvant atteindre


plusieurs centaines, voire quelques milliers de kilomètres. Afin de s’affranchir
des limitations liées à la rotondité de la terre, de tels systèmes possèdent un
lien basé sur un rebond satellitaire (14) (SATCOM) dit Beyond Line Of Sight
(BLOS). De plus, considérant qu’un satellite de télécommunications agit en tant
que « haut relais hertzien », l’intervisibilé entre le répéteur et le drone est quasi
(13) Ce sont les liaisons LOS des drones Searcher, Hunter, Heron (IAI) et GNAT, Predator, Reaper
(États-Unis).
(14) Voir figure 2.

125
illimitée. D’où la possibilité d’effectuer des vols à moyenne et basse altitudes
avec le drone, et ce sur toute la couverture satellite, sans risque de perte de lien.
Sur le plan opérationnel, cette option offre un intérêt considérable, notamment
lorsque des couches d’humidité s’interposent entre le senseur optronique et
la cible au sol. En outre, bien que la définition des caméras ait fait un bond
spectaculaire ces dix dernières années, grâce notamment à l’avènement de la
HD et l’optimisation des algorithmes de compression vidéo, la qualité d’une
image s’améliore indubitablement à l’approche du point visé. Aujourd’hui, un
capteur américain de dernière génération accède à la reconnaissance faciale en
volant à une altitude de 5 000 à 6 000 ft (15).

À noter que, dans la plupart des cas, les drones de la catégorie MALE
disposent de liaisons secondaires de type LOS. Si le drone se situe au-delà
de l’horizon, la rupture du lien satellitaire en cours de vol engendre de facto
l’interruption de la mission. Cependant, il est toujours possible d’équiper
les drones MALE d’une liaison SAT secours à faible débit (16) qui permet de
conserver le lien avec le drone hors de portée LOS lorsque la liaison SATCOM
principale est rompue. Cette liaison de service, on l’aura compris, se limitera
aux TC/TM nécessaires à la conduite du vecteur en temps réel, à l’exclusion
de toute transmission d’image vers le sol.

À ce stade, il est important de comprendre que, si les liaisons de données


sont essentielles pour la conduite de la mission en temps réel, celles-ci ne sont
pas directement liées au « savoir voler » ou au « savoir naviguer » du drone.
Ces deux fonctions sont gérées par le calculateur de bord évoqué plus haut.
La programmation de ce cerveau artificiel est telle qu’il est capable de se
substituer à l’homme dans toutes les phases où ce dernier n’est pas en mesure
de communiquer en « live » avec le drone distant. Il s’agit bien entendu de
comportements préétablis, construits sur la base de logigrammes fonctionnels
éminemment complexes, dont le degré d’intrication dépasse l’imagination.
En effet, ce précieux calculateur a la lourde charge de remplacer le pilote en
conduisant l’ensemble des actions appropriées lorsqu’il est confronté à des
pannes de tout ordre au cours d’un vol. Au-delà des aspects technologiques,
jalousement protégés par les grands constructeurs de drones, on peut considérer
que les millions de lignes de programme qui codifient, au sein du calculateur, le
comportement du drone en vol, sont l’incontestable savoir-faire de l’industrie et,
de fait, leur authentique fonds de commerce. En termes de sécurité des liaisons
de données, le calculateur est à même de gérer automatiquement toute perte
intempestive et/ou défaillance d’une ou des deux data link en cours de mission.

(15) Par exemple, la plate-forme optronique MTS-B (Multi-Spectral Targeting System) fabriquée
par Raytheon Company) équipant le drone Reaper.
(16) De l’ordre de 64 à 128 Kbts.

126
à propos des Liaisons Los
Dans le cas des drones MALE, ces liaisons de données directes sont issues
des drones tactiques (17). Elles font appel à des technologies éprouvées, sont
généralement vouées aux phases de proximité (i. e. décollage et atterrissage)
mais permettent également de réaliser des missions short range (18). L’expérience
acquise au cours des déploiements de systèmes MALE montre qu’il est
primordial de doter le Ground Data Terminal LOS (GDT LOS) — antenne LOS
située au sol — d’une double capacité omnidirectionnelle (pour les phases de
proximité du terrain) puis directionnelle lorsque le drone est airborne. L’antenne
omnidirectionnelle permet de s’affranchir des contraintes mécaniques d’une
antenne directionnelle mobile, de supprimer les cônes morts (19) et, enfin, de
garantir une meilleure intégration du système de drones sur une base partagée
avec des aéronefs habités. L’aérien directionnel, qui fait couramment appel à une
antenne parabolique (20), doit être implanté dans une zone dégagée et légèrement
surélevée afin de garantir une intervisibilté optimale avec le drone en mission.
A titre d’exemple, lorsque l’armée américaine installe un système Reaper ou
Predator sur une base aérienne, elle a coutume d’implanter ses terminaux LOS
au sommet d’une tour, voire d’un mât métallique, dont la hauteur par rapport
au sol est de l’ordre de 10 à 20 mètres.

Pour mémoire, la portée des LOS équipant les drones MALE avoisine les
180 kilomètres pour une altitude de travail de 20 000 ft environ. Il s’agit d’un
lien direct de type FH (les antennes sol et bord se font face en permanence).
La famille des drones Predator disposent de deux liaisons LOS, en sus de la
liaison SATCOM. Cette redondance leur permet d’effectuer des vols avec deux
liens LOS actifs, dans le respect des règles de sécurité, en s’abstenant d’utiliser
le lien SATCOM. Sur les missions long range cette seconde liaison directe est
dédiée à la capacité ROVER (21).

À l’autre bout de la chaîne, le positionnement des antennes LOS sur le


vecteur revêt une importance capitale. À tel point que sur certains drones, le lien
est fréquemment interrompu par un masque de la cellule lors des manœuvres
de l’avion (22). En la matière, la recette idéale consiste à positionner les antennes,

(17) Par exemple : Searcher, Hunter pour les drones israéliens et GNAT pour les drones américains.
(18) Des missions du type base protection ou toute autre activité à condition de demeurer à portée
LOS.
(19) Le cône mort est une zone située à la verticale de l’antenne, dans laquelle le contact avec le
drone est impossible.
(20) Dans le cas du drone Harfang, l’absence d’antenne omnidirectionnelle au sol engendre
des contraintes d’implantation sévères sur les terrains de déploiement (vitesse de déplacement et
débattement de la parabole limités) et accroît les risques de rupture de faisceau, par les obstacles/
masques environnants susceptibles de s’interposer entre l’antenne sol et l’antenne de l’UAS.
(21) Remotely Operated Video Enhanced Receiver : Emission vidéo (FMV : Full Motion Video)
directe depuis le drone vers le sol, au profit de troupes en opération (portée : entre 10 et 80 kilomètres
suivant les conditions).
(22) Notamment le Harfang en service dans l’armée de l’air.

127
dans un pod externe, sur la partie inférieure de fuselage (23). Une redondance
antennaire, muni d’un switch de sélection, peut compléter la panoplie visant
à obtenir un lien LOS robuste.

En termes de fréquences, ces liens à portée optique sont principalement


portés par la bande C et, plus récemment, par la bande Ku. Ils affichent des
débits variables entre 5 et 8 Mbits. Les armées ayant abandonné la bande
C haute (24) aux liaisons commerciales, il y a fort à parier que le recours à la
bande Ku sera généralisé. À noter que la bande UHF est parfois employée
pour des liaisons de service limitées aux TC/TM. Dans ce contexte, la France
privilégie, pour l’heure, l’acquisition de drones sur étagère en « tout Ku » ce qui
n’est pas en accord avec l’offre de drones MALE disponible sur le marché en
2013. Sur le plan technique, le fait d’opter pour des émetteurs/récepteurs LOS
et SATCOM sur une même bande conduit à des problèmes de compatibilité
électromagnétique, obligeant le système à une émission strictement alternative
des deux liaisons, sous peine d’altérer les équipements de bord.

Enfin, le spectre de fréquence nécessaire au fonctionnement d’une data


link LOS reste une donnée majeure dans l’emploi opérationnel des systèmes de
drones. Eu égard à la saturation des bandes utilisées au profit des UAS, l’emploi
de dispositifs de sécurisation du type Evasion de fréquence (EVF) ou agilité
de fréquence, consommateurs de bande passante, sont à employer avec la plus
grande prudence. Il faut impérativement, à l’avenir, proscrire les équipements
archaïques, de la génération Harfang, dont le spectre de fréquence avoisine les
100 Mhz. Une valeur exorbitante, jugée inacceptable par les gestionnaires de
fréquence de site, qui a manqué d’anéantir les espoirs de déploiement dudit
drone en Afghanistan début 2009.

La probLématique des Liaisons satcom


L’émergence des drones MALE, au début du nouveau millénaire, a obligé
les constructeurs de drones à développer un lien SAT « aéromobile » permanent
et fiable, ayant un débit adapté aux informations à véhiculer, de manière à
le rendre compatible du pilotage « temps réel » d’une part, puis d’assurer la
sécurité globale du vol et de la mission d’autre part.

L’un des principaux challenges consiste à concevoir et réaliser des antennes


SATCOM embarquées de dimension raisonnable, capables de s’intégrer dans
la cellule d’un porteur sans en obérer les performances aérodynamiques. Cette
parabole devra en outre pointer continûment et précisément son axe vers le
répéteur du satellite, avec une précision d’horloger, en dépit des mouvements du
drone, et, enfin, permettre un débit d’informations conséquent, en rapport avec

(23) Cas des drones de la famille Predator.


(24) La bande C est divisée en 2 sous-bandes. La bande C basse : de 4,5 à 4,850 Mhz et la bande C
haute de 5,250 à 5,850 Mhz.

128
le flux d’informations à retransmettre. Sans sous-estimer les deux premières, la
clause concernant le débit du lien SATCOM mérite quelques éclaircissements.

Passons brièvement sur les liaisons de service qui concernent essentiellement


les informations de pilotage (cockpit → satellite → drone) et les retours
d’informations techniques vers le sol (drone → satellite → cockpit). Celles-ci
mettent en jeu des débits élémentaires qui sont maîtrisés sur le plan technique
et peu gourmands en termes d’allocations sur le répéteur (25) du satellite. En
revanche, il n’en est pas de même lorsqu’il est question de transmettre le produit
des capteurs du drone vers sa station de contrôle.

Les premiers drones MALE conçus à la fin des années 90 — de la génération


Heron/Harfang — se sont accommodés d’une liaison affichant un débit de
l’ordre de 3 Mbit, ce qui correspond à la location d’une bande d’environ 6
Mhz sur un répéteur. Cette configuration s’accommodait des exigences de
l’époque qui consistaient à transmettre alternativement un flux vidéo de qualité
moyenne ou une image SAR.

La multiplicité des capteurs embarqués, l’accession à la vidéo HD et la


nécessité de retransmettre plusieurs flux simultanément ont d’ores et déjà fait
exploser ces valeurs. Bien que des progrès aient été réalisés sur la compression
des données, on parle désormais de débits de l’ordre de 6 à 10 Mbit, soit un
espace d’environ 10 à 15 Mhz sur un répéteur satellitaire. Les fournisseurs
ayant coutume de facturer le service sur la base de la ressource allouée,
cet accroissement sensible du spectre se répercutera in extenso sur le coût
d’exploitation des systèmes MALE.

Pour mémoire, la largeur inhabituelle de bande passante nécessaire pour


transmettre le flux des senseurs de drones s’explique par la nécessité d’inclure
dans le message des codes correcteurs visant à assurer l’intégrité du message
en dépit d’erreurs de transmission (26).

Ces débits, que l’on peut aisément imaginer en forte croissance dans les
années à venir, nécessiteront non seulement d’adapter les équipements et
antennes SATCOM des drones (27), mais également de trouver une solution aux
problématiques récursives de susceptibilité et de compatibilité électromagnétique
avec les autres sous-systèmes de bord, au regard des nouvelles puissances mises
en jeu.

(25) Transponder en anglais. C’est l’appellation donnée au réémetteur embarqué à bord des
satellites, dont la fonction est de retransmettre les signaux reçus de la station de montée vers une partie
précise du globe. Le répéteur est associé à une ou plusieurs antennes d’émission, qui déterminent, par
leur forme et leur orientation, la puissance et la zone de couverture du faisceau émis.
(26) Ce dispositif pallie l’absence d’accusés de réception, jugés trop pénalisants sur une liaison
SATCOM (création d’une latence inacceptable). Les correcteurs d’erreurs les plus employés sont les
codes Reed-Salomon et/ou algorithme Viterbi.
(27) Unmanned Aircraft Systems.

129
Dans tous les cas, il convient de s’assurer de la cohérence globale de
la chaîne image retransmise vers le sol, du capteur proprement dit, jusqu’à
l’écran de visualisation installé dans le cockpit déporté. Ce qui signifie que
chaque maillon de la chaîne est calibré au juste besoin, de manière à assurer
une continuité de qualité d’image.

Au-delà du cahier des charges technique des équipements, il s’agit de prendre


en considération l’offre disponible chez les différents fournisseurs de liaisons
satellitaires. En termes d’opérations militaires, nul besoin d’expliquer qu’un
drone doit pouvoir intervenir sur tous les continents (28), avec des délais de
déploiement contraints et une disponibilité sur site optimale. À l’évidence, seule
la ressource civile, développée à l’aune du boom des communications des trente
dernières années, est en mesure de répondre à la demande, notamment pour les
pays européens dont le nombre de satellites militaires de télécommunication est
restreint et, dans la plupart des cas, incompatible avec le pilotage d’un drone.

C’est le choix d’aujourd’hui, qui sera très certainement celui de demain.


Les drones s’appuieront sur des répéteurs proposés par les constellations
privées dont les noms ne nous sont pas étrangers — les constellations Intelsat,
Eutelsat ou Arabsat — dans la mesure où elles portent, entre autres, les
réseaux de télédiffusion du monde entier. Ces satellites de télécommunication
traditionnels, placés en orbite géostationnaire, forment un anneau équatorien
appelé ceinture de Clark.

Inserer image 8 (page 117 du manuscrit)

Figure 3 : L’orbite géostationnaire Forme un anneau autour de La terre


sur LequeL Les sateLLites sont disposés à des positions précises. Leurs
antennes sont équipées de réFLecteurs tournés vers La pLanète.

(28) Sous-entendu « continents et océans ».

130
Ce positionnement central pose le problème des vols sous fortes latitudes
(Nord ou Sud). À ces emplacements du globe terrestre, l’antenne SATCOM de
bord est quasiment à l’horizontale pour maintenir le contact avec le répéteur
du satellite. Dans une première zone, il est possible de limiter l’inclinaison
du vecteur pour ne pas perdre le lien. Au-delà, lorsque l’on se rapproche des
pôles, le vol sous SATCOM devient impossible. Pour illustrer ce propos, le
drone Harfang ne peut pas évoluer sous SATCOM plus haut que 53° N, soit
la verticale de la ville de Nottingham au Royaume-Uni.

Côté satellite, le paramètre dimensionnant est son empreinte au sol (en


anglais footprint) et son niveau de qualité en fonction de la zone qu’il couvre.
On comprendra donc que pour chaque point chaud du monde où le drone sera
déployé, il faudra impérativement faire appel à un satellite de télécommunication
ayant un certain nombre de prérequis visant à obtenir une couverture satellitaire
efficace, sous laquelle le drone peut être sous contrôle et rapatrier le produit
de ses senseurs avec la meilleure résolution (29).

Bien que les antennes des satellites soient conçues afin de couvrir des
zones précises de la planète, qui peuvent aller de la taille d’un pays à celle de
plusieurs continents, le choix du satellite ad hoc (i.e. celui qui est en mesure
d’assurer un lien continu sur toute la surface du vol, de la base de décollage
jusqu’aux confins de la zone d’intérêt) est la pièce maîtresse de tout déploiement
d’une capacité drone. Lorsque l’on sait que ces zones d’intérêt sont, la plupart
du temps, situées à l’extérieur des grands axes des satellites commerciaux de
télécommunication, la ressource est parfois comptée, voire inexistante. Il existe
toutefois une solution, applicable à certains théâtres, qui consiste à faire appel
à des spots réorientables (en anglais : steerable) qui équipent certains satellites.
Le but est de demander au fournisseur de diriger cette antenne vers la zone
visée par les opérations aériennes afin de créer une couverture, à la carte, au
profit du drone (30).

D’un point de vue strictement technique, il est important de signaler que


les antennes SATCOM embarquées « aéromobiles », qui émettent à de fortes
PIRE (31) en dépit de leur taille restreinte, ne répondent pas à la lettre au
standard de qualification exigé par les opérateurs privés. Cette non-conformité
nécessite des réglages de puissance adaptés, à affiner au cas par cas avec les

(29) Les couvertures des satellites sont généralement indiquées sous la forme d’empreintes montrant
le G/T, la PIRE  (voir note no  20) ou un autre paramètre, comme la taille d’antenne requise pour
recevoir un service donné avec un bon niveau de qualité.
(30) Ce procédé a été utilisé lors de l’implantation du drone Harfang sur la base américaine de
Bagram en Afghanistan en 2009. Le coût de cette prestation est prohibitif.
(31) Puissance isotrope rayonnée effective. EIRP en anglais (Effective Isotropic Radiated Power).
Elle résulte à la fois de la puissance de l’émetteur et du gain de l’antenne d’émission. Mesure
l’intensité du signal émis par un satellite vers la terre, ou par une antenne sur la terre vers un satellite.
La PIRE s’exprime en dBW (décibels/watts). Plus la valeur en dBW est élevée, plus la réception est
simplifiée (plus le rapport G/T du récepteur peut être réduit pour une même qualité de réception). On
peut ainsi calculer la taille idéale des antennes de réception, en fonction de la PIRE et de la localisation
géographique de l’antenne de réception.

131
opérateurs des satellites lors des phases de line-up (32). Dans certains cas, il s’avère
impossible d’émettre, depuis le drone, à la puissance maximum, obligeant les
utilisateurs à réduire le débit (donc la qualité de l’image) et/ou à restreindre
la zone de mission.

Enfin, les équipements SATCOM dédiés aux drones, tant GDT qu’Air Data
Terminal (ADT) — antenne embarquée à bord du drone — doivent pouvoir
s’adapter aux satellites présentant une inclinaison (i.e. instabilité spatiale en
raison de leur vieillissement), de manière à pouvoir optimiser la ressource
commerciale disponible.

queLLe(s) bande(s) de fréquence pour Les drones


On l’aura compris, les drones sont des consommateurs non négligeables
de bande passante dans un environnement électromagnétique de plus en plus
contraint, pour ne pas dire en voie de saturation pour certaines bandes de
fréquence. Aujourd’hui, les drones MALE en activité sont principalement
focalisés sur les bandes C (LOS) et Ku (LOS et SATCOM). Certains drones
utilisent également des liaisons TC et TM en bande UHF.

L’encombrement du spectre dans les bandes citées semble toutefois n’avoir


qu’un impact limité sur la capacité à absorber la prolifération des drones MALE
dans le monde. Certes, les principaux utilisateurs étant nos alliés d’Outre-
Atlantique, leur propension à mobiliser leur industrie des télécommunications
en cas de besoin n’est plus à démontrer. Un partage judicieux des bandes C et
Ku et la mise à poste de satellites compatibles sur les zones d’intérêt dont la
couverture est insuffisante, voire absente, répondent au problème sur le court
terme.

Inserer image 9 (page 119 du manuscrit)

Figure 4 : bandes de Fréquence avec Leurs principaux domaines


d’utiLisation

Cependant, si la multiplication des systèmes de drones MALE se poursuit


au rythme actuel, il y a fort à parier que, dans les années à venir, la ressource
SATCOM ne soit plus en mesure combler tous les appétits. Notamment lorsque
le besoin en répéteurs se concentre sur une zone de crise exclusive, objet des
attentions du moment, comme ce fut le cas pour l’Afghanistan à partir de
2005, puis pour la Libye en 2011 et, tout récemment, au Mali. Pour chaque

(32) Etablissement du lien satellitaire entre le cockpit et le satellite puis le satellite et drone, et
inversement.

132
théâtre d’opérations, l’unicité de temps et de lieu oppose l’offre à la demande,
obérant la disponibilité de faisceau SATCOM et rendant, de facto, les coûts
de location prohibitifs.

Aux dires des industriels, l’utilisation de la bande Ka (33) pourrait apporter


une solution pérenne au problème de saturation des bandes C et Ku. Mais cette
orientation impose un certain nombre de prérequis, non dénués de risques, tant
sur le plan technique que financier.

D’un côté, les constructeurs devront développer, dans cette nouvelle bande,
une chaîne de liaison SATCOM aéromobile embarquée, adaptée aux systèmes
de drones. Au-delà des défis technologiques, techniques et budgétaires, liés
à la conception d’équipements innovants en bande Ka, l’obstacle majeur
réside dans le fait que les signaux en très hautes fréquences sont grandement
absorbés lors de leur passage à travers l’atmosphère terrestre. Concrètement,
l’atténuation des signaux, provoquée par les vapeurs d’eau, et a fortiori par la
pluie, augmente sérieusement avec la fréquence. C’est pourquoi la bande Ka
est mieux adaptée pour l’accès internet à haut débit (34) où la perte de quelques
« paquets » n’est pas rédhibitoire. Il en est tout autrement lorsqu’il s’agit d’une
retransmission télévision en direct ou, dans le cas présent, le pilotage en temps
réel d’un drone et de ses capteurs.
Par ailleurs, les efforts potentiels des fabricants de drones pour migrer
vers les très hautes fréquences seront vains si les principales constellations de
satellites commerciaux de télécommunication ne parachèvent pas leur arsenal,
aujourd’hui dominé par les bandes C et Ku, d’une palanquée de satellites munis
de répéteurs en bande Ka. Pour l’heure, l’offre Ka est dérisoire et sa couverture
géographique restreinte la rend inemployable au profit des drones.
Reste à savoir si la bande Ka représente l’avenir de la communication par
satellite. Très probablement, car les bandes inférieures commencent à être
saturées et parce que celle-ci propose des gammes de fréquences supplémentaires
sur des positions satellite déjà occupées. Mais, il faudra pour cela résoudre un
certain nombre d’équations, puis dégager des solutions techniques pertinentes
et viables visant à rendre cette bande moins dépendante de la météo. En tout
état de cause, le déplacement des transpondeurs pour les drones, des bandes
inférieures vers la bande Ka, s’avère une étape risquée, à moins que la région-
cible soit très aride.

(33) La bande Ka (Kurtz-Above) est une gamme de fréquence, comprise entre la bande K et la bande
Q, utilisée notamment pour l’internet par satellite. Pour les télécommunications spatiales, elle s’étend
en émission de 27,5 à 31 GHz et en réception de 17,3 à 21,2 GHz. Les paraboles nécessaires pour
recevoir les signaux sont encore plus petites que pour la bande Ku (certaines antennes Ka mesurent
à peine 20 centimètres de diamètre). En Europe, le premier satellite à opérer en bande Ka a été HOT
BIRD™ 6 d’Eutelsat, lancé en 2002, alors qu’en Amérique du Nord le premier a été le satellite Anik
F2 de Telesat, lancé en juillet 2004. Deux autres satellites, dits satellites à haut débit, émettant vers
l’Europe, ont été lancés fin 2010 (Hylas1 et KA-SAT). D’autres lancements sont prévus en Amérique
du Nord (Viasat 1, Jupiter), au Moyen-Orient (Yasat 1B) et pour l’Australie (IPStar).
(34) Lorsqu’il s’agit de transmettre des données à travers un réseau global, la perte de quelques
paquets n’a pas réellement d’impact sur l’intégrité des données.

133
comment sécuriser/protéger Les Liaisons de données
La sécurisation/protection des liaisons de données des drones demeure un
réflexe élémentaire de la part des utilisateurs militaires. Ce comportement est
d’autant plus fondé que le principe des relais hertziens satellitaires fait que le
signal descendant (satellite → Terre) est disponible sur l’ensemble du footprint du
répéteur. Et dans certains cas, cette zone s’étend sur la totalité d’un continent.

Sous ce parapluie, le signal peut être capté au moyen d’une simple parabole
et d’un démodulateur approprié (35). Mais, il faut raison garder. Si intercepter
un signal brut reste possible — sous réserve de disposer du plan de fréquence
du drone —, en prendre le contrôle ou lire le flux vidéo qu’il retransmet est
hautement improbable. Pour mémoire, les informations sont encapsulées et
transitent dans un format propriétaire éminemment complexe, précieusement
conservé dans les coffres des industriels.

Mais, ceci ne doit pas interdire les tentatives de sécurisation des liaisons
de données qui peuvent améliorer l’efficacité de la sécurité informatique des
systèmes de drones MALE. Deux pistes sont envisageables. La première consiste
à faire appel à une agilité de fréquence. Mais, elle entraîne un élargissement
sensible du spectre qui comporte le risque intrinsèque de déséquilibre de l’offre
fragile dans le domaine de la bande passante et d’explosion des budgets affectés
au lien SATCOM.

La seconde piste consiste dans le chiffrement du signal véhiculé par la


SATCOM qui permet d’assurer qu’aucune organisation malveillante ne puisse
accéder au produit des senseurs. Des solutions de cryptage, soutenant comme
principaux algorithmes le 3DES et l’AES 256 entre autres, devraient avoir un bel
avenir. Pour de très hauts niveaux de sécurité, le boîtier chiffreur Echinops (36) de
Thales Communications pourrait jouer un rôle déterminant dans la chaîne de
sécurité des systèmes d’information (SSI) des drones nationaux.

Seule condition, quelle que soit la méthode de sécurisation employée,


les équipements de chiffrement mis en place sur la chaîne de transmission ne
doivent en aucune manière perturber le signal en induisant une quelconque
latence dans le flux de données « temps réel ».

À noter que ces deux dispositifs ne prennent pas en compte la menace d’un
éventuel brouillage par saturation de la (ou des) fréquence(s) utilisée(s). En
l’occurrence, le drone n’est pas perdu. Ce dernier opère un retour au terrain

(35) Le démodulateur et les logiciels associés sont protégés par le secret industriel.
(36) Le chiffreur IP ECHINOPS, développé conjointement par Thales Communications et la
Direction générale de l’armement, a reçu, dans sa version OTAN, l’agrément « Secret OTAN » du
Comité militaire de l’OTAN. Cet agrément complète l’agrément « Secret Défense » délivré par
l’ANSSI, ainsi que celui de niveau « Secret UE » délivré par le Conseil de l’Union européenne pour sa
version UE. Ces agréments marquent un jalon dans l’obtention d’une solution française couvrant aussi
bien les besoins souverains et ceux de nos grands partenaires pour de très hauts niveaux de sécurité.

134
en vue d’une récupération d’urgence ou d’un poser autonome sur piste, voire
en campagne. Toutefois, ce cas doit être considéré comme très hypothétique
compte tenu de la mobilité du vecteur, auquel s’ajoute la forte directivité des
signaux (37).

En somme, la croissance quasi exponentielle du parc de drones MALE


(principalement américains, mais aussi britanniques, italiens et français) au
cours des huit dernières années ne semble pas avoir souffert exagérément d’une
pénurie de répéteurs satellite ou d’une insuffisance d’allocation de fréquence.
On a pu voir des drones à longue endurance évoluer sur tous les points chauds
du globe et mener à bien, sans relâche, les missions qui leur ont été confiées.

Aujourd’hui, l’enjeu consiste donc à prendre une série de mesures destinées


à satisfaire les besoins en ressources satellitaires des drones à l’horizon 2020.
Pour cela, il faut dès à présent :

• définir au mieux, puis affermir le besoin des drones en ressource SATCOM,


pour l’heure en grande partie aux mains des opérateurs de télécommuni-
cation privés. L’objectif est de pouvoir couvrir à tout moment, par le jeu
de préemption de répéteurs ciblés, des zones géographiques considérées
« à risque » ;
• prendre en considération, en sus du besoin propre au pilotage du drone
et de ses senseurs, les multiples rebonds satellites (38) permettant de diffu-
ser, en l’absence de C4I, les doubles ou triples flux FMV en fonction du
nombre d’orbites potentielles (OPSAM) (39) ;
• initier des études amont (40), en partenariat avec l’industrie, sur l’utilisa-
tion de la bande Ka au profit des liaisons SATCOM des drones MALE.

(37) Un cas de brouillage localisé (sur une zone de 100 m² sur une aire de roulage aéronautique) a
été constaté de manière récurrente à Bagram avec le drone Harfang.
(38) Voir figure 2.
(39) Orbite permanente de surveillance armable multicapteurs.
(40) Sous l’égide de la DGA.

135
136
La navigabilité et l’insertion
dans la navigation aérienne
Lieutenant-colonel David Sécher et commandant Richard Desumeur

Les armées ayant très tôt deviné le potentiel opérationnel des drones, la
problématique de leur usage au-dessus du territoire national se posa rapidement
et demanda une approche très pragmatique, en l’absence de règles édictées
par l’aviation civile. Dans un premier temps, il s’agissait d’évaluer les risques
supplémentaires, vis-à-vis de tiers au sol comme en vol, engendrés par l’emploi
d’un aéronef dont l’opérateur est déporté. Anticipant les fortes contraintes
pouvant être imposées par les autorités civiles, à l’instar de ce qui réglemente
l’aviation commerciale, les armées ont rapidement émis des propositions sur
le sujet épineux de la navigabilité des drones, et plus particulièrement, sur les
trois piliers sur lesquels elle repose.
Ainsi, dès 2004, des instructions provisoires encadraient la certification
technique des drones, leur insertion dans l’espace aérien militaire et la formation
et le maintien des compétences de leurs équipages.

Le drone n’est pas un robot et son piLote reste un professionneL


En l’absence d’une quelconque étude en la matière, la question centrale
du profil de l’opérateur drone se posa différemment aux autorités d’emploi, en
fonction des performances de leur drone, de la façon de l’employer et surtout
de la ressource humaine disponible. C’est ainsi que l’armée de terre concentra
son recrutement sur des sous-officiers artilleurs, aptes à déployer leur machine
au plus près du front. Leur acculturation au milieu aérien, effectuée au sein de
l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT), demeure un prérequis important
sans devenir trop contraignant au vu des conditions de vol des drones tactiques
(faibles altitudes ou vol au-dessus de camps militaires).
L’armée de l’air se trouva, elle, confrontée à d’autres problèmes. Le drone
Hunter avait besoin d’utiliser une piste et son domaine de vol était proche de
celui de l’aviation de combat. Les techniques de décollage et d’atterrissage
restaient originales, avec l’utilisation d’un boîtier de radiocommande semblable
à ceux de l’aéromodélisme. C’est donc vers cette discipline que l’armée de
l’air se tourna en sélectionnant des sous-officiers disposant de qualifications
décernées par la fédération française d’aéromodélisme. Les autres phases
de vol, même si elles étaient conduites au travers d’un pilote automatique,
étaient déjà sous la responsabilité d’un personnel navigant qualifié, maîtrisant
parfaitement l’environnement réglementaire. Ce choix fut particulièrement
pertinent avec l’arrivée du drone MALE Harfang, capable de franchir des
distances considérables entre deux espaces aériens militaires et donc nécessitant
une coordination étroite avec le contrôle aérien civil. Ces qualifications des

137
équipages ont permis de rassurer les autorités civiles compétentes qui ont
autorisé l’emploi du drone au-dessus de Paris, Caen et Lourdes pour différentes
bulles de protection créées dans le cadre de dispositifs permanents de sûreté
aérienne (DPSA), voire à traverser la Méditerranée à chaque mission, lors de
l’opération Harmattan.
Aujourd’hui, l’expérience acquise a permis de fixer les règles de recrutement,
d’instruction et de maintien des compétences des équipages de drone, à l’instar
des textes qui régissent l’aviation de combat et de transport. Ce document,
intitulé Consignes permanentes d’instruction pour les opérateurs de systèmes
de drones (CPIOSD), indique notamment que l’opérateur drone est un pilote
ou un navigateur breveté, donc disposant initialement d’une expérience
suffisante du vol. Il fixe les compétences théoriques à acquérir, les exercices
de vol à maîtriser, au cours d’une cinquantaine d’heures de vol et le nombre
de séances de simulateur à effectuer pour obtenir la licence d’opérateur, ou
la récupérer en cas d’interruption d’activité. Il aborde aussi les mêmes règles
pour la qualification d’instructeur.
C’est d’ailleurs à partir de ces textes que les différentes autorités compétentes
tentent de définir une réglementation commune. La Direction de la sécurité
aéronautique d’État (DSAÉ) anime un groupe de travail interministériel autour
des Standard and Recommended Practices (SARP) pour un cadre étatique et
participe aux mêmes travaux au sein de l’OTAN pour établir le STANAG 4670
ou ATP 3.3.7., abordant l’instruction des opérateurs.
La pression actuelle pour une utilisation commerciale des drones pousse
la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) à établir des règles suffisam-
ment contraignantes pour ne pas prendre le risque de laisser n’importe qui
aux commandes. Déjà, pour les catégories de machines les plus légères (micro
et minidrones) et les plus semblables à l’aéromodélisme, les candidats doivent
obtenir les compétences théoriques de la licence de pilote privé (PPL) et, dans
certains cas (vol hors vue), détenir cette licence complète avec une expérience
de cent heures de vol. Ceci laisse présager, au niveau de l’Agence européenne de
sécurité aérienne (AESA) et de l’Organisation de l’aviation civile internationale
(OACI), de contraintes encore plus fortes pour les masses de drones plus impor-
tantes. Il paraît ainsi naturel qu’un futur commandant de bord d’un drone de
plusieurs tonnes, croisant au sein de la circulation aérienne générale (CAG) au
niveau FL300 entre un Boeing d’Air France et un Airbus de la Lufthansa, soit
au minimum titulaire d’une Commercial Pilot Licence (CPL IR) voire d’une
Airline Transport Pilot Licence (ATPL). Ce à quoi l’armée de l’air se prépare,
car, aujourd’hui, une majorité de pilotes détiennent une de ces accréditations.

un drone navigabLe comme un avion de Ligne… ou presque


Depuis décembre 2006, un décret (41) régit l’utilisation, la navigabilité
et l’immatriculation des aéronefs militaires et d’État. Ce texte complète la
réglementation civile européenne qui exclut les aéronefs militaires et d’État
(41) Décret 2006-1551, du 9 décembre 2006.

138
de son périmètre mais incite les États membres à développer des règles de
fabrication et d’exploitation analogues pour ces aéronefs.
Désormais, à l’instar de l’aviation civile, tout aéronef militaire et d’État
devra être titulaire d’un certificat individuel de navigabilité et devra être exploité
dans un environnement dit « contrôlé ». Il s’agit, pour la navigabilité étatique de
s’inspirer du modèle civil tout en intégrant les contraintes opérationnelles propres
à l’exploitation d’aéronefs militaires. Le décret définit la navigabilité « comme
étant la condition d’un produit qui lui permet d’être mis en œuvre en respectant
les objectifs de sécurité définis vis-à-vis des personnes à bord et des tiers ».
Toutefois, ce texte laisse une marge de manœuvre potentielle aux exploitants
étatiques quant aux « aéronefs non pilotés ». Engagée dans une démarche
volontariste et exemplaire, l’armée de l’air, exploitant aéronautique étatique
majoritaire, a décidé de se conformer à ce champ d’exigences réglementaires
pour sa flotte de drones.
Qu’ils soient habités ou non, la navigabilité des aéronefs de l’armée de
l’air s’organise autour des travaux de certification, de suivi de navigabilité et
de maintien de la navigabilité.

certiFier Les drones


Si les exigences réglementaires et le processus de certification sont éprouvés
dans le cas des aéronefs habités, ils sont encore embryonnaires pour les drones.
certiFication des aéroneFs habités : un processus rodé
Pour pouvoir être navigable, une flotte d’aéronef doit obtenir son certificat
de type (CdT) et chaque aéronef doit être titulaire d’un certificat de navigabilité
(CdN).
Le certificat de type est un document émis par une autorité, pour un type
d’aéronef certifiant la conformité de conception de cet aéronef aux exigences de
navigabilité adoptées par cette autorité. Au sein de l’Union européenne, l’AESA
est l’autorité en charge de la certification de type. Pour la navigabilité étatique,
la Direction générale de l’armement (DGA) assure la certification de type des
aéronefs militaires et d’État. À ce titre, elle est appelée « autorité technique ».
Pour un aéronef en développement, la certification de type se concrétise
par un programme de démonstrations formelles (simulations, essais en vol,
essais au sol, analyse des liasses de plan…) de la conformité de cet aéronef à
des exigences définies dans les codes spécifications (CS). À titre d’illustration,
les exigences relatives à la conception des avions de ligne sont regroupées dans
le « CS 25». Il n’existe pas d’équivalent aux CS pour les aéronefs militaires.
La DGA définit les exigences de navigabilité pour chaque flotte. La DGA, en
tant qu’autorité technique, certifie des aéronefs a posteriori leur mise en service
— parfois après plus de 20 ans (C-135, C-160…). C’est pourquoi le CdT est
complété par le référentiel de navigabilité. Ce document liste un historique des
évolutions d’une flotte, définies comme impératives depuis sa mise en service
opérationnelle (MSO). Chaque aéronef, s’il est conforme à son type, se voit

139
attribuer un certificat individuel de navigabilité. Il est délivré par la DGAC
dans le cas des aéronefs civils, par la DSAE dans le cas des aéronefs militaires
et d’État.
L’intégralité des aéronefs militaires étatiques devront être titulaires d’un
CdN pour être exploités après le 31 décembre 2014. Dans ce cadre général, les
drones constituent une particularité réglementaire.

Les déveLoppements régLementaires reLatiFs aux drones


Concernant les drones civils, les recommandations de l’OACI en matière
de certification du niveau de sécurité du système (vecteur et station sol) des
Remotely Piloted Aircraft Systems (RPAS) ont été adoptées en 2012. Au niveau
européen, l’AESA est responsable de la réglementation pour les drones civils, dont
la masse est supérieure à 150 kilos. La réglementation propre à la navigabilité est
prévue en 2018… Pour les drones civils dont la masse est inférieure à 150 kilos,
l’AESA a délégué cette prérogative aux autorités nationales, donc à la DGAC
en ce qui concerne la France.
Les règles de navigabilité propres aux drones d’État seront prochainement
publiées à travers un arrêté fixant les « dispositions relatives à la navigabilité et
à l’immatriculation (…) ». Les drones dont la masse est supérieure à 150 kilos
et susceptibles d’évoluer en environnement sensible devront avoir un certificat
de navigabilité et devront être entretenus par un organisme de maintenance
agréé sous contrôle d’un Organisme de gestion du maintien de la navigabilité
(OGMN). Les drones dont la masse est inférieure à 150 kilos seront dans
le cas le plus contraignant (selon l’environnement dans lequel ils évoluent)
soumis à la seule exigence d’être entretenus selon les prescriptions du manuel
de maintenance et disposeront des règles adaptées de suivi de navigabilité
(certificat de type, autorisation de vols).
Dans l’intervalle, la DGA, autorité technique en matière de navigabilité
étatique, a procédé à la certification de type du vecteur du système Harfang,
actuellement exploité par l’armée de l’air. Les travaux de certification individuelle
par la DSAÉ sont en cours. Cette certification n’intègre pas la station sol et la
liaison de données entre la station et le vecteur.

suivre La navigabiLité des drones


D’une manière générale, le CdT est attribué par l’autorité (AESA,
DGAC ou DGA) à un « détenteur de CdT ». Le détenteur du certificat de
type a le devoir d’assurer un suivi des évolutions de l’aéronef tout au long de
son exploitation. Ces évolutions peuvent être des modifications (structures,
architecture avionique, équipement…) ou des inspections.
En matière de suivi de navigabilité, les responsabilités sont partagées entre
les grands acteurs. Les exploitants ont le devoir d’informer le détenteur du CdT
de l’occurrence des événements techniques sur les aéronefs en exploitation
en moins de 72 heures. Le détenteur du CdT instruit les événements et émet

140
éventuellement des recommandations dont l’application peut être immédiate.
Enfin, l’autorité assure une veille de ces recommandations et traduit en
consignes de navigabilité celles dont l’application est impérative car mettant
en jeu la sécurité aérienne.
Ces processus sont applicables dans le cas des drones de l’armée de l’air.

maintenir La navigabiLité des drones


Le maintien de la navigabilité se définit comme « l’ensemble des processus
destinés à veiller à ce qu’à tout moment de sa vie utile, l’aéronef respecte les
exigences de navigabilité en vigueur et soit en état d’être exploité de manière
sûre ». Il s’agit de d’assurer en permanence la conformité d’un aéronef titulaire
d’un CdN à son CdT.
Concrètement, le maintien de navigabilité se compose des activités
d’exploitation technique : la définition et organisation de la maintenance —
qui relève d’un OGMN ; l’exécution de la maintenance — qui relève d’un
Organisme d’entretien (OE) ; la formation des mécaniciens — qui relève des
Organismes de formation à la maintenance (OFM).
Dans l’Union européenne, ces activités d’exploitation technique au profit
des aéronefs civils font l’objet d’une réglementation spécifique. Les exigences
réglementaires sont organisées en quatre parties intitulées PART : la PART M
pour la gestion du maintien de la navigabilité, la PART 145 pour l’entretien, la
PART 66 pour les licences de mécanicien aéronautiques et la PART 147 pour
les organismes de formation de ces mécaniciens.
Conformément au décret 2006-1551, le maintien de la navigabilité des
aéronefs militaires et d’État est une responsabilité de chaque chef d’état-major
d’armée, désigné « autorité d’emploi » (AE). Une instruction complétant le
décret organise les exigences de maintien de la navigabilité des aéronefs militaires
et d’État en quatre annexes intitulées FRA (M, 145, 66, 147). Chaque FRA
s’inspire de la PART correspondante mais intègrent les spécificités militaires :
à titre d’illustration, une licence est créée pour le personnel armurier qui ne
trouve pas d’homologues dans l’aviation civile. Les différents organismes
(OGMN, OE, OFM) sont audités par la DSAÉ. La satisfaction aux exigences
réglementaires en matière de maintien de navigabilité se concrétise par la
délivrance d’agréments aux organismes et de licences aux personnes.
Ainsi, le maintien de la navigabilité de la flotte Harfang de l’armée de
l’air est organisé conformément à ce modèle. Le chef d’état-major de l’armée
de l’air, en tant qu’autorité d’emploi, a confié la gestion du maintien de la
navigabilité des aéronefs exploités à l’OGMN-Air. L’OGMN-Air est une entité
dont l’architecture repose sur un partage de responsabilités entre l’EMAA, le
CSFA et la SIMMAD. L’OGMN-Air organise et prend les décisions relatives
à la maintenance. Par ailleurs, elle surveille les activités réalisées par le CSFA,
OE de l’armée de l’air qui assure la maintenance et la mise en œuvre des
aéronefs exploités. Certains mécaniciens, titulaires d’une LMAÉ, sont désignés

141
« personnels de certification » ou « APRSeurs », ils délivrent l’approbation
pour remise en service (APRS) à l’issue des travaux curatifs ou préventifs. La
formation des personnels est assurée par des entités du CSFA, agréés FRA 147.
L’armée de l’air est pionnière dans l’application de la réglementation en
matière de navigabilité des drones. Elle travaille de concert avec la DSAÉ, non
seulement garante de la bonne application de la réglementation en matière de
navigabilité étatique mais aussi moteur dans les travaux réglementaires. La
DSAÉ s’attache à établir, en lien avec les autorités d’emploi et l’aviation civile,
une réglementation étatique qui permet aux AE d’exploiter les drones d’État
dans les meilleures conditions opérationnelles et de sécurité. À cet égard, la
navigabilité de l’aéronef et la fiabilité du système est un des trois domaines
couverts par cette réglementation aux cotés de l’intégration dans l’espace aérien
et la formation des opérateurs.
Enfin, l’Agence européenne de défense (AED) anime des travaux pour
promouvoir une navigabilité étatique à l’échelle de l’Europe en mettant en
place de nouvelles normes : les EMAR pour European Military Airworthiness
Requirements. La France participe activement à cette démarche.

une utiLisation en espace aérien miLitaire préfigurant son


empLoi à titre commerciaL sur Le reste du territoire

L’aventure des drones dans les armées débuta naturellement par une
période d’essais et d’expérimentations au sein des centres d’essais en vol de la
Direction générale de l’armement (DGA) et des enceintes de la Section technique
de l’armée de terre (STAT) et du Centre d’expérimentations aériennes militaires
(CEAM). La conduite de tels vols nécessita généralement la création de volumes
dédiés dans des zones protégées de toute sorte de trafic aérien et au-dessus
d’espaces très faiblement peuplés, réduisant ainsi le risque de dommages aux
tiers. En cela, les zones aériennes du Centre d’essais en vol (CEV), sous contrôle
radar, ou des champs de tir de l’armée de terre, bien connus des usagers de
l’espace aérien pour leur dangerosité, se prêtèrent rapidement à une pratique
des vols plus régulière.
L’intérêt grandissant pour l’emploi des drones, notamment en coopération
avec des forces au sol ou avec d’autres aéronefs, nécessita d’étendre leurs volumes
d’emploi à une majorité de zones aériennes militaires, de fixer des procédures et
des normes de séparation avec le reste de l’aviation militaire utilisant ces espaces,
puis d’établir les responsabilités de chaque intervenant dans la réalisation de
ces vols. L’ensemble de ces règles furent d’abord publiées dans l’instruction
provisoire de la Direction de la circulation aérienne militaire DIRCAM-2250
(janvier 2004) puis amendées dans l’instruction DIRCAM-1550 (décembre
2009). Cette dernière a pris en compte les cinq années de retour d’expérience
d’utilisation des drones SDTI, Hunter et SIDM, en officialisant notamment
la création de couloirs militaires temporaires reliant deux zones de vol drone

142
non contigües et en émettant les premières règles d’emploi des minidrones au
sein du ministère de la Défense.
Nouvellement créée, la DSAÉ profite alors de ces initiatives pour envisager
l’extension de ces textes à l’ensemble des drones d’État, puisque la police et
la sécurité civile ont concomitamment débuté leurs évaluations de micro et
minidrones. En tant que partenaire privilégié de la DGAC sur ces questions,
elle s’est, de plus lancée dans le développement de projets innovants comme des
accords transfrontaliers ou la « smart segregation ». Compensant ainsi l’absence
de solution technique de type « Sense & Avoid ». Ce concept, par la création
d’un long couloir militaire géré dynamiquement par tronçons avec l’aviation
commerciale, a récemment permis au drone Harfang de transiter depuis sa
base de Cognac vers Paris pour les cérémonies du 14 juillet 2012.
La pression émise par les entreprises visant à exploiter commercialement
ce genre d’engins à des fins civiles poussa l’AESA à envisager les conditions
d’emploi dans l’espace aérien civil. Elle délégua rapidement la réalisation de
ces travaux aux autorités nationales pour les catégories des micro et minidrones
(jusqu’à 150 kilos) et conserve la direction des études pour les plus lourds, en
attendant les conclusions de l’OACI en la matière, à paraître en 2016. Il est
d’ores et déjà concevable que ces règles seront plus contraignantes que pour
les drones évoluant en circulation aérienne militaire (CAM), du fait de leurs
interactions avec l’aviation commerciale et d’ambitieux programmes comme
le Single European Sky Air traffic management Research (SESAR). En outre,
ces règles tiendront aussi compte de l’innovation technologique nécessaire à
la reproduction du comportement « voir et éviter » du pilote, avec l’apparition
de systèmes Traffic Collision Avoidance System (TCAS) évolués, fonctionnant
en réseau avec le contrôle au sol ou d’algorithmes analysant en temps réel les
vidéos issues de nombreuses caméras positionnées sur le drone.
Quant aux plus petits drones (moins de 25 kilos), la DGAC a publié les
premiers arrêtés en avril 2012 et contraint leur activité à de très faibles hauteurs
de l’ordre de 50 mètres, évitant toute zone réglementée et majoritairement en
dehors de tout espace peuplé. L’emploi en zone urbaine ou en dehors de la
vue du télépilote (au-delà d’1 kilomètre) n’est aujourd’hui envisagé que pour
des engins de moins de 4 kilos, réduisant ainsi drastiquement les dommages
occasionnés par une perte éventuelle de contrôle. Ces premières ébauches
autorisent donc l’usage de drone à courte distance pour des opérations de prise
de vue (inspection d’ouvrage, cinéma/presse, surveillance) mais empêchent leur
exploitation sur des zones étendues, nécessitant naturellement un accroissement
de leur masse (cartographie, usage agricole, détection de feux de forêt, etc.). Au
vu des contraintes techniques et légales, il semble que la DGAC veuille procéder
par petits pas en analysant les premiers retours d’expériences.

143
144
CHAPITRE 3

L’HOMME, ÉLÉMENT CLEF


DU SYSTÈME DE DRONE

145
146
L’organisation
des unités de drones
Capitaine de frégate Marc Grozel

Les drones aériens (UAS) sont devenus des systèmes indispensables aux forces
armées modernes. Toutefois, l’arrivée de ces nouveaux systèmes ne semble pas
avoir, majoritairement, produit une nouvelle organisation des forces. S’agit-il
d’une étape intermédiaire ou d’une situation appelée à durer ? Les réponses
sont presque propres à chaque pays voire à chaque force.

Les modèLes nationaux

Les unités de drones israéLiennes


Le plus grand utilisateur de drones aériens reste Israël, même si en nombre
d’appareils les forces américaines possèdent aujourd’hui plus de systèmes.
En Israël, les UAS sont mis en œuvre à la fois par l’armée de terre et la force
aérienne (IAF).
L’armée de terre a doté, ou va doter à court terme, chaque bataillon d’un
squadron de mini-UAV. Il est difficile de connaître exactement l’organisation
mais ces « squadrons » semblent constitués de spécialistes UAV travaillant
directement au profit du bataillon. L’objectif est d’être le plus réactif possible.
L’IAF a selon les sources trois ou quatre squadrons d’UAS dont elle ne
diffuse pas, officiellement, le nombre et le type d’appareils. Il s’agirait aujourd’hui
majoritairement d’Elbit « Hermes 450 » (Zik dans la nomenclature israélienne),
d’IAI « Heron » (Shoval) et d’IAI « Heron TP » (« Eitan »). L’organisation est
semble-t-il identique à celles des autres squadrons de la force aérienne. La force
aérienne israélienne utilise des drones armés et maintient, presque en permanence,
en vol des patrouilles de drones, armés ou non, qui sont directement disponibles
pour les commandants des opérations. Les systèmes de drones israéliens sont
équipés pour diffuser leurs informations vers leur station de contrôle mais aussi
vers les troupes au sol et vers les hélicoptères de combat (AH-64 « Apache »
notamment). Bien qu’Israël ne l’ait jamais confirmé, il semblerait que de
nombreux tirs de précision effectués par des Apache soient réalisés à partir
de désignation de cible effectués par des drones. L’IAF semble avoir créé une
véritable doctrine de coopération étroite entre les appareils pilotés (chasseurs
et hélicoptères) et les drones. Cette coopération est favorisée par un réseau de
distribution de l’information très performant, très automatisé et parfaitement
adapté au territoire. Cette configuration est favorisée par une zone d’opérations
de relative petite taille et parfaitement connue (et numérisée).

147
Israël utiliserait également certains de ces UAS, des « Heron » spécialement
modifiés pour assurer des missions de surveillance maritime. Ces appareils
auraient remplacé une partie des biréacteurs de « Westwind ». Les concepts
d’opérations ne sont pas connus.
Depuis la fin 2011, l’IAF aurait déployé une nouvelle structure de
commandement, désignée « Depth Command » pour prendre en compte les
missions des UAS au-delà de ses frontières (maritimes et terrestres). Ces
missions concerneraient plus particulièrement la surveillance des approches
maritimes, le Soudan et l’Iran.
En Israël, les opérateurs de drones (chef de mission et pilote) ne sont pas
obligatoirement des pilotes d’appareils habités.
Pour Israël, les drones permettent de disposer d’un système de surveillance
et d’actions presque permanent en limitant l’action des appareils pilotés. La
complémentarité des deux segments « pilotés » et « non pilotés » semble être
devenue un principe de base des forces israéliennes. Cette volonté commence
d’ailleurs à émerger dans les autres forces israéliennes terre et marine qui
commencent à utiliser des Unmanned Ground Vehicle (UGV) et des Unmanned
Surface Vehicle (USV) .

Les unités de drones américaines


Aux États-Unis, les UAS sont maintenant mis en œuvre par l’USAF,
l’US Army, l’USMC et l’US Navy et un certain nombre d’unités de réserve de
chacune de ces composantes. Chaque force semble avoir sa propre approche.
L’USAF organise ses unités d’UAS comme des unités d’avions de combat.
En fonction des systèmes et de leurs missions, elle adapte le type de squadron :
reconnaissance, attaque ou entraînement. Ces unités sont regroupées en Wing (42)
comme les autres composantes de l’USAF. Le nombre de squadrons est en
augmentation constante. De nombreux squadrons remplacent leurs Lockheed
F-16 Fighting Falcon par des UAS et notamment des General Atomics Reaper
(MQ-9). À noter que l’USAF commence à doter plusieurs unités de l’Air National
Guard d’UAS. Depuis maintenant au moins un an, l’USAF ne commande plus
que des Reaper qui est un véritable « Hunter/Killer » combinant des moyens
de détection et de surveillance performants (tourelles EO/IR/laser de dernière
génération et radar SAR) et armement puissant (six points d’emports pour
des missiles et des bombes).
L’organisation ne semble pas fondamentalement différente des unités
aériennes « standard ». Seule particularité, mais de taille, le découplage entre
la mise en œuvre des vecteurs aériens eux-mêmes qui se fait à proximité
plus ou moins grande du théâtre d’opérations (Afghanistan, Irak, Koweït,
Éthiopie) et le contrôle durant la mission proprement dite qui se fait à partir
des stations de contrôles qui restent aux États-Unis. Cette situation a généré

(42) Wing : escadre.

148
des études particulières pour mesurer l’impact psychologique sur les équipages
de l’éloignement de la zone de combats. Les résultats sont encore controversés.
L’USAF a fait le choix de faire contrôler ses UAS par des pilotes (à l’origine
des pilotes de chasseurs et de bombardiers, aujourd’hui majoritairement de
chasseurs). Toutefois, face à la demande de plus en plus élevée de pilotes d’UAS
(plusieurs centaines sur les cinq prochaines années) elle semble avoir décidé de
former des pilotes d’UAS ab initio pour ces tâches mais en leur donnant une
formation mixte appareils pilotés et UAS.
L’USAF semble vouloir, à l’instar, de l’IAF se tourner vers une doctrine
de maintien d’une capacité permanente de drone en vols sur une zone donnée.
Cette doctrine offre une réactivité intéressante mais nécessite de gros moyens
(en systèmes mais aussi en opérateurs) que seule aujourd’hui l’USAF possède.
L’US Army a déjà une longue expérience des drones. Elle a organisé ses
unités en sections qui sont reparties en fonction des systèmes, mini-UAV (Raven),
UAV tactiques moyens (Shadow) et tactiques lourds (Gray Eagle (43)). Pour
ses UAS, l’US Army utilise des spécialistes qu’elle forme elle-même en grand
nombre. L’US Army n’emploie pas de pilotes sur ses systèmes.
L’US Army a commencé par utiliser ses UAS de manière assez classique
en unités, liées soient à une brigade (« Shadow »), soient à une division (« Gray
Eagle ») destinés à fournir des renseignements. Toutefois, la situation évolue,
l’US Army a déjà testé :
• des sections de « Shadow » renforcées (avec plus de vecteurs aériens et plus
de stations sols) pour offrir plus de permanence et plus de moyens d’ob-
servation, c’est un peu à moindre échelle la même volonté que l’USAF de
disposer en permanence d’UAS disponibles sur une zone donnée ;
• des unités mixtes hélicoptères pilotés OH-58 « Dragon Warrior » et drones
« Shadow ». Les résultats des expérimentaux sont en cours d’analyse ;
• la distribution des informations obtenues par les UAS vers des moyens
pilotés et des moyens au sol ;
• la fusion des données, sur une zone données, de systèmes de drones de
différents niveaux (mini-UAS, UAS tactique) et d’appareils pilotés.
L’arrivée des « Gray Eagle » qui offrent des capacités proches des MALE,
notamment l’emport d’armement (un « Gray Eagle » dispose de 4 points
d’emports sous voilure soit 2 de plus qu’un Predator A de l’USAF ») pourrait
modifier la doctrine d’emploi. Actuellement, les projets prévoient la mise en
œuvre d’une unité de « Gray Eagle » (avec 12 VA) par division. Ce système est
une véritable rupture pour l’US Army qui retrouve ainsi un appareil à ailes
fixes, endurant et armé qui était jusqu’alors l’apanage de l’US Air Force. Cette
nouvelle capacité pourrait impliquer une nouvelle distribution des rôles au
sein même de forces armées américaines. L’US Army intègre de plus en plus
les UAS dans ses opérations et ses réflexions. Pour elle, l’UAS est devenu un
moyen incontournable pour toute opération. Il est probable que l’US Army
progresse encore dans l’emploi et dans la complémentarité d’emploi de ses

(43) Version spécifique du Predator pour l’US Army.

149
systèmes pilotés (hélicoptères mais aussi blindés et autres véhicules) et ses
systèmes non pilotés (UAS, UGV).
L’US Navy, a intégré ses UAS VTOL embarqué dans une flottille
d’hélicoptères (cas des MQ-8B « Fire Scout) et ce sera probablement le cas
pour toute sa future flotte d’UAS embarqués (MQ-8B et MQ-8C). Ces systèmes
sont mis en œuvre par des pilotes et du personnel de l’Aéronavale américaine.
Les futurs drones de surveillance « courte portée » que seront les Boeing/
Insitu RQ-21 « Integrator » devraient être mis en œuvre directement par les
bâtiments à leur profit. Ils reprendront les missions réalisées par les systèmes
« Scan Eagle » qui sont mis en œuvre, en grande partie par des personnels civils.
Il s’agit là majoritairement de missions de reconnaissance, de surveillance et
de maitrise de la situation de surface.
Pour sa future flotte d’UAS Broad Area Maritime Surveillance (BAMS)
– MQ-4C « Global Hawk » (68 appareils répartis dans 5 bases dans le monde),
l’US Navy n’a pas encore annoncé de choix mais il est probable qu’elle choisisse
une organisation à la fois proche de celle de l’USAF, pour rechercher des
synergies et de celles de ses unités de surveillance maritime.
Pour ses futurs UCAS, (à travers le programme UCLASS), l’US Navy n’a
pas encore annoncé ses choix mais il est probable que le modèle des squadrons
de chasse embarqués ou d’attaque sera repris. Il faut noter que le futur
UCLASS sera très probablement le premier drone disposant d’une capacité
de ravitaillement en vol. Cette capacité ouvrira de nouvelles frontières pour
l’emploi de ce type de systèmes.
L’US Marine Corps aligne quatre unités de drones les VMU-1 à VMU-
4. Ces unités sont dotées de drones tactiques « Shadow » (RQ-7) comme l’US
Army. Ces unités travaillent en autonome en soutien des forces.
À court terme, l’USMC, devrait également disposer de RQ-21 « Integrator »,
le programme est commun avec l’US Navy qu’elle utilisera à la mer ou à terre
comme elle le fait aujourd’hui avec le « Scan Eagle ».
L’USMC commence à travailler sur ses propres doctrines et concepts et
veut, par exemple, armer ses drones « Shadow » (ce qui n’est pas le cas de l’US
Army). Comme pour l’US Army et l’US Navy, l’USMC forme ses propres
opérateurs et n’utilise pas de pilotes. Avec ces drones, et encore plus demain
lorsqu’ils seront armés, l’USMC se donne la capacité d’être encore plus
autonome lors d’une projection.
L’USMC est aussi la seule force au monde à utiliser, certes encore au stade
expérimental mais sur une durée conséquente (plusieurs mois d’utilisation), des
drones VTOL cargo à travers la location et le déploiement en opérations de
drones Lockheed/Kaman « K-Max ». Ces systèmes sont utilisés pour ravitailler
en matériel des unités isolées. L’USMC s’engage dans une voie novatrice qui
pourrait permettre d’élargir encore le spectre d’emploi des UAS.
Aux États-Unis, d’autres forces alignent des UAS, notamment les forces
spéciales et la CIA, avec soit des systèmes propres, soit des systèmes de

150
l’USAF, US Navy mis en œuvre à leurs profits. Les doctrines d’emploi sont
par nature « inconnues ». Elles seraient principalement axées sur la collecte de
renseignements mais avec des possibilités d’actions ponctuelles.

Les unités de drones britanniques


Au Royaume-Uni, les UAV sont mis en œuvre par la RAF et par l’Army. La
RAF dispose d’un squadron, le 39e ; qui volait précédemment sur « Camberra »
de reconnaissance et maintenant sur General Atomics « Reaper » (le MQ-9B).
Ce squadron a la particularité d’être basé aux États-Unis (dans le Nevada). Il
réalise des opérations en Afghanistan et utilise globalement les mêmes concepts
que l’USAF, y compris en mettant en œuvre de missile et des bombes. Les
opérateurs et les techniciens ont été formés par l’USAF.
En 2012, la RAF devrait créer un nouveau squadron sur Reaper, le no
13(parfois également aussi désigné XIII) qui volait jusqu’en mai 2011 sur
« Tornado ». Ce squadron devrait être basé au Royaume-Uni sur la base de
Waddington. La RAF a repris globalement la structure de ses squadrons
classiques. Ses UAS sont mis en œuvre par des pilotes. La RAF a mené une
expérience (projet Daedalus) pour évaluer l’intérêt de former des opérateurs
non-pilotes. Les résultats ont été de bonnes qualités et la RAF reconnaît l’intérêt
de cette voie mais elle dispose aujourd’hui, compte tenu de sa réduction de
format, de suffisamment de pilotes pour ne pas persévérer dans cette voie.
Les minidrones et les drones tactiques britanniques sont mis en œuvre
par la British Army. Les mini-UAV (Lockheed « Desert Hawk » et Honeywel
« MAV ») sont mis en œuvre par des régiments d’artillerie (32e et 47e) au sein
de sections dédiées. L’Army britannique diffuse très peu d’informations sur ses
concepts d’emplois. Les « Desert Hawk » seraient essentiellement destinés au
soutien des forces et les « MAV » à la lutte anti-IED.
Les drones tactiques sont mis en œuvre par le 32e régiment royal d’artillerie.
Ce régiment a utilisé le BAE « Phoenix ». Il utilise actuellement, dans le cadre
d’un contrat de location avec Thales (contrat « Lydian »), le drone israélien
Elbit Hermes 450 et s’apprête à recevoir des BAE/Elbit Watchkeeper. Sur
Hermes 450, les Britanniques ont été formés et entraînés par les Israéliens (au
Royaume-Uni mais aussi en Israël). Les équipages et l’emploi semblent assez
proches des concepts israéliens. Cette solution semble avoir été choisie pour
plusieurs raisons : disposer rapidement d’un système mature, accumuler de
l’expérience en opérations (ce qui reste irremplaçable) et préparer le passage
au « Watchkeeper » qui est une évolution majeure de l’« Hermes 450 ».
L’arrivée du Watchkeeper devrait faire évoluer les choses pour plus intégrer
les UAS dans les concepts britanniques, notamment en termes de diffusion de
l’information. L’Army forme ses propres opérateurs. Il ne s’agit pas de pilotes
mais la formation en est très proche (hormis les heures de vol).

151
La Royal Navy n’a pas encore de drone. Elle a mené plusieurs expérimentaux
et s’apprête à en mener d’autres mais elle ne semble pas encore avoir figé de
concept d’emploi.

Les unités de drones françaises


En France, les drones ne sont pas encore un élément majeur, en termes de
quantité, des forces mais l’évolution est en route.
L’armée de terre est le plus grand utilisateur de drones. Elle met en œuvre
des micro-UAS (Thales Spy Arrows) mais encore à un stade embryonnaire. Il
s’agit dans ce cas de fournir un moyen de reconnaissance courte portée aux
sections (c’est la notion de jumelles déportées). Les informations collectées
sont directement exploitées au niveau de la section.
L’armée de terre déploie également des mini-UAS (Cassidian DRAC) à
travers les sections DRAC des Unités de Renseignements Brigade adossées à
chaque brigade interarmées. Ces sections sont armées par du personnel d’origines
diverses mais formées spécifiquement par le centre de formation du 61e régiment
d’artillerie. Initialement, l’armée de terre envisageait une qualification DRAC
en plus des autres qualifications de base. L’expérience semble montrer que pour
tirer la quintessence de ces systèmes, une spécialisation, même temporaire le
temps de l’affectation, est nécessaire.
Les drones tactiques (Sagem SDTI) sont mis en œuvre au sein du 61e
régiment d’artillerie à travers plusieurs batteries. Cette unité met en œuvre des
drones aériens depuis plus de vingt-cinq ans et possède une solide expérience.
Les opérateurs sont formés au sein même du régiment dans une structure
particulière. L’armée de terre n’utilise pas de pilotes sur ses systèmes. Le SDTI
est essentiellement un drone de renseignement, il ne dispose pas d’une capacité
d’armement mais peut guider des tirs d’artillerie. Il travaille essentiellement au
profit de la brigade de renseignement. Le SDTI est en fin de vie mais il a permis
à l’armée de terre d’accumuler une expérience indéniable et de préparer l’avenir
pour le futur SDT (44) qui pourrait bénéficier d’une capacité multicapteurs voire
d’armement. Actuellement, l’armée de terre est dans une période charnière,
son futur drone devrait lui permettre d’augmenter son potentiel drone mais
aussi l’emploi de ce type de systèmes dans la manœuvre interarmes.
L’armée de l’air met en œuvre des drones MALE Cassidian Harfang
(ex-SIDM) au sein de l’escadron 1/33 Belfort. L’organisation est calquée sur celle
d’un escadron « classique » avec, à ce jour , des missions axées principalement
sur le renseignement et le soutien (renseignement) des forces. L’armée de l’air
ne dispose pas encore de drones aptes à l’emport d’armement. Cette capacité
devrait arriver avec le futur MALE intérimaire et permettre ainsi des évolutions
de cadre d’emploi et de doctrine.
À la différence de l’USAF, l’armée de l’air a fait, actuellement, le choix de
déployer en opérations la totalité du système : station de contrôle et vecteur

(44) SDT : Système de Drone Tactique.

152
aérien. Les équipages sont donc au plus près des opérations. Cette approche
est similaire de celle des unités de drones tactiques. L’armée de l’air utilise des
pilotes de chasse pour contrôler ses drones, il est probable que pour les mêmes
raisons que la RAF, ce choix perdure quelques années. L’arrivée d’un nouveau
système plus performant et armé devrait ouvrir la voie à de nouveaux concepts
d’emploi et à un élargissement du rôle des UAS.
La marine ne dispose, à ce jour, que d’une capacité drone réduite avec un
détachement expérimental au sein du Centre d’expérimentation de l’aéronautique
navale (CEAP/10S). Ce détachement expérimente un drone tactique embarqué
sur patrouilleur et ébauche les grands principes des futures unités de drones
qui devraient bénéficier de l’expérience des flottilles d’hélicoptères embarqués.
La marine mène aussi des réflexions sur l’emploi de futur drone de surveillance
maritime qui pourrait compléter la composante de patrouille maritime.

autres modèLes nationaux


L’organisation des autres forces armées est plus ou moins connue mais
se rapproche des modèles évoqués supra et est surtout liée aux fournisseurs
du système. Ainsi, les utilisateurs d’IAI Heron (Singapour par exemple) ou
Elbit Hermes 450 (Géorgie, Brésil notamment) sont souvent très proches des
concepts israéliens et les utilisateurs de drones américains tant mini-UAV,
type AeroVironment Raven, tactique, type AAI Shadow ou MALE comme
le General Atomics Predator se rapprochent des concepts de mise en œuvre
et d’emploi américains.
Il s’agit ici, à travers l’exportation de matériel d’un enjeu tant économique
que politique et « tactique » : la recherche d’un modèle d’emploi et par là même
une forme de pression ou de contrôle de ces systèmes.

rupture ou continuité des modèLes organisationneLs


Il est possible, à travers les exemples cités, de tirer des grands enseignements.
Globalement, les utilisateurs sont partagés en deux grandes écoles :
• la première considérant les UAV comme des avions ;
• la seconde considérant ces systèmes comme des aéronefs particuliers et
pouvant ouvrir la voie à de nouvelles méthodes.
La première école est globalement celle des armées de l’air majeures (USAF,
RAF, AdA). Les drones, souvent des MALE voire des HALE, sont traités
comme des avions pilotés. Les structures de commandement, de formation,
de soutien sont calquées sur un modèle classique et semble avoir peu évoluées.
Cette situation pourrait être :
• une forme de prudence vis-à-vis de nouveaux systèmes et, dans ce cas, le
plus simple est de se rapprocher de ce qui existe ;
• une certaine forme de méfiance vis-à-vis de systèmes prenant, ou étant
perçus, comme prenant la place d’appareils pilotés avec une certaine réti-
cence de la part du personnel de mise en œuvre.

153
Par contre, cette situation à l’avantage de :
• « sécuriser » la mise en œuvre des systèmes en se rapprochant de procé-
dures connues mais parfois trop lourdes ;
• rassurer les décideurs en minimisant les différences avec ce qui est connu.
Il est probable que dans l’avenir cette situation de « reproduction d’un
modèle classique » ne soit pas tenable à la fois pour des raisons :
• économiques, ce qui est l’un des moteurs de l’émergence des systèmes
de drones ;
• techniques, les systèmes vont être de plus en plus matures, de plus en plus
automatisés et demander de moins en moins de personnels tant dans la
mise en œuvre que dans l’emploi ;
• opérationnelles, les systèmes de ce type vont développer de plus en plus
de capacités qui seront transverses et impossible à calquer sur des sché-
mas « classiques » ;
• d’émergences de nouveaux concepts d’emploi.
Cette situation est donc très probablement appelée à évoluer.
La seconde école est plus hétéroclite et regroupe plus de composantes. Elle
est plus ouverte et plus novatrice. Elle considère les drones comme des systèmes
utilisant l’espace aérien mais n’étant pas des avions.
Cette situation a des avantages car elle ne « bloque » pas les réflexions et les
concepts d’emploi en étant moins marquée par les « habitudes » et en étant plus
« créative ». Elle permet de défricher de nouvelles voies (comme par exemple
le ravitaillement par drone hélicoptère, le brouillage, l’emploi en petite unité,
le vol à basse altitude, la lutte anti-IED, etc.) sans a priori et sans la lourdeur
des procédures aéronautiques classiques.
Toutefois, cette école est « fragile » et a ses limites. S’il était possible au début
de l’emploi des drones en opérations d’innover et de limiter au minimum les
contraintes, l’expérience de nombreux systèmes montre que le respect de normes
et de procédures, plus ou moins contraignantes, est nécessaire et bénéfique.
Cette école a permis de faire émerger des concepts mais leur pérennisation passe
par l’émergence de normes et de procédures plus matures souvent perçues, à
tort, comme des contraintes.
Existe-t-il une solution idéale ? Probablement pas mais les deux écoles ne sont
pas viables à long terme. Les évolutions techniques, réglementaires, matérielles
et conceptuelles vont faire évoluer, et probablement converger, les deux écoles.
Il ne fait plus aucun doute qu’un UAS est un système aérien et que la meilleure
approche garantissant à la fois, la performance, la sécurité et une bonne maîtrise
des coûts reste une approche aéronautique adaptée. Les questions portent
aujourd’hui sur le niveau d’adaptation en fonction du type de drones.
Les doctrines d’emploi sont également appelées à évoluer, là aussi, l’émergence
de systèmes fiables et performants permettra d’élargir le spectre des missions
des UAS en autonomes mais aussi en coopération avec les autres systèmes. Les
UAS sont une nouvelle branche de l’aéronautique mais ils ne sont pas l’unique
avenir de l’aéronautique (tant militaire que civile). L’avenir devrait voir émerger
de multiples voies de coopération entre les UAS et les appareils pilotés.

154
La gestion des équipages
de drones
Lieutenant-colonel Christophe Fontaine

« L’avion est une machine sans doute, mais quel instrument d’analyse !
Cet instrument nous a fait découvrir le vrai visage de la terre.
Nous voilà donc changés en physiciens, en biologistes, examinant ces civi-
lisations qui ornent des fonds de vallées. »

Antoine de Saint-Exupéry,
Terre des hommes

Les drones sont devenus incontournables, pour ne pas dire indispensables,


dans la conduite des guerres modernes. Les récentes opérations aériennes en
Afghanistan, au Yémen, en Libye ou dans le Sahel le démontrent. Comme
l’indique Jean-Jacques Patry, la surveillance des drones permet de passer « d’une
reconnaissance intermittente à une surveillance permanente d’une cible et de
son environnement » (45). Ces besoins en matière de surveillance sont transverses
et touchent l’ensemble des composantes (air, terre, mer, forces spéciales) ainsi
que les différentes strates de la structure de commandement. Il est notable que
ces capacités interviennent dans toutes les dimensions du combat moderne : le
renseignement de situation, la préparation de mission, la guerre électronique,
l’identification des cibles, l’évaluation des dégâts collatéraux potentiels avant les
frappes aériennes et des effets de ces dernières, la surveillance de sites sensibles,
l’escorte de convois et l’appui des troupes au sol, la délivrance d’armement
de précision, le ravitaillement des FOBs au contact de l’ennemi, etc. Seuls le
ravitaillement en vol, la CSAR, la veille aérienne aéroportée (AWACS) et la
défense aérienne sont encore des missions qui échappent aux avions pilotés à
distance. Mais pour combien de temps encore ? Une génération ? Deux peut-
être ? Aux États-Unis et en Russie, des projets de bombardier, successeur du
B-2 et du TU-160 (46), sont envisagés pour être en mode principal « dronisé »
et occasionnellement en fonction de la mission, pilotable à bord (47). Cela
représente un tournant majeur dans l’histoire aéronautique. Mais au-delà de

(45) Jean-Jacques Patry, L’ombre déchirée, la puissance aérienne contre la terreur, Paris,
L’Harmattan, 2007.
(46) http://gizmodo.com/5939567/russias-unmanned-strategic-nuclear-bomber-is-a-really-
terrible-idea
(47) The Air Force has acknowledged that LRS-B will be an optionally-manned system, meaning
it will capable of both manned and unmanned operations, Général Deptula in http://thediplomat.
com/2012/05/06/why-the-u-s-wants-a-new-bomber

155
la technologie et des progrès réalisés dans l’automatisation et la transmission
en temps réel des données, ce sont bien les hommes et les organisations qui
continuent encore aujourd’hui, et dans une certaine mesure demain, à faire la
différence. Au moins pour la prochaine génération d’entre nous, c’est-à-dire les
prochaines 25 années. Car les drones modernes sont bien des avions. Ils n’ont
que peu à voir avec ces robots lancés (CL-289, Firebee) sur des trajectoires
préprogrammées sans qu’il soit possible d’en changer le déroulement en vol.
Pas de pilote à bord. Mais pas de pilote au sol non plus. Des servants pour
les mettre en œuvre tout au plus. On est en effet loin de l’idée selon laquelle à
l’inverse de « l’avion de guerre piloté par un cerveau, par des nerfs, par un cœur
d’homme » les « drones sont dirigés anonymement sur l’ennemi par l’actuelle
technologie, chirurgicale jusque dans ses bavures (48) ». Les drones modernes,
notamment les drones MALE, sont des avions comme les autres, en ce sens
qu’ils disposent de tous les équipements de radionavigation et qu’ils sont
pilotés du début à la fin de leur mission. Les deux seules différences qui en
font une catégorie encore à part, sont que d’une part, le cockpit de cet avion
est déporté au sol et que, d’autre part, le drone ne sait pas encore appliquer
totalement une des règles (49), pourtant fondamentale des règles de l’air, « le voir
et éviter » (50). Mais cette infirmité intrinsèque est en phase d’être levée par la
technologie et de nombreuses solutions techniques existent ou sont en cours
de développement (51). Et c’est dans ce domaine ou la robotisation et, dans
une certaine mesure, l’intelligence artificielle, sont déjà en marche. On peut
citer le TCAS qui existe déjà dans l’aviation civile. Aussi, des techniciens en
charge du vecteur et des liaisons de données en passant par les spécialistes du
renseignement et les opérateurs de vol au sein de leur cockpit déporté, le drone
reste très largement homo sapiens dépendant. Dans ce domaine, comme dans
d’autres, plusieurs modèles d’organisation d’équipage existent. Les différences
que nous pouvons observer chez ces derniers s’expliquent tant par les systèmes
mis en œuvre que par les cultures militaires et les modèles d’organisation.
* *
*
Dans l’armée de l’air française, le processus empirique utilisé depuis l’entrée
en service du Hunter en 1995 a conduit au développement d’un modèle original
différent de celui mis en œuvre aux États-Unis, en Israël, ou dans la plupart
des pays utilisateurs de drones MALE.
Il est né de la résultante de la rencontre de trois spécialités qui ont fait le
succès et la réputation de l’armée de l’air dans le domaine de la reconnaissance
tactique. Ce triptyque s’est développé au sein de la célèbre 33e escadre de
reconnaissance : le pilote, l’officier de renseignement (OR) et l’Interprétateur
Photo (IP). Dans ce modèle d’organisation, le pilote partait au combat en vol

(48) Article sur Saint-Exupéry du Magazine littéraire.


(49) Avec la camera actuelle du drone Harfang, le champ de vision est limité à un angle de 130°.
(50) Convention on International Civil Aviation, signed at Chicago, on 7 December 1944 (Chicago
Convention).
(51) Norme USAR, système Cne armée de l’air.

156
remplir une mission qui consistait à la mise en œuvre de capteurs en vue de
reconnaître un certain nombre d’objectifs. Ces derniers lui avaient été assignés
préalablement par l’officier de renseignement dans le cadre d’une préparation
de la mission intégrant les différentes données de menace et d’organisation
d’espace aérien. En d’autres mots, le cadre tactique. Au retour, une première étape
consistait en un débriefing en temps contraint de la mission : nombre d’objectifs
tasqués effectués ou non, objectifs d’opportunités, données particulières sur la
météo sur le trajet et les objectifs, menaces rencontrées, etc. Ensuite seulement,
les OR et les IP démarraient une phase beaucoup plus longue, comprenant une
exploitation approfondie du renseignement recueilli. Le pilote était, quant à
lui, déjà dans la préparation de la mission suivante.
Dans le cadre d’une mission de drone, ces trois experts aujourd’hui sont
colocalisés au sein du cockpit déporté. Au-delà de la dimension temps réel de
la transmission du recueil, du pilotage des capteurs et de l’avion à distance,
cette colocalisation représente la différence majeure avec le modèle et ses trois
phases évoquées supra. Désormais, les trois experts travaillent de concert
pendant l’intégralité de la mission. La phase de préparation de mission reste
aussi importante si ce n’est plus. En effet, la durée et la complexité des missions
(plus de 24 heures) ainsi que les relèves réalisées toutes les deux ou trois
heures de l’équipage, imposent la participation de tous dans la préparation
de la mission. Il faut non seulement intégrer le drone dans un environnement
3D, préparer les trajectoires en fonction des objectifs à traiter et des effets à
obtenir, incluant souvent un paramètre important lié aux besoins de discrétion.
Concernant l’emploi des capteurs, il conviendra de vérifier si cette zone existe
déjà en base de données afin de détecter en cours de mission, par comparaison
et fusion des données, des anomalies ou altérations de la cible ou de son
environnement afin d’en tirer un maximum de renseignement. Il faut enfin
s’approprier l’environnement ami en l’air et au sol pour toute la durée de
l’ATO. L’analyse des images s’effectuaient au moyen d’une surcharge ajoutée
à la main ou avec l’arrivée des capteurs numériques, par le biais d’un calque.
En conduite, la valorisation de la Full Motion Vidéo s’effectue désormais au
moyen des outils modernes de messagerie instantanée. Le flux vidéo temps
réel, et sa diffusion au sein de la chaîne de commandement, impose en effet à
l’équipage une exploitation en temps réel. Il est possible également de fournir
des imagettes preuves, qui sommairement renseignées, sont transmises ensuite
via les réseaux idoines. C’est notamment le rôle et la fonction du coordinateur
tactique qui assume les fonctions de chef de mission. Son périmètre de
responsabilité sera détaillé dans la deuxième partie de l’article. En ce qui
concerne la phase d´exploitation, nous avons vu que le temps réel imposait
de réaliser en direct celle dite de premier niveau, et qui correspond à « que
vois-je ». Une exploitation à froid dite de deuxième niveau sera réalisée en
fonction du besoin et via l’outil spécialisé SAIM (52). Les missions PREO/
IPB entrent clairement dans ce cadre. Toutefois, les drones de surveillance,
de par leurs capacités temps réel, sont souvent employés dans des missions

(52) Système d’aide à l’Interprétation Multicapteurs.

157
plus dynamiques en appui d’activité de troupes au sol ou dans le cadre de
processus contraints par le temps, TIC, PR, DT, DDT ou TST. Ils deviennent
ainsi, grâce à leur capacité à occuper l’espace aérien, préalablement conquis
par la défense aérienne, le catalyseur/l’accélérateur/liant de la boucle OODA.
Et cela n’est possible que si la plate-forme dispose d’une longue endurance,
est multicapteurs et armable. Le Rafale est omnirôle mais les escadrons et les
équipages sont spécialisés. Dans ces phases de renseignement temps réel, ce
qui constitue le cœur du domaine d’emploi des drones, la surveillance est en
quelque sorte une mission similaire à celle d’un AWACS. Elle consiste à gérer/
détecter des plots/pistes vidéo au sol avant de concourir à leur traitement soit
directement au moyen d’un armement embarqué, soit en illuminant la cible
avec son désignateur laser au profit d’avions d’armes.
Ainsi s’est constitué, au fil de l’expérimentation et de l’acquisition
d’expérience, un véritable équipage dont la force, au-delà des compétences
individuelles, est constitutive d’un collectif qui est capable de fournir de
multiples services sur la durée d’un ATO. A l’instar de toute organisation, elle
représente une richesse dont la somme totale est bien plus importante que la
somme des parties. C’est particulièrement vrai quand se développe, à l’instar
de ce qui existait à la 33, une réelle synergie, qui peut-être même être qualifiée
de symbiotique, entre les différents membres d’équipage.
* *
*
Fruit de l’expérience accumulée avec le drone tactique Hunter, et
conséquence des choix liés à la réorganisation de la répartition des fonctions
au sein de l’équipage avec l’arrivée du Harfang, ce modèle expérimental a
démontré aujourd’hui toute sa pertinence. D’abord en Afghanistan dans le
cadre de l’opération PAMIR, puis pendant OUP lors des opérations en Libye,
il continue à le prouver dans le cadre de l’opération Serval au Sahel. Quels sont
les périmètres d’action des différents membres de cet équipage et pourquoi
ce modèle est original dans sa constitution, et son mode de fonctionnement ?
Une des caractéristiques propres du Harfang (53) est l’organisation de son
équipage. A la différence des autres systèmes, les principales fonctions —
pilotage du vecteur et des capteurs, la conduite de la mission et l’interprétation
des données — sont toutes colocalisés. Ce modèle qui n’allait pas forcément de
soit au départ est désormais reconnu et étudié avec intérêt par la communauté
internationale des équipages de drones. Ce modèle est intéressant à plus d’un
titre. Il consacre d’abord un certain réalisme dans la mise en œuvre d’une
capacité qui en termes d’ambition et de moyen restera toujours en-deçà de celles
des États-Unis. Il permet ensuite une très grande flexibilité dans la réalisation
de la mission. En effet, il permet d’être réactif pour la gestion en temps réel,
des demandes de recueil. La colocalisation d’expert du renseignement est une
plue-value quant à la qualité de l’analyse du renseignement. Cette spécificité

(53) Ce nom fut choisi par le chef d’état-major de l’armée de l’air sur une proposition de l’escadron
d’expérimentation de drones 01/330 Adour.

158
française est particulièrement appréciée sur tous les théâtres d’opérations.
Une autre différence majeure qui singularise le Harfang des autres drones de
sa catégorie se situe dans le regroupement des fonctions de pilote du vecteur
et d’opérateur du capteur principal optronique. Cette double originalité et
sa singularité/particularisme font de ce modèle un ensemble cohérent où un
équilibre s’est progressivement constitué entre les différents membres d’équipage.
Le pilote du drone, appelé opérateur de vol (ODV), est en charge du
pilotage de l’aéronef, de la gestion du vol, de l’insertion du drone dans l’espace
aérien. Ils sont le garant de pouvoir espérer un jour voler, à l’instar de ce qui
se fait déjà en Suisse, de manière « normale » au milieu des autres avions civil
en espace aérien non ségrégué (54). Il est également en charge de la mise en
œuvre de son principal capteur, la caméra optronique. Cette dernière, véritable
œil numérique, travaille dans le champ du visible et de l’infrarouge. Il est
également doté d’un illuminateur laser permettant d’extraire des coordonnées
et de guider une bombe sur un objectif. En tant que commandant de bord
de l’aéronef, il est responsable de sa sauvegarde et de la prise en compte des
éléments, notamment d’ordre météorologique (vent, condition givrante, pluie,
etc), auxquels il est confronté. Les drones de part leurs profils de vol et leur
configuration de cellule y sont particulièrement sensibles. Ces vecteurs ne sont
plus des vecteurs intrinsèquement consommables. Le coût de sa mise en œuvre
et de la technologie déployée ne compense plus de manière aussi importante
le fait qu’il n’y ait plus de pilote à bord. Ainsi, à la fois de par son coût et le
faible nombre de systèmes en service, il est considéré en France comme un
High Value Asset (HVA). Le dialogue est donc permanent entre l’ODV et le
chef de mission pour concilier les impératifs de satisfaction du recueil avec la
préservation du drone. Cette dernière est toujours prioritaire sur le recueil sauf
dans des cas très particuliers pour lesquels la décision de risquer l’aéronef en
raison du caractère « stratégique » de la cible à surveiller, ou parce que cela
fait partie de la raison d’être de la mission, sera prise au niveau idoine de la
chaine de C2, le Com JFACC.
L’interprétateur photo, quant à lui, est responsable de l’aide à l’analyse, en
temps réel, des flux vidéos et de l’établissement des dossiers de renseignement
plus ou moins élaborés en fonction de l’urgence et de la nature de la demande.
L’IP est garant de la qualité de l’image, de l’identification, de la localisation
et de l’interprétation des données recueillies sur l’objectif. Il est également en
charge de la conformité des dossiers images élaborés en temps réel ou en temps
différé. Il conseille l’ODV sur le meilleur angle de surveillance de la cible et
éventuellement sur l’optimisation de l’utilisation du capteur optronique. Il
s’agit d’assurer un recueil permettant l’enrichissement le plus complet possible
des dossiers d’objectifs (DO) et des bases de données images. Que ce soit en
préparation de mission, à temps ou en conduite, l’IP assure la mise à disposition
de l’environnement cartographique et du soutien imagerie en fonction des
données disponibles sur son outil d’aide à l’interprétation multicapteurs, le
SAIM. Cet outil qui travaille en réseau est une aide indispensable permettant

(54) Espace aérien ségrégué versus non ségrégué.

159
de faire bénéficier, dans le cadre d’un réseau de données ISR, des produits
issus du recueil du Harfang. Il est en outre responsable de la mise en œuvre du
capteurs radar dans ces 2 modes imagerie et détection de cibles mobiles (MTI).
L’officier de renseignement, appelé coordinateur tactique (CT) est
l’équivalent du TACO au sein de l’équipage d’un Atlantique-2. C’est lui qui est
le chef de mission (Mission commander). Il contribue aussi bien à la préparation
qu’à la conduite et la gestion de la mission. Il s’agit de s’assurer de la meilleure
utilisation possible des capteurs afin de satisfaire les multiples clients de la chaîne
de commandement ou des acteurs de terrain en FMV. En outre, il est responsable
de la gestion de la mission en temps réel dans ces aspects renseignement et
menace. Il est notamment en charge, via les réseaux de C2 (militaire et civil)
de la valorisation du flux d’images temps réel retransmis (FMV). En effet, la
vidéo est en elle-même qu’un produit brut qui à besoin d’être interprétée. Les
outils de messagerie instantanée permettent donc la valorisation et la gestion
de la manœuvre en temps réel du ou des capteurs. Le SIDO (Senior Intelligence
Duty Officer) est l’interlocuteur privilégié du CT et est véritablement le point
d’entrée et l’interface qui permet aux données des drones d’être connectées au
current ops du JFACC. Dans le domaine aéronautique (hors message radio),
il réalise la surveillance de l’espace aérien et la déconfliction grâce à l’accès à
la RAP dans les phases où l’opérateur en charge du capteur optronique est en
incapacité de dialoguer par jtchat avec l’organisme de contrôle. Globalement, il
assure le contrôle du travail de l’IP, l’orientation de la recherche de l’opérateur
de vol, et est constamment en relation avec le centre de commandement en
liaison avec le responsable de la manœuvre des capteurs du théâtre appelé SIDO.
Le quatrième homme occupe une place similaire à celle d’un mécanicien
naviguant. Plusieurs types de mécaniciens interviennent dans le cadre de la
mission. Au démarrage, certains mettent en œuvre l’avion à son point de
manœuvre avant que ce dernier soit piloté vers la piste d’envol. En fonction de
la panne à laquelle nous pourrions être confrontés au cours du vol, d’autres
interviennent sur les baies de pilotage du cockpit, sur les liaisons en provenance
du drone ou vers celui-ci, sur les antennes qui permettent de communiquer
avec le drone et le C4I, ou sur les moyens de secours énergie qui assurent en
permanence l’alimentation électrique du cockpit. Les hommes restent au cœur
du système de drone Harfang et les mécaniciens ne représentent pas la moindre
contribution au succès de la mission.
Le cinquième homme enfin est l’une des particularités de l’organisation
de l’équipage Harfang. Il s’agit de permettre aux clients de participer à la
mission en venant dans le cockpit. Ainsi que ce soit en mission de recherche de
renseignement, en préparation d’une action à fin d’action, ou d’une mission en
conduite, en interministériel ou en OPEX, le client pourra venir, quelque soit
son niveau dans la chaîne opérationnelle, contribuer à la réussite de la mission
et à la satisfaction de son propre besoin.
* *
*

160
Aujourd’hui, ce modèle original est à la croisée des chemins. Jusque-là ce
dernier a été développé, comme nous l’avons vu, selon une approche empirique
tant dans son mode de fonctionnement que dans la manière dont se réalise
son recrutement. Mais la volonté, la motivation et l’intelligence du personnel
du Belfort ne peuvent pas tout. Bien qu’ayant confirmé ses lettres de noblesse
dans le cadre d’OUP (Operation Unified Protector) et actuellement dans le cadre
de l’opération Serval, le Harfang arrive aux limites de ses capacités. L’esprit
pionnier qui anime encore ces hommes et ces femmes, et qui a fait des miracles
en opérations depuis près de cinq ans, est fragile. Des actions, pour le préserver,
le renouveler voire l’entretenir, doivent être menées selon plusieurs directions.
Cela passe d’abord par l’acquisition d’un successeur pour le Harfang. La
France ne peut plus raisonnablement et durablement rester en retrait de nos alliés
dans ce domaine désormais reconnu comme déterminant. Dès 1995, l’intérêt
des drones MALE avait été identifié et l’armée de l’air avait même été pionnier
dans la définition d’un système de poser et de décollage automatique (ATOL)
qui n’est pas encore généralisé chez les Américains ou les Israéliens. Une équipe
interarmées (armée de terre et marine) et interalliées (Pays-Bas) s’était même
constituée. Mais pour diverses questions industrielles et technologiques, nous
avons progressivement perdu du terrain. Aujourd’hui, l’armée de l’air est à la
traîne de ses homologues britanniques, italiens et allemands. La performance
des matériels mis en œuvre est une composante essentielle de la motivation et de
la fierté de tout militaire engagé en opération, qui plus est en coalition. Quelque
soit le futur système, il devra correspondre à l’état de l’art de ceux employés
par nos alliés notamment en matière de vitesse de croisière, d’endurance, de
capteurs et d’armement. Et il devra être interopérable. C’est-à-dire, qu’il devra
disposer notamment des équipements radio et d’échanges de données aux
standards OTAN. L’exemple de l’opération Serval montre que la solidarité
européenne en matière de défense est limitée au soutien. Avoir des systèmes
similaires permettrait au moins de bénéficier, en cas d’opération, d’un soutien
logistique à défaut d’un soutien opérationnel.
Le deuxième volet consiste à mettre en adéquation le format de l’escadron
Belfort avec le nombre de missions qui lui sont assignées. Pour assurer la mise
en œuvre de deux systèmes de deux drones, en Afghanistan et en Libye, le
Belfort n’est composé que d’une toute petite centaine de personnes comprenant
les techniciens et les équipages. À titre de comparaison, pour assurer le
déploiement et la mise en œuvre d’un seul système de quatre Predator sur
un seul théâtre, le format retenu par l’US Air Force est d’un peu plus de 200
hommes. Une augmentation en personnel afin de pouvoir durer, et préserver
un capital humain fortement sollicité, est donc indispensable. Aujourd’hui,
le Belfort ne dispose pas des moyens en personnels ni en soutien MCO pour
envisager de pouvoir répondre aux diverses sollicitations qui ne manqueront
pas d’être établies au travers des différents scénarios du futur livre blanc. Les
1 900 heures de vols du Belfort ne permettent pas d’assurer une permanence
de la surveillance d’un objectif et de son environnement pendant toute la durée
d’une opération. En effet, le niveau de seuil qu’il faut viser une fois le choix

161
d’investir dans cette capacité de surveillance est de disposer de la capacité de
l’assurer en permanence, H24, 365 jours par an. C’est ce que l’on appelle une
CAP (Combat Air Patrol). En France, on parle d’OPSAM (orbite permanente
de surveillance armable multicapteurs). Ce niveau de seuil est déjà atteint par
les États-Unis à la hauteur de 65. Les Britanniques en auront bientôt deux.
Le dernier aspect vise à la reconnaissance d’une filière professionnelle pour
les personnels œuvrant dans ces métiers spécifiques. Cette nécessaire valorisation
passe, par exemple, par l’octroi d’un brevet spécifique pour l’équipage et par la
définition d’un cheminement de carrière « drone » pour les différents personnels
qui le composent. Il s’agit de donner une visibilité, tant pour ceux déjà présents,
que pour les jeunes hommes et femmes que l’on souhaite recruter. Un parcours
professionnel expert drones normé, dont l’attractivité pourrait être encouragée
par des incitations indemnitaires, sera le gage d’un recrutement de qualité et
de la valorisation du personnel déjà présent. La multiplication des vecteurs
pilotés à bord de surveillance dans l’armée de l’air (avions du COS, projet
d’équipement des CASA) risque de représenter une concurrence insidieuse/
déloyale qui obèrera un recrutement de qualité et une fidélisation des membres
d’équipage des drones. En effet, difficile de résister à l’appel des annuités et de
la solde à l’air pour les opérateurs ou IP qui sont employés dans ces unités.
Et cette problématique touche autant les pilotes de drones dont les heures
de vol aux commandes ne sont pas prises en compte pour leur retraite que
le personnel renseignement qui ne dispose d’aucune reconnaissance liée aux
spécificités de leurs métiers et des responsabilités exercées. Et ces phénomènes
de désaffection seront d’autant plus importants que les avions ISR seraient
déployés sur les théâtres, alors que le Reachback (55) serait généralisé pour les
équipages de drones. Aujourd’hui, il faut être clair. La seule motivation des
membres d’équipages de quitter un cockpit d’avion de chasse ou même d’avion
école pour venir se mettre aux commandes d’un drone, est la perspective de faire
des opex. Les prémices d’une certaine désaffection des équipages, notamment
en raison du retard de l’arrivée du successeur du Harfang pour les pilotes et de
la concurrence des autres composantes ISR chez le personnel renseignement
sont observables. Elles doivent être prises en compte.
* *
*
Le nouveau Livre blanc de la Défense doit définir le périmètre des missions
qui seront attribuées aux drones qu’ils soient tactique ou MALE. Et cela dans
un contexte de restriction budgétaire et où les actions en cours dans le cadre
de l’opération SERVAL démontrent combien il est prématuré de pouvoir
compter sur l’Europe de la Défense pour agir. Les décisions dans ce contexte

(55) Pilotage à distance depuis la France de drones décollés par une équipe déployée sur le théâtre.
C’est le mode d’opération des Américains. S’il permet de réduire au minimum le nombre de personnel
sur les théâtres, il n’est pas sans inconvénient. Il ne supprime de toute façon pas complètement
l’emprise sur les théâtres, et entraîne des problèmes psychologiques chez l’équipage et pose clairement
les questions de l’attractivité d’un métier où la participation aux OPEX se feraient à temps plein mais
sans les reconnaissances (médailles, indemnités, bonifications).

162
économique et géostratégique complexes seront difficiles. Dans le domaine des
drones, l’enjeu se situe d’abord dans l’identification des besoins des armées et
des autres ministères, puis dans la recherche d’une plus grande mutualisation.
En effet, si idéalement, disposer de toute la panoplie de systèmes de drones
est séduisant et nécessaire, elle dépasse probablement aujourd’hui les capacités
financières de la France.
Dans le domaine de la surveillance à partir de drones, une des branches
de la fonction stratégique connaissance anticipation, il est fondamental de se
repositionner par rapport à nos principaux alliés. Dans ce contexte, une des
options sera de probablement faire le choix entre la composante drones tactiques
et celle des drones MALE. La recherche d’une mutualisation est la seule qui
permet d’obtenir un rapport coût-efficacité favorable tout en minimisant la
dispersion et la multiplication des savoir-faire. L’enjeu est d’identifier quelle
armée est la plus à même de fournir ce service au profit de l’interarmées et en
interministériel d’une part et quel système est le plus adapté pour rendre ce
service. Pour cela, il est nécessaire d’identifier la plate-forme drone qui est la plus
adaptée pour répondre un maximum de scénario en opérations extérieures tout
comme en interministériel. En effet, une partie de la réponse pour justifier de
l’investissement dans une capacité qui est coûteuse est la possibilité de l’utiliser
en soutien non seulement des différentes armées et service de sécurité mais aussi
d’autres ministères. La plate-forme générique se doit d’être endurante (plus de 24
heures), d’opérer à longue distance grâce à une SATCOM, disposer de capteurs
multiples champs étroits (optique ou laser) ou champs large (optique, radar
air-sol, maritime voire air-air, systèmes d’écoute des ondes EM, spectromètre
laser, détection des tirs de missiles balistiques). En outre, ces drones devront
disposer de la capacité d’être armables. Il s’agit en effet de satisfaire de multiples
besoins. Ils s’étendent du pion de théâtre au niveau stratégique en passant par
les niveaux tactiques et opératifs. Mais pas seulement. Ces systèmes devront
pouvoir également couvrir les besoins des services, tout comme ceux de la
police, des douanes ou du ministère des Transports ou de se placer en soutien
des autorités dans le cadre de catastrophes naturelles de grande ampleur. Il
semble clairement que les drones MALE sont les seules plates-formes qui
répondent à toutes ces exigences.
La perspective de multiplication des escadrons de drones MALE dans
le futur, des missions qui leur seront attribuées, de la nécessaire organisation
des flux d’informations qui en résulteront, sont autant de défis qui se posent à
terme, aux armées en général et à l’armée de l’air en particulier. Et la question
de l’utilisation efficiente des systèmes achetés et de leur coût en matière de RH
se pose avec d’autant plus d’acuité. L’armée de l’air peut en effet revendiquer,
fort de sa maîtrise de la troisième dimension, de son expertise en matière de
renseignement et de son réseau C4I, d’assumer la responsabilité de fournir
la surveillance multicapteurs à partir de drones MALE armables pour les
armées et en interministériel. Et ainsi s’inscrire dans la continuité d’un service
qu’elle mettait déjà à disposition des armées et plus récemment au proft de

163
l’interministériel hier avec ses avions de reconnaissance Mirage F1 CR et
aujourd’hui et demain avec ses Rafale.
En complément de ces drones, qui souffrent encore de ne pouvoir que
difficilement évoluer en France en dehors d’espace aérien ségrégués, une
composante d’avion ISR léger viendra compléter cette lacune. Colocalisée
car faisant partie intégrante de l’unité, cette composante ISR léger offre deux
autres avantages. Elle permet d’abord de répondre, en urgence, aux besoins de
surveillance en attendant que la composante drone MALE ait le temps de se
déployer. La crise libyenne tout comme celle du Sahel montre que cette période
est de moins de 15 jours. Mais cette phase de montée en puissance pourra
ainsi permettre aux équipages de commencer leur recueil et de se familiariser
avec le théâtre. L’autre avantage, et qui ne doit pas être négligé si le choix
de multiplier les escadrons de drones est prise, repose sur l’attractivité pour
l’équipage de pouvoir, dans le cadre de l’entraînement, en interministériel et
en opex quand la menace le permet, de mener une activité à bord et non plus
à distance. Cette mesure permet non seulement de combler les faiblesses des
drones MALE d’intégrer l’espace aérien non ségrégué mais aussi permettra
de créer une certaine attractivité tout en fidélisant les différents membres
d’équipages (pilote, IP et CT).
* *
*
L’avenir de l’histoire des drones reste à écrire. Les choix qui seront effectués
dans l’avenir détermineront le visage de la composante de surveillance des armées
françaises. L’armée de l’air doit avoir l’ambition de prendre à sa charge l’appui/
soutien ISR au profit des armées et de l’interministériel. Elle peut légitimement
revendiquer cette mutualisation eu égard à une logique de milieu, d’expertise
et de son réseau C4ISR. Demain, des OPSAM composées de drones Male et
d’une composante légère ISR assureront en France comme en opex cette mission
devenue fondamentale à toute manœuvre des capteurs modernes. Toutefois,
au-delà de l’équilibre entre les drones et les avions, l’homme restera encore pour
plusieurs décennies au centre des enjeux de l’armée de l’air dans sa dimension
pilotage à bord comme pilotage à distance. Le modèle d’équipage de drones
développé en France a fait ses preuves sur les théâtres les plus exigeants de ces
dernières années : Afghanistan, Libye et aujourd’hui le Sahel. Il doit être fidélisé
par la valorisation de ces spécificités et des contraintes de ce métier dont la
dominante reste bien souvent l’ennuyeux (dull). Les enjeux liés au recrutement
sont donc étroitement liés à ceux de l’attractivité de la filière de l’équipage de
drones qui est le gage de la fidélisation d’un personnel de qualité indispensable
à la réussite de la mission. Et de la satisfaction du client.

164
La problématique
des interfaces homme-machine
pour les équipages
de systèmes de drones
Lieutenant Stéphane Caïd

Les systèmes de drones sont des systèmes complexes et distribués. Un UAV


(Unhabited Aerial Vehicle) comprend en effet trois entités : le vecteur aérien,
les éléments de surface (la station sol), et les moyens de communication et
de liaison (Satcom et Line Of Sight par exemple). Le personnel est l’une des
composantes des éléments de surface, en interactions avec la technologie par
l’intermédiaire des IHM.
Les IHM, seuls liens avec le vecteur à disposition des opérationnels, doivent
répondre aux variabilités concrètes du travail à réaliser, depuis l’entraînement en
métropole jusqu’aux exigences techniques et humaines qu’exigent les missions
sur les théâtres d’opérations. L’IHM doit convenir tant au débutant sur le
système qu’à l’expert, ainsi qu’aux différentes situations types : transit vers
la zone de travail, assistance au monitoring champ large et aux observations
fines d’identification, éclairage de cibles ou tir d’armement. Or les IHM
des systèmes de drones actuels ne sont pas unanimement reconnues par les
utilisateurs comme étant complètement abouties. De fait, aux États-Unis, il
y a significativement plus d’incidents pour 1 000 heures de vol pour les UAV
que pour les vols habités (56) ; et plus de la moitié de ces incidents sont attribués
à des problèmes d’IHM. En effet, de nombreuses difficultés s’imposent, aux
concepteurs comme aux opérationnels. Elles sont d’ordre physiologique et
cognitif, mais aussi collectif, de par les enjeux majeurs de coordination en
temps réel des équipes de travail en opérations réseau-centrées.
Nous verrons ainsi dans une première partie un panel de conséquences
physiologiques et cognitives de l’inévitable mise à distance de l’opérateur par
rapport au vecteur, suivi de quelques pistes de solutions. Ensuite nous proposons
une réflexion sur les nécessaires niveaux d’autonomie accordés respectivement
à l’homme et à la machine. Nous aborderons finalement dans une troisième
partie le concept de cognition distribuée, nouveau champ théorique qui offre
une mise en perspective intéressante des IHM actuelles et futures des équipages
de système de drone.

(56) A. P. Tvaryanas, B. T. Thompson, and S. H. Constable, “US Military Unmanned Aerial Vehicle
Mishaps: Assessment of the Role of Human Factors using HFACS”, 311th Performance Enhancement
Directorate, US Air Force, Brooks AFB, TX, 2005.

165
une probLématique commune aux différents systèmes
de drones : La mise à distance de L’opérateur

La conception des IHM pour les équipages de systèmes de drones pose de


nouvelles questions à l’avionique classique.

Les conséquences physioLogiques et cognitives


Les opérateurs de vol sont nouvellement décentrés (= allocentrés) par
rapport au vecteur : ils doivent se construire une représentation mentale de ses
évolutions dans l’espace sans être à bord, sans référence directe à leur propre
corps en mouvement, et la perception de l’environnement et du comportement
du vecteur se fait exclusivement à travers l’interface.
Pour illustration, au niveau de la vision, cette modalité perceptive est
totalement dépendante de la résolution des caméras, de leur champ géométrique
délimité, de leur fréquence de rafraîchissement, ainsi que de la qualité de l’écran
de visualisation en station sol.
Pour un pilote d’aéronef, le pilotage d’un drone amène une perte des
repères classiques dans la station d’UAV, certaines informations ou feedback
physiologiques présents dans un aéronef sont absents dans une station sol :
• la proprioception, les accélérations, les vibrations liées au comportement
du vecteur deviennent inexistantes ;
• l’information issue du système vestibulaire (oreille interne) est absente,
ce qui toutefois limite le risque d’illusions sensorielles, causes fréquentes
d’incidents et d’accidents d’aéronefs ;
• voir directement l’environnement immédiat du vecteur est impossible, et
les mouvements de la tête pour créer une exploration visuelle sont inutiles.
Comme pour toute tâche effectuée sur écran, ce sont alors prioritairement
les mouvements oculaires qui sont privilégiés. Ceci induit une fatigue ocu-
laire due à une accommodation (vision de près) persistante, ainsi qu’une
fatigue posturale car le corps est peu mobilisé.
Il existe un délai incompressible, une latence, entre les actions et le retour
de l’action.
• A. Berthoz (57) a montré avec le concept d’Embodiment knowledge (la
connaissance incorporée), comment les savoir-faire sont contenus dans et
par le corps en mouvement, l’homme doit être en situation pour pleinement
savoir réaliser des actions complexes. A force de répéter ses mouvements,
de s’entraîner, une partie de ses gestes s’est parfaitement automatisée, et
toutes les informations qu’il récolte dans l’action sont trop nombreuses
et subtiles pour être accessibles à sa conscience. Par exemple un sportif
de haut niveau en sport collectif saura réaliser des gestes extrêmement
précis et s’adapter spontanément aux déplacements de ses coéquipiers et
adversaires. Il aura plus de difficultés par la suite à expliciter verbalement
précisément comment il a fait et ce qu’il a mis en jeu, tous les paramètres

(57) Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Paris, Ed. Broché, 1997.

166
particuliers qu’il a prélevé dans son environnement pour agir. C’est le
propre de l’expertise. Pour le pilote de chasse qui a développé durant sa
formation puis ses missions d’entraînement et de combat une somme d’ex-
pertise et d’expérience, il perdra dans une station sol de drone ces signaux
dits faibles et souvent inconscients qui lui sont pourtant parfois vitaux.
La détection par l’audition d’un écoulement anormal des filets d’air peut
laisser présager d’une incidence trop élevée et d’un décrochage imminent
ou avéré, des vibrations plus fortes sont ressenties en vol transsonique
avant de passer le point de mach, le bruit de la grêle sur la carlingue, des
bruits inhabituels du propulseur ou encore une odeur suspecte de chaud
en combat aérien signifiant que les équipements commencent à sérieuse-
ment chauffer et qu’il ne faut pas rester beaucoup plus longtemps dans le
domaine de vol actuel. Ces signaux faibles alertent sur le comportement
du vecteur, souvent avant l’alarme et les capteurs embarqués. Ces signaux
peuvent aussi venir confirmer le diagnostic effectué par l’intelligence arti-
ficielle embarquée.
L’opérateur pilote d’UAV, au sol, est aujourd’hui intégralement dépen-
dant des capteurs intégrés au vecteur, de l’IHM, mais aussi de son sens
de l’air, c’est-à-dire de toutes les sensations et l’expérience qu’il a vécu et
accumulé auparavant en vol. Ce sens de l’air est désormais amputé d’in-
formations olfactives, musculaires et tendineuses proprioceptives, de plus
la vue et l’ouïe sont particulièrement sollicitées, l’effort cognitif a donc
changé de nature et exige une mentalisation des évolutions de son propre
vecteur aérien depuis la station sol.

Les pistes de soLutions

mieux expLoiter La vue et L’ouïe, et utiLiser d’autres modaLités


sensorieLLes

Les interfaces actuelles des UAV sont logiquement focalisées sur deux
modalités sensorielles principales que sont la vue et l’ouïe. Ces deux sens sont
donc très sollicités, et parfois saturés. Il existe toutefois des voies d’amélioration
quant à l’exploitation de ces modalités, en les spatialisant, c’est-à-dire en
utilisant des images visuelles et sonores tridimensionnelles.
BénéFices des représentations visuelles en 3 dimensions
Une étude, réalisée en 2002, montre qu’une information visuelle présentée
en 3D dans un simulateur d’UAV augmente le pourcentage d’exploration des
zones visualisées, et compense pour partie la qualité d’une caméra qui aurait
un taux de rafraîchissement faible et un délai de réponse allongé (58). De plus,
l’effort ressenti par les opérateurs est abaissé. Cette expérience souligne aussi que
plus la qualité de la caméra est altérée, plus le secours de la 3D est bénéfique.

(58) S.-C. de Vries, C. Jansen, “Situational awareness of UAV operators onboard of moving
platforms”, Proceedings of the International Conference on Human-Computer Interaction in
Aeronautics, pp. 144-147, HCI-Aero 2002 Cambridge, MA, 23-25 October 2002 (S. Chatty, J.
Hansman, and G. Boy, Eds), Menlo Park, CA: AAAI Press, 2002.

167
Dans la même démarche Wickens (59) a démontré d’importants bénéfices
de dispositifs de représentation 3D dans l’acquisition de cibles. Dans un
dispositif 2D des allers-retours visuels sont nécessaires entre une image radar
circulaire indiquant l’azimut du target, et un indicateur par une ligne séparée
symbolisant l’altitude et le développement vertical du target. Ces allers-retours
induisent un scanning visuel permanent et obligent à une fusion mentale des
deux informations. Dans un système de vision 3D, l’azimut et le développement
vertical sont présentés au pilote de façon intégrée, et les temps d’acquisition
du target diminuent jusqu’à 40 %.

Inserer image 10

Figure : visuaLisation 2d vs visuaLisation 3d

De multiples recherches sont menées sur la tridimensionnalité visuelle et


l’aide à la représentation mentale qu’elle confère.
BénéFices des représentations auditives en 3 dimensions
Traditionnellement l’ouïe est considérée comme un canal supplémentaire. Le
traitement des informations auditives est un fort consommateur de ressources
attentionnelles, notamment lors d’incontournables échanges verbaux. Dans le
cas des alarmes sonores associées à une tâche de pilotage, la vitesse de traitement
des informations auditives est toutefois supérieure aux informations visuelles (60).
Les informations auditives sont donc adaptées pour les situations critiques
qui nécessitent des temps de réponse ultra-rapides. Les alarmes sonores dans
les aéronefs en font la démonstration chaque jour. De plus, le système auditif
humain permet de capter des informations qui ne sont pas dans le champ visuel
de l’opérateur, mais les informations auditives sont à ce jour exploitées dans
les IHM de la manière la plus simple : on reçoit l’information dans une ou
deux oreilles, sans information spatio-directionnelle. Ce canal semble toutefois
pourvoyeur de nouvelles perspectives si on l’exploite plus avant en utilisant la

(59) C. D.Wickens, C. Liang, T. Prevett, and O. Olmos, “Egocentric and exocentric displays for
terminal area navigation”, Savoy, IL: Aviation Research Laboratory, 1994.
(60) RTO-TR-HFM-078, chapter 6, Advanced UMV operators interfaces.

168
spatialisation sonore via le son 3D (61). Avec cette technologie, on peut créditer
le cerveau en informations auditives localisables dans l’espace (62), et ainsi
corréler la rapidité du traitement du son avec sa localisation. Les opérateurs
de systèmes de drones, armés ou non, sont fortement sollicités sur des tâches
d’exploration visuelle, et l’utilisation du son 3D permettrait ainsi d’améliorer
deux points clefs : alerter, et orienter le regard plus efficacement.
Même si leur exploitation est perfectible par la spatialisation, ces deux
modalités sensorielles que sont la vue et l’ouïe restent souvent hyper-sollicitées.
Lorsque l’opérateur est en vol dans son vecteur il a accès de fait, et ce malgré
les choix effectués lors de la conception, à ses autres modalités sensorielles et
pas exclusivement à la vue et l’ouïe. Dans le pilotage d’un système de drone,
l’usage d’autres modalités que la vue et l’audition doit être implémenté
intentionnellement dès la conception, ou sera de fait totalement inaccessible.
les avantages de la kinesthésie
Un des canaux de perception qui s’offre au concepteur d’IHM est le canal
kinesthésique/tactile, en faisant appel aux technologies haptiques. Ces dispositifs
vibro-tactiles ne sont pas à l’heure actuelle une priorité dans les programmes
de recherches des futurs IHM, mais ils pourraient être une voie d’amélioration
modeste mais efficiente afin d’informer le pilote au sol par vibration sur le
poignet par exemple d’un risque grave, tel le décrochage imminent du vecteur.
Des études ont été menées en ce sens (Tactile wrist pads as high priority Alert
cue) et deux auteurs, Martens & Van Winsum (63), ont montré qu’une alerte
de collision basée sur cette modalité vibratoire était bien plus efficace qu’une
alarme sonore. On pense à l’accident Rio-Paris de 2009 où l’alarme vocale de
décrochage « Stall Stall » a retenti plus de 70 fois en moins de 4 minutes et que
les pilotes n’en tiennent apparemment pas compte dans leur conversation, leur
attention était accaparée par une tentative de compréhension de la situation. De
même, Sklar & Sarter (64) montrent qu’une alerte tactile est aussi plus efficace
qu’une alarme visuelle. On peut aussi envisager une ceinture ou même un gilet
qui contiennent des dispositifs vibro-tactiles (Torso Display) qui permettent
non seulement l’utilisation du tactile mais en outre de localiser spatialement
l’information. Le concept se nomme « Tap-on-the-shoulder » et attire vivement
l’attention de l’utilisateur, il est donc à intégrer avec parcimonie.
Une autre famille de solutions envisageables sont les commandes à retour
de force (Forces feedback displays). En effet, à l’heure actuelle, dans le cas
de soudaines et violentes turbulences, les opérateurs d’UAV, sans modalité

(61) G. Andéol, D. Sarafian, L. Pellieux, C. Roumes, A. Guillaume, « Le son 3D comme interface
homme/machine en milieu aéronautique », Revue Acoustique et Techniques, 66, pp. 4-9.
(62) R. M. Martin, K. I McAnally, M. A. Senova, “Free field equivalent localization of virtual audio”,
Journal of the Audio Engineering Society, 49, pp. 14-22, 2001.
(63) M. H. Martens, W. van Winsum, “Effects of speech versus tactile support messages on driving
behaviour and workload”, Proceedings of the 17th International Technical Conference on Enhanced
Safety of Vehicles, Amsterdam, 2001.
(64) A. E. Sklar, N. B. Sarter, “Good vibrations: tactile feedback in support of attention allocation
and human automation coordination in event-driven domains”, Human Factors, 41(4), pp. 543-452,
1999.

169
tactile, peuvent détecter visuellement ces phénomènes aérologiques par la
perturbation de la diffusion de l’image de la charge utile (65). Une étude (66)
sur l’atterrissage d’UAV avec fortes turbulences a mis en évidence que sur 4
types de présentation de l’alerte (Visuelle ; Visuelle & Haptique ; Visuelle &
Auditive et enfin Visuelle, Auditive & Haptique) non seulement les erreurs sont
significativement minimisées dès que la modalité haptique est présente, mais
la performance est meilleure et le poser plus précis.
voies d’améLioration de La discrimination visueLLe
Si le vol du drone peut être assez aisément automatisé, avec un pilote
automatique tels que le connaissent les aéronefs classiques, notamment
lors de phases de tracking de cibles, de circling (67) autour d’un village, la
manipulation de la charge utile quant à elle, comme une caméra embarquée,
sera majoritairement contrôlée manuellement (68). Le système peut offrir une
stabilisation ainsi qu’une aide au tracking de véhicules, mais l’exploration de
la scène et les choix des points d’intérêts restent encore aujourd’hui l’apanage
de l’opérateur. Il existe toutefois des logiciels d’aide à la discrimination GMTI
(Ground Moving Target Indicator), qui détectent des mouvements dans un
champ large, mais l’opérateur reste décideur de l’identification.
Dans ce contexte, l’opérateur qui pilote aujourd’hui la charge utile dans
l’armée de l’air dispose sur le drone Harfang d’un zoom à palier. Lors de
l’exploration visuelle et spécifiquement lors d’un zoom arrière, du basculement
d’un champ étroit « on regarde le monde à travers une paille » vers un champ
large, on peut perdre le point d’intérêt. On passe sans transition d’une image
A à une image B sans fluidité, sans continuum cognitif. Or il existe aujourd’hui
dans les interfaces de dernière génération Post-WIMP (Post - Windows Icons
Mouse Pointer, qui vont au-delà des interfaces classiques Windows et qui
équipent à ce jour nombre de tablettes et smartphones récents) une capacité
de transition fluide dans les zooms qui offre à l’utilisateur une continuité des
déplacements des scènes picturales, on sait d’où l’on vient et l’on voit où l’on va,
le cerveau s’appuie sur ces repères. De nombreuses autres interactions innovantes
issues de cette tendance Post-WIMP incluent des outils semi-transparents, des
ombres portées qui donnent une impression de 3D utile à la discrimination, des
transformations complexes comme des rotations d’objet 3D, des changements
d’échelle fluides. Ces interfaces peuvent même supporter un travail collaboratif
à plusieurs mains sur un même objet. On oppose actuellement à ces techniques
à plus-value évidente la limite des flux de communication entre la station sol et
le vecteur. L’avenir tend à élargir ces flux, dont la haute résolution des images
vidéo en temps réel est aussi une grande consommatrice.

(65) Capteur ou émetteur embarqué sur le vecteur.


(66) M. H. Draper, H. A. Ruff, D. W. Repperger, L. G. Lu, “Multi-sensory interface concepts
supporting turbulence detection by UAV controllers”, Proceedings of the Human Performance,
Situational Awareness and Automation Conference, pp. 107-112, Savannah Georgia, 2000.
(67) Phase de vol dont la trajectoire suit une forme d’orbite.
(68) J. B. F. van Erp, L. van Breda, “Human factors issues and advanced interface design in maritime
unmanned aerial vehicles: A project overview”, TNO-report TM-99-A004, 1999.

170
On pose par ailleurs comme évidence que la haute résolution de caméras
est une voie d’amélioration de la discrimination, mais elle comporte un risque.

des probLématiques de perception


et de variation de charge de travaiL

Le paradoxe de La haute résoLution


Une demande légitime des opérateurs est une amélioration de la qualité de
la charge utile, notamment des résolutions des caméras vidéo embarquées. En
effet pour être un élément contributif d’une PID dans une mission interalliée,
(Positive Identification, soit l’identification formelle, avant traitement par
exemple, qu’un individu est effectivement un insurgé au comportement menaçant)
il est nécessaire d’être pourvu d’un duo capteur/écran qui octroie une finesse
minimale d’image. L’erreur d’interprétation due directement à une IHM couplée
à un capteur faible est proscrite. En d’autres termes si les capteurs sont jugés
d’une résolution trop faible par la coalition, l’équipage du système de drone
ne peut pas participer à la PID et est tenu à l’écart des circuits de décisions « à
chaud » en opération.
En revanche si les capteurs sont très fins, l’observation soutenue et récurrente
de détails inhérents aux actions au cœur des missions de guerre peut avoir des
effets psychiquement lourds de conséquences. La vue du sang rouge et de corps
mutilés n’est pas sans effet sur un cerveau humain, notamment si l’on s’identifie
aux collègues au sol et que l’on reste même ponctuellement impuissant à les
soutenir efficacement. La frustration inhérente au rôle de spectateur qui ne peut
agir directement pourrait être amplifiée. Une forme d’empathie avec les victimes
longuement observées est aussi possible. Ces facteurs peuvent conduire à des
PTSD (Posttraumatic Stress Disorder) s’ils ne sont pas anticipés par le collectif,
le commandement, et les concepteurs d’IHM. Or un capteur de grande qualité
est indispensable pour être pleinement intégré dans les missions interalliées.
C’est très probablement au niveau de l’IHM que l’on pourrait agir. Pouvoir
par exemple, au moment validé par des procédures et le briefing équipage,
modifier les couleurs ou bien avoir une transition réglable vers du mono-
chromique ou flouter partiellement des zones comme dans certaines vidéos grand
public. Effectivement ces possibilités ne sont clairement pas satisfaisantes car
c’est une information visuelle précise que l’on recherche, mais les conséquences
psychiques d’une exposition répétée à ces flux vidéos constituent un risque à
prendre en compte par les concepteurs d’IHM.
des variations d’activité accrues
Étant à distance, les opérateurs d’UAV n’encourent toutefois pas un risque
vital mais leur activité peut influer directement leur état émotionnel :
• aux États-Unis, les personnels ne sont pas projetés sur le théâtre et opèrent
depuis le territoire national. Ils alternent des phases concrètes de guerre, avec
ses exactions potentielles, et de vie de famille quelques heures plus tard ;

171
• de plus lorsqu’on est dans son aéronef, la phase de vol jusqu’à la zone de
travail peut favoriser une mise en condition mentale favorable au combat,
a contrario, n’importe quel opérateur de système de drone peut prendre
son poste et peu après une relève se retrouver quelques instants plus tard,
sans transition, dans une phase de combat intense.
Par ailleurs il leur faut de même gérer de brusques changements d’activités :
• de très longues périodes, jusqu’à plusieurs heures, à observer / scruter son
écran de contrôle sans événement notable, et subitement un input vient
solliciter toutes les capacités cognitives ;
• les stress individuel et collectif se trouvent ainsi directement impactés.
Les IHM doivent donc prendre en compte ces fortes variations d’activité
et donner par exemple la possibilité aux opérateurs, quel que soit leur poste, de
laisser un historique, une traçabilité exploitable et éventuellement prédictive,
afin de maintenir un historique de sa propre activité pour soi, et pour que celui
qui prend le poste en suivant ait un maximum d’éléments d’information à sa
disposition. Cette somme d’informations permet de forger du sens à chaud
ou a posteriori.
Se forger grâce aux IHM une représentation mentale de la situation,
voire une compréhension de la situation : la SA (Situation Awareness), est
incontournable. Endsley (69) définit la SA comme « la perception des éléments de
l’environnement à l’intérieur d’un volume d’espace et de temps, la compréhension
de leurs sens et la projection de leur état dans un futur proche ». On a vu dans
cette première partie que la perception des informations visuelles, auditives,
kinesthésiques demande une conception spécifique des IHM, le but ultime est
toutefois l’interprétation des informations, la construction de la SA, puis la
prise de décision.
Les IHM des systèmes de drones peuvent offrir différents niveaux
d’informations pré-triées voire pré-analysées à leurs utilisateurs, en vue de
l’élaboration d’une SA fiable. Nous allons voir que le système peut même agir
sans l’intervention directe de l’opérateur, en autonomie partielle ou totale.

Les Loa (LeveL of autonomy)

La nécessité d’étabLir des Loa


Les automatismes ne fonctionnent pas simplement sur deux niveaux, de
tout ou rien, ON ou OFF. En effet, avec les progrès de l’automatisation et de
l’intelligence artificielle, on peut allouer différents niveaux d’autonomie aux
systèmes.
Des chercheurs en psychologie cognitive et en cybernétique ont caractérisé
une taxonomie de niveaux de contrôle sous forme d’échelle d’automatisation

(69) M. R. Endsley, “Design and evaluation for situation awareness enhancement”, Proceedings of
the Human Factors Society 32nd Annual Meeting, pp. 97-101, Santa Monica, CA: Human Factors
Society, 1988.

172
(intelligence artificielle) ou de supervision (l’opérateur). Ces échelles peuvent
s’appliquer aux 4 fonctions essentielles et incontournables que sont :
1. L’acquisition de l’information
2. L’analyse de l’information
3. La décision et le choix de l’action
4. La mise en œuvre de l’action.
Ci-dessous est présentée une des échelles à 10 niveaux qui a fait consensus
chez les spécialistes (70) du domaine au début des années 2000. Elle est appliquée
à la troisième fonction, complexe et majeure, qu’est la décision et le choix de
l’action.

LeveLs oF automation oF decision and action seLection


HIGH 10 L’ordinateur décide de tout, agit en autonomie, ignore l’opérateur
9 Informe l’opérateur seulement si le système le juge utile
8 Informe l’opérateur seulement si cela lui est demandé
7 Agit automatiquement, et informe nécessairement l’opérateur
6 Autorise l’opérateur durant un temps limité à poser son véto avant une exécution automatique
5 Exécute la suggestion si l’opérateur l’approuve
4 Suggère une alternative
3 Limite la sélection à quelques choix
2 Le système propose un lot complet de décisions ou d’actions alternatives
LOW 1 Le système n’offre aucune assistance, l’opérateur doit prendre toutes les décisions et mener toutes les actions

Les LOA servent de référence à la recherche et à la conception de système et


d’IHM. Cette recherche est d’autant plus nécessaire que les retours d’expérience
montrent que les systèmes actuels sont souvent bâtis sur un principe dyadique
de contrôle/commande :
• soit l’opérateur a tout le contrôle du drone et très peu d’aide du système ;
• soit le système contrôle le drone et n’inclut que très peu l’opérateur dans
la boucle.
Ceci induit dès la conception des niveaux très fluctuants de charge de travail
des opérateurs, en plus des variations d’activités inhérentes aux missions ISR (71).

La surconFiance Liée aux automatismes


Wiener (72) a étudié la transition entre les cockpits d’ancienne génération et
les glass cockpit. Il a constaté que même si l’automatisation réduit effectivement
l’occurrence de nombreuses erreurs, elle peut conduire aux événements les

(70) R. Parasuraman, T. B. Sheridan, and C. D. Wickens, “A model for types and levels of human
interaction with automation”, IEEE Transactions on Systems, Man and Cybernetics, 30(3), pp. 286-
297, 2000 (+ existe article Proud et al. 2002).
(71) Intelligence, Surveillance, Reconnaissance.
(72) E. L. Wiener, “Beyond the sterile cockpit”, Human Factors, 27, pp. 75-90, 1985.

173
plus graves, tel l’accident d’American Airlines du 20 décembre 1995 (73),
où l’équipage s’est laissé guidé par son FMS (Flight Management System)
jusqu’à percuter la montagne alors que les waypoints pour l’approche avaient
été malencontreusement effacés par le Commandant de bord auparavant. A
l’erreur humaine de saisie s’ajoute la sur-confiance dans l’automatisme.
De même un grand vaisseau de croisière, le Royal Majesty, était au large
des côtes de Nantucket. Le bateau était contrôlé par un système de navigation
satellitaire, qui s’est trouvé défaillant. Plusieurs autres sources d’informations
correctes étaient à disposition de l’équipage. Elles n’ont pas été exploitées en
sus de la source satellitaire classique mais défaillante, et l’accident est survenu.
Au fait technique s’ajoute la sur-confiance dans l’automatisme.
En ce qui concerne les UAV, le US Office of the Secretary Defence a
formalisé en 2005 (74) une projection des LOA, avec des échéances calendaires.
Il considère qu’en 1995 l’automatisation était au niveau 2 pour les aides en
temps réel au diagnostic médical, et au niveau 4 dans les années 2000 pour
les systèmes embarqués de planification de trajectoire. Il est envisagé une
augmentation exponentielle des niveaux d’autonomie jusqu’au niveau 10,
l’autonomie totale du système.
Au vu des accidents connus, et à la réflexion faite que sorti d’une situation
nominale, seul l’Homme est pourvoyeur de solutions originales voire audacieuses,
le niveau 10 avec un niveau de sécurité acceptable reste lointain. On peut
envisager à plus court terme des drones dotés d’un niveau d’autonomie compris
entre 5 & 8, qui seraient sélectionnés par l’opérateur comme des joueurs dont
les fonctions dans l’équipe sont réassignées en temps réel par leur entraîneur.
Chaque drone, connaissant parfaitement son rôle et sa mission circonscrite,
agirait alors en autonomie surveillée. Ces pratiques potentielles ont suscité des
recherches et la formalisation de questionnements précis.

des concepts Liés aux Loa animent La recherche sur ces


questions

• Level Of Involvement
Comment un concepteur peut-il augmenter le niveau d’automatisation, tout
en gardant l’opérateur informé et en capacité d’agir ? Le niveau d’automati-
sation doit-il être abaissé afin de garder l’opérateur dans la boucle décision-
nelle ? Ou à l’inverse peut-on concevoir des systèmes très automatisés mais
qui délivrent en permanence à l’opérateur des informations aptes au maintien
d’une SA fiable ?
• Automation transparency
Le domaine des Facteurs Humains aborde classiquement la question de la trans-
parence des automatismes. Comment les interfaces peuvent-elles être conçues

(73) Aeronautica Civil of The Republic of Columbia, “Aircraft Accident Report: Controlled
Flight Into Terrain, American Airlines Flight 965, Boeing 757-223, N651AA, Near Cali, Colombia,
December 20, 1995”, 1996.
(74) Office of Secretary of Defense, “Unmanned Aerial Vehicle Roadmap: 2005-2030”,
OSD:Washington, D.C., 2005.

174
pour que les actions voire les intentions du système soient limpides pour un
opérateur entraîné ? Les pilotes se « battent » souvent avec la compréhension
de ce qu’est en train de faire le FMS. Cela doit être évité à tout prix, l’inten-
tion de l’automatisme doit être transparente pour l’opérateur qui la contrôle.
Comment cela peut-il être fait, jusqu’à quel point est-ce nécessaire et quelle
interfaces sont réellement efficientes sont les questions majeures qui animent
la recherche d’aujourd’hui dans ces domaines.
• Adaptable/Adjustable Autonomy
Hardin & Goodrich (75) posent une autre question, celle du choix de contrôle
exclusif de la décision de partage des tâches Homme/machine, réservé à
l’intelligence artificielle (adaptative autonomy) ou à l’opérateur (adjustable
autonomy). Les systèmes d’aide à la décision de type human like, cherchant
à reproduire le raisonnement d’un pilote, rencontrent en l’occurrence leurs
limites lorsqu’il s’agit d’activités de compréhension de la situation. De plus,
la SA, lorsqu’elle concerne une mission assortie d’un équipage multimétiers,
se construit nécessairement à plusieurs, et les relèves de membres de l’équi-
page peuvent par ailleurs représenter une fragilité.
Ainsi, dans un shelter d’UAV, de facto posé au sol :
• L’avantage majeur d’être au sol est de pouvoir faire venir des opérateurs
pertinents qui n’ont classiquement pas accès à un cockpit pendant les
missions. Comme par exemple faire venir le mécanicien en cabine afin de
réfléchir ensemble à l’élaboration de compromis viables face à une panne
complexe.
• Inconvénient : des interruptions de tâches dues à des passages trop fré-
quents en cabine de membres étrangers à l’équipage. De plus, ces opérateurs
ou autres visiteurs supplémentaires ne sont pas nécessairement sélection-
nés et entraînés à faire face aux contraintes du temps réel.
Aujourd’hui, le drone français de l’Armée de l’Air est à vocation
renseignement mais est capable d’illuminer au laser des cibles, et l’équipage
multi-métier est constitué de trois opérateurs aux compétences bien distinctes
et aux tâches réparties sur des postes de travail différents. L’OdV (Opérateur de
Vol) doit assurer la navigation et la sécurité du drone dans l’espace aérien, il est
responsable du vecteur et du pilotage de la charge utile. Le CT (Coordinateur
Tactique) est responsable de la réussite de la mission ISR, et l’IP (Interprète
Photo) assiste l’OdV sur l’exploitation de la charge utile et est chargé de réaliser
des dossiers d’objectifs à destination du client.
Pour les équipages sur Predator et Reaper, les drones américains initialement
à vocation renseignement mais qui délivrent aujourd’hui de l’armement, seuls
deux opérateurs sont à poste, un qui pilote le vecteur et un second qui pilote la
charge utile. On constate donc systématiquement un travail Homme/Machine,
mais aussi un travail collectif Homme/Homme, au sein de l’équipage et aussi
en lien avec l’extérieur.

(75) B. Hardin, M. Goodrich, “On using mixed-initiative control: a perspective for managing
largescale robotic team”, 2009.

175
La cognition distribuée (distributed cognition)
La cognition distribuée permet une réflexion sur la construction de la
Situation Awareness en lien avec les IHM et le collectif de travail.
Une étude (76) confirme la meilleure performance de détection d’individus
au sol lorsqu’est utilisée la méthode d’enrichissement direct du contenu à même
l’image vidéo (AVI Augmented Virtuality Interface). On superpose sur le flux
vidéo des annotations, des schémas synthétiques. Cette étude se corrobore avec
un retour d’expérience issu des drones Harfang, les CT et les IP ont besoin
d’habiller les images au profit des OdV mais aussi au profit des personnels
extérieurs au shelter appartenant à la chaîne Renseignement. Habiller une
image lui donne du sens, notamment pour le client au profit duquel est réalisée
la mission, mais habiller en temps réel un flux vidéo permettrait de générer un
sens que l’on peut alors partager à plusieurs dans l’équipe, et ainsi, même si l’on
ne partage que des hypothèses, participe à une construction de SA collective. Le
flux vidéo et l’image, annotés, deviennent des objets de discussion intermédiaire,
modifiables en surimpression donc directement et visuellement plus explicites,
et surtout verbalement moins chronophages. Napoléon disait qu’« un bon
croquis vaut mieux qu’un long discours ». A l’ère de la guerre numérique et
électromagnétique réseau-centrée, cette assertion n’a jamais été aussi valable.

Inserer image 11

Figure : vidéo enrichie avec du contenu 3d


Deux chercheurs suédois (77), Arman & Garbis, soulignent que dans la majorité
des situations impliquant des prises de décisions en temps réel lors du contrôle de
systèmes dynamiques, les tâches sont nécessairement réalisées par des équipes. Les
membres composant ces équipes sont porteurs de domaines de compétences et de
connaissances pointus et complémentaires. La chirurgie, la gestion du trafic aérien
et ferroviaires, l’industrie de process et encore le commandement et la réalisation

(76) Jill L. Drury, Justin Richer, Nathan Rackliffe “Comparing Situation Awareness for Two
Unmanned Aerial Vehicle Human Interface Approaches”, 2006.
(77) H. Artman, C. Garbis, “Situation Awareness as Distributed Cognition”, In Green, L. Bannon, C.
Warren, J. Buckley (Eds): Cognition and cooperation. In Proceedings of 9th Conference of Cognitive
Ergonomics, Limerick, 151-156, 1998.

176
d’opérations militaires sont autant de secteurs concernés. Analyser et améliorer la
performance et la sécurité dans ces secteurs relève de nouveaux champs théoriques,
dont la Cognition Distribuée est partie prenante.
Afin d’illustrer leur propos, Arman & Garbis ont analysé, avec l’approche
cognition distribuée, l’activité de travail d’une équipe réelle, la Swedish Rescue
Services Agency, s’entraînant à faire face à une situation de crise majeure :
la circulation d’un train incontrôlable, sans frein, contenant 45 T de liquide
inflammable et hautement explosif à tout instant. Les membres de l’équipe
sont tous très qualifiés dans leurs domaines respectifs d’action, ils ont pour la
plupart 20 ou 30 ans de métier et sont de hauts responsables : chef pompier,
garde-côtes, inspecteur de police, et autorités locales. Le chef des opérations
de secours (C1/ Chief Rescue) est présent, ainsi que son second, le chef (C2
/ Chief of Staff) des personnels de l’équipe de 8 opérateurs supplémentaires
composant la cellule de crise. Nombre d’outils sont à leur disposition, ne seront
évoqués que les trois principaux au maintien de la SA.
1. Un journal d’événements, au format papier et de grande taille, visible
par chacune des 10 personnes présentes dans la pièce. Le rôle de ce jour-
nal est double, premièrement y sont consignées les informations émanant
des unités déployées sur le terrain proche du train (moyens aériens, véhi-
cules terrestres pompiers, …) et deuxièmement, toutes les décisions prises
par la cellule de crise y sont écrites. C2 briefe C1 qui est arrivé 10 minutes
plus tard. C2 ne peut pas garder en tête la somme des multiples événements
et des nombreuses décisions qui sont survenus depuis le début de la crise.
Il y a de fait trop d’informations. A cause de la pression temporelle dès la
saisie, le journal ne contient que de brèves phrases, et en le regardant C2
interprète l’information affichée et reconstruit une histoire cohérente de
la genèse de la situation actuelle. Le journal contribue ainsi, grâce à une
fonction actualisable de mémoire visuellement accessible par tous, à la
construction d’une Retrospective SA.
2. La liste de l’ensemble des unités (Unit List) projetées sur le terrain dont
dispose la cellule de commandement est affichée de même publiquement,
exposée au regard de tous. Deux opérateurs de liaison sont responsables
de la mise à jour en temps réel de cette liste. Si un analyste présent dans
la pièce a besoin de savoir quelles équipes de police et de pompiers sont
disponibles et où elles se situent, il n’a qu’à porter le regard sur cette liste
immédiatement disponible et accessible sans demander l’information à un
autre opérateur et saturer ses ressources cognitives ainsi que les communi-
cations verbales déjà très denses. La Unit List participe ainsi à la construc-
tion de la Contemporary SA de la cellule de crise, la représentation mentale
et collective de ce qui se joue en temps réel.
3. Sur un tableau blanc est projetée sous format vidéo une cartographie
du lieu où circule le train, avec la position actuelle et future du train ainsi
que la plume (78) d’effets délétères qu’il pourrait causer en cas d’explosion,

(78) Zone contaminée, souvent de forme allongée due aux phénomènes météorologiques et à une
éventuelle exposition, selon laquelle se répandent les produits nocifs suite à un accident nucléaire,
biologique ou chimique.

177
actualisée en fonction de la météo et des habitations à proximité immé-
diate. Les chercheurs constatent que ce tableau blanc permet à différents
intervenants de dessiner/effacer directement au marqueur sur la carte en
projection vidéo et de discuter vivement sur plusieurs hypothèses de tra-
vail, de lever entre eux des incompréhensions potentielles et de générer des
ajustements tendant vers des familles de solutions réalisables. Ce tableau
catalyse les créations de Prospective SA, les anticipations de ce qui pour-
rait advenir en termes d’événements probables et des solutions afférentes.
Avec une approche type Cognition Distribuée, on se rend compte de la
nécessité, dès la conception de systèmes de gestion d’événements complexes
en temps réel, d’outils de partage et de construction de l’information. Les
IHM doivent pouvoir faciliter la construction collective multi-métiers de la
Retrospective, Contemporary et Prospective SA.
En quelques années on est passé de l’opérateur en contact direct avec
l’objet de son travail, comme tenir un manche harnaché dans son vecteur,
vers un monitoring de haut-niveau, tel surveiller des vecteurs distants couplés
à des systèmes hyper-automatisés. Cette mutation soulève des problématiques
d’ordres physiologiques et surtout cognitifs. Cela demande en particulier de
fortes capacités d’abstraction et de coordination inter-métiers. La charge de
travail peut aussi facilement augmenter avec l’automatisation, en saturant
rapidement un opérateur d’informations visuelles et auditives, tout en ayant à
surveiller une intelligence artificielle partiellement opaque pour l’utilisateur.
L’automatisation ne réduit pas en soi la charge de travail, elle en modifie
la teneur. Et c’est l’équipage qui doit pouvoir collectivement s’ajuster à ces
nouveaux modes de travail.
Les IHM d’un système de drone doivent alors pouvoir faciliter la
construction puis le partage de la SA (Situation Awareness) individuelle et
l’émergence d’une SA collective pour les activités complexes, par la cognition
distribuée :
• en évitant d’être trop immersifs et ainsi d’accaparer inutilement l’atten-
tion des opérateurs de vol notamment pour des tâches basiques de pilo-
tage ou de saisie d’informations ;
• en favorisant l’échange d’informations pertinentes, que l’on peut anno-
ter afin de leur donner du sens, puis de les partager, soit avec les autres
membres d’équipage afin de rafraîchir la SA, soit avec les opérateurs par-
tie prenante de la mission à l’extérieur de la cabine.
Un des objectifs majeurs est de délivrer en temps réel l’information,
éventuellement transformée en renseignement, au bon timing et au bon
interlocuteur. Les contraintes et les enjeux seront encore plus élevés dans le cas
d’illumination laser voire d’engagements de cibles. Dans une approche réseau-
centrée, les systèmes de drone prendront toute leur place au sein des opérations
si, en plus des exigences capacitaires, leurs IHM permettent aux opérateurs de
contribuer activement à la construction d’une SA fiable et exportable.

178
L’évaluation dynamique
des opérateurs de systèmes
de drones de l’armée de l’air
Commandant Solange Duvillard, Julien Donnot, Pierre-Yves Gilles

L’armée de l’air française dispose de systèmes de drones moyenne altitude


longue endurance (MALE) qui contribuent à la maîtrise de l’espace aérien en
réalisant des missions d’intelligence surveillance reconnaissance (ISR). Ces
vecteurs aériens sont pilotés à distance par des opérateurs qui travaillent dans
une station au sol. Dénommés Harfang, ces drones qui mesurent 9 mètres de
long et 17 mètres d’envergure volant à 6 000 mètres d’altitude, sont comparables
à un avion à la différence près qu’ils décollent et atterrissent avec un système
automatisé (79) et qu’ils disposent d’une autonomie de 24 heures. Ainsi, les
missions durent en moyenne 10 heures. Or, la durée prolongée des missions a des
répercussions directes sur les conditions de travail des opérateurs de systèmes de
drones (OSD) qui œuvrent en équipage constitué de trois spécialistes : l’opérateur
de vol (ODV) qui pilote le vecteur aérien ainsi que les capteurs, l’opérateur
image (OI) qui effectue le traitement d’images et de vidéos en temps réel, et le
coordinateur tactique (CT) qui dirige la mission et coordonne leurs actions.
Après avoir précisé la nature des activités de ces métiers nouveaux et
spécifiques au sein de la station sol, nous présenterons les méthodes qui prévalent
en termes de sélection et formation au sein de l’US Air Force. Puis, nous nous
intéresserons aux procédures utilisées dans l’armée de l’air française pour choisir
et former les OSD. Enfin, nous proposerons quelques axes de remédiations aux
problématiques liés aux conditions de travail des OSD.

Les activités des osd au sein de La station soL


Afin de mieux comprendre la sélection et la formation qu’il conviendra
de développer à l’avenir, il est important tout d’abord de bien comprendre les
contraintes et spécificités inhérentes aux postes des opérateurs de systèmes
de drones. Les opérateurs de drones MALE de l’armée de l’air travaillent en
équipage constitué au sein d’une station sol. Leurs activités sont complexes
car : (1) le système est piloté à distance et (2) les missions impliquent d’effectuer
des permanences de longues durée sur zone avec un équipage composé de
spécialistes provenant de filières différentes.

(79) ATOL : Automatic Take-off and Landing.

179
contraintes inhérentes au piLotage d’un système à distance
Dans un système de drones MALE, l’ODV effectue depuis la station sol
une double tâche qui consiste à piloter un vecteur aérien et à gérer la caméra
permettant de scruter les territoires. Concrètement, lors de phases intenses
d’observation, l’ODV doit se concentrer pour que la caméra demeure sur la
cible, tout en gérant la meilleure position possible de l’aéronef afin de maintenir
le contact visuel avec la cible. Pour cela, il utilise une interface spécifique dotée
d’un écran vidéo qui permet soit de « piloter » le mouvement du vecteur en
paramétrant les coordonnées de vol avec une souris (de la forme d’une boule) (80),
soit de commander la caméra par le biais d’un joystick. Or, le fait d’utiliser un
écran vidéo entraîne une détérioration des performances par rapport à une
situation embarquée qui permet un contrôle direct, ceci même lorsque la taille
et l’orientation de la scène visuelle ne sont pas modifiées (81). Selon Massimo et
Sheridan (1989) (82), cette baisse de performance résulterait de la constriction
du champ visuel, entraînant une réduction des indices environnementaux
qui permettent la perception de l’espace d’action. L’ODV ne reçoit que des
informations visuelles partielles fournies par les capteurs embarqués via la liaison
de données et il ne dispose d’aucune information kinesthésique, vestibulaire
et auditive liées à son vecteur contrairement à un pilote embarqué (83). La
conséquence directe se traduit par une complexification du processus décisionnel.
Les pilotes évoquent souvent le pilotage « aux fesses » qui permet de détecter
les accélérations ou décélérations du réacteur par exemple, les vibrations de
la structure de l’avion, les odeurs qui permettent de détecter le feu moteur ou
la collision volatile, les sons du cockpit qui permettent de repérer rapidement
une panne, autant d’informations dont ne dispose pas l’ODV.
La bonne réalisation des tâches implique le traitement simultané de
multiples informations tant visuelles qu’auditives. L’interface de travail
implique des contraintes fortes comme l’ont démontré Self, Ercoline, Olson,
et Tvaryanas (84) (2006) en précisant que la conduite des systèmes de drones
provoque une désorientation spatiale générée par : (1) un manque de flux
visuel du à un affichage pauvre, (2) une difficulté à discerner un objet, (3) une
difficulté à juger les distances entre deux objets et (4) des dissonances visuo-
vestibulaires liées à l’éloignement physique de l’avion. Ces éléments ont un

(80) Exception faite du roulage qui se réalise avec le joystick.


(81) T. Smith et K. Smith, “Human factors of workstation telepresenc”, in S. Griffin (ed.), Third
annual workshop on SOAR’89, 1990, pp. 235-250, Houston: NASA Conference Publication.
(82) M. Massimo, T. Sheridan, “Variable force and visual feedback effects and teleoperor man/
machine performance”, Proceedings of Nasa Conference on Space Telerobotics, 1989, pp. 31-01/32-
02.
(83) Etude FAA (Federal Aviation Administration). (2008). DOT/FAA/AM-08/23. Office of
Aerospace Medicine, Washington ; DC 20591, oct
(84) B. P. Self, W. R. Ercoline, W. A. Olson, A. P. Tvaryanas, “Spatial disorientation in uninhabited
aerial vehicles”, in N. J. Cooke  ; H. Pringle, H. Pedersen, & O. Connor (Eds.), Human factors of
remotely operated vehicles, 2006, Oxford, UK : Elsevier.

180
impact sur la conscience de la situation (85), laquelle précède la prise de décision
en situation dynamique (86).
En complément de ces difficultés, s’ajoutent également les difficultés liées
à la dimension temporelle et à la nature complexe des missions à réaliser.

persistance des missions en équipage muLtispéciaListes

organisation du travaiL en équipage


Les missions réalisées sur le théâtre afghan durent en moyenne 10 heures,
mais certaines missions peuvent durer jusqu’à 24 heures. Cela a été le cas
notamment lors de l’enlèvement des deux journalistes français sur le sol
afghan le 30 décembre 2009. Notons que la notion de persistance répond à un
besoin de renseignement opérationnel avéré et demeurera sur les systèmes de
drones qui succèderont à l’Harfang. Actuellement, les spécialistes sont relevés
à différents créneaux horaires afin qu’un « tuilage » s’opère. Le « tuilage » dure
environ 15 minutes pour les relèves, et une relève sera reportée pendant une
action cruciale (e. g. lors du suivi d’un véhicule). En moyenne, l’ODV est relevé
toutes les deux heures, l’OI et le CT plutôt toutes les trois heures. Le temps à
poste et les relèves ont été jusqu’alors mis en place de manière pragmatique.
Afin de faciliter la construction d’états mentaux partagés lesquels préservent
une bonne représentation mentale de la situation, les relèves ne se déroulent pas
en même temps pour les spécialistes des différents postes. Par états mentaux
partagés, nous entendons une structure de connaissance commune entre
opérateurs qui permet de reconnaître, d’intégrer les relations entre les éléments
environnementaux et ainsi d’anticiper sur la gestion des situations à venir (87).

compLexité cognitive de La nature des missions


Traditionnellement les personnels œuvrant dans le domaine du renseignement
sont dûment entraînés pour reconnaître et détecter rapidement tous types de
matériel militaire. Or, avec les conflits asymétriques comme dans le conflit
afghan, des missions de renseignement d’une nouvelle nature sont apparues :
les missions dites de « Pattern of life » (POL). Ces nouvelles missions POL
consistent à comprendre les situations de la vie courante (e. g. les us et coutumes)
et les comportements des individus afin de les analyser finement (e. g. analyser
la façon de s’habiller, de se déplacer dans la rue, de traverser une route) et être
en mesure d’anticiper ou de détecter d’éventuelles activités suspectes relevant
des organisations terroristes. Ces missions requièrent une expertise afin d’être
à même de reconnaître et détecter les « signatures visuelles » pertinentes dans

(85) SA : Situation Awareness ou conscience de la situation.


(86) M. R. Ensley, B. Bolté, D. G. Jones, Designing for situation awareness, an approach to user-
centered design, 2003, SA Technologie, Georgia, États-Unis, London & New York.
(87) J. A. Canon-Bowers, E. Salas, S. Converse, “Shared mental models in expert team decision
making”, in N. J. Castellan (Ed.), Current issues in individual and group decision making, 1993, pp.
221-247. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum Associates.

181
le flux continu d’informations sous forme vidéo. Les OSD passent de longues
heures à observer, scruter, jour après jour, quelquefois, les mêmes rues, les mêmes
maisons, les mêmes crêtes (mission nommée familièrement « stone watching »).
À l’affût de la moindre évolution, les OSD et plus particulièrement les OI et
ODV effectuent des comparaisons entre ce qu’ils voient en temps réel et de
précédentes vidéos issus d’archives relatives aux mêmes lieux.
Ainsi, ces missions requièrent des ressources attentionnelles élevées en
terme d’attention concentrée et un haut niveau d’aptitudes cognitives pour être
capable de discriminer et analyser les diverses signatures visuelles. Toutefois, les
aspects cognitifs ne sont pas les seuls facteurs de complexification de la tâche.
Entre en œuvre également l’influence des facteurs émotionnels.

inFLuence du Facteur émotionneL dans Le travaiL d’osd


Les OSD ont eu l’occasion d’œuvrer au profit de forces spéciales (Task
Force - TF) en Afghanistan. Ces TF interviennent dans la discrétion sur
le terrain lors de missions périlleuses. En amont, lors de la préparation de
mission, tous les membres de l’équipage doivent s’imprégner de la stratégie
que la TF envisage d’adopter. Lors de ce type de missions, les OSD vivent des
phases intenses d’implication émotionnelle lorsqu’ils œuvrent à distance au
profit de TF, car aucun détail ne doit leur échapper, aucune cible éventuelle
dans le cadre de leur mission d’ISR. Or, les OSD ressentent souvent une forte
frustration face au « Troop in Contact » (88) (TIC), aux attaques par lance-
roquette, lorsque les moyens technologiques actuels ne leur permettent pas de
détecter la menace et de prévenir à temps les TF. Idéalement, les charges utiles
des drones devraient pouvoir contribuer à permettre une Positive Identification
(PID) (89) efficace par les OSD en complément de la Visual Identification (VID)
et des informations provenant du Joint Terminal Attack Controller (JTAC).
La PID garantit une certification positive d’un objectif terrestre et résulte
généralement de la triangulation d’informations comme la VID associée aux
coordonnées de l’objectif (identification radar ou électromagnétique). Ainsi,
ils disposent seulement de moyens de communications pour soutenir les alliés,
aucun armement ne leur permet de riposter pour soutenir leurs frères d’arme.
Après de telles missions, des émotions confuses mêlées à des sentiments de
culpabilité peuvent gêner les OSD lors de la phase de récupération. En effet,
Paullin, Ingerick, Trippe et Wasko (2011) (90) précisent que si « les opérateurs
ne sont pas en danger physique personnel lorsqu’ils exercent leurs fonctions…
ils subissent cependant les effets viscéraux liés au combat, par exemple, assister
à l’attaque d’une unité amie par des forces hostiles ». Ainsi les personnels sont

(88) Cas de figure où les TF sont prises à partie par les ennemis.
(89) Idéalement les opérateurs devraient pouvoir reconnaître de l’armement individuel sur une
personne jusqu’à 10 kilomètres de distance oblique.
(90) C. Paullin, M. Ingerick, D. M. Trippe, L. Wasko, “Identifying Best Bet Entry-Level Selection
measures for US Air Force Remotely Piloted Aircraft (RPA) Pilot and Sensor Operator (SO)
Occupations”, 2011, Air Force personnel Center Strategic Research And Asssessment – HQ AFPC/
DSYX. AFCAPS-FR-2011-0013.

182
fortement impliqués dans le principe de réalité guerrier, quand bien même leur
intégrité physique n’est a priori pas mise en jeu (91).
Par ailleurs, dans le cadre de l’opération Harmattan en Libye, les OSD ont
développé de nouveau savoir-faire en réalisant des missions de type Dynamic
Targeting. Il s’agit de missions qui se caractérisent par une forte contrainte
temporelle compte tenu de l’enjeu lié à la valeur de la cible. Les opérateurs
doivent alors contribuer à l’accélération de la boucle de ciblage, en garantissant
l’efficience de la boucle suivante : l’acquisition, l’identification, le suivi de la
cible, puis l’évaluation des dommages (92).
L’inattendu peut survenir à tout instant, à la différence du scénario stable
du jeu. L’exigence est de rigueur dans l’activité d’OSD, tandis que le jeu est
conçu sur le principe de plaisir. En conséquence, l’analogie entre des joueurs de
« war game » et les OSD est seulement superficielle : si les baies de commande
équipées d’écran vidéo ressemblent en apparence à des stations de jeu de type
« war game », le travail des OSD est bien mentalement ancré dans la réalité
de terrain. Des pilotes de Remotely Piloted Aircraft (RPA) (93) de l’US Air
Force affirment ainsi (94) : « Quand vous mettez votre main sur les manettes de
contrôle et les yeux sur les écrans, vous vous sentez comme si vous étiez en train
de survoler l’Irak ou l’Afghanistan. Vous entrez dans cette réalité. Ce n’est pas
un jeu vidéo. C’est une affaire bien réelle » (Capitaine Stephen Rolenc, porte-
parole dans le cadre des opérations de Predator de la base aérienne de Nellis).
« Physiquement vous êtes peut-être à Vegas, mais mentalement vous êtes en train
de survoler l’Irak » (Commandant Shannon Rogers).
À ces phases intenses en action et émotion et coûteuse en énergie, succèdent
des phases de mission plus monotones (dites « dull » ou ternes) car ennuyeuses,
telles que les phases de transit. Ces activités répétitives voire routinières peuvent
créer une forme de découragement chez les opérateurs. C’est dans un tel contexte
que le rôle du CT prend toute son importance. Le CT doit chercher à maintenir
un niveau de vigilance (95) au sein de l’équipage. Pour ce faire, certains d’entre
eux sollicitent ponctuellement leurs partenaires. Par exemple, certains CT ont
pris l’habitude d’optimiser les parcours de transit, en imaginant des missions
de surveillance d’opportunité sur les zones du parcours, où se trouvaient les
jours précédents des IED (96). Ceci permet de maintenir un bon état de veille
de leurs coéquipiers, tout en restant cohérent avec le cœur de la mission ISR.

(91) Nous pensons ici au cas particulier des OSD français lorsqu’ils opèrent sur des sites eux-mêmes
susceptibles d’être attaqués (Bagram). Par là même, le risque zéro n’existe pas face à un éventuel
risque balistique. Ce sont les limitations en termes de fréquence satellitaire qui ont conduit à ce choix
organisationnel, qui ne correspond pas au concept initial d’emploi.
(92) BDA : Battle Damage Assessment, ainsi que l’évaluation des dommages collatéraux cas
échéant.
(93) Nous privilégions cette terminologie vis-à-vis de UAS, afin de confirmer la présence de
l’« humain dans la boucle » décisionnelle.
(94) R. Sparrow, “Building a better WarBot : ethical Issues in the design of Unmanned Systems for
military Applications”, Sci Eng Ethics, 2009, 15, pp. 169-187.
(95) J. R. Wilson, “UAVs and the human factor”, Aerospace America, 2002, 40, pp. 54-57.
(96) Improvised Explosive Device. Engin explosif improvisé.

183
Le CT, en qualité de chef, planifie (97) la mission, dirige l’équipage (98), délègue
et « re-task » sur de nouvelles missions si nécessaire (99). Ainsi, les OSD passent
de très longues heures concentrées parfois sur les mêmes zones géographiques,
qu’ils survoleront à plusieurs reprises au cours de leur séjour en OPEX, et
pourtant leur attention devra toujours être optimale.
Nous venons de voir que les OSD sont sollicités à plusieurs niveaux
(domaine cognitif et émotionnel). Ils ont également à gérer leur stress induit
par les spécificités de leur travail.

stress Lié au travaiL


Selon Quintana (2008) (100), un rapport de l’armée de l’air américaine montre
que les ODV sont plus stressés que les pilotes d’avion sur théâtre d’opération,
contre toute attente. Cela serait dû en partie à des facteurs ergonomiques non
optimaux, mais surtout au tempo soutenu des missions (8 heures par jour, 5
à 6 jours par semaine – le tempo est intensif, même si le travail n’est en soi
pas physiquement dangereux). Des recherches ont d’ailleurs confirmés d’une
part que des déficiences ergonomiques existent, telles que une automatisation
contre intuitive, des instruments multifonctionnels, des menus déroulants et
des données non intégrées qui génèrent des feedback inadéquats aux membres
d’équipage (101). D’autre part que les équipages de RPA ont un niveau plus
élevé de fatigue, sont plus sujet au burnout (102) et à l’ennui que les équipages
d’avion conventionnel (103). Ces études concernent plus particulièrement le
cas des OSD américains qui opèrent depuis le sol américain. Néanmoins,
les opérateurs français sont soumis comme les alliés aux facteurs cités supra
(défaillances ergonomiques, tempo soutenu, gestion de mission à distance bien
qu’étant sur un théâtre opérationnel), ainsi, il est probable qu’ils subissent eux

(97) A. Freedy, G. Weltman, R. Parasuraman, M. Le Goullon, E. De Visser, J. G. McDonough,


E. Freedy, Technology for enhanced command and control of small robotics assets (TECRA), SBIR
Phase I Final Report (Technical report PTR 015-07), 2007, Army Research Institute for the Behavioral
and Social Sciences, Arlington, VA.
(98) S. Sharma, D. Chakravarti, “UAV operations: an analysis of incidents and accidents with
human factors and crew resource management perspective”, Indian Journal of Aerospace Medecine,
49(1), 2005.
(99) P. J. Durlach, PACERS  : Platoon aid for collective employment of robotic systems. Research
Report 1876, US Army research Institute for the Behavioral and Social Sciences, 2007, Arlington, VA.
(100) E. Quintana, The Ethics and Legal Implications of Military Unmanned Vehicles, Occasional
Paper, Royal Institute for Defense and Security Studies, 2008, disponible sur internet à : http ://www.
rusi.org/dowloads/assets/RUSI_ethics.pdf
(101) A. P. Tvaryanas, B. T. Thomson, “Recurrent error pathways in HFACS data: Analysis of 95
mishaps with remotely piloted aircraft”, Aviation Space and Environmental Medecine, 2008, 79, pp.
525-532.
(102) Il s’agit d’un « état d’épuisement aussi bien physique que psychologique… et d’une
complication grave du stress professionnel, qu’il vaut mieux prévenir que guérir », in P. Légeron, Le
stress au travail, 2001, Editions Odile Jacob, p. 206.
(103) A. P. Tvaryanas, N. Lopez, P. Hickey, C. Da Luz, W. T. Thomson, J. L. Caldwell, Effect of
Shiftwork and Sustained Operations  : Operator Performance in remotely Piloted Aircraft USAF
Performance Enhanced Research Division Report No. (HSW-PE-BR-TR-2006-0001), 2006, Brooks
City, TX : United States Air Force

184
aussi la fatigue et le stress. Des études spécifiques liées à ce sujet mériteraient
d’être approfondies.
Nous avons vu que le niveau d’exigence en terme de cognition, de gestion
des émotions et du stress est très élevé à titre individuel. C’est également le cas
d’un point de vue interpersonnel.

compétences requises pour Les postes d’osd


Les trois spécialistes interagissent pour s’adapter aux nouvelles missions
en cas de cibles d’opportunité et en ce sens, la station au sol est comparable à
un centre de commandement et de contrôle (104). Dans ce contexte de travail
complexe, l’habileté la plus universelle des OSD est celle lié à l’activité de
surveillance (105) pour laquelle toute erreur humaine a de graves conséquences
sur le déroulement de la mission, mais également a posteriori sur le BDA (106)
dans le cas de dommages collatéraux. Pour se prémunir des erreurs humaines,
une solution consiste à s’assurer d’une parfaite coordination au sein de
l’équipage. De nombreux incidents en effet ont été attribués à des problèmes
de coordination d’équipage (107). Mais cette coordination ne peut être optimale
que si chaque spécialiste est doté d’excellentes compétences interpersonnelles
et intrapersonnelles. Par compétences interpersonnelles, nous entendons une
intelligence sociale permettant d’interagir avec autrui de façon efficace. Par
compétences intrapersonnelles, nous faisons référence aux qualités intrinsèques
liées aux traits de personnalité, comme la persévérance et le contrôle de soi, et
à la motivation des individus. De plus, rappelons que compte tenu du caractère
dynamique des situations de travail évoquées plus haut, les compétences
cognitives sont requises par tous les OSD lors des prises de décision, la résolution
des problèmes et l’évaluation des risques (108).
Ainsi, les contraintes inhérentes à l’environnement de travail d’un système
déporté impliquent la présence de capacités élevées chez les OSD tant dans la
sphère cognitive que dans la sphère inter et intra personnelle. Pour développer
de telles compétences, il convient tout d’abord de sélectionner les opérateurs les
plus à même de suivre et réussir la formation, puis de les former efficacement.
En un premier temps, nous allons nous intéresser à la façon de procéder de
nos homologues étrangers (notamment l’armée de l’air américaine), dans la

(104) N. J. Cooke, S. M. Shope, K. Rivera, “Control of an uninhabited air vehicle : A synthetic task
environment for teams”, Proceedings of the Human Factors and Ergonomics Society 44th Annual
Meeting, 2000, p. 389, San Diego, CA.
(105) D. Pavlas, C. S. Burke, S. M. Fiore, E. Salas, R. Jensen, D. Fu, “Enhancing Unmanned Aerial
System Training: A Taxonomy of Knowledge, Skills, Attitudes, and Methods”, Human Factors and
Ergonomics Society Annual Meeting Proceedings, 2009, vol. 53 (26), pp. 1903-1907 (5).
(106) Battle Damage Assessment.
(107) A. P. Tvaryanas, B. T. Thomson, S. H. Constable, “US military UAV mishaps : Assessment of
the role of human factors using HFACS”, Paper presented at the CERI Second Annual Human Factors
of UAVs Workshop, May 2005, Mesa, AZ.
(108) A. P. Tvaryanas, W. T. Thompson, S. H. Constable, “Human factors in remotely piloted aircraft
operations  : HFACS analysis of 221 mishaps over 10 years”, Aviation, Space, and Environmental
medicine, 2007, 77(7), pp. 724-732.

185
mesure où ces derniers ont acquis dans la durée une plus grande expérience
dans le domaine des systèmes de drones.

La formation des osd des armées de L’air étrangères

La composition des équipages des stations soL de système de drones


Les équipages de drone MALE se composent généralement d’au moins deux
personnes. Il existe un opérateur pilote, mais ce dernier est en charge uniquement
du vecteur aérien dans les autres nations. La France est ainsi la seule nation
où l’ODV est en charge du vecteur et de toutes les charges utiles. De plus, dans
certaines nations, il existe plusieurs opérateurs responsables de charges utiles.
Selon Grozel et Moulard (2008) (109) : « Sur certains systèmes, l’opérateur de la
station de contrôle se contente de gérer techniquement le capteur et de signaler
les points importants (analyse de premier niveau), un autre opérateur affinant
l’analyse (analyse deuxième niveau) ». Ainsi la formation est variable d’une
nation à une autre, selon le rôle réellement tenu par les opérateurs.
Les pays précurseurs en matière de systèmes de drones sont les États-
Unis et Israël. Dans la mesure où les États-Unis publient sur le sujet de façon
beaucoup plus ouverte, nous nous intéresserons plus particulièrement à la
formation des OSD de l’US Air Force.

focus sur La formation des opérateurs de remoteLy piLoted


aircraft (rpa) de L’us air force

Le cas des piLotes de système de drone maLe predator


Parmi la variété de RPAs, l’US Air Force utilise de façon dominante deux
types de Predator : le Predator A dit MQ-1 et le Predator B dit MQ-9, Reaper
(depuis septembre 2006). Le Reaper possède de meilleures capacités que le
Predator A, car il vole plus vite, plus haut, plus longtemps et il dispose de plus
grande capacité d’armement (6 points d’emport pour le Reaper contre 4 points
d’emport pour les Predator A).
Jusqu’en 2009, les premiers recrutements de pilotes de RPA se réalisaient
parmi les pilotes spécialisés. Ces derniers sont formés à voler notamment
sur F-16 à l’origine, sont généralement de grade de capitaine ou plus, et âgés
entre 20 et 30 ans. Leur affectation sur RPA dure de 3 à 4 années seulement.
Depuis l’automne 2008, l’armée de l’air américaine a lancé « une politique
d’ouverture » (110) dans le mode de recrutement, et de nombreuses nouvelles

(109) M. Grozel, G. Moulard, Drones, mystérieux robots volants. Les yeux et le feu du XXIe siècle.
Renseignement histoire & géopolitique. Documents, 2008, Editions Lavauzelle.
(110) V. Ferrari, C. Camachon, J. Donnot, Facteurs humains et formation des opérateurs système de
drones, Centre de recherche de l’armée de l’air, « Facteurs humains et milieux opérationnels », 2010,
p. 24.

186
mesures pour former les pilotes de RPA en réponse à la demande croissante
de Predator, MQ-9 Reaper.
Selon Chappelle, McDonald et McMillan (2011) (111), initialement, des
pilotes inexpérimentés (Undergraduate Pilot Training - UPT) en sortie de
formation de grade de lieutenant étaient envoyés directement sur RPA pour
leur première affectation, puis des non-pilotes ont été entraînés en tant que
pilotes de RPA. Bientôt il existera une filière dédiée aux OSD. En 2012, l’armée
de l’air américaine prévoit d’augmenter les rangs des opérateurs à un total
de 1100 personnes. Cela représente une forte augmentation, par rapport aux
450 opérateurs de Predator et de Reaper en 2009, et les 180 en 2007 (112). Le
général de brigade Lyn D. Sherlock, directeur des opérations aériennes au sein
de la direction du personnel aérien des opérations (113) précise en 2009 : « nous
souhaitons une carrière dédiée parce que nous pouvons voir la communauté des
OSD comme une force dont nous aurons besoin dans le futur, pas seulement à un
niveau tactique, mais également à un niveau opérationnel et stratégique ». Pour
créer cette filière, d’une part l’armée de l’air envoie 10 % de ses pilotes UPT
directement en formation d’OSD, d’autre part depuis janvier 2009, un « bêta
test » prévoit de former des officiers issus de spécialités techniques diverses
(e. g. logisticien, ingénieur, armurier), afin d’établir dans quelle mesure ces
derniers peuvent apprendre à faire voler les drones, avec une faible expérience
aéronautique en amont. Ce recrutement a été développé afin de répondre à
la pénurie critique de pilotes de RPA Predator A, face aux besoins croissants
liés aux conflits. Le général Sherlock précise qu’en octobre 2008, l’ « armée de
l’air a reçu plus de 700 candidatures pour la participation au test, ce qui montre
l’attractivité de la spécialité ».

descriptif de La formation initiaLe


La formation initiale comprend 4 phases pour les ab initio et dure 8 mois
½ au maximum durée variable en fonction du cursus d’origine). Ceux qui
proviennent d’un cursus de pilotes entrent directement en deuxième phase.
Les « non-pilotes » débutent par une phase de formation initiale (Initial Flight
Training – IFT) de 2 mois afin d’acquérir les compétences de base de pilote.
L’objectif est d’apprendre aux « non-pilotes » les fondamentaux liés au vol, des
principes d’aérodynamique, les familiariser avec les instruments de bord, leur
faire réaliser un vol en solo en avion habité, développer les connaissances et la
confiance d’un pilote en général et obtenir une licence de pilote privé reconnu

(111) W. Chappelle, K. McDonald, K. McMillan, Important and critical psychological attributes of


USAF MQ-1 Predator and MQ-9 Reaper Pilots according to subject matter experts, Final Report for
September 2009 to April 2011, 2011, AFRL-SA-WP-TR-2011-0002. Air Force Research Laboratory,
711th Human Performance Wing School of Aerospace Medecine. Aerospace Medecine Consultation
2510 Fift St.
(112) A. Mulrine, “UAV Pilots. They aren’t enough of them. The Air Force is determined to do
something about that”, Air Force Magazine, January 2009, pp. 34-37.
(113) Extrait de l’article en renvoi (35). Director of air operations for the Air Staff’s directorate of
operations.

187
par la Federal Aviation Administration (FAA). Sept heures d’entraînement
viennent compléter cette phase, et intègrent du vol de formation, du vol de
nuit, des heures complémentaires solo. Cette phase achevée, les anciens « non-
pilotes » réalisent le même cursus que les pilotes UPT.
La deuxième phase dure elle aussi deux mois pour se qualifier sur les
instruments des RPA (Instrument Qualification Course – IQC) sur simulateur
de MQ-1 Predator. Les pilotes de RPA abordent des notions sur la climatologie,
l’aérodynamisme, le CRM, les instruments de « bord » de la station sol et la
navigation. Les pilotes de RPA et les opérateurs images (Sensor Operator -
SO) travaillent ensemble pour s’habituer à la mixité de grade.
La troisième phase dure un mois afin d’acquérir les fondamentaux relatifs
au RPA (RPA Fundamentals Course - RFC). Au cours de ce cycle, les élèves
suivront 135 heures de cours académiques comprenant des informations
relatives aux théâtres d’opérations, le niveau tactique, les règles d’engagement,
le fait d’opérer en espace militaire, l’armement, les radars, les charges utiles et
le CRM. De plus, 7 missions en laboratoire ont lieu. Le but est de leur fournir
les habiletés fondamentales en aviation pour atteindre les exigences du Formal
Training Unit (FTU) de leur unité future.
La quatrième phase concerne la délivrance d’armement et divulgue des
notions sur le concept, la doctrine, les systèmes de contrôle, des procédures
tactiques et techniques permettant de planifier les missions de combat air et terre.
Les pilotes apprennent à coordonner la mission, à transmettre l’information,
et recevoir des ordres dans un environnement interallié. Le but est d’apprendre
aux pilotes de RPA comment s’intégrer dans des opérations de type interallié,
ce qui sous-entend d’être capable d’identifier, de cibler, et détruire les ennemis
et les cibles.

descriptif de La formation en unité opérationneLLe


Enfin, les pilotes rejoignent leur unité (FTU). Cette formation comprend
3 phases d’environ 3 mois (durée variable selon la spécialisation de l’unité).
Toutes se concentrent sur la réactivité lors des missions de combat, et l’emploi
des systèmes d’armes. Le pilote de RPA est considéré opérationnel pour le
combat quand il est reconnu professionnel et efficace techniquement lors de
missions d’entraînement au combat. Les critères d’évaluation de la réussite n’ont
toutefois pas été explicités dans l’étude exposée par Chappelle et al. (2011).
Les pilotes de MQ-9 Reaper sont choisis parmi les pilotes de Predator A les
plus qualifiés, car le Reaper est doté de performance accrue comparativement au
Predator A. Selon les experts, le pilotage du Reaper requiert plus de manœuvres
tactiques et stratégiques (Close Air Support - CAS et autres opérations de
précisions), et plus d’habilités dans les environnements urbains. Par voie de
conséquences, il requiert des capacités supérieures de la part du pilote de RPA.

188
Le cas des opérateurs images (sensor operator - so) (114)
Les SO sont recrutés parmi les trois sources suivantes :
• des analystes d’image sortant de leur formation technique et militaire
de base (Basic Military Training - BMT). Ils sont jeunes (de 18 à 21 ans) ;
• des analystes images ayant déjà une expérience dans les AWACS ou le
Joint Surveillance and Attack Radar System (J-STARS). Ces personnels ont
généralement 3 à 4 ans d’expérience militaire et aéronautique et ont déjà
œuvré sur théâtre d’opération. Ils sont volontaires, cherchent à développer
leur responsabilité dans des opérations de combat en s’orientant vers les
RPA, ou rencontrent parfois un problème d’inaptitude physique au vol ;
• des militaires de base sélectionnés pour suivre un nouveau cursus de SO.
C’est une population proche en âge de ceux de la 1ère source. Ils ont sou-
vent une compréhension basique du rôle des RPA sur théâtre d’opérations.
Ce recrutement a été développé pour répondre à la demande croissante
de spécialistes lors des opérations. La formation est condensée et dure 6
mois au maximum ; des aptitudes psychologiques sont prérequises et la
sélection est plus que nécessaire pour préserver l’intégrité et la sécurité
des opérations aériennes (115).
La formation des SO comprend 4 phases et dure au maximum 7 mois
(durée variable selon le cursus d’origine). La première phase concerne les SO
recrutés selon la première et deuxième source. Ils apprennent tout d’abord les
fondamentaux du travail en équipage (Aircrew Fundamentals Course - AFC)
pendant 14 jours, sur des notions relatives aux missions à bord, la médecine
aéronautique, l’aérodynamisme, et la coordination d’équipage.
Tous les futurs SO suivent ensuite la deuxième phase Basic Sensor Operator
Course (BSOC) relative à des fondamentaux liés à la spécialité, pendant 20
jours, sur des notions relatives à l’ISR, l’imagerie et la « full motion video »,
les systèmes électronique et de missile, la délivrance d’armement et le ciblage,
et d’autres fondamentaux en aéronautique.
La troisième phase dure 20 jours également (Unmanned aircraft system
Fundamentals Course - UFC) et se centre sur l’apprentissage en simulateur,
le développement des compétences de Crew Resource Management (CRM).
Afin de favoriser le développement des compétences de communication en
équipage constitué, les SO travaillent avec des pilotes des RPA.
Vient ensuite la quatrième phase de qualification de 45 jours, où 7 sorties
d’entraînement sont organisées, où ils sont jaugés pour mesurer leur progrès,
ainsi que des instructions académiques complémentaires.

(114) W. Chappelle, K. McDonald, K. McMillan, “Psychological attributes critical to the performance


of MQ-1 Predator and MQ-9 Reaper US Air Force Sensor Operators”, June 2010. AFRL-SA-BR-
TR-2010-0007, Air Force Research Laboratory, 2010, 711th Human Performance Wing School of
Aerospace Medecine. Aerospace Medecine Consultation 2510 Fift St.
(115) M. I. Nodine, The role of UAVs in non-permissive environment : Is the Air Force training and
preparing aircrews to fly, fight, and win  ? Unpublished thesis, 2009, Air University, Maxwell Air
Force Base, Montgomery, AL.

189
Les phases initiales ayant été effectuées, les SO sont envoyés pour 3 mois
au Combat Mission Readiness (CMR) pour un entraînement complémentaire.
Pendant cet entraînement, ils sont supervisés, des instructions complémentaires
leur sont données. Ils opèrent sur des Predator dans des opérations réelles, et
reçoivent une évaluation individualisée selon des facteurs de performances variés.
Après le CMR, ils sont considérés comme opérationnels dans leur spécialité.
Ce retour d’expérience de l’armée américaine ayant été effectué, nous allons
désormais nous intéresser plus particulièrement au cas spécifique des OSD de
l’armée de l’air française.

séLection et formation des osd de L’armée de L’air française

La séLection de 2008 à aujourd’hui


Actuellement, les OSD sont choisis parmi un vivier de spécialistes de l’armée
de l’air. Ce choix prévaut chez les gestionnaires de ressources humaines, car
les enjeux politiques et les besoins opérationnels élevés ont conduit à désigner
les personnels les plus à même d’être formés rapidement grâce à une logique
de « transfert » rapide de compétences. Les OSD sont recrutés en « interne »,
sur la base du volontariat ou à l’occasion d’une mutation en sortie d’écoles
de formation de la spécialité d’origine. Autrement dit, les OSD sont choisis
parmi un vivier de spécialistes sélectionnés à l’origine pour réaliser un autre
métier. Ainsi, les ODV qui pilotent le vecteur et les charges utiles ont été choisis
parmi les officiers du corps des Personnels navigants (pilotes de chasse et
Navigateur Officier de Systèmes d’Armes - NOSA). Les CT, chefs de mission
ont été choisis parmi les Officiers Renseignement. Les Opérateurs Images
(OI), qui analysent les images vidéo, sont retenus parmi les sous-officiers IP.
La sélection actuelle procède par mise en correspondance de profils fondés sur
une analyse de compétences détenues dans un précédent métier avec les postes
d’OSD. Cette façon de procéder est relativement efficace sur le court terme
et répond à une situation de besoin urgent en personnel. Bien que nécessaire,
elle n’est pas pérenne sur le long terme d’un point de vue qualitatif. En effet,
elle ne permet pas de cibler et choisir de façon équitable le vivier d’OSD
parmi les autres spécialistes. La mise en correspondance (matching) en termes
de profils demeure approximative. De plus, d’un point de vue quantitatif,
les systèmes de drones vont poursuivre leur expansion : dès qu’un conflit se
déclenche, de nouveaux besoins de type « Reconnaissance, Surveillance, Target
Acquisition » (RSTA) (116) apparaissent. Qu’il s’agisse du besoin de surveillance
systématique et persistante (e. g. visuelle, auditive, électronique), afin de révéler
les changements de situations, de l’acquisition de cibles clés et stratégiques,
ou encore de reconnaissance visuelle pour l’obtention d’informations sur les
activités et ressources potentielles de l’adversaire, le brouillard de la guerre
nécessite d’être levé plus que jamais. Cet essor nécessitera de facto un effectif
important de spécialistes lequel justifiera ensuite la création d’une filière dédiée

(116) Acronyme OTAN.

190
attractive. Dans cette situation, il sera alors nécessaire d’effectuer une procédure
de sélection élargie à des candidats ab initio ou de spécialités d’origines plus
variées. C’est pourquoi, il est essentiel dès à présent de connaître précisément
les spécificités de ces nouveaux métiers, afin d’être en mesure d’élaborer la
procédure de sélection de demain qui garantira l’efficience de la formation.

La Formation de 2008 à aujourd’hui


Les premiers ODV français ont suivi leur formation auprès des industriels
IAI, EADS, THALES de mars à avril 2008, mais ils ont très rapidement
réadapté le cycle de formation pour les opérateurs suivants, compte tenu de
leur cursus d’origine PN (des cours relatifs à la navigation et la météorologie
ne leur étaient pas utiles par exemple). « L’effort pédagogique s’est concentré
sur les connaissances à acquérir propres à l’Harfang…L’organisation des vols
s’est articulée autour d’exercices de base, de missions-types d’entraînement
et opérationnelles » (117). Par la suite, tous les opérateurs quelle que soit leur
spécialité d’origine ont littéralement « appris en marchant », plus particulièrement
à partir de février 2009, date du déploiement du Harfang en Afghanistan. La
majorité des OSD ont été formés à Cognac au sein de l’escadron drones pour
la partie théorique seulement, tandis que la formation pratique se réalisait
sur la base opérationnelle de Bagram (Afghanistan). Généralement les OSD
étaient « lâchés », c’est-à-dire considérés autonomes pour mener une mission
opérationnelle, vers la fin de leur première OPEX de deux mois, après avoir été
dûment formés en double par un parrain. Après une série de missions-tests, les
OSD obtiennent la qualification qui les rend « opérationnels ». Depuis cette
année 2011 seulement, une station-sol et un vecteur aérien sont venus renforcer
l’escadron de drone Belfort pour former de façon plus « nominale » ses personnels
nouvellement affectés. Ainsi de nouvelles Consignes Permanentes d’Instruction
des OSD (118) ont été validées également en début d’année 2011. Elles exposent
très précisément les phases suivies par les OSD en formation afin d’obtenir la
qualification d’OSD opérationnel, celles d’instructeurs et des recommandations
pour le maintien des compétences des OSD (par labels et qualifications).
Nous nous contenterons ici d’exposer succinctement la partie de la phase de
progression qui conduit les OSD à la licence dite « opérationnelle ». Notons
que les durées qui apparaissent dans le CPI. OSD sont purement théoriques :
1. en effet, en pratique, compte tenu de la priorité opérationnelle, le der-
nier système « Harfang » a été employé d’août à octobre 2011 au profit
du théâtre d’opération libyen dans le cadre de l’opération Harmattan. Le
niveau de formation en métropole est clairement insuffisant aujourd’hui
car il ne couvre que 10 % du besoin optimal, du fait que la priorité donné
aux OPINT ou d’autres opérations ;

(117) V. Ferrari, C. Camachon, J. Donnot, Facteurs humains et formation des opérateurs système de
drones, Centre de recherche de l’armée de l’air « Facteurs humains et milieux opérationnels », 2010,
p. 32-33.
(118) CPI. OSD PAA 07-322/2011. Note no 215300137/CFA/CHASSE du 16 février 2011.

191
2. de plus, une phase de formation pourra être réduite si le candidat atteint
rapidement les standards requis, a contrario la phase sera prolongée de
deux mois en cas de difficultés rencontrées dans l’atteinte des objectifs.
Pour tous les OSD, il existe des prés requis médicaux, le niveau minimum
requis de Profil Linguistique Standardisé (PLS) est de 3333, la phase théorique
est sanctionnée par la réussite de tests intermédiaires et finaux, et la phase
pratique par des missions-tests.
Nous présenterons dans les paragraphes suivants uniquement les éléments
généraux relatifs à la phase de formation à la licence opérationnelle, qui est
obtenue après la réussite de nombreux tests théoriques et pratiques.
Toutefois il s’agit d’une situation de formation sous un mode « nominal »,
telle qu’elle pourrait être organisée en métropole ; ce qui n’a pas été jusqu’alors
le cas pour les précédents équipages très fortement sollicités dans de nombreuses
opérations.

La Formation des odv


Les ODV doivent valider 14 modules de formation théorique (e. g. module de
présentation général du système de drone, le système de décollage et atterrissage
automatique, les spécificités du système de drone et de ses charges utiles). La
durée de formation est de 12 mois en tout (théoriquement) et à l’issue de celle-ci
ils sont capables d’utiliser toutes les charges utiles, d’effectuer les missions RSTA,
de suivre des objectifs mobiles, de préparer et coordonner une illumination
LASER sur tous types d’objectifs. Ils réalisent en tout 20 heures en séances
de simulation (10 heures pour se familiariser et 10 heures pour réaliser des
missions variées de type RSTA) et 50 heures de missions lors de cette phase.

La Formation des ct
Les CT doivent valider 8 modules de formation théorique pendant 2 mois,
en plus de leur formation d’officier renseignement. Les modules concernent par
exemple la présentation de la fonction de CT, et des systèmes de préparation de
mission. La durée de formation pratique dure 4 mois minimum. Ils réalisent au
moins 5 missions de base. Le nombre de mission avant d’être qualifié dépend
du degré d’adaptabilité du CT en formation.

La Formation des oi
Les OI doivent valider 7 modules de formation théoriques en 2 mois, en
plus de leur formation initiale d’interprétateur photo. Les cours concernent
notamment l’utilisation de la charge utile « radar » et des ordinateurs qui
traitent du renseignement image. La durée de formation pratique est de 4 mois
minimum. Ils réalisent environ 40 heures de missions lors de cette phase. Ils
réalisent 10 heures de mission en utilisant la baie qui commande la charge utile
du radar SAR/MTI, et 5 heures sur le module qui permet de saisir les images.

192
Comme pour les ODV et les CT, le nombre de mission avant d’être qualifié
opérationnel va dépendre du degré d’adaptabilité de l’OI en formation.

enseignements compLémentaires
Tous les ODV suivent des briefings de Sécurité des Vols (SV) très
régulièrement, un stage dédié au guidage LASER, des enseignements en langue
anglaise, du sport et de l’instruction militaire, et des cours de Crew Resource
Management (CRM).

études prospectives reLatives à La séLection 2014-2020


L’armée de l’air se prépare à faire face à un besoin accru d’OSD en
réalisant dès à présent des études relatives à la sélection et à la formation, et
en réfléchissant à des problématiques d’ingénierie de formation qui s’intéresse
plus particulièrement au développement des compétences. Ainsi, compte
tenu de la complexité des activités que nous venons d’évoquer, le Centre de
recherche de l’armée de l’air a été mandaté par l’état-major de l’armée de l’air
pour définir précisément la nature des habiletés que doivent développer les
OSD. La méthode adoptée a consisté à réaliser une analyse de poste de type
duale, c’est-à-dire d’une part orientée vers la compréhension du travail réalisé
(facteurs situationnels), et d’autre part vers les capacités de l’individu (facteurs
individuels) selon les recommandations de Spector (2006) (119).

choix méthodoLogiques
Nous avons tout d’abord obtenu un descriptif des missions les plus
complexes à effectuer dans chaque poste, en réalisant des entretiens semi-directifs
des experts OSD. La grille d’entretien a été élaborée à partir d’un descriptif
de missions prescrites, et d’une fiche de critères qualifiant la complexité des
activités : la fréquence, la criticité (gravité des conséquences en cas d’échec), la
difficulté de réalisation et la difficulté d’apprentissage. L’analyse d’entretiens
semi-directifs a permis d’extraire 29 activités signifiantes réparties entre les
trois spécialités (e. g. réagir efficacement à une panne impromptue, ou piloter
le vecteur avec la « souris »). Ces activités sont fortement liées aux compétences
détenues par les OSD. Toutefois, les compétences « ont un caractère local, c’est-
à-dire (dépendant) du cadre organisationnel dans lequel elles sont élaborées »
et sont « liées à une tâche ou à une activité donnée » (120). Or les postes d’OSD
étant amenés à évoluer avec les systèmes de drone à venir, les compétences
évolueront elles aussi. C’est pourquoi, afin que les résultats de nos travaux ne
soient pas trop rapidement dépassés, nous nous sommes centrés sur l’évaluation
des aptitudes. Par aptitudes, nous entendons une capacité générique sollicitée
lors du développement de compétences. Les aptitudes sont moins dépendantes
des situations et au plan pratique, « la mesure des aptitudes individuelles…

(119) P. E. Spector, Industrial and organizational Psychology (4th Ed.), 2006, Hoboken, N. J. : Wiley.
(120) C. Lévy-Leboyer, (2004), La gestion des compétences. 7e édition, 2004, Editions d’Organisation,
p. 27.

193
s’impose… chaque fois que les conditions de travail rendent difficile l’acquisition
d’une compétence spécifique parce que…l’environnement du travail (change)…
trop vite pour que l’expérience puisse créer des compétences réutilisables » (121).
De plus, selon Hedge (122), la présence d’aptitudes appropriées sous-jacentes
est liée aux niveaux finaux de performance qu’un individu peut atteindre (123).
La recherche des aptitudes requises à un haut niveau pour l’acquisition des
compétences est ainsi un enjeu stratégique, déterminant pour développer la
procédure de sélection des OSD. Ainsi nous nous sommes intéressés aux aptitudes
cruciales pour le développement en formation des OSD tant au niveau cognitif
(analyse des processus ; procédure de traitement d’informations), que inter et
intrapersonnel (traits de personnalité ; processus sous-jacents). Nous avons
adapté les questionnaires développés par Fleishman, Quaintance et Broadling
(1984) (124), afin de faire évaluer le niveau requis de 86 aptitudes pour les ODV,
92 pour les CT et 79 pour les IP, pour une dizaine d’activités complexes, grâce
à une échelle de Likert en 7 points. Les OSD ont ainsi évalué le niveau des
aptitudes requises pour être efficace dans différentes activités complexes. Nous
ne leur avons pas demandé de s’auto-évaluer, mais d’évaluer pour chaque
aptitude le niveau de complexité requis pour réaliser un bon travail en tant
qu’OSD. Ainsi, bien que subjective, une telle évaluation évite l’écueil de la
désirabilité sociale. En ce sens, le profil obtenu est un profil « idéal » des OSD.

terrain et participants
La totalité des OSD de l’armée de l’air a été sollicitée pour cette étude,
ce qui lui confère une haute validité écologique. Nous les avons considérés
comme des experts, c’est-à-dire comme « des personnes ayant une connaissance
pratique et directe du poste » (125) (Fleishman, 1995/1998, p.5), en raison de leur
ancienneté dans ces fonctions (de 3 à 7 mois en opérations extérieures sur le
système de drone). Ils travaillent ou ont travaillé au sein de l’unique escadron
de drone (126) Belfort. Pour définir l’analyse préliminaire des activités d’OSD,
11 d’entre eux ont été consultés et l’analyse des activités a été réalisée à partir
de ces entretiens exécutés au sein de l’escadron. Les passations du JAS-OSD
(version adapté du F-JAS (127) à la population OSD) ont été effectuées à distance
par la totalité des OSD (soit 30 opérateurs en fin d’année 2010).

(121) Ibid. p. 30.


(122) J. W. Hedge, W. C. Broman, Personal selection. In G. Salvendy (Ed.), Handbook of Human
Factors and Ergonomics, 3rd ed., pp. 458-471, 2006, Hoboken, N.J. : Wiley.
(123) E. A. Fleishman, D. P. Constenza, J. Marshall-Mies, Abilities in An Occupational Information
System for the 21st Century : The Development of O*NET, 1999, N. G. Peterson, M. D. Mumfort, W.
C. Borman, R. P. Jeanneret, E. A. Fleishman, Eds., American Psychological Association, Washington
D.C.
(124) E. A. Fleishman, M. K. Quaintance, L. A. Broedling, Taxonomies of human performance: The
description of human tasks. 1984, San Diego, CA : Academic Press.
(125) E. A. Fleishman, Guide d’utilisation (F-JAS2). Analyse de poste de Fleishman. Compétences
interpersonnelles et sociales, 1995-1998, Paris, Editions du Centre de Psychologie Appliquée.
(126) ED 01/033.
(127) Fleishman-Job Analysis Survey.

194
résuLtats
L’analyse de poste orientée vers le travail nous permet d’accéder à des
critères de performance qui seront utiles pour élaborer des mises en situation
de demain (128). Grâce à l’analyse orientée vers les individus, nous en déduisons
les profils idéaux en termes d’aptitudes complexes des différents spécialistes.
Ces résultats contribueront à la construction de méthodes d’évaluation et ces
outils permettront à terme de proposer une procédure de sélection.

profiL commun à tous Les osd


Pour tous les opérateurs, l’orientation spatiale est cruciale dans la sphère
cognitive. Il est à noter également que dans le cadre d’un travail en équipage des
aptitudes interpersonnelles telles que la fiabilité et la sociabilité sont sollicitées
à un très haut niveau.

profiL des odv


Un premier constat est que la sphère des aptitudes cognitives est
particulièrement présente. Un second constat est que les aptitudes de la sphère
intrapersonnelle (i. e., contrôle de soi, persévérance) sont vraisemblablement des
éléments déterminants de la bonne gestion des aptitudes cognitives. Goleman
(1995, 1997) (129) précise ainsi que «l’esprit émotionnel et l’esprit rationnel sont
deux facultés semi-indépendantes, reflétant chacune, …le fonctionnement de
structures cérébrales distinctes, mais interconnectées ». Les aptitudes visuo-
spatiales et de gestion des ressources attentionnelles sont requises à un très
haut niveau de complexité, comme par exemple la vitesse de structuration, la
répartition de l’attention et la division d’attention.

profiL des ct
Nous remarquons une prépondérance des sphères inter et intrapersonnelles
pour les activités réalisées par les chefs de missions (i.e., sens de l’organisation,
intelligence des situations, affirmation de soi). Toutefois, la sphère cognitive n’en
demeure pas moins sollicitée à un très haut niveau (e.g. gestion des ressources
attentionnelle, compréhension orale). À noter que les sphères perceptive et
psychomotrice sont peu représentées.

profiL des oi
Compte tenu du rôle assuré par les OI au sein de l’équipage, à savoir être
focalisé sur le traitement et l’analyse de l’image (photos et vidéos), on constate

(128) M. Martinussen, D. R. Hunter, Personnel Selection, in Aviation Psychology and Human


Factors, CRC Press, Taylor & Francis Group, 2010.
(129) D. Goleman, L’intelligence émotionnelle. Accepter les émotions pour développer une
intelligence nouvelle, 1995, 1997, Editions J’ai lu, p. 26.

195
que la sphère cognitive est sollicitée à un très haut niveau concernant des
aptitudes propres à ces activités d’OI (i. e. la visualisation et la souplesse de
structuration). Pour assurer ces activités qui constituent le cœur d’une mission
ISR, les aptitudes de la sphère intrapersonnelle, telles que l’affirmation de soi
et l’argumentation verbale sont également exigées à un très haut niveau.
Grâce à ces profils complets de poste définis par des aptitudes cruciales,
nous disposons aujourd’hui des critères prédictifs pour sélectionner les candidats
OSD les plus à même de suivre la formation efficacement. Deux problématiques
se présentent à nous désormais : (1) la subjectivité de la parole des experts nous
conduit à trianguler nos méthodes de recueil, (2) nous devrons choisir les tests les
plus pertinents pour mesurer les aptitudes. Pour la sphère cognitive, par exemple,
nous avons présélectionné des tests déjà existants comme un test évaluant la
souplesse de structuration (130), des tests de rotation mentale (131). Pour la sphère
inter et intrapersonnelle, nous envisageons un test de mesure de l’intelligence
émotionnelle tel que le MSCEIT (132). Des campagnes d’expérimentation sont
en cours de réalisation et ont pour objectif de mesurer l’écart qu’il existe entre
le profil idéal des OSD et le profil réel des actuels OSD, et de comparer ces
profils à des profils de population de référence et population contrôle. Ces
résultats permettront de mieux circonscrire le profil recherché pour de futurs
candidats OSD.

évaLuation dynamique des osd français à partir de 2014


À l’avenir, un centre de formation dédié sera nécessaire afin que la
formation soit standardisée d’un opérateur à un autre. Il conviendra de
modifier l’organisation et le niveau de la formation, si le recrutement s’étend
à des personnels provenant d’autres spécialités ou ab initio, respectivement
dans le cadre de la mobilité interne et de la politique de Gestion prévisionnelle
des Emplois et des Compétences (GPEC). Dans ce cas, certains modules de
formation seront adaptés aux aptitudes initiales des candidats. Un des points
forts de la sélection pourrait être de réaliser un diagnostic des points forts
versus points faibles, des individus. Ce diagnostic permettrait d’effectuer des
recommandations pour alléger versus renforcer, certains modules de formation,
ce qui permettrait une approche plus personnalisée de la formation, proche
de l’évaluation formative. L’évaluation formative cherche en effet « à situer les
difficultés pour aider la personne à découvrir les procédures qui lui permettent
de progresser dans son apprentissage. Elle permet de savoir ce qui est compris
ou non, ce qui est acquis ou non (133) ». Il est ainsi possible d’imaginer des
cursus de niveaux différenciés en fonction du niveau de technicité et de la
complexité des missions, à l’instar de l’organisation hiérarchique qui prévaut

(130) Tests des figures encastrées GEFT – Oltman, Raskin, Witkin, 1971.
(131) Shepard et Cooper, 1982.
(132) Mayer-Saloyer-Caruso Emotional Intelligence Test de Mayer, Salovy, Caruso & Sitarenios,
2003.
(133) T. Ardouin, Ingéniérie de formation pour l’entreprise. Analyser, concevoir, réaliser, évaluer,
Formation pro, 2006, 2e Edition Dunod, p. 200.

196
chez les contrôleurs aériens des Centres de Détection et de Contrôle (CDC),
du contrôleur opérationnel au contrôleur DA, qui œuvrent au profit des
combats aériens. Flexible et adaptative, une structure modulaire de la formation
permettra d’intégrer des instructions complémentaires liées aux évolutions à
venir, et aux changements de nature des missions (e. g. gestion multi-vecteur,
intégration de l’armement).

axes de remédiation

probLématiques Liées à La technoLogie des interFaces et charges


utiLes

Compte tenu du fait que la France fait des choix spécifiques en ce qui
concerne l’organisation du travail des OSD, toutes éventuelles comparaisons
avec nos homologues étrangers doivent être réalisées prudemment. Toutefois,
force est de constater que ces derniers ont fait des efforts notables pour améliorer
les interfaces des stations sol. Ainsi les pilotes de Predator B disposent d’écrans
vidéo avec une vision panoramique. Les baies des stations sol du Harfang
quant à elles, sont d’une technologie révolue. En comparaison avec les ruptures
technologiques des cockpits des avions de nouvelle génération (i. e. le Rafale
F3), le « cockpit au sol » de nos systèmes de drones français représente un
parent véritablement pauvre. C’est pourquoi, nos prochains systèmes de drones
devraient judicieusement bénéficier de progrès notables technologiquement
parlant, d’une part pour optimiser les interfaces de la station sol, mais également
accroître les performances des charges utiles. C’est une condition sine qua
non pour garantir de bonnes conditions de travail pour les OSD (réduction
des émotions négatives telles que nous les avons présentées précédemment
et de la charge cognitive inutile), et par voie de conséquences préserver leur
performance (meilleure qualité de la PID). Ainsi, il conviendrait de favoriser et
valoriser toutes études relatives aux aspects ergonomiques, cherchant à rendre
« empathiques » et « multimodales » des interfaces plus automatisées, c’est-à-
dire des interfaces qui proposeront les informations pertinentes au bon endroit,
au bon moment, de la meilleure façon.

probLématiques Liées aux Futurs concepts d’empLoi des rpa


Les avancées technologiques que nous venons d’évoquer permettront de
plus d’imaginer de nouveau concepts d’emploi dans le respect de la sécurité
de vol (e. g. les conduites simultanées de plusieurs drones par un opérateur)
et des principes éthiques décisionnels (e. g. l’intégration d’une composante
armée permettant de délivrer de l’armement). Aujourd’hui les systèmes français
sont dédiés au renseignement, mais inéluctablement ils deviendront armés
et il convient dès à présent de réfléchir à toutes les procédures décisionnelles
inhérentes au fait de délivrer de l’armement.

197
probLématiques Liées à La nature des missions
Par ailleurs, nous avons vu que certaines missions (e. g. POL) exigent de
la patience, une gestion des ressources attentionnelles accrues (e. g. cas des
Dynamic Targeting), d’autres ont un impact sur la gestion du stress (e. g. cas
des TIC) et a contrario certaines phases (e.g. les transits) sont beaucoup plus
monotones. De plus, le concept de persistance implique une certaine usure et
fatigue mentale. En conséquence des études dans l’armée de l’air se focalisent
plus précisément sur les moyens de limiter la fatigabilité de ces postes. Une
approche complémentaire pourrait consister à intégrer des modules de
formation complémentaires de Techniques d’Optimisation du Potentiel (TOP)
afin de perfectionner les OSD dans la gestion de leur stress (e. g. processus de
dynamisation versus récupération), soit lors du cursus d’OSD, soit en renforçant
les TOP des stages de préparation aux OPérations Extérieures - OPEX (e.g. le
stage MARTEL préparant au conflit afghan).
Quelles que soit les évolutions technologiques à venir, les maîtres mots
de la formation de demain seront la souplesse et la flexibilité afin de la rendre
adaptative vis-à-vis des besoins exprimés par l’institution, de la nature des
missions (e. g. raids aériens), des capacités des futurs systèmes de drones (e.
g. capacité de guerre électronique). Le fait d’analyser finement les postes de
travail des OSD nous permet de connaître le socle d’aptitudes cognitives, inter et
intrapersonnelles incontournables pour développer efficacement les compétences
requises dans ces postes complexes. Ces enseignements permettront demain
d’élaborer une procédure pour sélectionner les personnels les plus à même
de suivre la formation d’OSD. De plus, l’évaluation dynamique, que nous
envisageons est une démarche holistique, misant sur le lien entre la sélection
et la formation, et faisant le « focus » sur le développement des aptitudes.
Dans cette approche, les aptitudes ne sont plus considérées comme innée et
stables, mais comme émergentes et dynamiques. Certaines aptitudes, dans un
stade de maturation, seront plus propices au développement des compétences.
Elles pourront être mises en œuvre dans une formation, utilisant notamment
des capacités de simulation de système de drones très proches des conditions
réelles de travail. C’est vers une telle démarche de formation dynamique que
nous proposons de nous orienter demain au profit des OSD.

198
Persistance humaine et systèmes
de drones : évaluation
de la fatigue des opérateurs
engagés en Afghanistan
Vincent Ferrari*, lieutenant Christophe Tronche**, Fabien Sauvet***

Le chapitre présenté ici s’appuie sur une étude réalisée auprès des opérateurs
de système de drones de l’escadron 01/033 Belfort (1). Cette étude a été mandatée
par le Bureau Plans de l’état major de l’armée de l’air (EMAA/BPLANS) à la
demande du commandement de l’Escadron de Drones (ED). En effet, après plus
de trois ans passés en opérations externes (sur deux théâtres différents au cours
de cette période), le commandement de l’escadron de drones « Belfort » a émis
le souhait d’avoir « un point de vue extérieur le plus scientifique possible » sur
le travail posté des différentes catégories d’opérateurs au sein de cet escadron
(i. e. opérateur pilote, coordinateur tactique et opérateur images). Précisément,
l’objectif de la présente étude est d’étudier l’efficience de l’organisation du
travail du personnel de l’ED en opérations extérieures sous l’angle de la fatigue
ressentie par les opérateurs. L’originalité de cette recherche est d’aborder la
fatigue en adoptant une double approche : physiologique et cognitive. D’un
point de vue physiologique, la fatigue peut être étudiée à travers l’analyse de
l’activité « veille/sommeil » des opérateurs. D’un point de vue cognitif, l’étude
de la fatigue peut être abordée par l’évaluation de la charge de travail, celle-ci
se définissant comme l’intensité du traitement cognitif mis en œuvre par un
individu lorsqu’il réalise une tâche donnée dans un contexte précis.
Même si l’organisation actuelle de l’escadron qui opère le drone MALE
Harfang semble être efficace compte tenu du nombre important de missions
effectuées et du très faible taux d’incidents notables, la finalité de cette recherche
est de proposer, le cas échéant, des recommandations sur la base de données
expérimentales visant à optimiser cette organisation fondée aujourd’hui sur le

* Équipe « Facteurs humains et milieu opérationnel », Centre de recherche de l’armée de l’air. Docteur
en psychologie cognitive.
** Division de la formation au commandanement, Écoles d’officiers de l’armée de l’air. Docteur en
neurosciences.
*** Unité Vigilance, Département Environnements Opérationnels, Institut de Recherche Biomédicale
des Armées.
(1) Christophe Tronche, Fabien Sauvet, Vincent Ferrari, Etude de la charge de travail et de la fatigue
ressentie par les opérateurs système de drones engagés en Afghanistan. Rapport produit à la demande
et à destination du Bureau Plans de l’état-major de l’armée de l’air, 2012, 38 p. Les auteurs remercient
le lieutenant-colonel Paupy, commandant de l’escadron 01/033 Belfort, pour sa grande disponibilité
tout au long de l’étude, ainsi que l’ensemble des personnels de l’escadron. Par ailleurs, le rapport
mentionné ci-dessus intègre l’ensemble des statistiques des données récoltées dont l’économie a été
faite ici afin de répondre à la philosophie généraliste du présent ouvrage.

199
bon sens et l’expérience du personnel de l’ED. Les recommandations proposées
permettront également d’anticiper les éventuelles difficultés rencontrées par
l’escadron lors de la si délicate période de réception d’un nouveau système de
drones, armés ou non. Cette recherche est la première étude de terrain sur la
fatigue ressentie par les opérateurs de système de drones armant les drones
MALE de l’armée de l’air française.

assurer La « persistance humaine »


Les systèmes de drones français participent aux missions de type « ISR
(Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) Persistent », autrement dit des
missions de surveillance permanente. La notion de permanence sur zone amène
la distinction entre reconnaissance, ponctuelle par définition, et surveillance
permanente qui implique une persistance sur zone (2). Dans le spectre assez
large des missions de type ISR, les missions dévolues aux systèmes de drones
sont résumées sous l’acronyme DDD pour Dangerous (dangereux), Dirty
(sale) and Dull (fastidieuse). Ainsi en théorie, les missions confiées aux drones
sont des missions dangereuses parce que le risque de pertes humaines est trop
grand, des missions « sales » en raison d’un risque de contamination de type
NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) et, enfin, des missions
« fastidieuse » par leur caractère répétitif ou de longue durée, dépassant la
capacité de vigilance d’un pilote. Jusqu’à présent, les missions confiées au
drone Harfang sont, en majorité, des missions plutôt « répétitives », comme la
surveillance de zones ou d’itinéraires, la détection méthodique et minutieuse
de rocket box, etc. Notons ici que ces missions répétitives sont particulièrement
consommatrices en ressources attentionnelles pour des opérateurs qui doivent
pendant des heures surveiller un système très automatisé (e. g. pendant le transit
vers le théâtre d’opération), scruter attentivement des écrans pour découvrir
la moindre anomalie (e. g. de la terre fraîchement retournée sur le parcours
d’un convoi), ou attendre un événement qui peut ne jamais survenir. Dans
ces conditions, un des enjeux majeur pour le commandement de l’escadron
consiste à trouver l’organisation optimale du travail posté des opérateurs afin
d’assurer la meilleure « persistance humaine » sur zone tout en préservant la
sécurité des vols.
Techniquement, la surveillance permanente d’une zone déterminée peut
être garantie par l’alternance de trois plates-formes d’une autonomie de douze
heures de vol chacune (une première plate-forme est sur la zone d’intérêt
pendant que l’autre est en transit entre la base de départ et la zone à surveiller
alors que la troisième plate-forme est en maintenance). D’un point de vue
humain, l’assurance d’une persistance sur zone soulève des problématiques liées
à l’organisation du travail (relève, temps à poste, etc.) et des problématiques
informationnelles, à savoir comment se créer, conserver et partager une bonne
conscience de la situation sur une durée aussi longue, comment recueillir et traiter

(2) Vincent Ferrari, Cyril Camachon, Freddy Macias, René Amalberti, Expertise Acquisition for
UAV teams: A state of the art and directions of research. Symposium NATO, Biarritz, France, 2006.

200
des informations en permanence, etc (3). Dans le cadre du présent chapitre
seules les problématiques liées à l’organisation du travail seront traitées. En
effet, l’augmentation de la durée des missions liée aux capacités d’endurance
des drones soulève le problème du niveau et de la variation de l’intensité de
la charge de travail des opérateurs de vol. La longue durée des missions peut
altérer, à la fois, la vigilance (mobilisation de l’attention pour agir) et l’attention
soutenue (maintien de l’attention pendant une période d’assez longue durée)
des opérateurs de vol. Si la durée des missions peut être établie en considérant
les aspects « ressources humaines » de l’escadron (e.g. son dimensionnement
en termes de personnels, la gestion du roulement des équipes, le temps passé à
poste), il reste encore beaucoup à faire pour appréhender la fatigue engendrée
par les activités spécifiques au système de drones, notamment en OPEX, et la
charge de travail ressentie par chacune des catégories des opérateurs.

Les opérateurs de drones sont-iLs particuLièrement exposés


à La fatigue ?

Un article récent sur la gestion de la fatigue présente une liste de conditions


favorisant l’apparition de la fatigue au travail (4). Ces facteurs sont les suivants :
1. Le personnel travaille de longues heures à un poste donné ;
2. Le personnel a travaillé longtemps à poste pendant plusieurs journées
d’astreinte consécutives ;
3. Les planifications travail/sommeil ont été irrégulières et/ou imprévisibles ;
4. Les tâches critiques ont été effectuées pendant les nuits, ou en
postprandial :
5. L’insuffisance de sommeil est atteinte immédiatement avant le travail posté ;
6. L’insuffisance de sommeil dure depuis plusieurs jours avant la période
de travail (déficit cumulatif de sommeil) ;
7. La nature même du travail est ennuyeuse et fatigante ;
8. L’environnement de travail est soporifique (faiblement éclairé et calme) ;
9. Le stress mental et/ou physique est présent.
Une rapide prise en considération de leur environnement de travail en
Afghanistan est suffisante pour affirmer que le métier des opérateurs de système
de drones cumule l’ensemble des facteurs favorisant l’apparition de la fatigue
tels qu’ils sont décrits par les auteurs de l’article précédemment cité. En effet,
les missions dévolues au Harfang sont des missions longues et répétitives, de
jour comme de nuit et avec un nombre de personnels réduit à son minimum. De
plus, en l’absence de système de drones en France, la formation des nouveaux
opérateurs se fait directement sur le terrain. Enfin, les opérateurs, expérimentés
ou non, découvrent au fil des missions les capacités et des limites du Harfang.

(3) Vincent Ferrari, Cyril Camachon, Julien Donnot, Facteurs humains et formation des opérateurs
système de drones : étude exploratoire, Rapport produit à la demande et à destination du Bureau Plans
de l’état-major de l’armée de l’air, 2010, 50 p.
(4) John Caldwell, J.-Lyne Caldwell, Regina Schmidt, “Alertness management strategies for
operational contexts”, Sleep Medecine Reviews, 2008, 12, pp. 257-273.

201
Les auteurs précisent également que la fatigue altère une importante variété
d’habiletés motrices et de fonctions cognitives (tableau 1). La réduction chronique
de sommeil va exercer des effets cumulatifs négatifs sur les performances d’un
individu comme une diminution de la vigilance et des périodes d’attention (5),
un ralentissement cognitif, des déficits en mémoire de travail (6), ainsi que des
phases d’endormissement rapides et involontaires. Si le métier d’opérateur de
drones en OPEX est effectivement une activité particulièrement génératrice
de fatigue, il est probable alors que les résultats de notre étude montrent
concrètement l’altération de certaines des habiletés motrices et des fonctions
cognitives décrites dans le tableau 1.
tabLeau 1 : habiLetés et Fonctions aLtérées par La Fatigue (d’après
caLdweLL et aL., 2008)
Dégradation de la précision et la synchronisation.
Des performances plus faibles deviennent inconsciemment plus acceptables.
La division de l’attention devient difficile.
Des activités maîtrisées, même simples, exigent davantage d’effort.
La capacité d’intégrer efficacement des informations est perdue.
Les performances deviennent inconsistantes.
Les interactions sociales déclinent.
L’attitude et l’humeur se détériorent.
La capacité à raisonner est altérée.
La conscience de la situation décline.
L’attention décline.

comment évaLuer La fatigue des opérateurs en mission ?


Les objectifs de l’étude ont été de tester expérimentalement la pertinence
des choix organisationnels faits par le commandement de l’ED en analysant
l’activité veille/sommeil des opérateurs engagés en Afghanistan (approche
physiologique) et la charge de travail ressentie pour chacune des catégories
d’opérateurs de système de drones (approche cognitive).
Quatorze opérateurs de système de drones dont six opérateurs de vol
(ODV), quatre coordinateurs tactiques (CT) et quatre interprètes photos (IP)
ont participé à cette étude, conduite au cours de deux mandats successifs (de
décembre 2011 à février 2012).

(5) Siobhan Banks, David F. Dinges, Behavioral and physiological consequences of sleep
restriction. Journal of Clinical Sleep Medecine, 2007, 3, pp. 519-528.
(6) David F. Dinges, “Probing the limits of functional capability: the effects of sleep loss on short-
duration tasks”, in Broughton RJ, Ogilvie RD, editors, Sleep, arousal, and performance, Boston:
Birkhauser, 1992, pp. 177-188.

202
Pour rendre compte de l’activité veille/sommeil des opérateurs, ces derniers
ont porté des montres actimétriques avant, pendant et après les deux mandats.
De plus, chaque opérateur a évalué son état d’éveil en renseignant l’échelle
de Karolinska (KSS) qui mesure le niveau de somnolence par une échelle à
neuf niveaux (la valeur « 1 » correspond à un état d’éveil complet et « 9 » à
l’endormissement total). Notons ici qu’un score KSS ≥ 7 est classiquement
retenu comme seuil d’hypersomnolence. Cette mesure subjective vient compléter
les données actimétriques pour l’évaluation physiologique de la fatigue.
Pour l’évaluation la charge de travail ressentie, le questionnaire NASA Raw-
Task Load indeX a été proposé à tous les opérateurs après leur tour de service
au sein de la station sol. Le NASA-TLX explore six dimensions constitutives
de la charge de travail, à savoir : la pression temporelle, la pression physique, la
pression mentale, l’effort global, la frustration et la performance personnelle.
La moyenne des six échelles définit le score NASA Raw-TLX utilisé comme
index de la charge de travail (7).
Enfin, pour une prise en considération globale de l’activité effective des dif-
férents opérateurs et de l’organisation du travail posté, un questionnaire a été
élaboré pour permettre la description des caractéristiques des différentes mis-
sions dévolues au système de drones Harfang (nature et durée du vol, heure de
décollage, heure de prise de fonction de l’opérateur, temps passé à poste, etc.).
Quatre cent dix sept questionnaires répartis sur trente sept missions ont
été analysés au cours de cette étude. Les mesures objectives et subjectives faites
sur l’activité veille/sommeil et sur la charge de travail des opérateurs devraient
mettre à l’épreuve l’organisation du travail posté telle qu’elle a été élaborée par
l’escadron et fournir une évaluation précise de l’état physique des opérateurs
de drones déployés en Afghanistan. Au-delà de cette évaluation globale, un
intérêt tout particulier est porté ici sur des différences attendues entre les trois
catégories d’opérateurs (ODV, CT, IP). En effet, si des opérateurs cumulent
plusieurs tâches au sein de leur activité comme les ODV qui manipulent à la
fois le vecteur et la charge utile ou les CT qui coordonnent l’activité au sein
de la station sol tout en communiquant vers l’extérieur, alors ces opérateurs
devraient ressentir un état de fatigue plus important que les opérateurs « mono-
tâche » (e. g. IP).

résuLtats (8)
Au moins un opérateur en état d’hypersomnolence lors d’1 vol sur 3.

(7) Sarah Otmani, Thierry Peybayle, Joceline Roge, Alain Muzet, Effect of driving duration and
partial sleep deprivation on subsequent alertness and performance of car drivers. Physiology and
Behavior, 2005, 84, pp. 715-724.
(8) L’analyse du cahier d’ordre de l’escadron et des questionnaires montre que du 7 décembre 2011
au 16 février 2012, trente-sept missions ont été réalisées pour un total de soixante et onze jours de
présence sur le théâtre d’opérations. Le temps moyen de vol pour ces missions était de 7 heures et 40
minutes. Rapporté aux personnels présents en station cela représente, en moyenne, 27 heures de vol
par semaine avec 13,5 heures de vol par semaine pour un CT ou un IP et 9 heures de vol par semaine
pour un ODV.

203
L’analyse des scores de KSS montre que 71.5 % des questionnaires rapportent
un score de KSS strictement inférieur à 5, 23.7 % un score de KSS entre 5 et
6 et enfin 4.8 % un score de KSS supérieur ou égal à 7. Ainsi, il y a 4.8 % des
questionnaires qui mettent en évidence un score d’hypersomnolence. L’analyse
des questionnaires montre également que dans plus d’un vol sur trois au moins
un opérateur exprime un score d’hypersomnolence. Les résultats indiquent une
interaction significative (figure 1) entre le score KSS et la catégorie des opérateurs.

Inserer image 12

Figure 1. scores moyens au kss pour chaque catégorie d’opérateurs


Les ODV obtiennent un score KSS moyen significativement supérieur à
celui des CT et à celui des IP. Les ODV ressentent donc un état d’éveil moins
élevé que les autres opérateurs. Pour comprendre pourquoi lors d’une mission
sur trois au moins un opérateur est en état d’hypersomnolence, la partie suivante
présente l’analyse de l’activité veille/sommeil des opérateurs de drones déployés
en Afghanistan par le dépouillement des données actimétriques.

une dette de sommeiL s’accumuLant au FiL des missions


Les résultats (9) des mesures actimétriques montrent que des durées de
sommeil inférieures à 6 heures sont préexistantes au départ en mission. Les
journées avec un temps de sommeil inférieur à 6 heures sont extrêmement
fréquentes au cours de la mission, représentant 60 % des journées étudiées.
Précisément, l’analyse de l’actimétrie (figure 2) montre également que la dette
cumulée de sommeil moyenne dépasse les 6 heures après seulement 9 jours de
mission. En effet, pour certains sujets, la dette cumulée de sommeil atteint les
6 heures après seulement 5 jours de mission. Cette dette de sommeil accumulée
au cours du mandat n’est jamais comblée.

(9) Le traitement des données actimétriques (figure 2) a été effectué sur trois périodes distinctes :
i) les trois jours précédant le départ (noté : REF), ii) pendant les dix-neuf jours de présence en
Afghanistan (noté : AFG) et iii) pendant les cinq jours suivant le retour en France (noté : REC).

204
Avant Inserer image 13
Pendant Après
Jours

AFG01

AFG02

AFG03

AFG04

AFG05

AFG06

AFG07
AFG08

AFG09

AFG10

AFG11

AFG12

AFG13
AFG14

AFG15

AFG16

AFG17

AFG18

AFG19

AFG20

REC01

REC02

REC03

REC04

REC05
REF00
REF-4

REF-3

REF-2

REF-1
9
Dette de sommeil (en heure)

6
3
0
-3
-6
-9
-12

Transit
Transit

-15
-18
-21
-24

Figure 2. evoLution de La dette cumuLée de sommeiL. Les points


représentent L’ensembLe des données actimétriques des sujets et Les
barres Les vaLeurs moyennes.

L’activité des odv : entre performance et frustration


Une analyse globale des résultats aux questionnaires NASA-TLX (figure
3), c’est-à-dire sans distinguer les différentes dimensions entre elles, montre
une interaction significative entre la charge de travail ressentie et les différentes
catégories d’opérateurs.

40 Inserer image 14
Charge de travail ressentie

35
30
25
20
15
10
5
0
Catégories d'opérateurs
Figure 3. moyennes de La charge de travaiL gLobaLe ressentie pour
chaque catégorie d’opérateurs

La charge de travail globale ressentie par les ODV et les CT est


significativement supérieure à celle ressentie par les IP. Aucune différence
significative n’est observée entre la charge de travail ressentie par les ODV et
les CT. Dans le même sens, les analyses statistiques conduites sur chacune des

205
six dimensions qui composent le score du NASA-TLX (la figure 4 ne présentent
que les dimensions du NASA-TLX pour lesquelles les différences obtenues sont
significatives) montrent que les scores obtenus par les ODV et les CT concernant
« l’effort global » ressenti pour réaliser l’activité sont significativement plus élevés
que ceux des IP sur cette même dimension (ODV > IP et CT > IP). Ce pattern
de résultats est concordant avec l’hypothèse d’une charge de travail ressentie
comme plus forte par les opérateurs qui mettent en œuvre plusieurs activités lors
d’une mission drones comme piloter le vecteur et manœuvrer les charges utiles
pour les ODV ou coordonner le travail de l’équipage tout en communiquant
régulièrement avec le commandement des opérations pour les CT.

50 Inserer image 15 ODV CT IP


45
Charge de travail ressentie

40
35
30
25
20
15
10
5
0
Effort global Pression physique Performance Sentiment de
personnelle frustation
Dimensions du NASA-TLX
Figure 4. scores obtenus pour chacune des catégories d’opérateurs
seLon Les diFFérentes dimensions de La charge de travaiL ressentie

Aucune différence significative entre les trois catégories d’opérateurs n’est


observée pour les dimensions pression temporelle et pression mentale. Toutefois,
les résultats montrent que pour les trois autres dimensions évaluées par le NASA-
TLX, à savoir la pression physique, la performance personnelle et le sentiment
de frustration, les estimations faites par les ODV se distinguent significativement
de celles des autres opérateurs. En effet, les données recueillies montrent que
les évaluations faites par les ODV concernant la « pression physique » ressentie
pendant l’exécution de leur activité sont significativement plus élevées que
celles des CT et des IP. Dans le même sens, les ODV expriment un score de
« performance personnelle » ressentie significativement plus faible que les CT et
que les IP. Les évaluations obtenues concernant « le sentiment de frustration »
sont diamétralement opposées aux scores de « performance » ressentie. En effet,
les ODV présentent un score de frustration ressentie significativement supérieur
à celui obtenu pour les CT et pour les IP. Tout se passe comme si les ODV
se considéraient comme peu performants, ou en tous cas moins performants
que les autres opérateurs, et que ce sentiment engendrait une forte frustration
chez eux. Selon nous, une explication à cet ensemble de résultats concernant
les ODV peut être à trouver dans les « performances » du système de drones

206
Harfang. En effet, s’il est évident que dans les missions drones l’activité des
ODV est centrale, voire cruciale, elle est directement dépendante des capacités
techniques du Harfang comme la qualité de l’optronique, obsolète depuis
plusieurs années, ou l’ergonomie des IHM dont on sait qu’elle est médiocre (10).
Il est alors aisé de comprendre pourquoi travailler avec de tels outils peut
engendrer insatisfaction et frustration.
Considérés ensembles, les résultats obtenus sur la fatigue des opérateurs
de systèmes de drones en OPEX montrent clairement que les opérateurs sont
particulièrement exposés à la fatigue. Ce premier résultat constitue déjà en
soi un pseudo paradoxe. En effet, par définition un système de drones est
un système très automatisé, piloté à distance par un opérateur soustrait aux
contraintes du terrain et aux exigences aéronautiques du vecteur. Dans l’esprit
de tout à chacun, ces conditions de travail peuvent être considérées comme
« confortables » et ce d’autant que le drone Harfang est un vecteur aérien aux
performances de vol très modestes donc « facile » à piloter. Ainsi pourquoi
consacrer une étude sur la fatigue des opérateurs de drones ? Parce qu’un système
de drones doit assurer une persistance sur zone ce qui implique de facto une
persistance humaine. Ce concept opérationnel est unique et si, techniquement,
les solutions existent, dans le domaine des facteurs humains tout reste à
découvrir. Concrètement, la persistance humaine suppose, en premier lieu,
un travail posté organisé autour des ressources humaines de l’escadron. Les
recommandations qui suivent partiront du postulat selon lequel l’ED dispose
des ressources humaines suffisantes pour assurer sur du court/moyen terme
cette « persistance humaine ».
Concernant l’évaluation physiologique de la fatigue, les données obtenues
grâce au KSS montrent que dans plus d’une mission sur trois, au moins un
opérateur ressent un endormissement involontaire et incontrôlé. De plus, l’analyse
de l’actimétrie met en évidence les mauvaises conditions de vie des opérateurs
en OPEX qui entraînent des dettes de sommeil dont les conséquences seront
exacerbées dans le cas de missions longues.
Ainsi, en considérant les résultats combinés du KSS et de l’actimétrie, nous
proposons que le travail posté des ODV n’excède pas deux heures consécutives
sous peine de voir émerger une hypersomnolence accrue pour cette catégorie
d’opérateur. En revanche, pour les CT et les IP le temps à poste peut être
étendu jusqu’à trois heures consécutives en fonction des besoins opérationnels.
Par ailleurs, dès que l’ED aura à sa disposition un simulateur « drones », les
personnels pourront tester individuellement et en équipage, leur résistance à la
fatigue tout en exerçant leur activité. Ces différents tests pourront s’effectuer
dans un cadre expérimental permettant l’obtention de données quantitatives sur
l’état de fatigue réel des opérateurs et sur les stratégies qu’ils ont développées
pour optimiser leur temps de sommeil et de repos. Les résultats de ces tests
sur simulateur permettront alors d’élaborer une organisation du travail posté
optimisée pour les missions drones.

(10) Voir sur ce sujet l’article de Solange Duvillard, Julien Donnot, et Pierre-Yves Gilles dans ce
même ouvrage.

207
Les résultats des questionnaires et de l’actimétrie soulignent l’importance
du sommeil en opération avant ou après les missions. Il n’est pas concevable de
cumuler une dette de repos aussi importante sur une durée aussi longue. Cette
dette chronique va exercer des effets cumulatifs négatifs qui ne permettront
pas aux opérateurs d’assurer les missions de persistance sur zone dans la durée
avec le même niveau d’exigence. Dans le cas du déploiement du Harfang en
Afghanistan, il manque un lieu facile d’accès afin que les opérateurs puissent avoir
des phases de récupérations rapides et efficaces. Nous conseillons le déploiement
d’un module complémentaire, isolé phoniquement et thermiquement, adjacent
à celui de la station sol où les opérateurs pourront se reposer.
Au-delà de ces recommandations spécifiques, une recommandation simple
et efficace pour gérer la fatigue physiologique consiste à fournir aux personnels
en OPEX, et pas uniquement aux opérateurs de drones, le manuel de référence
« Fatigue managment » de Caldwell et Caldwell (2008) (11) qui présente une liste
complète des stratégies pour lutter contre la fatigue (12).
Concernant la charge de travail, le résultat majeur de l’analyse des
questionnaires montre que les ODV et les CT ont le sentiment d’une charge
de travail plus importante que les IP. Les CT sont les garants de l’efficacité des
interactions entre les ODV et les IP pour le recueil du renseignement, ils doivent
également transmettre et commenter le renseignement pour le commandement
des opérations. Les ODV doivent quant à eux, et c’est une particularité des
drones MALE français, piloter le vecteur tout en manipulant l’optronique. La
raison de cette double activité réside dans l’idée qu’en coordonnant de manière
quasi-simultanée le vecteur et l’optronique, l’ODV pourra recueillir les meilleures
images possibles. SI les CT semblent assez bien gérer cette double tâche, les
ODV se sentent moins performants et ressentent de la frustration. Comme
précédemment évoqué, l’efficience des ODV est directement dépendante des
performances techniques du système de drones en général et de l’optronique
en particulier. Compte tenu du concept d’emploi des drones (persistance et
profondeur sur zone) et de l’obsolescence du Harfang (celle du vecteur et de
l’optronique), recueillir du renseignement dans ces conditions s’avère être une
activité d’une efficacité toute relative et très coûteuse en ressources cognitives.
Puisque l’ODV est un élément déterminant pour le recueil du renseignement
et de la sécurité des vols lors des missions drones, il semble primordial de
revoir la répartition de ses activités (entre le vecteur et les charges utiles), la
qualité de la chaîne image (de l’optronique embarquée sur le vecteur jusqu’à
sa représentation sur les écrans de la station sol) et l’ergonomie de son poste de
travail. Ces dernières recommandations ne concernent pas vraiment le drone
Harfang, dans la mesure où leur intégration sur ce système n’est pas réalisable,
ni techniquement ni financièrement, mais plutôt le système de drones qui lui
succèdera.

(11) John Caldwell, J.-Lyne Caldwell, Fatigue Managment, Air Force, Quick series (2008).
(12) Ce manuel est disponible sous un format smartphone pour moins de 5 euros (donc facilement
transportable en OPEX).

208
Enfin, pour alléger la charge de travail des opérateurs en OPEX, il ne faut
plus former les nouveaux personnels de l’ED directement sur le théâtre des
opérations comme tel est le cas en Afghanistan. La formation est une phase
d’apprentissage de connaissances et de compétences délicate et très couteuse
en ressources qui ne doit pas être mise en œuvre dans un environnement aussi
contraignant que celui d’une opération extérieure. La formation réalisée sur les
théâtres d’opérations ne fait qu’ajouter une charge de travail supplémentaire
à l’ensemble des opérateurs. Il faut donc fournir à l’ED des effectifs et des
moyens matériels (un simulateur et/ou d’un système de drones) dédiés à la
formation en France.
Pour conclure, les résultats et les recommandations exposés dans le présent
chapitre ont pour vertu d’alerter, de démontrer ou de rappeler (selon qui lira ces
quelques lignes) que les opérateurs de système de drones sont particulièrement
exposés à la fatigue. Toutefois il ne faudrait pas considérer uniquement les
recommandations présentées ci-dessus comme une réponse conjoncturelle aux
problématiques actuelles de l’ED. En effet, si les résultats concernant les ODV et
les CT soulignent à quel point ils sont exposés aux signes précurseurs de la fatigue
alors qu’ils sont expérimentés et qu’ils connaissent bien le système Harfang,
qu’en sera-t-il avec le futur système de drones de l’armée de l’air française ?
Ce futur système sera plus endurant, plus rapide que le drone Harfang. Peut-
être sera-t-il armé, piloté depuis la France, placé au centre d’une organisation
réseau centrée ? Dans tous ces cas de figures, les recommandations présentées
ici, qui semblent marginales dans le cas du système de drones actuel, seront
demain centrales.

209
210
DEUXIÈME PARTIE

LES SYSTÈMES
DE DRONES :
DE L’EMPLOI AUX EFFETS

211
212
Les améliorations technologiques d’un système d’armes existant entraînent
une adaptation des manières de faire, une redéfinition des possibles et des
évolutions d’emploi. Ce fut par exemple le cas avec la succession des différentes
générations d’aéronefs. Dans le cas des systèmes opérés à distance, c’est-à-dire
les drones, nous sommes en revanche en train d’assister, à des étapes diverses
selon les pays concernés, au renforcement de l’emploi d’un nouvel outil dont
on ne peut encore que difficilement mesurer et évaluer l’ensemble du répertoire
d’action. Ceci pour deux raisons. D’une part, leur mise en œuvre, en particulier
par la France, demeure somme toute assez récente à l’échelle de l’histoire
militaire. D’autre part, le recours aux systèmes de drones s’est jusqu’à présent
limité à un registre opérationnel assez circonscrit. Finalement réduit à des
conflits dits de basse ou moyenne intensité, le contexte de leur utilisation se
caractérise encore aujourd’hui par une situation de supériorité aérienne pour
les forces armées qui les déploient. Toutefois, même si l’emploi des drones est
encore récent et n’est pas encore totalement pensé ou pensable, son histoire et
les expériences permettent déjà de fournir un tableau concret, de ce qu’ils sont
en mesure d’offrir tant aux forces armées qu’aux décideurs.
Consacré à l’emploi en opérations des systèmes de drones français, le
premier chapitre de cette partie est à la fois marqué par le souffle qui anime
les différentes contributions et la qualité des analyses produites par des acteurs
de premier plan. En effet, après un retour sur les « débuts » de l’aventure des
systèmes de drones dans « l’épopée » aéronautique française par le premier
commandant de l’escadron de drones, qui était alors l’escadron 1/330 Adour,
ses successeurs à la tête de cette unité devenue dans le courant de l’été 2010 le
1/33 Belfort, nous permettent de lever la poussière des champs de bataille sur
lesquels ont été déployés les Harfang de l’armée de l’air. De l’Afghanistan à la
Libye, nous assistons aux questionnements liés à la mise en œuvre d’un système
qui – rappelons-le – était encore intérimaire lors de son premier déploiement
sur un théâtre début 2009. La dernière contribution de ce chapitre rentre encore
plus dans le détail de l’art opératif, décrivant l’apport respectif des différents
capteurs et la manière de les employer au profit des forces. D’expérimentations
en expériences, on voit se construire un savoir-faire et une expertise « à l’épreuve
du combat ». Certaines solutions sont validées, de nouveaux problèmes se font
jour… Mais, toujours, comme certains développements ou phrases le soulignent,
c’est la présence des personnels au cœur de ce système d’armes qui permettent
de relever ces défis. Le style, alors, n’est pas sans faire penser aux belles pages
des récits des grandes figures de l’aéronautique militaire.
Mais, le tableau ne serait pas complet, voire il serait injuste, si on ne
faisait pas mention dans cette partie de tout un spectre d’emploi des drones
moins connu du grand public. Tout aussi important que pour les opérations
extérieures, les drones apportent une contribution essentielle sur le territoire
national, notamment dans le cadre de missions d’aides aux populations, à
travers le dispositif permanent de sûreté aérienne, ou plus largement à des fins de
sécurité publique. À nouveau, sur la base du récit, on mesure plus directement
l’intérêt des drones lors de grandes manifestations et le nombre des acteurs

213
impliqués induisant de nouvelles coordinations. Une fois encore, à travers ces
lignes, on évalue tout le potentiel non exploité de ces outils et les nouvelles
synergies qu’ils suscitent ou pourraient susciter. La question de l’emploi des
drones croît encore dès lors qu’on intègre la sphère privée, au point d’y voir un
nouveau marché économique porteur, voire un « Eldorado ». À chaque fois, la
distance prise par les rédacteurs permet des analyses qui offrent aux lecteurs des
pistes de réflexion quant à ces emplois non encore pensés. Mais, déjà, certains
développements pourront éveiller des doutes, non quant à la réalisation de ces
missions, mais à leurs conséquences induites.
C’est justement à certaines de ces questions auxquelles tentent de répondre
les contributions du chapitre 6. En effet, alors que certains problèmes techniques
ont été évoqués dans la première partie, les contributions ici réunies fournissent
des nombre d’avis argumentés à des interrogations relevant du droit, de la
morale et de l’éthique. Elles sont nombreuses. En effet, l’utilisation d’un système
d’armes n’est pas neutre et porte en lui des manières de faire, de comprendre et
de concevoir l’environnement dans lequel il est opéré. Quel est le statut juridique
de ces aéronefs dits inhabités ? S’insèrent-ils dans les typologies préexistantes
ou sont-ils quelque chose de totalement nouveau ? Représentent-ils un vide
juridique ? Mais au-delà des conventions internationales relatives aux aéronefs,
leur emploi est-il conforme au droit des conflits armés ? L’approche normative
et les questionnements liés peuvent alors s’étendre aux domaines de la morale
et de l’éthique. Comme on peut le lire, certains doutent de l’adéquation des
drones à ces contraintes, tandis que d’autres supportent le principe d’un
« devoir » pour les forces armées à opérer ces systèmes.
Évidemment, cette partie riche en enseignements n’est qu’une ouverture. Les
emplois futurs ne sont pas encore tous identifiés, les cadres d’emploi évoluent,
les interrogations relatives aux normes n’en sont encore qu’à leurs prémices.
Cependant, ces développements fournissent d’ores et déjà les premiers fruits
des expériences et réflexions sur ces systèmes d’armes dont l’emploi est de plus
en plus intensif.

214
CHAPITRE 4

LES DRONES AU CŒUR


DES OPÉRATIONS
EXTÉRIEURES

215
216
Histoire de l’emploi des drones
(1917-1991)
Capitaine Océane Zubeldia

« L’exploitation de la dimension aérienne à des fins de surveillance militaire


date de la Révolution française, avec l’utilisation de montgolfières captives
pour observer un champ de bataille. La Première Guerre mondiale vit la
première utilisation en grand de l’espace aérien comme arme d’observation
et de reconnaissance, et au fil des mois et des années, comme dimension du
combat (…) » (13) Le début du XXe siècle est marqué par l’élévation du champ de
bataille ce qui se traduit par d’importantes innovations, telles que la création de
nouveaux engins motorisés inhabités. Les avions sans pilote naissent dans une
époque d’inventivité féconde et profitent de cette dynamique. Ils ne remportent
pas pour autant un franc succès auprès des autorités militaires et politiques. Plus
de cinquante années seront ainsi nécessaires à l’exploitation opérationnelle de
ces engins. La disparition de l’affrontement bipolaire, puis la première guerre
du Golfe laissent apparaître à l’échelle internationale une nouvelle perception
de la guerre. Dans ce contexte — l’avènement du renseignement aérospatial
et l’intégration dans les systèmes décisionnels de nouvelles technologies de
l’information — les drones ont progressivement pris place. L’histoire de l’emploi
des drones de 1917 à 1991 se caractérise par un long cheminement où chaque
étape a contribué à façonner un outil dont personne aujourd’hui ne conteste
l’utilité opérationnelle.

des origines à La reconnaissance (1917-1960)


Aux États-Unis et en Europe la Première Guerre mondiale marque le
commencement des expérimentations des machines aériennes inhabitées.
Différentes formes d’appareils peuvent être identifiées : dérivées à la fois de
cibles aériennes, de modèles réduits d’avion, mais aussi de réels avions. Dès 1917,
les sociétés Sopwith, De Havilland et la Royal Aircraft Factory organisent des
vols à partir de modèles réduits d’avions (14). La marine de guerre américaine,
l’US Navy, conduit la construction d’un projet de torpille volante, nommée
Kettering Bug, à partir des travaux des ingénieurs américains Elmer Sperry
et de Charles Kettering. La France est le premier pays à utiliser un appareil
aérien inhabité en ayant pour socle technique un réel avion. À l’été 1917, sous
la direction du capitaine Max Boucher, est entrepris à Étampes un vol d’avion

(13) Laurent Murawiec, La Guerre au XXIe siècle, Paris, Odile Jacob, 2000, 297 p., p. 86.
(14) John W.R. Taylor, Kenneth Munson, Jane’s pocket book of RPVs: robot aircraft today, Londres,
Macdonald and Jane’s, 1977, 239 p., p. 10.

217
sans pilote à partir du Voisin VIII. Ces essais suscitent l’intérêt du président
du Conseil français Georges Clemenceau et celle du sous-secrétaire d’État à
l’Aéronautique, Laurent-Eynac. L’aventure française de l’avion sans pilote
s’interrompt toutefois en 1924, faute d’intérêt durable.
La recherche liée au développement d’appareils contrôlés à distance se
poursuit néanmoins durant les années 1930 en Grande-Bretagne et aux États-
Unis. Une des pratiques les plus répandues est le recours aux avions « périmés »
comme cibles télécommandées des tirs de défense contre avions (DCA). La
marine de guerre britannique s’attache à développer ce type de mission, car
elle redoute l’apparition d’appareils à hautes performances, en termes de lutte
antiaérienne, qui pourraient être dirigés contre ses navires. Des expérimentations
sont effectuées avec le « Fairey Queen » construit à partir d’un biplan Havilland.
Le Royaume-Uni s’affirme ainsi comme un pays phare dans la conception des
engins volants inhabités. Son ambition est de défendre le pays et parallèlement
en préservant sa flotte. De manière quantitative, entre 1934 et 1943, plus de
420 DH 82B Queen Bee target drone sont ainsi élaborés sur la base du biplan
Tiger Moth au profit de la Royal Navy.
Les États-Unis portent un intérêt tout aussi grand aux drones. De nombreux
exercices sont conduits. Une des premières campagnes est celle réalisée par
l’Army Air Force américaine dans le Pacifique Sud à l’été 1944, la campagne
de Salomon. Des « drones d’assaut » équipés de bombes sont déployés, mais
ne remplissent pas réellement les missions demandées. En effet, le manque de
fiabilité de leurs systèmes de guidage ne permet pas de d’atteindre avec succès
les objectifs souhaités. Il faut attendre l’année 1946 pour voir une utilisation
concluante de ces appareils, notamment la retransmission des premières
expériences atomiques dans les îles Bikini.
Plus d’une trentaine d’années après la fin des essais de 1924, la France
décide de s’intéresser à nouveau aux drones. En 1955, l’armée de l’air conclut
trois marchés avec les firmes Sfena et Turck pour l’acquisition de pilotes
automatiques, d’appareillages de télécommande et de télémesure. L’objectif
est alors de reconfigurer ses avions en « fin de vie » pour créer des engins-
cibles. Les avions utilisés sont des Vampire 1. Ils ne sont pas immédiatement
considérés comme des vecteurs d’observation et tiennent lieu avant tout de
cibles, avec l’avantage d’être radioguidés. En effet, les « essais des engins air/
air n’étant qu’à leurs premiers pas en France, il s’avère rapidement nécessaire de
déterminer avec précision la trajectoire du missile au voisinage de la cible, dans
le but d’étudier les résultats de guidage de l’engin et de mesurer la distance de
passage afin de contrôler le fonctionnement de la fusée de proximité dont il est
équipé. Le CEV entreprend donc une nouvelle série d’études ayant pour objet la
mise au point d’emport de caméras » (15). Tous les essais ne sont pas couronnés
de succès : d’un côté l’enseignement opérationnel est quasi inexistant, de
l’autre, ces appareils demeurent très rustiques. Les campagnes d’essai génèrent

(15) Claude Petit et Patrick-Xavier Henry, « Les entrepôts de l’armée de l’air, le C. E. V. et les cibles
téléguidées », Revue Trait d’Union, 1980, p. 115.

218
de ce fait de multiples incidents tenant à des erreurs de pilotage ou encore de
brouillage de la télécommande (16).
On en est encore au simple domaine expérimental. Pourtant, peu à peu, les
drones commencent à séduire les autorités politiques et militaires.

Les premiers dépLoiements : une réaction à La conjoncture née


de La guerre froide

La révolution électronique en 1960 introduit une toute nouvelle dimension


dans le champ de bataille et favorise le recours aux drones. Les forces prennent
conscience de la plus-value que peuvent apporter ces derniers sur des théâtres
d’opérations, notamment dans le cadre de la reconnaissance aérienne tactique.
L’acquisition du renseignement dans un contexte particulièrement complexe
s’avère difficile et risquée. Les drones apparaissent alors comme un moyen tout
à fait adapté pour remplir cette fonction. À partir des années 1960, la nécessité
d’employer ce type d’engin pour les missions de reconnaissance s’impose. Les
Américains vont à cet égard largement y recourir. Ainsi, en mai 1960, les États-
Unis subissent la perte d’un avion U-2 de reconnaissance à haute altitude et,
surtout, la capture du pilote Francis Gary Powers. À Sverdlovsk, l’U-2 est
atteint par une salve de 14 missiles sol-air SA-2. Ces missiles en explosant de
manière simultanée, provoquent par une onde de choc l’endommagement des
stabilisateurs horizontaux de l’avion. L’opinion publique bouleversée s’indigne
et fait pression auprès des autorités politiques américaines. Cet événement
persuade les États-Unis de lancer un plan de développement rapide d’avions
sans pilote, notamment avec le programme nommé Red Wagon ; un drone à
long rayon d’action. De même, la crise des missiles à Cuba à l’automne 1962,
renforce la nécessité de développer des engins aériens inhabités. Le recours aux
drones dans les missions de reconnaissance se trouve, par voie de conséquence,
justifié et représente une réelle avancée en la matière. Le conflit du Viêt-nam
va élargir le champ des possibles : il conforte le besoin des drones dans le
domaine de l’acquisition de l’information, mais ouvre également de nouvelles
perspectives dans le cadre de la guerre psychologique. Leur mission première
est le renseignement, mais ils vont être aussi utilisés pour lancer des tracts. Les
drones vont être engagés dans des missions de manière récurrente. En 1964 ils
sont utilisés pour survoler les ciels chinois et vietnamien. Différents types de
drones conçus à partir du modèle 147 Firebee sont ainsi utilisés. Ces appareils
gagnent principalement leur première lettre de noblesse pendant le conflit
vietnamien (1964-1975) et réalisent plus de 3 435 missions de reconnaissance
opérationnelle. Ils localisent ainsi avec succès les rampes de lancement des missiles
sol-air soviétiques, mais souffrent d’une certaine vulnérabilité. Ces engins vont
subir des tirs chinois et leurs carcasses servent d’outils psychologiques (17). Des

(16) Décision relative à la « Clôture de l’instruction relative à un accident ou un incident aérien »,


ministère des Armées, état-major de l’armée de l’air, no 1 605, Paris, 19 août 1960, Service historique
de la Défense, Département Air.
(17) Bill Holder, Unmanned Air Vehicles, an illustrated study of UAVs, Chine, Schiffer Military
History book, 2001, 72 p., p. 15.

219
photographies de drones délabrés et gisants sous les pieds d’opposants chinois
armés de fusils sont diffusées. L’expérience américaine est malgré tout un réel
succès. Se démarquant par une exploitation opérationnelle des drones, les États-
Unis engagent de plus des réflexions très novatrices dans ce domaine. Dès la fin
de la guerre du Viêt Nam, ils pensent à équiper les drones d’armement, faisant
ainsi des appareils de reconnaissance armés. La doctrine d’emploi américaine
préconise des drones polyvalents capables d’effectuer conjointement plusieurs
missions : la reconnaissance, la désignation et l’attaque d’une même cible par les
engins de destruction emportés par le drone (18). Le conflit du Viêt-nam soulève
des questions d’éthique et de responsabilité. En effet, cela concerne doublement
la personne chargée du pilotage du drone et de l’autorité responsable pour le
déployer. Le retour d’expérience n’est alors pas encore suffisant évolué pour
répondre à de telles interrogations. Si, les États-Unis s’intéressent de près aux
engins aériens inhabités, d’autres pays s’engagent pareillement dans cette voie.
L’Union soviétique et le Japon comprennent rapidement le potentiel des
avions sans pilote (19). En Union-Soviétique, les appareils sont élaborés à
partir d’anciennes machines, l’engins-cible Lavochkin La-17 qui deviendra le
TBR-1 (Takticheskiy Bespilotny Razvedchik). À partir de 1962, ils sont utilisés
au profit de l’armée de l’air soviétique. Quatre escadrons sont créés : Ukraine
(2), Biélorussie (1) et la Lettonie (1). Durant cette même période les relations
diplomatiques entre l’URSS et les États-Unis sont tendues. Le vol du pilote
Powers, au-dessus de leur territoire, irrite les autorités soviétiques et a pour
conséquence d’accélérer l’essor de nouveaux programmes d’engins inhabités.
Le drone à long rayon d’action, le DBR-1 (Dalniy Bespilotniy Razvedchik) est
produit.
Le Japon s’intéresse quant à lui aux engins-cibles en raison d’un contexte
diplomatique particulier. En effet, la guerre du Viêt-nam lui fait craindre une
attaque par la République populaire de Chine. Les forces militaires japonaises
se trouvent dans une situation de vulnérabilité qui est de surcroît renforcée par
les stipulations de l’accord signé lors de la capitulation le 2 septembre 1945.
Cet accord le contraint à renoncer à son autonomie de défense. Les États-
Unis deviennent l’interlocuteur privilégié. La signature du traité de paix de
San Francisco (8 septembre 1951) vient atténuer ce régime restrictif donnant
droit au Japon d’acquérir une structure dédiée uniquement à la défense de son
territoire. Les forces japonaises d’autodéfense sont créées sous l’appellation
Ground Self-Defense Force. Les engins-cibles représentent alors une option
séduisante de prévention et de défense tout en permettant de coopérer avec
l’industrie américaine. Le Japon poursuit alors le double objectif de recourir
à ce type d’engins au profit de la marine japonaise et apporter une plus
grande compétence défensive à leur navire de guerre. La société américaine
Teledyne Ryan Aeronautical Company propose aux autorités japonaises un

(18) Note d’information « Les RPV (Remotely Piloted Vehicles) ou avions sans pilote téléguidés aux
Etats-Unis », Premier ministre, Secrétariat général de la Défense nationale, Division du renseignement,
Paris, 14 janvier 1974, Centre des archives de l’armement et du personnel de Châtellerault.
(19) Yefim Gordon, traduit par Dimitry Komissarov, Soviet/Russian Unmanned Aerial Vehicles,
Royaume-Uni, Midland, 2005, 128 p.

220
contrat pour la réalisation du Modèle 124 Firebee Q-2C. Les essais effectués
donnent d’excellents résultats. Dès lors, les entreprises japonaises se montrent
dynamiques dans cette voie. A titre d’exemple, la société Maizuri Heavy
Industries du chantier naval de Kyoto devient l’interlocuteur privilégié en 1967
pour la construction du bateau d’entraînement auxiliaire Azuma ; destiné au
décollage et à la récupération de drones. Cette expérience, durant la période
de guerre froide, marque par conséquent une importante association entre le
Japon et les États-Unis.
La position française dans le domaine des appareils aériens inhabités est
restée plus ou moins réservée. La France n’est pas déterminée à consacrer une
partie de son budget de défense nationale dans des études qu’elle considère
comme incertaines. La finalité d’emploi des drones suscite de nombreuses
controverses. C’est l’armée de terre qui va se montrer la plus volontaire en
menant de nombreux essais. Elle réalise ainsi plusieurs campagnes de vols avec
des engins-cibles. Ces machines sont conçues dès le début pour l’acquisition du
renseignement. La société française Nord-Aviation est chargée de développer
un programme. L’engin de reconnaissance R20, dérivé de l’engin-cible
subsonique CT20 est proposé ; durant les années 1960 à 1970, le R20 fait l’objet
de nombreuses campagnes (20). L’objectif de l’armée de terre est de posséder
un appareil capable de recueillir des renseignements photos dans un délai
court, dans la profondeur du champ de bataille (200 kilomètres). Toutefois,
les vols de R20 sont peu satisfaisants en raison d’une fiabilité insuffisante du
système de télécommande. Tant est si bien qu’en 1976, l’armée de terre renonce
au programme. Les autorités politiques françaises entreprennent alors des
pourparlers avec leurs homologues étrangers dans les programmes de drones
de reconnaissance. La France se montre favorable à l’acquisition d’un système
canadien, notamment le CL-227. Finalement, une collaboration est entreprise
entre les Canadiens, Français et Allemands sur le développement d’un appareil
plus sophistiqué le CL-289. Pour satisfaire le besoin d’observation au-delà de
la première ligne de crête les autorités militaires prennent conscience que cette
mission est difficilement envisageable pour des vecteurs pilotés, en raison de
leur coût et de leur vulnérabilité. Le drone apparaît, par conséquent, comme
un des systèmes pouvant satisfaire le besoin de l’artillerie. Ainsi, l’armée de
terre fait le choix, en complément du CL-289, d’acquérir l’Aérodyne léger
télépiloté (ALT), programme nommé Brevel. L’état-major de l’armée de terre
reconnaît la nécessité de détenir les deux capacités à savoir la reconnaissance
dans la profondeur avec le CL-289, et de bénéficier de « l’œil de l’artillerie »,
c’est-à-dire en étant au plus près de la ligne de contact. La marine nationale
manifeste également un intérêt certain pour les engins-cibles ayant la capacité
d’être déployés à partir de bâtiment de surface, pour l’entraînement des unités
à la mer. Par ailleurs, la France s’engage dans d’autres programmes comme le
projet Scorpion relatif à la reconnaissance, à la localisation et à l’identification
d’objectif à partir de drones. Il s’agit alors de développer un véhicule aérien

(20) Campagne R20 mai 1965, Centre des archives de l’armement et du personnel de Châtellerault
; campagne R20 mai-juin 1966, Centre des archives de l’armement et du personnel de Châtellerault ;
campagne R20 au Larzac octobre 1966 ; campagne R20 au Larzac en octobre 1967.

221
de reconnaissance équipé d’une caméra de télévision avec transmission au sol
des images.

Les confLits israéLo-arabes : un nouveau type d’engagement


Au Proche-Orient, l’instabilité des relations avec les pays voisins et les faibles
distances séparant les adversaires confèrent au renseignement en temps réel une
importance capitale. Israël va peu à peu s’imposer dans la région comme un
véritable pionnier dans le domaine des drones. Les recherches menées visent à
développer des engins permettant d’obtenir la surveillance permanente et en
temps réel. Ces appareils inhabités acquièrent très rapidement une légitimité
opérationnelle au même titre que les vecteurs classiques habités. Lors de la
guerre des six jours en 1967, les forces israéliennes sollicitent ainsi l’acquisition
de drones. Le gouvernement israélien décide en 1971 de se doter de Firebee de
la firme américaine Teledyne Ryan Aeronautical Company. Ils sont déployés
pendant la guerre du Kippour en 1973. Les forces israéliennes utilisent les drones
pour saturer les défenses anti-aériennes égyptiennes le long du canal de Suez.
Forte de ces succès en matière d’appareils inhabités, les firmes israéliennes sont
sollicitées pour développer de nouveaux programmes. Ainsi, en 1975 le Malat
Mastiff, puis le Scout d’Israel Aircraft Industries (IAI) surveillent les frontières
syriennes et fournissent des informations essentielles sur les sites radar, les
missiles, les bases de l’aviation tout en captant les signatures électroniques. La
mise à jour permanente de ces renseignements permet à Tsahal de préparer
une attaque surprise dont le succès sera fulgurant. En effet, lors de l’invasion
du Liban par les forces israéliennes dans la plaine de la Bekaa en 1982, dite
opération « Paix pour la Galilée », les renseignements précédemment recueillis
sont facteurs de victoire. Au début du conflit les drones utilisés servent de leurres
pour faire croire à une attaque aérienne. L’objectif est de simuler la signature
radar d’avions d’attaque, mais aussi de tromper les forces syriennes en leur
faisant utiliser les radars d’acquisition et de poursuite de missiles antiaériens.
Suite à cette première action tout un dispositif est mis en œuvre. Des avions
d’écoute électronique analysent les émissions électromagnétiques, puis, dans
un second temps, les systèmes syriens font l’objet de brouillage électronique
et d’attaques par des missiles antiradiation. L’ensemble de ce dispositif était
contrôlé à distance par des drones d’observation. Seules dix minutes ont suffi
pour neutraliser dix-sept des dix-neuf sites SA-6 de la plaine de la Bekaa.
L’industrie israélienne devient progressivement l’acteur incontournable dans
le développement des drones. Elle a la volonté d’asseoir une position de chef
de file en adoptant une politique industrielle active dans le développement des
drones à la fois pour ses propres besoins et pour la vente à l’international d’une
grande diversité de produits. A titre d’exemple, les Marines américains achètent
soixante-douze Pioneer en 1985, la Suisse commande vingt-huit Ranger en
1995, la même année la France acquiert un Hunter, de même que la Belgique
en 1998. Consécutivement la chute du mur de Berlin et la guerre du Golfe vont
précipiter à l’échelle mondiale les commandes de drones.

222
Au conflit permanent est venue s’ajouter dans les années 1990 l’« ère des
kamikazes » qui modifie profondément les enjeux de la défense israélienne.
Les violences n’ont de cesse de gagner en intensité exposant davantage la
population civile qui devient de plus en plus directement la cible. En réaction,
le gouvernement israélien décide de construire une barrière dite de sécurité,
pour prévenir une menace qui s’est déplacée des frontières au cœur des villes.
Parallèlement, le recours aux drones s’intensifie. Ainsi, en raison d’un champ
d’application très varié, ils occupent une place de premier ordre au cœur
du dispositif israélien. Selon Pierre Razoux : « Pour mettre en œuvre cette
nouvelle manière de concevoir les opérations militaires, les Israéliens misent
sur l’informatique, la simulation et les technologies de communication les plus
modernes » (21). Dans cette perspective, à partir de la seconde moitié des années
1990 est créé un nouveau concept à savoir l’Israel Security Revolution (Révolution
dans la politique de sécurité d’Israël). Ce concept défend l’idée selon laquelle le
contrôle total du champ de bataille est essentiel afin de connaître les desseins de
son adversaire, et d’anticiper de ce fait ses actions. Son application opérationnelle
est fondée en partie sur la mise en réseau en temps réel du renseignement, et peut
aussi être rapprochée des préceptes de la Révolution dans les affaires militaires
(RAM). Doctrine défendue par les États-Unis dès les années 1990 et confortée
par la guerre du Golfe. Le théoricien français Laurent Murawiec pense que la
RAM consiste dans le fait que la nature du combat ne change pas. Toutefois,
le soldat évolue en étant électroniquement et informatiquement « compétent ».

La guerre du goLfe, socLe opérationneL et technoLogique


Au tout début des années 1990 apparaît le terme d’Unmanned Aerial
Vehicle (UAV véhicule aérien inhabité). Cette évolution terminologique s’avère
étroitement liée aux progrès technologiques, tels que les capacités de navigation
avec le GPS, les transmissions de données, et l’imagerie radar. À cela s’ajoute la
création de nouvelles doctrines, notamment la RAM, défendant une position
du « tout technologique » où toute action militaire ne peut être réalisée sans
intelligence artificielle. Selon Thierry Balzacq et Alain de Nève dans l’ouvrage
La Révolution dans les affaires militaires (22), elle a pour effet de modifier la
pensée stratégique et les doctrines d’emploi s’y rattachant. La guerre du Golfe
est emblématique de cette progression et de la reconfiguration de la dimension
opérationnelle. En effet, dès le début du conflit contre l’Irak de Saddam
Hussein la nécessité de « transformer » la guerre s’apparente aux exigences de la
surveillance du théâtre d’opérations. Une nouvelle temporalité et une maîtrise
totale de l’information sont recherchées. Dans cette perspective, les drones
représentent un atout majeur. De son côté, l’armée de terre française prend
rapidement conscience de l’absence de moyens pour connaître la position adverse
derrière la première ligne de crête. L’hélicoptère, dans le cadre de l’acquisition

(21) Pierre Razoux, Tsahal, Nouvelle histoire de l’armée israélienne, Saint-Amand-Montrond,


Perrin, 2006, 618 p., p. 437.
(22) Thierry Balzacq, Alain de Neve, La Révolution dans les affaires militaires, Paris, Economica,
Institut de stratégie comparée, 2003, 215 p.

223
du renseignement en zone hostile, trop vulnérable, ne peut remplir ce type de
mission. Le détachement Horus (Hélicoptère d’Observation Radar en Utilisation
Spéciale) employé pour soutenir les forces terrestres a montré l’insuffisance de
son action en matière de renseignement sur ce théâtre d’opérations. Une section
de drones est dépêchée sur place pour soutenir le détachement de l’armée de
terre française sous contrôle de la division Daguet. Il s’agit des MART (Mini
avion de reconnaissance télépiloté), appelés aussi ALT (avion léger télépiloté).
Cet appareil est créé et développé par la Section technique de l’armée de terre
(STAT) en collaboration avec la société Alpilles/ Altec. Au cours du conflit,
de nombreux appareils sont détériorés ou perdus suite à des tirs ennemis, mais
aussi en raison de difficultés techniques.
Malgré cela, les drones français réalisent avec succès les missions de
reconnaissance imparties et mettent en avant les potentialités qu’ils peuvent
offrir : l’acquisition du renseignement ennemi, le guidage de tirs de l’artillerie
française, la destruction et la prise de position irakienne. Pour les États-Unis,
la guerre du Golfe constitue un réel point de départ pour une utilisation
systématique des engins inhabités. En effet, à l’avenir les militaires américains
n’engageront plus jamais leurs forces sans un recours systématique aux drones.
En février 1991, ils utilisent le drone Pioneer, développé en collaboration avec
Israël. Ces appareils sont employés dans le cadre de missions de reconnaissance,
de repérage de cibles, comme « leurres », et finalement pour évaluer les effets
des attaques (ce que les militaires appellent BDA, Battle Damage Assessment,
évaluation des dommages de bataille). Lancés depuis le navire USS Wisconsin, les
drones servent également d’outils psychologiques en volant à basse altitude et ont
pour effet de ralentir l’action des troupes irakiennes. Ces dernières interprètent
le bruit de l’appareil comme s’il s’agissait de la survenance imminente d’un
tir d’artillerie de marine. Les Pioneer effectuent, durant la guerre du Golfe,
plus de 522 missions et totalisent 1 700 heures de vol. Parallèlement l’armée de
terre américaine acquiert en plus des Pioneer, des drones israéliens Hunter et
des appareils inhabités de petite taille, les Exdrone qui réalisent des missions
de reconnaissance d’itinéraires. Les troupes britanniques et allemandes ont
aussi recours aux drones. Ce conflit marque incontestablement la naissance
de l’utilisation opérationnelle et les fondements technologiques des futurs
systèmes aériens inhabités. Les drones sont utilisés de manière peu importante,
cependant le conflit a pour conséquence de mettre en exergue la pertinence de
les posséder dans la guerre moderne.
Même si la France développe une politique empreinte de prudence
concernant les appareils aériens inhabités, par rapport à ses homologues
américains et israéliens, elle se montre réellement dynamique en faveur de leur
emploi. Cette démarche s’inscrit à travers les différents théâtres d’opérations,
et notamment ceux qui suivront le premier conflit irakien. La légitimité des
drones a grandi peu à peu en bénéficiant des évolutions technologiques. Bien
au-delà des facteurs de progrès, il n’est pas étonnant que ces appareils aient
pris une place de première importance dans les dispositifs militaires. En effet,
l’acquisition du renseignement concernant son adversaire, a toujours été gage

224
de victoire. Selon Martin Van Creveld : « Nous sommes aujourd’hui parvenus,
non pas à la fin, mais à un tournant de l’Histoire. De même que les exploits
d’Alexandre ne parvinrent au Moyen Âge que sous la forme d’un conte lointain
et fantastique, de même le XXe siècle passera dans l’avenir pour celui des vastes
et puissants empires, des grandes armées, des incroyables machines de guerre
que le temps aura réduites en poussière. Cet écroulement ne sera sans doute pas
regretté, puisque chaque âge tend à se prendre pour le meilleur et n’attribue de
valeur au précédent que dans la mesure où il a permis, ou non, d’ouvrir la route
à ce que le présent considère comme précieux » (23).

(23) Martin van Creveld, traduit de l’anglais par Jérôme Bodin, La Transformation de la guerre,
Paris, Broché, 1998, 318 p., p. 287.

225
226
Les drones dans l’armée
de l’air française :
une nouvelle et palpitante
épopée aéronautique
Colonel Cyril Carcy

L’aventure des drones dans l’armée de l’air ne se résume pas à la « success


story » du Harfang, système MALE totalisant aujourd’hui plus de 6000 heures
de vol réalisées, pour une grande part, au-dessus du théâtre afghan. Ce serait
oublier l’épisode précédent, qui a contribué à capitaliser un savoir faire singu-
lier sur le système Hunter, drone tactique d’origine israélienne, dont la mise en
œuvre fut confiée à une unité interarmées dès la fin des années 90.
Cette histoire s’apparente finalement à celle des pionniers de l’aéronautique
du début du XXe siècle. À l’aube du XXIe, une petite équipe de marque
passionnée s’est lancée à la découverte d’une véritable « terra incognita »
doctrinale. Confrontés à un environnement technico-opérationnel totalement
nouveau, ces explorateurs militaires ont patiemment défriché un champ de
connaissances aussi éclectiques que complexes, incluant gestion de réseaux,
transmissions de données, sécurité des systèmes d’information, pilotage déporté
et traitement de l’information.
Faisant preuve d’une imagination fertile et d’une pugnacité remarquable,
ce groupe pionnier, composé d’une trentaine de militaires particulièrement
motivés, a su réunir les meilleures compétences interarmées pour progressivement
gagner ses lettres de noblesse. Le Hunter a ainsi été déployé à deux reprises au
Kosovo, avant d’apporter sa contribution de surveillance à plusieurs opérations
intérieures dans le cadre de sommets de chefs d’États. Après plus de 6 ans de
bons et loyaux services exploratoires, le Hunter a été retiré du service. L’équipe
interarmées a été dissoute pour laisser la place à un escadron d’expérimentation
composé d’aviateurs, chargé des travaux de développement du futur Système
Intérimaire de Drone MALE (SIDM).
Mais avant de poursuivre plus avant sur les pérégrinations de cette unité
nouvellement créée, il s’agit de s’arrêter un instant sur les performances du
Hunter pour mieux comprendre la raison pour laquelle ce système de drones
qualifié de « tactique » a rapidement atteint ses limites en terme d’emploi
opérationnel. Doté d’une liaison de données à vue directe (LOS), ce drone
présentait une portée d’utilisation réduite, de l’ordre de plusieurs dizaines de
kilomètres, étant nécessaire de maintenir un contact permanent entre la station

227
sol de contrôle et l’avion dont le plafond d’évolution restait limité (24). En outre,
bien d’autres restrictions opérationnelles ont milité pour faire évoluer cet outil
exploratoire : les performances réduites des capteurs, l’absence de système
d’observation par mauvaises conditions météorologiques ou tout simplement
une autonomie insuffisante.
Fort des connaissances acquises sur Hunter, les spécialistes de l’armée
de l’air ont exprimé un nouveau besoin destiné à corriger les faiblesses du
précédent système et apporter une plus-value opérationnelle permettant d’étoffer
les missions confiées à l’escadron drone. L’amélioration des performances en
terme de portée faisait bien entendu des critères fondamentaux. Cet objectif
a conduit l’industrie française à se lancer dans le développement puis dans
l’intégration d’une liaison de données satellite sur une base de drone Heron 1,
appareil mis en service dans l’armée de l’air israélienne depuis 2001. Véritable
défi technologique, ces travaux ont nécessité une mise au point minutieuse
pour stabiliser une antenne montée sur avion, et donc soumise aux turbulences
aérodynamiques, prévue de pointer avec une précision de l’ordre du degré un
satellite géostationnaire situé à plus de 36 000 kilomètres. Pour mémoire, encore
aujourd’hui seuls deux industriels au monde maîtrisent parfaitement un tel
savoir faire : l’un est américain, l’autre français. Quant à l’industrie israélienne,
elle acquiert progressivement la compétence technique, à des fins d’exportation
de ses équipements, mais demeure pour le moment en retrait puisque n’ayant
pas été confrontée à ce type de besoin sur le territoire d’Israël.
Eu égard aux difficultés rencontrées dans les travaux de développement du
SIDM, l’expertise acquise sur Hunter par les aviateurs s’est avérée salutaire. Ce
travail mené en collaboration étroite entre experts opérationnels et ingénieurs
peut tout à fait être comparé aux essais menés par les premiers cavaliers dans
le réglage du tir de leur mitrailleuse à travers les hélices de leur biplans. Le
savoir faire acquis au Kosovo et dans l’utilisation quasi-quotidienne du Hunter
a permis d’éclairer les équipes industrielles dans l’adaptation des solutions
techniques au besoin opérationnel. Par la suite, ces connaissances ont également
contribué à conseiller les équipes de la DGA chargées, pour la première fois,
de qualifier un drone de la catégorie MALE.
En 2008, les opérations menées en Afghanistan par les armées françaises
ont confirmé un besoin opérationnel urgent pour la surveillance de théâtre, le
renseignement et l’identification, conduisant à la mise en service opérationnel
du système MALE, tout juste réceptionné. Parfaitement conscients des enjeux,
les hommes et les femmes de l’escadron « Adour » ont patiemment analysé les
risques liés à un déploiement en Afghanistan. Avec le même engagement et
une détermination sans faille, ils ont réussi l’exploit de réaliser le premier vol
du SIDM, nouvellement baptisé Harfang, sur ce théâtre exigeant, en moins
de six mois.
L’aventure des drones MALE est donc avant tout une histoire humaine.
Celle d’une poignée de passionnés qui a fait preuve d’une foi constante pour

(24) De l’ordre de 3 000 mètres.

228
faire face aux nombreux écueils techniques qui ont jalonné ces programmes
« prototypes ». Guidés par un devoir d’excellence et une volonté immarcescible,
ces pionniers écrivent aujourd’hui les premières pages d’une histoire palpitante
en réalisant des missions de surveillance, qui contribuent régulièrement à
sauver des vies sur le théâtre afghan. Ce résultat est finalement le fruit d’une
alliance subtile entre compétence, solidarité et motivation sur laquelle nous
devons capitaliser pour poursuivre efficacement l’aventure des drones MALE
qui n’en est qu’à ses balbutiements en Europe…

229
230
Le drone MALE français
à l’épreuve du combat
Le Harfang en Afghanistan
Lieutenant-colonel Bruno Paupy et lieutenant-colonel Christophe Fontaine

de L’expérimentation à L’opex
Avant de parler de Harfang, le premier drone MALE français, qui fut dès
février 2009 engagé au combat, il faut rappeler qu’il se nommait il y a encore
peu SIDM, système intérimaire de drone MALE. L’armée de l’air n’a pas
cherché dès le départ à lui donner un nom de baptême à l’instar de tous les
autres aéronefs qu’elle met en œuvre. Pourtant, ses cousins issus de l’industrie
israélienne, dont il garde évidemment le type, étaient, eux, déjà nommés Heron,
et l’appellation industrielle du SIDM était Eagle 1. Ce manque d’intérêt
initial de l’armée de l’air à nommer le drone qu’elle acquérait enfin en 2008
est caractéristique de la vision qu’elle avait de son emploi : expérimenter une
nouvelle capacité aéronautique en vue de rapidement définir et acquérir un
successeur à ce SIDM qui, lui, serait employé en opération.
Les événements en ont décidé autrement, car c’est à la suite du décès au
combat de huit de nos camarades en vallée d’Uzbin, que la décision de déployer,
entre autres moyens militaires, le drone SIDM en Afghanistan commence à
se forger. De fait, l’expérimentation en vol du système de drones qui venait
d’être réceptionné par l’État français et qui volait depuis peu à Mont-de-
Marsan, a du être menée en quelques mois et réduite à l’essentiel : une première
capacité opérationnelle destinée à s’intégrer dans une coalition pour y mener
des missions de surveillance, de reconnaissance et d’appui renseignement aux
forces déployées en Afghanistan.
Le choix fut en effet de s’implanter à Bagram, immense base américaine
située à quelques dizaines de kilomètres au Nord de Kaboul, à proximité
immédiate, pour un aéronef, des zones de responsabilité française, Kapisa
et Surobi, au moment où la brigade française Lafayette se constituait. Pour
autant ce choix de déploiement s’attachait aussi à placer le Harfang sous
commandement opérationnel de l’ISAF, donc dans le pot commun des moyens
aériens au service de l’ensemble de la coalition, tout comme d’ailleurs la plupart
des aéronefs français participant aux opérations en Afghanistan, notamment
nos camarades chasseurs de l’armée de l’air stationnés à Kandahar.
Aucun quota de missions en soutien des forces françaises ne fut établi,
ni au début du déploiement, ni ensuite durant les trois années que dura la
présence du Harfang à Bagram, du premier vol le 17 février 2009, au dernier

231
le 16 février 2012. Sur les 5100 heures que le Harfang passa en vol au-dessus
du territoire afghan, à observer la situation au sol, plus du tiers fut réalisé en
appui de nos camarades français. Aucune des vallées dignes d’intérêt pour la
brigade Lafayette, les forces spéciales présentes dans ces zones ou encore le
bataillon logistique français de Kaboul, ne nous furent inconnues.
Le drone Harfang peut en effet, grâce au pilotage direct et permanent
de l’aéronef et de ses capteurs via une liaison par satellite depuis son cockpit
déployé à Bagram, survoler les vallées les plus reculées et les plus encaissées
dans les impressionnants reliefs afghans. Cette liaison satellite permet en effet
d’avoir certes une allonge en opération uniquement limitée par l’autonomie en
vol du drone (jusqu’à 24 heures pour le Harfang, vol réalisé en Afghanistan en
octobre 2010), mais surtout, dans un pays de montagne comme l’Afghanistan
de ne laisser aucune zone terrestre sans possibilité d’observation. À l’inverse,
un drone ne disposant pas de liaison satellite peut être empêché par le relief
de survoler un lieu à quelques kilomètres seulement de son point de décollage.
C’est ainsi que l’OPEX a pu valider, sans doute beaucoup plus rapidement
que ne l’aurait permise une expérimentation aérienne menée en France, l’intérêt
de cette singulière capacité à observer. Elle est singulière dans la mesure où elle
permet partout où on le souhaite et de façon persistante et discrète, d’élaborer
du sens et de recueillir du renseignement. C’est notamment possible grâce à un
équipage de conduite du système de drones aux compétences complémentaires
qui, à partir de multiples capteurs, peut transmettre le renseignement, si besoin
en temps réel, aux états-majors comme aux militaires en action sur le terrain.
Mais cette confrontation au monde hostile et exigeant de l’OPEX en
Afghanistan a aussi mis en évidence très vite les défauts, contraintes et lacunes
du système dont nous disposions. Elles furent flagrantes en comparaison des
nombreux autres moyens équivalents déployés en Afghanistan. Confrontés
à la cruelle réalité du combat, nous avons pu cerner le besoin en moyens de
communication sécurisés, en capteurs électromagnétiques grands champs et en
capacité offensive, notamment l’armement des drones. Mais peut être avant tout,
la nécessité de s’intégrer de manière pertinente et efficace dans la manœuvre
du renseignement en vue de la conduite des opérations au sol.

récit : Le passage de L’hindu kush


Le drone Harfang peut être décrit schématiquement comme un motoplaneur
dont le moteur ROTAX 914 offre malgré tout un domaine de vol lui permettant
de monter jusqu’à 22000 pieds soit 6500 mètres d’altitude. Juste ce qu’il faut
pour l’Afghanistan dont les plus hauts sommets avoisinent ces altitudes. Ainsi,
le 5 juillet 2011, le Harfang a-t-il pour la première fois, après 1h15 de montée
depuis son décollage de Bagram, franchit le massif de l’Hindu Kush au niveau
de la passe de Salang, pour travailler en appui des forces allemandes de la
région de Kunduz puis des forces spéciales américaines dans la région de Sar
i Pol, avant de rentrer à Bagram par la vallée de Bamyan. Aux commandes du
drone, sur ce trajet retour, observant l’activité sur les chemins à peine tracés

232
du massif montagneux, je me remémorais la longue chevauchée de Ouroz, le
héros des Cavaliers de Joseph Kessel, chevauchant sa noble monture Jehol.
Quelques heures de vol d’un drone avaient permis de suivre, grâce à la caméra
que j’orientais selon le souvenir que j’avais du roman, la quasi-totalité du
parcours que Ouroz en compagnie de Mokkhi avaient suivi au retour de sa
participation au grand Buzkashi de la plaine de Bagrami, près de Kaboul.

L’imbrication avec Les forces terrestres


Les missions réalisées par le Harfang en Afghanistan étaient
systématiquement réalisées en appui des opérations terrestres menées par
les troupes de la coalition constituant l’ISAF. Un drone de surveillance ne
vole pas pour satisfaire ses propres besoins. Il tente d’offrir la possibilité à
d’autres de réaliser leur mission de manière plus efficace, plus sûre, moins
incertaine. C’est ainsi que le drone Harfang a résolument et uniquement fait
partie des supporting, et non des supported. C’est un état d’esprit que doit le
plus naturellement possible endosser l’équipage du drone, ce qui nécessite de
connaître les enjeux de la manœuvre terrestre à soutenir, les objectifs suivis, les
tactiques utilisées. La culture renseignement qui nous est nécessaire n’est pas
en la circonstance celle qui intéresse en général les aviateurs mais plutôt celle
d’intérêt terrestre. Car la vraie force d’un système de drone, c’est de permettre,
en toute discrétion des moyens utilisés, de démultiplier la capacité d’action des
forces au contact direct avec le terrain, voire avec l’ennemi.
Le renseignement que fournit le drone doit être aisément exploitable sur
le terrain, qu’il s’agisse de son obtention (encombrement réduit des matériels
de réception) ou de son adéquation avec le besoin. La compréhension de la
situation au sol demande du temps : discriminer en Afghanistan le paysan de
l’insurgé, qui est d’ailleurs le même, nécessite des connaissances approfondies de
la culture locale et des techniques et tactiques de l’ennemi, et une perspicacité
que seules la synergie entre les membres de l’équipage du drone, puis entre
eux et les forces au sol ne peuvent permettre. Pour ce faire, la capacité à rester
longtemps sur zone, à suivre l’évolution d’une situation par le comportement et
l’attitude des personnes observées sur la durée, et à travers des capteurs offrant
à la fois des champs larges d’observation et des champs extrêmement grossis
sont primordiaux. Le drone lui-même ne doit pas être une charge complexe à
gérer vis-à-vis des autres aéronefs ou des tirs d’artillerie. En ce sens, sa capacité
d’évolution, et la qualité des capteurs à une distance importante si le drone
doit s’éloigner de la zone observée sont cruciales.
L’efficacité porte aussi sur la compréhension mutuelle, donc la culture
militaire et opérationnelle commune, en interarmées et en interallié. L’avantage
du système de drones, c’est qu’il est dirigé du sol, et que les moyens de
communication peuvent être multipliés sans limite pour toucher tous ceux qu’il
est nécessaire. Combien de fois n’a-t-on pas profité de la présence de la station
de pilotage à Bagram, lieu de stationnement ou de transit de nombreuses forces
de la coalition en région de commandement Est, et lieu de l’état major en charge

233
des opérations de cette région, pour accueillir pendant le vol un officier de
liaison des forces que nous soutenions. On peut gloser sur l’interopérabilité des
moyens et des procédures mais on n’a jamais été aussi efficaces que lorsqu’un
camarade des forces spéciales norvégiennes à nos côtés alerta dans sa langue
maternelle ses équipiers pendant l’assaut qu’ils donnaient sur un bâtiment dont
nous observions les issues lorsque les insurgés les ont empruntées.

récit : attaque roquette à ghazni. L’apport du temps réeL


Le 20 janvier 2010, le drone Harfang est employé à la protection d’un
camp polonais de la région de Ghazni où se tient une réunion de personnalités
de haut niveau. La mission est classique, observer attentivement les abords
pour déceler toute activité pouvant laisser suspecter un risque pour la sécurité
du camp. L’étude des événements antérieurs dans la région, la connaissance
acquise par les membres de l’équipage du drone des habitudes de vie locale
comme des tactiques employées par les insurgés, le dialogue permanent par
messagerie instantanée ou voix radio avec les militaires polonais du camp et des
états-majors concernés, permettent ce jour-là de trouver l’aiguille dans la meule
de foin. À sept kilomètres du camp, une mobylette est arrêtée sur un chemin
de terre au milieu des champs avec à quelques mètres une personne accroupie.
Elle creuse ou peut être dispose quelque chose au sol. Une deuxième mobylette
arrive, deux personnes à bord, l’une porte un objet long enroulé dans un tissu,
le pose au sol à côté du premier individu. L’alerte est donnée sur le camp qui
dispose de notre vidéo et de notre appréciation de la situation en temps réel.
Quelques courtes minutes après, la roquette est mise à feu. Elle explose à environ
200 mètres du camp, nous indique notre correspondant quelques secondes
plus tard. La tension était perceptible entre les membres d’équipage du drone,
mais la stupeur fait place immédiatement à la concentration pour suivre à la
caméra les insurgés qui se replient et pénètrent dans une maison du village situé
à quelques kilomètres de là. L’intervention ultérieure de la force de réaction
rapide commune polonaise et afghane dans cette maison, dont l’observation
continue du Harfang a pu assurer que les insurgés n’en étaient pas ressortis, a
permis à la coalition, en les arrêtant, de reprendre l’ascendant sur ce village.

Le bénéfice d’un travaiL en coaLition


Dès le départ de notre déploiement, il n’était pas question de travailler
uniquement pour les Français. Notre volonté de participer à des missions en
appui d’opérations plus qu’à des missions de renseignement fut contrariée
par les limitations de notre système. La structure en charge de répartir les
missions, l’IJC, borna cette ambition car toutes les demandes requéraient du
Rover, voire de l’armement. Nos premiers engagements étaient donc limités à
de l’appui renseignement au profit des forces françaises. En effet, le manque de
moyens radios cryptés était considéré comme un facteur rédhibitoire par nos
alliés américains. À cela, le fait de ne pas disposer de Rover, finissait de nous
disqualifier pour la partie opération. Quant aux missions de renseignement,

234
elles ne nous étaient tout simplement pas confiées, d’une part du fait d’une
méconnaissance de nos capacités et d’autre part de la manière, notamment chez
les Français de la TFLF et du RC-C, de conduire la manœuvre des capteurs. Il
a fallu donc fallu que le Harfang face sa place au Royaume de l’insolence (25).
Partant du constat que l’on ne pouvait pas faire ce que nous voulions,
en raison de nos limitations intrinsèques et que 70 % des besoins en FMV
n’étaient pas couvert par les autres capteurs ISR, nous nous sommes attachés
à commencer par faire du dull avant de pouvoir faire de l’appui aux opérations
et à chercher à offrir à nos clients potentiels une capacité que seul le Harfang
pouvait offrir : devenir le 4e homme de l’équipage. Ainsi avons-nous pris notre
bâton de pèlerin et expliqué, aux Français d’abord, et aux Américains ensuite,
tout le bénéfice qu’ils pourraient tirer de disposer d’un vecteur ISR dédié à
faire tout ce que les autres ne voulaient, ou souvent ne pouvaient pas faire,
tant les maigres ressources ISR disponibles sur le théâtre, étaient dédiés à faire
de l’appui aux opérations plus que de la préparation de l’espace opérationnel
(PREO), Intelligence Preparation of the Battlefield (IPB) en anglais. Cette
dynamique a permis de gagner la confiance de nos alliés et des Français, au
vu de l’intérêt de disposer d’un Harfang, fut-il limité en capacité. Ainsi, par
une approche pro-active, s’est progressivement établi un lien de confiance
entre nos hôtes américains et nos camarades français. L’autre axe d’effort
a visé à élargir le champ de nos clients et ainsi à multiplier les expériences,
acquérir du savoir-faire et progressivement couvrir une plus grande partie
du spectre d’emploi des drones en Afghanistan. C’est grâce, là encore aux
relations humaines tissées entre certains officiers de liaison détaché auprès
de l’EM de la RC-E, donc co-localisés avec le cockpit du Harfang, qu’une
autre dynamique va progressivement faire progresser l’expertise du Harfang
de manière exponentielle. Venu voir par curiosité le mode de fonctionnement
de notre système, un LNO d’une TF du CJSOTF, va progressivement mesurer
tout l’intérêt au-delà des limitations du système Harfang, toute la flexibilité
et la réactivité de pouvoir venir, en préparation ou en conduite, au sein de
notre cockpit. Et ainsi, d’abord simple observateur, de devenir par la mise
en place de ses propres moyens SIC, un 4e homme membre de l’équipage et
ainsi de pouvoir, en self service et plug and play, orienter, diffuser et alerter
ses troupes en temps réel. Ce tour de force va constituer un choc culturel qui
va permettre par effet de sympathie de gagner d’autres clients spéciaux dont
les forces polonaises. L’ouverture d’esprit et le sens du service envers ceux qui
risquent leur vie sur le terrain, a permis de faire la réputation de notre Harfang
auprès de plusieurs nations en RC-E. Et ces missions nous ont progressivement
permis de progresser dans tous les domaines des missions dédiées aux drones.
Certes notre faible potentiel limitait grandement notre aptitude à jouer dans la
cours de grands. Mais les heures de vol réalisées en soutien de nos camarades
français, américains, polonais et norvégiens n’étaient pas négligeables car
personne d’autre n’était là pour les réaliser.

(25) Titre du livre de Michael Barry.

235
récit : La circuLation aérienne à bagram
Faire voler un drone Harfang à Bagram constitue une performance
qui à elle seule mériterait d’être récompensée. Il faut imaginer un immense
terrain d’aviation construit par les Soviétiques au nord de la plaine de Shamali.
Cette dernière est un véritable boulevard bordé de hautes falaises dont la
seule raison d’être semble devoir consister à faciliter la déferlante de hordes
d’envahisseurs vers Kaboul plus au sud. Une des particularités de cette piste
qui ressemble à un gigantesque chantier permanent est son activité qui ne l’est
pas moins. Plus de 400 mouvements par jour. Au-delà du nombre, c’est son
hétérogénéité qui est remarquable. Des hélicoptères de combat et de transport
de tous les types côtoient ceux des contractors et du gouvernement afghan,
des avions de chasse décollent sur alerte pour prêter main forte aux troupes
amies prises à partie dans le cadre d’un TIC. Des avions de transport léger,
tactiques et stratégiques et de renseignement patientent soit pour décharger
leur fret pour les premiers, soit pour aller relever un autre capteur ISR pour
les seconds. Il faut dire que cette base abritait plus de 17 000 personnes en
2009 et aujourd’hui a vu doubler sa population. La logistique nécessaire à son
fonctionnement dépasse donc largement ce qui est imaginable. Et pour cela,
non seulement des avions militaires sont mis contribution (C-17 et C-5) mais
aussi une noria d’avions cargo civils de compagnie aux logos très mystérieux,
quand ils en ont ! Au milieu de tout ce trafic, les quelques drones français et
américains qui sont stationnés semblent bien fragiles. Et pourtant. Une fois
déchiffré l’accent “Texan” des contrôleurs de la tour de Bagram, il faut bien
s’élancer du parking et s’aventurer d’abord sur les taxiways. Ensuite vient le
moment de s’aligner. C-17, F-15, Chinook, Apache, l’activité sur Bagram bat
son plein. Ca y est, le 747 d’une compagnie cargo vient de se poser. C’est à notre
tour de nous aligner. On ne traîne pas. Le contrôleur annonce déjà les trafics
suivants en attente. Enclenchement de l’ATOL. Et c’est parti pour à nouveau
affronter le vent de travers de cette piste, qui semble vraiment avoir été tracée
sans tenir compte des vents dominant. Décollage puis virage par la droite pour
rejoindre à proximité du champ de tir de « East River » notre zone de montée
vers notre altitude de travail en vue de commencer une nouvelle mission. C’est
dans ces moments que l’on mesure combien compte l’expérience aéronautique
des équipages aux commandes du drone. Quand je pense que mon premier
roulage Harfang, je l’ai réalisé ici, en opex, à Bagram…

L’engagement fort d’un groupe de pionniers


Le Harfang est une machine complexe. Un tel déploiement de technologie et
la mise en œuvre de tant de systèmes, ne sont possibles que grâce aux hommes
et femmes qui composent les unités de drones. Et cela est particulièrement
vrai en France. Amateurs d’aéromodélisme pour les uns, passionné de
technologie d’information et d’informatique pour les autres, ou encore experts
du renseignement et pilotes avides de découvrir d’autres horizons, tous se sont
retrouvés, il y a une dizaine d’années, pour relever ce défi. Aujourd’hui, cette

236
petite centaine de spécialistes constitue une niche d’expertise unique dans les
armées françaises.
Une des caractéristiques propres au Harfang est l’organisation de son
équipage. À la différence des autres systèmes de drones, les trois fonctions
principales que sont pilotage (pilote du drone), conduite de la mission
(coordinateur tactique) et interprétation des données (interprétateur photo),
sont co-localisées. Cela permet une très grande flexibilité et réactivité pour la
gestion, en temps réel, des demandes de recueil et pour la qualité de l’analyse
du renseignement. Cette spécificité française a été développée et conceptualisée
sur le théâtre afghan dès les tous premiers détachements.
L’équipe technique est celle qui maintient le drone apte à voler et tous les
systèmes associés en état de fonctionnement. Elle est également en charge des
déploiements du système qui impose une manœuvre logistique complexe et
de haute technicité. Il est remarquable de noter même si cela sort du cadre de
cet article, que les techniciens du Belfort ont réussit à déployer un système de
drones dans le cadre d’Harmattan à Sigonella et dans le cadre des opérations
au Sahel à Niamey, en moins de quinze jours. Une performance qui méritait
ce petit coup de chapeau.

Le caractère expérimental de notre système et les contraintes temporelles


qui ont, comme évoquées supra, conduit l’état-major des armées à décider le
déploiement du Harfang, ont pesé non seulement sur les capacités opérationnelles
du Harfang mais également les règles d’engagement. Ainsi, nos limitations,
aujourd’hui levées, dans les domaines tels que l’illumination laser et la
fourniture de coordonnées, vont être la source d’une certaine frustration chez
les équipages. En effet, ces limitations seront souvent la source d’une lassitude
notamment quand, alors que l’équipage était à la l’origine de la détection d’un
engagement, une relève était assurée par des avions à capacités Rover ou un
autre drone MALE.
Le détachement air Harfang représentait tout au plus une petite quarantaine
de personnes, en comptant les techniciens et membres d’équipage Harfang,
l’échelon de commandement et le soutien SIC. Cette petite communauté était
composite et les tensions, comme dans toute entreprise humaine ne furent pas
absentes. Mais bien que provenant du CEAM, du CDAOA, du CFA ou de la
DIRISI, tous finalement se retrouvaient dans cette symbiose caractérielle, the
french touch. Isolés dans un petit camp retranché et dans des conditions de vie
assez rustiques au milieu d’un environnement hostile à la fois en raison des
rigueurs du climat afghan mais aussi des attaques de roquettes qui tombaient
à l’aveugle sur Bagram, tous ont donné avec leur caractère et leur motivation
pour faire en sorte que l’armée de l’air et la France soient présente dans le ciel
afghan et assument leur mission en soutien des alliés. À sa modeste place mais
un Harfang de nuit dans le ciel d’une FOB ou de Bagram lors d’une attaque
de roquette, cela compte quand on sait que 70 % des besoins en FMV ne sont
pas satisfaits.

237
récit : attaque de bagram
Après les deux vols de la veille, les équipages du Belfort dormaient du
sommeil des justes. À Bagram en ce mois de mai 2010, les nuits sont encore
fraîches. Le plus difficile dans ces « Cabanes » faites de planches de bois qui
nous servent de logement est leur parfaite perméabilité aux bruits extérieurs.
Décollage d’avions de chasse, bruits de convois de véhicules blindés qui font
chauffer leurs moteurs ou simplement les voix de camarades américains dont
la discrétion vocale n’est pas la première qualité. Pourtant, c’est un tout autre
bruit qui va, vers les trois heures du matin, jeter les hommes du Belfort au bas
de leur lit. La sirène stridente de la base retentit, conjuguée avec des bruits qui
ne laissent aucun de doute sur la nature réelle de l’alerte. La base de Bagram
est attaquée par les insurgés. De multiples explosions et des tirs retentissent
dont un grand nombre dans la périphérie immédiate des logements français. Le
chef de détachement ordonne à ses hommes de revêtir les effets de protection
individuels et de rejoindre les abris collectifs à proximité des logements. La
défense du périmètre immédiat des logements est organisée. Après avoir obtenu
des éléments du JOC sur la nature de l’attaque (bombardements multiples,
tentatives coordonnées de percer les défenses de la base dont certaines auraient
déjà permis l’intrusion d’insurgés revêtus d’uniforme US), le détachement
rejoint la zone ops en camion. Deux aller-retour sont nécessaires. Dès l’arrivée
en zone ops, les commandos sécurisent la zone, les mécanos préparent l’avion
et les équipages sont en contact avec le JOC pour décoller dès que possible et
ainsi appuyer les forces de sécurité. Pendant ce temps, des F-15 E décollent
alors que les Apaches défendent la base en déversant une pluie de ferraille
sur les insurgés qui tentent en plusieurs endroits d’ouvrir des brèches dans les
défenses. Après de multiples tergiversations, le drone Harfang est enfin autorisé
à décoller. La chasse est ouverte. Notre mission est de fournir un appui FMV
à la TF Wolverine qui procèdera à la sécurisation de la base. Ainsi, pendant
quinze heures, le Harfang veillera sur nos alliés et sur Bagram ville. Cet appui
renforcera les liens de camaraderie avec nos hôtes américains tout en démontrant
notre capacité à réagir dans des conditions de guerre.

un concept d’empLoi à L’épreuve du combat


Lorsque le drone se déploie sur le théâtre afghan ce n’est pas tant parce
que le concept d’emploi est prêt ou parce que le système est opérationnel. Non,
les raisons qui prévalent sont plus du domaine de l’affectif et de l’urgence. Et
il conviendrait de s’en offusquer si elle n’était pas teintée d’une forte dose de
tragique : la mort de huit soldats français à Uzbin. C’est donc par la force
des choses et la pression des événements que ce noyau d’experts composé de
pilotes, d’officiers de renseignement et d’interprétateurs photo, ayant certes
déjà été engagé à de multiples reprises sur tous les théâtres d’opération, va
progressivement développer son concept d’emploi. En plus de cet aspect
conceptuel, les équipages en alternant à un rythme de deux à trois OPEX par an,
vont développer une expertise du théâtre qui ira bien au-delà du « voir ». Par une

238
connaissance de la zone d’action régulièrement survolée et des fondamentaux
des dimensions socioculturelles de l’Afghanistan, la mission de surveillance
des cibles et de leur environnement permettra souvent de comprendre. La
composition de l’équipage, sa co-localisation et les liens développés avec les
officiers de liaison des différents clients, permettent grâce à cette capacité
d’analyse apportée in situ, de produire une plus-value qui dépasse la simple
détection d’une anomalie ou d’un fait divers.
Le drone Male se révèle dans cette optique un outil particulièrement adapté
car il est le vecteur aérien qui offre la plus grande capacité de couverture des
différents besoins en appui ISTAR des opérations. Il n’est certes pas le meilleur
dans tous le spectre d’emploi (vitesse, capacité tout temps) mais ces faiblesses
intrinsèques sont largement compensées par son endurance, sa capacité
multicapteurs à diffusion en temps réel et sa capacité à couvrir tout le spectre
des missions.
Le drone MALE est un vecteur dont l’emploi dépend plus de la planification
globale des opérations du moment et de la manœuvre des capteurs qui en
découle, que de son appartenance au JFACC. Il est en effet par essence capable
de satisfaire des besoins en surveillance de clients qui se trouvent dans toutes les
strates de la chaîne de commandement. Cela va du pion de théâtre au chef de
niveau stratégique, autorité militaire ou civile, en passant par tous les niveaux
intermédiaires subtactiques, le niveau composante tactique qu’ils soient air/
terre/mer/forces spéciales et opératif. Le seul enjeu est l’affectation des priorités
et la mise en place du C4ISR nécessaire pour alimenter les différents niveaux
intéressés, en fonction de leur besoin.
En Afghanistan, notre expertise s’est développée de manière incrémentale
et assez rapidement avec l’arrivée du ROVER, nous avons été engagés toujours
plus vers l’appui aux opérations tout en continuant à fournir un appui à la
manœuvre des capteurs de la coalition. Le spectre des missions réalisées dans
ce domaine couvre l’escorte de convoi, l’appui à des troupes prises à partie
dans le cadre d’un TIC, l’appui de missions forces spéciales et la recherche
d’otages et l’alerte suite à des détections de tirs permettant le déclenchement
d’un appui aérien.
Les limitations du Harfang ne doivent pas faire perdre de vue que dans
l’avenir, les drones MALE continueront d’être la composante permettant, en
parallèle des bombardiers utilisés par les Américains en Afghanistan, d’occuper
en permanence l’espace aérien. Cette occupation permanente présuppose
à minima la conquête d’un certain niveau de supériorité aérienne voire de
suprématie. C’est un préalable indispensable pour pouvoir disposer de cette
permanence. L’étalon de cette permanence est exprimé en OPSAM qui sont à
la surveillance ce que les CAP sont à la défense aérienne.

239
récit : premières citations à L’ordre de L’escadre aérienne
et de L’armée aérienne pour une unité drone et ses équipages

Le 17 décembre 2010, le Harfang est tasqué en soutien d’une opération


impliquant des forces spéciales dans le cadre de l’opération « Homa Kabir ».
Cette opération se déroule dans en Kapisa dans la région de Tagab et les forces
amies sont rapidement confrontées à une forte résistance de la part des insurgés.
L’équipage du drone Harfang est donc immédiatement en mesure de soutenir
les troupes au sol en retransmettant directement via les outils de messagerie
instantanés, le ROVER et les moyens de radio cryptés, les éléments concernant
l’évolution de la situation tactique. Cet appui permet non seulement aux forces
spéciales de ne pas subir, mais également d’assurer la poursuite des éléments
ennemis en fuite et ainsi d’éviter leur reconfiguration. En outre, grâce à son
appréciation de la situation et la permanence du recueil sur zone, l’équipage du
Harfang sera en mesure de guider avec succès les aéronefs qui seront engagés
pour traiter les positions adverses ainsi que la menace résiduelle. Pour cette
action d’éclat qui a démontré l’expertise acquise par les membres d’équipage
du Harfang, ceux-ci ont été cités à l’ordre de l’escadre aérienne.
Pour l’ensemble des 522 missions et 5 100 heures de vol effectuées en 3
ans de présence en Afghanistan pendant les trois années de l’engagement du
Harfang à Bagram, l’escadron de drones 1/33 Belfort a été cité à l’ordre de
l’armée aérienne. Cette reconnaissance illustre tout le chemin parcouru par
cette poignée d’experts qui, avec un système expérimental dont la vocation
n’était pas de faire des opex mais de défricher un domaine d’emploi, ont fait
face et porté haut les couleurs de l’armée de l’air française.

240
Le Harfang face aux défis
d’Harmattan : de la coordination
à l’intégration d’une capacité
indispensable
Colonel Sébastien Mazoyer

Le 18 août 2011, le drone Harfang de l’armée de l’Air est déployé sur la


base aéronavale de Sigonella, en Sicile, dans le cadre de l’opération Unified
Protector (26). Dans cette opération essentiellement aérienne, les systèmes pilotés
à distance se sont naturellement imposés pour améliorer notre connaissance de
la situation au sol et tenter d’anticiper sur les actions d’un adversaire fugace.
Avec les États-Unis et l’Italie, la France fait partie des rares Nations à avoir
pu mettre à disposition de la coalition une capacité de surveillance discrète et
endurante, associée à une diffusion quasi instantanée des informations recueillies.
Dans la continuité des nombreux détachements au profit de
l’opération Pamir en Afghanistan, et malgré les difficultés liées aux limitations
intrinsèques d’un moyen intérimaire et expérimental (27), le Harfang a apporté
une contribution substantielle et appréciée au profit des forces.
L’analyse du retour d’expérience de son engagement en Libye valide les
choix organisationnels et doctrinaux éprouvés en Afghanistan, tout autant que
les adaptations pragmatiques liées à la nature et à l’environnement spécifique de
cette opération. En revanche, il confirme également les limitations opérationnelles
d’un système s’appuyant sur des technologies obsolètes, ainsi que le préavis
nécessaire au déploiement de cette capacité complexe et novatrice. En grande
partie dus aux nombreux accords techniques et diplomatiques préalables, les
délais induits entachent la réactivité immanente à l’arme aérienne.
Pour autant, l’apport unique de cette capacité dans la fiabilisation des cycles
de décision et dans la maîtrise des effets, surtout en absence de forces déployées
au sol, milite pour une intégration plus poussée au sein des capacités aériennes
traditionnelles. À ce titre, le regroupement d’aéronefs et de drones au sein d’un
même escadron dédié en priorité au renseignement, permettrait de profiter des
qualités de chaque capacité et de minimiser leurs faiblesses inhérentes, tout en
favorisant de nouvelles synergies propices à l’efficacité opérationnelle.

(26) Harmattan est le nom de la participation française à l’opération otanienne « Unified Protector ».
(27) Dont la vocation opérationnelle et interopérable n’était pas initialement recherchée.

241
un dépLoiement rapide, mais qui doit être anticipé
Alors que l’escadron de drones 1/33 Belfort est engagé en Afghanistan,
au profit de l’opération Pamir depuis plus de deux ans sans interruption, les
premières frappes aériennes sont réalisées le 19 mars 2011 depuis la France
pour protéger la population de Benghazi menacée d’un massacre programmé.
Une coalition internationale, commandée par l’OTAN à compter du 31 mars,
a alors pour mandat de faire respecter les résolutions 1970 et 1973 du Conseil
de sécurité de l’ONU. Il s’agit principalement de prendre toutes les mesures
nécessaires, excepté l’envoie de forces au sol, pour protéger les populations et
les zones civiles menacées par le pouvoir en place.
Face à l’imbrication des forces en présence et l’évolution rapide et
erratique des affrontements, l’emploi de moyens aériens de surveillance et
de renseignement s’impose rapidement comme une évidence. Il est en effet
impératif de suivre quasiment en permanence l’évolution de la situation pour
orienter efficacement la manœuvre d’appui aérien, tandis que la transmission
instantanée des informations recueillies reste la garantie ultime pour éviter
les dommages collatéraux. Suite à la demande de l’OTAN, la France étudie
donc la possibilité de déployer son unique système de drone Moyenne Altitude
Longue Endurance (MALE), le Harfang, dont un exemplaire est disponible en
métropole pour assurer la formation et l’entraînement des aviateurs, et pour
participer aux opérations intérieures telles que la protection du G8 à Deauville.
Bien que l’escadron ne soit ni matériellement, ni humainement dimensionné
pour assurer deux théâtres d’opérations distincts dans la durée, l’armée de l’air,
convaincue du caractère indispensable d’un système endurant et discret pour
ce type de missions, va mettre tout en œuvre pour répondre à cette demande
légitime. Le potentiel restreint en heures de vol sera finement partagé entre
l’opération Pamir et Harmattan. S’engage alors une période d’étude, à la fois
technique et diplomatique, pour permettre l’engagement d’un drone français
aux cotés des drones américains dans une opération menée depuis les pays
limitrophes du nord de la méditerranée.
Outre la difficulté de soutenir deux détachements extérieurs concomitants,
qui plus est durant la période estivale de renouvellement des effectifs, l’intégration
d’un système aussi novateur qu’un drone dans la circulation aérienne civile
d’un état souverain constitue le premier obstacle à surmonter.
Il faut en effet s’assurer que les pays d’accueil et de transit potentiels acceptent
qu’un drone étranger vole dans leur espace aérien, au-dessus de leur territoire
et dans le même espace que leurs avions commerciaux. C’est la première fois
que le Harfang sera déployé dans un pays souverain pour effectuer des missions
opérationnelles au-dessus d’un territoire en crise. Pour l’Afghanistan, c’était
différent. Le contrôle de la circulation aérienne était initialement totalement
maîtrisé par la coalition, avant d’être partagé avec les autochtones. Dans le cas
présent, l’obtention de l’autorisation administrative pour voler au-dessus d’un
territoire étranger en paix nécessite de posséder un certificat de navigabilité
reconnu par le pays d’accueil. Bien que le Harfang en possède un depuis peu,

242
son caractère expérimental et unique n’est pas un atout. Ayant analysé avec
rigueur les capacités des drones américains déjà très répandus, les pays concernés
préfèrent s’assurer personnellement des aptitudes de fiabilité et de sauvegarde
de ce système avant de donner leur accord.
Il faut également que le lieu de déploiement permette à la fois de répondre
aux besoins opérationnels et aux contraintes techniques. Après avoir rapidement
éliminé les terrains ne permettant pas de répondre au besoin opérationnel, soit
car ils étaient trop éloignés du théâtre d’opération, soit car leur infrastructure
étaient insuffisantes, l’état-major valide un courte liste d’aérodromes d’accueil
potentiels. Les autorisations diplomatiques indispensables permettant le
déploiement et le survol des pays souverains nécessitant plus de temps, ces délais
sont exploités pour envoyer une équipe d’experts sur le terrain afin d’anticiper
les besoins techniques, d’infrastructure et de soutien de l’homme. Suite au
compte rendu de cet élément précurseur, et une fois toutes les autorisations
obtenues - aussi bien pour le pays d’accueil, l’Italie, que pour celui concerné
par le transit, Malte - la phase effective du déploiement peut enfin débuter.
À l’instar de la projection à Bagram, le déploiement concret sur la base de
Sigonella, c’est à dire l’envoi du matériel et des hommes, le montage du système
et son intégration au sein des réseaux de communication et de renseignement,
puis la validation du fonctionnement optimal de la capacité ne prendra qu’une
dizaine de jours. Ce qui est remarquable pour un système d’une telle complexité !
Pour exemple, les américains prévoient souvent une période de l’ordre de
deux à trois semaines pour déployer un système équivalent. Ce n’est pas tant
le montage du système en lui-même qui est chronophage, mais plutôt la mise
en œuvre des multiples connexions des systèmes d’information permettant le
contrôle du drone, l’exploitation de ses capteurs et le partage de l’information
en temps réel avec tous les centres de commandement et de conduite. De plus,
les moyens humains sont dimensionnés au plus juste : seulement une vingtaine
de personnes de l’unité est déployée pour assurer la maintenance et la mise
en œuvre du drone, qui effectuera des vols de plus d’une quinzaine d’heures
tous les deux jours.
Pour finir, le choix d’un aérodrome militaire proche d’un aéroport
international (28), entraîne une coordination supplémentaire avec les autorités de
contrôle civil, ainsi qu’une définition préalable de couloirs de transit permettant
de ségréguer aisément les drones des autres appareils. Malgré ces précautions,
les réserves en pétrole nécessaires pour pallier la régulation des décollages et
des atterrissages par l’aéroport de Catane en fonction de l’activité commerciale
entacheront tout de même notre temps utile sur zone.
Le drone Harfang réalise son premier vol opérationnel le 24 août 2011.

(28) Catane.

243
un appui aérien pLus autonome qu’en afghanistan.
La deuxième évolution majeure inhérente à cette opération, contrairement
aux opérations aériennes de la dernière décennie, est liée à la nature même de
la mission, qui impose à travers les résolutions 1970 et 1973 du Conseil de
sécurité de l’ONU de protéger les populations et les zones civiles menacées par
le pouvoir en place sans envoyer de forces au sol. Depuis 1999 et la campagne
aérienne de l’OTAN contre les forces serbes, qui avait pour objectif de protéger
une population kosovare massacrée, les forces aériennes occidentales n’avaient
jamais plus eu à mener une campagne aérienne autonome. C’est-à-dire sans être
pleinement intégrée à la manœuvre terrestre et sans une coordination étroite
avec des forces amies déployées au sol.
Contrairement à l’engagement du Harfang en Afghanistan ou lors de
missions interministérielles au-dessus du territoire français, la difficulté de
cette opération réside donc dans le fait d’apporter un support, plus ou moins
direct, à des forces d’opposition au régime dont on ne connait pas vraiment
les intentions, et avec lesquelles nous ne pouvons pas communiquer. En effet,
la mission qui est de protéger les civils libyens des attaques des forces pro-
Kadhafi, se traduit assez souvent par un appui à des forces rebelles dont ce
n’est pas le métier de faire la guerre, et qui agissent de manière autonome, voire
quelquefois de façon non prévisible, sans qu’on soit informé de leurs plans.
De plus, aucun soldat de la coalition n’est détaché auprès des rebelles libyens
afin de coordonner nos actions avec les leurs.
Concrètement, notre coopération aux appuis qui peuvent se finaliser par
des frappes aériennes, passe donc par une surveillance discrète et endurante afin
de déterminer avec précision les menaces potentielles et éviter tous dommages
collatéraux lors de nos actions coercitives. Nous établissons également une
évaluation à l’issue des frappes aériennes afin de valider ou corriger celles-ci. Il
faut pour cela maintenir une boucle très réactive de partage des informations
entre le centre de commandement et de conduite des opérations situé en Italie
et les moyens aériens, offensifs ou non, de la coalition. Même si ces processus
sont très proches de ceux utilisés en Afghanistan, le fait que la validation
d’une frappe ne s’appuie plus sur un ensemble de renseignements, provenant
aussi bien du sol que de l’air, mais uniquement sur l’analyse des informations
recueillies durant notre surveillance nous met au centre de toute les attentions.
Nous sommes passés d’un des maillons du renseignement, à la principale source
disponible. La pression qui repose sur les équipages du Harfang est d’autant plus
importante qu’une mauvaise interprétation peut avoir de tragiques conséquences.
L’armée de l’air a su s’acquitter de cette mission en grande partie grâce à
l’expertise des équipages mettant en œuvre le système Harfang, qui ont su faire
évoluer les processus de renseignement mis en œuvre et la doctrine d’emploi
afin de pallier les limitations internes et externes au système.

244
une doctrine d’empLoi adaptée au contexte…
En fonction des besoins liés aux opérations aériennes, une manœuvre des
capteurs cohérente doit permettre de répondre à de nombreux besoins qui
dépassent le simple recueil de renseignement en vue d’anticiper sur l’ennemie.
Cela peut aller de la surveillance de sites sensibles à la préparation de mission,
en passant par la détection et l’identification de cibles potentielles, voire même
l’évaluation des dégâts collatéraux possibles avant et après les frappes aériennes.
L’emploi combiné des véhicules aériens habités et pilotés à distance,
permet d’allier la reconnaissance intermittente à la surveillance permanente
d’une cible et de son environnement, et offre ainsi une réponse optimisée au
besoin. De même, la coordination dynamique et efficace des nombreux capteurs
embarqués (optique, radar, acoustique, électronique) sur les différents aéronefs
de la coalition résulte de la gestion en temps réel, via un outil de messagerie
instantanée sécurisé (Chat) entre les différents acteurs. Ce Chat permet également
de partager les informations avec tous les acteurs ayant à en connaître, et ce
de manière quasi instantanée.
D’autre part, le choix de colocaliser sur la base de Sigonella, au sein d’un
pôle français unique de renseignement, la composante avion, la composante
drone et le centre interarmées du renseignement de théâtre, a permis de maximiser
l’efficacité des moyens de surveillance, de reconnaissance et de renseignement
français mis à la disposition de l’opération Unified Protector. Le détachement
Harfang a donc rejoint en août, les cinq Rafale de l’armée de l’Air équipés de
pods de reconnaissance numériques basés à proximité du centre névralgique
d’analyse du renseignement du théâtre libyen. Les échanges d’informations et
les synergies entre les personnels œuvrant dans la sphère renseignement ont
facilité la préparation des missions et engendré une production plus réactive
et plus cohérente au service de toute la coalition.
Enfin, la doctrine d’emploi du système Harfang s’appuie sur une organisation
compacte unique. Celle-ci permet d’assurer la préparation et la conduite des
missions, mais également la diffusion des informations enrichies au besoin
d’un premier niveau d’analyse. Colocalisé avec un unique personnel navigant
assurant la mise en œuvre du drone et de ses charges utiles, une cellule composée
d’un officier renseignement et d’un interprétateur image diffuse intelligemment
l’information recueillie ou le renseignement élaboré. Cette association de savoir-
faire et d’expériences variés au sein d’un équipage type a confirmé toute sa
plus-value, sa réactivité et sa flexibilité dans la valorisation du recueil effectué.
Ce choix permet également de pallier certaines limitations techniques du
système actuel. En effet, la modularité des équipages, ainsi que l’accessibilité
permise à du personnel extérieur, permet d’adapter au cours d’une même
mission les expertises regroupées au centre de mise en œuvre du système, ce
qui contrebalance avantageusement les performances obsolètes de certains
capteurs. Cela permet quelquefois de se comparer à certains drones de nouvelle
génération dont les performances purement techniques sont insuffisamment
exploitées en raison d’une organisation plus figée et d’expertises plus dispersées.

245
… qui paLLie partieLLement Le caractère « expérimentaL »
du harfang.

L’ingéniosité et l’enthousiasme ne peuvent cependant pas obvier l’ensemble


des faiblesses techniques et des obsolescences technologiques. Ainsi, la vitesse
et le plafond d’emploi limités de notre vecteur n’ont pas permis de surpasser
les contraintes météorologiques (nébulosité et vents) rencontrées sur le transit
méditerranéen à de nombreuses reprises. De plus, lorsque les sorties étaient
possibles, une grande partie de notre temps de vol total était consommé en
transit. Heureusement que la permissivité de ce théâtre d’opération, dont les
défenses sol-air étaient quasiment inexistantes, a autorisé l’abaissement de
notre niveau de vol à 10 000 ft (29), soit 33 % plus bas que le Predator et 65 %
plus bas que le Reaper. Cette solution adaptative a engendré une qualité vidéo
transmise au centre de commandement globalement comparable à celle de nos
alliés Italiens et Américains volant plus haut.
D’autre part, l’élargissement du domaine d’emploi du drone Harfang pour
des missions nécessitant une coordination étroite avec les autres effecteurs
(Dynamic targeting, Battle Damage Assessment) a révélé ses faiblesses quant
à la qualité de ses moyens de communication et à l’interopérabilité de ses
moyens de diffusion de l’information recueillie. Cette déficience est aggravée
par l’absence d’intégration d’une radio sécurisée et de la liaison 16.
Un bilan positif qui confirme le caractère indispensable des drones MALE.
Au-delà des missions de surveillance indispensables à la tenue de la situation
sol, déjà largement appréhendées en Afghanistan, l’opération Harmattan nous
a permis d’élargir notre domaine d’emploi sur des missions d’aide au ciblage,
en dynamique ou en différé, et d’estimation des dommages postfrappe. Ainsi,
il nous est parfois arrivé de détecter et d’identifier des combattants mettant en
œuvre des lance-roquettes pour bombarder de manière ponctuelle différents
quartiers habités depuis un lieu éloigné et discret. La surveillance endurante et
discrète nous permettait à la fois de confirmer s’il s’agissait de forces pro-Kadhafi,
mais également de localiser de temps à autre leur lieu d’approvisionnement en
munitions. Si le caractère hostile de la manœuvre ne laissait aucun doute au
centre de conduite avec lequel nous partagions le recueil en temps réel, celui-ci
affectait une patrouille d’avions de chasse en alerte en vol pour poursuivre
l’action. Après avoir fait acquérir le visuel du lance-roquette ou du site de
ravitaillement au pilote, celui-ci pouvait le neutraliser à l’aide d’une bombe
guidée laser au moment le plus opportun, afin d’optimiser les effets sans risque
de dommages collatéraux. Lorsque le chasseur quittait les lieux pour aller
ravitailler, nous pouvions confirmer la neutralisation de l’objectif visé, ainsi
que l’absence de dégâts alentours.
La souplesse d’emploi, la réactivité et l’expertise engendrées par la synergie
créée au sein de l’équipage Harfang, ainsi que l’emploi ajusté de notre moyen
ont permis de fournir un renseignement utile et adapté au centre de conduite

(29) Seulement possible au vue de la menace sol-air limitée.

246
de la manœuvre aérienne en toutes circonstances. Cette capacité a parfaitement
rempli son rôle à la fois dans le suivi dynamique de la situation au sol, mais
également dans le processus rapide de ciblage, de maîtrise des dommages
collatéraux et de compte rendu après les frappes.
L’emploi de systèmes de drones MALE répond à une grande partie
des exigences liées aux missions d’intelligence/surveillance/reconnaissance
(ISR). Ils sont complémentaires et non concurrentiels des satellites, avions de
reconnaissance et des capteurs sol ou embarqués à bord de navires ou sous-
marins. L’enjeu est toujours de combiner au mieux l’emploi des capteurs
disponibles afin de raccourcir et fiabiliser au maximum le cycle Observation-
Orientation-Décision-Action.
Le drone MALE armé, reste quant à lui un des rares effecteurs à pouvoir
couvrir seul, si son déploiement est possible et selon la permissivité du milieu,
l’ensemble de la boucle.
L’absence de troupes au sol pour coordonner et optimiser notre appui
aérien a confirmé l’apport opérationnel incomparable des drones ISR dans
la fluidification et la sécurisation du cycle : détection, identification, action,
évaluation. Les qualités intrinsèques des drones, sous couvert d’un nombre
suffisant de vecteurs pour assurer la permanence au-dessus des zones
d’intérêt (30), permettent également à ceux qui sont armés d’effectuer l’éventail
complet des missions en autonome et sans risque d’éveiller les soupçons chez
l’ennemi. Ils limitent les pertes de temps et les risques d’erreur liés aux échanges
d’informations entre les différents effecteurs et peuvent même quelquefois rendre
possible une intervention préventive si les preuves recueillies sont suffisantes.
Une solution organisationnelle pour optimiser l’offre ISR de l’armée de l’air ?
L’offre actuelle de surveillance vidéo temps réel au sein de l’armée de l’air
est aujourd’hui partagée entre une capacité pilotée limitée, dédiée aux opérations
spéciales et clandestines (DOS/GAM), et une composante pilotée à distance
(escadron de drones 1/33 Belfort) dédiée aux opérations conventionnelles
en métropole (31) et en opérations extérieures. Ces deux capacités restent
cependant insuffisantes pour répondre aux besoins croissants, tandis que leur
cloisonnement limite leur efficacité.
Le renfort de l’escadron de drones 1/33 Belfort par une composante d’avions
robustes à vocation ISR permettrait de répondre aux sollicitations diverses
de manière réactive, adaptée et dans la durée. La synergie créée au niveau du
personnel de mise en œuvre permettrait également d’optimiser notre réponse
aux besoins grandissants de surveillance, tout en répondant aux contraintes
liées à l’émergence des nouveaux métiers liés aux drones (32).

(30) On parle de Combat Air Patrol (CAP) pour qualifier les orbites de vol permettant la surveillance
permanente d’une zone, par l’emploi de plusieurs vecteurs se relevant successivement.
(31) Missions interministérielles.
(32) Opérateur de drone, coordinateur tactique et interprétateur vidéo.

247
Si le Belfort propose une capacité pilotée à distance permettant de remplir
un grand nombre de missions endurantes et discrètes de surveillance vidéo, un
certain nombre de limitations bride actuellement son emploi.
L’ensemble des moyens de l’escadron est engagé actuellement en permanence
en opération extérieure et cette utilisation intensive semble se généraliser.
Ainsi, le dimensionnement limité à deux systèmes de drones ne permet pas
à l’escadron de répondre au nombre croissant de missions interministérielles
(Dispositif Permanent de Sécurité Aérienne, sécurité civile, douanes…). L’absence
de l’armée de l’air sur ce segment a pour conséquence le développement de
capacités disparates au sein des ministères requérants (douanes, police…) au
détriment de l’efficience.
Déployer un système de drone en métropole génère une manœuvre logistique
d’ampleur et chronophage. De ce fait, à moins d’opérer à partir de sa base
aérienne attitrée (33), avec les limitations d’emploi que cela entraîne (34), la
manœuvre logistique inhérente à un déploiement en France est peu rentable
pour des missions ponctuelles.
Les difficultés d’intégration d’un drone MALE dans l’espace aérien civil
restent réelles et sont essentiellement dues à une réglementation aéronautique
qui n’évoluera que très lentement (35). Cette problématique n’est pas insoluble
comme l’ont montré les opérations menées en Libye à partir de la Sicile ou
au-dessus de Deauville pour le G8. En revanche, elle nécessite une anticipation
quelquefois inconcevable et limite parfois l’efficacité opérationnelle.
La période de transition entre le système Harfang et l’arrivée d’un éventuel
successeur s’annonçant incertaine, l’ajout préalable d’une escadrille équipée
d’avions de surveillance permettrait de se prémunir de toute rupture capacitaire
dans le domaine de la surveillance endurante, tout en assurant le maintien des
compétences des équipages de drone du Belfort.
Du point de vue organique, cette option présente également un intérêt majeur
face aux problématiques de reconnaissance, de valorisation et d’attractivité
de la filière drone embryonnaire au sein de l’armée de l’air. Elle permet par
exemple de répondre en autonome, de manière plus adaptée et plus efficiente,
au nécessaire maintien des qualifications « pilotes » des opérateurs de drones
en s’appuyant sur un pool unique de pilotes, également opérateurs de drones
au sein de l’escadron.
La mise en œuvre d’avions pilotés permet de disposer d’une capacité
réactive, non impactée par les limitations liées à la réglementation de l’espace
aérien et la nécessité d’une couverture satellite pourvue d’une bande passante
adaptée. Cette capacité de surveillance pilotée peut être mise à la disposition du
commandant de théâtre durant la phase de montée en puissance du système de

(33) Base aérienne de Cognac en Charente.


(34) La lenteur du vecteur le rend fortement sensible au vent et à la météo.
(35) Au rythme des consensus obtenus au niveau européen en fonction des évolutions technologiques
embarquées sur drone.

248
drone (36), et ainsi éviter de préempter les ATL2 dont la mission principale reste
la lutte antisurface et anti-sous-marine. Au cours de l’opération, en fonction de
l’évolution de la situation et de la permissivité du milieu, l’emploi évolutif des
deux vecteurs de l’unité, de manière exclusive ou combinée, permet d’adapter
le service offert afin de répondre plus finement aux effets attendus.
Enfin, la constitution de cette unité « duale » permet de jeter les bases
d’une construction, à moyen terme, d’un centre d’expertise ISR au sein de
l’armée de l’air qui serait mis au service des armées et des ministères. Cette
mise en commun des moyens et des savoir-faire au sein d’une unité de référence,
appuyé par un système de commandement et de conduite éprouvé (37), un réseau
sécurisé (38) et des aviateurs formés à la manœuvre des capteurs et à la gestion
des flux d’informations permettrait de proposer un service « clés en main » à
l’État pour couvrir le spectre le plus large possible de ses besoins en matière de
surveillance vidéo « temps réel ». À plus long terme, l’évolution des capteurs et
des armements embarqués sur les systèmes futurs devrait permettre d’optimiser
les effets obtenus dans la détection multicapteurs (39) sur de larges étendues,
l’identification de cibles éphémères et la destruction de celles-ci au moment
où la maitrise des dommages collatéraux est optimale, en s’appuyant sur une
doctrine d’emploi à la fois exclusive et combiné des avions et des drones.
Le 31 octobre 2011 marque la fin de l’opération Unified protector de l’OTAN
en Libye. Les moyens militaires engagés par la France sont donc progressivement
désengagés. L’opération Harmattan, nom donné à l’engagement des moyens
militaires dans les opérations de la coalition en Libye, durera le temps de la
manœuvre logistique nécessaire pour rapatrier les matériels et moyens militaires
français déployés sur zone.
La réussite éclatante de l’opération Harmattan, et plus particulièrement de
l’engagement du drone Harfang, ne doit pas pour autant occulter la fragilité
dans laquelle se trouve aujourd’hui la capacité drone de l’armée de l’air. Si
les drones ont confirmé leur caractère indispensable dans la fiabilisation des
cycles de décision et dans la maîtrise des effets - surtout en l’absence de forces
déployées au sol - en revanche, les limitations internes et externes du système
actuel sont de moins en moins atténuées par l’expertise unique des équipages,
l’organisation désormais éprouvée et la doctrine d’emploi évolutive. De plus,
même si dans certaines situations le drone armée reste un des rares effecteurs
à pouvoir couvrir seul l’intégralité des missions allant de la détection à la
neutralisation des cibles dans la durée, les délais de déploiement de cette capacité
complexe entachent son efficience.
Néanmoins, une intégration plus poussée de ces systèmes novateurs au
sein des capacités aériennes traditionnelles s’avère être une piste prometteuse.
Tout comme la colocalisation du Harfang, du Rafale et du Centre interarmées
du renseignement de théâtre a permis de maximiser l’efficacité des moyens de
(36) De 3 semaines à 1 mois en fonction de l’anticipation et des contraintes sur le lieu de déploiement
(37) CNOA de Lyon-Mont Verdun.
(38) Intraced.
(39) Renseignement d’origine image, électronique et communication.

249
renseignement français, le regroupement d’aéronefs et de drones au sein d’un
même escadron permettrait de profiter des qualités de chaque capacité tout en
minimisant leurs faiblesses inhérentes. Cette solution favoriserait de nouvelles
synergies propices à l’efficacité opérationnelle et permettrait de répondre aux
sollicitations des armées et des autres ministères de manière cohérente, réactive
et adaptée. Enfin, au-delà de l’utilisation séquencée de ces deux moyens pour
allier réactivité et persistance, une doctrine d’emploi combiné permettrait
également d’optimiser les effets obtenus dans les domaines allant de la détection
à la neutralisation.
Si l’emploi coordonné d’avions pilotés de l’intérieur et à distance préfigure le
futur des opérations aériennes, le renfort de l’escadron de drones 1/33 Belfort par
des avions ISR semble être une manière abordable, pragmatique et progressive
d’initier l’intégration de ces deux moyens complémentaires.

250
La manœuvre des capteurs :
un rouage essentiel
de la conduite des opérations
militaires modernes
Lieutenant-colonel Christophe Fontaine

Les opérations militaires modernes sont le fruit d’un subtil équilibre


entre des actions cinétiques conventionnelles et/ou spéciales, d’autres faites
de déception et d’influence, sur terre, sur et sous le dioptre, dans les airs,
dans l’espace et le cyberespace. Le tout est généralement planifié, conduit
et opéré en interarmées, en interalliés ou en coalition. Dans la plupart des
cas, ces opérations sont conduites dans un cadre juridique bien normé : une
résolution du conseil de sécurité des Nations unies. Ces plans et ces actions
ne sont possibles que couplées, alimentées, éclairées par les fruits d’un plan
de recueil de renseignement qui consiste à mettre en œuvre différents capteurs
dans le spectre visible et invisible à partir, en ce qui concerne du renseignement
technique, d’une large gamme de plates-formes spatiales, aériennes, terrestres,
navales ou sous-marines. Déclenché avant le début des opérations, ce plan
de recueil se poursuit tout au long de l’engagement des forces et, parfois, se
prolonge même après leur retrait. Le renseignement est à la fois l’amorce du
processus des opérations militaires modernes, le lubrifiant des rouages de cette
machinerie complexe et son carburant. En effet, le processus de poursuite d’une
politique par d’autres moyens que la diplomatie ne peut et ne doit se concevoir,
qu’appuyé par cette manœuvre des capteurs. L’enjeu est bien d’atteindre l’état
final recherché (EFR), tel que défini par le niveau politico-stratégique.
Trois engrenages sont donc actionnés de manière synchrone par le niveau
opératif en vue de l’obtention de l’EFR : le ciblage, les actions sur les perceptions
et l’environnement opérationnel (APEO) — qui remplacent les anciennes
opérations d’information (OI) — et la manœuvre des capteurs (40). Le ciblage
est certainement l’engrenage principal d’une opération où l’action « kinetic »
est dominante. Il consiste en l’application de la force en vue d’obtenir des
d’effets de différente nature. Celui des APEO n’est pas moins important. Il
s’agit d’influencer, de convaincre, voire de susciter l’adhésion, par l’application
d’effets agissant dans le champ immatériel qu’est la dimension psychologique
et affective de l’adversaire. Cela s’applique aussi à la population qui l’entoure.

(40) En France, les actions sur les perceptions et l’environnement opérationnel (APEO) sont définies
en fonction de la stratégie militaire d’influence. Elles comprennent : la Sécurité opérationnelle ou
OPSEC, la communication opérationnelle, le brouillage offensif dans son aspect contre les moyens
de communication de masse, les affaires civilo-militaires ou CIMIC et une partie de la cyberguerre.

251
Quant à celui constitutif de la manœuvre des capteurs, il irrigue constamment
les deux autres. C’est au travers de ces trois rouages que s’exprime donc tout
l’art opératif, dans le cadre d’une manœuvre générale, faite de commandement,
de coordination, de déconfliction et de synchronisation des actions des
composantes air-terre-mer-forces spéciales. Il s’agit d’obtenir des effets précis,
pertinents, durables et décisifs sur le système adverse. C’est véritablement à ce
niveau, qui se trouve à la croisée du monde politique, diplomatique, civil et
militaire, que se conduit cette manœuvre globale de coordination des actions
cinétiques et non cinétiques, du recueil du renseignement et, plus généralement,
des effets à obtenir.
La description fine des interactions entre ces trois rouages dépasse très
largement le cadre de cet article et de l’ouvrage sur les drones dans lequel il
est publié. Bien que cela représente un intérêt majeur pour appréhender et
comprendre les subtilités de la planification et de la conduite des opérations
militaires modernes, cet article se limitera simplement à préciser les contours
théoriques de leurs interactions avec celui de la manœuvre des capteurs. Ainsi,
seront abordés les processus, le cadre temporel, les structures et les acteurs,
leurs fonctions et les interactions de cette dernière avec les deux rouages
précédemment cités. In fine sera conduit un focus particulier sur un type de
capteurs qui dynamise et fluidifie cette manœuvre : les drones MALE.

un peu de théorie
Sans que l’on puisse affirmer la primauté d’un des rouages sur l’autre, il
est remarquable que la manœuvre des capteurs soit présente sur l’intégralité
de l’échelle de temps des opérations : la planification, la conduite et le
désengagement. Elle est contributrice des opérations dès le départ, aux travaux
de planification à froid et en anticipation. Le but est d’assurer d’une part, le
meilleur emploi de la totalité des senseurs mis à disposition du chef de niveau
opératif lors de la génération de force et, d’autre part, d’assurer la satisfaction
optimale des différents demandeurs/clients (dirigeants politiques, niveau
stratégique, chefs de composante tactique, unités sub-tactiques, pion de théâtre).
Elle vise par une phase de préparation de l’espace opérationnel (PREO),
au delà du renseignement des autorités, à préparer le déclenchement potentiel
d’opérations. Dans cette phase, les capteurs sont multiples : satellites
d’observation radar et optique, drones de longue endurance opérant à haute
altitude et à distance de sécurité de type HALE, capteurs terrestres, aériens
et maritime opérant dans le champ électromagnétique, sources humaines et
ouverte, etc.
Après la phase autonome de préparation de l’espace opérationnel, la
manœuvre des capteurs se place en soutien des deux autres rouages, ciblage
et APEO, pendant les phases actives de l’action militaire. À l’issue de cette
dernière, elle redevient dominante, dans la partie finale des opérations (en phase
de repli ou de désengagement), afin d’appuyer la force. Il s’agit notamment de
donner les éléments d’appréciation permettant d’évaluer, en fonction de critères

252
prédéfinis en planification, l’obtention de l’EFR. Cette manœuvre des capteurs
vise à donner les éléments d’appréciation au décideur politico militaire qui
lui permet de prononcer la fin de l’opération et le désengagement de la force.
Dans la conduite des opérations, la manœuvre des capteurs est en
permanence présente par des actions de recueil visant à alimenter les différents
organes de décision et/ou d’action. Ces deux fonctions opèrent selon des boucles
temporelles dissymétriques. Ils ont, de ce fait, des besoins en renseignement
d’un niveau de granularité différent. Cela impose à cette manœuvre, de non
seulement gérer la satisfaction de ces différents acteurs, avec leurs contraintes
plurielles : temps – pertinence - synthèse – précision, mais, aussi leurs différents
besoins de synthèse. Au-delà de la quantité, ce qui importe est la pertinence du
renseignement et sa temporalité (âge du renseignement). En effet, comme nous
l’avons déjà noté, l’information et le renseignement sont à la fois les amorces
de tous les cycles décisionnels, mais en sont aussi le carburant tout au long
de la campagne. Tous deux permettent l’amorçage de ce mécanisme complexe
que représente une opération militaire moderne, quelque soit son intensité.
Sa conduite devra invariablement être réalisée au gré des écueils que sont la
friction et le brouillard de la guerre.
Cette manœuvre fonctionne, dans un modèle optimal, et à l’instar du
ciblage, sous la forme d’un échange permanent entre les différents niveaux
de la structure de commandement. Du bas vers le haut (Bottom-up), sont
formulées les demandes de soutien renseignement : surveillance, acquisition
d’objectifs, renseignement et reconnaissance (SA2R (41)) ainsi que l’état
capacitaire des moyens de recueil organiques non complètement utilisés pour
la satisfaction des besoins des unités élémentaires. Du haut vers le bas (top-
down) en découlent une coordination, une déconfliction, un séquencement et
une répartition des priorités et responsabilités de recueil élaborés au niveau
opératif sous la forme d’un plan et d’un tasking. Pour cela, une structure de
coordination, de collecte des besoins et de l’état du renseignement recueilli est
mise en place au sein de toute la structure de commandement. Il s’agit d’un
réseau de cellules parentes nommées Coordination Collection Intelligence and
Reconnaissance Management (CCIRM). À son sommet, au niveau opératif, se
trouve un organisme en charge de la direction de cette manœuvre : le Daily Assets
Reconnaissance Board (DARB). Au niveau d’un JFACC, il est complété par
une Intelligence Surveillance and Reconnaissance Cell (ISARC). Cette structure
DARB – CCIRM – ISARC est fondamentale pour le bon fonctionnement et
la fluidité de cette manœuvre.
Elle souffre pourtant d’un certain nombre de faiblesses inhérentes au
renseignement, qui, sinon amoindrit sa capacité d’action réelle, du moins
limite son potentiel de maximisation de l’emploi des capteurs en théorie
sous sa responsabilité. En effet, dans le cadre de l’OTAN ou en coalition, les
nations rechignent à placer la totalité de leurs moyens SA2R sous la coupe
d’une structure supranationale. Ceci, au-delà des aspects de souveraineté et des
questions juridiques liées à l’échange du renseignement, repose très largement
(41) En Anglais ISR : Intelligence, Surveillance and Reconnaissance.

253
sur une culture du partage qui n’est pas intrinsèquement naturelle chez les
animateurs du cycle du renseignement. Ainsi, l’OTAN étant une alliance de
nations souveraines, le moyen de contourner ces contraintes se fait selon deux
axes, le portail BICES dédié à l’échange du renseignement de niveau surtout
politico-militaire et une séparation géographique par nations des zones de
responsabilités. Dans les faits, à moins d’une communauté de vue parfaite
sur les objectifs de la campagne et des moyens d’y parvenir, une ségrégation
géographique par nationalité sera généralement opérée sur le théâtre, sans que
celle-ci constitue un absolu. Ainsi, les nations disposent de la responsabilité
du recueil dans cette zone, ce qui préserve leur souveraineté en matière de
gestion des capteurs. À cela, la notion de Battle Space Owner (BSO) est venue
renforcer les aspects de déconfliction des opérations mais pas forcément de
celle des capteurs.
À titre d’exemple, le Harfang déployé en février 2009 sur le théâtre afghan,
était un capteur du Joint Force Air Component Command (JFACC). Cette
composante aérienne n’avait plus, à l’instar de la France, d’objectif national
propre de recueil. La responsabilité de déterminer les missions et les objectifs de
recueil (TACON) des deux Harfang était donc déléguée au niveau de l’ISAF. LE
JFACC plaçait ainsi ses capteurs en position de « supportant » l’action ISR de la
composante terrestre. Les Harfang ont donc été intégrés dans une planification
commune dont le seul droit de tirage dépendait des besoins exprimés par les
différentes Task Forces (TF), quelque soient leur nationalité. Cette délégation
totale sans droit de tirage national relève donc un choix souverain assumé de
l’EMA. Il permettait ainsi de satisfaire les besoins de multiples clients (Task
Force La Fayette, TFs conventionnelles et spéciales de l’ISAF, etc) et d’inscrire
clairement l’action de la France dans celle globale de l’ISAF. L’EED 1/330 Adour
d’abord puis l’ED 1/33 Belfort ensuite, ont écrit une belle page de l’histoire
du renseignement et des opérations aériennes françaises. Il en sera de-même
dans le cadre de l’opération Unified Protector (OUP) en Libye. À l’exception
de deux missions purement nationales, l’intégralité des missions sera placée
sous la direction du Coalition Force Air Component Command (CFACC)
localisé à Poggio Renatico en Italie. En Afghanistan et en Libye le contexte
d’emploi des capteurs est particulier. Il convient de garder cela à l’esprit au
moment et sur les deux théâtres afghan et libyen, un contrôle national sur la
cohérence de l’emploi du Harfang est exercé par les représentants du CEMA
déployés sur le théâtre.
Ces deux théâtres ont le point commun de tirer les leçons de ces conflits
pour préparer l’avenir : les alliés ou coalisés disposent de la supériorité aérienne
quasiment immédiatement. Cela ne sera pas toujours le cas, loin s’en faut,
notamment avec la prolifération des “double digit SAMs” (Missiles sol-air
modernes longue portée ou/et de technologie supérieure). Ces systèmes de
défense anti-aériens modernes de fabrication russe ou chinoise complexifient la
conduite des opérations aériennes et nécessitent de disposer de moyens pour les
supprimer. Cela souligne d’abord l’importance de la préservation de l’aptitude
des aviateurs à conduire des opérations aériennes sans les drones, au moins le

254
temps d’acquérir un niveau suffisant de supériorité aérienne. Cela démontre
la nécessité de disposer d’autre part de capteurs stand off performants afin
de pouvoir, en complément des satellites, effectuer un recueil persistant du
renseignement permettant d’amorcer les opérations avec une connaissance
suffisante ; cette capacité ouvre la voie aux possibilités d’« entrée en premier »
L’enjeu reste donc l’aboutissement d’un processus où dans le monde idéal,
tous les capteurs concourent au plan de recueil élaboré au niveau opératif et mis
à jour quotidiennement au sein du DARB. Ce dernier est le pendant de ceux
traitant du ciblage (Joint Targeting Working Group/Joint Targeting Board -
JTWG/JTB) et des APEO (Joint Information Operations Working Group/Joint
Information Operations Board - JIOWG/JIOB). Il vise à obtenir la meilleure
optimisation des capacités de recueil mises à la disposition du « pot commun »
de la coalition. Globalement, sont gérés à son niveau les moyens mis pour
emploi par les composantes, pour l’essentiel placés au niveau du JFACC, afin
de soutenir les besoins des autres composantes.

pLusieurs temps réguLent cette manœuvre


La manœuvre des capteurs est donc planifiée, organisée et conduite de
manière homothétique à la manœuvre de ciblage. Le tempo de la seconde influe
sur le tempo de la première. Ainsi, quand les besoins en ciblage s’accélèrent
en conduite (Time Sensitive Targeting – TST et Dynamic Targeting - DT) ou
en planification (Dynamic Deliberate Targeting - DDT), la manœuvre des
capteurs en fait de même.
Il est généralement admis qu’une composante tentera de satisfaire d’abord
ses propres besoins en matière de recueil ISR/SA2R, qu’ils soient planifiés ou
immédiats, au moyen de ses capteurs organiques avant de faire appel au niveau
supérieur pour les satisfaire. C’est tout simplement l’application du principe de
subsidiarité et un mode de fonctionnement normal des opérations militaires.
Ce principe est fondamental dans la mesure où tous les besoins ne peuvent
être satisfaits simultanément et le niveau opératif ne peut et ne doit pas tout
gérer. Il est de son ressort d’intervenir quant survient un manque et d’affecter
le moyen disponible le plus adapté afin de prendre en compte ce besoin en
fonction du déroulement de la campagne.
Ce cheminement de demande de soutien renseignement s’inscrit dans le
processus CCIRM décrit supra. Ce dernier vise à recueillir les demandes, leur
affecter une priorité et déterminer quel est le capteur le plus adapté pour lui
apporter une réponse qui est assujettie aux priorités du moment. En fonction
du déroulement des phases et sous-phases de l’opération, telles que définies
dans l’OPLAN et les différents documents corollaires (Joint Coordination
Order, Supplementary Plan, Air Operations Directive), les capteurs seront
orientés en fonction des priorités de l’instant, et de l’axe d’effort du moment.
Ainsi, au gré du déroulement de la campagne, telle ou telle composante sera
tantôt « supportant/supporting » ou « supportée/supported ». Elle assurera
alternativement ou concomitamment, de manière principale ou secondaire,

255
le soutien renseignement à son profit et/ou celui des autres composantes. Les
axes d’efforts et de répartition des moyens (apportionment) sont définis dans
le document qui cadre et rythme le déroulement de la campagne : le Joint
Coordination Order (JCO). Ces directives n’ont pas vocation à satisfaire les
besoins de tous car il est rare que les capteurs soient en nombre suffisant pour
le faire. En effet, comme c’est souvent le cas, la génération de force n’aura
pas permis de fournir au chef opératif ou des composantes tactiques, tous les
capteurs nécessaires à la conduite des différentes manœuvres de leurs niveaux
respectifs. Il s’agit dans ce cas de gérer les priorités au gré des contingences du
plan et des réactions de l’adversaire. Ainsi, des arbitrages qui seront réalisés
en planification ne manqueront pas d’avoir des conséquences en matière de
conduite des opérations.
En Libye, par exemple, la campagne débute avec deux drones Predator US.
En raison du positionnement en retrait des Américains et de la priorité des
opérations conduites sur les autres théâtres, ils n’engageront au total que six
Predador, un avion U2 et un Global Hawk. Ces derniers étaient en cours de
montée en puissance sur la base aéronavale de Sigonella en Sicile au moment
du déclenchement des opérations. Mis à part le Harfang, seul un Reaper italien
viendra renforcer la capacité de transmettre des vidéos en temps réel (FMV)
de la coalition. Aussi, l’intégralité des moyens ISR/drones étaient gérés par le
CFACC de Poggio Renatico. L’arrivée des MALE italien et français a permis
de dégager les Predator armés des missions de surveillance traditionnelles, afin
de les employer sur des actions de frappes en milieu urbain. Leurs missiles de
type Hellfire étaient parfois plus adaptés, en raison de leur faible létalité, que
les armements guidés laser classiques.
Sur ce théâtre, la modification des modes d’action des troupes pro-
Kadhafi pour se soustraire à la redoutable efficacité des frappes aériennes a
conduit à leur basculement des casernes vers le milieu urbain. La conséquence
immédiate de cette adaptation a été le ralentissement du tempo des frappes
aériennes en raison du rallongement de la boucle Observation-orientation_
décision-action (OODA) dans ses dimensions observation et orientation.
En effet, il devenait de plus en plus difficile de les localiser, de les identifier
et d’assurer une discrimination certaine avec la population civile et les forces
rebelles. Ici, la manœuvre des capteurs atteint ses limites tout comme celle de
ciblage. Les priorités ont donc été redéfinies pour prendre en compte le besoin
de ségrégation des cibles d’intérêt militaire au sein d’un environnement civil
dans le cadre d’une accélération du cycle de ciblage. Cette accélération visait
à reprendre l’initiative et ainsi réintroduire une insécurité chez l’adversaire en
l’obligeant à bouger plus rapidement et ainsi à se découvrir. Une adaptation
du cycle de ciblage dont l’explication dépasse le cadre de cet article n’a pu
produire les effets escomptés qu’en raison d’une part, de la capacité d’OUP à
disposer d’orbites permanentes de surveillance (OPSAM) dont certaines étaient
multicapteurs et armées, et d’autre part, par les délégations dont disposaient la
quasi totalité des représentants des nations contributrices en moyens offensifs.
C’est bien d’une part la latitude laissée au commandant tactique air de Poggio

256
Renatico par le niveau opératif qui lui permettra de reprendre l’initiative en
adaptant le cycle de ciblage pour arriver à une durée inférieure à 12 heures,
alors que le processus « stanaguisé prévoyait un cycle de 72h. La composante
aérienne a démontré son aptitude à produire une accélération du tempo des
opérations et à valoriser l’emploi des capteurs dans toute la profondeur du
théâtre. Cela n’a été possible qu’en raison des caractéristiques de persistance
des drones MALE (Predator, Harfang, Reaper), HALE (Global Hawk) et des
plates-formes SA2R à grande endurance (RC-135 RJ, E-8 J-STARS, U-2 S,
…) et de la flexibilité des autres capteurs « non traditionnels » (NTISR) avec
l’utilisation des pods de désignation laser des avions de chasse. Ainsi, les besoins
dans les domaines devenus prioritaires en matière de Pattern of Life (POL) et
en Battlefield Damage Assessment (BDA) qu’impliquait la mise en œuvre du
Deliberate Dynamic Targeting (DDT) ont pu être satisfaits tout en préservant
à un niveau le plus bas possible celui des dégâts collatéraux.
La technologie permet d’introduire le temps réel au plus haut niveau
de l’appareil décisionnel. Les capteurs couplés aux réseaux via des liaisons
satellites permettent ainsi techniquement, de voir, percevoir, diriger à distance
et commander. L’enjeu permanent reste bien d’éviter au maximum les effets
pervers du micro management. En effet, une utilisation centralisée des nouvelles
possibilités offertes par le temps quasi réel est particulièrement tentante. Mais,
elle ne peut qu’être préjudiciable aux opérations, elle peut obérer la capacité
du chef militaire d’adapter, de réguler le tempo opérationnel en fonction des
modes d’action de l’adversaire. De ces contractions de la boucle décisionnelle,
peut découler un risque non négligeable consistant, de manière paradoxale,
en une accélération du cycle de fonctionnement des étages décisionnels dont
ce n’est pas la fonction. La prise de décision ainsi remontée à des niveaux
peu ou pas habitués à ces rythmes de temps réel peut entraîner à terme, une
désorganisation de toute la chaîne de commandement. Le danger est au mieux
un ralentissement de l’action et au pire sa paralysie.
Dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’intelligence du système de
commandement de niveau stratégico-opératif, doit se placer dans le respect de
la règle de la subsidiarité, autrement dit, celle de la délégation. Dans la plupart
des cas, le bon sens impose, face à cette capacité de plongée numérique dans
l’action, une délégation au plus bas niveau possible : le niveau de commandement
tactique, celui du lieu de l’action. Dans d’autres, il faudra l’envisager jusqu’au
cockpit de l’avion de chasse, de l’hélicoptère de combat ou celui du drone.

L’efficience de La manœuvre des capteurs est c4i dépendante


La mise en place d’une structure SIC adaptée aux ambitions de cette
manœuvre des capteurs, en particulier pour la transmission et la mise à
disposition des informations ou des renseignements recueillis en général,
est donc le corollaire de toute ambition dans le domaine du renseignement
notamment temps réel.

257
Un flux non contrôlé/fusionné d’informations diffusées sans processus
robuste et éprouvé au travers de Système d’information opérationnel et de
commandement (SIOC) de fusion du renseignement peut conduire à noyer
la chaine décisionnelle avec un surplus d’informations, voire mener à sa
paralysie. C’est la raison pour laquelle une organisation spécifique (CCIRM),
des procédures clairement établies, connues et respectées de tous, ainsi que des
systèmes d’information et de communication (SIC) optimisés reliés à des SIOC
adaptés pour assurer la gestion de la manœuvre des capteurs, la fusion et la
diffusion du renseignement au travers de la structure C2, sont fondamentaux.
Cette organisation est d’ailleurs valable quelle que soit la structure de
commandement - nationale ou de type OTAN - ou la qualité du demandeur
(pion de théâtre, escadron, GTIA, Task Force, commandement de composante
ou COMANFOR). Les éléments qui vont dimensionner les débits nécessaires
à la transmission du renseignement sont l’urgence de la satisfaction du besoin
(décision du chef, TST, CSAR, appui aux actions en cours, …) et la nature
plus ou moins élaborée du renseignement ou de l’information demandé (FMV,
Pattern Of Life, dossier d’objectif, images, données brutes). Ici, tout l’enjeu
vise à prioriser ce qui relève du temps réel, du temps contraint, du temps long
liés à la planification, bref du court, moyen ou long terme.
Dans le cadre de l’emploi de drones MALE ou HALE, la disponibilité en
bande passante satellitaire au – dessus de la zone d’opérations est la première
condition en vue d’un déploiement. Il s’agit de pouvoir non seulement récupérer
les images mais aussi pouvoir piloter les drones dans toute la profondeur du
théâtre sur lequel ils sont engagés. En ce qui concerne l’aspect diffusion, une
approche mixant mutualisation du renseignement obtenu et décentralisation
pour son accès, est à privilégier. Il s’agit de capitaliser sur les enseignements
tirés des projets Multi-sensor Aerospace/ground Joint ISR Interoperability
Coalition (MAJIIC) conduits dans le cadre de l’OTAN. L’enjeu est de créer un
portail accessible à tous ceux qui requièrent un soutien SA2R ou un soutien
en produits géographiques liés au renseignement - Geographical Intelligence
(GEOINT). Ainsi, en planification, chaque “client” peut consulter un portail
avant d’effectuer une demande et consulter les données disponibles, voire en
cours de recueil. De la même manière, en conduite, une consultation des données
en cours de recueil permet de capitaliser sur le recueil en cours et éviter une
demande de retasking dont la satisfaction restera dépendante de nombreux
facteurs extérieurs pas toujours compatibles des délais et de la réactivité
demandés. Cette architecture fonctionne grâce à des serveurs informatiques
temps réels spécifiques et dédiés. Et, elle a donc un coût. Cette capacité nécessite
il est vrai d’énormes moyens informatiques et de réseaux. Cela s’avère souvent
le point faible de ces architectures info centrées. C’est particulièrement le cas
lors des déploiements extérieurs sur des territoires où les réseaux sol ne sont
pas toujours disponibles, voire inexistants.
Une colocalisation des acteurs (niveau opératif, JFACC et CAOC) est,
dans la mesure du possible et au vu des contraintes identifiées de ressources
en débit SATCOM, à privilégier dès la planification. L’enjeu est ainsi d’éviter

258
une dispersion excessive des structures de commandement, de complexifier
inutilement les réseaux de communication. Mais, ce choix en matière de
localisation ne résout pas tout. Il est fondamental que le renseignement
parvienne également à temps aux différents niveaux sub-tactiques, aux TF et,
notamment aux équipages. C’est souvent ce dernier relais qui pose problème,
pour des questions d’éloignement, de réseaux insuffisamment robustes pour
supporter le flux de données, de compatibilité des formats d’échange ou de
classification, ou encore de niveau de synthèse inadapté aux besoins pour
la préparation des missions. Par conséquent, la gestion en temps réel de la
disponibilité de la bande passante est un vrai enjeu, sinon une vraie manœuvre
à part entière, aussi importante que les trois rouages opérationnels évoqués
supra. C’est particulièrement vrai en raison de débits toujours plus importants
nécessaires pour transmettre des images, des besoins en guidage et diffusion
des drones. À cela s’ajoute la consommation en bande passante conséquence
de la multiplication des outils de C2, des visio-conférences.
La capacité à retransmettre dans des délais les plus contraints possible et
dans des formats compatibles et exploitables, fut un défi permanent pendant
OUP. La France a, dans cette optique de fusion et d’optimisation des capacités,
sans pertes capacitaires, et tout en maximisant les capacités de transmission
limitées de données, fait le choix de privilégier la co-localisation de tous les
capteurs avec le centre de fusion renseignement tactico-opératif Joint Deployed
Intelligence Center (JODIC) à Sigonella. Sur cette base de l’aéronavale italienne,
opéraient les Rafale Reco NG et le drone Harfang. Cela s’est fait au détriment
d’une logique qui veut que généralement le conseiller renseignement et son
centre de fusion soit placé au plus près du général National Representative
(NR) lui-même positionné à Poggio renatico au CFACC. Ce fut le choix des
Américains et des Britanniques. Le débat reste ouvert quant à la pertinence
de l’option décentralisée française vis-à-vis de celle, centralisée, de nos alliés
anglo-saxons.
La multiplication des capteurs ISR et de leurs capacités ne sauraient être
l’unique gage d’efficacité en matière de recueil du renseignement. Sans structure
C4 ISR, c’est à dire un réseau reliant des outils de programmation, de conduite
et de diffusion des informations fusionnées en temps réel, cette manœuvre des
capteurs ne peut pas s’adapter aux rythmes et besoins des opérations modernes,
notamment aériennes.

Le drone dans La manœuvre des capteurs


La capacité intrinsèque des drones MALE d’assurer la persistance de la
surveillance permet d’améliorer l’aptitude de la structure ISR à s’adapter à
l’imprévu et aux conséquences de la friction. La surveillance permet, grâce à
des véhicules aériens pilotés à distance ou non, « de passer d’une reconnaissance
intermittente à une surveillance permanente d’une cible et de son environnement » (42).

(42) Christophe Fontaine, «  S’il vous plaît… dessine-moi une orbite de drone…  », Le Monde.fr,
consulté le 16 avril.

259
En fonction des besoins liés à une opération donnée, une manœuvre des
capteurs combine et optimise l’emploi des différents moyens de renseignement
dédiés à cette dernière. La surveillance vidéo temps réel (FMV) est l’une de ces
capacités. L’information et le renseignement étant les amorces de tous les cycles
décisionnels, le commandant en chef se doit de disposer en permanence en
vue de décider et d’agir, d’une information pertinente, récente et valorisée. La
surveillance à partir de drones MALE, de par leurs caractéristiques propres de
persistance et d’action dans la profondeur du théâtre et de par leur équipement
multicapteurs, voire en armement, permet cette valorisation et la mise à jour
du renseignement à fin de décision et, surtout, d’action. Elle vise à réduire
l’incertitude, prévenir la surprise, et à définir plus précisément la menace.
Pour cela, la surveillance se doit d’être persistante et multicapteurs. L’élément
de seuil pour assurer cette persistance est l’orbite (OPSAM). À l’instar de la
surveillance de l’AWACS, l’enjeu en conduite de la manœuvre des capteurs dans
le domaine de la surveillance est d’assurer la persistance de cette capacité afin
d’en disposer au gré des besoins. Pour cela, le niveau de seuil à rechercher est la
capacité à armer des Orbites permanentes de surveillance armées multicapteurs
(OPSAM). Le MALE offre cette capacité. Il place le commandeur ou l’autorité
politique dans la capacité à disposer d’une persistance de la surveillance d’un
objectif et de son environnement tout comme l’identification, l’acquisition et
l’illumination d’objectifs dans toute la profondeur du théâtre. En fonction des
priorités, elles seront soit planifiées ou re-tasquées en temps réel, afin d’être
synchrone des besoins de ciblage, d’appui aux opérations terrestres, navales
ou spéciales.
Les drones de surveillance ont la capacité d’être équipés de nombreux
capteurs (optique, radar, acoustique, électronique, laser) et, en fonction du
besoin et du contexte, d’être armés. Ce sont les véritables plus-values de ces
systèmes de surveillance par rapport aux autres moyens de renseignement
qu’ils soient pilotés à bord ou depuis le sol ou d’emploi tactique. Ils sont donc
complémentaires et non concurrentiels des satellites, avions de reconnaissance
et des capteurs sol ou embarqués à bord de navires ou sous-marins. L’enjeu est
d’être en mesure de raccourcir au maximum le cycle observation-orientation-
décision-action (OODA) afin d’imposer notre rythme à l’adversaire. Le drone
MALE sera donc tasqué principalement pour faire ce que les autres capteurs
ISR participant à l’opération ne peuvent, ou ne savent pas réaliser : de la
surveillance multi-capteurs persistante et éventuellement armée. Les éléments
déterminants seront la spécificité de ses senseurs et sa capacité à durer pour
la satisfaction de besoins planifiés ou non. Il s’agit de satisfaire les multiples
clients de la chaine de commandement et les différents acteurs engagés dans
le cadre de l’opération. L’enjeu est de contribuer à l’établissement d’une
Common Operationnal Picture (COP) de laquelle sera déclinée une Common
Relevant Operationnal Picture (CROP) pour les plus hautes sphères de la
chaine de commandement. Pour la composante air et les moyens ISR sous sa
responsabilité, c’est au Senior Intelligence Duty Officer (SIDO) placé au cœur
de l’organe de conduite de la manœuvre aérienne que revient la charge de cette

260
manœuvre. Il la conduit en support des missions du moment telles qu’elles sont
définies dans l’ATO et en fonction de l’évolution de la situation sur le théâtre.
Le vol d’un ou plusieurs drones MALE s’inscrit donc pleinement, à l’instar
des capteurs image (Satellites, Mirage F-1 CR, Rafale reco NG), des C-160
Gabriel ou d’autres moyens de surveillance (ATL-2, AWACS) dans la manœuvre
globale des capteurs. À ce titre, le drone MALE doit être considéré comme
un capteur comme les autres. Il n’est pas plus opératif dans son emploi qu’un
avion de chasse n’est tactique. Aujourd’hui, en Afghanistan, des bombardiers
stratégiques, grâce à des modifications leur permettant l’emport d’armement
conventionnel et d’un pod SNIPER, sont utilisés comme plate-forme d’appui
aérien rapproché (CAS). Le MALE est un drone de surveillance mis en œuvre
par l’armée de l’air dont l’emploi dépendra des priorités des missions qui
lui seront attribuées dans le cadre de la manœuvre des capteurs. Elles seront
stratégiques, opératives, tactiques ou subtactique. Sa particularité se situe dans
sa capacité à durer, à s’enfoncer dans la profondeur du théâtre et à diffuser en
temps réel sa vidéo au poste de commandement à plusieurs milliers de km mais
aussi directement au fantassin au sol qui en a également besoin. Demain, cette
vidéo sera transmise en air-air aux aéronefs en vol qu’ils soient des avions de
commandement (AB3C) voire même des chasseurs.
Cette manœuvre des capteurs est donc conduite, comme nous l’avons vu
supra, soit au niveau du C/JFACC quand les opérations sont à dominante
aérienne, soit au niveau interarmées/opératif lorsque les opérations sont
interarmées. Il est néanmoins plus que souhaitable que le niveau opératif
choisisse d’en déléguer la responsabilité à la composante JFACC. En effet,
c’est généralement la composante aérienne qui dispose de cette expertise, de
la majorité des capteurs et du réseau C2 adaptés à la mise en œuvre de cette
manœuvre qui est principalement aérienne, qui est conduite en temps réel et
s’inscrit dans la profondeur du dispositif. Ces exemples de subsidiarité intelligente
sont déjà appliqués dans le cadre de la Personnel Recovery (PR) et du TST.
Cette manœuvre des capteurs est donc conduite, comme nous l’avons vu
supra, au niveau interarmées/opératif lorsque les opérations sont interarmées.
Le CJFACC a une part essentielle dans la détermination de celle-ci compte
tenu des capacités à se projeter rapidement, loin et durablement des senseurs
aériens qu’il met en œuvre. Il est donc plus que souhaitable que le niveau
opératif fasse le choix d’en déléguer la responsabilité à la composante JFACC.
En effet, c’est généralement la composante aérienne qui dispose de l’essentiel
de cette expertise, de la majorité des capteurs et du réseau C2 les plus adaptés
à la mise en œuvre de cette manœuvre. Principalement aérienne, conduite
en temps réel, elle s’inscrit dans la profondeur du dispositif. Ces exemples
de subsidiarité intelligente sont déjà appliqués dans le cadre de la Personnel
Recovery (PR) et du TST.
Sur les théâtres actuels, le tempo des opérations a une forte tendance à
s’accélérer. On se rapproche souvent du cycle Find Fix Track Target Engage
Assess (F2T2EA) du TST. Toutefois, de la même manière que tous les objectifs
ne peuvent être traités selon ce cycle particulier, tant pour des raisons techniques,

261
juridiques qu’opérationnelles, le soutien SA2R qu’apportent notamment les
drones MALE doit répondre à un certain niveau de coordination. Il s’agit de
s’assurer, à l’instar des autres capteurs, que leur utilisation se fait en exploitant
au mieux leurs caractéristiques propres et la réalité des besoins. Enfin, une bonne
planification et une application avec bon sens des principes de subsidiarité et
de supporting-supported ou de supporté-supportant, doivent être l’huile qui
facilitera le fonctionnement des rouages de cette machinerie complexe que
constitue la manœuvre des capteurs.
Les drones, les avions ISR légers, les avions de reconnaissance et les satellites
sont des outils indispensables pour aider à la connaissance et parfois même,
pour anticiper en vue de décider et d’agir. Mais il est illusoire de penser que
le renseignement d’une manière générale, les réseaux et leurs murs d’images
irrigués par la technologie Full Motion Video en particulier, peuvent résoudre
toutes les inconnues de l’équation de la guerre. Il convient donc de veiller à ne
pas laisser ces technologies bouleverser le subtil équilibre, par ailleurs toujours
difficile à trouver, entre les différents niveaux de pouvoir et de responsabilité
dans la prise de décision, l’établissement de l’état final recherché et la conduite
des opérations.
Depuis la révolution dans les affaires militaires (RMA) matérialisée par
l’arrivée massive de l’informatique, des réseaux couplés à l’emploi généralisé
des drones, le sentiment a pu naître, notamment aux États-Unis, que la
technologie donnerait un avantage décisif en particulier dans les guerres contre
insurrectionnelles dites de 4e génération (4GW). Les enseignements des derniers
conflits montrent assez clairement que ce n’est qu’une chimère. Au sol, sur mer
ou dans les airs, la guerre reste une activité→ intrinsèquement et profondément
humaine. Elle est donc par nature imprévisible et soumise à des artefacts, ces
éléments aléatoires dont la prévision ou la compréhension resteront toujours
difficiles, sinon impossibles. Même avec des essaims de drones. N’oublions
donc pas notre “savoir faire la guerre” sans eux.

262
CHAPITRE 5

LES DRONES SUR


LE TERRITOIRE NATIONAL :
ENTRE MISSIONS
INTÉRIEURES
ET USAGES CIVILS

263
264
Les drones et les missions
d’aide aux populations :
cas particulier des DPSA
Commandant David Sécher

apport des drones dans Les dpsa

qu’est-ce qu’un dpsa ?


La police du ciel représente, depuis la naissance de l’arme aérienne, l’une des
missions fondamentales de l’Armée de l’air. Tout en s’assurant la liberté de ses
actions, l’arme aérienne se doit de neutraliser voire interdire les actions de son
adversaire. Longtemps concentrée uniquement sur la protection du territoire
face à une menace militaire, la police du ciel doit aujourd’hui s’adapter à des
formes de menace plus insidieuses, notamment révélées par les actes terroristes
perpétrés le 11 septembre 2001, au-dessus du territoire américain.
De nature bien plus protéiforme et imprévisible que le risque militaire,
cette nouvelle menace utilisant des moyens civils nous impose une permanence
de la maitrise de notre espace aérien, et plus spécifiquement lors de grandes
manifestations faisant l’objet d’une couverture médiatique importante. Ces
événements (sommets politiques, rencontres sportives, etc…) sont de réelles
opportunités pour des mouvements terroristes ou politiques de détourner la
puissance médiatique, déployée pour l’occasion, à leur seul profit, par le biais
d’attentat terroriste ou d’actions de déstabilisation. À l’évocation de cette
menace, nous reviennent forcément à l’esprit des événements comme l’attaque du
mouvement « septembre noir » aux JO de Munich en 1972, ou, plus récemment,
l’intervention de Greenpeace, par la voie des airs, lors du remorquage de la
coque du porte-avions Clémenceau, comme l’importance consacrée aux contre
manifestations lors du sommet de l’OTAN, à Strasbourg, en avril 2009.
L’armée de l’air prend alors sa part de responsabilité, à cette occasion,
dans la mission de la Défense nationale de participer à la protection des biens
et des personnes et de neutraliser toute velléité terroriste ou politique non
dûment autorisée, prévoyant d’utiliser la troisième dimension pour contourner
les dispositifs de sécurité terrestres. Pour ce faire, elle déploie une organisation
originale, réactive et adaptée à un niveau de risque en permanence réévalué :
le Dispositif Permanent de Sureté Aérienne (DPSA), sous les ordres de la
« Haute Autorité de la Défense Aérienne  », Officier Général dépendant pour
l’occasion directement du Premier Ministre.

265
atouts des drones
Ce dispositif, activé de façon continue pendant toute la durée de l’événement,
comprend une composante détection/surveillance s’appuyant notamment sur
des moyens radar fixes, mobiles ou aéroportés (E-3F AWACS, EC-2C Hawkeye),
une organisation d’évaluation et de commandement s’articulant autour des
centres de contrôles fixes ou mobiles et du CNOA (43). Tous ces éléments
concourent à l’engagement de moyens d’intervention adaptés à toute forme
de menace, allant de la gendarmerie de l’air jusqu’au chasseur supersonique à
haute altitude, en passant par les hélicoptères et une gamme d’avions plus lents.
La perspective de disposer en permanence de capteurs optiques performants,
utilisables de jour comme de nuit, font des drones un complément naturel et
essentiel à la composante radar, peu adaptée à la détection d’objets volants
particulièrement discrets (montgolfières, parapentes, ULM, parachutes), ainsi
qu’ à un guet à vue pouvant paraître aujourd’hui obsolète, mais terriblement
efficace en dernier ressort s’ il est associé aux missiles sol-air à courte portée.
Ce complément offre donc une possibilité de détection des décollages de ces
objets et de filature discrète et efficace.
Capable d’évoluer sur l’ensemble de la zone à protéger, sans contrainte
physique, la grande réactivité du drone et sa capacité à rediffuser ses observations
en temps réel sur les réseaux de commandement de circonstance permettent à
l’HADA d’affiner en permanence son évaluation de la menace et de choisir le
mode d’action ou de réaction pertinent.

missions génériques
La préparation des missions du drone durant ce genre d’événement nécessite
un apprentissage approfondi des habitudes des différentes organisations
terroristes ou subversives, afin d’anticiper leurs éventuels objectifs et modes
d’action. Ce travail minutieux des équipages drone ne saurait non plus obérer
l’étude du terrain (relief, nature du sol, couvert végétal, accès piétons et routiers)
et des conditions climatiques (vents, visibilité, courants ascendants), qui peut
conditionner l’utilisation d’un des moyens aériens énumérés ci-dessus.
L’échange d’informations avec diverses agences de renseignement (DRM,
Gendarmerie nationale, Polices nationale et municipale, Douanes), et des acteurs
locaux, ainsi qu’un suivi des différents sites internet du milieu altermondialiste
et groupuscules activistes permettent d’identifier une première liste de sites
à surveiller en priorité. La stratégie ainsi établie repose sur un principe de
surveillance cyclique de plusieurs sites, dispersés sur une large zone. L’équipage
reste, néanmoins, en relation avec le CNOA, qui garde la possibilité de modifier
la mission du drone en permanence.

(43) Centre National des Opérations Aériennes sur la base de Lyon-Mont Verdun.

266
une utiLisation aujourd’hui rodée
La mise en œuvre de drone lors de tels événements remonte déjà à une
dizaine d’années avec le système F-Hunter, drone israélien acquis par la DGA
auprès de la société IAI et affecté à l’Armée de l’air à des fins exploratoires.
L’expérience F-Hunter : G8 Evian mai 2003 & 60ème anniversaire de l’OP
Overlord juin 2004
Faisant suite à deux séjours au Kosovo, marquant ainsi la période de
commandement français de la KFOR, l’escadron d’expérimentation drones,
alors « interarmées », reçut l’ordre de déployer son système sur l’aérodrome
d’Annecy, afin de participer à la protection du sommet du G8 à Evian. Ce
premier épisode fût déjà marqué par une collaboration étroite avec les forces
de police. Contraints par le fait de déposer leurs itinéraires de manifestation,
les importants groupes d’altermondialistes ont vite cherché à contourner
ce dispositif pour accroître leur potentiel de nuisance. Cette stratégie a pu
être, dès les premières lueurs du jour, décelée par les équipages du drone ; ces
derniers évaluant ainsi rapidementles intentions des manifestants. Les CRS
et la gendarmerie mobile ont, dès lors, pu modifier leur organisation pour
intercepter le cortège et interdire l’accès aux lieux de négociations.
Remarqué à cette occasion, le drone Hunter allait confirmer son succès
l’année suivante, lors des commémorations du débarquement allié en
Normandie. Déployé sur le terrain de Granville, du 26 mai au 11 juin 2004,
le drone a pu reconnaître l’ensemble des sites historiques (le pont Pégasus, la
plage « Omaha », la commune de Ste Mère l’Eglise, les ouvrages de la pointe
du Hoc) et couvrir l’intégralité des cérémonies, notamment avec l’arrivée des
chefs d’États. La retransmission vidéo en temps réel vers la préfecture à Caen
et le centre de conduite des opérations à Taverny a pu satisfaire l’ensemble des
besoins exprimés par les autorités et a autorisé une réorientation très réactive
de la surveillance en fonction des activités détectées.

Lourdes 2008
La participation du SIDM (44) à la bulle de protection établie au-dessus
de Lourdes, du 13 au 15 septembre 2008, pour la venue du Pape, revêt un
caractère particulier dans l’histoire de ce projet. Après une mise au point longue
et difficile de cette version francisée du drone israélien Heron, l’Armée de l’air
a pris possession de ce nouveau système sur la base de Mont de marsan, au
début du mois d’août. Et c’est dès que les premiers équipages opérationnels
furent fraîchement formés, par l’industriel, que la décision de l’employer
lors de ces cérémonies fut prise. L’enchainement de difficultés techniques et
d’ajournements contractuels autour de ce projet furent tels que la réussite de
ce premier engagement devint rapidement un enjeu majeur de communication,
notamment pour la filière drone MALE.

(44) Système Intérimaire de Drone MALE.

267
Dans le même temps, l’issue dramatique des combats dans la vallée d’Uzbeen,
en Afghanistan, allait bouleverser le calendrier d’expérimentation prévu par
le CEAM (45). L’analyse des conditions d’engagement qui ont conduit à la
disparition d’une dizaine de nos frères d’armes de l’Armée de terre a mis en
évidence une carence en moyens de surveillance dans la zone sous responsabilité
française et a poussé le Président de la République à ordonner le déploiement
du SIDM en Asie Centrale dans les plus brefs délais. Le CEAM fut donc
contraint de se concentrer, sous un délai contraint à 4 mois, sur la formation
du personnel équipage et techniciens nécessaires au déploiement et à la mise
en œuvre du système pour une durée indéterminée, sur la façon d’appréhender
les missions qui allaient être dévolues au système en Afghanistan (détection
d’individus, suivi de convois, etc…) et d’analyser les contraintes et menaces qui
pourraient peser sur le drone en ces contrées difficiles. Ainsi, outre la nécessité
de satisfaire les besoins de surveillance de la HADA, l’occasion fut donnée à
l’Escadron d’Expérimentation Drones 01.330 Adour de prouver d’abord la
qualité de son personnel hautement qualifié et expérimenté, malgré la jeunesse
du système, et surtout de faire un bilan des efforts encore à fournir pour réussir
son déploiement en début d’année suivante et pour appuyer efficacement les
troupes françaises en Kapisa.
Au delà de la quinzaine d’heures de surveillance effectués au profit
de ce DPSA, qui n’a heureusement conduit qu’à la verbalisation de deux
parapentistes ayant omis de lire la réglementation en vigueur pour l’occasion,
SIDM a pu se confronter à des conditions d’utilisation plus proches de celles
de l’Afghanistan que de celles vécues au-dessus d’Israël. Les quelques vols de
répétition et opérationnels effectués dans cet environnement semi montagneux
ont rapidement mis en évidence que le système était rapidement contraint par
les conditions météorologiques et ne présentait pas une fiabilité technique à
toute épreuve. Les équipages ont quand même pu s’appesantir sur le suivi des
convois officiels, la surveillance de points particuliers et de rassemblement de
foules ainsi que la coordination avec les moyens d’intervention au sol.

g8 deauviLLe 2011
Le DPSA mis en place pour la réunion du G8 à Deauville, en mai 2011, s’est
déroulé dans un contexte différent du précédent. Ce sommet, sous présidence
française, fut d’un intérêt politique de premier plan et poussa l’Armée de l’air
à déployer des moyens modernes et conséquents (missiles MAMBA, radar
Giraffe, etc…). La pression pour la réussite de cet événement força même
l’état major à choisir le redéploiement du Harfang sur la base d’Evreux plutôt
que de risquer des transits longs depuis Cognac. Pour autant, l’atmosphère,
qui régnait au sein du tout nouvel escadron de drones 1/33 Belfort, dégageait
beaucoup plus de sérénité qu’en septembre 2008. L’unité s’appuyait maintenant
sur une solide expérience de près de 3 000 heures de vol en Afghanistan et
plusieurs centaines de missions complexes à son actif, au profit des troupes

(45) Centre d’Expériences Aériennes Militaires.

268
conventionnelles et forces spéciales de l’OTAN. Elle disposait, de plus, depuis
quelques mois, d’un système supplémentaire lui permettant de s’entraîner en
France et de former de nouveaux équipages.
À l’exception de quelques interventions liées au non-respect de la
zone d’exclusion aérienne par des pilotes amateurs peu scrupuleux de la
réglementation, la surveillance n’a pas mis à jour de menaces aériennes majeures
pour le sommet. Le drone Harfang a donc pu être mis temporairement à
disposition d’autres autorités pour des missions de surveillance terrestre.
Il a ainsi permis au préfet en charge de la sécurité de l’événement de suivre
en permanence l’évolution des contre-manifestations, ayant eu lieu le week-
end précédant le sommet, au Havre, puis d’anticiper toute action potentielle
d’un groupe d’activistes installés dans un village « autogéré » dans la forêt de
Montgeon. Harfang a ainsi démontré tout l’intérêt de sa persistance et sa
discrétion pour assurer une surveillance d’un site pour laquelle un dispositif
terrestre était peu adapté. Enfin, la possibilité de pouvoir suivre, en direct, sur
les écrans géants disposés au sein du PC sécurité préfectoral à Deauville, la
progression de chaque convoi officiel, de l’aérodrome de Saint-Gatien vers le
lieu de réception, représente un atout indéniable pour tous les services impliqués
(Police et Gendarmerie Nationale, GSPR (46), SPHP (47), etc.).

une occasion de démontrer de nouveLLes capacités


Outre la cohérence du choix d’utiliser les drones MALE pour satisfaire les
exigences de surveillance d’une bulle de protection aérienne, ces DPSA furent
l’occasion de démontrer de nouvelles capacités, notamment dans la coordination
de son emploi avec d’autres armées voire d’autres services gouvernementaux.

cohabitation avec L’aviation civiLe


Son emploi au-dessus du territoire national est encore aujourd’hui
extrêmement contraint par la réglementation aérienne. Bien que disposant de
sécurités « techniques » suffisantes pour évoluer dans une grande partie de notre
espace aérien, le drone souffre du fait de déporter le pilote dans un cockpit au
sol, à distance. Dans un tel cas, la règle du « voir et éviter » qui régit, en dernier
recours, la circulation aérienne générale et militaire, ne peut être appliquée et
restreint les vols de drone aux seules zones militaires, dûment identifiées et
interdites à l’aviation civile. La responsabilité de l’anti abordage, au sein de ces
zones, vis à vis d’un trafic non autorisé, reste de l’apanage du contrôle aérien
militaire qui, grâce à un contrôle radar dédié, peut ordonner à tout moment
une manœuvre d’évitement au pilote du drone, voire à l’autre vecteur aérien.
Lors d’un DPSA, le volume à protéger est une zone militaire interdite
temporaire, ce qui permet l’usage du drone aux ordres du contrôle militaire.
En revanche, ce volume est rarement contigu avec les espaces aériens dévolus

(46) Groupe de sécurité de la présidence de la République.


(47) Service de protection des hautes personnalités.

269
aux bases aériennes servant aux décollages et aux atterrissages d’un drone.
Ce constat nécessite donc une coordination étroite entre contrôle aérien civil
et militaire pour la création et la gestion dynamique de couloirs de transit,
disposant des mêmes caractéristiques que la zone d’exclusion précédemment
citée et perturbant le moins possible la circulation aérienne commerciale.
Cette solution a pu être mise en œuvre entre la base aérienne de Mont de
marsan et la zone d’exclusion de Lourdes, en septembre 2008, tout en garantissant
l’activité civile de l’aéroport de Pau-Pyrénées, puis entre la base d’Evreux et la
zone de Deauville pour le G8. La démonstration lors de ces DPSA a sans nul
doute permis de démystifier l’usage régulier de drones au-dessus du territoire
national auprès des autorités civiles, encore béotiennes sur ce sujet. Ce principe
a d’ailleurs été retenu depuis, pour d’autres cas exceptionnels, comme lors de
l’opération Harmattan, au départ de la Sicile ou pour des activités d’essais à
partir de Cognac.

cohabitation avec d’autres aéronefs


Cet effort de communication s’appliqua aussi à la capacité à faire évoluer
un drone avec d’autres aéronefs dans ce même espace aérien. Bénéficiant du fait
d’être en permanence suivi par un radar, les déplacements du drone peuvent
immédiatement être optimisés pour permettre de répondre à un besoin de
surveillance émergent tout en assurant la sécurité des autres usagers par le
biais d’un respect de normes de séparation en altitude ou en distance. Dans
un volume aérien finalement restreint, peuvent maintenant évoluer des drones
au-dessus d’hélicoptères, au milieu d’avions lents comme les TB-30 Epsilon,
et en dessous des AWACS, ravitailleurs et avions de chasse.
Ces normes de séparation ont d’ailleurs été intégrées dans la réglementation
d’usage des drones en espace militaire et concernent l’ensemble des aéronefs
de l’État.

missions interarmées
Cette capacité à faire cohabiter un drone et des aéronefs d’autres armées
ou d’autres organismes étatiques ouvrent des perspectives très intéressantes
d’utilisation d’une capacité de renseignement militaire au profit des missions
régaliennes de l’État.
Elle permettrait d’une part d’employer le drone au profit des autres
dispositifs de sûreté mis en place par la Défense (équivalent des DPSA), lors
d’événements particuliers. Ce concept a pu être testé lors du sommet du G8,
avec une sollicitation du COMAR (48) Cherbourg, responsable du DPSM (49),
ayant un besoin d’identification d’une piste radar maritime, au-delà de la
portée visuelle des navires déployés et de la chaîne de sémaphores côtiers. La
détection de surfeurs indélicats par le drone a, par la même, incité le COMAR

(48) COMmandement MARitime


(49) Dispositif Permanent de Sûreté Maritime.

270
Cherbourg à déclencher une interpellation par la Gendarmerie pour s’assurer
de l’intention des contrevenants. Dans le même temps, l’OGZD (50) Ouest,
responsable, entre autres, du dispositif terrestre, procédait aux mêmes essais
en demandant à Harfang de surveiller les abords de la centrale nucléaire de
Palluel et de couvrir les exercices d’évacuations d’autorités par les hélicoptères
de l’ALAT.
La grande autonomie du drone autorise ce genre d’optimisation du temps
de vol, en partageant la mission au profit de plusieurs autorités. La seule
contrainte identifiée est la désignation de l’autorité supérieure apte à fixer la
priorité d’une mission sur une autre. Dans le cas du G8, la mission prioritaire
demeurait celle du DPSA ; la HADA restant l’autorité pouvant reprendre à
tout moment le contrôle de la mission à son seul profit si la situation d’intérêt
« air » l’exigeait.

Les perspectives de déveLoppement


L’ensemble de ces innovations réglementaires, procédurières et techniques
ouvre la porte à un emploi quotidien de ce moyen militaire au profit de la
sauvegarde des intérêts de la population, à l’heure où les dépenses de l’État,
et en particulier de la Défense, doivent être rationnalisées.

rayonner dans tout L’espace aérien français


Il s’agit tout d’abord de pouvoir faire circuler des drones au-dessus de
l’ensemble du territoire sans pour autant avoir à établir des zones ségrégées
pour la circonstance. La création de couloirs permanents, gérés dynamiquement
entre le contrôle aérien militaire et civil, permettrait, dans un premier de temps,
de relier l’ensemble des espaces aériens militaires, quasiment tous déjà ouverts
à l’activité drone. Or ces zones militaires ne couvrent qu’un peu moins de 50 %
de l’espace aérien métropolitain, ce qui milite en faveur du développement de
solutions techniques autorisant les prochaines générations de drones à voler
sous le régime CAG (51) et rayonner sur l’ensemble du territoire. Ce saut
technologique, permis par la capacité « sense and avoid », doit reproduire la
capacité humaine de voir et éviter un aéronef voisin. Diverses pistes sont à
l’étude, reposant sur l’association de plusieurs caméras ou sur un équipement
IFF (52) collaboratif.

interministérieL
Ainsi, un accès plus aisé et réactif à ces espaces périurbains ouvrirait la
voie à une utilisation de la ressource militaire au profit des acteurs de l’État.
L’utilisation la plus évidente serait celle effectuée par les ministères de l’Intérieur
et des Finances (Douanes), notamment pour la surveillance des banlieues, le
(50) Officier Général de la Zone de Défense.
(51) Circulation Aérienne Générale.
(52) Identification Friend or Foe.

271
suivi de trafics en tout genre, la maîtrise des flux migratoires. D’autres services
se sont déjà lancés dans l’étude de l’emploi de drones, comme la Sécurité civile
qui déplore un manque chronique de moyens d’observation et d’évaluation de
dommages et de coordination des opérations de secours, tous les étés, lors des
grands incendies de forêts ou durant des épisodes tragiques de catastrophes
naturelles (tempêtes Xynthia, Klaus, inondations dans le Var), voire d’accidents
technologiques (AZF).
En effet, ces besoins reposent sur une grande capacité d’autonomie, de
discrétion et de relais d’informations en temps réel, ce qui constituent les
caractéristiques intrinsèques des drones MALE. L’autre avantage demeure
l’absence de l’humain dans l’aéronef, qui autorise l’emploi du vecteur dans des
conditions dangereuses (contamination nucléaire, chimique ou bactériologique).
Il serait ainsi très intéressant d’évaluer l’apport de drones de toute taille lors
de la catastrophe de Fukushima.
De plus, son habilité à rayonner sur des zones étendues, avec de nombreux
capteurs perfectionnés en fait un atout de taille pour la fonction garde côtes
naissante, qui se concentre sur le sauvetage en mer, la lutte pour la protection
des nos intérêts économiques et contre la pêche illicite, la pollution et, dans
certains endroits, l’éradication de la piraterie.
Enfin, ces différents exemples montrent que l’intérêt de l’État pour cette
technologie va très vite s’étendre aux besoins privés. Nous pourrions citer à
cette fin, les difficultés de la SNCF à surveiller son réseau, notamment dans le
cas de manifestations, problèmes techniques ou de vols de caténaires.

un cadre pour des actions à L’écheLLe européenne


Il est aussi à noter que cet intérêt ne se limite pas à nos seules frontières.
Certains de nos voisins ont su s’équiper avant notre Armée de l’air et ont déjà
démontré l’intérêt de cet outil pour la surveillance d’événements importants.
Forte de son expérience sur drone de conception américaine, l’Italie a su très
tôt engager cette capacité au-dessus de son territoire. Grâce à des couloirs
contournant la botte italienne, les MQ-1 Predator et MQ-9 Reaper peuvent
participer à la surveillance des approches maritimes, notamment pour la détection
des embarcations de migrants en provenance d’Afrique du nord. Le sommet du
G8 à l’Aquila fut le cadre du premier emploi de drone dans un dispositif type
DPSA. Dans le même temps, la Sicile accueille de façon permanent des drones
de l’Armée de l’air américaine et bientôt ceux de l’OTAN. Dans le même ordre
d’idée, les Suisses ont su très tôt optimiser les drones tactiques qu’ils avaient
acquis en Israél. Tout en mettant à disposition leurs drones aux garde-frontières
pour la lutte contre divers trafics, particulièrement dans le Jura, l’armée de l’air
suisse s’est illustrée pendant le championnat d’Europe 2008 de football, avec
le suivi en permanence des mouvements de supporters autour des stades de
Berne, Genève, Zurich et Bâle, depuis leurs bases d’Emmen et Payerne.
Cet intérêt croissant pour le domaine sécuritaire va permettre de rendre des
collaborations bilatérales encore plus étroites. L’usage de drones de l’Armée de

272
l’air pour renforcer le dispositif de surveillance britannique des Jeux Olympiques
de Londres 2012 ou pour satisfaire un besoin accru de protection des convois
de matière nucléaire en Allemagne reste envisageable.
Enfin, les capacités d’investissement de chaque nation devenant de plus
en plus réduite, l’Union Européenne peut et doit devenir le moteur d’une
collaboration à l’échelle du continent. La mission Frontex peut d’ores et déjà
être le cadre de l’utilisation de drones de certains États membres au profit de
l’ensemble de la communauté et peut pousser l’Union à s’équiper d’unités
dédiées au titre de la PESD (53).

(53) Politique Européenne de Sécurité et de Défense.

273
274
Drones à longue endurance
et sécurité publique,
des perspectives intéressantes
Colonel Bruno Mignot

Le 17 février 2009, l’armée de l’air française atteignait sa pleine capacité


opérationnelle sur le théâtre afghan, à partir de la base de Bagram, en matière
de surveillance de longue durée et de soutien aux opérations terrestres de l’ISAF
par drone. Trois ans et cinq mille heures de vol plus tard, le détachement Harfang
rentrait définitivement en métropole. Entre temps, l’escadron Belfort qui met
en œuvre ces drones à partir de la base aérienne de Cognac avait également et
utilement renforcé la participation française aux opérations aériennes en Libye
durant l’été 2012, dans le cadre d’Harmattan. Est-ce à dire que les aviateurs
français n’ont appris à faire voler des drones de moyenne altitude et longue
endurance (MALE) qu’à partir de 2009 et uniquement pour des missions de
guerre ? Il se trouve que non puisque déjà, le 3 juin 2003, l’armée de l’air déployait
un drone Hunter à l’occasion du G8 d’Évian, après prise de compétences au
Kosovo à compter d’octobre 2001 (54). Ensuite, un système intérimaire de drone
MALE (SIDM) Harfang, son successeur, démontrait à plusieurs reprises son
utilité la première fois lors du dispositif particulier de sûreté aérienne (DPSA)
mis en œuvre à Lourdes en septembre 2008 à l’occasion de la visite du pape
Benoit XVI, ensuite à l’occasion du sommet du G8 de Deauville des 26 & 27
mai 2011 avec déploiement d’un système complet sur la base aérienne d’Évreux,
et plus récemment, le 14 juillet 2012 à partir de la base Cognac, pour assurer
la sécurité du traditionnel défilé militaire sur les Champs-Élysées parisiens.
Le fait est que la décision de l’état-major des armées de mettre en œuvre
des drones MALE de l’armée de l’air, à l’occasion d’événements importants
nécessitant un DPSA, s’inscrit essentiellement dans une logique de surveillance
d’objectifs d’intérêt air au profit des autorités préfectorales, comme les
décollages et transits d’aéronefs en zone interdite. Dès lors, s’il est surtout
utilisé à des fins militaires, le drone peut également satisfaire des besoins civils
dans la mesure où de telles missions présentent le même besoin de protection
et donc de surveillance, et que les compétences nécessaires à leur réussite sont
rigoureusement identiques. Incontestablement, le drone à longue endurance
présente des caractéristiques duales particulièrement intéressantes pouvant
faire l’objet d’une utilisation interministérielle que ces lignes ont pour objet
de présenter.

(54) Arrivé dans l’armée de l’air française fin 2008, le Harfang a succédé au Hunter qui a été retiré
du service en juillet 2004, ce qui a créé une rupture capacitaire de 4 ans.

275
des compétences rares
Le 1er décembre 2009, soit environ dix mois après le début de l’utilisation
opérationnelle du système Harfang en Afghanistan, deux parlementaires,
MM. Yves Vandewalle et Jean-Claude Viollet, publient un rapport très complet
sur les drones qui n’a pas perdu de sa pertinence en 2012 (55). Dès l’introduction,
le document stipule que « si le drone est reconnu indispensable, toutes ses
potentialités ne sont pas encore connues ». En effet, au-delà des limitations
aujourd’hui connues en matière de ségrégation de l’espace aérien – due à la
problématique « voir et éviter » qui pourrait évoluer vers « détecter et éviter »
permettant une ouverture plus facile de l’espace aérien civil aux drones – et à
l’encombrement du spectre électromagnétique — un drone ne fonctionne qu’en
télécommande à partir du sol avec relais de télécommunications par satellite
pour relayer les ordres de pilotage et transmettre les données recueillies —,
les usages civils s’avèrent particulièrement nombreux et les parlementaires ont
justement relevé leur caractère prometteur.
L’utilisation des drones MALE converge vers une même caractéristique : la
surveillance en temps réel qui constitue son cœur de métier. Sans revenir sur le sujet
de la complémentarité entre aéronefs pilotés et drones que chacun connaît, la capacité
la plus intéressante offerte par le drone à longue endurance est de pouvoir durer et ce
en toute discrétion, ce qu’une composante pilotée à bord ne peut assurer, d’où leur
complémentarité. Un système de drone amène dès lors une plus-value indéniable
surtout quand il s’agit de réaliser des missions longues, dangereuses ou pénibles. Un
drone MALE comme le Harfang peut ainsi voler pendant vingt-quatre heures (56) : s’il
est relevé par un autre, l’unité qui le met en œuvre offre dès lors à son administration
une capacité se surveillance permanente, dans la mesure où la fiabilité technique et les
moyens humains sont au rendez-vous. Il faut une grosse vingtaine d’hommes et de
femmes de dix spécialités différentes pour faire fonctionner un système complet de drones
MALE (57) ; les ressources humaines nécessaires pour assurer 24h/24 la disponibilité
technique, le pilotage, l’orientation des capteurs, les transmissions et l’exploitation des
données monteraient ce chiffre à une quarantaine. Par ailleurs, au-delà du volume
de personnel dont il faut disposer, ses compétences font autant pour la réussite de la
mission. À ce jour, seule l’armée de l’air dispose de l’ensemble des savoir-faire en matière
technique et d’emploi en France : mise en œuvre au sol et pilotage en vol, maîtrise de
la 3e dimension, utilisation des outils de commandement et de contrôle, exploitation
des données et capacités de transmission en temps réel vers les « clients ». Un drone
n’est pas qu’une caméra qui envoie des images dans le spectre optique, infrarouge ou
radar, il est aussi un vecteur piloté dans tous les sens du terme par des professionnels
chargés d’orienter et de choisir le type de capteur, de tenir compte de la météorologie
et du positionnement par rapport au soleil pour obtenir le meilleur angle de vue, de

(55) Rapport d’information no 2 127 déposé par la commission de la Défense nationale et des forces
armées sur les drones, Assemblée nationale, 13e législature, 1er décembre 2009.
(56) Un tel vol a été réalisé le 15 novembre 2010 sur le théâtre afghan.
(57) Le détachement Harfang de Bagram comptait 42 postes permanents (10 opérationnels et 13
mécaniciens soutenus par 19 autres militaires), sans compter le personnel d’assistance technique mis
en place par l’industriel.

276
recueillir les données, de les exploiter selon les spécifications d’un cahier des charges et
de les transmettre sous une forme brute et valorisée via la chaîne appropriée dans les
délais requis. Lors des opérations militaires en Afghanistan, cette chaîne a fait merveille,
elle a démontré sa capacité à répondre aux besoins opérationnels exprimés, elle a fait
des aviateurs de l’escadron d’expérimentation de Mont-de-Marsan (EED) puis de
l’escadron de drones 1/33 Belfort de Cognac des spécialistes reconnus en la matière et
surtout les seuls aptes à assurer cette mission de bout en bout en France.
Alors quels services une composante de drones pilotée à distance par les
aviateurs de l’armée de l’air est-elle susceptible d’apporter aux différentes
administrations de l’État ? Nous allons voir qu’ils sont particulièrement nombreux
et qu’ils reposent sur les capacités de soutien vidéo et radar en temps réel, de
jour comme de nuit. Passons-les donc en revue rapidement.

Les missions de sécurité pubLique


En premier lieu, l’intérêt est manifeste en matière de sécurité publique
pour l’acquisition du renseignement et l’appui direct à l’action. Ainsi, au profit
des forces de gendarmerie et de police, mais aussi de la douane, disposer d’un
drone MALE en vol permet de surveiller en toute discrétion et pendant une
longue durée des objectifs d’intérêt identifiés comme tels (campements illégaux,
repères de malfaiteurs – au même titre que les aviateurs observaient les lieux
de réunion des talibans en Afghanistan) ou de pister sur une longue distance
des suspects sans avoir recours à des dispositifs terrestres qui s’avèrent le plus
souvent lourds et coûteux. Grâce à un radar comme le SAR/MTI du Harfang (58)
et en positionnant le drone à une altitude adaptée, il est possible de détecter et
de suivre des mobiles se déplaçant à la vitesse d’un coureur à pied : dès lors, le
repérage d’activité sous des angles différents dans une zone bouclée, un quartier
ou autour d’une maison suspecte – au-delà de la surveillance de lieux connus
des services de police pour y dissimuler des activités du grand banditisme ou de
mafia, il peut y avoir aussi un intérêt dans le cas de la mise en œuvre d’un plan
après enlèvement d’enfant – est également une capacité propre à orienter les
recherches des forces de l’ordre et préparer leur intervention, d’autant qu’elles
peuvent disposer du système Rover (59) de réception de la vidéo en direct sur
le terrain. Le niveau de technologie en matière de capteurs atteint en 2012 par
les Américains et les Israéliens permet de lire des plaques d’immatriculation :
on imagine par conséquent l’effet multiplicateur de force offert aux forces de
l’ordre qui peuvent quasi immédiatement savoir à qui ils ont affaire (nom du
propriétaire ou véhicule volé). En matière de sécurité routière, l’utilisation de
la même capacité MTI autorise à détecter, selon un positionnement ad hoc du
curseur, les véhicules circulant rapidement sur autoroute et à obtenir, grâce
aux capteurs électro-optiques après rapprochement de la cible, les mêmes
informations sur leur propriétaire : quelle réactivité et quel gain de temps quand

(58) Synthetic aperture radar / Moving target indicator.


(59) Le Rover (Remotely operated video enhanced receiver) peut diffuser dans un rayon de 100
kilomètres à toute entité bénéficiant d’un récepteur vidéo : équipe d’intervention (GIGN, RAID),
poste de commandement préfectoral ou cellule de crise ministérielle ou interministérielle…

277
on sait que la capacité actuelle d’un Harfang, dont la technologie mérite d’être
améliorée, évoluant à cinq mille mètres d’altitude est de pouvoir distinguer une
voiture d’une moto à quinze kilomètres de distance !
De même, la surveillance de chantiers faisant l’objet de vols fréquents,
comme cela pourrait être fait pour les zones de travaux des lignes TGV sujettes
à de nombreux vols de métaux, sont tout à fait dans le domaine du réalisable.
Aussi, l’observation des axes routiers et autoroutiers, notamment au moment
des grands chassés-croisés de l’été, offre l’avantage d’anticiper la congestion
des flux de véhicules, d’en réguler la vitesse ou de proposer des itinéraires
de détournement, au plus grand bénéfice des automobilistes concernés. En
outre, l’existence d’axes accidentogènes peut nécessiter la mise en place d’une
surveillance aérienne adaptée aux circonstances permettant de recueillir
toute information de nature à diminuer le risque de collisions. La présence
d’un officier de police judiciaire ou d’un membre de service de renseignement
en salle de conduite, avec toute facilité de communications vers ses autorités
qu’autorisent les moyens de transmission présents, est tout à fait envisageable
afin de réduire au maximum la boucle orientation des capteurs / observation
des lieux / décision de mouvement / action sur le terrain. Cette fonction n’est
actuellement réalisée au sein de la police nationale et de la gendarmerie qu’avec
des microdrones offrant une endurance et un champ de vision très réduits. Le
drone MALE offre dès lors une complémentarité de moyens très appréciable,
même si le drone ne pourra concurrencer les moyens déjà existants (patrouilles
au sol, hélicos, aéronefs habités), son domaine étant davantage l’observation
discrète d’éléments fixes ou à déplacement programmé (planque, convoi, site
de manifestation…).
Ensuite, quand un événement présente des risques de trouble à l’ordre public
comme des événements sportifs, des manifestations, des rassemblements de
personnes ou des sommets de chefs d’État qui génèrent parfois des mouvements
de foule ou des débordements violents, la vidéo temps réel qu’offre un drone
évoluant à proximité s’avère très précieuse, comme cela a été le cas lors du
sommet du G8 à Deauville en mai 2012 au profit des autorités préfectorales du
Calvados qui en ont été particulièrement satisfaites. En outre, avec les facilités
de déport de cette vidéo qu’offre le système Rover directement sur le terrain,
les forces de l’ordre peuvent suivre la situation en temps réel et se replacer
à tout moment en fonction de l’activité des perturbateurs et du milieu dans
lequel elles évoluent.
En matière de sécurité publique encore, un drone peut participer à des
reconnaissances d’itinéraires et à la protection de convois « sensibles » comme
le transport de personnalités, de fonds ou de matières dangereuses — on pense
immédiatement aux convois de matières fissiles auxquels s’opposent parfois
violemment les militants antinucléaires — ou de prisonniers entre deux centres
pénitentiaires. Aussi, l’apport du drone en matière de lutte anti-criminalité,
voire anti-terroriste, peut s’avérer déterminant grâce à l’observation en direct
des violences urbaines, de l’activité des trafiquants d’armes ou de stupéfiants, et
notamment à la détection de fumées s’élevant à travers la canopée et émanant

278
de camps d’orpailleurs illégaux pour ce qui concerne la Guyane afin d’éviter
les guets-apens comme celui dont ont été victimes quatre soldats du 9e régiment
d’infanterie de marine le 27 juin 2012. Enfin, un drone peut aider les forces de
l’ordre dans leurs recherches de personnes disparues — le 12 juin 2012, alors
que la base aérienne de Cognac avait reçu mandat de déployer sur le terrain
du personnel pour cette mission, un drone Harfang alors en vol au-dessus
de la région a participé à cette recherche, sans succès malheureusement, le
corps de cette personne ayant été retrouvé plus tard en un lieu très dissimulé.
Si les capacités techniques du Harfang l’empêchent encore de distinguer un
corps dans un ravin, on peut penser que la technologie, notamment dans le
domaineinfrarouge, pourra à court terme répondre à ce besoin.
De son côté, la Sécurité civile trouverait tout à fait son compte en utilisant
un drone chargé d’évaluer la nature et l’étendue des dégâts occasionnés par une
catastrophe naturelle ou industrielle afin de coordonner les secours. La campagne
saisonnière de lutte contre les feux de forêt dans le sud de la France, à laquelle
participe chaque année l’armée de l’air dans le cadre de l’opération Héphaistos
au titre de la coordination dans la 3e dimension, faciliterait grandement le
travail de l’Office national des forêts et des Services départementaux d’incendie
et de secours par la présence d’un drone surveillant en permanence les massifs
forestiers et les départs de feu, assurant une fonction d’alerte par repérage des
points chauds puis indiquant l’avancée des flammes en temps réel afin de garantir
la sécurité des personnes et des biens, grâce à ses moyens infrarouges. Encore,
le drone pourrait assurer rapidement l’évaluation des dommages causés par les
feux et, grâce à ses images transmises en temps réel et celles enregistrées, aider
les forces de l’ordre à pister et à interpeler les pyromanes. Déjà, le seul fait de
communiquer à la population la présence d’un drone en vol aurait a fortiori
un effet dissuasif envers ceux qui, se sachant observés, se résoudraient à ne
pas commettre leur forfait.
Enfin, les militaires aviateurs des Centres de coordination et de sauvetage,
les équipages des hélicoptères de la Sécurité civile ou ceux des Sections aériennes
de gendarmerie chargés de déclencher et de conduire les missions de recherches
et de sauvetage de personnes disparues, en milieu forestier ou aquatique en
particulier, et d’aéronefs écrasés, seraient fortement aidés par la présence
opportune d’un drone, quand on sait la difficulté qu’il y a à trouver les restes
d’un aéronef abîmé en montagne ou en forêt et ceux d’un bateau perdu dans
une vaste étendue marine. Un simple zoom arrière ordonné par l’opérateur en
mode infrarouge élargirait amplement le champ de vision et rendrait les épaves
visibles de loin, ce qui pourrait sauver des vies.

Les missions de service pubLic


En matière de service public, il serait utile aux entreprises et organismes
publics comme EDF, ERDF, GDF, la SNCF, France télécom, les Directions
départementales de l’équipement… de pouvoir surveiller des infrastructures
linéaires comme les réseaux d’électricité, les pipelines, les voies ferrées, les

279
ouvrages d’art ou les relais de communication en milieu difficile d’accès, avant,
le cas échéant, de déployer un microdrone. Ces missions sont actuellement
externalisées et confiées à des entreprises privées utilisant des hélicoptères dont
l’heure de vol est bien supérieure à celle d’un drone appartenant à une même
flotte et utilisé régulièrement.
De même, les organismes mandatés ou soutenus par le ministère de l’écologie
pourraient bénéficier de la présence d’un drone à des fins de protection de
l’environnement (détection de pollution maritime due à un dégazage, détection
d’algues marines à proximité des côtes, déforestation illicite, détection de
radioactivité…), de reconnaissance thermographique, d’évaluation des espaces
côtiers, des lits des fleuves, des forêts, de l’activité des volcans… L’Institut
géographique national pourrait remplacer nombre de missions effectuées par
des avions par la location de créneaux de drone pour mettre à jour ses cartes :
la capacité laser qu’offre un MALE faciliterait grandement les travaux de
géoréférencement et les caractéristiques des capteurs (couleur, angle, permanence)
permettraient de distinguer des détails fort utiles aux travaux de cartographie
voire de topographie, en complément de l’imagerie satellitaire.
Le ministère de l’Agriculture, en particulier l’Office national du
remembrement, serait intéressé pour suivre les opérations d’aménagement
agricole et de remembrement rural. Le ministère de la Culture pourrait également
voir un réel intérêt dans les solutions qu’apporterait un drone en matière de
recherches archéologiques. Il suffit de voler en basse altitude au-dessus de la
France pour comprendre l’intérêt de telles opportunités.
Enfin, en raison des capacités des drones MALE en matière de couverture
de zones particulièrement étendues comme les mers et les océans, le Secrétariat
général à la mer aurait grand intérêt dans le cadre de l’action de l’État en mer
à disposer d’images en temps réel pour surveiller les espaces maritimes, aider
les moyens garde-côtes et notamment ceux dédiés à la police des pêches (60),
lutter contre le trafic de stupéfiants, en particulier trans-Méditerranée, et
l’immigration illégale, de manière à contrer les afflux inopinés sur les côtes
provençales, comme lors de l’affaire de l’échouage volontaire du navire East-
Sea le 17 février 2001, ayant à son bord plus de neuf cents Kurdes. Les mêmes
moyens obtiendraient les mêmes effets en Guyane et à Mayotte.
Dans le même ordre d’idées, du fait même qu’il ne mette pas un pilote en
danger, un drone serait capable de délimiter les zones de danger à la navigation
aérienne comme cela a été le cas à l’occasion d’éruptions volcaniques – on
se souvient de celle de ce volcan islandais Eyjafjöll en mars 2010 qui a causé
l’interruption du trafic aérien pendant plusieurs jours en Europe du Nord et
centrale, et les questions que se sont posées les responsables civils et militaires en
matière de contamination de l’espace aérien par le nuage de cendres ainsi créé.

(60) Dans le classement mondial, la France arrive après les États-Unis en matière de souveraineté
maritime avec 10,4 millions de km2 de zones économiques exclusives.

280
vers une agence interministérieLLe dédiée
On l’a vu, la liste est longue et le lecteur a certainement de quoi la compléter
tant le champ des possibilités est ouvert à une composante de drones MALE
dont l’armée de l’air est seule à disposer aujourd’hui, à une échelle cependant
encore trop réduite.
Comme l’ont écrit MM. Vandewalle et Viollet dans leur rapport
parlementaire de décembre 2009, « la demande interministérielle est importante
et, pour partie, convergente (…) il convient de l’envisager dans une stratégie
globale afin d’optimiser les moyens dans un contexte budgétaire contraint ».
L’émergence de capacités disparates répondant à des besoins très spécifiques
— comme ceux de la Sécurité civile, par exemple, en mission de lutte contre
les feux de forêt — et la mise en œuvre de microflottes — comme pour un pool
automobile, l’utilisation d’un parc unique de drones bénéficierait de l’effet
d’échelle — seraient dès lors particulièrement déraisonnables car génératrices
de coûts exorbitants. Pour limiter les coûts et optimiser les moyens, il faut
développer l’existant et cet existant se trouve dans l’armée de l’air qui maîtrise
l’ensemble du spectre. Il s’agit de profiter des savoir-faire acquis et de ne pas
perdre les compétences. Quelle organisation adopter alors ? Comme la demande
vient de plusieurs ministères, il conviendrait par conséquent de mettre en place
une organisation interministérielle ad hoc chargée de recueillir ces demandes,
de traiter les priorités, de procéder aux arbitrages, de faire déployer les moyens
et de satisfaire les administrations clientes. Cet organisme à compétence
nationale pourrait être naturellement accueilli et soutenu par l’armée de l’air
qui dispose déjà de connections interministérielles quotidiennes notamment au
sein du Centre national des opérations aériennes (CNOA) de la base aérienne
de Lyon Mont-Verdun où servent en permanence un ingénieur de l’aviation
civile, un gendarme des transports aériens, un commandant de la police aux
frontières et un douanier.
Plus précisément, l’organisme interministériel de surveillance par drone
pourrait être chargé d’élaborer un programme des vols selon les besoins à
satisfaire — en répondant au préalable à ces deux questions : le drone est-il le
meilleur moyen pour y répondre et une manœuvre des autres capteurs disponibles
(webcam, microdrone, AWACS…) ne serait-elle pas plus utile ? — et selon une
clé de répartition à définir en fonction des priorités gouvernementales, pendant
que l’armée de l’air assurerait :
• la gestion de la flotte des vecteurs (mise en condition opérationnelle, pilo-
tage, suivi des liaisons de données, armement en personnel) ;
• l’équipement des vecteurs en fonction des missions à réaliser selon un
financement innovant et le principe du « qui a besoin d’un équipement
particulier en finance l’acquisition » ;
• la réalisation des missions aériennes et l’exploitation des données obte-
nues selon les spécificités requises par chaque administration.
Il resterait à définir la quote-part financière, vraisemblablement très
raisonnable, de chaque administration « cliente » par heure de vol, en tenant

281
compte des financements initiaux, des créneaux utilisés et des priorités affichées.
En adoptant une organisation centralisée et déjà éprouvée par l’armée de l’air
en matière de créneaux AWACS sur le territoire, une même mission serait
optimisée en la découpant en créneaux dédiés à telle puis telle administration,
en fonction des zones à couvrir, de l’itinéraire suivi et des horaires demandés.

queL rôLe pour L’armée de L’air ?


L’armée de l’air mettrait à disposition ce qui fait son cœur de métier, le
commandement et le contrôle (C2) des opérations aérospatiales, et, dans la 3e
dimension, sa maîtrise :
• de la gestion de l’espace aérien, indispensable pour l’emploi des drones ;
• de la manœuvre des capteurs électro-optiques, infrarouges et radar ;
• des systèmes d’information et de communication de bout en bout par
liaison satellitaire, internet ou fibre optique ;
• de la diffusion en temps réel des informations aux centres de décision
préfectoraux, comme cela se fait à chaque DPSA au sein de la Cellule de
coordination de l’activité aérienne (C2A2), ou ministériels comme le centre
opérationnel de la place Beauvau, celui de la Sécurité civile d’Asnières, la
cellule de crise du Quai d’Orsay…
• de la formation de son personnel pilote, mécanicien, opérateur et interpré-
tateur d’images, tous spécialistes aux compétences rares et de haut niveau.
Au sein du Centre national des opérations aériennes qui assurerait
le commandement opérationnel du vecteur, l’armée de l’air accueillerait
les administrations « clientes » qui exprimeraient un besoin d’urgence ou
d’immédiateté. Selon le lieutenant-colonel Fontaine, commandant en second
de l’escadron de drones 1/33 Belfort, « certains ont déjà utilisé la possibilité qui
leur était offerte de travailler directement dans notre station de pilotage. D’abord
présents en tant que simples observateurs, ils sont devenus acteurs, en particulier
en ce qui concerne l’orientation des capteurs et la retranscription en temps réel
de l’évolution de la situation via leur outil de messagerie instantanée ». Car
c’est bien là que se situe l’enjeu : la manœuvre des capteurs est à réaliser par
le chef militaire en fonction des besoins exprimés par le « commanditaire »,
de manière à raccourcir les délais de transmission de l’information utile à sa
plus simple expression. Et le lieutenant-colonel Fontaine de poursuivre sa
réflexion en proposant que l’armée de l’air imite son homologue américaine en
créant des orbites permanentes au-dessus du territoire national (ou OPSAM
pour « orbite permanente de surveillance armée multi capteurs ») : « L’US Air
Force dispose aujourd’hui dans le monde de 61 orbites permanentes de drones
MALE (…) Il conviendrait d’utiliser cette approche par orbite afin d’assurer
l’efficience de la surveillance, par un étalonnage et un ajustement au plus fin des
moyens en fonction des besoins » (61). La chose est aisée pour les aviateurs qui
utilisent tous les jours des zones protégées comme les axes de ravitaillement
en vol et les orbites AWACS. Elle pourrait se révéler encore plus utile à l’aune
(61) Christophe Fontaine, « S’il vous plaît… dessine-moi une orbite de drones… », www.lemonde.
fr, 16 mars 2012.

282
des progrès techniques attendus, notamment en matière de ravitaillement en
vol entre drones.
Ainsi, pour renseigner, surveiller, reconnaître, observer, alerter, relayer
les communications, les organismes « clients » bénéficieraient de la discrétion,
de la liberté d’action (sous réserve des contraintes réglementaires en matière
d’espace aérien et de la météorologie), de la réactivité, de la souplesse d’emploi,
de l’efficacité, de la fiabilité technique, de la sûreté, de l’endurance, de l’aptitude
aux zones dangereuses et de la limitation, par rapport à un chasseur, des dégâts
éventuels dus à un crash non piloté qu’offre aujourd’hui la composante drone
de l’armée de l’air. Rappelons à ce titre que, depuis que les aviateurs mettent en
œuvre des drones, que ce soit au-dessus du territoire national ou en opération
extérieure, aucun accident n’est à déplorer.

ce que font Les autres pays


Les Américains utilisent depuis longtemps des drones MALE, le plus
souvent des MQ9 Reaper, pour toutes sortes de missions autres que militaires
et qui ressemblent à toutes celles énumérées plus haut : surveillance des
frontières mexicaine et canadienne, lutte contre les trafics maritimes illicites
dans le Golfe du Mexique, lutte contre la piraterie maritime au large des
Seychelles, participation à la protection permanente du site de la NASA de Cap
Canaveral (Floride), suivi des feux de forêt, évaluation des dommages après
une catastrophe naturelle ou le passage d’un ouragan. Pour toutes ces missions,
les États-Unis disposeront d’environ trois cent vingt appareils MALE en 2016,
auxquels s’ajouteront vingt-sept HALE (62) de type Global Hawk aux missions
cependant quelque peu différentes. MM. Vandewalle et Viollet ajoutent dans
leur rapport que le Department of Homeland Security américain, l’équivalent
du ministère de l’Intérieur français, souhaiterait confier à trois cent cinquante
drones MALE et HALE l’intégralité de la surveillance des frontières terrestres
et maritimes au nord et au sud.
D’autres pays se sont déjà dotés ou vont très prochainement se doter de
tels moyens aux mêmes fins, comme la Chine (lutte contre la culture du pavot),
la Russie (surveillance des gazoducs), le Brésil (surveillance des frontières, de
trafics et d’événements de grande ampleur), le Royaume-Uni (surveillance
au profit de la police), l’Espagne (lutte contre l’immigration illégale), l’Italie
(surveillance des sommets de chefs d’État, sécurité civile et surveillance
maritime), l’Australie (surveillance des approches maritimes et des réseaux
d’énergie) … Quant à elle, l’Union européenne, à travers son agence Frontex,
s’intéresse aux capacités offertes par les drones MALE en matière de contrôle
de l’immigration. On n’oubliera certainement pas de citer Israël qui a misé sur
le drone depuis plusieurs années et a acquis des compétences mondialement
reconnues en matière de construction et de mise en œuvre, mais ses drones, qui
effectuent plus d’un tiers des missions aériennes de Tsahal, sont essentiellement
utilisés à des fins militaires.

(62) Haute altitude longue endurance.

283
En conclusion, les députés Vandewalle et Viollet relevaient dans leur rapport
que « la direction des douanes a indiqué (…) qu’elle serait prête à utiliser des
moyens militaires pour assurer certaines missions de surveillance » : c’est dire
si la porte est ouverte à une mutualisation efficace de l’outil drone MALE
français. Accessible rapidement, le domaine de la sécurité publique constitue
manifestement un domaine de prédilection, les autres missions s’avérant moins
urgentes et moins importantes au premier abord. Or, plusieurs administrations
mettent déjà en œuvre des petits drones de manière non coordonnée, avec des
perspectives d’extension au domaine des drones de moyenne altitude et longue
endurance. Les pompiers de la Sécurité civile utilisent des microdrones (63) et
leur administration s’intéresse de près au MALE depuis la présentation d’août
2010 qu’en a fait la société SAGEM, avec son projet de drone Patroller S15
à capacités duales (avec ou sans pilote), à un panel d’autorités dans la région
varoise, sur les lieux mêmes et en pleine saison de surveillance des feux de forêt.
Mais la Sécurité civile n’est pas la seule à s’intéresser à cette capacité puisque
la gendarmerie et la police utilisent aussi depuis longtemps des microdrones
pour des missions de filature très localisées et la conduite d’interventions de
type commando. Dans le même ordre d’idées, l’administration des douanes
est également intéressée pour compléter son parc aérien d’avions D406 et
d’hélicoptères EC135.
Partant du fait qu’en France, la mise en œuvre d’un système de drone MALE
est hors de portée de ces administrations tant les processus sont complexes et
l’empreinte humaine et logistique lourde (64), il est donc temps de fédérer la
demande. Cette mutualisation interministérielle profiterait à tous selon une
logique gagnant-gagnant puisque, pendant que le drone vole au profit d’une
administration, les militaires de l’armée de l’air s’entraînent, allant dans le sens
voulu par les membres de la représentation nationale qui observent que « cette
utilisation pourrait être couplée avec des séquences d’entraînement des forces ».
La mise en place d’un tel dispositif relève d’une décision politique qui
dépendra vraisemblablement des évolutions techniques des drones MALE
(MIDCAS (65), certification, redondance des liaisons de données, versions
bimoteurs) et de leur intégration pleine et entière dans l’espace aérien français
et européen. L’Agence européenne a fixé cette échéance à 2015, c’est-à-dire
à demain. Et si l’utilisation consensuelle de la composante drone de l’armée
de l’air à des fins civiles faisait avancer le dossier de la navigabilité en espace
aérien civil ?

(63) Dans les Landes, le réseau des cinquante-sept caméras de surveillance des pompiers est
désormais complété par un microdrone de la société Fly-n-sense chargé de suivre en direct la
progression des flammes ; il est financé en partie par la région Aquitaine (source : dépêche AFP du 18
juillet 2012).
(64) En plus des quarante techniciens nécessaires à sa mise en œuvre, un système de drones MALE
requiert un vecteur pesant entre une et deux tonnes, des infrastructures déployables de l’ordre de
soixante tonnes et une architecture télécoms tout particulièrement complexe (bande satellitaire pour le
pilotage, transmission de la vidéo, diffusion vers les PC clients).
(65) Mid air Collision avoidance system – système de détection et d’évitement automatique.

284
L’emploi des drones 
dans le domaine économique :
en route vers Eldorado !
Jean-Jacques Patry

Les systèmes aériens non habités ont acquis une solide réputation militaire
depuis une trentaine d’années. Il n’était donc pas étonnant de voir les civils
s’intéresser à ces engins. Le terme « système aérien non habité » renvoie à la
terminologie Unmanned Aerial System (UAS), dernière appellation en cours
définissant les drones comme : « comprenant une plate-forme inhabitée, les sous-
systèmes nécessaires au roulage-lancement-décollage, au vol, à la récupération-
atterrissage et les éléments indispensables à l’accomplissement de la mission » (66).
Une évolution rapide s’est donc amorcée, tout d’abord en détournant pour
des tâches civiles, des machines militaires dont les technologies et les savoir-
faire étaient déjà bien maîtrisés. Puis les industriels ont tenté l’aventure de la
production de systèmes spécifiquement conçus pour des usages civils. Une
partie minoritaire de ces entreprises appartenait au secteur de la défense et
prenait l’initiative d’investir les activités de sécurité des agences civiles et des
opérateurs économiques privés afin de compenser les réductions tendancielles
des budgets militaires en Occident. D’autres, les plus nombreuses, ont tenté
l’aventure parce que les investissements nécessaires à la production des plates-
formes et des charges utiles semblaient abordables : le pari étant fait que l’on
trouverait toujours une application possible. Au milieu de la décennie 2000
on a donc assisté à l’explosion de l’offre des systèmes aériens non habités, de
même qu’à la mise en œuvre de nombreuses expérimentations civiles.
Finalement, pour faciliter le développement de ces applications, des
communautés se sont constituées afin d’étudier tous les aspects techniques,
réglementaires, humains et marchands indispensables à l’utilisation courante
de machines non habitées (67). Des industriels, laboratoires de recherche,
représentants d’institutions de l’aviation civile et des pouvoirs publics nationaux
et internationaux ont commencé à se concerter pour évaluer les problèmes posés
et trouver des solutions favorables, notamment par la création de « techno-
parcs » dédiés à la recherche et l’expérimentation de l’insertion des drones dans
les espaces aériens non réservés.

(66) Peter Blyenburgh, Unmanned Aircrat System: The Current Situation, EASA UAS Workshop,
Paris, February 2008, 32 p., p. 4.
(67) UVS International en offre un bon exemple. Association créée en 2000, elle associe 250
membres de 34 pays et 10 organisations internationales autour de la structuration et du développement
de l’emploi mondial des systèmes non habités aériens ou autres.

285
Les perspectives d’emplois civils des drones sont nombreuses. Toutefois,
en raison de l’abondance des systèmes disponibles d’une part, de la persistance
d’obstacles de différente nature pour la navigation dans des espaces non réservés,
d’autre part ; une partie seulement du potentiel civil est exploitable. Cet article
propose un point de situation sur les évolutions en cours dans ces domaines.

des perspectives économiques aLLéchantes


Les arguments évoqués en faveur de la généralisation civile des drones
sont assez proches de ceux avancés il y a une vingtaine d’années pour les
usages militaires. Ces machines sont utiles pour les tâches dangereuses, évitant
ainsi d’exposer des personnels embarqués. Les appareillages de navigation et
d’enregistrement de données étant automatisés, ils favorisent un usage intensif
pour des missions répétitives exigeant un degré constant et élevé de précision.
Les systèmes volants non habités sont aussi réputés opérer à des coûts inférieurs
par comparaison à d’autres plates-formes tels que les avions, hélicoptères ou
satellites utilisés pour des missions comparables. L’entretien est supposé plus
abordable en raison de la simplicité de conception des machines. Enfin, les modes
de propulsion embarqués sont jugés moins polluants que les plates-formes plus
traditionnelles par une motorisation électrique ou thermique de faible cylindrée,
économisant la consommation de carburant, réduisant notablement l’émission
des gaz de combustion et la signature acoustique des moteurs.
Sur un plan industriel, les secteurs intéressés directement par la production
des systèmes non habités sont nombreux. Le drone est un produit de haute
intégration technologique : la plate-forme implique la maîtrise des matériaux
composite, de l’alimentation électrique à partir de batteries miniaturisées, de la
mécanique aéronautique de précision. Il faut y adjoindre la charge utile, donc le
développement des capteurs embarqués électro-optiques ou radar, l’exploitation
de leurs données, les sous-systèmes de télécommunication et de contrôle de vol.
Robotique et intelligence artificielle sont étroitement associées à l’ensemble
de ces développements. L’entraînement et la formation des opérateurs est en
expansion avec la simulation.
Il existe donc une grande variété des systèmes offerts pour répondre aux
besoins civils. Les plates-formes à voilure fixe ou tournante sont utilisables pour
des profils de vols longue distance ou au contraire sur une zone très localisée
à des altitudes différenciées. La prochaine génération des voilures convertibles
permettra encore d’améliorer le spectre des emplois possibles. L’offre est telle
que les nomenclatures des classes d’engins évoluent en permanence, sous l’effet
de l’innovation technologique, comme le montre le tableau ci-dessous (68).

(68) UK Trade and Investment - Report on Inward Investment in the Unmanned Aerial Vehicle
Industries, International Consultancy Group Ltd, October 2008, p. 7.

286
Inserer image 16 (page 249 du manuscrit)

A partir de ce constat, plusieurs sociétés se sont spécialisées dans l’évaluation


des marchés potentiels mondiaux et régionaux.
Teal Group (États-Unis) est connue pour ses rapports annuels. En février
2010, les prévisions avancées couvraient les producteurs de plates-formes et
de capteurs embarqués (69) et soulignaient un doublement des dépenses de 4,5
milliards à 11,5 milliards de dollars par an pour atteindre un niveau global
de 80 milliards de dollars en 2020. Les marchés les plus prometteurs sont aux
États-Unis, comptant pour près de 76 % des dépenses de RDT&E et pour 58 %
des achats d’équipements mondiaux. Ce rapport ne devrait pas changer d’ici
2025, en raison de la disparité des volumes investis dans la recherche entre les
États-Unis et le reste du monde. Suivent ensuite l’Europe et l’Asie, l’Amérique
latine et l’Afrique étant réputées d’intérêt marginal à l’horizon considéré. La
valeur des marchés mondiaux des capteurs embarqués (boules optroniques,
capteurs infrarouges, radars à synthèse d’ouverture, collection et traitement
des émissions électriques et électroniques…) est estimée en progression de

(69) Teal Group Predicts Worldwide UAV Market Will Total Over $80 Billion : http://www.tealgroup.
com/index.php?option=com_content&view=article&id=62:uav-study-release&catid=3&Itemid=16

287
3 milliards de dollars en 2010 à 6 milliards par an vers 2020 : les pôles de
production les plus actifs étant situés aux États-Unis, en Israël et en Europe
autour d’une trentaine de sociétés. Ces données ont été confirmées dans le
dernier rapport paru en 2011 (70).
Visiongain Ltd (71) (UK) édite régulièrement des études de marchés sur
les segments des systèmes non habités : plates-formes, mais surtout capteurs,
transmissions de données et simulateurs d’entraînement. En 2010, elle estimait
la valeur des marchés mondiaux des systèmes volants non habités à 15 milliards
de dollars à horizon 2016.
Toutefois, Teal Group et Visiongain Ltd incluent les utilisations militaires
dans ces chiffres globaux. Les deux concluent à une expansion civile à venir.
De son coté, International Consultancy Group Ltd (UK) a estimé la part des
marchés civils mondiaux entre 2008 et 2018 à 2 milliards de dollars sur un
total de 31 milliards (72).
En Europe, les études menées depuis cinq ans concluent au glissement
très progressif vers l’emploi des systèmes non habités du domaine militaire,
actuellement nettement majoritaire, vers le civil. Le rapport de la société
britannique Frost & Sullivan (73), commandé en 2007 par la Commission
européenne a servi de référence aux différents intervenants de la communauté
des systèmes volants non habités en vue d’accélérer leur intégration dans l’espace
aérien non réservé. Ce critère de l’intégration est devenu la condition sine-qua-
non du développement futur des services civils. Il en est de même aux États-Unis.
Au début de la décennie 2010, la répartition des marchés civils des drones
en Europe s’opérait selon la distribution suivante (74) :
Domaines civils % des systèmes existants
Observation de la terre 37
Télécommunications 13
Patrouilles maritimes côtières 13
Surveillance des feux de forêts 12
Surveillance des frontières 11
Inspection des oléoducs 06
Inspection des lignes électriques 05
Sécurité publique et maintien de l’ordre 03

(70) Les chiffres de dépenses annuelles mondiales évoluent de 5,9 à 11,3 milliards pour atteindre un
niveau global de 94 milliards en 2022. Teal Group Predicts Worldwide UAV Market Will Total Just Over
$94 Billion : http://tealgroup.com/index.php?option=com_content&view=article&id=74:teal-
group-predicts-worldwide-uav-market-will-total-just-over-94-billion-&catid=3&Itemid=16
(71) Visiongain Ltd  ; http://www.visiongain.com/Report/615/The-UAV-Flight-Training-
Simulation-Market-2011-2021.
(72) UK Trade and Investment - Report on Inward Investment in the Unmanned Aerial Vehicle
Industries, op. cit., p. 3.
(73) Study Analyzing the Current Activities in the Field of UAV, “Where are we today – the industrial/
economical/ political situation in Europe and the international interdependencies”, Frost & Sullivan,
ENTR/2007/065, 74 p.
(74) Michael Strong, UAS Market Assessment; Establishing the Priorities, Eurocontrol UAS
Workshop, 7-8 may 2008, 8 p., p. 5.

288
Comme on peut le constater, il s’agit de duplication de missions et de
tâches militaires de surveillance/observation et de transmission de données (75).
La logique des développements civils en cours passe d’abord par une
démilitarisation des parcs par une première utilisation au profit d’institutions
publiques de sécurité. Cette étape déjà en grande partie achevée oblige la puis-
sance publique à prendre en compte le drone dans la gestion de l’espace aérien
non réservé. Les systèmes concernés sont pour la plupart des HALE ou MALE
dont l’efficacité implique l’extension continue de la zone protégée ou l’inté-
gration dans tout ou partie de la circulation aérienne. Simultanément, au fur
et à mesure des progrès dans le processus de certification de navigabilité, des
activités de niche se structurent en véritables activités économiques, cette fois
au profit d’entreprises privées dans des domaines très divers dont le tableau
ci-contre rend compte (76).

Inserer image 17 (page 251 du manuscrit)

Toutefois, les perspectives de développement varient considérablement par


grande zone géographique. On peut estimer que deux facteurs clés facilitent ou
freinent ces activités : la disposition d’un espace aérien non saturé d’une part
et la culture populaire plus ou moins favorable à la robotisation des activités
humaines d’autre part.
Enfin, la dernière étape vise l’investissement de nouveaux domaines à
horizon éloigné, car les technologies ne sont pas disponibles et le cadre juridique
international encore trop incertain. Ils concernent le transport de fret et de

(75) Une présentation de ce glissement est illustré dans : Mehdi Mekdhour, Les drones succès
commercial d’un outil controversé, note du GRIP, 2 février 2011, Bruxelles, 16 p.
(76) European Civil Unmanned Air Vehicle Roadmap, volume 3, Strategic Research Agenda,
European Civil UAV FP5  R&D program members, 2005, 192 p., p. 37. Il existe plusieurs autres
nomenclatures, mais on y retrouve des secteurs similaires.

289
passagers et les systèmes de transmission/relais de télécommunication à portée
régionale, impliquant une navigation de longue durée en position stationnaire
et à haute altitude.

Les marchés structurés : surveiLLance des espaces souverains


et communs

L’utilisation par des institutions civiles de sécurité est aujourd’hui le


domaine d’emploi de prédilection des drones. Aux États-Unis, en Europe
et au Moyen-Orient, la surveillance des frontières, mais aussi des espaces
aéromaritimes communs (Global Commons) fait l’objet de programmes au
point. Aux États-Unis, l’expérience a débuté en 2004 sous la responsabilité du
Department of Homeland Security. Les drones sont mis en service par le US
Customs and Border Protection’s (CBP’s) Office of Air & Marine (A&M) qui
alignait en juin 2010 six Predator B dont un était spécialement équipé pour la
surveillance des zones maritimes dans le Golfe du Mexique. Il est intéressant
de noter les retours d’expérience de cinq années d’emploi opérationnel. Les
systèmes acquis pour 4,5 millions de dollars l’unité permettent d’assurer des
missions de trente heures en comparaison des deux heures de vol utile pour un
hélicoptère Black Hawk coûtant 8,6 millions de dollars pièce (77). Les plates-
formes emportent un ensemble de capteurs optiques / infrarouges, un radar à
synthèse d’ouverture et un illuminateur laser. Les systèmes sont employés pour
recueil d’imagerie en temps réel et diffusion d’alerte au dispositif de patrouilles
terrestres. Plusieurs difficultés sont apparues à l’usage (78). D’une part, le coût
de fonctionnement horaire est moins avantageux qu’il n’y paraît. La flotte exige
une équipe de vingt personnes au sol, plus des opérateurs spécialement entrainés
qui doublent la facture par rapport à une heure de vol de plate-forme habitée.
De même, les capteurs embarqués sont perturbés par les mauvaises conditions
météorologiques. Enfin, les restrictions de vol imposées par la Federal Aviation
Authority entravaient sérieusement les performances des engins, en raison de
créneaux et des espaces de vol réservés très contraints. Toutefois, en dépit de
ces inconvénients, l’emploi des drones n’est pas remis en cause.
En Europe, FRONTEX assure des expérimentations comparables dans le
cadre du programme European Border Surveillance System (EUROSUR) (79). La
lutte contre le crime organisé et l’immigration clandestine implique la création
d’un ensemble d’interconnexions pour constituer une vision partagée de la
situation aux frontières et créer un réservoir de capacités d’intervention rapide.
EUROSUR prend en compte la surveillance d’espaces aéromaritimes couvrant
la zone ouest-africaine jusqu’à la Mer noire, à laquelle s’ajoute la surveillance
de frontières terrestres extrêmement compartimentées. Les drones utilisés

(77) John R. Stanton, UAS in Homeland Security Applications, U. S. Customs and Border Protection,
Office of Air and Marine, 2009, 19 p., p. 4.
(78) Chad C. Haddal, Jeremiah Gertler, Homeland Security: Unmanned Aerial Vehicles and Border
Surveillance, CRS Report for Congress, 8 July 2010, 7 p., p. 3.
(79) Eric Berglund, Zdravko Kolev, “The Potential of UAS for European Border Surveillance”,
2009/2010 UAS Yearbook – UAS: The Global Perspective, 7th Edition, June 2009, pp. 45-46.

290
sont variés et collectent des données en temps réel, en complément des autres
composantes satellitaires et humaines. Les expérimentations réalisées par la
Guardia Civil espagnole (opération MINERVA - 2009) illustrent la combinaison
type de capacités recherchées. Un drone MALE HERON opérant à partir des
Canaries assure des missions de surveillance de 24 heures sur de vastes zones
maritimes. Son action est relayée par un drone tactique SCHIEBEL embarqué
pour la surveillance rapprochée et l’aide à l’interception. Les retours d’expérience
montrent l’utilité, par conditions météorologiques favorables, en complément
des moyens spatiaux et aéromaritimes humains en termes de souplesse et de
rapidité. Toutefois, les coûts de maintenance restent élevés et la question de
l’insertion dans les espaces aériens non protégés compliquent sérieusement
les déploiements (80). La question de la surveillance des frontières terrestres est
différente. Il s’agit d’appuyer l’action des patrouilles terrestres dans des zones
peu accessibles ou de surveiller des itinéraires sensibles. Les capteurs embarqués
sont optiques et ne nécessitent pas de plates-formes lourdes (81). Cet emploi est
très similaire à ceux anticipés pour les forces de police.
En effet, de nombreuses expériences ont été menées aux États-Unis et
en Europe pour le maintien de l’ordre et la sécurité publique. Des synthèses
remontant des essais de la police britannique (82), néerlandaise et allemande,
permettent de cerner les profils capacitaires recherchés. Les tâches les plus
communes servant aux tests concernent l’observation et la surveillance du
trafic routier, de points sensibles, de foules et manifestations (83). Il s’agit pour
la plupart des systèmes testés de mini-drones ne dépassant pas 5 kilos de
masse totale au décollage, pourvus de capteurs optiques et d’une liaison de
transmission de données. Les machines sont utilisées pour des missions de
quelques dizaines de minutes à une altitude inférieure à 150 mètres. L’engin
évolue généralement dans la ligne de vision de l’opérateur. Les unités spéciales
de lutte contre la criminalité ont aussi testé des micro-drones à voilure rotative
de quelques centaines de grammes pour l’observation et l’intrusion dans des
constructions ou pièces dangereuses ou à fin de recueil d’éléments de preuves (84).
La discrétion est ici l’élément essentiellement recherché. Les utilisateurs
soulignent tous l’intérêt de systèmes peu coûteux, faciles à déployer et ne
nécessitant aucune formation technique spécialisée pour les opérateurs. Ces
marchés bénéficient d’un potentiel d’achat de plusieurs milliers de systèmes sur
étagère ou, pour les plus coûteux, de procédures d’acquisition programmées tout

(80) D. Julio Serrano Checan, Guardia Civil Unmanned Aerial Systems, European UAS Conference,
Brussels, 8 July 2010, 17 p., pp. 11-13.
(81) Eric Berglund & Zdravko Kolev, op. cit., p. 45.
(82) Owen Bowcott, Paul Lewis, “Unmanned drones may be used in police surveillance”, The
Guardian, 24 September 2010.
(83) Achim Friedl, The potential offered by Light UAS for security applications, European UAS
Conference, Brussels,1 July 2010, 8 p., p. 4
(84) Exemple du drone Sky-eye de 1,1 kilogramme de masse totale au décollage avec 200
grammes de charge utile testé par la police britannique de Mersey. L’engin dispose d’un système de
positionnement GPS et d’un capteur optique. Doté de quatre rotors mus électriquement, il peut opérer
pendant vingt minutes dans un rayon de 500 mètres à vue directe de l’opérateur.

291
à fait comparables à ce qui se fait sur les marchés défense. De plus, compte tenu
de l’importance critique des missions aux yeux des opinions publiques (lutte
contre le terrorisme et l’immigration clandestine), la puissance publique sera
plus encline à accorder des aménagements réglementaires pour leur utilisation
sous la forme d’extension des zones aériennes protégées et l’allocation de bandes
de fréquences indispensables pour le guidage des vols et les transmissions de
données (pour les systèmes temps réel).

La surveiLLance des infrastructures critiques offre de bonnes


perspectives de déveLoppement rapide

D’autres domaines sont en voie de structuration, notamment la protection


civile. La sûreté des installations nucléaires et plus généralement des sites
industriels de type Seveso II est consommatrice de robots aériens et terrestres
pour les tâches de surveillance, de vérification d’intégrité des structures, de
reconnaissance et de prélèvement d’échantillonnage (produits toxiques et
radiations). En France, l’Info-Tron IT-180-5 du Groupe Infra en offre un
exemple (85).
Dans la lutte anti-incendie, les tâches de repérage des foyers et de guidage
des équipes au sol ont fait l’objet de plusieurs configurations possibles essayées
avec succès. Aux États-Unis, le programme FIRE depuis 2001 a permis de valider
l’utilisation d’un MALE ALTAIR équipé de capteurs optiques et infrarouges
couplés à une transmission de données vers un centre opération distant de plus
de 800 kilomètres. Le programme Wildfire Research and Applications Partnership
(WRAP), codirigé par la NASA et le US Forest Service a pris le relai par
équipement du système Ikhana : un Predator B équipé pour l’observation de
la Terre (86). Ce concept implique un appareil coûteux car suffisamment lourd
pour embarquer des capteurs optiques et infrarouges, un radar à synthèse
d’ouverture pouvant fonctionner en mode Moving Target Indicator, plus
l’ensemble des autres systèmes nécessaires pour le vol et les transmissions
de données. Le concept est repris en Europe avec l’ONERA (87). Une autre
approche consiste à utiliser un « essaim » de minidrones emportant chacun
une fonction nécessaire à l’ensemble de la mission. Au Portugal, une équipe de
recherche a expérimenté trois drones combinés : un dirigeable KARMA pour
les relais de signaux et les prises de vue larges ; deux drones à voilure rotative,
un MARVIN et un HELIVISION-GRVC, équipés de capteurs thermiques

(85) André Cochard, Intervention robotique sur accident, Groupe Intra, Bruxelles, juillet 2010, 25
p., p. 22.
(86) L’Ikhana est capable de mener une mission de surveillance des zones forestières de 24 heures
sur plus de 4 000 miles nautiques à 450 000 pieds : V. Ambrosia et ali, Unmanned Airborne Systems
Supporting Disaster Observations: Near-Real-Time Data Needs, 2010, 4 p.
(87) Claude Le Tallec, Détection des départs de feux et identification des incendiaires, brochure
ONERA, 2 p.

292
pour les prises de vue localisées et la surveillance de foyers (88). L’ensemble peu
couteux, aisément transportable par véhicule léger, a été déployé en 2004-2005
en soutien aux unités de pompiers.
Le domaine de la surveillance des installations critiques et des réseaux
énergétiques (électriques, oléoducs) offre un autre exemple d’activités de niche
amenées à se développer. Depuis 2003, la compagnie israélienne Aeronautics
Ltd déploie des drones AEROSTAR équipés de caméras thermiques pour
la surveillance de plates-formes pétrolières. D’autres engins sont spécialisés
dans la localisation des fuites souterraines de pétrole et de détection des
canalisations (89). Compte tenu des obligations légales imposées en Amérique
du Nord et en Europe pour la sécurisation des oléoducs et de l’étendue des
réseaux mondiaux, il est tout à fait crédible de parier sur un développement
de ce marché.
De son côté l’inspection des réseaux électriques pose des problèmes
différents. Il s’agit de surveiller l’intégrité des structures, des branchements, la
distance avec la végétation avoisinante pour l’entretien courant des pylônes ;
de l’évaluation rapide des dégâts en cas de panne sur les lignes aériennes. Ces
tâches sont prises en charge par des drones à voilure tournante, opérant à
quelques dizaines de mètres du sol avec des caméras à haute résolution, des
filtres infrarouges et des appareils de mesure de sons (90).
Ces activités ne nécessitent pas une incursion dans l’espace aérien non
réservé, à l’exception de systèmes HALE ou MALE éventuellement utilisés.
Toute la gamme de drones est susceptible d’emploi : des microsystèmes pour
intervention dans des bâtiments à des mini-systèmes déployés dans des espaces
réservés (sites industriels, ouvrages d’art, couloirs des lignes aériennes électriques)
en ligne de vision directe de l’opérateur. Les pays disposant d’un espace aérien
non saturé (Amérique du Nord, Russie, Australie, Moyen-Orient) devraient
pouvoir utiliser plus facilement ces capacités en mode de guidage déporté,
lequel est technologiquement disponible.

de nombreuses « activités de niche » restent à structurer


économiquement

La gestion des ressources naturelles et l’assistance à l’agriculture existent


déjà, en tant que marchés constitués, au Japon depuis une vingtaine d’années et
en Amérique du Nord. Dans ces pays, des sociétés privées louent aux forestiers
ou aux agriculteurs des mini-drones avec une station sol pour la surveillance de la

(88) J. R. Martınez-de-Dios (et ali.), “Multi-UAV Experiments : Application to Forest”, in A. Ollero


and I.  Maza (Eds.) : Mult. Hetero. Unmanned Aerial Vehicles, STAR 37, Springer-Verlag Berlin
Heidelberg, 2007, pp. 207-228.
(89) Sergity Sadovnychiy, Unmanned aerial vehicle system for pipeline inspection, Pipeline research
program, Mexican Petroleum Institute, 2009, 6 p., p. 1.
(90) NORUT, power line inspection, http://uas.norut.no/UAV_Remote_Sensing/Power_lines.
html, December 2010.

293
maturation des récoltes, pour la gestion de l’eau et l’épandage des pesticides (91).
Ces informations complètent ou remplacent les données fournies par satellites,
dont la résolution image n’est pas toujours optimale. Elles permettent surtout
l’établissement périodique de bases de données et de cartographies mises à jour
à peu de frais. Pour des continents dépeuplés, comme l’Afrique, ou la gestion
des ressources agricoles est un enjeu stratégique majeur, ces capacités seront
certainement très sollicitées dans les deux décennies à venir, mais demeurent
encore lacunaires.
Dans le même registre, l’aide aux activités halieutiques (pêcheries côtières
ou assistance à la pêche hauturière) consiste à compiler des quantités énormes
de données hygrométriques, de température et salinité des eaux pour étudier le
déplacement des courants, des planctons et des réservoirs disponibles d’espèces.
Avec le développement prévisible des fermes marines et, de manière plus
générale, des activités d’exploitation du plateau continental, les perspectives
semblent prometteuses.
On peut aussi ranger dans les « activités de niche », les différents domaines
d’études scientifiques de la terre et de son environnement, telles l’aérologie
pour l’établissement de modèles mathématiques, la volcanologie, l’observation
de la fonte des glaciers et calottes polaires, l’étude d’une espèce animale et
de son biotope. Les systèmes utilisés sont très souvent des plates-formes bon
marché de type AEROSONDE, dans lesquels les scientifiques vont insérer des
instruments de mesures spécifiquement adaptés à la mission. Les systèmes sont
chargés de collecter périodiquement de nombreuses données sur une même
zone géographique. Le drone fait alors le lien entre les ressources spatiales
nécessairement limitées et coûteuses et les observations des équipes au sol.
Toutefois, on ne peut pas vraiment parler de « marchés » économiques, tant
sont particuliers les besoins exprimés.

Les marchés d’après-demain : La robotique appLiquée


au transport et aux téLécommunications

Ce tour d’horizon ne peut être achevé sans un rapide coup d’œil aux
projets d’avenir. Deux domaines sont susceptibles d’avancées majeures dans
les décennies à venir : le transport aérien automatisé et les plates-formes de
télécommunication haute altitude.
Une douzaine de programmes asiatiques, américains (HALE-D Lockheed-
Martin) et européens (CAPARINA Consortium, SOLITAIR…) sont en lice
pour le déploiement d’aérostats ou de drones à voilure fixe, chargés de la
retransmission de données haut débit pour un coût nettement inférieur à un
satellite. Les systèmes assurent un vol stationnaire ou zonal à des altitudes de
3 à 25 km pour une période de quelques mois à cinq ans. Toutefois, une partie
de la technologie n’est pas encore mûre : les cellules de production électrique
au rendement nocturne trop faible ; les matériaux légers pour les cellules ; la

(91) Remote Sensing using Unmanned Airborne Vehicles (UAV‘s) for Precision Agriculture, HRSL,
Maryland, États-Unis.

294
fiabilité de moteurs économes en énergie tout en étant capables de conserver
à l’engin un vol stabilisé. Par ailleurs, ce genre de système doit s’insérer dans
la circulation aérienne, au moins lors des évolutions vers la base d’entretien
et la zone d’emploi.
On rejoint ici la question plus générale de la « dronisation » du transport
de fret et de passagers, laquelle constitue l’ultime frontière des systèmes non
habités. Alors que le trafic aérien passager est en voie de saturation, notamment
en Europe, l’idée de transporter du fret par drones, vers des aéroports réservés
est étudiée sérieusement. Techniquement, les militaires utilisent déjà des drones
pour la logistique de combat (92). Aux États-Unis, le projet de la FAA et de
l’Université Mason consiste à « droniser » des CESSNA Grand Caravan pour
le transport rapide entre parcs industriels depuis 2004.
A plus long terme, le transport de passagers, avec la « dronisation »
d’aéronefs de classe C est en cours d’étude aux États-Unis et en Europe, dans
le cadre de l’automatisation du trafic aérien civil. L’Organisation de l’aviation
civile internationale a créé depuis 2005 un groupe de travail chargé d’étudier les
Standards and Recommended Practices adaptés pour l’insertion des drones. En
Europe, l’Innovative Operation UAS Integration project (INOUI) sert de cadre
de réflexion au sein du programme Single European Sky Air Traffic Management
Research couvrant l’ensemble des évolutions du transport aérien. L’European
Organization for Civil Aviation Equipment (EUROCAE), l’European Aviation
Safety Agency (EASA), l’Agence européenne de défense et l’OTAN sont les
autres intervenants, avec la FAA américaine.
Une feuille de route européenne a été fixée en 2005 pour coordonner les
différents chantiers d’ici 2025 ; harmonisation des réglementations nationales ;
certification des systèmes ; formation des personnels ; régime de responsabilité ;
suivi de secteurs clés comme la sécurité aérienne (technologies Sense&Avoid du
programme MIDair Collision Avoidance System). C’est donc très progressivement,
du moins en Europe, que les perspectives réelles de structuration des marchés
civils des drones apparaîtront aux différents opérateurs. Il faudra encore attendre
un peu pour atteindre Eldorado !

(92) Le système Snowgoose de la société MMIST par exemple ou le programme KAMAN-KMax


testé pour les Marines en Afghanistan.

295
296
CHAPITRE 6

ASPECTS JURIDIQUES,
ÉTHIQUES ET
SOCIOLOGIQUES

297
298
Statut juridique des drones
Philippe Lagrange

Le drone aérien, autrement dénommé Unmanned Aerial Vehicle (UAV),


quelle que soit sa nature (93), est appelé, en raison de son extrême polyvalence et
de sa grande adaptabilité, à connaître un fort développement. Son utilisation de
plus en plus fréquente et régulière par certains États, qu’il s’agisse de missions
de surveillance (94), d’entraînement, d’appui tactique (95), voire de délivrance
d’un armement (96), en fait un phénomène que le droit ne peut ignorer.
Or, précisément, et quand bien même l’on s’en tient volontairement à ses
seules applications militaires, le statut juridique du drone demeure incertain.
Il l’est d’abord s’agissant de sa définition même. Il l’est ensuite quant au cadre
juridique applicable en fonction de ses conditions d’utilisation. Il l’est enfin en
termes de responsabilité pour les dommages causés par son emploi.

nature juridique
Ainsi que le précise Pascal Dupont, « au plan strictement aéronautique,
les drones se rattachent à la catégorie d’avion radioguidé depuis le sol. Leur
technicité sans cesse croissante les éloigne cependant définitivement d’un simple
modèle réduit » (97). Ces engins présentent mutatis mutandis tous les éléments
constitutifs de la définition applicable aux aéronefs, et plus précisément aux
aéronefs d’État.

(93) On distingue généralement les drones de haute altitude et longue endurance (HALE), qui
opèrent à plus de 20 000 mètres, des drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE), qui
évoluent pour leur part entre 5 000 et 15 000 mètres. S’y ajoutent les drones tactiques qui opèrent en
soutien des forces engagées en opération et qui constituent une catégorie très hétérogène, ainsi que
les minidrones et autres microdrones, « jumelles déportées » du fantassin, qui permettent d’assurer des
missions de renseignement au contact, sur une courte portée. Sur ces différentes catégories de drones,
voir Yves Vandewalle et Jean-Claude Viollet, « Rapport d’information sur les drones », Rapport
d’information déposé par la commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée
nationale, Rapport no 2 127, 1er décembre 2009, pp. 10-11.
(94) La vocation première des UAV demeure les missions dites ISR (Intelligence, Surveillance and
Reconnaissance), soit la surveillance aérienne, la reconnaissance et plus largement le renseignement.
(95) Les drones sont également employés pour des missions d’entraînement, en tant que cibles
ou leurres autopilotés et se révèlent très intéressants pour des opérations d’appui tactique, comme
l’illumination laser et la désignation de cibles.
(96) Les plates-formes aériennes non habitées ISR ont été progressivement adaptées pour utiliser
des armements et devenir des drones armés, en attendant la génération des véhicules aériens non
habités de combat, spécialement conçus pour l’emport et le largage de systèmes d’armes létales.
(97) Pascal M. Dupont, « Les drones en question », Revue française de droit aérien et spatial, 2006-
2, p. 98.

299
Le drone est un aéroneF
Dans le domaine militaire et comme le rappelle Grégory Boutherin, « on
parle généralement de système de drone (Unmanned Aerial systems, UAS), qui
s’entend du système pris dans sa globalité, autrement dit intégrant le vecteur,
les liaisons des données, la station de contrôle, les éléments de soutien et autres
systèmes de récupération. D’un point de vue strict, UAV (Unmanned Aerial
Vehicles) renvoie au seul vecteur » (98). Ce terme de vecteur est repris par le
Document cadre interarmées pour l’emploi des drones en service, qui définit
l’UAV comme « un vecteur aérien inhabité, programmé ou contrôlé à distance
pour réaliser une mission », à l’issue de laquelle il est reconditionné pour être
réutilisé (99).
Dans d’autres textes, c’est néanmoins le terme aéronef, ou l’un de ses
dérivés, qui est préféré pour qualifier le drone aérien. L’arrêté du 5 octobre 1984
le définit ainsi comme « un aérodyne sans équipage, télé piloté ou programmé,
utilisé pour des missions diverses » (100), tandis que selon l’instruction provisoire
de la Direction de la circulation aérienne militaire du 19 janvier 2004, « un
drone ou UAV […] est un aéronef inhabité, piloté à distance, semi-autonome ou
autonome, susceptible d’emporter différentes charges utiles le rendant capable
d’effectuer des tâches spécifiques pendant une durée de vol pouvant varier en
fonction de ses capacités » (101).
En vertu de ces différentes définitions, le drone apparaît bien comme un
véhicule aérien, dont la caractéristique principale est d’être sans équipage
à bord, qu’il soit télécommandé ou autonome, et dont la caractéristique
seconde est d’être récupérable et donc réutilisable après récupération en fin de
vol. Ce qui le différencie d’autres appareils volants sans équipage, comme les
missiles ou autres armements à usage unique. Ces différentes caractéristiques,
techniquement essentielles, ne s’avèrent pas sans importance au regard du droit
et de la définition juridique de l’aéronef.
déFinition de L’aéroneF
Celle-ci découle de la Convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative
à l’aviation civile internationale (102), selon laquelle est un aéronef tout appareil
pouvant se soutenir dans l’atmosphère grâce aux réactions de l’air. Cette
définition peut être déduite des annexes à la Convention, et en particulier des
annexes 6 (Exploitation technique des aéronefs), 7(Marques de nationalité et
d’immatriculation) et 8(Certificats de navigabilité) et, plus précisément encore,

(98) Grégory Boutherin, « Un nouveau combat pour les UAV ? Quand les drones armés affrontent les
perceptions », Sécurité globale, no 14, hiver 2010-2011, note 6, p. 122.
(99) État-major des armées, CICDE, Document cadre interarmées pour l’emploi des drones en
service, PIA no 03.334, no 226/DEF/CICDE/NP du 6 octobre 2008, p. 5.
(100) Arrêté du 5 octobre 1984 relatif à l’enrichissement du vocabulaire en usage au ministère de la
Défense, JORF du 30 décembre 1984, p. 1 296.
(101) Instruction provisoire de la Direction de la circulation aérienne militaire no 2250/DIRCAM du
19 janvier 2004.
(102) Convention relative à l’aviation civile internationale, Chicago, 7 décembre 1944 ; 191 États
parties à ce jour.

300
d’une analyse a contrario de l’annexe 7 qui, par un amendement apporté le
8 novembre 1967, a exclu de la définition de l’aéronef les appareils pouvant
se soutenir grâce aux réactions de l’air sur la surface de la Terre, tels les
aéroglisseurs. Ne sont pas non plus considérés comme des aéronefs au sens de
la convention les parachutes, les simulateurs de vol, les engins balistiques, tels
que les obus ou fusées, les missiles de croisière et les avions fusées lorsqu’ils se
déplacent grâce à la seule poussée de la fusée (103). Entrent en revanche dans
la définition, d’une part les aérostats, tels que les ballons captifs ou les ballons
libres et, d’autre part, les aérodynes, tels que les ailes volantes, les planeurs, les
avions (à moteur ou à réaction) et les hélicoptères.
transposition au drone
Qu’en est-il du drone ? Il répond incontestablement à la définition générale
des aéronefs. C’est un aérodyne, généralement doté d’une voilure fixe, qui se
maintient dans l’atmosphère grâce aux réactions conjuguées de l’air et de
l’effet de propulsion de son moteur. Il s’agit donc bien d’un « appareil capable
de s’élever ou de circuler dans les airs », au sens l’article L 6100-1 du Code des
transports français (104). Le fait qu’il soit récupérable et réutilisable permet
de le distinguer des missiles et donc de le maintenir au sein de la catégorie
juridique des aéronefs.
Qu’il soit inhabité apparaît sans effet au regard d’une appréciation stricte
de la définition, tant l’aspect essentiel et suffisant reste la capacité d’un engin
à se soutenir dans l’atmosphère. La Convention vise en outre expressément la
catégorie des « aéronefs sans pilote », en son article 8, pour leur interdire « de
survoler sans pilote le territoire d’un État contractant, sauf autorisation spéciale
dudit État et conformément aux conditions de celle-ci » et pour imposer à chaque
État contractant de « faire en sorte que le vol d’un tel aéronef sans pilote dans
des régions ouvertes aux aéronefs civils soit soumis à un contrôle qui permette
d’éviter tout danger pour les aéronefs civils ».
C’est au demeurant au regard de cette logique de sécurité aérienne que
la question de l’influence du caractère inhabité du drone sur son intégration
dans la catégorie des aéronefs mérite d’être posée. Certes, certains aérostats,
notamment des ballons fixes, peuvent également être inhabités, mais, en dehors
de cette exception, l’ensemble des engins considérés comme des aéronefs sont
par principe habités. S’il ne s’agit pas d’un élément de la définition stricto
sensu, cela n’en demeure pas moins une caractéristique fondamentale de
l’aéronef, ne serait-ce qu’au regard du « principe architectonique de la circulation
aérienne » (105), celui de « voir et éviter ». Les drones, en effet, ne disposent pas
encore d’équipements techniques suffisamment performants pour remplacer
intégralement l’œil du pilote, seul aujourd’hui à même de garantir pleinement

(103) Ainsi de la navette spatiale qui, bien que revenant à terre comme un planeur, est généralement
considérée comme n’étant pas un aéronef, en raison qu’elle est propulsée comme une fusée.
(104) Selon cette disposition, « est dénommé aéronef pour l’application du présent code, tout appareil
capable de s’élever ou de circuler dans les airs ».
(105) Fabien Gouttefarde, « Le cadre juridique de l’emploi des drones au-dessus des espaces
maritimes », Revue française de droit aérien et spatial, 2009-1, p. 6.

301
l’application de ce concept (106). Dès lors, admettre que le drone est un aéronef
suppose de faire abstraction de cet aspect, en considérant que les progrès de
la technologie garantissent aujourd’hui une appréciation de la situation par
le pilote déporté quasi équivalente à celle reconnue au pilote embarqué. Cela
s’avère d’autant plus aisé s’agissant des drones militaires que ceux-ci sont en
général dotés d’une technologie de pointe dont ne disposent pas les drones à
usage civil.
Au surplus, il reste toujours possible de considérer que cet élément induit
de la définition vaut principalement pour les aéronefs civils, couverts par la
Convention de Chicago, et non pour les drones militaires, considérés comme
des aéronefs d’État, avec pour conséquence immédiate leur exclusion du champ
d’application de ce texte.

Le drone miLitaire est un aéroneF d’état


Les aéronefs militaires sont considérés comme des aéronefs d’États depuis
que la Convention de Chicago a abandonné la définition proposée par la
Convention de Paris du 13 octobre 1919, qui considérait l’aéronef militaire
comme « tout aéronef commandé par un militaire commissionné à cet effet »
(art. 31) (107).
notion d’aéroneF d’état
On oppose donc désormais l’aéronef d’État à l’aéronef civil, sachant que
l’aéronef civil est l’aéronef autre qu’un aéronef d’État et qu’il n’existe pas de
définition universellement acceptée de l’aéronef d’État… La Convention de
Chicago se borne à exclure ces aéronefs de son champ d’application et précise
que « les aéronefs utilisés dans des services militaires, de douane ou de police
sont considérés comme aéronefs d’État » (art. 3 b). Cette liste n’est cependant
pas considérée comme limitative et sont également regardés comme aéronefs
d’État, pour l’application de cet instrument, les aéronefs transportant des chefs
d’État ou autres personnalités officielles.
La catégorie n’est pas aisée à cerner : si peuvent y entrer certains aéronefs
affectés à des « missions spéciales », telles que le sauvetage ou la recherche
scientifique, la question demeure s’agissant par exemple des aéronefs affectés
exclusivement au service postal. Autant de raisons qui ont conduit la doctrine
à tenter de regrouper ces multiples hypothèses en une formule unique couvrant
« les aéronefs appartenant à l’État ou exploités par lui et exclusivement affectés à
un service public » (108). Une logique reprise par l’article L 6100-1 du Code des
transports français (que l’on retrouvait auparavant dans l’article L 110-2 du

(106) Sur les équipements technologiques nécessaires à une correcte transposition de la règle « voir
et éviter », on se reportera à Fabien Gouttefarde, ibid., pp. 19-21.
(107) Voir Ming-Min Pen, Le Statut juridique de l’aéronef militaire, Martinus Nijhoff, La Haye,
1957.
(108) Voir Isabella H. Ph. Diedriks-Verschoor, An Introduction to Air Law, Kluwer Law International,
Aspen Publishers Incorporated, New York, 2006.

302
code de l’aviation civile), qui définit les aéronefs d’État comme des « aéronefs
appartenant à l’État et exclusivement affectés à un service public ».
Ce critère d’appartenance à l’État n’est cependant pas suffisant pour
permettre de qualifier un aéronef d’État. Celui de son affectation s’avère tout
aussi essentiel. Plus que par son propriétaire ou son immatriculation, c’est par
la finalité de son vol que va être déterminée la qualité d’un aéronef. Un aéronef
à usage ordinairement civil peut en effet être exceptionnellement utilisé à des
fins militaires, par exemple pour le transport de troupes. Il obtiendra alors le
statut d’aéronef d’État tant qu’il sera utilisé comme tel. C’est bien cette logique
qu’a entendu confirmer l’article 1er du décret du 7 décembre 2006 relatif aux
règles d’utilisation, de navigabilité et d’immatriculation des aéronefs militaires
et des aéronefs appartenant à l’État et utilisés par les services de douanes, de
sécurité publique et de sécurité civile, en précisant que constituent des aéronefs
militaires tant « les aéronefs appartenant à l’État et utilisés par les organismes
relevant de l’autorité du ministre de la défense […] » que, « sur décision conjointe
du ministre de la défense et du ministre chargé de l’aviation civile, les aéronefs
n’appartenant pas à l’État, mais utilisés pour effectuer des missions au profit de
l’État et pilotés par un équipage soumis au pouvoir hiérarchique du ministre de
la défense » (109).
assimiLation du drone miLitaire à un aéroneF d’état
Au regard de tous ces paramètres, le drone militaire peut-il être assimilé à
un aéronef d’État ? Il est incontestablement un aéronef militaire, tant au regard
de la Convention de Paris que de la définition proposée par le Manuel de San
Remo : « un aéronef au service d’unités des forces armées d’un État, portant les
marques militaires de cet État, commandé par un membre des forces armées et dont
l’équipage est soumis aux règles de la discipline militaire » (art. 13 j) (110). Dans
tous les cas connus d’emploi d’un drone aérien à des fins militaires, toutes ces
conditions ont toujours été réunies — dès lors que l’on admet que l’équipage
peut être déporté —, à l’exception de la dernière, et ce dans le cadre de la
« guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis au moyen de drones
armés (Unmanned Combat Aerial Vehicle ou UCAV) dirigés par du personnel
civil de la CIA et non des membres de l’US Air Force. On sort cependant, dans
cette hypothèse et ainsi que nous le verrons par la suite, du cadre juridique
ordinairement applicable à l’utilisation des drones militaires.
Immatriculé comme tel et portant les marques militaires d’un État,
un drone militaire s’analyse ensuite comme un aéronef d’État au sens du
droit international. La notion d’aéronef d’État emporte en effet plusieurs
conséquences. Outre la non application de la Convention de Chicago, s’impose
d’abord l’usage d’un indicatif et d’une immatriculation spécifique. Cette

(109) Décret 2006-1551 du 7 décembre 2006 relatif aux règles d’utilisation, de navigabilité et
d’immatriculation des aéronefs militaires et des aéronefs appartenant à l’État et utilisés par les services
de douanes, de sécurité publique et de sécurité civile, JORF du 9 décembre 2006.
(110) Manuel de San Remo sur le droit international applicable aux conflits armés en mer, préparé par
des juristes internationaux et des experts navals réunis par l’Institut international de droit humanitaire
et adopté en juin 1994.

303
immatriculation et ce statut lui confèrent ensuite une immunité souveraine :
l’aéronef d’État est considéré comme le représentant de la souveraineté de l’État
dont il arbore le pavillon où qu’il se trouve dans le monde. S’appliquent enfin
un certain nombre de particularités qui relèvent du cadre juridique d’emploi
des drones militaires.

cadre juridique d’empLoi


L’espace aérien, dans lequel sont amenés à évoluer les drones militaires,
n’est pas un espace de totale liberté. Comme l’espace maritime, il se décompose
en deux grands catégories : celle des espaces internationaux, où la liberté de
survol est la règle, et celle des espaces placé sous souveraineté étatique, où le
survol est subordonné à autorisation. Les caractéristiques du drone militaire
font que des règles particulières peuvent lui être opposées, que ce dernier opère
en temps de paix ou bien à l’occasion d’un conflit armé.

conditions d’utiLisation du drone miLitaire en temps de paix


L’espace aérien obéit sensiblement au même régime juridique que
l’espace maritime. Y coexistent des espaces internationaux et des espaces sous
souveraineté étatique.
espaces aériens sous souveraineté étatique
Sont des espaces sous souveraineté étatique les espaces ariens situés
au-dessus du territoire terrestre de l’État, de ses eaux intérieures et de sa mer
territoriale (111). Sur ces espaces, l’État est souverain. Cela veut dire qu’il peut
interdire ou réglementer le survol par tout type d’aéronefs, que ceux-ci relèvent
de sa nationalité ou de celle d’un État étranger (112). S’agissant des aéronefs civils
étrangers s’applique cependant aux États parties l’article 5 de la Convention

(111) La mer territoriale est l’espace maritime de l’État côtier, d’une largeur maximale de 12 milles
nautiques à compter des lignes de base. Sur cet espace, l’État côtier exerce une pleine souveraineté,
sous réserve du respect du droit de passage inoffensif. Voir Jean-Paul Pancracio, Droit de la mer,
Dalloz, Paris, 2010, pp. 122-169 et les articles 1 [« Les États contractants reconnaissent que chaque
État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire »] et 2
[« Aux fins de la présente Convention, il faut entendre par territoire d’un État les régions terrestres et
les eaux territoriales y adjacentes qui se trouvent sous la souveraineté, la suzeraineté, la protection ou
le mandat dudit État »] de la Convention de Chicago.
(112) Voir les articles 5 [« Droits des aéronefs n’assurant pas de service régulier »], 6 [« Services
aériens réguliers », 7 [« Cabotage »], 9 [« Zones interdites »] et 11 [« Application des règlements de
l’air »] de la Convention de Chicago.

304
de Chicago, qui prévoit deux libertés techniques : une liberté de transit et une
liberté d’escale non commerciale (113).
Ces deux libertés ne sauraient être reconnues aux drones militaires étrangers.
D’une part, en raison de ce qu’ils sont inhabités : l’article 8 précité de la
Convention de Chicago disposant expressément que : « Aucun aéronef pouvant
voler sans pilote ne peut survoler sans pilote le territoire d’un État contractant,
sauf autorisation spéciale dudit État et conformément aux conditions de celle-ci
[…] ». D’autre part et surtout, à cause de leur statut d’aéronef d’État qui exclut
l’application de la Convention à leur encontre comme à leur avantage. Les drones
militaires étrangers sont donc doublement tenus d’obtenir une autorisation de
survol des territoires étatiques étrangers, en tant qu’ils sont des aéronefs sans
pilotes et en tant qu’ils s’analysent comme des aéronefs d’État.
Cela ne signifie nullement que l’espace aérien étatique reste entièrement
ouvert aux drones militaires immatriculés par l’État territorialement souverain.
L’intégration des drones militaires dans l’espace civil aérien, à l’occasion de
vols d’entraînement ou de déplacement, peut poser problème, ne serait-ce qu’au
regard des difficultés pour ces engins de pleinement pouvoir respecter le principe
« voir et éviter ». Sur ce plan, et quels que soient les États concernés, force est
d’admettre que le cadre juridique laisse généralement à désirer. Ainsi, et en
dépit de l’adoption de l’Instruction provisoire de la Direction de la circulation
aérienne militaire du 19 janvier 2004, précitée, il faut reconnaître avec Etienne
Leray qu’un drone « ne peut pas voler pour le moment dans l’espace aérien civil,
la loi ne le permet pas » (114).
L’instruction du 19 janvier 2004, en effet, se borne à garantir la sécurité
vis-à-vis de l’ensemble des usagers de l’espace aérien, ainsi que des populations
survolées, par la mise en place de mesures adaptées ; considérant que la
cohabitation entre l’activité des drones et celle des autres usagers n’est pas
aujourd’hui réalisable en appliquant la seule règle « voir et éviter ». Ainsi que
le souligne Fabien Gouttefarde, en vertu de cette instruction, il apparaît que,
pour le moment encore, « les vols de drones doivent être ségrégués dans le temps

(113) Article 5 – Droits des aéronefs n’assurant pas de service régulier :


« Chaque État contractant convient que tous les aéronefs des autres États contractants qui n’assurent
pas de services aériens internationaux réguliers ont le droit, à condition que soient respectés les termes
de la présente Convention, de pénétrer sur son territoire, de le traverser en transit sans escale et d’y
faire des escales non commerciales sans avoir à obtenir une autorisation préalable, sous réserve du
droit pour l’État survolé d’exiger l’atterrissage. Néanmoins, pour des raisons de sécurité de vol,
chaque État contractant se réserve le droit d’exiger que les aéronefs qui désirent survoler des régions
inaccessibles ou dépourvues d’installations et services de navigation aérienne adéquats suivent les
itinéraires prescrits ou obtiennent une autorisation spéciale.
Si lesdits aéronefs assurent le transport de passagers, de marchandises ou de courrier contre
rémunération ou en vertu d’un contrat de location en dehors des services aériens internationaux
réguliers, ils auront aussi le privilège, sous réserve des dispositions de l’article 7, d’embarquer ou de
débarquer des passagers, des marchandises ou du courrier, sous réserve du droit pour l’État où a lieu
l’embarquement ou le débarquement d’imposer telles réglementations, conditions ou restrictions qu’il
pourra juger souhaitables .»
(114) Etienne Leray, chef du département Drones au service des programmes nucléaires et des
missiles de la Direction générale de l’Armement, cité in Lars Hoppe, Le statut juridique des drones.
Aéronefs non habités, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence, 2008, p. 25.

305
et/ou dans l’espace vis-à-vis de toute autre activité aérienne » (115). Concrètement,
cela passe par la définition de zones où l’espace aérien est restreint à un usage
militaire et où l’intégration des drones militaires peut se faire sans risque de
dommages aux aéronefs civils ou aux habitations et populations terrestres (116).
espace aérien internationaL
Qu’en est-il s’agissant du survol des espaces internationaux ? Le principe,
expressément consacré par l’article 87 de la Convention des Nations Unies sur
le droit de la mer (117) est celui de la liberté de survol. Cette liberté s’applique
à l’espace aérien international qui, sur un plan horizontal, est celui situé
au-delà de la limite extérieure de la mer territoriale des États ; c’est-à-dire celui
situé au-dessus de la haute mer, y compris d’éventuelles zones économiques
exclusives (118). Sur cet espace, la liberté de survol s’applique à tous les aéronefs,
de quelque nature qu’ils soient, qui peuvent y pénétrer et s’y déplacer sans
autorisation préalable. Cette liberté ne s’avère cependant pas absolue et la
navigation aérienne dans ces espaces n’est pas affranchie de toute règle. Elle y
connaît trois catégories de limites.
La première découle des impératifs de la sécurité aérienne. Les aéronefs
civils doivent respecter les règles internationales édictées par l’Organisation de
l’aviation civile internationale (119) et notamment les « Règles de l’air » prévues
par l’article 12 de la Convention de Chicago (120), ainsi que la réglementation
propre à certaines « régions d’information de vol » (Flight Information Region ou
FIR) comprenant des portions de l’espace aérien international, conformément
à l’annexe 11 du même instrument (121). Autant de règles que ne sauraient
ignorer les aéronefs d’État, y compris ceux qui circulent sans équipage à bord.
La seconde limite tient en la transposition partielle de la notion de zone
contiguë à la problématique aérienne. Formellement, il n’existe pas de zone
aérienne contiguë comparable à la zone de police qui prévaut en droit de la
(115) Fabien Gouttefarde, « Le cadre juridique de l’emploi des drones au-dessus des espaces
maritimes », op. cit., p. 7.
(116) On distingue la Zone dangereuse (Zone D), la Zone réglementée (Zone R) et la Zone interdite
(Zone P). La Zone dangereuse est la moins contraignante, en ce que les autres usagers peuvent y
pénétrer à leurs risques et périls.
(117) Convention des Nations unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982 ; 162
États parties à ce jour.
(118) Voir Ki-Gab Park, La protection de la souveraineté aérienne, Pedone, Paris, 1991, pp. 133 s.
(119) Voir Jacques Naveau, Marc Godfroid et Pierre Frülhing, Précis de droit aérien, Bruylant,
Bruxelles, 2006, pp. 33 et s.
(120) Article 12 – Règles de l’air :
« Chaque État contractant s’engage à adopter des mesures afin d’assurer que tout aéronef survolant
son territoire ou y manœuvrant, ainsi que tout aéronef portant la marque de sa nationalité, en quelque
lieu qu’il se trouve, se conforment aux règles et règlements en vigueur en ce lieu pour le vol et
la manœuvre des aéronefs. Chaque État contractant s’engage à maintenir ses règlements dans ce
domaine conformes, dans toute la mesure du possible, à ceux qui pourraient être établis en vertu de la
présente Convention. Au-dessus de la haute mer, les règles en vigueur sont les règles établies en vertu
de la présente Convention. Chaque État contractant s’engage à poursuivre toute personne contrevenant
aux règlements applicables .»
(121) Voir Fabien Gouttefarde, « Le cadre juridique de l’emploi des drones au-dessus des espaces
maritimes », op.cit., pp. 17-18.

306
mer et qui permet à l’État côtier, sur une largeur supplémentaire de 12 milles
nautiques au-delà de la limite extérieure de sa mer territoriale, d’exercer
les contrôles nécessaires en vue de prévenir ou de réprimer les infractions à
sa réglementation dans les domaines sanitaire, douanier, fiscal ou tenant à
l’immigration. Néanmoins, nombre d’États, dont la France, ont établi des
limites aériennes aux conséquences équivalentes : les zones d’identification
aérienne (ADIZ ou Air Defense Identification Zone). Il en est ainsi, en France,
de la « Ligne de classification périphérique » (LCP), qui permet aux autorités
françaises d’identifier les aéronefs circulant dans l’espace international, mais
susceptibles de pénétrer l’espace aérien français. Tout aéronef franchissant cette
ligne devra ainsi s’identifier par contact radio auprès du Centre de contrôle et
de coordination du trafic.
La troisième limite réside dans l’impossibilité de transposer au droit aérien
le droit de poursuite prévalant en droit de la mer et qui permet, sous certaines
conditions (122), aux autorités d’un État côtier de poursuivre et d’arraisonner
en haute mer un navire qui a contrevenu à la réglementation de ce dernier dans
les eaux placées sous sa souveraineté. Si ce droit reconnaît la possibilité à un
aéronef de poursuivre un navire ayant commis une infraction (123), il ne semble
pas l’autoriser à s’en prendre à un autre aéronef. Comme le souligne Jean-
François Dobelle, « il semble impossible de poursuivre un aéronef dans l’espace
aérien international, sauf acte de piraterie. Une telle hypothèse ne trouve en effet
appui ni dans la pratique ni dans les instruments internationaux » (124).
De ces trois limites, seule la première a véritablement du sens s’agissant
des drones militaires. C’est elle qui pourrait restreindre leur utilisation dans un
espace autrement dominé par le principe de liberté. Faute de zones réservées
équivalentes à celles que l’on peut trouver dans l’espace sous souveraineté
étatique et où une partie de l’espace aérien peut être restreinte à un usage
militaire, dans l’espace aérien international, le drone militaire peut entrer en
collision avec des aéronefs civils et notamment des appareils destinés à des vols
commerciaux. C’est pour cette raison que, sauf volonté de discrétion, les États
qui testent ou exploitent des drones militaires en espace libre le font toujours
dans les limites de leur FIR et moyennant la création temporaire de « zones
dangereuses », dont l’existence et les limites sont toujours signalées aux autres
usagers de l’espace aérien, par l’intermédiaire de « Messages aux navigants »
(Notice to Air Men ou Notam) (125).
Pour le reste, un drone militaire n’a pas vocation à poursuivre un autre
aéronef dans l’espace international et, s’il s’approche des frontières aériennes
d’un État étranger avec la volonté de les franchir, c’est en général de manière
furtive, avec des intentions hostiles qui ne vont pas le conduire à s’identifier.

(122) Voir Jean-Paul Pancracio, Le droit de la mer, op. cit., pp. 161-162.
(123) Article 111 de Convention de Montego Bay.
(124) Jean-François Dobelle, « Droit de la mer et droit aérien » in La mer et son droit. Mélanges
offerts à Laurent Lucchini et Jean-Pierre Quéneudec, Pedone, Paris, 2003, p. 187. Contra, voir Ki-
Gab Park, La protection de la souveraineté aérienne, op. cit., p. 287.
(125) C’est ainsi que procèdent notamment l’Afrique du Sud et l’Australie.

307
On touche là cependant à des pratiques normalement réservées à des périodes
de conflit armé.

conditions d’utiLisation du drone miLitaire en situation


de conFLit armé

Le cadre juridique d’utilisation d’un drone militaire va considérablement


évoluer dans l’hypothèse d’un conflit armé : par principe, la question des
autorisations de vols ne s’y pose pas. Encore faut-il cependant distinguer
entre la situation des États en conflit et celle des États neutres ou tiers. Si la
licéité de l’emploi des UAV ne fait en effet aucun doute lorsque ces systèmes
d’arme sont exploités dans des conditions conformes au droit des conflits
armés, certaines utilisations en marge de ce droit impliquent, elles, quelques
interrogations juridiques.
usages conFormes au droit internationaL humanitaire
Bien que les drones militaires soient incontestablement des moyens intrusifs,
on ne voit pas en vertu de quelle disposition de droit positif l’on pourrait remettre
en cause leur utilisation dans le cadre d’un conflit armé, qu’il soit international
ou non et que ces plates-formes aient pour objet de délivrer de l’armement ou
pas. Dans l’hypothèse d’un conflit armé international, la notion de frontière
comme celle d’espace aérien étatique n’ont plus lieu d’être entre les belligérants.
En cas de conflit armé non international, l’État souverain continue d’exercer la
souveraineté sur son territoire et utilise son espace aérien comme il l’entend. La
seule obligation juridique des États en conflit est de respecter l’espace aérien des
États tiers ou neutres (126) et, s’agissant des opérations militaires qui pourraient
avoir lieu dans l’espace international, les droits de ces mêmes États quant à la
préservation et l’exploitation sereine de leurs zones économiques exclusives et
plateaux continentaux respectifs (127). Ces exigences valent tant s’agissant des
drones militaires à vocation ISR que des UCAV. Concernant plus spécifiquement
ces derniers, s’y ajoute l’obligation de les employer conformément aux règles
traditionnelles du droit des conflits armés.

(126) Voir Manuel de San Remo sur le droit international applicable aux conflits armés en mer, § 18 :
« Les aéronefs militaires et auxiliaires des belligérants ne doivent pas pénétrer dans
l’espace aérien neutre. S’ils le font, l’État neutre peut utiliser les moyens qui sont à sa disposition
pour forcer les aéronefs à atterrir sur son territoire, les mettre sous séquestre et interner leur équipage
pendant la durée du conflit armé. Si les aéronefs refusent de suivre l’ordre d’atterrir, ils peuvent être
attaqués, sous réserve des règles spéciales concernant les aéronefs sanitaires telles que précisées aux
paragraphes 181-183. »
(127) Manuel de San Remo sur le droit international applicable aux conflits armés en mer, § 34 :
« Si des actions hostiles sont menées dans la zone économique exclusive ou sur le plateau
continental d’un État neutre, les États belligérants doivent, non seulement se conformer aux autres
règles en vigueur du droit des conflits armés sur mer, mais également prendre dûment en compte les
droits et les devoirs de l’État côtier, entre autres, pour l’exploration et l’exploitation des ressources
économiques de la zone économique exclusive et du plateau continental et pour la protection et
la préservation de l’environnement marin.  Ils doivent en particulier tenir dûment compte des îles
artificielles, des installations, des ouvrages et des zones de sécurité établies par les États neutres dans
la zone économique exclusive et sur le plateau continental .»

308
Quant à la licéité des UCAV et pour le moment encore, l’état du droit
international humanitaire positif permet en effet — toutes proportions gardées —
d’opérer une analogie avec la position développée par la Cour internationale de
Justice à propos de l’arme nucléaire : « Ni le droit international coutumier ni le
droit international conventionnel n’autorisent spécifiquement la menace ou l’emploi
[de drones armés] ; ni le droit international coutumier ni le droit international
conventionnel ne comportent d’interdiction complète et universelle de la menace
ou de l’emploi des [drones armés en tant que tels] ; […] la menace ou l’emploi [de
drones armés] devrait [néanmoins] être compatible avec les exigences du droit
international applicable dans les conflits armés, spécialement celles des principes
et règles du droit international humanitaire » (128).
Le drone armé est un système d’arme — et plus précisément un système
porteur d’arme — qui, a priori et au surplus, n’a pas vocation à devenir de
destruction massive, même si cela pourrait tout à fait être techniquement
envisageable. Si le droit international humanitaire ne s’est pas encore
spécifiquement saisi du drone (129), c’est bien parce qu’en tant que tel, il ne
représente pas un danger particulier et que peuvent avec pertinence lui être
appliqués les principes traditionnellement invoqués quant à l’emploi des armes
classiques (130). Le drone armé, en dépit de tous les fantasmes dont il est à
l’origine, ne fait pas encore partie des armes interdites par le droit international
positif. Au regard de la logique précédemment exposée et en l’état actuel de
son développement technologique, il ne saurait raisonnablement intégrer cette
catégorie. Mieux, si l’on examine attentivement la liste des armes identifiées et
proscrites par ce même droit, il n’y a aucune raison pour que tel soit un jour le
cas. Sauf à ce que les évolutions technologiques conduisent à une transformation
des actuels drones armés en armes caÉtats-Unisnt des maux superflus ou
frappant sans discrimination — c’est-à-dire sans distinguer les objectifs militaires
des objectifs civils — le drone armé ne sera pas l’arbalète du XXIe siècle (131).
Dès lors que le drone reste téléguidé par un opérateur, tant que demeure « a

(128) Voir CIJ, AC, 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, CIJ
Recueil, p. 226.
(129) Une des premières études des aspects juridiques des drones de combat a été établie par un
officier de l’US Air Force : Anthony J.  Lazarski, “Legal implications of the Uninhabited Combat
Aerial Vehicle , Air & Space Journal, March 27, 2001.
(130) En l’état actuel du droit positif, la seule obligation qui incombe aux États à l’égard des
drones armés tient en l’article 36 du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève. En vertu
de cette disposition, les États parties, lorsqu’ils étudient, mettent au point, acquièrent ou adoptent
une arme nouvelle, ainsi que des moyens ou méthodes de guerre nouveaux, quels qu’ils soient,
ont l’obligation de déterminer si leur emploi est interdit par le droit international dans certaines ou
en toutes circonstances. Au-delà de cette obligation conventionnelle, le Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) cherche à inciter tous les États à évaluer la licéité des armes nouvelles qu’ils
développent, de façon à ce que leurs forces armées puissent les exploiter conformément aux règles du
droit international. C’est dans cette perspective que le CICR a publié, en 2006, un Guide de l’examen
de la licéité des nouvelles armes et des nouveaux moyens et méthodes de guerre.
(131) L’usage de l’arbalète, considérée comme un engin trop meurtrier, fut prohibé dans les guerres
entre chrétiens par une décision du deuxième concile de Latran, tenu en 1139 sous la présidence du
pape Innocent II. Voir Paul Fournier, « Interdiction de l’usage de l’arc et de l’arbalète par le deuxième
concile de Latran en 1139 », Comptes-rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-
lettres, no 3, 1916, pp. 295-296.

309
man in the loop », il s’analyse comme une arme classique dont l’usage n’est
pas intrinsèquement contraire au droit international humanitaire (132). C’est
en effet dans l’utilisation qui peut être faite des drones militaires que résident
les principales interrogations juridiques les concernant.
usages iLLicites
En marge d’un conflit armé les opposant à un autre État ou à un ou
plusieurs groupes armés non étatiques, certains États peuvent ainsi être tentés
d’utiliser les drones militaires sur le territoire d’État tiers sans autorisation
de leur part, en contradiction avec le seul jus ad bellum, à savoir le principe
d’intégrité territoriale posé par le paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des
Nations Unies, pour les UAV à vocation ISR ; mais aussi en violation du jus
ad bellum et du jus in bello s’agissant des drones armés.
L’on sait ainsi qu’Israël puis les États-Unis ont employé et utilisent encore
des drones armés à des fins d’exécutions extrajudiciaires, pour éliminer des
« cibles » lors d’opérations clandestines (133). Les médias se sont emparés du
phénomène, poussant la Haute Cour de justice israélienne (134) puis le conseiller
juridique du Département d’État des États-Unis à intervenir publiquement
pour justifier ces pratiques. Selon Harold Koh, s’exprimant devant l’American
Society of Intenational Law, les attaques ciblées conduites à l’aide de drones
sont ainsi « conformes au droit de la guerre », l’administration ayant « revu avec
soin » les procédures de désignation des cibles pour s’assurer qu’elles sont en

(132) Il ne pourrait a priori en être autrement que dans l’hypothèse où une nouvelle génération
d’UCAV serait capable de prendre l’initiative de tirer sans intervention humaine, lorsque des drones
armés à vocation offensive seront dotés d’une capacité d’« ordre automatique de tir », non restreinte
aux ordres d’un officier responsable de la zone. Sur ces questions, voir Marc Garlasco, conseiller
militaire auprès de Human Rights Watch, “Modern conflicts, robotic weapons and their implications
for International Humanitarian Law”, in 42nd Annual Sutton Colloquium of the Sturm College of Law
of the University of Denver, “Drones and their Implication for International Law” [http ://law.du.edu/
index.php/sutton-colloquium]  ; Lambèr Royakkers et Rinie van Est, “The cubicle warrior  : the
marionette of digitalized warfare”, Ethics and Information Technology, volume 12, Issue 3, September
2010, pp. 289-296 et Elizabeth Quintana, The Ethics and Legal Implications of Military Unmanned
Vehicles, Occasionnal Paper, Royal United Service Institute for Defence and Security Studies/British
Computer Society, London, 2010, p. 16.
(133) Voir David Kretzmer, “Targeted Killing of Suspected terrorists: extra-Judicial executions or
Legitimate means of Defence  ?”, European Journal of international Law, 2005, vol. 16, n° 2, pp.
171-212 et Daniel Byman, “Do Targeted Killings Work ?”, Foreign Affairs, March/April 2006, vol.
85, n° 2, pp. 95-111.
(134) Dans son arrêt du 14 décembre 2006, la Haute Cour de justice israélienne n’a pas souhaité
condamner cette pratique, même si elle a entendu fixer des limites à son exercice, comme l’obligation
d’être sûr de l’identité de la cible visée et de son implication directe dans des activités terroristes ou
l’obligation de prendre toutes les précautions pour éviter de tuer des civils « innocents ». Voir Cour
suprême israélienne (siégeant en tant que Haute Cour de justice), The Public Committee against
Torture in Israel (et al.) v. The Government of Israel (et al.), HCJ 769/02, 14 décembre 2006 [www.
court.gov.il/eng/].

310
accord avec le droit international (135). Un rapport du Conseil des droits de
l’homme des Nations Unies est cependant venu largement tempérer ces positions.
Le rapporteur, Philip Alston, y relève d’abord l’absence de définition de la
pratique même, en insistant sur le fait que cette dernière n’est ni nouvelle, ni
propre aux drones. Il souligne cependant qu’elle nécessite une intentionnalité
et un usage délibéré de la force létale, avec un certain « degré de préméditation »,
pour conclure dès lors qu’« en dehors du contexte d’un conflit armé, il est peu
probable que l’utilisation de drones à des fins de targeted killing soit légale » (136).
Philipp Alston fait également remarquer dans ce même rapport que le
recours aux drones armés devrait être réservé à l’armée régulière, dans le
respect des lois de la guerre, et que les agences de renseignement ne devraient
pas avoir le droit de piloter de tels programmes (137). Il est clair en effet que si
les règles juridiques applicables à l’emploi de drones armés ne seront pas les
mêmes selon le contexte, conflit armé ou non, elles seront également différentes
selon la nature du service qui les utilisera, armée régulière ou agence « civile ».
Le problème est en réalité plus complexe car il semble que la CIA comme
l’US Air Force utilisent des techniciens « civils » pour le guidage de leurs
drones armés. Ces techniciens, engagés sur une base contractuelle, ne font pas
formellement partie de forces armées. Ils n’ont donc pas suivi de formation
militaire et ne sont pas inscrits aux effectifs, même s’il arrive que ces spécialistes
portent l’uniforme ou du moins des tenues militaires mais sans insignes. Cette
situation est de notre avis sans effet quant aux opérations menées par la CIA
qui, pour l’essentiel, se déroulent en dehors de toute légalité internationale.
Dans l’hypothèse d’un conflit armé conduisant l’US Air Force à employer des
drones armés, se poserait en revanche la question du statut de ces techniciens :
civils ou combattants ? Cette distinction s’avère essentielle en droit international
humanitaire, en ce qu’elle constitue le fondement du droit de Genève. Au sens de
ce corpus juridique, seuls les combattants ont le droit de participer directement
aux hostilités et peuvent être pris pour cibles ; les civils jouissant, eux, d’une
particulière protection, mais seulement à condition qu’ils ne participent pas
directement aux hostilités.
Là réside précisément la solution du problème. Qu’ils soient civils ou
militaires, contractuels ou inscrits aux effectifs, dès lors qu’ils téléguident une

(135) Voir Harold Hongju Koh, “The Obama Administration and International Law”, Annual Meeting
of the American Society of International Law, March 25, 2010, Washington DC, pp. 9 et 10, spéc.
p. 10: “the rules that govern targeting do not turn on the type of weapon system used, and there is
no prohibition under the laws of war on the use of technologically advanced weapons systems in
armed conflict – such as pilotless aircraft or so-called smart bombs – so long as they are employed in
conformity with applicable laws of war”. Rappelons en effet que les États-Unis considèrent qu’ils sont
en conflit armé avec Al-Qaeda, ainsi qu’avec les talibans et les forces associées.
(136) Human Rights Council, Fourteenth session, Report of the Special rapporteur on extrajudicial,
summary or arbitrary executions, Philip Alston, A/HRC/14/24/Add.6, 28 May 2010, par. 85. Voir
également Christof Heyns, qui considère comme nécessaire la constitution d’un groupe d’experts
chargé d’étudier les aspects légaux et éthiques des systèmes létaux opérés à distance. Cité par Patrick
Worsnip, “U.N. official calls for study of ethics, legality of unmanned weapons”, The Washington
Post, October 24, 2010.
(137) A/HRC/14/24/Add.6, par. 70 à 73.

311
plate-forme aérienne chargée de délivrer de l’armement (138), les opérateurs de
drones doivent être considérés comme participant directement aux hostilités,
au sens où l’entend le CICR (139). Guider un drone armé revient bien en effet
à accomplir des actes de guerre que leur nature ou leur but destine à frapper
concrètement le personnel et le matériel des forces armées adverses. Un tel
constat a pour effet de faire perdre à ces techniciens leur immunité en cas
d’attaque ennemie – risque limité lorsque l’on se trouve à plusieurs milliers
de kilomètres du champ de bataille – et de les soumettre à une obligation de
respect des lois et coutumes de la guerre et notamment de celles prohibant les
frappes disproportionnées, causant des maux superflus ou violant le principe
de distinction entre civils et combattants. Faute de respecter ces principes, ils
pourraient en effet voir leur responsabilité personnelle engagée.

droit de La responsabiLité
Le fait que le drone ne soit pas habité par un équipage ne s’oppose nullement
à ce qu’il commette de sérieux dommages. Qu’il s’agisse d’un abordage aérien
ou de destructions causées suite à l’écrasement au sol de l’appareil, voire
consécutives à la délivrance d’un armement, des incertitudes risquent cependant
d’apparaître quant à l’entité responsable : pilote(s) déporté(s), planificateur de
l’opération, constructeur de l’engin ou État d’immatriculation ?

responsabiLité civiLe
L’utilisation de drones présente des risques réels de collision avec d’autres
aéronefs, mais aussi de dommages causés à des biens ou des personnes en cas de
chute inopinée ou d’atterrissage de l’appareil. Le Code des transports français a
prévu un certain nombre de règles en matière de dommages et de responsabilité
au Titre III du Livre premier de sa Sixième partie consacrée à l’aviation civile.
Ces dispositions sont applicables aux aéronefs d’État puisque l’article L 6100-1
prévoit expressément que : « Seules les dispositions du titre III du livre Ier de
la présente partie relatives à la responsabilité du propriétaire ou de l’exploitant,
sont applicables aux aéronefs militaires, et aux aéronefs appartenant à l’État et
exclusivement affectés à un service public ». Ces dispositions s’appliquent donc
aux drones militaires en tant qu’ils s’analysent comme des aéronefs militaires.
L’article L 6131-1 du même Code dispose que : « En cas de dommage causé
par un aéronef en évolution à un autre aéronef en évolution, la responsabilité du
pilote et de l’exploitant de l’appareil est régie par les dispositions du code civil »,
tandis que l’article L 6131-2 précise que « l’exploitant d’un aéronef est responsable
de plein droit des dommages causés par les évolutions de l’aéronef ou les objets
qui s’en détachent aux personnes et aux biens à la surface. 
La responsabilité
(138) La solution est plus compliquée lorsque le “ civilian employee se borne à diriger des drones
ISR. Sur cette question, voir Laurent de Ruyt, « La protection des techniciens civils chargés du
guidage de drones en droit international humanitaire. Statut et participation directe aux hostilités »,
Les nouvelles du Droit international humanitaire, no 29, Décembre 2008, pp. 3-4.
(139) Voir CICR, Interpretive Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities,
Publications CICR, Genève, 2009.

312
de l’exploitant ne peut être atténuée ou écartée que par la preuve de la faute de
la victime ». Une différence est donc clairement opérée entre l’exploitant et le
pilote. Si les deux peuvent être tenus pour responsables en cas de collision avec
un autre aéronef, c’est la responsabilité du seul exploitant qui sera recherchée
en cas de dommages causés à des tiers à la surface du sol.
responsabiLité pour coLLision aérienne
Dans l’hypothèse d’un abordage aérien, le Code des transports renvoie
donc au Code civil en ses articles 1382 à 1384, qui déterminent les conditions
de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, en vertu de la notion de
garde de la chose, qui est ordinairement caractérisée par l’usage, le contrôle
et la direction de la chose. Le problème, s’agissant du drone, est qu’il n’y a
pas de pilote dans l’habitacle. Doit-on dès lors, à l’instar de Pascal Dupont,
considérer que cette absence d’équipage « entraîne dans ce type de contentieux
la mise en cause de la responsabilité du seul exploitant, laquelle sera soumise
au droit commun de la responsabilité civile » (140) ou bien rechercher, au cas par
cas, s’il n’est pas possible de privilégier parfois la responsabilité de l’une ou
l’autre des personnes chargées de « piloter » le drone : opérateur chargé de
sa direction, opérateur « charge utile » et chef de mission, comme semble le
préconiser Fabien Gouttefarde (141) ?
La question ne s’est encore jamais posée in concreto, mais, à la lecture
des textes précités, il nous semble que les victimes ou leurs ayant-droits d’une
collision avec un drone seraient tout à fait fondées à engager la responsabilité
soit des opérateurs, soit de l’État exploitant du drone, dès lors que celle-ci sera
bien recherchée devant le juge judiciaire. Si rien dans le Code des transports
n’interdit de considérer les opérateurs d’un drone comme des pilotes – déportés
certes, mais pilotes tout de même – dont la responsabilité peut-être séparément
ou solidairement recherchée avec celle de l’exploitant, il ressort très clairement en
revanche de l’article L 6131-1 que cette responsabilité relève par détermination
de la loi de la compétence du seul juge judiciaire. Le juge administratif
n’interviendra ici que dans l’hypothèse d’une action récursoire, de la part soit
de l’État, pour faire constater la responsabilité principale des opérateurs, par
exemple en invoquant une faute personnelle détachable du service ; soit, au
contraire, à l’initiative de ces derniers à fin de s’exonérer de tout ou partie de
cette responsabilité sur l’exploitant.
responsabiLité pour dommages causés au soL
Les règles semblent de prime abord plus simples en cas de dommages
consécutifs à une chute ou un atterrissage de l’appareil ; le droit français ayant
prévu en ces hypothèses un régime de responsabilité objective, destiné à protéger
de la manière la plus efficace possible les victimes de dommages au sol.

(140) Pascal M. Dupont, « Les drones en question », op. cit., p. 102.


(141) Fabien Gouttefarde, « Le cadre juridique de l’emploi des drones au-dessus des espaces
maritimes », op.cit., p. 22. Voir également Lars Hoppe, Le statut juridique des drones. Aéronefs non
habités, op. cit., p. 204.

313
L’article L 6131-2 précise en effet que « l’exploitant d’un aéronef est
responsable de plein droit des dommages causés par les évolutions de l’aéronef
ou les objets qui s’en détachent aux personnes et aux biens à la surface ». Il suffit
dès lors à la victime d’un tel dommage de démontrer l’existence d’un lien de
causalité entre l’aéronef et le dommage pour que l’exploitant soit déclaré
responsable de plein droit et doive le réparer en intégralité ; seule la preuve
d’une faute de la victime – quasi impossible à rapporter en l’espèce – pouvant
lui permettre de s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité.
Reste néanmoins à déterminer l’exploitant. Ce qui peut ici poser problème.
La cour de cassation se réfère habituellement aux pouvoirs d’usage, de direction
et de contrôle qui caractérisent la garde d’une chose, sachant que le propriétaire
de la chose est présumé en être le gardien (142). Dans l’hypothèse d’un dommage
causé au sol par un drone militaire immatriculé par l’État français, c’est en
conséquence la seule responsabilité de ce dernier qui devra être recherchée par
les victimes. Il n’est pas exclu cependant que le constructeur de l’appareil en soit
resté propriétaire et que le dommage ait eu lieu à l’occasion d’essais exercés par
le ministère de la Défense. C’est dans cette hypothèse que les pouvoirs d’usage,
de direction et de contrôle redeviendront pertinents. Il appartiendra alors au
juge de déterminer si les dommages trouvent leur origine dans la façon dont a
été utilisé le drone, auquel cas, c’est bien la responsabilité de l’État qui devra
être recherchée. Ou si, au contraire, ces dommages découlent d’un vice structurel
du drone ; hypothèse dans laquelle devra être recherchée la responsabilité du
constructeur, exploitant en tant que gardien de la structure de l’appareil.
Il est néanmoins des cas que le Code des transports français ne prévoit
pas. Ainsi de celui d’un drone militaire s’écrasant sur le territoire d’un État
étranger ou heurtant un autre aéronef dans l’espace aérien de ce même État,
sans que ce dernier ait été officiellement prévenu de la présence de cet appareil
et sans que l’on se trouve formellement dans une situation de conflit armé
international. Les victimes devront bien sûr rechercher prioritairement la
responsabilité de l’État d’immatriculation devant les juridictions de ce dernier.
Tout porte à croire cependant que l’État sur le territoire duquel le dommage
a eu lieu cherchera en plus à engager la responsabilité internationale de l’État
d’immatriculation, pour manquement au droit international et afin d’obtenir
réparation du dommage causé en la violation de sa souveraineté et en l’atteinte
aux biens de ses ressortissants. Responsabilité internationale assimilable à
une forme de responsabilité civile car il ne saurait être question d’engager la
responsabilité pénale d’un État.

responsabiLité pénaLe
La responsabilité pénale en effet ne peut aujourd’hui être invoquée qu’à
l’encontre de personnes physiques et de personnes morales de droit privé, mais
ne saurait être opposée à des États. On peut le regretter, mais tel est encore l’état
du droit positif. Surtout, la responsabilité pénale obéit au principe de légalité
(142) Voir Cour de cassation, 2e chambre civile, 18 novembre 1976, à propos de dommages
occasionnés par un avion militaire.

314
des délits et des peines. Cela implique qu’un individu, qu’il soit simple citoyen
ou qu’il ait occupé des fonctions de direction politique ou militaire, ne peut
être poursuivi et inculpé que par rapport à des crimes ou délits antérieurement
définis et pour lesquels des sanctions adaptées ont préalablement été précisées.
En l’espèce, il convient de distinguer entre l’engagement de la responsabilité
pénale d’un opérateur de drone devant les juridictions de l’ordre interne français,
pour infractions de droit commun et son éventuel engagement tant devant des
juridictions internes qu’internationales pour crimes de guerre.
responsabiLité pour inFractions de droit commun
Rien n’interdit en droit français à une victime d’un dommage de considérer
que celui-ci est lié au comportement délictuel de l’individu responsable et de
rechercher en plus de sa responsabilité civile sa responsabilité pénale. Le droit
français prévoit ainsi un certain nombre d’incriminations qui pourraient être
invoquées devant les juridictions pénales à l’encontre d’un opérateur de drone
ayant causé un dommage, que la responsabilité de ce dernier soit recherchée
en tant qu’auteur principal ou comme complice de l’infraction.
On se contentera ici de citer l’article 121-3 du Code pénal selon lequel : « Il
n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la
loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de
négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue
par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli
les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions
ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont
il disposait. Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques
qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à
créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les
mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles
ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de
prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute
caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles
ne pouvaient ignorer ».
C’est en effet principalement ce manquement à une obligation de vigilance
qui pourrait être opposé par des victimes à des opérateurs de drones militaires
pour les voir condamnés au pénal. L’hypothèse n’est pas à exclure, en dépit
de ce que l’État ne manquerait pas d’offrir sa protection juridique aux agents
poursuivis. Tout porte à croire cependant que les principaux risques pour un
opérateur de drone militaire de voir sa responsabilité pénale engagée relèvent
d’éventuelles violations du droit des conflits armés.
responsabiLité pour crimes de guerre
Les drones militaires sont susceptibles de délivrer un armement létal. Ce
faisant, leurs opérateurs peuvent être amenés à commettre des crimes de guerre,
en ne respectant pas l’obligation de discrimination ou celle de proportionnalité
dans la délivrance de leur armement. En vertu du principe « respecter et faire

315
respecter », les quatre Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles de 1977
prévoient que ce sont les États qui doivent réprimer les auteurs d’éventuelles
infractions. À cette fin, ces derniers s’engagent à prendre les mesures internes
qui permettent de fixer des sanctions pénales applicables aux personnes qui
ont commis ou donné l’ordre de commettre des infractions graves.
La compétence d’une juridiction d’un État à l’égard d’un crime est
normalement limitée aux principes de territorialité et de personnalité ; ce qui
signifie qu’elle ne peut s’exercer que si le crime a été commis sur le territoire de
cet État ou si le criminel est l’un de ses ressortissants. Une exception a toutefois
été établie pour les atteintes les plus graves au droit international humanitaire.
Les quatre Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels ont ainsi
prévu une compétence universelle des juridictions nationales à l’égard de ce
genre de violations : les tribunaux nationaux doivent poursuivre les auteurs de
ces infractions et se prêter une assistance juridique mutuelle ; cette obligation
de rechercher le criminel liant tous les États parties, quel que soit le lieu où
l’infraction a été commise.
Le système se double aujourd’hui d’une sécurité supplémentaire. En cas de
défaillance en effet et sous réserve du respect des règles propres à sa saisine, la
Cour pénale internationale pourrait désormais être saisie de l’affaire.

316
Les véhicules aériens inhabités
et le droit des conflits armés
Laurie R. Blank

« Nous venons de gagner une guerre au cours de laquelle nombre de héros


volaient dans leurs avions. Il est possible que la prochaine soit conduite à l’aide
d’aéronefs dans lesquels il n’y aura pas d’humains (…). Prenez tout ce que
vous avez appris sur l’aviation de guerre, jetez-le par la fenêtre et commençons
à travailler sur l’aviation de demain, car celle-ci sera différente de tout ce que
le monde a connu auparavant. »

Général Henry H. “Hap” Arnold

Drones, véhicules aériens inhabités (unmanned aerial vehicles, UAV),


véhicules aériens inhabités de combat, armes contrôlées à distance : on utilise
une longue liste de termes pour désigner la vaste gamme des véhicules aériens
qui n’emportent pas d’opérateur humain. Bien que les capacités de surveillance
et de reconnaissance fassent des UAV le cheval de trait de l’acquisition moderne
du renseignement et de la désignation de cibles, ces systèmes sont également – et
couramment – utilisés pour conduire des attaques aériennes sur des cibles lors
de conflits armés et d’opérations antiterroristes. C’est sur ces aspects que se
sont concentrés le débat, le discours et le tollé publics : sur ce que l’on appelle
les « robots du ciel », plate-forme au cœur des opérations conduites par les
États-Unis, du Pakistan à la Somalie.
Ce chapitre utilisera le terme relativement commun d’« UAV » pour désigner
ce type de véhicule, qui se définit comme :
« [un] véhicule aérien propulsé ne transportant pas d’opérateur humain,
utilisant pour s’élever des forces aérodynamiques, pouvant voler de manière
autonome ou être piloté à distance, étant sacrifiable ou récupérable, et (…)
transportant une charge utile létale ou non létale. Les véhicules balistiques ou
semi-balistiques, les missiles de croisière, et les projectiles d’artillerie ne sont
pas considérés comme des véhicules aériens inhabités. » (143)

Il est toutefois important de noter que les UAV ne sont pas véritablement
« inhabités », mais plutôt pilotés à distance. Les experts ont en réalité observé
que la mise en œuvre d’UAV nécessitait plus de personnels que celle de F-16
ou d’autres avions de chasse pilotés (144). Par exemple, en dehors du pilote et

(143) Department of Defense, Joint Chiefs of Staff, Dictionary of Military and Associated Terms,
Joint Publication 1-02, 2011, p. 577.
(144) Charles Blanchard, “Remarks made at Drones, Remote Targeting and the Promise of Law Panel
II”, 24 février 2011, disponible à l’adresse internet suivante : http ://newamerica.net/ events/2011/
drones_targeting_and_law.

317
de l’opérateur de capteurs, qui mettent en œuvre l’aéronef depuis un endroit
éloigné, les UAV récupérables nécessitent également des équipes de lancement
et de récupération, de nombreux analystes de renseignement, ainsi que d’autres
décideurs dans les domaines juridique et opérationnel. Nombreux sont ceux
qui privilégient l’expression « aéronef piloté à distance », mais dans la mesure
où UAV est plus fréquemment utilisé, ce chapitre continuera à l’employer.
Au cours de la décennie écoulée, l’emploi de drones a connu une croissance
exponentielle. En 2009, l’armée américaine annonçait ainsi une augmentation
de 400 % des heures de vol d’UAV par rapport aux dix années précédentes (145).
« Dans l’inventaire actuel des États-Unis, les dimensions [des UAV] vont des
96,5 centimètres des Wasp et Raven, les deux étant “lancés” à la main, en les
jetant en l’air, aux 8 mètres de long du Predator et aux 12 mètres du Global
Hawk » (146). Les UAV les plus fréquemment utilisés dans l’arsenal des États-
Unis sont le MQ-9 Reaper et le MQ-1B Predator. Ces deux systèmes ont été
conçus pour des missions persistantes de renseignement, de reconnaissance et
de surveillance, ainsi que pour l’acquisition de cibles. Ils possèdent des capacités
permettant de « détruire et mettre hors d’état de fonctionnement » (destroy and
disable) (147). Les deux systèmes sont armés de missiles Hellfire. Les États-Unis
et Israël sont actuellement les seuls pays à opérer des UAV armés, bien que le
Canada ait récemment annoncé son intention d’en acquérir et d’en employer
dans le futur proche (148). Plus de quarante pays — et quelques acteurs non
étatiques — possèdent et opèrent des UAV dont, entre autres, la Russie, l’Inde,
le Pakistan, la Chine et l’Iran (149).
Bien que l’immense majorité des commentaires publics sur les UAV – qu’ils
soient académiques, politiques ou médiatiques – a trait à la politique américaine
d’éliminations ciblées (targeted killings) de terroristes via des UAV armés, ces
attaques ne représentent qu’une petite partie de l’emploi actuel et possible
des UAV. Ces derniers sont largement utilisés à des fins de renseignement, de
surveillance et de reconnaissance (ISR), y compris pour l’identification de
cibles et pour l’appui de troupes au sol. Au cours des dernières années, un
vaste débat académique et politique s’est développé au sujet de la légalité des

(145) J.D. Leipold, “Army to Increase Medevac Support, Add New CAB, More UAVs”, Army News
Service, 7 janvier 2010, disponible à l’adresse Internet suivante : http ://www.army.mil/article/32603/
(146) Chris Jenks, “Law from Above: Unmanned Aerial Systems, Use of Force, and the Law of
Armed Conflict”, North Dakota Law Review, 2009, vol. 85, n° 3, p. 653 (l’auteur cite ici Peter W.
Singer, “Military Robots and the Laws of War”, The New Atlantis, Winter 2009, pp. 37–39).
(147) Factsheets: MQ-9 Reaper, US Air Force (18 août 2010) (caractéristiques et spécifications du
drone MQ-9 Reaper) ; Factsheets: MQ-1B Predator, US Air Force (20 juillet 2010), http  ://www.
af.mil/information/factsheets/factsheet.asp  ?id=122(caractéristiques et spécifications du drone
MQ-1B Predator).
(148) “Canada to Acquire Attack Drones: Air Chief”, CBC News, 6 mars 2009, disponible à l’adresse
internet suivante : http  ://www.cbc.ca/world/story/2009/03/06/cdn-drones.html (notant que le
Canada a loué des UAV de conception israélienne pour ses opérations de combat en Afghanistan) ;
voir également Joel Greenberg, “Gaza Cease-Fire Tested by Israeli Airstrike, Palestinian Rocket Fire”,
Washington Post, 24 août 2011 (l’auteur aborde ici la question de l’emploi de drones par Israël contre
des militants lançant des attaques de roquette sur le territoire hébreux).
(149) Voir Chris Jenks, op. cit., p.  654. Durant la guerre du Liban de 2006, le Hezbollah a, par
exemple, recouru à des drones sur la frontière avec Israël.

318
frappes d’UAV et des éliminations ciblées de membres d’Al-Qaeda et d’autres
groupes. Nombre de questions intéressantes découlent de cet emploi des UAV
dont, parmi d’autres, l’emploi de la force en légitime défense contre des acteurs
non étatiques, l’emploi de la force en dehors des frontières étatiques, la nature
et le type de consentement des États à l’égard de ces opérations, le recours à des
éliminations ciblées comme mesure légale et efficace contre le terrorisme (150).
Ces interrogations ne sont pas spécifiques à cette arme ou à ce système
d’arme en particulier mais découlent naturellement du jus ad bellum, le droit
encadrant le recours à la force tel qu’il a été consacré par la Charte des Nations
Unies. D’autres questions portent sur le fait de savoir si la force employée est
conforme aux principes juridiques internationaux comme la discrimination et
la proportionnalité, et si la personne ciblée constitue une cible légitime selon le
droit des conflits armés ou le droit international de légitime défense. Ainsi, bien
que la nature des UAV puisse, dans certaines situations, autoriser un plus large
éventail d’options pour l’emploi de la force (151), les questions précédemment
énoncées ne sont généralement pas spécifiques aux UAV. Elles concernent
plutôt les défis actuels et complexes que posent le terrorisme transnational et
la prolifération du conflit entre des acteurs étatiques et non étatiques.
Ce chapitre aborde notamment les questions relatives au jus in bello soulevées
par l’emploi des UAV et étudiera ces derniers en tant que système d’arme au
regard du droit des conflits armés, laissant de côté les questions de jus ad bellum.
Si les questions relatives à l’emploi des UAV pour des éliminations ciblées de
terroristes en dehors d’un conflit armé – ou à toute autre fin en dehors d’un
conflit armé – soulèvent d’intéressants et complexes problèmes juridiques, elles
restent au-delà de la portée de ce chapitre. Le droit des conflits armés (DCA),
également connu comme droit international humanitaire ou droit de la guerre,
s’applique à des situations de conflit armé et encadre la conduite des hostilités

(150) Voir, par exemple, Jordan J. Paust, “Self-Defense Targeting of Non-State Actors”, Journal
of Transnational Law & Policy, 2010, vol. 19, n° 2, p. 237 ; Kenneth Anderson, “Targeted Killing
in US Counterterrorism Strategy and Law”, Brookings, 11 mai 2009, http  ://www.brookings.
edu/papers/2009/0511_counterterrorism_anderson.aspx  ; Michael N. Schmitt, “Drone Attacks
under the Jus ad Bellum and Jus in Bello : Clearing the ‘Fog of Law’”, Yearbook of International
Humanitarian Law, 2010, vol. 13.
(151) Voir Mary Ellen O’Connell, “Seductive Drones: Learning from a Decade of Lethal Force”,
Journal of Law, Information & Science, August 2011(l’auteur montre ici que le recours à la force au
moyen de drones est plus probablement dû aux conséquences politiques limitées qu’entraîne, sur le
plan interne, leur emploi par rapport à celui des plates-formes aériennes habitées armées).

319
et la protection des personnes au cours des conflits (152). Le DCA repose sur
quatre principes fondamentaux, qui sous-tendent l’esprit et l’objectif du droit
et orientent les décisions relatives au ciblage, à la détention et au traitement
des individus. Selon le principe de discrimination, toutes les parties impliquées
dans un conflit doivent discriminer les combattants des non-combattants
et n’attaquer directement que les premiers. Le principe de proportionnalité
cherche à minimiser les dommages incidents au cours d’une guerre et repose
sur la prémisse fondamentale du DCA selon laquelle les moyens et méthodes
pour attaquer l’ennemi ne sont pas illimités. Un commandant doit ainsi
éviter toute attaque au cours de laquelle les pertes civiles auxquelles on peut
s’attendre seraient excessives comparativement à l’avantage militaire anticipé.
Selon le principe de la nécessité militaire, une armée a le droit d’employer
toutes les mesures qui ne sont pas interdites par le droit de la guerre et qui sont
indispensables pour assurer au plus vite la soumission totale de l’ennemi. Enfin,
le quatrième principe est celui dit d’humanité, fréquemment évoqué comme
le principe des maux superflus, et cherche à minimiser la souffrance au cours
des conflits armés (153). Une fois qu’un objectif militaire est atteint, il est non
nécessaire d’infliger des souffrances supplémentaires. En outre, les armes qui
de par leur nature provoquent des maux superflus sont hors la loi.
La première section abordera la légalité des UAV armés en tant que système
d’armes et s’interrogera sur le fait de savoir s’ils constituent des armes légales
au regard du DCA. Reposant sur la conclusion selon laquelle les UAV armés
sont un système d’armes légal, la seconde section cherchera à savoir si leur
emploi est conforme aux grands principes du DCA, à savoir la discrimination, la
proportionnalité et les précautions dans l’attaque. Bien que selon de nombreuses
voix la « mentalité joystick » des aéronefs et armes opérés à distance puisse
conduire à une désensibilisation et diminuer la probabilité que les normes
internationales soient respectées, l’analyse proposée ci-dessous démontre que
(152) Voir Comité international de la Croix-Rouge, International Humanitarian Law in Brief,
disponible à l’adresse internet http ://www.icrc.org/fre/war-and-law/index.jsp (consulté le 28 août
2011). Le droit des conflits armés est principalement exposé dans les quatre Conventions de Genève du
14 août 1949 et dans leurs Protocoles additionnels. Protocole additionnel aux Conventions de Genève
du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I),
adopté par la Conférence le 8 juin 1977, 1125 United Nations Treaty Series (U. N. T. S.) 3 [ci-après
PA I] ; Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des
victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), adopté par la Conférence le 8 juin 1977,
1125 U. N. T. S.  609 [ci-après PA II] ; Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort des
blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949, 6 UST. 3114, 75 U. N. T.
S. 31 [ci-après CG I] ; Convention (II) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades
et des naufragés des forces armées sur mer, 12 août 1949, 6 UST. 3217, 75 U. N. T. S. 85 [ci-après CG
II] ; Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août 1949, 6 UST.
3316, 75 U. N. T. S. 135 [ci-après GC III] ; Convention (IV) de Genève relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, 6 UST. 3516, 75 U. N. T. S. 287 [ci-après CG IV].
(153) La Clause de Martens est la formulation la plus claire du principe d’humanité, apparaissant
dans le Préambule à la Convention de la Haye de 1899 : « En attendant qu’un code plus complet des
lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que,
dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par elles, les populations et
les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils
résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la
conscience publique .»

320
les UAV offrent véritablement de plus grandes et de meilleures possibilités
pour que soit respecté le droit des conflits armés. Enfin, ce chapitre analysera
les questions nouvelles que soulève l’emploi croissant des UAV armés quant
à certains concepts et catégories traditionnels du DCA, comme le statut des
individus et le lieu géographique des attaques et des hostilités. « La capacité
de surveillance persistante » des UAV « a fourni aux États-Unis et aux forces
militaires alliées en Irak et en Afghanistan des capacités de renseignement sans
précédent, redéfinissant [souvent] la capacité des commandants militaires et de
leurs conseillers à respecter les obligations découlant du droit de la guerre » (154).
En dépit de l’importance de la contestation à son égard au cours de ces
dernières années, l’emploi des UAV armés permet de mieux respecter le DCA
et de protéger les civils au cours des conflits armés.

Les uav sont une arme LégaLe


Comme l’a déclaré le rapporteur spécial des Nations Unies sur les
exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires dans son récent rapport
sur les éliminations ciblées, « un missile tiré depuis un drone n’est aucunement
différent de toute autre arme couramment utilisée, y compris une arme tirée
par un soldat ou un hélicoptère ou un gunship tirant des missiles. La principale
question juridique est la même pour toutes les armes : elle porte sur le fait
de savoir si son emploi spécifique est conforme [au DCA] » (155). La première
question, abordée dans cette section, consiste à déterminer si une arme en
particulier est interdite du fait de ses caractéristiques intrinsèques. La seconde
section cherchera à savoir si les UAV armés sont employés conformément aux
principes du droit international que sont la discrimination, la proportionnalité
et le principe de précaution.
Le droit international interdit deux catégories d’armes dans un conflit
armé : les armes non discriminantes et celles qui génèrent des maux superflus.
La première interdiction apparaît dans l’article 51(4) du Protocole additionnel
I, qui définit les attaques sans discrimination comme des attaques n’étant pas
directement dirigées vers un objectif militaire déterminé ; des attaques « dans
lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être
dirigés contre un objectif militaire déterminé ; ou [des attaques] dans lesquelles
on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être
limités comme le prescrit le présent Protocole » (156). Les moyens de combat
désignent généralement des armes ou des systèmes d’armes. Ainsi, comme

(154) Jack M. Beard, “Law and War in a Virtual Era”, American Journal of International Law, July
2009, vol. 103, n° 3, pp. 409 et 417.
(155) A/HRC/14/24/Add.6, Report of the Special rapporteur on Extrajudicial, Summary or Arbitrary
Executions, Study on Targeted Killings, 28 May 2010, § 79 (ci-après Rapport Alston).
(156) Protocole additionnel I, art. 51(4). En outre, l’Article 35 du Protocole additionnel I établit les
règles fondamentales suivantes : « 1. Dans tout conflit armé, le droit des Parties au conflit de choisir
des méthodes ou moyens de guerre n’est pas illimité. 2. Il est interdit d’employer des armes, des
projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus.
3. Il est interdit d’utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on
peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel. »

321
l’a établi la Cour internationale de Justice dans son Avis consultatif relatif à
la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, les parties impliquées
dans un conflit ne sont pas autorisées à « employer des armes qui ne sont pas
en mesure de distinguer entre des cibles civiles et militaires » (157). Il ne fait
guère de doute que dans un conflit, toute arme peut être utilisée sans opérer
de discrimination, comme par exemple tirer avec une mitrailleuse dans une
foule sans tenir compte de la présence de civils ou d’autres individus hors de
combat. Toutefois, cet emploi illégal ne fait pas de la mitrailleuse une arme
illégale. L’interdiction des armes non discriminantes vise notamment celles
qui, de par leur conception ou du fait d’un défaut, ne sont « pas en mesure de
cibler uniquement un objectif militaire, même lorsqu’apparaissent des souffrances
collatérales » (158). L’interdiction relative aux effets non discriminants inclut les
deux types d’armes non discriminantes ainsi que l’emploi sans discrimination
d’armes qui seraient légales en d’autres circonstances.
Deuxièmement, les armes causant des maux non nécessaires ou des blessures
superflues sont interdites. L’objectif est de minimiser le mal qui n’est pas justifié
par une utilité militaire, soit parce qu’il n’est d’aucune utilité, soit parce que
la souffrance provoquée l’emporte considérablement sur l’utilité obtenue. Le
premier effort de la communauté internationale pour règlementer les armes
fut la Déclaration de Saint Petersbourg en date du 11 décembre 1868 visant à
interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre. Celle-ci déclarait
illégal « l’emploi d’armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des hommes
mis hors de combat ou voudraient leur mort inévitable » (159). Reprise par l’article
23(e) de l’Annexe à la Convention IV de La Haye de 1907, cette interdiction
est considérée comme relevant du droit international coutumier (160). La Cour
internationale de Justice a renforcé cette norme en faisant d’elle le deuxième
des deux principes fondamentaux du droit international, selon lequel « il ne
faut pas causer des maux superflus aux combattants : il est donc interdit d’utiliser
des armes leur causant de tels maux ou aggravant inutilement leurs souffrances ;
en application de ce second principe, les États n’ont pas un choix illimité quant
aux armes qu’ils emploient » (161).

(157) Cour internationale de justice, Avis consultatif relatif à la licéité de la menace ou de l’emploi
d’armes nucléaires, 8 juillet 1996, §§ 226 et 257 [ci-après Cour internationale de justice].
(158) Ibid., opinion dissidente du juge Higgins, pp. 588-589. On pourrait citer, parmi les exemples, les
missiles dotés d’un système de guidage défaillant conduisant à une incapacité à viser uniquement des
objectifs militaires ou les armes biologiques pouvant propager la contagion au sein de la population
civile lorsqu’elles ne sont pas vérifiées à l’aide d’un antidote. Voir Michael N. Schmitt, “Future War
and the Principle of Discrimination”, Israel Yearbook on Human Rights, 1998, vol. 28, pp. 51 et 55.
(159) Déclaration à l’effet d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre, Saint-
Pétersbourg, 11 décembre 1868, republiée in American Journal of International Law, 1907, vol. 1,
supplément 95.
(160) Voir W. Hays Parks, “Conventional Weapons and Weapons Reviews”, Yearbook of International
Humanitarian Law, 2005, vol. 8, pp. 55-120. Selon l’Article 23(e) de la 4e Convention de la Haye :
« Outre les prohibitions établies par des conventions spéciales, il est notamment interdit :  (…) (e)
d’employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus ; (…) » :
Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, 18 octobre 1907, art. 23(e),
Stat. 2277, T. S. 539
(161) Cour internationale de justice, op. cit., § 257.

322
L’idée fondamentale derrière cette interdiction des armes causant des maux
superflus est la suivante : sont illégales les armes qui augmentent la souffrance
— et plus particulièrement celle des combattants — sans accroître, d’une manière
ou d’une autre, l’avantage militaire. Pour n’en donner que deux exemples, les
balles expansives et les armes à laser aveuglantes. Bien évidemment, nombre
d’armes provoquent d’importantes, voire de terribles, souffrances et blessures
mais là n’est pas le principal problème. L’analyse s’articule autour de deux
facteurs fondamentaux : « le fait de savoir si une autre arme, qui provoque moins
de souffrance et de blessures, peut être utilisée ; et (…) le fait de savoir si les
effets produits par cette autre arme sont suffisamment efficaces pour neutraliser
le personnel ennemi » (162).
Selon les deux mesures – arme ou effets non discriminants et maux superflus –
les UAV armés sont jugés acceptables. Ces derniers tirent des missiles Hellfire et
d’autres munitions semblables. Tous ces armements sont également emportés
par les avions de chasse habités ou leur sont similaires. Ces missiles ne sont
interdits par aucun accord international et leurs caractéristiques propres ne
conduisent pas à des maux superflus selon la définition qu’en donne le droit
international. Du fait tant des munitions guidées de précision qu’ils emportent
que de leur importante capacité de surveillance, les UAV sont des armes
particulièrement discriminantes. La capacité à poursuivre une cible durant
des heures, voire des jours, avant de conduire une attaque facilite un ciblage
précis et améliore la protection des civils en permettant aux opérateurs d’UAV
de choisir le moment et l’endroit de l’attaque tout en essayant de minimiser les
pertes ou dommages civils. Ainsi, les UAV armés peuvent facilement viser les
seuls objectifs militaires et leurs effets peuvent, autant que possible, être limités
aux objectifs militaires. Ils respectent donc les normes énoncées par l’article
51(4) du Protocole additionnel I.
Le fait que les UAV armés pourraient être employés — et que cela fut peut-
être le cas — dans des attaques indiscriminées n’en fait pas une arme ou un
système d’armes illégal en soi. Les critères de légalité, comme ceux de l’article
36 du Protocole additionnel I (163), relatif aux armes nouvelles, ne signifient pas
que les États doivent anticiper tout emploi potentiellement illégal d’une arme.
Comme cela fut observé lors de la conférence diplomatique de 1974-1977, de
laquelle découlent les Protocoles additionnels, « la question porte sur le fait de
savoir si l’emploi normal ou prévu d’une arme serait interdit dans certaines ou
en toutes circonstances. Un État n’est pas tenu de prévoir ou d’analyser tous les

(162) Yoram Dinstein, The Conduct of Hostilities Under the Law of International Armed Conflict,
Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 60.
(163) « Dans l’étude, la mise au point, l’acquisition ou l’adoption d’une nouvelle arme, de nouveaux
moyens ou d’une nouvelle méthode de guerre, une Haute Partie contractante à l’obligation de
déterminer si l’emploi en serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances, par
les dispositions du présent Protocole ou par toute autre règle du droit international applicable à cette
Haute Partie contractante » ; Protocole additionnel I, op. cit., art. 36.

323
mauvais emplois possibles d’une arme, puisque presque toutes les armes peuvent
être mal employées selon des manières qui seraient interdites » (164).
L’emploi normal ou prévu des UAV armés s’inscrit manifestement dans
les paramètres des armes légales au regard du droit international.

Les uav sont-iLs empLoyés de manière LégaLe ?


Ayant établi que les UAV armés sont des armes légales, l’étape suivante
consiste à analyser la manière dont ils sont employés et si cela respecte, voire
même renforce, la mise en œuvre du DCA. Comme nous l’avons précédemment
observé, une arme légale peut être employée de manière illégale dans certaines
circonstances, comme des attaques visant délibérément des civils ou des attaques
sans discrimination. Afin de se conformer au DCA, les parties qui lancent
des attaques doivent respecter le principe de discrimination, le principe de
proportionnalité et l’obligation de prendre des précautions dans l’attaque. Il
est plutôt difficile d’avoir accès à des informations factuelles fiables relatives
aux frappes d’UAV conduites par les États-Unis en Afghanistan, dans le
nord-ouest du Pakistan, au Yémen ou en d’autres endroits (165). Bien que les
controverses au sujet des faits, du nombre d’individus tués, de leur identité et
d’autres informations importantes aient un impact sur la possibilité d’analyser la
conformité avec les normes du DCA, il convient, compte tenu des informations
existantes, d’analyser l’emploi des UAV armés selon les principes fondamentaux
de discrimination, de proportionnalité et de précaution. Nombre de critiques
montrent que, grâce aux UAV, « il est plus facile de tuer sans que les forces d’un
État n’encourent de risques, [par conséquent] les décideurs et les commandants
seront tentés d’interpréter d’une manière trop souple les limites juridiques quant
à savoir qui peut être tué et dans quelles circonstances » (166). L’analyse suivante
démontrera toutefois, comme l’explique un spécialiste du droit international,
« qu’il existe peu de raisons de considérer [les UAV] comme différents d’autres
systèmes d’armes pour ce qui est des conséquences juridiques de leur emploi. De
même, rien ne justifie une préoccupation accrue liée à leur emploi. Au contraire,
l’emploi [des UAV] pourrait en réalité renforcer, dans certains cas, les protections
auxquelles ont droit différentes personnes et objectifs au regard [du DCA] » (167).
Compte tenu de l’étendu des capacités des UAV, il convient non seulement
d’analyser la conformité de leur emploi au regard du DCA, mais également
de déterminer s’ils permettent de mieux respecter le droit. « Actuellement, les
UAV conduisent non seulement des missions de surveillance persistante visant
à identifier et à suivre des cibles – missions qui pourraient dépasser l’endurance

(164) Claude Pilloud et al., Commentary on the Additional Protocols of 8 June 1977 to the Geneva
Conventions of 12 August 1949, Geneva, International Committee of the Red Cross/Martinus Nijhoff,
1987, p. 424, § 1469.
(165) Voir, par exemple, Scott Shane, “CIA is Disputed on Civilian Toll in Death Strikes”, New York
Times, 12 août 2011 (l’auteur observe une importante disparité entre les chiffres américains officiels
des pertes civiles et les comptes non officiels).
(166) Alston Report, op. cit., § 80.
(167) Michael N. Schmitt, op. cit., § 2.

324
et les capacités des pilotes humains – mais ils constituent également des plates-
formes d’armes létales ayant une présence continue, qui permettent de conduire
des attaques sur un nombre plus important de cibles dans des situations plus
diverses que jamais » (168). Par conséquent, un nombre nettement plus important
de situations exigeant l’analyse des principes fondamentaux du DCA découle
de l’emploi des UAV armés.

La discrimination
Définir les individus ou les objectifs pouvant être ciblés est une question
fondamentale lors d’un conflit. Dans les conflits traditionnels, il était possible,
dans la majeure partie des situations, de faire la différence entre soldats – qui
portaient des uniformes – et civils – qui ne s’aventuraient généralement pas
à proximité du champ de bataille. De la même manière, il était généralement
possible d’identifier les biens militaires et les biens à caractère civil. Les conflits
contemporains posent tout un ensemble de nouveaux défis, nécessitant des
efforts toujours plus soutenus – à travers la collecte de renseignements et la
surveillance – afin d’identifier qui est qui dans la zone des opérations de combat.
L’article 48 du Protocole additionnel I établit la règle fondamentale du
principe de discrimination :

« En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des


biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la
distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens
de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs
opérations que contre des objectifs militaires .» (169)

La discrimination est au cœur de l’objectif fondamental du droit international


humanitaire qui consiste à protéger les civils innocents et les personnes hors
de combat. L’obligation de discriminer est inscrite dans le droit international
coutumier qui s’applique aux conflits armés internationaux comme non
internationaux, ainsi que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

(168) Jack M. Beard, op. cit., p. 414.


(169) Protocole additionnel I, op. cit., art. 48.

325
(TPIY) l’a considéré dans le cas Tadic (170). Par conséquent, toutes les parties
à un conflit quel qu’il soit ont l’obligation de discriminer entre combattants
et civils, tout en veillant à se distinguer elles-mêmes des civils et à distinguer
leurs propres objectifs militaires des biens à caractère civil.
L’objectif de la discrimination – la protection des civils – est renforcé par
l’article 51 du Protocole additionnel I qui dispose que « ni la population civile
en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques » (171).
L’article 51 poursuit :

« Les attaques sans discrimination sont interdites. L’expression “attaques


sans discrimination” s’entend : a) des attaques qui ne sont pas dirigées contre
un objectif militaire déterminé ; b) des attaques dans lesquelles on utilise
des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigés contre un
objectif militaire déterminé ; ou c) des attaques dans lesquelles on utilise des
méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités
comme le prescrit le présent Protocole ; et qui sont, en conséquence, dans cha-
cun de ces cas, propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des
personnes civiles ou des biens de caractère civil. » (172)

En outre, l’article 85 du Protocole I dispose que presque toutes les violations


du principe de discrimination constituent des manquements graves au Protocole
et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale incrimine également les
attaques visant des civils et les attaques conduites sans discrimination (173).
Après examen, il apparaît que plusieurs caractéristiques des UAV et plusieurs
aspects quant aux modalités d’emploi des UAV armés témoignent d’une capacité
considérable, voire accrue, de respecter les obligations de discrimination. De
nouveau, il est important d’observer que, comme toute autre arme ou système

(170) Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur c. Dusko Tadic, affaire no IT-
94-1-l, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2
octobre 1995, §§  110, 127 (citant la résolution 2675(XXV) de l’Assemblée générale des Nations
unies : « Consciente de la nécessité de mesures propres à assurer une meilleure protection des droits
de l’homme lors des conflits armés de toutes sortes, [… l’Assemblée générale] Affirme les principes
fondamentaux ci-après touchant la protection des populations civiles en période de conflits armés,
sans préjudice de l’approfondissement dont ils pourront faire l’objet à l’avenir dans le cadre du
développement progressif du droit international applicable aux conflits armés : (…) 2. Dans la conduite
des opérations militaires en période de conflit armé, une distinction doit toujours être faite entre les
personnes qui prennent part activement aux hostilités et les populations civiles »). Voir également
Cour internationale de justice, op. cit., § 79 (la discrimination est un des « principes intransgressibles
du droit international  coutumier ») ; Jean-Marie Henckaerts, Louise Doswald-Beck, Customary
International Humanitarian Law (ci-après CIHL), Cambridge, Cambridge Univ Press 2005, pp. 3-11,
pp. 25-32, pp. 34-55, pp. 56-76, pp. 221-226 ; Inter-American Commission on Human Rights, Abella
v. Argentina (La Tablada), Report no 55/97, Argentina, Doc. 38, 1997, § 178.
(171) Protocole additionnel I, op. cit., article 51(2).
(172) Ibid., article 51(4).
(173) Voir Statut de Rome de la Cour pénale internationale, articles 8(2)(b)(i), 8(2)(b)(ii), 8(2)(b)(iv),
8(2)(b)(v), 8(2)(b)(vi), 8(2)(e)(i), 8(2)(e)(ii), 8(2)(e)(iv), U. N. Doc A/CONF.183/9(17 juillet 1998),
disponible à l’adresse internet http ://untreaty.un.org/cod/icc/statute/romefra.htm [ci-après Statut
de Rome].

326
d’armes, les UAV armés peuvent être employés pour conduire des attaques
délibérées ou sans discrimination contre des civils ou d’autre individus protégés
au cours des conflits armés.
Le premier aspect lié à la discrimination et pour lequel les UAV offrent
d’importantes capacités est l’identification des cibles. Une attaque légale doit
viser une cible légitime, qu’il s’agisse d’un combattant ou d’un civil prenant
directement part aux hostilités. Dans les conflits armés internationaux – qui
apparaissent entre États – tous les membres des forces armées régulières des États
sont des combattants et peuvent être identifiés, entre autres caractéristiques, par
l’uniforme qu’ils portent. Dans les conflits opposant des acteurs étatiques et non
étatiques, y compris dans les opérations antiterroristes conduites dans le cadre
d’un conflit armé, il est nettement plus difficile de déterminer qui représente
une cible légitime. Cela étant, l’obligation juridique reste la même, les parties
étant tenues de distinguer entre un civil innocent et un individu qui, bien que
portant des vêtements civils, pourrait représenter une menace immédiate, ce
qui fait de lui une cible légitime. Un commandant doit par ailleurs évaluer si,
et à quel moment, il doit cibler des individus manifestement hostiles se cachant
délibérément au sein de la population civile.
Si les individus faisant partie d’un groupe armé organisé constituent en
tout temps des cibles légitimes (174), ils sont vêtus comme les civils soit parce
qu’ils ne possèdent pas d’uniformes, soit pour se protéger en se fondant dans la
population civile. Dans ces cas, la capacité de surveillance des UAV joue un rôle
fondamental en ce qu’elle permet de distinguer ces individus des civils innocents.
Comme nous l’avons précédemment observé, les civils prenant directement
part aux hostilités constituent une seconde catégorie de cibles légitimes. La
définition de la participation directe a déjà fait l’objet de vastes analyses et
débats et dépasse la portée de ce chapitre (175). Toutefois, quels que soient les
paramètres spécifiques de la participation directe, l’essence de la détermination
de la cible dans cette situation se résume au fait que les personnes qui participent
directement aux hostilités – que ce soit de manière permanente, une seule et

(174) Voir Nils Melzer, « Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités
en droit international humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, 2008, vol. 90, p. 991
(adopté par l’Assemblée du CICR le 26 février 2009), disponible à l’adresse internet suivante : http ://
www.cicr.org/web/eng/siteeng0.nsf/html/review-872-p991 [ci-après Guide interprétatif] (établissant
que les groupes armés organisés peuvent être ciblés en vertu de leur statut au cours des conflits armés
non internationaux) ; Jimmy Gurulé, Geoffrey S. Corn, Principles of Counter-Terrorism Law, Saint
Paul, Concise Hornbooks/Westlaw, 2011, pp.  70-76 (les auteurs discutent des règles encadrant le
ciblage des forces ennemies dans les conflits armés internationaux et non internationaux notant que
1) dans un conflit armé international, « un membre d’une force ennemie (…) est présumé hostile et
ainsi a priori sujet aux attaques » et 2) « soumettre des membres de groupes belligérants organisés
au ciblage en fonction de leur statut conformément au DCA par opposition aux civils qui perdent
périodiquement leur protection contre les attaques apparaît comme logique et en cohérence avec la
pratique des États engagés dans des conflits armés non internationaux »).
(175) Voir Guide interprétatif, op. cit.  ; “Forum:  The ICRC Interpretive Guidance on the Notion
of Direct Participation in Hostilities under International Humanitarian Law”, New York University
Journal of International Law and Policy, 2010, vol.  42, n°  3 ; High Court of Justice, The Public
Committee Against Torture in Israel v. Governmentt of Israel (Targeted Killings Case), 2006, HCJ
769/02.

327
unique fois ou par intermittence – doivent être distinguées des civils innocents.
Comme dans le cas des membres de groupes organisés qui ressemblent à des
civils, les renseignements et la surveillance prolongée constituent la clé d’un
ciblage précis et permettant de discriminer ces personnes – et, par là même,
la clé pour protéger les civils innocents des conséquences des opérations de
combat. Lorsque ni les individus hostiles, ni les membres des groupes armés
ne sont vêtus d’uniformes et qu’ils ne dissimulent pas leurs armes, les capacités
de renseignement, de surveillance et de reconnaissance des UAV contribuent
de manière significative au respect de l’obligation de discrimination.
« Les attaques de drones reposent sur des images de haute résolution
généralement transmises en temps réel vers l’équipage d’un drone dont l’attention
n’est perturbée par aucune menace et qui engage la cible. Lorsque cela est possible
et nécessaire, les drones peuvent être employés pour surveiller minutieusement
et dans la durée la cible potentielle avant de l’engager avec des armements de
précision. Par comparaison avec les attaques conduites à l’aide d’aéronefs habités
ou de systèmes basés au sol, le résultat est souvent une nette diminution du risque
de mauvaise identification de la cible [ou d’attaque sur la mauvaise cible] .» (176)
En opérant des UAV, les commandants peuvent suivre et analyser les
activités quotidiennes des militants suspects, ce qui permet de s’assurer que
des civils ne sont pas ciblés par erreur. Pour ces cibles planifiées, l’« analyse des
patterns of life » – une évaluation visant à savoir qui vit et travaille dans une
structure ou région particulière – est fondamentale en vue de la discrimination.
« Les systèmes inhabités semblent [ainsi] offrir plusieurs manières de diminuer
les erreurs et les coûts non désirés de la guerre », en employant des « capteurs et
une puissance de traitement nettement supérieurs, permettant que les décisions
soient prises d’une manière plus délibérée », et « en éliminant la colère et l’émotion
des humains .» (177)

La proportionnaLité
L’analyse juridique n’est pas achevée une fois que la cible légitime est
identifiée. La partie conduisant l’attaque doit ensuite évaluer si celle-ci respecte
le principe de proportionnalité. Le DCA interdit strictement tout ciblage délibéré
de civils, mais il existe lors d’un conflit armé un éventail infini de circonstances
dans lesquelles des civils peuvent mourir ou subir des blessures graves à la
suite d’attaques conduites contre des cibles militaires et des combattants. Du

(176) Michael N. Schmitt, op. cit., § 320.


(177) Peter W. Singer, “Military Robots and the Laws of War”, The New Atlantis, Winter 2009, pp.
25 et 37, disponible à l’adresse internet suivante  : http  ://www.thenewatlantis.com/publications/
military-robots-and-the-laws-of-war. Voir également Anna Mulrine, “A Look Inside the Air Force’s
Control Center for Iraq and Afghanistan”, US News and World Report, 29 May 2008, disponible à
l’adresse internet suivante : http  ://www.usnews.com/articles/news/world/2008/05/29/alookinside
theairforcescontrolcenterforiraqandafghanistan.html (l’auteur explique que les UAV permettent
aux commandants d’« établir un ‘pattern of life‘ autour des cibles potentielles – en enregistrant les
arrivées et les départs des amis, les horaires scolaires et des marchés. En dépit de la distance, les
flux vidéo en temps réel leur fournissent souvent une meilleure perspective que celle d’une unité de
l’armée de terre se trouvant à quelques pas d’un groupe d’insurgés »).

328
fait de défaillances techniques, de conditions météorologiques difficiles, de
renseignements défectueux et d’erreurs de navigation, une bombe peut rater
son objectif et provoquer d’importantes pertes civiles imprévues. Mis à part
les erreurs et les accidents, un commandant peut généralement anticiper le
fait que plusieurs civils subiront des préjudices : des civils peuvent se trouver
à proximité de l’individu ciblé ou dans un bâtiment ou un lieu identifié comme
cible légitime. Le commandant qui planifie l’attaque pourrait avoir un certain
nombre de choix en termes de tactique et d’armes employées pour attaquer
la cible, ce qui pourrait engendrer diverses conséquences pour les civils de la
zone ; dans certaines situations, il peut n’y avoir qu’une seule option.
Le DCA cherche également à minimiser ces pertes civiles incidentes, de
sorte que la proportionnalité applique efficacement la prémisse fondamentale
du DCA selon laquelle les moyens et les méthodes employés afin d’attaquer
l’ennemi ne sont pas illimités. L’article 35 du Protocole additionnel I dispose que
« [d] ans tout conflit armé, le droit des Parties au conflit de choisir des méthodes
ou moyens de guerre n’est pas illimité », un principe fondamental datant de la
Convention de la Haye de 1907 (178). Néanmoins, et c’est là un aspect important,
le droit n’interdit pas toutes les pertes civiles – il accepte en réalité quelques
pertes civiles incidentes. Dans le même temps, le droit dispose que le seul
objectif légitime de la guerre est d’affaiblir les forces militaires de l’ennemi. La
proportionnalité équilibre ainsi nécessité militaire et humanité. Afin de protéger
les civils innocents contre les effets de la guerre et de minimiser les souffrances
excessives, le DCA interdit les attaques disproportionnées. Les commandants
doivent par conséquent éviter de conduire des attaques si les pertes civiles ou
les dommages causés à la propriété civile apparaissent, dans les prévisions,
comme excessifs au regard de l’avantage militaire qui en découlerait (179).
Les dommages collatéraux, terme fréquemment repris par les médias
lorsqu’ils évoquent les frappes de drones et les exécutions ciblées, renvoient
aux civils tués au cours d’attaques conduites contre des objectifs militaires
– autrement dit aux pertes accidentelles provoquées par une attaque. Étant
donné que ce chapitre traite plus particulièrement de la légalité des UAV
armés au regard du droit des conflits armés, il est essentiel de comprendre
une distinction fondamentale entre le DCA et les droits de l’homme ou le
droit pénal national. Les deux régimes juridiques interdisent l’élimination
délibérée de civils innocents. Toutefois, le DCA anticipe et accepte que les
parties puissent tuer des civils délibérément sans pour autant violer le droit.
Il est ainsi possible qu’une partie attaquant un objectif militaire sache avec
certitude qu’un certain nombre des civils – peut-être le personnel d’entretien
qui travaille dans le bâtiment – mourra lorsque celui-ci sera frappé. Avoir

(178) « Les belligérants n’ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l’ennemi. »
(179) Protocole additionnel I, op. cit., art. 51(5)(b) (« Seront, entre autres, considérés comme effectués
sans discrimination :  (…) (b) les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des
pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages
aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs
par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu »). On retrouve la même formulation dans
l’Article 57 du Protocole additionnel I, qui porte précisément sur les précautions dans l’attaque.

329
connaissance de ce fait ne signifie pas que la partie en question a commis un
crime ; le DCA autorise de telles pertes civiles incidentes dès lors qu’elles ne
sont pas excessives comparativement à l’avantage militaire que confère l’attaque.
Le cœur du problème est donc de savoir comment et dans quelle perspective
interpréter le terme « excessif » au regard de l’avantage militaire. Selon la lettre
du Protocole additionnel I, qui fait référence à l’avantage militaire « anticipé »
et aux pertes civiles « attendues », la proportionnalité doit être considérée d’un
point de vue prospectif, et non rétrospectivement. En revanche, la manière
dont nous envisageons l’équilibre entre l’avantage militaire et les pertes civiles
doit être gouvernée par les informations disponibles et les circonstances au
moment de l’opération militaire en question. Dans la mesure où, même s’il
s’agit d’un échange mineur de coups de feu, le combat implique confusion et
incertitude – le « brouillard de la guerre » – ces « décisions ne peuvent être jugées
sur la base d’informations apparues ultérieurement » (180). La proportionnalité
de toute attaque – et donc l’avantage militaire anticipé comme les pertes civiles
attendues – doit être considérée selon la perspective du commandant militaire
sur le terrain, prenant en compte les informations dont celui-ci disposait au
moment de l’attaque.
De la même manière que pour la discrimination, la proportionnalité nécessite
que les parties à un conflit recueillent et évaluent les informations concernant la
cible, la zone ciblée ainsi que les personnes et objectifs se trouvant à proximité
de la cible. Les UAV apparaissent comme particulièrement capables de respecter
les obligations relatives à la proportionnalité. Le cœur de ce processus de
surveillance globale et d’acquisition du renseignement est l’analyse des « patterns
of life ». En opérant des UAV, qui peuvent voler des journées durant au-dessus
d’une cible et de la zone avoisinante, les comandants peuvent poursuivre une
cible et recueillir des informations sur la population civile se trouvant dans
ladite zone et ainsi évaluer la probabilité de pertes civiles selon les lieux et les
moments auxquels seront effectuées les frappes.
« Puisque les drones fournissent en temps réel (ou quasi réel) des informations
de grande qualité concernant la zone cible, dans la durée et sans risque pour les
opérateurs, ils permettent de meilleures évaluations des probables dommages
collatéraux touchant des civils et des biens à caractère civil. Compte tenu de la
capacité qu’ont les drones armés à surveiller dans la durée la zone cible avant
de conduire une attaque, les opérateurs sont plus à même de vérifier la nature
d’une cible proposée et de ne frapper que lorsque la possibilité de minimiser les
dommages collatéraux est maximale » (181).
Ainsi, à un niveau préliminaire, la capacité qu’offrent les UAV armés en
termes de surveillance pré-attaque et de connaissance sur le moment, que ce

(180) Canada, “Reservations and Statements of Understanding made upon Ratification of Additional
Protocol I”, 20 novembre 1990, § 7, cité in CIHL, op. cit., p. 332. Voir également Belgium, Interpretative
Declarations Made Upon Ratification of Additional Protocol I, 20 mai 1986, § 3, cité in CIHL, op.
cit., p. 332 (« les seules informations sur lesquelles peuvent reposer les [critères de proportionnalité]
sont pertinentes lorsqu’elles sont disponibles au moment concerné et qu’il fut possible de les obtenir
à cette fin »).
(181) Michael N. Schmitt, op. cit., p. 314.

330
soit de la cible ou de la présence de civils dans la zone, contribue largement
au respect des obligations de proportionnalité imposées par le DCA. Peu de
doutes existent quant au fait que de meilleures informations sur la présence
de civils (où et quand) peuvent contribuer à minimiser les pertes civiles que
provoqueraient des frappes contre des cibles militaires.
Cela étant, les UAV introduisent d’intéressantes considérations
supplémentaires dans le calcul de la proportionnalité. Premièrement, comme
l’ont montré les médias, l’immense volume et le rythme des informations
recueillies par les UAV peuvent être écrasants, parfois au point d’affecter
l’efficacité des opérations militaires et de la prise de décisions (182). En 2010, les
UAV de l’US Air Force ont recueilli trois fois plus de vidéos au-dessus de l’Irak
et de l’Afghanistan qu’en 2007 et ce chiffre est en train de croître de manière
exponentielle (183). Les drones Reaper, le système le plus récent en matière d’UAV,
seront bientôt en mesure d’enregistrer des vidéos dans plus de trente directions
à la fois (184). Cette masse d’informations suscite des inquiétudes quant à la
capacité des analystes à identifier les informations essentielles pour la prise des
décisions opérationnelles, notamment lorsqu’il s’agit de situations assujetties
à des contraintes de temps. Par exemple, l’enquête sur une attaque effectuée
en Afghanistan en février 2010 a laissé entendre que le fait d’avoir ciblé par
erreur des civils, y compris des enfants, était dû à la surcharge d’informations.
Les renseignements recueillis d’un flux vidéo transmis par un UAV et d’autres
sources « contenaient de solides rapports signalant que des enfants étaient présents
dans le groupe, mais submergé par l’abondance des données, l’équipage ne s’est
pas concentrée sur ce point (…). L’équipage faisait face à une intense pression
puisqu’il devait protéger les forces américaines se trouvant à proximité et il a fini
par déterminer, de manière erronée, que le convoi de villageois constituait une
menace imminente, provoquant ainsi l’une des pires pertes de vies civiles au cours
de la guerre en Afghanistan » (185).
Bien que les données pouvant être recueillies par les UAV représentent
un outil essentiel pour effectuer des analyses de proportionnalité correctes et
contribuent grandement à réaliser un ciblage conforme au DCA, il est tout aussi
important de reconnaître les limites de l’analyse des données. Comme l’explique
un commandant des forces armées américaines, « [o] n a besoin de quelqu’un qui
soit qualifié et responsable pour reconnaître qu’il s’agit là d’une femme, là d’un
enfant ou là encore de quelqu’un portant une arme (…) et les meilleurs outils à
cette fin restent l’œil et le cerveau humain » (186). En outre, étant donné que la
proportionnalité repose sur la décision d’un commandant raisonnable, décision
fondée sur les informations auxquelles il a accès au moment de l’attaque,
nous devons prendre en compte la possibilité que, du simple fait de la masse
d’informations, les UAV finissent par entraver ce processus au lieu de le faciliter.
(182) Christopher Drew, “Military is Awash in Data from Drones”, New York Times, 10 janvier 2010.
(183) Ibidem.
(184) Ibidem.
(185) Thom Shanker, Matt Richtel, “In New Military, Data Overload Can Be Deadly”, New York
Times, 16 janvier 2011.
(186) Christopher Drew, op. cit.

331
Un deuxième aspect qui doit être pris en compte à propos des UAV et de
la proportionnalité porte sur la question de savoir si l’emploi des UAV armés
et leurs capacités renforcées affectent l’interprétation – et donc l’application –
du principe de proportionnalité. Comme précédemment souligné, ce principe
impose que les pertes civiles ne soient pas excessives ; il n’exige pas zéro pertes
civiles. En Afghanistan, la combinaison d’une stratégie contre-insurrectionnelle
et des capacités des UAV a conduit à une perception de plus en plus partagée
selon laquelle toute mort civile serait illégale. La stratégie et les impératifs
de mission cherchent à éliminer les pertes civiles autant que faire se peut,
notamment pour ce qui est de la contre-insurrection, et les UAV offrent des
capacités de ciblage de haute précision. Souvent la convergence de ces deux
facteurs a semblé suggérer que dans le cadre de frappes effectuées par des UAV,
la proportionnalité est, ou pourrait bientôt être, reconfigurée, autrement dit
que nous assistons à une redéfinition de la relation entre avantage militaire
et pertes civiles – celles-ci passant d’« excessives » à « aucune ». Pour résumer,
si la notion d’« information raisonnablement accessible au commandant »
devient « information parfaite », alors nous assisterons au passage du concept
de proportionnalité, tel que nous le connaissons actuellement, à une norme
de responsabilité plus stricte, la norme étant « zéro perte » (187). Au-delà du
fait que l’absence totale de pertes soit impossible, sauf à considérer que tout
individu présent dans la zone de combat est une cible légitime (une conclusion
extrêmement dangereuse), cette évolution du standard de proportionnalité
suscite d’importantes inquiétudes. Plus particulièrement, une force armée tenue
de respecter une norme de zéro pertes sera conduite à ignorer totalement le
droit, perçu comme non raisonnable, ou bien alors ne conduira pas d’opérations
militaires pour éviter d’aller à l’encontre du droit. Les deux options laissent les
civils innocents – substance véritable du DCA – sans protection et en danger.
Bien que l’emploi croissant des UAV armés suscite ces préoccupations
en termes de proportionnalité, les drones offrent généralement d’excellentes
possibilités permettant de respecter les obligations imposées dans ce domaine
par le DCA.

Les précautions dans L’attaque


Le DCA prévoit que toutes les parties prennent un certain nombre de mesures
de précaution pour protéger les civils. À bien des égards, l’identification des
objectifs militaires et les considérations liées à la proportionnalité constituent,
bien évidemment, des précautions. Mais les obligations qui imposent aux parties
à un conflit de prendre des mesures de précaution vont bien au-delà de ces
seuls aspects. Débutant par les considérations les plus générales, l’article 57(1)
du Protocole additionnel I dispose que « [l] es opérations militaires doivent être
conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes

(187) Voir, par exemple, Scott Shane, “CIA is Disputed on Civilian Toll in Drone Strikes”, New York
Times, 12 août 2011 (l’auteur cite les responsables américains annonçant un taux de zéro perte au
Pakistan : « il n’y a eu aucun décès collatéral grâce à l’exceptionnelle compétence, à la précision des
capacités que nous avons pu développer »).

332
civiles et les biens de caractère civil ». Cette disposition constitue un corollaire
direct et un supplément à la Règle fondamentale énoncée dans l’article 48,
selon laquelle toutes les parties doivent distinguer entre combattants et civils
ainsi qu’entre objectifs militaires et biens de caractère civil. Les dispositions
pratiques qui constituent l’essentiel de l’article 57 portent sur les précautions
devant être prises lorsqu’une attaque est lancée. Les mesures de précaution
représentent naturellement une composante essentielle des efforts juridiques
visant à protéger les civils et sont particulièrement importantes dans les régions
fortement peuplées ou dans celles dans lesquelles les civils sont exposés au
risque du fait d’opérations militaires. Pour cette raison, même si une cible est
légitime selon le droit de la guerre, l’absence de mesures de précaution peut
rendre illégale une attaque visant la cible en question.
Premièrement, les parties doivent faire tout le possible pour s’assurer que les
cibles sont des objectifs militaires. Ceci aide à protéger les civils en limitant les
attaques aux cibles militaires, mettant ainsi directement en œuvre le principe de
discrimination. Deuxièmement, elles doivent choisir les moyens et les méthodes
d’attaque appropriés afin de minimiser les pertes et dommages civils incidents.
Par exemple, lors de la guerre du Golfe de 1991, « on conseillait aux pilotes
d’attaquer des ponts situés dans des zones urbaines le long d’un axe longitudinal.
Cette mesure était prise en espérant que les bombes qui rataient leurs cibles
– parce qu’elles étaient larguées trop tôt ou trop tard – tomberaient dans la rivière
et non sur des logements civils. » (188) Une autre méthode couramment utilisée
pour prendre des précautions consiste à lancer des attaques de nuit lorsque la
population civile ne se trouve pas dans les rues ou au travail, minimisant ainsi
les potentielles pertes. En outre, lorsqu’elles choisissent entre deux attaques
possibles conférant des avantages militaires similaires, les parties doivent opter
pour l’objectif qui implique le mal le moins probable pour les civils et les biens
de caractère civil. Chacune de ces étapes nécessite que la partie conduisant
l’attaque prenne des mesures pour préserver l’immunité des civils et minimiser les
pertes et dommages civils – autrement dit, qu’elle prenne « constamment soin ».
Les considérations liées à la proportionnalité sont également une composante
majeure des mesures de précaution. Les parties sont tenues d’éviter les attaques
disproportionnées et d’annuler celles où il apparaît clairement que les pertes
civiles seraient excessives par rapport à l’avantage militaire. Enfin, l’article
57(2)(c) du Protocole additionnel I impose aux parties conduisant l’attaque de
donner un avertissement préalable et de manière efficace « dans le cas d’attaques
pouvant affecter la population civile (…) à moins que les circonstances ne le
permettent pas » (189).
Dans le même temps, il est important d’observer que, de la même manière
que pour d’autres domaines, le DCA est fondamentalement centré sur des

(188) Jean-François Quéguiner, « Précautions prévues par le droit régissant la conduite des
hostilités », Revue internationale de la Croix-Rouge, 2006, vol.  88, no  864, p.  801 (notant que cet
angle d’attaque « signifie également que les dommages seront au milieu du pont et donc plus facile à
réparer ») (l’auteur cite Michael W. Lewis, “The Law of Aerial Bombardment in the 1991 Gulf War”,
American Journal of International Law, 2003, vol. 97, no 3, p. 501).
(189) Protocole additionnel I, op. cit., art. 57(2)(c).

333
aspects pratiques. L’obligation est de prendre des précautions qui soient
pratiquement possibles dans les circonstances données, compte tenu des
informations accessibles aux commandants et aux responsables militaires en
charge de la planification. Comme l’a expliqué la Commission des réclamations
entre l’Érythrée et l’Éthiopie, « par l’expression “pratiquement possibles”, l’article
57 désigne les mesures réalisables ou possibles d’un point de vue pratique, compte
tenu de toutes les circonstances du moment » (190). Les précautions ne peuvent
être jugées a posteriori en fonction de l’obtention ou non d’un certain résultat ;
toutefois, celles-ci imposent que, dans le processus de planification, les parties
recueillent, analysent et agissent conformément à toutes les informations
pertinentes. La capacité des UAV à voler longuement au-dessus d’une cible et
à recueillir des informations accroît largement le temps dévolu à l’analyse et à
la vérification d’une cible, améliorant considérablement, dans la plupart des
cas, la précision des attaques.
Les considérations relatives à la discrimination et à la proportionnalité
ne tournent généralement pas autour du choix d’un UAV armé plutôt que
d’un missile tiré depuis un aéronef habité. Mais lorsqu’il s’agit des mesures de
précaution, le choix de l’arme ou du système d’armes fait partie de l’obligation
de prendre ces mesures. Les moyens et les méthodes de conduite de la guerre
doivent être choisis tout en veillant à minimiser, voire même à éviter, les pertes
civiles.
« Un drone doit être opéré lorsqu’il est raisonnablement disponible et que
son emploi est possible d’un point de vue opérationnel, mais uniquement si
un tel emploi minimiserait les dommages collatéraux probables sans sacrifier
l’avantage militaire. Inversement, les drones ne doivent pas être opérés lorsque
sont disponibles d’autres moyens et méthodes de guerre qui provoqueraient moins
de dommages collatéraux tout en offrant des perspectives équivalentes pour la
réussite de la mission. » (191)
Le problème juridique concerne le volume d’informations qui constitueraient
des informations disponibles suffisantes pour une décision acceptable au regard
des précautions et de la proportionnalité. Comme cela a été établi par le TPIY,
la question est de savoir « si une personne ayant une connaissance suffisante de
la situation dans laquelle se trouvait l’auteur, et exploitant judicieusement les
informations à sa disposition, aurait pu prévoir que l’attaque causerait des pertes
excessives dans la population civile » (192). À une époque où les capacités de recueil
dont sont dotés les UAV permettent de disposer d’informations en énormes
quantités, la question se pose de savoir si l’emploi des drones implique un
standard renforcé lorsqu’il s’agit d’utiliser les informations pour l’analyse des
cibles, des potentiels dommages collatéraux et d’autres aspects. Les nouvelles
capacités de « surveillance persistante » des UAV, y compris « l’accès réseau-

(190) Fronts oriental et occidental - Réclamations de l’Éthiopie nos 1 & 3 (Eth. c. Eri.), Commission
des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie, 33 (19 décembre 2005).
(191) Michael N. Schmitt, op. cit., p. 325.
(192) Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur vs. Galic, no IT-98-29-T, 5
décembre 2003, § 58.

334
centré aux données ISR connexes à travers la structure de commandement, la
qualité sans cesse améliorée et les types d’informations recueillies par les plates-
formes virtuelles (notamment des données en temps réel), ainsi que l’absence
totale de risque lié au recueil d’informations » (193) reformulent constamment
ces interrogations. Certains affirment ainsi que l’obligation de prendre toutes
les mesures de précaution pratiquement possibles va au-delà de l’analyse des
informations recueillies sur place et inclut « l’évaluation des principales méthodes,
procédures et systèmes nécessaires pour soutenir l’emploi efficace des technologies
virtuelles devant être déployées, ainsi qu’une évaluation attentive afin de savoir si
des efforts suffisants sont déployés pour s’assurer que les bases de données sont
suffisamment exactes pour détecter les erreurs des opérateurs humains » (194).
Dans les trois domaines – discrimination, proportionnalité et mesures de
précaution – les capacités uniques et avancées des UAV laissent présager un
considérable potentiel pour le respect des obligations imposées par le DCA.
Les UAV ne sont pas des automates ; ils dépendent des opérateurs, des analystes
et des décideurs humains. Par conséquent, la conformité au droit de l’emploi
des UAV armés dépend également de ces acteurs humains. Certains critiques
contestent l’emploi croissant des UAV armés, soulignant que les opérateurs
déportés ne sont plus sensibles aux effets du combat et au risque, envisageant
le ciblage – et les éliminations – comme un jeu vidéo plutôt que comme une
guerre ayant des conséquences réelles en termes de vie et de mort. De la même
manière, certains détracteurs expriment des inquiétudes quant au fait que, dans
la mesure où les UAV « permettent de tuer plus facilement, sans risque pour les
forces d’un État, les décideurs et les commandants seront tentés d’interpréter d’une
manière trop souple les limitations juridiques relatives à qui peut être tué et dans
quelles circonstances » (195). Si ces inquiétudes sont bien évidemment légitimes,
elles sont peut-être sans fondement. Les pilotes ayant opéré aussi bien des avions
de chasse que des UAV expliquent que si le pilote d’un F-16 engage la cible
et puis retourne à la base, les UAV sont, au contraire, intimement connectés
au champ de bataille, à la cible et aux effets de l’attaque. « Le temps passé à
surveiller une zone – parfois des centaines d’heures pour une seule mission – crée
une plus grande intimité qu’avec d’autres aéronefs » (196), brisant le mythe de la
« mentalité Playstation ». Comme l’explique un opérateur d’UAV, « [i] l n’y a pas
de détachement (…). Les individus qui opèrent le système sont personnellement
impliqués dans le combat. On entend l’AK-47 tirer, l’intensité de la voix qui
appelle à l’aide par radio. On le regarde, à une cinquantaine de centimètres, et
on fait tout son possible pour le sauver. » (197)
Les UAV restent par ailleurs au-dessus du lieu de l’attaque et passent
directement et immédiatement de la conduite d’une attaque à l’évaluation des
dommages à l’issue d’un combat. Les pilotes d’UAV et les opérateurs de capteurs
(193) Jack Beard, op. cit., p. 27.
(194) Ibid., p. 33.
(195) Alston Report, op. cit., § 80.
(196) Megan McCloskey, “The War Room : Daily Transition between Battle, Home Takes a Toll on
Drone Operators”, Stars and Stripes, 27 octobre 2009.
(197) Ibidem.

335
sont nettement plus engagés sur le champ de bataille et dans la destruction
causée par la guerre que les autres pilotes. Toutefois, c’est finalement le respect
du droit qui est important pour assurer la protection des civils et des autres
individus selon le DCA et non la motivation morale ou intellectuelle qui amène
l’attaquant à respecter les obligations de discrimination, de proportionnalité
et les mesures de précaution.

conséquences pour certaines catégories


et concepts traditionneLs du dca

L’emploi croissant des UAV armés au cours de la décennie passée, aussi


bien lors de conflits armés qu’au cours d’opérations antiterroristes conduites
en dehors de ce cadre, a largement contribué à soulever certaines questions
relatives à l’application de concepts et de catégories traditionnels du DCA aux
conflits et situations actuels. Comme les médias l’ont régulièrement signalé, les
frappes américaines conduites par des drones au Pakistan sont généralement
planifiées et exécutées par des services et des agents de renseignement plutôt
que par les forces armées. Dans certains cas, les contractors jouent également
un rôle important dans la mise en œuvre des UAV, souvent sur les lieux de
lancement et de récupération situés à l’étranger. L’implication de personnels
non militaires, qu’il s’agisse d’agents de renseignement ou de contractors,
peut avoir des conséquences sur l’application du DCA à ces individus au
cours des conflits armés. Un autre aspect problématique tient aux paramètres
géographiques du champ de bataille. La capacité à opérer des UAV armés par-
delà les frontières étatiques sans exposer de personnel au risque d’être abattu
ou capturé au-delà de ces frontières pourrait contribuer à élargir le lieu du
conflit et des hostilités, principalement en portant le champ de bataille au-delà
des périmètres traditionnels. Enfin, la vaste couverture médiatique autour de
l’impact psychologique et émotionnel qu’ont eu les campagnes conduites par
des drones, plus particulièrement dans le nord-ouest du Pakistan, soulève des
questions quant au fait de savoir si les frappes d’UAV ont des effets secondaires,
questions allant au-delà de celles fondamentales portant sur l’application des
principes du DCA au ciblage et aux frappes.

statut des opérateurs et participation directe


Le DCA est pertinent non seulement pour analyser la légalité d’attaques
particulières, mais également pour déterminer les droits et privilèges des
individus impliqués dans l’opération et le ciblage des drones. Selon le DCA, il
existe dans les conflits armés internationaux deux catégories d’individus : les
combattants et les civils. Que ce soit sur le champ de bataille ou en dehors de
celui-ci, ce statut détermine, entre autres, si un individu peut s’engager légalement
dans des hostilités, s’il est protégé des attaques et si, en cas de capture, il jouit
des privilèges conférés par le statut de prisonnier de guerre. Dans les conflits
armés non internationaux, le DCA ne prévoit pas de statut de combattant et
laisse la classification des individus au droit national de l’État concerné. Cette
discrimination soulève deux questions : qui a le droit, au sens juridique, de

336
conduire des attaques au moyen d’UAV armés et quelles sont les conséquences
pour ceux qui le font en l’absence d’une telle autorité ?
Pour les besoins de la présente discussion, la première différence essentielle,
lors de conflits armés, entre les combattants et d’autres individus tient au
fait que les combattants ont le droit de s’engager dans les hostilités – les
belligérants légaux ne commettent point de crime lorsqu’ils s’engagent dans
des éliminations légales ou dans la destruction légale de la propriété au cours
des hostilités (198). Ainsi, un soldat qui tue l’ennemi en respectant le droit de la
guerre – l’individu tué était une cible légitime, l’attaque respectait les principes
de base du DCA, et ainsi de suite – ne commet pas un crime au regard du droit
national. Finalement, le droit autorise donc des actes qui seraient criminels
en temps de paix, reflétant le fait que les soldats agissent comme des agents de
l’État souverain. En revanche, les individus qui n’ont pas le statut de combattant
peuvent être poursuivis, en vertu du droit national, pour des actes commis sur
le champ de bataille dans la mesure où ils ne bénéficient pas du privilège de
l’immunité du combattant.
Appartenant aux forces armées régulières d’un État, les personnels militaires
opérant des drones sont des combattants ; ils ne posent donc aucune difficulté
pour ce qui est de l’autorité à mettre en œuvre la force létale au cours d’un conflit
armé. Les frappes américaines conduites à partir de drones en Afghanistan ou
celles effectuées par des UAV israéliens contre les militants palestiniens (199) au
cours de conflit armé ne soulèvent donc aucune question quant au statut et
au privilège des combattants. En revanche, le fait que la CIA soit la principale
– et peut-être la seule – agence planifiant et conduisant des frappes ciblées à
partir de drones armés au Pakistan est largement évoqué (200). Ni les agents de
renseignement, ni les contractors n’appartiennent à la catégorie des combattants
selon le DCA. Ils n’appartiennent pas aux forces armées régulières, ne sont
pas des civils engagés dans une levée en masse, ne sont pas membres d’une
milice régulière ayant un commandement responsable, portant ouvertement
les armes, ayant un emblème distinctif et respectant les lois de la guerre (201).
Ils ne jouissent donc pas, selon le droit de la guerre, du droit de s’engager dans

(198) Voir, par exemple, US v. John Walker Lindh, 212 F. Supp.2d 541 (E. D. Va. 2002).
(199) Bien que les actualités évoquent des frappes israéliennes effectuées par des drones, les autorités
israéliennes déclarent en général qu’ils ne sont employés qu’à des fins de reconnaissance et de
planification du ciblage.
(200) L’ampleur des hostilités entre les États-Unis et les militants au Pakistan, parmi lesquels les
Terik-e-Taliban et d’autres groupes, laisse penser que les États-Unis sont engagés dans un conflit armé
au Pakistan. Voir Laurie R. Blank et Benjamin R. Farley, “Characterizing United States Operations
in Pakistan: Is the US Engaged in an Armed Conflict ?”, Fordham International Law Journal, 2011,
vol. 34, p. 151. Au Yémen et en Somalie, où ils ont également conduit des frappes de drones contre les
terroristes, les États-Unis opèrent dans le cadre du droit international de légitime défense et ne sont pas
engagés dans un conflit armé, ce qui rend l’analyse juridique totalement différente, particulièrement
pour ce qui est du statut et du droit des personnes.
(201) L’Article 4 de la troisième Convention de Genève établit ainsi six catégories d’individus ayant
le droit au statut de combattant. Aux côtés des trois catégories évoquées dans cet article, on trouve les
membres de forces armées régulières se réclamant d’un gouvernement non reconnu par la puissance
détentrice ; les personnes accompagnant les forces armées sans en être membres ; et les membres de la
marine marchande et d’autres équipages similaires.

337
des hostilités, ni de l’immunité qui accompagne ce droit – celle du combattant.
Un individu s’engageant dans des hostilités sans avoir le statut de combattant
n’enfreint pas le DCA per se, mais ne bénéficie pas de la protection contre des
poursuites qu’offre ce statut. Ainsi, les agents de la CIA ou les contractors
conduisant des attaques à partir de drones peuvent faire l’objet de poursuites
en vertu du droit national des pays dans lesquels ces attaques sont menées. Ils
ne seraient alors pas protégés par le principe de l’immunité du combattant tel
que le pose le DCA (202).
Il existe un deuxième aspect, étroitement lié au premier, relatif au personnel
non militaire opérant des UAV armés lors d’un conflit armé : ce personnel
pourrait être tenu responsable de l’attaque du fait de sa participation aux
hostilités. Selon un des principes de base du DCA, les civils sont protégés des
attaques. Ainsi, en vertu de l’article 51(2) du Protocole additionnel I : « Ni la
population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l’objet
d’attaques ». Il est donc strictement interdit de cibler directement des civils.
Mais la protection de ces derniers ne se limite pas à les protéger des attaques
directes. L’article 51 pose les bases d’un cadre de protection pour garantir que
« la population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale
contre les dangers résultant d’opérations militaires ».
Cela étant, les besoins pratiques et fonctionnels du droit conduisent à
une importante exception : la participation directe aux hostilités. L’article
51(3) du Protocole additionnel I présente cette exception, disposant que « les
personnes civiles jouissent de la protection accordée par la présente section,
sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette
participation » (203). Par conséquent, en dépit de leur statut, les civils peuvent,
dans certaines circonstances limitées, être ciblés directement et délibérément
lors des hostilités. Comme l’a relevé la Cour suprême israélienne à travers son
jugement rendu en 2006 à propos d’éliminations ciblées, « un civil qui enfreint
la loi et commet des actes de combat ne perd pas son statut de civil, mais tant
qu’il participe directement aux hostilités il ne jouit pas – durant ce moment –
de la protection accordée à un civil. Il est sujet aux mêmes risques d’attaque
qu’un combattant, sans jouir des droits de ce dernier, comme par exemple ceux
accordés à un prisonnier de guerre. Son statut est en effet celui d’un civil et il ne
le perd pas lorsqu’il participe directement aux hostilités. Il reste toutefois un civil
agissant comme un combattant. Tant qu’il tient ce rôle, il est sujet aux risques
qui en découlent et cesse de jouir de la protection accordée aux civils contre les
attaques. » (204)
(202) Nathan Hodge, “Drone Pilots Could be Tried for ‘War Crimes’, Law Prof Says”, Wired.com,
28 avril 2010, http ://www.wired.com/dangerroom/2010/04/drone-pilots-could-be-tried-for-war-
crimes-law-prof-says/.
(203) Protocole additionnel I, op. cit., art. 51(3).
(204) Targeted Killings Case, op. cit., § 31, 11 décembre 2005. Voir également Abella v. Argentina,
supra note 28 paragraphe 178 (plus particulièrement, lorsque des civils, comme ceux ayant attaqué
la base Tablada, assument le rôle de combattants en participant directement au combat, que ce soit
individuellement ou en tant que membres d’un groupe, ils deviennent par là même des cibles militaires
légitimes. Ils sont par conséquent sujets à l’attaque individualisée directe dans la même mesure que
les combattants).

338
Toutefois, d’un point de vue pratique, les notions juridiques fondamentales
d’égalité d’application et d’égalité d’armes seraient dénuées de sens si les civils
pouvaient s’engager dans les hostilités tout en conservant leur immunité contre
les attaques. Ainsi, la participation directe s’accorde également avec le droit
fondamental d’autodéfense de l’individu en reconnaissant qu’un soldat engagé
dans le conflit a le droit de répondre par la force à un autre individu constituant
une menace, qu’il s’agisse d’un combattant ou d’un civil.
Bien que les paramètres et la définition de la participation directe aux
hostilités ait fait l’objet de vastes débats, la nature des activités auxquelles
participent les agents de renseignement et les contractors lors d’attaques conduites
par des drones s’inscrit parfaitement dans le cadre de la participation directe aux
hostilités (205). Ces derniers perdent donc leur immunité aux attaques et peuvent
être ciblés au cours d’un conflit armé. Cela étant, la participation directe aux
hostilités ne constitue pas, en soi, une violation du DCA, et les civils qui mettent
en œuvre des drones pour des attaques n’enfreignent pas le DCA à moins de
lancer ces attaques en violant le droit – par exemple en ciblant délibérément
des civils, en engageant des attaques disproportionnées ou sans discrimination,
en ne prenant pas de mesures de précaution (206). Pour ce qui est des individus
opérant des UAV et lançant ou participant à des attaques, le recours croissant
aux drones armés soulève en effet d’intéressantes questions quant à leur statut
et aux conséquences de celui-ci, en termes de perte d’immunité aux attaques
et d’immunité aux poursuites.

géographie des attaques


Même une lecture rapide de la presse de ces dernières années suffit à
montrer l’expansion de la géographie des attaques conduites au moyen d’UAV :
Afghanistan, Pakistan, Yémen, Somalie et Libye. Certains de ces pays, comme

(205) The Commander’s Handbook on the Law of Naval Operations, NWP 1-14M, § 8.2.2
(« La participation directe aux hostilités doit être jugée au cas par cas. On peut citer, entre autres
exemples, le fait de prendre les armes ou de chercher à tuer d’une autre manière, de blesser ou de
capturer les personnels ennemis ou de détruire la propriété de l’ennemi ») ; UK Manual of the Law
of Armed Conflict 5.3.3 (« Les civils servant un canon anti-aérien ou s’engageant dans le sabotage
d’installations militaires participent [directement aux hostilités] ») ; Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie, Le Procureur vs. Strugar, Cas No. IT-01-42-A, 176, 17 juillet 2008 (évoquant les
exemples suivants de participation directe aux hostilités : porter, employer ou prendre des armes,
participer à des actes, activités, conduites ou opérations militaires ou hostiles, aux accrochages
ou au combat armés, participer à des attaques contre les personnels, la propriété ou l’équipement
ennemis, transmettre des informations militaires pour qu’elles soient immédiatement employées par
un belligérant, transporter des armes à proximité des opérations de combat et agir comme sentinelles,
agents de renseignement, vigies, ou observateurs pour des forces militaires). Voir également Nils
Melzer, “Interpretive Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities under International
Humanitarian Law”, Revue internationale de la Croix-Rouge, 2008, vol.  90 (l’auteur note que la
conduite des hostilités s’inscrit dans le cadre de la définition de la participation directe aux hostilités).
(206) Déclaration de David W. Glazier, “Rise of the Drones II: Examining the Legality of Unmanned
Targeting”, Hearing Before H. Subcomm. on Nat’l Sec. and For. Affairs, H. Comm. on Oversight &
Gov. Reform, 111th Cong. (2010) (Glazier note également que selon les principes de droit adoptés par
notre gouvernement afin de poursuivre les détenus de Guantánamo, ces officiers de la CIA, comme
tout autre haut responsable du gouvernement ayant autorisé ou dirigé leurs attaques, commettent des
crimes de guerre).

339
l’Afghanistan – et maintenant le Pakistan – ainsi que la Libye, s’inscrivent dans
le cadre généralement reconnu d’un conflit armé ; d’autres, comme le Yémen et
la Somalie, soulèvent des questions plus complexes quant aux contextes dans
lesquels la force est employée et aux implications pour l’application du DCA.
D’aucuns montrent que, là où sont conduites des attaques d’UAV contre
des terroristes, le recours aux drones armés élargit le champ de bataille aux
alentours (207). Les États-Unis ont en effet largement employé des drones
au-delà des zones de conflit en Afghanistan et au Pakistan. Lors de la première
élimination ciblée après le 11 septembre, un drone de la CIA a tiré un missile
Hellfire tuant six membres présumés d’Al-Qaeda qui voyageaient en voiture
dans le sud du Yémen, dont le présumé responsable de l’attentat contre l’USS
Cole (208). Plus récemment, les États-Unis ont déployé des drones pour cibler
Anwar al-Awlaki, le terroriste d’Al-Qaeda soupçonné d’avoir planifié l’attentat
échoué, en avril, contre l’ambassadeur du Royaume-Uni au Yémen et qui
aurait été impliqué dans la fusillade de Fort Hood ainsi que dans la tentative
d’attentat à la bombe à Noël (209). En Somalie, les États-Unis ont lancé, dès
2007, des attaques contre des membres d’Al-Qaeda soupçonnés d’avoir été
impliqués dans les bombardements contre l’ambassade en 1998 (210). Après de
multiples tentatives visant à cibler, à l’aide de drones armés, Saleh Ali Saleh
Nabhan, le militant d’Al-Qaeda soupçonné d’avoir organisé l’attaque de 2002
à l’hôtel Paradise de Mombasa au Kenya, les États-Unis ont lancé un raid de
commandos en plein jour, tuant Nabhan et au moins huit autres individus (211).
En juin 2011, les États-Unis ont opéré un UAV armé afin d’attaquer deux hauts
responsables d’Al-Shabab ayant des liens directs avec Al-Awlaki (212).
Certains suggèrent, en réponse à cet emploi croissant des UAV, qu’il est en
quelque sorte « plus aisé » d’envoyer des aéronefs inhabités au-delà des frontières
d’États souverains dans la mesure où il n’y a pas de risque qu’un pilote soit
abattu et capturé, ce qui rend plus probable l’escalade et le débordement des
conflits (213). Les drones armés ne sont qu’une simple arme, plus ou moins
comme les autres, et les armes n’orientent pas l’interprétation juridique, que

(207) Déclaration de Mary Ellen O’Connell, Rise of the Drones II…, ibidem.
(208) “US kills Cole suspect”, CNN, 5 novembre 2002, disponible à l’adresse internet http  ://
archives.cnn.com/2002/WORLD/meast/11/04/Yémen.blast/index.html. Voir également Report
of the Special rapporteur on Extrajudicial, Summary or Arbitrary Executions, U.N. Human Rights
Council, A/HRC/14/24/Add.6, § 47 (28 mai 2010).
(209) Con Coughlin, Philip Sherwell, “American drones deployed to target Yémeni terrorist”,
Telegraph, 2 mai 2010.
(210) “US targets al-Qaeda’ in Somalia”, BBC, 9 janvier 2007, disponible à l’adresse internet
suivante : http ://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/6245943.stm (« D’après Tony Snow, porte-parole de la
Maison Blanche, l’action des États-Unis est venue rappeler qu’il n’y avait pas de sanctuaire pour les
militants islamiques. “Cette administration continue à poursuivre Al-Qaeda” »).
(211) Jeffrey Gettleman, Eric Schmitt, “US Kills Top Qaeda Militant in Southern Somalia”, New York
Times, 14 septembre 2009. Voir également Jeffrey Gettleman, Eric Schmitt, “US Forces Fire Missiles
Into Somalia at a Kenyan”, New York Times, 4 mars 2008.
(212) Greg Jaffe, Karen de Young, “US Drone Targets Two Leaders of Somali Group Allied with Al
Qaeda, Official Says”, Washington Post, 29 juin 2011.
(213) Mary Ellen O’Connell, “Seductive Drones: Learning from a Decade of Lethal Force”, Journal
of Law, Information & Science, août 2011.

340
ce soit pour déterminer ce qui constitue un conflit armé ou contre qui il est
mené. Si un pays s’engage dans d’importantes frappes de drones contre un autre
État – créant ainsi un conflit armé international – ou contre un acteur non
étatique de sorte à créer une situation de violence armée prolongée (214), ce qui
n’était qu’une campagne UAV isolée contre des cibles sélectionnées pourrait
sans doute se transformer en conflit armé. Actuellement, dans le cadre d’un
conflit entre des États et des groupes terroristes non étatiques, les questions
plus complexes portent sur les conséquences qu’ont les frappes de drones sur
les paramètres de ce conflit contre des groupes terroristes. Autrement dit, il ne
s’agit pas de la création de nouveaux conflits, mais de l’extension d’un conflit
existant et, certes, difficile à définir.
L’actuel conflit entre les États-Unis, d’une part, et Al-Qaeda et les groupes
terroristes affiliés, d’autre part, soulève d’importantes questions qui apparaissent
tout aussi fondamentales portant non seulement sur le droit s’appliquant aux
opérations menées contre des terroristes, mais également sur le lieu du conflit
et sur celui où ce droit est applicable. En dehors des zones évidentes comme
l’Afghanistan, l’Irak et les régions frontalières du Pakistan, le lieu où se situe
le champ de bataille – autrement dit le lieu du conflit – ne fait pas l’objet d’un
consensus – et le moment où celui-ci a débuté, ainsi que la manière dont il
pourrait se terminer sont tout aussi incertains. Dans les conflits traditionnels,
les opérations militaires pouvaient se dérouler au-delà du territoire de toute
partie neutre (215). Le droit de neutralité « définit la relation, au regard du droit
international, entre des États engagés dans un conflit armé et ceux ne participant
pas au dit conflit armé » (216). Le droit de neutralité a ainsi conduit à définir un
cadre sur des critères géographiques, cadre dans lequel les belligérants peuvent
combattre sur l’un de leurs territoires ou sur des territoires communs, mais
doivent éviter toute opération sur un territoire neutre. Pour résumer, dans un
conflit armé traditionnel entre deux ou plusieurs États, le champ de bataille
peut prendre place n’importe où, à l’exception du territoire souverain des
États neutres (217).
Cela étant, les conflits actuels opposent des États à des acteurs non étatiques ;
des acteurs et des groupes qui n’ont souvent aucune attache territoriale en
dehors de la zone dans laquelle ils peuvent trouver refuge sans immixtion du
gouvernement. Une fois sortis du cadre traditionnel belligérant/neutre, qui
définissait le champ de bataille traditionnel, il devient nettement plus complexe
de déterminer les périmètres du champ de bataille ou de la zone de combat
actuels. Le fait de simplement superposer l’approche applicable au conflit armé

(214) TPIY, Le Procureur vs. Dusko Tadic, op. cit.


(215) Yoram Dinstein, op. cit., p. 20 (« En principe, l’ensemble des territoires des États belligérants
se trouvant sous leur souveraineté, où qu’ils soient situés, sont dans la zone de guerre. Comme
corollaire, la zone de guerre ne déborde pas les frontières des États neutres, et les hostilités ne sont
pas autorisées sur leurs domaines respectifs. »).
(216) UK Ministry of Defence, Manual of the Law of Armed Conflict 1.42(2004) [ci-après UK
Manual].
(217) Yoram Dinstein, op. cit., p. 26 (« La zone de guerre n’inclut pas les territoires des États neutres,
et les hostilités ne sont pas acceptables à l’intérieur des frontières neutres. »).

341
traditionnel et les conflits avec des groupes terroristes n’offre aucun moyen de
distinguer entre les différentes conceptions du champ de bataille. Au cours de
ces dernières années, les débats ont porté sur le fait de savoir si l’on pouvait
évoquer un champ de bataille global ou si le conflit avec Al-Qaeda était limité
à l’Afghanistan (218). L’emploi de drones armés contre des terroristes au Yémen
et en Somalie a alimenté le débat sur le fait de savoir si ces régions entrent
dans le cadre du conflit armé avec Al-Qaeda et les groupes terroristes affiliés,
si les hostilités dans ces zones constituent des conflits armés différents ou si le
conflit contre les terroristes peut en effet être global. Dans ce cadre, le recours
aux drones armés génère une large réflexion quant au lieu du conflit contre
des acteurs non étatiques transnationaux, ce qui constitue actuellement l’une
des questions juridiques les plus complexes.
La nouveauté et la nature high-tech des aéronefs inhabités tirant des
missiles sur des cibles sans aucun risque de représailles ont généré de vastes
débats moraux, philosophiques, politiques, stratégiques et juridiques concernant
l’emploi de ces armes (219). Loués comme des armements extrêmement précis et
capables de discrimination, décriés comme étant des « robots assassins » (220),
les UAV sont au cœur d’intenses débats sur les fondements moraux et éthiques
du conflit. Ces débats vont au-delà de leurs effets directs – à savoir, les pertes
civiles lors d’attaques contre des cibles terroristes – et soulèvent des questions
relatives aux effets psychologiques sur la population civile vivant avec le
bourdonnement des drones au-dessus de la tête, drones qui tirent des missiles sans
avertissement (221). D’un point de vue juridique, les UAV offrent une perspective
utile pour considérer aussi bien les principes traditionnels du DCA que les
questions spécifiques aux conflits actuels. Ils offrent, plus particulièrement, un
grand potentiel pour ce qui est de la mise en œuvre accrue des principes clé de
discrimination, de proportionnalité et de mesures de précaution dans l’attaque.
Comme l’explique un rapport récent du ministère britannique de la Défense,
« la plus grande connaissance situationnelle permise par les capteurs d’un aéronef
inhabité persistant qui observe le champ de bataille durant de longues périodes
sans interruption (…) permet une meilleure prise de décisions et un emploi plus
approprié de la force. Cela est renforcé par le fait que le décideur se trouve dans

(218) Voir Laurie R. Blank, “Defining the Battlefield in Contemporary Conflict and Counterterrorism:
Understanding the Parameters of the Zone of Combat”, Georgia Journal of International and
Comparative Law, 2010, vol. 39, no 1 (soutenant l’emploi de facteurs tirés du DCA dans l’analyse des
paramètres du champ de bataille au cours des conflits actuels).
(219) Voir en général Altman, Finkelstein, Ohlin (eds), Using Targeted Killing to Fight the War on
Terror, Oxford University Press (à paraître).
(220) William Saletan, “Predators Need Editors”, Slate.com, 25 avril 2011; disponible à l’adresse
internet http ://www.slate.com/id/2292062
(221) Voir Graeme Smith, “Pakistan‘s Deadly Robots in the Sky”, The Globe and Mail (Toronto),
1er octobre 2010. Certains pourraient suggérer que les attaques conduites via des UAV sont des
attaques répandant la terreur au sein de la population civile, violant ainsi l’Article 51(2) du Protocole
additionnel I. Néanmoins, le délit de répandre la terreur au sein de la population civile implique une
intention en ce sens, voir Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Procureur c. Galic, 5
décembre 2003, Affaire no IT-98-29-T, § 162, ce qui n’a pas été démontré dans le cas des attaques
conduites via des UAV.

342
l’environnement relativement dépourvu de stress d’une cabine climatisée et non
dans le cockpit d’un aéronef rapide. » (222)
L’emploi des drones armés continue à soulever de sérieuses questions quant
au nombre et à la nature des pertes civiles, mais celles-ci sont principalement
générées par les procédures de sélection de cibles et d’autorisation des attaques,
et non par la nature et les capacités des UAV. Comme pour toute autre arme,
il est essentiel de s’assurer que les attaques conduites par des drones sont
lancées uniquement contre des objectifs militaires légitimes, conformément
aux obligations de proportionnalité et de mesures de précaution. La nature des
conflits actuels et l’emploi qui est fait des drones armés soulèvent également
des inquiétudes quant au statut et aux privilèges des individus conduisant des
attaques, ainsi qu’à l’impact des campagnes menées à l’aide d’UAV sur les
périmètres géographiques du conflit armé, plus particulièrement du conflit
impliquant des acteurs non étatiques transnationaux.
(Traduit de l’anglais par Gabriela Sulea Boutherin)

(222) Ministère britannique de la Défense, The UK Approach to Unmanned Aircraft Systems, Joint
Doctrine Note 2/11, pp. 5-19.

343
344
Drones aériens
de combat et morale
Survol et éléments de réflexion
Capitaine Emmanuel Goffi

Les évolutions techniques qui balisent l’histoire de la guerre s’accompagnent


inévitablement de débats de tous ordres. Stratégiques ou tactiques, politiques
ou économiques, juridiques ou moraux, ces débats ont une importance
considérable en ce qu’ils permettent d’anticiper au moins partiellement les effets
des changements et, le cas échéant, d’en atténuer les conséquences négatives.
Depuis la désormais décriée révolution dans les affaires militaires (rma
– revolution in military affairs), la technologie militaire suscite de nombreux
questionnements. L’emploi de systèmes de combat opérés à distance ne fait
pas exception. A ce titre, il est intéressant de noter qu’au-delà des discussions
purement techniques se sont fait jour des débats philosophiques portant sur
l’emploi de tels systèmes et plus spécifiquement sur le recours à des systèmes
de combat aérien inhabités (UCAVs – Unmanned Combat Aerial Vehicles). Les
discussions sur les différents aspects moraux de l’emploi des UCAVs, dont
certains seront développés ci-après, doivent être différenciées des débats sur
la légalité de ces systèmes. Si le droit et la morale peuvent parfois se recouper,
ou même si le droit, et plus particulièrement le droit des conflits armés (DCA),
peut s’appuyer sur des considérations morales, il ne faut pas en déduire que
les deux sont interchangeables. Les considérations présidant à la construction
de normes juridiques encadrant tant le déclenchement (jus ad bellum) que la
conduite (jus in bello) d’un conflit, ne sont pas uniquement philosophiques. Le
droit et la morale procèdent souvent de logiques différentes. Par ailleurs, s’il est
vrai que le droit est souvent fortement empreint de déontologie, il faut garder
à l’esprit que la morale peut prendre d’autres voies apportant d’intéressants
éclairages sur de nombreux sujets. Il est donc important en l’occurrence de
bien distinguer le droit de la morale, afin d’éviter de sombrer dans le travers
déontologue.
Dans cette optique les développements qui suivront se focaliseront sur les
aspects moraux relatifs à l’emploi de systèmes aériens opérés à distance. D’autre
part, si les drones peuvent donner lieu à des discussions philosophiques, il est
aujourd’hui clair que l’essentiel des débats porte spécifiquement sur les drones
armés. Nous essaierons donc d’aborder le sujet au travers de la philosophie
tout en nous appuyant également sur des éléments relevant d’autres champs
académiques.
Bien évidemment il ne s’agira ici ni de trouver des réponses à ces
questionnements, ni de les couvrir dans leur globalité. La tâche serait ardue
et l’objectif prétentieux.

345
Les débats concentrant l’attention des analystes et des commentateurs
étant nombreux, nous avons délibérément fait le choix de nous limiter à deux
thèmes récurrents que sont la question de l’autonomisation des systèmes de
combat et le débat sur la responsabilité, et de proposer au lecteur quelques
éléments de réflexion philosophiques. Ces deux thèmes semblent par ailleurs,
recouvrir la plupart des questionnements relatifs à la moralité de l’emploi des
UCAVs, dont certains seront abordés dans la seconde partie de ce document.
Nous traiterons donc en premier lieu de l’autonomisation des systèmes de
combat opérés à distance, avec à l’horizon la question de la robotisation du
champ de bataille et la capacité des « warbots » d’attenter à l’intégrité physique
d’êtres humains. Cette question, complexe en raison de l’absence de définition
précise de l’autonomie, sera abordée sous l’angle spécifique de l’autonomie
morale. Les débats ont trop souvent tendance à se disperser pour traiter ce
sujet épineux de manière efficace.
Nous considérerons ensuite plusieurs thèmes abordés dans le cadre des
réflexions sur la moralité des UCAVs, sous l’angle de la responsabilité morale
dont nous verrons qu’elle est au cœur des considérations morales entourant
l’emploi de ces systèmes de combat. La responsabilité morale est d’autant plus
importante qu’elle recouvre aussi bien la question du statut des opérateurs, civils
ou militaires, et de son corollaire qu’est la fonctionnarisation des militaires que
la généralisation programmée des UCAVs et le possible abaissement du seuil
de recours à la force tant de la part des individus que des États ; la dilution de
responsabilité et la déresponsabilisation éventuelle des utilisateurs - entendu
au sens large - d’UCAVs ; ou encore les effets de la conduite de « guerre sans
risques » - pour reprendre la terminologie de Paul W. Kahn (223).

L’autonomie moraLe : un non-débat
Il apparaît aujourd’hui que l’une des grandes craintes concernant la moralité
des UCAVs porte sur leur potentielle autonomisation. Ces craintes, à vrai dire,
ne concernent pas directement les drones de combat, mais plus largement les
robots. Cependant, il faut souligner ici que les UCAVs entrent dans le périmètre
des définitions multiples et variées des robots et sont à ce titre envisagés comme
tels (224). Il n’existe en effet aucune définition communément admise de ce qu’est
un robot, ce qui fait dire à Joseph Engelberger, physicien et ingénieur présenté
comme le « Père de la robotique », « je ne sais pas ce qu’est un robot mais je sais
en reconnaitre un lorsque j’en vois un. » Selon le Robot Institute of America, un
robot serait « un opérateur multifonctionnel et reprogrammable, conçu pour
manipuler des matériaux, des pièces, des outils ou des appareils spécialisés au
travers de divers mouvements programmés afin de réaliser un certain nombre

(223) Paul W. Kahn, “The Paradox of Riskless Warfare”, Faculty Scholarship Series, Paper 326,
2002.
(224) Robert Sparrow, “Killer Robots”, Journal of Applied Philosophy, 24:1, 2007, pp. 62-77; Ronald
C. Arkin, “Ethical Robots in Warfare”, IEEE Technology and Society Magazine, vol. 28, No. 1, Spring
2009, pp. 30-33.

346
de tâches » (225). Il est donc généralement admis qu’un robot est un système
automatisé interagissant avec et en fonction de son environnement avec un
certain degré d’autonomie. Cela étant posé, on voit bien que les UCAVs font
effectivement partie de la famille des robots.
A partir de là se pose donc la question de la moralité de l’autonomisation
de systèmes susceptibles de blesser, voire de tuer, des êtres humains. Ces robots
guerriers (warbots), parfois même appelé « robots tueurs » (killer robots) (226),
seraient donc à termes capables de choisir qui prendre pour cible et, le cas échéant
de délivrer de l’armement de manière autonome. Une des questions posées par
Peter Asaro, professeur à la New School de New York et membre fondateur de
l’International Committee for Robot Arms Control (ICRAC) (227), est de savoir
dans quelles limites de tels systèmes seraient capables d’opérer une distinction
entre combattants et non-combattants, c’est-à-dire de respecter le principe
de discrimination prévu par le droit des conflits armés (228). Techniquement
parlant la discrimination est spécifiquement une problématique relevant de la
sphère du droit, sauf à postuler que la vie d’un combattant vaut moins que
celle d’un non-combattant, et qu’il serait par conséquent immoral de tuer le
second et moral de tuer le premier. Ceci restant à démontrer, la discrimination
n’entre pas directement dans le champ de l’éthique, bien que certains auteurs,
à l’image de Ron Arkin (229), n’opèrent pas systématiquement cette distinction
pourtant importante.
Pour autant, la véritable préoccupation reste l’autonomisation de ces
systèmes. A ce titre, il est important de ne pas tomber dans le piège, certes
tentant, de la peur irrationnelle d’une guerre menée par robots interposés, et
encore moins dans celui du « syndrome Terminator », laissant à croire qu’un
jour prochain les conflits seront le lieu de la violence exercée par des robots
androïdes.
Un premier élément doit aider à limiter ces craintes : l’autonomie ne fait à
ce jour l’objet d’aucune définition consensuelle et universellement admise (230).
C’est fût d’ailleurs l’un des points bloquant lors de la réunion d’experts qui
s’est tenue autour du rapporteur Spécial des Nations Unies sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Christof Heyns, afin de réfléchir aux

(225) Voir <http://www.robotics.utexas.edu/rrg/learn_more/history/>


(226) Armin Krishnan, Killer robots: legality and ethicality of autonomous weapons, Surrey, UK,
Ashgate Publishing Limited, 2009; Sparrow, “Killer Robots”, op. cit.
(227) http://www.icrac.co.uk/Home.html
(228) Article 48 du Protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève de 1949.
(229) Voir par exemple Arkin, “Ethical Robots in Warfare”, op. cit.
(230) Marlène Jouan, Psychologie morale. Autonomie, responsabilité et rationalité pratique, Paris,
Vrin, 2008 ; Gerald Dworkin, The Theory and Practice of Autonomy, New York, Cambridge University
Press, 1988, pp. 4-6 ; Joel Feinberg, “Autonomy”, in John P. Christman, (Ed.), The Inner Citadel:
Essays on Individual Autonomy, Oxford, Oxford University Press, 1989, pp. 27-53.

347
enjeux relatifs à l’emploi de la robotiques autonome létale et de son rapport
au droit à la vie (231).
On relève généralement quatre catégories d’autonomie : l’autonomie
technique, l’autonomie personnelle, l’autonomie politique et l’autonomie
morale. D’autre part, ce terme polysémique, sera entendu différemment selon
qu’il est abordé en ingénierie, en sociologie (232), en psychologie (233), en droit (234)
ou encore en philosophie. Nous nous bornerons donc ici à apporter quelques
éclairages sur l’autonomie morale et les limites de cette notion en philosophie.
L’autonomie morale est un concept largement traité par les philosophes.
Dès le IVe siècle avant Jésus-Christ, Aristote, l’abordait sous l’angle de l’autarcie
comme fin de chaque chose, entendu que la fin est « le premier des bien » et
que « se suffire à soi-même est à la fois un but et un bonheur » (235). Cependant,
la définition la plus couramment utilisée pour traiter de l’autonomie morale
demeure celle proposée par Emmanuel Kant : « L’autonomie de la volonté
est cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi »(236). Kant voit
dans l’autonomie le fondement même de la morale dans la limite où celle-ci
permet le libre exercice d’une raison pure c’est-à-dire débarrassée de toute
contingence instrumentale, elle-même au fondement des lois universelles que
chaque être raisonnable est en mesure d’édicter dans le respect de l’impératif
catégorique(237). Bien entendu, de nombreux points sont discutables et discutés
dans l’approche kantienne de l’autonomie. Pour Emmanuel Levinas, par exemple,
l’autonomie est l’expression de notre égoïsme conduisant à la poursuite de
notre propre accomplissement et de notre autosatisfaction alors que l’humain
se doit de s’ouvrir à l’Autre et d’assumer sa responsabilité vis-à-vis de lui (238).
Schopenhauer critiquera, quant à lui, l’idée kantienne d’une autonomie de la
volonté dépourvue de tout motif et donc d’intérêt (239).
(231) Lors de cette réunion, qui fait suite à la recommandation du précédent rapporteur spécial,
Philip Alston, la question de la définition de l’autonomie s’est heurtée aux approches irréconciliables
des philosophes et des ingénieurs. “Lethal Autonomous Robotics and the Right to Life: Expert
Consultation”, European University Institute, Florence, Italie, 23 février 2013.
(232) Voir notamment Stanley Milgram, Obedience to Authority, New York, Harper Perennial
Classics, 2004, [1975] et Samuel Huntignton, The Soldier and the State. The Theory and Politics of
Civil-Military Relations, Cambridge ma, The Belknap Press of Harvard University Press, 1985.
(233) Jouan, Psychologie morale …, op.cit.
(234) En droit la notion d’autonomie est directement liée à la question de la responsabilité que nous
traiterons par la suite.
(235) Aristote, Politique, I, I, 8, traduit par J. Barthélémy-Saint-Hilaire, Paris, Librairie Philosophique
de Ladrange, Troisième édition, 1874.
(236) Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, traduit de l’allemand par Victor
Delbos à partir de l’édition de 1792 [1785], p. 50.
(237) L’impératif catégorique que l’on retrouve dans de nombreux travaux de Kant peut être exprimé
de plusieurs manières que l’on retrouve notamment dans ses Fondements de la métaphysique des
mœurs. Cependant son expression la plus utilisée est celle correspondant à « la formule universelle
de l’impératif catégorique : Agis selon la maxime qui peut en même temps s’ériger elle-même en loi
universelle ». Kant, Fondements …, op. cit., p. 46.
(238) Emmanuel Levinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Paris, Le Livre de Poche, 1990
[1961].
(239) Arthur Schopenhauer, Le Fondement de la morale, Paris, Le Livre de poche, 1991 [1841],
p. 102.

348
D’autre part, l’autonomie est souvent liée à la notion de liberté, bien que
certains opèrent, à l’image de Dworkin, une différence en soulignant que
l’autonomie « semble intuitivement être un concept global plutôt que local »,
tandis que la liberté est spécifique à des actes particuliers (240).
Pourtant, la définition de l’autonomie chez Kant, s’inscrit dans la continuité
de la manière d’appréhender la liberté chez les contractualistes comme Rousseau
ou Hobbes, démontrant ainsi le lien étroit existant entre les deux concepts.
Pour Hobbes, par exemple, la différence entre liberté et autonomie tient au fait
que la première ne s’applique pas uniquement aux êtres doués de raison, mais
concerne également « les créatures privées de raison et inanimées »→. D’où sa
définition de l’homme libre comme étant « celui qui, pour ces choses que selon
sa force et son intelligence il est capable de faire, n’est pas empêché de faire
ce qu’il à la volonté de faire »→. On le voit donc, en l’occurrence l’autonomie
renvoie à l’exercice de la libre volonté, indépendamment de toute intervention
extérieure et à laquelle est associée la perfection morale selon Emmanuel Kant.
On ne peut, par ailleurs, parler de liberté sans s’attarder quelques instants
sur l’approche de John Stuart Mill. On oppose essentiellement Kant et Mill
en ce que le premier fonde la morale sur la déontologie issue de l’impératif
catégorique prescrivant une loi universelle non contrainte par les finalités
de l’action, tandis que le second « considère l’utilité comme le critère absolu
dans toutes les questions éthiques » (241). Si Kant conçoit la morale comme la
pratique d’une volonté libre, Mill accepte l’idée que la liberté des individus
soit limitée dans l’intérêt de la communauté ou plus précisément du « plus
grand nombre » (242), dans la suite du célèbre principe de Jeremy Bentham
postulant que la finalité de tous gouvernement est utilitaire et vise à assurer
« le plus grand bonheur du plus grand nombre » qui constitue la « mesure du
bien et du mal » (243). Cet encadrement de la liberté répond donc à une logique
utilitariste, c’est-à-dire attachée aux fins de l’action. Si pour Bentham cette fin
consiste en la recherche de la maximisation du plaisir et la minimisation de la
souffrance (244), pour Mill elle se caractérise par la poursuite du bonheur. Et
d’affirmer : « Voilà donc la région propre de la liberté humaine. Elle comprend
d’abord le domaine intime de la conscience qui nécessité la liberté de conscience
au sens le plus large : liberté de penser et de sentir, liberté absolue d’opinions et
de sentiments sur tous les sujets, pratiques ou spéculatifs, scientifiques, moraux
ou théologiques. » (245)

(240) Dworkin, The Theory …, op. cit., pp. 13-15.


(241) John Stuart Mill, De la liberté, traduit de l’anglais par Laurence Lenglet à partir de la traduction
de Dupond White en 1860, [1859], p. 4.
(242) Mill, De la liberté, op. cit., p. 7-9.
(243) Jeremy Bentham, “A Fragment on Government”, in The Online Library of Liberty, The Works
of Jeremy Bentham, vol. 1 (Principles of Morals and Legislation, Fragment on Government, Civil
Code, Penal Law) [1843], Indianapolis in, 2011[1776], p. 443.
(244) Jeremy Bentham, “Principles of Morals and Legislation”, in The Online Library of Liberty, The
Works of Jeremy Bentham, op. cit., p. 121.
(245) Mill, De la liberté, op. cit., p. 13.

349
Cette dernière citation nous permet de revenir à ce qui nous occupe ici,
puisqu’elle souligne le fait que les réflexions sur la liberté, et par conséquent
sur l’autonomie, imposent une capacité élevée de penser l’abstrait. Or cette
aptitude à l’abstraction est absente dans les systèmes de combat du type
UCAVs. Et quand bien même nous parviendrions à créer de tels systèmes,
notamment en les dotant d’une « intelligence artificielle », ils seraient contraints
de la même manière que les humains, d’autant que l’autonomie morale ne
pouvant s’acquérir que par l’apprentissage (246), se poserait alors la question
de la dépendance de l’apprenant, et donc de son autonomie, vis-à-vis de son
environnement d’apprentissage.
L’autonomie morale, entendue comme la capacité à se faire à soi-même ses
lois, et à le faire en toute liberté, étant discutable conceptuellement lorsqu’elle
est appliquée à l’être humain, il semble encore plus compliqué de l’appliquer
à des machines (247). Si elle a fait naître tant de débats, c’est que sa réalité n’a
jamais été formellement établie. Bien que certains auteurs comme Peter Asaro,
affirme qu’il « n’est pas impossible, en principe, que des robots acquièrent une
autonomie au sens kantien » (248), il n’en demeure pas moins que la formulation
de la phrase et le fait qu’il admette que cela relève de la science-fiction, laisse
planer un doute sur la potentialité de mise en œuvre des systèmes de combats
robotisés capables de « formuler leurs propres règles, devoirs et raisonnements
moraux, et ainsi de faire leurs propres choix moraux au sens le plus complet de
l’autonomie morale » (249). Il est donc préférable de postuler que si l’être humain
n’est que partiellement autonome et que des systèmes robotisés « acquerront des
capacités morales imitant ou reproduisant les capacités morales humaines » (250),
tout système automatisé ou robotisé sera également partiellement autonome.
Dans les faits, l’autonomie morale pleine et entière n’existe pas et relève
plus de l’idéal de l’« esprit libre » si cher à Nietzsche, que d’une quelconque
réalité. De fait, la question de la moralité des systèmes de combat autonome est
dépourvue de sens tant que le terme ne fera pas l’objet d’une définition largement
acceptée. On peut se poser la question de savoir ce qui, au final, distinguerait,
sur le plan stricte de l’autonomie morale, une machine pourvue d’intelligence
artificielle d’un être humain, tant il a été démontré empiriquement combien
l’être humain et perméable aux contraintes de son environnement. Il n’est qu’à
voir les travaux de Stanley Milgram sur l’obéissance à l’autorité (251). Certains
objecteront que cette étude est datée. Pourtant très récemment une émission
intitulé le Jeu de la mort, diffusée sur France 2, en a montré toute l’actualité, en

(246) Voir à ce sujet Jean Piaget, Psychologie et pédagogie, Paris, Folio, 1988, [1935] ; et Lawrence
Kohlberg, The Philosophy of Moral Development: Moral Stages and the Idea of Justice (Essays on
Moral Development, Volume 1), San Francisco ca, Harper & Row, 1981.
(247) Sparrow, “Killer robots”, op. cit.
(248) Peter Asaro, “How Just Could a Robot War Be?”, in Philip Brey, Adam Briggle and Katinka
Waelbers (Eds), Current Issues in Computing and Philosophy, Amsterdam, IOS Press, 2008, p. 52.
(249) Ibid., pp. 51-52.
(250) Ibid., p. 51.
(251) Milgram, Obedience to Authority, op. cit.

350
soulignant l’impact de la télévision sur les comportements individuels (252). Et
ce n’est là qu’un élément. On pourrait également s’interroger sur l’autonomie
morale des militaires soumis à des règles d’obéissances formelles ou informelles.
Samuel Huntington souligne à ce titre les différentes formes de contrôle civil
exercé sur la puissance militaire (253), ou encore que l’éthique militaire « exalte
l’obéissance comme la plus haute vertu des militaire » (254). Dans un registre
plus pratique, le général de Gaulle lui-même, appelait de ses vœux l’homme de
« caractère » prenant ses distances avec « l’obéissance passive » (255), soulignant
implicitement la propension des militaires à obéir passivement. Lyautey lui-
même déplorait selon son expression devenue célèbre que « lorsque les talons
claquent, les esprits se vide ». Ronald Arkin, quant à lui pose la question de
savoir si les soldats ne sont pas déjà entraînés à être des robots (256).
Il n’en demeure pas moins que les travaux portant sur la moralité des
systèmes de combat et leur potentielle autonomisation sont désormais légion,
et traitent très souvent le sujet sous l’angle du droit plus que sous celui de la
philosophie morale stricto sensu. Ronald Arkin, spécialiste de robotique et
professeur au Georgia Institute of Technology, est un fervent défenseur d’une
éthique des robots obtenue par l’implémentation des règles du droit des conflits
armés dans les systèmes de combat. Ses travaux portent essentiellement sur la
possibilité de programmer des robots de manière à ce qu’ils appliquent un code
éthique tel qu’établi dans le droit des conflits armés et les règles opérationnelles
d’engagement. On soulignera ici un mélange entre droit et morale peu pertinent,
voire dangereux. Pour Arkin, les robots pourraient être « plus humains que les
humains sur le champ de bataille » dans la limite où ils pourraient être conçus de
manière à ne ressentir ni exprimer de peur, de colère ou d’esprit de revanche (257)
qui pourraient altérer leur jugement. Ils agiraient donc de manière rationnelle
ou, pour revenir à la philosophie, de manière kantienne. Une grande question
philosophique à laquelle ne répond cependant pas Arkin est de savoir ce que
signifie « être plus humain qu’un humain ».
Au terme de cette première partie, plusieurs points méritent d’être relevés. Il
apparait avant tout essentiel de distinguer les questions relevant de la morale de
celles ayant trait au droit. S’il est vrai que parfois les deux sont susceptibles de se
recouper, il serait erroné d’en déduire qu’ils doivent être traités indistinctement.
C’est au prix de cet effort que les vraies questions morales apparaitront et
pourront être analysées correctement. On verra alors que les UCAVs ne posent
pas plus de problèmes moraux que d’autres systèmes de combat armés opérés
à distance, et que certains débats doivent être relativisés. Ensuite, nous l’avons
évoqué, la question de l’autonomie ne doit pas être abordée avec légèreté. Si
le présent chapitre n’avait pas vocation à approfondir cette notion, il faut

(252) Christopher Nick, Le jeu de la mort (Jusqu’où va la télé ?), France 2, 17 mars 2010.
(253) Huntington, The Soldier and the State …, op. cit., pp. 80-97.
(254) Ibid., p. 79.
(255) Charles de Gaulle, Le fil de l’épée, Paris, Perrin, 2010 [1944], p. 78.
(256) Arkin, “Ethical Robots in Warfare”, op. cit.
(257) Ibid.

351
garder à l’esprit que le concept d’autonomie est complexe, multiforme et peu
propice à une généralisation hâtive et à un emploi abusif. Le recours à l’adjectif
« autonome » associé aux systèmes de types UCAVs, doit tout au plus être
entendu au sens technologique du terme, c’est-à-dire comme la capacité du
système à agir avec un certain degré d’indépendance à l’égard de tout contrôle
humain immédiat (258), mais en aucune manière au sens philosophique. S’il est
possible de postuler l’existence à termes de systèmes bénéficiant du même degré
d’autonomie qu’un être humain, il est alors pertinent de se demander quelle
sera alors la différence morale à opérer entre la machine et l’homme. Enfin, au
terme de ces ébauches de réflexions, apparait une question qui prend le pas sur
toutes les autres (259) et qui s’avère être la seule véritable problématique d’ordre
morale relative à l’emploi des UCAVs et autres warbots, celle de la responsabilité
morale. Pour autant, le sujet n’est ni nouveau, ni spécifique aux UCAVs.

La responsabiLité moraLe : Le cœur des débats


Comme nous l’avons souligné l’autonomie des UCAVs, bien qu’étant un
sujet intéressant, n’est pas moralement problématique en tant que telle. Ou
plus précisément, elle ne l’est pas plus que pour d’autres systèmes d’armes.
De manière générale, les débats sur l’autonomie renvoient à la double
question de la responsabilité morale et légale (260). Notre propos étant de traiter
des questions morales nous nous bornerons donc à la première en soulignant
cependant l’absence de normes juridiques spécifiques à l’emploi des drones en
général et des UCAVs en particulier. Que l’on ne s’y trompe pas, le travail qui
attend les juristes sera pavé d’obstacles, et il y a fort à parier que peu d’États
détenteurs de tels systèmes accepteront de se contraindre juridiquement. Par
conséquent l’appel de l’International Committee for Robot Arms Control (ICRAC)
à l’interdiction de ces systèmes dans l’attente d’une convention internationale
encadrant leur emploi, parait à ce titre, bien que louable dans son intention,
peu crédible dans sa réalisation (261).
Autonomie morale et responsabilité morale vont de pair. Si un agent est
autonome nul autre que lui ne peut être tenu pour responsable de ses actes.
A l’inverse, si un tiers assume la responsabilité des acte de l’agent, on peut
considérer, que ce dernier n’est pas autonome, au moins en ce qui concerne

(258) Sparrow, “Killer robots”, op. cit., p. 65. Pour des développements plus techniques voir Elizabeth
Quintana, “The Ethics and Legal Implications of Military Unmanned Vehicles”, Royal United Services
Institute for Defence and Security Studies, Occasional paper, 2008; Mary L. Cummings, S. Bruni, S.
Mercier et P. J. Mitchell, “Automation Architecture for Single Operator, Multiple UAV Command and
Control”, The International C2 Journal, 1:2, 2007, pp. 1-24.
(259) Sparrow, “Killer robots”, op. cit., p. 66.
(260) Peter Asaro, “What Should We Want From a Robot Ethic?”, Special Issue on Ethics in Robotics,
Karsten Weber, Daniela Cerquie and Jutta Weber (eds.), International Review of Information Ethics,
6(12), 2006, pp. 9-16; Robert P. Wolff, In Defense of Anarchism, New York, Harper & Row., pp. 12-
19, 1970; Arthur Ripstein, Equality, Responsibility, and the Law, Cambridge United Kingdom,
Cambridge University Press, 2001.
(261) Voir sur le site de l’ICRAC : <http://www.icrac.co.uk>

352
les actes concernés (262). Tant que l’autonomie morale totale ne sera pas
acquise, il subsistera au moins un homme dans la boucle de la conception, de
la fabrication, de la programmation, ou encore de l’emploi des UCAVs. Cet
individu sera alors susceptible d’assumer la responsabilité des actes commis avec
et par ces systèmes. Ce qui pose donc réellement problème c’est l’attribution
des responsabilités aux acteurs impliqués dans cette chaîne.
Partant du principe que l’autonomie morale des UCAVs n’est pas à
l’ordre du jour, on en déduit que derrière ces systèmes se trouvera toujours
au moins un être humain pouvant être tenu pour responsable. Même dans
le cas où une parfaite autonomie morale serait octroyée aux UCAVs, il n’en
demeure pas moins que le concepteur, le programmeur, le formateur (si le
système apprend par lui-même) autant que l’autorité d’emploi, auraient une
part de responsabilité dans les actes commis par ces warbots. S’il est vrai que
des parents ne sont pas responsables légalement des méfaits commis par leurs
enfants, il est tout aussi vrai qu’on leur attribuera une responsabilité morale
liée au mode d’éducation, à l’environnement familial et social ou encore aux
relations qu’ils entretiennent avec leur descendance. Les problèmes attribués
à la jeunesse d’aujourd’hui sont d’ailleurs, à tort ou à raison, souvent mis au
compte d’une déresponsabilisation morale des parents. Par analogie, et tant
que les UCAVs ne disposeront pas de capacités cognitives équivalentes à celle
d’un être humain, ils seront soumis au même régime de responsabilité que
de jeunes enfants dont l’apprentissage de la morale demeure hétéronome car
largement influencé par leur environnement direct. Par conséquent, comme
les parents sont jugés, au moins partiellement, responsables des déviances
comportementales de leurs progénitures, les concepteurs et ingénieurs ayant
« enfanté » des systèmes de combat auront à répondre des exactions ou des
erreurs commises par leurs warbots.
Pour ce qui nous concerne directement, à savoir les UCAVs, la responsabilité
devra bien évidemment être assumé par les concepteurs, les ingénieurs ou les
programmeurs, mais également par les responsables politiques et militaires
ayant fait le choix d’employer ces aéronefs, la chaine hiérarchique militaire
ainsi que par l’opérateur et l’équipe en charge de leur mise en œuvre, ou
encore par chaque citoyen au travers de l’exercice de la démocratie. Chacun à
son niveau aura une part de responsabilité morale et nul ne pourra se cacher
derrière l’argument consistant à dire qu’il n’était qu’un rouage d’une machine
qui le dépasse. Pour Hannah Arendt, chaque individu, même s’il s’avère être
« le plus petit des rouages » (263), est responsable, sur le plan moral comme sur
le plan légal, au regard de son rôle et de sa fonction mais également au regard
de l’environnement dans lequel le méfait a été commis. La « responsabilité
personnelle » (264) de chacun doit alors être questionnée.

(262) Sparrow, “Killer robots”, op. cit., pp. 65-66.


(263) Hannah Arendt, « Responsabilité personnelle et régime dictatorial » in Hannah Arendt,
Responsabilité et jugement, édition établie et préfacée par Jérôme Kohn, traduit de l’anglais par
Jean-Luc Fidel, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2009 [1964] ; Hannah Arendt, « La responsabilité
collective » in Arendt, Responsabilité et jugement, op. cit., [1968], pp. 200-201.
(264) Arendt, « Responsabilité personnelle … », op. cit., p. 69.

353
La responsabilité peut donc être « personnelle », c’est-à-dire individuelle. Elle
peut également être « politique », c’est-à-dire collective (265). Dans Responsabilité
et jugement¸ Arendt affirme que la responsabilité politique consiste en ce que
« [t] out gouvernement assume la responsabilité des actes et des méfaits de
ses prédécesseurs, et toute nation des actes et des méfaits passés » (266). Cette
affirmation s’applique également aux actes commis dans le présent étant
entendu que, comme le rappelle Michael Walzer, « la démocratie est un moyen
de distribuer la responsabilité » (267). C’est ce que nous dit Rousseau lorsqu’il
affirme qu’au travers du contrat social, l’État est l’expression de la volonté
générale des citoyens et que cette dernière confère la souveraineté au peuple (268).
Quand bien même nous considérerions avec Alain que « [d] ire que le peuple a le
pouvoir dans un régime démocratique, c’est parler sans rigueur, et c’est penser
mollement ; les déceptions suivent ; car dans le fait il est trop clair que le peuple
exerce tout au plus une fonction de contrôle sur des pouvoirs préexistants » (269),
la « fonction de contrôle » impliquerait malgré tout une responsabilité. Selon
Hans Jonas, nous avons de la même manière, et spécifiquement lorsqu’il s’agit
de technologie, une responsabilité morale vis-à vis du futur, surtout si cette
technologie est susceptible de devenir une menace (270).
À ce stade, nous voyons déjà poindre de nombreuses difficultés inhérentes
à toute réflexion sur la responsabilité. Doit-elle être abordée sur les plans
légal et moral en même temps ? Peut-on clairement séparer ces deux niveaux ?
S’agit-il d’une responsabilité collective ou individuelle ? Est-ce une responsabilité
concernant le passé, le présent ou le futur ? Autant de questions parmi d’autres
auxquelles il conviendrait de répondre avant même de penser attribuer la
responsabilité à tel ou tel individu. Cela s’avèrera d’autant plus délicat que « dans
tout système bureaucratique, déplacer les responsabilités relève de la routine
quotidienne » (271). D’autre part, il est important de noter que les réflexions sur
la responsabilité ne peuvent être détachées de celles portant sur les éventuelles
sanctions qui y sont liées (272). A ce titre l’absence de règles juridiques encadrant
l’emploi des UCAVs soulignée plus haut, implique l’absence d’un régime de
sanction nécessitant une attribution de responsabilité.
La question reste donc en suspend : qui assumera les responsabilités relatives
aux actes commis par des systèmes d’armes opérés à distance ? (273) Comment
échapper ensuite à la tentation de la recherche d’un bouc-émissaire ?

(265) Arendt, « Responsabilité personnelle … », op. cit. ; Arendt, « La responsabilité collective », op.
cit. ; Quintana, “The Ethics and Legal Implications …”, op. cit.
(266) Arendt, « La responsabilité collective », op. cit., p. 202.
(267) Michael Walzer, Just and Unjust Wars, New York ny, Basic Books, 3rd edition, 2000, p. 299.
(268) Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, II, I, Paris, Le Livre de poche, 1996 [1762], p. 61.
(269) Alain, Propos sur les pouvoirs, IV, 71, Paris, Gallimard-Folio essais, 1985, p. 192.
(270) Hans Jonas, The Imperative of Responsibility, Chicago il, The Chicago University Press, 1984.
(271) Arendt, « Responsabilité personnelle … », op. cit., p. 72.
(272) Sparrow, “Killer robots”, op. cit. ; Walzer, Just and Unjust wars, op. cit., pp. 288.
(273) Quintana, “The Ethics and Legal Implications …”, op. cit.; Mary L. Cummings, “Automation
and Accountability in Decision Support System Interface Design”, in Journal of Technology Studies,
XXXII:1, 2006, pp. 23-31; Sparrow, “Killer Robots”, op. cit.

354
L’erreur à ne pas commettre est, selon toute vraisemblance, de vouloir
échapper à notre responsabilité collective en tant que nation, et individuelle
en tant que citoyens. Le droit de vote est en ce sens une prise de responsabilité
morale de chacun vis-à-vis de l’avenir. Les décisions prises par les représentants
de la nation sont conditionnés en démocraties par les choix de chaque citoyen
supposé prendre part à la gestion de la « cité » (274).
Ainsi, si des UCAVs ou des robots de combat doivent être employés sur les
théâtres d’opérations, il existe une responsabilité des conséquences prévisibles
et imprévisibles, partagée par chaque citoyen au sein de la nation. C’est pour
cette raison que le débat sur l’emploi des UCAVs ne doit pas être limité aux
cercles institutionnels, mais doit être ouvert. Ce n’est qu’à ce prix que chacun
se sentira véritablement responsable.
Pour complexifier la réflexion, l’approche cosmopolite (275) suggère qu’il
existe un devoir moral de chaque être humain à l’égard de chaque être humain,
et que la responsabilité, loin d’être limité aux frontières d’un pays ou d’un
groupe social, doit s’étendre à l’ensemble de l’humanité. En conséquence de
quoi, l’emploi d’UCAVs ne doit pas être évalué moralement à la seul aune
de ses conséquences au plan national. C’est notamment l’idée qui sous-tend
l’impératif de responsabilité d’Hans Jonas : « Agis de façon que les effets de
ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement
humaine sur terre », ou formulé autrement « [n] e compromets pas les conditions
pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre » (276). Impératif auquel semble
vouloir répondre Ronald Arkin lorsqu’il affirme être un scientifique portant la
responsabilité de « limiter l’inhumanité de l’homme » à l’égard de ses semblables
grâce à la technologie (277).
Ce dernier point nous amène à évoquer la déresponsabilisation morale
induite par l’éloignement de la zone de combat. Avant toute réflexion, il est
important de souligner que cette question n’est en rien nouvelle et ne concerne
pas les seuls UCAVs, puisque l’allonge des armes a toujours entrainé des
débats moraux.
Milgram l’avait déjà démontré dans son étude sur l’obéissance : le fait
de ne pas voir sa « victime » facilite la déresponsabilisation et la soumission
à l’autorité perçue comme légitime (278). Cette constatation relevant d’une
étude sociologique empirique, fait écho aux travaux des philosophes de
l’intersubjectivité et notamment ceux d’Emmanuel Levinas sur l’altérité et la
responsabilité naissant de la rencontre avec le regard de l’Autre. Pour Levinas,
c’est cette rencontre avec l’Autre, qui n’est autre que moi, qui rend le meurtre
difficile, si ce n’est impossible. « L’impossibilité de tuer n’est pas réelle, elle

(274) Pour de plus amples développements voir notamment Walzer, Just and Unjust Wars, op. cit.,
pp. 296-303.
(275) Kwame Anthony Appiah, Cosmopolitanism - Ethics in a World of Strangers, New York ny, W.
W. Norton & Company, 2007, p. xv.
(276) Jonas, The Imperative of Responsibility, op. cit., p. 11.
(277) Arkin, “Ethical Robots in Warfare”, op. cit.
(278) Milgram, Obedience to Authority, op. cit.

355
est morale » nous dit-il, car « [l] e regard moral mesure, dans le visage, l’infini
infranchissable où s’aventure et sombre l’intention meurtrière » (279). C’est donc
de la découverte de l’Autre au travers du visage que nait la responsabilité pour
autrui, voire, comme le dit Levinas, la responsabilité même « de la responsabilité
d’autrui » (280). L’anonymat créé par l’emploi d’armes opérées à distance n’est
bien évidemment pas favorable à cette « rencontre », à cette prise de conscience
de l’humanité de l’Autre et de sa proximité avec soi. En conséquence de quoi,
on peut postuler le fait que la responsabilité morale sera de plus en plus difficile
à percevoir avec l’emploi de tels systèmes dans les conflits.
La psychologie vient, avec la sociologie, en appui de ce postulat puisque,
comme le montre Dave Grossman, la propension à tuer augmente en même
temps que la distance entre les adversaires (281).
L’emploi d’UCAVs, en séparant physiquement les adversaires, serait
donc susceptible de favoriser le recours à la force en effaçant le sentiment de
responsabilité morale. D’aucuns, à l’image de Nic Robertson, soulignent le fait
qu’un opérateur de drone armé peut « embrasser son épouse » puis conduire
jusqu’à son lieu de travail et quelques minutes plus tard « tuer des insurgés à
l’autre bout du monde » (282). Mary Cummings souligne quant à elle que la
distance psychologique induite par l’interface homme-machine, qu’elle appelle
« tampon moral » (moral buffer), crée une distance éthique entre l’individu et
son action (283). Ce tampon moral est renforcé par le « biais de l’automatisation »
(automation bias) consistant pour l’individu à accorder à la machine une
confiance disproportionnée, qui devient problématique dans des situations où
le temps de réaction est contraint (284).
Les interfaces hommes-machines sont donc à prendre en compte lors de
la conception des UCAVs. D’autant que, bien que bénéficiant d’une haute
définition, ils ne permettent pas de remplacer le contact visuel direct. Pour
exemple, et comme le soulignent Gerhard Dabringer et John Canning, un
des problèmes posés par les conflits contemporains réside dans la capacité
des soldats à distinguer « un insurgé d’un civil innocent » dans la limite où ils
sont « habillés de la même manière et se ressemblent » (285). Nous revenons ici
à la frontière poreuse entre droit et morale au travers de l’application de la
discrimination entre combattants et non-combattants, imposée par le droit des
(279) Emmanuel Levinas, Difficile liberté, Paris, Albin Michel, Le Livre de poche, 8e édition, 2007
[1984], p. 26 ; Emmanuel Levinas, Ethique et infini, Paris, Fayard, Le Livre de poche, 14e édition,
2008 [1982], pp. 79-98.
(280) Levinas, Ethique et infini, op. cit., p. 96 ; Emmanuel Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de
l’essence, Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de poche, 7e édition, 2011 [1990], pp. 22-25.
(281) Dave Grossman, On Killing. The Psychological Cost of Learning to Kill in War and Society,
New York ny, Back Bay Books, 2009, p. 98.
(282) Nic Robertson, “How robot drones revolutionized the face of warfare”, CNN, July 23, 2009.
(283) Cummings, “Automation and Accountability …”, op. cit., p. 23.
(284) Ibid., p. 25.
(285) John Canning and Gerhard Dabringer, “Ethical Challenges of Unmanned Systems”, in Gerhard
Dabringer (Hg.), Ethical and Legal Aspects of Unmanned Systemes. Interviews, Ethica Themen,
Intitut für religion and Frieden, Amtliche Publikation der Republik Österreich/ Bundesminister für
Landesverteidigung und Sport, 2010, p. 16.

356
conflits armés sur la base des principes moraux issus de la tradition de la guerre
juste. Les risques d’erreurs et de frappes sur des non-combattants, avec leurs
conséquences, sont donc d’autant plus importants que l’opérateur ne bénéficie
pas d’une image lui permettant d’opérer cette distinction fondamentale déjà plus
que délicate dans les conflits contre-insurrectionnels contemporains. Si ce risque
peut être frappé du sceau de l’immoralité, il faut rappeler que la permanence que
permettent les systèmes de drones permet d’avoir une meilleure connaissance
situationnelle (286), pouvant dans certains cas limiter les potentialités d’erreurs. Il
faut également mettre au regard de la supposée immoralité de la mort de non-
combattants, le fait que les systèmes déportés permettent d’épargner les soldats
nationaux. Il serait ici difficile, si ce n’est strictement impossible de postuler
la primauté de la vie d’un non-combattants sur la celle d’un combattant, ou
celle d’un national sur celle d’un étranger. Ce seul sujet mériterait un chapitre
entier sur la valeur de la vie en philosophie. Cependant, sur le plan pratique,
il serait tout aussi difficile d’expliquer à des familles de militaires morts ou
blessés au combat, que les moyens qui auraient pu permettre de les épargner
n’ont pas été utilisés pour des motifs déontologiques liés à la valeur de la vie
de nos adversaires (287). Ne pas utiliser de tels moyens reviendrait à rompre le
contrat social hobbesien reposant sur l’idée que l’État n’existe que pour assurer
la préservation de ceux qui ont consenti à limiter leur liberté en se plaçant sous
son autorité (288). Éternel débat éthique entre la déontologie et la téléologie.
La déresponsabilisation morale est par ailleurs accentuée par la playstation
mentality (289), et les risques liés à la difficulté de faire une différence nette entre
environnements de loisir (jeux vidéos de guerre hyperréalistes) et environnements
de travail. En effet, l’acculturation à certaines formes de violence au travers de
la télévision, mais plus particulièrement des jeux vidéo, laisse planer un doute
sur la capacité des jeunes générations de militaires à différencier correctement
ce qui est virtuel de ce qui est réel. C’est le paradoxe de la réalité-virtuelle. Ce
flou entre virtualité et réalité est certainement accentué par le recours à des
simulateurs d’entrainements dans la formation des militaires. Des jeux de guerre
hyperréalistes, tel que Modern Warfare 3, à la cabine d’opérateur d’UCAVs, en
passant par les simulateurs de combat, la frontière entre réel et virtuel devient
facilement poreuse malgré les déclarations rassurantes de certains intéressés
assurant être « pleinement conscients de ce qu’ils font ». Il n’en demeure pas
moins qu’aux États-Unis où les pilotes de combats expérimentés manquent
pour opérer les nombreux drones américains déployés, le recrutement de jeunes
militaires démontrant de réelles facilitées à jouer à des jeux vidéo fait débat. A
tel point que l’armée américaine à mis au point « un programme d’entraînement
expérimental pour les cadets de l’Air Force issus de la videogame generation » (290).

(286) Ibid., p. 9.
(287) Sparrow, “Killer Robots”, op. cit., pp. 67-68.
(288) Hobbes, Léviathan, II, 17, op. cit.
(289) Chris Cole, Mary Dobbing and Amy Hailwood, “Convenient Killing: Armed Drones and the
‘Playstation’ Mentality”, The Fellowship of Reconciliation, September 2010.
(290) Robertson, “How robot drones …”, op. cit.

357
A l’absence de contact visuel réel et à l’interface rappelant les environnements
de jeu, l’absence de danger vient ajouter à la complexité des ces riskless
warfare (291).
Ce type d’engagement remet en question l’identité même du combattant
qui ne partage pas le risque du combat (292). Le gentleman agreement, parfois
formalisé sous forme de droit positif, est alors contesté. Le militaire opérateur
d’UCAVs perd non seulement la notion de la réalité du recours à la force,
mais également la spécificité de son métier. Il est alors interchangeable avec
des civils au travers d’une « civilianisation » des armées et de l’externalisation
de certaines fonctions. D’où les débats sur les targetted killings et le recours
aux opérateurs civils de la Central Intelligence Agency pour opérer les UCAVs
dans le cadre du conflit afghan. D’autre part, le fait que l’opérateur d’UCAV
n’a pas d’espace de décompression et d’échanges entre sa mission et son
environnement familiale, peut renforcer ce sentiment de fonctionnarisation
banalisant les missions menées, fussent-elle de guerre. Dans le même temps la
perception du combattant est faussée chez l’adversaire qui, de manière plus
ou moins honnête, s’empresse de souligner sa supposée « couardise ». L’aspect
moral de l’emploi des UCAVs sera sûrement instrumentalisé par des acteurs
eux-mêmes condamnables au regard de la moralité de leurs actions. Malgré
tout, dans le cadre de conflits contre-insurrectionnels pour lesquels « gagner les
cœurs et les esprits » est devenu un objectif à part entière, ce type de perception
peut peser défavorablement. Il ne faut cependant perdre de vue que l’emploi
d’armes opérées à distance permet d’épargner la vie de soldats nationaux. De
fait, même si la « possibilité de guerres sans risque pour un seul camp, peut
potentiellement être perçue comme injuste » (293) par nos adversaires, elle peut
sembler moralement justifiée par les nationaux.
L’éventuelle civilianisation des opérateurs nous amène à cette autre
problématique qu’est le risque de fonctionnarisation. Le sujet n’est pas nouveau
et a notamment fait l’objet de travaux très intéressants aux États-Unis où Charles
Moskos notait, dès 1977, un glissement des armées américaines d’un modèle
« institutionnel », fondé sur le respect de normes et de valeurs transcendant
l’intérêt individuel, vers un modèle « occupationnel » (ou bureaucratique) marqué
par une logique commerciale et tourné vers l’intérêt personnel des acteurs (294).
Le modèle I/O (pour Institutional/Occupational), amenait par ailleurs l’auteur
à se demander si le métier des armes était « plus qu’un job » (295). Ces travaux
ont par la suite été repris et enrichis par de nombreux sociologues montrant

(291) Cole et al., “Convenient Killing ...”, op. cit. ; Kahn, “The Paradox of Riskless Warfare”, op. cit.
(292) Canning and Dabringer, “Ethical Challenges of Unmanned Systems”, in Dabringer, Ethical and
Legal Aspects ..., op. Cit., p. 14.
(293) Kahn, “The Paradox of Riskless Warfare”, op. cit.
(294) Charles C. Moskos, “From Institution to Occupation: Trend in Military Organization”, Armed
Forces and Society, 4, 1, Fall 1977, pp. 41-50.
(295) Charles C. Moskos and Frank R. Wood (Eds.), The military: more than a job? Washington,
Pergmanon-Brassey’s, 1988.

358
l’importance de ce phénomène de banalisation du métier des armes (296). On ne
peut donc envisager la question du rôle des opérateurs hors ce cadre général
qui, bien qu’appliqué aux forces américaines, offre quelques pistes de réflexions
pour les armées françaises et un cadre de compréhension aux inquiétudes
émises par certains sur la fonctionnarisation des opérateurs de drones et ses
éventuelles conséquences (297). La question peut alors être légitimement posée
de savoir si une potentielle fonctionnarisation associée à une civilianisation
effective pourraient mener à terme à recruter des personnels civils pour opérer
des drones armés.
La distanciation et la déresponsabilisation qui l’accompagne, sont
susceptibles d’entrainer une déshumanisation de l’adversaire. Le tampon moral
qui s’établit entre l’opérateur et ses actes, favorise une tendance déjà démontrée
au détachement émotionnel et au déni de l’humanité de la victime. L’adversaire
est alors considéré non plus comme un être humain à part entière mais comme
une « chose », un « non-humain ». C’est notamment au travers de ces mécanismes
de déresponsabilisation morale, associés à des fragilités psychologique ou à
un caractère effacé et soumis, que certains individus ont pu sombrer dans ce
que Philip Zimbardo appelle le Lucifer effect (298) et que Hannah Arendt avait
déjà évoqué au travers de l’idée de « banalité du mal » (299).
De nombreux travaux en psychologie démontrent par ailleurs, qu’un
sujet amené à faire usage de la force, létale ou non, à l’égard d’un autre sujet
recours à des processus cognitifs relatifs à l’attribution ou non, d’une forme
d’intelligence à la victime potentielle. Dans la pratique, il est désormais admis
que pour éviter une situation de dissonance, caractérisée par un différentiel
entre les valeurs morales de l’individu et la moralité de la violence dont il
fait usage, celui-ci se réfugie dans un déni d’humanité de l’autre, fondé sur
l’absence d’intelligence ou d’esprit (300). Pour priver l’autre de son statut
d’humain, l’individu peut l’associer à un animal ou à une machine (c’est-à-
dire un objet) (301). Aristote ne parlait-il pas de l’esclave comme instrument (302)

(296) Voir en particulier les travaux de David R. Segal, Young HeeYoon, Bernard Boëne, Jean Joana
ou encore Giuseppe Caforio.
(297) Cole et al., “Convenient Killing ...”, op. cit., p. 7; Robertson, “How robot drones …”, op. cit.
(298) Philip Zimbardo, The Lucifer Effect: Understanding How Good People Turn Evil, London
United Kingdom, Random House, 2007.
(299) Hannah Arendt, Eichmann in JerUsalem. A Report on the Banality of Evil, New York ny,
Penguin Classics, 2006[1963].
(300) Voir notamment : Adam Waytz, Kurt Gray, Nicholas Epley and Daniel M. Wegner, “Causes
and consequences of mind perception”, Trends in Cognitive Science, 14, 2010, pp. 383-388; Gray, H.
M., Kurt Gray and Daniel M. Wegner, “Dimensions of mind perception”, Science, 315, 2007, p. 619;
Kurt Gray and Daniel M. Wegner, “Moral typecasting: Divergent perceptions of moral agents and
moral patients”, Journal of Personality and Social Psychology, 96, 2009, pp. 505-520; Brock Bastian,
Simon M. Laham, Sam Wilson, Nick Haslam and Peter Koval, “Blaming, praising and protecting
our humanity: The implications of everyday dehumanization for judgments of moral status”, British
Journal of Social Psychology, 50, 2011, pp. 469-483.
(301) Nick Haslam, Yoshihisa Kashima, Stephen Loughnan, Junqi Shi, and Caterina Suitner (2008).
Subhuman, Inhuman, and Superhuman: Contrasting Humans with Nonhumans in three Cultures.
Social Cognition 26, Special Issue: Missing Links in Social Cognition, 248-258.
(302) Aristote, Politique, I, II, op. cit.

359
au service du maître considérant même que « l’utilité des animaux privés et
celle des esclaves sont à peu près les mêmes » (303). Il devient alors plus facile
d’exercer sur lui des violences quelles qu’elles soient. De nombreux exemples
de déshumanisation ont récemment été médiatisés dans le cadre des conflits
Irakien et Afghan. Ce phénomène loin d’être « hors normes » est inhérent au
phénomène guerrier comme l’indique Jonathan Shay qui appelle d’ailleurs au
« respect de l’ennemi comme humain » (304).
La guerre « par écran interposé », l’emploi d’interfaces ne permettant pas
de « voir » clairement les êtres humains, et la difficulté à différencier réalité et
virtualité, sont des facteurs qui a n’en pas douter facilitent la déshumanisation.
Or la prise de conscience de l’humanité de l’Autre, nous l’avons vu, passe
par un contact direct avec cet Autre. Pour Levinas, cette proximité physique
favorise à son tour l’empathie permettant de limiter la violence. Ce qui est en
jeu ici ce n’est pas l’Autre en tant qu’homme mais en tant qu’être. Cet autre
moi-même, qui par réciprocité mérite les mêmes égards auxquels je peux moi-
même prétendre. Il ne suffit donc pas de voir l’image de l’autre au travers d’un
écran, il faut se ressentir « soi-même comme un autre » pour paraphraser Paul
Ricœur, ou ressentir l’autre comme soi-même.
De manière synthétique la déshumanisation de l’adversaire offre un
confort intellectuel à celui qui doit recourir à la force à l’encontre d’un être
humain. Cette déshumanisation permet de se détacher émotionnellement de
sa cible, d’éviter les phénomènes de dissonance (potentiellement générateurs
de troubles de stress post-traumatiques) et de se départir de tout ou partie de
sa responsabilité dans l’acte ainsi perpétré. Ces quelques éléments de réflexions
nous amènent à considérer la conviction d’humanité, supposée intériorisée par
les militaires français, comme douteuse et largement critiquable. Le simplisme
consistant à croire que cette conviction est acquise est pénalisant en ce qu’il
interdit tout débat sur le délicat sujet de la déshumanisation de l’adversaire,
qu’il n’offre pas d’espace d’expression à ceux qui l’ont vécu, et qu’il a pour
conséquence une indignation teintée d’incompréhension, de la part notamment
des opinions publiques, lorsque cette déshumanisation s’exprime sur un théâtre.
Soulignons enfin, que si cette conviction d’humanité existait, il aurait nullement
été nécessaire de formaliser le principe d’humanité en droit positif au travers
du droit des conflits armés.
Une conséquence de la déresponsabilisation et de la distanciation morale
pourraient être une plus grande propension des opérateurs à recourir à la force
létale. Ce potentiel abaissement du seuil de recours à la force doit également
être envisagé dans le cadre d’un recours à la violence facilité au niveau politique
en raison de la minimisation des risques, et donc des victimes. En effet, selon
certains commentateurs, l’emploi d’UCAVs, ou plus généralement de systèmes de

(303) Ibid., I, II, 14, op. cit.


(304) Jonathan Shay, Achilles in Vietnam. Combat Trauma and the Undoing of Character, New York
ny, Scribner, 2003, pp. 193-199 et 202-203.

360
combat robotisés, amènerait à un abaissement du seuil de recours à la force (305)
qui violerait les règles du jus ad bellum, c’est-à-dire du droit à recourir à la
guerre. L’absence de risques encourus par les opérateurs d’UCAVs, risquerait
de favoriser l’utilisation de ces systèmes puisqu’ils permettraient d’éviter les
pertes humaines chez les militaires nationaux et donc de ne pas engager la
responsabilité des dirigeants politiques ayant décidé une intervention. De là
découle l’idée qu’intervenir militairement serait plus aisément accepté par
les opinions publiques et que conséquemment le recours à la force en serait
largement facilité. Le recours aux UCAVs sera ainsi favorisé par le fait que
l’autorité politique n’aura pas à justifier de pertes. La minimisation du nombre
de victimes associée à des perceptions attribuant à la guerre des aspects rappelant
les jeux, faciliterait donc la violation par les États de l’un des principe de la
tradition de la guerre juste affirmant que le recours à la guerre ne doit être
envisagé qu’en dernier ressort. Ce principe, que nous devons aux travaux de
Francisco Vitoria et de son disciple Francesco Suárez, insiste sur le fait qu’une
guerre ne peut être déclenchée que si toutes les options de négociations ont été
épuisées. La guerre doit être l’ultime ressort (ultima ratio). La crainte née de
l’emploi d’UCAVs porte donc sur leur utilisation potentielle alors que d’autres
voies permettant d’éviter le recours à la force n’ont pas été explorées. Autre
élément à prendre en compte : l’absence de débat démocratique qui pourrait
découler d’une utilisation non transparente des UCAVs (306). Quoiqu’il en soit
une attention particulière devra être portée à la question de l’abaissement du
seuil de recours à la force qui pourrait découler de l’emploi des drones armés
en replaçant ce problème dans celui plus large de la responsabilité.
Il ressort donc de ces différents éléments que le problème majeur en termes
de morale est celui de l’attribution des responsabilités pour les exactions pouvant
être commises du fait de l’emploi d’UCAVs. Il est donc aujourd’hui essentiel
d’être clair sur les objectifs et les modalités de recours à ces systèmes. De la
même manière, la responsabilité morale ne doit pas être uniquement envisagée
a posteriori dans le cadre d’une justice morale. Elle doit également être, comme
nous y invite Hans Jonas, réfléchie a priori de manière à comprendre que chaque
décision prise aujourd’hui aura des conséquences demain et qu’à chacune de
ces conséquences seront associées des responsabilités. La question n’est donc
pas uniquement de savoir qui est responsable des exactions commises avec
des UCAVs, elle est aussi de savoir qui accepte dès aujourd’hui d’engager sa
responsabilité pour celles qui seront perpétrées dans l’avenir.
Les développements technologiques nous confrontent inéluctablement à
de nouveaux enjeux de responsabilité. Hans Jonas, nous l’avons vu, appelle
à un impératif de responsabilité à l’égard de l’humanité et du futur, partant
du principe que si l’on peut risquer sa propre vie, on ne peut risquer celle
de l’humanité (307). Pour Jonas l’exercice de cette responsabilité nécessite
(305) Simon Roughneen, “Robots Wars: The Hal Factor”, ISN-ETH Zurich, 25 September 2009;
Quintana, “The Ethics and Legal Implications …”, op. cit.  ; Sparrow, “Killer Robots”, Journal of
Applied Philosophy, vol. 24, No. 1, 2007.
(306) Robertson, “How robot drones …”, op. cit.
(307) Jonas, The Imperative of Responsibility, op. cit., p. 11.

361
trois conditions. Premièrement, l’acte considéré doit avoir un impact sur le
monde. Deuxièmement, cet acte est sous le contrôle de l’agent qui l’initie.
Enfin, ses conséquences sont prévisibles dans certaines limites (308). Pour ce
qui concerne l’emploi d’UCAVs il est évident que les trois conditions sont
réunies. Indiscutablement leur emploi a déjà, et aura encore, une influence sur
la conduite des conflits modernes et donc sur les relations entre belligérants à
travers le monde. Ensuite, comme nous l’avons souligné, l’autonomie morale
des UCAVs n’étant pas à l’ordre du jour, leur mise en œuvre demeurera encore
pour longtemps sous contrôle humain. Enfin, les conséquences de leur emploi
sont au moins en partie prévisibles. En conséquence de quoi, il sera difficile
d’échapper à notre responsabilité morale concernant l’emploi d’UCAVs sur les
futurs théâtres d’opération. Cette responsabilité, faut-il le rappeler est d’ores
et déjà à l’œuvre. Elle est individuelle puisque nul ne peut, comme le souligne
Arendt, diluer sa responsabilité dans le collectif (309). Elle est également collective
dans la limite où elle est le corollaire de la vie en société (310). Elle porte sur ce
qui a déjà été fait, ce qui est en cours et sur l’avenir. Cette responsabilité, enfin,
est tournée vers l’humanité, vers les Autres (311).
Si les évolutions technologiques à n’en pas douter, sont génératrices de
nouvelles problématiques légales, elles ne mènent pas systématiquement à
de nouveaux questionnements moraux. Bien évidemment les débats moraux
relatifs à l’utilisation de tel ou tel système d’arme sont nombreux. Cependant,
il ne semble pas que le développement et l’emploi de d’UCAVs présentent des
caractéristiques inédites en la matière.
Indiscutablement les juristes trouveront en la matière un terrain favorable
à la réflexion, et la mise en place de normes juridiques encadrant l’emploi des
UCAVs demandera de l’énergie. Mais « droit » n’a jamais été synonyme de
« morale ».
L’emploi de systèmes létaux de combat opérés à distance interroge forcément
sur le plan moral, mais ni plus ni moins que d’autres systèmes tels que les
missiles. Certes la question de l’autonomisation des systèmes d’armes suscite
de nombreuses interrogations. Pour autant, et nous l’avons évoqué, il demeure
un flou autour du sens à donner à ce terme. Sur le plan philosophique il est clair
que la perspective de systèmes dotés d’une autonomie équivalente à celle des
êtres humains relève aujourd’hui encore de la science-fiction. S’il advenait que
des robots soient capables de mettre en œuvre des capacités cognitives humaines,
la question à poser serait alors de savoir ce qui différencie fondamentalement
un être de chair et de sang, d’un être robotique. La médecine permet d’ores et
déjà de faire de certains humains des quasi-robots en les équipant de prothèses
robotisées. Ne sommes-nous pas tous des quasi-robots, nous qui étendons
nos capacités physiques et intellectuelles grâce à la technologie ? Que dire des
militaires entrainés à respecter des processus, à obéir à des ordres, à combattre

(308) Ibid., p. 90.


(309) Arendt, « Responsabilité personnelle et régime dictatorial », op. cit.
(310) Arendt, « La responsabilité collective », op. cit.
(311) Levinas, Ethique et infini, op. cit, 2008 [1982]

362
à grand renfort de technologie ? La voiture, le smartphone, l’ordinateur, les
robots ménagers et autres automatismes qui nous accompagnent dans notre
quotidien interrogent sur la frontière de plus en plus ténue existant entre l’homme
et la machine. Certains soldats américains en Irak ont par ailleurs développé
des relations très fortes avec des robots démineurs, et nos enfants s’entichent
aujourd’hui d’animaux domestiques robotisés à tel point que l’attachement
sentimentale à la machine, pour peut qu’elle soit anthropomorphe, lui confère
un statut de quasi-être humain.
De fait, la question de l’autonomie morale des UCAVs, si elle mérite bien
évidemment d’être traitée, invite préalablement à une réflexion approfondie sur
l’autonomie morale de l’être humain en général et du militaire en particulier.
On verra certainement alors que l’« esprit libre » si cher à Nietzsche ou même
« l’homme de caractère » que le général de Gaulle appelait de ses vœux dans Le
fil de l’épée, relèvent plus de l’idéal que d’une quelconque réalité, et qu’au final
un robot doté de capacités cognitives n’aura pas de raison d’être moralement
plus inquiétant qu’un être humain.
Cela étant, des systèmes capables de réfléchir dans l’abstrait et bénéficiant de
liberté d’esprit ne sont pas prêt de voir le jour. Si un certain degré d’autonomie
technique peut être envisagé, sur le plan moral c’est l’hétéronomie qui prévaudra
encore pour longtemps. Exit donc le syndrome WOPR renvoyant au film
Wargames, dans lequel un super ordinateur doté d’une intelligence artificielle
déclenchait une guerre en toute autonomie. La question demeure donc de
savoir qui sera tenu responsable des actes perpétrés par les robots en général
et les UCAVs en particulier.
En la matière la notion de responsabilité peut être abordée sous différents
angles. En termes de morale, la responsabilité est une notion complexe à la
fois englobante et individuante, s’inscrivant dans le passé, le présent et le futur.
Si Sparrow considère que la responsabilité est difficilement attribuable (312),
Walzer, au contraire, considère que les responsabilités doivent être partagées
par les militaires, les citoyens et les dirigeants politiques (313).
L’essentiel des problèmes moraux relatifs à l’emploi des UCAVs seront
liés à cette question de la responsabilité. Nul besoin ici de créer de nouveaux
problèmes. Les philosophes ont largement débattu sur le sujet et les UCAVs ne
présentent aucune spécificité nécessitant de repenser la notion de responsabilité.
Dans la limite où ils s’inscrivent dans la longue évolution des systèmes d’armes
et ne présentent aucun caractère d’une révolution menant à l’apparition d’un
nouveau paradigme moral. La technologie, en ce qu’elle peut devenir une
menace, nous mène indubitablement vers de nouvelles responsabilités nous
disait Hans Jonas dès 1979. Faut-il dès lors considérer avec Bentham que cette
responsabilité doit viser au plus grand bien du plus grand nombre ? Faut-il avec
les philosophes du cosmopolitisme se sentir responsable à l’égard de l’humanité
entière ? Ou bien faut-il privilégier la responsabilité que chaque État a à l’égard

(312) Sparrow, “Killer robots”, op. cit.


(313) Walzer, Just and Unjust wars, op. cit.

363
des ses citoyens ? En la matière les réflexions de Hobbes sur le rôle de l’État
peuvent apporter un éclairage intéressant. N’affirmait-il pas que « [l] a fin
de cette institution [l’État] étant la paix et la défense de tous, et, quiconque
ayant droit à la fin et aux moyens, il revient à tout homme ou assemblée qui
possède la souveraineté d’être juge à la fois des moyens de paix et de défense,
ainsi que de ce qui les entrave ou les dérange, et de faire tout ce qu’il pensera
nécessaire de faire par avance pour préserver la paix et la sécurité, en prévoyant
les désaccords à l’intérieur et l’hostilité de l’étranger, comme aussi de rétablir
la paix et la sécurité lorsqu’elles ont disparu ? »(314)
La véritable responsabilité portera sur la valeur donnée à la vie sans
différence de nationalité, de religion, de conviction politique ou d’autres facteurs
discriminants. Or les conflits, contrairement au discours sur les guerres « zéro
mort », se caractérisent par leur relation spécifique à la vie et la capacité que
chacun des belligérants a d’épargner celles de ses adversaires ou au contraire
d’y mettre un terme. Les UCAVs n’apportent rien d’inédit au débat. Ils
convoquent simplement à nouveau le débat opposant les déontologues aux
conséquentialistes. Il faudra que chacun choisissent son camp et en assume les
conséquences. S’interroger et débattre sur la moralité du recours à des UCAVs
est sans nul doute nécessaire, mais l’histoire de la guerre nous montre qu’il est
fort peu probable qu’un État, quel qu’il soit, se départe d’un outil lui conférant
des avantages tant stratégiques que politiques sur ses adversaires. Il y a, dès
lors, fort à parier que le tropisme politique sera conséquentialiste et que la
déontologie trouvera sa voie dans la formalisation de règles de droit positif.
Les questions morales et éthiques entourant l’emploi de systèmes de drones
armés sont, comme nous l’avons vu, nombreuses. Bien d’autres sont à venir.
Cependant, à y regarder de prêt, ces débats n’occuperons que quelques personnes
et ils seront rapidement relégués au second plan de considérations beaucoup plus
pratiques et pragmatiques correspondant à l’affirmation de Hobbes que « [à]
cause de cette défiance de l’un envers l’autre, un homme n’a pas d’autre moyen
aussi raisonnable que l’anticipation pour se mettre en sécurité, autrement dit
se rendre maître, par la force et les ruses de la personne du plus grand nombre
possible de gens, aussi longtemps qu’il ne verra pas d’autre puissance assez
grande pour le mettre en danger. Il ne s’agit là de rien de plus que ce que sa
propre conservation requiert – ce qui, généralement est permis. » (315)
Dans le Phèdre de Platon l’âme est représentée comme un attelage ailé
composé de deux chevaux représentant la part rationnelle de l’homme et ses
passions irrationnelles, dirigé par la raison elle-même figurée par un cocher (316).
Notre responsabilité à l’égard de l’emploi d’UCAVs sur les théâtres d’opérations,
réside essentiellement dans notre capacité à diriger cet attelage au mieux et à
assumer les conséquences de nos choix.

(314) Hobbes, Léviathan, II, 18, op. cit., p. 296.


(315) Hobbes, Léviathan, I, 13, op. cit., p. 222.
(316) Platon, Phèdre, 246a-254e.

364
Moral Predators : le devoir
d’opérer des véhicules inhabités*
Bradley J. Strawser

Le risque non nécessaire et Le devoir d’opérer des véhicuLes


aériens inhabités

L’emploi létal de véhicules aériens inhabités (UAV, Unmanned Aerial Vehicles)


par quelques États-nations occidentaux (principalement les États-Unis) s’est
brusquement accru sur plusieurs théâtres d’opérations (Afghanistan, Pakistan,
Yémen et autres) (317). L’émergence de cette technologie a suscité un vaste débat
autour de la justification éthique de son emploi. D’aucuns considèrent que ces
drones créent une forme de guerre particulièrement asymétrique qui est vile ou
déshonorante. D’autres soutiennent que les UAV entravent le respect de certains
principes du jus in bello. Certains affirment que ces drones créent des conflits
psychologiques chez leurs opérateurs (qui se trouvent souvent à des milliers de
kilomètres distance) provoquant une dissonance cognitive inacceptable dans
l’esprit du combattant. D’autres encore se montrent préoccupés par ces drones
qui conduisent des éliminations ciblées (targeted killings) pour des agences
gouvernementales non militaires (comme la CIA), ainsi que par leur emploi
actuel. Une inquiétude fut émise quant au fait que les UAV pourraient ouvrir
la voie à des armements autonomes prenant seuls des décisions de nature létale.
Enfin, pour certains, en écartant le pilote du théâtre des combats, un degré
de guerre asymétrique est atteint de sorte que le seuil de risque pour un État

* Une version de ce chapitre a été initialement publiée sous le titre « Moral Predators : The Moral
Obligation of Unmanned Aerial Vehicles », dans le Journal of Military Ethics, décembre 2010, vol. 9,
no 4, pp. 342-368. Ce chapitre est une version considérablement revue de cette version initiale. Parmi
d’autres changements, certaines parties ont été éliminées et d’autres furent rajoutées. L’auteur tient à
remercier Jeff McMahan, Martin Cook, Uwe Steinhoff, Avery Plaw, Paul Bloomfield, Shawn Kaplan,
Andrew Ely, Alexis Elder, Casey Johnson, Donald Joy, Matt Hallgarth, John Sherman, Abbilynn
Strawser et Bill Rhodes pour leurs observations, commentaires et conseils fort utiles à différentes
étapes de la rédaction. L’auteur tient à remercier tout particulièrement Stephen Kershnar pour son aide
et ses critiques, sans oublier les relecteurs anonymes et les éditeurs du Journal of Military Ethics, mais
également les participants de l’édition 2010 de l’International Society of Military Ethics Conference
ainsi que ceux du 7th Global Conference on War and Peace lors de laquelle furent présentés certains
développements de ce chapitre. Enfin, l’auteur est redevable aux membres du UConn Ethics Summer
Reading Group pour la discussion approfondie de ce chapitre.
(317) On suppose également (quand bien même cela n’ait été vérifié) que des UAV aient pu être
opérés à des fins létales en d’autres endroits, notamment à Gaza, par les forces de défense israéliennes.
Pour désigner ces systèmes d’armes contrôlés à distance, j’utiliserai principalement dans ce chapitre
l’acronyme UAV (Unmanned Aerial Vehicles – véhicules aériens inhabités) et occasionnellement le
terme drones. Pour les UAV employés à des fins de combat létaux j’utilise parfois l’acronyme UCAV
(Uninhabited Combat Aerial Vehicles – véhicules aériens de combat inhabités), mais je n’emploierai
pas ici cet acronyme. Voir ci-dessous pour des clarifications supplémentaires quant à ces termes, ainsi
que quelques distinctions importantes. Pour une classification plus approfondie des différents types de
systèmes d’armes contrôlés à distance voir Sparrow (2009).

365
donné est trop diminué – il devient ainsi trop aisé de faire la guerre pour un
État opérant des drones ; leur emploi est donc éthiquement pernicieux.
Je considère que l’emploi des UAV constitue une obligation éthique. Celle-ci
est basée sur l’exigence morale qui vise à éviter que les agents justes encourent
un risque inutile. En effet, j’affirme qu’en principe il n’y a pas plus à soulever
des préoccupations éthiques particulières quant à ce système d’armes que pour
d’autres technologies plus classiques. Soit les préoccupations précédemment
évoquées sont mal ciblées, et ne contestent pas l’obligation éthique qu’il y
a à employer des UAV, soit elles ne s’élèvent pas au niveau qui permet de
l’emporter sur les principes constituant le fondement de l’obligation éthique
d’employer des UAV. J’affirme que les systèmes d’armes contrôlés à distance
ne sont qu’une extension d’une longue évolution historique visant à mieux
protéger le combattant en l’éloignant toujours plus de son ennemi. Les UAV ne
représentent qu’une différence de degré sur cette voie ; rien dans leur emploi à
distance ne les place dans une catégorie éthique différente. Ainsi, l’éloignement
d’une arme donnée ne constitue pas un facteur pertinent pour déterminer si
son emploi est justifié. Quant à son emploi justifié, et comme pour tous les
armements, ce qui compte est le fait de savoir si cette arme est utilisée contre
une cible correctement identifiée et pour une cause juste au regard des critères
de proportionnalité et de nécessité. Mon argumentaire repose sur la prémisse
selon laquelle si un agent entreprend une action moralement justifiée, mais qui
implique des risques, il existe un impératif moral de le protéger dès lors que
cela est possible, à moins qu’il existe un bien compensatoire qui l’emporte sur
la protection de l’agent. Ce principe devrait être appliqué à la protection des
agents justes accomplissant les actes risqués de la guerre justifiée de la même
manière qu’il devrait l’être pour d’autres actes justifiés. Ainsi, je montrerai
que l’emploi d’UAV, technologie protégeant mieux les combattants (a priori)
justes, est éthiquement obligatoire et nullement source de méfiance. Après des
développements préliminaires, je commencerai par présenter l’argumentaire
soutenant l’obligation éthique qu’il y a à employer des armements contrôlés
à distance. Je passerai ensuite en revue les différentes préoccupations d’ordre
éthique qui apparaissent comme de présumés problèmes pour la mise en œuvre
des UAV et montrerai que chacune de ces inquiétudes est décalée ou n’est pas
en mesure de s’opposer à l’obligation éthique de leur emploi.

Les armes à distance comme éthiquement obLigatoires


La couverture médiatique de l’emploi militaire des armements inhabités
contrôlés à distance et le débat public entourant celui-ci sont actuellement en

366
vogue (318). Il est donc surprenant, étant donné cette toile de fond, que l’obligation
éthique d’opérer des UAV n’ait pas encore été définitivement établie. C’est
précisément ce que je souhaite faire dans ce chapitre. Premièrement, quelques
distinctions s’imposent quant à la finalité des affirmations que je ferai dans
ce chapitre. Tout d’abord, je traiterai des aéronefs connus sous l’appellation
de « véhicules aériens inhabités » (UAV) ou drones (319), actuellement opérés
par les États-Unis et d’autres forces armées occidentales et de l’OTAN. On
trouve parmi d’autres exemples les MQ-1 Predator et MQ-9 Reaper de General
Atomics (320). Les UAV furent employés pendant un certain temps comme
aéronefs de reconnaissance, mais ce n’est que récemment que ces plates-formes
furent opérées à des fins létales. Je n’entends, lorsque je fais référence aux UAV,
que les seuls aéronefs contrôlés par des humains, au minimum lorsqu’il s’agit
d’actions létales exécutées par l’appareil. Les systèmes d’armes autonomes, qui
peuvent conduire des actions létales en dehors d’une décision humaine – qui
peuvent opérer « de manière indépendante » – seront traités ci-après dans le
cadre de l’objection 1. Finalement, ma discussion relative à l’obligation éthique
d’opérer des UAV pourrait être appliquée, mutatis mutandis, à tout système
d’armes létal contrôlé à distance, y compris terrestre ou naval (321).
J’affirme que dans certains contextes l’emploi des UAV est non seulement
acceptable d’un point de vue éthique, mais qu’il est, en réalité, éthiquement

(318) Peter W. Singer (2009) a acquis une large notoriété et nombre de ses travaux traitent des
préoccupations éthiques liées aux drones. Des événements récents — comme les violations potentielles
du jus in bello par les drones Predator en Afghanistan — ont bénéficié d’une attention considérable
des médias internationaux. Différents groupes de défense des droits de l’homme ont sonné l’alarme
au sujet des récentes frappes israéliennes menées à Gaza par des Predators et qui auraient visé des
non-combattants. Rien que l’année passée, des publications comme New Yorker, Atlantic, Washington
Post, Scientific American, New York Times, et des médias comme NPR et PBS, ont diffusé des rapports
détaillés et plusieurs reportages extrêmement critiques sur l’emploi des UAV. En outre, nombreux sont
ceux, au sein même de la communauté militaire américaine, qui ne mettent pas en question l’efficacité
des UAV, mais expriment des inquiétudes de principe, comme celles évoquées ci-dessus, quant à leur
usage. Cela constitue actuellement un thème très largement abordé lors des conférences en éthique
militaire.
(319) Pour désigner ces aéronefs, on utilise parfois l’appellation Remotely Piloted Vehicles – véhicules
pilotés à distance (RPV). C’est notamment le cas au sein de l’US Air Force, ce qui pourrait s’expliquer
par des raisons de communication relatives aux inquiétudes que portent en eux les systèmes d’armes
autonomes. « RPV » accentue le fait que ces véhicules sont toujours contrôlés par des pilotes humains.
Le fait que l’on puisse observer dans le discours courant l’abandon du vocable UAV au profit de
RPV montre le besoin que ressentent certains membres de la communauté militaire (et notamment
la communauté de pilotes de l’United States Air Force) de souligner que ces aéronefs nécessitent
toujours des pilotes humains. Pour plus de détails sur ce phénomène, voir Fitzsimonds et Mahnken
(2007). Par ailleurs, pour plus de distinctions entre les types de systèmes d’armes inhabités et leurs
classifications, voir Sparrow (2009). Voir également Sparrow (2007).
(320) Pour des descriptions utiles de l’évolution historique qui a conduit aux UAV létaux
contemporains, voir les références suivantes : Singer (2009), Card (2007), Mustin (2002). Pour un
bon panorama du futur planifié des UAV, voir l’Office of the Under Secretary of Defense (2006).
Notons que, techniquement, les UAV ne sont pas des aéronefs individuels, mais des systèmes d’armes
comportant plusieurs aéronefs et des stations de contrôle au sol.
(321) Comme le système terrestre Special Weapons Observation Remote Direct-Action System
(SWORDS) du Foster-Miller ou les armes Modular Advanced Armed Robotic System (MAARS) de
Qinetiq. Se reporter à Arkin (2009) pour une bonne vue d’ensemble de ces armes.

367
obligatoire. Cette affirmation repose sur ce que j’appelle le principe du risque
non nécessaire (PRN). Le PRN fonctionne de la manière suivante :
Si X donne à Y l’ordre d’atteindre le juste objectif O, alors X a, à cette fin,
l’obligation, ceteris paribus, de choisir un moyen qui ne viole pas les exigences
de justice, qui n’aggrave pas la situation dans le monde et qui n’expose pas Y
à un risque potentiellement létal à moins que le fait d’encourir un tel risque
aide à atteindre O d’une manière qui n’est pas réalisable avec des moyens
moins risqués.
Cela revient à dire que c’est mal de commander à un individu d’assumer des
risques potentiellement létaux non nécessaires pour conduire une action juste
afin d’atteindre un but. En revanche, tout risque potentiellement létal encouru
doit être justifié par une forte raison compensatoire. En l’absence d’une telle
raison, le fait de commander à un individu d’assumer un risque potentiellement
létal est moralement inadmissible. Un aspect important, le PRN exige de ne
pas commander à un individu d’assumer un risque non nécessaire alors que
des moyens alternatifs existent pour atteindre l’objectif O. C’est précisément
le but de la clause des ceteris paribus. Cela signifie que, dans certains cas, la
seule manière possible pour atteindre O sera de commander à Y d’employer
un certain moyen qui l’expose à un risque potentiellement létal. Dans ces cas,
le PRN n’est pas directement applicable ; il faudra utiliser d’autres bases pour
déterminer si l’ordre est justifié. Le PRN exige que le risque que X commande
à Y d’encourir ne soit pas plus grand que le risque requis pour atteindre O (pas
de risque non nécessaire).
Je considère que le PRN ne prête pas à controverse. Il est en fait possible
qu’une forme encore plus stricte du PRN puisse être développée. Celle-ci
exclut moralement le risque potentiellement létal et tout risque de blessure
corporelle quelle qu’elle soit. De plus, une forme réflexive du PRN pourrait
être envisagée : elle impliquerait le devoir qu’il y a pour soi-même de ne pas
encourir de risques potentiellement létaux si cela n’est pas nécessaire. Mais
certains pourraient déplorer le fait qu’un individu ait la permission morale
d’encourir un risque létal en accomplissant l’acte X en vue du but A même si
le risque ne favorise aucunement la réalisation de A (ou d’un autre but B), ni
même n’est demandé par la justice. Pour éviter cette controverse, j’emploie ici
la forme la plus modérée du PRN, telle que je l’ai développée. Même si certains
souhaitent alors montrer qu’il est moralement admissible qu’un individu assume
des risques potentiellement létaux non nécessaires pour atteindre un objectif,
le PRN semble rester valable sans soulever de problème puisqu’il porte sur le
fait d’ordonner à d’autres d’agir. Cela revient à dire que la moralité exige qu’il
y ait une forte interdiction morale de mettre en danger la vie d’autrui dès lors
que cela n’est pas nécessaire, et ce même si certains affirment qu’il n’est pas
moralement interdit de mettre sa propre vie imprudemment en danger sans
avoir une bonne raison.
De mon point de vue, le PRN pourrait bien impliquer un devoir envers
soi-même mais j’écarte ici cette possibilité afin d’éviter les objections libertaires
et les préoccupations paternalistes. J’incline pourtant fortement vers l’idée

368
qu’il existe une forme réflexive du PRN qui pourrait résister à de nombreuses
objections libertaires puisqu’en réalité plusieurs contre-exemples ne tiennent pas.
Certains pourraient par exemple présenter l’activité de parachutisme comme
un acte moralement acceptable même s’il fait courir un risque potentiellement
létal. Mais le PRN prendrait en compte l’acceptabilité morale de cette action
car le risque létal impliqué par le parachutisme est vraisemblablement une
composante nécessaire du bien recherché par l’action. Dans ce cas, le bien
représente le frisson et l’excitation provoqués par l’acte de sauter d’un avion.
Ainsi, l’« euphorie » que recherchent les parachutistes (parmi d’autres biens
possibles qu’ils recherchent en entreprenant cette activité) exige une prise de
risque. Il serait donc moralement acceptable pour un agent, en vertu d’un PRN
réflexif, d’assumer le risque de la chute libre car celui-ci contribue directement
au bien recherché. Le fait de savoir si rechercher des activités permettant de
défier la mort pour une poussée d’adrénaline constitue un bien qui devrait être
recherché (ou un bien tout simplement) est une autre question. Mais, et cela
est important, le PRN ne résout pas les différends quant à ce qui constitue un
bien devant être recherché. Il ne fait que répondre à l’exigence morale qu’il
y a à ne pas encourir un risque létal sans que cela soit nécessaire alors que
l’on recherche un bien putatif établi. Mais de nouveau, pour les besoins de ce
chapitre, le sens accordé au PRN sera restreint à la forte interdiction morale
opposée à la mise en danger non nécessaire de la vie d’autrui lorsque ordre est
donné de conduire une certaine action.
Certains affirment que le PRN tel que nous l’avons ici présenté est erroné
du fait de la possibilité qu’un individu passe un accord insensé avec un tiers.
Imaginons que X signe un contrat avec Y en s’engageant à suivre ses ordres
aussi stupides ou irrationnels soient-ils. Dans ce cas, si Y donne à X l’ordre
de prendre un risque potentiellement létal sans avoir une bonne raison, X
ne peut affirmer que son droit est enfreint. Supposant que X ait conclu cet
accord avec consentement informé et qu’il n’était pas contraint ou exploité,
on pourrait affirmer que l’ordre d’Y n’est pas moralement inadmissible (322).
Si l’on souhaite admettre cette possibilité, le PRN peut être amendé afin de
refléter les relations par lesquelles X entre sous l’autorité de Y en présumant que
Y ne lui ordonnera pas de prendre un risque sans bonne raison. Cela signifie
que dans des circonstances normales, X peut raisonnablement présumer qu’Y
respectera le PRN. Et, de toute manière, la majeure partie des membres des
forces armées occidentales attendent implicitement que leurs commandants
ne mettent pas leurs vies en danger sans que cela soit nécessaire et que leurs
ordres se conforment au PRN. De plus, ils semblent avoir raison de penser
que le respect du PRN est une composante implicite de leur engagement dans
l’armée. Si cela est vrai, les personnels des forces armées qui exécutent des
ordres ne constituent pas un cas similaire à celui présenté dans cette objection.
Il n’entre donc pas dans le cadre dans lequel j’inscris le PRN pour les besoins
de ce chapitre.

(322) L’auteur remercie Stephen Kershnar pour cette objection.

369
Je relèverai ici une autre approche importante qui pourrait être utilisée
pour soutenir l’obligation qu’il y a à préférer les UAV aux véhicules aériens
habités : à savoir le fait que les UAV sont, comparativement, moins coûteux à
produire et à déployer que les aéronefs habités qui accomplissent des missions
similaires. Ainsi, en poursuivant dans ce sens, nous avons l’obligation de ne
dépenser que le minimum de ressources communes qui seraient nécessaires à
toute entreprise collective (comme une opération militaire) dans la mesure où
ces ressources sont rares et pourraient être utilisées pour d’autres objectifs qui
en valent la peine. Il serait possible, pour mettre en évidence l’intérêt normatif
d’une telle approche, de formuler un principe du gaspillage non nécessaire des
ressources rares (PGNRR) (323). Selon celui-ci, si les forces armées ne mettent
pas en œuvre autant que possible des UAV, elles gaspillent des ressources rares
et, par conséquent, les UAV devraient être utilisés à la place des aéronefs habités
pour mieux gérer lesdites ressources communes. Finalement, tout l’argent qui
n’est pas dépensé à des fins militaires pourrait être alloué à d’importantes
demandes de justice sociale comme celle relative, par exemple, à l’égalité d’accès
aux prestations sociales (324). Un tel principe pourrait être utilisé pour exercer une
pression normative sur les budgets des forces armées occidentales et exiger que
la rentabilité soit une question morale importante. Je soutiens ces approches – et
considère que les préoccupations financières sont particulièrement pertinentes
dans le cas du sous-emploi des UAV. Toutefois, pour les besoins de ce chapitre,
j’écarterai ces arguments et me concentrerai sur ce que je considère comme le
principe normatif le plus fort quant au risque non nécessaire encouru par un
agent accomplissant un acte moralement justifié. Je procède ainsi car, s’ils sont
légitimes, les recours aux principes tels le PGNRR, sont souvent plus facilement
annulés par d’autres préoccupations normatives concurrentes. Autrement dit,
même une différence de coût relativement importante entre deux méthodes
concurrentes permettant d’accomplir un acte donné pourrait rapidement
apparaître comme discutable s’il existe entre ces méthodes des différences
significatives justifiant des préoccupations morales. Bien évidemment, dans ce
cas (UAV versus aéronefs habités) l’existence de telles différences sera souvent
une question empirique. Et si, comme je le présume dans cette étude, les UAV
peuvent accomplir des missions similaires sans enregistrer de pertes capacitaires
considérables, les préoccupations liées au coût s’appliqueraient tout autant. Le
PRN demeure selon nous une exigence morale plus forte – impliquant que soit
dépassé un seuil justificatif plus élevé – que des principes comme le PGNRR.
Les principales thèses de ce chapitre seront ainsi basées sur le PRN.

(323) L’auteur remercie un relecteur anonyme pour avoir suggéré ce principe.


(324) En effet, je pense que de forts arguments peuvent être opposés à la dépense des ressources à
des fins militaires en général si l’on considère la multitude d’autres bonnes manières de les utiliser.
C’est bien sûr une question empirique, mais il n’est absolument pas invraisemblable d’imaginer, par
exemple, que les près de 2 trillions de dollars dépensés jusqu’à présent par les États-Unis pour les
guerres en Irak et en Afghanistan n’auraient pas pu être consacrés à d’autres fins nettement plus
utiles pour le monde. Mais c’est là un autre débat. Pour une présentation intéressante des différents
compromis imposés à la population par les dépenses militaires, voir le National Priorities Project
(2010) pour le véritable coût financier de la guerre.

370
Pour en revenir au PRN, un exemple nous permettrait de démontrer ses
modestes exigences morales et ce qu’on peut lui opposer prima facie. Imaginons
qu’un groupe de soldats combat dans une guerre juste contre un ennemi injuste.
Les soldats ennemis (injustes) envahissent, par exemple, le pays des soldats
justes et perpètrent d’atroces crimes contre l’humanité. Supposons que toutes
les exigences pour ce faire furent satisfaites et que la responsabilité pèse, de
manière juste, sur les soldats ennemis. Dans un effort défensif, un groupe de
soldats justes, commandé par la capitaine Zelda, engage l’ennemi qui se trouve
tout au plus à une distance d’une cinquantaine de mètres. Le fait d’engager ces
soldats ennemis constitue une action juste à la poursuite d’un bien (il s’agit
dans ce cas de défendre leurs maisons, leurs familles, leurs propres personnes
et d’autres innocents). La capitaine Zelda a une idée. Elle décide d’enlever son
gilet pare-balles, de jeter son fusil et d’affronter les ennemis armée simplement
d’une grosse pierre et de son culot. Elle se tourne vers ses troupes et leur donne
l’ordre de faire de même. Laissons ici de côté le fait de savoir s’il est moralement
acceptable que la capitaine Zelda entreprenne, individuellement, une telle
action. Supposons également que le fait de lancer une offensive de cette manière
n’aidera aucunement à l’obtention du bien qui consiste à attaquer avec succès
les ennemis, mais qu’il augmentera considérablement le risque létal encouru
par ses troupes. Selon le PRN, il est moralement inacceptable que la capitaine
ordonne aux hommes de sa section d’enlever leurs gilets pare-balles, de jeter
leurs fusils et d’affronter les ennemis avec une simple pierre dans la mesure
où il n’existe aucune bonne raison pour procéder de la sorte. Le PRN affirme
qu’il est moralement inacceptable que la capitaine Zelda mette en danger la
vie de ses troupes plus qu’il n’est nécessaire pour l’accomplissement du bien
A. L’argument que j’expose ci-dessous et sur lequel je fonde l’obligation morale
d’employer des UAV repose sur le PRN comme principe moral solide.
Notons qu’une action comme la téméraire charge de la capitaine Zelda
pourrait contribuer à une toute autre chose (Q) qu’elle considère comme un
bien – une poussée d’adrénaline ou un acte de bravoure – obtenue en prenant
ces risques démesurés. D’aucuns pourraient soutenir que l’acte va à l’encontre
du PRN puisqu’il vise un autre bien (prétendu). Mais le rôle du PRN n’est pas
de déterminer si certains objectifs sont ou non des biens qui méritent d’être
recherchés. C’est un principe structurant qui s’applique aux ordres acceptables
donnés à autrui uniquement après avoir déterminé le bien – digne d’un point
de vue moral – à poursuivre. Par conséquent, alors qu’il reconnaît un bien
comme digne d’être poursuivi, le PRN exige qu’un individu donne à d’autres
l’ordre d’encourir un risque létal (ou un risque létal accru) uniquement pour
poursuivre ce bien (ou un autre bien au moins d’égale importance) si cela est
nécessaire au regard de la définition fournie. Cela signifie que le risque qu’un
individu ordonne à un autre d’encourir doit être nécessaire à l’accomplissement
du bien poursuivi. Dans ce cas, nous admettons que le bien recherché (ou le
bien qui devrait être recherché) réside dans le succès de l’attaque ; les actions
de la capitaine Zelda sont donc inacceptables au regard du PRN puisqu’elles
n’aident en rien à l’accomplissement du bien digne d’être poursuivi et qu’elles ne
sont exigées ni par la justice ni par un autre bien. Si la capitaine Zelda s’engage

371
dans une guerre imprudente et donne l’ordre à autrui de faire de même non par
nécessité militaire mais pour son plaisir personnel, découlant de l’excitation que
procurent le risque et le combat, nous pouvons alors conclure que ses actions
sont moralement inacceptables pour des raisons autres que celles relevant du
PRN. Autrement dit, il est fort possible que la capitaine Zelda ordonne à ses
troupes de conduire une offensive si bravache afin de poursuivre ce qu’elle
considère comme un bien. Dans ce cas, la raison pour laquelle son action n’est
pas juste ne découle pas du PRN mais du fait qu’elle se trompe en pensant
qu’il s’agit d’un bien digne d’être poursuivi et méritant que l’on donne l’ordre
à autrui de le rechercher (la poussée d’adrénaline que procure par exemple le
combat risqué). Mais si nous admettons que le bien qui devrait être recherché
est le fait d’attaquer les ennemis, ses ordres sont inacceptables au regard du
PRN puisqu’ils n’aident en rien à l’accomplissement de cette attaque même
s’ils font encourir un risque létal (accru) à ses troupes. Prenons, en considérant
le PRN, l’affirmation suivante (OP) : « (OP) Si des forces armées, dans le cadre
de toute action juste, sont en mesure d’employer des plates-formes UAV à la place
des véhicules aériens habités sans enregistrer une importante perte capacitaire,
ces forces armées ont l’obligation éthique de procéder ainsi. »
J’affirme que l’OP est vraie. Il pourrait bien évidemment s’avérer qu’elle
n’est qu’une vérité vide puisque l’antécédent est faux. Je ne discuterai pas, dans
le cadre de ce chapitre, de la vérité de l’antécédent de l’OP, je supposerai plutôt
que celui-ci est vrai et montrerai que la conséquence normative s’ensuit (325).
L’antécédent de l’OP pourrait être faux pour un certain nombre de raisons.
Premièrement, le fait de remplacer des aéronefs militaires par des véhicules
pilotés à distance sans enregistrer une importante perte capacitaire pourrait,
pour un certain nombre de raisons, s’avérer technologiquement impossible (326).
Ou cela pourrait être quasi impossible au regard des contraintes budgétaires (327).
De plus, l’antécédent de l’OP pourrait être faux dans la mesure où les systèmes
contrôlés à distance ne peuvent pas discriminer les cibles aussi efficacement
que les véhicules habités ; et cela constituerait une importante perte capacitaire.
Voire, pour une raison non encore prévue, les systèmes d’armes pilotés à distance
pourraient, sur un autre registre, ne pas être aussi performants que les véhicules
habités. Dans ces cas, l’antécédent est faux et l’OP est une vérité non fondée. Il
existe pourtant, comme je le montrerai ci-dessous, de bonnes raisons de croire
que l’antécédent de l’OP pourrait être vrai et même très probable. Le principal

(325) Notons que, si cela est vrai, l’OP s’accompagne d’un corollaire exigeant de poursuivre le
développement des forces armées et leur transition vers un inventaire constitué uniquement d’UAV :
(OPT) Si un État est en mesure de faire entièrement évoluer son inventaire militaire de véhicules
aériens habités vers des UAV sans enregistrer une importante perte capacitaire, alors l’État en question
a une obligation éthique de le faire.
(326) Bien que cela semble parfaitement possible d’un point de vue technologique puisque des UAV
sont déjà utilisés. Voir ci-dessous pour une discussion sur le sujet.
(327) Bien qu’en admettant l’obligation éthique de protéger le combattant juste que je décris ci-
dessous, le coût devrait être véritablement astronomique —  notamment par comparaison avec les
montants actuellement consacrés aux budgets de défense. Il est bien évidemment possible que la
morale exige que les ressources soient dépensées à d’autres fins, en dehors des coûts de défense
comme, parmi d’autres, l’éducation ou le développement. Mais ceci est une autre question.

372
but de ce chapitre consiste pourtant à établir que la conséquence normative
s’ensuit si l’antécédent est vrai. De plus, l’antécédent de ces affirmations est une
question empirique dont la véracité peut être testée. Ce que je cherche à savoir
est s’il existe une raison de principe pour ne pas employer des UAV. J’affirme
qu’il n’en existe pas, et qu’il existe (en vertu du PRN) une forte obligation
morale de les opérer à la place des aéronefs habités. Si une telle obligation
existe, alors l’OP s’ensuit (328).
Notons que le critère « à la place de » est essentiel pour dériver l’OP du
PRN. Dans le cadre d’un combat, un commandant est obligé, en vertu du
PRN, d’ordonner à ses troupes d’employer l’arme Z à la place de W si, et
seulement si, Z réduit le risque encouru par le servant comparativement à W
et comme alternative à celle-ci. C’est la différence de risque entre les options
Z et W qui constitue la source de l’obligation. En d’autres termes, parce que Z
existe et qu’elle est disponible – le commandant pouvant ainsi ordonner à ses
troupes de l’utiliser à la place de W – il a alors l’obligation de ne pas ordonner
l’emploi de W tant que Z constitue une alternative viable conforme aux autres
critères (comme ne pas enfreindre les exigences de justice). Cela revient à dire
que l’ordre d’employer Z est (vraisemblablement) acceptable dans le cadre
d’une guerre juste ; il devient obligatoire uniquement en tant qu’alternative à
W. Mais si W est la seule option existante (ou qu’elle est la seule viable pour
d’autres raisons, comme les exigences de justice), alors l’ordre d’employer
W pourrait bien être acceptable. Aussi bien W que Z, qui comporte moins
de risques, doivent constituer des options viables pour que le PRN impose
l’obligation d’employer Z.
Pour appuyer la conséquente de l’OP, prenons le scénario suivant. Deux
petites villes, Prudentville [ville de la prudence] et Recklessville [ville de
l’imprudence], disposent chacune d’une police locale comprenant une unité
dédiée à la neutralisation des explosifs hautement qualifiée. Chacune de ces
unités est brillamment parvenue, au fil des ans, à désamorcer et à détruire des
engins explosifs avec peu de victimes (mais quelques-unes malgré tout). Les
deux villes ont récemment fait l’acquisition de robots contrôlés à distance
pouvant être employés pour désamorcer des explosifs tout en étant opérés de
loin. Sous le contrôle d’un technicien formé à la neutralisation, à la destruction
et à l’élimination des engins explosifs (NEDEX/EOD, Explosive Ordnance
Disposal), ces robots sont tout aussi capables de désamorcer des bombes que
les techniciens NEDEX qui interviennent « sur zone ». Et avec les robots, bien
évidemment, les personnels NEDEX ne risquent pas d’être blessés ou tués. Après

(328) Bien que, dans le cadre de ce chapitre, je me concentre sur les UAV létaux, le corollaire de
l’OPT (voir note 10) serait valable pour tous les aéronefs. Cela signifie que même les avions-cargos
et autres du même type (même ceux employés pour le transport de troupes) devraient être remplacés
par des UAV. L’idée est simple : il est préférable d’exposer au risque une personne de moins sur
un vol (le ou les pilote(s)) que de les y exposer si cela n’est pas nécessaire. Il est toutefois possible
que les troupes refusent de voler dans un avion sans pilote. Si tel était le cas, cela constituerait une
« importante perte capacitaire », les UAV ne sont donc peut-être pas tout aussi performants que les
aéronefs habités lorsqu’il s’agit d’avions-cargos destinés au transport de troupes. Un exemple de
plate-forme pour petits chargements, déjà opérationnel, est le Mist Mobility Integrated Systems
Technology (MMIST) CQ-10A Snow Goose.

373
quelques expérimentations initiales visant à s’assurer que l’emploi des robots ne
les privait d’aucune capacité de neutralisation de bombes, Prudentville décida
que leur unité de déminage utiliserait les robots dans chacune des situations où
cela serait possible. Il fut considéré que cette décision « allait de soi » : sauver la
vie ne serait-ce que d’un seul technicien valait bien le coût qu’implique l’emploi
du robot. Recklessville décida que son unité NEDEX n’utiliserait pas les robots
quand bien même elle en disposait et qu’elle était en mesure de les opérer. La
ville fait ainsi encourir des risques à ses personnels sans aucune raison (ou, en
tout cas, sans aucune bonne raison) et enfreint le PRN.
Considérons l’histoire ci-dessus comme une analogie normative directrice
pour l’affirmation OP (329). S’il est possible que l’unité de déminage opère un
robot pour désamorcer la bombe à distance, sans aucune perte capacitaire
importante, alors cette unité a, selon le PRN, une obligation éthique claire
d’employer le robot à la place d’un humain qui intervient directement sur l’engin
explosif. La situation est pertinemment analogue à l’emploi actuel et futur des
aéronefs militaires opérés à distance. Cela signifie que s’il est possible pour un
État de faire en sorte que ses forces armées emploient dans le cadre de missions
de combat des systèmes d’armes opérés à distance à la place des systèmes
d’armes habités, sans aucune perte capacitaire importante, alors (supposant
que les missions militaires impliquent des risques potentiellement létaux) cet
État a, en vertu du PRN, une obligation éthique claire de procéder ainsi. Cela
uniquement parce qu’en opérant à une grande distance du combat, l’opérateur
du système d’armes est exposé à un risque considérablement moindre. Et s’il
n’existe aucune raison impérieuse pour exposer un soldat au risque, alors il
n’est pas juste de le faire. Donc, OP.
Une réserve importante : la justification de l’emploi, au cours d’une guerre,
d’armements opérés à distance suppose que ceux-ci soient partie intégrante d’un
effort de guerre pleinement justifié, qu’ils respectent aussi bien le jus ad bellum
que le jus in bello et qu’ils soient orientés contre un ennemi correctement tenu
responsable, comme nous l’avons abordé dans les précédents développements.
Par conséquent, si les forces militaires réalisent une frappe justifiée, elles doivent
protéger autant que possible le combattant juste qui mène l’action – jusqu’au
point où le fait de le protéger entrave sa capacité d’agir au combat d’une
manière juste, comme je le montrerai ci-dessous. Si une action militaire n’est
pas justifiée, le fait qu’elle soit conduite par un pilote opérant un aéronef à
distance ou d’une autre manière n’y change rien. Mon argument selon lequel
l’emploi des UAV est éthiquement obligatoire découle ainsi du PRN en ce sens
qu’une action militaire donnée doit tout d’abord être un bien juste. Si, dès le
début, l’acte est moralement injustifié, il est alors moralement inacceptable et ce
pour des raisons autres que celles du PRN. On peut dès lors noter, par exemple,
que reste ouverte la possibilité que le pacifisme universel constitue la vision

(329) Singer (2009) discute également de l’emploi de robots pour la neutralisation des explosifs et
du lien entre cet emploi et, plus généralement, celui des robots et des armements opérés à distance
par les forces armées.

374
morale correcte de la guerre et l’OP reste toutefois valable (bien que vide de
sens, car un pacifiste montrera qu’il n’existe aucune action militaire justifiée).
Certains pourraient considérer que mon analogie entre une unité de
déminage et des forces armées ne tient pas dans la mesure où la première essaie
de désamorcer une bombe, et donc éviter la perte de vies, alors qu’une frappe
militaire tente de prendre des vies. Pourtant, le point sur lequel repose l’analogie
n’est pas la finalité de l’action (qu’il s’agisse de désamorcer ou de délivrer une
bombe) mais réside dans le simple fait qu’une action donnée soit justifiée
et vise un certain bien digne d’être recherché tout en étant dangereuse pour
l’agent engagé dans cette action juste. Encore une fois, l’analogie avec l’emploi
des UAV repose sur la présomption qu’une frappe militaire effectuée à partir
d’UAV est d’emblée justifiée – si elle ne l’est pas, la frappe d’un UAV est bien
évidemment moralement inacceptable (330). L’exemple de l’unité de déminage
vise donc à mettre en évidence le principe moral du risque non nécessaire dans
l’exécution d’un certain bien. L’unité de déminage, commandée par la ville,
entreprend l’action moralement justifiée mais dangereuse F afin d’accomplir
le bon objectif O. Si O peut être atteint d’une manière tout aussi efficace, mais
avec un risque moindre pour l’unité de déminage grâce à des moyens autres
que ceux qu’implique F, cela s’applique, mutatis mutandis, à une force armée
donnée. Des forces armées, commandées par leur État, entreprennent l’action
moralement justifiée mais dangereuse F pour atteindre le bon objectif O. Si
O peut être atteint tout aussi efficacement, mais avec moins de risques pour
les personnels des forces armées (par exemple, en utilisant un drone), alors il
existe une obligation morale d’employer le drone. Le fait que, dans le cas de
l’unité de déminage, l’objectif O soit la préservation de la vie, alors qu’il s’agit
dans le cas des UAV de la prendre, ne constitue pas une différence importante
pour l’analogie (331). Ce qui compte est le fait que O soit un bien digne d’être
poursuivi.
Autrement dit, ordonner à un combattant d’encourir des risques doit être
justifié. Si une action donnée peut tout aussi bien être accomplie en utilisant
deux méthodes différentes, dont l’une implique un risque moindre pour la
sécurité individuelle du combattant, alors il faut justifier le fait que cette
méthode plus sûre ne soit pas employée. S’il n’existe aucune bonne raison
pour ne pas y recourir, il y a alors une obligation d’employer la méthode plus
sûre. Pour tous les cas où un combattant se voit ordonner de conduire une
action dangereuse, il doit y avoir une raison expliquant pourquoi le risque est
nécessaire en vue d’atteindre l’objectif donné. Si on admet que le fait d’écarter
un pilote du théâtre des opérations en recourrant à un UAV à la place d’une
plate-forme armée habitée réduit considérablement, pour ce pilote, le risque

(330) Donc, s’il est vrai que dans ces situations, l’emploi des UAV est inacceptable d’un point de vue
éthique, il en serait de même pour tout type de frappe menée à l’aide de tout type de système d’armes
(habité ou inhabité) ; l’inacceptabilité ne découle pas de l’emploi spécifique des UAV. Ce ne sont donc
pas les UAV en tant que tels qui rendent inacceptable une telle frappe.
(331) Le fait de prendre la vie d’un soldat ennemi injuste et responsable découle finalement d’une
justification de protection des innocents ou de défense contre la violation des droits des innocents.
Bien sûr, ce n’est pas ici ma position, mais cela constitue une présupposition de base.

375
encouru, alors il devrait y avoir un a priori favorable à l’emploi des UAV
(ou de toute arme opérée à distance) chaque fois que cela est possible sans
compromettre la capacité d’un combattant de se conduire d’une manière juste.
La charge de la preuve incombe alors à ceux qui affirment que nous ne devons
en aucune manière employer des UAV ou de semblables technologies opérées
à distance lorsque cela est faisable. Les partisans de cette position doivent
expliquer pourquoi nous devrions faire encourir un tel risque à nos pilotes. Il
existe, comme précédemment mentionné, diverses objections laissant à penser
que le recours à des UAV serait, en principe, discutable d’un point de vue
éthique. J’examinerai dans les paragraphes suivants chacune de ces objections
et montrerai pourquoi elles ne parviennent pas à l’emporter sur l’affirmation
selon laquelle les UAV sont, en principe, éthiquement obligatoires (332).

1re objection : Le passage à des systèmes d’armes autonomes et


indépendants

Certains s’inquiètent que les UAV nous conduisent vers des armements
autonomes et indépendants (IAW, independant autonomous weapons) ; des robots
prenant de leur propre chef des décisions létales (333). Le fait de déterminer si
un système d’armes est « autonome » reste d’une difficulté notoire (334). Dans
un souci de simplicité, nous appellerons ici « indépendamment autonome »
(ou « entièrement » autonome, selon le terme parfois employé) toute arme
prenant de sa propre initiative la décision de conduire une attaque létale. Ainsi,
un missile de croisière qui se dirige vers une cible n’est pas un IAW puisque
c’est un agent humain qui a pris la décision de le lancer et de le diriger vers la
cible donnée, mais un drone Predator programmé pour prendre de sa propre
initiative la décision de tirer sur une cible spécifique devient un IAW. Tant qu’il
y a un « homme dans la boucle » (pour employer le langage militaire usuel)
pour chaque décision létale, je considère, dans le cadre de ce chapitre, qu’il
s’agit d’une arme non autonome. Ainsi, tant que la décision de recourir ou non
à la force létale est prise par un agent humain, il ne s’agit pas d’un IAW selon
l’acception ici utilisée. L’objection opposée à l’emploi des UAV consiste ainsi
à dire : les IAW sont moralement inacceptables. Le développement des UAV
conduira aux IAW. Par conséquent, le développement des UAV est inacceptable.

(332) Je noterai brièvement que je ne reprends même pas les objections selon lesquelles l’emploi
des UAV est « faible » ou « insuffisamment dur » ou encore « lâche ». Ces positions contre les UAV,
dérivées d’une sorte de machisme aveugle, sont certainement fréquentes au sein de la communauté
militaire mais on peut espérer qu’elles ne sont pas prises au sérieux par les décideurs militaires. Voir
ci-dessous pour une discussion montrant de quelle manière l’impact que pourrait avoir la perception
des UAV par les forces ennemies pourrait déterminer leur capacité.
(333) Certains se montrent inquiets par ce développement, alors que d’autres l’apprécient. Pour Arkin
(2009), par exemple, le développement des UAV va dans le sens du développement des IAW ; il
concentre son travail sur le développement de ces systèmes autonomes de sorte à respecter le droit des
conflits armés, ainsi que différentes règles d’engagement (comment « améliorer » les appareils « d’un
point de vue éthique »). Arkin affirme que ces développements constituent des améliorations morales
et doivent être poursuivis avec vigueur.
(334) Pour certains efforts utiles à cette fin, voir Sparrow (2007).

376
réponse
En tant qu’objection à l’emploi des UAV, elle ne parvient pas à contrer
l’obligation morale de leur emploi. En fait, nous pouvons admettre la première
prémisse (« les IAW sont moralement inacceptables ») mais rejeter l’objection
en montrant que la deuxième prémisse (« le développement des UAV conduira
aux IAW ») est actuellement non fondée. On pourrait accepter l’objection selon
laquelle nous ne devons pas développer d’IAW ni permettre que le développement
des UAV conduise aux IAW. Il semble en effet plausible qu’une telle évolution
pourrait être difficile à stopper, mais il n’est pas vrai que le développement des
UAV mènera nécessairement au développement des IAW. Nous avons donc besoin
de preuves empiriques pour démontrer que tel est le cas. Cette objection est en
quelque sorte de type pente savonneuse car elle suppose que le développement
et l’emploi des UAV doivent conduire au développement et au déploiement
des IAW. Les objections de type pente savonneuse sont problématiques parce
qu’elles n’admettent pas un juste milieu plausible. Cette objection occulte
autrement dit la possibilité de maintenir l’emploi des UAV tout en travaillant
à l’interdiction des IAW (ce que je recommande aux États-nations occidentaux
de faire). Actuellement cette objection ne fonctionne donc pas comme argument
contre l’obligation éthique d’employer (et de développer) la technologie UAV.
Je soulève cette objection avant tout afin d’établir une distinction importante
pour les besoins de ce chapitre. Je ne soutiens dans celui-ci que l’obligation
morale qu’il y a à employer des armes contrôlées à distance clairement non
autonomes, du moins pour ce qui est des décisions létales. La distinction entre
les IAW et les armes non autonomes contrôlées à distance est, de mon point
de vue, d’une importance capitale pour ce débat et est souvent négligée. L’une
des raisons pour lesquelles cette distinction est si importante tient au fait que si
elle est négligée et, plus important encore, si on ne l’impose pas et que l’on ne
stoppe pas les efforts visant à développer des IAW, alors la première objection
est valable (en supposant que l’on admette sa première prémisse). Pour être
clair, cela revient donc à dire qu’il est tout à fait possible que l’emploi des UAV
conduise à celui des IAW. Si on prouve que cela est vrai et si cette évolution
ne peut pas être freinée, alors – puisque l’on admet la première prémisse –
je considère que c’est là une objection légitime à l’emploi des UAV. J’espère
cependant que le développement des IAW peut être freiné même en opérant
et en développant des UAV. Il ne s’agit pas ici de plaider contre l’acceptabilité
morale des IAW – cela a déjà été fait avec force par ailleurs (335).
Certains pourraient objecter que mon acceptation de la prémisse « les
IAW sont moralement inacceptables » n’est pas cohérente avec l’emploi que
je fais du PRN comme fondement de l’obligation morale qu’il y a à opérer
des UAV. Selon cette objection, nombre de systèmes d’armes qui pourraient

(335) En effet, c’est précisément parce que je suis d’accord avec la première prémisse de l’objection 1
que je soutiens le fait que le temps est venu d’établir des politiques qui bloqueraient le développement
des IAW et ce même en développant des UAV et d’autres systèmes d’armes contrôlés à distance par
des humains. Pour les arguments développés par d’autres analystes contre l’acceptabilité morale des
IAW, voir Sparrow 2007, Asaro 2006, 2007, et Himma 2007.

377
(vraisemblablement) être considérés comme des IAW offrent au combattant juste
une protection nettement supérieure et sont, par conséquent, obligatoires au
regard du PRN. On peut par exemple ici faire référence à des systèmes d’armes
comme le Phalanx CIWS ou le SeaRAM employés par l’US Navy, lorsqu’ils
sont utilisés en mode entièrement autonome. Sans ces systèmes d’armes,
nombre de marins pourraient encourir des risques non nécessaires ; c’est du
moins ce que prétend cette objection (336). Cela étant, cette objection ne tient
pas compte du fait qu’une raison normative compensatoire suffisamment forte
peut l’emporter sur le PRN, bien que celui-ci soit prima facie un principe moral
fort. Dans ce cas, et quand bien même je ne les soutiens pas ici, les objections
de principe au sujet des IAW sont, de mon point de vue, suffisamment fortes
pour qu’elles l’emportent sur les exigences morales du PRN. Cela signifie
qu’il est parfaitement compatible et nullement incohérent, d’un point de
vue logique, d’affirmer (comme je le fais) que certains systèmes d’armes non
autonomes (comme les UAV) sont obligatoires au regard du PRN tout en
défendant dans le même temps l’idée selon laquelle les IAW sont inacceptables
compte tenu de leur nature autonome qui outrepasse le PRN. Quoi qu’il en
soit, que l’on accepte ou non la première prémisse de la première objection,
l’objection d’ensemble ne tient pas puisqu’il s’agit là d’un argument de type
pente savonneuse insuffisamment justifié.

2e objection : Les Limites des uav conduisent à des vioLations


du jus in beLLo

D’aucuns admettent que les armes opérées à distance protègent mieux le


combattant juste mais montrent que cela est au prix d’une diminution de la
capacité de discrimination entre combattants et non-combattants et de certaines
autres concessions faites au jus in bello. Leur emploi est donc moralement
inacceptable.

réponse
Il est certain que si un opérateur d’UAV qui, grâce à un flux vidéo, intervient
sur le champ de bataille tout en étant situé à des milliers de kilomètres n’est pas
en mesure de respecter les principes de discrimination et de proportionnalité
du jus in bello, alors ces drones ne doivent pas être employés. En effet, si le fait
d’utiliser un UAV à la place d’une plate-forme habitée réduit d’une manière
ou d’une autre la capacité à respecter les principes du jus in bello, alors l’UAV
ne doit pas être employé. Ceci est en cohérence avec l’OP car le respect des
principes de discrimination et de proportionnalité est un des aspects essentiels
de la capacité d’un système d’armes. Et la protection renforcée du combattant
juste (fournie par un UAV) ne doit pas être obtenue au prix d’un risque plus
élevé pour les non-combattants. Martin Cook (2004) explique bien cet aspect
lorsqu’il évoque la campagne aérienne de l’OTAN au Kosovo. Certains ont pu
penser qu’en conduisant des missions à 4 500 mètres, l’OTAN se souciait plus

(336) L’auteur remercie vivement un de ses relecteurs pour cette objection.

378
de la protection des forces que de la discrimination des non-combattants (337).
Si les missions de combat avaient été menées à une altitude moindre, les pilotes
auraient encouru plus de risques mais auraient été en mesure de mieux discriminer
une ambulance d’un transport militaire. Comme je l’ai montré précédemment,
il revient au combattant juste d’assumer des risques supplémentaires s’ils
sont nécessaires pour mieux protéger les innocents (338). Donc l’antécédent
suppose en partie que l’emploi des UAV n’entrave pas la capacité (technique)
du guerrier à distinguer entre combattants et non-combattants ou à prendre
de judicieuses décisions de proportionnalité. Cette faiblesse technique serait
une « considérable perte capacitaire ».
Il existe toutefois de bonnes raisons de penser que le contraire est vrai :
autrement dit que la technologie UAV accroît la capacité de discrimination
d’un pilote. L’Autorité israélienne pour le développement de l’armement Rafael
affirme par exemple avoir atteint une « précision de guerre urbaine » grâce au
nouveau missile de précision Spike ER conçu pour être utilisé depuis des UAV
(Rafael Advanced Defense Systems, 2010). Ce missile peut être tiré en mode
fire, observe and update (contrairement au mode « tir et oublie ») « permettant
à l’opérateur de l’UAV de mettre à jour le missile, de cibler, de viser ou, bien
évidemment, de le dévier s’il apparaît que la cible visée est un civil » (Rafael
Advanced Defense Systems, 2010). Le rapport cite également un pilote israélien
qui a employé ce système d’armes : « La beauté de ce missile-chercheur tient
au fait qu’au fur et à mesure qu’il approche de la cible, l’image se précise (…).
L’image vidéo envoyée depuis le chercheur via la liaison par fibre optique apparaît
plus grande sur notre écran, ce qui facilite grandement la discrimination entre les

(337) Martin Cook, The Moral Warrior, Albany (NY), SUNY Press, 2004, pp. 126-127.
(338) Cette position est bien évidemment controversée et fait l’objet d’un vaste débat. Plus précisément,
c’est le fait de savoir qui devrait courir les risques au cours d’un conflit qui est largement contesté,
mais le débat s’articule notamment sur des questions de responsabilité, autour de la doctrine quant à
l’égalité morale des combattants (MEC) et autour de questions liées à la distinction. Si un combattant
juste luttait dans une guerre juste et que les innocents impliqués n’étaient aucunement responsables,
certains soutiendraient que leur statut moral (celui du combattant juste et celui des innocents) est égal.
Par conséquent, si les combattants justes doivent faire tout leur possible pour protéger les innocents,
ils ne doivent pas mettre la sécurité des non-combattants au-dessus de la leur. Et si on laisse de côté
la doctrine de l’égalité morale des combattants (voir McMahan, cité ci-dessous), ma position (selon
laquelle le combattant juste doit assumer une charge plus lourde pour protéger les innocents) risque
d’être difficile à tenir quel que soit le cas de figure et notamment lorsque les frontières strictes entre
combattants et non-combattants sont remises en question (comme le montre Lazar, cité ci-dessous).
Brièvement, j’admets que, dans un tel scénario, les combattants justes et les non-combattants ont
un statut moral égal en tant que cibles non responsables. Toutefois, les combattants justes assument
délibérément des risques supplémentaires en se portant volontaires pour servir dans une position
particulièrement dangereuse au nom des citoyens de l’État qu’ils servent de la même manière que les
pompiers ou les policiers. À ce titre, même si, en matière de responsabilité, ils ont le même statut que
les innocents (à savoir qu’ils sont entièrement non responsables), ils devraient toujours assumer plus
de risques pour protéger les innocents qui ne se sont pas délibérément portés volontaires pour encourir
les risques de la guerre.

379
cibles qui sont légitimes et celles qui ne le sont pas » (Rafael Advanced Defense
Systems, 2010) (339).
Des études récentes confirment par ailleurs le fait que les UAV semblent
en réalité avoir de plus grandes capacités techniques pour déterminer le statut
des combattants. Avery Plaw a récemment constitué une base de données
rassemblant des rapports de diverses sources sur les résultats des attaques de
drones effectuées par les États-Unis au Pakistan entre 2004 et 2007 (340). Ces
données montrent que, du point de vue de la discrimination des non-combattants,
les frappes de drones étaient nettement supérieures à toutes autres méthodes
utilisées pour engager les combattants talibans de la région. Par exemple, dans
le cas des frappes d’UAV, le rapport entre les cibles militantes désignées et les
morts civils a été supérieur à 17 pour 1, comparé à un rapport de 4 pour 1 pour
les offensives de l’équipe SWAT pakistanaise ou de près de 3 pour 1 pour les
opérations des forces armées pakistanaises dans la même région et à la même
période. Mais comparons le rapport de 17 pour 1 que permet l’emploi des
UAV au rapport, choquant, estimé à 0,125 cible désignée pour 1 perte civile
pour tous les conflits armés à l’échelle mondiale en 2000 (341). Si ces chiffres
sont ne serait-ce que proches de la réalité, il semble que des preuves très solides
contredisent directement la prémisse centrale de la première objection. Cela
signifie que les UAV sont supérieurs et non inférieurs du point de vue de la
discrimination des non-combattants.
Quoi qu’il en soit, le fait de savoir si les UAV sont tout aussi capables d’un
point de vue technique de discriminer correctement la cible reste une question
empirique. S’il apparaît que les drones ne le sont pas, alors l’antécédent de
l’OP est faux et l’affirmation est une vérité vide. Cependant, toutes les preuves
actuellement disponibles indiquent avec force que la capacité technique de
discrimination des pilotes d’UAV n’est aucunement diminuée par rapport à celle
des pilotes des aéronefs habités. Mais comme il s’agit d’une question empirique,
il n’existe aucune objection de principe quant au fait qu’il est éthiquement
obligatoire d’opérer des UAV à des fins militaires.

3e objection : La dissonance cognitive des opérateurs de drones


Cette objection porte sur l’inquiétude selon laquelle l’emploi de drones
conduit à des conflits psychologiques chez les opérateurs provoquant une
dissonance cognitive dans l’esprit du combattant. Cette inquiétude peut exprimer
deux préoccupations éthiques distinctes : la première consiste à dire qu’il est
mal de faire vivre cela aux opérateurs de drones – les amener à tuer l’ennemi

(339) Nota bene : je discute, dans le cadre de cette objection, de la seule capacité technique qu’ont
les UAV à discriminer correctement ; je discuterai de l’impact sur la psychologie du combattant (et des
inquiétudes in bello qui en découlent) ci-après dans le cadre de la 2e objection.
(340) Avery Plaw, “Sudden Justice”, Paper presented at 7th Annual Global Conference on War and
Peace, Prague, 1 May 2010.
(341) Ibidem pour toutes les références utilisées pour l’élaboration de la base de données. Sur
l’estimation du ratio des pertes globales, voir Osiel (2009 : 143) et Kaldor (1999 : 8).

380
depuis leur « bureau » au travail avant qu’ils ne rentrent chez eux pour dîner
et jouer au foot avec leurs enfants – et que cela leur fait injustement porter un
fardeau psychologique. La seconde préoccupation, plus importante encore,
tient au fait que la dissonance cognitive affaiblira de plusieurs manières la
volonté de l’opérateur à lutter d’une manière juste (par exemple, l’opérateur
ne considère pas la guerre comme « réelle » ou ne la prend pas suffisamment
au sérieux mais la perçoit plus comme un jeu vidéo ; l’opérateur souffre de
troubles mentaux et de troubles de stress post-traumatique qui, compte tenu
de la distance par rapport au champ de bataille, pourraient ne pas être traités
ou reconnus, générant ainsi des complications et engendrant des décisions
inappropriées, etc.) (342).

réponse
L’argument selon lequel la justification éthique des UAV est menacée s’il est
plus probable que leurs opérateurs se conduisent de manière injuste au cours
de leurs actions de combat du fait de cette dissonance cognitive est peu solide.
Premièrement, on peut observer que la tentation du combattant de violer le jus
in bello serait en fait diminuée, peut-être considérablement, dès lors qu’il n’est
pas exposé au risque. Le pilote déporté peut mettre plus de temps à évaluer une
cible avant de tirer – pour s’assurer qu’il s’agit d’un combattant ennemi – qu’il
ne pourrait en mettre autrement ; car dans le pire des cas, c’est une machine que
l’on perd et non un pilote. Si l’on revient à l’analogie avec l’unité de déminage,
en employant un robot, les personnels NEDEX ne subissent pas le même niveau
de stress car ils n’encourent aucun danger ; ils ne sont donc pas aussi angoissés
et mènent sans doute mieux leur action. Cette affirmation pourrait également
être valable pour les pilotes de drones qui prennent des décisions judicieuses
au combat. Dès lors que la peur pour leur propre sécurité ne constitue plus
une préoccupation pressante, on peut supposer que l’opérateur serait plus, et
non moins, en mesure de se conduire justement.
Mais peut-être pas. Peut-être que la distance et la rupture qu’impliquent
ces armements opérés à distance créent une nouvelle et importante forme de
stress pour le combattant pouvant compromettre ses capacités à se conduire
d’une manière juste. De nombreux travaux empiriques restent encore à conduire
sur ce thème. Mais, même si nous admettons que le combat déporté influence
négativement les capacités des pilotes d’UAV, notons d’abord qu’il existe des
moyens pour surmonter ce problème et, deuxièmement, que cette question ne
constitue pas un argument contre la justification éthique des UAV. Si cela est
nécessaire, nous pourrions par exemple considérablement rapprocher l’ensemble
des opérateurs de drones du théâtre des opérations ; voire les obliger à vivre
dans un environnement déployé, dans la même tranche horaire que celle des

(342) L’auteur remercie vivement plusieurs pilotes d’UAV pour les témoignages directs et pour avoir
discuté de ces phénomènes (comme demandé, leurs noms ne seront pas divulgués). Voir Wallach
et Allen (2009) et Singer (2009) qui discutent de l’attitude cavalière consistant à considérer les
opérations UAV comme un jeu vidéo.

381
combats ainsi que dans des conditions et dans un stress plus semblables à ce
qui existe sur le champ de bataille (343).
Notons par ailleurs que toute action conduite au moyen d’UAV peut être
enregistrée et surveillée. Par défaut, puisqu’il est contrôlé à distance, tout flux
reçu par un pilote de drone peut aisément être supervisé par nombre d’autres
individus qui, simultanément ou postérieurement, pourront en faire un examen
critique. Ce niveau supplémentaire de responsabilité pourrait être utilisé pour
exercer, si nécessaire, une plus grande surveillance de la prise de décision létale
– en exigeant, par exemple, que l’accord de plus d’un officier soit donné pour
une élimination. En effet, une équipe d’officiers et de juristes spécialisés dans
les droits de l’homme pourrait superviser chaque décision prise par un UAV
[sic] si cela est souhaité ou jugé nécessaire. L’idée est la suivante : il est possible
de dépasser, de plusieurs manières, les inquiétudes liées au fait que les pilotes
d’UAV seraient, en moyenne, moins judicieux que ne le seraient les systèmes
d’armes habités. Tout cela réfute l’idée selon laquelle la dissonance cognitive
serait en quelque sorte insurmontable et contredit nettement moins l’obligation
éthique qu’il y a à opérer des UAV. De plus, même si les pilotes d’UAV subissent
un traumatisme psychologique que nous ne pouvons surmonter, il apparaît
bien que celui-ci serait moins nuisible que les maux que pourraient occasionner
les vols habités. En réalité, dans ce cas, cela accroît la force morale, engendrant
ainsi l’obligation qu’il y a, en vertu du PRN, à opérer des UAV à la place des
aéronefs habités.

4e objection : Les éLiminations cibLées perpétrées


au moyen d’uav

Les médias ont récemment soulevé un certain nombre de préoccupations


quant à l’emploi d’UAV dans le cadre d’éliminations ciblées, à l’image en
particulier de l’emploi qu’en font actuellement les États-Unis au Pakistan,
au Yémen et sur d’autres théâtres d’opérations (344). Selon cette objection,
les éliminations sortent du cadre de la pratique acceptable de la théorie de
la guerre juste et les UAV rendent cette pratique trop aisée ou y contribuent
d’une manière inacceptable.

(343) Les forces armées pourraient même aller jusqu’à obliger les opérateurs d’UAV à vivre dans des
bunkers et, parmi d’autres choses, tirer de faux obus de mortiers autour de l’enceinte pour que cela
fasse plus « réel » si l’on démontrait que de tels effets contribuent à dépasser ce problème supposé de
la dissonance cognitive provoquée par le fait d’être trop éloigné du champ de bataille.
(344) Voir, par exemple, Mayer (2009). Notons que, dans ce long article, l’auteur ne discute pas de
la justification éthique des UAV. Comme presque toutes les discussions récentes relatives aux UAV,
il offre une présentation détaillée des préoccupations éthiques soulevées par les éliminations ciblées,
des questions de souveraineté liées aux opérations au Pakistan, des inquiétudes relatives aux fonctions
militaires détenues par un département non militaire du gouvernement (CIA), et ainsi de suite, sans
jamais discuter de la justification éthique des UAV.

382
réponse
Bien que dans le présent chapitre je ne défende pas ce point de vue, je
partage sans réserve les préoccupations éthiques quant aux assassinats et
exécutions extrajudiciaires (345). Je partage tout autant les préoccupations sous-
jacentes quant au fait qu’une agence gouvernementale non militaire pourrait
conduire indépendamment des opérations létales sur un théâtre étranger (346).
Mais aucune de ces préoccupations n’est propre aux systèmes d’armes contrôlés
à distance. Les États-Unis pourraient conduire ces mêmes missions avec un
tireur de précision ou un aéronef habité. C’est précisément cette politique qui
est ici source de préoccupations éthiques et non la technologie ou l’emploi
d’UAV en général. Certains pourraient toutefois montrer que les UAV rendent
ce type d’exécutions ciblées particulièrement pernicieuses parce qu’il existe,
tout d’abord, une différence de principe entre l’emploi d’un véhicule aérien
qui survole l’espace aérien et l’envoi, au sol, de forces spéciales. L’objection
prétend, dans un deuxième temps, que la bataille pour emporter « les cœurs et
les esprits » des populations locales sur un théâtre donné est considérablement
complexifiée par ce qu’elles perçoivent comme une guerre infâme ; les UAV sont
vus comme « une preuve de lâcheté ». Troisièmement, l’objection considère
que la technologie UAV facilite la mise en œuvre de telles politiques grâce aux
capacités uniques des plates-formes actuelles.
Pour ce qui est de la première inquiétude, il faut bien convenir qu’il s’agit
d’un cas intéressant qui pourrait être propre aux UAV. À savoir, si un État
envoie un UAV dans l’espace aérien d’un autre État souverain, il n’envoie
pas un individu ou un agent réel. Cela pourrait peut-être laisser place à un
argument artificiel consistant à dire que, dans la mesure où aucune frontière
n’a été franchie par un individu réel, il n’y a pas de violation de la souveraineté
nationale. Bien que cette distinction concernant les UAV m’intrigue, je ne
la trouve pas convaincante. Et ce parce qu’en termes de souveraineté, une
frappe réalisée depuis un UAV équivaut à un tir d’artillerie à longue distance
par-dessus la frontière ou à toute autre forme d’attaque qui ne nécessiterait
pas qu’un agent passe une frontière réelle, à l’image de la cyberguerre (347).
Dans ces cas, il est vrai qu’aucun individu réel n’a violé l’intégrité territoriale

(345) Pour une intéressante discussion autour de la justification des éliminations, voir Kaufman
(2007). Voir également Kershnar (2004). Pour un argument selon lequel nombre de dirigeants ne
devraient pas bénéficier de l’immunité des non-combattants et devraient en revanche être considérés
comme des cibles légitimes, voir Kershnar (2005). Les leaders d’Al Qaida et des talibans ciblés par des
UAV seraient sans doute des cibles légitimes selon le raisonnement de Kershnar. Gross (2006) affirme
que les éliminations ciblées ne peuvent pas être rattachées à une catégorie morale convenable. Si elles
constituent un prolongement de l’application de la loi, celle-ci n’est pas correcte, et l’élimination vue
comme légitime défense ne semble pas plausible ainsi que le montre Gross. J’aborderai ultérieurement
la question de l’élimination d’Oussama Ben Laden (réalisée par une équipe des forces spéciales
déployée au sol et non en recourant à des UAV) et la soutiendrai en tant qu’élimination à des fins
défensives.
(346) Les frappes aériennes réalisées par la CIA à l’aide de drones par opposition à celles effectuées
par les forces armées américaines.
(347) Pour une présentation utile quant à l’avenir de cette nouvelle forme de guerre, voir Dipert
(2010).

383
de l’État souverain en question mais, bien évidemment, toutes les nations
continueront (à juste titre) à considérer ces actes comme une violation directe
de leur souveraineté. Par conséquent, contrairement à l’inquiétude évoquée,
les UAV ne créent pas une catégorie spéciale d’armes pouvant se soustraire,
par une étrange échappatoire, à la théorie traditionnelle de la guerre juste ou
au respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale.
Pour ce qui est de la deuxième source de préoccupations, deux observations
s’imposent. Premièrement, si les UAV sont opérés dans le respect des règles de la
guerre et que les pertes civiles n’augmentent pas du fait de leur emploi (voire sont
peut-être même réduites), je noterais alors qu’il est pour le moins possible que la
population locale puisse ne pas opposer une plus forte résistance par rapport à
une situation dans laquelle seraient employées des armes plus conventionnelles.
Quelques données empiriques (bien que limitées) confirment cette possibilité (348).
Celle-ci a par ailleurs une certaine plausibilité intuitive si l’on observe que la
majeure partie des réactions négatives qu’ont les populations locales à l’égard
des drones furent constatées alors que ces derniers ont accidentellement frappé
des cibles civiles – mais une semblable réaction a pu être observée dans d’autres
conflits lorsque des frappes similaires furent effectuées (par exemple) depuis un
B-52 délivrant des munitions pendant un vol en altitude. Cela semble encore
une fois indiquer qu’il est possible que la réaction négative des populations au
sol soit induite non par la plate-forme qui délivre la bombe (que cette plate-
forme soit ou non habitée) mais par le caractère justifié ou non de l’attaque et
par le fait de savoir si des cibles légitimes ont été frappées.
Mais cette réponse n’est peut-être pas la bonne. Il faut convenir du fait que
de solides données empiriques suggèrent exactement le contraire : la résistance
des populations locales aux UAV est précisément due à leur caractère inhabité.
Mais soit. Car même si la première réponse ne tient pas, rappelons-nous que
mon argument en faveur de la justification éthique des drones exige qu’il n’y
ait aucune diminution de la capacité à mener une guerre juste. Donc même
s’il s’avère que sur un théâtre d’opérations les UAV donnent lieu, au sein de la
population locale, à une résistance considérablement plus forte par rapport à
celle que génèreraient des véhicules habités similaires (peut-être parce que la
population pense par exemple qu’ils sont lâches), alors les UAV ne devraient
pas être employés sur la base de l’OP. Une telle limitation entrerait clairement
dans le champ d’application de la clause « importante perte capacitaire »
de l’OP. Et cela constitue bien évidemment une question empirique et non
une objection de principe aux drones. Notons toutefois que, dans un certain
nombre de contextes, la réponse à cette question empirique serait très difficile
à déterminer parce qu’il ne s’agit pas de savoir si une population locale donnée
manifesterait une résistance aux munitions délivrées par des UAV (ce qui est
probable). Cette question empirique porte plutôt sur le fait de savoir si la
résistance aux UAV est considérablement plus grande que la résistance que
pourraient rencontrer des aéronefs habités conduisant les mêmes missions, ce
qui serait pour le moins difficile à déterminer.

(348) Avery Plaw, op. cit.

384
De la même manière, la troisième inquiétude – selon laquelle la technologie
UAV facilite ces actions – n’offre pas d’objection de principe à l’obligation
morale d’opérer des drones (349). Il est vrai que la capacité élargie qu’ont des
plates-formes telles que le Predator de « planer » et de rester sur zone durant
de longues heures, voire même des jours durant, pour observer des cibles,
constitue sans doute un véritable avantage opérationnel. Nombre d’aéronefs
habités ne disposent pas de ces capacités. De plus, certaines régions lointaines
où sont conduites ces frappes par des UAV ne seraient pas accessibles aux
plates-formes armées habitées similaires. Mais les capacités supérieures des
UAV ne vont pas à l’encontre de l’OP. De la même manière que l’apparition
de la puissance aérienne s’est accompagnée de nouvelles méthodes, souvent
supérieures, permettant d’engager le combat (justifié ou non), ces avantages ne
rendent nullement la puissance aérienne mauvaise en soi. Par ailleurs, la simple
existence de ces avantages n’oblige pas les décideurs à faire un mauvais usage
de ces capacités. Il serait certainement impossible de délivrer des bombes sur
des civils innocents si les avions n’existaient pas. Ce ne sont pas les avions qui
apparaissent moralement douteux lorsque des bombes sont larguées sur des
civils innocents mais uniquement ceux qui les emploient à cette fin. Il en va de
même des nouvelles capacités qu’offrent les UAV.
Les préoccupations d’ordre éthique liées à l’emploi actuel des UAV dans
le cadre d’éliminations ciblées, partout dans le monde, ne sont aucunement
propres aux drones. Le débat doit ici porter sur la moralité de la récente politique
américaine d’éliminations ciblées ; et sur la justification éthique des UAV (350).

5e objection : Les uav créent une asymétrie injuste dans Le


combat

Cette objection s’articule ainsi : si une force emploie des armes contrôlées
à distance contre une autre force ne disposant d’aucune technologie similaire,
un seuil d’asymétrie est franchi rendant le combat intrinsèquement vil. En
d’autres termes, lorsqu’une partie emploie des armes contrôlées à distance,
l’asymétrie en matière de capacités de combat entre les deux parties adverses
devient si importante que le combat est intrinsèquement injuste et, par
conséquent, rend l’emploi desdites armes moralement inacceptable. Ce point
de vue est habituellement défendu puisque dans de telles situations, l’une des
parties ne prend littéralement aucun risque mortel (ou quasiment pas puisque
les combattants ne sont même pas présents sur le théâtre des opérations) alors
que la partie adverse est exposée à tous les risques du combat.

réponse
Cet argument couramment avancé n’apparaît pas comme une objection
valable à la justification éthique des armes contrôlées à distance en général, et

(349) Ce type d’objection apparaît chez Phythian (2010).


(350) Pour une discussion utile de ce sujet, voir Kolff (2003).

385
des UAV en particulier. Premièrement, si on affirme que le combat justifié doit
être un « combat juste » entre les parties, du moins dans une certaine mesure,
alors je répondrai que les engagements militaires contemporains ont depuis
bien longtemps franchi ce seuil. À quel point le combat opposant un pilote de
F-22 volant en altitude et tirant un missile de précision et un guerrier tribal
utilisant un RPG apparaît-il comme juste ? Si un problème moral apparaît
ici du fait de l’asymétrie, il semble être bien antérieur à la mise en œuvre des
UAV et ne saurait leur être propre. Mais d’un autre côté, même si la véritable
distanciation du combattant par rapport au théâtre des opérations accroît
réellement l’asymétrie dans le combat (et tel est peut-être le cas), cela ne saurait
être en soi un argument contre cette mise à distance (351). Cela tient au fait que
si l’effort d’un combattant est éthiquement justifié et que celui de l’autre ne
l’est pas, alors il est bien que le combattant juste bénéficie de cet avantage et
soit mieux protégé (352).
Je rejoins ici les récents travaux de Jeff McMahan qui rejette l’égalité morale
des combattants (353). Il est selon lui moralement justifié que le combattant
luttant pour une cause juste prenne la vie de l’ennemi sans risquer de se faire
tuer, alors qu’il n’est pas justifié que le combattant injuste tue le juste, et ce
même s’il suit les principes traditionnels du jus in bello comme ne cibler que les
combattants. Il n’existe donc aucune raison chevaleresque pour qu’un combattant
juste « équilibre le terrain » ou « lutte équitablement ». Si le combattant A lutte
pour une cause juste alors que le combattant B lutte pour une cause injuste,
le combattant A n’est pas tenu envers le combattant B de s’exposer à un seuil
minimal de risque. Il est donc juste que le combattant A réduise le risque qu’il
encourt lors de l’engagement avec un ennemi injuste.
Même si certains pourraient ne pas être d’accord avec cette position et le
rejet de l’égalité morale des combattants (EMC ; moral equality of combatants,
MEC), une objection contre la protection d’un soldat ne serait pas fondée si
elle repose sur celle du « combat équitable ». Un partisan de l’EMC admettrait
toujours qu’il est justifié que des forces militaires poursuivant une action
justifiée dans le cadre d’une guerre juste fassent tout leur possible pour protéger
leurs personnels tant que cette protection n’entrave pas la capacité du soldat
à respecter les principes du jus in bello. La seule différence tient au fait que,

(351) Les opérateurs de missiles balistiques intercontinentaux et d’autres tout aussi éloignés du
théâtre des opérations sur lequel ils délivrent leurs munitions sont autant de raisons supplémentaires
de penser que le combattant éloigné du théâtre ne constitue pas, en soi, une nouveauté (l’auteur
remercie un de ses relecteurs pour cette observation).
(352) Il est, à ce propos, important d’observer que les opérateurs d’UAV seraient considérés comme
des combattants selon la théorie traditionnelle de la guerre juste (l’auteur remercie Uwe Stienhoff
pour cette observation). Dans le présent chapitre, je reste neutre à ce sujet (quand bien même j’ai
pu, à d’autres occasions, rejeter la thèse de l’égalité morale des combattants) mais quelle que soit la
manière dont on classe les combattants, les pilotes d’UAV appartiendraient toujours à cette catégorie.
La conséquence (étrange, peut-être) est que les opérateurs de drones seraient des cibles légitimes
selon la majeure partie des écrits sur la guerre juste, même s’ils conduisent des opérations depuis
leur bureau situé à des milliers de kilomètres (en des lieux comme les bases aériennes de Nellis et de
Creech situées dans le Nevada). Soit.
(353) Voir Jeff McMahan, Killing in War, New York, Oxford University Press, 2009.

386
selon le partisan de l’EMC, l’État agresseur injuste a tout autant le droit de
protéger ses combattants de la même manière (354). Autrement dit, même si
l’on peut penser que les soldats ont, dans le cadre d’un conflit donné, un statut
symétrique quant au droit à bénéficier de mesures défensives individuelles,
cela n’empêche aucunement les parties de maximiser leur défense personnelle
tant que cela n’est pas au prix du non-respect des principes du jus in bello ;
en effet, selon l’EMC, ces principes le permettraient explicitement (355). Donc
de nouveau, l’argument en faveur d’un « combat équitable » ne tient pas pour
deux raisons. Premièrement, il est déjà dépassé par les progrès technologiques
antérieurs car les opérations militaires actuelles sont déjà loin d’être équitables,
même sans l’asymétrie qui découle des systèmes de drones. Le problème n’est
donc pas lié à ces derniers. Deuxièmement, le désir d’un « combat équitable »
n’est qu’une faible exigence – proche d’une exigence archaïque par laquelle les
commandants militaires du XVIIIe siècle devaient, pour que la « bataille soit
digne », aligner leurs troupes face à face. Il n’existe tout simplement aucune
raison convaincante, d’un point de vue normatif, de penser qu’une force militaire
justifiée doive mener un combat équitable, pas plus qu’il n’en existe de penser
que la police ne devrait pas utiliser de gilets pare-balles dans le souci d’assurer
un combat équitable à des criminels dangereux (356).
Mais cela ne révèle peut-être pas tout le sens de cette objection. Paul
Bloomfield observait que la simple idée de « se faire tuer par télécommande » est
forte et troublante (357). On pourrait penser de manière intuitive que tuer ainsi
un individu est un profond manque de respect et qu’un être humain mérite au
moins de voir ceux qui le tuent (et de les condamner, s’ils sont injustes) même
s’ils se trouvent dans un avion à 6 000 mètres. L’idée consisterait à dire que
l’être humain qui se trouve dans un avion est moins une mort « sans visage » que
ne le serait un robot opéré à distance. Mais songeons au sentiment qu’évoque
Uwe Steinhoff lorsqu’il s’intéresse aux armes contrôlées à distance, en général,
et au fait que l’étrange asymétrie des risques qu’elles créent (laissant les cibles
« sans défense ») n’a rien d’une guerre « honorable » :

(354) Je partage bien évidemment le point de vue McMahan : en principe, ceux qui luttent sans avoir
une cause juste ne peuvent pas respecter le principe de proportionnalité du jus in bello. Voir McMahan
(2004). Mais un partisan traditionnel de l’EMC ne serait bien évidemment pas d’accord. Benbaji
(2008) essaie de défendre certains des éléments traditionnels impliqués par l’EMC.
(355) Pour une discussion utile autour des complexités et des difficultés des droits symétriques
aux mesures de défense individuelle dont jouissent les soldats selon la théorie traditionnelle de la
guerre juste (à la différence de l’asymétrie d’un droit aux mesures de défense individuelle dans les
cas individuels de légitime défense où la culpabilité est intégrée à ces déterminations), voir Emerton
et Handfield (2009). Pour une note utile sur la responsabilité et la défense, voir McMahan (2005 : 10)
et McMahan (2009).
(356) Il existe de plus une autre préoccupation relative à l’asymétrie créée par la technologie avancée,
selon laquelle l’asymétrie rend la guerre trop facile, abaissant alors d’une manière trop importante le
seuil du jus ad bellum d’une nation. J’aborderai cette préoccupation ci-après.
(357) Paul Bloomfield, correspondance personnelle, 12 juillet 2010 et discussions dans le cadre du
groupe d’éthique à l’université de Connecticut, été 2010.

387
« Pour que les choses soient claires, je ne conteste pas le fait qu’attaquer
les individus sans défense ait quelque chose de douteux. Cela ressort bien
du passage suivant : “Le pilote d’un bombardier ou l’équipage d’un navire
de guerre depuis lequel sont tirés les missiles Tomahawk sont au-delà de la
portée des armes ennemies. La guerre a ici perdu toutes les caractéristiques
du duel classique, se rapprochant, pour être cyniques, de certaines formes de
dératisation” .» (358)

Il convient d’admettre que cette forme de guerre vue comme une


« dératisation », comme l’évoque l’extrait de Münkler, a en effet un côté infâme
et déshonorant. Peut-être que cette distance rend la guerre trop froide ou
impitoyable (359). Nombreux seront ceux qui partageront ce sentiment à l’égard
de la guerre menée avec des UAV, comme tel est mon cas. Mais quelque soit
ce sentiment, il ne saurait être un argument normatif ; il ne constitue pas une
raison morale pour rejeter l’emploi des drones. Le caractère dérangeant ne
rend pas la chose mauvaise en soi. Ce caractère infâme doit être transformé
en un argument éthique cohérent et convaincant contre l’emploi des UAV ; le
simple mécontentement quant à leur emploi ne nous est d’aucune aide. Comme
l’observe Steinhoff :
« Si l’on juge à la lumière du code d’honneur du guerrier traditionnel, qui
valorise, entre autres, le courage, il n’y a rien d’honorable dans le fait de tuer
des ennemis sans défense (c’est une autre question que de savoir si cela est
déjà déshonorant). Mais l’honneur et la morale ne sont pas la même chose, ni
d’ailleurs l’honneur et le droit de la guerre. En bref, interdire les assauts contre
des individus sans défense n’est ni un principe explicite, ni un principe implicite
du droit de la guerre ou de la théorie de la guerre juste. » (360)

(358) Uwe Steinhoff, “Torture : The Case for Dirty Harry and against Alan Dershowitz”, Journal of
Applied Philosophy, 2006, vol. 23, n° 3, p. 7. Steinhoff cite Münkler (2003 : 234), la traduction lui
appartient. Dans l’ouvrage original, Steinhoff discute, dans le cadre du débat sur la torture, du manque
général de courage que suppose une attaque contre des individus sans défense. La citation exprime
un point de vue contre les armes contrôlées à distance qui permettent au combattant d’être à l’abri du
risque. Ce point de vue peut ainsi facilement s’appliquer à l’emploi des UAV. Observons que l’auteur
affirme par la suite le point de vue exprimé ci-dessus selon lequel le combat est en effet déshonorant
pour la partie qui opère des UAV du fait de son asymétrie. Le seuil a été franchi longtemps avant les
UAV (voir Münkler, qui cite les missiles Tomahawk), cela n’étant donc pas spécifique aux drones mais
à la guerre moderne. L’emploi de l’expression « dératisation » pour décrire ce qui est vu comme une
forme de guerre particulièrement non courageuse a été discutée dans mon panel lors de la 7th Global
Conference on War and Peace (2010, Prague, République Tchèque). L’auteur remercie vivement Uwe
Steinhoff pour lui avoir permis de reprendre cette observation et lui avoir indiqué les travaux de
Münkler.
(359) Selon Bloomfield, l’origine de l’inquiétude relative à la « dératisation » est notre propre peur
d’être traités comme des insectes nuisibles si nous étions attaqués par des armes contrôlées à distance.
Si nos ennemis nous attaquaient en opérant des drones, nous penserions qu’ils nous font du tort en
nous tuant de cette manière (et ce en plus de nous tuer). Nous devrions donc étendre ce respect à
tout individu, dans tout contexte, et ce même contre un ennemi injuste : autrement dit, tous les êtres
humains méritent le respect de ne pas être tués par de telles mesures de « dératisation » contrôlées à
distance.
(360) Uwe Steinhoff, “Torture…”, op. cit., p. 8.

388
Steinhoff a certainement raison sur ce point. J’ajouterais qu’un élément
essentiel du « sentiment » que l’on peut avoir en imaginant une telle guerre
dépend du fait de savoir si la frappe du missile de précision est ou non justifiée.
Est-ce une frappe militaire dans le cadre d’un effort entièrement justifié visant
la défense d’individus innocents contre une force ennemie agressive, injustifiée
et destructrice ? Est-ce que cette frappe touche une cible légitime, moralement
coupable, et donc responsable ? Si tel est le cas, ces facteurs tempèrent
considérablement notre vision de la frappe et nous éloignent de l’image de
« dératisation ». Dans ce cas, nous devons souhaiter que le combattant juste
soit bien protégé contre toute menace possible que cet ennemi pourrait faire
peser – protection qu’offrent les UAV.

objection 6 : abaissement du seuiL du jus as beLLum


L’inquiétude tient ici au fait que l’asymétrie en matière de capacités de
combat créée par la technologie avancée des drones, et plus particulièrement
par la diminution massive du risque pour leurs pilotes, rend trop aisée l’entrée
en guerre pour l’État qui opère des UAV (361). Autrement dit, l’asymétrie créée
par les UAV abaisse le seuil du jus ad bellum de sorte que, les risques de guerre
pouvant être si réduits pour un État, un nombre plus important de guerres
injustes pourraient être conduites (362).

réponse
À première vue, cette objection pourrait sembler la plus forte contre la
mise en œuvre des UAV. L’inquiétude quant au fait qu’entrer en guerre pourrait
devenir plus facile si nous disposions de la technologie X, et que la tentation
serait dès lors plus grande d’entrer dans des guerres injustes (rendant plus
probable le déclenchement d’un nombre plus important de guerres injustes),
est intuitivement plausible. Mais ce type d’argument n’est finalement pas
pertinent puisque l’objection ne parvient pas à contester l’impératif moral
actuel, découlant du PRN, qu’il y a à employer des UAV. Pour expliquer
cette situation, considérons deux mondes possibles, Alpha et Béta. Dans le
monde Alpha, l’État-nation Zandar a développé la technologie nécessaire à la
fabrication de gilets pare-balles que les membres de ses forces armées portent
au combat, diminuant considérablement par là les risques qu’ils encourent.
Conformément au PRN, le Zandar produit ces gilets pare-balles et demande
aux membres de ses forces armées de les porter. Dans le monde Beta, l’État-
nation Zandar a développé la même technologie et dispose des gilets pare-balles.
Ils pensent toutefois que s’ils utilisent ces gilets, la guerre aura des « coûts »

(361) Notons que j’utilise l’expression « diminution massive du risque » et non diminution totale
car, selon la majeure partie des théories de la guerre juste, les opérateurs d’UAV seraient toujours
considérés comme des cibles responsables dans la mesure où il s’agit de combattants. Pour plus de
détails sur les opérateurs d’UAV comme cibles légitimes, voir Singer (2009 : 386).
(362) L’auteur remercie le public de l’International Society of Military Ethics Annual Conference
organisée en 2010 à San Diego pour la discussion approfondie autour de cette objection.

389
moindres en termes de risques pour leurs propres troupes et qu’elle sera donc
plus facile à mener (et, dès lors, plus tentante). Dans cette situation, le Zandar
du monde Béta s’inquiète que n’augmente la probabilité de guerres injustes. Ils
décident alors de ne pas utiliser les gilets pare-balles afin de rendre la guerre
plus coûteuse (en augmentant délibérément le risque pour leurs soldats) dans
l’espoir que cela diminuera la probabilité qu’ils s’engagent à l’avenir dans une
guerre injuste. Excepté cette décision, les mondes Alpha et Béta sont identiques.
Supposons que le raisonnement du Zandar du monde Béta s’avère correct.
Cela signifie qu’il y aura en effet plus de guerres injustes dans le monde Alpha
que dans le monde Béta. L’utilisation des gilets pare-balles a tellement abaissé
le seuil de la guerre pour le Zandar du monde Alpha que la différence quant au
nombre total de guerres menées est positive – dont quelques guerres injustes. Je
persiste à soutenir que la décision du Zandar du monde Béta a été moralement
inacceptable puisque la force normative du PRN sur les actions présentes est
trop forte pour l’emporter sur des calculs prévisionnels si faibles quant aux
possibilités futures (363).
Si je montrerai brièvement pourquoi, notons tout d’abord que la portée
de ce débat dépasse de loin les UAV et les gilets pare-balles. Il porte sur toute
asymétrie que crée le développement technologique militaire. Tout renforcement
capacitaire d’une armée qui lui confère un avantage sur ses potentiels ennemis
se heurtera à la même objection. Mais cela signifierait que cette objection
pourrait être utilisée pour bloquer le développement et la mise en œuvre de
toute technologie militaire qui crée une asymétrie. De plus, l’objection pourrait
être inversée : les forces armées actuelles devraient réduire délibérément leurs
capacités militaires afin de rendre la guerre plus coûteuse. Ce faisant, elles
exposeraient leurs soldats à des risques accrus. En suivant cette logique, nous
pourrions même conclure qu’un État devrait demander à ses forces armées
de renoncer à leurs armes ainsi qu’à toute technologie défensive, puisqu’il
serait moins probable qu’une force armée ainsi réduite s’engage par la suite
dans des guerres injustes. J’admets que cette préoccupation quant au fait que
l’asymétrie créée par les progrès de la technologie militaire facilite la décision
d’entrer en guerre pourrait bien être légitime. Mais en suivant cette logique,
on en arrive rapidement à exiger l’absence de toute technologie militaire dans
l’espoir d’éviter de futures guerres injustes. Cela est peut-être correct. Peut-
être ne devrait-il pas y avoir d’armées. Mais notons que nous sommes là très

(363) On pourrait objecter ici que cette analogie ne tient pas, du fait des différentes obligations
découlant de technologies militaires « purement » défensives (comme les gilets pare-balles) par
opposition aux armes offensives qui servent à renforcer les capacités défensives (comme les UAV). La
distinction entre capacités militaires offensives et défensives est controversée pour nombre de raisons.
Premièrement, tout objet (tel un gilet) qui renforce les capacités défensives d’une unité renforcera par
là même sa capacité de force offensive. Mais je ne m’attarderai pas ici sur cette idée. Si l’on trouve que
mon exemple sur le Zandar ne s’applique pas aux UAV du fait de la distinction offensif/défensif, alors
cet exercice intellectuel pourrait être réitéré en opposant les mousquets du XVIIIe siècle à l’emploi
des fusils M-16 contemporains. Les mousquets (des armes sans nul doute offensives) diminueraient
les capacités défensives des forces puisqu’ils sont plus longs à charger, sont moins précis, etc. Si l’on
remplace les gilets par des M-16, les résultats de cet exercice intellectuel seraient, mutatis mutandis,
les mêmes. L’auteur remercie Donald Joy pour avoir contribué au développement de cette réflexion.

390
éloignés du débat sur la technologie UAV. Il s’agit ici de l’existence de toute
arme ou de tout progrès militaire. Si tel est le cas, il ne s’agit plus d’une véritable
objection spécifique aux drones. Par ailleurs, si l’objection 6 est correcte, alors
l’OP reste valable – c’est juste une affirmation vide : comme toute affirmation
quant à la possibilité d’un emploi justifié de tout type d’armements militaires.
Mais les problèmes autour de cette objection sont encore plus profonds.
Comme je l’ai précédemment évoqué, le raisonnement de l’État Zandar du
monde Béta – qui consiste à dire que les gilets ne devraient pas être utilisés –
repose sur des calculs douteux d’un point de vue épistémique prédisant que
l’État lui-même fera quelque chose de mal à l’avenir (« il est plus probable que
nous accomplissions ultérieurement la mauvaise action X »). En effet, d’un point
de vue épistémique, ce raisonnement ne repose pas sur de solides calculs qui
consisteraient à protéger au moment présent leurs combattants justes (« nos
soldats seront plus en sécurité aujourd’hui s’ils portent le gilet »). Observons quel
étrange raisonnement moral résulterait si l’objection 6 apparaissait comme
valable : comme il est très probable que nous nous conduisions de manière
injuste dans le futur, nous devons nous conduire injustement dans le présent
(en enfreignant le PRN en faisant le choix de ne pas protéger au mieux nos
combattants) afin d’essayer de nous empêcher nous-mêmes d’agir injustement
dans le futur. Si cela se tient, nous avons là un exemple d’épistémologie morale
pour le moins étrange. Nous devrions renoncer à l’action A, moralement correcte
au moment présent, afin d’empêcher la probabilité que nous ne commettions à
l’avenir l’action B, moralement mauvaise. Autrement dit, nous devrions faire
à présent quelque chose de mal pour nous empêcher (avec un peu de chance)
de commettre quelque chose de mal dans le futur.
Cela semble étrange même si des cas dans lesquels ces décisions représentent
la chose à faire pourraient exister – le moindre de deux maux, peut-être. Mais
observons que la décision de l’État Zandar du monde Béta ne constitue pas un
cas clair dans lequel la retenue présente limite les potentielles mauvaises actions
dans le futur puisque les cas habituels de retenue présente ne constituent pas des
actes qui apparaissent en soi inacceptables. Imaginons par exemple un individu,
Tom, qui connaît sa tendance à se mettre en colère et à perdre son contrôle. Tom
décide qu’il devrait tenir son arme enfermée dans un coffre-fort et donner la clé
de celui-ci à un ami de confiance. Tom fait cet acte présent pour s’empêcher de
commettre à l’avenir une mauvaise chose. Mais le fait qu’il enferme son arme
n’est pas un acte inacceptable en soi. Enfreindre le PRN en ne protégeant pas les
combattants justes est un acte qui, pris isolément, est présentement inacceptable.
D’où le caractère étrange du raisonnement sur lequel se fonde la décision de
l’État Zandar du monde Béta : il expose délibérément ses soldats à un risque
important au moment présent (ce qui, pris isolément, serait considéré comme
inacceptable) pour éviter qu’ils commettent quelque chose d’inacceptable dans
le futur. Pour revenir à la comparaison, elle continuerait ainsi : Tom décide, au
moment présent, de frapper son ami Sam (ce qui est inacceptable) parce que
cela l’aidera à ne pas commettre quelque chose de pire dans le futur (comme
tuer Bob). Si tel est véritablement le cas, cela pourrait être la bonne chose à

391
faire. Mais notons que, pour juger son acte justifiable, nous devrions avoir un
degré plutôt élevé de certitude épistémique quant à la connaissance que Tom
a de ce scénario et quant au fait qu’il n’existe aucun autre moyen pour éviter
de tuer Bob. Autrement dit, si Tom a la quasi-certitude que le fait de frapper
Sam au moment présent apparaisse comme le seul moyen de ne pas tuer Bob
dans le futur, alors l’acte est peut-être justifié. Mais la question est de savoir
comment Tom pourrait jamais avoir cette certitude épistémique quant à des
actes futurs. Cela est tout autant valable pour l’État Zandar du monde Béta.
Mais peut-être est-il encore possible que cette décision soit justifiée. Et cela,
pourrait-on dire, tient au fait que je suis ambigu sur le poids moral de cette
erreur présente qui consiste à ne pas protéger les combattants justes, comme sur
celui de la future erreur potentielle consistant à un nombre croissant de guerres
injustes. Si elles ont une importance et des conséquences morales extrêmement
différentes, alors il est peut-être justifiable de commettre à présent un moindre
mal pour accroître la chance, aussi infime soit-elle, d’éviter un mal nettement
plus important dans le futur. J’admets cette possibilité. On pourrait, en effet,
relever qu’une telle décision est directement en accord avec le PRN puisque le
bien qui consiste à éviter des guerres futures est plus important que la protection
présente des soldats justes (autrement dit, comme certains pourraient l’observer,
un tel calcul s’impose dans un souci de justice).
Si on applique ce raisonnement à notre cas présent, le problème réside dans
le haut degré d’incertitude épistémique qu’implique la prédiction de situations
futures, et plus particulièrement de futures décisions d’entrer en guerre. En
d’autres termes, même si l’erreur qui consiste à sacrifier la protection des
soldats justes est un moindre mal au regard de la possibilité de futures guerres
injustes, nous sommes totalement convaincus que le mal présent se produit
mais serions nettement moins certains de l’avènement d’un mal futur. Cela
revient à dire qu’il est nécessaire d’évaluer les probabilités que ce mal futur se
produise et la manière de faire une prédiction fiable n’est pas évidente. Bien
évidemment, il n’est pas nécessaire que les probabilités que se produisent les
maux soient égales. Si le mal plus grave était suffisamment important, peut-être
qu’une probabilité relativement faible qu’il se concrétise l’emporterait même
sur la certitude d’un moindre mal. Mais, de nouveau, il n’est pas évident que
nous puissions avoir ce faible niveau d’assurance épistémique quant au fait
qu’une technologie d’armement donnée (qu’il s’agisse de gilets pare-balles, de
fusils d’assaut M-16 ou d’UAV) multiplierait les guerres injustes ; ou du moins
que nous puissions avoir le niveau d’assurance nécessaire pour l’emporter sur
l’exigence qu’il y a à ne pas commettre le mal présent.
Même s’il s’avère qu’il y aurait moins de guerres dans les mondes futurs
si nous limitions délibérément le développement de nos propres technologies
militaires, nous ne pouvons avoir une certitude épistémique suffisante pour le
savoir à présent et surmonter les exigences qu’il y a à protéger le combattant
juste. À moins d’avoir une boule de cristal, je ne peux pas imaginer comment
nous pourrions avoir le niveau de certitude permettant de prédire le futur
comportement de groupe, niveau de certitude qui est nécessaire pour prétendre

392
que le bien futur possible devrait l’emporter sur notre devoir moral présent
selon lequel il ne faut pas exposer les autres aux risques dès lors que cela
n’est pas nécessaire. Cela est peut être faisable mais nécessite d’être démontré
avant que nous n’exposions délibérément autrui à des risques non nécessaires.
Il s’agirait donc de montrer de quelle manière nous pourrions obtenir cette
assurance épistémique que nous n’enfreignons pas le PRN en ne protégeant pas
les combattants justes au moment présent. La charge de la preuve incombe à
ceux qui prétendent que nous devons entreprendre à présent un acte que nous
considérerions normalement comme inacceptable en soi et ce afin d’éviter un
mal futur dont l’avènement n’est pas certain. Par conséquent, même s’il est sans
doute possible que l’emploi de drones réduise les coûts de la guerre pour un État
donné et abaisse ainsi le seuil d’entrée en guerre, rendant dès lors plus probable
le fait qu’un État s’engage dans une guerre injuste, on ne peut, compte tenu de
nos limitations épistémiques actuelles, se baser sur de telles prédictions pour
exiger une violation délibérée du PRN. C’est là une conclusion malheureuse. Si
j’ai beaucoup d’affinité avec cette préoccupation, le PRN semble trop solide pour
être surmonté par des prédictions si peu fiables quant aux décisions contraires
à l’éthique que pourrait dans le futur prendre un État. Et, de nouveau, si nous
permettons une telle opposition aux drones, cela activerait un principe moral
qui ne se limiterait pas aux UAV mais concernerait la technologie militaire
dans son ensemble – non seulement son développement futur mais également
l’exigence rétroactive que soit délibérément diminuée l’asymétrie des forces
que crée la technologie militaire actuelle (364). Si ce raisonnement est solide,
nous pourrions finalement, en revenant à l’un de nos scénarii, exiger que l’on
demande à la capitaine Zelda de lutter sans gilet pare-balles, sans fusil, et
seulement munie d’une pierre, afin que la guerre soit « plus coûteuse » et que la
probabilité de nous engager dans une guerre injuste soit ainsi diminuée. Mais
cela est absurde. Si une guerre est juste, nous sommes obligés de protéger les
combattants justes qui s’y engagent. C’est précisément ce que font les UAV.

concLusion
Les UAV seront de plus en plus présents dans les opérations militaires à
tous les niveaux ; cela apparaît de plus en plus inévitable. J’ai montré dans le
présent chapitre que toute technologie nouvelle protégeant mieux le combattant
juste constitue, du moins à première vue, une amélioration éthique et son emploi
s’impose d’un point de vue moral à moins que de fortes raisons compensatoires

(364) Je dois bien sûr observer qu’il existe une longue série d’arguments en faveur du désarmement
fondés précisément sur ces bases, en particulier pour les armes nucléaires. Notons toutefois que les
plus forts arguments de ce type visent des technologies particulières perçues comme éthiquement
problématiques en principe, abstraction faite d’autres maux. Autrement dit, les armes nucléaires ou
les mines terrestres (par exemple) posent un problème par principe (l’incapacité de discriminer, etc.)
qui incite à les interdire, et ce totalement indépendamment des maux futurs qu’ils pourraient rendre
plus probables. De plus, en les réduisant nous réduisons les probabilités futures d’en faire un emploi
injuste. Mais cela est dû précisément au fait que tout emploi futur de ces armes serait injuste, nous
pouvons donc avoir la certitude que si elles parvenaient à être employées dans le futur, cet emploi
serait injuste. La situation est totalement différente pour les UAV qui eux peuvent, dans certaines
circonstances, être employés de manière juste.

393
existent pour renoncer à cette protection. J’ai montré que si l’emploi des UAV
(comme un type particulier d’arme contrôlée à distance) n’implique pas une
considérable perte capacitaire – la capacité plus particulièrement des opérateurs
à s’engager en guerre conformément aux principes du jus in bello – alors il
existe une obligation éthique de les employer et, lorsque cela est possible, de
convertir les inventaires militaires en UAV. Je soutiens finalement l’affirmation
plus forte selon laquelle cette conversion ne serait pas seulement faisable sans
une importante perte capacitaire mais elle renforcerait la capacité du système
d’armes ainsi que la capacité à lutter d’une manière juste (365). Aucune des
préoccupations actuelles relatives aux UAV ne conteste cette obligation éthique
qu’il y a à opérer des systèmes d’armes inhabités. Ces préoccupations devraient
être appréhendées de manière appropriée, autrement dit comme des mises en
cause de décisions politiques erronées et de cas particuliers de mise en œuvre
de la force, et non comme des objections de principe à l’égard des UAV car
aucune de ces préoccupations n’est véritablement propre aux drones.
Enfin, je note que, dans le cadre de ce chapitre, je me trouve dans l’étrange
position qui consiste à soutenir l’obligation éthique qu’il y a à employer des
UAV pour une action militaire présumée juste alors que dans le contexte actuel,
l’emploi réel des UAV se réalise essentiellement, sinon entièrement, dans le cadre
d’actions militaires à l’échelle mondiale qui apparaissent comme discutables
d’un point de vue moral, si ce n’est clairement inacceptables. Les circonstances
actuelles et les mauvais usages qui sont actuellement faits des UAV, ne sauraient
pourtant l’emporter sur les principes moraux qui sous-tendent l’obligation
éthique qu’il y a à opérer des UAV pour des actions justes. En effet, cela met
bien en évidence l’idée principale : la première question qui se pose au sujet de
l’emploi moralement acceptable de toute technologie d’armement concerne,
bien évidemment, le fait de savoir si l’action militaire est moralement justifiée
en soi. S’il ne s’agit pas d’une entreprise juste, alors qu’importe si elle est menée
avec une arbalète, un fusil à lunette ou un drone ; quoi qu’il en soit, elle reste
moralement inacceptable. Toutefois, si l’acte est moralement justifié, nous
sommes obligés, en vertu du PRN, de protéger au mieux l’agent à qui ordre à
été donné de conduire cette action, qu’il s’agisse d’un policier qui appréhende
un dangereux criminel, d’un personnel NEDEX qui neutralise une bombe ou
d’un combattant juste qui lutte contre un ennemi injuste. D’où l’obligation
éthique qu’il y a à opérer des drones.
(Traduit de l’anglais par Gabriela Sulea Boutherin)

(365) Bien que je n’aie pas pleinement défendu ici cette affirmation plus forte. Là encore, voir Plaw
(2010) cité ci-dessus. Bien évidemment, si cette affirmation plus forte est vraie, cela imposerait une
obligation encore plus importante d’employer des UAV et de convertir les inventaires militaires en
UAV.

394
TROISIÈME PARTIE

L’AVENIR DES SYSTÈMES


DE DRONES

395
396
Alors que l’une des caractéristiques des drones est leur nouveauté, voire
leur modernité bien que le terme soit aujourd’hui sujet à critiques, ces systèmes
d’armes sont toujours en pleine évolution. Tandis que la précédente partie a
évoqué leurs emplois actuels sur les champs de bataille et dans leur dimension
civile, la présente partie souhaite offrir au lecteur les moyens de voir au-delà de
l’horizon. Il y a, d’une part, ce qui commence à être envisagé ou envisageable
comme évolutions techniques ou en termes d’emploi. Il est évidemment difficile
de définir pour celles-ci un agenda précis. Cela est encore plus vrai, d’autre part,
pour des analyses qui relèvent de la prospective, donc d’une échelle temporelle
encore plus longue. Il est difficile de déterminer l’arrivée à maturité de certaines
innovations technologiques. Toutefois, des débats, des échanges intellectuels,
parfois vifs, ont déjà pris possession de ces possibles futurs. Tout en respectant
la philosophie de cet ouvrage qui se veut didactique et un outil de réflexion,
et par là-même de remise en cause des idées reçues, cette partie est ouverte à
des opinions et des analyses qui, si elles témoignent de l’état d’un débat, n’en
sont pas moins, par définition, polémiques.
« Plus haut, plus vite, et pour tous… » Cette adaptation de la formule
résumant les caractéristiques majeures de la puissance aérienne appliquée
aux contributions du premier chapitre évoque ces évolutions que pourraient
rapidement connaître les drones. La première d’entre elles concerne leur
prolifération. En effet, si la réalisation de cet ouvrage a été motivée par le
constat du rôle grandissant de ces systèmes d’armes et de l’explosion de
leur emploi, ce phénomène est loin d’être arrivé à son terme. On mesure à la
lecture de la première contribution que cette expansion peut encore se faire de
manière horizontale (augmentation du nombre d’États possesseurs) et verticale
(augmentation du nombre de systèmes dans les inventaires des États nantis).
Le marché industriel devrait alors se développer sous différentes formes et
coopération comme l’explicite la deuxième contribution de ce chapitre. C’est
ensuite une autre forme de verticalité qui se fait jour en examinant les possibles
évolutions techniques que pourraient connaître les systèmes opérés à distance.
Alors que les réflexions s’intensifient autour de l’utilisation de l’espace à des fins
militaires, au point que le dernier Concept d’emploi des forces paru en janvier
2010 ait qualifié ce milieu de « nouveau champ d’affrontement », l’irruption
des drones y est envisageable. S’ils pourraient aller « plus haut », les drones
pourraient également aller plus vite, voire devenir supersoniques. Dans ces
deux cas, de nouvelles manières d’envisager l’emploi de ces systèmes peuvent
être esquissées. Ces deux dernières possibles évolutions ouvrent la question de
l’une des faiblesses des systèmes de drones actuels. Leurs vulnérabilités tiennent
en effet pour partie à leur faible vitesse, leur faible manœuvrabilité et à des
altitudes qui les mettent à portée des menaces air/air et sol/air. La dernière
contribution de ce chapitre fournit de ce point de vue des éléments de réponse
particulièrement novateurs.
En regardant encore plus loin, les drones pourraient connaître des évolutions
technologiques majeures, parmi lesquelles la capacité de « voir et éviter » en
espace non contrôlé (sense and avoid). La contribution relative à ce point doit

397
être particulièrement mise en exergue car elle place le lecteur au coeur des
avancées technologiques les plus récentes. Mais il ne s’agit évidemment là
que d’un aspect, comme le reflète le nombre des contributions de ce chapitre.
La furtivité, les systèmes de communication, l’automatisation et le travail en
essaim des drones, l’utilisation d’énergies alternatives et en particulier l’énergie
solaire représentent autant de champ de recherche à explorer dans le but de
développer et d’améliorer les systèmes de drones. À nouveau, on ne peut que
se féliciter de la mobilisation de ces chercheurs venus d’institutions diverses
et qui offrent un panorama, non pas de l’état de l’art d’aujourd’hui, mais bel
et bien de demain.
Le dernier chapitre de cet ouvrage soulève quant à lui plus de questions,
de réflexions qu’ils n’apportent de réponses. Cet espace volontairement laissé
aux débats réuni des contributions extrêmement variées par les thèmes et les
champs disciplinaires dans lesquels elles s’inscrivent. Elles ont en commun de
vouloir appréhender l’accueil qui pourrait être fait aux systèmes de drones
par les sociétés et les individus. Au niveau des relations internationales, ne
pourraient-ils pas conduire à la naissance de mouvements transnationaux
appelant au contrôle des armements comparables à ceux qu’on a pu connaître
pour les mines antipersonnel ou les armes à sous-munitions ? Toujours dans
une démarche comparative, ces systèmes d’armes que certains présenteront
comme « déportant la violence » en déportant les opérateurs provoqueront
peut-être des effets psychologiques sur ceux qui les mettent en œuvre. Le
thème de l’Homme et de ses droits à la lumière de l’emploi des drones et de
leur évolution, conduit aussi à une forme de spéculation philosophique. En
effet, si les drones deviennent autonomes (et il est important de souligner le
« si »), et que l’on puisse les qualifier alors de robot, est-il raisonnable, voire
moral, de leur donner la capacité de prendre une décision létale ? Ne vont-ils
pas induire un abaissement du seuil d’entrée en guerre par les États ? Seront-ils
en mesure de discriminer combattants/non-combattants ? Et, alors dans ce cas,
quid de la responsabilité juridique ? Outre le caractère extrêmement spéculatif
à l’heure actuelle de ces questions, les lecteurs pourront mesurer à travers les
dernières contributions de ce chapitre le contraste entre les thèses défendues
par des auteurs qui sont aussi les principaux animateurs de cette réflexion au
niveau international.
Cette dernière partie, à la fois essai d’ouverture sur l’avenir des systèmes
de drones et tribune rappelant les débats sociaux et internationaux relatifs
à ces objets, ne peut être considérée comme conclusive. On l’aura compris,
il s’agissait de poser une première pierre d’un futur en construction. Cette
partie, peut-être encore plus que les autres, a alors la tâche ingrate d’évoquer
des possibles qui se verront peut-être démentis dans quelques années. Mais elle
est aussi une chance pour le lecteur de réfléchir sur un « demain » qui ne cesse
de se rapprocher de plus en plus rapidement.

398
CHAPITRE 7 :

LES DRONES : PLUS HAUT,


PLUS VITE ET POUR TOUS ?

399
400
De la prolifération des systèmes
de drones. L’exemple des drones
MALE et UCAV
Joseph Henrotin

L’inflation du nombre des analyses portant sur les avantages comparatifs


issus de l’emploi d’UAV (Unmanned Air Vehicles) dans les forces aériennes
pourrait a priori laisser penser que leur diffusion/prolifération est aussi certaine
qu’assurée à l’échelle mondiale, éventuellement limitée par des facteurs d’ordre
budgétaire. Toutefois, comme fréquemment lorsqu’il est question d’acquisition
de nouvelles capacités, ces derniers facteurs ne sont pas les seuls à entrer en
ligne de compte, de sorte que la diffusion/prolifération des systèmes de drones
n’est pas un phénomène linéaire. Dans le cadre de ce chapitre, nous entendons
rendre compte de cette non-linéarité, à l’échelle mondiale et dans une optique
prospective à dix ans. Nous nous concentrerons toutefois sur trois catégories
de systèmes : HALE, MALE et drones armés. La diffusion des UAV dits
tactiques, des micro, nano et pico-drones, qui ressortent le plus fréquemment
d’une utilisation par les forces terrestres, ne sera donc pas examinée ici.
La première catégorie est celle des drones HALE (High Altitude Long
Endurance), soit des UAV d’une endurance égale ou supérieure à 24 heures,
capables d’opérer au-delà des 10 000 mètres d’altitude et dont la charge utile
est supérieure à 500 kg. La deuxième catégorie examinée est celle des drones
MALE (Medium Altitude Long Endurance), soit des drones d’une endurance
supérieure à 10 heures, aptes à voler au-delà des 5 000 mètres d’altitude et dont
la charge utile est supérieure à 150 kg. Leur dotation ou non avec une liaison par
satellite, déterminante de leur enveloppe d’engagement géographique, permet de
les subdiviser en deux sous-catégories. La troisième catégorie, celle des drones
armés, est plus particulière dès lors qu’elle peut soit renvoyer à l’armement,
intentionnel ou d’opportunité, de drones MALE (à l’instar du MQ-1 ou du
MQ-9), soit à des UCAV (Unmanned Combat Air Vehicle) spécifiquement
conçus pour des missions de frappe (X-47B, Taranis). Dans le cadre de ce
chapitre, nous effectueront l’analyse des capacités sur une base étatique et en
nous fondant sur une combinaison de sources incluant la littérature ouverte
et le résultat d’entretiens avec des responsables nationaux.

Les amériques
Leaders en matière de robotique militaire, les États-Unis devraient
vraisemblablement conserver leur supériorité en matière d’UAV et d’UCAV
dans les prochaines années, tout en diversifiant les flottes d’UCAV, de MALE
et de HALE de l’US Air Force, de l’US Navy et de l’US Army. Après l’échec
du programme J-UCAS (l’Air Force abandonnant sa participation), l’US Navy

401
poursuit son programme d’UCAV X-47B, avec pour objectif de mettre en
service des drones de combat d’ici 2018, plusieurs programmes expérimentaux
étant actuellement en cours (366). La Navy, qui envisage d’utiliser les appareils
dans des missions ISR, d’attaque dans la profondeur et de suppression des
défenses aériennes adverses (programme Unmanned Carrier-Launched Airborne
Surveillance and Strike – UCLASS), n’a pas encore publié d’estimations quant
à ses besoins quantitatifs. Toutefois, face au vieillissement des F/A-18 les plus
anciens et aux retards du programme F-35C, elle considère que l’appareil est
nécessaire à la pérennité de sa structure de forces, de sorte que l’on peut estimer
ses besoins à hauteur d’une centaine d’appareils.
Le RQ-4 Global Hawk, seule plate-forme HALE actuellement en service de
par le monde, est actuellement opéré par trois escadrons de l’Air Force. Selon
l’UAS Roadmap 2009 (367), l’Air Force devrait recevoir un total de 54 exemplaires
– un chiffre à relativiser du fait de l’interruption de la production des appareils
du Block 30, destinés au remplacement des U-2 et dont les performances ne
satisfont pas les responsables américains. Dans le même temps toutefois,
les besoins américains en Block 40, destinés aux missions de détection des
mouvements des forces terrestres, devraient s’accroître du fait de l’annulation
du programme E-10 MC2A, notamment destiné au remplacement des E-8
J-STARS. Au surplus, la Navy a choisi le RQ-4 dans le cadre de son programme
Broad Area Maritime Surveillance (BAMS) de surveillance de surface au long
des grandes voies de transport maritime. L’appareil, désigné MQ-4C, entrerait
en service à raison de 68 exemplaires d’ici 2030 (368). Toujours dans le domaine
des drones HALE, mais cette fois au niveau de la R&D, la DARPA continue
de financer plusieurs programmes, avec à la clé la possibilité du développement
de VHALE (Very High Altitude Long Endurance), comme le Boeing Vulture.
Mus à l’énergie solaire, aptes à voler durant plusieurs jours, ils pourraient être
utiles dans les missions de relais de communication ou de renseignement (369).
Toujours dans le registre des drones HALE exotiques, des efforts de R&D sont
également menées par l’Army sur un dirigeable hybride (370), le LEMV (Long
Endurance Multi intelligence Vehicle), apte à voler durant trois semaines et
emportant une charge utile de plus de une tonne et demie (371).
Dans le même temps, le nombre de drones MALE est appelé à s’accroître
dans les deux services concernés. L’Air Force indique ainsi qu’elle doit être
capable de mener 65 orbites simultanées quotidiennement au long d’une

(366) Avec pour but l’automatisation des opérations de ravitaillement en vol, de catapultage et
d’appontage ou encore la gestion des mouvements sur les ponts des porte-avions. Ces différents
programmes, menés avec un F-18 « dronisé », sont assez largement avancés dans leurs calendriers
respectifs.
(367) FY2009-2034 Unmanned Systems Integrated Roadmap, Washington, April 2009.
(368) Les MQ-4C seront utilisés en complément des P-8 Poseidon de patrouille maritime. L’Inde,
qui a acheté le Poseidon, serait également intéressée par une petite dizaine d’exemplaires du drone.
(369) D’où leur appellation de « pseudolites » (pseudo-satellites).
(370) Soit un appareil devant sa capacité à voler non seulement à l’hélium embarqué mais, en plus, à
son architecture favorisant sa portance, et à l’utilisation de moteurs auxiliaires.
(371) Jean-Jacques Mercier, « Hélidrones et dronigeables », Défense & Sécurité Internationale, hors
série no 18, juin-juillet 2011.

402
année à partir de 2013 – ces « orbites » constituant pour elle l’unité de mesure
de la persistance de la surveillance (372). Alors que son parc de RQ-1 et MQ-1
Predator (373) s’est réduit notamment du fait d’une forte attrition (374), elle compte
poursuivre ses achats de MQ-9 Reaper, aptes à être armés (375). À l’horizon
2020, il est question pour l’US Air Force de disposer d’environ 400 exemplaires
de l’appareil, des Predator devant rester en service en sus. Son successeur
potentiel, furtif et à réaction, l’Avenger, a déjà effectué son premier vol et
à été engagé en Afghanistan. L’appareil dénote un changement de stratégie
génétique : il n’est plus uniquement question d’appareils ISR (Intelligence,
Surveillance, Reconnaissance) aptes à traiter des cibles d’opportunité mais bien
de plates-formes polyvalentes intégrant en soute leur charge utile, supérieure
de plus d’une tonne à celle des Reaper, qu’elle soit constituée d’armements ou
de capteurs. Enfin, l’US Army est également un opérateur de drones MALE,
avec 11 systèmes comptant chacun 12 drones MQ-1C – également dérivé du
Predator – commandés. Les appareils, armés (4 missiles Hellfire), sont optimisés
pour un emploi par l’armée (376). À terme, il est possible que 150 exemplaires
soient en service.
À l’avenir et à suivre les planifications en cours, les forces américaines
devraient donc disposer de 100 à 110 HALE et de 750 MALE, sans encore
compter les quelques exemplaires du MQ-9 en service au sein des douanes et
gardes-frontières américains et utilisés sur la frontière avec le Mexique ou les
Predator utilisées, en nombre inconnu, par la CIA. Le Southern Command
dispose également d’au moins deux Heron dotés de liaisons de données par
satellite et utilisés dans la lutte contre-narcotique. D’autres options ISR sont
disponibles mais montrent un brouillage des frontières entre applications ISR
et R&D. Les industriels américains ont ainsi multiplié les designs, certains
expérimentaux et ayant tous en commun d’être furtifs et dotés d’une propulsion
à réaction : Dark Star (1996), Bête de Bagdad (2003) (377), Polecat (2005) (378)
et enfin le RQ-170 Sentinel récemment identifié. Evaluer leur nombre est pour
l’heure impossible. La rationalité gouvernant leur conception semble renvoyer
à la conduite de missions ISR dans des environnements à haute densité de
menace, là où les Predator et autres Reaper seraient dans ces conditions
naturellement vulnérables.
Au-delà des États-Unis, le Canada a acheté une demi-douzaine de Heron
(CU-170 localement), l’option du Reaper ayant été écartée, son armement
potentiel posant politiquement problème. Ailleurs en Amérique, l’Equateur
dispose de deux MALE Heron affectés à la surveillance maritime ; tandis

(372) A titre de comparaison, les quatre Harfang français permettraient de conduire une seule orbite.
(373) Là où le premier n’est pas armé, le deuxième peut tirer deux missiles AGM-114 Hellfire.
(374) Au fil des ans, plus d’une centaine d’exemplaires ont été perdus.
(375) Deux bombes guidées laser de 227 kilogrammes et quatre missiles AGM-114.
(376) En l’occurrence, la propulsion utilise du diesel.
(377) Un drone d’un design similaire au Dark Star mais plus grand. Son emploi durant Iraqi Freedom
a été attesté. Voir David Fulghum, “A Classified Lockheed Martin Unmanned Reconnaissance Aircraft
was Used in Iraq”, Aviation Week & Space Technology, 6 July 2003.
(378) Ayant volé pour la première fois en 2006, le seul prototype de l’appareil s’est écrasé.

403
que le Brésil a acheté 15 exemplaires du même type, cette fois pour sa police.
L’armée de l’air brésilienne a toutefois indiqué qu’elle était intéressée par
l’achat de drones, dans le cadre du renforcement de la surveillance de la forêt
amazonienne. La Colombie s’intéresse également aux drones MALE, après
avoir effectué à plusieurs reprises des achats de drones tactiques Hermes 450,
pour des missions de surveillance des zones acquises aux reliquats des FARC
comme des paramilitaires comme pour des missions de surveillance maritime
(lutte contre le narcotrafic). La marine mexicaine s’y intéresse également,
toujours pour des missions de surveillance maritime (379).

Les états européens


L’Europe présente un paysage contrasté dans le domaine des drones, qui
ont émergé depuis une vingtaine d’années en tant que thématique d’intérêt
pour les forces aériennes. Qu’il s’agisse de l’OTAN ou de l’Union européenne,
aucune politique commune n’a toutefois été mise en œuvre dans le domaine
des MALE ou des HALE, même si des convergences ayant conduit à la mise
au point de programmes communs :
• dans le cadre de l’Alliance Ground Surveillance (AGS), lancé en 1995, la
décision d’acheter six HALE RQ-4 Block 40 a été prise par l’OTAN au
début 2012. Mais le programme – qui a subi le désistement de plusieurs
États, n’en laissant plus que treize (alors que la presque des États membres
totalité était initialement impliquée) – a pris du retard et voit ses coûts aug-
menter (380). Au demeurant, contrairement à d’autres programmes HALE
dans le monde, AGS est un programme spécialisé, se focalisant sur la détec-
tion des mouvements de forces terrestres (381).
• Autre effort multinational, cette fois dans le domaine de la R&D des
UCAV, le drone Neuron rassemble la France (qui assure un financement
d’environ 50 % du programme), la Grèce, la Suisse, la Suède, l’Italie et
l’Espagne. Le programme a ainsi permis de réaliser, pour les entreprises
partenaires, des avancées sur la question de la furtivité, des plates-formes
robotisées ou encore de la réduction des émissions infrarouges. Si un pre-
mier vol doit être mené en 2012, il est peu probable qu’il débouche sur

(379) Compte tenu de l’intérêt un temps manifesté par les Pays-Bas pour l’emploi de drones MALE
en surveillance maritime, un potentiel de coopération antidrogue via l’emploi de drones semble bien
réel.
(380) Les participants sont l’Allemagne, la Bulgarie, l’Estonie, les États-Unis, l’Italie, la Lettonie,
le Luxembourg, la Norvège, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie. On
notera que la France, initialement partie au programme, s’en est ensuite désolidarisée, sans se retirer
formellement du programme. Elle évoque maintenant une participation en nature, avec ses propres
drones MALE. La Grande-Bretagne évoque également une telle participation avec ses Sentinel R.1.
(381) Il doit ainsi constituer l’équivalent pour l’OTAN du système Joint-STARS américain et du
Sentinel R.1 britannique. Reste que le niveau de force actuellement défini pour l’AGS ne permettrait
guère que d’assurer une permanence sur un seul hippodrome de surveillance. Initialement, il était
question du déploiement d’une combinaison de six Airbus A-321 et de six drones RQ-4 pour 4,2
milliards de dollars. On notera que la France, initialement partie au programme, s’en est ensuite
désolidarisée lorsque l’option de l’emploi des A-321 a été abandonnée, sans se retirer formellement
du programme.

404
un processus de production. Les réductions budgétaires, le poids des pro-
grammes d’appareils de combat déjà lancés et plus généralement les réduc-
tions de structure de force ne laissent pas raisonnablement envisager de
perspectives commerciales pour l’appareil européen.
• Deux programmes de drones MALE sont actuellement en cours de déve-
loppement au plan européen mais n’ont pour l’heure enregistré aucune
commande ferme. Le premier, Talarion, ex-Advanced UAV, est développé
par EADS et vise une première entrée en service à l’horizon 2018, d’un
drone biréacteur initialement destiné aux marchés français, espagnols et
allemands – la firme turque TAI rejoignant ensuite l’industriel européen,
tandis qu’EADS et Alenia indiquaient en décembre 2011 qu’elles allaient
notamment développer une coopération sur ce programme. Plus tard, EADS
indiquera qu’elle ne poursuivrait plus seule le développement de l’appa-
reil. Une deuxième plate-forme, cette fois franco-britannique (Dassault-
BAE Systems), Telemos, doit permettre de capitaliser sur le drone Mantis
britannique – nous y reviendrons supra.
Au point de vue des développements nationaux, trois catégories d’acteurs
peuvent être distingués. La première regroupe des États cherchant à disposer
de plus d’une vingtaine de drones MALE et qui s’intéressent à la conception
ou l’acquisition d’UCAV ou de HALE. Dans cette catégorie, seule l’Allemagne
a acquis 5 drones HALE RQ-4 destinés aux missions SIGINT, aucun autre
pays européen n’envisageant de disposer de cette classe de drones (382). Berlin,
au demeurant, loue des drones Heron à une filiale de Rheinmetall, en attendant
d’acquérir en propre 18 plates-formes MALE avant la fin de la décennie. Outre
le Talarion, Berlin s’intéresse au MQ-9 Reaper (383). Si l’acquisition de drones
HALE a été envisagée par la Grande-Bretagne, cette dernière s’est ensuite
concentrée sur les MALE et les UCAV, développant un ambitieux programme
de recherche et développement dit « en spirale » et comprenant plusieurs
programmes (Corax, Herti, Mantis). Sa dernière évolution, Taranis, dont le
premier exemplaire a été présenté en 2011, doit pouvoir permettre de déboucher
sur la commande ferme de drones ayant un rayon d’action transocéanique et
dont l’intelligence artificielle doit lui permettre de reconnaître seul ses cibles.
Dans le domaine des MALE, Londres à commandé, en plusieurs fois, 10 MQ-9
Reaper à partir de 2006, aujourd’hui tous opérationnels, et devrait les utiliser
jusque l’arrivée des Telemos, dont une vingtaine d’exemplaires sont attendus.
La France, qui disposait depuis 2008 de 3 puis 4 Harfang (Heron francisé)
en attendant un MALE « définitif » a finalement choisi, en 2012, de faire
développer par Thales et Dassault un nouvel appareil intérimaire basé sur le
Heron TP, qui entrerait en service opérationnel avant 2015 (384). Après 2020,

(382) Il a été un temps question d’une proposition de Thales à l’égard de la France, fondée sur un
appareil optionnellement piloté.
(383) En l’occurrence, la demande d’une exportation via les Foreign Military Sales américaines (qui
permettent à l’acquéreur de ne payer que ce que paye l’organisme américain acheteur) a été déposée
par Berlin.
(384) Le drone l’a donc emporté sur le MQ-9 Reaper, préféré par nombre de cadres de l’armée de
l’air mais aussi par le Sénat.

405
ces appareils seront vraisemblablement remplacés par une petite vingtaine de
Telemos franco-britannique (385), bimoteur et apte aux missions de combat. D’une
manière générale, la France apparaît comme en retard dans le domaine des
drones : outre que le Harfang ait subit cinq ans de retard, il a reçu les capteurs
optiques des RQ-5 Hunter reçus en 1995 et qui, déjà à l’époque, avaient été
critiqués. Par ailleurs, le débat sur l’armement des drones a pris plus de temps
que dans n’importe quel autre pays. L’Italie a acquis quatre MQ-9 Reaper (non
armés) et autant de stations de contrôle et elle envisageait en 2005 d’acquérir
une petite vingtaine de drones MALE au milieu de la décennie, en sachant
que son industrie nationale est, avec la Britannique, la plus avancée d’Europe,
Alenia ayant travaillé sur plusieurs prototypes.
Une étude de la Commission européenne publiée en 2007, avant le
déclenchement d’une crise économique ayant eu des impacts importants
sur les budgets de défense, permet également d’estimer les projets des pays
du deuxième rang (386). Belgique, qui avait acheté 14 RQ-5 Hunter dans les
années 1990, entendait acheter 4 MALE au milieu de la décennie 2010 mais les
perspectives budgétaires sont sombres. Le Danemark et la Pologne pourraient
également faire de même, tandis que la Grèce envisageait d’acquérir jusque 8,
les Pays-Bas environ 10 et l’Espagne 18 appareils. En vertu des conséquences
des réductions budgétaires en cascade, la concrétisation de l’ensemble de ces
projets est toutefois hautement douteuse, a fortiori s’il est question d’une
standardisation des plates-formes et de leurs charges utiles. La fragmentation de
l’offre industrielle (incluant des Américains très actifs) ou encore les différentes
visions stratégiques à l’œuvre posent problème : les missions envisagées sont
très variables d’un État à l’autre, incluant la surveillance maritime (Pays-Bas),
la frappe d’objectifs d’opportunité (France, Grande-Bretagne) ou encore les
missions de surveillance optique ou radar. In fine, il est peu probable que plus
d’une trentaine de drones MALE soient disponibles dans les États membres
de l’Union européenne à l’horizon 2020-25.

russie, caucase, proche et moyen-orient


La Russie possède une expérience historique dans le domaine des grands
drones en ayant développé les drones de reconnaissance à grande vitesse Tu-123
Yastreb, Tu-143 Reys et Tu-141 Strizh entre les années 1960 et 1980, et en les
construisant en grande série (387). L’expérience acquise n’a toutefois pas été
pérennisée au terme de la guerre froide, avec pour conséquence la perte des
savoir-faire et une dépendance aux apports extérieurs en dépit d’efforts issus

(385) Si l’appareil n’a officiellement été présenté comme vainqueur, la mise en évidence au plan
politique de la coopération dans le domaine des drones découlant des accords de Lanchester House
de novembre 2010.
(386) Frost and Sullivan, Study Analysing the Current Activities in the Field of UAV, ENTR/2007/065,
European Commission, Enterprise and Industry Directorate General, Brussels, 2005.
(387) Soit plus de 1 000 appareils au total. Ces drones avaient en commun de décoller depuis
des rampes, avec l’aide de fusées, avant que leurs réacteurs ne prennent le relais. Les versions les
plus avancées du Tu-143 intégraient une liaison de données permettant de transmettre les données
recueillies en direct.

406
d’industriels locaux (388). En l’occurrence, la Russie a négocié avec Israël la
livraison de drones tactiques Searcher et a annoncé son intention de se doter
de drones MALE, Moscou semblant avoir manifesté son intérêt pour le Heron.
Mig a en outre présenté une maquette d’UCAV, le Skat, dont le développement
ne semble pas avoir été poursuivi. D’une manière générale, les systèmes ISR
étant perçus comme une priorité dans les plans de modernisation des forces, les
forces russes recevront certainement des drones MALE dans les dix prochaines
années. Dans le Caucase, l’Azerbaïdjan a acheté quelques Heron.
Au Proche-Orient, Israël conserve une nette avance dans le domaine des
drones, que ce soit d’un point de vue industriel comme quantitatif. Les quantités
d’appareils en service n’ont pas fait l’objet de communiqués mais, dans le
domaine des MALE, outre des Heron 1(Shoval localement), la force aérienne
israélienne dispose de quelques Eitan (Heron TP) affectés à des missions
ISR comme à des missions de surveillance maritime. Il n’est pas impossible
que la force aérienne israélienne dispose également de quelques engins de la
famille Hermes, dont les plus lourds sont dotés d’une liaison par satellite.
Bien qu’Israël ne le reconnaisse pas officiellement, une partie de sa flotte de
drones MALE peut être armé. Cependant, du fait même de la configuration
de son environnement stratégique immédiat, la très grande majorité des drones
israéliens est de nature tactique. De même, aucune priorité n’est accordée au
développement d’UCAV avancés, la doctrine voyant en l’emploi d’une aviation
pilotée avancée la meilleure option de réduction des dommages collatéraux
potentiels dans des engagements irréguliers comme la meilleure efficience dans
les missions de frappe à longue distance.
La Turquie a bénéficié de ses relations un temps privilégiées avec Israël et
dispose à présent de 10 drones Heron 1, tandis que TAI a développé le TIHA,
drone MALE ne bénéficiant par d’une liaison satellite et qui doit se décliner en
deux versions. Le TIHA-A est destiné aux missions ISR, tandis que le TIHA-B,
qui doit effectuer son premier vol à l’été 2012, sera armé. Une cinquantaine de
machines devraient être construites à terme, les appareils pouvant également,
selon les responsables turcs, être exportés. Des Dominator, version « dronisée »
du bimoteur de tourisme DA42, sont également utilisés. Dans la région, la
Jordanie songe également à se doter de drones MALE, essentiellement dans
des missions de surveillance de ses frontières. C’est toutefois au Moyen-
Orient que les projets semblent connaître des développements importants,
sans toutefois qu’ils ne bénéficient d’une publicité. Les Emirats Arabes Unis et
l’Arabie Saoudite chercheraient ainsi à se doter de drones MALE, au besoin en
bénéficiant de l’expertise israélienne. Là aussi, il s’agirait de les engager dans des
missions de surveillance des frontières, voire de surveillance maritime. Enfin,
l’Iran, en dépit de déclarations grossissant de façon coutumière ses capacités,
ne dispose pas pour l’heure de drones MALE, mais de drones tactiques. Il n’est

(388) Ils n’ont toutefois pas encore débouché sur des essais en vol. Outre le Tu-300 Korshun, issu
du Tu-143 et en développement depuis 1997, le Dozor-600 a un design plus proche des MALE
traditionnels.

407
pas totalement exclu qu’il puisse se doter à terme d’UCAV en « dronisant » des
appareils de combat dépassés (389).

Le sous-continent indien, L’asie orientaLe et L’océanie


Dans le sous-continent, l’Inde se positionne comme un futur grand opérateur
de drones MALE, que ce soit au niveau de sa force aérienne ou de sa marine.
Au-delà de l’achat d’une cinquantaine de Heron, entrés en service à partir de
2009 et effectuant notamment des missions de surveillance depuis l’archipel
des Andaman, Delhi développe par l’intermédiaire du DRDO le drone MALE
Rustom H, de conception nationale. Le bimoteur, qui doit prendre à terme
la succession des Heron, est doté d’une liaison par satellite, aurait également
bénéficié de l’aide israélienne (390). Comme dans le cadre du programme national
de missiles, le drone est le fruit d’une vision à la fois intégrée et incrémentale
comprenant divers types d’engins, dont le Rustom H est le plus lourd. L’engin
pourrait également donner naissance à une version armée, le Rustom-C dont
l’architecture, monomoteur, pourrait être différente. Un démonstrateur d’UCAV
furtif comparable au Neuron et au Taranis, l’AURA (Autonomous Unmanned
Research Aircraft), est également en cours de développement, son premier vol
étant attendu pour 2015, au mieux. Enfin, l’Inde se montre également intéressée
par le RQ-4, qu’elle utiliserait, à l’instar de l’US Navy, en complément des P-8
Poseidon dont elle s’est portée acquéreur. Comparativement, le Pakistan a
cherché à acheter des drones Predator aux États-Unis dans la décennie 2000,
mais ses espoirs ont rapidement été déçus.
La Chine apparaît comme une puissance montante dans le domaine des
drones, avec de réels efforts en matière de R&D et une série de projets – en
particulier dans le domaine des microdrones et des drones tactiques – dont le
statut exact est encore incertain. Le drone MALE dont le développement est
le plus avancé est le Chengdu Pterodactyl/Wing-Long, similaire en design et
en taille au Predator et qui peut être armé (deux points d’emport). Le Guizou/
Chengdu Xianglong a effectué son premier vol en 2009, bénéficie d’une endurance
le rapprochant des HALE mais sa charge utile serait limitée à 650 kg. De son
côté, AVIC a présenté durant le Salon du Bourget 2007 un drone MALE à
réaction à la configuration générale similaire à celle du RQ-4 Global Hawk.
Au moins un démonstrateur à taille réelle de l’appareil a été construit. Au
cours du même salon, AVIC avait également présenté une maquette du Dark
Sword, un UCAV furtif, supersonique, destiné aux frappes à grande distance,
le statut actuel du projet étant inconnu. In fine, les projets chinois en termes
de structure de force, de types précis de systèmes qui seront mis en œuvre ou
encore de performances de leurs capteurs embarqués sont encore largement
inconnus. Toutefois, il apparaît que la Chine se dirige manifestement vers un

(389) Et en les utilisant alors comme missiles de croisière à longue portée. L’Irak, dans les années
1990, avait procédé ainsi pour au moins un L-29. Sur cette question de la dronisation d’anciens
appareils de combat : Joseph Henrotin, « La guerre aérienne en 2030. Prospective des systèmes de
force », Histoire & Stratégie no 6, 2011.
(390) Sachant qu’Israël a également vendu à l’Inde des dizaines de drones tactiques Searcher Mk2.

408
équipement en drones MALE, voire HALE, au profit, vraisemblablement, de
plusieurs catégories de missions.
Si c’est le cas pour les missions ISR territoriales, ce l’est encore plus pour
les missions de surveillance maritime, la marine chinoise travaillant beaucoup
sur la question des drones tactiques embarqués. On peut ainsi gager que les
drones MALE pourraient être appelés à jouer un rôle important dans les
tactiques de dénis d’accès, permettant de détecter des bâtiments adverses
alors qu’ils sont encore éloignés des côtes, tout en fournissant un appui en
termes de ciblage. Les drones seraient alors complémentaires des satellites de
reconnaissance océanique dont plusieurs exemplaires ont déjà été lancés par
la Chine, mais aussi du renouvellement de sa flotte d’appareils de surveillance/
patrouille maritime pilotés in situ ou encore des bâtiments de sa flotte. Par
ailleurs, il n’est pas totalement impossible que la Chine développe ses capacités
de frappe air-sol, domaine dans lequel elle est traditionnellement en retard,
par l’intermédiaire des drones. On peut ainsi s’interroger sur la possibilité
que nombre d’appareils de combat anciens – tels que les J-7 Fishbed, encore
construits jusque récemment – puissent être « dronisés ».
Au-delà du cas chinois, la Corée du Sud est également intéressée par des
drones avancés et évoque depuis plusieurs années l’achat de quatre HALE
RQ-4, dans l’optique de la surveillance de la Corée du Nord. Cependant, face
aux lenteurs observées – les États-Unis semblant réticents à la vente du drone –
Séoul s’est orienté vers le développement d’un drone MALE de 6,5 tonnes et
de conception nationale, qui devrait effectuer son premier vol en 2012-2013
avant une entrée en service avant 2016. L’option d’un achat de trois à quatre
Global Hawk est également évoquée, toutefois moins fréquemment, au Japon
– Tokyo s’orientant toutefois, en matière de renseignement stratégique, vers le
développement de ses capacités spatiales. Ce dernier, comme Singapour semble
surtout intéressé par des drones tactiques pour les missions ISR menées dans
le cadre des opérations de combat terrestre. Reste, cependant, que le Japon,
la Corée du Sud comme Singapour, l’Australie et les États-Unis pourraient
intégrer un programme multinational de surveillance maritime fondé soit sur
un parc commun de drones RQ-4, soit sur la mise en commun de capacités
nationales. Le projet semble pour l’heure au point mort. Dernier État de la
région à développer un intérêt pour les drones MALE/HALE, l’Australie évoque
depuis plusieurs années la possibilité d’un achat de RQ-4 pour des missions
de surveillance maritime. Au-delà, Canberra utilise également trois Heron en
soutien de ses opérations en Afghanistan dans le cadre d’un contrat de leasing.
Comme les autres États de la région, rien n’indique qu’elle se montre intéressée
par des UCAV avancés, préférant focaliser sa réflexion sur des appareils de
combat « classiques ».

queLques remarques concLusives


L’examen de la distribution mondiale des drones MALE, HALE et des
UCAV montre des caractéristiques bien spécifiques. D’une part, ils dénotent

409
d’un phénomène essentiellement ancré dans des États « occidentaux » et,
particulièrement pour les États mettant en œuvre (ou cherchant à mettre
en œuvre) des drones HALE, des États dont l’identité géostratégique est
essentiellement maritime (391). D’autre part, on constate également que les États
dotés ou cherchant à se doter de drones MALE sont également ceux qui sont
engagés ou se préparent à être engagés, de par leurs orientations doctrinales,
dans des opérations expéditionnaires. De facto, ces drones ne sont pas tant
utilisés pour la surveillance territoriale des États les ayant acquis – même si cette
possibilité intègre souvent l’argumentaire de légitimation des achats – mais sont
fréquemment engagés dans des missions de protection des troupes nationales
déployées en opérations extérieures. À bien des égards, nombre d’États n’ont
pas encore intégré les différentes options d’utilisation de leurs drones MALE,
à commencer par la projection d’une « toile ISR » permanente, sur une zone
donnée, permettant de disposer d’une vision continue d’une zone donnée.
Il est vrai qu’il s’agit là d’un changement certes doctrinal mais aussi d’ordre
organisationnel : l’emploi H24 d’un système de quatre drones Reaper nécessite
de disposer de 171 hommes, dont une soixantaine sont affectés à l’analyse du
renseignement et à sa dissémination. Il s’agit également d’un changement dans
la façon de considérer la place prise par les missions ISR dans la conduite des
opérations contemporaines, qui ne semble rester, pour l’heure et pour nombre
d’acteurs, qu’une variation des opérations de reconnaissance « classiques »,
la persistance en plus. En toute logique, cette philosophie « minimaliste »
d’engagement des drones conduit également ces États à ne pas considérer
l’emploi de drones MALE armés et aptes à traiter des objectifs d’opportunité
dès qu’ils apparaîtraient. De ces points de vue, le potentiel de développement
d’une réflexion tactique autour des drones reste important. À nombre d’égards,
c’est également le cas en matière d’UCAV avancés. Pour l’heure, seule l’US Navy
a réellement la volonté et les capacités budgétaires permettant de mettre en
service de tels appareils. Ailleurs dans le monde, principalement en Europe, des
efforts sont effectivement entrepris mais rien n’indique qu’ils renvoient à autre
chose qu’à un double effort de R&D mais aussi de préservation des capacités
de travail des bureaux d’étude : quand bien même la volonté existerait au sein
de forces aériennes restant profondément attachés à la figure du pilote, encore
faut-il que des marges budgétaires, bien improbables, puissent être dégagées.

(391) Outre le fait que ces drones soient alors affectés à des missions de surveillance maritime, ce
type d’identité prédispose à l’adoption de conceptions stratégiques dans l’emploi de la puissance
aérienne.

410
Le marché des drones
Bertrand Slaski

« Une feuille de route pour l’industrie française


et européenne des drones militaires. » (392)

Avant de proposer quelques pistes de réflexion sur ce que pourrait être une
feuille de route, ou roadmap, pour l’industrie française et européenne dans le
domaine des systèmes de drones aériens militaires, il convient tout d’abord d’avoir
la vision la plus claire qui soit, c’est-à-dire une photo instantanée, de l’offre et
du marché dans ce domaine précis et relativement nouveau de l’aéronautique.
Sur cette base, il sera alors plus facile de dessiner les contours de ce que
pourrait être l’avenir de l’industrie européenne des systèmes de drones aériens
(Unmanned Aerial Systems ou UAS (393)), si toutefois il devait y en avoir un.
Cette interrogation certes provocatrice n’en reste pas moins légitime, au
regard de la faiblesse des réalisations européennes dans ce secteur particulier et
de l’apparition d’une nouvelle concurrence issue de pays en émergence sachant
faire rimer avec talent projets et budgets. Cette question conduira également
à s’interroger plus largement sur le devenir même de la filière aéronautique
européenne et les conséquences d’une dépendance dans le domaine capacitaire
de l’ISR (Intelligence, Surveillance & Reconnaissance), particulièrement pour
la France.

* **
Aujourd’hui, les groupes industriels de deux pays seulement dominent
nettement et très largement le marché mondial des UAS. Il s’agit des États-
Unis, le no 1 et d’Israël, le no 2.
Dans ce domaine particulier, les sociétés américaines General Atomics et
AAI (groupe Textron) ou israéliennes Elbit Systems et IAI (Israel Aerospace
Industries), pour ne citer que ces quatre exemples, ne souffrent quasiment
d’aucune concurrence sérieuse. Ceci s’explique par la fiabilité de leurs solutions
pouvant se targuer d’être « combat proven » – depuis au moins deux décennies –
mais aussi et surtout par le retard technologique pris par les autres États
traditionnellement pionniers dans l’aéronautique (la France, le Royaume-Uni).

(392) Ce texte est issu d’une intervention réalisée lors du colloque « Quelles perspectives pour les
drones militaires ? » organisé par le Club Participation et Progrès au Palais-Bourbon le 3 décembre
2012.
(393) Cette analyse se concentre sur les drones, armés ou non, dédiés aux missions de renseignement,
de surveillance et de reconnaissance (ISR). Toutefois, elle traite ponctuellement des drones de combat
(UCAS).

411
Dans les faits, la vraie concurrence oppose surtout les industriels nord-
américains et leurs rivaux israéliens (394). Or, ces premiers seraint en voie de
distancer sérieusement les seconds à la faveur des investissements colossaux
réalisés par Washington dans le domaine des UAS, particulièrement depuis
le début des années 2000. Entrent également en ligne de compte les bénéfices
tirés du retour d’expérience (retex) colossal accumulé par les forces armées
américaines suite aux déploiements de leurs systèmes aériens en Irak et en
Afghanistan mais aussi en Afrique (dans la Corne) et au Moyen-Orient (Yémen).
Ces retex permettent une amélioration quasi-continue des UAS produits à
la chaîne aux États-Unis, qu’il s’agisse de leur évolution technologique (de leurs
performances) mais aussi de leur emploi (de leurs missions). Par extension, ces
mêmes « leçons opérationnelles » permettent aux États-Unis de maintenir leurs
avancées dans le domaine capacitaire de l’ISR et de l’Information Dominance,
qui inclue notamment les capteurs, les vecteurs et le vaste monde du cyberespace.
Côté israélien, les industriels connaissent des difficultés importantes
concernant le programme de drone Moyenne Altitude Longue Endurance
(MALE) Heron TP (problèmes graves sur la structure composite de l’avion),
et accumulent les déconvenues dans certains contrats (en Turquie mais aussi
en Pologne et en Australie). Les groupes IAI et Elbit auraient également
perdu du terrain sur leurs homologues nord-américains dans les domaines des
charges utiles (radar et électro-optique), et dans celui du traitement et de la
diffusion des données, éléments critiques des drones, un point sur lequel nous
reviendrons ultérieurement.
Les industriels nord-américains sont donc aujourd’hui actifs sur l’ensemble
des segments du domaine des systèmes de drones par le biais de nombreux
démonstrateurs mais aussi de programmes extrêmement matures. Sont
concernés :
• le domaine éminemment pointu des drones de combat (Unmanned Combat
Aerial Systems – UCAS – avec le démonstrateur X-47B devant être amené
à terme à se poser sur porte-avions) ou des drones Haute Altitude Longue
Endurance (HALE) ISR (citons le Global Hawk, unique en son genre dans
le monde de par ses caractéristiques techniques et ses performances (395).
Il pourrait être acquis par la Corée du Sud voire le Japon, et l’Allemagne
en fait l’acquisition via le programme Euro Hawk) ;
• les drones MALE ISR armés ou non (avec la famille – déjà bien nom-
breuse et désormais célèbre – des Predator/Predator B dont Washington
fait voler en permanence plusieurs exemplaires à travers le monde) ;
• les drones tactiques (mentionnons le Shadow, certainement le système
le plus vendu qui soit) ou certains mini drones (avec les Scan-Eagle ou les
Desert Hawk) ;

(394) Rappelons ici que dans un premier temps, les industriels américains ont bénéficié d’une aide
israélienne dans le domaine des systèmes de drones aériens. Aujourd’hui, l’élève a donc très largement
dépassé le maître.
(395) Il faut également mentionner ici le drone furtif RQ-170 Sentinel dont un exemplaire serait
« tombé » en Iran fin 2011.

412
• enfin, outre ces réalisations majeures dans le domaine des UAS à voi-
lure fixe, les groupes nord-américains sont également bien avancés dans
le domaine prometteur des drones à voilure tournante (Vertical Take-Off
and Landing ou VTOL). Prenons l’exemple du Fire Scout testé pour des
missions de surveillance et reconnaissance maritimes ou de l’Unmanned
K-Max expérimenté – notamment en Afghanistan – pour des missions
de logistique.
Concernant les industriels israéliens, IAI est bien présent dans le domaine
des MALE (avec sa famille de drones Heron), des UAS tactique (Hunter) et
des mini drones (Bird Eye). Elbit dispose, pour sa part, de solutions assez
comparables avec ses drones de la famille Hermes (tactique) et Skylark (mini
drones). Il faut observer que Tel-Aviv ne s’est pas engagé dans le domaine des
UCAS, au moins officiellement. Ces derniers ne répondent pas à un besoin
opérationnel urgent, les forces israéliennes disposant toujours d’une supériorité
aérienne sur leurs adversaires potentiels.
Commercialement, l’activité des groupes nord-américains et israéliens sur
les marchés internationaux, toutes proportions gardées, s’organise selon une
ligne de partage assez nette.
Pour les industriels « US », les marchés visés semblent être en priorité ceux des
pays membres de l’OTAN. Sont d’ailleurs déjà clients le Royaume-Uni (Predator
B) et l’Italie (Predator, Predator B) – peut être bientôt la France et l’Allemagne
avec le Predator B – et l’OTAN avec le Global Hawk, via le programme AGS
(ou Alliance Ground Surveillance). Les alliés clefs sont également dans le viseur
commercial de Washington. Mentionnons ici l’Australie, le Japon ou encore
les pays du Golfe et la Corée citée plus haut. Ces États pourraient s’équiper
de Predator XP (eXPort), de HALE Triton (programme BAMS ou Broad Area
Maritime Surveillance de l’US Navy) ou de Global Hawk.
De leur côté, les industriels israéliens s’imposent davantage dans les pays
émergents, c’est-à-dire en Inde, au Brésil ou encore en Russie. Ils sont également
actifs depuis de nombreuses années en Afrique et en Asie, auprès de pays
cherchant le plus souvent des moyens de sécuriser certaines infrastructures,
leurs ressources naturelles ou de lutter contre des mouvements armés variés
(lutte contre le terrorisme, l’extrémisme, le séparatisme, le narcotrafic, etc.).
Dans ce dernier cas de figure, l’argument marketing de l’interopérabilité
des systèmes et des concepts d’emploi – utilisé par Washington et les groupes
US pour garantir l’efficacité de forces en coalition dont le DoD assure le plus
souvent le commandement si ce n’est l’équipement – a moins d’importance que
sur d’autres marchés. Les groupes israéliens affichent surtout une capacité à
fournir des solutions sur mesure, qu’il s’agisse des systèmes ou des services
vendus mais aussi du cadre contractuel lié (offset, compensations). Ils offrent
également à leurs clients des transferts de technologie et la possibilité de produire
localement. Ces concessions s’expliquent en partie par la concurrence de plus
en plus sévère qu’Elbit et IAI se livrent sur les marchés export.

413
* *
*
L’offre européenne, pour le peu qu’il en existe, ne peut donc pas rivaliser
avec les solutions nord-américaines et israéliennes, que cela soit en termes de
réussites commerciales, ou de variétés de produits éprouvés, sur étagère, prêts
à être vendus.
Est-ce à dire que cette domination extra européenne est irrémédiable ?
Sans doute, surtout si nous n’agissons pas rapidement, de manière adaptée et
coordonnée… D’où une interrogation essentielle : est-il encore temps d’investir
sur ce segment précis de l’aéronautique militaire en Europe ? La réponse
est naturellement positive. Les raisons sont diverses :
• elles sont « technologiques » et « industrielles » – nous disposons en Europe
de l’ensemble des compétences pour revenir dans la course des UAS et –
pourquoi pas – l’emporter ;
• elles sont « commerciales » – il existe un marché à reconquérir (l’Europe),
d’autres à remporter (en Amérique latine, en Asie et au Moyen-Orient)
et un autre à préparer (celui de l’ouverture de l’espace aérien général aux
drones pour un usage commercial) ;
• enfin, elles sont aussi et surtout « stratégiques » – une dépendance dans
l’approvisionnement des systèmes de drones ISR de nos forces armées
peut avoir un impact sur notre capacité d’appréciation autonome de situa-
tion. Dans le cas des UCAS, cette dépendance peut avoir un effet grave
sur notre capacité même d’action. Les drones de combat fournissent en
effet une capacité déterminante d’entrée en premier sur un théâtre défendu
(batteries air-sol).

* *
*
À ce jour, l’offre européenne dans le domaine des drones reste à bâtir. Les
projets en la matière sont nombreux, le savoir technologique est là mais les
offres matures sont quasi inexistantes. Dans le même temps, la coordination
industrielle entre les États européens demeure insignifiante, au risque de mener
parfois des projets redondants (au mieux) ou morts-nés (au pire). Quelques
exemples :
En Italie, le groupe Finmeccanica et ses filiales semblent avoir opté pour
une stratégie simple mais efficace visant surtout à maintenir les compétences des
bureaux d’études de Finmeccanica. En attendant l’apparition d’un hypothétique
programme de drone MALE ISR structurant en Europe, dans lequel elles
vendront chèrement leur participation, les sociétés italiennes cherchent davantage
à développer des solutions de niche (mini-SAR, par exemple) pour profiter
de ce marché croissant, en se posant comme sous-traitant de plateformistes.
Quelques réalisations sont toutefois à noter : le drone tactique Falco de Selex
Galileo, ayant connu quelques petits succès à l’export (Pakistan), et le projet Sky-
Y d’AleniaAeronautica dans le domaine des MALE. Enfin, s’appuyant sur le
Sky-X, les Italiens participent au projet nEUROn de Dassault (voir ci-dessous).

414
Au Royaume-Uni, le futur drone tactique de l’Army, le Watchkeeper,
présenté comme made in UK, est un dérivé de l’Hermes 450, une solution de
l’israélien Elbit Systems. Néanmoins, ce programme rencontre d’importantes
difficultés entraînant des reports de livraison. Dans le domaine des MALE, le
peu de publicité dont le Mantis fait aujourd’hui l’objet s’explique éventuellement
par le manque d’intérêt de cette solution de la part des forces armées et des
industriels, y compris de son concepteur BAE Systems. Il semble que cela soit
également le cas du démonstrateur d’UCAS britannique, le Taranis, dont le
développement rencontrerait des petites difficultés. Ceci pourrait expliquer
que Londres soit plus enclin à traiter du sujet des U(C) AS avec Paris en ce
moment. L’avenir dira toutefois si la bonne volonté affichée par le Royaume-
Uni n’a pour autre objectif que de valoriser et de renégocier au mieux ses
relations bilatérales « spéciales » avec les États-Unis… Sur ce point, rappelons
que la RAF (Royal Air Force) semble déjà avoir fait son choix entre l’outre-
Manche et l’outre-Atlantique. Elle a opté pour le Predator et le Joint Strike
Fighter, pour ne citer que ces deux programmes emblématiques (396).
En France, leader européen dans le domaine des UAS, les programmes
Sperwer et Harfang, ayant conduit à la production de drones tactiques au profit
de l’armée de terre (397) et à la fourniture d’une poignée de drones MALE à
l’armée de l’air, n’ont pas permis hélas l’apparition d’acteurs industriels capables
de rivaliser sur la scène internationale avec les meilleurs producteurs du secteur.
Pourtant, les fondamentaux sont bel et bien là, en particulier chez Cassidian
pour ce qui est du savoir-faire métier d’intégrateur de briques technologies
ou chez Astrium pour ce qui est de la maîtrise d’architecture complexe de
communication. Plus récemment, l’avionneur Dassault a également démontré
son efficacité en faisant voler son démonstrateur d’UCAS nEUROn au design
particulièrement audacieux. Gageons qu’il permettra de préparer au mieux les
futures ruptures technologiques de l’aéronautique de combat.
Enfin, ailleurs en Europe, des projets ou des programmes existent également.
Citons le petit drone VTOL Camcopter de Schiebel en Autriche, ou dans
une moindre mesure le VTOL Skeldar du groupe suédois SAAB. Rappelons
également l’existence en Allemagne de l’Eurohawk (basé sur le Global Hawk
américain) et du Barracuda, respectivement un programme de drone HALE et
un drone aux formes d’UCAS visant à tester de nouvelles technologies et des
concepts. L’Espagne s’est également lancée dans l’aventure avec son Atalante.
Enfin, de manière non exhaustive, la Pologne est aussi en mesure de produire
des petits drones et espère monter en gamme à l’avenir.
Résumons le paysage européen : beaucoup de projets lancés, des ambitions
affichées mais aucun programme abouti dans le domaine des UAS…

* *
*

(396) La RAF dispose d’avions de Boeing (AWACS), de Raytheon (ASTOR/Sentinel), de Hawker


Beechcraft (King Air 350 Shadow) et d’appareils adaptés par L3 (River Joint).
(397) Des exemplaires ont également été fournis au Canada, à la Suède, à la Grèce et aux Pays-Bas.

415
Que retenir de cet instantané pour l’avenir ? Pour l’Union européenne,
compte tenu des contraintes budgétaires pesant sur les États membres et de la
concurrence israélo-américaine déjà très solidement établie, il sera extrêmement
difficile, voire impossible à un pays seul, de s’imposer sur le segment des systèmes
de drones ISR ou UCAS. Une feuille de route industrielle européenne des UAS
devra donc passer par des coopérations fortes. Ici, il est clair que trois pays ont
les cartes en main eu égard à leurs capacités financières et à leurs ambitions
industrielles ou militaires. Il s’agit de l’Allemagne, de la France et du Royaume-
Uni. Dans ce domaine, ils ont donc une opportunité réellement historique.
Dans une certaine mesure, ailleurs dans le monde, la Chine et la Russie
sortent de ce cadre compte tenu de la surface de leur marché intérieur respectif
et des moyens financiers qu’ils peuvent accorder aux développements de
technologies liées aux systèmes de drones aériens. Cependant, ils ne devraient
pouvoir s’élever qu’à un rang intermédiaire dans ce secteur de l’aéronautique,
compte tenu des avancées constantes américaines à la fois sur les porteurs
(miniaturisation, furtivité, énergie embarquée, etc.), les capteurs (caméra
multispectrale) et les systèmes (traitement des données à bord, gestion des
fréquences, etc.). À moins qu’ils ne bénéficient d’une aide extérieure – ce qui
est déjà le cas de la Russie avec Israël.
Pour les Européens, si le retour dans la course sera délicat, il est loin d’être
impossible. Il faut parvenir rapidement à rassembler les industriels de bonne
volonté en proposant un « Yalta » dans le domaine des systèmes de drones. Ici,
l’initiative en reviendra aux décideurs : sans volonté politique, point de salut !
Mais pour ce faire, il conviendra avant tout de faire converger les besoins des
opérationnels pour s’assurer notamment de la formation d’un marché solide
et capable de rendre le lancement d’un programme de drones financièrement
intéressant pour les industriels européens du domaine.
En attendant cette convergence, à court terme, la constitution d’un pool
capacitaire partagé dans le domaine de l’ISR est une piste à creuser de toute
urgence tout comme le sujet de l’ISR light (reposant sur des avions légers
intégrant de manière souple des capteurs variés et complémentaires selon le
besoin opérationnel). Couplé à des moyens satellitaires, ce pool ISR permettrait
à l’Union Européenne (UE) de disposer d’une capacité autonome d’appréciation
de situation, de décision et de conduite de l’action, une exigence indispensable
à sa souveraineté et donc à sa crédibilité sur la scène internationale.
Il semble d’ailleurs que cette idée d’émancipation capacitaire de l’UE ne
soit pas forcément du goût de Washington. Ce n’est en effet certainement pas
un hasard si les États-Unis poussent une idée similaire mais dans le cadre de
l’OTAN via la Smart Defence et le Joint ISR. Au sein de l’Alliance, le rapport
de force est en effet clairement à l’avantage de Washington dont on peut se
demander si les stratèges ne confondent pas (volontairement ?) interopérabilité
capacitaire de forces armées étrangères alliées et intégration de celles-ci au sein
du système de défense américain…

416
En Europe, pour l’heure, il semble que des actions soient menées
particulièrement entre la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne (traité
de Lancaster House et échanges entre les autorités françaises et le ministre
allemand de la défense T. de Maizière). Les efforts portent principalement sur
deux axes : les drones ISR (armés ou non) et les UCAS.
En France, au regard de leurs réalisations respectives, on peut supposer
que le domaine des drones ISR soit confié à Cassidian (EADS) et celui des
UCAS à Dassault. Cette répartition qui pourrait être clarifiée, pourquoi pas
dans une feuille de route des drones officielle à l’échelle du pays et de l’UE, et
dont l’actualisation pourrait être régulière, semble d’autant plus naturelle que
la distinction entre ces deux systèmes est maintenant largement admise. Ainsi,
il est clair qu’un drone ISR armé n’est pas un drone de combat. Ce dernier doit
notamment pouvoir évoluer dans un environnement hostile, particulièrement
exigeant, et esquisser les pistes des ruptures capacitaires de l’aviation de combat
future, ce qui n’est pas le cas du premier.
À court terme, faute de solution européenne disponible rapidement, cette
option pourrait amener EADS à travailler sur la « francisation » d’un MALE de
General Atomics, l’objectif étant ici de disposer d’un système fiable, maîtrisé et
capable d’opérer y compris au-dessus du territoire national. Ce projet pourrait
être ouvert aux partenaires allemands notamment afin de faciliter le lancement
d’un futur programme de drone MALE ISR commun et accessible aux autres
pays européens dont le Royaume-Uni.
Dans le même temps, Dassault pourrait poursuivre ses travaux afin de
préparer les ruptures technologiques de demain de l’aviation de combat. Au fil
de ses réussites, l’avionneur pourra non seulement les intégrer à ses appareils
en service mais aussi à ses nouveaux projets, qu’il s’agisse d’avions habités ou
d’UCAS. Dans ce cadre, la coopération avec le Royaume-Uni pourrait amener
à esquisser les contours de futurs programmes communs et ouverts aux autres
pays européens dont l’Allemagne naturellement.
Reste maintenant à s’entendre avec nos partenaires européens et surtout
à trouver les budgets requis. Sur ce point, il ne faut surtout pas oublier que
l’industrie de l’aéronautique militaire européenne et les emplois liés sont en
danger de mort et que leur sauvetage nécessitera certainement des sacrifices,
incluant des efforts financiers conséquents. Berlin, Londres et Paris ont ici une
décision historique à prendre et plus le temps passe moins son issue semble
favorable.
Rappelons en effet que dans le seul domaine des avions de combat, le choix
des armées de l’air du Royaume-Uni, de l’Italie, des Pays-Bas et du Danemark
en faveur du Joint Strike Fighter (JSF) de Lockheed Martin a déjà très fortement
siphonné les capacités de ces mêmes pays à investir dans des projets européens
d’avenir, cela, au profit de la base industrielle et technologique américaine.
Or, par mesure d’économie, et sensibles à l’argument d’interopérabilité
évoqué plus haut ou aux sirènes de la Smart Defence, ces mêmes États européens
pourraient être tentés de systématiser davantage leur stratégie industrielle

417
transatlantique en acquérant d’autres systèmes made in États-Unis, dont des
drones ISR ou UCAS, avec les conséquences induites sur la pérennité de la
base industrielle et technologique de défense européenne dans le domaine de
l’aéronautique militaire.
In fine, derrière l’aptitude de l’Union Européenne à établir une feuille de
route dans le domaine des drones se cache un autre enjeu. Il s’agit de sa capacité
à demeurer un acteur crédible de l’aéronautique militaire et plus largement de
l’aéronautique. Mais bien plus grave, sur le plan politique, la dépendance des
États européens dans le domaine de l’ISR risque d’écarter à jamais la possibilité
pour l’UE de se doter de moyens d’appréciation autonome de situation. Si cette
situation devrait advenir, en raison de l’incapacité de Berlin, Londres et Paris
à s’entendre, l’UE ne resterait alors qu’un simple espace économique plus ou
moins commun. Gageons néanmoins que nos décideurs auront plus d’ambitions.

418
Vulnérabilité des drones
et contre-UAV
Lieutenant-colonel Jean-Patrice Le Saint

1er mai 1960 : un U-2 américain est abattu au-dessus de l’Union soviétique.
Dans un premier temps, les États-Unis nient la perte de l’avion mais la capture
de son pilote, Gary Powers, les contraint à admettre la réalité de la mission
d’espionnage. 4 décembre 2011 : un RQ-170 américain est perdu alors qu’il
survole l’Iran. Les Iraniens prétendent l’avoir « recueilli » après en avoir pris
le contrôle et exhibent leur proie. Une fois encore, les États-Unis doivent
reconnaître l’existence d’une mission secrète.
Deux événements analogues, dans leur déroulement comme dans leurs
conséquences, mais une différence majeure : le RQ-170 est un drone, un avion
inhabité. Pourtant, l’absence d’homme à bord n’empêche ni le discrédit de
l’Amérique, ni la corruption de l’un des secrets les mieux protégés. Ce qui s’est
exactement passé ce 4 décembre 2011, nous n’en saurons sans doute rien avant
longtemps, mais le débat sur la vulnérabilité des drones est ouvert. La question
se pose en particulier pour les drones à moyenne altitude et longue endurance
(MALE), qui sont aujourd’hui l’apanage des armées de l’air.

une capacité cLé


Ces drones MALE se sont en effet imposés comme l’un des atouts de toute
armée de l’air « qui compte ». Leur montée en puissance dans l’US Air Force
(USAF), aviation militaire de référence, en est la démonstration. Il lui aura
fallu 14 ans pour franchir le cap du million d’heures de vol sur les flottes de
Predator et de Reaper, mais seulement deux ans et demi de plus pour doubler
cette performance (398). L’objectif de 24 orbites permanentes (Combat Air Patrol,
CAP) fixé en 2003 pour l’année 2010 fut doublé. À la fin de l’année 2013, 65
CAP seront activées, avec 2 ans d’avance sur la planification initiale (399).
Pensés au départ à titre d’appoint parce qu’ils permettaient d’épargner
au pilote la réalisation de certaines missions aériennes « fastidieuses, sales ou
dangereuses » (concept 3D : Dull, dirty, dangerous), les drones sont devenus une
capacité à part entière. Ils occupent même une part croissante de l’arsenal des
aviations militaires. Les pays occidentaux réduisent inexorablement le parc de
leur aviation de combat, de plus en plus coûteux à l’achat et à l’entretien, mais

(398) Soit plus de 120 000 heures de vol annuelles en moyenne sur les 16,5 ans considérés. Cette
moyenne globale ne rend pas compte de l’augmentation continue de l’activité sur la période. 500 000
heures de vol ont ainsi réalisées au cours de la seule année 2008, soit 16 fois plus qu’en 2002. À titre
de comparaison, le contrat de maintenance de nos drones Harfang porte sur 2 000 heures annuelles.
(399) Marc V. Schanz, “The Reaper Harvest , Air Force Magazine, avril 2011, vol. 94, no 4, p. 36.
Le nombre d’orbites permanentes pourra être porté à 85 en cas de nécessité opérationnelle (“Surge ).

419
augmentent celui de leurs drones MALE. Ailleurs, en Chine par exemple, les
drones MALE suscitent le même engouement (400).
Cette tendance tient à une raison simple : avec l’exigence de frappes de
plus en plus ciblées et sures, les vecteurs « historiques » ne peuvent aujourd’hui
donner leur pleine efficacité que combinés à des « multiplicateurs de force »,
systèmes de soutien dont la palette s’élargit constamment. Dans la guerre info-
centrée, les capacités concourant au recueil, à l’exploitation et à la diffusion du
renseignement se situent désormais au cœur des systèmes de forces.
Les drones MALE y sont incontournables, car ils affichent deux
caractéristiques rares : une grande endurance en vol, qui permet de se focaliser
sur une zone ou un point d’intérêt aussi longtemps que nécessaire (permanence
aérienne) ; la capacité, pour le décideur politique ou militaire comme pour
l’exécutant sur le terrain, de suivre l’évolution d’une situation en temps réel,
et donc de décider ou d’agir plus vite, presque « dans l’instant ».
Ces deux caractéristiques sont devenues décisives dans la conduite des
opérations militaires contemporaines, dominées par l’asymétrie, où l’adversaire,
souvent banalisé et fugace, se réfugie dans des milieux complexes (ville,
montagne, forêt) qui défient nos systèmes d’identification et de feu, voire notre
éthique de la guerre (imbrication au sein des populations). Les drones sont
actuellement parmi les seuls systèmes aériens capables de fournir, en permanence
si on le décide, un renseignement à fin d’action dans des délais compatibles
avec la vitesse d’évolution des situations tactiques. On l’a vu en 2011, lors de
l’opération Unified Protector, où leur intervention a constitué un tournant dans
l’identification, puis l’engagement des cibles d’opportunité : il y a, en Libye,
un « avant » et un « après » l’arrivée des drones sur le théâtre.

La vuLnérabiLité des drones, un tabou ?


Comme tout système, les drones ont leurs vulnérabilités propres. Celles-ci
sont régulièrement évoquées dans la littérature ouverte, mais n’ont jusqu’ici
fait l’objet d’aucune étude systématique grand public.
Curieusement, ce « silence » se retrouve chez les opérationnels. Structure en
charge de l’ensemble des problématiques drone pour l’OTAN, le Joint Capability
Group on Unmanned Air Systems (JCGUAS) n’a pas encore inscrit ce sujet
à l’agenda de ses groupes de travail. Aux États-Unis, le commandant Darin
L. Gab de l’US Army signait récemment une tribune pointant cette lacune et
la nécessité d’en tirer les conséquences en termes d’organisation, de doctrine,
d’entraînement et de matériel : « La création d’une organisation chargée de
coordonner, au sein du DoD, toutes les initiatives relatives au contre-UAV devrait
être prioritaire (…). Les vrais experts de ces sujets sont peu nombreux (…).
En général, nos exercices ne prennent pas assez en considération les menaces
drones. L’entraînement se limite aux scénarios les « plus probables » – l’analyse

(400) Voir le Pterodactyl I, également appelé Wing Loong, dévoilé au salon de Zhuhai fin 2012. Ce
MALE, dont l’allure évoque le Reaper, coûterait moins de 1 million de dollars à l’unité. Il traduit
l’ambition chinoise de se positionner sur un marché dominé par les États-Unis et Israël.

420
déterminant le « plus probable » étant du reste superficielle (…). Pour finir, les
technologies contre-UAV – celles qui permettent de brouiller ou d’aberrer leurs
liaisons, voire de les abattre – doivent être intégrées dans les futurs systèmes
militaires américains et installées dans ceux qui sont en service. Par exemple, le
radar du JSF F-35 devrait embarquer une bibliothèque de signatures lui permettant
de détecter et d’identifier tous les drones » (401). En France, la vulnérabilité des
drones a été analysée dans des études industrielles mais les conclusions de ces
travaux confidentiels n’ont pas été vulgarisées et n’ont conduit à aucune action
hors de la sphère technique (402).
Preuve de ce vide apparemment généralisé, la saisie de « Counter-UAV »
sur un moteur de recherche Internet ne permet d’accéder à aucune doctrine, ni
à aucun article de fond : sur la Toile, le « Counter-UAV » ne semble intéresser
que les amateurs de jeux vidéos. Il y a dans cette « omission » un paradoxe : si
une capacité militaire est essentielle, la question de sa sauvegarde, autrement
dit de la prise en compte de ses vulnérabilités, l’est d’autant plus.

un paradoxe Logique
Cette impasse s’explique probablement par deux facteurs.
Le premier, historique, tient au concept originel des drones. Le drone est
initialement pensé pour remplacer l’avion habité dans des tâches dangereuses ;
il doit être l’un des acteurs des missions « du premier jour », quand l’intégrité
des défenses adverses et l’inexpérience des équipages augmentent les risques
de pertes au combat (403). Les sorties réalisées par les drones israéliens dans la
plaine de la Bekaa, lors de l’opération « Paix en Galilée », sont la meilleure
illustration du concept : le 9 juin 1982, 10 minutes suffisent pour que 17 des
19 SA-6 syriens soient définitivement neutralisés par un dispositif combinant
chasseurs-bombardiers, avions d’attaque électronique (brouillage, tir
d’armements antiradiations), de guet aérien et drones. Ce sont eux, drones
photo et de renseignement électronique, qui établissent l’ordre de bataille en
amont de l’opération. Le jour J, ce sont encore eux qui forcent l’activation des
batteries SAM, en prélude à leur brouillage et leur destruction (404).

(401) Major Darin L. Gaub, «  Unready to stop UAVs. It’s time to get serious about countering
unmanned ennemy aircraft », Armed Forces Journal, décembre 2011, États-Unis).
(402) L’industriel Cassidian en particulier. M. Luc Boureau, directeur commercial « Drones » chez
Cassidian Air Systems, précise à ce sujet : « Nous avons effectivement étudié ces questions avec
l’administration il y a quelques années. Grâce à un PEA [Plan étude amont] de vulnérabilité des
drones, nous avons identifié les différentes vulnérabilités, notamment en termes de communication et
de sécurité de l’information. Mais ces résultats ne nous appartenaient pas et l’administration a dû les
utiliser pour ses différents projets. Il existe bien sûr des limitations à l’emploi des drones MALE mais
celles-ci sont déjà connues et comprises. Par ailleurs, ce sujet est classifié puisqu’il touche aussi la
détection radar et aux menaces sur l’information (communication, brouillage, etc.) .», Penser les ailes
françaises, no 26, automne 2011, p. 129.
(403) Capitaine Brian P. Tice, “Unmanned Aerial Vehicles, The Force multiplier of the 1990s”,
Airpower Journal, printemps 1991.
(404) Général Michel Forget, Puissance aérienne et stratégies, Paris, Economica, 2001,
363 p. L’épisode est relaté en pp. 270-271.

421
Les conceptions en vigueur dans les années 1990, celles du grand retour
du drone (Balkans), sont les mêmes : supposé assumer une forte attrition, le
drone doit être peu coûteux et donc relativement rustique. À l’époque, tout est
fait pour tirer les coûts vers le bas : développement a minima, entre autres par
le réemploi d’accessoires ou d’équipements existants. Ce n’est pas un hasard
si, aux États-Unis comme en Israël, les entreprises pionnières dans la filière
sont plus des systémiers que des avionneurs.
Très vite, l’aviation militaire inhabitée se démarque de l’aéromodélisme.
Le principe de modernisation d’avions « anciens » par l’adjonction de systèmes
dernier cri fait école. On l’applique avec succès aux F-14, F-16, F-18 et
autres A-10. Pourquoi ne pas l’étendre à d’autres vecteurs ? Les réflexions en
vogue dissocient vecteur, capteurs et effecteurs : à l’extrême, peu importe les
performances du premier, pourvu que capteurs et effecteurs – ce qui, dit-on,
apporte sa réelle plus-value au système complet – remplissent les critères attendus.
Mais, pour les drones, à moindre coût. On n’est pas loin de les considérer,
encore, comme une capacité « consommable ».
Le deuxième facteur est conjoncturel. Il est lié à la situation des théâtres
ouverts au moment où ces capacités ont été engagées : en Afghanistan comme
en Irak, la menace aérienne est inexistante ou très vite neutralisée, la menace
sol-air se réduit à d’hypothétiques – mais réels – missiles sol-air à très courte
portée. Bien que démunis face aux menaces, les systèmes en service remplissent
parfaitement le contrat.
En outre, malgré quelques voix dissonantes, la décennie 2000 est dominée
par les débats sur la contre-insurrection dont on prédit, peut-être un peu vite,
qu’elle représentera le type dominant – sinon exclusif – des engagements futurs.
Il n’a pas échappé aux analystes que les fauteurs de trouble non étatiques
étaient de mieux en mieux pourvus en matériel de haute technologie – on l’a
vu au Sud Liban, en 2006. Mais la prééminence du modèle de la « guerre au
sein des populations », avec le postulat d’une suprématie aérienne incontestée
et durable, structure les discours et cette polarisation empêche d’en tirer toutes
les conséquences (405).
Pourtant, les drones ont déjà fait les frais de leur indiscrétion. Lors des
opérations en Bosnie, un hélicoptère serbe vole de conserve avec un Predator
avant de l’abattre avec ses mitrailleuses de sabord. En 2002, un autre Predator
est abattu par un MiG-25 irakien (406). Plus récemment, on se souvient du drone
hezbollahi abattu par un F-16 israélien (2006), des deux drones géorgiens
descendus par un MiG-29 russe (407) (2008), sans parler du RQ-170 déjà évoqué.

(405) General Sir Rupert Smith, L’utilité de la force. L’Art de la guerre aujourd’hui, Paris, Economica,
coll. « Stratégie & doctrines », 2007.
(406) Christopher J. Bowie, Michael W. Isherwood, “The Unmanned Tipping Point”, Air Force
Magazine, septembre 2010, vol. 93, n° 9, p. 84.
(407) Joseph Henrotin, « Quelques remarques sur les contre-stratégies aériennes envisageables à
l’horizon 2030 », in Grégory Boutherin, Camille Grand (dir.), Envol vers 2025, réflexions prospectives
sur la puissance aérospatiale, Paris, La Documentation française, coll.  «  Stratégie aérospatiale  »,
2011, p. 47.

422
Ces destructions suscitent un certain émoi dans les milieux experts mais ont
un impact limité parce qu’elles relèvent de l’exception.
C’est un fait : statistiquement, les pertes au combat ne représentent qu’une
infime partie de l’attrition, et cette attrition évolue dans le bon sens. Avant
1996, le taux d’attrition du RQ-5 Hunter est de 255 pour 100 000 heures de
vol. Celui du Predator, durant ses six premières années d’exploitation est de
43 pour 100 000 heures de vol. C’est mieux mais on reste bien au-dessus des
standards des avions de combat habités (entre 2 et 3). Pour l’USAF, les raisons
de cet écart sont claires : programme de développement moins robuste, nombre
insuffisant d’équipes de maintenance qualifiées, et surtout prise de risque bien
supérieure (408). Presque toujours, les pertes de drones résultent de l’inexistence
ou du dysfonctionnement de dispositifs techniques, ou d’erreurs humaines. Ces
facteurs sont pris en considération, les adaptations nécessaires réalisées, aux
plans technique et humain, et leurs effets ne tardent à se manifester. Le nombre
d’accidents baisse sensiblement : le taux d’attrition de la flotte de Predator est
de 2 pour 100 000 heures de vol en 2008 (409).

une nouveLLe donne


Petit à petit, et de manière imperceptible, les termes du débat changent.
Tout d’abord, les coûts de possession de drones s’avèrent moins avantageux que
prévu. À mesure qu’ils dévoilent leur potentiel, les opérationnels deviennent plus
exigeants. Les charges utiles se diversifient, se complexifient. Pour embarquer
les capteurs – et, pour certains systèmes, des munitions –, il faut des vecteurs
plus grands et plus lourds. Le gabarit du MQ-9 Reaper est le double de celui du
MQ-1 Predator dont il est dérivé. L’augmentation des besoins en vidéo temps
réel (Full Motion Video, FMV), qui explosent à partir de 2005, accroît en outre
les tensions sur le segment spatial (bande passante, fréquences) et conduit à
la généralisation du ROVER (410). Le développement des drones dépasse très
largement celui du véhicule aérien, leur emploi et leur soutien sont confiés à
des spécialistes qui inaugurent une nouvelle filière. En quelques années, on est
sorti de l’ère artisanale pour celle de l’industrie à haut débit, avec ce que cela
implique en termes de robustesse et donc de coût.
Parfois, c’est l’échelle réduite de la flotte et du marché potentiel qui ne
permet pas d’amortir la dépense. Le développement de la capacité dans un cadre
national ou la « nationalisation » d’une capacité acquise sur étagère génèrent
des coûts prohibitifs. En France, le coût d’une heure de vol de Harfang peut
s’élever à 15 000 euros, ce qui est comparable au coût d’une heure de Mirage
2000 (411). Ailleurs, ce sont les ressources humaines qui tirent les coûts vers le

(408) Christopher J. Bowie, Michael W. Isherwood, op. cit., p. 81.


(409) Neuf Predator et un Reaper. Chris Cole, “A Century of Drone Crashes”, septembre 2012;
<http ://dronewarsuk.wordpress.com/2012/09/06/a-century-of-drone-crashes/>
(410) Remotely Operated Video Enhanced Receiver.
(411) En 2009, l’heure de vol du Harfang est estimée entre 10 000 et 15 000 euros et celle du Mirage
2000 entre 8 100 et 20 000 euros : voir le Rapport d’information déposé par la commission de la
Défense nationale et des forces armées et présenté par MM. Yves Vandevalle et Jean-Claude Viollet.

423
haut. Aux États-Unis, l’entretien d’une orbite permanente 24/7 de Predator
mobilise jusqu’à 192 personnes (412).
Et partout, la demande excède l’offre. En Afghanistan, seuls 40 % des
besoins de vidéo en temps réel (FMV) sont satisfaits (413), malgré une croissance
vertigineuse de la capacité : dans l’USAF, l’activité aérienne dédiée à l’ISR
(Intelligence, Surveillance & Reconnaissance) a augmenté de 3 000 % lors des dix
dernières années (414). Quelle que soit l’échelle des flottes, le drone est devenu
une ressource « juste insuffisante », donc précieuse. En témoigne, en 2012, la
remise de la médaille d’or de la sécurité des vols à un opérateur de drone qui
avait « sauvé » un Harfang en perdition en Afghanistan (415).
La question de la vulnérabilité des drones au feu adverse ne se pose
pas, non plus, de la même manière. Au terme de la décennie afghane, les
stratégistes reconnaissent à l’unisson que les théâtres des interventions futures
pourraient être moins permissifs. Le cas extrême du déni d’accès ne peut être
exclu. L’épouvantail d’un conflit dans la zone Asie-Pacifique, brandi par
l’administration américaine, est souvent montré comme l’alibi d’un soutien au
complexe militaro-industriel mais il serait irresponsable de botter en touche
lorsque l’on constate, partout, la montée en puissance des défenses aériennes,
qu’il s’agisse des chasseurs de quatrième génération ou des systèmes sol-air.
Les interventions dans des environnements plus menaçants que ceux des dix
dernières années sont déjà une réalité. La Russie l’a constaté à l’été 2008 lors
de sa confrontation avec la Georgie, malgré une supériorité écrasante (416). La
Libye en a été un autre exemple, avec ses SAM de tout calibre (417). Ailleurs,
en Syrie ou en Iran, l’existence de défenses performantes contraint les options
militaires.
Le préjudice opérationnel de l’attrition peut être relatif pour une nation
aussi bien pourvue que les États-Unis, mais il en serait sans doute autrement
ailleurs. Le cas de la France est particulièrement critique. Elle opère aujourd’hui
autant de drones MALE que d’E-3F AWACS : la perte d’un seul vecteur
serait lourde de conséquences. Selon les hypothèses actuelles, elle alignera « à

(412) Lieutenant-colonel (USAF) James Drape, « Vision opérationnelle américaine », Penser les ailes
françaises, no 26, automne 2011, p. 124. James Drape précise que l’élément de lancement et de recueil
et l’élément de contrôle de la mission ne représentent que 50 % de cet effectif, le reste étant dédié à
l’exploitation et à la diffusion de l’information. Les Américains cherchent désormais à réduire cet
effectif : une automatisation accrue du vecteur et le développement de nouvelles interfaces sont les
axes d’effort devant permettre, à terme, à un seul opérateur de contrôler plusieurs drones. Il est fort
probable que, malgré l’effort réalisé, le personnel nécessaire à l’activation d’une orbite permanente
reste important.
(413) Général de corps aérien Gilles Desclaux, « Retour sur l’Afghanistan et la Libye », Penser les
ailes françaises, hors série, automne 2012, p. 58.
(414) Marc V. Schanz, “The New Normal for RPAs , Air Force Magazine, novembre 2011, vol. 94,
no 11, p. 52.
(415) Il s’agit du capitaine Villedieu, de l’ED 1/33 Belfort , récompensé le 11 octobre 2012 par le
général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air.
(416) Huit appareils russes ont été abattus par des missiles géorgiens : un Tu-22, 2 Su-24, 4 Su-25 et
un Mi-24. Joseph Henrotin, op. cit., p. 48.
(417) SA-3, SA-5, SA-6 et SA-8, en plus de systèmes à très courte portée.

424
l’horizon 2020 » moins de MALE que d’avions ravitailleurs. Lorsque l’on sait
l’attention particulière dont bénéficient nos AWACS et nos ravitailleurs, systèmes
à forte valeur ajoutée (High Value Airborne Asset, HVAA), on comprend que
la question de l’intégrité des drones, et donc celle de leurs vulnérabilités, se
pose de manière cruciale.

vuLnérabiLités des drones maLe


Par construction, chaque segment des systèmes de drone MALE a ses
vulnérabilités.
Les vecteurs sont plutôt lents (entre 100 et 250 kt), et peu manœuvrants.
Ils sont extrêmement sensibles à certains phénomènes aérologiques : givrage,
visibilité à l’atterrissage, vent (418). Ils transitent à moyenne altitude, au-dessus
du domaine d’engagement de la plupart des systèmes sol-air à très courte
portée mais dans celui des systèmes à moyenne ou à longue portée et des avions
intercepteurs. S’ils bénéficient en général d’une faible signature acoustique, leurs
signatures radar et infrarouge, jusqu’ici favorables, tendent à augmenter sur
les derniers modèles dont les dimensions se rapprochent de celles des avions
habités (Reaper, Heron TP).
Ils sont dépourvus des capteurs permettant de percevoir les menaces
(détecteur d’alerte) et des contre-mesures permettant de s’y soustraire (brouilleur
embarqué, leurres). Ces dernières capacités sont envisagées par certaines nations
(États-Unis, Israël (419)) mais il est peu probable qu’elles se généralisent à court
terme sur les drones ISTAR (Intelligence, Surveillance, Target Acquisition
& Reconnaissance) en raison des contraintes qu’elles génèrent en termes
d’encombrement, de poids, d’intégration et de coût.
Les adaptations techniques envisagées portent sur un accroissement de
la furtivité, de la vitesse et de la manoeuvrabilité. Elles conduisent en fait à
développer des vecteurs qui s’intègrent dans une autre catégorie, intermédiaire
entre le drone ISTAR traditionnel et le drone de combat (UCAV, Unmanned
Combat Air Vehicle). Le Predator-C « Avenger » en est un exemple. Ce drone,
destiné à remplacer les Predator-A et Reaper dans les espaces aériens « contestés »,
concrétise plusieurs avancées : résistance au brouillage, identification électronique,
aptitude à opérer dans des conditions météo plus variées (420).
Qu’il soit partiellement établi hors du théâtre ou totalement déployé en
son sein, le segment sol est vulnérable aux agressions armées ou aux actes de

(418) Le vent de travers est la cause de nombreuses sorties de piste à l’atterrissage des Predator
stationnés à Kandahar.
(419) Le Heron-TP est autoprotégé avec brouilleurs et leurres remorqués.
(420) Marc V. Schanz, op. cit., p. 39.

425
malveillance (421). Dans le cadre d’une confrontation symétrique ou dissymétrique,
les stations de contrôle des drones feraient vraisemblablement partie des cibles
privilégiées car leur neutralisation est l’un des moyens les plus sûrs de paralyser
la capacité tout entière. Dans tous les cas, ces stations de contrôle peuvent être
l’objet d’actions directes ou indirectes : attaque cybernétique, tirs de mortiers
ou de roquettes, action terroriste, quand bien même la station serait positionnée
dans une enceinte dûment protégée. L’attaque de la base de Camp Bastion,
le 15 septembre 2012, qui avait conduit à la destruction au sol de 6 AV-8B,
montre qu’une telle hypothèse ne relève pas de la fiction (422).
Les systèmes de navigation embarqués et les liaisons sont également
vulnérables. Le GPS, qui recale la centrale inertielle, détermine la précision
de la navigation et du pointage des capteurs. Son brouillage est relativement
aisé et dégrade ces performances : en l’absence de recalage GPS, la dérive de la
centrale peut être rapide, de l’ordre de 120 mètres pour 20 minutes de vol pour
un drone de type Predator (423). À défaut de capteur à champ large permettant
de réorienter la ligne de visée, un pointage sur des coordonnées aberrées peut
être difficilement corrigible (effet de paille). À l’extrême, le brouillage peut
conduire à la perte du vecteur : c’est le cas si la programmation de mission dirige
systématiquement le drone désorienté ou perdu vers une zone de crash (424).
Les différentes liaisons sont généralement peu protégées, et donc vulnérables
à l’intrusion et au brouillage. L’intrusion permet de suivre ce que surveille le
drone et de manœuvrer en conséquence. C’est ce qu’auraient fait des insurgés
irakiens lorsqu’ils ont intercepté la liaison vidéo d’un Predator, en 2009 (425). Un
brouillage plus sophistiqué permet de ralentir l’échange des données entre les
capteurs et les stations de contrôle, et donc de dégrader voire de compromettre
l’exécution de la mission. Le brouillage de la liaison de commande et de contrôle
est plus dangereux encore : à l’extrême, il permet à l’adversaire de prendre le
contrôle du drone, en introduisant de nouveaux points de navigation dans son
itinéraire ou en le dirigeant où bon lui semble, voire en utilisant ses munitions
si celui-ci est armé.

(421) Les Américains dissocient leur segment sol en deux éléments. Un premier élément chargé de la
mise en œuvre du drone dans les phases de décollage et d’atterrissage est établi au plus près du théâtre,
voire en son sein (élément de lancement et de recueil). Après son décollage et jusqu’à son recueil,
le drone est ensuite pris en compte par un deuxième élément positionné aux États-Unis (élément de
contrôle de mission). Ce concept de Reach-back permet de minimiser l’empreinte sur le théâtre. Le
concept initial d’Harfang prévoyait d’adopter une organisation similaire, la station de contrôle en
Reach-back devant être établie à proximité des structures de commandement auxquelles s’adressaient
les données recueillies. En pratique, le segment sol d’Harfang a toujours été déployé en coup complet
sur un seul site : Bagram, Sigonella et Niamey.
(422) Deux autres appareils ayant été gravement endommagés. Voir « Afghanistan : les leçons d’une
attaque spectaculaire », Défense & Sécurité internationale, no 85, octobre 2012, p. 11.
(423) « Un simple émetteur de type téléphone portable réglé sur la fréquence GPS suffit à brouiller un
récepteur du commerce dans un rayon de plus de 20 kilomètres » : Magali Rebeaud, « Les drones font
la guerre au brouillage », Air & Cosmos, no 2 300, 17 février 2012, pp. 30-31.
(424) Ce n’est pas le cas de la famille Predator. En cas de perte de la liaison, le vecteur peut rejoindre
un circuit d’attente ou retourner vers sa base, jusqu’au rétablissement de la liaison ou à concurrence
de son autonomie. Christopher J. Bowie, Michael W. Isherwood, op. cit., p. 81.
(425) Liaison ROVER. Aujourd’hui, cette liaison est protégée.

426
Ces vulnérabilités génériques sont communes à tous les drones MALE.
D’autres paramètres plus spécifiques concourent à les amplifier. C’est le cas
des performances des capteurs embarqués. Une précision ou une résolution
médiocre peut imposer de descendre plus bas que prévu pour obtenir des
performances satisfaisantes et, ainsi, augmenter le risque vis-à-vis des menaces
sol-air (drones Harfang en Libye). C’est aussi, pour d’autres systèmes, l’absence
d’équipements d’antigivrage ou d’atterrissage automatique (Predator). C’est
enfin – et peut-être surtout – le dimensionnement de la flotte de drones. Il est
bien évident que l’impact de l’attrition ne s’envisage pas de la même manière
si cette flotte se réduit à quelques unités ou se porte à plusieurs centaines.

parades techniques
La parade à ces vulnérabilités intrinsèques est aussi bien technique
qu’opérationnelle.
Au plan technique, l’adaptation à coût maîtrisé d’un système existant
pourra privilégier la sécurisation du GPS et le cryptage des liaisons de données.
Ce cryptage concerne bien sûr les informations issues des charges utiles (c’est
l’une des spécifications du prochain standard du Reaper, le « block 5 » (426))
mais aussi les liaisons de commande et de contrôle du vecteur, liaison à vue et
liaison satellitaire. La seconde est plus difficile à crypter mais elle ne saurait
« se passer d’un cryptage évolué pour lutter contre les assauts des adversaires.
En ultime recours, si l’appareil vient à s’écraser en territoire ennemi, il reste à
prévoir des moyens de protection des systèmes d’information. » (427)
L’adoption de capteurs plus modernes est aussi à rechercher.
Au-delà, l’intégration d’une motorisation plus performante est un atout.
L’augmentation du plafond opérationnel de leurs drones est d’ailleurs l’un
des axes d’effort pour les Américains. Le RQ-4 Global Hawk bénéficie d’une
certaine impunité : il est difficile pour un chasseur de conduire une interception
à 60 000 ou 70 000 pieds, et très peu de SAM atteignent cette hauteur (428).
Certes, le RQ-4 ne rentre pas dans la même catégorie mais, déjà, le Reaper
peut croiser à 50 000 pieds. Voler haut diminue en outre la vulnérabilité au
brouillage GPS depuis le sol (429).
L’augmentation du niveau d’autonomie du drone est une autre piste, qui
permet de réduire à la fois le nombre de spécialistes dédiés à sa mise en œuvre
et sa vulnérabilité (430). Les systèmes d’un Global Hawk surveillent son état de
manière permanente, et déterminent les options lorsque survient une anomalie :
poursuite de la mission, annulation ou déroutement. Des Global Hawks se

(426) Anne Musquère, « Davantage de capacités pour le Reaper », Air & Cosmos no 2 283, 14 octobre
2011, p. 16.
(427) Magali Rebeaud, op. cit., p. 32.
(428) Christopher J. Bowie, Michael W. Isherwood, op. cit., p. 84.
(429) Cela permet également d’augmenter le champ de vision des capteurs, pourvu que la résolution
et l’aptitude au recueil tout temps soient au rendez-vous. Ces capacités sont également recherchées.
(430) Marc V. Schanz, op. cit., p. 51.

427
sont ainsi posés avec succès suite à une panne de moteur ou à une rupture de
liaison et sans intervention du pilote (431).

parades opérationneLLes : contre-uav défensif (dc-uav (432))


et offensif (oc-uav (433))

On considérera ici le cas d’une flotte modeste : c’est le plus pénalisant et


celui qui intéresse toutes les nations à l’exception des États-Unis. L’enjeu est
de garantir un emploi optimisé de nos drones, et donc d’empêcher l’adversaire
d’exploiter nos vulnérabilités tout en lui déniant la capacité d’opérer ses drones.
La problématique du contre-UAV comporte ainsi deux volets : un volet défensif
et un volet offensif.
Le DC-UAV englobe l’ensemble des principes d’emploi et des procédures à
mettre en œuvre pour garantir à nos drones leur intégrité et la liberté d’action
nécessaire à l’exercice de leurs missions.
Deux remarques s’imposent d’emblée. Premièrement, le véhicule aérien
inhabité est « un vecteur comme un autre » : même si son endurance, sa vitesse et
sa hauteur d’évolution imposent des procédures adaptées et une forte contrainte
pour les chasseurs de supériorité aérienne, la protection d’un drone en vol
répond aux mêmes principes que celle d’autres aéronefs (434). Deuxièmement,
si l’on considère sa plus-value opérationnelle, le système de drone n’est pas une
capacité « banale » : c’est une ressource précieuse, à forte valeur ajoutée, dont
la protection pourra nécessiter des moyens importants.
La protection des infrastructures de mise en œuvre au sol est à rechercher
dans tous les cas : stations de contrôle du drone et du satellite, environnement
aéronautique. Elle pourra imposer la mise en place d’une défense sol-air robuste.
En vol, l’emploi du drone pourra requérir la supériorité aérienne locale,
c’est-à-dire la neutralisation des défenses anti-aériennes adverses dans la zone
de travail, ainsi que l’engagement d’avions de défense aérienne et de moyens
d’accompagnement : guet aéroporté, ravitailleurs. Ces mesures se justifient
si l’emploi du drone est requis dès l’entrée en premier sur un théâtre. Elles
peuvent valoir pour une campagne aérienne « classique » comme pour une
action ponctuelle, dans le cadre d’une opération limitée ; une opération de type

(431) Christopher J. Bowie, Michael W. Isherwood, op. cit., p. 81.


(432) Defensive Counter-UAV.
(433) Offensive Counter-UAV.
(434) La protection d’une orbite pouvant être très dispendieuse en ressources.

428
CSAR (435) peut fournir un élément de comparaison, en termes de probabilité
d’occurrence, de moyens engagés et de savoir-faire à mobiliser (436).
L’OC-UAV englobe l’ensemble des principes d’emploi et des procédures
à mettre en œuvre pour interdire à l’adversaire l’usage de ses drones MALE,
afin de l’aveugler.
La neutralisation de la capacité adverse au sol sera privilégiée. La destruction
des vecteurs aériens en vol est en effet plus délicate. Ces derniers bénéficient
d’une faible signature visible, ce qui rend leur détection aléatoire. De plus, leur
vitesse complique l’interception : elle impose à l’avion intercepteur d’évoluer
à basse vitesse et nécessite de disposer d’un armement adapté.
L’attaque de la capacité au sol peut être réalisée de manière classique par
bombardement aérien des vecteurs, de la station de contrôle ou des infrastructures
aéroportuaires nécessaires à sa mise en œuvre : radars de surveillance, tour
de contrôle, aires de stationnement, pistes et chemins de roulement. Cette
neutralisation peut également être opérée en ciblant les réseaux adverses, qui
seront de plus en plus interconnectés (437), ou par l’emploi de forces spéciales :
saisie de l’aéroport, destructions ciblées.

perspectives
La problématique de la vulnérabilité des drones est encore émergente.
Elle donne lieu à des approches différenciées. En haut du spectre, le drone de
combat (UCAV) est présenté comme la meilleure réponse. Sa furtivité et ses
performances aérodynamiques, proches de celles d’un avion de combat habité,
compliqueront sans doute sa détection et son engagement par l’adversaire tout
en facilitant la réalisation de raids combinés drones / avions. Mais l’UCAV n’est
pas la seule réponse, pour deux raisons. D’une part, les projets actuellement
en développement préfigurent des drones orientés sur le bombardement air-
sol, avec des capacités ISR sensiblement inférieures à celles des systèmes en
service aujourd’hui. Les drones MALE dédiés au renseignement feront donc
vraisemblablement toujours partie des arsenaux et la problématique de leur
vulnérabilité restera posée. D’autre part, le coût de possession des UCAV sera
sans doute élevé. L’expérience des MALE ISTAR, qui se sont avérés bien plus
coûteux que prévu, conduit en effet à considérer les projections financières avec
la plus grande prudence. On peut donc penser qu’États-Unis mis à part, les
flottes d’UCAV seront modestes et donc précieuses. La vulnérabilité propre de

(435) Combat Search & Rescue.


(436) Escorte d’un aéronef lent, reconnaissance d’itinéraire, protection du dispositif. Une opération
de CSAR implique de nombreux moyens pour sauver un équipage en zone hostile ; serait-on prêts à
mettre des vies humaines en danger pour permettre à un aéronef inhabité de remplir sa mission ? La
question mérite d’être posée, au regard des enjeux (recueil d’une information critique, appui d’une
manœuvre décisive, etc.), des risques acceptables et des autres capacités disponibles. Une réponse
positive signerait un nouveau paradoxe vis-à-vis du concept originel des drones : épargner à l’homme
les missions 3D, réduire les coûts d’une opération…
(437) C’est déjà le cas aux États-Unis ou en Israël.

429
ces concentrés de très haute technologie sera donc un enjeu, la capture d’un
UCAV pouvant s’avérer compromettante aux plans opérationnel et industriel.
Au milieu du spectre, les Américains développent des projets de drones
ISTAR furtifs, rapides et manœuvrants. C’est, entre autres, le cas du Predator-C.
Ce système sera peut-être acquis par quelques nations partenaires des États-Unis.
Au vu de l’appétence actuelle des Européens pour les opérations de coercition et
des contraintes budgétaires, il est probable que les clients du Predator-C seront
peu nombreux en Europe. Un tel concept de drone ne figure pour l’instant ni
sur les plans d’acquisition de la France, ni sur ceux de la Grande-Bretagne, qui
sont aujourd’hui les nations européennes les plus ambitieuses pour leur défense.
Reste donc, en bas du spectre, le drone MALE traditionnel, celui que nous
connaissons aujourd’hui. C’est sur lui que doivent se focaliser les réflexions
à court terme : en France, l’UCAV n’est envisagé qu’au-delà de 2025. Les
vulnérabilités du MALE sont identifiées. L’hypothèse d’un emploi dans un
milieu non permissif ne peut être exclue à court / moyen terme. La perte d’un
de nos vecteurs y serait conséquente. Il est temps d’en prendre acte, dans tous
les domaines. Le volet technique en est un. C’est même le premier à considérer
lorsque l’on décide de développer un système de drones, les modifications
a posteriori étant complexes et coûteuses. La définition d’une doctrine intégrant
tous les aspects de la problématique (dont la menace cybernétique et la manœuvre
des ressources humaines) et sa validation dans des scénarios d’entraînement
réalistes sont également incontournables. Les armées de l’air sont aujourd’hui
les plus légitimes pour conduire ces travaux.

430
Vers des drones supersoniques
Général de corps aérien (2S) Michel Asencio

Dans leur première utilisation, les drones exerçaient la surveillance au-dessus


du champ de bataille et fournissaient la permanence de l’observation en vol par
rapport aux aéronefs traditionnels ou aux satellites. Cette fonction « capteur »
du drone a été ensuite enrichie par une fonction « effecteur » (hunter-killer),
c’est-à-dire une réponse coercitive immédiate à une menace à l’aide de missiles
embarqués. Aujourd’hui, on assiste au développement des drones de combat
spécialement conçus, eux, pour délivrer un armement. La famille des drones
armés Predator avec ses deux versions illustre bien cette progression dans les
fonctions mais en volant bas et trop lentement et avec une furtivité insuffisante,
elle souffre en opérations, d’une assez grande vulnérabilité.
Jusqu’à maintenant, les drones n’ont été utilisés que sur des théâtres
peu défendus et ne disposant pas de défense sol-air bien organisée. Or, ce
type d’aéronef lent, pas assez furtif et sans auto-défense constitue une cible
excessivement facile dans un pays moyennement défendu par un dispositif au
sol ou en vol efficient. Précurseur dans le domaine des drones, les américains
ont déjà anticipé cette menace future et c’est la raison pour laquelle General
Atomics (G. A) tente d’enrichir la famille Predator par une version C, baptisée
« Avenger », équipée d’un turboréacteur et de soutes à armement pour améliorer
à la fois la vitesse et la discrétion de ce type d’aéronef. L’Avenger est depuis le
début de l’année 2012 en Afghanistan en évaluation en milieu opérationnel et
General Atomics se pose comme un sérieux concurrent face aux UCAS (438)
subsoniques X-45 et X-47N des firmes Boeing et Northtrop. En Europe, on
assiste à la même démarche avec les démonstrateurs technologiques Neuron
et Taranis.

pourquoi un drone haute vitesse ?


La survivabilité des drones dépend de l’altitude de vol, de sa vitesse, de sa
furtivité (stealth), de la portée de ses propres capteurs et bien sûr de la qualité
des senseurs adverses. Les simulations indiquent que la vitesse et la furtivité
des UAS sont d’importance égale dans un scénario opérationnel.
La vulnérabilité et la furtivité passive ou active résulteront du meilleur
compromis entre le nombre de vecteurs à acquérir, leur complexité et donc le
coût unitaire de possession. Les américains, qui considèrent les drones comme
indispensables dans les conflits modernes, acceptent des taux d’attrition élevés

(438) UCAS : Unmanned Combat Aerial System, en remplacement du sigle UCAV, pour indiquer
que le véhicule aérien n’est qu’un maillon du « système de systèmes ». Les Anglo-Saxons préfèrent
d’ailleurs utiliser le terme RPV – Remote Piloted Vehicle – pour indiquer que l’homme est dans la
boucle et que l’aéronef n’a pas (encore) d’autonomie de décision.

431
(20 à 25 %) et banalisent leurs pertes. En 2015, le taux d’attrition des drones
américains est fixé à 1,5 pour 10000 heures de vol (à rapprocher d’un avion de
chasse habité perdu pour 10 000 heures de vol dans les armées occidentales). La
rationalisation de la formation des opérateurs au sol et la fiabilité des plates-
formes sont des axes d’efforts pour améliorer la survivabilité des drones : les
causes de perte d’un UAS sont essentiellement techniques (motorisation,
givrage, perte de liaisons…) et non pas humaines alors que c’est l’inverse pour
un avion de combat habité.
Il est important d’indiquer qu’à l’heure actuelle, ni les États-Unis ni
Israël n’ont été conduits à mettre en œuvre leurs systèmes de drones dans
une configuration conflictuelle les opposant à une puissance d’un niveau
technologique et qualitatif similaire : les études d’attrition des drones restent
donc théoriques. Des quatre vingt Predator en service en mars 2005 en Irak,
trente sont tombés en panne ou ont été abattus par l’ennemi en l’espace de
deux années.
Il ne fait plus aucun doute que l’avion de combat de la prochaine génération
(s’il devait exister tant aux États-Unis qu’en Europe) tiendra compte de ce
nouvel effecteur aérien que représente l’UCAS, ou du moins, qu’il héritera
des avancées technologiques défrichées par ce type de vecteur. Par exemple,
les progrès du ravitaillement en vol d’un UAS en automatique (comme c’est
le cas aujourd’hui des essais en vol conduits pour le X-47N) pourront être
appliqués aux avions habités pour améliorer la sécurité de cette opération,
toujours délicate en manuel. Ces retombées ne seront significatives que si les
vitesses des avions de combat et des drones sont comparables et compatibles
avec la vitesse des ravitailleurs.
D’autre part, les anglo-saxons ont exprimé également un concept hybride
dans lequel le même véhicule aérien peut-être, soit habité, soit commandé
par un pilote « déporté » (aéronef optionnellement habité) ou être totalement
autonome suivant les phases de vol. Ce concept inclus également le vol en
patrouille de plusieurs véhicules non habités ou le vol en patrouilles mixtes.
Un ou plusieurs véhicules automatiques étant éventuellement pris en charge
par un pilote de la patrouille. Là encore, la patrouille mixte ne pourra exister
que si les vitesses des deux types d’aéronefs sont analogues.
Mais ces besoins, que l’on retrouve dans toutes les armées occidentales avec
les démonstrateurs technologiques UCAS, se prolongent chez les américains
par la volonté d’accéder à la propulsion hypersonique pour une famille
nouvelle de drones. Leur concept de « Conventionnal Prompt Global Strike »
(CGPS), comme on le verra plus loin, l’exprime et les développements en cours
l’attestent clairement.

Les déveLoppements en cours


Les développements en cours sur les drones très rapides se déroulent
essentiellement aux États-Unis où on trouve une palette de démonstrateurs
technologiques qui vont du drone subsonique jusqu’au programme FALCON

432
(acronyme pour Force application and launch from continental US et autres
démonstrateurs hypersoniques HTV (Hypersonic Technology Vehicle) en passant
par le développement d’un moteur à cycles multiples dénommé « scramjet »
qui un super statoréacteur.

Les drones hypersoniques


Les efforts consentis dans le domaine des hautes vitesses sont essentiellement
le fait des États-Unis et en ce qui concerne la recherche technologique elle a été
toujours sous-tendue par des concepts s’adaptant au contexte géostratégique
du moment. Le programme majeur FALCON, lancé en 2003, résume bien
les dernières années de recherches sur le sujet mais les investigations dans
ce domaine des très hautes vitesses remontent à près de cinquante ans. En
fait, c’est la capitalisation des différentes expériences issues des programmes
aboutis, réorientés ou abandonnés et la constance dans la poursuite de l’objectif
capacitaire qui ont mené les États-Unis à la situation actuelle de pionnier dans
le domaine de la vitesse hypersonique. D’autres pays comme l’Inde, l’Australie,
la Grande-Bretagne, la Russie et la France ont aussi la volonté d’accéder à
cette capacité mais incontestablement ils se situent loin derrière la première
puissance technologique mondiale.

rappeLs historiques
Pendant des décennies, l’armée de l’Air américaine a exprimé le besoin
d’avions spatiaux – de véhicules aériens pouvant décoller d’une piste, voler aux
vitesses hypersoniques dans l’atmosphère supérieure, atteindre l’orbite basse de
la Terre et revenir dans un mode conventionnel sur une piste conventionnelle.
L’application pratique de ce concept a sans cesse été repoussée en raison de la
mobilisation très importante de capitaux nécessaires pour le développement
de technologies non matures et de l’absence de besoins bien identifiés.
Le X-20 Dyna Soar en 1957 a été le premier programme reconnu
publiquement – lancé par une fusée à la verticale il revenait sur terre en planant
comme la navette spatiale. Le premier programme de vol hypersonique, avec
une propulsion utilisant au moins partiellement l’air atmosphérique, date des
années 1980 et porte le nom de NASP (National Aerospace Plane). Le concept
utilisait une combinaison de moteur atmosphérique et de fusée ce qui permettait
le décollage horizontal, une accélération jusqu’au vol orbital et le retour à
Mach 25 avec un posé sur terrain conventionnel. S’il a permis d’identifier
clairement les problèmes techniques à résoudre, ce projet a été abandonné au
début des années 1990.

Le darpa/navy hyfLy program et Le scramjet


Le but global de HyFly, programme qui a hérité directement de l’expérience
acquise dans le programme NASP, était de faire voler des technologies clés

433
sur des missiles de croisière à forte vitesse à longue portée et pouvant dépasser
M5. Il s’agissait de démontrer la faisabilité d’un moteur de type « scramjet ».
Un scramjet est un ramjet (statoréacteur) à combustion supersonique capable
de fonctionner au-dessus de Mach 5. Le programme HyFly était basé sur une
technologie hybride de scramjet appelée ramjet à chambre de combustion
duale. Il ne présentait aucune pièce mobile et offrait une alternative plus
légère en poids par rapport à d’autres types de systèmes de propulsion. Dans
ce réacteur, de l’air à vitesse supersonique est ralenti à des vitesses subsoniques
puis est mélangé avec du carburant JP-10 et mis à feu. Les produits d’expansion
de combustion sont alors mélangés à de l’air supersonique entrant par une
deuxième entrée d’air, ils sont ainsi brûlés plus complètement dans une chambre
de combustion supersonique. En employant un carburant conventionnel et
en n’utilisant pas d’additifs toxiques comme chez d’autres concepteurs de
scramjet, ce moteur était plus sûr pour l’usage à bord d’un navire, ce qui était
une exigence de la Navy. Le programme d’essai prévoyait des vols prolongés
à Mach 6, démontrant de ce fait la maturité des technologies clés du moteur
scramjet hybride à combustible hydrocarbure liquide et des structures capables
de subir de hautes températures. L’une des clefs de ce programme était la
démonstration de la tenue en température des matériaux constituant la paroi
interne du moteur (2 200 C pendant 10 minutes).
Le 10 décembre 2005 au-dessus de l’île de Wallops, Virginie, le véhicule de
l’Office of Naval Research/Defense Advanced Research Projects Agency (ONR/
DARPA) a effectué une première mondiale. À une altitude de 63 000 pieds, le
véhicule Freeflight Atmospheric Scramjet Test Technique (FASTT) est devenu
le premier scramjet à voler, alimenté par un carburant à hydrocarbure liquide.
Après le lancement par une fusée à deux étages Terrier-Orion, le véhicule
d’approximativement 2,7 m et 28 cm de diamètre a atteint 5 300 pieds par seconde
(Mach 5,5) pendant 15 secondes avant d’amerrir dans l’océan Atlantique. Le
projet de véhicule FASTT faisait partie du programme de démonstration en
vol hypersonique conjoint ONR/DARPA (HyFly) conçu pour démontrer
des méthodes d’essais peu coûteuses en vol et pour obtenir des données aux
vitesses hypersoniques.

Le concept opérationneL hypersonique


Au centre de la stratégie spatiale américaine de réponse rapide à une menace
(CGPS), on trouve les petits véhicules de lancement. À moyen terme, il s’agit
de développer un système consommable capable de délivrer sa charge offensive
sur une cible, après un parcours guidé, mais non propulsé (planeur), à vitesse
hypersonique. Ce concept appelé CAV (Command Aero Vehicle) devait être
capable de délivrer 500 kg d’armements, après qu’un SLV (Small Launch Vehicle)
l’ait placé à l’altitude et à la vitesse requises. Traduit en exigences opérationnelles,
le concept SLV est de disposer à l’horizon 2025 d’un ensemble de moyens dont
un véhicule réutilisable, volant à vitesse hypersonique, permettant de délivrer
une charge militaire de l’ordre de 6 T, à 17 000 km du point de lancement, avec

434
un temps de trajet de deux heures et un temps de préparation équivalent (439),
d’engager des cibles multiples, diversifiées et largement dispersées et enfin
d’avoir une mission réaffectable en vol et être rappelable.
L’objectif était de :
• réaliser un vol de démonstration, avec des engins consommables (hyper-
sonic gliders), chaque année à partir de 2006 ;
• réaliser un premier vol prototype vers 2010-2015 ;
• avoir un système permettant l’accès à l’espace en 2025.
Ces exigences se sont déclinées en un avion spatial HCV (Hypersonic
Cruise Vehicle) et un planeur hypersonique CAV (Common Aero Vehicle) de 5,5 t,
capable de transporter sur 5 000 km une charge militaire ou des équipements
de reconnaissance. Le HTV-1(Hypersonic Technology Vehicle -1) devait être la
première représentation approchée de ces exigences. Les plans projetaient qu’il
vole à des vitesses supérieures à Mach 15 en emportant une panoplie d’armes
comparables à la charge d’un avion de chasse d’aujourd’hui ou de lancer des
satellites en orbite basse. Il devait être probablement habité mais capable aussi
d’être piloté à distance (UCAS).

Le programme faLcon
Le programme FALCON illustre le désir américain de pouvoir imposer
sa force dans le monde entier, en des laps de temps très courts tout en se
passant de bases avancées et donc de l’accord préalable de partenaires et
d’alliés. Ce programme majeur vise à explorer un certain nombre d’objectifs
technologiques à moyen et à long termes. En 2007, l’US Air Force a annoncé
vouloir utiliser le démonstrateur X-37 de la NASA pour poursuivre des études
sur le développement d’un drone spatial réutilisable. Boeing a été désigné maître
d’œuvre sur ce programme, intitulé OTV (Orbital Test Vehicle). Le premier
lancement a finalement été effectué le 22 avril 2010 (440).
Le projet cadre FALCON comprenait à l’origine cinq grands volets :
• le X-41 Common Aero Vehicle (CAV) – une plate-forme hypersonique
commune pour les ICBM, les missiles de croisière ainsi que pour des
plates-formes civiles RLV (ReUsable Launch Vehicle) et EVL (Expendable
Launch Vehicle) ;
• le Small Launch Vehicle (SLV) – un petit engin pour propulser les CAV.
Ce projet est terminé ;
• l’Hypersonic Vehicle Technology-1 (HTV-1) – une plate-forme de test, ini-
tialement prévue de voler en Septembre 2007 – a été annulé ;
• le HTV-2 – son premier vol a eu lieu le 22 avril 2010, mais le contact a
été perdu peu après la séparation d’avec le booster. Le deuxième vol d’es-
sai a eu lieu le 11 août 2011 et s’est soldé également par un demi-échec,
dans les mêmes conditions que l’essai précédent ;
• le HTV-3X – Blackswift, également annulé.

(439) Air Force Association, Magazine on line, December 2003, vol. 86, n° 12, p. 7.
(440) « Boeing X-37 / X-40] », 5 février 2009.

435
Ont abouti ou sont encore en cours de développement et d’essais, les
SLV et les technologies hypersoniques à air pulsé réutilisables. Elles ont été
développées dans le cadre du projet-cadre commun (DARPA - USAF – NASA)
et en particulier pour la propulsion et les concepts de commande du véhicule.
Une partie du programme visait à développer, comme on le verra plus loin,
un système d’armes hypersonique réutilisable (Hypersonic Weapon System –
HWS), rebaptisé Hypersonic Cruise Vehicle (HCV, HTV pour le démonstrateur
technologique) et la deuxième partie du programme s’attachait à développer
un système de lancement capable d’accélérer le HCV à des vitesses de croisière.
Ce programme en deux parties a été annoncé en 2003 et s’est poursuivi jusqu’à
maintenant avec des adaptations importantes en fonction des disponibilités
financières annuelles (441).

Le sLv et Le cav
L’US Air Force veut un système hypersonique avant 2025. Le développement
d’un lanceur réutilisable comme le HCV étant une entreprise de longue haleine,
le programme FALCON prévoyait un lanceur intérimaire, le SLV, dont le
développement a été confié à la société AirLaunch, pour amener le véhicule
aérospatial commun (CAV) à l’altitude d’orbite ou offrir des possibilités de
lancement, en réaction rapide, de petits satellites. Comme mesure d’intérim,
la DARPA développe donc un système hypersonique CAV pour délivrer des
munitions guidées. En 2007, on pensait que ce système pouvait être construit
dans un délai de huit ans (soit 2015). À plus long terme un véhicule hypersonique
de croisière réutilisable reste toujours d’actualité.
Dans un premier temps, soit en 2007, ce SLV devait répondre au besoin de
mettre en orbite basse une charge de 500 kg avec un temps de réaction très bref.
Armé de 1 000 livres d’armement, le CAV quant à lui, vecteur hypersonique
délivrant des munitions guidées, devait pouvoir frapper n’importe où sur le territoire
d’un adversaire. Descendant d’une altitude élevée et à grande vitesse, il devait
présenter une extrême efficacité contre les cibles durcies ou profondément
enterrées. Des vitesses d’impact d’approximativement 4 000 pieds par seconde
sont prévues. La technologie CAV offre des possibilités de guidage avec une
allonge allant jusqu’à 10 350 milles, mais ces systèmes avancés exigent un
développement significatif dans les secteurs de la protection thermique, la
conduite, la navigation et les commandes de vol.
L’US Air Force comptait avoir des systèmes réalisables de CAV et de SLV
vers 2010, il va donc falloir attendre encore quelques années avant d’acquérir
cette nouvelle capacité intermédiaire. Vraisemblablement vers 2018-2020. Le
programme FALCON est conduit de manière à employer les travaux initiaux
sur le CAV, le SLV et sur les technologies de propulsion afin de développer le

(441) FALCON Force Application and Launch from CONUS Broad Agency Announcement
(BAA) PHASE I Proposer Information Pamphlet (PIP) for BAA Solicitation 03-35. DARPA
2003.

436
véhicule hypersonique de croisière (HCV) qui devrait voir sa réalisation vers
2025. Les principales difficultés à résoudre concernent :
• la résistance des matériaux aux hautes températures ;
• la navigation, la configuration aérodynamique et le contrôle du vol,
qui doivent être satisfaisants à la fois aux faibles vitesses et aux vitesses
hypersoniques ;
• les moyens de communication qui doivent pouvoir fonctionner en air ionisé ;
• l’amélioration des scramjets pour couvrir tout le domaine, de Mach 4 à 11.

Le hypersonic cruise vehicLe – hcv


Le HTV-1 : En octobre 2005, l’US Air Force achevait les essais d’une
maquette du HTV-l dans sa soufflerie T9 à grands Reynolds de la base d’Arnold,
qui permet de répliquer exactement les conditions de vol du démonstrateur
jusqu’à Mach 10. Une trentaine d’essais, couvrant les conditions de vol
de l’engin de Mach 10 à Mach 14, ont été menés pour valider deux points
essentiels du domaine avant la revue de conception détaillée. Les chercheurs
s’intéressaient en particulier au bouclier thermique tout en carbone qui doit
tenir des températures de l’ordre de 3 000°C et des pressions externes 25 fois
supérieures à ce qu’endurait le bouclier du Space Shuttle. Les essais ayant validé
leur concept, la fabrication des premiers composants critiques du HTV-1 a
pu être lancée. L’intégration globale de l’engin a été effectuée par Loockheed
Martin dans son usine de Valley Forge en Pennsylvanie. Mais en définitive la
DARPA et Lockheed n’ont pas réalisé les deux HTV-1 prévus parce que le
sous-traitant C-Cat n’a pas surmonté le problème de décollement des bords
d’attaque en carbone du véhicule. Ils se sont dirigés vers une conception
différente pour le HTV-2 avec des bords d’attaque multi parties et plus minces,
plus faciles à construire.
Après un premier un premier essai en avril 2010 qui s’est soldé par un demi-
échec bien que le véhicule hypersonique ait pu atteindre M20 pendant près
de 3 minutes, la DARPA a lancé un deuxième test en vol, en août 2011. Pour
ce deuxième essai, la phase d’accélération s’est bien déroulée et « le HTV-2 a
effectivement atteint M20 pendant 3 minutes avec les modifications issues des
enseignements du premier vol. La DARPA signale qu’environ 9 minutes après le
lancement, le système embarqué de sécurité a détecté un comportement de vol
indésirable, il a alors imposé un contrôle d’assiette et un piqué de descente vers
l’océan » (442). D’après le directeur de la DARPA, le véhicule a éprouvé des
chocs aérodynamiques d’amplitude cent fois supérieure à ce que le système
autonome de sécurité pouvait encaisser. Pour lui, cet enseignement majeur est
une validation en vol importante qui permet une meilleure compréhension de
l’aérodynamique en vol hypersonique. Suite aux données collectées lors de ce
deuxième vol, la DARPA a décidé de poursuivre, en 2013, le programme HTV
et de procéder à un troisième essai en vol.

(442) Extraits des déclarations du directeur de programme HTV2, le commandant Air Chris Schultz
de la DARPA après la revue de programme lancée après le second demi-échec du HTV-2 et du
directeur par intérim de la DARPA, Dct Kaigham J. Gabriel, site DARPA Home, 23 avril 2012.

437
Déjà lors du premier vol, les analyses de la télémétrie avaient montré que
le couplage entre le lacet et le roulis du véhicule était beaucoup plus fort que
prévu. Le problème est survenu après la phase de séparation de son accélérateur
et la rentrée dans l’atmosphère, pendant la manœuvre de plongée et de remontée
balistique (effet zoom bien connu des aviateurs) afin d’atteindre la vitesse de
croisière de Mach 20. L’US Air Force et la DARPA ont déroulé une revue
d’ingénierie indépendante pour approfondir les causes de la perte de ce deuxième
engin. D’après le directeur de programme, le problème fondamental provient
de la conception même du HTV-2 quant à l’incertitude qui pèse sur le flux
aérodynamique qui entoure le dard profilé du véhicule lors de sa transition d’un
régime laminaire à un régime de turbulence et alors que ces deux types de flux
produisent des caractéristiques aérodynamiques différentes. Après le premier
échec, les essais en tunnel hypersonique ont permis aux concepteurs d’améliorer
leurs connaissances du phénomène mais sans pour autant qu’ils en retirent
tous les points d’interrogations sur le moment où survient la transition. Pour
l’instant, simulateurs et souffleries au sol semblent insuffisants pour des tests
au-delà de Mach 15 et avec une durée significative. Au-dessus de ces vitesses, il
faut disposer de tunnels spéciaux appelés « tunnels à impulsions » qui fournissent
des données aérodynamiques pendant seulement quelques millisecondes à chaque
test. « Le premier vol d’essai a engrangé des données équivalentes à des années
de travaux sur terre, des dizaines de millions de dollars et plusieurs centaines de
tests dans des tunnels à impulsions », d’après le directeur de programme, « il faut,
en plus, recréer les conditions de vol à M20 au sol dans le tunnel à impulsions et
même avec ces instantanés au sol, on ne saurait pas à quoi s’attendre en vol réel.
Seul l’essai en vol peut révéler la dure réalité et son lot d’incertitudes. ». Lors du
deuxième vol, de nombreuses données complémentaires ont été recueillies sur
l’écoulement de l’air à très haute vitesse et le comportement du véhicule à des
températures extrêmes (près de 2 000°C).
La décision de construire un HTV-2C n’est pas encore prise mais il est
vraisemblable que les États-Unis continueront leur exploration du haut
hypersonique militaire (443) en vol réel en sauvegardant en partie les ressources
financières allouées à ce programme. Ils ont aussi la solution de réduire peut-
être leur ambition de vitesse et se concentrer sur un véhicule réutilisable. Cet
objectif faisait l’objet du démonstrateur HTV-3, propulsé par un superscramjet
et baptisé « Blackswift ». Ce projet a été annulé faute de financement en 2008.
On rappelle brièvement ci-dessous les caractéristiques de ce projet.
Le HTV-3 « Blackswift » : Découlant des programmes Hyper– X (ou
X-43) et X-51 « Waverider », le dernier projet annoncé sous la bannière Falcon
était un démonstrateur de la taille d’un avion de combat non habité appelé
« Blackswift » qui devait décoller d’une piste, accélérer à Mach 6, remplir sa
mission et atterrir à nouveau sur une piste conventionnelle. Fin 2009, un HTV-3
devait prendre le relais avec un thème d’essai radicalement différent des essais du
HTV-2. Sa vitesse devait être limitée à Mach 10 pendant l’essai dont le but était

(443) Trois minutes de données en vol réel à 20 mètres représentent des années de travail en « tunnels
à impulsions » à terre.

438
de valider de nouvelles barrières thermiques pour un véhicule réutilisable. En
2009, le HTV-3X n’avait pas reçu le financement nécessaire et l’exercice a été
annulé (444) mais l’Hypersonic Cruise Vehicle Programm se poursuit tout de
même avec un financement réduit.
Le concept AHW (445) : La preuve que le vol hypersonique n’est pas
abandonné chez les américains, c’est qu’après les deux semi échecs du véhicule
hypersonique HTV-2 en 2010 et 2011, l’US Army Space and Missile Defense
avec l’Army Forces Strategic Command ont procédé, trois mois après (446), au
premier essai en vol de l’Advanced Hypersonic Weapon (AHW). Les HTV-2
et l’AHW font partie du programme Conventional Prompt Global Strike
(CPGS) qui a pour but de développer un système capable de délivrer une arme
conventionnelle de précision n’importe où dans le monde en un délai d’une
heure. Le concept initial de l’AHW est un véhicule à longue portée conçu pour
voler à des vitesses hypersoniques (au-dessus de Mach 5).
Le 17 novembre 2011, après une mise sur trajectoire nominale par le lanceur,
le véhicule planeur AHW a suivi une trajectoire non balistique planante à une
vitesse hypersonique jusqu’à l’impact prévu sur une cible située sur l’Atoll des
Kwajalein dans les Iles Marshall à plus de 3.500 kilomètres en moins d’une
demi-heure. Les résultats de la phase propulsée et la phase planeur des tests
des HTV-2 conduits par la DARPA ont été utilisés pour les tests en vol de
l’AHW. Le DoD n’a pas donné de détail sur la vitesse maximale atteinte par
le véhicule (un rapide calcul donnerait une vitesse de l’ordre de M7). L’objectif
du programme (447) est de traiter une cible située à plus de 6 000 kilomètres, en
35 minutes et avec une précision de l’ordre de 10 mètres. L’AHW est une des
nombreuses alternatives qui s’offrent au Pentagone pour frapper avec une arme
conventionnelle des cibles mobiles, plus rapidement que les munitions actuelles.
Le DoD indique par ailleurs, que les données collectées par la vingtaine de
plates-formes de mesure déployées sur terre, air mer et l’espace pour suivre
le vol de l’AHW seront employées pour modéliser et développer les futures
capacités hypersoniques tant en phase propulsée qu’en phase planeur. L’aventure
hypersonique américaine n’est donc pas prête de s’éteindre.

La coopération russie-france en hypersonique


On a précisé, que de nombreux pays s’intéressaient à la propulsion
hypersonique, les uns à finalité civile (transport aérien de masse), les autres à
finalité militaire (missiles ou drones). On rappelle ici, les études qui sont menées
par la France, en coopération avec la Russie.

(444) “Falcon Technology Demonstration Program HTV-3X Blackswift Test Bed”, DARPA,
October 2008.
(445) Source  : DoD - First flight test of Advanced Hypersonic Weapon (AHW) concept, Darren
Quick, November 20, 2011.
(446) Le 17 novembre 2011.
(447) D’après le site defence analysts Global Security.org

439
Une maquette du démonstrateur de super statoréacteur Igla (au 1/20) a
été testée à Mach 10 en soufflerie. En fait, le domaine de vol de cet engin va
de M6 à M14. C’est un moteur à 3 modules, il est bidimensionnel (entrée d’air
rectangulaire). Ce programme a été lancé il y a 12 ans et la date du premier
vol d’essai n’est pas connue. Pour l’instant, l’unique super stato russe ayant
volé est le Kholod qui a dépassé M6 en 1998. C’était un moteur axisymétrique
(entrée d’air circulaire) à hydrogène liquide lancé par un missile S-200. La
France (ONERA et MBDA) a beaucoup coopéré avec les instituts russes. Elle a
notamment participé au second tir de Kholod en 1992. Des discussions ont eu
lieu pour un démonstrateur LEA, développé en commun, doté d’un stato mixte
à mélange de méthane-hydrogène et à géométrie fixe. La Direction Générale
pour l’Armement a procédé à une revue de conception détaillée (CDR) en
2009. Six vols d’essais étaient prévus (à M4, M6 et M8) entre 2009 et 2012, ils
ont été repoussés en 2014.
Au Salon du Bourget 2008, on a assisté à la signature de la deuxième
phase d’un accord de coopération entre MBDA et l’agence d’armement russe
Rosoboronexport. La Russie doit amener un certain nombre de moyens comme
le booster qui accélèrera le véhicule LEA, l’avion porteur Tu 22 et un Il-76
pour la télémétrie. Les vols auront lieu au-dessus de la Sibérie. La production
des maquettes LEA est assurée quant à elle par la société française Gattefin
SAS (448).
On peut citer aussi dans le domaine de la recherche très hautes vitesses les
réflexions conduites sur le successeur du missile supersonique ASMP-A dans
le cadre du programme Prométhée pour un système de frappe hypersonique.
L’aéronautique et l’espace ont toujours été, de par leurs contraintes et
leurs spécificités techniques, des vecteurs de progrès et d’innovation. Ces deux
domaines représentent à eux seuls 75 % des avancées technologiques dans le
milieu de la défense. Les solutions technologiques pour les drones rapides
voire très rapides existent déjà même si elles ne sont pas encore toutes arrivées
à maturité.
Incontestablement, les systèmes aériens non habités seront appelés à occuper
une place croissante au sein des organisations militaires de pays qui parviendront
à maîtriser pleinement les technologies convergentes (aérodynamique, propulsion,
nanotechnologies, composants intelligents, technologies de l’information,
sciences cognitives, …). Il n’en demeure pas moins que si les drones ISR ont
conquis leurs lettres de noblesse dans la panoplie des moyens de défense, les
drones de combat sont appelés, eux, à conquérir des niches pour arriver à
s’imposer dans l’engagement et les combats futurs.
Vers 2025, le Pentagone estime qu’un tiers de ses avions de combat seront
robotisés. Les UAS seront certainement de la partie car une large dépense
militaire est prévue pour passer des commandes de ce type d’aéronefs. Dès
2006, les UAS représentaient 18 % des dépenses d’acquisition et depuis 2009
le nombre de pilotes formés sur UAS dépasse celui des pilotes d’avions de

(448) Air & Cosmos, no 2 178 du 26 juin 09, Guillaume Steuer, p. 17.

440
combat. Chez les américains le concept de drone armé est maintenant largement
admis de même que la nécessité pour ces engins de voler plus vite et d’être
plus furtifs. La génération de drones subsoniques sera présente dans les forces
armées américaines en 2015 et le besoin de drones hypersoniques a été exprimé
dès 2003 pour une mise en service opérationnelle en 2025. En Europe, on voit
la difficulté qu’ont les drones ISR armés à s’imposer et en matière d’UCAS
subsonique, il faudra attendre 2025 pour que le véhicule issu des démonstrateurs
technologiques Neuron et Taranis soit opérationnel. Quant aux drones de
combat très rapides, l’échéance est actuellement hors de vue pour l’Europe.

441
442
Les drones prennent
de la hauteur : de l’utilisation
des « Unmanned Space Vehicle »
Lieutenant Béatrice Hainaut

Les drones sont capables de prendre de la hauteur, au point de se situer


dans l’espace. Il ne s’agit pas ici des drones aérospatiaux que constituent les
satellites, ni d’une fantaisie relevant de l’anecdote. En effet, un premier drone
spatial américain a été lancé le 22 avril 2010 et a orbité pendant 220 jours avant
de regagner la terre. Un second a atterri le 16 juin 2012 après 469 jours passés en
orbite. Enfin, quelques mois plus tard, le 11 décembre 2012, un troisième engin
de ce type était placé en orbite. Malgré les réelles implications stratégiques de
ces drones d’un nouveau genre, leurs existences sont peu connues et pour cause.
L’Armée de l’air américaine, qui gère ce drone, n’a diffusé que peu d’information
quant à son utilisation et à ses expérimentations dans l’espace. Elle affirme
simplement qu’il est en orbite « pour tester de nouvelles technologies » comme
l’indique le nom officiel de ce programme, l’OTV, Orbital Test Vehicle. Le secret
qui entoure ce drone spatial a le don d’alimenter tout type de suppositions
dont certaines relèvent du fantasme.
La qualification de drone pour l’OTV pourrait être contestée. Nous le
qualifions ainsi essentiellement parce qu’il s’agit d’un vecteur inhabité, qu’il
est capable de décoller et d’atterrir de manière autonome et qu’il est opéré
à distance. Quant à ses missions, elles ne sont pas clairement identifiées. Sa
principale distinction d’avec les Unmanned Aerial Vehicle -UAV- est bien sûr
qu’il ne se situe pas dans l’espace aérien mais au sein du milieu spatial. Il serait
alors préférable de parler d’Unmanned Space Vehicle– USPV, dénomination
que l’on retrouve dans la littérature spécialisée.
Cet OTV américain est mieux connu sous le nom d’ X-37B, et son histoire
est assez récente. Il est en effet issu du X-37A, projet mené par la National
Aeronautics and Space Administration- NASA- qui en 1999, avait pour but de
préparer les navettes spatiales de demain. Le X-37A renvoie lui-même à un
projet en X (449), le X-40A qui a effectué un vol test le 11 août 1998. L’objectif
de ce programme de Space Maneuver Vehicle (SMV) était de réaliser un petit
véhicule spatial réutilisable, répondant au besoin de l’Armée de l’air américaine,
c’est-à-dire ayant une souplesse d’emploi dans sa manœuvrabilité et pouvant

(449) Les projets américains de véhicules aérospatiaux en X sont des projets expérimentaux
financés par le gouvernement américain. De la fin des années 1940 à aujourd’hui, une cinquantaine
d’aéronefs expérimentaux portent cette désignation, de X-1 à X-50. Leurs buts principaux sont de
tester de nouvelles technologies et de résoudre des problématiques relevant de l’aérodynamisme. Pour
un recensement de tous les projets X, voir Dennis R.  Jenkins, Tony Landis, Jay Miller, American
X-vehicles, an inventory- X-1 to X-50. Centennial of Flight Edition, Monographs in Aerospace
History, Washington, NASA, n° 31, juin 2003.

443
assurer un panel de missions hétérogènes. Le X-40A devait être capable de
déployer des satellites, d’assurer des missions de surveillance et de logistique.
De plus, ces missions devaient être réalisées avec une période de latence très
courte entre deux missions (72 heures voire moins) (450). Cet engin non piloté a
vu son programme prendre fin en 2001, ayant probablement rempli ses objectifs
et apportant ainsi des briques technologiques pour concevoir les X-37. En
septembre 2004, le X-37A est transféré vers la Defense Advanced Research
Projects Agency- DARPA, et devient le X-37B. Le transfert du projet X-37
au sein de l’agence chapeauté par le Ministère de la Défense permet d’élargir
le champ des possibles quant à ses applications. Le programme est à présent
classifié. Mais en 2006, le dossier du X-37B change encore de main et est placé
sous la responsabilité l’armée de l’air. Sa récupération se fait plus précisément
au sein de l’Air Force Rapid Capabilities Office (451) qui finit de lui donner
une réelle envergure stratégique. Ces transferts du programme X-37B d’une
institution à une autre ont été justifiés par le manque de ressources financières
à la disposition des institutions successives pour continuer le programme.
Cependant, si l’histoire du X-37A et B semble récente, on ne peut s’empêcher
de faire un rapprochement avec des véhicules similaires conçus pendant la
guerre froide mais capable d’emporter des hommes à son bord. En effet, vingt
jours seulement après le lancement réussi du premier satellite en orbite par les
Soviétiques (452), les États-Unis lancent le programme X-20 Dyna Soar (1957)
puis plus tard, le projet MOL, Manned Orbiting Laboratory (1964). Du côté
soviétique, on voit l’apparition de programmes tels que la navette réutilisable
BURAN (1976) et la station ALMAZ-Saliout (1977). Les deux Grands se
lancent dès lors dans une « course à l’espace » effrénée. De part et d’autre, les
prouesses technologiques dans l’espace vont se succéder. L’espace devient un
lieu d’affrontement, de démonstrations de puissance et un moyen de détenir
une avance stratégique sur l’adversaire. L’utilisation de la militarisation de
l’espace par les deux compétiteurs permet de mettre en orbite des satellites
qui espionnent le territoire adverse. Est ainsi établi un rapport étroit entre le
nucléaire et l’espace, ce dernier permettant à un État de surveiller du point
haut les capacités militaires de l’adversaire et notamment son arsenal nucléaire.
Au-delà des satellites de renseignement, la peur du « missile gap » (453) pousse
les Américains et les Soviétiques à développer des stations spatiales espionnes.
Elles croisent la technologie des satellites à celle des navettes spatiales.
La station spatiale datant de la Guerre froide mais la plus proche
technologiquement du X-37B serait alors le X-20 Dyna-Soar. En dehors du fait

(450) http ://www.boeing.com/news/releases/1998/news_release_980811a.html
(451) Le “bureau des capacités rapides de l’armée de l’air” a pour mission d’accélérer le développement
de systèmes d’armes en démultipliant les efforts au profit d’avancées technologiques ou de capacités
existantes. Ce bureau reçoit des expressions de besoins du Board of directors nécessitant une expertise
spécialisée au profit d’activités sensibles. Il a pour mission de travailler sur des temporalités accélérées.
(452) Il s’agit du satellite Spountik lancé le 4 octobre 1957.
(453) Expression utilisée par les États-Unis pour rendre compte d’un déséquilibre en nombre entre
les stocks de missiles nucléaires américains et ceux des Soviétiques. Ce déséquilibre en défaveur des
États-Unis était cependant largement surestimé.

444
que l’X-20 peut être habité, de grandes similitudes le rapprochent du X-37B. En
effet, les deux s’inspirent fortement des navettes spatiales. Ils sont réutilisables
et conçus pour atterrir de manière autonome. Le projet X-20 a été abandonné le
10 décembre 1963, car considéré comme trop cher et dont les bénéfices pour les
missions militaires n’étaient pas clairement identifiés. Son budget a été reversé
au profit d’un nouveau programme, le Manned Orbiting Laboratory -MOL-
dont il a alors constitué une sorte de démonstrateur, et qui débute en janvier
1964. Le MOL, en période de Guerre froide était considéré comme plus utile.
En effet, ce projet mené sans concertation avec la NASA et ultra confidentiel
avait pour but d’envoyer des astronautes espions dans l’espace, capable à bord
de leur véhicule de prendre des photos au-dessus du territoire soviétique. Le
MOL avait même des ambitions plus grandes en souhaitant intercepter, voler
ou même détruire un satellite soviétique en orbite. Officiellement, Lyndon
B. Jonhson, alors président des États-Unis, justifie son existence auprès de
l’opinion publique sous couvert d’expérimentations scientifiques. Le 3 novembre
1966, une maquette du MOL, non habité, est testé en orbite et est un succès.
Néanmoins, une fois de plus, le projet est abandonné le 10 juin 1969, au profit
du programme Apollo 11 (454) et devant les difficultés financières qu’engendre
l’engagement des Américains au Viêt Nam.
Les Soviétiques ne sont pas en reste. Leur navette réutilisable Buran a
été lancée par une fusée (Energia) avant de rejoindre l’orbite basse. Elle n’est
restée en orbite que très peu de temps avant d’atterrir sur terre de manière
automatique, comme l’OTV. L’objectif affiché de ce véhicule spatial était de
mettre en orbite des charges utiles, d’effectuer des opérations de maintenance
sur des satellites déjà en orbite puis de revenir sur Terre (455). Mais face au
projet MOL, les Soviétiques comptent surtout sur leur programme ALMAZ
(« diamant brut ») qui lui, était pensé pour rester des mois en orbite. De plus,
les stations (Saliout) disposaient d’un canon à tir rapide permettant de parer à
toute menace ou attaque provenant des installations américaines. Il ne s’agit plus
alors de militarisation de l’espace mais d’une réelle arsenalisation (456). ALMAZ
effectue cinq missions en orbite jusqu’en février 1977. Les deux programmes,
MOL et ALMAZ, sont au coude à coude mais sont abandonnés. Outre les
efforts financiers colossaux qu’ils engendraient, cet abandon est justifié par
les progrès fulgurants accomplis par les satellites d’observation, surclassant
ainsi ces stations d’espionnage habitées plus complexes à mettre en place. De
plus, les deux Grands ont compris qu’une guerre dans l’espace au travers de
son arsenalisation leur serait contre-productive.
Plus de trente ans après ces développements, comment expliquer la
résurgence aux États-Unis, à la fin des années 1990, de l’idée d’un tel engin, et
de son aboutissement validé par le vol inaugural d’avril 2010 ?

(454) Programme de conquête de la Lune.


(455) Site officiel : http ://www.buran.ru/htm/molniya.htm
(456) Le fait de placer des armes dans l’espace.

445
L’espace militaire aux États-Unis suit une évolution en « couches
historiques » (457). L’X-37B semble être le produit de ces héritages successifs.
Ces strates correspondent à des périodes définies et à des enjeux particuliers
pour chacune d’entre elles. Ainsi, bien que sa conception soit ancrée dans les
années 1990, l’X-37B rappelle les nécessités induites par la « couche stratégique »
fortement recherchée pendant la Guerre froide. Cette période est marquée par
des besoins de surveillance et de reconnaissance. L’X-37B pourrait remplir ce
type de missions, envisagées avec le Dyna-Soar dans les années 1960. De même,
il se combine avec la « couche opérative et tactique » mise en avant dans les années
1990. L’X-37B a sûrement profité, à cette même époque, du phénomène de la
Révolution dans les Affaires Militaires (RMA) et de son avatar, la Transformation.
On assiste alors à une emprise du concept de technologisation sur la pensée
stratégique américaine. Ces évolutions permettent l’émergence de concepts tels
que ceux de domination et de control (458). Ils trouvent une résonance particulière
et une application directe dans le spatial militaire américain surtout depuis que
l’espace est considéré par les États-Unis comme un intérêt vital national (459).
En 2001, Donald Rumsfeld, alors secrétaire d’État à la Défense, envisage le
développement d’armes antisatellite (ASAT) afin d’atteindre l’objectif de space
dominance, dans son rapport publié 11 janvier 2001 (460). Ce dernier a inspiré la
National Security Policy de 2006 qui expose une stratégie de combat « dans, de
et à travers » l’espace. La NSP 2006 sacralise la liberté d’action américaine dans
l’espace. En tant que drone spatial, l’X-37B concourt à cette space dominance.
Ainsi, au début des années 2000 la « couche sécuritaire » place le renseignement
d’origine spatial au service de la sécurité nationale. Il devient alors indispensable
de contrôler l’espace afin de protéger ses moyens spatiaux, devenus des intérêts
nationaux vitaux. Ainsi, Xavier Pasco élabore l’hypothèse d’une quatrième
couche historique, en germe depuis les années 1990, qui viserait à contrôler
l’espace. Les acteurs spatiaux étatiques sont en effet de plus en plus nombreux
et leurs intentions sont parfois mal connues. La dépendance des États-Unis aux
systèmes spatiaux est telle qu’ils ne peuvent pas se permettre de ne pas avoir
un contrôle sur le milieu et ses multiples objets en orbite. En stationnant sur
le point haut, l’X-37B constitue une véritable sentinelle de l’espace.
Amorcé pendant la guerre froide, repris dans les années 1990 pour déboucher
ces dernières années par ces lancements réussis, le drone spatial semble répondre
à un panel de missions contenues dans chacune des couches historiques, qui
ainsi ne se succèdent pas chronologiquement mais se superposent.

(457) Xavier Pasco, « De l’utilisation au contrôle de l’espace extra-atmosphérique », in Grégory


Boutherin, Camille Grand  (dir.), Envol vers 2025. Réflexions prospectives sur la puissance
aérospatiale, Paris, La Documentation française, coll. « Stratégie aérospatiale », 2011, p. 80.
(458) Joseph Henrotin, La technologie militaire en question, le cas américain, Paris, Economica,
2008, p. 10.
(459) Depuis la directive du 9 juillet 1999 émanant du Département de la Défense, http ://www.au.af.
mil/au/awc/awcgate/dod-spc/dodspcpolicy99.pdf
(460) Report of the Commission to assess United States national security space management and
organization, 11 janvier 2001, http ://www.dod.mil/pubs/space20010111.pdf

446
Le premier vol en orbite de l’OTV a eu lieu le 22 avril 2010 et a duré 270
jours. Le deuxième drone spatial lancé le 5 mars 2011, a atterri le 16 juin 2012.
Une troisième mission est en cours depuis le 11 décembre 2012. Etudions dans
un premier temps le contenant avant d’aborder le contenu qui, finalement, est
le sujet d’interrogation et parfois de préoccupation majeur. Les caractéristiques
du véhicule ont été communiquées. L’X-37B a un poids de 4 990 kilos et mesure
8,8 mètres de long sur 4,5 de large. Dans sa conception, il se situe entre le drone
aérien et la navette spatiale habitée. En effet à titre de comparaison, ce drone
spatial est beaucoup plus lourd qu’un drone aérien mais moins qu’une navette ;
sa longueur est équivalente à celle d’un drone tandis qu’il est beaucoup plus petit
qu’une navette. Il est placé en orbite au moyen d’une fusée Atlas V. Il est capable
de changer d’orbite aisément, évoluant entre 200 et 750 kilomètres d’altitude. Il
se situe donc en orbite basse, trajectoire la plus encombrée en satellites et débris
en tout genre. C’est aussi l’orbite de la station spatiale internationale (ISS) et
de la station chinoise Tiangong 1. Entre le moteur principal, les réserves de
carburant et l’équipement avionique, le véhicule spatial dispose d’une soute
expérimentale ayant une capacité de chargement. On peut alors s’interroger
sur cette espace, son contenu et son utilisation.
Officiellement, ce drone emporte des technologies devant être testées en
orbite et analysées à son retour sur terre. De même, Il a pour finalité de tester
les capacités de rentrée atmosphérique, informations utiles pour la conception
de la future navette américaine. Les États-Unis ont en effet décidé sous G. W.
Bush de stopper l’utilisation des navettes pour le transport spatial (ravitaillement
et transport d’astronautes) face aux difficultés politiques et économiques que
cela entraînait. Ils dépendent alors actuellement des Russes et de leur fusée
Soyouz à cet effet. Cependant, les Américains misent aujourd’hui davantage
sur les compagnies privées pour réaliser ces missions. Ainsi, la société privée
Space X a effectué le premier lancement de la capsule Dragon le 22 mai 2012.
Ce fut un succès, la capsule ayant réussi son arrimage à l’ISS. La société privée
a passé un contrat avec la NASA. On peut dès lors objecter à ce prétendu
objectif de l’X-37B que les Américains sont davantage dans la recherche de
solutions alternatives au sein du secteur privé que dans la conception d’une
nouvelle navette.
Au-delà des déclarations officielles du Département d’État qui distille peu
d’informations sur l’engin, on peut le considérer comme un outil supplémentaire
au service de la militarisation de l’espace. La militarisation de l’espace, qui
consiste à utiliser les systèmes spatiaux au profit de missions militaires de
collecte d’informations, est née avec la conquête spatiale, dès les années 1950.
Comme abordé plus haut, de nombreux projets et programmes ont vu le jour
afin d’espionner l’autre. Certains hauts responsables américains ont évoqué
l’idée de pouvoir utiliser l’X-37B comme ses prédécesseurs l’avaient fait avec le
SR71. Cet avion de reconnaissance utilisé pendant la Guerre froide embarquait
de nombreux capteurs tels que ceux dédiés à l’imagerie optique et radar ainsi
que des systèmes d’acquisition ELINT (Electronic Intelligence). L’X-37B est en
théorie lui aussi tout à fait capable d’emporter avec lui tous types de capteurs

447
à utilisation militaire (renseignement, écoute, observation) guidés à distance.
Il pourrait donc effectivement être qualifié de drone, en ce sens qu’il remplit
une mission de surveillance et de renseignement. Cependant, tout comme les
Américains ne qualifient pas les drones aériens de drones, ils ne qualifient pas non
plus l’X-37B de drone spatial. Néanmoins, si on considère son ancêtre comme
étant le X-20 Dyna Soar, le X-37B ne ferait que poursuivre les missions pour
lesquelles ce premier était destiné : reconnaissance, maintenance des satellites,
inspection et sabotage des satellites ennemis voire même bombardement orbital.
En plus de cet héritage, on peut imaginer que ses missions ont été repensées en
prenant en compte de l’évolution de la situation spatiale mondiale et notamment
de la présence de plus en plus marquée des systèmes des puissances spatiales
émergentes. En effet, les puissances spatiales dites « historiques » que sont les
l’Union Soviétique/la Russie, les États-Unis, la France, le Japon, la Chine et
le Royaume-Uni ont été rejointes dès les années 1980 par des États désirant
développer le secteur spatial à un haut niveau technologique au point de disposer
de tous les attributs qui font d’un acteur étatique une puissance spatiale. Ainsi,
l’Inde, Israël et l’Iran ont à leur tour mis un satellite en orbite. D’autres États
à l’instar du Brésil ou de l’Afrique du Sud émergent avec cet objectif ultime.
Toutefois parmi eux, une hiérarchisation des puissances spatiales existe. En
effet, ces « puissances spatiales » en devenir sont pour l’instant loin de disposer
des mêmes moyens et capacités. Ces acteurs étatiques sont aussi rejoints par de
multiples acteurs non étatiques qui entendent bien exploiter commercialement
l’espace. Néanmoins, les États-Unis exercent une supériorité incontestable sur
le domaine, que ce soit en termes de budget ou de recherche et développement.
Dans cette perspective, on peut imaginer que l’X-37B constitue une avance
technologique sur ses peer competitors (461). Les États-Unis peuvent être qualifiés
d’hegemon spatial, voulant empêcher l’émergence de tout rival potentiel (462),
et cela d’autant plus que leur vulnérabilité liée à leur dépendance à l’espace
menace directement leur survie. C’est dans cette quête de sécurité que s’inscrirait
la nécessité de l’existence de l’X-37B. On pourrait néanmoins rétorquer que
les missions d’intelligence, de surveillance et de reconnaissance – ISR (463)- sont
déjà remplies par les drones aériens et par les satellites. En quoi l’X-37B peut-il
réellement apporter une plus-value pour les missions militaires et au-delà pour
la sécurité des États-Unis ?
L’USPV justifie son existence par des avantages qui lui sont propres. En
effet, les États utilisant les drones aériens sont soumis au droit aérien et donc
responsables des éventuelles violations de l’espace aérien du territoire adverse
survolé. À l’inverse, jamais l’espace n’a fait l’objet d’une définition juridique
quant à sa délimitation physique. Certains États ont déjà revendiqué une
(461) Expression qui apparaît sous l’administration Clinton, signifiant « rival de rang égal », il s’agit
de désigner la ou les puissances pouvant rivaliser avec les États-Unis. Thomas S. Szayna, Daniel
Byman, Steven C. Bankes, Derek Eaton, Seth G. Jones, Robert Mullins, Ian O. Lesser, William
Rosenau, The Emergence of Peer Competitors. A Framework for Analysis, Rand Corporation, 2001.
(462) Dario Battistella, Théorie des relations internationales, Paris, Les Presses de Sciences-Po,
2009, p. 157.
(463) Judy G.  Chizek, “ Military Transformation: Intelligence, Surveillance, and Reconnaissance ,
Report for Congress, 17 janvier 2003.

448
extension de leur souveraineté dans l’espace mais cela a toujours été nié (464).
L’espace est donc le seul milieu où un État peut en observer un autre sans
craindre d’enfreindre un traité. L’espace ne connaît pas de frontière. Seules les
attributions de fréquence, de bandes spectrales, de positions orbitales peuvent
relever du droit spatial en cas de violations mais ce n’est pas le cas du drone
spatial qui ne stationne pas en un point précis. Il est important de noter que
malgré l’absence de délimitation de frontières dans l’espace, tout n’y est pas
permis. Le traité sur l’espace et les corps célestes datant de 1967 pose les bases
du droit de l’espace. Il prône ainsi l’« usage pacifique » de l’espace, interdit le
placement d’armes de destruction massive (ADM) en orbite. À ce titre, il faut
noter que les armes conventionnelles dans l’espace ne son pas, à proprement
parlé, interdites.
De plus, les drones aériens sont relativement vulnérables. Certains drones ont
ainsi été perdus, abattus ou capturés par les États qu’ils survolaient. Ils peuvent
être victimes de défenses sol-air ou d’attaques air-air. En décembre 2011, les
Iraniens affirment avoir capturé un drone américain « perdu » survolant leur
territoire, le RQ- 170 Sentinel. Les satellites sont eux aussi vulnérables mais
d’une autre manière. Ils peuvent entrer en collision accidentelle avec d’autres
satellites ou débris. Ainsi, malgré l’existence de systèmes de surveillance de
l’espace, notamment américains, un satellite hors d’usage russe, COSMOS
2251 est entré en collision avec un satellite actif américain, IRIDIUM-33, le
10 février 2009, détruisant ce dernier. Au-delà de la perte financière, la perte
soudaine de capacités rappelle aux États-Unis leur dépendance aux satellites, et
donc leur vulnérabilité. À minima, la multiplication de collisions entre débris,
même de petite taille, et satellites peut écourter la durée de vie de ces derniers
voire les rendre inopérants si des fonctions vitales sont atteintes. De plus, les
satellites peuvent aussi être victimes de brouillage ou d’aveuglement, de manière
intentionnelle. Ainsi, en octobre 2006, les Chinois ont aveuglé un satellite
américain survolant leur territoire. Cette attaque l’a rendu pour quelque temps
inopérant, sans le détruire. Les satellites sont donc des cibles faciles pour les
États ayant un minimum de savoir-faire technologique. En effet, les fonctions
des satellites et leurs positions orbitales sont connues et même pour la plupart
rendues publiques (465). Un État voulant cibler un satellite peut donc calculer
son prochain passage au-dessus de son territoire. À l’inverse, le drone spatial
est moins vulnérable en ce sens qu’il est aisément manoeuvrable. De même, sa
position est difficile à déterminer par de potentiels agresseurs qui souhaiteraient
le prendre pour cible. En effet, ces manœuvres régulières rendent difficiles la
prévision de ses trajectoires. Même si la mécanique spatiale permet le calcul
des modifications orbitales, ces dernières, répétées dans un temps court et de
manière fréquente rendent la tâche ardue.

(464) Certains États équatoriaux ont voulu revendiquer, par la Déclaration de Bogota du 3 décembre
1976, leur souveraineté sur le segment de l’orbite géostationnaire située au-dessus de leur territoire.
(465) Il s’agit du « catalogue » américain référençant la plupart des satellites en orbite, émis par le
Joint Space Operation Center, JSpOC.

449
De plus, les drones aériens ont une autonomie limitée. À l’inverse, à
sa conception, l’X-37B était conçu pour rester 270 jours en orbite mais on
constate aujourd’hui que ses capacités réelles sont dépassées car le dernier en
date à être revenu est resté 469 jours en orbite. De plus, dans l’hypothèse où
l’X-37B a des capacités d’observation et même si la distance à laquelle il est
situé ne permet pas d’avoir des résolutions aussi précises que celles des drones
aériens, il permet d’avoir une observation champ large sur un temps long, idéal
pour la surveillance. Cette mission, assurée actuellement par le drone Haute
Altitude Longue Endurance -HALE-, souffre d’un manque de pérennité en
l’air. L’X-37B résout alors ces problématiques en ayant une autonomie très
longue durée, n’utilisant son carburant que pour les changements d’orbite. Il
est ainsi capable de se repositionner afin de suivre une cible au sol et ses temps
de revisite peuvent être modifiés selon le besoin.
Enfin, les satellites sont conçus en vue d’une mission précise et ne cumulent
pas les capacités. Un satellite militaire est destiné à l’observation ou à l’écoute ou
à l’alerte avancée etc. À l’inverse, le drone spatial peut emporter avec lui plusieurs
types de capteurs, assurant alors des missions multiples. Mais ce qui semble
le plus déterminant en termes de plus-value est la capacité de ce drone à être
opérationnel rapidement, d’aller et venir dans l’espace de manière autonome. En
effet, cela permet de répondre au concept américain d’Operationally Responsive
Space- ORS, programme de réactivité opérationnelle spatiale (466). Cette capacité
de résilience en cas d’attaque sur les systèmes spatiaux est notamment fondée
sur l’utilisation des satellites commerciaux et ceux des alliés. De plus, elle a
comme objectif de déployer des capteurs de remplacement dans un temps court,
avec une réactivité maximale afin d’éviter toute rupture d’informations. Ainsi,
avec sa facilité de lancement, l’X-37B serait capable d’envoyer rapidement des
satellites de remplacement et de revenir, sa charge déposée dans l’espace. Ceci
peut constituer une parade à une surprise stratégique. On voit ainsi poindre
la dimension dissuasive du drone spatial. En effet, cette esquive permet de
dissuader un agresseur potentiel d’attaquer les systèmes américains sachant
que ces derniers basculeraient sur d’autres systèmes dans un premier temps et
seraient à court terme, remplacés par le lancement de nouveaux satellites. Il
s’agit alors d’exercer une dissuasion spatiale « défensive ». Mais l’X-37B peut
aussi remplir une mission de dissuasion spatiale plus offensive. On a vu que ce
drone peut emporter tout type de capteurs. De la même manière, il peut aussi
emporter des armes (laser, brouillage etc.). Rappelons que le développement de
capacités antisatellite (ASAT) n’est pas interdit dans le traité de l’espace et que
le principe de légitime défense est aussi reconnu dans l’espace conformément
à l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Des démonstrations de force ont
eu lieu de la part des États-Unis et de la Chine. Certes il s’agit la plupart du
temps d’armes basées au sol pour atteindre l’espace, mais les armes espace-
espace peuvent aussi très bien se développer à l’image du canon sous la station
spatiale soviétique ALMAZ. De plus, des capacités espace-sol ne sont pas
non plus à exclure. En effet, à l’instar des évolutions qu’a connu l’UAV pour
(466) Mise en place du bureau de l’Operationally Responsive Space le 27 mai 2007, http ://ors.csd.
disa.mil/

450
s’orienter vers l’UCAV, rien ne saurait empêcher le drone spatial de subir le
même développement. Il faut tout de même reconnaître que des efforts sont
faits actuellement pour éviter une guerre dans l’espace. En effet, les Européens
ont proposé d’établir un code de conduite (CoC) définissant les comportements
autorisés et ceux à proscrire. Dans le même temps, les Russes et les Chinois
avancent un projet de traité qui interdirait les armes spatiales, sans pourtant
apporter une définition claire de ce qu’est une arme dans l’espace. En l’état
actuel des débats, on s’oriente davantage vers l’autorisation de développer des
armes spatiales à la seule condition qu’elle ne provoque pas ou peu de débris.
Par ce moyen détourné, le CoC souhaite réduire les risques d’arsenalisation.
Cependant, ces approximations montrent la faible volonté des États et
notamment des puissances spatiales à s’interdire des opérations de défense ou
d’agression sur les systèmes spatiaux d’autres nations. Devant cette faible volonté
politique d’interdire les armes dans l’espace, on peut raisonnablement penser
que leur usage adviendra. Tous les milieux, terre, air et mer sont devenus des
terrains d’affrontement (467), et de bataille. Si l’espace n’est pas à proprement
parlé un champ de bataille, sa qualification en tant que « nouveau champ de
confrontation » (468) en fait un lieu de conflictualité. Même si ces conflits ne
produiront que peu de débris dans l’espace, leurs conséquences pourront être
dévastatrices pour les pays dépendants du spatial. En effet, l’utilisation de
lasers aveuglants, la mise en place d’opérations de brouillage ou de prise de
commande d’un satellite afin de provoquer son dysfonctionnement (ce qui nous
renvoie à tous les moyens de cyberguerre) devraient se généraliser. Les attaques
seront plus discrètes mais tout aussi efficaces et destructrices. Une destruction
pure et simple du satellite ennemi serait contre-productive car produisant des
débris, gênant à son tour l’assaillant.
Le X-37B peut être acteur et spectateur de ces développements. En effet,
en tant qu’acteur, il est capable d’être équipé de certaines armes (laser à énergie
dirigée, brouilleurs etc.). On peut penser d’ailleurs que ces « armes » gagneraient
en précision si elles étaient à bord de ce drone. Des armes espace– sol sont peu
probables même si elles ont été envisagées pendant la Guerre froide à l’image du
drone spatial X-20, à qui l’on prêtait ces objectifs  : “It was designed to reach any
target in the world in 45 minutes, deliver a weapon, and glide to a friendly base. Its
altitude and hypersonic speed would have made it very difficult to intercept.”(469)
Si le X-37B était capable de délivrer un missile de l’espace vers le sol, on
pourrait envisager son utilité vis-à-vis d’une défense antimissile balistique
(DAMB) de territoire. En effet, les satellites d’alerte avancée composants la
DAMB et permettant de détecter le départ d’un missile à partir du sol seraient
tout simplement rendus inefficaces et donc neutralisés par le tir d’un missile
depuis l’espace. Par la suite, les radars de trajectographie seraient eux en mesure

(467) Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations, Concept d’emploi des


forces, 11 janvier 2010, http ://www.cicde.defense.gouv.fr/IMG/pdf/PIA/CCIA/CIA_01.pdf, p. 10.
(468) Au même titre que le cyberespace et l’information, ibid.
(469) Michael Klesius, “Space Shuttle Jr , Air & Space magazine, janvier 2011.

451
de le détecter mais le contournement de la détection initiale ferait perdre de
précieuses minutes à la défense adverse pour neutraliser l’attaque.
En tant que spectateur, l’X-37B peut, grâce à ses capteurs, identifier une
menace, permettant aux autorités d’anticiper une potentielle attaque. Même
si cette capacité de renseignement peut constituer un avantage stratégique sur
des adversaires en réduisant l’incertitude, l’interprétation d’intentions adverses
n’est pas une science exacte.
Certes, ces précédents développements restent des suppositions. Néanmoins,
il est indéniable que de par sa simple existence et le secret entourant sa mission,
l’X-37B rempli déjà une fonction dissuasive. Mais cette dissuasion est à double
tranchant. Ce programme engendre aussi des erreurs d’interprétation ou
misperceptions (470) et peut souffrir d’intentions qu’on lui prête et qu’il n’a pas.
En ce sens, les réactions officielles chinoises et russes expriment la perplexité
quant aux activités spatiales américaines mais aussi une certaine méfiance.
Ainsi, l’X-37B peut ainsi être perçu comme une menace et entraîner des contre-
mesures de la part des autres États.
La deuxième conséquence alors de l’élaboration de l’ X-37B est qu’il a
tendance à entraîner les autres puissances militaires sur des programmes qui
ne sont pas forcément pertinents pour eux. C’est un phénomène similaire qui
a poussé les Soviétiques, pendant la Guerre froide, a vouloir à tout prix ne
pas laisser s’installer un fossé technologique avec les Américains. Cet effet
d’entraînement du « tout technologique » pousse les États à investir de fortes
sommes dans des programmes dont l’utilité leur échappe parfois. Ainsi, les
autorités chinoises ont communiqué sur leur drone spatial, le Shen Long,
« dragon divin » qui aurait vraisemblablement déjà réalisé son premier essai en
vol en 2012. L’appareil semble être lancé par un bombardier H-6 puis mis en
orbite par un booster. Il est difficile de savoir où ils en sont exactement tant le
programme est tenu secret. Sans plus d’information, les Russes et les Indiens
travailleraient aussi sérieusement sur des projets d’avions spatiaux.
Pour sa part, les militaires et hommes politiques français n’ont pas le projet
de développer un drone spatial estimant que leurs besoins sont déjà couverts
de manière satisfaisante par les drones aériens et les satellites. Des projets
d’avions spatiaux habités sont développés par les industriels (471). L’Agence
Spatiale Européenne finance elle un projet d’avion spatial sans pilote pouvant
atteindre la Station Spatiale Internationale (472). Cependant, les utilisations
qui peuvent en être faites sont clairement exprimées et sans ambiguïté. Il peut
s’agir de développer le tourisme spatial, de mettre des satellites en orbite, de
ravitailler une station spatiale etc. Aucune utilisation militaire n’est envisagée.
Ces avions spatiaux en projet sont peu comparables au X37-B, que ce soit

(470) Robert Jervis, Perception and Misperception in International Politics, Princeton, Princeton
University Press, 1976.
(471) Il s’agit davantage de vols suborbitaux d’avions qui ne sont pas satellisés (Spaceplane d’EADS
Astrium, SpaceShip de VirginGalactic).
(472) SKYLON, http ://www.reactionengines.co.uk/space_skylon.html

452
dans leur utilisation et dans leurs capacités techniques (altitude et durée de
vol en orbite).
Ainsi, comme nous venons de le voir, le programme de véhicule spatial
inhabité est un élément structurant des relations interétatiques. Il n’est pas
question ici de lui prêter une influence démesurée qui modifierait en profondeur
les rapports de force entre États sur la scène internationale, mais ce type
d’action, dans l’espace, a tendance à renforcer la méfiance entre les États-
Unis et certaines puissances spatiales, notamment avec la Chine et la Russie.
Le drone spatial ne constitue pas pour l’instant en tant que tel une rupture
technologique mais cette démonstration de puissance assoie, une fois de plus,
la supériorité technologique des États-Unis dans l’espace.

453
454
CHAPITRE 8

QUELLES PERSPECTIVES
POUR LE JOUR D’APRÈS ?

455
456
La furtivité des drones
Lieutenant-colonel Guillaume Bourdeloux

Le terme furtivité (n. f.) est un terme issu du latin furtivus « dérobé, volé,
secret » et furtum « larcin, vol, ruse », qui désigne la propriété d’un objet conçu
pour échapper à la détection. Mettant aujourd’hui en œuvre des technologies
particulièrement modernes, la furtivité n’est pourtant pas une propriété nouvelle.
Elle trouve sa place dans la nature, notamment à travers l’art du camouflage, chez
les proies comme chez les prédateurs. Adoptée par l’homme, son application à
des fins militaires était déjà théorisée voilà environ 2000 ans par Sun Tzu dans
L’Art de la guerre : « Soyez particulièrement subtil jusqu’à perdre toute forme.
Soyez particulièrement mystérieux jusqu’à ne plus produire aucun son. C’est
comme cela que vous dirigerez le destin de votre adversaire ».
La furtivité renvoie, en effet, à deux principes fondamentaux de l’action
militaire : la liberté d’action et la surprise. Autrement dit, en évitant ou en
retardant la détection du système par les capteurs adverses, la furtivité permet
d’une part de produire l’effet opérationnel souhaité et d’autre part de limiter
sa vulnérabilité ; sur ce dernier point, elle détermine la capacité du système à
s’affranchir de tout ou partie des dispositifs de protection classiques (473).
À ce titre, la furtivité constitue aujourd’hui un atout de puissance brigué
par toute nation aspirant à disposer d’une capacité à entrer en premier et à
intervenir, seule ou en coalition, dans des environnements fortement défendus.
La furtivité devient ainsi une propriété recherchée sur une variété toujours plus
importante de systèmes de combat : avions de chasse ou de bombardement,
bâtiments de surface, sous-marins, chars de combat… Les drones aériens
qu’ils soient de surveillance ou de combat n’échappent pas à cette tendance
et présentent à la fois de nouvelles opportunités mais également de nouveaux
défis technologiques.

La furtivité ou L’objet d’un nécessaire compromis


Si des progrès significatifs ont été effectués en matière de discrétion, la « cape
d’invisibilité » à laquelle la furtivité est souvent assimilée reste aujourd’hui encore
un mythe (474). Relevant pleinement du principe du glaive et du bouclier, une
furtivité toujours plus poussée engendre réciproquement le développement de
systèmes de détection toujours plus variés et performants. C’est pourquoi la
caractérisation des systèmes par leur signature - réduite, faiblement observable

(473) En ce qui concerne l’arme aérienne : système d’autoprotection, escorte air-air ou de suppression
des défenses sol-air, dispositif de brouillage offensif, par exemple.
(474) La « capture » supposée d’un drone de renseignement furtif américain RQ-170 Sentinel par
l’Iran en 2012 ou la destruction d’un bombardier furtif F117 américain par la défense sol-air serbe en
1999 en témoignent.

457
ou très faiblement observable - est préférée à la qualification trop imprécise
de « furtif ».
En ce qui concerne le drone aérien, sa furtivité reste l’objet d’un véritable
compromis qui concilie le niveau de discrétion souhaité avec ses performances
aérodynamiques, sa motorisation, la nature de ses capteurs, la quantité
d’armement emporté, les besoins en communication et son maintien en
condition opérationnelle. Elle nécessite donc une approche globale et cohérente
qui allie technologie et concept d’emploi. Cette exigence de cohérence impose
en particulier d’envisager la furtivité de manière homogène sur l’ensemble du
spectre couvert par des systèmes de détection en service ou en développement,
qu’il soit radioélectrique, thermique, visible ou sonore. Pour échapper à la
détection, le drone s’appuie principalement sur des moyens de discrétion passifs
et en complément, sur des procédés actifs (475).

reLever Le défi d’une discrétion radar « toutes bandes – tous


secteurs »

Les drones de combat ou Unmanned Combat Air Vehicles (UCAV) sont


destinés à opérer au sein d’environnements non permissifs, c’est-à-dire fortement
défendus par des systèmes de défense sol-air ou de défense aérienne mettant
généralement en œuvre des radars à des fins de détection, de poursuite et de tir.
Cet état de fait conduit naturellement à la recherche d’une « discrétion radar »,
ou autrement dit à la recherche d’une réduction de la surface équivalente radar
(SER) du véhicule aérien, visant à limiter la puissance radioélectrique renvoyée
par le drone vers l’émetteur radar situé au sol ou en vol. La réduction de SER
repose essentiellement sur quatre méthodes qui à elles seules ont un effet limité
mais qui combinées, décuplent leur efficacité :
• élimination des forts contributeurs à la SER ;
• recours à des formes aérodynamiques particulières qui limitent la réflexion
ou dévient les ondes reçues ;
• emploi de matériaux absorbants ;
• mise en œuvre de dispositifs actifs de brouillage.
L’élimination des forts contributeurs à la SER consiste à restreindre
l’emploi des dispositifs les plus réfléchissants propres aux avions de combat
classiques : dérive verticale, empennage, charges externes, cockpit, dispositifs
hypersustentateurs, antennes, trappes et ouvertures en tous genres. Cette exigence
conduit notamment à emporter l’armement en soute, à limiter le nombre de
gouvernes et leur débattement ainsi qu’à bannir les dispositifs hypersustentateurs.
Fort contributeur à la SER, le moteur doit faire l’objet d’une intégration revisitée ;
l’entrée d’air et la tuyère sont courbées et placées sur l’extrados du véhicule
pour masquer sa visibilité. Enfin, les antennes doivent être dispersées le long
des surfaces en ayant recours à des technologies d’antennes dites conformes,
disséminées le long du fuselage et des bords d’attaques. L’absence de pilote à

(475) On entend par moyens passifs le recours aux formes et matériaux, et par moyens actifs, les
dispositifs de brouillage et de leurrage.

458
bord du drone et par conséquent l’absence de cockpit constitue une véritable
opportunité en matière de discrétion radar. Elle permet le recours à des formes
aérodynamiques aplaties et à des contours rectilignes destinés à dévier ou à
piéger les ondes radar.
Toutes ces mesures ne sont cependant pas suffisantes pour atteindre un
niveau de discrétion dit très faiblement observable. Elles doivent être complétées
par l’emploi sur les bords d’attaque et sur les parois d’entrée d’air et de tuyère,
de matériaux à la fois absorbants et adaptés à des conditions d’emploi extrêmes
(humidité, pression dynamique, température d’impact et de sortie tuyère…).
Il est également fait appel à des peintures spécialisées et au sein même de la
structure, à des matériaux composites qui limitent la réflectivité radar.
Beaucoup de systèmes dits « faiblement observables » affichent aujourd’hui
une discrétion radar limitée essentiellement au secteur avant et optimisée
pour des radars opérant en bande moyenne et haute. Or, le développement de
systèmes de défense multistatiques, intégrés en réseau et opérant en bande basse
se généralise. Le véritable défi technologique consiste ainsi à garantir pour le
système de combat aérien futur, un niveau de discrétion « toutes bandes – tous
secteurs », homogène sur les différents secteurs de l’UCAV (de face, en secteur
travers et en secteur arrière) ainsi que sur l’ensemble des bandes de fréquences
utilisées par les radars de veille, de poursuite ou de conduite de tir, sol et
aéroportés. En complément de ces méthodes dites passives, des dispositifs actifs
de brouillage visent à recueillir le signal radar incident, à analyser l’ensemble de
ses paramètres (angle d’arrivée, énergie, fréquence, polarisation, forme d’onde)
et à émettre en retour un signal perturbant ou empêchant la détection. Ces
techniques dites de « neutrodynage » sont particulièrement délicates à maîtriser
car tout excès d’énergie réémise rendrait le système à nouveau détectable par
des moyens d’écoute passif ennemis.
Les technologies mises en œuvre ne se limitent pas à la recherche d’une
discrétion radar. En effet, bon nombre de systèmes de détection sol ou aéroportés
ainsi que d’autodirecteurs de missiles utilisent le spectre infrarouge. Aussi la
discrétion infrarouge demeure un élément essentiel de la furtivité d’un drone
de combat.

maîtriser La signature infrarouge


La signature infrarouge du drone de combat provient essentiellement de
son moteur, en particulier des surfaces chaudes du système d’éjection et des
gaz en sortie de tuyère. C’est donc sur ces parties de l’aéronef que portent
aujourd’hui les principaux efforts de réduction de signature.
Certains dispositifs mis en œuvre dans la cadre de la discrétion radar du
système participent également à sa discrétion infrarouge. Ainsi, le choix de
l’emplacement du moteur sur le dessus du fuselage masque le rayonnement
infrarouge vis-à-vis des menaces sol, tout comme la courbure d’entrée d’air
réduit la visibilité sur les parties chaudes de la turbine. L’aplatissement de la
sortie tuyère favorise son masquage et dilue aussi la chaleur du jet. L’absence

459
de postcombustion ainsi que l’utilisation de moteurs à fort taux de dilution
participent également à la maîtrise de la signature infrarouge.
Lorsque les parties chaudes du système d’éjection sont masquées ou
refroidies et que le jet propulsif est convenablement dilué dans l’air ambiant,
les surfaces externes subissant l’échauffement dynamique deviennent un autre
contributeur à la visibilité infrarouge. La réduction de signature repose alors sur
des profils de vol à haute altitude et sur la limitation des vitesses au subsonique.

prendre en compte Les besoins de discrétion visueLLe et sonore


En complément de la discrétion radar et infrarouge, la discrétion visuelle
concourt à la furtivité globale du système. Elle s’obtient généralement par
la forme et la taille du système et le choix d’une couleur de peinture adaptée
aux conditions d’emploi. Une préoccupation supplémentaire en matière de
discrétion visuelle est la prise en compte des traînées de condensation dont
l’apparition trahirait immédiatement la présence du drone.
Dans les domaines opérationnels qui relèvent des drones de surveillance
tactiques, la discrétion visuelle et sonore est essentielle. Il est en effet crucial de
n’être ni vu ni entendu pour pouvoir surveiller des adversaires fugaces et sensibles
à la menace aérienne sans éveiller leur attention. Une altitude d’opération
suffisamment élevée associée à l’emploi de moteurs équipés de silencieux ou
montés au-dessus-des stabilisateurs horizontaux répond en partie à ce besoin.
Acteur à part entière du champ de bataille, le drone aérien qu’il soit de
surveillance ou de combat doit d’une part pouvoir s’intégrer avec d’autres
systèmes dans des opérations généralement conduites en réseaux et d’autre
part, participer à la construction en temps réel de la situation. Ces exigences
nécessitent l’emploi de capteurs, de moyens de communication et de liaisons
de données qui sont autant de systèmes rayonnant susceptibles de trahir la
présence du drone vis-à-vis de moyens d’écoute adverses. Communiquer et
détecter tout en restant discret relève ainsi d’une véritable dichotomie (476).

intégrer Les moyens de communication et Les capteurs


À moins d’avoir été conçus pour opérer de manière totalement autonome,
les drones aériens sont généralement mis en œuvre par des opérateurs situés à
distance ; ils requièrent ainsi des communications par satellite pour un emploi
au-delà de la portée visuelle. Ils sont donc par nature des systèmes hautement
communicants. La discrétion du drone repose dès lors, sur un certain nombre
de techniques :
• recours à des formes d’onde et des bandes de fréquence discrètes ;
• emploi de liaisons satellitaires et intrapatrouille directives ;

(476) Le F-22 américain en est un exemple criant : initialement conçu avec une liaison de données
Intra Flight Data Link discrète et uniquement dédiée aux échanges de données entre avions de même
type, sa modernisation envisage l’intégration d’une liaison de données L16 permettant d’échanger
avec plus d’acteurs mais également, de facto, beaucoup moins discrète.

460
• limitation temporelle des émissions ;
• traitement des données à bord du véhicule aérien.
En matière de capteurs embarqués, les senseurs passifs sont privilégiés.
Toutefois le besoin opérationnel de détection et d’identification des cibles par
tous temps repose en partie sur des systèmes actifs tels que les radars SAR
et GMTI. Leur discrétion nécessite le recours à des techniques de maîtrise
des émissions assez similaires à celles mises en œuvre pour les moyens de
communication.
Les contraintes d’intégration de ces capteurs sont particulièrement sévères
en comparaison avec des avions de combat classiques. Elles font appel à des
techniques d’antennes conformes, de fenêtres « affleurantes », de surfaces
sélectives en fréquence ainsi qu’à des méthodes spécifiques de refroidissement.
Là encore, un véritable compromis entre niveau de discrétion recherché et
performances opérationnelles est nécessaire puisque des bandes de fréquence
et des formes d’onde discrètes retenues dépendra entre autres, la résolution
des capteurs.
L’emploi de la furtivité à des fins militaires a montré, au cours de l’histoire,
toute sa pertinence mais également à quelques occasions, ses limites. En effet
la furtivité d’un système n’est pas absolue à plusieurs titres. Tout d’abord, les
contraintes de discrétion doivent pouvoir être relâchées suivant la nature des
missions et les phases de mission. Ensuite, en réponse à l’évolution des techniques
de détection, la signature du système doit pouvoir être améliorée sur sa durée
de vie. Enfin, la furtivité est le fruit d’un véritable compromis entre niveau de
discrétion souhaité et performance opérationnelle du système. Si l’absence
de pilote à bord du drone aérien offre des opportunités supplémentaires en
matière de discrétion, les technologies de pointe nécessaires à une maîtrise
homogène de l’ensemble des signatures sont étroitement liées à un concept
d’emploi mûrement réfléchi.

461
462
L’avenir des systèmes
de communication
et des bandes de fréquence
Général de brigade aérienne Christian Godard

Aujourd’hui, la navigation des drones au-delà d’une certaine taille n’est


autorisée que dans des zones ségréguées de l’espace aérien. Ainsi, pour utiliser
les drones MALE militaires en dehors des zones existantes, par exemple dans
le cadre du renforcement de la posture de surveillance, des zones d’interdiction
temporaire sont créées. De telles dispositions sont prises régulièrement en France
à l’occasion de manifestations officielles particulières (sommets internationaux,
60e anniversaire du débarquement allié, …). Il en serait de même pour des
drones à usage civil.
S’il n’existe pas encore de règlementation autorisant l’intégration de drones
dans la circulation aérienne générale (CAG), des études sont néanmoins en
cours au niveau européen (Eurocontrol, AED) et international (IATA, OACI,
OTAN) afin de définir les règles de leur insertion dans le trafic aérien. Force
est de constater que la sécurisation de la navigation aérienne des drones à un
niveau au moins équivalent à celui des aéronefs pilotés soulève des difficultés
techniques et réglementaires importantes. Malgré cela, il ne fait guère de doute
que l’intégration non ségréguée des drones sera une réalité à plus ou moins
long terme.
De même, en matière de navigabilité, il n’existe pas encore de règlementation
civile adaptée aux drones. La DGA a adapté le code de navigabilité civile pour
élaborer un document applicable aux drones militaires : le code USAR. Ce
code a été adopté par l’OTAN (STANAG 4671).
L’évolution des réglementations reposera, entre autres, sur une condition
majeure : la maîtrise des communications entre les différents éléments du
système de drones, afin d’en garantir la qualité, la robustesse, la fiabilité et
la résilience. Au-delà des performances actuelles ou futures des équipements
(systèmes sense & avoid, qualité de la chaîne image, puissance des calculateurs,
redondance des chaînes de traitement, etc.), cette maîtrise des communications
est prioritairement tributaire du spectre radioélectrique utilisé.

La ressource spectraLe : un nouveL enjeu pour Les drones


Les contraintes imposées sur les communications entre le vecteur aérien
et le centre de pilotage et d’exploitation au sol se traduisent en de nombreux
enjeux pour ce qui concerne l’emploi de la ressource spectrale : respect d’une
réglementation internationale très normée de l’utilisation des fréquences, un
accès garanti aux fréquences (bandes disponibles, capacité éventuelle d’agilité),

463
qualité des bandes choisies vis-à-vis des perturbations atmosphériques ou
météorologiques, compatibilité électromagnétique avec d’autres applications,
largeur de bande suffisante pour absorber les débits de données ou la saturation
du trafic.
Le développement exponentiel des applications et des usages numériques
ces dernières années engendre une croissance tout aussi importante des flux
et des débits de données qui contraint de plus en plus la ressource spectrale.
Le développement des drones n’échappe pas bien sûr à cette tendance et la
préservation de leur potentiel opérationnel supposera que la réglementation
internationale relative à l’utilisation des fréquences prenne spécifiquement en
compte les besoins nouveaux liés à l’utilisation de ces systèmes. Il convient de
constater que c’est actuellement le cas puisque la problématique des drones
fait l’objet de travaux importants dans le cadre des conférences mondiales
des radiocommunications (CMR) qui élaborent les évolutions de l’emploi du
spectre radioélectrique entre les différentes applications au niveau mondial.
Les CMR ont lieu tous les trois ans environ.

Les communications dans Les systèmes de drones


et Les bandes de fréquences utiLisées

En matière de communication et d’emploi du spectre radioélectrique entre


les segments aérien et sol, on distingue deux cas : à vue de la station sol (LOS
– line of sight), une liaison directe est établie ; au-delà (BLOS – beyond line of
sight – ou SATCOM), la liaison est établie par l’intermédiaire d’un voire de
plusieurs satellites.
De nombreuses bandes de fréquences différentes peuvent être utilisées
selon les caractéristiques ou les performances des équipements et des capteurs.
Néanmoins, sur les systèmes en service, les liaisons entre les deux segments sont
souvent multiplexées et servent à la fois pour le pilotage (C2 ou command &
control) et l’exploitation de la charge utile (CU) sous forme de transmission
de données (retransmission d’un signal vidéo, d’imagerie d’origine radar, etc).
D’autres fonctions utilisent le spectre comme la liaison radio entre
l’organisme de contrôle et la station de pilotage (radio ATC, air traffic control) et
la radio navigation « en route » (radionavigation par satellite GPS, transpondeur,
TACAN/DME). Ces fonctions ne nécessitent pas de traiter les drones comme
un cas particulier, si ce n’est la liaison ATC du MALE qui peut utiliser une
liaison LOS mais aussi SATCOM (relais par satellite).

464
Relais C2
Insérer image 18 (page 400 du manuscrit)

Relais radio ATC


Relais C2

Relais radio ATC

lliaison Charge Utile


CMR 2012

liaison C2 Radio ATC


Hors CMR 20122

Pilotage Organisme Exploitation


et navigation de contrôle (ATC) charge utile

La bande Ku (12-18 GHz) est actuellement la plus utilisée pour assurer


les liaisons multiplexées montante et descendante.
Depuis la CMR de 2003, le service mobile par satellite (MSS – Mobile
satellite service) a été introduit au règlement des radiocommunications sur
l’initiative de Boeing. Cette disposition règlementaire autorise l’utilisation des
bandes attribuées au service MSS par les drones en espace ségrégué. Lors de la
CMR de 2012, la possibilité de pilotage des drones en espace non ségrégué a été
ouverte dans la bande 5 GHz pour la LOS et dans toutes les bandes MSS pour
la BLOS. La prochaine CMR de 2015 examinera la possibilité d’étendre cette
utilisation des bandes MSS aux bandes du service fixe (FSS – Fixed satellite
service). L’intérêt du FSS est d’élargir la capacité du drone à accéder à une
offre plus importante en termes de satellites de communication.
Ces évolutions réglementaires ont donc pour but de consolider l’utilisation
des drones dans certaines bandes de fréquences sur la base d’un service par
satellite qui permette le développement, notamment an niveau de l’OACI,
des exigences de sécurité en matière de circulation aérienne et de navigabilité
(cf. supra).

La probLématique des Liaisons sateLLitaires miLitaires


Actuellement, les SATCOM Défense utilisent les deux satellites Syracuse
3A et 3B dans des bandes en mode FSS à 7 et 8 GHz (Bande X). Ces bandes
sont dites « harmonisées OTAN de type 1 » (utilisation généralisée par l’OTAN
en Europe), sont identifiées militaires par l’Union européenne et d’utilisation
exclusive par le ministère de la Défense en France. Cependant, aujourd’hui,
le système de drones Harfang ne peut pas utiliser ces SATCOM puisqu’il
fonctionne dans la gamme 10-15 GHz (bande Ku). Par ailleurs, la bande X est

465
congestionnée et impose des contraintes structurelles rédhibitoires sur le drone
(diamètre d’antenne inversement proportionnel à la fréquence).
Or, le futur système militaire de communications satellitaires (COMSAT
NG), dont le lancement est prévu vers 2019, devrait opérer en bande X comme
Syracuse mais également en bande Ka (20-30 GHz). À cet horizon, Harfang serait
donc incompatible des capacités de ce nouveau satellite et restera tributaire de la
location de capacités auprès d’opérateurs commerciaux (convention ASTEL-S),
sous réserve de la disponibilité (position orbitale, pointage, répéteurs) d’un
satellite dans la zone d’emploi prévue et à un coût acceptable.
À plus courte échéance (début 2014), le satellite ATHENA-FIDUS, en
coopération avec l’Italie, offrira des capacités en bande Ka, dont une partie
a été dimensionnée pour l’exploitation des drones (300 MHz de largeur de
bande). Les bandes utilisées pour les liaisons montante et descendante sont
harmonisées OTAN, attribuées au service MSS et d’usage exclusif du ministère
de la Défense en France. Néanmoins, dans l’état actuel des capacités techniques
et du fait de ses caractéristiques physiques (forte atténuation atmosphérique),
cette bande n’apparaît pas d’actualité pour les drones à court terme.
L’utilisation des liaisons satellitaires militaires pour les drones apparaît
donc impossible avec le système actuellement en service et reste à confirmer
en bande Ka pour les drones futurs. L’alternative des liaisons commerciales
demeure une nécessité.

estimation du besoin spectraL pour Les drones miLitaires


Dans le cadre des travaux relatifs à la CMR de 2012, une évaluation des
besoins en ressource spectrale a été conduite à partir de la modélisation des
scénarii d’emploi. L’espace est divisé en volumes correspondant aux horizons
radioélectriques et aux capacités des différents types de drones permettant la
réutilisation des mêmes fréquences. Il s’agit alors d’évaluer pour la densité
spatiale donnée de drones la quantité de spectre nécessaire pour en assurer le
pilotage et la coordination.
À titre d’exemple pour un système MALE évoluant entre 3000 et
10 000 mètres d’altitude, la densité spatiale est de 9 vecteurs aériens pour
l’ensemble du territoire métropolitain et le besoin spectral total correspondant
(C2+CU) est évalué à une centaine de MHz. Ces évaluations permettent ainsi de
s’assurer de l’adéquation entre la ressource spectrale rendue disponible dans les
bandes choisies et la concentration des moyens aériens dans leur zone d’emploi.

une nécessaire sensibiLisation à La probLématique fréquentieLLe


pour Les systèmes de drones

Il a été constaté que plusieurs systèmes de drones en service ou en


développement ont fait l’objet d’un avis défavorable quant à l’attribution
des bandes de fréquences nécessaires à leur utilisation, en raison de non-
conformités avec la réglementation française relative à la répartition des

466
bandes de fréquences ou les STANAG en vigueur (4660 et 7085 entre autres).
Il s’avère qu’il s’agit principalement du non respect par les industriels de ces
contraintes réglementaires, souvent en raison de coûts trop élevés ou d’une
technologie insuffisante.
Cet état de fait devrait désormais appartenir au passé grâce à une plus grande
sensibilisation des industriels comme des équipes de programme étatiques aux
problématiques des fréquences. De même, une anticipation plus forte des risques
liés à l’emploi des drones dans ce domaine et le recours accru aux études amont
relatives aux liaisons de données devraient permettre d’exploiter au mieux une
ressource spectrale désormais comptée et très convoitée.

467
468
Architecture de l’automatisation
pour le commandement
et le contrôle d’UAV multiples
par un opérateur unique
Mary Cummings, Sylvain Bruni, Stéphane Mercier, Paul J. Mitchell

Les véhicules aériens inhabités (unmanned aerial vehicles, UAV) sont en train
de devenir omniprésents dans les opérations militaires de commandement et
de contrôle. Avec des signatures radar réduites, une persistance renforcée et des
hommes à l’abri de la menace immédiate, les véhicules aériens inhabités(477)*→
sont devenus des moyens indispensables pour les forces militarisées du monde
entier, comme le prouve l’emploi intensif du Shadow et du Predator dans les
conflits récents. Malgré l’absence d’équipage à bord de ces UAV, des opérateurs
humains sont toujours nécessaires pour exercer un contrôle de supervision.
Les UAV nécessitent un guidage humain à des degrés divers, souvent
exercé par plusieurs opérateurs ; c’est là l’une des caractéristiques permettant
de définir les UAS (Unmanned Aerial System – systèmes aériens inhabités).
Par exemple, pour être totalement opérationnels, le Predator et le Shadow
nécessitent chacun un équipage constitué de deux individus. Toutefois, les forces
armées étant actuellement orientées vers la rationalisation des opérations et
la réduction des effectifs, un effort croissant fut consenti pour développer des
systèmes permettant d’inverser l’actuel ratio « plusieurs opérateurs pour un
véhicule ». Comme le souligne la feuille de route pour les UAS publiée par le
département américain de la Défense (478), des recherches sont nécessaires afin
d’examiner l’interaction humaine avec des UAS multiples ; cela fut également
considéré comme un besoin essentiel par le Committee on Autonomous Vehicles
in Support of Naval Operations (le Comité sur les véhicules autonomes en
soutien des opérations navales) (479).
Pour répondre à ce besoin, cet article définit tout d’abord le contrôle humain
de supervision d’un et de plusieurs UAV. Il analysera par la suite la littérature
existante dans le domaine afin d’examiner les potentielles tendances en termes
de recherches sur le contrôle de supervision d’UAV multiples. Une attention
particulière est accordée aux stratégies d’automatisation pour la prise de
décision et pour l’action puisque les niveaux d’automatisation intégrée varient

(477) * NdT : l’auteur précise qu’ils sont également connus sous le nom de uninhabited, mais
cette distinction ne peut être reprise en français, langue dans laquelle les deux termes, unmanned et
uninhabited, sont traduits par inhabités.
(478) Office of the Secretary of Defense, Unmanned Aircraft Systems (UAS) Roadmap, 2005-2030,
2005.
(479) Naval Studies Board, Autonomous Vehicles in Support of Naval Operations, National Research
Council, 2005.

469
considérablement entre les applications. Nous démontrerons qu’au fur et à
mesure que l’autonomie augmente dans les boucles de contrôle hiérarchiques,
le nombre de véhicules pouvant être contrôlés par un opérateur unique croît
également. Toutefois, comme nous le relèverons, l’autonomie croissante du
système peut engendrer des conséquences négatives en termes de connaissance
situationnelle et d’assurance excessive de la part de l’opérateur. Cet article
se concentre principalement sur le contrôle humain de supervision d’UAS
multiples et discute des implications plus larges en termes de commandement
et de contrôle. Cela étant, le lecteur est invité à consulter les ouvrages cités
en référence (480) pour des discussions plus approfondies concernant d’autres
implications sociotechniques de l’automatisation et des opérations réseau-
centrées dans les domaines du commandement et du contrôle.

Le contrôLe de supervision d’uav muLtipLes


Le passage de la guerre plate-forme-centrée à la guerre réseau-centrée
(Network Centric Warfare, NCW) marque le changement du rôle des humains
aussi bien pour ce qui est de la planification de mission que pour l’opération
en elle-même. Comme l’a déjà illustré le développement des commandes de vol
électriques, des systèmes d’aéronefs et de missiles très automatisés (comme le
Tomahawk et le Patriot), les opérateurs militaires exercent moins de contrôle
manuel direct des systèmes mais sont plus impliqués aux niveaux supérieurs
de la planification et de la prise de décision, ainsi que dans les opérations à
distance. Ce passage – dans le domaine du contrôle – des comportements de
niveau inférieur, basés sur les compétences, à des comportements de niveau
supérieur basés sur les connaissances est connu comme étant le contrôle humain
de supervision (human supervisory control, HSC). Le HSC est le processus par
lequel un opérateur humain interagit par intermittence avec un ordinateur,
recevant le retour (feedback) d’un processus ou d’une tâche contrôlés, connecté
à cet ordinateur et lui transmettant des commandes (figure 1) (481). L’ensemble
des UAV que l’on trouve dans l’inventaire du département de la Défense
évoluent en ayant un certain degré de contrôle de supervision, comme décrit
dans la figure 1.
Dans l’emploi des UAV, le contrôle humain de supervision est hiérarchique,
ainsi que le représente la figure 2. La boucle centrale de la figure 2 représente le
guidage de base et le contrôle du mouvement ; elle est la plus critique, devant
obéir aux lois physiques de la nature, comme les contraintes aérodynamiques

(480) D. S. Alberts, J. J. Garstka, F. P. Stein, Network Centric Warfare. Washington DC, DoD
Command and Control Research Program, 1999; D. S. Alberts, R. E. Hayes, Understanding Command
and Control, Washington DC, DoD Command and Control Research Program, 2006; R. J. Curts, J. P.
Frizzell, “Implementing Network-Centric Command and Control”, présenté lors du 10e Symposium
International Command and Control Research and Technology, Washington DC, 2005; R. S. Bolia,
M. A. Vidulich, W. T. Nelson, “Unintended Consequences of the Network-Centric Decision Making
Model: Considering the Human Operator”, présenté lors du Symposium Command and Control
Research and Technology, San Diego, CA, 2006.
(481) T. B. Sheridan, Telerobotics, Automation and Human Supervisory Control, Cambridge, The
MIT Press, 1992.

470
dans le cas des UAV. À l’intérieur de cette boucle, les actions de l’opérateur ne
visent que le court terme et le contrôle local (maintenir l’aéronef en vol stable) ;
le contrôle humain nécessite généralement, à l’intérieur de cette même boucle,
des comportements basés sur les compétences et reposant sur l’automaticité (482).

Insérer image 19 (page 405 du manuscrit)


Actionne
Contrôles urs

Ecrans Capteur
s Tâche
Opérateur humain
Ordinateur
(Superviseur)

Figure 1 : Le contrôLe humain de supervision

Insérer image 20 (page 405 du manuscrit)

Figure 2 : boucLes de contrôLe hiérarchique pour un seuL uav

La deuxième boucle, celle de la navigation, représente les actions qu’un


agent, humain ou informatisé, doit exécuter pour répondre aux contraintes
de la mission comme les routes suivant les points de route (waypoints), l’heure
sur objectif, et le fait d’éviter les zones de menaces et d’exclusion aérienne. La
boucle extérieure représente les niveaux de contrôle les plus élevés : la gestion de
la mission et de la charge. Dans cette boucle, les capteurs doivent être surveillés
et les décisions doivent être prises sur la base des informations reçues afin de
répondre à tout besoin au cours de la mission. À l’intérieur de cette boucle, les
décisions nécessitent un raisonnement basé sur les connaissances comprenant
jugement, expérience et raisonnement abstrait qui ne peuvent généralement
pas être réalisés par l’automatisation.
Enfin, la boucle « état du système et surveillance du statut » (System Health
and Status Monitoring) de la figure 2 représente la supervision continue devant
être exercée par un humain, par l’automatisation ou au moyen des deux, pour
s’assurer que tous les systèmes fonctionnent dans les limites normales. La
ligne de la boucle « contrôle » apparaît en pointillés puisqu’elle représente une

(482) J. Rasmussen, “Skills, Rules, and Knowledge; Signals, Signs, and Symbols, and Other
Distractions in Human Performance Models”, IEEE Transactions on Systems, Man, and Cybernetics,
1983, vol. SMC-13, pp. 257-266.

471
boucle extrêmement intermittente pour ce qui est de l’intervention humaine,
autrement dit, si l’humain est engagé dans une autre tâche, la priorité la plus
élevée étant accordée à la boucle centrale, l’état du système et la surveillance
du statut deviennent une tâche éloignée et secondaire.
Pour ce qui est de l’humain dans la boucle, si les boucles intérieures
échouent, les boucles supérieures (extérieures) échoueront également. Le contrôle
des boucles supérieures dépend du contrôle réussi des boucles inférieures, et
cela détermine les limites humaines dans le cas du contrôle d’un seul UAV et
plus encore lorsqu’il s’agit d’UAV multiples. Si les humains doivent interagir
à l’intérieur de la boucle de guidage et de contrôle du mouvement (piloter
manuellement un UAV), le coût sera élevé puisque cet effort nécessite des
ressources cognitives considérables. Le peu de capacités intellectuelles disponibles
doit être partagé entre les boucles « Navigation » et « Gestion de mission ». Des
violations de l’ordre des priorités illustré par la figure 2 ont induit de graves
problèmes comme en témoignent les nombreux accidents de Predator. Lorsque
les opérateurs sont saturés d’un point de vue cognitif ou qu’ils ne distribuent
pas correctement leurs ressources cognitives aux boucles de contrôle appropriées
et selon le bon ordre de priorités, ils enfreignent les contraintes des boucles de
contrôle, risquant ainsi d’engendrer une défaillance catastrophique.
Si la figure 2 décrit le contrôle de supervision pour un véhicule unique, la
figure 3 représente une architecture théorique de système qui serait nécessaire
dans le cas d’un opérateur unique contrôlant plusieurs UAS. Afin de réaliser ce
système futuriste, les opérateurs devront interagir avec un chef responsable de
l’ensemble de la mission et de la charge, la navigation de routine et le contrôle du
mouvement étant reléguées à l’automatisation. Pour acquérir dans le futur une
gestion efficace d’UAV multiples, le défi ne consiste pas uniquement à savoir si
l’automatisation peut être utilisée pour réduire la charge de travail ; il convient
également de déterminer comment et dans quelle mesure cela est faisable à
l’intérieur de chacune des boucles de contrôle représentées dans les figures 2
et 3, ainsi que le type de soutien à la décision nécessaire pour les opérateurs
compte tenu de la charge de travail considérable. Par ailleurs, la représentation
d’un système unique de gestion de la mission et de la charge pour des véhicules
multiples, comme dans la figure 3, n’est pas spécifique aux UAS puisque tout
véhicule, qu’il soit habité, inhabité, aérien, terrestre ou naval, peut constituer
un nœud dans un système commun de gestion de mission. D’où les études selon
lesquelles les capacités de commandement et de contrôle du couple opérateur
unique/UAV multiples ouvriront la voie à la mise en œuvre des concepts de la
guerre réseau-centrée en général.

472
Insérer image 21 (page 406 du manuscrit)

Figure 3 : contrôLe hiérarchique pour des véhicuLes inhabités muLtipLes

niveaux d’automatisation
Accroître l’autonomie dans les trois boucles de contrôle précédemment
évoquées (figures 2 et 3) est la composante architecturale essentielle pour
permettre à un opérateur unique ou à une petite équipe d’opérateurs de contrôler
efficacement plusieurs UAV. En augmentant l’autonomie des UAS, la charge
de travail de l’opérateur sera théoriquement diminuée car cela pourrait réduire
le nombre de ses tâches et devrait réduire l’interaction, y compris pour ce qui
est des niveaux de contrôle les plus élevés dans les figures 2 et 3. Par exemple,
les UAV volant en mode pilote automatique libèrent l’opérateur des tâches de
pilotage manuel, qui nécessitent de considérables ressources cognitives. Cela
dégage l’opérateur d’autres tâches essentielles comme la planification de la
mission et l’analyse des images.
Des niveaux d’automatisation plus élevés à l’intérieur des boucles de
contrôle représentées dans les figures 2 et 3 seront essentiels pour obtenir la
vision de contrôle pour le couple opérateur unique/UAV multiples, mais il est
encore difficile de savoir comment, quand, où et quel niveau d’automatisation
devrait être introduit. Si l’automatisation accrue peut réduire la charge de travail,
elle peut également, de manière non délibérée, en engendrer une plus grande,
ainsi que conduire à la perte de connaissance situationnelle, à une assurance
excessive de la part de l’opérateur et à la dégradation de ses compétences (483).
Par exemple, certains spécialistes des UAV ont constaté que la gestion par
le consentement (management-by-consent) à des niveaux intermédiaires
(l’automatisation fonctionnant comme un assistant de l’opérateur) est préférable

(483) R. Parasuraman, T. B. Sheridan, C. D. Wickens, “A Model for Types and Levels of Human
Interaction with Automation”, IEEE Transactions on Systems, Man, and Cybernetics - Part A  :
Systems and Humans, 2000, vol. 30, pp. 286-297.

473
au contrôle manuel ou entièrement automatisé (484). Cela étant, la gestion
par le consentement signifie que, comme les opérateurs doivent toujours être
dans la boucle, le nombre de tâches pourrait être élevé risquant de les saturer,
notamment dans le cas des UAV multiples. En outre, comme l’ont montré les
recherches sur le contrôle des UAV multiples, étant donné la charge de travail
croissante et les différentes aides à la décision, les performances des opérateurs
peuvent diminuer de manière spectaculaire dans le cas de la gestion par le
consentement (485).
Étant donné qu’un nombre croissant de tâches devront être automatisées
pour acquérir le contrôle d’UAV multiples par un opérateur unique, la question
est de savoir ce qu’il faudra assigner à l’automatisation. De précédentes recherches
ont démontré que dans le cas d’UAV multiples, la gestion par exception peut
améliorer la performance de l’opérateur pour la programmation et l’exécution
des tâches de haut niveau (486). La gestion par l’exception apparaît lorsque
l’automatisation décide d’entreprendre une action sur la base d’un ensemble
de critères prédéterminés ne laissant aux opérateurs que la possibilité de
s’opposer à cette décision. Si ce système de contrôle peut être efficace dans des
situations d’urgence et à haut risque, comme fermer un réacteur en état quasi-
critique, il peut en revanche s’avérer dangereux dans des contextes extrêmement
incertains comme le commandement et le contrôle. Dans le cadre de ce système
de contrôle, il est plus probable que les opérateurs manifestent une tendance
pro-automatisation ; celle-ci apparaît lorsque les opérateurs deviennent trop
dépendants de l’automatisation et n’effectuent pas de vérification visant à
s’assurer que les recommandations automatisées sont correctes (487).
La tendance proautomatisation fut récemment observée dans un contexte
opérationnel au cours de la guerre de 2004 en Irak lorsque le missile Patriot de
l’US Army, opérant en mode « gestion par l’exception », a commis un fratricide
abattant un Tornado britannique et un F/A-18 américain, tuant ainsi trois
équipages. Le système avait été conçu pour fonctionner en mode « gestion
par l’exception », et les opérateurs disposaient d’environ 15 secondes pour
s’opposer à la solution proposée par l’ordinateur. Malheureusement, les écrans
étaient déroutants et souvent incorrects, et les opérateurs manquaient sans
doute d’entraînement dans un système extrêmement complexe (488). Compte

(484) H. A. Ruff, S. Narayanan, M. H. Draper, “Human Interaction with Levels of Automation and
Decision-Aid Fidelity in the Supervisory Control of Multiple Simulated Unmanned Air Vehicles”,
Presence, 2002, vol. 11, pp. 335-351.
(485) M. L. Cummings, A. S. Brzezinski, J. D. Lee, “The Impact of Intelligent Aiding for Multiple
Unmanned Aerial Vehicle Schedule Management”, IEEE Intelligent Systems, sous presse  ; M. L.
Cummings, P. J. Mitchell, “Automated Scheduling Decision Support for Supervisory Control of
Multiple UAVs”, Journal of Aerospace Computing, Information, and Communication, sous presse.
(486) M. L. Cummings, P. J. Mitchell, ibidem.
(487) K. L. Mosier, L. J. Skitka, “Human Decision Makers and Automated Decision Aids : Made for
Each Other ?”, in R. Parasuraman, M. Mouloua (eds), Automation and Human Performance: Theory
and Applications, Human Factors in Transportation, Mahwah (NJ), Lawrence Erlbaum Associates
Inc., 1996, pp. 201-220.
(488) US Army (ed.), 32nd Army Air and Missile Defense Command, “Patriot Missile Defense
Operations during Operation Iraqi Freedom ”, Washington DC, 2003.

474
tenu des preuves de laboratoire selon lesquelles il est encore probable, avec un
système peu fiable, que les humains approuvent les recommandations générées
par l’ordinateur (489), il n’est pas surprenant que sous le stress supplémentaire
du combat, les opérateurs du Patriot ne se soient pas opposés à la solution
proposée par l’ordinateur. La tendance pro-automatisation est une importante
préoccupation pour les systèmes de commandement et de contrôle ; il sera donc
essentiel de s’assurer que cet effet est minimisé lorsque l’automatisation est
utilisée à des niveaux élevés, notamment au niveau de la gestion par l’exception.

une métaanaLyse des précédentes études reLatives


aux uav muLtipLes

De nombreuses études se sont penchées sur différents aspects du contrôle


d’UAV multiples. Nous avons réalisé une méta-analyse des études qui se sont
concentrées sur les aspects relatifs à la capacité de l’opérateur ou au contrôle
humain de supervision afin de déterminer des tendances significatives ou des
enseignements tirés, notamment en termes de niveaux d’automatisation et
quant aux boucles de contrôle précédemment évoquées.

résumés des études de cas


Une solution analysée par Dixon et al. pour réduire la charge de travail
d’un opérateur de drone contrôlant un ou plusieurs (petits) UAV comme le
Shadow consistait à ajouter des aides sonores et automatisées pour soutenir le
potentiel opérateur unique (490). Les auteurs ont montré que, si des stratégies de
décharge appropriées sont mises en place, un opérateur unique peut en théorie
totalement contrôler un UAV unique (aussi bien la navigation que la charge). Par
exemple, les alertes sonores ont amélioré la performance pour les tâches relatives
à ces alertes, mais aucunement pour d’autres. Inversement, il fut également
montré que le fait d’ajouter de l’automatisation profitait aussi bien aux tâches
relatives à l’automatisation (par exemple la navigation, la planification de la
trajectoire ou la reconnaissance de la cible) qu’à celles qui n’y sont pas liées.
Leurs résultats démontrent toutefois que la capacité des opérateurs humains à
contrôler des véhicules multiples nécessitant une assistance pour la navigation
et pour la charge pourrait être limitée, notamment si l’automatisation est peu
fiable. Ces résultats concordent avec la théorie du canal unique, selon laquelle
les humains seuls ne peuvent réaliser simultanément des tâches de grande
vitesse (491). Toutefois, Dixon et al. avancent l’idée qu’une automatisation fiable
pourrait permettre à un opérateur unique de contrôler entièrement deux UAV.

(489) M. L. Cummings, “Automation Bias in Intelligent Time Critical Decision Support Systems”,
présenté à AIAA Intelligent Systems, Chicago, 2004.
(490) S. Dixon, C. Wickens, D. Chang, “Mission Control of Multiple Unmanned Aerial Vehicles : A
Workload Analysis”, Human Factors, sous presse.
(491) A. T. Welford, “The psychological refractory period and the timing of high-speed performance
- a review and a theory”, British Journal of Psychology, 1952, vol. 43, pp. 2-19; D. E. Broadbent,
Perception and Communication, Oxford, Pergamon, 1958.

475
La fiabilité et la composante associée qu’est la confiance constituent un
problème important pour le contrôle des véhicules inhabités multiples. Ruff
et al. (492) ont constaté que si pour le contrôle d’UAV multiples la fiabilité du
système décroît, la confiance diminue avec le nombre croissant de véhicules
mais augmente lorsque l’humain est activement impliqué dans les décisions
relatives à la planification et à l’exécution. Ces résultats sont similaires à ceux
de Dixon et al. en ce que les systèmes générant de la méfiance réduisent la
capacité de l’opérateur (493).
Par ailleurs, selon Ruff et al. (494) les niveaux plus élevés d’automatisation
réduisent la performance lorsque les opérateurs tentent de contrôler jusqu’à
quatre UAV. Les résultats ont montré que la gestion par le consentement
(où une solution automatisée doit être approuvée par un humain avant son
exécution) est supérieure à la gestion par l’exception (où l’automatisation laisse
à l’opérateur un délai pour refuser la solution). Il est apparu que la gestion
par le consentement offre les meilleurs taux de connaissance situationnelle,
les meilleurs scores de performance et la plus forte confiance pour contrôler
jusqu’à quatre UAV.
Dunlap et al. adhèrent également à la gestion par le consentement dans
l’architecture distribuée qu’ils proposent pour le contrôle de véhicules aériens
inhabités de combat (UCAV) multiples (495). Dans ce système, l’automatisation
propose un plan pour l’UCAV et l’opérateur peut l’accepter, le refuser ou
proposer une alternative. Cette recommandation peut inclure aussi bien les
attributions des cibles que l’itinéraire. S’ils ont testé 4, 6 et 8 UCAV avec des
degrés croissants de complexité environnementale, leur projet final en limite le
nombre à quatre. Ils ont observé au cours d’une expérience que la tendance pro-
automatisation était un problème répandu, notant que les opérateurs « étaient
devenus plus réservés pour ce qui est d’accepter automatiquement les propositions
des UCAV, qui étaient d’habitude correctes » ; cela a conduit à augmenter le
taux d’élimination de non-cibles lorsque les niveaux d’automatisation étaient
plus élevés.
Pour ce qui est des prédictions relatives au nombre d’UAV pouvant être mis
en œuvre par un opérateur unique, seules quelques études abordent la question.
Cummings et Guerlain (496) ont montré que les opérateurs pouvaient contrôler,

(492) H. A. Ruff, S. Narayanan, M. H. Draper, “Human Interaction with Levels of Automation…”,


op. cit.
(493) S. Dixon, C. D. Wickens, D. Chang, “Unmanned Aerial Vehicle Flight Control: False Alarms
Versus Misses”, présenté à Humans Factors and Ergonomics Society 48th Annual Meeting, New
Orleans, 2004.
(494) H. A. Ruff, S. Narayanan, M. H. Draper, “Human Interaction with Levels of Automation…”,
op. cit.; H. A. Ruff, G. L. Calhoun, M. H. Draper, J. V. Fontejon, B. J. Guilfoos, “Exploring
Automation Issues in Supervisory Control of Multiple UAVs”, présenté lors de la 2e Conférence
Human Performance, Situation Awareness, and Automation (HPSAA II), Daytona Beach, 2004.
(495) R. D. Dunlap, “The evolution of a distributed command and control architecture for semi-
autonomous air vehicle operations”, présenté lors de la Conférence Moving Autonomy Forward,
Grantham (UK), 2006.
(496) M. L. Cummings, S. Guerlain, “Developing Operator Capacity Estimates for Supervisory
Control of Autonomous Vehicles”, Human Factors, 2007, vol. 49, pp. 1-15.

476
à titre d’expérience, jusqu’à douze missiles tactiques Tomahawk étant donné
la considérable autonomie de ces derniers. Les opérateurs n’avaient à interagir
qu’à l’intérieur de la boucle « Gestion de la mission », toutes les autres étant
tabLeau 1 : niveaux d’automatisation
SV - LOA Notre LOA Description de l’automatisation
L’ordinateur n’offre aucune assistance : l’humain doit prendre et entreprendre toutes les
1 I
décisions et actions
2 II L’ordinateur offre une série complète de décisions/actions alternatives
3 III L’ordinateur offre une sélection de décisions/actions
L’ordinateur suggère une alternative, et exécute cette suggestion si l’humain approuve
4/5 IV
(gestion par le consentement)
L’ordinateur suggère une alternative et accorde à l’humain un temps limité pour s’y
6 V
opposer avant l’exécution automatique (gestion par l’exception)
L’humain n’est pas impliqué dans le processus de prise de décision, c’est l’ordinateur
7/8/9/10 VI
qui décide et exécute de manière autonome

fortement automatisées. Cummings et al. (497) ont démontré que le nombre


d’UCAV pouvant être contrôlés par un opérateur unique ne dépend pas seulement
du niveau d’automatisation du soutien à la décision, mais également du rythme
et des conditions opérationnelles. Les opérateurs ayant une faible charge de
travail ont enregistré de bonnes performances, indépendamment du degré de
soutien à la décision, mais en cas de forte charge de travail, la performance a
diminué. Si l’on prend en compte les besoins opérationnels et de charge de travail
dans le cadre d’une mission de suppression des défenses aériennes ennemies
(SEAD), la capacité d’un opérateur a été estimée à cinq UCAV.
Dans une démonstration des capacités d’un opérateur unique cherchant à
contrôler plusieurs Wide Area Search Munitions (WASM), avec de forts degrés
d’autonomie dans toutes les boucles de contrôle représentées dans la figure 3 et
uniquement des tâches de niveau supérieur pour la gestion de la mission, Lewis
et al. avancent l’idée qu’un opérateur peut efficacement contrôler jusqu’à huit
WASM (498). L’hypothèse consiste à dire que l’automatisation intégrée dans les
véhicules coordonne, sans intervention humaine, des tâches spécifiques comme
la détection de la cible, le choix du membre le plus approprié pour exécuter la
mission, etc. ; il s’agit là de capacités qui ne sont pas encore opérationnelles.
L’étude consacrée aux WASM est similaire à celle relatives aux missiles tactiques
Tomahawk en ce que toutes les fonctions de contrôle du vol et de navigation
sont attribuées à la seule automatisation, l’humain n’intervenant que pour la
gestion d’objectifs de très haut niveau.

(497) M. L. Cummings, P. J. Mitchell, “Predicting Controller Capacity in Remote Supervision of


Multiple Unmanned Vehicles”, IEEE Systems, Man, and Cybernetics, Part A Systems and Humans,
sous presse; M. L. Cummings, C. E. Nehme, J. Crandall, “Predicting Operator Capacity for Supervisory
Control of Multiple UAVs”, in J. S. Chahl, L. C. Jain, A. Mizutani, M. Sato-Ilic (eds.), Innovations in
Intelligent Machines, 2007, vol. 70, Studies in Computational Intelligence.
(498) M. Lewis, J. Polvichai, K. Sycara, P. Scerri, “Scaling-up Human Control for Large UAV
Teams”, in N. Cooke, H. Pringle, H. Pedersen, O. Connor (eds.), Human Factors of Remotely Operated
Vehicles, New York, Elsevier, 2006, pp. 237-250.

477
Ainsi, un groupe d’études s’est penché sur la performance et la capacité de
l’opérateur dans le contrôle d’UAV multiples ; la question de savoir comment
des comparaisons significatives peuvent être faites entre les différents domaines
n’est toutefois pas claire et ce compte tenu principalement de deux paramètres :
1) que recouvre le contrôle ? ; 2) quel niveau d’automatisation fut utilisé pour
aider les opérateurs ? Afin de pouvoir comparer plus directement ces études,
la prochaine section abordera l’échelle suivant laquelle des comparaisons
peuvent être réalisées.

tendances reLatives au niveau d’automatisation


Dans le cadre de cette méta-analyse, nous avons dégagé le nombre maximum
d’UAV ayant été efficacement contrôlés par un opérateur unique dans chacune
des études. Il convient de noter que dans toutes ces études, le contrôle fut
réalisé dans le cadre de bancs d’essai de simulation de moyenne à haute fidélité.
Nous avons identifié ce que nous avons interprété comme étant les niveaux
approximatifs d’automatisation (levels of automation, LOA) dans la (les) boucle(s)
de contrôle de la figure 3. Si nombre de niveaux et d’échelles d’automatisation
et d’autonomie furent proposés (499), nous avons choisi l’échelle à dix niveaux
qu’avaient proposé à l’origine Sheridan et Verplank (500) (SV - LOA) dans la
mesure où il s’agit d’une taxinomie couramment mobilisée. Nous avons combiné
certaines catégories dans le tableau 1 afin de mettre en exergue des similarités
fonctionnelles. Les niveaux 7-10 par exemple ont été combinés puisque l’humain
ne peut entreprendre aucune action. Admettant que l’automatisation peut
soutenir différentes phases du traitement d’informations (501), la phase décision
et sélection de l’action est représentée dans notre évaluation.
Dans le tableau 2, qui présente un résumé de ces conclusions, les nombres
d’UAV potentiellement contrôlables par un opérateur humain unique sont cités
avec les niveaux estimés d’automatisation pour chacune des trois boucles de
contrôle (la boucle intérieure MC – Motion Control ; contrôle du mouvement,
N – Navigation ; la boucle extérieure MM – Mission Management, gestion
de la mission). Il convient de souligner que les LOA sélectionnés étaient
approximatifs puisqu’ils étaient sujets à interprétation et attribués post hoc sur la
base d’études qui, à l’origine, ne visaient pas à répondre à notre problématique
de recherche. Par ailleurs, dans de nombreuses simulations, le LOA n’était pas
fixé, nous avons donc, pour ces cas, indiqué l’éventail de LOA. Nous avons
également inclus dans cette comparaison une étude portant sur le contrôle
du trafic aérien (air traffic control, ATC) dans la mesure où elle comprend de

(499) R. Parasuraman, T. B. Sheridan, C. D. Wickens, “A Model for Types and Levels…”, op. cit.;
M. R. Endsley et D. B. Kaber, “Level of automation effects on performance, situation awareness and
workload in a dynamic control task”, Ergonomics, 1999, vol. 42, pp. 462-492; C. D. Wickens, S. E.
Gordon, Y. Liu, An Introduction to Human Factors Engineering, New York, Longman, 1998; M. R.
Endsley, “Toward a Theory of Situation Awareness in Dynamic Systems”, Human Factors, 1995,
vol. 37, pp. 32-64.
(500) T. B. Sheridan, W. L. Verplank, “Human and Computer Control of Undersea Teleoperators”,
MIT, Cambridge, Man-Machine Systems Laboratory Report, 1978.
(501) R. Parasuraman, T. B. Sheridan, C. D. Wickens, “A Model for Types and Levels…”, op. cit.

478
nombreux principes de contrôle humain de supervision qui sont pertinents pour
le contrôle d’UAV multiples (502). Puisque l’objectif principal des contrôleurs
aériens est la navigation de l’aéronef en toute sécurité, il n’existe pas de boucle
de contrôle associée pour la gestion de mission.
tabLeau 2. comparaison des études portant sur Les uav muLtipLes
LOA Max
Expérience
MC N MM UV#
Dixon et al., « Mission Control of Multiple Unmanned Aerial Vehicles : A Workload
1 VI I I 1
Analysis », Human Factors, sous presse (configuration de base)
2 Dixon et al. (ibidem) (pilote automatique) VI IV I 2
3 Dixon et al. (ibidem) (alerte automatique) VI I IV 2
Ruff et al., « Human Interaction with Levels of Automation and Decision-
Aid Fidelity in the Supervisory Control of Multiple Simulated Unmanned Air
Vehicles », Presence, 2002, vol. 11, pp. 335-351
4 VI IV-V IV 4
Ruff et al., « Exploring Automation Issues in Supervisory Control of Multiple
UAVs », présenté lors de la 2nd Conférence Human Performance, Situation
Awareness, and Automation (HPSAA II), Daytona Beach, FL, 2004
Dunlap, « The evolution of a distributed command and control architecture
5 for semi-autonomous air vehicle operations », présenté lors de la Conférence VI IV IV 4
Moving Autonomy Forward, Grantham (UK), 2006
Cummings, et al., « Predicting Controller Capacity in Remote Supervision of
Multiple Unmanned Vehicles », IEEE Systems, Man, and Cybernetics, Part A
Systems and Humans, sous presse
6 Cummings, et al., « Predicting Operator Capacity for Supervisory Control VI IV III-IV 5
of Multiple UAVs », in J. S. Chahl, L. C. Jain, A. Mizutani, M. Sato-Ilic (eds.),
Innovations in Intelligent Machines, 2007, vol. 70, Studies in Computational
Intelligence
Lewis et al., « Scaling-up Human Control for Large UAV Teams », in N. Cooke,
7 H. Pringle, H. Pedersen, O. Connor (eds.), Human Factors of Remotely Operated VI VI IV-V 8
Vehicles, New York, Elsevier, 2006, pp. 237-250
Cummings & Guerlain, « Developing Operator Capacity Estimates for
8 Supervisory Control of Autonomous Vehicles », Human Factors, 2007, vol. 49, VI VI IV 12
pp. 1-15
Hilburn et al., « The Effect of Adaptive Air Traffic Control (ATC) Decision Aiding
9 on Controller Mental Workload », in Human-automation Interaction : Research VI V N/A 11
and Practice, Mahwah (NJ), Lawrence Erlbaum, 1997, pp. 84-91(étude ATC)

Le tableau 2 relève d’intéressantes tendances. Sans en discuter explicite-


ment dans leurs études respectives, tous les chercheurs ont automatisé la boucle
intérieure du contrôle du mouvement comme représenté dans les figures 2 et
3. Le pilote automatique était ainsi nécessaire, sous une forme ou sous une
autre, pour soulager la charge de travail de l’opérateur et libérer les ressources
cognitives pour le contrôle des boucles supérieures. Pour atteindre l’objectif
de plusieurs UAV contrôlés par un seul individu, les opérateurs doivent uni-
quement surveiller le pilotage/la manœuvre du véhicule, et non l’effectuer eux-
mêmes. Cela constitue toutefois un problème plus culturel que technologique
puisque si tous les UAV sont actuellement équipés de cette technologie, cer-
taines communautés la rejettent : certaines organisations insistent toujours

(502) B. Hilburn, P. G. Jorna, E. A. Byrne, et R. Parasuraman, “The Effect of Adaptive Air Traffic
Control (ATC) Decision Aiding on Controller Mental Workload”, in Human-automation Interaction:
Research and Practice, Mahwah (NJ), Lawrence Erlbaum, 1997, pp. 84-91.

479
sur le fait qu’un homme doit piloter le véhicule et non le commander à diffé-
rents profils de vol.
Par ailleurs, la figure 4 a) illustre une tendance générale à la hausse du
nombre de véhicules pouvant être contrôlés par un opérateur unique ; tendance
qui est une fonction de l’automatisation croissante dans la boucle de contrôle
de la navigation représentée dans la figure 2. Ainsi, avec un soutien croissant à
la navigation et un système de pilotage entièrement autonome, les opérateurs
peuvent gérer plus d’UAV lorsqu’ils ne doivent pas répondre à des préoccupations
de navigation locale et même globale. La capacité la plus élevée d’un opérateur
fut observée pour le missile Tomahawk et les WASM puisque comme pour les
UAV non réutilisables (one-way UAVs) évoluant à grande vitesse, il n’y a – en
dehors de la direction d’objectifs de haut niveau – que peu de temps et de
carburant pour l’interaction humaine.

Inserer image 22 (page 413 du manuscrit)

(a) Boucle Navigation (b) Boucle Gestion de la mission


Figure 4 : nombre maximum d’uav vs. Loa pour Les boucLes (a)
navigation et (b) gestion de La mission
En examinant la boucle « Gestion de la mission et de la charge », la figure
4 b) illustre la capacité des opérateurs à commander de plus en plus de véhicules
s’ils bénéficient d’un soutien automatisé à la décision de plus en plus important.
Il est intéressant de noter qu’avec une assistance automatisée à la navigation
et une automatisation de type « gestion par le consentement » dans la boucle
« Gestion de la mission », on constate une convergence en termes de capacité
de 4-5 véhicules par opérateur. La prochaine augmentation conséquente
(8-12 véhicules) n’apparaît pas avant d’introduire la gestion par l’exception
dans les boucles « Gestion de la mission » ou « Navigation ». Ces niveaux
accrus d’automatisation seront essentiels pour atteindre une capacité accrue
de l’opérateur, puisque comme nous l’avons précédemment mentionné, si les
opérateurs doivent se charger des fonctions de navigation locale, ils n’ont tout
simplement pas les ressources cognitives pour accomplir avec succès l’ensemble
des tâches de la boucle « Gestion de la mission et de la charge ».
Un aspect important qui n’est pas évalué ici (principalement du fait de
l’absence de preuves expérimentales) est l’impact du contrôle d’UAV hétérogènes.
Si toutes les études mentionnées dans cet article sont relatives aux UAV
homogènes (à l’exception de l’étude ATC), l’avenir des opérations au moyen
de drones verra la conduite d’opérations mixtes de sorte que des plates-formes
UAV potentiellement différentes interagiront dans le même espace aérien. Par
ailleurs, une autre variable importante réside dans le fait que les opérateurs

480
ne gèrent jamais de véhicules multiples de manière isolée, mais ils font partie
d’une équipe plus large ; cet effort doit donc être élargi aux environnements
des équipes collaboratives.
En mettant en lien des études antérieures portant sur l’humain dans la boucle
pour des UAV multiples, nous ne cherchons pas à faire d’allégations quant à
un maximum théorique spécifique pour un LOA donné, mais plutôt à illustrer
la possibilité qu’avec une automatisation croissante des boucles « Contrôle du
mouvement » et « Navigation » ainsi qu’avec un soutien collaboratif à la décision
pour la boucle « Gestion de la mission », il est probable que les opérateurs
puissent contrôler un nombre croissant d’UAV. Le tableau 2 et la figure 4
représentent des généralisations approximatives et la performance humaine
peut être considérablement affectée aussi bien par le soutien automatisé à la
décision que par les futurs développements dans le domaine des écrans (503).

mettre en Lien Les estimations de La capacité de L’opérateur


et Les paramètres de perFormance

Une limite commune aux études précédemment mentionnées est l’absence


de système mesurant la performance. En général, la performance des opérateurs
fut jugée acceptable au regard de l’observation des experts, ce qui représente une
méthode valable pour évaluer la performance (504) mais n’est pas généralisable
ni même d’ailleurs utile pour des prédictions dans la mesure où elle est
essentiellement une prédiction descriptive de la capacité de l’opérateur. Il est
donc nécessaire de mettre en place un système de mesure de la performance
aussi bien de l’humain que du système, indiquant un niveau objectif de ce qui
peut être considéré comme bien et/ou satisfaisant (505) (à savoir, une « solution
suffisamment bonne » par rapport à une solution optimale). L’attention accordée
aux paramètres clé de performance (key performance parameters, KPP) est une
priorité majeure pour le département américain de Défense, notamment en
termes de commandement et de contrôle réseau centrés (506).
Des recherches s’intéressent actuellement à cette rupture entre la capacité
de l’opérateur et la performance, qui a conduit au développement de nombreux
KPP possibles. Une étude récente a démontré que le nombre d’UCAV pouvant
être contrôlés par un opérateur unique ne dépend pas uniquement du niveau
d’automatisation du soutien à la décision, mais est inextricablement lié à la
complexité de la mission et à la performance globale du système (507). En recourant

(503) Voir par exemple M. L. Cummings, A. S. Brzezinski, J. D. Lee, “The Impact of Intelligent
Aiding…”, op. cit.  ; P.  J. Smith, E. McCoy, C. Layton, “Brittleness in the design of cooperative
problem-solving systems : the effects on user performance”, IEEE Transactions on Systems, Man, and
Cybernetics, 1997, vol. 27, pp. 360-370.
(504) M. R. Endsley, D. J. Garland, Situation Awareness Analysis and Measurement, Mahwah (NJ),
Lawrence Erlbaum Associates Inc., 2000.
(505) H. A. Simon, R. Hogarth, C. R. Piott, H. Raiffa, K. A. Schelling, R. Thaier, A. Tversky, S.
Winter, “Decision Making and Problem Solving”, Research Briefings 1986, Report of the Research
Briefing Panel on Decision Making and Problem Solving, Washington D.C., 1986.
(506) Joint Chiefs of Staff, “Chairman of the Joint Chiefs of Staff Instruction 6212.01D”, DoD, 2007.
(507) M. L. Cummings, C. E. Nehme, J. Crandall, “Predicting Operator Capacity…”, op. cit.

481
à une expérimentation mobilisant des humains dans un banc d’essai de simulation
pour des UCAV multiples et à une technique de recuit simulé (simulated annealing,
SA) pour une optimisation de type heuristique, il fut possible de prédire que
la performance de l’opérateur se dégrade considérablement au-delà de cinq
UCAV environ, atteignant une valeur optimale lorsqu’il y a entre 2 à 4 véhicules
(figure 5). Dans ce modèle, le KPP fut le coût, prenant en compte non seulement
les coûts opérationnels comme le carburant, mais également celui des cibles
ratées et celui induit par les retards de mission du fait d’interactions humaines
inefficaces. Dans la figure 5, la courbe continue représente un opérateur humain
théoriquement parfait et la ligne en pointillé décrit une performance humaine
plus réaliste prenant en compte les retards provoqués par les prises de décisions
inefficaces, par les problèmes de communication, par la charge cognitive, etc.
Ainsi, la performance du système (l’automatisation et l’opérateur) peut varier
tant en fonction de l’opérateur que du fait de contraintes opérationnelles comme
le nombre de cibles, les coûts opérationnels, etc. Cette variation est la raison
pour laquelle il est si important d’établir un lien explicite entre la performance
du système et la capacité de l’opérateur.

Insérer2 x image 23 (page 415 du manuscrit)


4
10

1.8

1.6
Mission primarily constrained
1.4 by human limitations
1.2
Cost

0.8
Mission
primarily 0.6
constrained
0.4
by
operational 0.2

demands 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Number of UAVs

Figure 5 : La capacité de L’opérateur variant en Fonction des


contraintes de La mission

FiabiLité et conFiance
Il a été prouvé que lorsque des agents de soutien à la décision automatisés
sont utilisés, l’interaction et la performance de l’opérateur humain sont

482
considérablement influencées par la fiabilité du système et la confiance/méfiance
qui en résulte, autrement dit plus l’automatisation est fiable, plus les utilisateurs
sont confiants et plus ils sont susceptibles de l’utiliser (508). Inversement, les
systèmes ayant une fiabilité faible ou inégale seront souvent déconsidérés (509).
Cela est particulièrement valable pour les systèmes de contrôle de supervision
C2 où les opérateurs accomplissent plusieurs tâches à la fois en surveillant
différents systèmes automatisés essentiels pour la mission. Une fiabilité élevée
peut conduire à un excès de confiance, à une tendance pro-automatisation,
à une assurance excessive et à une perte de connaissance situationnelle. Une
fiabilité dégradée peut conduire à un déficit de confiance, au mauvais usage et
à l’abandon de l’automatisation (510).
Seules quelques études parmi celles ici mobilisées ont abordé l’impact
de la confiance et de la fiabilité. En abordant la question de la fiabilité, Ruff
et al. (511) ont conclu que les diminutions de performance observées dans des
conditions de faible fiabilité résultaient en partie de la confiance diminuée
dans les aides automatisées à la décision dont disposait l’opérateur humain.
Tel était notamment le cas au fur et à mesure que le nombre de véhicules par
opérateur augmentait. En analysant cette question de la confiance, Dixon,
Wickens et al. (512) se sont intéressés, dans le cas des tâches de surveillance en
système multi-UAV, à l’effet qu’ont le parfaitement fiable et l’automatisation
dégradée sur la performance. Ils conclurent qu’une automatisation fiable
pourrait réduire l’interférence des tâches et la charge de travail, permettant
ainsi à un opérateur unique de contrôler plusieurs UAV. Cependant, lorsque
croît la charge de travail, même une automatisation parfaitement fiable ne peut
empêcher une diminution de la performance.

impLications pLus Larges en termes de c2


Si cet article s’intéresse principalement au contrôle humain de supervision
d’UAS multiples, de nombreux parallèles se dessinent avec des paramètres de

(508) J. D. Lee, N. Moray, “Trust, Control Strategies and Allocation of Functions in Human-Machine
Systems”, Ergonomics, 1992, vol. 35, pp. 1 234-1 270; J. D. Lee, N. Moray, “Trust, Self-Confidence,
and Operators’ Adaptation to Automation”, International Journal of Human-Computer Studies,
1994, vol. 40, pp. 153-184; R. Parasuraman, “Effects of adaptive function allocation on human
performance”, in D. J. Garland, J. A. Wise (eds.), Human factors and advanced aviation technologies,
Daytona Beach (FL), Embry-Riddle Aeronautical University Press, 1993, pp. 147-157.
(509) R. Parasuraman, V. A. Riley, “Humans and automation  : Use, misuse, disuse, and abuse”,
Human Factors, 1997, vol. 39, pp. 230-253; V. Riley, “A theory of operator reliance of automation”,
in M. Mouloua, R. Parasuraman (eds.), Human performance in automated systems: Current research
and trends, Hillsdale (NJ), Lawrence Erlbaum Associates, 1994, pp. 8-14.
(510) M. L. Cummings, P. J. Mitchell, “Automated Scheduling Decision Support…”, op. cit.; R.
Parasuraman, V. A. Riley, “Humans and automation…”, ibid.; M. L. Cummings, “Automation Bias
in Intelligent Time Critical Decision Support Systems”, présenté lors de AIAA 3rd Intelligent Systems
Conference, Chicago, 2004; R. Parasuraman, R. T. Molloy, I. L. Singh, “Performance consequences
of automation-induced ‘complacency’”, International Journal of Aviation Psychology, 1993, vol. 3.
(511) H. A. Ruff, S. Narayanan, M. H. Draper, “Human Interaction with Levels of Automation…”,
op. cit.; H. A. Ruff, et al., “Exploring Automation…”, op. cit.
(512) S. Dixon et al., “Mission Control…”, op. cit. ; S. Dixon et al., “Unmanned Aerial Vehicle Flight
Control…”, op. cit.

483
commandement et de contrôle plus généraux, notamment pour des opérations
réseau-centrées. À un niveau plus fondamental, le paradigme du contrôle de
supervision de véhicules multiples représente un problème de distribution de
l’attention, l’opérateur devant déterminer comment et quand il doit affecter des
ressources cognitives limitées à des tâches multiples et souvent concurrentes.
Ainsi, la situation d’un opérateur unique contrôlant plusieurs véhicules inhabités
est semblable à celle où, dans des paramètres d’urgence, incertains et dynamiques,
des tâches de commandement et de contrôle concourent simultanément pour
l’attention de l’opérateur. Par exemple, lorsque les personnels militaires tentent
de répondre à de communications instantanées (chats) multiples, notamment
dans des centres d’opérations (513), on constate dans de nombreux cas un impact
négatif sur la performance de la tâche principale, indiquant que les opérateurs
ont des difficultés avec la distribution de l’attention, en particulier pour établir
l’ordre de priorités des tâches.
Concernant les véhicules inhabités multiples, ainsi que des aspects plus
généraux comme la gestion des chats, la capacité de l’opérateur pourrait en fin
de compte être limitée par l’hétérogénéité, plus que strictement par le nombre de
véhicules/tâches dont il a la charge. Des recherches sont actuellement en cours
afin de déterminer l’impact de l’hétérogénéité des tâches comparativement à
celle des véhicules et des charges (514), ainsi que le développement d’un système
permettant de mesurer l’efficacité de la distribution de l’attention (515).
Avec l’évolution vers des opérations réseau-centrées, les opérateurs devront
gérer de nombreuses sources d’informations concurrentes pouvant facilement
surcharger leur largeur de bande cognitive. Ainsi, les recherches qui analysent
les limites de la capacité de l’opérateur du point de vue tant de l’hétérogénéité
des véhicules que des tâches sont essentielles non seulement pour le contrôle
de véhicules inhabités multiples, mais également pour les paramètres de
commandement et de contrôle qui imposent aux opérateurs de prendre des
décisions critiques en ayant des sources d’informations urgentes multiples.

(513) D. Caterinicchia, “DoD Chat Use Exploded in Iraq”,in Federal Computer Week, 2003; L.
Boiney, “Team Decision Making in Time-Sensitive Environments”, présenté lors du 10th Symposium
International Command and Control Research and Technology, McLean, Virginia, 2005; N. J.
Heacox, “Survey of Chat usage in the Fleet Results”, Pacific Science & Engineering Group, San
Diego (CA), 2003.
(514) R. M. Kilgore, K. A. Harper, C. Nehme, M. L. Cummings, “Mission Planning and Monitoring
for Heterogeneous Unmanned Vehicle Teams: A Human-Centered Perspective”, présenté lors de la
Conférence AIAA Infotech@Aerospace, Sonoma (CA), 2007.
(515) J. W. Crandall, M. L. Cummings, “Identifying Predictive Metrics for Supervisory Control
of Multiple Robots”, IEEE Transactions on Robotics – Special Issue on Human-Robot Interaction,
accepté.

484
concLusion
Pour répondre à la feuille de route pour les UAS établie par le cabinet du
secrétaire américain à la Défense, ainsi qu’à la future vision de la guerre réseau-
centrée, un certain nombre d’industries de défense conduisent actuellement
des analyses et développent des plates-formes et postes de travail pouvant
permettre à un opérateur unique de contrôler plusieurs UAV. Par exemple,
QinetiQ a récemment démontré que plusieurs UAV capables de s’auto-organiser
peuvent être contrôlés efficacement par un opérateur pilotant un avion rapide.
Lockheed Martin a développé un prototype de station de contrôle permettant
à un opérateur unique de contrôler non seulement des UAV multiples, mais
également des véhicules terrestres inhabités. Selon le constructeur, l’Universal
Control System de Raytheon permet à un opérateur unique de contrôler
simultanément plusieurs UAS.
En dépit du développement agressif de ces technologies de contrôle d’UAV/
UAS multiples et comme nous l’avons ici montré, la communauté des chercheurs
commence tout juste à saisir les nuances de l’interaction humaine dans le
domaine très exigeant, d’un point de vue cognitif, qu’est le contrôle de véhicules
multiples. Cette méta-analyse suggère des évolutions prometteuses puisqu’il
serait probable que les opérateurs puissent contrôler, avec une automatisation
croissante dans chacune des trois boucles de contrôle, un nombre croissant
d’UAV. Cela étant, le nombre réel dépendra d’un certain nombre d’autres
facteurs (fiabilité du système, largeur de bande de communication, contexte de la
mission, complexité et rythme opérationnel, entraînement de l’opérateur, etc.).
Par ailleurs, comme précédemment évoqué, un inconvénient important
de l’introduction de niveaux élevés d’autonomie dans le commandement
et le contrôle des UAV réside dans la forte possibilité que la tendance pro-
automatisation conduise à une assurance excessive et à des résultats erronés
voire catastrophiques. Cette tendance fut constatée non seulement dans de
nombreux paramètres expérimentaux de C2 (516), mais également dans la réalité
au cours de la récente guerre du Golfe (517). Ainsi, ce possible résultat négatif
d’une autonomie accrue pose un défi aux concepteurs de la technologie et des
structures organisationnelles : comment concevoir des systèmes automatisés
fiables et dignes de confiance qui réduisent la charge de travail de l’opérateur
tout en maintenant sa connaissance situationnelle à un niveau suffisamment
élevé pour qu’il puisse reconnaître à quel moment l’automatisation échoue et
dès lors intervenir ? Reste à voir si, au lieu de se concentrer simplement sur
les variables techniques, les systèmes actuellement en cours de développement
prendront en compte toutes ces variables socio-techniques.
L’enseignement essentiel devant être tiré de cette méta-analyse est que la
réussite de tout UAS, et plus généralement de la gestion des tâches pour un
C2 multiples, ne dépendent pas uniquement de niveaux élevés d’autonomie ;

(516) M. L. Cummings, “Automation Bias…”, op. cit.; M. L. Cummings, S. Guerlain, “Developing


Operator Capacity Estimates…”, op. cit.
(517) 32nd Army Air and Missile Defense Command, op. cit.

485
elles sont plutôt liées aux stratégies robustes d’automatisation du système qui
justifient les capacités cognitives, positives comme négatives, de l’opérateur
humain. Il est ainsi essentiel que les constructeurs de stations de contrôle
d’UAV multiples reconnaissent les interactions complexes entre des systèmes
extrêmement automatisés, ainsi que le besoin de soutenir le raisonnement
humain basé sur les connaissances et dès lors qu’ils conçoivent leurs projets
en conséquence.
(Traduit de l’anglais par Gabriela Sulea Boutherin)

486
Drones solaires :
la quête du vol perpétuel
Olivier Montagnier

Le vol « perpétuel » est un rêve qui deviendra peut-être un jour une réalité.
Cet objectif sera atteint grâce à l’utilisation d’une source inépuisable d’énergie :
l’énergie solaire. Le principe de fonctionnement sera relativement simple. Le
jour, des cellules photovoltaïques collées à la surface du vecteur capteront
l’énergie nécessaire à la propulsion, aux batteries et aux instruments. La
nuit, les batteries restitueront l’énergie emmagasinée à la propulsion et aux
instruments. Ces aéronefs qui pourront voler plusieurs années sans se poser
seront très certainement des drones.
Ce chapitre s’intéresse au développement de ces aéronefs et à leur faisabilité
dans le futur. Il se focalise sur le cas des drones à voilure fixe même si a priori
toutes les formes de drone sont envisageables (voilure fixe, voilure tournante,
aérostat ou hybride). Après une introduction sur les applications potentielles
de ces aéronefs, il sera présenté leur développement depuis la découverte des
cellules photovoltaïques jusqu’à nos jours. Les difficultés liées à la conception
de tels drones seront ensuite mises en évidence. Enfin, un exemple de conception
démontrera la nécessité de maturation de la technologie.

Les appLications potentieLLes


L’intérêt majeur des futurs drones solaires devrait être une endurance
extrêmement longue. Seule leur maintenance nécessitera un retour sur terre.
Il est aisé d’imaginer que cette persistance sera possible si le drone est capable
de capter le maximum d’énergie solaire disponible, quel que soit les conditions
météorologiques. Il sera alors inéluctablement de voler dans la stratosphère pour
se positionner au-dessus des nuages, situés entre 0 et 13km d’altitude. De plus, à
ces altitudes, le drone sera peu vulnérable et situé dans un espace totalement libre
de trafic aérien, les avions de lignes croisant aux alentours de 12 km d’altitude.
Ces altitudes permettront aussi de diminuer l’atténuation atmosphérique de
l’énergie solaire. De ces deux propriétés, haute altitude et longue endurance
(HALE), il résulte deux applications pour les drones solaires : la surveillance
et le relais de télécommunication, les deux à des fins militaires ou civiles. A
terme, ces drones pourraient remplacer une partie des satellites des orbites
basses. Les satellites d’observation comme Helios ou de télécommunication
comme les constellations Iridium et GlobalStar sont situés sur ces orbites (entre
300 et 2000 km) et repassent sur zone au bout d’un certain nombre de jours.
Contrairement à ces satellites, le drone permettrait une permanence sur zone.
Il « suffira » d’être capable de voler à la vitesse maximale des vents. Tandis que
les satellites géostationnaires eux sont fixes par rapport à la terre mais très loin

487
(36 000 km) pour l’observation et aussi extrêmement coûteux. Enfin, une étude
comparant les coûts d’exploitation d’un drone solaire par rapport aux drones
MALE à propulsion conventionnelle, précise que ces drones solaires (750 euros
par heure de vol) seraient 4 fois plus rentables qu’une flotte de drones MALE
(3060 euros par heure de vol) réalisant la même mission (518).
À 20 km d’altitude, malgré la rotondité de la terre, le drone peut émettre
sur un rayon de 500 km. Avec un émetteur adapté, seulement 4 à 5 plates-
formes pourraient couvrir l’ensemble du territoire français. Les hautes altitudes
permettent entre autres de se trouver au-dessus du « jet stream » c’est-à-dire
dans une zone relativement calme en vent. Ces altitudes ont toutefois deux
désavantages. Les températures très froides qui fragilisent de nombreux matériaux
et la très faible densité de l’air qui rend la sustentation difficile. L’explication
de ce dernier point sera précisée par la suite.
D’autres applications sont envisagées pour les drones solaires parmi
lesquelles on trouve : la surveillance environnementale (pollution pétrolière,
pollution nucléaire, etc.), la détection de risques particuliers (feux de forêts,
transport illicite de matériaux radioactifs, etc.), les sciences de la terre
(météorologie, mesure de la couche d’ozone, etc.) et l’astrophysique (plate-
forme de mesure à haute altitude).

une technoLogie récente et compLexe : de 1954 à nos jours

historique et records
L’idée du vol solaire est né en 1954, année de la découverte des cellules
photovoltaïques. Le concept revient au Dr August Raspet (519). Il propose
d’installer ces cellules sur l’extrados des ailes d’un genre de planeur et
d’utiliser une propulsion électrique (moteur électrique couplé à une hélice).
Le développement ne nécessite, dès lors, que la maturation de la technologie
photovoltaïque.
Dix-huit ans après, lors d’un colloque du MIT (520), des chercheurs
proposent de réexaminer cette idée. Le 4 novembre 1974, le drone Sunrise I,
d’une envergure de 9,7 m et d’une masse de 12 kg, réalise le premier vol solaire
en Californie. En 1975, son successeur le Sunrise II atteint l’altitude record de
5,2 km (521). Le développement des premiers drones solaires est alors étroitement
lié au développement des avions solaires tels que Solar One (GB), Solar Riser
(US) et Solair I (DE). Le Gossamer Penguin développé par AeroVironment
(US) sera le premier avion piloté, volant uniquement à l’énergie solaire. Il
effectuera un vol de 3 km en Californie le 7 août 1980. De ce projet nait le Solar

(518) Cestino Enrico, “Design of solar high altitude long endurance aircraft for multi payload &
operations”, Aerospace Science and Technology, 2006, vol. 10, pp. 541-550.
(519) http://en.wikipedia.org/wiki/August_Raspet
(520) Massachusetts Institute of Technology.
(521) Robert J. Boucher, “Sunrise, the World’s First Solar-Powered Airplane”, Journal of Aircraft,
1985, vol. 22, p. 840-846.

488
Chalenger. Il possède une envergure de 14,3 m et une masse à vide de seulement
90 kg (522). Emportant une plus grande quantité de cellules sur les ailes et sur le
plan arrière, cet avion uniquement solaire, sera le premier à pouvoir parcourir
de grandes distances. Il traverse la Manche en 5 heures et 23 minutes, le 7
juillet 1981. Sur cet appareil, on voit déjà apparaître de très grandes surfaces
voilures pour maximiser l’emport des cellules photovoltaïques. L’ensemble
de ces projets montre l’importance des enjeux sur les masses en rapport de la
grande faiblesse de l’énergie disponible. Ils sont construits à l’aide de matériaux
composites et entoilés par des polymères extralégers. Les composites comme
le carbone/époxy (523), possèdent une rigidité spécifique (524) et une résistance
spécifique (525) pouvant être respectivement, 8 fois et 14 fois plus grandes que
celles des matériaux métalliques.
Les premiers travaux de recherche sur les drones solaires menés par la NASA
datent de la fin des années 70. J. Parry en 74 comme James Youngblood et al.
en 79 concluent qu’une plate-forme haute altitude et longue endurance n’est
pas faisable à ces dates (526), (527). Les limitations proviennent de la masse des
matériaux constituant la structure. Ce dernier auteur poursuit ses recherches
et propose rapidement l’utilisation d’une pile à hydrogène régénérative pour le
stockage de l’énergie de manière à effectuer le vol de nuit (528). Le principe de
cette pile est d’utiliser une partie de l’énergie solaire disponible le jour pour faire
fonctionner un électrolyseur. Celui-ci transforme de l’eau (H2O) en hydrogène
(H2) et en oxygène (O2). L’énergie est alors stockée dans des réservoirs sous
forme liquide. La nuit, l’hydrogène et l’oxygène sont recombinés dans la pile à
combustible sous forme d’eau en libérant l’énergie électrique nécessaire au vol.
L’énergie spécifique (529) peut atteindre 450 Wh/kg, ce qui est bien supérieur à
celle des batteries Li-Po (220 Wh/kg) et Li-Ion (130 Wh/kg).
Le premier programme important dans le domaine du drone solaire est
le programme ERAST (530) de la NASA. Les objectifs sont la construction et
l’évaluation de plusieurs types de drone grâce à une action conjointe entre les
industriels, la recherche académique et les agences gouvernementales. Entre

(522) P. B. MacCready, P. B. S. Lissaman, W. R. Morgan & J. D. Burke, “Sun-Powered Aircraft


Designs”, Journal of Aircraft, 1983, vol. 20(6), pp. 487-493.
(523) Fibres de carbone longues (60 %) noyées dans de la résine époxy (40 %).
(524) Rapport entre le module de rigidité du matériau et sa masse volumique, soit 217 MPa. m3/kg
pour le carbone à haut module/époxy, 27 MPa. m3/kg pour l’acier et l’aluminium et 24 MPa. m3/kg
pour le titane.
(525) Rapport entre la résistance du matériau et sa masse volumique.
(526) J. F. W. Parry, “A Solar Powered Observation Platform”, Defense Advanced Research Projects
Agency RDA-TR 4300-088, 1974.
(527) J. W. Youngblood, W. L. Darnell, R. W. Johnson & R. C. Harriss, “Airborne Spacecraft-A
Remotely Powered, High-Altitude RPV for Environmental Applications”, Electronics and Aerospace
Systems Conference, Arlington, Virginia, 1979.
(528) James W. Youngblood, Theodore A. Talay & Robert J. Pegg, “Design of long-endurance
unmanned airplanes incorporating solar and fuel cell propulsion”, 20th AIAA, SAE, and ASME, Joint
Propulsion Conference, Cincinnati, Ohio, 1984.
(529) Rapport entre l’énergie délivrée par la pile et sa masse.
(530) Environmental Research Aircraft and Sensor Technology (1994-2003)

489
autres, la NASA avait pour objectif la construction d’un drone solaire capable de
voler sans interruption durant six mois au-delà de 18 km d’altitude. Le but était
à la fois de démontrer la faisabilité de tels engins et leur potentiel d’utilisation
dans des missions scientifiques. Le drone solaire nommé Pathfinder fait ses
premiers vols dès 1994. Il avait en fait été réalisé en 1983 (531) par AeroVironment
lors d’un projet classé secret défense (532). Il portait alors le nom de HALSOL
pour High-Altitude SOLar.
La configuration choisie pour le drone solaire est l’aile volante. Il n’y a
quasiment pas de fuselage, seuls les deux trains d’atterrissage sont carénés.
Cette configuration à l’avantage de supprimer la masse de l’empennage
arrière et du tronçon entre la voilure principale et celui-ci. Le second intérêt
est de pouvoir répartir la masse le long de la voilure ce qui aura tendance à
limiter sa flexion. En revanche, l’aile volante pose des problèmes de stabilité
et aussi de contrôlabilité puisque les gouvernes de roulis et de profondeur sont
confondues. Malgré la répartition de masse favorable et la valeur très faible
de celle-ci (252 kg), la très grande envergure (29,5 m) impose une importante
déformation de la voilure. Ce drone ne vole plus comme un avion rigide mais
comme un avion souple.
Le 11 septembre 1995, Pathfinder atteint l’altitude record de 15,4 km
au-dessus de la Californie. A partir de 1997, les essais sont réalisés à Hawaii
notamment pour les conditions favorables d’ensoleillement et de prévisibilité
météorologique. Il obtient alors le record d’altitude pour un avion propulsé
par des hélices (21,8 km). Le rendement des cellules n’est alors que de 14 % et
les petites batteries ne permettent pas le vol de nuit.
En 1998, Pathfinder devient Pathfinder Plus. La partie centrale de la
voilure du drone a été allongée et deux moteurs ont été ajoutés. La puissance
potentielle disponible passe de 7 500 W à 12 500 W. Il établit un nouveau record
à 24,4 km le 6 août 1998, le vol dura 14,8 h. En 2001, Pathfinder Plus fut
employé à démontrer sa capacité à effectuer une mission de surveillance. Plus
précisément, le drone réalise avec succès des missions de contrôle de l’irrigation
de la plus grande plantation de café des États-Unis sur l’île de Kauai (533). Sa
charge utile est alors de 45 kg.
Centurion apparaît en 1998, en parallèle du développement de Pathfinder
Plus. Beaucoup plus grand, il préfigure le drone qui sera équipé d’une pile
permettant le vol de nuit. Cette dernière évolution sera dénommée Helios et
fera ses premiers vols en 1999. Il possède une envergure de 75 m, supérieure
à celle d’un Boeing 747 (compris entre 59,6 et 68,5 m selon les modèles) pour
un poids total inférieur à 930 kg. Sa charge utile est de l’ordre de 100 kg.

(531) http://en.wikipedia.org/wiki/History_of_unmanned_aerial_vehicles
(532) Traduit de l’anglais de “NASA Dryden Fact Sheet - Pathfinder Solar-Powered Aircraft” sur
www.nasa.gov
(533) Stanley R. Herwitz, Lee F. Johnson & John C. Arvesen, “Precision Agriculture As A
Commercial Application For Solar-Powered Unmanned Aerial Vehicles”, 1st AIAA UAV Conference,
Portsmouth, 2002.

490
L’allongement (534) de la voilure devient exceptionnellement grand ce qui est
connu chez les aérodynamiciens pour diminuer la traînée. En revanche, la
voilure est encore plus sujette à la déformation en flexion et la pilotabilité est
amoindrie. Les matériaux composites constituent la majorité de la structure
du drone (longerons, nervures, etc.) mais aussi celle des moteurs. Plus de 62 000
cellules photovoltaïques recouvrent la majeure partie de la voilure. Le contrôle
du drone est aussi révolutionnaire. Le pilotage en lacet est obtenu par une
répartition inégale de puissance sur les 14 moteurs électriques. Le pilotage en
roulis et tangage est obtenu par le mouvement de 72 élevons positionnés sur
le bord de fuite de la voilure.
Helios atteint 29,5 km d’altitude le 13 août 2001 et obtient un record
d’altitude non officiel toujours d’actualité. A cette altitude, la masse volumique
de l’air a été divisée par 30. Au niveau de la mer, Helios vole à la vitesse d’un
vélo de course (40 km/h). Aux altitudes de croisière (entre 20 et 30 km), du fait
de la forte diminution de la densité de l’air, la vitesse est beaucoup plus élevée
et comprise entre 100 et 270 km/h.
En 2003, la NASA installe une pile à hydrogène dans la nacelle centrale
du drone pour atteindre son objectif de vol longue endurance. Lors de son
second vol dans cette configuration, le 26 juin 2003, Helios rentre dans un mode
d’oscillation instable qui lui sera fatal. D’après la commission d’enquête (535),
suite aux turbulences, le drone a atteint une configuration extrêmement fléchie
et imprévue qui a causé une oscillation en tangage couplée avec le mode
structural fortement divergente. Le drone entraîné dans un piquet a ensuite
dépassé de manière significative la vitesse de conception ayant pour résultat la
rupture de la structure secondaire, et ainsi la perte de portance. Cet échec met
fin au programme ERAST. L’ensemble du programme aura coûté 97 millions
de dollars, la majorité étant attribuée au développement des drones solaires.
À la même période, plusieurs projets de moins grande ampleur ont vu le jour
en Europe. En Italie, le professeur Giulio Romeo de l’université Politecnico di
Torino a mené le développement de deux drones HALE solaires : le Heliplat puis
le Shampo. Le premier a été développé grâce au projet Européen HeliNet (536).
Son envergure et sa masse sont de l’ordre de celle d’Helios. Le projet est allé
jusqu’à l’élaboration et l’essai de la structure à l’échelle un. Le second est une
variante du premier et a été uniquement développé sous forme numérique durant

(534) Pour une aile droite, l’allongement correspond au rapport entre l’envergure et la corde de la
voilure.
(535) Thomas E. Noll, John M. Brown, Marla E. Perez-Davis, Stephen D. Ishmael, Geary C. Tiffany
& Matthew Gaier, “Investigation of the Helios Prototype Aircraft Mishap - Volume I - Mishap Report”,
NASA, 2004.
(536) NETwork of Stratospheric Platforms for Traffic Monitoring, Environmental Surveillance and
Broadband Services. Ce projet européen a été réalisé de 2002 à 2003 pour un budget de 4,8 millions
d’euros.

491
le projet Européen Capecon (537). Faute de financements supplémentaires, les
prototypes n’ont pas été réalisés.
En 2005, la NASA a proposé l’étude d’un nouveau prototype appelé 100-
day Demonstrator classé sans suite. En 2008, l’appel à projet Vulture de la
DARPA (538) transfère le développement des prototypes de HALE solaire vers
les industriels. L’appel à projet souhaite voir la réalisation d’un démonstrateur
capable de voler pas moins de cinq ans sans interruption. Trois avionneurs ont
répondu. Boeing et Lockeed Martin ont proposé des solutions plus « classiques »
mais ultra fiables tandis qu’Aurora Flight Sciences a proposé un drone en trois
modules interchangeables. Ces modules décolleraient séparément et si besoin, un
module pourrait revenir sur terre à tout moment. En 2010, le projet de Boeing
nommé SolarEagle a remporté la première phase du projet Vulture c’est-à-dire
la somme de 89 millions de dollars pour le développement du prototype. Ce
projet est mené en collaboration avec Qinetiq, société britannique multinationale
dans le domaine de la défense, et Versa Power Systems, leader dans les piles à
combustible. Le programme prévoit un premier vol en 2014.
Parallèlement, en Europe, Qinetiq réalise en 2008 le premier vol de son drone
solaire Zephyr. Ce drone est beaucoup plus petit qu’Helios mais possède tout
de même une envergure de 22,5 m. Son poids est de 53 kg et sa charge utile pèse
seulement 2,5 kg. Compte tenu de sa taille, les batteries pour les vols de nuit
sont des Li-S plus conventionnelles qu’une pile à combustible. Ce drone est le
premier drone solaire à avoir effectué un vol de très longue durée. Il établit du
9 au 23 juillet 2010 un vol record de 14 jours et 22 minutes en Arizona (33° de
latitude nord). En 2009, les États-Unis ont signifié leur désir de déployer un
prototype de ce drone en Irak et en Afghanistan (539). Il semblerait que cette
idée ait été classée sans suite.
tabLeau 1 : caractéristiques des drones soLaires réaLisés depuis 1974
cLassés par taiLLes
Vit.
  Pays Développement Poids CU max Envergure Plafond Endurance croisière
      kg kg m km h m/s
Helios E-U Prototype 727 100 75,0 29,5 17 34
Heliplat Ita Maquette éch. 1 620 130 73,0 18,0 4320 71
SHAMPO Ita Projet 620 100 73,0 17,0 4320 90
Centurion E-U Prototype 529 45 63,0 30,5 15 34
Pathfinder + E-U Prototype 247 68 37,0 24,4 14,8 32
Pathfinder E-U Prototype 207 45 30,0 21,8 14,5 32
Zephyr En Prototype 30 2 18,0 20,0 2160 23

(537) Civil uav application and economic effectiveness of potential configuration solutions. Ce projet
a fait intervenir une douzaine d’industriels, de laboratoires et d’universités de 2002 à 2005 pour un
budget de 5,1 millions d’euros.
(538) Defense Advanced Research Projects Agency.
(539) “États-Unis wants UK Zephyr in Afghanistan and Iraq”, Flight Global, 21 May 2009.

492
Enfin il est difficile de ne pas évoquer l’avion Solar Impulse. Ce projet a été
lancé par Franck Picard en 2003 en collaboration avec André Borschberg et
l’EPFL (540). Le défi est de parcourir le tour du monde par étape à bord d’un
avion solaire. Les dimensions de Solar Impulse sont proches de celles de Helios
avec une envergure 63,4 m mais possède une masse deux fois plus grande de
l’ordre de 1600 kg, liée notamment à la présence du pilote. La différence majeure
entre les drones solaires et l’avion Solar Impulse est l’altitude de croisière
puisque ce dernier ne dépasse pas les 8,5 km d’altitude. A ce jour, l’avion a
effectué un vol record de 26 heures et 9 minutes de vol autour de Payerne en
Suisse (46° de latitude nord).
Les caractéristiques des différents drones sont récapitulées dans le tableau 1.

Le difficiLe probLème de La conception


Les deux principales difficultés de conception sont la faible énergie
disponible et le vol aux hautes altitudes. L’énergie solaire reçue par les cellules
photovoltaïques dépend de cinq facteurs : le jour de l’année, l’heure du jour,
la latitude, l’altitude et l’inclinaison des cellules par rapport à l’horizontale.
Par exemple, la figure 11 montre l’évolution de l’énergie solaire reçue par unité
de surface, à l’horizontale, au niveau de la ville de Paris les jours extrêmes de
l’année à différentes altitudes en fonction de l’horaire du jour. Au maximum,
cette puissance atteint 839 W/m² au niveau du sol le jour du solstice d’été
à midi et 1181 W/m² dans ces mêmes conditions à 20 km d’altitude, cette
augmentation étant due à l’effet d’atténuation de l’atmosphère. Au solstice
d’hiver, cette puissance n’est plus que de 198 W/m² au niveau du sol et de 424
W/m² à 20 km d’altitude. D’autre part, l’aire sous les différentes courbes donne
l’énergie qui peut être reçue par unité de surface dans une journée. A 20 km
d’altitude, cette aire et par conséquent l’énergie est divisée par cinq entre le
solstice d’été et celui d’hiver. Il sera donc cinq fois plus difficile de voler au
solstice d’hiver à nos latitudes. Toutefois en hiver, le soleil étant très bas, des
cellules solaires restant orthogonales au rayonnement ou placées à la verticale
capteront beaucoup plus d’énergie. Cette idée est utilisée dans les projets les
plus récents en plaçant des cellules sur l’empennage arrière ou sur le fuselage
ou même sur des panneaux orientables.
Imaginons maintenant que l’on désire faire voler un drone conventionnel
avec la seule énergie solaire. Prenons l’exemple d’un drone d’observation HALE
tel que le « Global Hawk » possédant une masse totale de l’ordre de 10 tonnes et
évoluant à 640 km/h à 20 km d’altitude. Maintenir ce drone en vol à son altitude
de croisière demande une puissance propulsive d’environ 610 kW. Pour obtenir
cette puissance le jour du solstice d’été à midi et à nos latitudes, il faudrait,
en supposant que 20 % (541) de l’énergie électrique recueillie soit convertie en
puissance motrice, plus de 2600 m² de cellules solaires soit l’équivalent d’un
demi stade de football. Au solstice d’hiver et à midi, cette surface atteindrait

(540) Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne.


(541) Ce chiffre correspond au rendement des cellules photovoltaïques.

493
près de 7200 m² c’est-à-dire bien supérieure à celle d’un stade de football. Cette
surface serait encore très largement amplifiée si le drone devait continuer à voler
la nuit car une grande partie de l’énergie devrait être stockée dans des batteries.
En réalité la surface de la voilure du « Global Hawk » n’est que d’environ 50
m². Cet exemple montre qu’il est a priori très difficile de concevoir un drone
entièrement propulsé par la seule énergie solaire.

Inserer image 24 (page 425 du manuscrit)

Figure 1 : ensoLeiLLement du drone (a) au soLstice d’été et (b)


au soLstice d’hiver et puissance soLaire surFacique disponibLe à
L’horizontaLe en Fonction de L’aLtitude, à 48° de Latitude (paris),
(c) au soLstice d’été et (d) au soLstice d’hiver (crea)
Les drones solaires devront être pensés différemment (542) car ce choix
énergétique conditionne complètement les caractéristiques de ces futurs drones.
Dans l’exemple du Global Hawk , il est clair que la puissance nécessaire pour
pouvoir maintenir le drone en palier est trop grande par rapport à la puissance
solaire disponible. La puissance propulsive étant proportionnelle à la vitesse
et à la masse, le seul moyen de faire voler un drone à l’énergie solaire est de
minimiser sa vitesse et sa masse. Malheureusement les hautes altitudes visées
demandent des vitesses élevées comme le montre l’équation de sustentation.
L’équation de sustentation dit simplement qu’un aéronef est capable de se
sustenter si sa portance équilibre son poids. La portance est proportionnelle
à la masse volumique de l’air, à la surface de la voilure, au carré de la vitesse
et à un coefficient de l’ordre de l’unité nommé coefficient de portance. A ces
altitudes la masse volumique de l’air est dix fois plus petite qu’au niveau du
sol. Pour compenser ce déficit d’air à masse fixée et à surface voilure fixée, la
(542) Les Anglophones diraient “think out of the box”.

494
vitesse du drone devra être environ trois fois plus grande à 20 km d’altitude
qu’au niveau du sol (trois au carré étant proche du rapport dix). La solution
sera donc d’augmenter la surface de la voilure, de diminuer la masse du drone
et de voler au coefficient de portance maximal. L’augmentation de la surface
voilure permet d’augmenter la surface des cellules en revanche elle aura tendance
à augmenter la masse du drone. La diminution de la masse du drone ne pourra
pas aller en dessous d’une certaine limite car le poids des batteries pour le vol
de nuit est très élevé et le poids de la charge utile nécessaire aux missions de
surveillance ou de télécommunication pèsera certainement plusieurs dizaines de
kilos. Ces quelques éléments mettent en exergue la difficulté liée à la conception
de ces drones. La solution optimale naîtra forcément d’un savant mélange de
l’ensemble de ces paramètres. A l’heure actuelle, le récent appel à projet de la
DARPA, où trois solutions totalement différentes étaient en concurrence (fig.
1), montre que la solution optimale pour le drone n’est pas encore trouvée.

un exempLe de conception
La conception d’un nouvel aéronef est généralement basée sur des
approches statistiques (543). Les avionneurs possèdent suffisamment de données
et d’expérience pour créer un nouvel aéronef par simple effet d’échelle avec peu
d’innovation et peu de risques. Ceci est possible car la morphologie des avions
conventionnels est établie depuis les années 60. Dans le cas des drones solaires,
cette morphologie type n’étant pas encore établie, la conception nécessite de
revenir à des approches physiques.
Depuis 2006, l’équipe de Dynamique du Vol du CReA s’intéresse à la
problématique du drone HALE solaire et développe des modèles (544) pour
démontrer la faisabilité ou non de tels engins. Dans ce cas, le nombre de
paramètres de conception étant très grand, il est beaucoup plus efficace de
rechercher une solution optimale à l’aide d’outils informatiques dit d’optimisation
multidisciplinaires. L’objectif fixé par l’équipe est de concevoir, du point de vue
théorique uniquement, un drone capable de voler en permanence au-dessus
de la ville Paris.
Pour trouver cette solution, plusieurs types de géométries d’appareils peuvent
être envisagés : mono-fuselage, fuselage bi-poutres ou plus, aile volante, avec
ou sans panneaux solaires orientables, etc. A l’heure actuelle, ce travail s’est
limité au cas de l’aile volante.
La première part de l’activité de recherche a consisté à développer des
modèles physiques génériques, c’est-à-dire applicables à une large gamme de
drones, permettant de calculer la masse de l’aéronef pour un point de vol donné
(fig. 2). La structure est par exemple basée sur un longeron principal composite
tubulaire. Les modèles physiques sont a priori plus fiables que les modèles
statistiques même si cette philosophie n’est pas suivie dans tous les travaux

(543) Egbert Torenbeek, Synthesis of subsonic airplane design, Springer, 1982.


(544) Olivier Montagnier & Laurent Bovet, “Optimisation of a solar-powered HALE UAV with
composite wings”, 3rd European Conference for Aerospace Sciences, Paris, France, 2009.

495
sur les drones solaires (545). Contrairement à ceux qui est fait généralement
en mécanique moderne, les modèles ne sont pas numériques (méthode des
éléments finis) mais analytiques pour diminuer les temps de calculs. En effet,
l’algorithme d’optimisation doit être capable de tester plusieurs millions de
solutions dans un temps raisonnable ce qui nécessite des temps d’évaluation
très courts pour un jeu de paramètres.

Inserer image 25 (page 427 du manuscrit)

Figure 13 : détaiLs de La voiLure utiLisée pour La conception du drone


soLaire (crea)

Une seconde part du travail concerne l’optimisation de la trajectoire du


drone en altitude. L’idée ici est de stocker une part de l’énergie solaire sous la
forme d’énergie potentielle simplement en montant le jour et en descendant
la nuit. Plusieurs types de trajectoires ont été étudiés. Les derniers travaux
ont montré que l’énergie emmagasinée dans les batteries pouvait être réduite
de 5 % en réalisant une montée de 4 km d’altitude juste avant la nuit, et une
descente équivalente au début de la nuit, d’où un gain potentiel de masse (546).
La troisième partie du travail concerne l’optimisation proprement dite.
Cette optimisation a été réalisée à masse et à allongement fixés, respectivement
817 kg et 31,25 correspondant aux caractéristiques du drone Helios et à 22° de
latitude correspondant à la latitude d’Hawaii. L’algorithme d’optimisation
cherche le drone permettant de voler en continu et possédant la plus grande
charge utile. Le calcul détermine sa géométrie, les masses de ses différents
éléments dont celles de la structure, de la pile, de la charge utile, sa vitesse de
croisière, son coefficient de portance en croisière, etc. Pour ce jeu de paramètres,
le 22 juin, les calculs montrent qu’il existe un drone possédant une charge utile
de 36 kg capable de voler en continu. La solution obtenue est très proche du
drone Helios. Cependant, les résultats montrent aussi que ce drone ne pourra
pas voler en hiver à ces latitudes tropicales. Le « crash » du drone Helios ne

(545) Dans le cas du développement du microdrone solaire Sky-Sailor de École polytechnique


fédérale de Lausanne, la conception a été basée sur un mélange de modèles physiques et de modèles
statistiques. A. North, R. Siegwart, and W. Engel. “Autonomous Solar UAV for Sustainable Flights”,
in Advances in Unmanned Aerial Vehicles, Springer, 2007, pp 377-405.
(546) Olivier Montagnier & Laurent Bovet, “Optimisation of a solar-powered high altitude long
endurance uav”, 27th Congress of the International Council of the Aeronautical Sciences, Nice,
France, 2010.

496
permettra pas de vérifier ces résultats. L’optimisation sur tous les paramètres
devrait être effectuée prochainement.
Ces travaux montrent que la faisabilité d’un tel drone est difficile avec les
technologies actuelles. Cependant les progrès réguliers dans le rendement des
cellules photovoltaïques permettent d’être résolument optimiste. Les calculs ont
été menés avec un rendement de 18 % pour les cellules. Ce rendement pourrait
être doublé dans le futur (547). D’autre part, des solutions avec des panneaux
solaires orientables permettront de capter énormément plus d’énergie l’hiver
même si ces solutions poseront d’autres problèmes comme des problèmes de
stabilité et de sensibilité aux vents de travers (fig. 1).
Il est raisonnable de penser que le vol « perpétuel » grâce à l’énergie solaire
sera possible dans un futur proche. Les récents progrès dans les technologies
photovoltaïques, dans les batteries, dans les matériaux composites et dans la
miniaturisation des charges utiles électroniques permettent déjà de trouver des
drones volant plus de 24 h à des latitudes tropicales et durant l’été. Cependant,
le vecteur permettant de réaliser l’exploit du vol continu y compris l’hiver à ces
latitudes n’existe pas encore. À nos latitudes, il faudra certainement attendre
plus longtemps. L’existence d’une solution sera notamment conditionnée par
l’amélioration du rendement des cellules photovoltaïques. Enfin, on notera
l’avance prise par les États-Unis dans la réalisation de prototypes grâce à un
investissement conséquent de 190 millions de dollars depuis le début des années
90. L’Europe, en investissant environ 10 millions d’euros de 2002 à 2005, est
quant à elle plus spectatrice qu’actrice du point de vue des prototypes même
si des travaux de recherche existent sur ce sujet.

(547) Des chercheurs américains du NREL ont atteint un rendement de 40,8 % sur des cellules
appliquées au solaire à concentration.

497
498
L’insertion des drones dans
l’espace aérien non ségrégué
(aspects système)
Claude Le Tallec

L’utilisation routinière des drones dans un espace aérien partagé avec un


grand nombre d’utilisateurs civils et militaires, avec survol de population ou
de biens au sol, n’est possible qu’à la condition que leurs opérations soient
conduites en toute sécurité. Pour cela, deux conditions sont à respecter.
La première concerne la sécurité des autres usagers des aérodromes et de
l’espace aérien, la seconde concerne la sécurité des biens et des personnes au sol.
Le maintien de cette sécurité dépend en premier lieu de la principale
caractéristique qui différentie les drones des avions avec pilote à bord : la
difficulté pour le pilote au sol du drone d’avoir une conscience de la situation
analogue à celle qu’aurait un pilote à bord du drone. Cette capacité est souvent
résumée par la notion de « voir et éviter », elle doit cependant être comprise de
façon très large car elle recouvre les multiples aspects.

Inserer image 26 (page 429 du manuscrit)

Figure 1 : situation du téLépiLote au soL


Comme le montre cette figure, le pilote a non seulement des difficultés
pour assurer la fonction « voir et éviter » au sens propre, mais il a aussi une

499
conscience de l’état de son avion plus difficile à acquérir à distance dans sa
station de pilotage déporté qu’en vol dans son cockpit. Ce second point nous
mène à l’autre aspect qui conditionne une intégration des drones dans l’espace
aérien : le maintien de la sécurité des personnes et des biens au sol. Il s’agit ici
pour le drone de ne pas présenter un risque de défaillance matérielle conduisant
à un crash non maîtrisé supérieur au risque présenté par un avion avec pilote à
bord. Pour cela, leur conception doit être conforme à des normes de navigabilité
tandis que leurs pilotes doivent être correctement formés et entraînés pour
gérer leur vol de façon sûre.
La problématique générale de l’insertion des drones dans l’espace aérien
peut ainsi être illustrée par la figure 1.

Inserer image 27 (page 430 du manuscrit)

Figure 2 : insertion des drones dans L’espace aérien


L’image dans la partie supérieure de cette figure montre un drone MALE en
mission de surveillance au-dessus du château de Versailles, à quelques kilomètres
de l’approche de Roissy (avions de transport commercial au loin en arrivée sur
l’aéroport Charles de Gaulle), à proximité immédiate de l’aérodrome de Saint-
Cyr, siège d’une intense activité d’aviation générale et, bien sûr, au-dessus de
l’agglomération de Versailles dense en population.
Cette intégration est supportée par trois piliers.
Le premier concerne la navigabilité : le drone doit être conçu pour « ne pas
s’écraser trop souvent », pour ne pas échapper au contrôle de son pilote (perte
de liaison de données) et pour avoir un comportement conforme à ce qui est
attendu par son pilote (caractère déterministe de son automatisation). Pour
cela, il convient de définir des normes que devront respecter les industriels dans
la conception des drones. Ce point sera abordé au paragraphe « Navigabilité ».

500
Le second point concerne les pilotes. Ils doivent être sélectionnés, formés,
entraînés et licenciés selon des normes à définir. Ce point sera abordé au
paragraphe « Licence d’équipage ».
Le troisième point concerne les opérations du drone qui devront être
conduites dans le respect des règles de l’air. Ce point sera abordé au paragraphe
« Opérations ».
Comme illustré par la figure 2, de nombreuses actions sont en cours pour
permettre l’utilisation routinière des drones.
Au niveau international, l’OACI intervient sur ces trois piliers. Un « UAS
manual » est en cours de rédaction, il devrait être achevé fin 2013, tandis
qu’une circulaire a été publiée en 2011 pour définir les bases de la réflexion
entreprise (548). En outre, des amendements à l’Annexe 2 de lOACI ont été
proposés pour définir clairement qu’un drone est un système constitué d’une
station de pilotage déporté et d’un avion, le véhicule aérien ne peut donc être
pris en considération de façon indépendante de sa station.
En Europe, l’organisation européenne pour la sécurité de la navigation
aérienne (Eurocontrol), l’agence de sécurité aérienne européenne (EASA) et les
instances nationales régulatrices (DGAC en France) travaillent de concert et
en coopération avec la Federal Aviation Administration (FAA) américaine pour
assister l’Eurocae, l’organisation européenne pour la création de normes pour les
équipements de l’aviation civile, afin de mettre au point un cadre réglementaire
relatif aux trois piliers de l’intégration des drones dans l’espace aérien.
Enfin, au niveau international réduit aux pays membres de l’Alliance
Atlantique, l’OTAN travaille également à la création d’un cadre réglementaire
pour l’utilisation opérationnelle des drones militaires (groupe de travail FINAS).

navigabiLité
Tout aéronef utilisé de nos jours pour des activités autres que limitées à
certains vols de loisirs doit être certifié : sa conception, sa fabrication et sa
maintenance doivent être exécutées conformément à des normes qui ont été
établies afin de maîtriser un niveau de risque acceptable. Ce niveau de risque
acceptable fait l’objet de débats dans le monde des industriels et des régulateurs
du domaine des drones. En effet, si le crash d’un avion avec pilote à bord met
en péril son pilote de façon certaine, le crash d’un drone ne présente de risques
que vis à vis d’éventuelles personnes se trouvant au sol sur le lieu du crash ou
vis-à-vis d’autres usagers de l’espace aérien qui pourraient être mis en danger
lors de la chute du drone vers le sol.
Nous voyons ici que le risque que la chute d’un drone volant à basse
altitude au-dessus d’un désert ne présente qu’un risque infime d’événement
catastrophique.

(548) Unmanned Aircraft Systems (UAS) Circular 328 – ICAO 2011.

501
En revanche, le crash d’un drone tel qu’illustré figure 2 en opération
au-dessus de la ville de Versailles risque d’aboutir de façon assez probable à
un événement catastrophique.
Ces deux exemples résument le dilemme auquel sont confrontés à la fois
les régulateurs chargés de définir des normes et les industriels concepteurs
de systèmes. Concevoir un drone d’un grand niveau de fiabilité, notamment
grâce à des redondances et à des sous-systèmes de grande fiabilité, n’est pas
impossible techniquement mais très coûteux. Concevoir un système dont le
niveau de fiabilité conduirait à en réduire son usage tel que celui mentionné
plus haut (vol au-dessus d’un désert) n’est vraisemblablement pas viable d’un
point de vue commercial, mises à part quelques niches pour des opérations
très spécifiques.
Il est en conséquence vraisemblable qu’il sera économiquement intéressant
de définir des exigences de navigabilité qui seront liées aux opérations que l’on
souhaite réaliser avec le drone. C’est une nouveauté dans le monde aéronautique,
les drones seront très certainement intégrés progressivement dans l’espace
aérien au sens large, leur utilisation sera limitée par le niveau de sécurité que
leur conception permettra d’assurer.
Nous verrons plus loin que les exigences de fiabilité peuvent également
être différentes selon que le drone est civil ou militaire.

Licence d’équipage
Ce point mérite un court commentaire. S’il paraît clair qu’il convient de
créer un cadre réglementaire pour définir quelles sont les conditions à remplir
par un humain pour être autorisé à piloter un drone, cette action n’est pas
aussi simple qu’on pourrait l’imaginer.
En effet, les conditions de sélection, de formation et d’entraînement des
pilotes d’avions classiques ont été mises au point au court de plus d’un siècle
d’expérimentations plus ou moins douloureuses de solutions variées et d’un
retour d’expérience permanent. Ce processus a conduit à définir des exigences
du côté « pilote » et des standards pour la partie interface homme-machine.
Pour les drones, beaucoup d’acquis sont à remettre en question, tant dans le
domaine de l’humain qui deviendra pilote de drone que dans celui des interfaces
qui lui permettront de mener sa tâche à bien en toute sécurité.
La convergence nécessaire de la sélection d’un profil d’humain présentant
les aptitudes requises pour le pilotage d’un drone et de la définition d’une
interface homme-machine adaptée à cet usage particulier pourra être longue
à obtenir si une démarche coordonnée de définition de station de pilotage
déporté et d’analyse des caractéristiques optimales de pilote de drone n’est
pas mise en place.

502
opérations

probLématique de L’insertion dans L’espace aérien


Pour bien comprendre les problèmes posés par l’intégration des drones
dans l’espace aérien d’un point de vue « règles de l’air », il convient dans un
premier temps de bien appréhender comment sont opérés les vols et quelle est
la structure de l’espace aérien d’aujourd’hui.
Les vols de drones peuvent se faire soit en vue du pilote, soit hors vue du
pilote. La figure 2 illustre le mode d’opération en vue (Visual Line of Sight) :
le pilote voit le drone et l’espace environnant. Son rôle n’est alors pas très
différent de celui d’un pilote à bord d’un avion classique, il a une conscience
de l’environnement tant « air » (autres usagers de l’espace aérien) que « sol »
(survol de personne et de biens) comparable à celle de son homologue aux
commandes de son avion conventionnel.

Inserer image 28 (page 433 du manuscrit)

Figure 3 : opération en Ligne de vue du piLote


Dans cette figure, le contrôle aérien (ATC) a été représenté, toutefois la
majeure partie des vols de cette nature est actuellement faite sans contact des
pilotes avec l’ATC.
La figure 3 illustre un mode d’opération « hors vue » (Beyond Line Of
Sight). Le pilote ne peut appréhender la situation autour de son drone qu’à
partir d’informations de capteurs à bord du drone transmises par une liaison
de données et / ou à partir d’informations de systèmes basés à terre.
Comme indiqué, la liaison ATC / pilote est faite par l’intermédiaire du
drone du fait que les communications drone-ATC doivent aussi être reçues par
les autres usagers de l’espace aérien volant à proximité du drone.

503
Inserer image 29 (page 434 du manuscrit)

Figure 4 : opération hors Ligne de vue du piLote (bvLos-rLos)


Ainsi, dans cette figure, on remarque la présence d’une liaison drone – pilote
dénommée S&A (Sense and Avoid ou « voir et éviter ») apportant au pilote les
informations nécessaires pour qu’il ait une conscience de situation du trafic
évoluant à proximité du drone ; il doit en particulier voir les autres trafics et
éviter de s’en approcher. La situation décrite est dite « Radio Line Of Sight »
(RLOS) car une liaison radio directe est possible entre le pilote et le drone.
La figure 4 illustre un deuxième cas d’opération du drone au-delà de la
ligne de vue du pilote et également au-delà de la portée radio de la station
de pilotage. Dans ce cas, l’opération est dite « Beyond Radio Line of Sight »
(BRLOS). Le système de drone est opéré grâce à un système tiers qui peut
être un autre drone assurant le relais radio ou un satellite comme illustré ici.

Inserer image 30 (page 435 du manuscrit)

Figure 5 : opération hors Ligne de vue du piLote (bvLos-brLos)

504
S’agissant de la façon de voler dans l’espace aérien, deux régimes de vol
sont possibles pour tous les aéronefs, qu’il s’agisse d’avions classiques ou de
drones. Ces régimes de vol répondent à des règles sensiblement différentes.
Les vols peuvent être exécutés selon les règles dites « Visual Flight Rules  »
(VFR) ou « Instrument Flight Rules » (IFR). Ces règles ne seront pas détaillées
dans ce document, retenons simplement que le régime de vol VFR impose le
contournement de nuages qui n’est possible aujourd’hui pour les drones que
pour le cas du mode d’opération VLOS. Pour tous les autres modes d’opérations,
seul le régime de vol IFR est envisagé à court et moyen termes pour les drones.
Avant d’entrer plus avant dans la notion d’intégration dans l’espace aérien,
analysons sa structure et la façon d’y assurer la sécurité des vols.
De façon macroscopique, l’espace aérien est constitué de classes d’espace
(de A à G) et peut être contrôlé on non contrôlé. Dans un espace aérien
contrôlé, un contrôleur est en charge d’un certain nombre de services dans
certaines classes pour les avions volant dans un régime de vol donné. Dans un
espace aérien non contrôlé, ce sont les pilotes d’avion qui gèrent eux-mêmes
leur trajectoire en se voyant et en émettant éventuellement des messages dits
« d’auto information » sur des fréquences radio spécifiques.
S’agissant de la sécurité des vols, deux fonctions sont à assurer.
La première appelée « séparation » consiste schématiquement à ne pas faire
peur au pilote d’un autre aéronef. Cette notion de « ne pas faire peur », valable
surtout pour les petits avions volant en VFR, a cependant été codifiée plus
précisément pour les avions de transport qui doivent être séparés les uns des
autres, tant dans le plan vertical que dans le plan horizontal, par une certaine
distance. Cette fonction peut être assurée par le contrôle aérien ou par le pilote
selon les circonstances détaillées plus loin. Lorsque la séparation est assurée
par le pilote, on parle de « self-separation » aux États-Unis, celui-ci utilise sa
conscience de situation bâtie principalement à partir de ses informations visuelles
et auditives (trafic radio) pour orienter sa trajectoire afin de rester à bonne
distance de tout autre aéronef. Pour les drones, il parait difficile d’automatiser
totalement cette fonction tant les cas de figures sont nombreux et les informations
à traiter variées. Il est donc envisagé de transmettre les informations nécessaires
à la séparation au pilote au sol et de l’aider à maintenir sa séparation au moyen
d’éventuelles aides de suggestion de manœuvre.
La deuxième fonction est plus critique, il s’agit de l’évitement de collision :
il ne faut pas percuter un autre aéronef.
Cette fonction anti-collision est toujours de « responsabilité pilote », dans
tous les espaces aériens, qu’ils soient contrôlés ou non. Dans un avion avec pilote
à bord, elle est réalisée soit à partir d’une réaction de type réflexe fondée sur
l’observation par le pilote de la situation à l’extérieur du cockpit, soit à partir
d’une réaction à une alerte TCAS, équipement coopératif dédié à l’évitement
de collision dont sont dotés les avions de transport commercial de plus de 19
passagers. Dans ce dernier cas, le pilote obéit « aveuglément » à l’instruction
du TCAS. Pour les drones, il est admis que cette fonction soit assurée de façon

505
totalement automatique du fait du faible temps disponible pour réagir. Il est
toutefois prévu que le pilote puisse inhiber cette fonction si nécessaire.
La figure 5 a pour objectif de clarifier la situation quelque peu complexe
de classes d’espace aérien, de fonctions à assurer et de régime de vol utilisé
par le drone.

Inserer image 31 (page 436 du manuscrit)

Figure 6 : structure de L’espace aérien et Fonctions à assurer


Les classes d’espace aérien sont indiquées dans la partie supérieure de la
figure tandis que les fonctions à assurer sont placées dans la première colonne
à gauche du tableau.
Le tableau est divisé en deux parties, la partie supérieure (au-dessus du
trait horizontal) mentionne les fonctions à assurer. Dans la partie inférieure,
les services rendus par l’ATC sont précisés.
Dans les cases du tableau, plusieurs types de symbole ont été utilisés.

• signifie que la fonction n’a pas à être assurée ou que le service n’est
pas utile pour la classe d’espace considérée.

• signifie que service n’est pas disponible pour la classe d’espace


aérien considérée.

• signifie que l’ATC est chargé d’assurer la fonction ou de fournir


le service précisé pour la classe d’espace considérée.

• signifie que le pilote est chargé d’assurer la fonction considérée


avec sa propre vision de la situation mais est assisté par l’ATC qui lui four-
nit un service d’information de trafic.

506
• signifie que le pilote est chargé d’assurer la fonction considérée avec
sa propre vision de la situation, sans assistance de l’ATC. Il peut bénéficier
d’information de trafic donnée par les pilotes qui s’annoncent de façon
spontanée (auto-information).
Prenons deux cas à titre d’exemple.
Le premier serait celui d’un drone volant en IFR en classe d’espace aérien
C. Il bénéficie à la fois d’un service de séparation fourni par l’ATC avec les
avions volant en régime IFR (première ligne du tableau) et avec ceux volant
en régime VFR (deuxième ligne du tableau). Ce service lui permet de rendre
peu probable un risque de collision dans la mesure où la séparation fournie
par les contrôleurs est efficace.
Le deuxième exemple serait celui d’un drone volant en régime IFR en espace
aérien de classe G. En dernière colonne du tableau, nous voyons que le pilote
du drone ne bénéfice que d’un service minimum vis-à-vis d’éventuels autres
trafics IFR tandis qu’il doit assurer sa séparation avec tous les autres trafics
en ouvrant ses yeux et en écoutant d’éventuels messages radio transmis par les
autres pilotes. Le risque de collision avec un aéronef détecté tardivement est
naturellement plus élevé dans ce cas de figure que dans le précédent.
La figure 6 résume la situation sous forme synthétique. Dans tous les cas,
c’est l’UAS (le drone) qui est chargé d’assurer la fonction anti-collision (en bas
du tableau). S’agissant de la séparation, dans certaines classes d’espace aérien
et pour un régime de vol donné, c’est l’ATC qui en est chargé , dans
d’autres classes c’est l’UAS aidé par une information de trafic issue de l’ATC
ou bien l’UAS peut être livré à lui-même . Quelques cas dépendent
de la nature du régime de vol du drone ( et )

Inserer image 42 (page 438 du manuscrit)


Figure 7 : synthèse des Fonctions à réaLiser

Comme tout aéronef doit être séparé des autres trafics, nous voyons que
l’insertion des drones, s’ils volent en IFR classe A, B ou C, est facilitée : la
séparation est assurée par l’ATC dans ces classes d’espace aérien très structurées
avec du trafic coopératif. La fonction anti-collision qui reste à leur charge ne
devrait pas être très souvent sollicitée.
Le cas le plus difficile reste l’intégration des drones en classe G, qu’ils volent
en régime IFR ou en régime VFR, du fait des deux fonctions à assurer à partir
de capteurs et de conscience de la situation acquise par le pilote.

507
probLématique de L’insertion sur Les aérodromes
L’utilisation routinière des aérodromes par les drones peut être divisée en
trois cas distincts.
L’utilisation d’aérodromes non contrôlés non dédiés parait encore
lointaine car très difficile du fait du trafic très peu structuré mais très dense
qui existe à leurs abords. Le drone devrait être équipé d’un système « voir et
éviter » particulièrement efficace et d’algorithmes de maintien de séparation
très sophistiqués.
L’utilisation d’aérodromes contrôlés non dédiés ajoute le problème de la
séparation et de l’évitement au sol de trafic divers à la réalisation des fonctions
présentées précédemment et celui de l’interprétation de la signalisation au sol
et aux abords des pistes et des taxiways. Cette option n’est pas impossible si le
drone est équipé d’un système « voir et éviter » efficace à courte portée (plus
simple que celui nécessaire en vol).
L’utilisation d’aérodromes contrôlés et dédiés parait accessible du fait
de la possibilité de structurer le trafic sol de manière particulière (tous trafics
coopératifs) et de digitaliser la signalisation de l’aérodrome pour qu’elle
puisse être prise en compte sans être lue et interprétée, au sens propre, par des
capteurs du drone.

soLutions d’insertion envisageabLes d’un point de vue opération


Comme nous venons de le voir, les opérations des drones sont d’un degré
de difficulté variable en fonction de la nature de l’aérodrome utilisé et de la
classe de l’espace aérien dans laquelle est prévu le vol.
La figure 7 montre, pour un échantillon de pays européens, la position des
classes d’espace aérien en fonction de l’altitude pour les zones éloignées des
grands aéroports (partie supérieure du tableau) et en fonction de la nature des
zones terminales près des aéroports (partie inférieure).

Inserer image 43 (page 439 du manuscrit)


Figure 1 : cLasses d’espace aérien dans certains pays européens (549)
Une première remarque peut être faite sur l’hétérogénéité de la structure
de l’espace aérien en Europe…
À partir de ce qui a été décrit précédemment, nous voyons que, en France,
le vol de drones au-dessus du niveau de vol 195(19500 ft, soit environ 6000
mètres) est en classe C où la sécurité est partiellement assurée par l’ATC
chargé de la séparation. Par contre, toute la partie basse de l’espace aérien (en
dessous du niveau de vol 115 soit 3500 mètres), est de classe G, sauf dans les
zones terminales (près des aérodromes) où elle peut être, selon les cas, A, C,
D ou E. Ainsi, s’il paraît assez facilement faisable de voler haut, la montée et
la descente du drone peuvent poser des problèmes.
(549) Application of Airspace Classifications up to Fl 660 V11 at 12 Apr 07 – Eurocontrol.

508
La solution ultime pour voler dans toutes les classes d’espace serait que
tout drone puisse être équipé d’un système « voir et éviter » assurant un niveau
de sécurité vis-à-vis de la collision en vol équivalent à celui des avions avec
pilotes à bord.
La première difficulté est ici de connaître ce niveau de sécurité « équivalent »
bien complexe à définir d’un point de vue statistique. Un niveau de sécurité à
atteindre, dit « target level of safety » (TLOS), reste donc à fixer.
La seconde difficulté à surmonter, une fois ce TLOS fixé, est de construire
et valider un équipement « sense and avoid » capable de détecter tous les trafics,
qu’ils soient coopératifs ou non, dans toutes les conditions météorologiques…
Il n’est pas certain que cette difficulté puisse être surmontée un jour tant les
exigences à remplir paraissent immenses. Il faudrait en effet qu’un tel équipement
puisse être certifié, que son comportement ne soit pas trop affecté par divers
polluants en vol, que sa masse et son volume soient raisonnables et que son
coût reste abordable !
En dehors de la solution valable dès aujourd’hui d’autorisation de vol en
espace aérien ségrégué dont nous verrons un exemple plus loin, le salut paraît
résider pour les années à venir en une utilisation des drones soit en VLOS, soit
en BVLOS avec des précautions particulières de séparation assurée par l’ATC
par rapport aux autres trafics. Cette condition peut être satisfaite soit en dédiant
au drone une bulle mobile de sécurité de dimension supérieure aux séparations
allouées aux autres aéronefs, soit en réservant aux drones des secteurs d’espace
aérien dédiés gérés dynamiquement.
Pour le plus long terme, on peut envisager de modifier sensiblement les règles
de l’air en exigeant que tout aéronef soit coopératif et que la notion de « voir
et éviter » ne repose plus sur l’œil humain observant la situation à l’extérieur de
l’avion mais qu’elle repose sur des systèmes d’échanges d’information réciproques
de position et de vitesse émise par tous les aéronefs dans un environnement
proche de leur position. Ce changement serait assez fondamental et prendra
du temps. L’ajout d’une nouvelle classe d’espace aérien non contrôlé dite « G
coopératif » (ou bien modification de la définition de la classe F de l’espace
aérien, très peu utilisée aujourd’hui) pourrait être un premier pas : il s’agirait
d’exiger que les aéronefs volant dans cette classe d’espace soient coopératifs.
Enfin, il est également envisageable de positionner les capteurs de surveillance
de l’espace aérien au sol. Dans ce cas, le pilote du drone pourrait avoir une
conscience de situation fournie par un tel système (dénommé Ground Based
Sense and Avoid aux États-Unis – GBSAA, ou bien Ground Based Detect and
Avoid – GBDAA) qui lui permettrait de gérer son vol en ayant une bonne
connaissance de tous les trafics détectables par ce système sol.

queLLes appLications pour Les drones ?


Les notions de marché au d’applications possibles pour les drones sont
souvent évoquées sans lien avec les problèmes, et les solutions, d’insertion de ces
derniers dans l’espace aérien alors qu’elles en dépendent de façon fondamentale.

509
Les applications possibles sont tout simplement celles que l’on peut concevoir
à l’issue de l’exposé qui vient d’être fait.
Aujourd’hui, il est possible de faire voler des drones militaires en espace
aérien ségrégué. En effet, les exigences en terme de navigabilité sont fixées
unilatéralement par les autorités militaires, en toute indépendance vis-à-vis de
l’Agence Européenne de Sécurité. L’utilisation du Harfang pour surveiller la
célébration du 14/07/2012 à Paris est un exemple de cette possibilité. Comme
illustré sur la figure 8, les autorités militaires ont créé pour le 14/07 une série
de Zones Réglementées Temporaires (ZRT) qui, lorsqu’elles sont activées, sont
exclusivement réservées au drone. Nous voyons que l’altitude minimale de vol
prévue pour le drone est le niveau de vol FL155(4700 mètres).

Inserer image 44 (page 441 du manuscrit)


Figure 8 : zrt au-dessus de paris pour Le 14/07/2012 (550)
Le vol du drone est aussi protégé lorsqu’il décolle de Cognac (aérodrome
militaire), lors de sa montée (zone militaire) puis lors de son transit vers Paris
grâce à la création d’autres ZRT comme illustré figure 9.

Inserer image 45
Figure 9 : transit du drone harFang de cognac vers paris
Il est clair, au travers de cette description, que la complexité et la durée
de préparation d’un vol de cette nature sont dissuasives pour une application
civile, d’autant qu’il faudrait justifier de son intérêt général pour perturber de
cette façon le trafic aérien commercial classique.
Aujourd’hui, il est cependant possible de faire voler des drones sans
formalisme excessif : les applications qui peuvent être réalisées par des drones
évoluant en VLOS sont en effet possibles sans survol de population. Une fois
ces drones certifiés pour assurer la sécurité des personnes survolées, ils pourront
également évoluer au-dessus de populations.
Les applications qui peuvent être réalisées à altitude élevée (cela dépend de
l’observation qui est recherchée et des capteurs disponibles) seront possibles
dès l’apparition de systèmes « sense and avoid » valides pour les classes d’espace
aérien contrôlé A à C soit placés à bord des aéronefs, soit au sol. Avant cela,
ils pourront également l’être pour des missions prioritaires qui justifieront un
certain degré de ségrégation de trafic comme illustré par la mission du drone
Harfang au-dessus de Paris le 14/07/2012.
Les applications à basse altitude en classe G en BVLOS pourraient être
réalisées dès aujourd’hui dans des environnements où un système GBSAA
évoqué plus haut serait installé. Il est également possible de les envisager dans
un milieu où tous les mobiles seraient coopératifs, dans un milieu où le trafic est
très peu dense voire nul (« voir et éviter » inutile pour certaines interventions de

(550) SUP AIP 111/12 du 28/06/2012.

510
sécurité telle que, par exemple, lors d’un incident dans une centrale nucléaire).
Pour toutes les autres applications de cette catégorie, il conviendra d’équiper
le drone d’un système voir et éviter dont on voit mal aujourd’hui la faisabilité.

usages civiL, miLitaire ou pubLic, queLLes différences ?


Comme pour les autres aéronefs, les opérations des drones peuvent être
classées en plusieurs catégories. Pour simplifier la situation, nous noterons
qu’elles peuvent être civiles, militaires ou publiques, même si la dernière catégorie
n’existe pas encore officiellement en Europe.
D’un point de vue « sécurité de conception », la navigabilité d’un drone
civil est du ressort de l’Agence Européenne de Sécurité Aérienne (AESA) ou
des autorités de la nation dans laquelle il vole. Il devra être conforme à des
référentiels de sécurité qui ne sont pas encore finalisés en 2012. Un drone civil
ne peut donc pas encore voler de façon routinière, en dehors des problèmes
opérationnels d’espace aériens évoqués précédemment. En d’autres termes, pour
les drones civils, aucun des trois piliers de la figure 2 n’est encore consolidé.
De ce même point de vue navigabilité, celle d’un drone militaire est du
ressort du Ministère de la Défense. Le drone doit être conforme à des référentiels
de sécurité propres aux militaires qui autorisent certaines utilisations comme
celle du Harfang illustrée en 58.4.4. Le pilier « pilote » a été consolidé grâce
à un cursus de formation de pilote défini par les Armées tandis que le pilier
opérationnel est géré par la création de ZRT.
L’usage « public » des drones est envisagé en Europe pour des opérations
qui ne seraient pas militaires mais qui seraient d’utilité publique telles que la
gestion de feux de forêt ou l’intervention en cas de catastrophes naturelles.
Dans ces cas, le danger présenté par le drone pourrait être inférieur au risque
qu’il permet de minimiser par sa présence, ce qui pourrait amener les autorités
à autoriser son emploi même s’il ne présente pas la même sécurité d’utilisation
qu’un aéronef avec pilote à bord. Les piliers 1 et 3 de la figure 2 seraient donc
gérés spécifiquement – il reste néanmoins à former des pilotes pour ces missions !

evoLution de L’atm dans sesar


La description des concepts possibles d’insertion des drones qui vient d’être
faite est fondée sur la définition actuelle des classes d’espace aérien avec les
services qui y sont rendus par l’ATC. SESAR prévoit le passage des sept classes
d’espace vers trois, voire deux classes. Il reste à définir ce que seront les exigences
d’équipement des aéronefs dans ces classes d’espace et les services qui y seront
rendus par l’ATC pour transposer les concepts qui viennent d’être décrits.

511
512
Drones et le « voir et éviter » :
état de l’art et problématiques
Capitaine Daniel Gigan

« Je suis de plus en plus convaincu que les problèmes dont l’urgence nous
accroche à l’actualité exigent que nous nous en arrachions pour les considérer
en leur fond. »

Edgar Morin

avant-propos : L’intégration des drones dans La circuLation


aérienne généraLe : nécessité du « voir et éviter »
Des réflexions sur les problématiques de défense ont mis en relief
l’importance des drones dans les stratégies de défense civile et militaire (Haut
Comité pour la Défense Civile, 2007). Les drones sont des robots aériens en
général comparables, en termes aérodynamiques, aux avions pilotés. Ce sont
des systèmes complexes organisés en système de systèmes autour du vecteur
aérien à proprement dit, de la station sol lorsque celui-ci est commandé et
d’une liaison de communication entre les deux. C’est pourquoi, il est de plus
en plus commun d’appeler l’ensemble, systèmes de drones. Aujourd’hui, les
drones sont utilisés pour des opérations de reconnaissance ou de surveillance
afin d’éviter des pertes humaines dans les opérations militaires. Les civils
prévoient une utilisation en milieu urbain dans un avenir proche (Haut Comité
pour la Défense Civile, 2007). Par exemple le projet ELSA est un projet de petit
drone (inférieur à 1,5 m d’envergure) destiné à l’observation qui permettra une
surveillance urbaine dans le cadre d’une stratégie globale de vidéo surveillance
pour la police. En considérant le cas où l’Europe ou les États-Unis seraient
confrontés chaque année à de gigantesques feux de forêts, les drones pourraient
aider à la prévention et à la localisation des feux et surtout permettre de
reconnaître en permanence le contour, la progression et la puissance du feu
combattu au sol par les pompiers. Les drones pourraient être engagés dans le
suivi et la surveillance d’autres risques comme les inondations, les séismes…
ou la surveillance maritime. Par ailleurs, la surveillance aérienne est un axe
stratégique pour la défense civile en France.
Concernant le monde militaire, l’utilisation des drones tactiques en appui
des troupes dans une opération ou les utiliser pour leur qualité de persistance sur
zone dans un cadre opérationnel de renseignement, est essentielle. Mais pouvoir
s’entraîner dans des conditions opérationnelles représentatives est primordial
pour une bonne utilisation du moyen en temps de guerre. En effet, l’avenir est
aux drones de combat multi-rôles, multi-missions, autonomes et capables de
s’adapter à leur environnement. Aussi pour pouvoir effectuer des essais en vol

513
et évaluer les capacités d’un tel vecteur dans un cadre opérationnel prospectif
civil et militaire, la Direction Générale de l’Armement se doit d’élaborer
une réglementation permettant leur insertion. Ces nouvelles considérations
réglementaires pousseraient ainsi les industries à améliorer les systèmes et à
atteindre un niveau équivalent à celui de l’aviation militaire et civile hors des
espaces ségrégués (Eurocontrol, 2006) (USICO, 2004).
Pour maintenir le niveau de sécurité requis dans un espace non ségrégué,
autrement dit dans l’espace aérien général, les exigences relatives à l’intégration
des drones dans la circulation aérienne générale s’organisent sur trois axes :
intégrité des systèmes, qualifications des équipages et respect des règles de
l’air. Actuellement le point critique est le respect des règles de l’air basées sur
le principe du « voir et éviter ». Ce principe suppose la présence d’un homme
à bord du vecteur aérien, homme qui assure, par son vecteur, l’anti collision
en vol. En effet, les conséquences d’une collision en vol avec un autre aéronef
sont dramatiques. D’un point de vue humain, elles entraînent souvent la mort
du ou des pilotes mais également la mort de personnes au sol lorsque l’avion
s’écrase sur des zones habitées. D’un point de vue économique, elles entraînent
souvent la perte d’un ou plusieurs aéronefs, en plus des dégâts collatéraux au sol.
Il existe plusieurs manières de considérer le problème d’intégration des
drones. La plus simple, celle utilisée aujourd’hui, est d’utiliser les drones
dans des espaces ségrégués (Eurocontrol, 2006) (USICO, 2004). Mais cette
ségrégation rencontre des limites opérationnelles. En effet, concernant le
domaine militaire, l’entraînement dans un milieu ségrégué a rapidement ses
limites car un théâtre d’opération ne se déclenche pas forcement sur des zones
ségréguées. Dans le cas de missions de surveillance des forêts, le résultat est
le même, pour, par exemple, un feu de forêt. Aussi, pour introduire les drones
dans un espace habité et partagé, ceux-ci devront posséder des capacités de
voir et éviter permettant de faire aussi bien qu’un pilote dans son aéronef dans
des espaces aériens contrôlés comme incontrôlés. En fait, l’approche, pour
trouver une solution « voir et éviter », fait encore largement débat (Cruck, et
al., 2007). Mais une certitude est que l’application des règles « voir et éviter »
suppose la présence d’un homme à bord (le pilote). Ce pilote est, d’ailleurs, le
dernier rempart de sécurité dans un espace contrôlé et devient le seul rempart
dans un espace non contrôlé ou un espace contrôlé en supposant l’aéronef non
équipé de système de détection. D’un point de vue comptable, vingt pourcents
des incidents aériens sont dus à une collision en vol (USICO, 2004) et 99 %
des collisions en vol se produisent dans de bonnes conditions de vols, c’est à
dire avec une bonne visibilité et dans des espaces aériens non contrôlés. La
majorité de ces collisions en vol sont attribuables à une mauvaise application
du principe « voir et éviter » par le ou les pilotes à bord (Newcome, 2002). De
plus, une étude britannique a démontré que la probabilité de collision en vol
était directement proportionnelle au carré de la densité de trafic (Bureau de la
sécurité des transports du Canada, 2006). Il est donc important de s’intéresser
aux liens entre les protagonistes d’une situation de collision en vol. Aujourd’hui,
il n’existe pas de règlementations générales permettant l’insertion des drones

514
dans la circulation aérienne mais on connaît une des conditions nécessaires
permettant cette insertion : la capacité de voir et éviter.
« Voir et éviter » est une expression générique qui reflète d’une capacité
technique à évaluer si la situation aéronautique est critique et à éviter cette
situation critique. Cette performance doit être double et s’inspire de la différence
entre séparation à vue et anti-abordage (Eurocontrol, 2006). La séparation à
vue relate une action « analytique » dans le sens où le pilote a le temps d’évaluer
sa situation pour adapter son action d’évitement. A contrario, l’anti-abordage
relate une action immédiate voire « instinctive » permettant au mieux de survivre.
Notons qu’une situation de séparation à vue bien contrôlée sera autant de
situation d’anti-abordage déjouée à l’avance.
Il existe déjà des études exemples (USICO, 2004) qui apportent des
solutions technologiques pour des fonctions ou systèmes « voir et éviter »
mais ces solutions coopératives nécessitent donc que les autres aéronefs soient
équipés. Ces solutions sont également multi capteurs (brevet EP2010129907
et EP2159779 disponible sur http ://fr.espacenet.com), et bien qu’efficaces en
théorie, elles sont trop souvent complexes, notamment au niveau du traitement
d’images (brevet 2010129907) disponible sur (http ://fr.espacenet.com). Aussi
ces solutions nécessitent une implémentation technologique « lourde », coûteuse
(USICO, 2004) (Direction générale pour l’armement (DGA), 2007) (Sagem
Defense Security Technology, Confidential) (French Gouvernement, 2000)
(Muratet, et al., 2003) et ne garantissent pas un comportement homogène du
système avec les pilotes de l’espace aérien. En effet, ces derniers pourraient
alors être surpris des réactions d’un tel système et la létalité de la situation,
déjà critique, s’en trouverait augmentée.
Considérant un système de drone autonome, c’est-à-dire sans contrôle
humain déporté (pilotage à distance), comment un système peut appliquer le
principe du « voir et éviter » ? L’une des solutions est que le système de drone
le fasse aussi bien qu’un pilote humain.
Certaines études affirment que l’application du principe du « voir et
éviter » n’est pas suffisante pour résoudre le problème de séparations à vue ou
l’anti abordage et que la réponse à ce problème nécessite un « warning traffic
system » qui permet d’avoir une vision globale du trafic aérien (Bureau de la
sécurité des transports du Canada, 2006). D’une part cela suppose un système
coopératif, c’est à dire un système d’échange d’informations, d’autres part ces
études proposent des voies d’implémentation technologique de systèmes « voir
et éviter » qui ne se basent pas sur l’être humain.
Ainsi, dans des espaces aériennes non contrôlées, c’est à dire des espaces
aériens ne faisant pas bénéficier au pilote d’informations sur le trafic aérien, et
partant du principe que toutes les situations de collisions potentielles n’ont pas
mené à une collision effective, comment ferait un drone pour se sortir d’une
situation critique de collision potentielle ? Cette question met en relief un fait
important. Il faut faire la différence entre les capacités de « voir et éviter » et
leurs bonnes utilisations. En effet, le pilote sait appliquer le principe du « voir

515
et éviter », cependant ses limites physiologiques et psychologiques comme par
exemple l’attention non constante, les limitations physiologiques de l’œil à la
détection (Bureau enquêtes accidents, France, 2000) et les limitations cognitives
de façon générale (Simon, 1991)…) font que l’utilisation ou mise en œuvre
(méthodes, stratégies,…) de ces capacités n’est pas constante et sans faille. C’est
pourquoi, le plus important est, finalement, la définition et la détermination
de ces méthodes ou stratégies.
Par cette voie de conception, il a été démontré que ce nouveau type de
système « voir et éviter » possède des propriétés de modularité et de généricité
permettant une application du système à tous les types de drones, tout en
respectant le principe d’homogénéité comportemental.
De façon générale, le principe d’homogénéité comportementale dans un
système multi-agents est le principe selon lequel chaque agent, c’est à dire une
entité ayant un comportement, doit produire un comportement homogène. Cela
implique qu’un agent ne doit pas, par son comportement, surprendre un autre
agent ou être surpris par le comportement des agents avec lesquels il interagit.
Ce principe d’homogénéité comportemental est une condition nécessaire à une
transition réussie vers l’automatisation et la robotisation de l’espace aérien.
Ce principe ouvre, par ailleurs, la voie à des champs d’application pour tout
type de problématique où la cohabitation de l’homme et la machine est un défi
technologique, définissant un nouveau paradigme de conception.
Finalement, ce nouveau paradigme de conception pose les bases de
construction de nouveaux systèmes « voir et éviter » dont la validation pourrait
être effectuée dans une démarche de validation combinée de type TLOS (Target
Level of Safety) qui permet de comparer, via des constantes de sécurité pré
établies (Safety Ratio), des performances « sécuritaires » avec et sans le système
« voir et éviter » et ELOS (Equivalent Level of Safety) qui suggère un comparatif
avec un système existant qui atteint déjà le niveau de sécurité requise.
Le principe du « voir et éviter » est une condition nécessaire pour une
future intégration des drones dans l’espace aérien. Le principe d’homogénéité
comportementale, principe selon lequel un agent ne doit pas, par son
comportement, surprendre un autre agent ou être surpris par le comportement
des agents avec lesquels il interagit, redistribue les cartes des spécifications de
base pour l’implémentation d’une nouvelle technologique assurant le principe
du « voir et éviter ». Aussi, le choix de modéliser un expert pilote en situation
de collision pour élaborer une telle technologie, est une voie technologique
prospective et ambitieuse car à contre courant des recherches et recommandations
dans ce domaine (Toward the implementation of vision based S&A system, 2010).
La voie de la pluridisciplinarité est fondamentalement nécessaire pour relever
un tel défi. Aussi, les solutions proposée se devront d’être globale, résultat
d’une démarche intégrative, c’est à dire rassemblant et mettant en commun
un ensemble de concepts, d’idées et de principes modélisateurs emprunté à des
différents domaines d’études.

516
introduction
Les drones sont des robots aériens en général comparables, dans le sens
aérodynamique, aux avions pilotés. Non autonomes actuellement, la question du
partage de l’espace aérien avec des aéronefs pilotés est un sujet particulièrement
important. En effet, les drones ne peuvent voler réglementairement que dans
des espaces dits ségrégués, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de cohabitation
spatio-temporelle entre les drones et les avions pilotés. Cette réglementation
maîtrise ainsi le risque de collisions potentielles entre drones et aéronefs
pilotés ainsi que le risque d’écrasement de ces drones sur les populations au
sol après une éventuelle collision. Aussi, il existe un ensemble de difficultés
qui freinent leur intégration dans les espaces aériens surtout dans
les espaces civiles. Ces difficultés sont liées à leur faible niveau de
fiabilité dû au risque de collision avec un autre aéronef, aux écrasements au
sol et à la vulnérabilité de la « DataLink », signal de commande qui lie le
segment sol de contrôle du système au drone. Ces difficultés sont également
liées à l’absence de réglementation nationale et internationale concernant la
construction du vecteur et la circulation aérienne de ce type de vecteur aérien. Il
faut impérativement pour résoudre le problème d’intégration, garantir certaines
conditions de navigabilité et de contrôle de drones, effectuer des opérations
de maintenance nécessaires et utiliser des capteurs et des instruments fiables.
Il faut, par conséquences, de nouvelles solutions technologiques et surtout de
nouvelles normes. Or, augmenter le niveau de la sécurité des vols de drones en
utilisant des équipements redondants et plus fiables comme des commandes
robustes et tolérantes au défauts et des systèmes de diagnostiques des défauts
(Bateman, et al., 2008) afin d’éviter les écrasements au sol, tout en élaborant
des systèmes de détection des autres aéronefs coopérants (Implémentation of
collision avoidance system using tacs II to UAVS, 2005) ou non coopérants,
afin de donner aux drones l’aptitude d’effectuer des manœuvres d’évitement
en vol, entraîne un coût parfois rédhibitoire.
Ainsi le problème général peut se poser en ces termes : Comment augmenter
le niveau de sécurité du vecteur (respect des concepts de fiabilité et robustesse
des systèmes composant le vecteur) tout en garantissant son intégration dans
un espace aérien habité non ségrégué avec un niveau de sécurité aérien suffisant
sous la contrainte économique ? On voit, de suite, l’importance d’un système
qui permettrait aux drones de gérer les situations aéronautiques critiques
comme la collision en vol. Et cette même réglementation actuelle ne permet
pas aux drones d’effectuer des missions spécifiques (surveillance urbaine,
feux de forêts,…) notamment dans des zones à forte densité de populations.
L’une des conditions nécessaires permettant à ce type de mission d’exister est
le principe du « voir et éviter ». Ce principe est appliqué, depuis l’existence du
trafic aérien en 1947 dans sa forme moderne, par chaque pilote de ce trafic.
Les pilotes le mettent en œuvre pour détecter et éviter une collision en vol. Ce
principe est transmis par les formateurs aux élèves pilotes de manière empirique
mais s’inscrit de manière réglementaire dans l’application des règles de l’air.

517
Aussi, les démonstrations et objectifs de cette partie sont multiples. Le
premier est contextuel. En mettant en relief l’importance des drones civils et
militaires, il est montré que l’élaboration d’une nouvelle technologie « Sense
and Avoid » (S&A) ou en français « voir et éviter » dépend fortement de la
complexité du système de drone, dans sa conception et son utilisation. Aussi,
l’élaboration d’une nouvelle technologie générique dépend de la diversité des
drones présents sur le marché actuel et doit être simple pour une adaptation
au plus grand nombre. De plus, partant du principe que la réglementation
aérien actuelle est une constante, il est important de faire un état des lieux
des réglementations existantes et des démarches de validation pour atteindre
les niveaux de sécurité requis. Cet état des lieux mettra en relief les éventuels
manques réglementaires et les difficultés de valider les systèmes « voir et éviter ».
Aussi le deuxième objectif de cette partie est de définir les limites de ces
réglementations permettant d’atteindre le niveau de sécurité requis pour
l’intégration de ce type de vecteur dans l’espace aérien actuel. Un nouveau
principe de sécurité à atteindre pour l’autonomie des drones sera introduit :
le principe d’homogénéité comportementale de l’espace aérien. Ce principe
sera considéré comme une contrainte. Aussi, au de cette nouvelle contrainte,
le problème d’intégration des drones dans la Circulation Aérienne Générale
(CAG) sera reformulé. Pour cela, la CAG est considéré comme un espace de
cohabitation homme-machine (notion d’un système multi-agents « hybrides »).
Ainsi, en montrant la complexité par le fait que le contexte d’emploi du
drone a une influence directe sur sa conception et que cette même conception
contraint également le contexte d’emploi, il sera montré que le principe
d’homogénéité a une incidence directe et novatrice sur l’élaboration d’une
nouvelle technologie « voir et éviter ». Cette technologie permettra de répondre au
problème « reformulé » de l’intégration des drones dans la CAG. De plus, par un
exemple concret de système S&A des plus avancé, il est montré que les systèmes
actuels ne répondent pas aux objectifs de sécurité et aux recommandations
internationales dans le respect ou la contrainte du principe d’homogénéité.
Aussi, à la vue des recommandations et des réglementations actuelles,
une des réponses technologiques possibles prend sa source dans l’imitation
du pilote qui respecte depuis plus d’un demi-siècle le principe d’homogénéité.

L’importance des drones

drones civiLs
Les drones jouent un rôle capital aujourd’hui dans le domaine civil.
L’accomplissement de missions dangereuses et/ou de longue durée (par exemple
surveillance feux et incendies ou permanence sur zone de combat) nécessite une
automatisation, essentielle pour l’avenir opérationnel du monde civil et militaire.
Polyvalents et faciles à manipuler, ils fournissent des informations de surveillance
et/ou reconnaissance en temps quasi réel. Par exemple, à la surveillance des
frontières ou la surveillance maritime, les drones sont théoriquement la meilleure

518
solution. Les domaines dans lesquels peuvent s’exprimer prospectivement les
drones sont nombreux.
La surveillance et l’observation :
• surveillance des cultures et épandage agricole ;
• surveillance maritime (voies maritimes, trafic de drogue, clandestins,
détection des pollutions par hydrocarbures, localisation pour sauvetage) ;
• surveillance urbaine, et des frontières ;
• surveillance de la circulation routière et du transport de matières
dangereuses ;
• surveillance d’urgence, des volcans ou des catastrophes naturelles.
Les études scientifiques :
• étude de l’atmosphère, des sols (géologie) et des océans ;
• études et prévisions météorologiques ;
• sauvetage.
La production des films de cinéma et des reportages.
La prise des photos géographiques pour la maintenance des infrastruc-
tures (Eisenbeiss, 2006).
Le projet européen USICO a également identifié trois grandes catégories
de drones candidats à des applications civiles USICO. (Workshop on Collision
Avoidance and ATC/ATM Integration, 2004) (www.usico.org) :
1- Mini et microdrones à basse altitude :
• photos aérienne, inspection ;
• publicité ;
• épandage agricole, surveillance des cultures, garde de troupeaux ;
• expériences scientifiques, mesures atmosphériques ;
• déminage.
Il faut néanmoins remarquer que l’utilisation des mini-drones est assez
limitée, notamment à cause de l’obligation du pilotage à vue et à sa sensibilité
aux phénomènes aérologiques.
2- Drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) :
• activités étatiques (police, douane, environnement…) ;
• missions scientifiques ;
• surveillance d’infrastructures (réseau routier, ligne à haute tension…) ;
• transport de fret et/ou de passagers ;
• déminage.
Concernant ces drones, ils sont actuellement et pour la plupart, militaires,
et ne peuvent être intégrés à la CAG.
3- Drones HALE (Haute Altitude Longue Endurance) géostationnaires :
• radiodiffusion (télévision…) ;
• télécommunications mobiles ;
• environnement (incendie, pollution maritime…).
Aujourd’hui, seul le prototype Hélios (www.aerovironment.com) pose
réglementairement moins de soucis au vue des plages d’altitudes d’emploi de
ce type de drones. En effet, voler très haut peut être une solution d’évitement
des collisions mais résoudre le problème voler très haut tout en respectant le

519
type de missions civiles décrit précédemment, suggère de grandes performances
du vecteur comme par exemple atteindre une haute altitude et également de
grandes performances des systèmes associés comme par exemple des systèmes
de surveillance de grande précision. D’un point de vue technique et concernant,
par exemple, le plafond ou altitude de vol max, il est aisé de comprendre que
celui-ci est limité par le fait des forces exercées sur la structure de l’aéronef
dans le cas d’avions pressurisés. En effet, ces forces sont proportionnelles à
l’altitude. De plus le plafond peut être également limité par le faible pourcentage
d’oxygène qui est également une cause du décrochage du compresseur d’un
réacteur, dans le cas des avions à réaction, car l’angle d’incidence nécessaire
au vol à haute altitude peut entraîner des problèmes d’alimentation en air au
réacteur. En effet, la portance est proportionnelle à la densité de l’atmosphère
et au carré de la vitesse et la diminution de celle-ci doit être compensée par une
augmentation de l’incidence ou de la vitesse (limitée par le décrochage et par
la puissance du propulseur) (www.wikipedia.org). Ces quelques exemples sont
autant de problèmes techniques voire technologiques qu’il faudrait résoudre
pour assurer l’anti collision en haute altitude. Par cet exemple technique, il est
possible de démontrer que le choix du contexte lié à une mission, contraint et
conditionne fortement la conception d’un système jusqu’à même, en arriver,
à des impossibilités techniques aussi bien liées au vecteur qu’aux systèmes
associés permettant d’effectuer la mission. Ainsi, s’il est considéré une mission
de surveillance avec comme contexte d’emploi, la haute altitude, alors pour
assurer l’anti collision, on peut imaginer les performances requises du capteur
nécessaires pour effectuer une simple mission de surveillance urbaine pour
la police. De plus, outres les aspects techniques, l’environnement d’emploi
contraint fortement la réactivité et la souplesse d’utilisation dans un contexte
opérationnel donné.
Economiquement, d’après (Asencio, 2008), la surveillance de la coupe du
monde de rugby a coûté 800 euros/heure, pour un avion léger et 1000 Euro/
heure pour un hélicoptère. Concernant les drones, aux États-Unis, et plus
précisément, à Los Angeles, les services des chérifs utilisent pour la surveillance,
des minidrones, dont le coût unitaire est compris entre l’équivalent de 3000 et
10000 Euro. Un minidrone peut embarquer les mêmes capteurs de surveillance
qu’un avion léger, mais à un coût moindre.
Les exemples civils montrent l’importance des drones pour les futures
missions. Par ces exemples, il reste beaucoup de chemin à parcourir avant
de garantir l’autonomie des drones dans ce monde civil contraint fortement
par la proximité aérienne du vecteur par rapport aux populations au sol. En
effet, les types de missions civiles et la réactivité d’emploi du vecteur liés à
ces missions contraignent naturellement leur emploi dans un environnement
aérien basse altitude.
Même si le monde militaire est différent par son contexte opérationnel et
ses missions, la problématique de l’autonomie est aussi importante.

520
drones miLitaires
Les drones jouent un rôle capital dans les armées modernes. Par exemple,
les drones HALE (Haute Altitude et Longue Endurance) et MALE (Moyenne
Altitude et Longue Endurance) répondent largement aux besoins de l’armée
dans le cadre de missions de surveillance et reconnaissance. Les UCAV (drones
de combats) sont, quant à eux, utilisés pour des missions létales (bombardement)
ou non létales (brouillage offensif), comme des cibles, des pièges ou leurres,
dans des missions d’entrainement défenses sol-air et/ou air-air, simulant un
avion ou un missile ennemie.
Les États-Unis estiment que l’utilisation des drones a permis d’épargner
la vie de 1500 pilotes dans ses dernières guerres. Rapidement, les Israéliens ont
parfaitement compris l’importance et l’utilité des drones (guerre du Liban de
1982). Ainsi pendant les mois qui ont précédé l’invasion, des drones israéliens
survolaient régulièrement la Syrie pour identifier, localiser et analyser les sites
radar, missiles et canons de la défense sol/air ainsi que les bases de l’aviation
syrienne. Aujourd’hui, la IAI (Israel Aerospace Industries) a développée un drone
MALE (‘‘HeronTP‘‘ ou ‘‘Eitan’’) capable d’effectuer des vols de plus de 36 heures,
autrement dit, de voler jusqu’en Iran et revenir. D’ailleurs, ces robots aériens
ont la capacité de réaliser des missions qu’il est impossible de réaliser à l’aide
d’aéronefs classiques avec pilotes humains comme les missions longue endurance.
De plus l’absence d’un pilote à bord de l’aéronef réduit le poids, augmente la
possibilité de manœuvre (en théorie pas de facteur de charge limite autre que
structurel) et permet de manière générale une conception non humano centrée.
Sans la conception centrée humain et au vue des contraintes opérationnels,
économiques et même éthiques (il est plus facile de légitimer politiquement la
perte d’un drone que celle d’un pilote et de son avion), la conception d’un outil
aérien adapté serait plus optimale. Par exemple, la réduction de la masse du
vecteur (plus de cockpit ergonomique, ni d’appareillage de commande ainsi que
l’oxygène pour les vols à haute altitude) assure une économie d’énergie pour
voler et donne également au drone le pouvoir d’atteindre des hautes altitudes
de vols pour de plus longues endurances. Ceci devient donc possible grâce aux
drones (www.israeli-weapons.com).
D’un point de vue économique, d’après (Asencio, 2008), les drones à usage
militaire permettent une rationalisation remarquable. En éliminant l’élément
humain, on élimine les frais associés à la formation d’un pilote représentent
presque 14 % du prix d’un F16. De ce fait, le montant d’une heure de vol d’un
drone sera 18 fois moins cher que celui d’un JSF F35. Lorsque la formation d’un
pilote aujourd’hui, coûte environ 2,8 millions d’euros par an, un robot coûte
(par sa conception sans son maintien en condition opérationnel) seulement
280 milles euros. Ainsi, les américains tendent à remplacer leurs avions pilotés
en Iraq et en Afghanistan par des drones armés tel que le Predator B. l’US Air
Force affirme qu’à l’horizon 2030, 30 % de ses aéronefs de combat seront des
drones. Aussi « les militaires français craignent d’être à la traine ».

521
D’après (Partiot, 2007) dans les vingt prochaines années, les drones vont
devenir incontournables pour l’armée de l’air française, car ils apportent
à l’aviation militaire une performance qui jusqu’alors était une lacune : la
possibilité « d’occuper le ciel » et de l’occuper de manière permanente : c’est
le principe de persistance. Comme l’affirmait Monsieur Joseph Henrotin lors
d’une conférence à l’école de l’air, ‘‘ce qui manque à l’arme aérienne, c’est la
persistance’’.
Même si l’ensemble des concepts énoncés (gain économique, politique,
technique…) semblent séduire, il reste néanmoins des inconvénients.
Leurs formes ne sont pas dictées par une conception cellule et fuselage devant
abriter un être humain, d’une façon ergonomique et opérationnelle. Ainsi les
conceptions possibles (formules aérodynamiques et de propulsion prospectives)
et «optimisantes » aussi bien économiquement qu’en termes de performance
aérodynamique, ouvre un espace de combinaisons possibles très large. Aussi, de
nombreuses configurations des drones sont possibles, très différentes les unes
des autres (pratiquement une pour chaque machine) dont certaines sont très
novatrices. En fait, la forme d’un drone sera fondamentalement déterminée par
la nature et le profil de sa mission, c’est à dire son utilisation opérationnelle. Pour
chaque spécification liée à des contraintes opérationnelles voire économiques
correspond pratiquement une solution spécifique. La véritable question est :
est-ce que le besoin opérationnel conditionne complètement la conception (le
besoin conçoit le moyen) sous certaines contraintes économiques ou y-a-t’il une
limite conceptuelle pour une conception originale donnée qui va contraindre
le besoin (le moyen contraint le besoin). La situation actuelle montre une
diversité de conceptions des drones et une forte connexité des concepts missions
et du vecteur associé dont la grande limite est assurément économique mais
également éthique. En effet, peut-on vraiment concevoir l’autonomie d’une
machine dans l’espace aérien ? À cet égard et pour démonstration, les drones
ont été classés selon leurs masses et plafonds (des drones MALEs, HALEs,
UCAVs, …etc.) qui sont des facteurs de conception aérodynamique directement
liés aux besoins des missions opérationnelles.
Les drones représentent, actuellement, une des problématiques centrales sur
la scène technique et technologique internationale. Même si leur sérialisation
n’est pas encore effective, leurs rôles, leurs missions et leurs importances aussi
bien pour le monde civil que militaire ne fait plus aucun doute. Qui sont-ils,
quelles technologies les fait vivre et dans quel contexte évoluent-ils ? Le choix
d’une technologie est-il lié au type de mission ou existe t-il une base commune ?
Y a-t-il autant de boucles de contrôle que de modèles de vols différents ? Quel
est le lien entre performances et missions ?
Dans la section suivante, seront mis en relief la complexité et la diversité des
systèmes de drones. Pour cela, l’hypothèse de départ est le cadre d’une mission de
navigation classique basse ou moyenne altitude, à iso altitude avec la contrainte
d’une capacité d’emport de 100 kg pour le système de drone. On peut alors
répertorier l’ensemble des drones existants, montrant, de fait, leur diversité. Il
sera également fait une description de ces drones dans un contexte d’emploi

522
opérationnel pour montrer le lien, parfois complexe, entre performances du
drone et ces missions. Puis le drone le plus adéquat dans le cadre de l’hypothèse
mission citée sera caractérisé dans le but de démontrer le lien et les implications
du cadre opérationnel sur la conception. Ce lien conditionne le choix parmi
un ensemble de drones déjà existant. Aussi élaborer un système, qui prend en
compte cette complexité, est un vrai challenge car elle suggère une propriété de
généricité de n’importe quel nouveau système qui aurait l’ambition de s’adapter
à l’ensemble des drones actuels. En premier lieu, par un historique concis
permettant de positionner dans le temps l’importance du concept de drones et
par conséquence comprendre leur dynamique technologique et leur importance
actuelle dans le monde opérationnel et technologique. Il sera fait un état des
lieux sur les types de drones existants civils et militaires et le drone sera décrit
techniquement comme un système de système afin de montrer sa complexité
et dans le but de comprendre et d’analyser les possibilités technologiques
d’intégration de ce système dans la Circulation Aérienne Générale (CAG).

Les drones : histoire de La diversité et La compLexité

histoire des drones


Le début du vingtième siècle a été le berceau de la révolution technologique
et industrielle. Dans un le but d’acquérir une supériorité technico-stratégique,
de plus en plus d’avions et d’armes sont le fruit d’innovations. Aussi, en 1916,
le feu de la Première Guerre mondiale donne naissance à un nouveau type
d’armes : les drones (Grozel, et al., 2008) pp 25(www.wikipedia.org). Ainsi, le
premier avion sans pilote voit le jour en 1916 jusqu’au premier avion français
sans pilote construit en 1923 par l’ingénieur Maurice PERCHERON et le
capitaine Max BOUCHER. La course est lancée et les drones sont ainsi
adaptés et développés confidentiellement par l’armée américaine comme
un moyen de supériorité stratégique, pour la surveillance et les prémisses de
l’assaut conventionnel sans encourir des risques pour l’homme. Plusieurs
domaines participaient déjà au développement des drones, dont le domaine
de l’automatique qui joua un rôle capital.
Aujourd’hui, selon une étude prospective (Zaloga, et al., 2007), le marché
des drones (civils et militaires) devrait grimper de 2,7 à 8,3 milliards de dollars
américains dans les cinq prochaines années alors que le budget de la partie
R&D augmentera de 1 à 3,8 milliard de dollars américains, avec 1000 à 3000
drones construits chaque année.
Les drones ou en anglais Unmanned Aerial Vehicules (UAV), sont des
aéronefs sans pilote humain, autonomes ou pilotés à distance. Ils ont la capacité
de porter des instruments et autres objets à caractère opérationnel utile,
dans la limite d’une certaine capacité d’emport appelée « La Charge Utile ».
Chaque drone possède une hauteur de vol limitée (altitude maximale) appelée
« Plafond », et a une autonomie de vol nommée «endurance » qui peut atteindre
pour les meilleurs 48h de vol continues. Les caractéristiques techniques d’un

523
drone se déterminent finalement selon le type de drone et le type de mission
envisagée. En effet, il faut un ensemble de performances recommandées pour
une mission pour laquelle le drone peut s’appliquer. Ainsi l’environnement
opérationnel est un facteur prépondérant et capital dans la construction du
vecteur. La considération de cet environnement d’un point de vue opérationnel
et physique a de nombreuses conséquences économiques, technologiques et
technico-opérationnelles.
Aujourd’hui, il existe des catalogues de drones qui présentent leurs
caractéristiques techniques comme (Daly, 2007) et cette multiplicité a été
d’autant plus catégorisée pour les applications militaires comme précisées
dans le tableau ci dessous.
queLques catégories de drones (cr, sr et mr pour cLose, short et
medium range, en : endurance, L(mh) aLe : Low (medium, hight)
aLtitude Long endurance
Micro Mini CR SR MR LALE MALE HALE
Rayon_d’action (km) <10 <10 30 70 200 >500 >500 >2000
Alt. max (m) 250 3000 3000 3000 5000 3000 8000 5
à15000
Endurance (h) 1 <2 2à4 3à6 6 à 10 >24 24 à 48 24 à 48
Masse (kg) <5 <30 1 50 20 1250 10000 12000

tabLeau 1.1 : catégories de drones


Les systèmes de drones sont constitués en deux segments principaux (segment
aérien et segment terrestre), et de trois composants principaux, qui sont :
• les aéronefs (fuselage, avionique, propulsion, etc.) ;
• les stations de commande ;
• les systèmes de communication entre les drones et les stations de contrôle.
La figure suivante explique les liens entre les différents composants des
systèmes de drones :

Inserer image 46 (page 455 du manuscrit)

524
Figure 1.1 : système de drone
Il est à rappeler que ces avions non habités sont, en grande partie, avantageux
par rapport aux avions classiques par l’absence de l’être humain à bord.
D’une part, le remplacement du pilote humain par un pilote automatique (ou
pilotage à distance d’une base de commande terrestre) permet d’évoluer dans
des environnements hostiles et d’encourir des risques dans certaines missions
dangereuses sans mettre la vie d’un être humain en danger. D’autre part, ils
permettent des missions plus longues, et cela, en théorie, à des coûts moindres
(une heure de vol pour un drone coûte dix fois moins chers qu’une heure de
vol pour un avion avec pilote humain).
Les avantages majeurs des drones se caractérisent, d’après (Partiot, 2007),
dans :
• l’absence de mis en danger des pilotes ;
• la facilité de mise en œuvre des drones (souplesse d’emploi) ;
• les avantages économiques ;
• la polyvalence des fonctions ;
• pas d’incertitude liée à l’humain ;
• l’évolution dans des environnements « 3D » (Dull, Dirty, Dangerous) ;
• la miniaturisation possible qui permet de réduire les coûts et rejoint ainsi
le troisième point.
Néanmoins, on se rend compte que ce principe économique n’est pas aussi
manichéen qu’on puisse le penser. « Si les drones « font merveille » en Afghanistan,
les spécialistes du ministère de la Défense commencent à s’inquiéter de l’envol
de la facture déjà mis en exergue par le rapport des députés Yves Vanderwalle
et Jean-Claude Violet. En effet, les premières estimations font apparaitre que
le coût du MCO des SIDM Harfang (liaison satellitaire incluse) est du même
ordre de grandeur que celui du Rafale. Et que l’heure de vol du SDTI Spewer
est aussi chère que celle du Harfang, drone bien plus gros et complexe que celui
de l’armée de terre » Cela montre que les coûts d’utilisation et de maintien en
condition opérationnel font, en partie et à l’heure actuelle, perdre cet avantage
économique même si économiquement, cela peut s’expliquer par la non maturité
effective du produit développé.

Les différents drones


Les drones sont souvent classés en fonction type de voilure : à voilure fixe
(de type avion), à voilure tournante (de type hélicoptère) et très récemment à
voilure battante (inspiré des insectes, des oiseaux de petites tailles et de la chauve-
souris) mais également selon leur taille. L’éventail des drones est important

525
(drones allant de quelques centimètres à une quarantaine de mètres). Toutefois,
deux catégories de drones sont distinguées : ceux qui requièrent effectivement
l’assistance d’un pilote au sol, c’est à dire un système de drone composé du
vecteur à proprement dit et d’un segment sol (souvent commandé pour les phases
de décollage et d’atterrissage), et ceux qui sont entièrement autonomes. Cette
autonomie de pilotage peut atteindre la prise de décision opérationnelle pour
réagir face à tout événement aléatoire en cours de mission. Cette autonomie
constitue une caractéristique essentielle des drones futurs et conditionne
fortement le problème de l’élaboration d’un système S&A permettant une
intégration du vecteur dans la CAG. Ainsi le S&A est l’un des grands pans de
construction de cette autonomie.
L’intérêt est porté sur les drones dits autonomes, répertoriés
parmi la base de données de drones qui a été constituée (voire
Tableau 1.1) afin de pouvoir faire un choix pour réaliser la mission sous les
contraintes hypothétiques précédemment citées.
Les grandes catégories de drones sont :
Les drones tactiques (TUAV) :
• les micro et minidrones (MAV) ;
• les drones de Très Courte Portée (TCP) ;
• les drones Moyenne Portée rapides et lents (MCMM Multi Change
Multi Mission) ;
• les drones maritimes tactiques (DMT).
Les drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE).
Les drones de haute altitude et longue endurance (HALE).
Les drones de combat Unmanned Combat Aerial Vehicule (UCAV).
Il existe donc actuellement beaucoup de drones sur le marché, et pour
chaque drone ayant des performances et des compétences spécifiques, on peut
déterminer, selon un type, un certain type de mission associée. Chaque drone
est équipé d’un nombre conséquents d’instruments, de capteurs (caméras, nez-
électronique, capteurs de radioactivité, etc.) et d’objets opérationnels utiles (des
armes, des bombes, etc…), tous nécessaires pour la mission du drone.
Il est à remarquer à nouveau que la spécificité de la mission rend
spécifique le système de drone. Le drone peut être considéré comme un
système de système. Cette complexité est largement à prendre en compte dans
l’élaboration d’une technologie participant à l’autonomie du drone. Aussi, la
généricité d’un tel produit devient alors un vrai défi technologique. Aussi
une nouvelle technologie « voir et éviter » devra concentrer à elle
seule les principes de simplicité et de modularité permettant une
« embarquabilité » générique à un coût réduit.

526
inconvénients des drones et position du probLème
« voir et éviter »
L’utilisation des drones présente certaines lacunes. Dans le cas des mini-
drones, ceux-ci sont vulnérables car sensibles aux rafales du vent, les liaisons de
données entre le vecteur et le segment sol sont très vulnérables dans les zones
urbaines. Rappelons que le problème majeur, et le frein à leur mise en œuvre
et à leur conception sérialisée, est qu’ils ne sont pas encore autorisés à voler
dans un espace aérien non ségrégé, et non délimité en temps et en volume, à
cause du risque de collision en vol avec les autres aéronefs, ou éléments de
l’environnement, amenant, après une collision, le vecteur à s’écraser au sol.
Il est vrai que si on limite le vol de certains drones, comme les minis et
micro drones, à une très basse altitude, inférieure à 500 m, il serait possible de
s’affranchir facilement de ces règles. Mais, en plus des problèmes aérologiques
(vents, rafales,…), il existe, pour ce type de drone, des problèmes d’interférence
des signaux de contrôle causés par la saturation du spectre de fréquence. Cette
saturation augmente ainsi les risques de perte de signal et par conséquence
augmente le risque d’écrasement au sol.
En comparant les défauts principaux des drones stratégiques et tactiques
(Asencio, 2008) par rapport aux avions pilotés amenant à la collision, il est
constaté une différence remarquable concernant les causes d’attrition dues au
remplacement du pilote humain par un pilote automatique.

Insérer image 47 (page 458 du manuscrit)

527
Figure 4.2 : causes d’attrition des drones

Insérer image 48 (page 458 du manuscrit)

Figure 1.3 : causes d’attrition des avions piLotés


Ce remplacement a diminué les erreurs humaines qui sont, dans ce cas
d’étude principalement concentrées dans la composante sol, mais a augmenté,
en revanche, les fautes et causes techniques. Or, ce taux élevé, au niveau des
problèmes techniques dans les drones, pourrait être réduit technologiquement
et remarquablement dans les années avenirs.
Malheureusement, ce problème de fiabilité reste un frein énorme pour les
minis et micro drones à cause, essentiellement des faibles couts de développement
et d’investissement pour ce type de drone.
Mais outre les problèmes de fiabilités, les principales difficultés résident dans
l’absence de réglementation. Cette situation résumée dans l’étude européenne
USICO concernant la sûreté des drones (fiabilité du vecteur et sécurité aérienne
dans leur emploi) montre cette situation comme un cercle non vertueux. En
effet, les utilisateurs de drones attendent que les constructeurs produisent des
vecteurs qui attendent une réglementation pour les produire à grande échelle
mais les législateurs attendent que les applications civiles soient mieux définies
et délimitées pour produire une réglementation. Cette situation commence à
se débloquer notamment par des travaux au sein du JAA /Eurocontrol UAV

528
(European Organisation for the Safety of Air, 2007) ou code USAR (Brigaud,
2006) qui donnent un ensemble de recommandations technico-opérationnelles
et de consignes d’emploi nécessaires à l’intégration des drones dans un espace
aérien déjà habité.
Conventionnellement, d’après (Daly, 2007), pour insérer un vecteur dans
l’espace aérien, il y a des exigences qu’il faut satisfaire. Ces exigences reposent
sur la convention de Chicago de 1944 et les règles édictées par l’Organisation
de l’Aviation Civile International (OACI).
Elles sont constituées de trois articles assurant la sécurité aérienne :
• l’article 31 qui de la convention de Chicago qui instaure le certificat de
navigabilité, ce qui pose la question du maintien tout au long de la vie de
l’aéronef du label
• << Navigabilité Continu >> ;
• l’article 32 qui parle de brevets de licences à acquérir par les équipages ;
• l’article 12 qui fixe les règles de l’air et les emports d’équipements de
conformité nécessaires (transpondeur, TCAS, ADS-B…).
Les normes sont faites et le corpus réglementaire a été complété en 2007,
mais les aéronefs non habités n’avaient pas la permission de naviguer dans les
espaces non ségrégés, à cause du manque des équipements répondant à toutes
les exigences. L’utilisation de drones en qualité d’aéronefs d’état est possible
dans les espaces ségrégés et effectivement couvert par une série de textes,
mais leur insertion dans la Circulation Aérienne Générale (CAG) ne sera
pas possible avant une quinzaine d’années (Daly, 2007). En France, et sur le
territoire Métropolitain, les drones n’ont le droit de voler uniquement dans un
cadre de circulation aérienne militaire ségrégué, et sur certaines spécifications
de vols fonction de différentes catégories de drones classés selon les masses :
• les minidrones (masse inférieure ou égale à 25 kg ou comprise entre 25
et 50 kg) ;
• les drones tactiques, les MALE, les HALE et les UCAV.
Le 1er août 2007, un arrêté international est apparu et constitue la première
avancée importante dans les réglementations. Cet arrêté permet une insertion
et l’évolution dans les espaces aériens des aéronefs civils ou de défense non
habités pour des drones civiles prenant des photos. Le drone doit, dans ce cas,
réserver sa partie d’espace. Ainsi l’insertion des drones civils ou militaires dans
la circulation aérienne, nécessite que ces systèmes soient autorisés et certifiés.
En l’état de l’art actuel, il est impossible d’appliquer pleinement le concept voir
et éviter, mais il sera, peut être, possible de l’appliquer dans un proche avenir
(Asencio, 2008).
D’autre part et outres les problèmes d’intégration, l’utilisation des drones
de combat présente de nouveaux problèmes économiques, techniques et
juridiques. Économiquement, le prix d’un UCAV est environ égal à celui d’un
avion de chasse considérant également les coûts de maintient en condition
opérationnel. Concernant l’aspect technique, les Boeing X45-A sont automatisés,
autonomes et armés, mais les lois de la guerre interdit le déclenchement des

529
armes automatiquement. En effet, le déclenchement final doit être contrôlé
par un homme qui assure la responsabilité de l’acte de guerre. Néanmoins,
ce problème est plus complexe et pose une question éthique. En effet, même
si un télé-pilote contrôle le déclenchement des armes du drone de combat à
partir d’une station déportée de commande au sol, comment considérer un
acte de guerre au travers d’écrans, de capteurs, par exemple comme un POD de
bombardement, à l’instar d’un jeu vidéo ? C’est un problème majeur freinant
l’usage des UCAV aujourd’hui (Asenico, 2008).
En tout état de cause, la réglementation actuelle n’est pas adaptable aux
drones pour les raisons principales suivantes :
• le « voir et éviter » est lié à la présence d’un pilote à bord ;
• la notion de catastrophe aérienne fait uniquement référence à la perte
d’un aéronef en navigabilité et aux victimes à bord, sans prendre en compte
les victimes potentielles au sol.
Aussi le rêve de faire voler un drone dans l’espace aérien ne pourra, à court
terme, devenir réalité qu’en imaginant une nouvelle réglementation ou en
contournant celle actuelle. Il faudra alors l’associer à de nouvelles technologies
permettant l’emploi des drones. L’un des principaux objectifs de l’USICO,
qui va dans ce sens, est de développer des concepts et de les simuler pour une
future intégration des drones dans la CAG. Ces objectifs et études s’appuient
sur les principes suivants :
• risque : la circulation d’un drone ne doit pas augmenter les risques des
autres usagers, ni contraindre leur trajectoires ;
• conformité : les standards de navigabilité doivent être similaires à ceux
des aéronefs classiques pilotés ;
• opérations : les drones doivent s’intégrer à la circulation aérienne existante.
Partant de l’ensemble de ces constats, il ne faut, dans un premier temps,
positionner l’effort que sur un seul axe. Soit est fixée la réglementation et se
pose alors la question technologique de l’intégration pour la réglementation
actuelle. Soit il est envisagé une modification de la réglementation de telle sorte
à pouvoir intégrer les drones, au vu de la technologie actuelle.
Aussi une solution possible au problème général de l’insertion peut être
définie comme suit :
Partant du principe que sans les machines, la réglementation en vigueur
permet à un ensemble d’aéronefs pilotés de cohabiter dans le respecte des règles
de sécurité aérienne en assurant eux-mêmes leur séparation à vue et leur anti-
abordage, si la machine fait aussi bien que l’homme dans des situations critiques
similaires, alors elle pourra faire partie de cette ensemble.
En fait, l’objectif de sécurité atteint par l’application et le respect des règles
de l’air est valide parce que l’ensemble des protagonistes de l’espace aérien
appliquent de façon homogène des règles et que dans des cas autonomes (où
seul le pilote, sans le contrôle aérien, gère une situation aéronautique critique
assurant son intégrité et celle de son aéronef), cette homogénéité est également
respectée. Le principe d’homogénéité comportementale est défini comme le

530
principe selon lequel le comportement d’un pilote en toutes circonstances
aéronautiques ne surprend pas un autre pilote de l’espace aérien lié ou non
à cette circonstance c’est à dire que tous les aéronefs ont un comportement
réglementé et « humain ».
Aussi des deux questions que se posent la communauté scientifique sur
l’intégration des drones dans la CAG, celle de la technologie à utiliser et celle
de la réglementation à appliquer, la question est ramenée, au vu du principe cité
ci-avant, à une unique question technologique contrainte par la réglementation
actuelle. C’est à partir cette nouvelle formulation du problème que de nouvelles
recherches prendront leur source : imiter l’expert pilote dans sa gestion des
situations critiques aéronautiques pour élaborer une nouvelle technologie de
« voir et éviter ».

importance du « voir et éviter pour Les drones :


vers une nouveLLe technoLogie

Suite à des nombreux accidents de drones, comme celui du 25/04/2006 :


l’écrasement d’un drone américain « Predator-B » en Arizona, et ainsi qu’un
autre drone « Raytheon » en 24/08/2007 également en Arizona, les enquêtes
ont montré que le drone aurait pu éviter ces accidents s’il y avait un système
de sécurité automatique performant à bord du drone basé sur le principe du
S&A ( Detect, Sense and Avoid, FlightTech, 2008). À cause de cette nouvelle
nécessité, des récents travaux sur des systèmes S&A (Development of a Sense
and Avoid System, 2005) à partir d’une modélisation des objets détectés par la
vue humaine comme (UAV See and Avoid Systems : Modeling Human Visual
Detection and Identification, 2008) s’appuient principalement sur des techniques
de corrélation optique au travers d’algorithmes de traitement d’images souvent
complexes (Image Processing Algorithms for UAV “Sense and Avoid”, 2006.).
L’importance de cette problématique est largement démontrées par l’importance
de ceux qui s’y intéressent (La NASA et l’Agence de Défense Européenne EDA
(European Defence Agency) et d’autres encore) (Agency, 2007) (Defense, 2004).
Les Systèmes S&A doivent assurer non seulement les objectifs de sécurité, mais
offrir, à terme, de véritables possibilités de coopérations opérationnelles avec
les autres avions classiques tout en évitant la collision en vol avec les autres
aéronefs non coopératifs (Sense & Avoid for UAV Systems, 2006). Aussi, on
peut considérer que cette technologie va augmenter les performances des drones,
leurs autonomies, et les rendre plus utiles et efficaces, et qu’elle est la clé pour
l’intégration des drones dans les espaces habités.
Afin de garantir un niveau suffisant de fiabilité et de sécurité des drones,
deux sortes de technologies sont indispensables et implémentées dans les
systèmes des drones. La norme USAR (Brigaud, 2006) recommande que le
niveau de fiabilité des drones soit comparable à celui des avions militaires.
L’occurrence d’un défaut catastrophique devrait être inférieure à 1*10-6 défaut/
heure de vol. Or, des récents travaux montrent que le niveau de fiabilité des
drones est encore insuffisant. D’après (Degarmo, 2004) et (Office of the security

531
of defense, 2003), deux études réalisées sur une base de 100,000 heure de vol
effectués par des drones américains et israéliens montrent qu’environ 80 % des
incidents rencontrés par les drones sont d’origine technique tandis que 20 %
sont dus à défaillance humaine. Ainsi pour mettre en application les normes
internationales, il a été obligatoire de maîtriser ces deux types de technologies
dans les drones : la première est nécessaire pour assurer la stabilité et robustesse
aux défauts de contrôle de l’état du drone (« La Commande Tolérante aux
Défauts ») et ainsi éviter l’écrasement au sol, et la deuxième est nécessaire pour
éviter les collisions en vol avec les autres aéronefs et se base sur la surveillance
du trafic aérien. Concernant le S&A, il existe actuellement des spécifications
technologiques (European Organisation for the Safety of Air, 2007) permettant
d’intégrer les drones dans le trafic aérien.
D’une manière générale, ces spécifications mettent en relief un ensemble
de principes à respecter pour développer une technologie qui atteigne les
objectifs de sécurité. Les systèmes actuels ne respectent pas tous ces principes.
De plus, l’espace aérien est réglementé et zoné en classes d’espaces. Aussi les
questions qui restent en suspend sont : Que ce passe-t-il dans ces espaces ? Qui
est chargé des fonctions de voir et éviter dans ces zones réglementées et dans
quelles conditions de vol sont elles appliquées et/ou applicables ?

Inserer image 49 (page 462 du manuscrit)


Figure 1.4 : cLasses d’espaces aériens

Inserer image 50 (page 462 du manuscrit)


Figure 1.5 : règLes de voL
Les figures (Figure 1.4 et Figure 1.5) montrent les services disponibles
pour chaque type d’espace et les règles et conditions météorologiques de vol.
Les services ATC (Air Trafic Control) du contrôle aérien peuvent ainsi dans
certains espaces (espaces aériens contrôlés) donner des informations quant aux
trafics conflictuels (cas no1) contrairement aux espaces non contrôlés (cas no2).

Inserer image 51 (page 463 du manuscrit)


Figure 1.6 : utiLisation des organes sensorieLs dans Les espaces aériens
S&A
Cogniticien
S&
Cogniticien
Dans ces espaces non contrôlés (E, F, G), les pilotes utilisent principalement
leur sens visuel (les yeux). Le sens visuel est sollicité si un objet est présent dans
l’environnement et accessible par la vision périphérique et/ou fovéale car le
contrôle aérien ne peut donner d’information auditive permettant au pilote

532
de reconstruire la trajectoire et de déterminer si celle-ci est potentiellement
conflictuelle (Figure1.6).

Inserer image 52 (page 465 du manuscrit)


Figure 1.7 : Services de contrôle dans les espaces aériens
Concernant les drones ou UAS (Unmanned Air System), tous les espaces
nécessitent que les drones assurent leur anti-anticollision (Figure 1.7). Aussi,
on constate que si on élabore un système S&A par imitation du pilote en
considérant sa gestion des collisions potentielles dans les espaces E, F et G, il
est alors possible d’appliquer l’adage, qui peut le plus peut le moins, et affirmer
que si on élabore un système valide dans ces espaces, il le sera dans les autres.
Cette voie de recherche pour l’élaboration d’un niveau système S&A doit être
confrontée aux technologies actuelles.

état de L’art sur Les technoLogies « voir et éviter » actueLLes :


vers un cahier des charges pour de nouveLLes technoLogies

Voir et Éviter ou S&A (Sense and Avoid) est une problématique technologique
dont le but est de rendre les drones plus autonomes et moins vulnérable (Agency,
2007). Le développement de ces systèmes technologiques s’articule en trois
parties principales (UAV See and Avoid Systems : Modeling Human Visual
Detection and Identification, 2008) : Détecter, Identifier et Éviter les collisions
en vol avec des autres aéronefs ou tout autre obstacle de l’environnement
(Vollmerhausen, et al.). Le système de S&A est l’une des clés pour l’intégration
des drones dans l’espace aérien (AeroSpy). Deux tâches séparées composent
le principe de S&A : « détecter » puis « éviter ». Selon les recommandations
publiées de l’ASTM F-38 pour le système de S&A (F2411-04 DSA Collision
Avoidance), il est exigé que le drone soit capable de détecter les autres objets ou
objets aéroportés à ±15° en altitude et ±110° en azimut, et d’éviter les aéroportés
à au moins 500 ft (152,4 m) de distance qui est la distance de « Near Mid Air
Collision ». Plusieurs constructeurs industriels développent des systèmes de
S&A en essayant d’augmenter le niveau de la sécurité sans avoir de problème
de hausse des prix.
Avant de définir techniquement certains systèmes S&A existants sur le
marché, il serait judicieux de décrire le cahier des charges ainsi que les moyens
de validations des niveaux de sécurité nécessaires pour qu’un tel système
assure la sécurité aérienne et puisse, par conséquent, permettre l’insertion des
drones dans l’espacer aérien. Le lien entre validation et choix technologique
est indissociable et suggère de prendre en compte la validation dans le choix
des orientations de recherche qui mène à une technologie innovante et
répondant au besoin. Pour cela, il est nécessaire de s’appuyer sur un document
d’EUROCONTROL qui spécifie des recommandations pour l’élaboration d’un
système S&A nécessaire à l’intégration des drones militaires dans des espaces
non ségrégués (European Organisation for the Safety of Air, 2007), ainsi que

533
sur un rapport issus d’un workshop S&A pour les UAV supporté par la FAA
(Federal Aviation Administration) (FAA, 2009).
Selon (European Organisation for the Safety of Air, 2007, p.10) : « Sense and
Avoid (S&A) is a generic expression employed to reflect a technical capability
commensurate with a pilot’s ability to see and avoid other air traffic. The
primary purpose of an S&A system is to enable the UAV pilot-in-command
to perform the dual functions of separation provision and collision avoidance
normally undertaken by the pilot of a manned aircraft. Its secondary purpose
is to undertake collision avoidance autonomously if separation provision fails,
for example in the event of loss of control data-link. S&A is therefore essential
to the safe operation of UAVs outside segregated airspace. Moreover, it must
achieve an equivalent level of safety to a manned aircraft ».
Ces spécifications font partie des piliers de la mise en œuvre du principe
d’homogénéité comportementale parce qu’elles mettent en regard direct les
capacités d’un expert pilote avec ceux d’un système capable de gérer une situation
de collision potentielle. « A S&A system comprises those components which
enable a UAV to sense and avoid other airspace users in real-time ; it may be
on-board, or ground-based involving the pilot-in-command, or a combination
of both ».

La diversité des systèmes de drones doit être prise en compte


« A UAV S&A system should enable a UAV pilot-in command to perform
those separation provision and collision avoidance functions normally
undertaken by a pilot in a manned aircraft, and it should perform a collision
avoidance function autonomously if separation provision has failed for
whatever reason. The S&A system should achieve an equivalent level of safety
to a manned aircraft.
A UAV S&A system should enable a UAV pilot-in command to perform those
separation provision and collision avoidance functions normally undertaken
by a pilot in a manned aircraft, and it should perform a collision avoidance
function autonomously if separation provision has failed for whatever reason.
The S&A system should achieve an equivalent level of safety to a manned aircraft.
In essence, a S&A system should provide the ability to detect conflicting
traffic in time to perform an avoidance maneuver. The system would then notify
the UAV pilot-in command of the conflict and propose a course of action to
pass well clear. In the subsequent event of inaction or absence of override
by the UAV pilot-in command, the S&A system would maneuver the UAV
autonomously to miss the conflicting traffic.”
A UAV S&A system should notify the UAV pilot-in command when another
aircraft in flight is projected to pass within a specified minimum distance.
Moreover, it should do so in sufficient time for the UAV pilot-in command to
maneuver the UAV to avoid the conflicting traffic by at least that distance or,

534
exceptionally, for the onboard system to maneuver the UAV autonomously to
miss the conflicting traffic ».
Dans les spécifications qui précèdent, la notion importante est l’autonomie.
Elle est essentielle s’il y a une perte de « datalink » entre l’opérateur de drones
et le vecteur. Le système doit être en mesure de gérer les situations critiques
malgré cette perte. Aujourd’hui des systèmes tel le système ACAS (Airborne
Collision Avoidance System) basés sur un signal transpondeur, dépendant d’un
radar secondaire, ne répondent pas au principe d’autonomie. Cette recherche
d’autonomie est l’un des facteurs prépondérants dans la recherche de nouvelles
solutions technologiques.
« Source material theorizes on possible parameters to provide a safe and
effective S&A capability, eg detection range and the search volume defined by
azimuth and elevation that sensors need to scan. However, such assessments
should be left to Industry as part of its work on producing a technological
solution to S&A, especially since such parameters will vary according to UAV
performance (including maneuverability). For this, Industry needed guidance
on the minimum separation to be achieved between UAVs and other airspace
users. Industry should then be able to calculate the necessary parameters to
achieve this minimum separation and engineer S&A systems accordingly.
However, more than one minimum separation distance was required, and a
‘layered’ application (eg like an onion skin) may be more appropriate ».
Cette spécification donne, de façon générale, un cadre de performance
technologique pour l’élaboration d’un système S&A et pointe, en filigrane, le
principe de modularité et généricité d’un tel système (« UAV performance including
maneuverability »). La FAA prend conscience que le principe d’homogénéité
est important si l’on veut doter un UAV d’une capacité « voir et éviter ». « The
Federal Aviation Administration (FAA) recognized the need, in early 2008,
for the development of a robust foundation defining the problem of replacing
a pilot’s ability to“see and avoid” ».
Aussi, le rapport du Workshop S&A de la FAA propose globalement un
système S&A composé de deux fonctions parallèles permettant de gérer la
séparation à vue et l’anti-abordage sur la base d’un ensemble de fonctions ou
« processus » (Figure 1.8). Ces fonctions mettent en application un système
d’évitement de collision en respectant des contraintes (seuils) aéronautiques
sur des volumes centrés sur le drone. Ces volumes permettent de qualifier le
fait aérien courant en situation dangereuse et ainsi de discriminer les menaces
dans les cas de séparation à vue et d’anti abordages (Figure 1.9). Les seuils,
permettant de qualifier les menaces, sont considérés sur la base du temps
restant avant l’impact alors que le volume de collision est calibré en distance.
Dans ce cadre, la démarche envisagée et préconisée pour valider les niveaux
de sécurité d’un tel système est une démarche technologique de type TLOS
(Target Level of Safety). Cette démarche permet de comparer, via des constantes
de sécurité pré établies (Safety Ratio), des performances « sécuritaires » avec et
sans le système technologique S&A élaboré.

535
Les conclusions de ce workshop » écartent visiblement une démarche de
validation sécuritaire type ELOS (Equivalent Level of Safety) qui suggère
un comparatif avec un système existant qui atteint déjà le niveau de sécurité
requise. Ce type de validation suggère clairement une comparaison avec le
pilote dans l’espace aérien.

Inserer image 53 (page 468 du manuscrit)


Figure 1.8 : Fonctions permettant de voir et éviter pour La séparation à
vue et L’antiabordage

Inserer image 54 (page 469 du manuscrit)


Figure 1.9 : voLume de coLLision et seuiLs des menaces en séparation à
vue et antiabordage

On voit alors que la réponse technologique au problème du S&A doit être


au minimum contrainte par l’ensemble de ces recommandations (Eurocontrol
et FAA). Mais le choix de validation préconisé par la FAA, ne prend pas en
compte le principe d’homogénéité comportementale.
Aussi, les questions qui se posent sont :
• est-ce que les systèmes S&A actuel répondent à l’ensemble de ces recom-
mandations précisées par Eurocontrol et la FAA ?
• quelles sont les limites techniques actuelles et quelles sont les possibili-
tés au vu des ces recommandations et validations des niveaux de sécurité ?
Par un exemple pratique, il est possible de se forger une idée (limites,
possibilités,…) des technologies actuelles, d’alimenter des réflexions pour définir
les objectifs et ambitions technologiques au vu de l’état de l’art concernant les
technologies S&A et des recommandations citées précédemment. Ces objectifs
et ambitions technologiques seront définis dans le paragraphe discussion et
dans la synthèse de ce premier chapitre,

un exempLe pratique et actueL


Technologiquement, les deux principales parties du système S&A sont :
• Partie détection : Dans cet exemple, elle est composée 4 cameras qui
peuvent détecter, identifier et classifier les obstacles mobiles et station-
naires ayant la capacité de filmer de jour comme de nuit. Un radar loca-
lise exactement la position des obstacles dangereux et un algorithme de
régulation traite les données envoyant les informations à un système d’évi-
tement. Les informations obtenues sont transformées en données grâce à
un micro-processeur situé dans la partie frontale du drone. Une fois que le
système de S&A acquière ces données, celles-ci seront traitées et analysées
par un programme informatique implémenté dans le système générant la
commande ou l’action décisionnelle envoyée au système de contrôle pour
agir sur les actionneurs (partie évitement).
• Partie d’évitement (contrôle) :

536
Inserer image 55 (page 470 du manuscrit)
Figure 1.11 : schéma de contrôLe du système s&a
De nombreuses recherches traitent le développement de ce système et des
algorithmes de traitement d’images acquises telles que (Development of a
Sense and Avoid System, 2005) et (Carnie.R., et al., 2006).
Ici, va être décrit sommairement un exemple de système S&A, l’un des plus
abouti actuellement. Cette description a pour but de positionner les objectifs
technologiques du prototype proposé dans ce travail.
Des recommandations sont publiées par le comité « ASTM F-38 » pour
les systèmes de S&A (F2411-04 DSA Collision Avoidance) (AeroSpy), qui
exige que le drone aura la capacité de détecter les obstacles dans un champ de
±15° vertical et ±110° azimut, et éviter les obstacles dans une distance ³ 500 ft
@ 152,4m (distance de sécurité pour éviter la collision en vol). Mais il n’existe
pas encore aujourd’hui de standard pour certifier un tel système, même si de
grandes compagnies comme « AeroSpy » travaillent sur le sujet qui considère
la technologie de S&A comme une technologie clé. La solution n’est pas de
laisser une grande distance entre les obstacles et le drone mais de l’éviter dans
des cas critiques comme un pilote expert. AeroSpy présente une technologie
pour assurer la sécurité de l’avion dans des cas critiques. Ce système est basé sur
une interprétation géométrique, et l’évitement est effectué pour des obstacles
statiques ou dynamiques, coopératifs ou non coopératifs. Le système S&A
recommande une commande robuste et des capteurs fiables et performants
décrits figure 1.12.
La figure I.8 illustre l’architecture de contrôle du système S&A développé
par AeroSpy.

Inserer image 56 (page 471 du manuscrit)


Figure 1.12 : interprétation géométrique du système s&a (aerospy)
Les ingénieurs de cette société considèrent le drone volant dans la direc-
tion de l’axe X et allant vers un point cible. Les capteurs doivent détecter l’obs-
tacle avant une distance de sécurité Ro et d’effectuer un virage avant d’une
distance dangereuse Rrisk jusqu’à la disparition de l’obstacle. La méthode
pour déterminer la trajectoires du mobile en collision vers la le point cible
n’est pas communiquée, mais au vue de la figure 1.12 référencée à la descrip-
tion du système, on peut supposer que seules les trajectoires de collisions rec-
tilignes sont considérées et que le moyen de les déterminer est directement lié
à la constance dans le temps des angles, angles sous lesquels se voient les deux
acteurs de la situation de collision.

Inserer image 57 PAGE 471 DU MANUSCRIT

537
La stratégie de contrôLe
La stratégie de contrôle est implémentée comme un système d’état alors
nourrit de mesures directes (via les capteurs) régulant le système. De plus, la
loi de contrôle est robuste considérant les incertitudes dans les mesures de
distance et de taille du mobil directe (w2 w1)

Inserer image 58 (page 471 du manuscrit)

, w1 ³W1

Inserer image 59 (page 471 du manuscrit)

, w2 ³W2

Les capteurs
La boîte des capteurs se compose de quatre caméras (Figure 1.10) qui
détecte, identifie et classifie les obstacles statiques ou dynamiques. Un radar est
utilisé et à pour but de préciser la position exacte de l’obstacle. Les informations
acquises par les capteurs, seront traitées dans un algorithme de classification
implémenté sur un micro-processeur. Cet algorithme paramétrable peut être
développé et implémenté sur différentes plates-formes de drones et peut donc
répondre aux différentes exigences spécifiques des missions.

spéciFications techniques
Paramètre Technique Valeur
Le volume le plus petit à détecter 2 m dans un rayon de 200 m
La distance de séparation Variable
L’angle horizontal ±110°
L’angle vertical +30°/-100°
Ligne de vue ~10 s avant que le manœuvre d’évitement commence
La consommation d’énergie ~100 W
Le poids 1,5 kg max
Les capteurs 4 caméras et 1 Radar
La sortie des données Port Série et WLAN antenne
La sécurité Stratégie de Contrôle Robuste

tabLeau 1.2 : spéciFications techniques du système s&a présenté par


aerospy

traitement d’images
Le système S&A contient dans son algorithme une partie de traitement
d’images en temps réel. Après avoir détecté l’obstacle, l’algorithme l’identifie
analyse la situation afin de prendre une décision d’évitement. Ces images captées
par les caméras du système S&A peuvent être transmises directement au pilote

538
à la base terrestre. Des algorithmes d’apprentissage (par réseaux de neurones)
pour la classification des objets à détecter sont pré-câblés dans le système.

Inserer image 60 (page 473 du manuscrit)


Figure 1.13 : traitement d’image obtenue par un système s&a
Dans cet exemple, les caméras du système S&A ont détecté un objet dans
l’horizon, elles agrandissent l’image de cet objet, et elle envoie ces informations
à l’algorithme de traitement qui transforme ces information en données, le
système élimine le bruit (les nuages dans ce cas) et identifie l’objet par corrélation
optique (un avion de chasse dans ce cas là). Puis le système de S&A prend une
décision d’évitement la collision avec cet avion identifié.

discussion
La problématique du « voir et éviter » est complexe. Outre l’objectif de
sécurité à atteindre, l’élaboration d’une telle technologie doit prendre en compte
la diversité des systèmes de drones et des missions qui contraignent cette nouvelle
technologie à respecter un principe d’autonomie afin que ceux-ci puissent
répondre à l’objectif de sécurité sans dépendre de l’opérateur humain. Cette
nouvelle technologie doit également posséder des propriétés de modularité et
de généricité afin que le système puisse s’adapter facilement à la diversité des
vecteurs de drones actuels mais également respecter un principe de simplicité
qui permettra une implémentation pour diverses missions notamment en
réduisant le volume et le poids du système. En effet, si le système S&A prend
la place de la charge utile, il n’y a pas d’intérêt de produire un système de drone
qui ne fait que voir et éviter.
Les systèmes S&A décrits, dans cette partie, répondent à un certain
nombre de contraintes et principes énoncés précédemment. Mais comme
beaucoup de systèmes actuels les principales faiblesses des systèmes S&A sont
la technologie multi-capteurs et le traitement d’images utilisées qui ont en
font des systèmes parfois trop complexes, volumineux et couteux. En effet, la
plupart des technologies actuelles sont basées sur des solutions multi-capteurs
comme les brevets EP2115665, EP21159779(http ://fr.espacenet.com) et brevet
WO2010129907(http ://www.uspto.gov) avec des traitements d’images à base
de flux optique ou de méthodes de convolutions. Ces solutions nécessitent une
grande complexité algorithmique comme la solution S&A associée au brevet
US20070210953(http ://www.uspto.gov). De plus ces solutions ne respectent
pas le principe d’homogénéité comportementale et leur système de détection
n’assure une détection relativement simple en termes de traitement d’images
que dans une limite temporelle proche de la collision imminente (brevet
WO2010129907). Ainsi la généricité d’un tel système est largement compromise
par le fait que l’adaptation de ce type de système S&A, sur un panel de drones
allant des mini-drones jusqu’aux drones HALE, dans des situations critiques
de séparations à vue et d’anti-abordage, dépende fortement des progrès dans
le domaine des capteurs optiques et du traitement d’image. De plus, on ne

539
peut assurer que ces systèmes, par leur manœuvre d’évitement, respectent le
principe d’homogénéité comportementale. Ainsi on ne peut dire si ce type de
système va surprendre les autres usagers de l’espace aérien et par conséquent
augmenter les situations critiques. De plus, la plupart de ces systèmes suivent
une démarche de validation TLOS (Target Level of Safety) qui n’appréhende
pas le principe d’homogénéité comportemental.
Les drones sont maintenant présents sur la scène technique et technologique
internationale. Même si leur sérialisation n’est pas encore effective, leurs rôles,
leurs missions et leurs importances aussi bien pour le monde civil que militaire
ne font plus aucun doute. Ils ont été utilisés pendant ces dernières guerres comme
des moyens de supériorité stratégique notamment par les armées américaine et
israélienne. Ils sont très avantageux par rapport aux avions habités. L’absence
de l’être humain à bord leur donne une souplesse d’emploi, une polyvalence des
fonctions, une précision relativement élevée ainsi qu’une persistance temporelle
(pas d’incertitude et de risques liés aux ressources cognitives limitées de l’humain).
Non autonomes et pilotés, dans la plupart des cas, à distance d’une base de
commande terrestre, ils s’utilisent dans des environnements hostiles et peuvent
encourir des risques dans des missions dangereuses sans mettre la vie d’un
être humain en danger. Ils sont aujourd’hui les aéronefs les plus endurants, et
cela à moindres coûts. Une heure de vol pour un drone coûte dix fois moins
chères qu’une heure de vol pour un avion avec pilote humain. Quelque soit
le type de mission, longue durée, et/ou dangereuse, il est toujours possible de
créer un drone adéquat à cette mission. Les drones jouent un rôle capital dans
le développement prospectif des missions militaires et civiles. Actuellement,
dans le domaine de la surveillance et de la reconnaissance, ils sont la meilleure
solution, devenant un outil redoutable et performant.
Finalement le drone est une récente évolution dans le domaine aéronautique
ouvrant des nouveaux champs d’applications et développements dans plusieurs
domaines civils et militaires, techniques et technologiques. Grâce aux nombreux
avantages de ce type de vecteurs aériens, celui-ci prendra prospectivement sa
place, offrant un panel de nouvelles applications et perspectives. Mais ces
aéronefs autonomes ont aussi des lacunes. N’étant pas totalement sécurisés
(risque de collision), à cause du manque de modèle de simulation et de logiciels de
commande aussi performants qu’un pilote expert, à cause de problèmes éthiques
et des manques réglementaires, la cohabitation de l’homme avec la machine
n’est pas chose faite, freinant par ailleurs leur intégration, leur circulation et leur
sérialisation. Des tentatives de réglementations pour intégrer des drones dans la
circulation aérienne existent mais il faut également développer, en parallèle, des
systèmes de drones autonomes par le biais de technologies capables d’identifier,
de designer, de suivre automatiquement des cibles, de prendre des décisions,
tout en assurant le diagnostic de problèmes associés à des protocoles d’urgence
dans le cas où une situation critique technique ou aéronautique surviendrait.
En conséquent, le chemin technologique amenant à la maturité est encore
long mais l’une condition nécessaire identifiée est l’application du principe du
« voir et éviter » donnant aux drones la capacité de détecter et d’identifier les

540
autres vecteurs aériens dans un but d’évitement automatisé et dans le respect
du principe d’autonomie, tout comme le ferait un pilote expérimenté.
L’une des manières de produire un nouveau système S&A, qui applique
les règles du voir et éviter, est de respecter le principe d’homogénéité
comportementale. Le respect de ce principe oriente les futurs développements
technologiques vers l’imitation du pilote expert face aux situations de collision
potentielles sans remettre en cause la réglementation actuelle. À contre-courant
des recommandations de la FAA concernant la validation des niveaux de sécurité,
ce nouveau paradigme de conception établit les bases d’une démarche ELOS.

541
542
CHAPITRE 9

LES DRONES
AU CŒUR DES DÉBATS

543
544
Les drones, futurs objets
d’Arms Control ?
Capitaine Grégory Boutherin

S’ils sont porteurs de nombreuses évolutions dans la conduite de la guerre


au point d’apparaître comme un véritable multiplicateur de force, les drones – et
plus exactement les drones armés – rencontrent pourtant un certain nombre
d’oppositions. Celles-ci sont essentiellement le fait de considérations éthiques
ou résultent de l’emploi très spécifique que peut en faire la CIA dans le cadre
d’éliminations ciblées (targeted killings).
Ces condamnations – de la plate-forme et/ou d’un emploi particulier –
sont aujourd’hui relayées par un certain nombre d’organisations issues de la
société civile. Ce mouvement de contestation, s’il est encore limité, laisse alors
entrevoir les prémices de ce qui s’apparente à une campagne anti-drones dont
l’un des objectifs est de parvenir à « un régime de maîtrise des armements pour
réduire les menaces que font peser ces systèmes » (551). Cette campagne reste
encore peu organisée et n’a pas conduit, à ce jour, à de grands rassemblements
de protestation comme ont pu, ou peuvent, le connaître d’autres systèmes
d’armes. N’en demeure pas moins que cela témoigne de l’existence d’un débat
naissant autour, notamment, des drones armés.
Le Conseil des droits de l’homme de l’Assemblée générale des Nations
Unies s’est d’ailleurs intéressé de près aux termes de ce débat par l’intermédiaire
de son rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou
arbitraires qui, en 2010, fut l’auteur de deux rapports traitant respectivement
des targeted killings et de la « robotique létale ». Il s’est notamment inquiété cette
occasion des implications de la robotisation militaire et de l’autonomisation des
systèmes létaux. L’un des rapports concluait ainsi sur la nécessité « d’examiner
d’urgence les incidences juridiques, éthiques et morales de la mise au point et
de l’utilisation de technologies robotiques » et appelait à la convocation d’un
« groupe de représentants militaires et civils des États, d’autorités éminentes
dans le domaine des droits de l’homme, de philosophes et d’éthiciens, de savants
et d’entrepreneurs » (552).
Faut-il alors en conclure que l’arms control a trouvé avec les drones un
nouvel objet de négociations ? Trois raisons méritent que cette question soit
posée. Premièrement, cette campagne n’est pas sans rappeler, toute proportion
gardée, les mouvements contre les armes nucléaires ou, plus encore, contre les
mines antipersonnel et les armes à sous-munitions (ASM). Or rappelons-nous

(551) International Committee for Robot Arms Control, Mission Statement, voir : <http  ://www.
icrac.co.uk/mission.html>
(552) A/65/321, Rapport intermédiaire du rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires, Assemblée générale des Nations unies, 23 août 2010, § 48, p. 25.

545
que la société civile avait été un acteur de premier plan lors des négociations qui
ont abouti à la signature des conventions d’interdiction de ces deux dernières
catégories d’armes. La problématique mérite ainsi de retenir l’attention.
Deuxièmement, si des discussions sur un régime de maîtrise des armements
venaient à être initiées, il est essentiel de ne pas avoir à les subir. S’il ne s’agit
pas nécessairement de les initier, il convient en revanche a minima de pouvoir les
anticiper. Par ailleurs, si elles venaient à être lancées, peut-être faudrait-il même
en être moteur, au moins dans les phases finales, afin de pouvoir défendre les
intérêts nationaux de la même manière qu’a su le faire la délégation française à
propos des armes à sous-munitions : « la France comptant parmi les rares pays
en dehors des promoteurs du processus à avoir pesé sur le texte de la négociation
elle-même. Elle a ainsi été l’un des artisans du consensus final de la Conférence de
Dublin (…) ce qui contraste nettement avec l’expérience négative du Processus
d’Ottawa, rallié en catastrophe sur décision politique et sans conditions ni apport
réel à la négociation » (553). Enfin, il est important de prendre en compte cette
problématique afin de pouvoir préserver l’apport opérationnel des systèmes
d’armes opérés à distance qui, chaque jour, démontrent leur utilité sur les
théâtres d’opérations.

société civiLe et campagne antidrones


La société civile joue traditionnellement un rôle dans les grands débats
entourant l’arms control, à des fins d’informations, de sensibilisation ou
d’expertise, en qualité d’observateur dans les grands cycles de négociations – on
pense par exemple aux conférences d’examen du Traité sur la non-prolifération
des armes nucléaires et à leurs comités préparatoires – ou, plus récemment,
avec les mines antipersonnel et les armes à sous munitions, comme animateur
voire entrepreneur de normes. Certains observateurs relèvent d’ailleurs que
c’est « essentiellement avec le processus d’Ottawa que s’est manifestée une réelle
imbrication des ONG dans une négociation de désarmement » (554).
Les débats portant sur les drones ne font pas exception à ce qui apparaît
comme une nouvelle règle des relations internationales. C’est même très largement
la société civile qui relaye craintes et critiques quant à ces systèmes. Son poids
peut bien sûr apparaître relatif, d’autant plus qu’il n’existe à proprement
parler qu’un seul mouvement œuvrant spécifiquement pour un régime de
maîtrise des armements opérés à distance et autonomes. De fait, le poids de la
« campagne » anti-drones peut apparaître limité en termes de sensibilisation,
de mobilisation et de lobbying. Il est évidemment d’autant plus relatif si on le
compare à celui que peuvent ou ont pu avoir les différentes campagnes contre
les armes nucléaires, la Campagne internationale pour l’interdiction des mines
antipersonnel ou la Cluster Munitions Coalition.

(553) Camille Grand, « La Convention sur les armes à sous-munitions et le Processus d’Oslo. Une
négociation atypique », Annuaire français de relations internationales, 2009, vol. 10.
(554) Maurice Bleicher, « Le Processus d’Ottawa : succès sans lendemain ou nouveau modèle de
conduite des négociations en matière de désarmement ? », Forum du désarmement, 2000, no 2, p. 79.

546
Pour autant, si le mouvement anti-drones ne semble qu’en être à ses
prémices, avec un réseau encore peu structuré, on ne peut en nier l’existence, ne
serait-ce parce que les processus d’Ottawa et d’Oslo ont révélé un rôle certain
de la société civile dans le champ de la maîtrise des armements.

L’internationaL committee For robots arms controL


Principal animateur de la campagne, l’International Committee for Robots
Arms Control a été fondé en septembre 2009 à l’initiative de quatre universitaires :
Noel Sharkey (professeur d’intelligence artificielle et de robotique à l’université de
Sheffield, Royaume-Uni), Robert Sparrow (spécialisé en philosophie politique et
éthique appliquée, de l’université de Monash, Australie, et actuellement Visiting
Fellow au Centre for Values, Ethics, and the Law in Medicine de l’université de
Sydney), Jürgen Altmann (physicien à la Technische Universität de Dortmund,
Allemagne) et Peter M. Asaro (philosophe des sciences et professeur à la New
School University de New York). À leurs côtés, le comité compte moins d’une
dizaine de membres pour moitié universitaires (555). Si l’ICRAC pourrait ainsi
rappeler, dans une certaine mesure, les collectifs de professionnels engagés
en faveur de l’abolition des armes nucléaires, il n’exerce pas véritablement le
même pouvoir d’attraction et ne fédère pas encore de nombreux adhérents
comme cela peut par exemple être le cas de la Campagne pour le désarmement
nucléaire (35 000 membres) (556). Le fait que l’ICRAC soit relativement jeune
est un élément d’explication. Cela étant en mars 2004, la Cluster Munitions
Coalition, qui réuni aujourd’hui près de 350 ONG, regroupait déjà autour d’elle
82 ONG de 21 pays lors de son workshop alors même qu’elle avait été lancée
moins de 4 mois plus tôt (13 novembre 2003).
Au regard du développement de la robotique militaire et des dangers que
« cela pose à la paix et à la sécurité internationale et aux civils dans la guerre »,
l’ICRAC a lancé un appel à la communauté internationale pour initier de
toute urgence une discussion sur un régime de maîtrise des armements afin de
réduire la menace que font peser ces systèmes. L’un de ses fondateurs, Jürgen
Altmann, appelle ainsi à un arms control préventif expliquant que l’arms control
« habituel » limite les quantités ou les qualités d’armements que les États ont
déjà dans leurs inventaires alors que « l’arms control préventif intervient à
un niveau préalable – il interdit ou régule les nouvelles technologies ayant des
fins militaires, les substances ou les systèmes militaires n’ayant pas encore été

(555) À savoir le professeur Lucy Suchman (anthropologue et sociologue à l’université de Lancaster),


Niklas Schörnig (chercheur au Peace Research Institute Frankfurt), Mark Gubrud, (physicien,
université du Maryland), Frank Sauer (chercheur au département de sciences politiques de l’université
de la Bundeswehr), Steve Wright (professeur à la Leeds Metropolitan University et également
membre, notamment, de Pugwash UK), Samantha Rennie (consultante indépendante, S.  Rennie
avait précédemment dirigé le Partnerships Initiative of the Diana Princess of Wales Memorial Fund,
particulièrement actif dans le cadre de la Cluster Munitions Coalition, et dirigé Handicap International
au Royaume-Uni) ainsi que Thomas Nash et Richard Moyes, respectivement directeur et chef de la
politique de l’ONG britannique « Article 36 » dont l’objet est d’œuvrer contre les maux causés par
certains types d’armements.
(556) Lawrence S.  Wittner, « Où en est le mouvement pour l’abolition nucléaire ? », Forum du
désarmement, 2010, no 4, p. 4.

547
introduits » (557). Altmann souligne qu’il « est recommandé de s’interroger sur le
fait de savoir si la sécurité internationale – et la sécurité nationale des pays pris
individuellement – ne serait pas mieux servie en prévenant ou en limitant tout
d’abord ces systèmes, c’est-à-dire par un arms control préventif » (558).
Les membres de l’ICRAC proposent que ces discussions portent autour des
thèmes suivants : le potentiel qu’ils ont d’abaisser le seuil des conflits armés ;
l’interdiction du développement, du déploiement et de l’emploi des systèmes
armés autonomes inhabités ; la limitation de la portée et des armements pouvant
être emportés par des systèmes inhabités ayant un « homme dans la boucle » et de
leur déploiement dans des postures menaçant d’autres États ; l’interdiction de
doter les systèmes inhabités d’armes nucléaires ; l’interdiction du développement,
du déploiement et de l’emploi d’armes robotisées dans l’espace (559).
En dépit de cette volonté affichée d’inscrire les systèmes opérés à distance et
autonomes à l’agenda de la maîtrise des armements, les actions restent encore
limitées. Outre les nombreuses publications, interviews et participations à des
conférences de ses principaux membres, la principale action de l’ICRAC fut
l’organisation d’une conférence tenue du 20 au 22 septembre 2010 à la Humboldt-
Universität de Berlin sur le thème Arms Control for Robots – Limiting Armed
Tele-Operated and Autonomous Systems. Un certain nombre de thèmes avaient
pu être abordés lors de cette conférence parmi lesquels : l’emploi des drones
armés, notamment au Moyen-Orient et au Pakistan, les drones et le droit
international humanitaire, un certain nombre de questions d’ordre éthique dont
celle de savoir s’il est possible de programmer éthiquement un système armé
autonome, les armes robotisées et le jus in bello, la prolifération des systèmes
de drones ou encore leur éventuel emploi par des groupes terroristes. À côté
de ces questions, la conférence de l’ICRAC s’est également penchée sur des
aspects relevant plus précisément de l’arms control : les systèmes armés à la
lumière des traités de maîtrise des armements existants, les limitations qualitative
et quantitative, des aspects liés à la vérification ou encore les enseignements
pouvant être retirés des Processus d’Ottawa et d’Oslo (560). À l’issue de ces
deux journées, Noel Sharkey s’était ainsi réjouit qu’« enfin débute la discussion
internationale sur la manière dont on devrait contrôler les robots armés. Bien
qu’il n’y ait pas eu de consensus sur tous les points, il y a eu un accord sur le fait
que les acteurs étatiques doivent prendre des mesures pour prévenir le recours
indiscriminé à des robots armés » (561).
La conférence de Berlin s’était conclue par l’adoption d’une déclaration
sur la limitation des systèmes armés télé-opérés et autonomes dans laquelle
l’ICRAC insiste sur le « besoin urgent de mettre en place un régime de maîtrise des

(557) Jürgen Altmann “Preventive Arms Control for Uninhabited Military Vehicles”, in Rafael
Capurro, Michael Nagenborg (eds.), Ethics and Robotics, Heidelberg, AKA Verlag, 2009, p. 71.
(558) Ibid., p. 73.
(559) ICRAC, “Mission Statement”, <http ://www.icrac.co.uk/mission.html>
(560) Voir le programme de la conférence : <http ://www.icrac.co.uk/icrac%20workshop.html>
(561) Press Release, “A call for international controls on the spread of armed military robots”, 22nd
September 2010; <http ://www.icrac.co.uk/Berlin%20Meeting%20Press%20Release.doc>

548
armements pour réguler le développement, l’acquisition, le déploiement et l’emploi
d’armes robotisées télé-opérées et autonomes ». Les visées apparaissent donc
particulièrement larges puisqu’il s’agit d’encadrer une catégorie d’armement,
si ce n’est de parvenir à une interdiction (562). La déclaration finale dégage
deux finalités à un régime de maîtrise des armements. Tout d’abord, il devrait
interdire : « tout nouveau développement, acquisition, déploiement et emploi
d’armes robotisées autonomes ; d’armer de nouveaux types de systèmes télé-
opérés ou autonomes avec des armes nucléaires ; le développement, le déploiement
et l’emploi d’armes robotisées dans l’espace » (563). Ce régime devrait également
restreindre « la portée et la charge utile de véhicules armés inhabités télé-opérés ;
le nombre, par classe et capacité, de systèmes armés inhabités télé-opérés détenus
par chaque État ; l’endurance de ces systèmes ; le développement, l’acquisition et
le déploiement de systèmes d’armes inhabités en deçà d’une taille minimale » (564).
Le communiqué de presse publié à la fin de la conférence souligne la
grande diversité des participants et la variété des horizons : « des représentants
gouvernementaux, des représentants d’organisations internationales des droits de
l’homme, des experts de la maîtrise des armements, des philosophes, des scientifiques
et des ingénieurs de plusieurs pays dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la France,
l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, et l’Australie » (565). La conférence de Berlin
apparaît ainsi à la fois comme le témoignage d’une réflexion en profondeur
et le lancement véritable de ce que les fondateurs de l’ICRAC voudraient être
une campagne de mobilisation. L’attention accordée aux Processus d’Ottawa
et d’Oslo illustre en outre la volonté de réunir une coalition d’acteurs afin
d’initier une campagne à l’image de celles qui ont abouti à l’interdiction des
mines antipersonnel et des armes à sous-munitions. On relèvera d’ailleurs les
participations d’une consultante qui avait pris part à la Cluster Munitions
Coalition et de Human Rights Watch, que l’on retrouve dans le conseil de
gouvernance de l’International Campaign to Ban Landmines et de la Cluster
Munition Coalition (ICBL-CMC) qui, depuis novembre 2010, regroupe en un
seul et unique conseil les organes décisionnels des deux campagnes.

FeLLowship oF reconciLiation et drones campaign network


Si l’ICRAC se caractérise par son approche académique, d’autres
organisations ont en revanche une démarche beaucoup plus « militante ». On
trouve, au premier chef de celles-ci, la branche britannique du Mouvement
international de la réconciliation (International Fellowship of Reconciliation,
IFoR), organisation chrétienne pacifiste fondée au lendemain de la Première

(562) Après la Conférence de Berlin, l’ICRAC a fait l’objet d’un certain nombre de critiques sur un
blog (Sixth generation war) auxquelles ont répondu point par point, au nom de l’ICRAC, J. Altmann,
M. Gubrud et F. Sauer ; voir “ICRAC Responds to Criticism by ‘6gw’ Blogger”, <http ://www.icrac.
co.uk/icracattack.1.25.pdf>
(563) “The statement of the 2010 Expert Workshop on Limiting Armed Tele-Operated and
Autonomous Systems”, Berlin, September 22nd, 2010; <http  ://www.icrac.co.uk/Expert%20
Workshop%20Statement.pdf>
(564) Ibidem.
(565) Press Release, “A call for…”, op. cit.

549
Guerre mondiale par un Quaker britannique et un luthérien allemand. Ce
mouvement, dont six des membres ont déjà reçu le Prix Nobel de la paix (parmi
lesquels Martin Luther King en 1964), « cherche à surmonter les divisions entre
les États-nations qui souvent sont source de conflit et de violence. Ses membres
sont des fidèles des grandes traditions religieuses, mais aussi ceux qui dans leur
engagement à la non-violence s’inspirent d’autres sources spirituelles » (566).
La branche britannique de ce mouvement (FoR-UK) est particulièrement
engagée contre les drones qu’elle perçoit comme « les derniers d’une longue série
de nouveaux armements utilisés avec la croyance erronée qu’ils apporteraient une
solution propre et nette à un conflit » (567). FoR-UK a publié en septembre 2010
un rapport d’une vingtaine de pages intitulé Convenient Killing. Armed Drones
and the ‘Playstation’ Mentality (568). Ce document revient très brièvement sur ce
que sont les drones, leurs fonctions, leur prolifération et leur développement au
cours des dernières décennies. Il insiste particulièrement à cette occasion sur la
mise en œuvre de drones armés par les États-Unis (en Irak, en Afghanistan, au
Yémen ou, depuis 2004, par la CIA, au Pakistan) mais également par Israël à
Gaza en 2008 et 2009 et par le Royaume-Uni dont les Reaper auraient à la date
du rapport, citant un article du Guardian, délivré de l’armement à 97 reprises.
Ce document apparaît globalement comme un résumé des principales
critiques formulées assez classiquement à l’encontre des drones. Il s’inquiète
par exemple d’un futur proche qui verrait la mise en œuvre de systèmes
entièrement autonomes, y compris pour ce qui est des phases d’acquisition
de cibles et d’ouverture du feu. Il revient sur la distanciation géographique et
psychologique (« mentalité Playstation ») qui serait inhérente aux drones avec
le risque de conduire à un abaissement du seuil d’emploi de la force. Le rapport
souligne ici que « la probabilité que cela conduise à une culture d’assassinat
commode peut être une raison d’envisager l’interdiction de ce nouveau type de
technologie létale ». Le document pointe en outre le nombre de morts civils
causés par des frappes de drones, citant sans plus de précisions les chiffres de
Pakistan Body Count’s ou de Human Rights Watch. Il reprend à cette occasion
les réserves qu’avait pu formuler David Kilcullen quant au ressentiment que
cela entraîne dans les populations et revient sur les rapports du Conseil des
droits de l’homme et sur la question de la légalité des targeted killings. Enfin,
le document « s’interroge » sur les faiblesses des drones, en relevant le taux
d’attrition des Predator et Reaper américains, en citant un certain nombre
d’accidents et en soulignant la vulnérabilité des systèmes (le rapport fait ici
référence au piratage de liaison d’un Predator par des insurgés irakiens rapporté
en décembre 2009 par le Wall Street Journal (569)).
L’un des aspects les plus frappants de ce document est la manière dont il
s’inscrit dans le registre du pathos. Il contient en effet quatre « cas d’études »

(566) <http ://www.ifor.org/index_frans.htm>
(567) <http ://www.for.org.uk/act/campaign/>
(568) <http ://www.for.org.uk/files/drones-conv-killing.pdf>
(569) Siobhan Gorman, Yochi Dreazen, August Cole, “Insurgents Hack US Drones”, Wall Street
Journal, 17 décembre 2009

550
qui, en dépit de l’expression, sont autant de petits encadrés relatant des frappes
de drones (deux dans le nord-ouest du Pakistan et deux à Gaza) dans lesquels
un proche, généralement membre de la famille, raconte comment une frappe
a tué de jeunes enfants. La finalité est bien ici de peindre les drones comme
des plates-formes frappant sans discrimination. Le procédé n’est pas nouveau,
d’autres campagnes contre d’autres types d’armements y ont eu recours. Cela
étant, il peut être particulièrement efficace pour mobiliser une opinion publique
qui n’est pas forcément au fait de ce que sont véritablement les drones, rendant
d’autant plus essentielle une entreprise pédagogique expliquant ce qu’ils sont et
ne sont pas. Ce rapport de FoR-UK présente toutefois au moins deux intérêts :
d’une part, il permet de dresser un panorama, succinct, des principales critiques
qui peuvent être formulées à l’encontre les drones et, d’autre part, au regard
du soutien qu’il a reçu pour ses « cas d’études » de Human Rights Watch et
de l’organisation pacifiste américaine Voices for Creative NonViolence, ce
document montre qu’il existe a minima un embryon de travail en réseau entre
les différents mouvements engagés contre les drones.
De ce point de vue, la principale illustration est le Drones Campaign Network
(DCN). Ce réseau britannique, constitué à des fins de partage d’informations
et de mise en œuvre d’actions collectives coordonnées autour des drones (570),
regroupe un certain nombre d’organisations ou de mouvements à l’image,
parmi d’autres, de FoR-UK, de l’organisation pacifiste britannique Bro Emlyn
for Peace and Justice, de la Campaign Against Arms Trade, de Child Victims of
War, de la Campaign for Nuclear Disarmament, de Pax Christi ou de Quaker
Peace and Social Witness. Le mouvement Quaker apparaît d’ailleurs d’autant
plus engagé que c’est une fondation britannique qui lui est rattachée (Joseph
Rowntree Charitable Trust) qui avait, pour partie, financé l’organisation de la
conférence organisé par l’ICRAC à Berlin en 2010 (571).
Comme le rapport de FoR-UK, le DCN se fait également le relais de
critiques assez classiques : « mentalité Playstation », morts de civils, ressentiment
engendré dans les populations civiles, targeted killings. Cela étant, d’une manière
moins traditionnelle, le DCN prend également position contre l’emploi civil
des drones au motif qu’ils « rendront sans doute possible l’expansion dramatique
de la surveillance. De concert avec d’autres technologies, ils pourraient même
permettre la reconnaissance des visages, des comportements et la surveillance
des conversations individuelles par des machines » (572).
Le Drones Campaign Network a notamment organisé, avec une active
contribution de FoR-UK, une semaine d’action contre les drones entre le 1er
et le 8 octobre 2011. À cette occasion, outre une campagne d’information,
le DCN avait appelé à lancer des actions de mobilisation pour maintenir les

(570) <http ://www.dronecampaignnetwork.org.uk/>
(571) <http ://www.jrct.org.uk/text.asp ?section=000100030004>
(572) Voir le document de quatre pages rédigé en vue de cette manifestation : Ground the
Drones. Together we can stop the escalating use of armed unmanned aircraft; <http  ://www.
dronecampaignnetwork.org.uk/WOA_Brief_HISRES.pdf>

551
drones au sol (“to ground the drones”) (573). Le dossier d’information rédigé par
le réseau fournissait ainsi une carte du Royaume-Uni référençant l’ensemble
des sites militaires accueillant des drones, ou contribuant à leur mise en œuvre,
afin que des manifestations y soient organisées, ce qui n’est pas sans rappeler
les rassemblements que peuvent connaître de temps à autre les différentes bases
militaires abritant des capacités nucléaires.

Les autres mouvements


On trouve notamment, parmi ces autres mouvements, Pax Christi, acteur
traditionnel des différentes campagnes contre les armements. Le mouvement
pacifiste catholique est par exemple l’un des principaux animateurs de la
Cluster Munition Coalition qui avait elle-même été lancée en novembre 2003 à
l’occasion d’une conférence organisée à La Haye par la branche néerlandaise
du mouvement. En s’impliquant dans cette campagne, Pax Christi ne fait
donc pas défaut à son engagement. La question des drones figurait ainsi au
programme des deux journées de conférence organisées à Bruxelles les 29
et 30 juin 2011 à la suite de l’assemblée générale du mouvement. Outre des
interventions sur le printemps arabe, le futur des armes nucléaires tactiques
en Europe, les armes bactériologiques, les armes à sous-munitions ou autour
du traité sur le commerce des armes, une communication faite par l’un des
co-auteurs du rapport de FoR-UK était prévue sur le thème « Drones and new
technology in warfare ».
La branche la plus active de Pax Christi dans la campagne anti-drones
semble être son antenne américaine. Celle-ci appelle en particulier, avec
d’autres mouvements (Foreign Policy in Focus, Codepink, Voices for Creative
Nonviolence), à l’organisation de « Mock Drone Attack ». Il s’agit, comme
l’explique le document rédigé à cette fin, d’utiliser le théâtre de rue de manière
impromptue pour simuler une attaque de drone afin de susciter l’intérêt des
passants mais aussi, plus largement, des internautes. L’objectif est d’exploiter
l’attention ainsi accordée pour diffuser des informations sur les attaques de
drones en Afghanistan et au Pakistan et initier une « résistance citoyenne ».
Pour ce faire, le document de Pax Christi souligne la nécessité de réunir une
trentaine de personnes pour exécuter une chorégraphie en un ou plusieurs
lieux. Le document insiste sur le temps limité de cette action qui ne doit pas
excéder cinq minutes et recommande de contacter les médias locaux pour
garantir une couverture de ce flash mob tout en s’assurant qu’ils n’en feront
pas l’annonce à l’avance de sorte à conserver un élément de surprise pour les
passants. Outre cette diffusion dans la presse locale, ces actions filmées font
ensuite l’objet d’une mise en ligne sur Youtube.
Parallèlement à ce genre de rassemblements qui reste assez marginal, d’autres
cherchent à donner une information de manière plus conventionnelle. C’est
notamment le cas de Drone Wars UK, un blog britannique contenant quelques
références et présentations et, surtout, une base de données des crashes de

(573) Ibid., p. 3.

552
drones survenus depuis le 1er janvier 2007 constituée à partir des rapports de
l’USAF Accident Investigation Board, de Wikileaks et de différentes dépêches
de presse (574).
Le site Pakistan Body Count référence de son côté, sur la base de dépêches,
d’Internet et avec l’aide des hôpitaux, toutes les frappes de drones qui ont
lieu au Pakistan (ainsi que toutes les attaques-suicide) (575). Ce site indique les
dates et lieux des attaques et le nombre de morts et de blessés selon qu’ils sont
talibans ou civils. S’il ne s’agit pas directement d’une organisation de « premier
cercle » dans la campagne antidrones, ses chiffres, que l’on les retrouve d’ailleurs
dans le rapport de FoR-UK, sont en revanche régulièrement repris par les
principaux opposants.
Certaines grandes organisations de défense des droits de l’homme, fort
d’une légitimité internationale, soutiennent également cette campagne. Si la
thématique n’est pas nécessairement parmi leurs principales raisons d’être, leur
soutien confère toutefois un certain relief au mouvement naissant. C’est le cas
par exemple d’Amnesty International qui se dit « profondément concernée » par
le fait que les États-Unis semble réaliser des exécutions extrajudiciaires « en
violation claire des obligations qui leur incombent en vertu du droit international
humanitaire » (576). C’est également le cas, on l’a vu, de Human Rights Watch
(HRW). L’ONG de défense des droits de l’homme a ainsi publié en 2009 un
rapport sur les frappes effectuées à partir de drones armés. En l’occurrence,
ce rapport d’une quarantaine de pages, intitulé Precisely Wrong, portait
spécifiquement sur les frappes menées par Israël lors du conflit de Gaza en
décembre 2008 et janvier 2009 et s’arrêtait plus particulièrement sur six attaques
qui avaient causé la mort de civils et sur lesquelles a enquêté HRW (577). Son
directeur exécutif Kenneth Roth avait également adressé en décembre 2010
une lettre de six pages au président Barack Obama, avec copie à la secrétaire
d’État Hillary Clinton, au secrétaire à la Défense Robert Gates et au directeur
de la CIA Léon Panetta, au sujet des targeted killings. Notant un recours aux
drones armés par les États-Unis de plus en plus intensif depuis le début de
la présidence Obama, le directeur de HRW demandait que l’administration
américaine fournisse une plus grande clarification quant à la motivation juridique
des targeted killings, incluant l’emploi des drones et les garanties procédurales
prises pour minimiser les maux causés aux civils. Dans ce document, l’ONG
souligne avoir conscience du fait que le gouvernement américain doit répondre
aux menaces qui pèsent sur la sécurité nationale et que le recours à la force létale
peut être parfaitement légal en opération. Elle note de manière positive le fait
que le conseiller juridique du département d’État Harold Koh, ancien doyen
de la Yale Law School, avait apporté en mars 2010 des éléments de clarification

(574) <http ://dronewarsuk.wordpress.com/>
(575) <http ://www.pakistanbodycount.org/>
(576) Amnesty International, “Briefing to the Human Rights Committee with respect to its review of
the state party’s combined second and third periodic report on the implementation of the International
Covenant on Civil and Political Rights”, February 2006, p. 14.
(577) Human Rights Watch, Precisely Wrong. Gaza Civilians Killed by Israeli Drone-Launched
Missiles, June 2009.

553
sur les targeted killings et souligné l’engagement du gouvernement américain
à conduire ces frappes dans le respect du droit international (578). Cela étant,
Human Rights Watch regrette qu’aucune explication n’ait été donnée quant à
savoir « où se situe la limite entre des éliminations ciblées légales et illégales » et
propose à cet égard un certain nombre de recommandations : ne pas définir
toutes les opérations comme faisant partie d’un « conflit armé global » ; définir
qui peut être légalement ciblé ; s’assurer du respect du droit de la guerre ;
s’assurer du respect du droit international des droits de l’homme ; améliorer
la transparence ; minimiser les maux causés aux civils ; éviter les précédents
dangereux.
Kenneth Roth concluait sa lettre en soulignant que la pratique américaine
de targeted killings « aura d’importantes conséquences à l’avenir pour les futurs
commandants en chef aux États-Unis comme dans d’autres pays. Le pouvoir
coercitif du gouvernement, notamment le terrible pouvoir de priver les individus de
liberté ou de vie, doit être exercé dans les limites définies par les lois qui protègent
le droit au procès équitable et les droits de l’homme ». Enfin, autre illustration
de l’intérêt porté par Human Right Watch aux systèmes d’armes opérés à
distance, l’ONG de défense des droits de l’homme a publié plus récemment, en
collaboration avec l’International Human Rights Clinic de l’université de Harvard,
un rapport dans lequel elle appelle tous les États à « interdire le développement,
la production et l’emploi d’armes totalement autonomes à travers un instrument
international juridiquement contraignant ». Si certes ce document ne porte pas
exclusivement sur les drones, reste qu’il aborde explicitement la question des
UCAV et qu’il rejoint très clairement les appels à un contrôle normatif lancés
par d’autres acteurs (579).

Les drones et Le conseiL des droits de L’homme


Le rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme (CDH) sur les
exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a également accordé
une attention particulière aux targeted killings ; une attention particulière et
remarquée (580) puisque certaines organisations, dont FoR-UK, font depuis
lors régulièrement référence aux rapports du CDH en appui de leur discours
afin de donner un gage de légitimité à leurs positions.

(578) Voir le discours d’Harold Koh lors du Congrès annuel de l’American Society of International
Law, 25 mars 2010(http  ://www.state.gov/s/l/releases/remarks/139119.htm). Mark Hosenball,
“Obama Aministration Official Publicly Defends Drone Attack”, Newsweek, March 26, 2010. H. Koh
explique la légalité de cette pratique notamment par le fait que les États-Unis sont en « guerre contre
le terrorisme » et que le Congrès a autorisé le Président « à utiliser toute la force nécessaire et
appropriée » contre les individus impliqués dans les attentats du 11 septembre. Voir Joint Resolution,
Authorization for Use of Military Force, September 18, 2001, Public Law 107-40, 107th Congress
(http ://news.findlaw.com/wp/docs/terrorism/sjres23.es.html).
(579) Human Rights Watch, International Human Rights Clinic (Harvard Law School), Losing
Humanity. The Case against Killer Robots, November 2012, 50 p.
(580) Charlie Savage, “U.N. Report Highly Critical of US Drone Attacks”, New York Times, June
2, 2010; Patrick Worsnip, “U.N. official calls for study of ethics, legality of unmanned weapons”,
Washington Post, October 24, 2010.

554
Créé le 15 mars 2006 par l’Assemblée générale des Nations Unies
(AGNU) (581), en remplacement de la Commission des droits de l’homme, le
Conseil des droits de l’homme est un organe subsidiaire de l’AGNU « chargé
de promouvoir le respect universel et la défense de tous les droits de l’homme et
de toutes les libertés fondamentales, pour tous, sans distinction aucune et de façon
juste et équitable » (582). Il avait été décidé par l’Assemblée générale lors de la
création de cet organe de quarante-sept États membres, élus à la majorité de
l’AGNU, que le Conseil des droits de l’homme « examinera les violations des
droits de l’homme, notamment lorsque celles-ci sont flagrantes et systématiques,
et fera des recommandations à leur sujet » (583) et qu’il procèdera « à un examen
périodique universel, sur la foi d’informations objectives et fiables, de la manière
dont chaque État s’acquitte de ses obligations et engagements en matière de
droits de l’homme de façon à garantir l’universalité de son action et l’égalité de
traitement de tous les États » (584).
Pour ce faire, le Conseil des droits de l’homme s’appuie sur des « Procédures
spéciales », selon l’appellation donnée aux mécanismes que le Conseil peut
mettre en place pour traiter d’un thème ou d’une région spécifique. Ceux qui
se trouvent ainsi mandatés ont alors la charge d’examiner et de rapporter des
situations relatives aux droits de l’homme dans des pays déterminés ou sur des
phénomènes particuliers présentant de graves violations des droits de l’homme.
Il existe, à l’heure actuelle, 8 mandats « pays » et 33 mandats thématiques.
Parmi ces derniers, il avait été mis en place en 1982 celui de rapporteur spécial
sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires qui, reconduit
systématiquement depuis sa création, a été renouvelé par le Conseil des droits de
l’homme pour une durée de trois ans le 18 juin 2008 avec la charge notamment
« [d’] examiner les cas d’exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
quelles qu’en soient les circonstances et la raison » (585).
C’est à ce titre que deux rapports évoquant les drones ont été remis par le
rapporteur spécial dans le courant de l’année 2010 : l’un consacré aux targeted
killings, l’autre sur les nouvelles technologies et les droits de l’homme, ce dernier
abordant notamment les défis inhérents à la robotisation et à l’autonomisation
de technologies militaires létales.
Le premier de ces rapports, présenté par Philip Alston, professeur de droit
à la New York University School of Law et nommé Rapport spécial en 2004,
portait spécifiquement sur les targeted killings, qu’il définit comme « le recours
intentionnel, prémédité et délibéré à la force létale, par des États ou leurs agents
agissant sous couvert du droit, ou par un groupe armé organisé dans un conflit

(581) A/RES/60/251, « Conseil des droits de l’homme », Assemblée générale des Nations unies, 15
mars 2006.
(582) Ibid., § 2, p. 2.
(583) Ibid., § 3, p. 2.
(584) Ibid., § 5 e), p. 3.
(585) Conseil des droits de l’homme, Résolution 8/3, « Mandat du rapporteur spécial sur les
exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires », 18 juin 2008.

555
armé, contre un individu spécifique qui n’est pas physiquement détenu » (586). C’est
donc dans ce cadre très spécifique que le Conseil des droits de l’homme fut
amené à s’intéresser aux drones armés.
Le rapport, qui reprend des informations en source ouverte, porte
essentiellement sur les aspects juridiques liés aux targeted killings, expression
entrée dans l’usage courant en 2000 après qu’Israël l’ai employé pour évoqué
des actions contre des terroristes présumés dans les Territoires occupés (587).
Comme le souligne le rapport, cette pratique, à laquelle peuvent recourir des
États en temps de paix comme au cours d’un conflit, n’est donc pas du seul
fait des États-Unis et peut impliquer un grand nombre de méthodes (sniping,
tirs d’un hélicoptère, voiture piégée, poison, etc.). Les drones ne sont donc
qu’un moyen parmi d’autres pour procéder à ces éliminations, de sorte que le
débat sur ces systèmes d’armes apparaît erroné dès lors que l’on en focalise
les termes autour des éliminations ciblées. Que l’on s’interroge sur la légalité
de cette pratique, sa légitimité ou encore sa moralité est une chose. Le débat
peut porter sur la question de savoir si toutes les méthodes peuvent être
acceptables dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cela étant, il ne faut
pas confondre l’action en elle-même avec le moyen permettant de la conduire.
Si l’on peut comprendre que la première prête à débat, le second nettement
moins. En effet, qu’un individu soit éliminé par une frappe d’hélicoptère, un
tireur de très haute précision ou par la frappe d’un drone revient sensiblement
à la même chose. Cela peut bien sûr soulever un débat juridique et/ou éthique
mais il portera sur la pratique en elle-même pas sur l’hélicoptère ou le fusil de
précision. Il n’y a donc pas de raison qu’il en soit autrement en ce qui concerne
les drones. C’est d’ailleurs ce que souligne le rapporteur spécial en relevant
le fait que « un missile tiré depuis un drone n’est pas différent d’une autre arme
utilisée habituellement, y compris d’une arme utilisée par un soldat ou par un
hélicoptère ou d’un gunship tirant des missiles. La principale question juridique
est la même que pour tout arme : il s’agit de savoir si cet emploi spécifique est
conforme au droit international humanitaire » (588).
Les drones ne sont donc finalement abordé que marginalement dans le
rapport de Philip Alston. À peine trois pages sur les 29 que comporte le document
y sont consacrées, ne représentant en tout et pour tout que 13 paragraphes
(dont 5 qui reviennent sur l’emploi des drones par la CIA) sur 93.
Dans ce document, Philip Alston revient tout d’abord sur le « phénomène »
des éliminations ciblées dans l’histoire récente et plus particulièrement par le
recours qu’en font Israël, les États-Unis et la Russie (Moscou avait déployé des
groupes de commandos seek and destroy en Tchétchénie). Le rapport analyse
par la suite différents aspects juridiques inhérents aux targeted killings : cadre
juridique (conflit armé ou non) ; question de la souveraineté nationale ; invocation
du droit de légitime défense ; question de la participation directe aux hostilités.

(586) A/HRC/14/24/Add.6, Study on targeted killings, Report of the Special rapporteur on


extrajudicial, summary or arbitrary executions, 28 May 2010, § 1, p. 3.
(587) Ibid., § 7, p. 4.
(588) Ibid., § 79, p. 24.

556
Ce n’est que dans l’avant-dernier développement du rapport qu’est abordée
la question des drones, Aslton y relevant d’ailleurs les nombreux avantages
qu’offrent ces systèmes, notamment en termes d’ISR mais également de
précision et de discrimination. Il souligne à cet égard que les « drones peuvent
permettre de mener une surveillance aérienne et de recueillir des informations
de “pattern of life” qui permettraient aux opérateurs humains de distinguer des
civils pacifiques de ceux participants directement aux hostilités » (589).
Cela étant, le rapporteur spécial considère que les drones induisent une
préoccupation majeure : ils permettraient de tuer beaucoup plus aisément dans
la mesure où aucun risque ne pèserait en contrepartie sur les opérateurs. Le
danger étant écarté, il en découlerait une certaine souplesse dans l’interprétation
des règles de droit (590). Aslton pointe ici le risque que la distanciation entre
l’opérateur et le théâtre des opérations ne conduise au développement d’une
« mentalité Playstation ». On en revient, de nouveau, à des craintes assez
classiques et l’on voit bien que le débat sur les drones dépasse largement la
question des targeted killings. Ces craintes et ces remarques formulées par le
rapporteur spécial montrent donc à quel point il est essentiel pour les forces
armées de communiquer autour des drones, et plus spécifiquement sur deux
aspects : d’une part, sur le recrutement et la formation des opérateurs de
drones, de sorte à briser l’image du jeune soldat venant de s’engager, troquant
son joystick de jeu vidéo pour une place dans une station de contrôle et à qui
seraient confiées les commandes d’un drone armé ; d’autre part, sur les règles
qui encadrent le recours à la force en opération, qu’il s’agisse du droit des
conflits armés ou des règles d’engagement. Il ne s’agit pas bien sûr de dévoiler
ces dernières mais de communiquer autour du fait que les personnels des forces
armées déployés en opération n’ouvrent pas le feu quand bon leur semble, qu’ils
sont soumis à des règles strictes ; et s’il s’agit d’une vérité en ce qui concerne
un groupe de combat d’une section d’infanterie ou un pilote de chasse, cela
l’est tout autant pour un opérateur de drone armé. Le cas échéant, expliquer
la présence et le rôle de legal advisors semblerait d’ailleurs tout aussi pertinent.
La question des drones n’a finalement été abordée dans ce premier rapport
que parce que les États-Unis ont eu recours à ces systèmes de manière de plus
en plus intensive ces quatre dernières années pour des éliminations ciblées. Et là
encore il faut bien mesurer le caractère marginal de cet emploi. Le recours aux
drones armés pour des targeted killings par les États-Unis, et plus spécifiquement
d’ailleurs par la CIA, ne saurait être généralisé. Non seulement les États-Unis
n’opèrent pas de drones armés uniquement pour ces missions et plus encore,
les autres États qui comptent de tels systèmes dans leurs inventaires ne les
opèrent pas à ces mêmes fins.
Le second rapport du rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires, remis en août 2010, a un champ plus large en ce qu’il
est consacré aux nouvelles technologies. Il examine à ce titre trois points : les
nouvelles technologies et les enquêtes sur les droits de l’homme ; les assassinats

(589) Ibid., § 82, pp. 24-25.


(590) Ibid., § 80, p. 24.

557
ciblés et la responsabilité ; les exécutions extrajudiciaires et les technologies
robotiques.
Le rapport a de nouveau été réalisé par Philip Aslton mais fut présenté le 22
octobre 2010, lors de la 65e session de l’Assemblée générale, par son successeur
Christof Heyns nommé en juin 2010 (591).
Le rapport présenté par Heyns a donc une portée plus large puisqu’il traite
aussi bien de l’apport que peuvent offrir les nouvelles technologies dans les
enquêtes sur les droits de l’homme que « des enjeux soulevés par la robotique,
y compris son utilisation dans les armements ». Si une attention est de nouveau
accordée aux targeted killings, celle-ci reste très marginale (6 paragraphes sur
les 49 du rapport) ; la question tournant essentiellement autour des États-Unis
« parce que ce pays est le partisan le plus enthousiaste et le plus prolifique des
assassinats ciblés commis dans des circonstances qui semblent violer quelque fois
le droit international applicable » (592). Cela étant, les drones n’étaient ici en rien
l’objet exclusif du débat qui abordait tout autant le fait qu’une équipe spéciale
déployée à terre « avait été chargée de capturer ou d’assassiner des dirigeants des
Talibans et d’Al-Qaida dont les noms figuraient sur une liste hiérarchisée d’environ
2 000 suspects » (593). Lors de la présentation du rapport par Christof Heyns,
devant la Troisième commission de l’Assemblée générale des Nations Unies,
le représentant des États-Unis avait ainsi répondu « que la légitime défense ne
constituait pas une exécution sommaire, et qu’il faudrait revenir sur ce point du
droit international. Il a jugé que le rapporteur se fondait sur une vision erronée
du droit, qui ne prenait pas en considération le principe de légitime défense,
notamment en ce qui concerne les militants d’Al-Qaida, les Taliban et les forces
associées » (594). On voit donc bien, là encore, que la question des targeted
killings dépasse très largement les drones pour s’inscrire dans le registre de la
lutte contre le terrorisme.
L’une des préoccupations majeures du rapport est de savoir qu’elles peuvent
être les implications de la robotisation militaire et de l’autonomisation des
systèmes létaux. Le rapporteur s’inquiète, par exemple, du fait que « [d] ans
un avenir prévisible, on disposera de technologies permettant de créer des robots
capables d’effectuer des ciblages et des assassinats avec une participation humaine
minimale ou sans supervision ou autorisation humaine directe » (595). Là encore,
il apparaît bien que la portée du rapport est nettement plus large que les seuls
drones. Il traite d’ailleurs tout autant la question des systèmes d’armes terrestres
robotisés. En outre, le document s’intéresse aux développements futurs et aux
systèmes autonomes, ce qui – rappelons-le – n’est à ce jour aucunement le cas

(591) Juriste spécialisé dans les droits de l’homme, Christof Heyns est doyen de la faculté de droit de
Pretoria et ancien directeur du Center for Human Rights de cette même université.
(592) A/65/321, op. cit., § 12, p. 10.
(593) Ibid., § 15, p. 11.
(594) AG/SHC/3986, Assemblée générale, Troisième Commission, Département de l’information,
22 octobre 2010.
(595) A/65/321, Rapport intermédiaire du rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires, § 17, pp. 12-13.

558
des drones qui demeurent des systèmes pilotés par des opérateurs, quand bien
même ce pilotage soit effectué à distance.
Le rapporteur spécial dégage un certain nombre de questions qui « méritent
d’être examinées avec soin » (596) :
• les définitions des termes clés : autonome, autonomie et robots ;
• la responsabilité internationale et pénale « pour des crimes commis contre
des civils et autres crimes et violations des lois de la guerre » ; thème que
l’on retrouve d’ailleurs parmi les sujets régulièrement abordés par les
membres de l’ICRAC. Le rapporteur spécial explique de la même manière
« [qu’] avec l’accroissement de l’automation, les régimes de responsabilité de
l’État et des individus deviennent de plus en plus difficiles à appliquer » (597) ;
• les garanties et normes en matière de déploiement, autrement dit « la capa-
cité de robots à se conformer aux droits de l’homme et au droit humani-
taire, et les normes à appliquer dans la programmation et l’élaboration de
la technologie de déploiement » (598) ;
• le seuil de recours à la force et les considérations du jus ad bellum. Il s’agit
de nouveau pour le rapporteur spécial de s’interroger sur le risque que des
environnements déportés n’induisent un abaissement du seuil de recours
à la force et au développement d’une « mentalité Playstation » dont l’une
des particularités serait de conduire à une distanciation psychologique et
émotionnelle de l’opérateur avec tous les risques que cela impliquerait en
termes d’ouverture du feu.
L’approche suivie par ce second rapport semble rejoindre celle de l’ICRAC
au moins sur deux points. Premièrement, en ce qui concerne les problématiques
abordées, le rapport présenté par Heyns s’intéresse essentiellement au phénomène
de « robotisation de la guerre ». Les drones ne sont qu’un aspect à la marge
et il s’agit surtout de s’interroger d’ores et déjà sur les défis que porteraient
en eux des systèmes d’armes autonomes. C’est en effet bien sur cette notion
d’autonomisation que semble porter la principale préoccupation du rapporteur
spécial qui relève que « certains roboticiens notent que l’avènement de systèmes
robotisés létaux autonomes est bien en cours et que c’est simplement une question
de temps pour que des engagements autonomes de cibles se déroulent sur le
champ de bataille. Selon certaines sources, plusieurs pays sont déjà en train de
déployer ou de mettre au point des systèmes dotés de la capacité de retirer les
êtres humains du processus de prise de décisions pour des attaques létales » (599).
Deuxièmement, le rapport appelle dans une certaine mesure à la mobilisation.
Le rapporteur spécial avait d’ailleurs souligné « qu’en dépit du développement à
une vitesse étonnante de la technologie des robots et des armes automatisées, “le
débat public sur les problèmes juridiques, éthiques et moraux qu’elle soulève ne
fait que commencer” » (600). Plus précisément, le rapport invite les organisations
(596) A/65/321, op. cit., § 31, p. 20.
(597) Ibid., § 34, p. 21.
(598) Ibid., § 37, p. 22.
(599) Ibid., § 27, p. 17
(600) AG/SHC/3986, Assemblée générale, Troisième Commission, Département de l’information,
22 octobre 2010.

559
de défense des droits de l’homme a faire pression « sur les principaux acteurs
publics et privés » afin que les droits de l’homme et autres aspects de droit
humanitaire soient pris en compte « dans la conception et l’opérationnalisation »
des nouvelles technologies robotiques létales (601).
Au terme de ces développements, le rapporteur spécial a formulé un certain
nombre de recommandations. Il propose parmi celles-ci que le Secrétaire
général des Nations Unies convoque « un groupe de représentants militaires
et civils des États, d’autorités imminentes (…) [afin d’] étudier les approches
qui pourraient être adoptées pour garantir que ces technologies respecteront les
règles applicables en matière de droits de l’homme et de droit humanitaire » (602).
Il en ressort au final que si les rapports du Conseil des droits de l’homme
n’appellent pas, il est vrai, comme l’ICRAC, à un arms control, ils confèrent
tout de même une certaine légitimité à la campagne anti-drones dans la mesure
où la plupart des positions qui y sont défendues sont reprises par le rapporteur
spécial.

Les prémices d’un arms controL ?


Faut-il alors voir dans ces différentes initiatives, mouvements et autres
rapports les signes avant-coureurs d’un régime de maîtrise des armements ?
A priori, plusieurs raisons pourraient laisser à penser que la question est sans
grande pertinence : l’utilité des drones sur les champs de bataille modernes n’est
plus à démontrer ; de plus en plus de pays en développent et/ou en acquièrent ;
la campagne contre ces systèmes semble encore en être à ses prémices.
Pourtant, l’existence d’un mouvement œuvrant contre les systèmes d’armes
opérés à distance et autonomes est une tendance qu’il ne faut ignorer. Elle
apparaît d’autant plus importante à considérer que la campagne initiée par
certaines organisations issues de la société civile semble s’inscrire dans la
continuité de celles qui ont abouti à la signature des conventions d’interdiction
des mines antipersonnel (1997) et des armes à sous-munitions (2008).

Les « précédents » d’ottawa et d’osLo


La question de savoir quelles voies pourraient être suivies par les opposants
à ces systèmes d’armes en vue d’un régime de maîtrise des armements conduit à
une réponse assez simple. La voie classique aurait consisté à l’inscrire à l’agenda
du « forum multilatéral unique de négociation sur le désarmement » (603) qu’est
la Conférence du désarmement. Or, au regard des difficultés qu’elle éprouve
depuis plus de douze ans, ce scénario semble difficilement imaginable. Le constat
du blocage de l’enceinte genevoise avait d’ailleurs amené Jozef Goldblat à

(601) Ibid., § 20, p. 14.


(602) Ibid., §  48, p.  25. Voir également Statement by Mr. Christof Heyns, Special rapporteur on
extrajudicial, summary or arbitrary executions, 65th session of the General Assembly, Third
Committee, 22 October 2010, p. 5.
(603) S-10/2, Document final de la dixième session extraordinaire de l’Assemblée générale des
Nations unies, 30 juin 1978, § 120, p. 14.

560
conclure l’un de ses articles, publié en 2000 dans la Nonproliferation Review,
en considérant que si elle ne parvenait pas rapidement à relancer ses travaux,
il serait plus raisonnable de la dissoudre, ou du moins de la laisser s’éteindre
de « mort naturelle ». J. Goldblat relevait dans ce même article que « il n’y a
pas de raison pour que les problèmes globaux liés à la maîtrise des armements
soit traités dans un forum international unique, alors que les problèmes
globaux liés à l’économie ou à l’environnement peuvent être abordés dans de
nombreuses enceintes. De même, il n’y a aucune raison pour que seulement
certains pays, à savoir ceux sélectionnés par la CD elle-même, soient “privilégiés”
pour négocier les accords globaux de maîtrise des armements ». Ce point de
vue l’amenait ainsi à considérer que l’actuel forum unique de négociations
pourrait être remplacé par des conférences auxquelles participeraient « les
États intéressés, ou directement affectés, par certaines mesures spécifiques de
maîtrise des armements » (604).
Cette voie avait été ouverte quelques années plus tôt par le Processus
d’Ottawa qui apparaissait alors en rupture avec les mécanismes traditionnels
de négociations de maîtrise des armements ; certains observateurs relevant
qu’il avait « bouleversé l’ordre établi du multilatéralisme classique » (605) puisque
les négociations eurent lieu en dehors des enceintes traditionnelles. L’objectif
était notamment à l’époque de se défaire des règles de fonctionnement qui
handicapaient les négociations à la CD, dont la règle du consensus. Certains
États avaient également soutenu le Processus au motif que la Conférence du
désarmement devait porter son attention sur les questions relatives aux armes
de destruction massive et en particulier sur le désarmement nucléaire.
Le Processus avait été lancé lors de la Conférence Vers l’interdiction complète
des mines antipersonnel tenue à Ottawa du 3 au 5 octobre 1996. À l’issue de
celle-ci, les cinquante États participants avaient adopté une déclaration finale
dans laquelle ils s’engageaient « à collaborer pour conclure le plus tôt possible
un accord international juridiquement contraignant pour interdire les mines
antipersonnel ». Durant cette conférence, le ministre canadien des Affaires
étrangères, Lloyd Axworthy, avait insisté sur le fait qu’il souhaitait que « la
communauté internationale se dirige avec une vitesse calculée et un but précis
vers ces négociations » et souligné que « [l] e Canada n’est pas prêt à accepter que
des obstacles procéduraux viennent entraver le lancement et la conclusion rapide
des négociations sur une convention interdisant les mines terrestres ». Dans son
allocution prononcée lors de la clôture de la conférence, Axworthy avait alors
lancé à la communauté internationale l’« invitation » et le « défi » de parvenir
à la signature d’une convention « au plus tard avant la fin de l’année 1997 ».
Le défi fut relevé puisque à l’issue d’un cycle de conférences internationales
et de réunions de groupes d’experts, le Processus a abouti un an après cet appel,
en septembre 1997, à l’adoption du texte de la Convention sur l’interdiction de
l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel

(604) Jozef Goldblat, “The Conference on Disarmament at the Crossroads: To Revitalize or


Dissolve ?”, The Nonproliferation Review, Summer 2000, vol. 7, n° 2, p. 106.
(605) Maurice Bleicher, op. cit., p. 76.

561
et sur leur destruction qui fut ouverte à la signature en décembre de la même
année.
Deux raisons expliquent notamment cette adoption rapide : d’une part, le
Processus a été mené par un petit nombre d’États constitué d’un noyau dur et,
d’autre part, la règle traditionnelle du consensus avait été abandonnée. Ce mode
de négociation semblait alors un « “standard” reproductible » (606) et c’est dans
ce même esprit que fut conduit le Processus lancé lors de la conférence d’Oslo
des 22 et 23 février 2007. De la même manière que pour le Processus d’Ottawa,
cette première conférence s’est conclue par l’adoption d’une déclaration finale
par laquelle les 46 États participants se sont engagés à « s’accorder d’ici à 2008
sur un instrument légalement contraignant et de portée internationale qui interdira
l’usage, la production, le transfert et le stockage des sous-munitions, responsables
de dommages corporels inacceptables dans les populations civiles ». Le Processus
s’est achevé en mai 2008 avec la Conférence de Dublin au cours de laquelle fut
adopté le texte de la Convention sur les armes à sous-munitions.
Sans être identiques, les Processus d’Ottawa et d’Oslo présentent un certain
nombre de particularités communes :
• négociations particulièrement rapides ;
• logique humanitaire au regard des dommages causés par les mines et les
armes à sous-munitions ;
• rejet de la règle traditionnelle du consensus au profit de celle de la majorité ;
• présence pour chacun des deux processus d’un noyau dur d’États jouant un
rôle moteur dans la conduite des négociations (Canada, Belgique, Norvège,
Autriche et Afrique du Sud pour le Processus d’Ottawa ; Norvège, Autriche,
Belgique, Irlande, Mexique, Pérou et Saint-Siège pour le processus d’Oslo) ;
• rôle central de la société civile et des campagnes de mobilisation des ONG
dont la participation, en particulier pour Oslo, allait « nettement au-delà
de la “diplomatie de couloir” traditionnelle » (607). Comme l’explique d’ail-
leurs Camille Grand, l’une des particularités du Processus d’Oslo tient
au fait que « la véritable négociation n’a commencé qu’à l’approche de la
Conférence de Dublin », toutes les conférences, rencontres et manifesta-
tions intermédiaires ayant davantage ressemblées à « un processus de mobi-
lisation qu’à un processus de négociation » (608).
Le rôle joué par la société civile, et les campagnes qu’elle a initiées, est
peut-être l’un des traits les plus marquants de ces deux négociations. En ce qui
concerne le Processus d’Ottawa, l’acteur majeur était la coalition d’organisations
non gouvernementales qui s’étaient fédérées dès 1992 au sein de la Campagne
internationale pour interdire les mines (International Campaign to Ban Landmines
– ICBL), à l’initiative notamment d’Handicap international et de Human
Rights Watch. L’ICBL a animé, cinq années durant, une intense campagne
d’information, de sensibilisation et de mobilisation contre les mines qui a abouti
à la signature de la Convention d’interdiction en 1997 et, en décembre de cette

(606) Ibid., p. 82


(607) Camille Grand, op. cit.
(608) Ibidem.

562
même année, à la remise du Prix Nobel de la paix à l’ICBL et à sa coordinatrice
Jody Williams. L’ICBL a par la suite œuvré en faveur de l’interdiction des mines
à sous-munitions en rejoignant la Cluster Munitions Coalition.
On observe donc que depuis la fin des années 90, les cadres de négociations
ad hoc ont été une voie privilégiée permettant l’adoption de deux textes majeurs
de l’architecture globale de maîtrise des armements. C’est d’ailleurs aujourd’hui
l’idée qui semble gouverner la campagne Control Arms lancée en 2003 par
des ONG, dont Amnesty International, soutenues par quelques États (Brésil,
Cambodge, Costa Rica, Finlande, Macédoine, Mali), et qui appelle à l’adoption
du traité international sur le commerce des armes. Cette campagne a là aussi fait
preuve d’une certaine efficacité et rencontré un premier succès avec l’adoption en
2006 par l’Assemblée générale des Nations Unies d’une résolution initiant des
travaux quant à « la viabilité, le champ d’application et les paramètres généraux
d’un instrument global et juridiquement contraignant établissant des normes
internationales communes pour l’importation, l’exportation et le transfert
d’armes classiques » (609). Une nouvelle résolution a été adoptée en 2009, par
laquelle l’Assemblée générale décide « d’organiser une conférence des Nations
Unies pour un traité sur le commerce des armes qui se réunira pendant quatre
semaines consécutives en 2012 en vue d’élaborer un instrument juridiquement
contraignant établissant les normes internationales communes les plus strictes
possibles pour le transfert des armes classiques » (610). Toute la question est alors
de savoir si ce scénario peut ou non être répété en ce qui concerne les drones
et plus largement les systèmes opérés à distance et autonomes ?
Ce qui pourrait apparaître comme des conditions nécessaires au succès ne
semblent, a priori, pas encore réunies en ce qui concerne ces systèmes d’armes.
On peut en effet relever :
• leur intérêt opérationnel sur les théâtres actuels ;
• l’absence de la logique humanitaire qui permettrait de mobiliser massive-
ment les ONG et l’opinion publique comme ce fut le cas contre les mines
et les armes à sous-munitions ;
• un investissement somme toute encore marginal de la société civile ;
• l’absence d’un noyau d’États soutenant la campagne, voire jouant un rôle
moteur pour initier et conduire des négociations.
Sans y voir un soutien à la campagne, on peut toutefois relever la
participation à la conférence de l’ICRAC du chef de la division « maîtrise
des armements conventionnels » de la Direction générale pour la maîtrise des
armements et le désarmement du ministère allemand des Affaires étrangères
et du président de la sous-commission « Désarmement, maîtrise des armement
et non-prolifération » du Bundestag.

(609) A/RES/61/89, Vers un traité sur le commerce des armes : établissement de normes internationales
communes pour l’importation, l’exportation et le transfert d’armes classiques, Assemblée générale,
6 décembre 2006.
(610) A/RES/64/48, Traité sur le commerce des armes, Assemblée générale, 2 décembre 2009, § 4,
p. 3.

563
Pour autant, si cela peut apparaître comme autant de difficultés pour inscrire
cette question à l’agenda de la maîtrise des armements, reste à considérer le
fait que :
• à défaut d’enjeux humanitaires, le débat tourne autour de questionne-
ments d’ordre éthique qu’il ne faut minimiser ;
• la question des systèmes d’armes autonomes est susceptible de faire
apparaître de véritables craintes dans l’opinion publique, notamment en
ce qu’ils renvoient à un thème qui a largement nourri la science-fiction à
travers l’image de « robots tueurs » ;
• l’intérêt opérationnel ne semble pas, vu le précédent d’Oslo, comme un
point de blocage insurmontable dès lors qu’un noyau d’États soutiendrait
l’initiative ;
• il en est de même quant au fait que de nombreux États comptent des
systèmes d’armes opérés à distance dans leurs arsenaux respectifs : quand
bien même, par exemple, 82 États possédaient des armes à sous-munitions
et 33 en produisaient (611), cela n’a pas constitué une gêne à l’adoption de
la convention d’interdiction.

L’option « code de conduite » ?


Lorsque l’on regarde ce qui est opposé à ces systèmes d’armes, on observe
que l’une des principales critiques, ou craintes, porte sur l’autonomisation de
futurs systèmes. De ce point de vue, une voie qui pourrait être explorée est celle
d’un code de conduite qui énoncerait un certain nombre de principes comme,
par exemple, la nécessité de maintenir un homme dans la boucle (man in the
loop), en particulier si le système a une application létale, de mettre en place des
mesures de transparence, gage de confiance entre les États, ou encore de ne pas
empêcher les États de poursuivre des activités de R&D ni les priver d’avancées
technologiques sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions.
L’un des avantages que présenterait un code de conduite sur l’autonomisation
des systèmes d’armes tiendrait alors au fait qu’il pourrait permettre d’exclure
les drones de son champ d’application dans la mesure où il s’agit bel et bien
d’aéronefs pilotés.

des questions en suspens


Cela étant, quelque soit l’objectif final qui serait recherché (texte
juridiquement contraignant ou instrument concerté non conventionnel), une
claire délimitation du champ d’application devrait être faite et un certain
nombre de points inévitablement abordés :
• la définition des termes :
L’un des documents du rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme
soulignait à cet égard le fait « [qu’une] confusion peut résulter, par exemple,
des différences de vues sur la question de savoir si le terme “autonome” décrit
la capacité d’une machine d’agir conformément à la morale et avec une capacité

(611) Camille Grand, op. cit.

564
de raisonnement éthique ou s’il pourrait se référer simplement à la capacité
de prendre des mesures indépendamment de tout contrôle humain » (612) ;
• le double usage ;
• la vérification, en prenant en compte les difficultés que peut poser la
détection de systèmes ayant une faible signature ;
• les acteurs non étatiques :
Comme les précédentes, cette question est devenue classique dans le
domaine de l’arms control. On se rend bien compte aujourd’hui que l’une
des grandes difficultés de la maîtrise des armements tient à l’immixtion de
ces acteurs dans des problématiques qui relevaient il y a encore quelques
années de la seule sphère étatique. C’est vrai bien sûr en ce qui concerne les
armes conventionnelles, et notamment les armes légères et de petit calibre,
mais également les armes de destruction massive. De la même manière, si
la communauté internationale venait à s’intéresser à la question des sys-
tèmes d’armes opérés à distance, elle ne pourrait occulter ces acteurs ; parce
qu’ils peuvent pour certains recevoir dans ce domaine le soutien d’un ou de
plusieurs États, comme c’est le cas du Hezbollah, ou parce qu’ils peuvent
« droniser » des systèmes.
L’objet de ces développements n’était en aucune manière de conduire
une étude approfondie et exhaustive sur la campagne initiée par certaines
organisations issues de la société civile contre les systèmes d’armes opérés à
distance et autonomes. Il ne s’agissait pas plus de conduire une analyse critique
des positions qui y sont défendues, ni même de s’interroger sur leur pertinence.
L’objet de ce chapitre était tout au plus de relever l’existence de ce courant et
de souligner l’importance qu’il y a à ne pas le minimiser.
Il n’y a pas aujourd’hui de raisons particulières de s’inquiéter de cette
campagne ou de penser qu’elle débouchera à court terme sur l’adoption d’un
texte juridiquement contraignant encadrant les systèmes d’armes opérés à
distance et autonomes. Cela étant, il apparaît tout de même important de
réfléchir d’ores et déjà à cette éventualité, ne serait-ce que pour anticiper
d’éventuelles négociations.
Au terme de ces développements, certains aspects semblent intéressants
à relever. Tout d’abord, quand bien même il ne soit pas encore parfaitement
organisé, il existe bel et bien un courant anti-drones qui tend à se développer. On
voit bien que les problématiques soulevées sont multiples : éliminations ciblées,
autonomisation de futurs systèmes, distanciation, déshumanisation de la guerre,
etc. Aujourd’hui, les actions lancées dans le cadre de la campagne peuvent
sembler quelques peu éparses et, pour la plupart, relever de la manifestation
de rue sans véritable visibilité. Pour autant, une volonté de fédérer commence à
poindre, en particulier dans les organisations non gouvernementales britanniques.
Le Royaume-Uni apparaît en effet comme le cœur de la campagne puisqu’on
y trouve les organisations les plus actives : FoR-UK, Bro Emlyn for Peace
and Justice, Drone Wars UK, Drones Campaign Network… Si ce mouvement
n’est pas comparable avec ceux œuvrant contre les armes nucléaires, les mines
(612) A/65/321, op. cit., § 32, p. 20.

565
ou les armes à sous-munitions, on devine toutefois une volonté de fédérer et
d’organiser la contestation. Cette tendance doit d’autant plus être considérée
qu’elle dépasse, avec l’ICRAC, le seul registre de la contestation marginale
pour adopter une approche construite et réfléchie développant un programme
d’action en vue de parvenir à un régime de maîtrise des armements spécifique.
Deuxièmement, on observe que les drones sont trop souvent assimilés
à l’emploi particulier qui en est fait par la CIA. Il existe indéniablement un
amalgame entre drones et targeted killings qu’il convient impérativement de
dépasser en développant une approche pédagogique autour des drones, en
expliquant ce qu’ils sont et ne sont pas. La communication autour de ces
systèmes d’armes apparaît d’autant plus essentielle qu’ils restent malgré tout
très largement méconnus des opinions publiques et que cette méconnaissance
et l’absence de pilote embarqué rendent d’autant plus facile l’amalgame qui
peut être fait entre drones et robots. Il y a finalement une sorte de confusion
autour des drones, mêlée de fantasmes et de méconnaissance de sorte qu’il en
ressort des craintes et des croyances erronées.
L’une des principales craintes qu’expriment les différentes organisations
tient à l’autonomisation de futurs systèmes. De ce point de vue, il faut tout
d’abord bien dissocier ces éventuelles futures avancées des drones armés qui
sont aujourd’hui intégrés dans les forces et qui sont – insistons sur ce point –
des aéronefs pilotés avec des hommes dans la boucle que ce soit pour le
pilotage, l’analyse de renseignements, l’ouverture du feu, l’entretien, etc. Mais
ces craintes ne doivent pas pour autant être balayées d’un revers de main. Au
contraire elles doivent inciter à une réflexion juridique et éthique autour des
défis qu’induiraient des systèmes autonomes. S’intéresser à ces aspects ne revient
pas nécessairement à partager les points de vues ou les approches de celles et
ceux qui les condamnent mais l’introduction dans les forces de tout nouveau
système d’armes doit inévitablement être accompagnée d’une réflexion globale
qui ne peut faire l’économie de ces aspects.
De manière plus immédiate, cette campagne naissante doit inciter à anticiper
l’ouverture de discussions autour d’un régime de maîtrise des armements portant
sur les systèmes opérés à distance. La raison de cet impératif d’anticipation
est au moins double. D’une part, au niveau diplomatique, il s’agit d’éviter
que la France n’ait à subir ces discussions, de surcroît si elle venait à les rallier
tardivement. Le risque d’un tel scénario serait que la France se retrouve
devant un projet de convention élaboré sans elle par un noyau dur d’États
avec l’assistance d’ONG. D’autre part, au niveau opérationnel, il apparaît
important d’anticiper ces négociations pour être en mesure de préserver
l’intérêt opérationnel qu’offrent aujourd’hui aux forces les systèmes opérés à
distance, que ce soit du fait de la permanence en vol dont ils sont capables, de
la contraction du cycle d’engagement qu’ils permettent dès lors qu’ils sont en
mesure de délivrer de l’armement et de la possibilité qu’ils offrent de conduire
des actions en minimisant les risques pour les unités déployées, ce qui est

566
l’une des raisons pour lesquels Bradley Strawser évoque le « devoir » qu’il y a
à opérer des drones (613).

(613) Bradley J. Strawser, “Moral Predators: The Duty to Employ Uninhabited Aerial Vehicles”,
Journal of Military Ethics, 2010, vol. 9, n° 4, p. 344 et ss.

567
568
Technologie et souffrance
dans la guerre
Nolen Gertz

Le recours croissant à ce que l’on appelle communément « la guerre des


drones » (drone warfare) s’accompagne d’une littérature de plus en plus abondante
faite d’analyses et de critiques autour de ces programmes militaires. Bien que
cette technologie soit relativement récente, les questions qu’elle soulève ne le sont
étonnamment pas et n’apparaissent, en réalité, pas si éloignées des traditionnelles
interrogations d’ordre éthique sur la conduite de la guerre. Ainsi, pour en
donner un exemple récent, si l’article publié par Ron Rosenbaum dans Slate
Magazine sur la nécessité d’interdire l’emploi des drones porte le titre accrocheur
de « Ban Drone-Porn War Crimes » (614), cette prétendue « pornographie des
drones » n’est qu’une simple référence au fait que les enregistrements vidéo
fournis par ces derniers sont utilisés par des pilotes et mis en ligne sur Youtube
par le Pentagone. Le fait que ces images aient quelque chose de véritablement
pornographique et qu’il y ait un aspect sexuel ou plaisant à les regarder n’est
pas argumenté mais affirmé. Il serait sans doute plus intéressant d’avoir une
véritable analyse à ce sujet et, comme je le montrerai, cela aurait d’ailleurs plus
de sens pour le pilotage des drones que l’approche de Rosenbaum. Ce dernier
ne fait que des références désinvoltes aux pilotes tout en traitant en réalité des
problèmes de discrimination et de proportionnalité tels qu’on les trouve dans
la théorie ancienne de la guerre juste.
Le fait que la théorie de la guerre juste, une approche éthique de la guerre
trouvant ses sources chez Saint Augustin, soit considérée comme applicable
à la pratique contemporaine de la guerre à distance (unmanned warfare) est le
symptôme d’un problème plus large. Cela d’autant plus que Rosenbaum n’ignore
pas les expériences vécues par les pilotes de drones mais les aborde au regard de
la théorie de la guerre juste, les considérant donc comme parfaitement comprises.
Cet article discutera du fait de savoir si Michael Walzer et d’autres théoriciens
de la guerre juste partageant les mêmes vues sont parfaitement placés pour
répondre à la préoccupation croissante relative au caractère éthique du recours
à la guerre à distance. Dans la mesure où ils partagent avec les forces armées
une même vision du rôle que peuvent jouer les innovations technologiques dans
la conduite de la guerre, les théoriciens de la guerre juste peuvent facilement
adapter leur cadre éthique aux problèmes que posent aujourd’hui ces dernières.
Ce que je souhaite montrer est qu’un examen minutieux de la nature de cette
vision commune peut révéler des problèmes liés aussi bien à la théorie de la
guerre juste qu’à l’approche militaire non seulement de la guerre à distance, mais
également de la conduite même de la guerre. L’accent sera mis sur les dangers

(614) Ron Rosenbaum, “Ban Drone-Porn War Crimes”, Slate Magazine, 31 août 2010. http ://www.
slate.com/id/2265655/pagenum/all/

569
résultant de l’importance exagérée que les uns comme les autres accordent à ce
que peut réaliser la technologie si l’on écarte le combattant des risques de mort
et de destruction inhérents au champ de bataille ; cette vision les a conduit à
ignorer le sens que peut revêtir la technologie pour le combattant éloigné de
la communauté et de la sécurité du champ de bataille.
Le sens de mon propos peut être compris si l’on analyse de quelle manière
Walzer cherche à prouver l’applicabilité de la théorie de la guerre juste à la
technologie militaire. Walzer se prononçait déjà dans son ouvrage Just and
Unjust Wars contre la « possibilité que la nouvelle technologie de guerre [dans
ce cas, la dissuasion nucléaire] n’entre tout simplement pas dans l’ancien cadre
[des exigences formelles du jus in bello] et qu’elle ne peut pas y entrer » (615).
Dans son ouvrage plus récent, Arguing about War, Walzer relève le fait que « la
technologie moderne permet, au combat, une plus grande discrimination que
par le passé » (616) tout en mettant en garde contre « notre foi en la puissance
aérienne (…) comme une sorte d’idolâtrie » (617). Il rappelle également que
« les technologies militaires les plus avancées (…) ne mettent en effet pas
leurs utilisateurs en danger bien qu’elles imposent des coûts très élevés à leurs
cibles » (618). Ce dernier développement est affirmé comme tellement évident qu’il
ne nécessite ni arguments ni preuves dans la mesure où il est une conséquence de
la théorie de la guerre juste appliquée à la relation entre agresseurs et victimes
de l’agression, devenue à présent une relation entre « utilisateurs » et « cibles ».
Bien que selon le principe central de la théorie de la guerre juste, une guerre
puisse être justifiée, il ne faut pas oublier que cette justification n’est due qu’à
la conviction que l’agression peut nécessiter une contre-agression et que ce
qui distingue une partie de l’autre est la disponibilité de l’une d’entre elles à
accepter des contraintes quant au recours à l’agression. Autrement dit, selon
la théorie de la guerre juste, les victimes d’une agression doivent toujours être
protégées contre la souffrance qu’elle engendre. Par conséquent, selon cette
vision, la technologie militaire n’altère en rien cette relation mais doit plutôt
être perçue comme un simple outil permettant d’aider l’agresseur ou d’aider
la victime. C’est cette dichotomie qui permet à Walzer d’affirmer que les
avancées technologiques nous permettent de « combattre avec une plus grande
discrimination » et qu’elles sont, dans le même temps, dépourvues de risques
pour « l’utilisateur », sans prendre en compte la possibilité que cette plus grande
discrimination puisse en réalité induire un risque pour celui-ci.

faire L’expérience de La guerre à distance


Si nous nous rapportons au récent livre de Peter W. Singer, Wired for War
– ouvrage qui permet aux profanes d’appréhender la vitesse et la complexité
de l’innovation technologique militaire américaine aussi bien dans le passé,

(615) Michael Walzer Just and Unjust Wars, New York, Basic Books, 2006, p. 276.
(616) Ibid., p. 86.
(617) Michael Walzer, Arguing about War, New Haven, Yale University Press, 2004, p. 99.
(618) Ibid., p. 174.

570
qu’à l’heure actuelle et dans le futur – nous constaterons que la théorie de la
guerre juste est plutôt répandue, y compris dans les forces armées. Bien qu’il ne
s’agisse pas d’un ouvrage philosophique, mais plus d’un article de vulgarisation
long de 450 pages, celui-ci offre de riches informations sur l’expérience et la
vision qu’ont ceux dont le travail tourne autour de la technologie militaire
– des chercheurs et ingénieurs aux opérateurs de véhicules inhabités et aux
commandants.
Des thèmes émergent tout au long de ce livre aidant à analyser le sens de
ces expériences et de l’emploi de la technologie dans la conduite de la guerre. Le
premier thème, qui montre clairement que la théorie de la guerre juste et la
vision des forces armées sont très proches, aborde la technologie comme la
promesse d’une « guerre sans effusion de sang ». D’après l’ancien sénateur
John Warner, qui fut également secrétaire de la Navy et président du Comité
des forces armées du Sénat, « ce pays ne permettra plus jamais aux forces
armées de s’engager dans des conflits qui provoqueraient le niveau de pertes
connu par le passé ». Elles ont dû par conséquent « se tourner vers les véhicules
militaires inhabités pour conduire des missions impliquant un niveau élevé de
risque » (619). C’est ce à quoi fait référence Ralph Peters, officier de l’US Army
en retraite et analyste militaire, lorsqu’il évoque la « quête, essentiellement
américaine, du Graal, à savoir les croyances selon lesquelles la technologie
résoudra tous les problèmes humains et nous pourrons conduire des guerres
sans effusion de sang » (620). Comme il est évidemment impossible de mener
une telle guerre, il convient de reconnaître que cette préoccupation ne vise
que notre côté. Cette quête du « Graal » est ainsi sous-tendue par l’idée selon
laquelle « à distance » équivaut à « sans effusion de sang » ou, pour reprendre
la terminologie de Walzer, « dépourvue de risque ».
Il est sans doute pertinent de considérer que les véhicules inhabités offrent
aux forces armées un niveau de sûreté et de sécurité qui aurait auparavant
semblé inatteignable. C’est là une position partagée par David Grossman qui,
dans son ouvrage On Killing : The Psychological Cost of Learning to Kill in
War and Society, souligne le fait que la distance entre l’agresseur et la victime
est inversement proportionnelle au degré de résistance devant l’acte de tuer et
donc au taux de dommages psychiatriques du côté de l’agresseur. Autrement
dit, un personnel de l’infanterie combattant au corps à corps souffrira plus
probablement du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) qu’un pilote
de chasse. En fait, en évoquant ce qu’il appelle tuer à « distance maximale » ou
lorsque « le tueur n’est pas en mesure de percevoir ses victimes individuelles
sans recourir à une assistance mécanique sous une forme ou sous une autre
– jumelles, radar, périscope ou caméra vidéo à distance », Grossman explique :
« durant les années passées à lire et à faire des recherches sur le fait de tuer au
combat, je n’ai jamais trouvé un seul cas d’individu qui aurait refusé de tuer

(619) Peter W. Singer, Wired for War, New York, The Penguin Press, 2009, p. 60.
(620) Ibid., p. 291.

571
l’ennemi dans de telles circonstances, ni d’ailleurs de traumatisme psychiatrique
associé à cette manière de donner la mort » (621).
En revanche, dans son livre, Singer évoque le fait que les opérateurs de
véhicules inhabités, ou les « combattants de cabine » (cubicle warriors), subissent
une souffrance égale, voire même supérieure, à celle de leurs collègues combattant
de manière plus traditionnelle. Comme le note Singer, le colonel Michael Downs
pense que, « si elle n’est pas comparable à l’expérience sur le terrain », la guerre
à distance implique un stress psychologique et des relations émotionnelles
importants, peut-être plus importants que ce que l’on pourrait imaginer pour un
combattant de cabine (…). En effet, selon une étude portant sur les équipages
de drones de l’armée de l’air, contrairement à ce que l’on pourrait croire – à
savoir que la tâche devrait être plus facile pour les combattants à distance –
les équipages déportés ont subi « une fatigue, un épuisement émotionnel et un
surmenage nettement plus importants ». Il fut même constaté que le stress et
la fatigue du combat atteignaient un niveau égal, voire supérieur à celui de
nombreuses unités se trouvant physiquement dans la zone de guerre (622).
Cela suggère donc que les précédentes évaluations relatives aux capacités
de la technologie et à son emploi dans la conduite de la guerre ont manqué
un aspect important. Suivant une réflexion semblable à celle de Grossman, les
forces armées ont pu mettre en œuvre une technologie permettant de placer le
tueur à une distance véritablement « maximale », mais les données suggèrent
que les individus qui l’emploient subissent malgré tout des traumatismes. Cela
signifie soit que cette vision est erronée, soit que le rôle joué par la technologie
dans la relation entre distance et traumatisme ne fut correctement appréhendé.
Un indice sur cet élément manquant peut être trouvé si l’on reprend
Grossman et son propos introductif à la discussion portant sur la corrélation
entre distance et traumatisme. Son introduction s’achève ainsi : « De la même
manière que l’on a identifié la relation à la distance, nombre d’observateurs
ont également identifié le facteur de la distance émotionnelle ou empathique.
Mais personne n’a encore essayé d’analyser ce facteur pour déterminer ses
composantes et le rôle qu’elles jouent dans l’acte de tuer » (623). Pour mieux
comprendre la relation entre distance et traumatisme, ainsi que ses conséquences,
nous devons suivre la réflexion de Grossman à propos de l’importance du
« facteur de la distance émotionnelle ou empathique ». Pour ce faire, nous
devons toutefois relever que Grossman se méprend lorsqu’il considère que
« personne n’a encore essayé d’analyser ce facteur » puisqu’en septembre 1918,
le cinquième Congrès international de psychanalyse fût organisé à Budapest
pour débattre précisément de ce thème.

(621) David Grossman, On Killing, Boston, Little, Brown and Company, 1995, pp. 107-108.
(622) Peter W. Singer, op. cit., pp. 346-347.
(623) David Grossman, op. cit., p. 98.

572
comment interpréter Le fait de (ne pas) être présent
Au cours de la Première Guerre mondiale, Freud et ses disciples ont
reconnu que la raison pour laquelle les neurologues ne parvenaient pas à traiter
correctement leurs patients tenait au fait qu’ils mobilisaient une étiologie
physicaliste reposant sur l’idée que le choc des tranchées (shell shock) ne
pouvait être causé que par le « choc » (shock) de se trouver à proximité d’un
« obus » (shell) qui explosait. En considérant le choc des tranchées comme une
« névrose de guerre », ils ont à la fois pu traiter plus efficacement les patients
et comprendre pour quelle raison l’apparition des traumatismes n’était pas
nécessairement liée à la distance par rapport à l’obus. Il y a un aspect important
dans leur découverte et leur réussite : ils ne désignaient pas sous l’expression
« névrose de guerre » un phénomène propre à la guerre mais plutôt une névrose
qui apparaît au cours de celle-ci et pouvant être appréhendée de la même
manière que les névroses qui apparaissent en temps de paix. Sándor Ferenczi,
Karl Abraham, Ernst Simmel et Ernest Jones soulignaient que les facteurs à
l’origine du traumatisme seraient sexuels, restant ainsi dans le modèle freudien
de la névrose. Or, en étudiant les cas présentés par ses disciples, suite aux travaux
qu’ils menèrent durant la guerre, Freud a lui-même relevé que les névroses
de guerre amenaient à reconsidérer le modèle des névroses dans sa globalité.
Ce qui nous intéresse dans cet article est la manière par laquelle Freud, au
regard des découvertes de ses disciples, a reformulé le « complexe d’Œdipe »
et l’« angoisse de castration ». Pour éviter de trop entrer dans la terminologie
freudienne et dans les différentes objections qui y sont habituellement associées,
nous allons résumer ces nouvelles positions afin de pouvoir nous concentrer
sur l’éclairage qu’elles offrent et qui pourrait être utile à notre sujet. D’une
manière générale, Freud considérait que l’anxiété d’être puni pour un désir
inacceptable résultait de la nécessité de réprimer ce désir puisqu’il constituait
un danger intérieur. Il changea de position, considérant que cette angoisse
était en réalité la cause de la répression générée par un danger extérieur. Avoir
conscience du fait qu’agir selon son désir conduirait à un danger extérieur de
punition engendre une angoisse qui ne peut être soulagée qu’en éliminant ce
désir et, dès lors, la menace qu’il a fait naître.
Ainsi, l’enfant ne réprime pas ses pulsions sexuels parce qu’elles seraient
perçues comme dangereuses et donc indésirables, mais parce que leurs
conséquences constituent un danger, à savoir la menace de castration ou,
plus généralement, celle de la perte de ce qui procure à l’enfant du plaisir. Un
adulte peut également éprouver de l’angoisse vis-à-vis de pareilles menaces
lorsqu’il ressent du plaisir par des procédés socialement inacceptables. Cette
angoisse est due à ce que Freud appelle « des modifications contemporaines »
des « situations anciennes de danger » (624). Pour illustrer ces modifications,
bien que Freud propose l’exemple de la « syphilidophobie », je suggérerai
que le fait d’être libéré de l’armée pourrait présenter une menace anxiogène

(624) Sigmund Freud, “Lecture XXXII: Anxiety and Instinctual Life”, in The Freud Reader, edited
and translated by Peter Gay, New York, W. W. Norton & Co., 1989, p. 779.

573
similaire. Ainsi, ce dont l’individu redoute la perte dans ce cas n’est pas une
source organique de plaisir, mais une autre, découverte plus récemment : l’arme.
L’idée essentielle consiste donc à dire que la « résistance devant l’acte de tuer »
qui, d’après Grossman, est naturelle et correspond au traumatisme induit par
la proximité physique avec l’ennemi serait, selon Freud, une résistance aux
conséquences du fait de tuer et d’en prendre plaisir d’une manière inacceptable.
Elle correspondrait donc au traumatisme généré par la proximité non seulement
avec l’ennemi, mais également avec le commandant ou avec d’autres sources
possibles de punition. Il n’est pas nécessaire en conséquence que cette proximité
soit physique, ni même « émotionnelle ou empathique » ; il pourrait simplement
s’agir d’une proximité imaginée qui opérerait de façon similaire à la paranoïa
et à la capacité qu’a cette dernière de se manifester, que les objets de la peur/
redoutés soient ou non physiquement présents.
Pour avoir plus d’arguments appuyant cette stratégie, il est utile de consulter
le livre Trained to Kill dans lequel Thomas Nadelson, vétéran et psychiatre
militaire, tente d’expliquer au grand public les conséquences de la guerre (en
particulier celle du Viêt-nam) pour les vétérans et par là même aider ces derniers
à se faire mieux comprendre par le public qu’ils ont laissé derrière et qu’ils
tentent de réintégrer. Un thème majeur et récurrent de l’ouvrage porte sur la
difficulté des vétérans face au plaisir qu’ils ont éprouvé au cours de cette guerre.
Si cela est devenu pour certains une addiction les poussant à chercher d’autres
manières d’éprouver à nouveau ce plaisir – comme par exemple réintégrer
l’armée, déclencher des bagarres ou consommer des drogues –, pour d’autres
cela fut la source d’une profonde culpabilité. Ainsi, pour Nadelson, comme
pour Freud, la guerre ne peut pas être correctement comprise sans considérer
les rôles que jouent le plaisir et la perception imaginée de l’opinion publique.

freud appLiqué à La guerre à distance


Cette nouvelle approche du traumatisme et ce concept plus fluide de distance
présente l’avantage d’être plus adapté à la multiplicité des distances que l’on peut
retrouver dans l’emploi de la technologie militaire et, dès lors, nous permettre
de mieux cerner de quelle manière cet emploi peut provoquer un traumatisme.
En analysant la relation entre la technologie militaire et les jeux vidéo, l’un des
principaux thèmes du livre de Singer, nous constaterons, d’une part, l’importance
de ce type de distance et, d’autre part, le rôle que cette relation – en apparence
si inoffensive – peut jouer dans l’apparition d’un traumatisme. Il est clair, pour
toute personne qui s’y intéresse, que les jeux vidéo cherchent à se rapprocher le
plus fidèlement possible de la réalité du combat. Une nouvelle étape a d’ailleurs
récemment été franchie avec le jeu Medal of Honor, créé avec la participation de
deux anciens membres du commandement américain des opérations spéciales
(US Special Operations Command). En revanche, la volonté qu’ont les forces
armées de reproduire la réalité des jeux est peut-être moins connue. Une des
illustrations de cette tendance est la volonté des constructeurs de véhicules
inhabités à usage militaire de concevoir des commandes sur le modèle de celles
des consoles vidéo ou, dans certains cas, d’adapter ces dernières à un emploi

574
militaire. D’après Singer, les chercheurs militaires tentent à présent de résoudre
le problème de l’interface en « s’adaptant à ce que connaissent et attendent les
soldats ». Et il s’agit, pour les jeunes hommes d’aujourd’hui, des jeux vidéo.
Comme l’explique Greg Heines, responsable du projet Dragon Runner de la
Navy (un robot terrestre de petite taille) : « Nous avons conçu les commandes
sur le modèle de la PlayStation car c’est avec cela que les jeunes Marines de
18-19 ans ont joué quasiment toute leur vie ». En utilisant des commandes
semblables à celles des jeux vidéo, les forces armées peuvent tirer profit des
milliards de dollars déjà dépensés par les fabricants de jeux pour concevoir des
commandes et former toute une génération à leur emploi (625).
Cette adaptation des commandes de la PlayStation ou, dans le cas de la
compagnie Foster-Miller, de la Game-Boy Nintendo (626), n’est rien de plus
qu’une solution pragmatique visant à réduire le temps nécessaire à la formation
des opérateurs de véhicules inhabités. Il s’agit dans le même temps d’un moyen
de les aider à être plus à l’aise dans la mise en œuvre de ces véhicules grâce
à l’utilisation d’une technologie qu’ils connaissent déjà et qu’ils aiment, bien
sûr, utiliser.
Cependant, la recherche de cette familiarité avec la technologie pourrait avoir
des conséquences indésirables pour les opérateurs. Par exemple, même dans un
environnement qui serait éloigné de son salon et avec des objectifs autrement
différents que parvenir à accumuler plus de points que ses amis, l’utilisation
de commandes d’une console vidéo amène inévitablement l’individu à se sentir
comme devant un jeu. Ainsi, « selon la description que faisait un militaire de son
expérience durant la guerre d’Irak, lorsqu’il avait combattu depuis une cabine
située au Qatar, “C’est comme un jeu vidéo. Ça peut devenir un peu sanguinaire.
Mais c’est trop cool” » (627). Accuser cet opérateur de véhicule inhabité de
croire véritablement qu’il était devant un jeu vidéo revient à l’infantiliser, à
le considérer simplement trop immature pour réaliser que le comportement
« sanguinaire » ne devrait pas être considéré comme étant « cool ». Pourtant,
pour Singer comme pour nombre de membres des forces armées, cela pose un
véritable problème : « Comme l’explique un général de division de l’US Army,
“ [l] a créativité innée, la capacité d’innovation et l’initiative dont font preuve
ces jeunes femmes et ces jeunes hommes dissimulent leur affligeant manque de
préparation psycho-sociale”. Indépendamment du nombre d’années passées
devant les jeux vidéo, plus un individu est jeune, moins il aura une expérience
de la vie et moins il sera formé et instruit en ce qui concerne les dilemmes
uniques et souvent extrêmes de la guerre (…). “Comment parvient-on à former
des individus ayant trois à quatre ans d’expérience à prendre des décisions
qui seraient normalement prises par quelqu’un qui aurait dix à quinze années
d’expérience ?” s’interrogeait un officier des Marines » (628).

(625) Peter W. Singer, op. cit., p. 68.


(626) Ibid., p. 30.
(627) Ibid., p. 332.
(628) Ibid., p. 367.

575
L’âge constitue sans doute un aspect important, mais nous devons prendre
soin de ne pas surestimer son rôle, notamment parce qu’il peut fausser notre
vision de l’expérience. Tout comme d’ailleurs si l’on ne prend en compte que
la distance physique.
Si ce combattant de cabine situé au Qatar a trouvé que son expérience
était « comme dans un jeu vidéo » et « cool », on ne doit pas oublier qu’il l’a
également trouvée « sanguinaire ». Cela suggère qu’il a peut-être compris,
d’une manière ou d’une autre, qu’il n’était pas bien de considérer la guerre
aussi plaisante. Ainsi, plutôt que de considérer que le problème est ici lié à son
« affligeant manque de préparation psycho-sociale », devrions-nous estimer,
selon les conclusions de Freud, que le problème tient en fait à un excès de
préparation. Si un combattant traditionnel peut sans problème prendre plaisir
au combat lorsqu’il est sur le champ de bataille, au milieu d’autres combattants
et détaché des contraintes de la civilisation, en revanche, le combattant de
cabine se trouve, pour sa part, près de chez lui, entouré de sa famille et de ses
amis, et est totalement immergé dans les contraintes de la civilisation alors qu’il
exécute des actions qui sont contraires à celle-ci. Ainsi, comme « l’explique un
pilote de Predator, “ [l] a plupart du temps, je fais la guerre et puis, le soir, je
rentre à la maison voir ma femme et mes enfants”. Un autre pilote évoquait les
missions aériennes en Afghanistan, à la suite desquelles il rentrait à la maison
voir des rediffusions de la série Friends » (629). De la même manière, le colonel
Downs, « marié et père de trois enfants », expliquait à Singer que « lorsque tu
es déployé, la mission est ton seul boulot (…), lorsque tu es chez toi, tu dois
toujours accomplir la mission mais tu dois également gérer d’autres choses à
côté, plus la famille ». Lorsque Singer lui a demandé « si un jour les combattants
qui font la guerre à distance pourraient laisser leur travail au bureau, comme le
font d’autres professionnels », le colonel Downs « est resté silencieux pendant
trente secondes (…) puis a répondu : “on ne décroche pas vraiment” » (630).
Les difficultés que pose cette proximité du combattant de cabine avec son
domicile pourraient donner l’impression que le problème tient de nouveau
à la distance et donc – comme nous avons retiré le combattant du champ de
bataille – nous n’aurions qu’à éloigner la cabine du combattant de sa maison.
C’était en effet la solution proposée par le colonel Downs et d’autres membres
des forces armées, convaincus que la création d’une « bulle de communication »
(à savoir l’interdiction d’appels téléphoniques personnels) et le fait de faire
« fonctionner l’unité tout en la maintenant (…) confinée à l’hôtel ou sur base »
permettrait d’« aider leurs forces à opérer avec une efficacité maximale et de
maintenir la séparation entre les deux mondes » (631). Cependant, si cette stratégie
ne peut, au mieux, que retarder l’inévitable rencontre de ces deux mondes, elle
peut également, au pire, créer l’illusion que l’on peut véritablement être loin
de sa maison, même si en réalité tous les combattants, qu’ils agissent ou non
depuis une cabine, doivent au final rentrer chez eux. Il n’est pas nécessaire,

(629) Ibid., p. 330.


(630) Ibid., p. 347.
(631) Ibid., p. 347.

576
comme nous l’avons déjà vu en évoquant Freud, de rentrer concrètement à la
maison. Ce retour peut avoir lieu en étant tout simplement confronté à ce que
représente la maison, que ce soit à travers des photos de famille, des lettres
d’amis, en se rappelant ses engagements personnels ou en ayant conscience de
ses obligations sociales.
On peut même considérer que le problème du « chez soi » dans un contexte
de guerre dépasse le domaine des combattants, qu’ils soient ou non « de cabine »
puisque les chercheurs et les ingénieurs qui créent la technologie permettant
la guerre à distance peuvent être confrontés à une semblable tension lorsqu’ils
sont obligés de réfléchir à son usage final et à ses conséquences. Singer note :
« Si le financement par les forces armées est la norme, il est également, d’après
[le roboticien Illah] Nourbahksh, un “sujet très délicat” que peu de personnes
abordent. Lorsqu’on l’interroge, par exemple, sur ce qu’il pense des conséquences
de l’armement des robots, Brian Miller, notre ingénieur NASCAR devenu
roboticien, répond simplement, “Je reste en dehors de la politique”. De la même
manière, Sebastian Thrun change de conversation lorsqu’on évoque l’impact
politique de ses recherches. “J’ignore tout ça pour construire ce véhicule” (…).
Tout comme la NRA affirme que les armes à feu ne tuent pas d’individus,
ils expliquent que leur recherches peuvent servir de bonnes ou de mauvaises
causes, la responsabilité de ce qui se passe en dehors de leurs laboratoires ne
leur revenant pas » (632).
Pour comprendre comment ces roboticiens peuvent eux-mêmes éprouver
la tension entre le champ de bataille et leur chez soi sans jamais s’engager
dans le combat ni même quitter leur pays, peut-être devons-nous considérer le
problème du « chez soi » comme faisant partie intégrante de la question, plus
large, de la responsabilité. Le « chez soi » représente en effet le sentiment d’être
obligé d’assumer la responsabilité ou, en termes freudiens, de se sentir puni
pour des actions qui sont généralement considérées comme mauvaises même si,
dans un contexte de « combat », elles sont justifiées et comprises comme justes.
Il importe, pour mieux cerner la question de la responsabilité au cours
d’une guerre, de revenir à Walzer et à la théorie de la guerre juste et d’analyser
la manière dont elle opère. Dans la dernière section de son ouvrage Just and
Unjust Wars intitulée « La question de la responsabilité », Walzer veut à la fois
affirmer que l’entraînement militaire est un « exercice sans fin visant à dissoudre
la prévenance, la résistance, l’hostilité et l’indiscipline individuelles [du soldat] »
et qu’il existe « une humanité ultime qui ne peut être dissoute et dont nous
n’accepterons pas la disparition » (633). Il cite ainsi un soldat français en Algérie
ayant refusé de se battre : « C’est là le plus difficile, être écarté de la fraternité,
se voir enfermé dans un monologue, être impossible à comprendre ». Walzer
accepte le fait que le refus conduit à être « écarté » mais il rejette l’idée selon
laquelle cela serait « impossible à comprendre » en montrant que c’est « peut-

(632) Ibid., pp. 174-175.


(633) Michael Walzer, Just and Unjust Wars, op. cit., p. 311.

577
être une expression trop forte car dans de telles circonstances, un individu fait
appel aux normes morales communes » (634).
En devenant soldat, l’Algérien a donc perdu son individualité et, par son
refus, il s’est écarté de ses camarades dont l’individualité avait également été
dissoute. Or, selon Walzer, le soldat a conservé cette « humanité ultime » grâce à
laquelle ses actions ne deviennent pas « impossible à comprendre ». Avec celle du
soldat algérien, Walzer recueille également les confessions et les témoignages de
soldats ayant refusé de participer au massacre de My Lai comme de ceux qui y
ont pris part. Il en ressort qu’au-delà de la « fraternité » militaire, il existe cette
« humanité ultime » à laquelle les soldats peuvent faire appel pour désobéir aux
ordres et que nous pouvons utiliser pour condamner ceux qui y obéissent. Ainsi
pour Walzer, les « exemples de refus, de retard, de doute et d’angoisse à My Lai »
constituent des « confirmations intérieures de nos jugements extérieurs » (635),
selon lesquels si un soldat est « capable d’hésiter », alors il peut et doit hésiter
car « le sens moral et la perception ordinaires interdisent les assassinats comme
ceux de My Lai » (636). Mais Walzer accepte que pour le soldat, la « fraternité »
comme l’ « humanité » fonctionnent, et nuance ainsi son propos en admettant
que « la vie morale est enracinée dans une sorte d’association que la discipline
militaire exclut ou annule temporairement, ce qui doit également être pris en
compte dans nos jugements » (637).
Le conflit existant entre le fait d’admettre que la « discipline militaire » peut
écarter le soldat de ce que Walzer appelle notre « moralité commune » et le fait
de continuer à tenir les soldats responsables devant cette moralité commune
apparaît le plus clairement lorsque l’auteur aborde le problème des « mains
sales ». Après avoir présenté en détail de quelle manière Winston Churchill et
d’autres se sont « dissociés » des pilotes de chasse qui avaient reçu l’ordre de
bombarder l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale, et après avoir
noté que cette « politique semble cruelle », Walzer relève : « En termes généraux,
[cette politique] se résume ainsi : si elle est désespérée et que sa survie même est
en danger, une nation menant une guerre juste doit employer des soldats sans
scrupules ou ignorant la morale ; et elle doit les désavouer dès qu’ils ne sont
plus utiles. Je dirais les choses différemment : sous la pression de la guerre, des
hommes et des femmes intègres doivent parfois commettre des actes terribles et
trouver, par la suite, une manière de réaffirmer les valeurs qu’ils ont renversées.
Mais la première variante est peut-être plus réaliste. Car comme Machiavel
l’écrivait dans ses Discours, il est très rare “que quelqu’un de bien soit disposé
à recourir à des moyens cruels” même lorsqu’ils sont moralement nécessaires.
Nous devons donc chercher des individus qui ne sont pas bons, les utiliser et
les déshonorer » (638).

(634) Ibid., p. 316.


(635) Ibid., p. 311.
(636) Ibid., p. 313.
(637) Ibid., p. 316.
(638) Ibid., pp. 324-325.

578
Non seulement Walzer accuse ces soldats de faire ce qu’on leur a demandé,
mais il suggère que nous – qui ne faisons que demander – sommes moralement
supérieurs à eux qui obéissent car il est clair que, tout comme « quelqu’un de
bien », nous ne « serions pas disposés » à le faire et nous placerions nos « valeurs »
au-dessus de toute autre chose. Ainsi, Walzer peut donc affirmer que lorsque
l’on donne aux soldats l’ordre de commettre un crime parce que la nation est
en danger, « ils sont des meurtriers, mais pour une bonne cause » et « [qu’] ils
ont tué d’une manière injuste, au nom de la justice, mais la justice exige que
les meurtres injustes soient condamnés » (639).
Nous n’avons toutefois pas l’intention de critiquer la conclusion de Walzer
selon laquelle les actions peuvent à la fois être justifiables et condamnables
uniquement parce qu’il y en aurait une meilleure à trouver. Nous souhaitons
plutôt nous interroger sur le sens que revêt cette conclusion – tirée par quelqu’un
qui recherche véritablement la justice – pour les membres de forces armées qui
doivent la vivre. Si l’on a pu voir que les roboticiens essaient de vivre cette tension
en l’esquivant ou en l’ignorant, il est moins évident de savoir ce qu’il en est
pour ceux qui ne se permettent pas ce luxe, leur lien avec les forces armées étant
nettement plus concret. Des indices peuvent être trouvés si l’on se tourne vers
un autre thème majeur du livre de Singer que l’on pourrait appeler la symbiose
entre humain et technologie. Cette relation symbiotique entre l’utilisateur et
l’élément utilisé apparaît de manière volontaire (par exemple dans le projet
du Pentagone qui vise à opérer une technologie « haptique » pour « établir une
relation totalement fusionnelle entre aéronef et pilote » (640)) comme involontaire
(lorsque par exemple « une unité de la 737e Ordnance Company (…) a donné
à son robot NEDEX le nom de sergent Talon ; le sergent Talon fut promu
sergent-chef et reçut trois Purple Hearts » (641).
Il est aisé de constater qu’un tel lien entre les véhicules inhabités et leurs
opérateurs peut constituer à la fois un avantage pratique pour les forces armées,
comme c’est le cas pour l’adaptation militaire des commandes de consoles vidéo,
et un avantage personnel pour le soldat, en tant que source d’amusement ou
de confort dans la tension de la guerre. Toutefois pour les soldats, ces liens ne
sont peut-être pas une simple manière de devenir plus efficaces et détendus par
rapport à la technologie mais également une façon de remplacer les liens perdus
avec la « moralité commune » (Walzer) ou avec la « civilisation » (Freud). Cette
interprétation du lien symbiotique pourrait alors, par exemple, nous aider à
comprendre pourquoi « lorsqu’un robot fût mis hors de service en Irak, un
opérateur NEDEX a couru cinquante mètres sous le feu d’une mitrailleuse
ennemie pour “le sauver” » (642).
Traditionnellement, les soldats pouvaient remplacer les liens rompus avec
leur communauté en en développant de nouveaux avec leurs « frères d’armes ».
Or, dans la guerre technologique, ces liens restent perdus tout comme ceux avec

(639) Ibid., p. 323.


(640) Peter W. Singer, op. cit., p. 70.
(641) Ibid., p. 338.
(642) Ibid., p. 339.

579
les camarades combattants. Cela apparaît à travers un autre thème abordé par
Singer, à savoir celui de la division entre combattants et combattants de cabine.
C’est ce que l’on peut constater à travers le récit qu’un soldat fait à Singer. Il
lui raconte par exemple que lorsqu’il y avait un désaccord entre les unités au
sol et l’opérateur du drone les survolant, « il ne considérait pas celui-ci comme
un camarade combattant, mais comme “un type quelque part à Vegas pressé
d’emmener ses enfants à un match de foot ou d’aller jouer au casino” » (643). De
la même manière, un officier des opérations spéciales de retour d’Irak racontait
à Singer qu’« un combattant doit assumer des risques physiques », autrement
dit, si le pilote d’un Predator n’est qu’« un type qui reste sur la base de Nellis
et emmène son enfant jouer au foot », quelqu’un comme « AMZ (644) était sur
place risquant sa peau sur le champ de bataille et dirigeant ses hommes au
combat » (645).
Nous sommes maintenant en mesure de mieux comprendre pourquoi un
opérateur de véhicule inhabité peut non seulement attribuer des surnoms, des
titres et des médailles à son véhicule, mais pourquoi il est également capable
de risquer sa vie pour le sauver. Et cela parce que les opérateurs traitent
leurs robots comme ils souhaiteraient eux-mêmes être traités et non comme
ils sont traités, par leur famille, leurs amis et même par leurs frères d’armes.
Avant de correctement pouvoir analyser ces relations et ces expériences, une
théorie de la guerre juste appliquée à la technologie militaire, tout comme,
d’une manière plus générale, la théorie traditionnelle de la guerre juste, nous
permettra seulement d’établir des règles d’engagement ou des lois de conduite
de la guerre qui protègent les non-combattants tout en continuant à ignorer
le fait que les combattants qui doivent agir en fonction de ces lois et leur obéir
ont eux aussi besoin de protection. Une protection que nous ne comprenons
ou ne reconnaissons pas encore totalement. Comme nous prévenait Clausewitz
dans son livre De la guerre, essayer d’éliminer « toute passion » de la guerre
c’est la traiter comme une « sorte d’algèbre de l’action » (646). Autrement dit,
peut-être que nos tentatives visant à créer une « guerre sans effusion de sang »
n’ont fait qu’engendrer une « guerre dépourvue de liens ».
(Traduit de l’anglais par Gabriela Sulea Boutherin)

(643) Ibid., p. 337.


(644) AMZ est Abu MUsab al-Zarqawi, le leader de l’Al-Qaeda en Irak. L’opérateur des forces
spéciales avait participé à son élimination.
(645) Peter W. Singer, op. cit., pp. 330-331.
(646) Carl von Clausewitz (trad. O.J. Matthijs Jolles), On War, New York, Random House, 1943, p. 4.

580
Systèmes automatisés
capables de raisonnement
éthique(647)*
Ronald C. Arkin

La tendance est sans équivoque : les guerres vont perdurer, et à terme, ce


sont des robots autonomes qui seront déployés pour en assurer la conduite.
Parlant des progrès de la technologie de l’époque, et de leurs conséquences sur
le caractère inévitable des conflits, Clausewitz avait déclaré que « les progrès
de la civilisation n’affectent ni ne modifient en rien notre inclination à détruire
l’adversaire, véritable fondement de notre conception de la Guerre » (648). Plus
récemment, Cook a fait remarquer que « le fait que l’on fasse très souvent fi des
contraintes de la guerre juste ne prouve pas davantage que ceux-ci soient erronés
ou dépassés, pas plus que l’existence de comportements immoraux ne réfute les
critères de moralité communément admis : nous connaissons ces critères, et nous
savons aussi que les êtres humains échouent avec une régularité décourageante
à s’en montrer à la hauteur » (649). Dans ces conditions, c’est naturellement que
se pose la question de savoir si les systèmes automatisés sont capables de se
plier aux lois de la guerre actuellement en vigueur aussi bien, voire mieux, que
nos soldats. Si cet objectif était atteint, le résultat en serait une diminution des
dommages collatéraux, c’est-à-dire des victimes civiles et de leurs biens. Les
recherches que nous avons menées dans notre laboratoire (650) privilégient pour
le traitement de ce problème une approche directement conceptuelle. Quand
on observe que les robots sont déjà plus rapides, plus forts, et dans certains
cas (aux échecs, par exemple), plus intelligents que les êtres humains, est-il si
impensable qu’ils soient un jour également capables de faire preuve envers
nous de davantage d’humanité sur le champ de bataille que nous ne le faisons
nous-mêmes ?

(647) * L’article suivant est pour une grande partie tiré de l’article de l’auteur intitulé Governing
Lethal Behavior in Autonomous Robots publié par Chapman-Hall (Taylor & Francis) au printemps
2009. Il a fait l’objet d’une première publication en français dans Ronan Doaré, Henri Hude (dir.), Les
robots au cœur du champ de bataille, Paris, Economica, coll. « Guerres et opinions », 2011, pp. 69-82
et est ici republié en l’état avec l’aimable autorisation des éditeurs.
(648) Carl von Clausewitz, “On the Art of War”, 1832, in L. May, E. Rovie, S. Viner (eds.), The
Morality of War: Classical and Contemporary Readings, Pearson-Prentice Hall, 2005.
(649) Cook, M., The Moral Warrior: Ethics and Service in the US Military, State University of New
York Press, 2004.
(650) Arkin, R.C., Governing Lethal Behavior in Autonomous Systems, Taylor and Francis, 2009;
Arkin, R.C., Ulam, P., “An Ethical Adaptor : Behavioral Modification Derived from Moral Emotions”,
IEEE International Symposium on Computational Intelligence in Robotics and Automation (CIRA-
09), Daejeon, KR, décembre 2009; R. C.Arkin, A. Wagner, B. Duncan, “Responsibility and Lethality
for Unmanned Systems: Ethical Pre-mission Responsibility Advisement”, Proc. 2009 IEEE Workshop
on Roboethics, Kobe JP, mai 2009.

581
La tâche n’est certes pas facile. Dans le brouillard de la guerre, il est bien
difficile pour un être humain de déterminer concrètement si une cible donnée
est bel et bien légitime. Par bonheur, un certain nombre de raisons nous invitent
à prédire, qu’au-delà de l’état actuel de la recherche, les robots autonomes
seront à l’avenir capables de mieux se comporter que les êtres humains dans
ce type de situation :
1. Les robots ont la capacité d’agir avec retenue : en d’autres termes, ils
n’éprouvent pas le besoin de se protéger dans des situations où l’identifica-
tion de la cible ne peut être effectuée qu’avec un faible degré de certitude.
Les véhicules robotisés armés et autonomes ne sont pas prioritairement
motivés par l’instinct de survie, à supposer qu’ils puissent l’éprouver. Au
besoin, ils peuvent donc être légitimement programmés pour se sacrifier, et
ce sans que les commandants d’unités n’en éprouvent la moindre réserve.
Nul besoin, ici, d’adopter une approche qui consisterait à « tirer d’abord,
et à poser les questions ensuite ».
2. Il faut envisager à terme la mise au point et l’utilisation d’une large
gamme de capteurs robotiques mieux équipés pour l’observation du champ
de bataille que le matériel actuellement à disposition des êtres humains. On
peut penser entre autres à des avancées technologiques dans les domaines
de l’électro-optique, des radars à synthèse d’ouverture SAR (Synthetic
Aperture Radar) (c’est-à-dire insensibles à l’obstacle des murs), de l’acous-
tique et de la détection sismique, pour n’en citer que quelques uns.
3. Les systèmes robotisés autonomes peuvent être conçus pour ne pas éprou-
ver d’émotions, lesquelles pourraient perturber leur capacité de jugement,
ou se traduire par de la colère ou de la frustration face aux péripéties de
la bataille. Par ailleurs, « la peur et l’hystérie, bien souvent palpables, et
en permanence à l’état latent dans les phases de combat, finissent par dic-
ter nos décisions, quand elles ne nous poussent pas à des comportements
criminels » (651). Les agents robotisés ne risquent guère de tomber dans les
mêmes travers.
4. La possibilité d’éviter le problème des « scénarios qui se réalisent »,
inhérent à la psychologie humaine ; d’aucuns considèrent ce facteur par-
tiellement responsable de la décision qui a conduit le bâtiment américain
Vincennes à abattre en plein vol un avion de ligne iranien en 1988 (652). Ce
phénomène aboutit à la déformation ou à la non-prise en compte d’infor-
mations contradictoires dans les situations de stress, au cours desquelles
nous n’avons recours à l’information nouvelle que dans la mesure où celle-
ci concorde avec ce que nous croyons préalablement, ce qui s’inscrit dans
une logique de refus prématuré de prise en compte d’information. Ce type
de comportement ne saurait affecter les robots.
5. Ceux-ci sont en mesure, avant d’user de force létale en représailles, d’in-
tégrer davantage d’information à partir de sources en plus grand nombre,
et ce, beaucoup plus vite qu’un être humain ne saurait y parvenir en temps

(651) Michael Walzer, Just and Unjust Wars, Basic Books, 1977, 4th ed.
(652) Sagan, S., “Rules of Engagement”, in Avoiding War: Problems of Crisis Management (Ed. A.
George), Westview Press, 1991.

582
réel. Ces données peuvent provenir de multiples sources de renseignement
(y compris d’origine humaine) et de capteurs à distance, dans le cadre du
concept de guerre en réseau de l’armée de terre (653), et des avancées simul-
tanées de la Global Information Grid, architecture de transmission et de
traitement de l’information (654). « Les systèmes militaires (armes y com-
pris) actuellement en gestation seront trop rapides, trop miniaturisés, trop
nombreux et vecteurs d’un environnement trop complexe pour que les êtres
humains puissent les diriger » (655).
6. Lorsqu’ils constituent un élément organique d’une équipe mêlant sol-
dats et systèmes autonomes, on peut imaginer ces derniers capables de sur-
veiller, de manière indépendante et objective, le comportement éthique des
personnels sur le champ de bataille, et de rendre compte, le cas échéant,
des infractions observées. Leur seule présence pourrait d’ailleurs conduire
à une diminution des infractions commises dans ce domaine par les êtres
humains.
Mises à part ces considérations éthiques, les systèmes autonomes offrent
aux armées la promesse de nombreuses avancées dans le domaine des capacités
opérationnelles : citons entre autres des progrès en matière de rapidité d’action,
de coût, d’accomplissement des missions, d’autonomie, de persévérance et
d’endurance, de précision, d’engagement d’objectif et d’invulnérabilité aux
armes chimiques et biologiques (656). Tous ces éléments sont de nature à
améliorer l’efficacité dans la conduite des missions, et à justifier le déploiement
actuel de ces systèmes. Cependant, notre recherche s’intéresse en priorité aux
retombées positives que l’utilisation de ces systèmes peut avoir dans le domaine
de l’éthique, et ce, dans l’idéal, sans que la bonne réalisation des missions n’en
soit affectée lorsqu’on établit une comparaison avec les résultats obtenus par
les combattants humains.

Les faiLLes humaines sur Le champ de bataiLLe


Même si je ne crois pas que les systèmes autonomes seront capables
d’adopter un comportement parfaitement éthique sur le champ de bataille,
je suis convaincu qu’ils peuvent obtenir dans ce domaine des résultats plus
satisfaisants que les êtres humains. Malheureusement, les évolutions dans la
manière dont les combattants humains sur le champ de bataille appréhendent
les règles de comportement incontournables au regard de l’éthique et du droit
de la guerre, ne peuvent que susciter, dans le meilleur des cas, des interrogations.
« Depuis des temps immémoriaux, les armées, les groupes armés, les mouvements

(653) McLoughlin, R., “Fourth Generation Warfare and Network-Centric Warfare”, Marine Corps
Gazette, September 15, 2006, https ://feedback.mcamarines.org/gazette/06mcloughlin.asp
(654) DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) Broad Agency Announcement 07-52,
Scalable Network Monitoring, Strategic Technology Office, August 2007.
(655) Adams, T., “Future Warfare and the Decline of Human Decision-making”, Parameters, Winter
2001/2002, pp. 57-71.
(656) Guetlein, M., “Lethal Autonomous Systems – Ethical and Doctrinal Implications”, Naval War
College Joint Military Operations Department Paper, February 2005.

583
politiques et religieux tuent des civils » (657). Les risques liés, en temps de guerre,
à une utilisation abusive de systèmes autonomes tels que le Predator ou le
Reaper, et ce même lorsqu’un agent humain pilote directement de dispositif,
ont fait l’objet d’études détaillées (658). Les atrocités (on entend ici par « atrocité »
le fait de tuer un non-combattant, qu’il s’agisse d’un civil ou d’un personnel
combattant devant être considéré comme hors de combat suite à une reddition
ou une blessure) sur le champ de bataille sont aussi vieilles que les conflits. « Les
atrocités constituent l’aspect le plus répugnant de la guerre, et ce qui, au fond
de l’homme, lui permet de commettre ces actes, est l’aspect le plus répugnant
de l’humanité » (659).
Tout au long de l’histoire, la tendance naturelle de l’humanité à faire la
guerre ne s’est jamais démentie. On pourrait avancer que la faille principale
de l’homme est précisément de se trouver sur le champ de bataille. Selon
l’affirmation d’Emmanuel Kant, « la guerre n’a que faire de motivations, mais
semble indissociable de la nature humaine et se voit même attribuée valeur de
noblesse » (660). Même Albert Einstein, qui demeura un pacifiste convaincu bien
après la cinquantaine, finit par reconnaître que « tant qu’il y aura des hommes,
il y aura la guerre » (661). Quant à Sigmund Freud, il fut plus direct encore,
déclarant que « la probabilité que nous puissions supprimer les tendances
agressives de l’humanité est nulle » (662).
Cependant, cet article se préoccupe en priorité des carences dont fait
preuve l’humanité dans la conduite de la guerre (jus in bello), et non pas des
raisons pour lesquelles nous recourrons si souvent à celle-ci (jus ad bellum).
« La surcharge de tension émotionnelle générée par la guerre et les combats est
incalculable » (663), mais au moins y a-t-il eu récemment des tentatives sérieuses
de recueillir des données précises sur le sujet. En témoigne un récent rapport
rendu public par les autorités sanitaires américaines (664), et visant à évaluer le
comportement éthique et la santé mentale des soldats et des marines déployés
sur le terrain au cours de l’opération Iraqi Freedom  ; les conclusions suivantes,
préoccupantes, en sont directement tirées :
1. Environ 10 % des soldats et des marines reconnaissent avoir usé de mau-
vais traitements à l’encontre de non-combattants (biens irakiens inutilement

(657) Slim, H., Killing Civilians  : Method, Madness, and Morality in War, Columbia University
Press, New York, 2008, p. 3.
(658) R. Sullivan, “Drone Crew Blamed in Afghan Civilian Deaths”, Associated Press, May 5, 2010;
D. Filkins, “Operators of Drones are Faulted in Afghan Deaths”, New York Times, May 29, 2010; J.
Adam, “US defends unmanned drone attacks after harsh UN Report”, Christian Science Monitor,
June 5, 2010.
(659) D. Grossman, On Killing: The Psychological Cost of Learning to Kill in War and Society, Little,
Brown and Company, Boston, 1995, p. 229.
(660) I. Kant, Perpetual Peace and Other Essays on Politics, History, and Morals, trans. T. Humphrey,
Hackett, Indianapolis, 1985, p. 125.
(661) W. Isaacson, W., Einstein: His Life and Universe, Simon and Schuster, 2007, p. 494.
(662) Ibid., p. 382
(663) J. Bourke, An Intimate History of Killing, Basic Books, 1999.
(664) Surgeon General’s Office, Mental Health Advisory Team (MHAT) IV Operation Iraqi Freedom
05-07, Final Report, Nov. 17, 2006.

584
détruits ou endommagés, coups de poing ou de pied donnés à un non-com-
battant sans raison valable). Les soldats qui se déclarent très en colère,
ceux qui ont effectué de nombreuses sorties au combat, ou encore ceux
chez qui un problème de santé mentale a été détecté, sont presque deux
fois plus susceptibles de maltraiter les non-combattants que ceux qui ne
manifestent que peu de colère, ont peu l’expérience des combats, ou chez
qui aucun trouble de santé mentale n’a pu être diagnostiqué.
2. Seuls 47 % des soldats, et 48 % des marines, se déclarent d’accord avec
l’obligation de traiter les non-combattants avec dignité et respect.
3. Près de 40 % des soldats et des marines déclarent que la torture devrait
être permise, que ce soit pour sauver la vie d’un camarade, ou pour obte-
nir de l’information importante sur les insurgés.
4. 17 % des soldats et des marines sont d’accord, voire tout à fait d’ac-
cord pour considérer que tous les non-combattants devraient être traités
comme des insurgés.
5. Un tout petit peu moins de 10 % des soldats et des marines révèlent que
leur unité procède à des modifications des règles d’engagement pour s’ac-
quitter de la mission confiée.
6. 45 % des soldats, et 60 % des marines déclarent qu’ils ne dénonceraient
pas un camarade coupable d’avoir blessé ou tué un non-combattant.
7. Seuls 43 % des soldats et 30 % des marines déclarent qu’ils dénonce-
raient un membre de leur unité coupable d’avoir endommagé ou détruit
des biens privés.
8. Moins de la moitié des soldats et des marines dénonceraient un cama-
rade coupable de comportements contraires aux règles de l’éthique.
9. Un tiers des marines, et plus d’un quart des soldats déclarent que leurs
sous-officiers et leurs officiers ne leur ont pas spécifiquement enjoint de
ne pas maltraiter les non-combattants.
10. Bien qu’ils reconnaissent avoir reçu une formation éthique, 28 % des sol-
dats et 31 % des marines déclarent s’être trouvés face à des cas de conscience
auxquels ils n’avaient pas su apporter de réponses.
11. Sous l’emprise de la colère, les soldats et les marines sont plus suscep-
tibles de déclarer avoir infligé des mauvais traitements à des non-combat-
tants irakiens ; sur le champ de bataille, ils sont deux fois plus susceptibles
d’adopter un comportement contraire aux principes éthiques que lorsqu’ils
ne ressentent guère de colère.
12. L’expérience du combat, en particulier lorsque celui-ci a entraîné la
perte d’un camarade, a pour conséquence une augmentation du nombre
d’entorses aux règles de l’éthique.
Bien que de nature à laisser pour le moins perplexe, cette étude officielle
n’est certainement pas la première à faire état d’atrocités commises sur le champ
de bataille. « Au cours des deux guerres mondiales, de même que pendant le
Viêt-nam, les comportements atroces constituaient une caractéristique des
combats » (665). Une étude sociologique sur les affrontements au Viêt-nam avait

(665) J. Bourke, op. cit., p. 163.

585
mis en évidence que l’ensemble des hommes ayant pris part à des combats
de haute intensité, un tiers des hommes ayant fait l’expérience de combats
d’intensité moyenne, et 8 % des personnels impliqués dans des affrontements
de faible intensité, avaient été soit témoins d’atrocités, soit responsables ou
complices de meurtres de non-combattants (666). Des chiffres stupéfiants.
Des explications possibles au phénomène de persistance des crimes de
guerre commis par les troupes de combat font l’objet de discussions (667). On
note entre autres :
• une tendance à vouloir se venger résultant d’un nombre élevé de pertes
parmi les forces amies ;
• une hiérarchie affaiblie du fait de fortes rotations dans la chaîne de
commandement ;
• une déshumanisation de l’ennemi par le biais de l’utilisation de noms et
de qualificatifs péjoratifs ;
• des troupes mal entraînées ou inexpérimentées. Ces carences dans la for-
mation ne concernent pas simplement l’instruction militaire, mais se mani-
festent également au niveau de la compréhension des lois de la guerre ;
• l’absence d’ennemi clairement identifié ;
• le manque de clarté dans les ordres donnés, avec le risque que l’ordre
puisse être considéré comme illégal suite à une interprétation erronée ;
• les manques d’effectifs générateurs de stress pour les combattants, stress
qui peut lui-même conduire à des abus ;
• la jeunesse et le manque de maturité des troupes ;
• un immense sentiment de frustration ;
• le plaisir que procure le pouvoir de tuer ;
• des pressions extérieures insistant par exemple sur la nécessité d’afficher
un bilan chiffré flatteur en termes de pertes ennemies.
Il est évident que des améliorations sont possibles, et les systèmes autonomes
peuvent ici s’avérer utiles. Bourke fait remarquer que les actes de violence que la
guerre moderne rend possibles se présentent sous des formes qui ne sont pas les
mêmes que par le passé. Or, « si les combattants sont parvenus à maintenir une
certaine distance émotionnelle entre eux et leurs victimes, c’est essentiellement
par l’application d’un filtre… technologique » (668). Voilà qui n’est guère de bon
augure pour la réduction du nombre d’atrocités commises par les soldats. À
l’heure actuelle, des bombes sont larguées à distance sur l’Afghanistan et sur
l’Irak par des opérateurs de drones qui travaillent dans le Nevada, presque de

(666) R. Strayer and L. Ellenhorn, “Vietnam Veterans: A Study Exploring Adjustment Patterns and
Attitudes”, Journal of Social Issues, 33, 4, as reported in (Bourke 99) 1975.
(667) Voir B. Bill, (Ed.), Law of War Workshop Deskbook, International and Operational Law
Department, Judge Advocate General’s School, June 2000; W. H. Parks, “Crimes in Hostilities. Part
I”, Marine Corps Gazette, August 1976; W.H. Parks, “Crimes in Hostilities. Conclusion”, Marine
Corps Gazette, September 1976; S. Danyluk, “Preventing Atrocities”, Marine Corps Gazette, June
2000, vol. 84, n° 6, pp. 36-38; H. Slim, Killing Civilians: Method, Madness, and Morality in War,
Columbia University Press, New York, 2008.
(668) J. Bourke, op. cit., p. Xvii.

586
l’autre côté du monde (669). Cette utilisation de la technologie permet en quelque
sorte de « désensibiliser l’acte de tuer », ou de « tuer sans affect ». Bourke note
par ailleurs l’existence d’un « impératif technologique » qui incite maintenant
à faire pleinement usage des nouveaux équipements fournis. Bien que la guerre
technologique ait permis de réduire dans l’ensemble le nombre de soldats
nécessaire à la conduite des opérations, la médaille n’est pas sans revers en
ce sens que la technologie, tout en augmentant la capacité de tuer, émousse
« la conscience des opérateurs qui oublient qu’en bout de chaîne se trouvent
des êtres humains auxquels on a ôté la vie ». Quand on tue à une distance
très importante de la cible, on peut se persuader que ce ne sont pas des êtres
humains que l’on tue, et ainsi éviter d’éprouver le moindre remords (670). Cette
distance physique a pour effet de détacher les combattants des conséquences
de l’utilisation de leurs armes.
Les conséquences psychologiques sur nos militaires en Afghanistan et en
Irak ont atteint des niveaux record. Rien qu’en 2007, 115 soldats se sont suicidés,
un chiffre en hausse si on le compare aux 102 suicides de l’année précédente ;
dans 24 % et 47 % des cas, il s’agissait respectivement de personnels déployés
pour la première fois, et de personnels qui rentraient d’opérations extérieures.
Selon une estimation arrêtée en août 2008, et fournie par des responsables de
l’Armée de terre américaine, les taux de suicide des personnels d’active pour
2008 « laissaient craindre un dépassement non seulement des chiffres de l’année
précédente, mais aussi de ceux du taux de suicide rapporté à l’ensemble de la
population américaine, une première depuis la guerre du Viêt-nam » (671). Et
cette tendance a malheureusement été confirmée au mois de juillet 2010 (672). Un
lien significatif a pu être statistiquement établi entre les tentatives de suicide et
le nombre de jours passés en opérations extérieures en Afghanistan ou en Irak.
À cela s’ajoute, pour ne rien arranger, « un nombre croissant de personnels
chez qui un syndrome de stress post-traumatique a pu être formellement
diagnostiqué » (673).
Loin d’être rares, ces victimes de blessures d’ordre psychiatrique se comptent
par milliers (674). Au cours de la seule Seconde Guerre mondiale, plus de 800000
hommes furent déclarés inaptes pour raisons psychiatriques, auxquels il faut
ajouter les 504000(soit l’équivalent approximatif de 50 divisions) devenus inaptes
des suites d’un véritable effondrement psychologique après leur incorporation ;
lors de la guerre israélo-arabe de 1973, un tiers des victimes israéliennes

(669) L. Ure, “Armchair Pilots Striking Afghanistan by Remote Control”, CNN.com, July 9, 2008,
http ://www.cnn.com/2008/TECH/07/09/remote.fighters/index.html
(670) D. Grossman, On Killing: The Psychological Cost of Learning to Kill in War and Society, Little,
Brown and Company, Boston, 1995.
(671) M. Mount, “Army Suicide Rate Could Top Nation’s This Year”, CNN.com, Sept. 9, 2008,
http ://www.cnn.com/2008/HEALTH/09/09/army.suicides/, p. 1.
(672) A. Fifield, “US Army Suicide Rate Exceeds National Average”, Financial Times, 30 juillet
2010(http ://www.ft.com/cms/s/0/2c662840-9b74-11df-8239-00144feab49a.html).
(673) D. Sevastopulo, “US Army Suicide Cases at Record 115”, Financial Times, May 29, 2008,
http ://us.ft.com/ftgateway/superpage.ft ?news_id=fto052920081802392265, p. 1.
(674) D. Grossman, op. cit.

587
souffraient de troubles d’origine psychiatrique, soit un nombre deux fois plus
important que celui des troupes tombées au combat. Une étude datant de la
Seconde Guerre mondiale avait démontré qu’après 60 jours de combat sans
interruption, 98 % de tous les personnels encore en vie souffraient, sous une
forme ou sous une autre, de traumatisme psychiatrique (675). Apparues au
XXème siècle, ces sorties au combat de longue durée constituent une tendance
récente des opérations sur le champ de bataille. Les dommages psychiatriques
qui en résultent peuvent prendre des formes diverses : fatigue due aux combats,
troubles psychosomatiques graves, confusion, états obsessionnels et compulsifs,
anxiété et troubles de la personnalité (676). L’effet général délétère sur la capacité
à faire la guerre est évident, pour ne rien dire des séquelles qui ne manquent pas
d’affecter ceux qui survivent et redeviennent de simples citoyens de leur nation.
La formation de personnels qui soient fondamentalement des guerriers
constitue un défi devant lequel on pourrait légitimement ressentir du
découragement. « Quelle que fût la qualité de la formation, celle-ci ne parvenait
pas pour autant à faire de la plupart des soldats des combattants capables de
se battre » (677). Durant la Seconde Guerre mondiale, rares furent les hommes
qui tuèrent quiconque. Dans une enquête de l’armée de terre américaine, sur
400 hommes interrogés, il était apparu que seuls 15 % avaient effectivement
ouvert le feu (ne serait-ce qu’une fois) sur les positions ennemies au cours
d’une confrontation, alors même qu’ils étaient 80 % à avoir eu l’occasion de le
faire (678). Concernant ce pourcentage, aucune corrélation n’avait été observée
entre le niveau d’expérience, le type de terrain, la nature de l’ennemi ou la
précision de ses tirs.
Les résultats de cette enquête étaient valables aussi bien pour les forces
terrestres que pour les aviateurs. Une étude portant ainsi sur la guerre de
Corée avait mis en avant que 50 % des pilotes de F-86 n’avaient jamais fait
feu, et que seuls 10 % du reste de leurs camarades avaient effectivement touché
leur cible (679). Pendant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pilotes de
chasseurs ne tentèrent même jamais d’abattre un aéronef ennemi, sans parler
d’y parvenir. 30 à 40 % de tous les aéronefs ennemis abattus le furent en réalité
par moins de 1 % des pilotes (680).
L’une des conclusions que l’on peut tirer de tout cela, c’est que les soldats
manquaient « d’esprit offensif », sans pour autant être des lâches. Ce déficit
d’agressivité peut principalement s’expliquer par l’utilisation d’armes de
longue portée qui donnent l’impression de se sentir « bien seul » sur les champs
de bataille, et font de l’ennemi un être plus fantomatique que réel. Cette

(675) R. Swank, W. Marchand, “Combat Neuroses: Development of Combat Exhaustion”, Archives


of Neurology and Psychology, 19456, vol. 55, pp. 236-247.
(676) D. Grossman, op. cit.
(677) Bourke, op. cit., p. 61.
(678) S. L. A. Marshall, Men Against Fire: The Problem of Battle Command in Future War, New
York : William Morrow, 1947.
(679) B.W. Sparks, and O. Neiss, “Psychiatric Screening of Combat Pilots”, US Armed Forces
Medical Journal, vol. 4, VII.6, June 1956.
(680) D. Grossman, op. cit., p. 31.

588
déshumanisation de l’ennemi participe aussi de l’atténuation du sentiment de
culpabilité d’ordinaire associé au fait de tuer autrui (681).
Sur le terrain, les soldats n’opèrent pourtant pas sans complices. « Les
atrocités constituent le lourd secret de la culture militaire » (682). « Des militaires
de tous grades restaient de marbre devant ces tueries perpétrées au mépris du
droit » (683). Au Viêt-nam, les commandants d’unité sur le terrain ne voyaient
guère plus dans les lois de la guerre que des dispositifs de contraintes « inutiles »
et « irréalistes » de nature à limiter les occasions de l’emporter (684). Prenant la
défense d’un général qui avait décidé de ne pas entamer de processus de cour
martiale à l’encontre de personnels suspectés d’exactions, un avocat déclara
même un jour que « c’est un peu comme les Dix Commandements : tout le
monde est au courant de leur existence, mais personne n’y prête attention » (685).
Nos forces armées aspirent néanmoins à de meilleurs résultats au plan
éthique. Comme le déclarait le Général Douglas MacArthur : « Le soldat,
qu’il soit ami ou ennemi, est chargé de la protection des faibles et des sans-
armes. C’est là sa nature la plus profonde et sa raison d’être. Lorsqu’il trahit
cette confiance sacrée dont il est investi, ce n’est pas seulement sa vocation
qu’il profane, c’est le tissu même de la société internationale qu’il menace » (686).
Par ailleurs, comme n’en témoigne que trop clairement l’incident de My Lai
lors de la guerre du Viêt-nam, l’impact qu’ont les atrocités sur l’opinion, ajouté
à l’effet que cela induit sur le moral des troupes, représentent accessoirement
autant de bonnes raisons de faire en sorte que des événements de ce type ne se
produisent pas. En temps de guerre, les raisons pour lesquelles des civils sont
malheureusement tués par d’autres êtres humains sont multiples (687) :
• l’intention génocide qui se traduit par des actes de nettoyage ethnique
ou racial visant des populations en particulier ;
• la pensée binaire, qui s’efforce d’identifier, parmi les populations locales,
les « bons » et les « méchants » ;
• la logique de la force et de l’assujettissement, inséparables de la soif de
puissance et de l’exercice de la force ;
• la soif de revanche, quand l’émotion nous force à user de représailles
suite à des torts qu’on estime avoir subis ;
• le recours aux mesures punitives et à la coercition dans le but de façon-
ner le comportement des populations civiles ;
• l’opportunisme, qui sert la bonne conduite stratégique des opérations ;
• le recours obligé à des tactiques asymétriques qui peuvent conduire des
groupes en position d’infériorité sur le plan militaire à tuer des civils ;
(681) Bourke, op. cit.
(682) S. Danyluk, op. cit., p. 38.
(683) Bourke, op. cit., p. 173.
(684) W. H. Parks, “Crimes in Hostilities…”, op. cit., p. 21.
(685) S. Hersh, “A Reporter at Large. The Reprimand”, The New Yorker, October 9, p. 119, via
(Bourke 99), 1971.
(686) W. H. Parks, “Crimes in Hostilities. Conclusion”, op. cit., p. 18.
(687) H. Slim, Killing Civilians: Method, Madness, and Morality in War, Columbia University Press,
New York, 2008.

589
• l’appât du gain, qui motive les mercenaires et les pilleurs ;
• le désir d’éradiquer des adversaires en puissance qui peut ainsi conduire,
dans une optique de stratégie préventive, à éliminer des civils au motif
qu’ils pourraient un jour se muer en combattants ;
• les comportements inconscients : tirer sur tout ce qui bouge, par exemple,
ou tuer au hasard ;
• les tirs fatals involontaires résultant d’une erreur humaine ou d’un acci-
dent, et dommages collatéraux ;
• les raisonnements collectifs et les actes sacrificatoires qui peuvent faire
préférer à certains la mise à mort de groupes plutôt que d’individus, le
sacrifice étant perçu comme un mal pour un bien.
Ces formes de pensée sont totalement étrangères aux efforts qui guident
actuellement la recherche dans le domaine de l’intelligence artificielle, et ont
toutes les chances de le rester. Rien ne justifie, ni ne devrait justifier, que les
systèmes autonomes armés soient programmés pour adopter, sous quelque
forme que ce soit, l’un de ces modes de rationalisation ou d’action inacceptables,
et propres aux êtres humains.
L’une des conclusions qui s’imposent, c’est qu’il ne semble pas réaliste de
considérer comme acquis que face à l’horreur du champ de bataille, les êtres
humains normaux, même les mieux formés, se conforment aux lois de la guerre
du fait de leur seule humanité. Comme le remarquait un capitaine réserviste du
corps des Marines, « si les guerres ne peuvent être évitées, on peut néanmoins
prendre des mesures pour qu’elles soient au moins livrées de la manière la plus
conforme possible aux règles de l’éthique » (688). On pourrait par ailleurs avancer
que si la tendance n’est pas endiguée, le bilan des atrocités commises sur le
champ de bataille risque de régulièrement empirer du fait du développement
des armes à grande distance, et de l’utilisation croissante de la technologie. Il
faut que quelque chose soit entrepris pour imposer des limites à la technologie
elle-même, dans une logique qui transcende les insuffisances humaines des
combattants. Et c’est précisément pour cela que se justifie l’utilisation d’une
mesure d’autonomie éthique dans les systèmes automatisés.

perspectives
Les recherches que nous avons menées dans notre laboratoire nous ont
fourni la motivation, la philosophie, les formes, les besoins en termes de
représentation, les critères de conception formelle, les recommandations et les
scénarios de test dont nous avions besoin pour au final concevoir et construire
un module robotisé autonome capable de recourir à la force létale dans les
limites des règles éthiques (689). Si ces premières avancées dans notre poursuite
de cet objectif ne sont que toutes préliminaires, et susceptibles de faire l’objet
de révisions d’envergure, on peut cependant les considérer à tout le moins
comme les premiers pas d’un combattant robotisé doué de discernement

(688) Danyluk, op. cit., p. 38.


(689) Ronald C. Arkin, Governing Lethal…, op. cit.

590
éthique. L’objectif principal demeure l’application sur le champ de bataille
du droit humanitaire international (ou droit des conflits armés (DCA)) par
des moyens que nous croyons à notre portée, à savoir la création d’une classe
de robots qui non seulement obéissent aux contraintes du droit international,
mais qui, par ailleurs, obtiennent des résultats concrètement supérieurs dans
le domaine des capacités de raisonnement éthique à ceux auxquels pourraient
prétendre, dans des circonstances similaires, des soldats de chair et de sang.
En cas de succès, ce projet permettra de sauver des non-combattants et leurs
biens, sans porter atteinte, dans l’idéal, à l’efficacité des missions. Il est encore
trop tôt pour dire si la réussite sera effectivement au rendez-vous, car plusieurs
défis de taille subsistent. Parmi ces derniers :
• la transformation, par l’intermédiaire de la logique modale, des Protocoles
internationaux et des Lois de la guerre en suite logicielle utilisable par des
machines qui soient par ailleurs capables d’opérer des raisonnements en
temps réel dans la limite de règles morales préétablies ;
• la mise au point de mécanismes de conception garantissant des compor-
tements intelligents incapables de générer des réponses qui ne s’inscrivent
pas dans le cadre de limites éthiques préalablement définies avec la plus
grande rigueur ;
• l’élaboration d’algorithmes de perception efficaces, capables d’une excel-
lente discrimination des objectifs et de leur statut, en particulier pour ce
qui relève de l’alternative combattant/non-combattant ;
• la création de techniques permettant la mise au point d’un ensemble
adapté de normes éthiques et de paramètres sous-jacents de contrôle com-
portemental qui garantissent, au cas où surviendrait une quelconque vio-
lation de ces normes, une démarche morale de qualité, avec intervention
de processus intégrant une dimension réflective et affective ;
• l’élaboration d’un moyen de rendre le processus d’attribution de respon-
sabilités parfaitement clair pour l’ensemble des parties concernées dès lors
que l’on envisage de déployer une machine dotée pour sa mission d’un
potentiel létal.
Nous avons bon espoir que les objectifs que nous poursuivons dans la
limite du cadre de nos recherches donneront à d’autres scientifiques l’envie
de participer à la démarche, afin de faire en sorte que les machines que nous,
ingénieurs en robotique, créons, répondent de façon optimale aux attentes et
aux besoins de la communauté internationale et de la société contemporaine.
Ce que je souhaiterais personnellement, c’est que nous n’ayons jamais besoin
de ces machines, ni aujourd’hui, ni à l’avenir. Cependant, le penchant de
l’humanité pour la guerre semble à la fois irrépressible et inévitable. À tout le
moins, s’il nous est possible de réduire le nombre de victimes civiles en accord
avec les protocoles en vigueur des Conventions de Genève, et avec les idéaux
gravés dans le marbre de la tradition de la Guerre juste, alors ce résultat aura
constitué une réalisation majeure dans le domaine humanitaire, même s’il
nous aura fallu, pour l’obtenir, regarder sans ciller le vrai visage de la guerre.
(Traduit de l’anglais par Florent Louvet)

591
592
Prolifération des drones,
nécessité militaire
et protection des civils
Noël Sharkey

Marilyn Monroe aurait difficilement pu imaginer l’impact qu’allaient avoir


les drones sur la conduite de la guerre au XXIe siècle lorsqu’elle prit, en 1944,
un emploi à l’usine Radioplane qui fabriquait des avions militaires contrôlés
à distance. Elle n’y travailla que pour échapper à un poste dans la fonction
publique dans laquelle « il y a trop de loups avec lesquels il faut travailler » (690).
Ironiquement, les drones allaient devenir le plus grand succès au monde en
termes de hunter/killers.
Au cours de la dernière décennie, l’emploi croissant de véhicules aériens
inhabités (UAV) à des fins de renseignement, de surveillance et de reconnaissance
a modifié les règles du jeu sur les champs de bataille en Irak, en Afghanistan et
au Moyen-Orient. Les États-Unis sont la nation leader dans cette technologie,
suivis d’Israël à la seconde place. On ne dénombrait que 150 robots au cours
de la guerre d’Irak de 2004, dont ceux opérés pour la neutralisation des
explosifs. Des milliers de petits drones de surveillance aérienne non-armés sont
actuellement opérés par les troupes au sol. Il est d’ailleurs difficile de réaliser
une estimation exacte.
Cet article s’intéresse essentiellement à l’emploi des drones armés de missiles
et de bombes. Les missions en Afghanistan et en Irak sont principalement
conduites par les « pilotes » de la 432nd Air Expeditionary Wing située sur la
base aérienne de Creech dans le désert du Nevada, à des milliers de kilomètres
des opérations. Installés devant des consoles vidéo, les opérateurs décident
du moment pour mettre en œuvre la force létale. Les avions peuvent voler
24 heures sur 24 puisque les pilotes peuvent aisément et à tout moment faire
une pause dans la « bataille », voire même rentrer chez eux et dîner avec leurs
enfants. Cela semble engendrer un nouveau type de stress au combat jamais
connu auparavant (mais on continuera à s’interroger sur cet aspect jusqu’à ce
que des preuves substantielles soient recueillies).
Entre 2007 et 2010, les aéronefs de combat non habités (UCAV, Unmanned
Combat Air Vehicles) [sic], des Predators MQ-1, emportant deux missiles
Hellfire ont parcouru 1,2 millions de kilomètres en vol. Le Predator fut rejoint
en octobre 2007 par le MQ-9 Reaper, nettement plus grand et plus puissant.
Ce dernier peut emporter une charge allant jusqu’à 14 missiles Hellfire ou une
combinaison de missiles et de bombes. Ces véhicules aériens inhabités (UAV)

(690) Lettre à Grace Goddard, sa mère d’accueil, Californie, 15 juin 1944, in James Haspiel, Marilyn:
The ultimate look at the legend, Henry Holt & Company, 1991.

593
dits hunter/killer ont conduit de nombreuses frappes de décapitation depuis
leur premier déploiement en Afghanistan en octobre 2007.
L’administration Obama a continué d’accroître les financements. Bien que
des coupes budgétaires aient été opérées pour les armements conventionnels,
les programmes de robots ont reçu plus de fonds que prévu. En 2010, les forces
aériennes avaient pour objectif de dépenser 2,13 milliards de dollars pour la
technologie inhabitée, dont 489,24 millions pour l’acquisition de 24 nouveaux
Reapers lourdement armés. L’US Army a prévu de dépenser 2,13 milliards
pour des véhicules inhabités ; montant comprenant l’achat de 36 Predators
supplémentaires. Quant à la Navy et au Marine Corps, 1,05 milliards de dollars
étaient consacrés aux véhicules inhabités, notamment aux hélicoptères armés
MQ-8B.
Les développements des drones américains avancent à grande vitesse et
des projets sont déjà en cours afin d’armer l’hélicoptère inhabité Fire Scout
et le petit Shadow RQ-7B (environ 4,6 mètres de long) lancé par catapulte. La
société américaine Aeroenviroment a développé le Switchblade, un petit UAV
de la taille d’un sac à dos, pesant 1 kg et lancé depuis un tube. Ce drone déplie
ses ailes et envoie un flux vidéo à l’opérateur. Lorsqu’une cible est détectée,
l’opérateur la désigne et le Switchblade replie alors ses ailes de sorte à devenir
un missile autonome.
Deuxième plus grand constructeur d’UAV, Israël améliore constamment
tant ses capacités militaires que la portée de ses frappes. La Chine avance à
grand pas avec ses développements et les projets d’un nouveau concept d’UAV.
De nombreuses autres nations font de même. Pour la majeure partie des
pays, la première étape consistera à armer leurs UAV et la seconde sera de les
automatiser. Là encore, les États-Unis et Israël sont leaders.
Avant d’analyser les implications éthiques et juridiques, nous nous
intéresserons à l’histoire récente du développement et de la prolifération des
UAV. Nous examinerons l’emploi actuel de ces systèmes avant d’aborder l’avenir
proche des aéronefs autonomes supersoniques (et plus rapides) et l’impact que
ces développements pourraient avoir sur les populations civiles s’ils ne sont
pas contrôlés. Enfin, nous exprimerons des inquiétudes quant au fait que la
nécessité militaire pourrait débloquer l’emploi des avions de guerre autonomes
même si ces derniers demeurent des armes non discriminantes.

La proLifération : passé, présent et futur proche

Le passé
Les drones contrôlés à distance ont débuté leur carrière humblement au
début du XXe siècle comme dispositifs pour le tir sur cible. Ils furent également
utilisés à des fins de surveillance mais les difficultés liées à l’atterrissage et à
la récupération des photographies limitèrent leur emploi. Une imagerie en
temps réel et des capacités d’armement étaient nécessaires pour que les drones

594
deviennent véritablement utiles sur le champ de bataille. Ces capacités n’ont
commencé à apparaître qu’au cours des années 1960, du fait de la guerre au
Viêt-nam et de l’apparition de nouvelles technologies.
Le chemin vers la prolifération des drones de surveillance modernes fut
préparé par les drones américains Firebee, développés au début des années
1950 comme cibles d’artillerie. Les Firebees suivants, AQM-34 et BQM-34,
furent conçus comme drones de surveillance. Toutes les séries AQM-34 furent
lancées depuis des bombardiers DC-130 Hercules. Un grand progrès fut
l’emploi des caméras de télévision montées sur des AQM-34N volant à basse
altitude afin de transmettre en temps réel des images aux contrôleurs dans un
aéronef habité. Ils emportaient également des radars Doppler et des systèmes
de navigation LORAN. Ce fut le premier grand pas vers les drones tels que
nous les connaissons aujourd’hui.
Bien que les drones aient été dotés d’un système de guidage préprogrammé,
les opérateurs à bord de l’Hercules pouvaient les surveiller et en prendre le
contrôle manuel si le besoin s’en faisait sentir. Ces drones ne pouvaient pas
atterrir ; ils devaient être largués par parachute et attrapés par des hélicoptères
à l’aide de filets. Selon Tom Cooper (691), entre août 1964 et avril 1975, 3 435
missions furent conduites au-dessus du Nord-Viêt-nam avec 22 versions
différentes d’AQM-34. À noter que 578 de ces derniers ont été perdus au-dessus
de la Chine et du Nord-Viêt-nam.
Il apparaît, selon les clichés photographiques, que la République populaire
de Chine a très vite fait de la retro-ingénierie de ces drones. La version chinoise
fut désignée WZ-5 et le modèle destiné à l’exportation appelé Chang Hing.
Ceux-ci ont volèrent sous les ailes de leurs Tu-4, des bombardiers équivalents
aux Hercules. La prolifération des drones était déjà en marche ; elle s’est accélérée
de manière spectaculaire depuis le début du XXIe siècle.
Les premiers drones armés sont également apparus au début des années
1960, mais c’est au cours des années 1950 que les États-Unis ont commencé à
s’intéresser à l’armement des UAV pour se protéger contre la flotte soviétique
de sous-marins, de plus en plus importante. Ils commencèrent à financer le
développement de ce qui allait devenir le Drone Anti-Submarine Helicopter
(DASH). L’objectif initial consistait à armer chaque DASH avec une seule
bombe nucléaire de profondeur MK-17. Ils étaient donc considérés comme
des « armes à emploi unique » puisqu’ils n’étaient pas en mesure de résister à
l’explosion. Ils furent livrés à la flotte en 1962. Toutefois, après avoir constaté
le coût élevé qu’impliquait la protection des bombes nucléaires de profondeur
à bord des navires, la marine américaine révisa l’emploi des DASH de sorte
qu’ils puissent emporter deux torpilles à tête chercheuse MK-44. La nouvelle
version fut introduite dans la flotte en 1963 et utilisée pour détruire, sans risques
pour les pilotes, les barges d’approvisionnement nord-vietnamiennes sur les
voies navigables du Delta du Mekong. Bien que couronnées de succès, les

(691) Tom Cooper, “Headless Fighters: USAF Recconnaissance-UAVs over Vietnam”, publication de
l’Air Combat Information Group, 2003 (http ://www.acig.org/artman/publish/article_344.shtml).

595
opérations conduites à l’aide des DASH cessèrent en novembre 1970 malgré le
vif plaidoyer du capitaine de corvette Ira B. Anderson en faveur des avantages
de ces systèmes (692). Si ce retrait résultait en partie d’un fort taux d’usure et de
problèmes de contrôle, il était principalement le fait d’un malaise politique. La
Gyrodyne Helicopter Historical Foundation a suggéré que « le combat interne
fut mené par les aviateurs marins qui (sic) craignaient de se voir remplacés par
des drones » (693). À ce jour, de telles rumeurs persistent encore parmi les pilotes
traditionnels.
Malgré le retrait des DASH, la prolifération des drones a continué et s’est
intensifiée lorsque les forces israéliennes ont employé le Firebee américain au
cours de la guerre de Yom Kippur en 1973. Ils ont « dupé » les forces armées
égyptiennes en les amenant à tirer tous leurs missiles antiaériens contre les
Firebees, permettant ainsi aux pilotes israéliens de conduire leur mission sans
pertes. Israël a commencé à développer sa propre technologie de drone au
cours des années 1970, avec le Mastiff suivi par le Scout destiné à être opéré
au cours des opérations militaires au Liban en 1982. Les nouveaux drones
étaient des UAV plus légers de type planeur que l’on connait aujourd’hui sous
la forme du Heron construit par Israeli Aerospace Industries et qui a proliféré
dans plusieurs pays dont la Turquie, Singapour, la France, l’Inde et l’Équateur.
Après que les forces israéliennes aient démontré l’apport opérationnel des
UAV au cours des guerres menées durant les années 1970 et 1980, toutes les
grandes puissances militaires ont commencé à acquérir de telles capacités. La
société américaine AAI Corporation s’est associée avec Israeli Aeronautical
Industry pour développer, en 1986, le drone de type planeur Pioneer qui fut
utilisé en 1991 lors de la guerre du Golfe.

Le présent
Aujourd’hui, dans le contexte post-11 septembre, les drones occupent une
place dominante dans les opérations militaires. Les mouvements de troupes
sont quasi-systématiquement accompagnés par des drones ISR. Le succès
militaire des UAV sur les théâtres de guerre que sont l’Irak et l’Afghanistan
crée à l’échelle mondiale une forte demande de cette technologie. C’est un
marché gigantesque. Le Teal Group a estimé qu’il devrait croître jusqu’à 11,3
milliards de dollars par an au cours des dix prochaines années sans compter
les milliards de dollars en coûts de développement. Par ailleurs Teal n’a pas
accès aux dépenses de la robotique militaire dans des pays comme la Russie,
la Chine ou l’Iran (694).

(692) Le texte de la lettre envoyée par Anderson au chef des opérations navales est disponible à
l’adresse internet suivante : http ://www.gyrodynehelicopters.com/the_navy_failed_dash.htm.
(693) Site de la Gyrodyne Helicopter Historical Foundation.
(694) Les chiffres du Teal Group ont été consultés à l’adresse suivante : http ://bit.ly/psA7rB

596
Au moins 50 pays opèrent actuellement des véhicules aériens inhabités (695).
Beaucoup d’entre eux sont de conception indigène et nombreux sont ceux
achetés (et probablement copiés). Les États-Unis vendent un nombre important
de leurs drones à leurs plus proches alliés en Europe. L’industriel américain
General Atomics a actuellement obtenu l’autorisation de vendre ses Predators
de précédente génération au Moyen-Orient et en Amérique latine. Israël
dispose d’un éventail plus large de marchés en s’ouvrant récemment aux
pays d’Amérique latine. Les États qui ne sont pas de proches alliés des États-
Unis ne peuvent pas encore acheter de drones armés, devant dès lors trouver
d’autres moyens pour en acquérir ou en développer. N’étant pas parvenus à
les acheter, l’Inde et le Pakistan travaillent ardemment pour développer des
drones d’attaque. La Russie a présenté le MiG Skat, un aéronef inhabité de
combat destiné à conduire des missions de frappe contre les défenses aériennes.
Il est en mesure, selon les communiqués russes, d’emporter des missiles de
croisière et peut frapper des cibles terrestres comme navales. L’Iran a présenté
en 2010 le Karrar ou « l’ambassadeur de la mort », un UAV lancé par une fusée.
Celui-ci peut emporter deux missiles de croisière. Il est impossible de savoir
dans quelle mesure les aéronefs iraniens et russes sont opérationnels, mais
il apparait clairement que ces deux pays se dirigent au moins dans la bonne
direction afin de développer cette technologie. La Chine présente le principal
potentiel commercial pour la vente de drones armés pour les dix prochaines
années. Au cours des salons aériens de ces 5 dernières années, ce pays a présenté
de nombreux types différents d’UAV, certains d’entre eux étant presque des
copies de drones américains. Selon la Commission d’évaluation économique
et sécuritaire États-Unis/Chine, cette dernière « a déployé plusieurs types de
véhicules aériens inhabités à des fins de reconnaissance et de combat ». Selon le
Washington Post, lors du Salon de Zhuhai organisé en Chine en novembre 2010,
plus de deux douzaines de modèles d’UAV chinois furent présentées (696). Le
Washington Post cite l’inquiétante déclaration de Zhang Qiaoliang, représentant
du Chengdu Aircraft Design and Research Institute, pour qui « [l] es États-Unis
n’exportent pas beaucoup de drones d’attaque, nous profitons donc de ce créneau
sur le marché ». C’est inquiétant puisque cela témoigne de l’ouverture d’un vaste
marché qui tend à croître et dont tous les principaux acteurs voudront une part.
S’il semble que les UAV de combat chinois menacent de dominer le marché,
d’autres commenceront alors à les vendre et l’ensemble des pays développés
en possèderont. Cela pourrait avoir un impact important sur la manière dont
sont conduits les conflits comme sur ce qui constitue une guerre.

(695) J’ai moi-même pu consulter des rapports valides sur des robots pour chacun des pays suivants
et il est possible que d’autres existent : Afrique du Sud, Australie, Autriche, Brésil, Bulgarie, Canada,
Chili, Chine, Colombie, Corée du Sud, Croatie, Émirats arabes unis, Équateur, Espagne, États-Unis,
Finlande, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Inde, Indonésie, Iran, Israël, Italie, Japon, Jordanie,
Liban, Malaisie, Mexique, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pakistan, Pérou, Philippines,
Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Singapour, Suède, Suisse,
Taïwan, Thaïlande, Tunisie, Turquie, Viêt Nam.
(696) William Wan, Peter Finn, “Global race on to match US drone capabilities”, 4 juillet 2011
(http ://wapo.st/mfRa62).

597
attaques cinétiques et action ne constituant pas une guerre
proprement dite (short of war)

Des vides juridiques et politiques concernant les drones apparaissent déjà


aux États-Unis ; ils nous permettent de présager ce que sera l’avenir lorsque
chaque grande puissance déploiera régulièrement des robots armés. Les drones
changeront-ils la définition de la guerre ? Leur emploi sera-t-il considéré comme
un acte de guerre, une action de police ou une action ne constituant pas une
guerre proprement dite (selon le jus ad bellum). Les opérations américaines en
Libye ont provoqué un différend entre le président Obama et le Congrès des
États-Unis à propos de la Loi sur les pouvoirs de guerre. Votée en 1973, celle-ci
limite la capacité d’un président à conduire une guerre sans l’autorisation du
Congrès. Le président doit l’obtenir ou mettre fin à la mission dans un délai
de 60 jours : « En l’absence d’une déclaration de guerre, dans tous les cas où les
forces armées des États-Unis sont impliquées – (1) dans des hostilités ou des
situations où les circonstances indiquent clairement un engagement imminent
dans des hostilités ; (2) sur le territoire, dans l’espace aérien ou dans les eaux
territoriales d’une nation étrangère, si elles sont prêtes au combat, à l’exception
des déploiements visant uniquement l’approvisionnement, le remplacement, la
réparation ou l’entraînement des forces » (697).
Le président n’a pas demandé, dans le délai officiel de 60 jours, l’autorisation
du Congrès pour l’engagement des États-Unis dans la mission de l’OTAN en
Libye. Harold Koh, le conseiller juridique du département d’État, a fermement
défendu la légalité de l’implication militaire américaine en Libye sans autorisation
du Congrès. L’argumentaire reposait sur le fait que depuis avril 2011, le
rôle des États-Unis dans cette mission consistait principalement
à assister les opérations (ravitaillement et renseignement) – ce
qui est conforme au paragraphe 2) précédemment cité – ou à
effectuer des frappes de missiles à partir de drones armés. Selon
un rapport adressé aux législateurs américains, expliquant la
raison pour laquelle le président n’avait pas besoin de demander
l’autorisation du Congrès, « les opérations américaines n’impliquent pas
de combats intenses ou d’échanges actifs de tirs avec des forces hostiles, ni même
la présence de troupes au sol, de pertes américaines ou une importante menace
à cet égard » (698).
La lettre de la Loi sur les pouvoirs de guerre de 1973 porte sur l’engagement
des forces armées dans des hostilités ou sur le territoire, dans l’espace aérien
ou dans les eaux territoriales d’une nation étrangère si celles-ci sont prêtes au
combat. L’argumentaire devrait ici porter sur le fait que l’emploi de drones

(697) War Powers Resolution of 1973, Public Law 93-148, 93rd Congress, H. J. Res. 542 7 novembre
1973 (http ://avalon.law.yale.edu/20th_century/warpower.asp).
(698) Lettre du président concernant la loi sur les pouvoirs de guerre, 15 juin 2011 consultée à
l’adresse : http  ://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/06/15/letter-president-war-powers-
resolution

598
pour conduire des frappes en Libye n’a pas constitué un engagement des forces
armées américaines dans des hostilités ou dans un espace aérien étranger.
Il existe au moins deux questions importantes que nous devons ici aborder.
La première porte sur le fait de savoir si l’emploi de drones est actuellement
considéré comme une action ne constituant pas une guerre proprement dite.
Comme l’a déclaré la Maison Blanche au New York Times, « [l]’engagement
américain ne donne plus lieu à de véritables hostilités » (699). La deuxième question
est de savoir si l’emploi d’aéronefs armés pilotés à distance constitue ou non
un engagement des forces armées.
Bien que le Congrès des États-Unis ne se soit soucié que de l’engagement
en Libye, les drones ont été employés pour des éliminations ciblées dans au
moins trois autres pays avec lesquels les États-Unis ne sont pas en guerre :
la Somalie, le Yémen et le Pakistan. À l’exception de la Libye, les opérations
américaines conduites dans ces pays avec des drones sont réalisées par les
services de renseignement. Après le retrait du DASH en 1979, la CIA fut la
première aux États-Unis à opérer des drones armés. En 2002, cinq individus
voyageant dans un 4x4 de loisir (SUV) ont été tués au Yémen par ses agents (700).
Les juristes du département de la Défense ont considéré qu’il s’agissait d’une
frappe défensive préemptive légitime contre Al-Qaeda. L’emploi des drones
pour des éliminations ciblées ou des « frappes de décapitation » dans des États
qui ne sont pas en guerre avec les États-Unis est depuis devenu chose courante.
Bien que les États-Unis ne les confirment ni même ne les nient officiellement,
l’Asia Times a qualifié les frappes de drones conduites par la CIA de « la guerre
“secrète” la plus publique des temps modernes » (701). Leon Panetta, ancien directeur
de la CIA, s’est sans doute fait entendre à propos des opérations. Il déclarait
en 2008, devant le Pacific Council on International Policy, que « c’est la seule
manière pour affronter et tenter d’ébranler les dirigeants d’Al-Qaeda » (702). En
révélant les intentions de la CIA à propos de l’intensification des éliminations
ciblées depuis des drones, Panetta en est venu à dire au sujet d’Al-Qaeda
que « [s]’ils vont en Somalie, s’ils vont au Yémen, s’ils vont dans d’autres pays
du Moyen-Orient, nous devons y être et nous tenir prêts à les affronter là-bas
également. Nous ne pouvons pas les laisser s’échapper. Nous ne pouvons pas les
laisser trouver des endroits pour se cacher » (703).
En dehors de la Libye, aucune des frappes de drones effectuées dans des
pays qui ne sont pas en guerre avec les États-Unis n’a fait l’objet d’un examen

(699) Mark Charlie Savage Landler, “White House Defends Continuing US Role in Libya Operation”,
New York Times, 15 juin 2011 (http  ://www.nytimes.com/2011/06/16/us/politics/16powers.
html ?pagewanted=all).
(700) S’il est possible qu’Israël ait opéré des drones armés plus longtemps, ce pays l’a nié en dépit
des déclarations de témoins oculaires. Cela ne peut être vérifié dans le cadre de cet article.
(701) Nick Turse, “Drone surge: Today, tomorrow and 2047 , Asia Times (en ligne), 26 janvier 2010
<http ://www.atimes.com/atimes/South_Asia/LA26Df01.html>
(702) Leon Panetta, “ Director’s Remarks at the Pacific Council on International Policy ”, 18 May
2009, Central Intelligence Agency ; <https ://www.cia.gov/news-information/speeches-testimony/
directors-remarks-at-pacific-council.html>
(703) Ibidem.

599
par le Congrès au regard de la Loi sur les pouvoirs de guerre. Il s’agit là d’un
précédent dangereux qui au mieux – comme l’a montré Philip Alston, rapporteur
spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires – est juridiquement
discutable au regard du droit international humanitaire. Il a contesté la légalité
des éliminations ciblées devant l’Assemblée générale de l’ONU en octobre 2009.
Une demande fut faite pour que les États-Unis fournissent une justification
juridique du ciblage et de l’élimination de suspects par la CIA et fut posée la
question de savoir qui en était responsable. Les États-Unis ont refusé de faire
des commentaires sur ce qu’ils ont qualifié d’opérations secrètes et relevant
de la sécurité nationale.
Le conseiller juridique du département d’État américain, Harold Koh,
a indirectement rejeté les affirmations d’Alston, déclarant que « les pratiques
américaines de ciblage, y compris les opérations létales conduites au moyen de drones
sont conformes à toutes les lois en vigueur, y compris à celles de la guerre » (704).
Il n’existe toutefois aucune manière indépendante d’établir comment sont
prises les décisions de ciblage. Il reste difficile de connaître le type et le niveau
de preuves utilisées pour parvenir à des conclusions qui équivalent, pour des
acteurs non étatiques qui n’ont ni le droit de faire appel ni celui de se rendre,
à des condamnations à mort au moyen de missiles Hellfire. Il est tout aussi
difficile de savoir quelles autres méthodes, si tant est qu’il y en ait eu d’autres,
ont été utilisées ou tentées pour traduire les suspects en justice. Tout cela se
passe derrière un confortable voile de secret national.
Le professeur de droit Kenneth Anderson s’est également interrogé sur
l’emploi des drones par la CIA dans sa déclaration à l’occasion de son audition
devant le Sénat : « Dans son plaidoyer pour les opérations conduites au moyen
de drones, [Koh] n’évoque la CIA à aucun moment. Il en est bien évidemment
question lorsque la légitime défense est évoquée séparément du conflit armé. On
comprend l’hésitation qu’ont les juristes à qualifier l’emploi des drones par la
CIA de légal étant donné que la position officielle du gouvernement américain
consiste, malgré tout, à ne confirmer ni infirmer les opérations de l’agence » (705).
Selon un rapport ultérieur adressé en 2010 par Alston à l’Assemblée générale
des Nations unies (706), les frappes réalisées depuis des drones enfreignent le
droit international et les droits de l’homme dans la mesure où l’un comme
l’autre exigent de la transparence dans les procédures et des garanties quant
au caractère légal et justifié des éliminations : « un manque de transparence
donne aux États une autorisation virtuelle et inadmissible de tuer ». Certains
des arguments auxquels Alston fait appel portent également sur la notion de

(704) Harold Koh, “The Obama Administration and International Law ”, discours lors de la réunion
annuelle de l’American Society of International Law, Washington DC, 25 mars 2010.
(705) Kenneth Anderson, Submission to US House of Representatives Committee on Oversight and
Government Reform Subcommittee on National Security and Foreign Affairs, Subcommittee Hearing,
Drones II, 28 avril 2010.
(706) Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires, Report of the Special rapporteur on Extrajudicial, Summary or Arbitrary
Executions, Addendum, Study on Targeted Killings, 28 mai 2010, doc. A/HRC/14/24/Add.6.

600
« droit de légitime défense » et sur le fait de savoir si les frappes effectuées par
des drones sont légales au regard de l’Article 51.
Les États-Unis ne considèrent donc pas les frappes de la CIA ou le
déploiement de drones armés en Libye comme des actes de guerre. Jusqu’où
cela ira-t-il ? Tous les pays qui ont fait l’objet de frappes sont militairement
inférieurs et constituent une faible menace pour les pays occidentaux. Il est
peu probable que des pays militairement plus avancés comme la Chine ou la
Russie aient à connaître de semblables actions qui ne relèvent pas de la guerre,
sur leurs territoires. Le précédent existe à présent et il sera intéressant de voir ce
qui se passera lorsque d’autres pays commenceront à agir de la même manière.

L’avenir proche : autonomie et rythme du combat


Depuis 2004, l’ensemble des feuilles de route et des plans d’action des
forces américaines ont clairement exprimé le désir et l’intention de développer
et d’employer des robots autonomes sur le champ de bataille. La concrétisation
de ces projets visant à éliminer l’homme de la boucle est bien engagée. Le but
final est que les robots opèrent de manière autonome pour localiser leurs propres
cibles et les détruire sans intervention humaine (707). Le ciblage létal autonome
n’est pas illégal dès lors qu’il respecte les principes de discrimination et de
proportionnalité. Dans un environnement essentiellement militaire, et dans lequel
le nombre de civils est faible, par exemple dans le désert ou en mer, l’emploi de
robots armés pour éliminer des cibles poserait peu de difficultés. D’un point
de vue juridique, cela pourrait être peu différent du tir de roquettes à distance,
du largage de bombes ou de l’envoi de missiles de croisière. Néanmoins, les
robots armés devraient changer de façon spectaculaire le rythme du combat
dans la décennie à venir. Il ne serait pas militairement avantageux de conserver
un homme pour le contrôle du ciblage.
La vitesse d’un aéronef inhabité n’est limitée que par l’intégrité de sa
structure et de ses composants et non par les restrictions liées à la force de
gravité que connaissent les humains. Les aéronefs inhabités pourraient non
seulement voler plus vite que les avions pilotés mais ils pourraient également
être manœuvrés plus rapidement, prenant des virages brusques qui seraient
fatals à un pilote humain.
Les États-Unis ont testé l’aéronef supersonique Phantom Ray et le X-47B.
La Navy souhaiterait remplacer sur ses porte-avions les F-35 par des X-47B (708).
Les Chinois (Shenyang Aircraft Company) travaillent sur le drone de combat
supersonique Anjian (Dark Sword), le premier UCAV conçu pour des combats
aériens (dogfights). La DARPA et le Pentagone veulent des véhicules armés
inhabités pouvant atteindre n’importe quel point du globe en 60 minutes.
Le programme HTV-2 de la DARPA est un bon exemple de la direction des

(707) Noel Sharkey, “Cassandra or the false prophet of doom : AI robots and war”, IEEE Intelligent
Systems, juillet/août 2008, vol. 23, n° 4, pp. 14-17.
(708) “USN wants to replace F-35s with UAVs”  ; http  ://www.strategypage.com/htmw/htnavai/
articles/20110911.aspx

601
développements technologiques. Le Falcon HTV-2 est un aéronef inhabité
hypersonique qui, lors de récents essais, a atteint une vitesse comprise entre
Mach 17 et Mach 22, autrement dit 17 à 22 fois la vitesse du son à son altitude.
Cela équivaut à une vitesse maximale de 13 000 miles/heure (20 921,5 km/h)
soit près de 8,5 fois plus rapide que le MiG-25 russe qui a une vitesse maximale
de 2,3 Mach (1 520 miles/heure ou 2 446 km/h).
Toutefois, pour tout système mobile contrôlé par un logiciel complexe,
il est impossible de prédire pour toutes les circonstances la manière dont il
réagira. Des événements non prévus pourraient se produire, un bug non détecté
dans le programme ou un défaut matériel pourraient apparaître. Un drone
hypersonique pourrait être hors cible de 5 km en moins d’une seconde. Un
exemple de deux algorithmes logiciels qui interagissent et qui échappent à tout
contrôle s’est produit sur le site Amazon. Le livre Making of a fly paru en 1992,
et épuisé, est normalement vendu pour environ 50 dollars. Mais le 19 avril 2011
Borderbooks le proposait à la vente sur ce même site pour 23 698 655,93 dollars
(plus 3,99 dollars de frais de port) (709). Ce prix incroyable provient du fait qu’un
algorithme automatique du vendeur Profnath interagissait avec l’algorithme
automatique de Borderbooks. L’explication est la suivante : lorsque Borderbooks
n’a pas de livre en stock, il l’affiche automatiquement à 1,27059 fois le prix
proposé par le vendeur le moins cher. Donc lorsqu’un client commande le livre
chez eux, ils peuvent acheter et vendre avec un profit de 0,27059 fois le prix.
Le problème tient au fait que l’algorithme de Profnath calculait leurs prix à
0,9983 fois le prix proposé par le vendeur le moins cher. Donc chaque fois que
Borderbooks augmentait son prix Pronath faisait de même, conduisant à cette
augmentation vertigineuse. Cela fut sans conséquences car personne n’était
prêt à payer de telles sommes. Mais imaginons deux ou plusieurs algorithmes
complexes interagissant sur des robots armés à grande vitesse. On ne peut pas
dire sans connaître les autres algorithmes, ce qui se passera. Ils pourraient se
percuter, s’écraser au sol ou atteindre un endroit totalement différent de la
destination initiale et déchaîner leur force destructrice. L’idée consiste à dire que
les algorithmes logiciels des drones armés autonomes échappant au contrôle
devraient susciter une véritable préoccupation.
Comme j’ai pu l’évoquer par ailleurs (710), le fait d’autoriser les robots à
prendre des décisions quant à l’emploi de la force létale pourrait enfreindre
tant le principe de discrimination que celui de proportionnalité découlant du
droit international humanitaire. Ces deux principes représentent les piliers du
droit de la guerre. Que ce soit aujourd’hui ou dans un avenir prévisible, aucun
robot autonome ou système d’intelligence artificielle ne possède les propriétés
nécessaires pour permettre la discrimination entre combattants et civils ou
pour prendre des décisions en termes de proportionnalité.

(709) “It is NOT junk” ; http ://www.michaeleisen.org/blog/ ?p=358


(710) Noel Sharkey, “Grounds for Discrimination  : Autonomous Robot Weapons”, RUSI Defence
Systems, 2008, vol. 11, n° 2, pp. 86-89; Noel Sharkey, “Saying No! to Lethal Autonomous Targeting”,
Journal of Military Ethics, 2010, vol. 9, n° 4, pp. 299-313.

602
Au regard du principe de discrimination, seuls les combattants/guerriers
sont des cibles légitimes. Tout autre individu, y compris les enfants, les civils, les
travailleurs du secteur public et les retraités, doivent être protégés des attaques.
Les combattants hors de combat, qui sont par exemple blessés, qui se sont rendus
ou qui souffrent de maladies mentales bénéficient de la même protection (711). Le
principe de proportionnalité s’applique lorsque, au cours d’une action, il n’est
pas possible de protéger pleinement les non-combattants. Selon ce principe, la
perte de vies et les dommages matériels incidents aux attaques ne doivent pas
être excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct.
La discrimination entre les civils et les combattants est problématique pour
tout robot ou système informatique. Tout d’abord se pose le problème de la
définition du « statut civil ». Un ordinateur peut calculer toute procédure qui
peut être écrite sous la forme d’un programme. Nous pourrions par exemple
donner à l’ordinateur ou à un robot une instruction du type « si civil, ne pas
tirer ». Cela suffirait si, et seulement si, il existait une manière de transmettre
à l’ordinateur une définition précise de ce qu’est un civil. Les Lois de la guerre
ne nous aident pas dans ce cas. Si la Convention de Genève de 1949 exige
que l’on fasse appel au bon sens pour faire la différence entre un civil et un
combattant, le Protocole 1 de 1977 définit le civil par la négative comme étant
celui qui n’est pas un combattant.
Deux composantes informatiques essentielles sont nécessaires pour que
les robots puissent discriminer entre combattants et non-combattants. La
première réside dans des systèmes de détection et de vision extrêmement précis
et discriminants. Si la technologie a connu de spectaculaires progrès au cours
des 50 dernières années, les systèmes de vision se sont très peu développés. Nous
pouvons actuellement détecter s’il s’agit ou non d’un humain en fonction de
sa forme, mais cela peut être perturbé par un mannequin ou un ours dressé
sur ses pattes. Nous disposons de systèmes de « reconnaissance faciale » et de
tests biométriques raisonnablement fiables si un humain peut rester immobile
suffisamment longtemps pour être identifié. Mais dans le brouillard de la guerre,
tout cela devient autrement plus complexe. La deuxième composante nécessaire
concerne le raisonnement au regard de la connaissance situationnelle. On ne
sait pas à quel moment nous pourrons, à ce sujet, mettre un pied dans la porte.
S’il y aura toujours des voix optimistes, ces systèmes relèvent en réalité plus
du désir que du réel. On ne peut pas être certains qu’ils n’existeront jamais,
cela étant rien ne laisse aujourd’hui présager qu’ils voient le jour. Si tel venait
à être le cas, cela pourrait prendre des centaines d’années.
Pour ce qui est des lois de la guerre, nous devons faire avec les informations
et les données dont nous disposons actuellement. Nous ne devons pas nous
appuyer sur des solutions technologiques qui semblent imminentes alors que nous
pourrions ne jamais en bénéficier. Les robots autonomes capables de tuer sans
qu’un humain prenne les décisions létales sont finalement des armes frappant

(711) Voir également John S. Ford, “The Morality of Obliteration Bombing”, Theological Studies,
1944, pp. 261-309.

603
sans discrimination. Ils pourraient à juste titre figurer dans la Convention des
Nations Unies sur certaines armes classiques (CCAC) (712).

La nécessité miLitaire
« Les robots armés auront toujours un humain quelque part dans la boucle
pour prendre les décisions en termes de ciblage létal » : c’est là une phrase qui
revient souvent dans le discours des puissances occidentales. Mais dire « quelque
part » dans la boucle n’est pas la même chose que de dire qu’un humain prendra
toujours les décisions en termes de ciblage létal. Il existe manifestement des
situations où la nécessité militaire pourrait l’emporter sur le fait d’avoir quelqu’un
dans la boucle. Dans le cas extrême, si la survie même de l’État était en jeu et
qu’il était possible d’opérer des robots armés autonomes pour le sauver, il est
juste d’affirmer qu’ils seront employés. Dans de telles circonstances, l’emploi
d’appareils autonomes pouvant donner la mort pourrait même être perçu
comme une action légitime ; ou tout au moins une action qui ne serait pas
illégitime comme dans la décision, ou non-décision pour être plus exact, de la
Cour internationale de Justice sur l’emploi des armes nucléaires par un État.
« Au vu de l’état actuel du droit international, ainsi que des éléments de fait
dont elle dispose, la Cour ne peut cependant conclure de façon définitive que la
menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance
extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un État serait en cause ».
Il ne serait pas trop invraisemblable de remplacer le syntagme « armes
nucléaires » par celui de « robots armés autonomes ». Les robots armés sont
moins cruels que les armes nucléaires – à moins bien évidemment qu’ils ne
soient dotés d’armes nucléaires. La substitution est donc aisée. Mais il est
improbable qu’il faille attendre que la survie de l’État soit menacée avant
d’envoyer des robots autonomes même s’ils ne disposent d’aucun moyen de
discrimination et de proportionnalité. L’histoire est faite d’exemples dans
lesquels les considérations humanitaires ont été laissées de côté pour protéger
des soldats et non pour sauver l’État d’un effondrement imminent. Un bon
exemple de l’emploi indiscriminé de la puissance aérienne est celui des attaques
sur la ville française de Saint Lô en 1944 lors du débarquement des forces alliées
en Normandie. Bien que la ville ait été peuplée de civils français, une division
d’élite allemande de Panzer qui y était stationnée a empêché les forces alliées
de sortir de Normandie. Les forces canadiennes, américaines et britanniques
ont enregistré de lourdes pertes. En réponse, selon Shelton Cohen, « [l] a ville
fut attaquée le 25 juillet par 1 500 bombardiers lourds, 380 bombardiers moyens
et 550 chasseurs bombardiers, une des plus importantes attaques aériennes de la
Seconde Guerre mondiale. La Panzer Lehr fut pratiquement anéantie et il ne resta

(712) Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui
peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans
discrimination, en vigueur depuis le 2 décembre 1983 et une annexe aux Conventions de Genève du
12 août 1949.

604
de la ville qu’un tas de décombres » (713). Si la voie fut ainsi ouverte pour les alliés,
des milliers de citoyens français avaient en revanche perdu la vie. Ces actions
ont été (et sont encore) considérées comme nécessaires à la réussite militaire.
Il est avancé que les bombardements étaient directement proportionnels à
l’avantage militaire obtenu. D’un autre côté, de solides arguments, reposant
sur des considérations morales et sur les lois de la guerre juste, furent opposés
à ces actions (714).
Un autre cas de « nécessité militaire » ressort de la conduire des troupes
américaines en Corée et au Viêt-nam : lorsque celles-ci essuyaient des tirs ennemis,
elles ripostaient dans des zones peuplées de nombreux civils. Lorsqu’elles étaient
fixées, les troupes recouraient automatiquement à des chars pour riposter sur
les flancs des coteaux et sollicitaient un appui par des frappes aériennes et
l’artillerie. Si ces actions sauvaient les vies de soldats américains, elles tuaient
des civils – hommes, femmes et enfants – frappant sans discrimination (715).
Cela ne constituait pas, selon Cohen, un acte illégal. Le droit de la guerre n’est
pas nécessairement moral, il « autorise les troupes sous feu ennemi à riposter
sans s’assurer qu’il n’y a pas de civils imbriqués aux troupes leur tirant dessus. Il
autorise les troupes sous le feu ennemi à riposter même si elles savent que des civils
sont mêlés à l’ennemi » (716). Cela signifie que si les soldats se font tirer dessus,
des robots autonomes létaux pourraient être déployés de la même manière que
l’artillerie ou des frappes aériennes indiscriminées.
Si des pays en guerre ou en conflit disposent de robots armés autonomes
qui sauveront de nombreuses vies dans leurs troupes, leur déploiement sera-t-il
considéré comme une nécessité militaire ? Si cela a un impact aussi bien pour
la protection de la vie des soldats que pour la réussite de la mission, alors la
tentation sera grande de recourir à cette technologie. Imaginons une situation
dans laquelle l’avantage d’un État A, en conflit armé avec un État B, résulte
du déploiement d’UAV. Imaginons maintenant que les communications et les
signaux radio et GPS de l’État A sont brouillés. Si son inventaire de drones
armés autonomes (frappant sans discrimination) peut permettre à l’État A
de reprendre son avantage, n’y recourra-t-il pas ? Pour bien comprendre les
choses, supposons qu’après avoir perturbé le contrôle à distance des UAV
de l’État A, l’État B déploie des plates-formes d’assaut autonomes ; l’État
A ne fera-t-il de même ? Les préoccupations relatives au choix de maintenir
un humain dans la boucle ou de délivrer des armements pouvant être non
discriminants empêcheront-elles la mise en œuvre d’UAV autonomes létaux ?
Il semble improbable qu’un pays perde une guerre parce qu’il aurait décidé
que la supériorité morale est plus importante que la victoire.

(713) Shelton M. Cohen, Arms and Judgment: Law, Morality, and the Conduct of War in the Twentieth
Century, San Francisco, Westview Press, 1989, p. 34.
(714) Michael Walzer, Just and Unjust Wars. A Moral Argument with Historical Illustrations, New
York, Basic Books, 2000, 3e ed.
(715) Ibidem.
(716) Shelton M. Cohen, op. cit., p. 28.

605
Après quasiment un siècle de développement, le véhicule aérien inhabité
est peut-être devenu l’outil le plus désiré des forces armées modernes au
monde. Les succès militaires qu’ont rencontrés les UAV dans les conflits post-
11 septembre ont conduit à une prolifération rapide de cette technologie. Bien
qu’il y ait actuellement un « homme dans la boucle » pour les opérations de
ciblage létal, ce rôle perdra progressivement de son importance jusqu’à ce que
des opérations entièrement autonomes soient possibles. Les fonctions autonomes
apparaîtront probablement bien avant que les robots ne puissent discriminer,
sur la base d’une connaissance du champ de bataille, entre combattants et
non-combattants. Ils ne seront pas en mesure de raisonner correctement, ni de
prendre des décisions relatives à la proportionnalité sauf s’il venait à y avoir
d’incroyables et imprévisibles progrès technologiques.
L’objectif de cet article était d’exprimer des préoccupations quant à
la prolifération de la technologie des UAV. Si les États-Unis et Israël sont
actuellement en avance dans ce domaine, avec des avions robotisés armés (armed
robot planes), cela pourrait évoluer dans un avenir proche. La Russie planifie
des aéronefs de combat armés inhabités, l’Iran affirme en disposer d’ores et déjà
et la Chine est en train de rapidement les rattraper. Plus de 50 pays achètent
et développent cette technologie. Il fut souligné que la Chine allait bientôt
commencer à vendre et à exporter ses drones armés sur le marché international.
Si rien ne les arrête, les drones autonomes deviendront probablement
l’outil des guerres futures. Alors que l’on dit souvent que l’homme restera dans
la boucle pour prendre les décisions relatives au ciblage létal et ce jusqu’à ce
que les robots soient en mesure de respecter le principe de discrimination, la
nécessité militaire conduira probablement à oublier cette contrainte, que les
robots soient prêts ou non. Le leitmotiv pourrait alors être « ne vous inquiétez
pas, l’avenir apportera des solutions technologiques ». Cela ressemble à ce que
les États-Unis déclaraient en ne signant pas la Convention d’interdiction des
armes à sous-munition.
La prolifération des robots armés autonomes soulève de nombreuses
préoccupations. Que se passera-t-il lorsque deux algorithmes complexes
se croiseront au cours d’un combat ? L’emploi des drones conduira-t-il à
abaisser le seuil de la guerre puisqu’il semble la rendre « sans risque » ? Selon
les indications de l’actuelle administration américaine, l’emploi des drones est
considéré comme une action ne constituant pas une guerre proprement dite.
Quels dangereux précédents l’actuelle série de décapitations réalisées par la
CIA est-elle en train de créer pour le moment où d’autres pays disposeront
d’une technologie semblable ?
Il est difficile de savoir quels changements devront être apportés au
droit international humanitaire. Celui-ci couvre clairement les exigences de
discrimination et de proportionnalité. Cela étant, la compatibilité entre les
nouvelles technologies et le DIH peut s’avérer problématique dans la mesure
où les détails opérationnels de cette nouvelle technologie ne sont pas clairs et
ne cessent de changer. Des clarifications et des ajouts au DIH pourraient être
nécessaires, mais il sera difficile de leur faire passer l’épreuve du temps. Les

606
robots armés autonomes sont des armes frappant sans discrimination et ne
respectant pas le principe de proportionnalité ; nous devons donc dès à présent
les traiter comme telles. Les Nations unies doivent envisager de les inscrire
dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques qui interdit leur
emploi. Nous nous appuyons sur de possibles solutions technologiques futures
à nos risques et périls.
(Traduit de l’anglais par Gabriela Sulea Boutherin)

607
608
À quel point une guerre de robot
peut-elle être juste ?
Peter M. Asaro

La théorie de la guerre juste est un cadre théorique largement reconnu en


matière de régulation de la conduite de la guerre. Elle a été acceptée par des
institutions estimées et influentes du monde académique, du monde militaire
américain (incluant les académies militaires (717)) et de l’Église catholique. Elle est
également compatible avec les principes fondamentaux des lois internationales
régulant la guerre, telles que les conventions de Genève et de la Haye, si elle
n’en est pas explicitement une formulation.
Ce chapitre vise à jeter un éclairage sur les défis posés par les technologies
autonomes à la théorie de la guerre juste. Il suit l’articulation de la théorie
développée dans l’ouvrage de Michael Walzer (718), qui est le texte moderne le
plus influent sur la théorie de la guerre juste. Bien qu’il en existe des critiques
très pertinentes, l’approche de Walzer (719) est néanmoins celle qui a eu la plus
grande influence sur les institutions et les lois internationales encadrant la guerre.
Avant de commencer, il est nécessaire de clarifier ce que j’entends par
robots et autres systèmes autonomes. L’« autonomie » est un concept contesté
et sa relation au matériel technologique ajoute à sa complexité. Il est donc utile
d’envisager un continuum d’autonomie au long duquel, en fonction de leurs
capacités spécifiques, se situent différentes technologies. Généralement, tout
système pourvu d’une capacité de sentir, de décider ou d’agir sans intervention
humaine, a un certain degré d’autonomie. Cela inclut les systèmes simples,
tels que les mines qui « décident » d’exploser lorsqu’elles sentent une pression.
Évidemment, les systèmes bénéficiant seulement des formes les plus rudimentaires
de senseurs, de processus de décision et d’action, sont dépourvus de plusieurs
caractères de la pleine autonomie. La mine ne décide pas où elle sera placée,
et son positionnement physique conditionnera fortement les conséquences de
son action. Ainsi, elle a beaucoup moins d’« autonomie » que des systèmes
pourvus de moyens plus sophistiqués leur permettant de sentir, décider et agir.
Si nous devions considérer la mine comme un agent moral, nous ne serions
pas enclins à la tenir pour responsable des ses actes et nous attribuerions cette
responsabilité à ceux qui l’ont positionné et armé. La mine se situe donc à une
extrémité du continuum de l’autonomie et de la responsabilité morale.
Certains types d’armes de « précision », tels que les bombes « intelligentes »,
utilisent un GPS et des mécanismes sophistiqués de contrôles pour être délivrés
(717) Bien qu’il ait été récemment retiré des listes de lectures, le livre de Michael Walzer était un
texte classique de l’Académie militaire de West Point.
(718) Michael Walzer, op. cit.
(719) Jeff McMahan, “The Sources and Status of Just War Principles”, Journal of Military Ethics,
6(2), 2007, pp. 91-106.

609
précisément sur une cible. La sélection de la cible et la détermination de sa
localisation, de sa valeur et des risques, sont pour autant toujours arrêtées par
des humains qui contrôlent le système d’armes. Par conséquent si l’on peut
« blâmer » une bombe « intelligente », ou sa conception, pour ne pas avoir réussi
à atteindre la cible indiquée, on ne le peut pas pour la sélection de cette dernière.
Elle est donc un point sur le continuum et partage son positionnement sur ce
continuum avec d’autres types d’armement guidés et de batteries anti aériennes
automatisées (comme les systèmes de missiles Patriot et les systèmes anti-missile
antinavire Phalanx), et les systèmes de missiles antibalistiques (Star Wars/
Strategic Defense Initiative), qui détectent et détruisent les menaces perçues
par leur senseurs sans intervention humaine « dans l’instant ». Ces systèmes
d’armes sont donc dépendants des décisions d’êtres humains responsables du
choix du moment opportun pour les activer.
D’autres systèmes, capables d’analyse au travers de senseurs sophistiqués leur
permettant de choisir eux-mêmes la cible appropriée et de prendre des décisions
relatives aux différentes actions adaptées à sa localisation, bénéficient d’une
plus grande autonomie. Les technologies des plates-formes d’armes robotisées
intègrent ces caractéristiques en tout ou partie. Elles utilisent le traitement
d’images pour identifier les cibles et sélectionner parmi un large éventail d’actions
offensives ou défensives pour engager les dites cibles. Ce sont là des capacités
technologiques qui soit existent déjà, soit sont en cours de développement dans
divers pays. Bien que ce ne soit pas une nécessité technologique, ces systèmes sont
généralement conçus pour demander l’autorisation à des autorités humaines
avant d’utiliser la force létale à l’encontre d’une cible (ce que les militaires
américains appellent garder un homme dans la boucle - man-in-the-loop). Nous
pouvons considérer que le choix de l’emploi de la force létale contre une cible
est un seuil critique sur le continuum d’autonomie qui pèse d’un poids moral
conséquent dans la conception et l’utilisation d’une telle technologie. Il existe
pourtant des systèmes encore plus autonomes que cela.
Á mesure que les technologies robotiques progressent, il devient envisageable
qu’elles acquièrent des capacités imitant ou répliquant les capacités morales
humaines. Si certains systèmes sont à même d’appliquer des règles ou des
principes moraux préprogrammés, des agents robotisés autonomes seraient
capables de formuler leurs propres principes moraux, leurs propres devoirs et
leurs propres raisons, et opérer leurs propres choix moraux au sens le plus total
de l’autonomie morale. Les possibilités sont nombreuses pour éviter de produire
de nouveaux sujets pleinement autonomes au plan moral. Il est par exemple
possible, de créer des agents ayant une conscience morale (moral awareness)
mais ne bénéficiant pas de la liberté de choix fondée sur cette conscience. Bien
que cela relève encore de la science-fiction, il n’est pas impossible en principe
qu’un robot soit un jour doté d’autonomie au sens kantien, et qu’ainsi il porte
la responsabilité de ses actes, raisonne moralement à leur sujet et s’identifie aux
qualités morales des ses propres actions. En certains points du continuum, mais
probablement avant l’autonomie kantienne, apparaitront diverses questions,

610
comme celle de savoir s’ils ont des droits moraux, concernant la responsabilité
morale à l’égard de ces systèmes autonomes.
Le continuum présente plusieurs degrés d’autonomie auxquels chaque
système spécifique pourrait correspondre. Nous réfléchirons aux implications
que cela aura sur l’interprétation et l’application de la théorie de la guerre juste
au regard de diverses situations. Il me semble important à ce stade de m’arrêter
sur la nature spéculative de ce travail. Beaucoup considèrent l’idée de robots-
soldats et d’agents robotiques moraux comme relevant du fantastique, de la
science-fiction, et non comme quelque chose méritant un examen sérieux.
Mon propos vise à couvrir des possibilités technologiques qui n’existent pas
encore et qui n’existeront peut-être jamais. Pourtant il me paraît important
d’approfondir notre compréhension des technologies existantes à la lumière
de ces possibilités hypothétiques. Fabriquer des systèmes autonomes de plus
en plus complexes présente un grand intérêt et beaucoup d’argent est investit
dans ce dessein. Il ne parait pas déraisonnable de prédire que dans la prochaine
décennie nous assisterons à l’utilisation de quelque chose ressemblant à un
robot-soldat (720). Si l’on regarde la quantité de temps et d’efforts qu’il a fallu
aux théoriciens du droit et de la morale pour venir à bout de la question de la
bombe atomique, il est raisonnable de commencer à penser aux robots militaires
dès aujourd’hui, avant même qu’ils n’apparaissent finalisés sur le champ de
bataille. Les robots pourraient avoir, ou pas, le même potentiel que la bombe
atomique en termes de réorganisation de la politique internationale. Pour autant,
il n’est pas absurde de s’attendre à ce que ces technologies puissent trouver leur
voie vers d’autres applications en termes de sécurité telle que le contrôle des
populations civiles. Il y a donc une nécessité avérée et une certaine urgence à
établir le cadre moral au travers duquel nous pourrions juger les différentes
applications de ces technologies, ainsi que l’éthique inhérente à leur conception
et à leur construction.
Comme ma préoccupation dans cette analyse porte sur les capacités
générales des technologies, et en premier lieu sur leur capacité à agir de manière
autonome, et non pas sur les technologies spécifiquement utilisées, à part sur
leur degré d’autonomie, je ne m’attarderai pas sur la manière dont fonctionnent
ces technologies. On objectera sans doute qu’il existe déjà des restrictions légales
à l’emploi de systèmes de combat autonomes qui ont permis de conserver, au
moins au États-Unis, un homme dans la boucle même dans les systèmes militaires
es plus perfectionnés, et que par conséquent une analyse telle que la mienne
n’est pas nécessaire. Bien qu’il soit vrai que les humains ont été maintenus
« dans la boucle », savoir dans quelle limite cet état de fait est contingent et si
ces restrictions pourront résister aux pressions pour augmenter l’autonomie
attribuée aux systèmes militaires n’est pas évident (721). Il est ainsi intéressant
de réexaminer les principes fondamentaux qui garantissent les interdictions

(720) L’armée sud-coréenne a déjà des plans pour déployer des robots autonomes armés de
mitrailleuses et de balles réelles le long de la frontière avec la Corée du Nord. Le système est conçu
par Samsung et tirera sur tout être humain tentant de franchir la DMZ (zone démilitarisée).
(721) John S. Canning, “A Concept of Operations for Armed Autonomous Systems: The difference
between ‘Winning the War’ and ‘Winning the Peace’”, presentation at the Pentagon, 2007.

611
existantes concernant l’emploi de technologies autonomes. Il l’est tout autant
de réfléchir à quel point il est nécessaire de les améliorer ou de les étendre afin
qu’elles puissent prendre en compte les nouvelles possibilités que la technologie
est sur le point de nous offrir.

La théorie de La guerre juste


La théorie de la guerre juste de Walzer (722) vise à fournir un cadre théorique
au débat sur la moralité de choix et d’actes spécifiques en situation de guerre,
en établissant un petit nombre de principes qui reprennent les sentiments
moraux généraux. Plutôt que de disqualifier toutes les guerres pour immoralité,
ce cadre cherche à repérer avec attention les actes moraux spécifiques, afin de
départir de leur autorité ceux qui malmèneraient les sentiments moraux soit
en amenant une nation à faire la guerre, soit en tentant de légitimer des actes
immoraux dans la conduite de la guerre. Il établit un cadre rationnel permettant
de distinguer les actes justes des actes injustes, de et dans la guerre, et adopte
une approche libérale qui cherche à protéger les droits des individus et des États
de préjudices injustes. Ses principes rationnels émanent d’une réflexion sur les
sentiments moraux partagés et de la reconnaissance de la nature conventionnelle
de la guerre et des lois qui la gouvernent. Comme McMahan (723) le souligne
clairement, il existe de nombreuses incohérences dans la manière dont Walzer
articule les fondements de la théorie en termes de droits individuels, de droits
des États, de sentiments moraux et de normes conventionnelles. Sa critique
tend, cependant, à préserver l’essentiel de la structure générale de la théorie
de la guerre juste en l’asseyant sur des bases plus solides fondées sur les droits
individuels.
La théorie de la guerre juste opère une distinction essentielle entre ce qui
relève des motifs juste d’entrée en guerre, jus ad bellum, et ce qui relève des actes
justes au combat, jus in bello. Selon Walzer, ces deux aspects sont totalement
indépendants l’un de l’autre. Ainsi, pour lui, les actions des soldats de deux
camps opposés dans une guerre peuvent être justes s’ils respectent les principes
premiers de discrimination et de proportionnalité. Ceux qui, en substance,
critiquent Walzer questionnent cette indépendance. Pour ma part, je crois que,
en tant que questionnement moral, la proportionnalité dépend largement des
raisons ayant présidées à l’entrée en guerre. Malgré cela, la distinction est tout
à fait en phase avec la pratique et la régulation juridique de la guerre, et elle
souligne deux questions morales distinctes, même si le caractère moral de la
conduite d’une guerre ne peut être complètement déterminé sans considérer
les raisons qui y ont conduit.

(722) Michael Walzer, op. cit.


(723) Jeff McMahan, op. cit.

612
technoLogie autonome et jus ad beLLum
Il y a, pour les technologies autonomes, au moins deux manière principales
d’influencer le choix fait par une nation d’entrer en guerre. La première concerne
la menace que représentent de tels systèmes à la souveraineté nationale. Á ce
titre ils pourraient poser un défi à la théorie de la guerre juste, ou bien il faudrait
que la théorie soit étendue afin de couvrir cette possibilité. La seconde manière
renvoie aux raisons pour lesquelles de nombreuses personnes craignent, bien
que cela ne pose pas réellement problème en termes de théorie de la guerre jute,
le développement de machines tueuses autonomes, tels que les robots-soldats.
Il s’agit de l’idée que ces technologies rendraient plus aisé l’engagement dans
une guerre pour les dirigeants qui l’envisageraient, ou, en d’autres termes, celle
selon laquelle les technologies autonomes abaisseraient le niveau d’entrée en
guerre, ou seraient directement responsables du déclenchement intentionnel
ou accidentel d’une guerre.

Les déFis des technoLogies autonomes à La souveraineté


Il semble que les technologies autonomes offrent un potentiel important
de déclenchements accidentels de guerres, voire même pour des raisons qui
leur seraient propres. Quoique ce dernier point semble encore relever plus de la
science-fiction que d’une possibilité réelle, il est néanmoins utile de voir comment
la théorie de la guerre juste peut nous aider à penser une telle situation. La
théorie ne reconnait que quelques causes très spécifiques pour qu’une guerre
soit juste. En principe, seule une agression à l’encontre de la souveraineté d’une
nation par une autre nation est considérée comme une cause juste. Strictement
parlant, l’agresseur agit de manière injuste et l’agressé se voit reconnaitre
un droit d’auto-défense qui lui permet ainsi de combattre justement contre
cette agression. Les choses ne sont jamais aussi claires. Par extension, et bien
qu’elles ne soient pas nécessairement tenues de la faire (comme dans le cas
où cette participation menacerait leur propre existence ou leur souveraineté),
les nations tierces pourraient justement participer au combat aux côtés de la
nation en situation de défense. Il n’y a que quelques exceptions très limitées
à ce principe, à savoir les frappes préemptives contre une menace d’agression
imminente et les interventions humanitaires ayant pour objectif de mettre fin
à de graves abus contre les droits de l’homme ou à un génocide.
Avec ces principes généraux à l’esprit, nous pouvons imaginer de quelles
nouvelles manières les technologies autonomes pourraient impacter la
souveraineté. Le premier cas est celui ou une technologie autonome déclenche
« accidentellement » une guerre. Ce déclenchement peut résulter d’une
manipulation humaine, d’une véritable erreur technique ou encore d’une intention
calculée de la technologie, qui pourrait même se tourner contre la nation qui
l’a créé, aboutissant ainsi à une forme ou une autre de « révolution de robots ».

613
guerre accidenteLLe
Bien que n’étant pas réellement une menace à la souveraineté, l’idée d’une
guerre « accidentelle » est étroitement liée à notre conception de la souveraineté
des États. Il est généralement admis qu’un « acte de guerre » est un acte
intentionnel commis par un État à l’encontre d’un autre. Par conséquent, un
acte non intentionnel interprété comme un acte de guerre peut conduire à une
guerre accidentelle. La potentialité d’une guerre accidentelle a toujours existé
et en général les décisions d’entrée en guerre se fondent sur des intentions
préexistantes à tout acte de guerre spécifique, qui n’est lui-même qu’un prétexte
ou une justification superficielle. Pour autant, les systèmes technologiques
autonomes introduisent de nouveaux dangers en ce qu’ils peuvent agir d’une
manière inattendue qui peut être interprétée comme un acte de guerre.
Tout au long de la période de la guerre froide a subsisté la crainte qu’en
raison d’un défaut de fonctionnement, les systèmes complexes de contrôle
technologique des armes nucléaires ne déclenchent de manière non intentionnelle
une guerre que personne ne pourrait arrêter. Dans la limite où tout système
technologique complexe est susceptible de commettre de manière imprévisible
des erreurs dans des circonstances non moins imprévisibles, les systèmes de
contrôle d’armées de robots autonomes ne feront pas exception. Qui plus est,
puisque les robots sont utilisés pour patrouiller dans des zones dangereuses,
le long de frontières litigieuses et dans des points chauds au plan politique, il
semble probable que certaines de leurs actions pourront être interprétées comme
des actes de guerre, malgré qu’aucun dirigeant politique ou militaire n’aura
spécifiquement ordonné ces actions. Si cela représente un vrai danger, cela n’est
pas très différent de la menace représentée par des officiers ou des soldats peu
scrupuleux qui commettraient par accident, ou à dessein, de tels actes sans y
avoir été formellement autorisés par leur chaine de commandement, et ce quand
bien même ils seraient conscients des possibilités de mauvaises interprétations.
Les guerres qui pourraient résulter de tels accidents ne peuvent être justes
du point de vue de l’agresseur non intentionnel qui a donc une obligation
de mettre un terme à cette agression. Quand bien même l’État agressé par
un tel acte non intentionnel a de vrais griefs et un droit d’auto-défense, s’il
déclare la guerre en réponse à cet acte, celle-ci ne sera pas juste si l’agresseur
ne poursuit pas cette guerre en commettant d’autres d’actes d’agression.
Souvent, cependant, des groupes au sein de l’un ou des deux États concernés
ont un intérêt à une telle guerre et profitent de l’opportunité que représente
un tel incident pour intensifier les hostilités et justifier une guerre généralisée.
En tout état de cause, il semble que la théorie de la guerre juste fournit les
moyens nécessaires à l’interprétation et à la prise en compte de cas d’actes de
guerres non intentionnels, dans lesquels à la fois la chaine de commandement
humaine et la technologie autonome n’avaient pas l’intention de perpétrer
l’acte de guerre au sens strict du terme.
Les cas pour lesquels les technologies autonomes bénéficiant d’une
autonomie proche de celle d’un agent-moral kantien ont des intentions propres
sont plus compliqués. Là encore de tels agents peuvent agir de manière non

614
intentionnelle et la situation ne serait alors pas différente de celles pour lesquelles
des êtres humains agissent non intentionnellement. Cependant, un nouveau
type de problème survient lorsque les technologies autonomes commencent
à agir en fonction de leurs propres intentions et contre les intentions des
États qui les ont conçues et qui les utilisent. Ces situations posent plusieurs
problèmes. Premièrement, il peut être difficile de faire la différence entre une
véritable intention et une erreur technique, ce qui jette un doute sur la nature de
l’intention sous-jacente à l’acte. Qui plus est, une preuve d’intentionnalité non
conforme à celle de l’État indiquerait que le système autonome n’est plus sous
le contrôle du dit État, voire de l’individu, qui l’a produit et l’utilise. Ainsi, il ne
serait pas approprié de considérer ses actes comme représentatifs de la volonté
de l’État, ce qui signifie que le système est un « agent voyou » (rogue agent). La
nature de la responsabilité attribuée à l’État dans la commission d’actes par
des agents voyous qu’il a créé ou soutenu n’est pas claire. En d’autres termes il
est difficile de déterminer si l’État peut être poursuivi d’autant que les agents
voyous eux-mêmes peuvent assumer une part de responsabilité en vertu de leur
autonomie morale et être ainsi sujets à poursuites.
Ces possibilités mettent en avant un nouveau type de question, à savoir s’il
est sage ou juste de construire et de mettre en œuvre de tels systèmes automatisés
étant donné les types de risques qu’ils engendrent. Cette question a été posée
de manière appuyée au sujet des systèmes de défense nucléaire automatisés. En
l’occurrence les enjeux sont de taille et il semble moralement inacceptable de
laisser la décision de lancer une attaque nucléaire à un processus automatique
au lieu de l’attribuer à un humain, qui pourrait très raisonnablement ne pas
obéir à son sens moral du devoir et ainsi éviter une guerre nucléaire (724). En
fait, nous devrions chercher à concevoir des robots tels qu’ils puissent refuser
d’obéir à un ordre qu’ils jugeraient illégal, injuste ou immoral. Les chercheurs
commencent à peine à réfléchir à la manière dont cela pourrait se faire (725).
Puisque les systèmes autonomes commencent à agir sur la base de leurs
propres intentions, nous devrions nous inquiéter des actes d’agressions qu’ils
pourraient commettre à l’encontre non seulement de leur propre État, mais
également d’autres États.

(724) Il existe une littérature très dense sur la moralité des outils de la fin du monde (Doomsday)
dans le cadre de la dissuasion nucléaire (voir Lawrence Alexander, “The Doomsday Machine:
Proportionality, Prevention and Punishment”, The Monist, 63, 1980, pp. 199-227). La littérature sur la
dissuasion est préoccupée par les considérations stratégiques et la crédibilité de la menace dissuasive.
Par conséquent elle voit l’automatisation immorale comme un avantage stratégique. Moralement cela
paraît méprisable dans la limite où cela ne conduit à aucune réflexion morale sur les conséquences
d’un tel acte. Si nous prenons la notion d’agent moral autonome au sérieux, une machine pourrait
prendre une décision morale sans intervention humaine, ce qui n’a pas été considéré durant la guerre
froide.
(725) L’expert en robotique de Georgia Tech, Ronald Arkin [6], travaille actuellement sous contrat de
l’US Army à une telle architecture de contrôle des robots.

615
révoLution robotique
La notion de révolution robotique est aussi ancienne que la pièce de théâtre
R. U. R. de Capek (726) dans laquelle le mot « robot » fût pour la première fois
utilisé et dans laquelle des robots ouvriers du monde entier se réunissent dans
une révolution globale et renversent les humains. Si cela ressemble à de la science-
fiction fantaisiste, nous pouvons nous interroger sur le statut moral d’une telle
révolution selon la théorie de la guerre juste. Imaginons une situation, une sorte
de révolution ou de guerre civile, dans laquelle des robots s’emparent d’une
nation. Y aurait-il une cause juste justifiant qu’une nation tierce intervienne
afin de prévenir cette situation ?
Dans des cas comme celui-ci, la théorie de la guerre juste pourrait avoir
deux positionnements en fonction du statut moral et de l’autonomie des robots
en question. D’un côté, interférer dans une guerre civile d’une autre nation est
une violation de souveraineté. De l’autre, il est légitime d’intervenir en appui
d’une nation menacée par une puissance étrangère. De fait, une grande partie du
problème réside dans le fait de savoir si les robots qui ont mené cette révolution
sont considérés comme des agents moraux autonomes jouissant d’un droit
politique de révolte, ou s’ils sont des systèmes amoraux ou immoraux, menaçant
simplement un État, sous le contrôle d’aucun agent autonome au plan moral.
Une autre possibilité est de considérer que les robots puissent occasionner
une crise humanitaire en cherchant à éradiquer totalement ou à réduire en
esclavage des humains. Dans ce cas une intervention serait parfaitement juste.
Même si l’on considère les agents moraux robotiques comme étant très
différents des humains, la question de leur droit à la révolte nous renvoie au final
à celle de savoir s’ils ont un droit à l’auto-détermination. Pour les êtres humains
ce droit est attaché à d’autres droits tels que le droit à la liberté individuelle,
le droit de ne pas être tué ou encore celui de ne pas être torturé. Bien qu’il
reste à déterminer si ces droits sont séparables les uns des autres, en raison des
différents systèmes technologiques qui reproduisent seulement partiellement les
capacités mentales et morales humaines, nous pouvons répondre à la question
du droit à l’auto-détermination en se fondant sur les éléments pertinents de ces
droits. En supposant que nous ayons une théorie sur les éléments requis pour
attribuer un droit à l’auto-détermination à quelqu’un, comme par exemple une
autonomie morale suffisamment élaborée, les robots rebelles bénéficieraient ou
non de ce droit. Dans le premier cas la théorie de la guerre juste les traitera de
la même manière que des rebelles humains cherchant à contrôler leur propre
pays. Dans le second cas la théorie les considèrera comme des agents d’une
autre puissance. Si cette dernière à des revendications légitimes à la révolution,
alors les tierces parties n’auront aucun droit d’intervenir. S’ils sont des agents
d’une puissance étrangère ou illégitime, ou bien encore d’aucun agent moral
autonome (une sorte de désastre d’origine humaine), alors la menace qu’ils
représentent justifiera l’intervention de puissances extérieures voulant protéger
l’État concerné contre les robots. Si dans l’un de ces cas les robots représentent

(726) Karel Capek, R.U.R. (Russum’s Universal Robots), 1921. Texte traduit en anglais par Paul
Selver et Nigel Playfair disponible sur internet à <http://preprints.readnigroo.ms/RUR/rur.pdf>

616
une menace humanitaire, alors les nations tierces devraient également intervenir
sur des fondements humanitaires.
Ainsi, nous constatons à nouveau que la théorie de la guerre juste est en
mesure de traiter plusieurs de ces cas fantaisistes de manière traditionnelle.
Dans la limite où elle n’entre pas dans le champ de la théorie de la guerre
juste, cela laisse néanmoins ouverte la question délicate de l’attribution, en
tout ou partie, ou non, des droits humains aux machines. Il n’est pas non plus
toujours évident de déterminer facilement si des machines sont autonomes,
et dans le cas contraire, de qui émanent les ordres ou les intentions au nom
desquels elles agissent.

abaissement technoLogique des barrières d’entrée en guerre


Je crois que l’une des plus fortes réticences à l’égard du développement de
robots-soldats trouve sa source dans la crainte que ces derniers puissent rendre
plus aisée pour les décideurs l’entrée en guerre d’une nation quand bien même
celle-ci ne le désirerait pas. C’est ce qui ressort clairement de l’histoire récente
comme dans les cas de la guerre du Golfe persique en 1991, de la guerre du
Kosovo en 1999 et de l’invasion de l’Irak en 2003. Ces événements ont mis en
relief la relation complexe existant entre les exigences politiques à l’égard des
dirigeants nationaux, l’imagerie et la rhétorique de propagande et les média
de masse, et la volonté générale des citoyens dans le processus décisionnel
d’engager une nation démocratique dans la guerre.
Indépendamment du caractère juste des motivations sous-jacentes, lorsque
la direction politique d’un État décide d’entrer en guerre un effort conséquent
de propagande est fait. Cet effort est particulièrement important lorsqu’il s’agit
d’une nation démocratique, que ses citoyens ne sont pas d’accords sur l’intérêt
de mener une guerre, et qu’aller à l’encontre des sentiments populaires a un coût
politique élevé. L’estimation du coût de la guerre en termes de vie de citoyens
est un élément central de la propagande de guerre, même si ce coût est limité
aux soldats, et même si ces soldats sont des volontaires. Une stratégie politique
s’est faite jour pour répondre à cela. Á savoir limiter l’engagement militaire à
des formes de combat relativement « sûres » dans le but de limiter les victimes,
et investir dans des technologies offrant la promesse d’un abaissement des
risques tout en accroissant l’efficacité létale des militaires nationaux.

617
La mise en œuvre de cette stratégie est visible dans la limitation des opérations
militaires de l’OTAN à des frappes aériennes au Kosovo en 1999 (727). La
pression politique exercée afin d’éviter les victimes parmi les soldats nationaux
se traduit ainsi souvent par des victimes parmi des civils innocents bien que cela
soit fondamentalement injuste. Les technologies peuvent écarter les risques des
soldats nationaux et être un levier supplémentaire à la fois dans la politique
nationale, au travers de la propagande, et dans les efforts diplomatique pour
bâtir des alliances entre nations. De fait, la technologie ne présente pas un intérêt
que dans la guerre à proprement parler, mais également dans la propagande,
le débat et la diplomatie qui amènent une nation à la guerre. Á cet égard, c’est
principalement la capacité de la technologie à limiter les risques encourus
à la fois par la nation qui en dispose que par ses alliés, qui permet cela. En
supprimant le besoin d’envoyer les soldats de la nation concernée sur la zone
de bataille, leur remplacement par des robots pourrait certainement favoriser
cet état de fait d’une manière inédite et quelque peu spectaculaire.
Ces éléments pris en compte il y a de bonnes raisons de conclure que
l’introduction de toute technologie limitant les risques pour les soldats et les
civils nationaux présenterait un avantage similaire. D’une certaine manière toutes
les technologies militaires, prises ensemble ou non et fonctionnant correctement
auraient une telle utilité, que ce soient de meilleurs aéronefs, de meilleures
armures, de meilleures bombes, de meilleures communications, de meilleures
stratégies, de meilleurs robots, ou encore de meilleurs techniques chirurgicales sur
le champ de bataille. En fait, ces derniers temps les média américains ont dépensé
beaucoup d’énergie à claironner au sujet de la sophistication technologique de
l’armée américaine en ces termes. Le but ultime de toute technologie militaire est
d’offrir un avantage aux soldats nationaux, ce qui signifie limiter leurs risques
tout en rendant plus aisé de tuer les soldats ennemis et de gagner la guerre.
Par conséquent, tous les progrès technologiques militaires, en général, visent
ce même objectif. Par ailleurs, même avec les machineries les plus élaborées
et les garanties d’un nombre très faible de victimes, la plupart des citoyens de
la majorité des pays sont toujours réticents à engager une guerre qui pourrait
être évitée et ils sont presque toujours opposés à une guerre injuste.
Quand bien même les robots faciliteraient l’entrée en guerre d’une nation,
cela ne présumerait en rien du fait que la guerre soit juste ou pas. Il y a

(727) Il est important de noter que Walzer, dans son introduction à la troisième édition de son livre en
1999, critiquait cette décision particulière et la qualifiait d’injuste en raison de la nature de la guerre
qui en a résulté, à savoir une campagne aérienne qui a conduit, en lieu et place des forces militaires
qu’elle visait à supprimer, à blesser de manière disproportionnée des civils innocents et à détruire leurs
biens. Malgré les efforts faits pour éviter de bombarder directement des civils, les frappes aériennes
ont ciblé intentionnellement des structures civiles (des cibles soi-disant duales) telles que les ponts, les
routes, les centrales électriques, ou encore les usines de purification d’eau, impactant ainsi fortement
la vie et la sécurité des civils. En outre, alors que les factions armées combattant au Kosovo n’étaient
pas en mesure de conduire des opérations militaires majeures, elles ne furent ni éliminées ni touchées
significativement par les frappes aériennes et sont en fait passées à des tactiques de combat de guérilla
et urbaines qui ont mis d’autant plus en péril les civils. Walzer ne remet pas en cause le fait que le
motif sous-jacent à l’engagement de l’OTAN était juste. Il affirme simplement que l’OTAN aurait dû
mener une guerre terrestre qui aurait épargné de nombreux civils innocents quand bien même elle
aurait accru les risques pour les soldats de l’OTAN.

618
cependant en arrière plan, une question plus profonde de justice politique : est-il
souhaitable ou non de rendre l’entrée en guerre, au plan pratique, plus facile ?
Si l’on postule que seules les nations menant des guerres justes utiliseront ces
technologies, il ne serait alors pas nécessairement injuste ou immoral de les
développer. Pour autant, l’histoire nous apprend que toute guerre implique
au moins une nation injuste (ou sérieusement dans l’erreur). Par conséquent
les probabilités que ces technologies rendent possibles de futures injustices
créent une inquiétude réelle et légitime. De plus, il est probable que les guerres
dont le caractère juste est évident, n’aient pas besoin de voir leur seuil d’entrée
en guerre abaissé et que par conséquent cette fonction tende à favoriser la
propagande des agresseurs bien plus qu’elle ne favoriserait celle des nations
engagées dans une juste défense. Si l’on s’accorde sur le fait que la majorité des
guerres sont en fait injustes pour une des parties, toute technologie entrainant
un abaissement du seuil d’entrée en guerre est empiriquement plus susceptible
d’initier une période de guerre, même si l’une des parties a une cause juste pour
y participer. Mais c’est là un argument contre la militarisation en général et non
contre les systèmes autonomes et les robots spécifiquement bien qu’ils soient
une illustration dramatique. D’un point de vue empirique, il est également
important de se demander pourquoi ces technologies spécifiques bénéficient
d’investissements plus importants que d’autres. Si cela est du en premier lieu
à leur utilité en termes de propagande, il faut alors s’en inquiéter.

technoLogie autonome et jus in beLLo


Walzer affirme que la théorie de la guerre juste est largement indifférente
aux types de technologies employés au combat. Selon lui, certains individus
disposent d’un droit à ne pas être tués : les civils innocents. D’autres, les
combattants en uniforme, ont abandonné ce droit en prenant les armes. Dans
la limite où il est moralement permis de tuer des combattants en uniforme,
la manière dont ils sont tués n’est très pas importante (en supposant que l’on
reconnaisse leur droit de se rendre, etc.). Néanmoins, il existe de nombreuses
conventions internationales limitant l’emploi de types spécifiques d’armes
telles que les armes chimiques, biologiques et nucléaires, ou les mines, les lasers
aveuglant les soldats, entre autres choses. L’existence de ces traités se fonde sur
différentes raisons et plusieurs principes qui permettent de déterminer quels
types de technologies peuvent être utilisés comme armes de guerre. Dans cette
section nous nous intéresserons à la manière dont les technologies autonomes
posent un défi aux standards du jus in bello.
Bien que Walzer affirme que sa théorie ne s’intéresse pas aux technologies
utilisées pour tuer, il aborde cependant différentes technologies spécifiques pour
voir comment elles changent les standards conventionnels de la guerre. Des
technologies relativement récentes comme les sous-marins, les bombardements
aériens et la bombe atomique, ont, en particulier, modifié les conventions sur
la guerre en vigueur durant la Seconde Guerre mondiale.

619
L’exemple le plus évident est la manière dont les technologies spécifiques
aux guerres sous-marines de la Seconde Guerre mondiale ont rendu obsolète
une convention centenaire sur la guerre navale. Cette convention disposait
qu’il existait un devoir moral de porter secours à l’équipage survivant d’un
navire ennemi en perdition une fois la bataille terminée. Durant la longue
histoire de la guerre navale européenne, cette convention fît sens pour tous les
belligérants dans la limite où les combats se déroulaient, en général, dans les
eaux internationales, souvent à des centaines voire des milliers de miles des
ports, et que les navires endommagés ou en perdition avaient généralement de
nombreux survivants. Durant la période allant du développement des sous-
marins jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, cette convention valait
pour les sous-marins comme pour tout autre navire. Il fût cependant décidé
durant la Seconde Guerre mondiale que cette convention ne s’appliquait plus
aux sous-marins. Pour expliquer cette décision il fût mis en avant qu’exiger
d’un sous-marin qu’il fasse surface pour mener des opérations de sauvetage le
rendrait vulnérable à la détection par des radars et à l’attaque d’avions armés
de torpilles. Qui plus est, les petits sous-marins (avec des équipages de moins
de 50 personnes) n’auraient pas assez d’espace pour accueillir les survivants à
leur bord, ni le nombre suffisant de gardiens pour les prisonniers, ni encore la
place pour stocker suffisamment d’équipement de sauvetage (les navires coulés
par les sous-marins embarquaient souvent plus de 1 000 personnes). Tout cela
rendait les efforts de sauvetage difficiles et irréalisables. Les équipages des sous-
marins auraient pu cependant aider à redresser les canots de sauvetage du navire
en perdition et fournir de la nourriture et de l’eau aux survivants. Ils auraient
également pu sortir les naufragés de l’eau pour les mettre dans leurs propres
canots. Mais le risque était considéré comme trop important.
Si l’abandon de l’application de cette convention particulière aux sous-marins
s’explique par des événements spécifiques et dramatiques, il est en grande partie
dû au fait que le respect de cette convention s’avérait risqué au point de rendre
la guerre sous-marine impraticable. Le renoncement à la convention survint
lorsqu’en 1942 l’amiral Doenitz donna l’ordre d’abandonner les passagers
survivants du Laconia, et interdit expressément aux sous-marins de participer
à une quelconque forme d’assistance à des survivants (728).
Doenitz fût jugé à Nuremberg pour avoir commis un crime de guerre en
donnant cet ordre, mais fût acquitté sur ce point par les juges. Cette décision
de justice reposait sur le fait que, dans la mesure où les parties s’accordaient
dans la pratique sur la nouvelle convention, l’ancienne était annulée de fait.
Les sous-marins n’avaient donc plus d’obligation morale de porter secours aux
équipages en dépit du fait que dans certains cas cela n’aurait pas été dangereux.
Walzer considère que cette interprétation est correcte sur le plan moral et la
justifie dans sa théorie par le fait qu’elle exprime un usage recevable du principe
de nécessité militaire. Renoncer à la convention sur le sauvetage afin que la
guerre sous-marine soit une stratégie navale efficace devint donc une nécessité
militaire, même si cela rendait la guerre navale plus cruelle.

(728) Michael Walzer, op. cit.

620
Je pense que cet égard pour la nécessité militaire, appréhendée dans un
contexte de progrès technologique, présente une faiblesse conséquente dans la
théorie de la guerre juste telle que formulée par Walzer. Á savoir, pourquoi ne
devrions-nous pas déclarer que, s’ils ne peuvent être utilisés dans le respect des
conventions de la guerre juste, les sous-marins ne devraient pas être utilisés du
tout ? Si nous ne pouvons pas argumenter dans ce sens, alors il semblerait qu’il
y ait une certaine forme d’impuissance dans le recours à la théorie de la guerre
juste pour s’opposer à toute technologie qui pourrait modifier les conventions
en s’appuyant sur la nécessité militaire. Ce positionnement ne signifie pas
seulement que nous devons accepter toutes les nouvelles technologies ainsi que
les conventions qui en découlent. Il signifie également que nous ne pouvons
pas juger de la moralité de la mise au point de certains types d’armements.
La question se pose alors de savoir si, dans le cas où je ne peux me défendre
qu’avec une arme non discriminante et disproportionnée se trouvant être le seul
armement efficace dont je dispose, j’agis de manière injuste en choisissant de
m’équiper de cette arme plutôt que d’une autre qui aurait respecté les principes
de discrimination et de proportionnalité. Ais-je un devoir moral d’investir
dans des armements qui ne me mettront pas dans des positions où je pourrais
être amené à agir injustement, c’est-à-dire de manière non discriminante et
disproportionnée ? Le cas échéant, les robots peuvent-ils être considérés comme
entrant dans cet exemple ?
Cette faille dans la formulation de Walzer est due à l’absence de
considérations de fond. En affirmant que les droits individuels sont à la base
de l’interdiction de tuer des civils, Walzer se trompe en postulant que les soldats
abandonnent leur droit à ne pas être tués simplement en prenant les armes.
Plus encore, il semble penser que les restrictions d’emploi de certaines armes
contre les soldats, ainsi que le droit de se rendre, d’être secourus ou encore de
bénéficier d’une aide médicale, sont une affaire de conventions entre États qui
les considèrent comme relevant de leurs intérêts mutuels. Ainsi il n’existe pas de
fondement moral solide pour empêcher les États d’abandonner ces conventions
lorsqu’elles sont considérées comme contraires à leurs intérêts mutuels. Une
convention dépend uniquement de l’assentiment des parties. C’est ce que montre
l’analyse par Walzer de la décision de Doenitz qui repose sur le fait que les
deux parties au conflit observaient la même convention.
En marge des conventions, Walzer pourrait faire appel aux sentiments
moraux pour se prononcer sur la moralité de certaines stratégies et technologies
militaires. Dans la mesure où la théorie de la guerre juste fait découler ses
principes des sentiments moraux, elle tente de décrire les sentiments survenant
après un événement. Dans le cas de l’appariation de plusieurs nouvelles
technologies, nous ne savons pas vraiment comment quel sera le rôle d’une
technologie particulière dans le système sociotechnique complexe de la guerre.
Les sous-marins, les radars et les aéronefs armés de torpilles n’ont jamais été
utilisés ensemble dans un conflit avant la Seconde Guerre mondiale. Personne
ne sait donc vraiment comment ils pourraient être employés. En fait l’amirauté
allemande abandonna la convention sur le sauvetage en mer pour les sous-

621
marins en 1942, c’est-à-dire en pleine guerre. Il apparait ainsi que si nous ne
pouvons pas prédire correctement la nécessité militaire, en l’état la théorie de
la guerre juste ne peut nous donner aucune indication en termes de choix de
technologies devant être abandonnées.
Le problème le plus important auquel la théorie de la guerre juste doit
faire face est que les conventionnalistes et les sentimentalistes échouent à
établir fermement des fondements moraux aux restrictions concernant les
actions contre les combattants dans la guerre (in bello). Plus généralement, si
l’on accepte l’idée que les combattants d’une juste partie au conflit n’ont pas
renoncé à leur droit à ne pas être tués (729), alors aucun accord conventionnel
entre les parties ne peut rejeter ou contourner ce droit. De la même manière,
si les marins ont un droit moral d’être secourus après que leur navire a coulé,
alors ni les exigences de la nécessité militaire, ni les limitations technologiques
des sous-marins, ni même les accords conventionnels passés entre marines
belligérantes ne peuvent justifier le rejet de ce droit, et ce quand bien même sont
respect serait délicat. La question de la praticité d’application de ce droit ne se
pose que lorsque nous nous intéressons aux restrictions légales au combat, et
non lorsque l’on s’intéresse au fondement de sa moralité. Nous devons donc
accepter que nos lois présentent un certain degré d’immoralité en raison de la
difficulté à juger et à faire appliquer des lois morales justifiées (730).
La vraie question est alors de savoir, d’une part, quels droits moraux sont
reconnus aux individus face à l’utilisation de technologies spécifiques, et d’autre
part quels sont les devoirs moraux des États en matière de développement
d’armes qui pourraient être employées dans d’éventuelles futures guerres. Là
encore nous sommes confrontés à la distinction entre la morale fondamentale
et la loi pratique. Cependant, il semble en principe possible de développer une
base morale au contrôle des armements et aux limitations de développement
et d’emploi de certaines technologies. Bien que cela dépasse le cadre de ce
chapitre, ce sujet pourra faire l’objet de futures recherches.

distinguer entre civiLs et combattants


Selon l’interprétation de la théorie de la guerre juste par Walzer, la
distinction la plus importante est celle opérée entre combattants et civils.
Bien que, à l’image de la nécessité militaire, cette distinction n’ait aucun
fondement moral, elle s’avère très utile dans l’établissement de lois pratiques
visant à réguler la guerre. Cette distinction permet parfois à des combattants
de tuer des combattants ennemis. Elle permet également d’affirmer qu’il n’est
quasiment jamais justifié pour des combattants de tuer des civils innocents.
Des zones d’ombres subsistent cependant. Les combattants peuvent eux aussi
revendiquer certains droits tels que celui de se rendre, ou celui de ne pas être
tuer inutilement. Il existe également des cas dans lesquels il est légalement
autorisé de tuer des civils. Mais ces cas, eux-mêmes litigieux, doivent répondre

(729) Jeff McMahan, op. cit.


(730) Jeff McMahan, op. cit.

622
à des conditions très strictes et limitées. D’autres problèmes surviennent dans
les conflits insurrectionnels ou dans les guérillas, dans lesquels les combattants
se font passer pour des civils.
Dans cette section je considèrerai plusieurs aspects du problème de la
distinction entre civils et combattants tel qu’ils se posent avec les systèmes
autonomes. En premier lieu, la capacité des technologies autonomes à appliquer
cette distinction dans la pratique est cruciale. D’un côté, il a été avancé que
cette capacité rend moralement obligatoire le recours à ces systèmes, s’ils sont
disponibles. Le plus surprenant est que cet argument émane d’organisations
défendant les droits de l’homme, telle que Human Right Watch, qui demandaient
à ce que ne soient employées que des bombes « intelligentes » dans les zones où se
trouvaient des civils. D’un autre côté, c’est la crainte de la violence indiscriminée,
peut-être mélangée à une méconnaissance sociale et culturelle du sujet, qui fait
que les robots-soldats semblent particulièrement dangereux et moralement
indésirables. La pertinence de la distinction entre civils et combattants dans
le cas des robots-soldats repose sur le fait que s’ils doivent être à même de
choisir leurs cibles, ils devront être capables de distinguer avec certitude les
combattants ennemis des civils. Cette capacité sera sans doute la plus difficile
à développer sur les plans théorique et pratique. S’il existe des technologies
permettant de reconnaître des êtres humains grâce à la vision numérique, au
mouvement ou à des critères de chaleur, il est extrêmement difficile d’identifier
des individus en particulier, voire même des catégories d’individus. Il l’est encore
plus de catégoriser avec certitude des groupes d’« amis » ou d’« ennemis », qui
présentent des frontières mal définies et lourdes de sens.
Dans la lignée de l’argument de Human Rights Watch, il existe un axe de
réflexion tendant à affirmer que les technologies avancées pourraient très bien
avoir des capacités supérieures à celles des humains. Arkin (731) affirme que si
nous réussissons à doter les robots de capacités de discrimination adéquates, ils
pourraient alors être moralement supérieurs aux soldats humains. L’argument est
que si les machines sont mieux à même de discriminer les civils des combattants,
elles commettront alors moins d’erreurs que les humains. Par ailleurs, comme ce
sont des machines, elles ne ressentiront pas le stress émotionnel ou psychologique
de la guerre et ne seront par conséquent pas enclines à perpétrer les crimes
de guerre ou les atrocités que les humains commettraient en pareil situation.
Par conséquent il n’y aurait pas seulement une obligation morale d’utiliser
ces systèmes, mais également une obligation morale de les construire (dans la
limite où la guerre est considérée comme un caractère inévitable de l’humanité).
Bien entendu, tout cela dépend des capacités effectives de la technologie et
des aptitudes des combattants à tromper ces systèmes en les poussant l’erreur
d’identification.

(731) Ronald C. Arkin, “Governing Lethal Behavior: Embedding Ethics in a Hybrid Deliberative/
Reactive Robot Architecture”, Georgia Institute of Technology, Technical Report GIT-GVU-07-11,
2007.

623
Les guerres “pousse-bouton”
Walzer relève qu’une transformation radicale dans notre compréhension
des conventions de la guerre s’est faite jour avec l’avènement de l’État-nation
moderne. Auparavant, les conflits étaient menés principalement par des individus
ayant choisit librement de participer à une guerre et à une bataille données. Avec
l’État-nation est née la possibilité de recruter et d’appeler des individus sous les
drapeaux. La plupart des individus devenus soldats ont ainsi perdu leur liberté
de choisir les guerres et les batailles auxquelles ils voulaient participer, tout
en gardant le choix de s’engager volontairement. Les conséquences sur notre
appréciation morale du comportement dans la guerre furent ainsi transformées
puisque nous savions que la plupart des combattants ne l’étaient désormais
plus par choix librement consenti. En conséquence de quoi ils méritaient un
certain niveau de respect de la part de leurs supérieurs comme de ceux de leurs
ennemis. Bien qu’il soit permis de les tuer, ils conservent le droit de se rendre
et de rester à l’écart de la guerre comme prisonniers. Il est aussi exigé, sur le
plan moral, que les chefs militaires réfléchissent à des moyens leur permettant
de gagner des batailles tout en minimisant les pertes dans les deux camps. Les
vies ennemies ont toujours un poids moral, même si celui-ci est moindre que
celui des civils et des combattants nationaux. Par ailleurs, les vies des soldats
nationaux sont également envisagées d’une manière nouvelle. S’il peut être
moral de mener un groupe de soldats volontaires à une charge suicidaire, donner
l’ordre à des conscrits de participer à une telle charge est généralement immoral.
De la même manière se jeter sur une grenade pour sauver ses camarades est
considéré comme très honorable, mais jeter un camarade sur la grenade ne l’est
pas. L’autonomie du soldat en tant qu’individu en termes de choix de son de
son destin à des conséquences morales.
En créant des guerres « pousse-bouton » dans lesquelles l’ennemi, grâce
à l’utilisation de systèmes autonomes, est tué à distance sans que celui qui
presse le bouton ne courre de risque, notre conception du soldat dans la guerre
pourrait être également modifiée. Cette approche de la guerre pourrait être
jugée injuste par les conventions traditionnelles en raison du fait que celui
qui tue ne veut pas lui-même mourir. Ce principe est fondamental car il influe
fortement sur notre perception de l’équité dans la bataille et qu’il pose la guerre
comme une convention sociale permettant de régler les conflits. Dans la mesure
où il vise à cet objectif, les parties doivent s’accorder sur la gestion du conflit
par la violence qui, en vertu des normes conventionnelles, doit concerner
uniquement ceux qui ont accepté de combattre, c’est-à-dire les combattants.
Il est donc immoral de tuer des civils qui n’ont pas consenti à combattre. Cette
convention est abandonnée dans le seul cas de la guerre totale dans laquelle,
étant donné l’importance des enjeux d’une défaite, aucun acte n’est considéré
comme injuste. En menant une guerre par bouton interposé on ne devient
pas un combattant au sens strict du terme puisque l’on ne s’est pas conformé
aux normes de la guerre consistant pour chacune des parties à risquer la mort
pour résoudre le différent. Les limites d’une telle notion conventionnaliste de
la guerre juste ont été indiquées précédemment, et il semblerait qu’il n’y ait

624
pas d’obligation morale plus profonde justifiant que de justes combattants
risquent leurs propres vies pour la défense de leur État.
Nous pourrions imaginer une guerre pour laquelle les parties enverraient
seulement des robots pour combattre. Cela ressemblerait plus à une compétition
sportive d’une extrême violence dans laquelle les robots se détruiraient les
uns les autres. Pour qu’une telle situation soit considérée comme une vraie
guerre, et non comme une compétition sportive, il faudrait qu’elle ait pour
conséquence des décisions politiques telles que la cession d’un territoire. S’il
semble improbable qu’une nation abandonne simplement sont territoire ou
son autonomie après que ses robots aient été détruits, cela n’est cependant ni
inenvisageable ni impossible. Il pourrait également être jugé moral de lutter
jusqu’au dernier robot alors qu’il est généralement jugé immoral de lutter
jusqu’au dernier homme. Si de nombreuses nations ont capitulé après une
défaite écrasante de leur armée, mais avant que leur territoire ait été conquis, il
semble probable qu’un État, plutôt que de simplement capituler, continuerait à
lutter avec des humains une fois ses robots détruits. En règle générale, je pense
qu’il est acceptable de dire qu’une guerre engageant exclusivement des robots
serait largement préférable aux modes de combats existants. Á l’extrême nous
pourrions même imaginer une guerre décisive menée sans qu’aucune victime
humaine ne soit à déplorer.
Pour autant une telle guerre ne serait pas sans coûts ni risques. Tout d’abord
elle devrait se dérouler quelque part et il semble plausible que la destruction
de ressources naturelle et de biens civiles serait à envisager dans la plupart des
lieux considérés. Ensuite, les objectifs militaires les plus courants étant de tenir
les villes et les villages, il existe également un risque de blesser les civils durant
les combats ainsi qu’un problème en termes de contrôle des villes, et donc de
surveillance des populations civiles et de maintien de l’ordre à l’aide de robots.
Enfin, une telle guerre aurait également un coût en termes de temps, d’argent
et de ressources dévolus à la constitution des ces armées de robots.
Á l’autre extrémité se trouve la guerre « pousse-bouton » complètement
asymétrique. Grâce à la science-fiction et à la guerre froide il n’est pas difficile
d’imaginer un système militaire autonome pour lequel les responsables militaires
n’auraient qu’à spécifier l’action puis à appuyer sur un bouton pour que le reste
soit totalement pris en charge par une immense machine de guerre automatisée.
Il est même possible d’imaginer un gouvernement civil qui aurait remplacé
complètement son armée par un système parfaitement autonome conçu et mis
en œuvre par techniciens civils en lieu et place de soldats en uniforme. Ce type
de système défierait sérieusement, je pense, le concept conventionnel de guerre.
Dans une guerre parfaitement asymétrique pour laquelle une des parties ne
recourrait pas à des combattants légitimes en uniformes mais seulement à des
robots, nos sentiments moraux se trouveraient profondément bouleversés. Si
une nation mène une guerre sans que des soldats ne se présentent sur le champ
de bataille les privant ainsi de la possibilité d’être tués, c’est que les combattants
sont tous des machines et les humais tous des civils. Comme dans une guérilla
une des parties ne présente aucune cible humaine légitime pouvant être tuée.

625
Dans cette situation, une armée légitime n’aurait aucune possibilité de tuer en
retour les soldats de ses adversaires (et ne pourrait qu’infliger des dommages
économiques à ses robots). En conséquence, cela pourrait, comme dans le cas
d’un individu se présentant à un duel équipé d’une armure ou y envoyant un
mandataire, être interprété comme une violation fondamentale des conventions
de la guerre, et par suite comme une invalidation des conventions associées.
Vue sous un autre angle, pareille situation pourrait être présentée comme un
argument en faveur du terrorisme contre les civils installés derrière leur armée
de robots. Il pourrait être avancé que dans la limite où cette armée est le produit
d’une économie riche et développée, les membres de cette économie sont les
cibles légitimes les plus appropriées après les soldats. Dans la mesure où nous
ne voudrions pas d’une théorie de la guerre juste légitimant le terrorisme, ce
cas de figure devrait nous alerter, plus que sur les droits individuels, sur la non
pertinence des conventions et des sentiments moraux comme bases de cette
théorie.
Au contraire, si nous envisageons les fondements de la guerre juste comme
découlant des droits individuels, il ne serait pas raisonnable d’affirmer qu’une
nation combattant pour une juste cause est obligée de laisser un agresseur injuste
tuer ses citoyens, quand cette dernière aurait les moyens technologiques pour
l’éviter. En effet, hors de l’interprétation faite par Walzer de l’égalité morale
des soldats, nous ne nous attendons pas à ce qu’une nation supérieure au plan
technologique s’interdise d’utiliser les moyens technologiques à sa disposition
au simple motif qu’ils lui confèrent un avantage trop important. En dehors d’un
sens moral de justice, nous ne nous attendons pas non plus à ce qu’une armée
importante se limite particulièrement pour combattre une armée plus petite.
De la même manière, si une armée de robot ne présente pas plus de risque de
causer des blessures injustes que ne le ferait une armée humaine, elle offrirait,
semble-t-il, un avantage militaire supérieur en limitant les risques pour les
citoyens de la nation considérée.
Pour une nation qui désire se défendre, ne pas risquer de vies humaines
est une motivation convaincante. Une nation pourrait très raisonnablement
décider de ne pas vouloir que ses enfants soient entrainés à devenir des
soldats ou envoyés à la guerre. Elle pourrait donc développer une solution
technologique ne nécessitant pas de soldats humains, à savoir une armée de
robots, pour assurer sa défense nationale. En l’occurrence il ne semblerait pas
immoral de développer et d’utiliser cette technologie. Nous pouvons même
aller plus loin en affirmant qu’il est moralement exigé que cette nation protège
ses enfants en ne les faisant pas devenir des soldats si elle en a la possibilité au
plan technologique. Si un agresseur envahissait ce pays, je ne pense pas que
beaucoup de gens opposeraient une objection morale à l’emploi de soldats-
robots pour qu’il se défende.
Bien entendu, la guerre « pousse-bouton » existe déjà d’une certaine
manière avec les pays détenant une force aérienne supérieure et la volonté
de bombarder leurs ennemis. La conséquence pratique de telles guerres est
le conflit asymétrique dans lequel l’une des parties est tellement puissante

626
technologiquement parlant, que s’opposer à elle de manière traditionnelle
ne fait plus sens pour son adversaire. Il en résulte souvent des guérillas, et
parfois du terrorisme. L’avènement d’armées de robots pourrait accentuer
cette situation sans présenter en être fondamentalement différente. Leur
développement et leur utilisation devraient cependant prendre en compte ces
réponses potentielles au recours à des armées de robots, même si ces réponses
ne sont pas moralement justes.
Finalement, selon l’interprétation que Walzer (732) fait de théorie de la guerre
juste, nous en arrivons à la conclusion que les technologies autonomes ne sont
ni complètement acceptables, ni complètement inacceptables moralement. Cela
est en partie du au fait que, comme toute force militaire, la technologie peut
être juste ou injuste selon les circonstances. Mais également parce que, selon
cette interprétation, ce qui est ou n’est pas acceptable à la guerre n’est au final
qu’une convention. Si nous pouvons extrapoler à partir des conventions existantes
pour traiter des nouvelles technologies telles que les machines autonomes, ce
procédé ne peut être que spéculatif. Il revient à la communauté internationale
d’établir une nouvelle gamme de conventions visant à réguler le recours à ces
technologies, et de les intégrer à des lois internationales et à des traités. Ce
processus peut s’inspirer de la théorie de Walzer, mais son approche vise à
considérer les pratiques conventionnelles comme l’ultime arbitre de la nécessité
militaire en cas de choix technologiques. Á la lumière de quoi nous pourrions
envisager d’étendre ou de réviser la théorie de la guerre juste afin de traiter plus
clairement du développement et de l’utilisation des technologies militaires. Plus
particulièrement, nous pourrions essayer de clarifier les fondements moraux
d’un contrôle des armements technologiques, peut-être en nous appuyant sur
les droits individuels ou une autre base morale solide. Une théorie telle que
celle-ci pourrait aussi commencer à influer au plan pratique sur le contrôle des
systèmes d’armes autonomes au travers de lois internationales et de traités.
Je pense que cela pourrait être une approche prometteuse dans le cadre de
travaux ultérieurs.
(Traduit de l’anglais par Emmanuel Goffi)

(732) Michael Walzer, op. cit.

627
628
Q uelles limites juridiques
au ciblage à distance ?
Air Commodore Bill Boothby

Les récentes opérations ont vu s’accroître le recours à des aéronefs inhabités


dans le cadre d’actions offensives (733). Actuellement, le principe qui gouverne la
mise en œuvre de ces aéronefs est celui de l’« homme dans la boucle » (man in the
loop), celui-ci opérant l’appareil, recevant les informations des capteurs et prenant
toute décision de nature offensive (734). Les avancées technologiques semblent
toutefois s’orienter vers une autonomisation de la prise de décision offensive,
les logiciels de bord étant utilisés pour reconnaître les cibles programmées
et les systèmes de l’aéronef décidant ce qui doit être attaqué et comment le
faire (735). Ce chapitre analyse la manière dont le principe de distinction et les
règles de ciblage, et plus particulièrement les précautions dans l’attaque telles
qu’elles sont prévues par l’article 57 du Protocole additionnel 1(PA1) (736),
pourraient limiter l’utilité de cette technologie autonome. Il conclut que
l’attaque autonome pourrait être légitime dans des circonstances appropriées,
mais plutôt restrictives, et analyse la distinction juridique entre les décisions
de mener une action offensive prises par un être humain et la capacité d’un
individu à refuser une décision offensive prise mécaniquement. Ce chapitre
étudiera dans sa dernière section des approches qui pourraient rendre plus
acceptable le recours à cette technologie avancée.
Le recours à des systèmes inhabités lors d’actions offensives (737) a
augmenté et a connu de considérables développements techniques au cours des
dernières décennies (738). Si, d’une manière générale, les systèmes actuellement

(733) Voir par exemple US Drone Attacks in Pakistan Tribal Areas Increase, 23 juillet 2010, disponible
à l’adresse internet suivante : http ://www.bbc.co.uk/news/world-south-asia-10736525
(734) Noel Sharkey, A Matter of Precision, 4 janvier 2010, disponible à l’adresse internet suivante :
http ://www.defencemanagement.com/feature_story.asp ?id=13316
(735) Voir par exemple The Ascent of the Robotic Attack Jet, par D. Talbot, mars 2005, disponible à
l’adresse internet : http ://www.technologyreview.com/computing/14221/ ?mod=related
(736) Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des
victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), Genève, 8 juin 1977 (ci-après « Protocole
additionnel 1 »).
(737) Il y a 30 ans, les Israéliens ont testé pour la première fois les véhicules aériens pilotés à distance
destinés aux actions offensives en utilisant des missiles AGM 65 : B. Burridge, “ UAVs and the Dawn
of Post-Modern Warfare: A Perspective on Recent Operations , RUSI Journal, octobre 2003, p. 18.
(738) Les États-Unis ont introduit le drone Predator lors du conflit de Bosnie et le Royaume-Uni
a introduit son premier UAV opérationnel durant celui du Kosovo ; lors des mêmes opérations, les
États-Unis ont commencé à employer des UAV pour désigner la cible à l’aide d’un laser. L’aide à
la reconnaissance en utilisant des Global Hawk et des Predator fut l’une des caractéristiques des
opérations en Afghanistan en 2002/2003. Le premier tir d’essai d’un missile Hellfire depuis un UAV
Predator eut lieu aux États-Unis en février 2001, l’emploi opérationnel ayant lieu quelques mois plus
tard, en Afghanistan. Des Predator équipés de Hellfire ont également été employés pour cibler, entre
autres, des radars mobiles de défense aérienne en Iraq en 2003 ; Ibid., p. 19.

629
opérés permettent à un individu de contrôler, d’une manière ou d’une autre,
le mouvement de l’aéronef (739) et si c’est un opérateur humain qui décide si,
et de quelle manière, une cible doit être attaquée (740), la technologie semble
à présent, et irréversiblement, aller vers le développement de plates-formes
inhabitées dénuées d’« homme dans la boucle », selon l’expression consacrée, et
pouvant évoluer de manière autonome (741). Certains juristes ont déjà exprimé
des craintes à propos de la technologie pilotée à distance (742). Cependant,
l’aéronef inhabité déterminera à l’avenir sa propre trajectoire et il est probable
qu’il prenne mécaniquement des décisions de ciblage. Cela soulève d’évidentes
questions éthiques (743) quant à l’acceptabilité du fait que des appareils décident
de qui doit vivre ou mourir. Ce chapitre analysera toutefois ces questions dans
une perspective plus clinique. L’objet de ces développements consistera en
effet à évaluer, d’une manière juridique, dans quelle mesure les règles de droit
applicables au ciblage facilitent, limitent ou empêchent la mise en œuvre de
ces nouvelles technologies autonomes.
Avant de commencer à analyser les règles du ciblage, il convient toutefois
de relever que pour les États parties au PA1, les nouveaux armements et plans
d’armements doivent obligatoirement faire l’objet d’un examen juridique visant
à établir si, dans certaines ou en toutes circonstances, le recours à l’armement
en question violerait les obligations qui incomberaient à l’État en vertu du
droit international (744). La référence aux armements, moyens et méthodes
de guerre signifie que cette obligation s’applique tout autant aux munitions
(739) Concernant l’emploi du Reaper en Afghanistan, voir “RAF Bomb the Taliban from 8,000
miles , www.Telegraph.co.uk, 22 mars 2009.
(740) Parmi les exemples d’un emploi opérationnel de ce type, on trouve le tir d’un missile Hellfire
depuis un Predator lors des opérations militaires au Yémen ; voir “US citizen among those killed in
Yémen Predator Missile Strike , Washington Post, 8 novembre 2002, disponible à l’adresse internet
http ://tech.mit.edu/V122/N54/long4-54.54w.html, annonçant l’utilisation d’un drone Predator pour
une action offensive lors de laquelle Ahmed Hijazi et autres membres supposés d’Al Qaida auraient
été tués. Voir également la destruction rapportée d’un MiG-25 irakien par un Predator armé du missile
Stinger Raytheon FIM-92 ; M.  Sirak, “General Atomics offers Predator with Missile Mix , Janes’
Defence Weekly, 30 juillet 2003.
(741) Voir “March of the Killer Robots”, www.Telegraph.co.uk, 16 juin 2009 et “View from the
Top”, Defence Director, juillet/août 2008, pp. 18-20.
(742) Lord Bingham aurait comparé les drones aux mines terrestres et aux sous-munitions : « Il
est possible, et je n’exprime pas un point de vue, que les drones inhabités qui s’écrasent sur une
maison remplie de civils soient un armement à l’égard duquel la communauté internationale devrait
se prononcer contre son emploi » : “ Unmanned drones could be banned, says senior judge , www.
Telegraph.co.uk, 6 juillet 2009.
(743) Voir, par exemple, M. Igatieff, Virtual War – Kosovo and Beyond, 2000, p.  161. Pour des
références sur des opérations impliquant des drones en Irak et Afghanistan voir, entre autres, “Predators
and Civilians , Wall Street Journal, 13 juillet 2009 ; “Robot Flights over Iraq controlled from US ,
www.theherald.co.uk, 10 juin 2008. Les UAV ont également été utilisés de manière considérable par
les forces de défense israéliennes (Israeli Defense Forces) lors d’opérations de combat au Liban et
Gaza : Amnesty International, “ Fuelling Conflict: Foreign Arms Supplies to Israel/Gaza , 23 février
2009, p. 27.
(744) “ Dans l’étude, la mise au point, l’acquisition ou l’adoption d’une nouvelle arme, de nouveaux
moyens ou d’une nouvelle méthode de guerre, une Haute Partie contractante a l’obligation de
déterminer si l’emploi en serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances, par
les dispositions du présent Protocole ou par toute autre règle du droit international applicable à cette
Haute Partie contractante. », Protocole additionnel 1, art. 36.

630
emportées par une plate-forme inhabitée autonome qu’à la plate-forme elle-
même, avec ses capteurs, ses mécanismes de contrôle, ses liaisons de contrôle
par ordinateur et l’équipement associé (745). Par conséquent, un État qui projette
de développer, d’acquérir ou d’opérer des plates-formes inhabitées devra établir
avant la mise en œuvre opérationnelle si, dans les diverses circonstances où il
a l’intention d’utiliser la plate-forme inhabitée, les règles de ciblage peuvent
être respectées. Cette évaluation est nécessaire avant la décision de mettre en
œuvre le système d’arme (746).
Encore convient-il d’apporter au préalable une définition claire des
principaux termes que nous serons amenés à employer au cours des prochains
développements. L’expression « aéronef piloté à distance » (747) renvoie à un
aéronef ayant un individu « dans la boucle », autrement dit une personne en
mesure de contrôler ou de diriger les mouvements de l’appareil, par exemple en
l’orientant d’une manière ou d’une autre, ou qui est pour le moins capable de
surveiller le guidage mécanique, automatique de l’aéronef et d’intervenir pour
modifier la direction s’il le souhaite. Un aéronef est considéré comme « inhabité »
dès lors qu’il ne transporte pas d’opérateur humain et qu’il est opéré à distance
en utilisant différents niveaux de fonction automatique (748). L’autonomie, qui
constitue le thème principal de ce chapitre, est liée à l’utilisation d’aéronefs
inhabités pour conduire des actions offensives sans qu’un opérateur humain
n’intervienne dans le processus décisionnel. Les attaques sont autonomes si
la décision de les mener est prise par l’aéronef inhabité et que celui-ci engage
l’attaque conformément à cette décision machinale. Cette décision autonome
de conduire une action offensive impliquera des équipements, généralement
informatiques et reposant sur des algorithmes, qui permettent à l’aéronef
d’utiliser ses capteurs pour détecter et identifier ce qui constitue une cible
légitime. Les caractéristiques qui définissent la cible auront été pré-programmées
dans le logiciel de l’ordinateur et concorderont avec celles d’un individu ou
d’un objet (749) que l’on souhaite que l’appareil attaque. Après avoir acquis
un niveau de reconnaissance prédéfini, l’aéronef engage l’attaque de manière
(745) Les armes peuvent désigner un objet, un dispositif, une munition ou un équipement utilisé pour
mettre en œuvre une capacité offensive contre un bien ou un individu. Les moyens de guerre portent
sur toutes les armes, plates-formes d’armements et équipements associés directement employés pour
délivrer la force lors des hostilités. Les méthodes de guerre désignent les manières dont les armes sont
utilisées lors des hostilités : William H. Boothby, Weapons and the Law of Armed Conflict, Oxford,
Oxford University Press, 2009 p. 6 et p. 344, faisant référence à une présentation de W. Hays Parks
lors d’une réunion d’experts concernant l’examen juridique des armes et le projet SIrUS, Jongny sur
Vervey, 29-31 janvier 2001.
(746) A Guide to the Legal Review of New Weapons, Means and Methods of Warfare: Measures to
Implement Article 36 of Additional Protocol 1 of 1977, ICRC, janvier 2006, paragraphe 2.3.1.
(747) À noter l’utilisation du terme par l’Air Chief Marshal Sir Stephen Dalton, chef d’état-major de
la Royal Air Force, dans un discours à l’International Institute for Strategic Studies, “Dominant Air
Power in the Information Age , 15 février 2010, disponible à l’adresse internet : http ://www.raf.mod.
uk/rafcms/mediafiles/D63BE198_5056_A318_A8E65DC502527B6A.pdf
(748) Voir Commentary on the HPCR Manual on International Law Applicable in Air and Missile
Warfare, mars 2010 (ci-après AMW Commentary), règle 1(dd), p. 54.
(749) À l’horizon actuellement prévisible de développement technologique, les cibles qui pourraient
être mécaniquement identifiées seront probablement des objets de dimensions considérables et ayant
des caractéristiques notables, que la technologie algorithmique détectera facilement.

631
autonome (750). C’est le fait que l’appareil effectue ces reconnaissances et prenne
ces décisions d’attaque à un moment où aucun homme n’est dans la boucle
qui distingue cette technologie « autonome » des équipements de guidage
automatique – qui ne font en effet que mécaniser la décision de l’opérateur
humain quant à la trajectoire de l’aéronef – ou d’autres automatisations des
fonctions de l’aéronef ou de ses systèmes.
Avant d’analyser avec force détails la manière dont les règles de précaution
dans l’attaque s’appliquent aux systèmes inhabités, et plus particulièrement aux
systèmes autonomes, encore convient-il d’observer que certaines règles plus
générales du droit international s’appliquent et ce en dépit du fait qu’il n’y a
pas d’homme embarqué dans l’aéronef piloté à distance ou inhabité. Le fait
que ces appareils inhabités ou pilotés à distance opérés par les forces armées
soient des aéronefs signifie bien évidemment qu’ils sont soumis aux règles
générales applicables aux aéronefs militaires. Ils doivent être « commandés par
un membre des forces armées » (751), autrement dit la personne qui contrôle le
véhicule à distance doit être un membre des forces armées (752). Adapter cette
règle aux missions autonomes implique que ceux qui commandent la mission
doivent être soumis au contrôle régulier des forces armées (753).

marquages
Selon l’article 3 des Règles de la guerre aérienne (La Haye, 1923) (754),
les aéronefs militaires doivent porter une marque extérieure indiquant leur
nationalité et leur caractère militaire, règle rappelée par la suite dans l’AMW
Manual [Manual on International Law Applicable to Air and Missile Warfare]
à travers la définition qu’il donne de l’aéronef militaire : « tout aéronef (i)
opéré par les forces armées d’un État ; (ii) portant les marquages militaires de
l’État en question ; (iii) commandé par un membre des forces armées ; et (iv)
contrôlé, habité ou pré-programmé par un équipage soumis aux règles de la
discipline militaire » (755). Conformément à l’article 13 des règles de 1923, seuls
les aéronefs militaires sont autorisés à exercer les droits des belligérants. En
conséquence, les aéronefs pilotés à distance et inhabités qui exercent les droits
des belligérants (756) doivent, de la même manière que pour tout autre aéronef
militaire, porter les marquages militaires de l’État propriétaire. Inversement,

(750) Pour une discussion sur les aspects techniques, éthiques et philosophiques propres aux
technologies autonomes, et les approches envisagés pour y répondre, voir Ronald C. Arkin, Governing
Lethal Behaviour in Autonomous Robots, 2009.
(751) AMW Manual, règle 1(x).
(752) AMW Commentary, p. 46.
(753) Ibid., p. 47.
(754) Les règles proposées n’ont jamais été formellement adoptées par les États et, par conséquent,
ne font pas formellement partie du droit international. Nombreuses de ces règles sont, toutefois,
considérées comme reflétant le droit coutumier international.
(755) AMW Manual règle 1(x). L’AMW Commentary explique clairement qu’il s’agit des
« caractéristiques qu’un aéronef doit avoir pour être et avoir les droits d’un aéronef militaire » comme
le droit de lancer une action offensive. AMW Commentary, p. 46.
(756) Ibid., p. 48.

632
selon l’article 58 du PA1, les parties au conflit et les États neutres doivent
prendre toutes les mesures réalisables pour indiquer clairement le statut de
leurs aéronefs civils inhabités et pilotés à distance (757).

neutraLité
Il convient d’observer que « lorsque le Conseil de sécurité prend, en vertu
du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, des mesures préventives ou
d’imposition obligatoires autorisant un État ou un groupe d’États de recourir à la
force, aucun État ne peut invoquer le droit de neutralité pour justifier une conduite
qui serait incompatible avec ses obligations telles qu’elles découlent de la Charte
des Nations unies » (758). La discussion proposée dans le présent chapitre traite
cependant d’une situation où les notions de neutralité s’appliquent.
Lors d’un conflit armé international, les aéronefs militaires belligérants, y
compris les aéronefs pilotés à distance ou inhabités, ne peuvent pénétrer sur le
territoire d’un État neutre (759), doivent respecter le statut des États neutres et
s’abstenir d’activités que l’État neutre a le devoir d’empêcher (760). Toutefois,
la partie neutre n’est pas tenue par le droit de neutralité d’empêcher le simple
transit d’un aéronef belligérant (761). Le simple transit renvoie ici au passage
passif par l’espace aérien et non l’obtention d’avantages militaires lorsque
l’aéronef se trouve dans l’espace aérien neutre. Dès lors, un État neutre doit
faire ce qu’il peut pour empêcher les aéronefs belligérants qui se trouvent sur
son territoire d’observer par les airs les mouvements, les opérations ou les
défenses d’un belligérant avec l’intention d’informer l’autre belligérant (762).
Il est donc interdit à un aéronef belligérant inhabité ou piloté à distance
d’utiliser l’espace aérien neutre que ce soit pour conduire une action offensive
ou en revenir (763). Sont tout aussi prohibés l’utilisation de l’espace aérien neutre
pour abriter, de quelque manière que ce soit, l’aéronef inhabité ou piloté à
distance (764) ; l’acquisition de renseignements depuis un appareil inhabité dans
un espace aérien neutre ; le fait de procéder à des atterrissages, des opérations
de récupération ou des lancements d’aéronefs inhabités et pilotés à distance
sur un territoire neutre ; le contrôle de tels aéronefs depuis un territoire neutre.

(757) Ibid., p. 136.


(758) Ibid., Règle 165, p. 306.
(759) Ibid., art. 40.
(760) Ibid., art. 39.
(761) Ibid., art. 45.
(762) Ibid., art. 47.
(763) AMW, règle 171b : « Les parties belligérantes ne doivent commettre aucun des actes
suivants : (…) b) Utiliser un territoire ou un espace aérien neutre comme base d’opérations — à des
fins offensifs, de ciblage ou de renseignement — contre des cibles ennemies, depuis l’air, la terre ou
la mer se trouvant à l’extérieur de ce territoire. »
(764) AMW, règle 167a : « En territoire neutre, il est interdit aux parties belligérantes de (…) employer
ce territoire en tant que sanctuaire… »

633
activités inhabitées non controversées
Certains aéronefs pilotés à distance ou inhabités peuvent être équipés
pour des activités de reconnaissance, de recueil de données ou des missions
similaires (765). Conduire ces activités depuis un tel aéronef ne soulève pas de
difficultés majeures au regard du droit des conflits armés (DCA). De même,
l’utilisation d’un aéronef inhabité pour attaquer des cibles au sol alors qu’un
individu est dans la boucle ne soulève pas d’interrogations particulières en
termes de DCA. L’homme dans la boucle interprètera les informations alors
disponibles fournies par les capteurs (766) et décidera à la lumière de celles-ci si
les règles de ciblage applicables sont respectées. Dès lors, soit il procédera au tir
en mettant en œuvre les équipements de commande intégrés dans le système,
soit il conclura qu’il peut autoriser la décision offensive prise par l’appareil, le
contrôleur n’ayant aucune raison de l’annuler. Les points essentiels tiennent ici
au fait que l’individu est dans la boucle et que le système l’autorise alors soit à
prendre la décision offensive de manière proactive, soit à décider s’il convient
ou non d’annuler une attaque que l’appareil engagerait à défaut. De ce fait, le
recours à cette technologie est en grande partie dénué de controverses, pour le
moins au regard des aspects juridiques en termes de ciblage.

Le principe de distinction
L’action offensive menée d’une manière autonome est, en revanche, une
question différente. La difficulté d’ordre juridique tient en grande partie à la
manière dont sont définies, selon le Protocole additionnel 1, les règles de ciblage.
Les règles débutent par une affirmation générale du principe de distinction (767).
Suivent des règles spécifiques interdisant les attaques contre les personnes
civiles ou la population civile (768), les biens à caractère civil (769), les monuments
historiques, les biens culturels ou les lieux de culte (770) ainsi que les biens
indispensables à la survie de la population civile, l’environnement naturel et les
ouvrages et installations contenant des forces dangereuses, visés respectivement
par les articles 54, 55 et 56 du Protocole additionnel 1. Il existe en outre une

(765) Voir en général AMW Commentary, règle 1(dd) et le commentaire associé, p. 54.
(766) Voir la déclaration (c) du Royaume-Uni en date du 28 janvier 1998 sur la ratification du
Protocole additionnel 1.
(767) « En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère
civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les
combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne
diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires. » Protocole additionnel 1, article 48.
(768) Ibid., article 51(2).
(769) Ibid., article 52(1).
(770) Ibid., article 53.

634
disposition interdisant les attaques sans discrimination (771). Toutefois, et cela
est de la plus grande importance, les règles de ciblage prévoient, selon l’article
57 du PA1, les précautions qui doivent être prises par ceux qui planifient,
décident ou engagent une attaque afin de rendre ces protections effectives.
Dans la mesure où ces règles de précaution semblent avoir des implications
essentielles pour l’utilisation de la technologie offensive autonome, il convient
de rappeler en détail les règles de l’article 57 et d’analyser par la suite leurs
implications pour la décision autonome d’attaque.

Les règLes de précaution


À de nombreux égards, les règles de précaution correspondent aux règles
générales de protection. Ainsi, l’article 57(1) rappelle l’article 48 en ce qu’il
dispose qu’il faut veiller constamment à épargner la population civile, les
personnes civiles et les biens de caractère civil. Dans ce contexte, les précautions
spécifiques imposées par l’article sont les suivantes :

« 2. En ce qui concerne les attaques, les précautions suivantes doivent être


prises :
a) ceux qui préparent ou décident une attaque doivent :
i) faire tout ce qui est pratiquement possible (772) pour vérifier que les
objectifs à attaquer ne sont ni des personnes civiles, ni des biens de caractère
civil, et ne bénéficient pas d’une protection spéciale, mais qu’ils sont des objec-
tifs militaires au sens du paragraphe 2 de l’article 52, et que les dispositions du
présent Protocole n’en interdisent pas l’attaque ;
ii) prendre toutes les précautions pratiquement possibles quant au choix
des moyens et méthodes d’attaque en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au
minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures
aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil qui pour-
raient être causés incidemment ;
iii) s’abstenir de lancer une attaque dont on peut attendre qu’elle cause
incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des bles-
sures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une

(771) Ibid., article 51(4) : « L’expression “ attaques sans discrimination s’entend : a) des attaques
qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire déterminé ; b) des attaques dans lesquelles on
utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire
déterminé ; ou c) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les
effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le présent Protocole ; et qui sont, en conséquence,
dans chacun de ces cas, propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes
civiles ou des biens de caractère civil .»
(772) La déclaration d’interprétation du Royaume-Uni datée du 28 janvier 1998 jointe à la
ratification du Protocole additionnel  1 : « Le Royaume-Uni comprend l’expression “tout ce qui est
pratiquement possible” [feasible] utilisée dans le Protocole dans le sens de tout ce qui est faisable ou
pratiquement réalisable, en prenant en considération toutes les circonstances du moment, y compris
les considérations d’ordre humanitaire et militaire .»

635
combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à
l’avantage militaire concret et direct attendu ;
b) une attaque doit être annulée ou interrompue lorsqu’il apparaît que son
objectif n’est pas militaire ou qu’il bénéficie d’une protection spéciale ou que
l’on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans
la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux
biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui
seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ;
c) dans le cas d’attaques pouvant affecter la population civile, un avertis-
sement doit être donné en temps utile et par des moyens efficaces, à moins que
les circonstances ne le permettent pas.
3. Lorsque le choix est possible entre plusieurs objectifs militaires pour
obtenir un avantage militaire équivalent, ce choix doit porter sur l’objectif dont
on peut penser que l’attaque présente le moins de danger pour les personnes
civiles ou pour les biens de caractère civil .»

Les États qui ne sont pas parties au Protocole additionnel 1 sont engagés
par d’autres traités et par le droit coutumier. Selon l’article 27 du Règlement
de La Haye de 1907, « toutes les mesures nécessaires » doivent être prises durant
les bombardements pour épargner, autant que possible, certaines catégories
de biens (773). Les Règles de la guerre aérienne de la Haye (1923) demandent
l’annulation d’une attaque si celle-ci ne peut être engagée « sans entraîner un
bombardement sans discrimination de la population civile » (774) et l’article 25 fait
mention de « toutes les mesures nécessaires » que le commandant doit prendre
pour épargner certains types de biens à caractère civil.
Il convient tout d’abord de relever les premiers termes de l’article 57 § 2 :
« En ce qui concerne les attaques, les précautions suivantes doivent être prises ».
Ces précautions évoquées par le paragraphe 2 de l’article sont donc obligatoires
pour toute attaque. Les obligations concernent toutefois « ceux qui préparent ou
décident une attaque ». La présence du terme « ou » pourrait prêter à confusion.
Il semble pourtant clair que tant ceux qui planifient que ceux qui décident
doivent prendre les précautions qui s’imposent. L’autre interprétation, selon
laquelle le décideur est exempt de toute autre responsabilité si celui qui planifie
a appliqué les précautions, peut être rejetée au motif qu’elle ne respecte pas le
paragraphe 1, qui exige de veiller « constamment » à épargner les civils.
Si, toutefois, personne ne planifie ou ne décide l’attaque, cela ne signifie
pour autant que les précautions mentionnées ne doivent pas être prises. La
meilleure interprétation, de nouveau parfaitement conforme à l’obligation de
veiller constamment, est celle selon laquelle si aucun individu n’est impliqué,

(773) À savoir des édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bienfaisance, les
monuments historiques, les hôpitaux et les lieux de rassemblement de malades et de blessés, à condition
qu’ils ne soient pas employés en même temps à un but militaire [Note de l’éditeur : Convention (IV)
concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe : Règlement concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 18 octobre 1907].
(774) Règles concernant la guerre aérienne, La Haye, 1923, article 24 § 3.

636
un autre moyen doit être trouvé pour prendre les précautions exigées par
l’article 57. En réalité, il faut déterminer la manière dont les procédures de
planification et d’exécution de la mission peuvent être ajustées afin de s’assurer
que les précautions qui s’imposent sont prises, indépendamment du fait que
l’homme ait été éliminé de la boucle.
L’AMW Manual relève que l’obligation de prendre des précautions
réalisables lors d’actions offensives s’applique également à ce qu’il décrit comme
des opérations impliquant des véhicules aériens inhabités (unmanned aerial
vehicles) (775) ou des véhicules aériens inhabités de combat (unmanned combat
aerial vehicles) (776). Le commentaire de l’AMW Manual souligne par ailleurs,
de manière fort utile, que les UAV peuvent contribuer à mettre en œuvre des
précautions pratiquement possibles de sorte que s’ils sont disponibles et que
leur emploi est envisageable, ils doivent être employés (777), pour renforcer par
exemple la fiabilité des estimations relatives aux dommages collatéraux. L’action
défensive pourrait en effet conduire à ce que certaines mesures de précaution
ne soient pas appliquées, renforçant par là la valeur préventive des opérations
d’identification, d’observation ou d’évaluation de la cible par des systèmes
inhabités ou pilotés à distance.

L’appLication de L’articLe 57 aux actions offensives autonomes


Le fait d’affirmer que les exigences de précaution prévues à l’article 57 § 1
du Protocole additionnel 1 sont coutumières ne soulève pas de controverse (778).
S’il n’est aucunement certain que toutes les autres dispositions de l’article 57
soient coutumières, il ne fait que peu de doute que le droit coutumier exige
des États, dès lors qu’ils engagent des attaques, et indépendamment de leur
adhésion à différents traités :
• qu’ils prennent toutes les mesures pratiquement possibles pour s’assurer
que la cible est un objectif militaire ;
• qu’ils fassent tout ce qui est réalisable pour minimiser les risques encou-
rus par les civils et les biens civils (779) ;
• qu’ils annulent, si possible, les attaques pouvant avoir des conséquences
collatérales disproportionnées ou dès lors qu’il apparaît clairement que
l’objectif n’est pas d’ordre militaire ;
• qu’ils avertissent, dès lors que cela est possible, des attaques qui pour-
raient affecter les civils (780).

(775) NdT : ci-après « UAV ».


(776) AMW Manual, règle 39 (NdT : ci-après « UCAV »).
(777) AMW Commentary, p. 135.
(778) Voir Étude sur le droit international humanitaire coutumier, CICR, volume 1, règle 15, p. 51.
(779) Voir Burridge, op. cit., p. 20 ; le 28 mars 2003, un missile Hellfire a été employé dans une action
offensive contre une antenne parabolique dans le parking du ministère irakien de l’Information « afin
de minimiser les risques encourus par le bâtiment voisin où se trouvaient de nombreux journalistes
étrangers ».
(780) Étude sur le droit international humanitaire coutumier, CICR, volume 1, règles 15-21, pp. 51-
67.

637
Il est tout aussi évident qu’en vertu de ces règles coutumières, le contexte
militaire plus large doit être pris en compte afin de décider ce qui est réalisable.
Il apparaît finalement que les termes généraux des précautions imposées
par l’article 57 semblent largement acceptés par les États, de sorte que cet article
constitue une base intéressante pour établir si la capacité d’attaque autonome
peut être utilisée en conformité avec les règles de précaution.
Pour se conformer aux principes de distinction et de discrimination que
nous avons évoqués ci-dessus, les précautions imposées par le droit international
sont donc de deux catégories :
• la première comprend la reconnaissance et la vérification du statut de
l’objet de l’attaque qui doit être un objectif militaire ;
• la seconde catégorie de précaution comprend une évaluation qualitative
de la proportionnalité présumée de l’attaque proposée et sur le fait de savoir
si la méthode et les moyens choisis minimisent ou non les risques civils.
À présent, lorsque des attaques conduites par des aéronefs habités sont
entreprises, les planificateurs, les commandants et les opérateurs des aéronefs
utilisent leur propre interprétation de l’information dont ils disposent pour
réaliser cette double évaluation. Ainsi, une décision est prise quant à savoir si,
selon les conclusions obtenues, l’attaque doit ou non être poursuivie.
Aussi convient-il d’analyser dès à présent dans quelle mesure ces deux
catégories de décisions peuvent être prises de façon mécanique, autrement dit
par un aéronef de combat inhabité et autonome. Il existe, au moment où nous
écrivons ces lignes, une technologie permettant aux capteurs de détecter et de
reconnaître des catégories prédéterminées d’équipements militaires, que ce
soient, parmi d’autres, des pièces d’artillerie, des chars, des véhicules blindés ou
des batteries antiaériennes (781). Cette technologie utilise des algorithmes (782),
de sorte que les capteurs de l’aéronef qui est en phase offensive détectent des
caractéristiques de l’objet cible correspondant aux données préprogrammées
dans le système de contrôle de tir. Lorsqu’un nombre suffisant de points de
reconnaissance a été atteint, et selon un niveau donné de probabilité, l’aéronef
inhabité considèrera, en fonction des instructions programmées dans le
système préalablement à la mission, l’objet observé comme étant une cible
et pourra dès lors exécuter les procédures d’attaque (783). Il semblerait donc
clair que la technologie actuellement disponible est en mesure de respecter ce
qu’exige le principe de distinction, à savoir le fait que les attaques ne doivent
être dirigées que vers des objectifs militaires certains. Il apparait donc bien,
au regard des règles de précaution imposées par l’article 57, que les règles
exposées dans le paragraphe 2 a) i) et dans la première partie du paragraphe

(781) Voir, par exemple, concernant le système de missiles de précision Boeing Brimstone, http ://
www.boeing.com/defense-space/missiles/brimstone/index.html, consulté le 2 février 2011.
(782) Les algorithmes sont des processus ou des ensembles de règles devant être respectés dans les
calculs ou autres opérations visant la résolution de problèmes, notamment par un ordinateur, Concise
Oxford Dictionary, 2006.
(783) Voir la description technique du système missile Brimstone à l’adresse internet suivante :
http ://www.mbda-systems.com/mbda/site/ref/scripts/EN_Brimstone_97.html

638
3) peuvent être respectées si l’objectif militaire recherché est susceptible d’une
telle reconnaissance mécanique de la cible.
En d’autres termes, l’utilisation d’un système d’arme équipé de cette
technologie et dont l’objectif explicite est la reconnaissance d’équipements
préalablement définis comme objectifs militaires ne semblerait pas violer
l’interdiction des attaques sans discrimination telle qu’elle est posée par
l’article 51 4) du Protocole additionnel 1. C’est précisément pour opérer des
discriminations que l’on utilise cette technologie, le fait donc de classer ce
système comme étant par nature incapable de réaliser la moindre discrimination
irait à l’encontre de toute logique.

L’autonomie et La prise de décision quaLitative


Toutefois, la conformité avec la deuxième catégorie de prise de décision
préventive représente une perspective plus difficile pour les partisans des
systèmes offensifs autonomes. On rappellera que ces décisions préventives
d’évaluation signifient évaluer la proportionnalité d’une attaque proposée et
déterminer si les moyens et la méthode offensifs voulus sont ou non en mesure
de minimiser le danger encouru par les civils et les biens à caractère civil. Ces
types d’évaluation sont complexes. Ils exigent soit la comparaison de deux
phénomènes différents par nature, à savoir, d’une part, l’avantage militaire
recherché et, d’autre part, l’anticipation des maux et dommages qui pourraient
être causés aux civils et aux biens à caractère civil, soit une évaluation visant
à savoir si les potentiels dommages collatéraux pourraient encore être réduits
en modifiant, d’une manière ou d’une autre, les circonstances de l’attaque.
Ces comparaisons mettent à l’épreuve les commandants, les planificateurs
et autres décideurs. En effet, la Commission qui a conseillé le Procureur du
TPIY sur l’acceptabilité de la campagne de bombardement de l’OTAN lors
du conflit du Kosovo a réfléchi aux considérables difficultés intellectuelles qui
entourent la mise en œuvre du principe de proportionnalité (784). Faire réaliser
ces comparaisons par un appareil sera toujours plus difficile.
À ce stade de la discussion, il serait toutefois important de rappeler le
degré d’implication humaine que comprend une action offensive autonome.
Un plan de vol aura été préparé et exécuté par une personne qui décidera de
la zone géographique devant être explorée, de la période durant laquelle cette
phase exploratoire pourrait avoir lieu, des zones dans lesquelles l’aéronef
pourrait évoluer et pour combien de temps, et qui programmera ces paramètres
importants dans le logiciel de contrôle du vol. La plate-forme sera alimentée
par un individu qui définira également l’endurance maximale de la mission.
Les planificateurs opérationnels décideront des armements à emporter et
de la manière dont ils seront délivrés. Ce sont en outre des hommes qui les
chargeront avant le décollage. Les capteurs dont dépend l’aspect autonome de
(784) Voir les paragraphes 48-50 du Final Report to the Prosecutor by the Committee Established
to Review the NATO Bombing Campaign against the Federal Republic of Yugoslavia, à l’adresse
suivante http  ://kosova.org/post/UN-Final-Report-to-the-NATO-Bombing-Campaign-Against-
Yugoslavia.aspx consulté le 2 février 2011.

639
la mission auront été conçus et construits par des humains et seront contrôlés
par des logiciels également conçus par des hommes. Ces concepteurs et/ou
les planificateurs de la mission auront imposé le niveau de reconnaissance
mécanique qui doit être atteint avant qu’un objet ne soit identifié par l’appareil
comme étant une cible et donc avant qu’une attaque ne soit engagée. Ce niveau
exigé de confiance dans la reconnaissance de la cible dépendra du contexte ;
une plus grande confiance étant exigée, suggère-t-on, là où les conséquences
de l’erreur apparaissent comme plus graves. Pour déterminer ce niveau de
confiance, peut-être faudra-t-il mesurer la discrimination et la fiabilité afin
d’établir des standards mesurables d’acceptabilité. Avant ces élaborations, des
essais réalistes seront nécessaires pour faire la preuve d’une capacité adéquate
de discrimination.
L’aspect important réside toutefois dans le fait que ces décisions humaines
prises avant le décollage seront conçues pour délimiter le moment, l’endroit,
l’objectif et les moyens de toute action offensive autonome conduite par un
système inhabité. La recherche effectuée par l’aéronef peut être limitée à la
couverture de la zone d’opérations, voire même à une portion plus limitée de
territoire. En limitant les durées du rodage ou de la recherche, la période au
cours de laquelle les risques collatéraux seraient minimisés peut être vue comme
étant le laps de temps durant lequel l’aéronef autonome entame sa recherche
et engage toute action offensive. Ces jugements humains réalisés lors de la
planification de la mission pourraient, en certaines circonstances, garantir le
fait qu’une attaque autonome ne peut avoir lieu que lorsque l’avantage militaire
obtenu en intervenant contre des cibles répondant aux critères définis par les
algorithmes l’emporterait clairement sur les dommages collatéraux présumés.
Comme nous l’avons déjà remarqué, ces algorithmes peuvent limiter les
attaques à des objets identifiés comme étant des objectifs militaires légitimes
d’un certain type.
Alors même que le principe de discrimination et ses précautions associées
peuvent être garantis, il n’existe actuellement aucun logiciel en mesure de
mécaniser la prise de décision qualitative. Le processus d’évaluation qui, comme
nous avons eu l’occasion de le relever, est implicite dans l’application du test de
proportionnalité ne peut être correctement garanti que par le cerveau humain.
Au premier regard, cela semble pouvoir exclure l’idée selon laquelle les aéronefs
autonomes inhabités peuvent être utilisés lors d’une action offensive. La question
n’est pourtant pas si tranchée. Quand bien même seraient-elles restrictives, des
circonstances au cours desquelles l’emploi de ces systèmes serait légitime en
dépit des limitations et difficultés préalablement évoquées pourraient toutefois
exister. Il est donc possible que la présence d’un homme « dans la boucle » ne
soit pas nécessaire en toute circonstance, bien que le contexte semble être un
facteur important à cet égard.

640
quand L’action offensive autonome peut être acceptabLe
Imaginons, dans une zone éloignée, non peuplée ou à faible densité de
population, une recherche autonome de capacités militaires spécifiques dont
la destruction serait de la plus haute importance du point de vue militaire. Ou
bien prenons un système autonome programmé, lors de la phase de planification
de la mission, de telle manière qu’il ne pourrait engager une action offensive
que dans le seul périmètre d’une zone exclusivement militaire. Dans chacune
de ces deux situations, il est probable que les précautions prises lors de la phase
de planification de la mission, et avant que l’aéronef inhabité ne soit lancé,
suffisent à satisfaire les exigences de l’article 57. En outre, il est probable que
la zone de recherche puisse être circonscrite de sorte à éviter les zones qui
comporteraient d’importants risques collatéraux, ces dernières n’étant alors
pas visibles par les capteurs de l’aéronef inhabité de sorte qu’elles ne puissent
être l’objet d’une attaque autonome.
Si la zone de recherche est éloignée, mais qu’il existe un risque que des
civils y entrent ou s’y trouvent, d’autres moyens de renseignement peuvent être
utilisés pour observer ce qui s’y passe. Si, de plus, un individu est suffisamment
intégré « dans la boucle » pour pouvoir annuler une décision offensive prise
de manière autonome par le système, que les évolutions ultérieures auraient
rendue inacceptable, les exigences de distinction et de précaution semblent
alors satisfaites.
De la même manière, une zone habitée peut être suffisamment dépeuplée
– que ce soit en avertissant la population ou en recourant à d’autres méthodes –
de sorte à permettre le ciblage par un système autonome inhabité, quand bien
même les limites que connaissent les technologies nécessiteraient que ces zones
soient presque totalement vides de population.
En conséquence, s’il est possible de prendre, lors de la phase de planification,
des précautions en attaque qui demeurent suffisamment fiables tout au long de la
période durant laquelle la plate-forme autonome est programmée pour chercher
sa cible, cela revient en principe à s’acquitter des obligations de précaution.
Toutefois, le fait que la supposition exprimée, lors de la planification, quant
au degré de risque collatéral reste valable est fondamental pour la légalité de
l’action offensive autonome dans les types de situations évoquées.
À cet égard, les données quant au mode de vie (ci-après pattern of life)
pourraient s’avérer d’une certaine importance. Elles consisteraient en des
informations recueillies lors d’observations, que ce soit à l’aide de capteurs ou par
d’autres moyens. Les informations se concentreront sur la présence d’individus
et d’objets mobiles dans la zone concernée à des moments déterminés. En
modélisant ces mouvements, il serait possible de faire une projection raisonnable
des possibles risques collatéraux qui découleraient de l’attaque, à un moment
donné, d’une cible définie.
Le planificateur doit prendre en considération le pattern of life propre à
une zone déterminée, la valeur – en termes d’avantages militaires – qui doit
être attribuée aux biens devant être pris pour cible, ainsi que toute autre

641
information pertinente afin d’établir si l’on doit effectuer la mission autonome
ou autoriser sa poursuite compte tenu du calcul de proportionnalité effectué
par les planificateurs de la mission. Le choix des armements pourrait être un
autre facteur pertinent. Si un armement à rendement limité avec un faible rayon
d’action devait être mis à disposition, cela pourrait permettre l’autorisation
d’une mission autonome inhabitée là où cette autorisation pourrait ne pas être
appropriée par ailleurs.
L’obligation prévue par l’article 57 § 2b d’annuler ou d’interrompre
survient s’il apparait clairement que l’objectif n’est pas militaire, qu’il bénéficie
d’une protection spéciale ou que l’attaque pourrait avoir des conséquences
disproportionnées. Toutefois, si une attaque est entièrement autonome, ces
aspects « [n’] apparaîtront pas clairement » car aucun individu n’est là pour
observer. Prenons l’exemple des missiles de croisière tactiques dont les temps de
vol jusqu’à la cible sont parfois importants et au cours desquels les circonstances
collatérales pourraient considérablement évoluer dans la zone ciblée. Ce principe
ne rend pas illégale la décision d’utiliser ces armements, car la légitimité de la
décision de mener une action offensive est évaluée en fonction des informations
raisonnablement disponibles au moment de la prise de la décision. Il existe
donc un parallèle utile avec la décision de conduire une mission autonome
inhabitée. Dans chacune de ces deux situations, la décision de lancement est
prise sur la base des informations disponibles et une appréciation est faite
quant à la position présumée au moment où aura lieu l’attaque planifiée. Un
aspect important tient au fait que, si le missile de croisière ne peut être dévié
ou stoppé, la décision de tirer n’est pas rendue illégale par un changement en
termes de danger collatéral.

autres défis juridiques pour L’action offensive autonome


D’autres principes du DCA pourraient également soulever des difficultés
pour la mise en œuvre de moyens offensifs autonomes. Il est illégal d’attaquer les
individus qui sont hors de combat – soit parce qu’ils ont exprimé clairement une
intention de se rendre, soit du fait d’une maladie, de blessures ou d’un naufrage –
à condition qu’ils s’abstiennent de tout acte hostile et qu’ils ne tentent pas de
s’évader (785). La discussion suivante analysera le cas de la capitulation, quand
bien même ces observations sont susceptibles de s’appliquer tout également
aux individus hors de combat pour d’autres raisons.
La protection contre l’attaque débute lorsque l’individu qui se rend exprime
clairement son intention de se rendre. Cette protection est conditionnée par
le fait que l’individu en question doit s’abstenir de tout acte hostile et ne doit
pas tenter de s’évader. Mais selon ce principe, une personne « reconnue, ou
devant être reconnue, eu égard aux circonstances, comme étant hors de combat,
ne doit être l’objet d’une attaque » (786). L’intention de se rendre peut, selon les
circonstances, être difficile à reconnaître pour l’opérateur d’un aéronef piloté à

(785) Voir l’article 41 du Protocole additionnel 1 et l’AMW Manual, règle 15b, p. 95.
(786) Protocole additionnel 1, article 41 § 1.

642
distance voire même pour le pilote d’un aéronef habité, et il est fort probable que
cette intention ne soit pas manifeste pour les systèmes autonomes de contrôle
de tir. Toutefois, d’un point de vue juridique, la difficulté que rencontre le pilote
d’un aéronef habité pour identifier une capitulation ou une telle intention ne
rend pas illégale une attaque au cours de laquelle une telle reddition n’est pas
détectée et n’aurait pas été manifeste pour un assaillant raisonnable (787). Par
conséquent, il convient d’analyser si le fait que ce qui est difficile à détecter pour
un pilote ou un opérateur devient peu probable, voire impossible, à percevoir
pour un système autonome des implications juridiques. L’auteur estime qu’il
existe en effet des implications juridiques dans ce cas.
Ce sont les circonstances de l’attaque qui pourraient rendre difficile,
pour le pilote ou l’opérateur, la détection de la capitulation ou de l’intention
de capituler. Le pilote ou l’opérateur disposeront de sources de données qui
pourraient, en principe, leur permettre de détecter la capitulation ou une
intention de capituler. Toutefois, dans le cas d’un système autonome, c’est le
système d’arme qui rendra improbable, voire impossible, la détection d’une
telle intention. C’est donc le système d’arme, et non les circonstances, qui pose
problème. Il serait préférable que les actions offensives autonomes ne soient
pas dirigées vers des personnes qu’un assaillant raisonnable aurait considérées
comme étant hors de combat. Les circonstances de l’attaque prévue pourraient
cependant être telles que les individus ne se rendront pas, et qu’il n’y en ait pas
hors de combat. Si tel est le cas, ces questions n’ont pas à être examinées lors
de la phase de planification de la mission.
Là où la question d’une possible capitulation pourrait se poser, il semble
toutefois qu’un opérateur devra être dans la boucle ou en mesure de surveiller les
flux de données fournies par les capteurs afin d’annuler, dans les circonstances
appropriées, les décisions de conduire une action offensive prises de manière
autonome par l’appareil. Plus particulièrement, l’argument selon lequel la règle
ne doit pas être respectée parce qu’aucun homme n’est dans la boucle est à la
fois dénué d’intérêt et probablement erroné. Il convient plutôt de considérer
que si le recours à des méthodes offensives plus conventionnelles permettrait
à un assaillant raisonnable d’identifier des individus en train de se rendre ou
la présence de personnels hors de combat, l’emploi d’un système autonome
ne pouvant réaliser cette reconnaissance serait inacceptable.
Si un système autonome devait permettre à l’opérateur d’annuler une
décision offensive, cela contribuera largement à répondre aux exigences de

(787) « Par exemple, l’équipage d’un aéronef conduisant une action offensive hors de portée visuelle
pourrait ne pas savoir que les forces attaquées souhaitent se rendre. Tant que le manque d’information
est raisonnable dans la situation donnée, l’offensive peut être menée légalement car le désir de
se rendre n’a pas été réellement communiqué aux équipages (ou à d’autres forces qui pourraient
transmettre cette information à l’équipage en temps utile). Lorsqu’un individu est étendu au sol, il est
souvent difficile de déterminer depuis l’air si cela est dû à des blessures incapacitantes ou parce qu’il
se protège contre l’attaque aérienne. Il est donc essentiel de souligner que la protection ne concerne
que les individus hors de combat du point de vue d’un assaillant raisonnable. » : AMW Commentary,
règle 15b, p. 95. Les experts ont exprimé des points de vue différents quant au fait de savoir si des
personnes au sol pouvaient, d’une manière tout à fait valable, se rendre à un aéronef qui ne serait pas
en mesure d’accepter la capitulation en prenant des prisonniers : Ibid. p. 96.

643
l’article 57 § 2b quant à l’obligation d’annuler ou d’interrompre les attaques
planifiées s’il apparaît que l’objectif n’est pas militaire ou que l’attaque n’était
pas proportionnelle. De manière connexe se pose la question du niveau de
commandement auquel cette décision d’annulation devrait être prise. Lors de
la ratification du traité, un certain nombre de déclarations furent faites par les
États à ce sujet. La Suisse n’a reconnu ces obligations qu’au niveau du bataillon
ou du groupe et à un niveau supérieur, observant que les informations dont
disposent les officiers supérieurs au moment de leur prise de décision sont
déterminantes. Cela laisse bien évidemment ouverte la question des données
venant en appui dont la disponibilité doit être planifiée (788).
L’Espagne a parlé d’informations « qu’il a été possible d’obtenir », éludant de
nouveau la question. L’Autriche a déclaré que, concernant les décisions prises
par un chef militaire, les informations véritablement disponibles au moment
de la décision sont déterminantes (789). Le Royaume-Uni a fait une déclaration
relative à l’article 57 § 2) en ces termes : « Le Royaume-Uni comprends que
l’obligation de se conformer au paragraphe 2b ne s’applique qu’à ceux ayant
l’autorité et la possibilité matérielle d’annuler ou d’interrompre l’attaque » (790).
Il reviendra finalement aux États qui engagent des opérations offensives
autonomes et inhabitées de prendre des mesures en vue de respecter les décisions
qualitatives imposées par les articles 41 et 57. Un aspect de ces mesures sera le
niveau d’autorité exigé afin que puisse être annulée une décision offensive prise
de manière autonome. Il serait logique que l’autorité revienne à l’opérateur
qui peut suivre les actions de la plate-forme, est en mesure de surveiller le
flux transmis par les capteurs et possède, ainsi, les informations de toutes les
sources raisonnablement disponibles au moment opportun. Qui plus est, cet
individu sera – et c’est là un aspect particulièrement important – en mesure
de contextualiser ces informations au regard du pattern of life de la zone en
question, contexte pouvant être décisif.
Alors qu’un système autonome pourrait permettre à un individu d’annuler
des décisions offensives inappropriées, l’utilisation effective de cette capacité
d’annulation dépendra bien évidemment de nombreux facteurs dont la
disponibilité de l’équipement, le fonctionnement de celui-ci, la mise en réseau
avec l’aéronef autonome ou encore, parmi d’autres, les contre-mesures.
Certains pourraient être tentés de défendre l’idée suivante : si les dispositions
des articles 41 et 57 obligent à faire ce qui est réalisable ou pratiquement
possible, certaines précautions ne sont cependant pas réalisables dans le cas
d’une attaque autonome de sorte qu’elles ne sont tout simplement pas exigées
dans le cadre de telles attaques. L’auteur estime cependant que les méthodes
d’attaque non autonome permettraient de prendre ces précautions et qu’elles
(788) Voir paragraphe 1 de la Déclaration suisse concernant la Ratification du PA1 (Swiss Statement
on Ratification of AP1).
(789) Voir déclaration A, Déclarations autrichiennes concernant la Ratification du PA1 (Austrian
statements on Ratification of AP1).
(790) Voir également la déclaration de la Suisse lors de la ratification du PA1, et celle de l’Autriche à
la Conférence diplomatique, selon lesquelles on ne peut pas attendre du personnel militaire subalterne
de prendre toutes les précautions exigées.

644
doivent dès lors être considérées comme réalisables. Il s’ensuit, par conséquent,
qu’elles doivent être prises et que la manière dont la technologie autonome est
utilisée doit être ajustée afin de permettre la prise effective de ces précautions.
Aucune carte blanche ne peut être ici laissée en faveur de l’autonomie totale.
Un certain nombre de conclusions se dégagent de cette analyse et peuvent,
pour plus de facilité, être classées de la manière suivante :
D’importantes distinctions s’imposent entre l’aéronef piloté à distance et
l’aéronef inhabité autonome.
L’utilisation du premier pour conduire des actions offensives ne soulève
pas de problèmes particuliers au regard du DCA.
Les principes de distinction et de discrimination et les règles de précaution
associées s’appliquent de manière similaire aux actions offensives, que celles-ci
soient conduites par des plates-formes conventionnelles habitées, des aéronefs
pilotés à distance ou des systèmes autonomes.
Les principes de précaution en attaque exigent que les assaillants fassent
la différence entre, d’une part, les objectifs militaires et, d’autre part, les civils
ou les biens à caractère civil. Ils exigent également de leur part qu’ils aient des
appréciations qualitatives de la proportionnalité de l’attaque et qu’ils sachent
s’ils minimisent ou non le risque pour les civils.
En recourant aux technologies algorithmiques actuellement disponibles,
ou en cours de développement, la première condition – la différenciation – peut
être satisfaite par les systèmes offensifs autonomes dans certaines circonstances,
quand bien même la décision autonome d’attaque est prise par le logiciel de
contrôle de la mission intégré dans le système inhabité.
Le fait de prendre des précautions qualitatives, de proportionnalité et de
minimisation des dommages collatéraux, comme le fait de ne pas attaquer les
individus qui devraient être reconnus comme hors de combat, soulèvent les
principaux défis à la prise de décision offensive autonome.
La recherche autonome, la reconnaissance autonome de la cible et
l’engagement autonome de la cible peuvent néanmoins être légitimes dans
des situations limitées. Ces situations seront en règle générale associées à des
objectifs militaires à haute valeur et à des zones de recherche prudemment
circonscrites, éloignées, faiblement peuplées et dans lesquelles le pattern of life
peut être raisonnablement anticipé, au moins lors de la phase de recherche.
Le critère essentiel consiste ici à déterminer s’il est possible, lors de la phase
de planification, de conduire des évaluations de proportionnalité et connexes
qui restent valables durant toute la phase de recherche.
La prise autonome de décision offensive pourrait être utilisée dans un
plus large éventail de situations si, bien que non intégrée dans la boucle
de la décision effective d’attaque, un individu est en mesure de surveiller le
cours des événements, d’intervenir et d’annuler une décision offensive si les
données Intelligence, Surveillance, Reconnaissance (ISR) ou autres suggèrent
que cela est nécessaire. La solidité, la fiabilité et l’efficacité de cette fonction

645
d’annulation détermineront dans quelle mesure il est possible de s’y fier et
permettront dès lors de définir l’étendue des circonstances dans lesquelles cette
technologie peut être utilisée. Il s’ensuit que des liens fiables seront nécessaires
pour permettre à l’individu disposant de cette fonction d’annulation d’être
correctement informé sur les événements ayant lieu dans la zone d’attaque
et sur la cible que la technologie autonome a décidé d’engager. Un facteur
important tiendra à la performance satisfaisante, testée, des capteurs et de la
technologie algorithmique (791).

L’avenir
Il est à présent possible d’affirmer assez aisément que l’exigence de
précautions qualitatives lors d’une action offensive signifie qu’un individu doit
au moins être en mesure, d’un point de vue pratique, d’annuler une décision
autonome d’attaque dans les circonstances appropriées. À l’avenir pourtant, il
semble probable que la prise de décision autonome puisse offrir des garanties
plus fortes qui répondront à la question qualitative dans un éventail plus vaste
de situations. Pour donner un exemple, le pattern of life apparait comme un
domaine particulièrement prometteur. En observant la zone de recherche durant
une période de temps suffisante pour élaborer, et, par la suite, programmer
dans la mémoire de l’appareil, des données concernant ce qui est présumé dans
ladite zone lors de la période de recherche, des protocoles d’attaque peuvent être
développés pour interdire une action offensive si la situation, telle qu’elle est
perçue par les capteurs, est différente de la situation présumée. Cela impliquerait
que l’évaluation de proportionnalité effectuée lors de la phase de planification
de la mission aurait pour base le pattern of life reconnu, et l’action offensive ne
saurait être autorisée si ce pattern of life n’est pas observé lors de la recherche.
Il n’y aurait pas d’objection à ce qu’un individu prenne le contrôle et autorise
l’attaque en s’appuyant sur les informations fournies par les capteurs. Cela
présenterait toutefois une image peut-être paradoxale de l’appareil agissant avec
nettement plus de prudence et de l’homme ayant une approche plus proactive
et donc plus risquée. La recherche et les développements techniques devraient
peut-être se concentrer sur de telles options paradoxales afin de surmonter la
méfiance publique à l’égard des technologies autonomes.
(Traduit de l’anglais par Gabriela Sulea Boutherin)

(791) Une distinction s’impose peut-être ici entre les systèmes d’attaque air-air et air-sol. Il se peut
que, dans le domaine air-air, la prise en compte des dommages collatéraux ait considérablement
moins d’importance pratique que l’assurance que c’est la bonne cible qui est engagée. Dans le cas de
l’engagement autonome, cette question essentielle doit être abordée au travers d’une discrimination
suffisante et d’une technologie solide de recherche, commande et associée. Inversement, dans le
contexte air-sol, les aspects collatéraux seront souvent un facteur essentiel.

646
Les systèmes aériens opérés
à distance : le début d’une ère
nouvelle ouvrant
des possibilités multiples
Général d’armée aérienne Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air

Aussi longtemps que la technologie n’a pas permis de réellement les mettre en
œuvre de façon opérationnelle, les drones aériens ont été opposés aux appareils
pilotés. Leurs promoteurs prédisaient qu’ils remplaceraient les avions alors que
leurs détracteurs ne leur accordaient qu’un faible avenir.
Les drones aériens ont fait voler en éclat ces prédictions car ils offrent, non
pas une alternative ou un gadget, mais une véritable rupture technologique et une
capacité opérationnelle nouvelle au large champ d’emploi. C’est notamment ce
qu’a permis de mettre en relief l’ouvrage que nous concluons ici. En abordant
la question des drones à travers une approche pluridisciplinaire et en traitant
l’ensemble des problématiques qui leur sont associées, soient-elles historiques,
techniques, opérationnelles, juridiques, éthiques ou encore de nature prospective,
ce livre offre à tout à chacun une vision globale de ce que sont véritablement
ces systèmes d’armes. En faisant œuvre pédagogique, il permet par là même
de dépasser un certain nombre de croyances erronées, à commencer par celle
consistant à voir en eux des avions sans pilote.
Rapidement, l’appellation de vecteur non piloté a d’ailleurs laissé la place
à celle, plus juste, de plate-forme pilotée de façon déportée pour prendre de
l’épaisseur et reconnaître qu’il s’agit en fait de systèmes aériens opérés à distance.
Il ne s’agit pas là de sémantique mais bien d’une compréhension de ce qu’est le
drone et de sa complémentarité avec les appareils habités. Pour le comprendre
il a fallu fait fi de quelques idées reçues et identifier ce qu’un drone n’est pas.
Ce n’est pas un avion du futur, un vecteur non piloté, un jouet peu coûteux
et jetable pouvant être utilisé pour les missions à haut risque, un vecteur qui
s’utilise de façon isolée, un système simple à concevoir et à mettre en œuvre et,
enfin, ce n’est pas un système offrant une gamme limitée de produits.
Un drone aérien est avant tout un système aux qualités propres. Cette
compréhension de la notion de système est importante car, hormis sa composante
tactique, le drone s’inscrit dans une organisation complexe de planification
et de conduite des opérations aériennes et spatiales dont il épouse toutes les
caractéristiques. Intégration dans un environnement contrôlé, organisation
d’une boucle d’information temps réel, management des fréquences, sécurité
des systèmes d’information, connectivité élargie, ou mise en réseau ne sont que
quelques-uns des paramètres dont la maîtrise est indispensable à celui qui veut
opérer un système à distance et en tirer tous les avantages.

647
La mise en œuvre de drones aériens s’adresse donc à des nations capables
de gérer des opérations aériennes complexes. Sans cela, leur emploi est limité
au rôle de robot télécommandé. Le drone tactique s’inscrit dans cette catégorie,
à l’emploi plus simple mais aussi beaucoup plus restreint.

Les drones aériens : une Large gamme de systèmes


Les premiers concepteurs de drones aériens n’ont certainement pas imaginé
l’étendue de leur utilisation. Si leur allonge horizontale est forte en raison de
leur autonomie qui, relayée par le satellite, permet une utilisation déportée
sans limite et sans empreinte au sol, les progrès technologiques laissent aussi
envisager un usage illimité en hauteur. Les premiers drones aérospatiaux sont
d’ailleurs les satellites, qui offrent une persistance accrue et sont opérés à distance.
Le drone aérien n’a donc ni limite horizontale, ni limite verticale. Il s’intègre
dans la problématique générale du contrôle et de l’utilisation des espaces aériens
et spatiaux, par opposition au drone tactique, robot télécommandé au volume
d’emploi contraint.
Les drones peuvent être répartis en deux grandes catégories d’emploi : les
drones de surveillance, qui existent déjà mais dont le spectre d’évolution est
largement perfectible et les drones de combat qui seront opérationnels entre
2020 et 2030 mais dont le concept d’emploi doit encore faire l’objet d’études
approfondies. À la croisée de ces deux familles se trouve le drone MALE
(Moyenne Altitude Longue Endurance), drone de surveillance pouvant servir
à la désignation de cibles ou bien délivrer lui-même un armement.

Les drones de surveiLLance


Leur allonge horizontale étant assurée par les capacités de projection
des armées qui les transportent au plus près d’un théâtre d’opérations ou des
capacités d’auto-déploiement qui restent à développer, les drones de surveillance
se catégorisent en fonction de leur extension verticale, l’augmentation de
la persistance et le maintien en vol sur une longue durée militant pour une
approche « haute » alors que la qualité du détail de l’observation, dont le but
recherché est l’identification, requiert une approche « basse ». Les drones de
surveillance seront donc partagés entre la nécessité de couvrir un large champ
pour augmenter la capacité de détection et celle de le réduire pour assurer une
identification plus fine. Ces caractéristiques peuvent difficilement être mises en
œuvre par un même système. La surveillance demande donc le développement
d’une famille de drones agissant en réseau et couvrant tout le spectre des besoins,
de la détection à l’observation détaillée.

648
pLus de persistance : avantage au sateLLite
Premiers drones aérospatiaux, les satellites ont offert très tôt une des
caractéristiques principales des systèmes opérés à distance : la persistance,
assurant une très large autonomie.
Cependant, les satellites présentent des limitations d’emploi :
géostationnaires, ils peuvent fixer une zone mais à une altitude telle que la
résolution reste faible et, défilants, ils sont opérés sur des orbites plus basses
mais sans maintenir l’observation sur un point donné.
Ils offrent cependant une caractéristique unique : une utilisation hors espace
réglementé puisque l’espace exo-atmosphérique est ouvert à tout moment et à
tout endroit à celui qui peut y avoir accès. Le satellite restera donc le vecteur
privilégié pour l’acquisition de renseignement sans restriction, sur toute zone
et avant l’entrée sur un théâtre d’opérations. Par ailleurs, rares sont les nations
capables de détecter et de menacer un satellite, protégé également par le droit
international. C’est une capacité qui ne requiert ni protection particulière, ni
supériorité aérienne.
Des perspectives d’évolution existent afin d’utiliser les caractéristiques
des satellites tout en privilégiant une meilleure résolution. Un axe majeur de
progrès réside dans la recherche, non seulement d’images, mais de vidéos au
rafraîchissement compatible d’une analyse opérationnelle temps réel. L’utilisation
d’essaims de microsatellites au lancement facile, par des missiles par exemple,
vers des orbites très basses est une voie à explorer en ce qu’elle permet de
maintenir la permanence sur une zone donnée. D’autres études anticipent des
améliorations de la qualité des images et la possibilité de proposer des vidéos
au taux de rafraîchissement compatible d’une utilisation opérationnelle, à
partir de satellites géostationnaires, pour la prochaine décennie. Toutes ces
pistes méritent d’être explorées en raison du bénéfice qu’elles apporteraient
pour la planification et la conduite d’une opération.

une meiLLeure résoLution : Le choix du drone maLe


L’utilisation opérationnelle des drones MALE n’est plus à prouver. Leur
plus-value a conduit les grandes armées de l’air à se doter de ces systèmes, à
la croisée entre vecteur stratégique et capacité tactique.
L’apport du drone MALE par rapport à l’avion de combat tient dans son
aptitude à maintenir une observation permanente sur le champ de bataille. Les
capacités actuelles autorisent des vols d’une vingtaine d’heures, ce qui assure
une bonne couverture mais présente des limitations. Augmenter la permanence
conduit à accroître le nombre de vecteurs. De même, l’altitude d’évolution
de ce type de drones offre des surfaces couvertes réduites sauf à multiplier le
nombre de systèmes.
Le drone MALE n’est donc pas la meilleure capacité pour assurer une
surveillance large et stratégique sur un théâtre d’opérations et, s’agissant de

649
la reconnaissance, la furtivité et la flexibilité d’emploi d’un avion de combat
est bien supérieure.
En revanche, son utilisation au niveau « opératif » dans une zone donnée
est un véritable multiplicateur de puissance. Il peut être utilisé à différentes
altitudes, en montant pour élargir son champ d’observation ou en descendant
pour améliorer la précision de l’identification. Surtout, il peut suivre discrètement
un objectif et assurer son ciblage au profit d’un système de combat.
La plus-value principale du MALE réside dans cette capacité de ciblage
et de mise en réseau des centres de conduite des opérations aériennes avec les
aéronefs de combat. Il résout ainsi le problème principal rencontré sur les
théâtres d’opérations modernes : le raccourcissement de la boucle de décision
entre détection, identification et engagement de la cible. Il apporte le temps
réel grâce à sa liaison satellite qui s’affranchit de la distance et sa capacité à
suivre un objectif sans la pression du temps ou de l’espace.
L’évolution des drones MALE ira probablement dans le sens d’une
amélioration du ciblage et de la gestion du temps. Son utilisation s’ancrera
dans le domaine tactique si d’autres drones peuvent assurer la surveillance
large en opérant à des altitudes plus élevées et en augmentant leur persistance
sur une zone.
Malgré tout, la flexibilité d’emploi du MALE, capable d’évoluer à des
altitudes variées en fonction notamment des conditions météo, lui confère
une bonne polyvalence.
Son emploi requiert la maîtrise des espaces aériens, préalable indispensable,
et une parfaite intégration dans la structure de commandement et de conduite
des opérations aériennes afin d’assurer la nécessaire déconfliction avec les autres
vecteurs utilisant le même espace.
Le drone MALE est très consommateur en fréquences, ce qui peut restreindre
le nombre de systèmes déployés en même temps sur un théâtre alors même que
ses limitations d’emploi en demandent toujours plus.
Les évolutions majeures de ce type de système opéré à distance sont
nombreuses. Une première consiste à augmenter la charge utile afin d’autoriser
l’emport d’armements de précision mais aussi de multiplier les capteurs, une
bonne identification résultant du recoupement entre différents senseurs. Une
autre évolution majeure sera la capacité à intégrer sans restriction un espace
aérien non ségrégué, aux côtés des appareils pilotés et de s’auto-déployer.

un mot sur Le drone tactique


Quand bien même ils ne soient pas l’objet de cet article, rappelons néanmoins
qu’il existe différents types de drones tactiques, allant du microsystème lancé à
la main à celui plus évolué permettant d’accompagner une force terrestre dans
son engagement. Ces drones opèrent au-dessus du sol à une altitude basse et
sont attachés à l’engagement terrestre qui les dirige au cours de la manœuvre.
En l’absence de liaison satellite, ils sont limités en portée (« line of sight »). Les

650
drones catapultés ou à décollage vertical répondent à ce besoin. Dès lors qu’un
drone tactique doit opérer à partir d’une base aérienne, se pose la question de
sa pertinence par rapport à un MALE aux performances bien supérieures car
dans ce cas de figure, le drone tactique subit tous les défauts du MALE sans
en avoir les qualités.

Le drone de surveiLLance haute aLtitude


Les drones de type HALE (Haute Altitude, Longue Endurance) ne présentent
pas la flexibilité du MALE pour une utilisation tactique ou dans le domaine du
ciblage mais leur emploi est optimisé pour la surveillance de larges surfaces. Ils
sont très complémentaires des MALE dont ils peuvent contribuer à orienter
la recherche, en les pré-positionnant sur les zones d’intérêt. Les HALE actuels
sont peu nombreux. Coûteux, ils ont une autonomie qui est assez similaire à
celle des MALE. Leur plus-value réside donc dans la capacité à opérer plus
haut et à offrir une observation champ large. Se pose la question de leur
pérennité alors que la surveillance requiert non seulement de la hauteur mais
aussi une autonomie sur zone en rupture avec ce qui existe aujourd’hui. Leur
volume d’évolution permet d’envisager une plus grande polyvalence d’emploi
sous réserve de disposer de plates-formes à l’autonomie accrue mais aussi aux
capacités d’emport plus importantes. À l’horizon 2020-2030 de nouvelles plates-
formes pourraient voir le jour présentant ces caractéristiques qui remettront
en question la pertinence des drones HALE.

des perspectives nouveLLes : Le drone stratosphérique


S’agissant des systèmes de surveillance, l’allonge verticale permet
d’augmenter la surface au sol observée. Cependant, en limitant l’altitude, les
capacités gagnent en précision. Par ailleurs, les contraintes d’utilisation d’espaces
aériens toujours plus denses, y compris lors d’opérations, militent pour une
utilisation au-dessus de celles de l’emploi des autres vecteurs, dont les avions.
La stratosphère présente des particularités intéressantes. Les conditions de
vent y sont faibles et elle offre un excellent compromis pour le vol de plates-
formes futures dont la technologie devrait être disponible à l’horizon 2020. Les
plates-formes stratosphériques n’existent pas encore à ce jour mais plusieurs
initiatives sont en cours pour leur développement. Ces plates-formes, appelées
aux États-Unis HAP (High Altitude Platform), sont des aéronefs volants dans
la stratosphère, à une altitude comprise entre 20 et 30 kilomètres. Ces engins
opèrent ainsi largement au-dessus de l’aviation civile et militaire classique, dans
une zone où il est assez possible d’obtenir assez facilement un vol stationnaire.
On acquiert ainsi une plate-forme fixe par rapport à la surface de la terre
(géostationnaire) à une altitude assurant un excellent compromis entre champ
large et résolution, permettant une grande variété de missions : relais de
télécommunications, aide à la navigation, observation ou surveillance d’une

651
ère géographique étendue. Les études actuelles anticipent une persistance sans
commune mesure avec les drones puisqu’il s’agit de semaines ou de mois.
Les applications dans le domaine de la surveillance militaire sont très
importantes. Employées en opérations, un nombre réduit de ces plates-formes
couvrent un théâtre et permettent d’orienter les drones d’observation opérant
plus bas tels que les MALE dont les missions sont recentrées sur leur domaine
d’excellence : l’identification, le ciblage et, éventuellement, l’attaque d’objectifs.
En raison de leur altitude, ces plates-formes peuvent être utilisées pour
créer des réseaux numériques haut débit limités, résolvant ainsi une partie
des problèmes d’accès aux fréquences. C’est d’ailleurs une des principales
applications civiles de ces vecteurs. Elles peuvent également servir de relais
pour des communications et des flux d’informations.
Leurs capacités de surveillance sont aussi intéressantes pour couvrir des
espaces terrestres ou maritimes importants et donner plus de préavis aux forces
chargées de surveiller des frontières ou aux navires agissant dans la lutte contre
la piraterie ou au profit de l’action de l’État en mer.
Opérant dans l’espace endo-atmosphérique, elles doivent rester dans les
zones internationales ou requièrent la maîtrise des espaces aériens pour être
engagées sur un théâtre d’opérations. Mais, même déployées dans les eaux
internationales, leur altitude étend leur capacité d’observation bien au-delà
des côtes. Leur mise en service opérationnel rendra rapidement obsolètes les
systèmes HALE, beaucoup moins polyvalents.
Chaînon manquant entre l’aéronautique et le spatial, les plates-formes
stratosphériques présentent une nouvelle rupture technologique et capacitaire
en raison de leurs qualités spécifiques. L’industrie civile s’y intéresse de près et
les coûts d’acquisition pour les besoins militaires en seront réduits d’autant.
La Défense a un intérêt majeur à suivre leur développement pour y investir
le moment venu.
L’évolution des drones de surveillance ouvrira de nouveaux domaines. La
demande persistante de nombreuses nations de disposer de moyens de contrôles
des frontières démontre que les besoins sont nombreux et réels. La surveillance
ira du grand vers le petit, partant du segment haut permettant la détection
sur de larges surfaces et allant vers le bas pour atteindre un niveau de détail et
d’identification toujours plus précis. Le segment haut permettra de diminuer
le nombre de vecteurs du segment bas, qu’ils soient destinés à l’identification
fine ou au combat, en les prépositionnant. La surveillance s’organisera autour
de multiples capacités agissant ensemble. Ce sont des réseaux de type nouveau
qu’il faudra architecturer afin que les informations puissent être réparties en
temps réel. Il ne s’agira en effet plus de transmission d’images d’un capteur
vers un centre de commandement, mais d’échanges d’informations entre
différentes plates-formes qui s’appuieront des systèmes experts dotés d’une
intelligence artificielle capable de fusionner des masses importantes de données
et, éventuellement, de donner des ordres de mouvement à des vecteurs, habités
ou non, ou leurs senseurs pour les orienter.

652
Les drones de combat : un concept d’empLoi à imaginer
Les drones MALE, initialement positionnés sur le domaine de la surveillance
évoluent vers des missions de ciblage, d’aide au ciblage ou d’appui feu ponctuel.
Leurs caractéristiques ne laissent pas envisager une capacité de combat autre
qu’en appoint, dans certaines circonstances.
De nombreux documents ont déjà été publiés sur l’intérêt des drones de
combat. Pourtant, il reste toujours difficile d’en définir un concept d’emploi
clair bien qu’intuitivement personne ne doute que de tels systèmes verront
le jour dans la décennie à venir. L’approche initiale consistant à imaginer
le remplacement des avions de combat par des appareils pilotés à distance
a certainement détourné le débat du vrai sujet : un drone n’est pas un avion
piloté. Il a un caractère propre. C’est une capacité nouvelle qui, au contraire de
s’opposer, se conjugue avec les systèmes existants. C’est donc très probablement
dans la complémentarité avec les avions de combat qu’il faut imaginer le
développement des UCAS (Unmanned Combat Airborn Systems).
Outre l’endurance, l’UCAS présente l’avantage, comme tous les drones, de
s’affranchir des contraintes liées à la présence de l’homme à bord. L’absence
de cockpit ouvre la porte à des designs plus ambitieux, tant en termes de
performances que de furtivité.
Cependant, si ces systèmes ont des caractéristiques opérationnelles proches
des avions de combat, leur coût sera de la même classe. L’UCAS utilisable
dans des missions à hauts risques, parce que jetable, se conçoit difficilement
dans ce contexte, d’autant qu’il intégrera probablement des technologies de
pointe et novatrices.
L’économie d’un tel système peut être imaginée dans l’entraînement dont
une grande partie serait effectuée par simulation de vols réels. Une étude
approfondie devra cependant confirmer cette assertion, le vol interactif avion
piloté et UCAS pouvant au contraire requérir une expérience accrue afin que
lois humaines et automatiques de pilotage puissent s’interfacer en toute sécurité.
Ce domaine devra être analysé en fonction du concept d’emploi de ces futurs
systèmes selon qu’ils seront utilisés seuls ou en missions combinées.
S’agissant de concept d’emploi, des évolutions notables ont porté sur
la polyvalence des avions de combat pilotés et l’utilisation de plates-formes
multirôles dans tout le spectre des engagements. L’homme dans le cockpit peut
ainsi, dans le même vol, mener des missions de reconnaissance, d’intimidation
(show of force), de supériorité aérienne ou d’attaque au sol, tout en variant son
armement. Le Rafale est certainement à l’heure actuelle le meilleur exemple
au monde d’intégration de ce qui est qualifié à juste titre « d’omnirôle ». La
nature de certains engagements, l’appréciation de situation in situ que requiert
les missions sur les théâtres complexes où sont imbriqués forces amies et
adversaires, sans parfois qu’il soit aisé de distinguer les uns des autres et la
responsabilité in fine de l’équipage qui délivre un armement rendent pérennes
les vecteurs pilotés.

653
Les capteurs embarqués des systèmes opérés à distance offriront une
perception des situations dont la précision ira croissante mais à des milliers de
kilomètres parfois et au travers d’une réalité virtuelle dont on se demandera
toujours si elle offre la même justesse d’appréciation que celle de l’équipage
au contact direct du terrain. Ce débat est loin d’être clos et il s’inscrit au cœur
de la question du concept d’emploi du drone de combat. Engagement isolé ou
coopératif avec les systèmes pilotés, polyvalence ou utilisation dédiée, sont les
principales données du problème pour la définition des futurs UCAS.
Les études menées sur le sujet démarquent deux options majeures pour
l’UCAS : le système « haute intensité », qui optimise la furtivité et l’engagement
de cibles fortement défendues et celui de « moyenne intensité » qui privilégie
l’endurance et une certaine polyvalence d’emploi.
Le premier peut être utilisé de façon plus isolée et présente un intérêt
majeur pour les opérations d’entrée en premier et d’attaque de sites fortement
protégés ou celles conduites alors que la maîtrise des espaces aériens n’est pas
acquise. Il entre en compétition directe avec les missiles de croisière dont les
évolutions permettront de suivre les trajectoires, voire de réorienter les missions
en vol. Il permet en revanche un déploiement d’une extrême rapidité sur de
longues distances. Ce don d’ubiquité se conjugue avec la possibilité d’un rappel
permanent dans toutes les phases de l’opération et d’une modification à tout
moment des conditions d’engagement.
Le second en revanche tire mieux parti de l’endurance et offre, outre ses
capacités de combat, des capacités annexes de surveillance. Drone de combat
avant tout, il se présente comme un compromis inverse du MALE, drone de
surveillance pouvant être armé, les deux étant complémentaires en raison
de leur endurance sur le champ de bataille. L’emploi coordonné ou, mieux,
coopératif avec les systèmes pilotés devra faire l’objet d’études approfondies.
Ces deux catégories inscrivent la définition des futurs UCAS dans des
compromis entre survivabilité, endurance, pénétration, furtivité, autonomie
décisionnelle, performances des senseurs, capacité d’entraînement, maintenance
et bien d’autres encore. Les futures armées verront probablement se côtoyer des
drones de différente nature, y compris pour les systèmes de combat, développés
en fonction de leur emploi.
Enfin, le drone de combat prendra plus d’autonomie. C’est là une évolution
majeure dont il ne faut pas refuser l’étude. Les progrès des intelligences artificielles
sont tels que rapidement il sera possible d’intégrer aux UCAS des logiques
décisionnelles propres renforçant considérablement leur réactivité. Au-delà du
problème éthique consistant à autoriser une machine à décider d’elle-même de
délivrer un armement, se posera alors la question du niveau de délégation de
la responsabilité d’engagement et du contrôle du drone à distance ou in situ,
par des vecteurs pilotés de combat ou de commandement. Toutes les options
sont ouvertes y compris celles du contrôle par des forces au sol.
Une large réflexion est déjà engagée sur l’emploi des drones de combat et
leur intérêt. Elle doit s’inscrire dans le cadre plus large de l’aviation de combat

654
qui comprendra vecteurs pilotés et systèmes opérés à distance dans une large
gamme de choix. C’est bien dans la complémentarité que se trouveront les
réponses aux nombreuses questions posées et il est possible que dans un avenir
plus ou moins lointain, le stade de la synergie avec l’avion de combat pourrait
laisser la place à une réflexion sur l’emploi des systèmes pilotés agissant en
complément de ceux opérés à distance.

des systèmes optionneLLement piLotés :


un compromis qui présente des intérêts

Le déploiement et l’utilisation de drones posent des problèmes d’insertion


dans les espaces aériens. La technique et la réglementation évoluant et parce que
les systèmes pilotés à distance se multiplieront dans leurs applications civiles et
militaires, il est probable qu’à un horizon de dix ans, drones et avions utiliseront
des espaces communs. Comme souvent, la dernière étape vers cette intégration
sera psychologique. Une parfaite intégration de ces deux types de capacités
nécessitera une approche coopérative, au lieu d’une approche ségréguée dans
laquelle chacune évoluerait dans son espace réservé.
Pour les systèmes militaires, les drones de combat « haute intensité » ne
conduiront pas forcément à l’intégration dans des réseaux coopératifs, la
déconfliction avec les capacités pilotées pouvant être assurée par la planification.
Les systèmes « basse intensité » et, surtout, les drones de surveillance nécessiteront
une approche plus globale en raison des fortes interactions entre les vecteurs.
Le drone se prête bien à la surveillance grâce notamment à son endurance.
Cependant, dans certains cas la présence de l’homme à bord apporte une
appréciation de situation qui reste et, probablement, restera différente de
celle d’un opérateur déporté. Les missions spéciales et la surveillance de zones
particulièrement sensibles où ce qui est cherché est incertain requièrent une
appréciation et une vision périphérique qui présentent des différences selon
que l’opération est conduite par un homme agissant sur le terrain ou de façon
déportée.
L’acquisition de vecteurs optionnellement pilotés et adaptables aux
situations, ou la conjugaison interactive de drones et de vecteurs pilotés, sont
deux options qui méritent une étude.
La technologie permet aujourd’hui de « droniser » facilement des vecteurs
rustiques – de type petit avion de transport à grande endurance – mais capables
d’emporter des systèmes ISR performants. À la fois sur le théâtre national
et sur des théâtres où l’observation doit rester discrète et ne nécessite pas
de déploiements trop visibles, de telles capacités d’emploi polyvalentes ou
complémentaires peuvent présenter des avantages.
En revanche, quel que soit le système employé, dès lors que la multiplication
des capacités sera une réalité, la notion de système global émerge comme un
impératif afin d’assurer la fusion des informations au sein d’une architecture
unique.

655
un enjeu majeur : La construction d’une architecture gLobaLe
permettant La mise en réseau de tous Les systèmes

Les systèmes pilotés à distance, quels qu’ils soient, n’opèrent pas seuls et
évolueront vers des architectures de plus en plus coopératives intégrant vecteurs
pilotés ou opérés à distance.
La construction d’un centre unique de commandement et de contrôle, chargé
à la fois de la conduite des vecteurs et de la fusion des données provenant de
différents capteurs, semble indispensable.
Pilotage des vecteurs à distance et téléopération des senseurs seront des
fonctions imbriquées, les premiers obéissant aux seconds contrairement aux
avions pilotés.
L’OTAN cherche à se doter d’un tel centre qui couvrirait également tout
le spectre ISR. Plutôt que de confier à cette organisation l’exclusivité de cette
mission, il paraît préférable que les nations qui disposent de moyens ISR et
de systèmes déportés puissent développer leurs propres structures à condition
qu’elles soient interopérables et puissent être interfacées.
Pour la France, qui met en œuvre de nombreux moyens ISR et qui planifie
l’arrivée de drones de différents types, il faut réfléchir à une organisation qui
intègre non seulement un segment ISR global mais aussi la conduite des capacités
opérées à distance. L’intégration de cette architecture dans celle plus large de la
maîtrise de la troisième dimension est évidente, en prévision notamment de la
complémentarité avec les futurs drones de combat. Compte tenu de la nature
des vecteurs, cette capacité de commandement et de conduite peut être fixe avec
des extensions déployables limitées. Le concept « reach-back » prend ici toute
sa pertinence. La fenêtre d’opportunité de la construction de cette capacité est
ouverte dès à présent de façon à assurer une cohérence et surtout une parfaite
interopérabilité avec celle qui se développe dans l’OTAN.
Ces considérations amènent un autre impératif. Les capacités entrant
dans le champ des systèmes opérés à distance et leurs capteurs mettent en jeu
des industriels différents. La complémentarité des vecteurs ne doit pas faire
oublier l’impérieuse nécessité d’une architecture commune dès lors que leur
finalité est de faire interagir les systèmes en réseau. Les segments sol d’un drone
de surveillance MALE, d’un drone stratosphérique ou même d’un drone de
combat doivent être conçus dans une logique cohérente qui autorise la conduite
à distance, à partir d’une même plate-forme, de toutes les capacités déportées
et le pilotage coordonné de leurs capteurs. Ceci implique une vision globale et
partagée des systèmes à venir et un socle commun qu’il faut définir au plus tôt.
Ce problème n’est pas simple car il suppose des orientations claires dès
le stade de conception des systèmes. Pour limiter le nombre d’opérateurs de
l’équipage d’un drone de surveillance, des solutions en cours d’étude proposent
un pilotage des senseurs et un asservissement automatique des évolutions de
la plate-forme. C’est une approche orientée mission.

656
Mais pour un drone de combat, il n’est pas évident qu’elle soit aussi
pertinente, le capteur n’étant pas la finalité de la mission. Par ailleurs, dès lors
que des drones côtoieront des systèmes habités se pose la question des lois de
pilotage. L’adjonction aux drones de lois de type « réaction humaine » facilitera
la conduite des opérations conjointes, mais ceci exige une approche différente
de la conception du drone.
Il ne s’agit plus ici de technique mais bien de conception de systèmes qui
nécessite des études de faisabilité autant qu’une approche de type « facteurs
humains » afin de prendre dès le début – et nous pouvons considérer que nous
sommes au tout début de l’ère des drones – les bonnes orientations.
Les projets drones doivent donc être étudiés en équipes pluridisciplinaires
intégrant ces aspects qui devront être pris en compte dans les expressions de
besoin. De nombreuses PME innovantes travaillent sur ces questions qui
portent des enjeux nouveaux et démontrent, s’il le fallait, combien l’arrivée
future de systèmes de drones est source de filières innovantes dès lors qu’on
ne les considère pas uniquement comme des plates-formes similaires aux
systèmes pilotés.
La notion de système global et de réseau s’applique également aux futures
capacités. De nombreuses nations émergentes, qui montrent de l’intérêt pour
l’acquisition d’une aviation de combat moderne, se tournent en même temps
vers les drones. L’un n’est plus indissociable de l’autre et c’est dans une approche
globale, associant les systèmes de commandement et de conduite des opérations
aérospatiales, que seront conçues les futures armées de l’air.
Plusieurs enjeux émergent de ces approches dont celui des normes touchant
à la transmission des informations et la coopération entre différents systèmes.
Tout comme l’approche globale, cette question de normes est porteuse
d’innovation et peut offrir à l’Europe un vecteur d’influence dès lors que les
nations européennes les intégreront à leurs capacités.

Les drones : La réconciLiation entre Les systèmes de combat en


europe ?
Cette voie ouvre l’opportunité de réconciliation entre des systèmes européens
aéroportés de combat concurrents. D’une certaine façon une saine concurrence,
sous réserve qu’elle soit loyale, entre Européens n’est pas mauvaise. Voir des
avions de combat européens en finale de la compétition en Inde ou au Brésil
peut être considéré comme une plus-value pour la base industrielle de défense
en Europe, à condition que cette concurrence s’inscrive dans une politique
générale volontaire et acceptée, ce qui n’a pas été le cas jusque-là.
La création de normes pour les systèmes futurs, qui pourraient relier
en réseau plates-formes et capteurs des capacités pilotées et non pilotées
européennes, s’inscrit dans cette démarche.
Un drone MALE capable de s’interfacer avec le Rafale et l’Eurofighter dans
un réseau homogène réconcilierait le paysage européen des avions de combat.

657
Il permettrait aux différents industriels européens en compétition de proposer,
pour chaque vente d’avion de combat, un système complet qui intègrerait une
capacité drone dont les normes seraient partagées et interopérables.
Ces drones devront intégrer les normes OTAN pour les nations appartenant
à l’Alliance mais également proposer d’autres solutions pour les nations non
OTAN – pour lesquels les standards otaniens sont difficilement accessibles –
fondées sur des normes établies en commun avec les Européens.
À l’aube en Europe du développement des drones et de filières industrielles
touchant aux systèmes opérés à distance où tout est à construire, une fenêtre
d’opportunité s’ouvre pour développer des normes propres, inscrites dans un
label européen. Ce label associerait les industriels dans une démarche commune.
Il pourrait devenir un projet moteur pour l’Europe de la Défense.
Enfin, pour compléter ce paysage, un effort devrait être porté sur l’intégration
des systèmes opérés à distance dans le ciel unique européen, en pleine mutation.
Le développement d’un volet militaire à cette initiative est encouragé par la
plupart des nations européennes, afin d’éviter de se faire imposer, pour les
appareils militaires, des équipements onéreux, des contraintes d’emploi des
espaces aériens incompatibles avec les besoins opérationnels et des restrictions
sur la navigation aérienne. L’intégration des systèmes européens opérés à
distance dans le ciel unique milite en faveur du lancement de cette initiative
dont plusieurs volets sont déjà portés par l’Agence européenne de Défense et
l’état-major de l’Union européenne.
Enfin, ce projet ouvrirait la voie à une production plus large que celle
restreinte au seul théâtre européen qui privilégie des normes OTAN. Il créerait un
modèle européen cohérent et propice au développement en commun des futurs
systèmes de combat en Europe. Il serait porteur pour l’industrie aéronautique
européenne et pour la promotion de l’Europe de la Défense.

queLques considérations compLémentaires


Formation, éthique, facteurs humains et coûts sont des considérations
couramment associées aux réflexions sur les futurs systèmes de drones.
Le premier point est illustratif d’une rupture technologique qui n’a pas été
anticipée sous le regard des compétences humaines. Les drones sont arrivés en
service avant qu’on ait eu le temps de réfléchir aux compétences nécessaires
pour opérer de tels systèmes. Les opérateurs ont donc été choisis « par défaut »
– sans que l’expression est la moindre connotation péjorative –, dans le
réservoir des spécialistes des opérations aériennes, pilotes, voire contrôleurs
pour le pilotage des plates-formes et spécialistes du renseignement pour les
systèmes. Ces choix ont donné satisfaction mais il n’est pas certain qu’ils soient
les meilleurs, tant en termes de compétences à acquérir qu’au plan des coûts
de formation. A-t-on besoin d’une formation complète de pilote pour opérer
une plate-forme à distance ? La réponse réside dans une analyse détaillée des
tâches et compétences à acquérir pour répondre aux besoins nouveaux liés à ces

658
systèmes. Car en y plaçant un personnel aux compétences « avion » classiques,
on prend le risque de ne pas tirer totalement parti de l’innovation qu’apportent
les systèmes pilotés à distance dont les lois de pilotage et leur interaction avec
les capteurs ou les systèmes d’armes peuvent être très différents de ceux des
capacités pilotées.
Se pose donc la question de systèmes développés dans une logique propre,
dont l’innovation résulte de leurs possibilités intrinsèques et pour lesquels on
établit ensuite les compétences des opérateurs ; ou de systèmes qu’on adapte
volontairement d’emblée aux compétences connues et éprouvées des opérateurs
formés dans nos armées. Que l’on opte pour l’une ou l’autre solution, ceci doit
faire l’objet d’une démarche raisonnée évitant les choix résultant d’un défaut
d’analyse.
Au plan de l’éthique, beaucoup d’études ont déjà été menées. Il est curieux
de constater qu’on place sous le questionnement de l’éthique la possibilité qu’a
un drone opéré à distance, à des milliers de kilomètres parfois, de délivrer un
armement létal alors que la même question n’est jamais posée pour des missiles
pouvant aussi être tirés à de très longues distances au travers d’une appréciation
virtuelle de la réalité. Quelle différence entre une bombe délivrée par un drone
et un missile de croisière tiré par un avion ? Dans tous les cas, celui qui tire est à
distance de sécurité et identifie son objectif par des coordonnées ou un capteur.
Il ne le voit pas directement. C’est le système qui transmet les informations. Ce
n’est pas une particularité spécifique aux drones car c’est aussi le cas du sniper
qui identifie sa cible au travers d’un système de visée.
Il n’y a pas de réel problème éthique puisque c’est l’opérateur qui reste
responsable du tir. L’éthique ne tient pas dans le fait qu’il ne voit pas directement
celui sur lequel il délivre un armement mais bien dans le fait qu’un opérateur
reste impliqué et responsable de son acte. Qu’il soit déporté, apprécie la menace
et en classifie le caractère hostile grâce à une réalité virtuelle pose des problèmes
de facteurs humains qu’il faut étudier et gérer, mais pas de morale ou d’éthique.
En revanche ces considérations entrent en jeu dès lors que des systèmes
auront le niveau d’autonomie et d’intelligence tels qu’ils décideront eux-mêmes
du tir. Même si les logiques auront évidemment été programmées par l’homme,
le fait qu’une machine puisse décider de donner la mort doit être étudié sous
l’angle de l’éthique et de la morale.
L’approche « facteurs humains » consécutive à la mise en service de
systèmes opérés à distance est consubstantielle de l’étude des conséquences
de l’emploi d’une réalité virtuelle comme élément d’appréciation de situation
et d’identification. Elle n’est pas limitée aux systèmes militaires. Une salle des
marchés par exemple pose des problèmes similaires. Il paraît indispensable que
les études et le développement des systèmes de drones associent étroitement
des spécialistes de ces questions afin de mettre en balance les deux approches
« technologique » et « facteurs humains » dans les choix qui seront faits.
L’approche facteurs humains existe déjà pour les systèmes pilotés mais est
centrée sur les interfaces homme-machine. Elle est plus large pour les drones

659
dont les caractéristiques peuvent mettre l’homme au second plan du système et
où les relations et priorités homme-machine peuvent différer considérablement.
Les coûts, enfin, ont fait l’objet de nombreuses analyses aux conclusions
contradictoires. Il en ressort cependant que si l’on prend en compte la totalité
du système, le développement et le coût d’exploitation, un drone n’est pas
moins cher qu’une capacité pilotée. Les coûts sont ailleurs et les comparaisons
difficiles car elles ne portent pas sur les mêmes critères. Mais un système opéré
à distance a un coût important notamment en utilisation de fréquence et en
ressources humaines dès lors que l’on parle de longue endurance.
Une réflexion plus approfondie doit être menée dans le domaine de la
maintenance, ces systèmes pouvant s’accommoder plus facilement d’entraînement
sur simulateur. Là encore, il n’est pas certain que ce soit générateur d’économies
par comparaison avec les vecteurs pilotés, mais c’est un aspect à prendre en
considération. L’évaluation du coût complet d’un système opéré à distance
présente de très singulières particularités qu’il faut maîtriser afin de bien
appréhender les conséquences des choix qui seront prononcés.
En conclusion…Les systèmes opérés à distance ont déjà une longue vie
ainsi qu’a pu l’expliquer le présent ouvrage. Cependant, il faut distinguer ce qui
relève du vecteur télécommandé, de ce qui est une capacité à part entière, en
rupture avec les systèmes pilotés, que ce soit dans la conception, la technologie
ou dans l’emploi.
Les drones ne remplaceront pas les avions mais ils viendront les compléter.
Il faut en comprendre les différences et apprécier les qualités propres des
vecteurs opérés à distance ou de ceux pilotés afin d’imaginer le paysage futur
de composantes aériennes et spatiales qui mettront en œuvre des réseaux
complexes où ces capacités cohabiteront.
Les systèmes opérés à distance compteront de nombreuses familles de drones
aux caractéristiques différentes. Une approche par les systèmes est plus que
jamais pertinente pour prévoir l’avenir de ces capacités qui entrent dans une
nouvelle ère et ouvrent de belles filières industrielles à la fois pour la France
et pour l’Europe. Mais à une condition : il est temps d’y investir des efforts
et de l’argent. Les États-Unis ont développé leurs principaux drones MALE
en créant une filière nouvelle, non fondée sur les constructeurs aéronautiques
traditionnels. C’est un exemple intéressant à regarder.
La création de filières industrielles inédites requiert une vision car c’est dans
le long terme que s’inscrivent les bénéfices des choix qui seront faits aujourd’hui.
Les drones offrent un véhicule unique et une opportunité de repenser le paysage
capacitaire et industriel, autour de projets globaux et porteurs d’avenir. C’est
un train qu’il serait dommage de manquer.

660
Table des acronymes

2D Deux dimensions
3D Dull, Dangerous and Dirty (Ennuyeux, dangereux et sale)
3D Trois dimensions
4GW Fourth Generation Warfare (Guerre de quatrième génération)
A&M Office of Air & Marine
AAI Aircraft Armaments, Inc.
AB3C Airborne Battlefield Command and Control Center
AdA Armée de l’air française
ADIZ Air Defense Identification Zone
ADM Armes de destruction massive
ADS-B Automatic Dependent Surveillance-Broadcast
ADT Air Data Terminal 
AED Agence européenne de défense
AESA Agence européenne de sécurité aérienne
AFB Air Force Base
AFC Aircrew Fundamentals Course
AGNU Assemblée générale des Nations unies
AHW Advanced Hypersonic Weapon
ALAT Aviation légère de l’armée de terre
ALT Aérodyne/avion léger télépiloté
AMW Air and Missile Warfare
ANSSI Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information
APEO Actions sur les perceptions et l’environnement opérationnel
APRS Approbation pour remise en service
ASAT Anti-satellite Weapon
ASM Armes à sous-munitions
ATC Air Traffic Control
ATL-2 Atlantique 2
ATM Air Traffic Management
ATO Air Tasking Order
ATOL Automatic Take-Off and Landing
ATPL Airline Transport Pilot Licence
AURA Autonomous Unmanned Research Aircraft
AVI Augmented Virtuality Interface
AWACS Airborne Warning and Control System
B. LOS Beyond Line Of Sight
BAMS Broad Area Maritime Surveillance
BDA Battle Damage Assessment
BMT Basic Military Training
BPLANS Bureau plans
B.RLOS Beyond Radio Line Of Sight
BSO Battle Space Owner
BSOC Basic Sensor Operator Course
C Command and Control
C4I Command, Control, Communications, Computers and Intelligence

661
C4ISR Command, Control, Communications, Computers, Intelligence, Surveillance and Reconnaissance
CAG Circulation aérienne générale
CAM Circulation aérienne militaire
CAOC Combined Air and Space Operations Center
CAP Combat Air Patrol
CAS Close Air Support
CAV Véhicule aérospatial commun
CAV Command Aero Vehicle
CBP’s Customs and Border Protection’s
CCAC Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques
CCIRM Coordination Collection Intelligence and Reconnaissance Management
CDAOA Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes
CDC Centre de détection et de contrôle
CDH Conseil des droits de l’homme
CdN Certificat de navigabilité
CdT Certificat de type
CEAM Centre d’expériences aériennes militaires
CEAP Centre d’expérimentation de l’aéronautique navale
CEMA Chef d’état-major des armées
CESA Centre d’études stratégiques aérospatiales
CEV Centre d’essais en vol
CFA Commandement des forces aériennes
CFACC Combined Force Air Component Command
CIA Central Intelligence Agency
CICDE Centre interarmées de concepts de doctrines et d’expérimentations
CICR Comité international de la Croix-Rouge
CIJ Cour internationale de Justice
CIMIC Civil-Military Cooperation
CJSOTF Combined Joint Special Operations Task Force
CMC Cluster Munition Coalition
CMR Combat Mission Readiness
CNOA Centre national des opérations aériennes
CoC Code of Conduct
COMAR Commandement maritime
COMINT Communications intelligence
COP Common Operationnal Picture
COS Commandement des opérations spéciales
COTS Commercial Off-The-Shelf
CPGS Conventional Prompt Global Strike
CPIOSD Consignes permanentes d’instruction pour les opérateurs de systèmes de drones
CPL Commercial Pilot Licence
CReA Centre de recherche de l’armée de l’air
CRM Crew Resource Management
CROP Common Relevant Operationnal Picture
CRS Compagnie républicaine de sécurité
CS Code spécification
CSAR Combat Search and Rescue
CSFA Commandement du soutien des forces aériennes
CSNU Conseil de sécurité des Nations Unies
CT Coordinateur tactique

662
CU Charge utile
DAMB Défense antimissile balistique
DARB Daily Assets Reconnaissance Board
DARPA Defense Advanced Research Projects Agency
DASH Drone Anti-Submarine Helicopter
DBR Dalniy Bespilotniy Razvedchik
DC UAV Contre UAV défensif
DCA Droit des conflits armés
DCA Défense contre avions
DCGS Distributed Common Ground System
DCN Drones Campaign Network
DCN Drones Campaign Network
DC-UAV Defensive Counter-UAV
DDD Dull, Dangerous and Dirty
DDT Dynamic Deliberate Targeting
DGA Direction générale de l’armement
DGAC Direction générale de l’aviation civile
DIH Droit international humanitaire
DIRCAM Direction de la circulation aérienne militaire
DIRISI Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information
DMAO Département de médecine aéronautique opérationnelle
DMT Drone maritime tactique
DO Dossier d’objectif
DOD Department of Defense
DOS  Division des opérations spéciales
DPSA Dispositif permanent de sureté aérienne
DPSM Dispositif permanent de sûreté maritime
DRAC  Drone de reconnaissance au contact
DRM Direction du renseignement militaire
DSAÉ Direction de la sécurité aéronautique d’État
DT Dynamic Targeting
EASA European Aviation Safety Agency
ED Escadron de drones
EDA European Defence Agency
EED Escadron d’expérimentation drones
EFR État final recherché
EIRP Effective Isotropic Radiated Power
ELINT Electronic Intelligence
ELOS Equivalent Level of Safety
ELSA Engin léger de surveillance aérienne
EM Électromagnétique
EMAA État-major de l’armée de l’air
EMAR European Military Airworthiness Requirements
EMC  Égalité morale des combattants
EO ElectroOptique
EOAA Écoles d’officiers de l’armée de l’air
EOD Explosive Ordnance Disposal
EPFL École polytechnique fédérale de Lausanne
ERAST Environmental Research Aircraft and Sensor Technology
EUROCAE European Organization for Civil Aviation

663
EUROCAE European Organization for Civil Aviation Equipment
EUROSUR European Border Surveillance System
EVF Evasion de fréquence
EVL Expendable launch vehicle
F2T2EA Find, Fix, Track, Target, Engage, Assess
FAA Federal Aviation Administration
FALCON Force Application and Launch From Continental
FASTT Freeflight Atmospheric Scramjet Test Technique
FIAS Force internationale d’assistance et de sécurité
FMS Flight Management System
FMV Full Motion Video
FOB Forward Operating Base
FTU Formal Training Unit
GA General Atomics
GAM Groupe aérien mixte
GASI General Atomics System Integration
GBDAA Ground Based Detect and Avoid
GDT Ground Data Terminal
GEOINT Geographical Intelligence
GMTI Ground Moving Target Indicator
GPEC Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences
GPS Global Positioning System
GSPR Groupe de sécurité de la présidence de la République
GTIA Groupement tactique interarmes
HADA Haute autorité de la défense aérienne 
HALE Haute altitude longue endurance
HALSOL High Altitude SOLar
HAP High Altitude Platfor
HCV Hypersonic Cruise Vehicle
HPSAA Human Performance, Situation Awareness, and Automation
HRW Human Rights Watch
HSC Human Supervisory Control (contrôle humain de supervision)
HTV Hypersonic Technology Vehicle
HVA High Value Asset
HVAA High Value Airborne Asset
HWS Hypersonic Weapon System
I/O Institutional/Occupational
IA Intelligence artificielle
IAF Israeli Air Force
IAI Israel Aerospace Industries
IAW Independant autonomous weapons
ICBL International Campaign to Ban Landmines
ICRAC International Committee for Robots Arms Control
IED Improvised Explosive Device (engin explosif improvisé)
IFF Identification Friend or Foe
IFoR International Fellowship of Reconciliation
IFR Instrument Flight Rules 
IHM Interface homme-machine
IJC ISAF Joint Command
INOUI Innovative Operation UAS Integration project

664
IP Interprétateur Photo
IPB Intelligence Preparation of the Battlefield
IQC Instrument Qualification Course
IR Infra Rouge
ISAF International Security Assistance Force
ISARC Intelligence Surveillance and Reconnaissance Cell
ISR Intelligence, Surveillance and Reconnaissance
ISS International Space Station
ISTAR Intelligence, Surveillance, Target Acquisition & Reconnaissance
ITF Initial Flight Training
JAA Joint Aviation Authorities
JAS Job Analysis Survey
JCGUAS Joint Capability Group on Unmanned Air Systems
JCO Joint Coordination Order
JDIC Joint Deployed Intelligence Center
JFACC Joint Force Air Component Command
JIOB Joint Information Operations Board
JIOWG Joint Information Operations Working Group
JOC Joint Operations Command
JODIC Joint Deployed Intelligence Center
J-STARS Joint-Surveillance Target Attack Radar System
JTAC Joint Terminal Attack Controller
JTB Joint Targeting Board
JTWG Joint Targeting Working Group
KFOR Kosovo FORce
KPP Key Performance Parameters
KSS Karolinska Sleepiness Scale
LCP Ligne de classification périphérique 
LEGAD Legal Advisor – Conseiller juridique
LEMV Long Endurance Multi Intelligence Vehicle
LMAE Licence de maintenance aéronautique
LNO Liaison National Officer
LOA Level Of Autonomy
LORAN LOng RAnge Navigation
LOS Line Of Sight
MAARS Modular Advanced Armed Robotic System
MAJIIC Multi-sensor Aerospace/ground Joint ISR Interoperability Coalition
MALE Moyenne altitude longue endurance
MART Mini avion de reconnaissance télépiloté
MC Motion Control 
MCMM Multi Change Multi Mission
MCO Maintien en condition opérationnelle
MEC Moral equality of combatants
MIDCAS Mid Air Collision Avoidance System
MIT Massachusetts Institute of Technology
MM Mission Management
MMIST Mist Mobility Integrated Systems Technology
MOL Manned Orbiting Laboratory
MSCEIT Mayer-Saloyer-Caruso Emotional Intelligence Test
MSO Mise en service opérationnelle

665
MTI Moving Target Indicator
MTS Multi-Spectral Targeting System
NASA National Aeronautics and Space Administration
NASCAR National Association for Stock Car Auto Racing
NASP National Aerospace Plane
NATO  North Atlantic Treaty Organization
NCW Network Centric Warfare (guerre réseau centrée)
NEDEX Neutralisation, enlèvement, destruction des explosifs
NG Nouvelle generation
NOSA Navigateur officier de systèmes d’armes
NOTAM Notice to Air Men
NR National Representative
NRA National Rifle Association
NSP National Security Policy
NTIC Nouvelles technologies de l’information et de la communication
NTISR Non-Traditional Intelligence, Surveillance, and Reconnaissance
OACI Organisation de l’aviation civile internationale
OC-UAV Offensive Counter-UAV
ODV Opérateur de vol
OE Organisme d’entretien
OFM Organismes de formation à la maintenance
OGMN Organisme de gestion du maintien de la navigabilité
OGZD Officier général de la zone de défense
OI Opérateur image
OIF Operation Iraqi Freedom
OEF Operation Enduring Freedom
ONERA Office national d’études et de recherches aérospatiales
ONG Organisation non gouvernementale
ONR Office of Naval Research
ONU Organisation des Nations unies
OODA Observation, orientation, décision, action
OPEX Opération extérieure
OPSAM Orbite permanente de surveillance armable multicapteurs
OPSEC Sécurité opérationnelle
OR Officier renseignement
ORS Operationally Responsive Space
OS Operating System
OTAN Organisation du traité de l’Atlantique nord
OTV Orbital Test Vehicle
OUP Operation Unified Protector
PA1 Protocole additionnel 1
PESD Politique européenne de sécurité et de défense
PGNRR Principe du gaspillage non nécessaire des ressources rares
PID Positive Identification
PIRE Puissance isotrope rayonnée effective
PLS Profil linguistique standardisé
POL Pattern of life
PPL Private Pilot Licence
PR Personnel Recovery
PREO Préparation de l’espace opérationnel

666
PRN Principe du risque non nécessaire
PTSD Posttraumatic Stress Disorder
R&D Recherche et développement
RA Régiment d’artillerie
RAF Royal Air Force
RAM Révolution dans les affaires militaires
RC-C Regional Command Capital
RCD Revue de conception détaillée
RC-E Regional Command East
RDT&E Research, Development, Test & Evaluation
RFC RPA Fundamentals Course
RLOS Radio Line Of Sight
RLV Reusable Launch Vehicle
RMA Revolution in Military Affairs (révolution dans les affaires militaires)
ROEM Renseignement d’origine électromagnétique
ROVER Remotely Operated Video Enhanced Receiver
RPA Remotely Piloted Aircraft
RPAS Remotely Piloted Aircraft Systems
RPG Routchnoy protivotankovy granatamiot (Lance-roquette antichar portatif)
RPV Remotely Piloted Vehicle
RSTA Reconnaissance, Surveillance, Target Acquisition 
RW Rotary Wing
S&A Sense and Avoid
SA Situation Awareness
SA Simulated Annealing
SA2R Surveillance, acquisition d’objectifs, renseignement et reconnaissance
SAIM Système d’aide à l’interprétation multicapteurs
SAMs Surface-to-Air Missiles
SAR Synthetic Aperture Radar
SARP Standard and Recommended Practices
SATCOM Communications Satellites
SDT  Système de drone tactique
SDTI Système de drone tactique intérimaire
SEAD Suppression of Enemy Air Defenses
SECAT Société d’étude et de construction d’appareils de télémécanique
SER Surface équivalente radar
SESAR Single European Sky Air traffic management Research
SIC Systèmes d’information et de communication
SIDM  Système intérimaire de drone MALE
SIDO Senior Intelligence Duty Officer
SIGINT Signals Intelligence
SIMMAD Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense
SIOC Système d’information opérationnel et de commandement
SLV Small Launch Vehicle
SMV Space Maneuver Vehicle
SNCF Société nationale des chemins de fer français
SO Sensor Operator
SPHP Service de protection des hautes personnalités
SSPT Syndrome de stress post traumatique
STAÉ (STAé) Service technique de l’aéronautique

667
STANAG STANdard NAto Agreement
STAT Section technique de l’armée de terre
SV Sécurité des vols
SWAT Special Weapons and Tactics
SWORDS Special Weapons Observation Remote Direct Action System
TACO Tactical Coordinator
TBR Takticheskiy Bespilotny Razvedchik
TC Télécommande
TCAS Traffic Collision Avoidance System
TF Task Force
TFLF Task Force La Fayette
TGV Train grande vitesse
TIC Troop In Contact
TLOS Target Level of Safety 
TM Télémesure
TPIY Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie
TSF  Télégraphie sans fil
TST Time Sensitive Target
TUAV Tactical UAV
UAS Unmanned Aircraft System
UAV Unmanned Aerial Vehicle
UCAR Unmanned Combat Air Rotocraf
UCAS Unmanned Combat Air Systems
UCAV Unmanned Combat Aerial Vehicle
UCLASS  Unmanned Carrier Launched Airborne Surveillance and Strike
UE Union européenne
UGV Unmanned Ground Vehicle
UK United Kingdom
ULM Ultra léger motorisé
UPT Undergraduate Pilot Training
URSS Union des républiques socialistes soviétiques
USA United States of America
USAF United States Air Force
USAR UAV System Airworthiness Requirements
USICO Unmanned aerial vehicle Safety Issues for Civil Operations
USMC United States Marine Corps
USN United States Navy
USPV Unmanned Space Vehicle
USS United States Ship
USV Unmanned Surface Vehicle
VA Vecteur aérien
VC Voisin canon
VFR Visual Flight Rules 
VHALE Very High Altitude Long Endurance
VI Visual Identification
VTOL Vertical Take Off and Landing
VULTUR Very high altitude Ultra endurance Loitering Theater Unmanned Reconnaissance
WASM Wide Area Search Munitions
WIMP Windows Icons Mouse Pointer
WOPR War Operation Plan Response

668
WRAP Wildfire Research and Applications Partnership
ZRT Zone réglementée temporaire

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